Docteur de l'Eglise
COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD
(1254-1256)
© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost, 2019
Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Les œuvres complètes de saint Thomas
d'Aquin
Prologue général, la théologie, Le Dieu
unique
Il s'agit de la toute première œuvre de saint Thomas, la
première de ses Sommes de théologie.
Le texte latin est en caractère 12,
en bleu.
La traduction française est faite à partir de l’édition
électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par
le professeur Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par
ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org
Le premier livre : [Dieu et sa Trinité]
Le second livre : [La création par Dieu]
Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu
: Le Christ et la grâce]
Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin
des êtres]
TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie
COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La
théologie)
Question unique : [La doctrine sacrée]
Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une
autre discipline nécessaire à l’homme ?
Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre
les sciences physiques ?
Article 3: [La nature de cette science]
Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ?
Article 5 – La manière de procéder est-elle
selon l’art [1] ?_
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1[2]
Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu]
Question 1 – [La jouissance et l’usage]
Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ?
Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ?
Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ?
Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition
unique ?
Question 3 – [L’usage des créatures]
Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que
Dieu ?
Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent]
Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes
les choses ?
Est-ce que l’usage s’attribue à ceux qui existent dans la
Patrie ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1
Distinction 2 – [L’unité en Dieu]
Qestion unique : [Unité de l’essence divine]
Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ?
Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ?
Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ?
Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles
réellement ou en raison ?
Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de
Dieu par sa trace des créatures]
Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures]
Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé
?
Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi
?
Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers
les créatures ?
Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures
peut-elle être appelée vestige ?
Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont
au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ?
Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ?
Question 3 – [Le substrat de l’image]
Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de
l’image ?
Question 4 – [La connaissance de l’image]
Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ?
Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son
essence ?
Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît
d’une autre ?
Question 5 – [Les parties de l’image]
Distinction 4 – [La génération en Dieu]
Question 1 – [La génération divine]
Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ?
Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré
Dieu » est-elle fausse ?
Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou
a-t-il engendré un autre Dieu ?
Question 2 – [L’attribution divine]
Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de
Dieu ?
Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à
l'essence ?
Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de
Dieu dans l’abstrait]
Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de
la génération comme ce qui engendre ?]
Article 1 – L’essence engendre-t-elle ?
Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des
noms essentiels ?[7]
Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où
vient la génération ?]
Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du
Père ?
Article 2 – Le Fils vient-il du néant ?
Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui
est le terme de la génération]
Article unique : L’essence est-elle le terme de la
génération ?
Distinction 6 – [La génération en son principe]
Question unique : [La nécessité de la génération du Fils]
Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité
?
Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ?
Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ?
Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu.
Principe]
Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu]
Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ?
Article 2 – La puissance générative est-elle une relation
?
Question 2 – [L’état commun de cette puissance]
Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le
Fils ?
Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ?
Distinction 8 – [Les attributs divins : être,
éternité, immutabilité, simplicité]
Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ?
Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ?
Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les
noms divins ?
Question 2 – [L’éternité divine]
Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce
convient-elle ?
Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ?
Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles
temporelles?
Question 3 – [L’immutabilité de Dieu]
Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ?
Article 2 – Toute créature est-elle changeante ?
Article 3 – Les modes de changement des créatures
sont-ils attribués convenablementpar Augustin ?
Question 4 – [La simplicité en Dieu]
Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est
absolue?
Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance
?
Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments
s’attribuent à Dieu ?
Question 5 – [La simplicité du côté des créatures]
Article 1 – Existe-t-il une créature simple ?
Article 2 – L'âme est-elle simple ?
Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le
corps et en chaque partie ?
Distinction 9 – [La distinction des personnes]
Question 1 – [La distinction du Père et du Fils]
Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ?
Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont
plusieurs éternels ?
Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils]
Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils ?
Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée
par le temps présent ?
Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour]
Question unique : [L’Esprit Saint comme amour]
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ?
Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a
pour le Fils ?
Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du
Fils ?
Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint,
la personne qui procède par amour ?
Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ?
Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint]
Question unique : [La procession de l’Esprit Saint]
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du
Fils ?
Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du
Fils en tant qu’ils sont un ?
Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du
Fils en tant qu’ils sont un en nature ?
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de
spiration ?
Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint –
suite]
Article 1 – La génération est-elle antérieure à la
procession ?
Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que
du Fils ?
Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par
l'intermédiaire du Fils ?
Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit –
suite]
Question unique : [La procession du Saint
Esprit]
Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ?
Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ?
Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle
être appelée procession ou génération ?
Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est
inengendré ?
Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint– suite]
Question 1 – [La procession temporelle en soi]
Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui
est temporelle ?
Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle
réellement de la procession éternelle ?
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ?
Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint
s’étend-elle à tous les dons ?
Question 3 – [Par qui la procession temporelle de
l’Esprit Saint est-elle faite ?]
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ?
Distinction 15 – [La mission en Dieu]
Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes
divines ?]
Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes
divines ?
Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ?
Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les
personnes ?]
Article 1 – La mission convient-elle à toutes les
personnes ?
Question 3 – [La mission par comparaison à celui
qui envoie]
Article 1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne
elle-même ?
Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le
Fils ?
Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi]
Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit
?
Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de
celle de l’Esprit Saint ?
Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ?
Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec
ceux à qui il est envoyé]
Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures
sans raison ?
Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète
après l’Incarnation qu’avant ?
Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous
ne sommes plus en ce monde ?
Distinction 16 – [Les missions visibles]
Question unique : [Les missions visibles des
Personnes divines]
Article 1 – Une mission visible convient-elle aux
Personnes divines ?
Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour
les Pères de l’ancien Testament ?
Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement
dans une forme corporelle ?
Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles
formées par l’intervention des anges ?_
Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit
Saint]
Question 1 – [La nature de la charité]
Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé
dans l’âme ?
Article 2 – La charité est-elle un accident ?
Article 3 – La charité est-elle donnée selon la capacité
des choses naturelles ?
Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par
celui qui la possède ?
Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ?
Question 2 – [La croissance de la charité]
Article 1 – La charité s’accroît-elle ?
Article 2 – La charité s’accroît-elle par addition ?
Article 3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel
acte ?
Article 4 – L’accroissement de la charité a-t-il une
limite ?
Article 5 – La charité diminue-t-elle ?
Distinction 18 – [L’Esprit Saint comme don]
Question unique : [L’Esprit Saint comme don]
Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ?
Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ?
Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession
d’être don et Dieu ?
Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ?
Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations,
leur égalité]
Question 1 – [L’égalité des personnes divines]
Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ?
Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ?
Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines
est atteinte]
Article 1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ?
Article 2 : L’instant de l’éternité est-il
l’éternité elle-même ?
Question 3 – [La grandeur des personnes divines]
Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ?
Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ?
Question 4 – [Le tout attribué à Dieu]
Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral[15]?
Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ?
Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ?
Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ?
Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ?
Distinction 20 – [La puissance du Fils]
Question unique : [La puissance du Fils]
Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ?
Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ?
Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines
?
Distinction 21 – [Les noms divins (1)]
Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du
côté du sujet ?]
Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’,
est-elle fausse ?
Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul
est Dieu », est-elle vraie ?
Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du
côté du prédicat ?]
Article 1 – Cette proposition : « La Trinité
est le seul Dieu », est-elle vraie ?
Article 2 – Le Père est-il le seul Dieu ?
Distinction 22 – [Les noms divins – suite]
Question 1 – [Le nom attribué à Dieu]
Article 1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom
?
Article 2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour
Dieu ?
Article 3 – Dieu a-t-il un seul nom ?
Article 4 – La division des noms de Dieu donné par
Ambroise est-elle insuffisante[17] ?
Distinction 23 – [Le nom « personne »]
Article 2 – Ce nom « personne » est-il employé
au sens propre pour Dieu ?
Article 4 – « Personne » est-il prédiqué au
pluriel en Dieu ?
Distinction 24 – [L’unité en Dieu]
Question 1 – [L’unité en Dieu]
Article 1 – Peut-on dire que Dieu est un ?
Article 2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ?
Article 3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque
chose en Dieu ou l’excluent-ils ?
Article 4 – L’un et le nombre signifient-ils l’essence ?
Question 2 – La diversité en Dieu
Article 1 – Y a-t-il de la diversité en Dieu ?
Article 2 – Trinité est-il un nom essentiel ?
Distinction 25 – [Parle-t-on de manière univoque de
Dieu et des créatures ?]
Question unique : [La définition de la personne]
Article 1 – La définition de la personne donnée par Boèce
convient-elle ?
Article 3 – La personne est-elle commune aux trois
personnes ?
Article 4 – Peut-on dire que les trois personnes sont
trois choses ?
Distinction 26 – [Les hypostases[18] et
les relations]
Article 1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement
à Dieu ?
Article 2 – Si on exclut en esprit les relations, les
hypostases demeurent-elle distinctes ?_
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait
inexistantes ?
Article 2 – Les relations d'origine distinguent-elles les
hypostases ?
Article 3 – Les notions sont-elles seulement cinq ?
Distinction 27 – [Les propriétés et le Verbe]
Article 1 – Les propriétés se distinguent-elles entre
elles ?
Article 2 – L'opération personnelle précède-t-elle en
raison la relation de la personne ?
Article 1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ?
Article 2 – Le verbe est-il dit selon la personne ?
Article 3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la
créature ?
Distinction 28 – [L’innascibilité et l’image]
Question 1 – [L’innascibilité]
Article 1 – L’innascibilité est-elle la propriété du Père
?
Article 2 – L’innascibilité est-elle la propriété
personnelle du Père ?
Article 2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ?
Article 3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image
?
Distinction 29 – [Le principe]
Question unique – [Le principe]
Article 1 – Une personne est-elle le principe d’une autre
?
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe
unique de l’Esprit Saint ?
Distinction 30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps]
Question unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le
temps]
Article 1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec
le temps ?
Article 2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le
temps signifie-t-il son essence ?
Distinction 31 – [Egalité et appropriation]
Question 1 – [L’égalité des Personnes]
Article 1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu
?
Article 2 – Les attributs essentiels de ce genre
doivent-ils être appropriés aux personnes divines ?
Question 2 – [L’appropriation]
Question 3 – [L’appropriation, suite]
Article 2 – Tout est-il un à cause du Père ?
Distinction 32 – [La médiation dans les processions]
Article 1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ?
Article 2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ?
Article 3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par
l’Esprit Saint ?
Question 2 – [Ce qui convient au Fils]
Article 1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée
?
Article 2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ?
Distinction 33 – [Les propriétés et l’essence]
Question unique – [Les propriétés et l’essence]
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence
?
Article 2 – Les propriétés sont-elles les personnes ?
Article 3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes
et dans l’essence ?
Article 4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux
propriétés ?
Article 5 – Les opinions contraires concernant les
notions peuvent-elles être sans péché ?
Distinction 34 – [L’essence et la Personne]
Question 1 – [La comparaison de l’essence avec la
personne].
Article 1 – La personne et l’essence sont-elles une même
chose en Dieu ?
Article 2 – Dit-on convenablement que les trois personnes
sont d’une seule essence ?
Question 2 – [L’appropriation qui est placée dans
la Lettre].
Question 3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu].
Article 1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par
métaphore ?
Article 2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à
partir des choses viles ?
Distinction 35 – [La science de Dieu]
Question unique – [La science convient-elle à Dieu
?]
Article 1 – La science convient-elle à Dieu ?
Article 2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ?
Article 3 – A-t-il une connaissance certaine et
particulière des autres choses que lui ?
Article 4 – La science de Dieu est-elle univoque à la
nôtre ?
Article 5 – La science de Dieu est-elle universelle ?
Distinction 36 – [La connaissance de Dieu et les idées]
Question 1 – [La connaissance de Dieu]
Article 1 – Dieu connaît-il les singuliers ?
Article 2 – Dieu connaît-il les maux ?
Article 3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ?
Question 2 – [Les idées de Dieu]
Article 1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée
?
Article 2 – Y a-t-il plusieurs idées ?
Article 3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il
connaît ?
Distinction 37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et
les mouvements des anges]
Question 1 – [La présence de Dieu]
Article 1 – Dieu est-il dans les choses ?
Question 2 – [L’ubiquité de Dieu]
Article 1 – Dieu est-il partout ?
Article 2 – Être partout convient-il à Dieu seul ?
Article 3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement
?
Question 3 – [Le lieu des anges]
Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ?
Article 2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ?
Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul
et même lieu ?
Question 4 – [Le mouvement des anges]
Article 1 – L’ange se meut-il localement ?
Article 2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il
nécessairement un espace intermédiaire ?
Article 3 – L’ange se meut-il dans l’instant ?
Distinction 38 – [La science de Dieu]
Question unique – [L’universalité de la science de
Dieu]
Article 1 – La science de Dieu est-elle la cause des
choses ?
Article 2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière
uniforme les choses connues ?
Article 3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui
peut être énoncé ?
Article 4 – Dieu a-t-il la science du non-être ?
Article 5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs
contingents ?
Distinction 39 – [Science de Dieu et providence]
Question 1 – [l’invariabilité de la science divine]
Article 1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est
connu par lui ?
Article 2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ?
Article 3 – Dieu connaît-il l’infini ?
Question 2 – [l’universalité de la providence divine]
Article 1 – La providence appartient-t-elle à la science
?
Article 2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui
existe ?
Distinction 40 – [La prédestination]
Question 1 – [La nature de la prédestination]
Article 1 – La prédestination est-elle quelque chose dans
le prédestiné ?
Article 2 – La prédestination appartient-elle à la
science ?
Question 2 – [L’objet de la prédestination]
Article 1 – Qui est concerné par la prédestination ?
Question 3 – [La certitude de la prédestination]
Article 1 – La prédestination est-elle certaine ?
Article 1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à
la prescience ?
Article 2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ?
Distinction 41 – [L’élection en Dieu]
Question unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?]
Article 1 – Y a-t-il en Dieu une élection ?
Article 2 – L’élection précède-t-elle la prédestination
en raison ?
Article 3 – La préscience des mérites est-elle la cause
de la prédestination ?
Article 4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre
de l’homme ?
Article 5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le
connaît-il maintenant ?
Distinction 42 -- [La condition de la toute
puissance de Dieu[21]]
Question 1 – [La puissance de Dieu en soi]
Article 1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ?
Y a-t-il en Dieu une seule puissance ?
Question 2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu]
Article 1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un
autre ?
Article 2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la
nature ?
Article 3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes
inférieures ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42
Distinction 43 – [La puissance de Dieu, suite]
Question 1 – [Les limites de la puissance de Dieu]
Article 1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ?
Article 2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être
communiquée aux créatures ?
Question 2 – [La nécessité de l'opération divine]
Article 1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ?
Article 2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43
Distinction 44 – [La puissance de Dieu dans sa création]
Question unique – [La puissance de Dieu relativement à la
création]
Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature
meilleure qu'il ne l’a faite ?
Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ?
Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ
meilleure qu’elle ne l’est ?
Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu
autrefois ?
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44
Distinctio 45 – [La volonté en Dieu]
Article 1 – La volonté existe-t-elle en Dieu ?
Article 2 – La volonté de Dieu ne se rapporte-t-elle
qu’à lui seul ?
Article 3 – La volonté de Dieu est-elle la cause des
choses ?
Distinction 46 – (2) La volonté de Dieu
Article 1 : Dieu veut-il que tous les hommes soient
sauvés ?
Article 2 : Est-il bon que des choses mauvaises
soient faites?
Article 3 : Le mal contribue-t-il à la perfection de
l’univers ?
Article 4 : Dieu veut-il que de mauvaises choses
soient faites ?
Distinction 47 – (3) La volonté de Dieu - Son
efficacité
Article 1 : La volonté divine s’accomplit-elle
toujours efficacement ?
Article 2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de
la volonté de Dieu ?
Article 3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté
de Dieu n’obéit pas à sa volonté ?
Article 4 : Ce qui est en dehors de la volonté de
Dieu n’est-il pas soumis au précepte ?
Distinction 48 – La volonté de Dieu (4). La
conformité de la volonté de l’homme à celle de Dieu
Article 1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut
pas se conformer à la volonté divine ?
Article 2 : La conformité des volontés se
vérifie-t-elle surtout selon ce qui est voulu ?
Article 3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité
de la volonté divine ?
Article 4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans
ce qui est voulu ?
Textum
Parmae 1858 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias
magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit. |
© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost |
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LIBER I |
LIVRE 1
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Prooemium |
Prologue |
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Ego sapientia effudi
flumina : ego quasi trames aquae immensae defluo : ego quasi fluvius Dorix,
et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Dixi : rigabo hortum plantationum, et
inebriabo partus mei fructum. Eccli. 24, 40. |
Moi, la Sagesse, j’ai relâché
des torrents : je me répands comme un cours d’eau immense : je suis
comme le fleuve Dorix, et comme un cours d’eau je suis sorti du Paradis. J’ai
dit : j’irriguerai abondamment le jardin de mes plantations et
j’enivrerai le fruit de mon enfantement. (Si. 24, 30-31). |
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Le premier livre : [Dieu et sa Trinité] |
Inter multas sententias
quae a diversis de sapientia prodierunt, quid scilicet esset vera sapientia,
unam singulariter firmam et veram apostolus protulit dicens Christum
Dei virtutem et Dei sapientiam, qui etiam nobis a Deo factus est sapientia, 1
ad Corinth. 1, 24 et 30. Non autem hoc ita dictum est, quod solus
filius sit sapientia, cum pater et filius et spiritus sanctus sint una
sapientia, sicut una essentia ; sed quia sapientia quodam speciali modo filio
propriis [appropriatur Éd. Parme], eo quod sapientiae
opera cum propriis [proprietatibus Éd. De Parme] filii plurimum
convenire videntur. Per sapientiam enim Dei manifestantur divinorum
abscondita, producuntur creaturarum opera, nec tantum producuntur, sed
[etiam Éd. De Parme] restaurantur et perficiuntur : illa, dico,
perfectione qua unumquodque perfectum dicitur, prout proprium finem attingit. |
Parmi les nombreuses sentences sur la sagesse produites
par différents auteurs pour exprimer ce que devait être la vraie sagesse,
l’apôtre en a déclaré une qui est spécialement forte et vraie en
disant : Le Christ est la puissance et la sagesse de Dieu, lui
qui a aussi été fait sagesse pour nous par Dieu. (1Cor. 1, 24 et 30).
Mais cela n’a pas été dit de telle manière que seul le Fils serait sagesse,
puisque le Père, avec le Fils et l’Esprit-Saint, sont une seule et même
sagesse tout comme ils sont une seule et même essence, mais en ce sens que la
sagesse semble appartenir en propre au Fils d’une manière spéciale, du fait
que les œuvres de la sagesse semblent grandement ressortir de ce qui est
propre au Fils. En effet, c’est par la Sagesse de Dieu que sont manifestés
les trésors cachés de la divinité, que sont produites les œuvres des
créatures, et qu’elles ne sont pas seulement produites, mais aussi restaurées
et conduites à leurs perfections ; et j’appelle ici perfection celle par
laquelle on dit de chaque chose qu’elle est parfaite dans la mesure où elle
parvient à la fin qui lui est propre. |
Quod autem manifestatio
divinorum pertineat ad Dei sapientiam, patet ex eo quod ipse Deus per suam
sapientiam seipsum plene et perfecte cognoscit. Unde si quid de ipso
cognoscimus oportet quod ex eo derivetur, quia omne imperfectum a perfecto
trahit originem : unde dicitur Sapient. 9, 17 : Sensum
tuum quis sciet, nisi tu dederis sapientiam ? Haec autem
manifestatio specialiter per filium facta invenitur : ipse enim est verbum
patris, secundum quod dicitur Joan. 1, unde sibi
manifestatio dicentis patris convenit et totius Trinitatis. Unde
dicitur Matth. 11, 27 : Nemo novit patrem nisi
filius et cui filius voluerit revelare : et Joan. 1,
18 : Deum nemo vidit unquam, nisi unigenitus qui est in sinu patris. |
Mais qu’il appartienne à la sagesse de Dieu de manifester
le divin, cela est évident du fait que Dieu lui-même, par sa sagesse, se
connaît lui-même dans sa plénitude de la façon la plus parfaite. C’est
pourquoi, si nous connaissons quelque chose de Lui, il faut que cette
connaissance provienne de Lui, car tout ce qui est imparfait tire son origine
de ce qui est parfait ; c’est pourquoi on lit ceci au livre de la
Sagesse (9, 17) : Qui connaîtra ta Pensée, si tu
ne lui donnes pas ta Sagesse ? Mais il se trouve que cette manifestation
du divin a spécialement été faite par le Fils : en effet, il est
Lui-même le Verbe du Père, conformément à ce qu’on lit dans le premier
chapitre de l’Évangile de Jean, et c’est pourquoi c’est à lui
qu’il revient de révéler ce que dit le Père et toute la Trinité. C’est
pourquoi Matthieu dit (11, 27) : Personne n’a connu le Père, si
ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler ; et Jean
dit de même (1, 18) : Dieu, personne ne l’a jamais
vu, si ce n’est celui qui est le seul à avoir été engendré dans le sein du
Père. |
Recte
ergo dicitur ex persona filii : ego sapientia effudi flumina. Flumina
ista intelligo fluxus aeternae processionis, qua filius a patre, et spiritus
sanctus ab utroque, ineffabili modo procedit. Ista flumina olim occulta et
quodammodo infusa [confusa Éd. De Parme]erant, tum in
similitudinibus creaturarum, tum etiam in aenigmatibus Scripturarum, ita ut
vix aliqui sapientes Trinitatis mysterium fide tenerent. Venit filius Dei et infusa
[inclusa Éd. De Parme] flumina quodammodo effudit, nomen
Trinitatis publicando, Matth. ult. 19 : Docete omnes
gentes, baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti.
Unde Job 28, 2 : Profunda fluviorum scrutatus est et
abscondita produxit in lucem. Et in hoc tangitur materia primi libri. |
C’est donc à juste titre que ces paroles sont dites de la
bouche du Fils : Moi la sagesse, j’ai relâché des torrents.
J’entends par torrents l’écoulement d’une procession éternelle par lequel,
selon un mode ineffable, le Fils procède du Père et l’Esprit-Saint du Père et
du Fils. Autrefois ces torrents étaient cachés et d’une certaine manière
n’étaient connus que confusément, aussi bien à travers les similitudes des
créatures que dans les énigmes que présentent les Écritures, de telle manière
qu’à peine quelques sages adhéraient par la foi au mystère de la Trinité.
Mais le Fils de Dieu vint et il répandit en quelque sorte des torrents
intérieurs en proclamant le nom de la Trinité comme il est dit dans Matthieu
(28, 19) : Enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est aussi pourquoi on lit dans Job
(28, 2) : Il a scruté la profondeur des fleuves et il a amené à
la lumière ce qui était dans l’obscurité. Et par ces considérations, nous
touchons à la matière du premier livre. |
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Le second livre : [La création par Dieu] |
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Secundum quod
pertinet ad Dei sapientiam est creaturarum productio : ipse enim de rebus
creatis non tantum speculativam, sed etiam operativam sapientiam habet, sicut
artifex de artificiatis ; unde in Psalm. 103 : Omnia in
sapientia fecisti. Et ipsa sapientia loquitur, Proverb. 8,
30 : Cum eo eram cuncta componens. Hoc etiam specialiter filio
attributum invenitur, inquantum est imago Dei invisibilis, ad cujus formam
omnia formata sunt : unde Coloss. 1, 15 : Qui est
imago Dei invisibilis, primogenitus omnis creaturae, quoniam in ipso condita
sunt universa ; et Joan. 1, 3 :Omnia per ipsum facta
sunt. Recte ergo dicitur ex
persona filii : ego quasi trames aquae immensae de fluvio ; in quo notatur et
ordo creationis et modus. Ordo, quia sicut trames a fluvio derivatur, ita
processus temporalis creaturarum ab aeterno processu personarum : unde
in Psalmo 148, 5, dicitur : Dixit, et facta sunt. |
Ce qui relève en deuxième lieu de la sagesse divine,
c’est la production des créatures : Dieu lui-même en effet ne possède
pas seulement une sagesse spéculative au sujet des choses créées, mais aussi
une sagesse opérationnelle, comparable à celle de l’artisan par rapport aux
choses artificielles ; c’est pourquoi le Psaume dit (103) : Tu
as tout fait avec sagesse. Et c’est la sagesse elle-même qui parle dans
les Proverbes (8, 30) : J’étais avec lui,
disposant toute chose. Cela même se trouve encore à être spécialement
attribué au Fils selon qu’il est l’image visible du Dieu invisible à la forme
duquel toutes les choses ont été façonnées ; c’est pourquoi on lit
dans l’Épître aux Colossiens : C’est lui qui est
l’image du Dieu invisible, le Premier-né parmi toutes les créatures, puisque
c’est en lui que toutes les choses ont été créées ; et c’est
pourquoi aussi Jean (1, 3) dit : Tout
a été fait par Lui. C’est donc avec raison que la personne du fils
dit : Je suis comme le chemin parcouru par l’eau abondante d’un
fleuve ; en quoi on remarque à la fois l’ordre et le mode de la
création. L’ordre, parce que tout comme le cheminement provient du fleuve, de
même la marche temporelle des créatures provient de la procession éternelle
des personnes : c’est pourquoi le Psalmiste dit (148,
5) : Il dit, et cela fut. |
Verbum genuit, in
quo erat ut fieret [fierent Éd. De Parme],
secundum Augustinum. Semper enim id quod est primum est causa eorum quae sunt
post, secundum philosophum ; unde primus processus est causa et ratio omnis
sequentis processionis. Modus autem signatur quantum ad duo : scilicet ex
parte creantis, qui cum omnia impleat, nulli tamen se commetitur ; quod
notatur in hoc quod dicitur, immensae. Item ex parte creaturae : quia
sicut trames procedit extra alveum fluminis, ita creatura procedit a Deo
extra unitatem essentiae, in qua sicut in alveo fluxus personarum
continetur. Et in hoc notatur materia
secundi libri. |
Selon Augustin, le Père engendra le Verbe dans lequel il
était afin que toutes les choses voient le jour. Toujours en effet, selon le
Philosophe, ce qui est premier est la cause de ce qui vient par la
suite ; c’est pourquoi le premier processus est la cause et la raison de
toute procession qui vient par la suite. Mais le mode est signifié quant à
deux rapports : c’est-à-dire d’une part quant au créateur qui, bien
qu’il comble toute chose ne se mélange cependant à aucune, ce qui est
signifié au moyen du terme immense. Le mode est signifié d’autre
part du côté de la créature car tout comme le chemin procède ou sort du lit
du fleuve, de même la créature procède de Dieu en sortant de l’unité de son
essence dans laquelle, comme dans le lit d’un fleuve, le flux des personnes
est contenu. Et c’est par là qu’est désignée la matière du second livre. |
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Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu : Le Christ et la grâce] |
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Tertium, quod
pertinet ad Dei sapientiam, est operum restauratio. Per idem enim debet res
reparari per quod facta est ; unde quae per sapientiam condita sunt, decet ut
per sapientiam reparentur : unde dicitur Sapient. 9, 19 : Per sapientiam sanati sunt qui tibi
placuerunt ab initio. |
Ce qui relève en troisième lieu de la sagesse divine,
c’est la restauration de la création. En effet une chose doit être réparée
par cette même cause par laquelle elle a été faite ; c’est pourquoi il
convient que les choses qui ont été créées par la sagesse soient réparées par
elle. C’est pourquoi on lit dans le livre de la Sagesse (9, 19) : Ceux
qui t’ont plu dès le début, c’est par la sagesse qu’ils ont été guéris. |
Haec autem reparatio specialiter per filium facta est,
inquantum ipse homo factus est, qui, reparato hominis statu, quodammodo omnia
reparavit quae propter hominem facta sunt ; unde Coloss.1, 20 : Per
eum reconcilians omnia, sive quae in caelis, sive quae in terris sunt. Recte ergo ex ipsius filii persona dicitur : ego quasi
fluvius Dorix, et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Paradisus iste, gloria
Dei patris est, de qua exivit in vallem nostrae miseriae ; non quod eam
amitteret, sed quia occultavit : unde Joan.16, 28 : Exivi
a patre et veni in mundum. Et circa hunc exitum duo notantur, scilicet
modus et fructus. Dorix enim fluvius rapidissimus est ; unde designat modum
quo, quasi impetu quodam amoris nostrae reparationis Christus complevit
mysterium ; unde Isaiae 59, 19 : Cum venerit quasi
fluvius violentus, quem spiritus domini cogit. |
Mais cette réparation, c’est spécialement le Fils qui l’a
réalisée puisque lui-même a été fait homme et, ayant restauré la condition de
l’homme, il a restauré du même coup en quelque sorte tout ce qui avait été
fait en vue de l’homme ; c’est pourquoi il est dit dans l’Épître
aux Colossiens (1, 20) : C’est par Lui qu’il a tout
réconcilié, ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre.
C’est donc avec raison qu’il est dit de la bouche même de la personne du
Fils : Moi, je suis comme le fleuve Dorix et comme un cours
d’eau sorti du Paradis. Ce Paradis est la gloire de Dieu le Père d’où il
est sorti pour entrer dans la vallée de notre misère, non pas parce qu’il
avait perdu cette gloire, mais parce qu’il l’a cachée : c’est pourquoi
Jean dit de Lui (16, 28) : Je suis sorti du Père et je suis venu
dans le monde. Et au sujet de cette sortie, il faut noter deux choses, à savoir
le mode et le fruit. En effet, le fleuve Dorix est très rapide ; c’est
pourquoi est désigné par cette similitude le mode par lequel, comme par un
certain élan d’amour pour notre réparation, il a accompli le mystère ;
c’est pourquoi Ésaïe dit (59, 19) : Lorsqu’Il
sera venu comme un fleuve impétueux poussé par l’Esprit du Seigneur. |
Fructus autem designatur ex hoc quod dicitur, sicut
aquaeductus : sicut enim aquaeductus ex uno fonte producuntur
divisim ad fecundandam terram, ita de Christo profluxerunt diversarum
gratiarum genera ad plantandam Ecclesiam, secundum quod dicitur Ephes.
4, 11 : Ipse dedit quosdam quidem apostolos, quosdam autem prophetas,
alios vero Evangelistas, alios autem pastores et doctores, ad consummationem
sanctorum in opus ministerii, in aedificationem corporis Christi. Et
in hoc tangitur materia tertii libri : in cujus prima parte agitur de
mysteriis nostrae reparationis, in secunda de gratiis nobis collatis per
Christum. |
Mais pour ce qui est du fruit, il est identifié à partir
de l’expression ¨comme un cours d’eau¨ : en effet, tout comme les
cours d’eau sont produits à partir d’une seule et même source qui se divise
pour féconder la terre, de même à partir du Christ seul se sont écoulés des
genres de grâces différentes pour planter l’Église, conformément à ce qu’on
dit dans l’Épître aux Éphésiens (4, 11) : Lui-même
a donné à certains d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, à d’autres
d’être évangélistes, à d’autres d’être pasteurs et docteurs pour le
perfectionnement des saints dans l’œuvre du ministère, pour l’édification du
Corps du Christ. Et c’est en cela qu’on touche du doigt la matière du
troisième livre dont la première partie traite des mystères de notre
réparation et la seconde des grâces recueillies pour nous par le Christ. |
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Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin des êtres] |
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Quartum, quod ad Dei
sapientiam pertinet, est perfectio, qua res conservantur in suo fine.
Subtracto enim fine, relinquitur vanitas, quam sapientia non patitur secum ;
unde dicitur Sap. 8, 1, quod sapientia attingit a fine
usque ad finem fortiter et disponit omnia suaviter. Suaviter autem
unumquodque tunc dispositum est quando in suo fine, quem naturaliter
desiderat, collocatum est. Hoc etiam ad filium specialiter pertinet, qui, cum
sit verus et naturalis Dei filius, nos in gloriam paternae hereditatis
induxit ; unde Hebr. 2, 10 : Decebat eum propter quem et
per quem facta sunt omnia, qui multos filios in gloriam adduxerat. |
Ce qui relève en quatrième lieu de la Sagesse de Dieu,
c’est la perfection par laquelle les choses sont conservées dans leur
finalité. En effet, si on enlève la fin, il ne reste que la vanité, laquelle
est incompatible avec la Sagesse. C’est pourquoi on dit dans le livre de la
Sagesse (8, 1) que la sagesse passe d’une fin à une autre avec
force et qu’elle dispose tout avec douceur. Mais chaque chose est
disposée avec douceur quand elle a été posée dans sa finalité qu’elle désire
naturellement. Mais cela revient spécialement au Fils qui, puisqu’il est le
Fils véritable et naturel de Dieu, nous a conduits à la gloire de l’héritage
paternel ; et c’est pourquoi l’Apôtre nous dit dans l’Épître aux
Hébreux (2, 10) : Il revenait à celui pour qui et par
qui tout a été fait de conduire à la gloire une multitude de fils. |
Unde recte dicitur : Dixi : rigabo hortum
plantationum. Ad consecutionem enim finis exigitur praeparatio, per
quam omne quod non competit fini, tollatur ; ita Christus etiam, ut nos in
finem aeternae gloriae induceret, sacramentorum medicamenta praeparavit,
quibus a nobis peccati vulnus abstergitur. Unde duo notantur in verbis
praedictis, scilicet praeparatio, quae est per sacramenta, et inductio in
gloriam. Primum per hoc quod dicitur : Rigabo hortum plantationum.
Hortus enim iste Ecclesia est, de qua Cant. 4, 12 : Hortus
conclusus soror mea sponsa : in quo sunt plantationes diversae,
secundum diversos sanctorum ordines, quos omnes manus omnipotentis plantavit.
Iste hortus irrigatur a Christo sacramentorum rivis, qui ex ejus latere
profluxerunt : unde in commendationem pulchritudinis Ecclesiae dicitur
in Num. 24, 5 : Quam pulchra tabernacula tua, Jacob.
Et post sequitur, 6 : Ut horti juxta fluvios irrigui. Et ideo
etiam ministri Ecclesiae, qui sacramenta dispensant, rigatores
dicuntur, 1 Corinth. 3, 6 : Ego plantavi,
Apollo rigavit. Inductio autem in gloriam notatur in hoc quod sequitur
: Et inebriabo partus mei fructum. |
C’est pourquoi il est dit avec raison dans la citation
initiale: J’ai dit: j’arroserai le jardin de mes plantations. Il
est nécessaire en effet qu’il y ait une préparation qui soit ordonnée à la
poursuite de la fin, au moyen de laquelle soit écarté tout ce qui ne
contribue pas à la fin; c’est ainsi encore que le Christ, afin que nous
soyions introduits dans cette fin qu’est la gloire éternelle, prépara pour
nous ces remèdes que sont les sacrements par lesquels est enlevée de nous la
blessure du péché. De là il y a deux choses à retenir des paroles qui
précèdent, à savoir l’idée de préparation, laquelle est achevée par les sacrements, et
l’expression introduction dans la gloire. Et la première idée,
celle de préparation, est rendue par cet énoncé: J’arroserai le
jardin de mes plantations. Ce jardin en effet est l’Église dont on parle
dans le Cantique (4, 12): Tu es mon jardin privé, ma
soeur, mon épouse: dans ce jardin, il y a différentes plantations,
correspondant aux différents ordres des saints, qui ont toutes été plantées
par la main du Tout-Puissant. Ce jardin est arrosé par le Christ grâce aux
ruisseaux des sacrements qui ont coulé de son côté: c’est pourquoi, dans la
louange de la beauté de l’Église, on dit dans le livre des Nombres (24,
5): Comme tes tentes sont belles, ô Jacob! Et plus loin on voit
suivre ceci (24, 6): Comme des jardins qui baignent près des fleuves.
Et c’est pour cette raison aussi que les ministres de l’Église qui
distribuent les sacrements sont appelés par l’Apôtre, dans la Première
Épître aux Corinthiens (3, 6) ¨ceux qui arrosent¨ : J’ai
planté, Apollos a arrosé. Mais l’introduction dans la gloire est soulignée
dans l’expression qui suit: Et j’enivrerai le fruit de mon
enfantement. |
Partus ipsius Christi sunt fideles Ecclesiae, quos suo
labore quasi mater parturivit : de quo partu Isa. ult., 9
: Numquid ego, qui alios parere facio, ipse non pariam ? Dicit dominus.
Fructus autem istius partus sunt sancti qui sunt in gloria : de quo
fructu Cant. 5, 1 : Veniat dilectus meus in hortum
suum et comedat fructum pomorum suorum. Istos inebriat abundantissima sui
fruitione ; de qua [fruitione et Éd. De Parme] ebrietate Psalm.
35, 9 : Inebriabuntur ab ubertate domus tuae. Et dicitur
ebrietas, quia omnem mensuram rationis et desiderii excedit : unde Isa.
64, 4 : Oculus non vidit, Deus, absque te quae praeparasti
expectantibus te. Et in hoc tangitur materia quarti libri : in cujus
prima parte agitur de sacramentis ; in secunda de gloria resurrectionis. Et
sic patet ex praedictis verbis intentio libri Sententiarum. |
Mais ce que le Christ enfante, ce sont les fidèles de
l’Église qu’il a enfantés par son travail comparable à celui de la mère qui a
enfanté : et c’est de cet enfantement dont parle Ésaïe à
la fin de son livre (66, 9) : Et moi qui fais enfanter les
autres, je ne pourrais pas moi-même enfanter ? Dit le
Seigneur. Mais les fruits de cet enfantement sont les saints qui vivent
dans la gloire, fruits dont le Cantique (5, 1)
dit : Que mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu’il mange le
fruit de ses arbres. Il les enivre de sa joie immense ; et de cette
joie et de cet enivrement le Psaume (35, 9) dit : Ils
seront enivrés par l’abondance de ta maison. Et il parle d’enivrement
parce que cette joie dépasse toute mesure de la raison et du désir. Et c’est
pourquoi Ésaïe (64. 3) dit : Jamais un œil n’a
vu qu’un autre dieu que Toi ait préparé de telles choses pour ceux qui t’attendent.
Et c’est avec ce point qu’on touche du doigt la matière du quatrième livre
dont la première partie traite des sacrements et la seconde de la gloire de
la résurrection. Et c’est ainsi qu’apparaît avec clarté, en nous appuyant sur
les paroles qui précèdent, le propos du livre des Sentences. |
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Prooemium |
TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie |
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1. Cupientes aliquid de penuria ac tenuitate nostra cum
paupercula in gazophylacium Domini mittere, ardua scandere, opus ultra vires
nostras agere praesumsimus, consummationis fiduciam laborisque mercedem in
Samaritano statuentes, qui, prolatis in curationem semivivi duobus denariis,
supereroganti cuncta redere professus est. Delectat nos veritas pollicentis,
sed terret immensitas laboris : desiderium hortatur proficiendi, sed
dehortatur infirmitas deficiendi, quam vincit zelus domus Dei. "Quo
inardescentes, fidem nostram adversus errores carnalium atque animalium
hominum" Davidicae turris clypeis munire vel potius munitam
ostendere ac theologicarum inquisitionum abdita aperire nec non et
sacramentorum ecclesiaticorum pro modico intelligentiae nostrae notitiam
traducere studuimus, "non valentes studiosorum fratrum votis
iure resistere, eorum in Christo laudabilibus studiis lingua ac stilo nos
servire flagitantium, quas bigas in nobis agitat Christi caritas". |
Désirant introduire quelque
chose de notre dénuement et de notre petitesse, avec notre pauvreté, dans le
trésor du Seigneur et nous élever dans les hauteurs, nous avons osé nous engager
dans une œuvre qui dépasse nos capacités en fondant l’assurance de la
récompense du travail accompli sur le Samaritain lui-même, lequel, ayant cédé
deux deniers pour les soins à donner à celui qui était à peine vivant, promit
de rendre tout ce qui serait dépensé en sus. La vérité de cette promesse nous
réjouit, mais l’immensité du travail à accomplir nous effraie : le désir
de servir nous pousse à avancer, mais notre faiblesse, que vainc notre zèle
pour la maison du Seigneur, nous conseille d’abandonner. ¨Embrasés par ce
zèle, nous lançons notre foi à l’assaut des erreurs des hommes charnels et
sans esprit¨. Nous travaillons à fortifier notre foi avec les boucliers
de la Tour de David, ou plutôt à la montrer une fois fortifiée, à manifester
les secrets des recherches théologiques, et à ne pas transmettre une
connaissance tronquée de notre intelligence sur les sacrements de l’Église,
ne pouvant résister à juste titre aux vœux de nos frères dévoués et aux
efforts louables de ceux qui sont dans le Christ et qui nous exhortent à
servir par la langue et la plume, ce char à double attelage que l’amour du
Christ excite en nous. |
"Quamvis non ambigamus omnem
humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper
fuisse obnoxium, quia, dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque
fit animorum sensus", "ut, cum omne dictum veri
ratione perfectum sit, tamen, dum aliud aliis aut videtur aut complacet,
veritati vel non intellectae vel offendenti impietatis error obnitatur, ac
voluntatis invidia resultet", "quam Deus
huius saeculi operatur in illis diffidentiae filiis, qui
non rationi voluntatem subiiciunt nec doctrinae studium impendunt, sed his
quae somniarunt sapientiae verba coaptare nituntur, non veri, sed placiti
rationem sectantes, quos iniqua voluntas non ad intelligentiam veritatis, sed
ad defensionem placentium incitat, non desiderantes doceri veritatem, sed ab
ea ad fabulas convertentes auditum (II Tim.4, 4) |
¨Bien que nous ne doutions pas que tout discours du
langage humain a toujours été assujetti à la calomnie et à la contradiction
des envieux parce que, une fois que les mouvements de la volonté sont
divisés, les jugements des âmes le deviennent aussi¨ (Hilaire, Trinité,
X, 1)… ¨de telle sorte que, puisque toute parole est parfaite en raison de sa
vérité cependant, alors même que ce qui plaît et apparaît vrai à chacun
diffère de l’un à l’autre, l’erreur de l’impiété s’oppose à la vérité soit
parce que cette dernière n’est pas comprise soit parce qu’elle choque et
alors la jalousie de la volonté résiste à la vérité¨, ¨que le Dieu de ce
siècle opère chez ces fils de la dissidence¨ qui ne soumettent pas leur
volonté à la raison et ne consacrent pas leur application à la doctrine mais
s’efforcent d’adapter les paroles de la sagesse à ceux qui rêvent, ne suivant
pas ainsi la raison du vrai, mais celle de l’agrément, eux qu’une volonté
inique ne pousse pas à comprendre la vérité mais à défendre ce qui leur
plaît, ne cherchant pas à être enseignés par la vérité mais à se
détourner d’elle pour tendre leurs oreilles vers les fables (11 Tm.
4, 4.). |
2. Quorum professio est magis placita quam docenda
conquirere nec docenda desiderare, sed desideratis doctrinam coaptare. Habent
rationem sapientiae in superstitione : quia fidei defectionem
sequitur hypocrisis mendax, ut sit vel in verbis pietas, quam amiserit
conscientiae, ipsamque simulatam pietatem omnium [omni, alt.]
verborum mendacio impiam reddunt, falsae doctrinae institutis fidei
sanctitatem corrumpere molientes auriumque pruriginem sub novello sui
desiderii dogmate aliis ingerentes, qui contentioni studentes contra
veritatem sine foedere bellant". "Inter veri
namque assertionem et placiti defensionem pertinax pugna est, dum se et
veritas tenet, et se voluntas erroris tuetur". Horum igitur et Deo
odibilem ecclesiam evertere atque ora oppilare, ne virus nequitiae in alios
effundere queant, et lucernam veritatis in candelabro exaltare volentes, in
labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus ex testimoniis
veritatis in aeternum fundatis, in quatuor libros distinctum. |
Leur enseignement tient plus de l’agrément que ce qu’on
doit enseigner à acquérir et ne pas enseigner à désirer, mais il consiste à
adapter la doctrine à leurs désirs. Ils trouvent la justification de
leur sagesse dans la religiosité : parce que le mensonge de
l’hypocrisie suit la disparition de la foi, comme la piété existe même dans
les paroles, laquelle se sera éloignée de la conscience, ils rendent impie
par le mensonge la piété simulée de toutes leurs paroles en travaillant à
corrompre la vérité de la foi par les principes d’une fausse doctrine et en
suscitant chez les autres une démangeaison des oreilles sous le nouveau dogme
de leur désir, eux qui sans mandat travaillent avec application à combattre
la vérité. ¨Car entre l’affirmation de la vérité et la défense de ce qui
plaît, il existe une guerre constante aussi longtemps que la vérité est
soutenue et que la volonté de l’erreur se maintient¨ (Hilaire, ibid.).
Voulant donc renverser leur église qui est détestable à Dieu et fermer leurs
bouches afin qu’ils ne répandent pas chez les autres le poison de leur
perversité, et élever sur le candélabre la lumière de la vérité, nous avons
rédigé, avec beaucoup de travail et de peines, avec l’aide de Dieu et à
partir des témoignages de la vérité qui se fondent sur l’éternité, ce volume
qui se divise en quatre livres. |
In quo maiorum exempla doctrinamque reperies, in quo
per dominicae fidei sinceram professionem vipereae doctrinae fraudulentiam
prodidimus, aditum demonstrandae veritatis complexi nec periculo impiae
professionis inserti, temperato inter utrumque moderamine utentes. Sicubi
vero parum vox nostra insonuit, non a paternis dicessit limitibus. "Non
igitur debet hic labor cuiquam pigro vel multum docto videri superfluus, cum
multis impigris multisque indoctis, inter quos etiam mihi, sit necessarius"(Augustin,
Trin. 3, 1), brevi volumine complicans Patrum sententias, appositis eorum
testimoniis, ut non sit necesse quaerenti librorum numerositatem evolvere,
cui brevitas collecta quod quaeritur offert sine labore. "In
hoc autem tractatu non solum pium lectorem, sed etiam liberum correctorem
desidero, maxime ubi profunda versatur veritatis quaestio, quae utinam tot
haberet inventores, quot habet contradictores (Augustin, La
Trinité, 3, 2)" Ut autem quod quaeritur facilius
occurrat, titulos, quibus singulorum librorum capitula distinguuntur,
praemisimus. |
Tu trouveras dans ce livre
les exemples et la doctrine des Anciens, dans lequel, par une enseignement
sincère de la foi dans le Seigneur, nous avons mis à jour la tromperie d’une
doctrine empoisonnée et donné accès à la vérité à démontrer que nous embrassons
sans la mélanger au danger de la doctrine impie, usant d’une conduite réglée
à leur égard. Mais si notre voix a quelque peu retenti, elle ne s’est pas
écartée du chemin tracé par les Pères. ¨Ce travail ne doit donc pas
paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand docteur car il est
nécessaire à de nombreuses personnes actives et à de nombreux ignorants dont
je fais partie¨ (Augustin, La Trinité, 3, 12), car nous avons
embrassé dans un petit volume les sentences des Pères accompagnées de leurs
témoignages, afin qu’il ne soit pas nécessaire à celui qui cherche d’ouvrir
un grand nombre de livres, alors qu’une brève collection lui offre ce qu’il
cherche sans effort. ¨Mais pour l’examen de ce traité je désire non
seulement un lecteur bienveillant mais encore un critique libre, surtout là
où la question de la vérité se présente avec profondeur ; plût à Dieu
que la vérité en vienne aussi bien à être découverte qu’à être contredite¨.
(Augustin, La Trinité, 3, 2). Mais afin que ce qu’on recherche se
présente plus facilement, nous avons fait précéder des titres par lesquels
les chapitres de chacun des livres se trouvent à être distingués. |
Explicit Prologus |
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COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La théologie) |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La doctrine sacrée] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad evidentiam hujus sacrae doctrinae, quae in hoc libro
traditur, quaeruntur quinque : 1° de necessitate ipsius ; 2° supposito quod
sit necessaria, an sit una, vel plures ; 3° si sit una, an practica, vel
speculativa : et si speculativa, utrum sapientia, vel scientia, vel
intellectus ? 4° de subjecto ipsius ; 5° de modo. |
Pour mettre en évidence cette doctrine sacrée qui est rapportée dans ce livre, on s’interroge sur cinq points : 1° Sur sa nécessité : 2° En supposant qu’elle soit nécessaire, s’agit-il d’une seule et même doctrine ou de plusieurs ? 3° S’il s’agit d’une seule et même doctrine, est-elle pratique ou spéculative, et si elle est spéculative, est-ce une sagesse, une science ou une intelligence ? 4° Quel est son sujet ? 5° Quel est son mode ? [Article 1 – En dehors des disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l'homme ? Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine en plus des sciences physiques ? Article 3 – [La nature de cette science] Sous question 1 : La théologie est-elle pratique ou discursive ? Sous question 2 : Est-elle une science ? Sous question 3 : Est-elle une sagesse ? Article 4 – Dieu est-il l'object de cette science ? Article 5 – Ce mode de
procéder est-il scientifique ?] |
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q. 1 a. 1 tit. Articulus 1
: Utrum praeter physicas disciplinas alia doctrina sit homini necessaria. |
Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l’homme ? |
q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod
praeter physicas disciplinas nulla sit homini doctrina necessaria. Sicut enim
dicit Dionysius in epistola ad Polycarpum, philosophia est
cognitio existentium ; et constat, inducendo in singulis, quod de quolibet
genere existentium in philosophia determinatur ; quia de creatore et
creaturis, tam de his quae sunt ab opere naturae, quam de his quae sunt ab
opere nostro. Sed nulla doctrina potest esse nisi de existentibus, quia non
entis non est scientia. Ergo praeter physicas disciplinas nulla doctrina
debet esse. |
Difficultés : 1. Par rapport à cette première question on procède de la
manière suivante. Il semble qu’en dehors des disciplines physiques, aucune
discipline ne soit nécessaire à l’homme. Ainsi que le dit en effet Denys dans
sa Lettre à Polycarpe, la philosophie est la connaissance de ce
qui existe ; et on constate, en examinant les cas particuliers, qu’on
traite en philosophie de tous les genres d’êtres, car on y traite du créateur
comme des créatures, aussi bien de celles qui sont l’œuvre de la nature que
de celles qui sont produites par nous. Mais toute doctrine porte sur ce qui
existe car il n’existe pas de science du non-être. Il ne doit donc exister
aucune doctrine en dehors des disciplines physiques. |
q. 1 a. 1 arg. 2
Item, omnis doctrina est ad perfectionem : vel quantum ad intellectum, sicut
speculativae, vel quantum ad effectum [affectum Éd. De Parme] procedentem in
opus, sicut practicae. Sed utrumque completur per philosophiam ; quia per
demonstrativas scientias perficitur intellectus, per morales affectus. Ergo non est necessaria alia doctrina. |
2. En outre, tout doctrine se rapporte à une perfection,
soit quant à l’intelligence comme dans les disciplines spéculatives, soit
quant à l’appétit qui procède dans une œuvre comme c’est le cas dans celles
qui sont pratiques. Mais la philosophie embrasse les deux sortes de
disciplines, car c’est par les sciences démonstratives que l’intelligence
atteint sa perfection et c’est par les sciences morales que l’appétit
parvient à la sienne. Il n’est donc pas nécessaire de faire appel à une
doctrine autre que la philosophie. |
q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quaecumque naturali
intellectu possunt cognosci ex principiis rationis, vel sunt in philosophia
tradita, vel per principia philosophiae inveniri possunt. Sed ad perfectionem
hominis sufficit illa cognitio quae ex naturali intellectu potest haberi.
Ergo praeter philosophiam non est necessaria alia doctrina. Probatio mediae.
Illud quod per se suam perfectionem consequi potest, nobilius est eo quod per
se consequitur [consequi non potest Éd. De Parme]. Sed alia
animalia et creaturae insensibiles ex puris naturalibus consequuntur finem
suum ; quamvis non sine Deo, qui omnia in omnibus operatur. Ergo et homo, cum
sit nobilior eis, per naturalem intellectum cognitionem sufficientem suae
perfectioni habere potest. |
3. De plus, tout ce qui peut être naturellement connu par
notre intelligence à partir des principes de la raison, ou bien est enseigné
en philosophie, ou bien peut être découvert au moyen des principes de la
philosophie. Mais cette connaissance qui peut être acquise naturellement à
partir de l’intelligence est suffisante à l’homme pour parvenir à sa
perfection. Une autre doctrine en dehors de la philosophie n’est donc pas
necessaire à l’homme. Preuve de la mineure. Ce qui est capable de parvenir à
sa perfection par soi-même est plus noble que ce qui en est incapable. Mais
les autres animaux et les créatures qui ne sont pas dotées de sensibilité
parviennent à leur fin à partir d’appétits purement naturels, bien que ce ne
soit pas sans Dieu qui opère tout en toutes choses. Donc l’homme, qui est plus
noble que ces créatures, peut à plus forte raison acquérir la connaissance
suffisante à sa perfection au moyen de son intelligence naturelle. |
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Hebr. 11, 6
: Sine fide impossibile est placere Deo. Placere autem Deo
est summe necessarium. Cum igitur ad ea quae sunt fidei, philosophia non
possit [ascendere Éd. De
Parme], oportet esse aliquam doctrinam
quae ex fidei principiis procedat. |
Cependant : 1. Au contraire, Paul dit dans sa Lettre aux Hébreux (11, 6) : Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Mais ce qui nous est le plus nécessaire, c’est justement de plaire à Dieu. Donc, puisque la philosophie ne peut s’élever jusqu’aux choses qui relèvent de la foi, il faut qu’il existe une doctrine qui procède des principes mêmes de la foi. |
q. 1 a. 1 s. c. 2 Item,
effectus non proportionatus causae, imperfecte ducit in cognitionem suae
causae. Talis autem effectus est omnis creatura respectu creatoris, a quo in
infinitum distat. Ergo imperfecte ducit in ipsius cognitionem. Cum igitur
philosophia non procedat nisi per rationes sumptas ex creaturis, insufficiens
est ad Dei cognitionem faciendam. Ergo oportet
aliquam aliam doctrinam esse altiorem, quae per revelationem procedat, et
philosophiae defectum suppleat. |
2. En outre, si l’effet n’est
pas proportionné à sa cause, il ne mène qu’imparfaitement à sa cause. Mais
toute créature est un effet de cette sorte par rapport à son créateur qui la
dépasse infiniment. Donc, toute créature ne conduit qu’imparfaitement à la
connaissance de son créateur. Donc, puisque la philosophie ne procède qu’au
moyen de raisons qui sont tirées des créatures, elle ne peut suffire à
produire en nous une connaissance parfaite de Dieu. Il faut donc qu’il existe
une autre doctrine, plus élevée, qui procède au moyen de la révélation et qui
complète ce qui manque à la philosophie. |
q. 1 a. 1 co. Ad hujus evidentiam sciendum est, quod
omnes qui recte senserunt posuerunt finem humanae vitae Dei contemplationem.
Contemplatio autem Dei est duplex [dupliciter Éd. De Parme]. Una
per creaturas, quae imperfecta est, ratione jam dicta, in qua contemplatione
philosophus, felicitatem contemplativam posuit, quae tamen est felicitas viae
; et ad hanc ordinatur tota cognitio philosophica, quae ex rationibus
creaturarum procedit. Est alia Dei contemplatio, qua videtur immediate per
suam essentiam ; et haec perfecta est, quae erit in patria et est homini
possibilis secundum fidei suppositionem. Unde oportet ut ea quae sunt ad
finem proportionentur fini, quatenus homo manuducatur ad illam
contemplationem in statu viae per cognitionem non a creaturis sumptam, sed
immediate ex divino lumine inspiratam ; et haec est doctrina
theologiae. Ex hoc possumus habere
duas conclusiones. |
Corps de l’article : Pour avoir l’évidence de ceci il faut savoir que tous ceux qui ont pensé avec justesse ont posé que la fin de la vie humaine est la contemplation de Dieu. Mais on accède à la contemplation de Dieu de deux manières. La première se réalise au moyen des créatures, laquelle est imparfaite pour la raison que nous avons déjà dite, et c’est dans cette contemplation que le Philosophe a posé la félicité contemplative qui est cependant une félicité de passage ; et c’est à cette félicité qu’est ordonnée toute la connaissance philosophique qui procède de raisons tirées des créatures. Mais il existe une autre contemplation de Dieu par laquelle il est vu de façon immédiate au moyen de son essence ; et cette connaissance se réalisera parfaitement dans le royaume du Père et elle est accessible à l’homme en s’appuyant sur la foi. Et de là il faut que, comme les choses qui sont en vue de la fin soient proportionnées à la fin, l’homme soit conduit à cette contemplation jusque dans la condition de la vie présente par une connaissance qui ne se tire pas des créatures mais qui est inspirée de façon immédiate de la lumière divine ; et cette manière de procéder est celle de la doctrine théologique. Et de là nous pouvons tirer deux conclusions. |
Una est, quod ista scientia imperat omnibus aliis
scientiis tamquam principalis : alia est, quod ipsa utitur in obsequium sui
omnibus aliis scientiis quasi vassallis, sicut patet in omnibus artibus
ordinatis, quarum finis unius est sub fine alterius, sicut finis pigmentariae
artis, qui est confectio medicinarum, ordinatur ad finem medicinae, qui est
sanitas : unde medicus imperat pigmentario et utitur pigmentis ab ipso
factis, ad suum finem. Ita, cum finis totius philosophiae sit infra finem
theologiae, et ordinatus ad ipsum, theologia debet omnibus aliis scientiis
imperare et uti his quae in eis traduntur. |
La première est que cette
science est première par rapport à toutes les autres et qu’elle leur
commande : la deuxième est qu’elle-même se sert de toutes les autres
sciences comme de servantes soumises à sa volonté comme on le voit pour tous
les arts qui sont ordonnés les uns aux autres et dont la fin de l’un est
subordonnée à la fin de l’autre, tout comme la fin de l’art de la pharmacie,
qui est la production des médicaments, est ordonnée à la fin de la médecine
qui est la santé : c’est pourquoi le médecin commande au pharmacien et
se sert des médicaments produits par lui pour parvenir à sa fin. De même ,
puisque la fin de la philosophie est inférieure à la fin de la théologie et
qu’elle lui est ordonnée, la théologie doit commander à toutes les autres
sciences et se servir de ce qui y est enseigné. |
q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod, quamvis philosophia determinet de existentibus [et Éd.
De Parme] secundum rationes a creaturis sumptas, oportet tamen esse aliam
quae existentia consideret secundum rationes ex inspiratione divini luminis
acceptas. |
Solutions. 1. Par rapport à la première difficulté, il faut dire que bien que la philosophie traite des êtres d’après des raisons tirées des créatures, il faut cependant qu’il y ait une autre discipline qui considère les êtres d’après des raisons reçues de l’inspiration de la lumière divine. |
q. 1 a. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum :
quia philosophia sufficit ad perfectionem intellectus secundum cognitionem
naturalem, et affectus secundum virtutem acquisitam : et ideo oportet esse
aliam scientiam per quam intellectus perficiatur quantum ad cognitionem
infusam, et affectus quantum ad dilectionem gratuitam. |
2. Et par là on voit
clairement la solution à la deuxième difficulté : car la philosophie
suffit à la perfection de l’intelligence quant à la connaissance naturelle,
et à celle de l’appétit quant à l’acquisition de la vertu : et c’est
pour cette raison qu’il faut qu’il y ait une autre science par laquelle l’intelligence
parvienne à sa perfection quant à une connaissance infuse et l’appétit quant
à un amour de charité. |
q.
1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in his quae acquirunt aequalem
bonitatem pro fine, tenet propositio inducta, scilicet, nobilius est eo quod
per se consequi non potest. Sed illud quod acquirit bonitatem perfectam
pluribus auxiliis et motibus, est nobilius eo quod imperfectam bonitatem
acquirit paucioribus, vel per seipsum, sicut dicit philosophus ; [in V
Caeli et Mundo,texte 53, sive cap. XII Éd. Mandonnet] et hoc
modo se habet homo respectu aliarum creaturarum, qui factus est ad ipsius
divinae gloriae participationem. |
3. Par rapport à la troisième difficulté, il faut dire
que pour les choses qui parviennent à un bien égal en tant que fin, la
proposition présentée est valide, à savoir que ce qui peut par soi parvenir à
sa fin est plus noble que ce qui en est incapable. Mais ce qui parvient à un
bien parfait par une multiplicité d’instruments et de mouvements est plus
noble que ce qui acquiert un bien imparfait par peu de moyens ou par
lui-même, ainsi que le dit le Philosophe (Du Ciel et du Monde, livre
V, texte 53 ou chapitre XII, Éd. Mandonnet) ; et c’est de
cette manière que se présente l’homme par rapport aux autres créatures,
lequel a été fait pour participer à la gloire divine elle-même. |
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Articulus 2. q. 1 a. 2 tit
: Utrum tantum una doctrina debeat esse praeter physicas. |
Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre les sciences physiques ? |
q. 1 a. 2 arg. 1 Circa
secundum sic proceditur. Videtur quod non una tantum doctrina debeat esse
praeter physicas doctrinas, sed plures. De omnibus enim de quibus instruitur
homo per rationes creaturarum, potest instrui per rationes divinas. Sed
scientiae procedentes per rationes creaturarum sunt plures, differentes
genere et specie, sicut moralis, naturalis et cetera. Ergo scientiae
procedentes per rationes divinas, debent plures esse. |
Par rapport à ce deuxième
article on procede de la manière suivante. Difficultés. 1. Il semble qu’il ne doive
pas y avoir qu’une seule doctrine en dehors des sciences physiques mais
qu’on doive en poser plusieurs. L’homme en effet peut être
instruit par des raisons divines de toutes les choses dont il est instruit
par des raisons tirées des créatures. Mais les sciences qui procèdent de
raisons tirées des créatures sont multiples et diffèrent par le genre et
l’espèce comme c’est le cas pour la science morale, la science de la nature
et les autres. Donc les sciences qui procèdent de raisons divines doivent
aussi être multiples. |
q. 1 a. 2 arg. 2 Item, una
scientia est unius generis [subjecti add. Éd. de Parme], sicut
dicit philosophus ( I Posteriorum, texte 34 Éd. Mandonnet).
Sed Deus et creatura, de quibus in divina doctrina tractatur, non reducuntur
in unum genus, neque univoce neque analogice. Ergo divina scientia non est
una. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in uno genere univoce vel
analogice, participant aliquid idem, vel secundum prius et posterius, sicut
substantia et accidens rationem entis, vel aequaliter, sicut equus et bos
rationem animalis. Sed Deus et creatura non participant aliquid idem, quia
illud esset simplicius et prius utroque. Ergo nullo modo reducuntur in idem
genus. |
2. En outre, une même science ne se rapporte qu’à un seul genre-sujet, ainsi que le dit le Philosophe (1 Seconds Analytiques, texte 34, Éd. Mandonnet). Mais Dieu et les créatures, dont traite la doctrine sacrée, ne se ramènent pas à un seul et même genre, ni de façon univoque, ni de façon analogue. Donc la science divine n’est pas une science unique. Preuve de la mineure. Tout ce qui est contenu dans un même genre de façon univoque ou analogue participe de quelque chose qui est un, soit selon l’avant et l’après, comme la substance et l’accident par rapport à la notion d’être, soit selon l’égalité, comme le cheval et le bœuf participent de la définition de l’animal selon la même mesure. Mais Dieu et la créature ne participent pas d’une même chose car cette dernière serait plus simple et antérieure à l’un et à l’autre. Donc, Dieu et la créature ne se ramènent pas à un même genre. |
q. 1 a. 2 arg. 3
Item, ea quae sunt ab opere nostro, sicut opera virtutum et quae sunt ab
opere naturae, non reducuntur ad eamdem scientiam ; sed unum pertinet ad
moralem, alterum ad naturalem. Sed divina scientia determinat de his quae
sunt ab opere nostro, tractando de virtutibus et praeceptis : tractat etiam
de his quae non sunt ab opere nostro, sicut de Angelis et aliis
creaturis. Ergo videtur quod non sit
una scientia. |
3. De plus, les opérations qui sont le résultat de notre volonté, comme les actes de vertu, et celles qui sont produites par la nature ne se ramènent pas à une seule et même science ; au contraire, les premières se rapportent à la science morale et les secondes à la science de la nature. Mais la science divine traite à la fois des opérations qui relèvent de notre volonté lorsqu’il est question des vertus et des commandements, et de celles qui n’en relèvent pas lorsqu’il est question des anges et des autres créatures. Il semble donc que la science divine ne soit pas une science unique. |
q.
1 a. 2 s. c. 1 Contra, quaecumque conveniunt in ratione una possunt ad unam
scientiam pertinere : unde etiam omnia, inquantum conveniunt in ratione
entis, pertinent ad metaphysicam. Sed divina scientia determinat de rebus per
rationem divinam quae omnia complectitur : omnia enim et ab ipso et ad ipsum
sunt. Ergo
ipsa una existens potest de diversis esse. |
Cependant : 1. Tout ce qui se ramène à une notion unique peut relever d’une seule et même science : c’est pourquoi tous les êtres, dans la mesure où ils ont en commun la notion d’être, relèvent de la métaphysique. Mais la science divine traite des choses au moyen de la notion de Dieu qui embrasse tous les êtres : en effet, tous les êtres viennent de Lui et sont ordonnés à Lui. Donc cette seule et même science, sous ce même rapport, peut porter sur des êtres différents. |
q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, quae sunt diversarum scientiarum, distinctim et in diversis libris
determinantur. Sed in sacra Scriptura permixtim in eodem libro quandoque
determinatur de moribus, quandoque de creatore, quandoque de creaturis, sicut
patet fere in omnibus libris. Ergo ex hoc non diversificatur scientia. |
2. Par ailleurs, les choses
qui appartienntent à des sciences différentes sont traitées séparément dans
des livres différents. Mais dans les Saintes Écritures on traite pêle mêle
dans le même livre tantôt des mœurs humaines, tantôt du Créateur, tantôt des
créatures, ainsi qu’on le voit dans presque tous les livres. Il ne s’ensuit donc
pas de là une différence de science. |
q. 1 a. 2 co. Respondeo. Ad
hoc notandum est, quod aliqua cognitio quanto altior est, tanto est magis
unica et ad plura se extendit : unde intellectus Dei, qui est altissimus, per
lumen quod est ipse Deus, omnium rerum cognitionem habet distincte. Ita et
cum ista scientia sit altissima et per ipsum lumen inspirationis divinae
efficaciam habens, ipsa unica manens, non multiplicata, diversarum rerum
considerationem habet, non tantum in communi, sicut metaphysica, quae
considerat omnia inquantum sunt entia, non descendens ad propriam cognitionem
moralium, vel naturalium. Ratio enim entis, cum sit diversificata in
diversis, non est sufficiens ad specialem rerum cognitionem ; ad quarum
manifestationem divinum lumen in se unum manens, secundum beatum Dionysium in
principio caelestis hierarchiae, efficaciam habet. |
Corps de l’article. Je réponds à cela qu’il faut remarquer que plus une
connaissance est élevée, plus elle possède d’unité et s’étend à un plus grand
nombre de choses : c’est pourquoi l’intelligence de Dieu, laquelle est
l’intelligence la plus élevée, par cette Lumière qui est la sienne et qui est
son être même, possède une connaissance distincte de toutes les choses.
Ainsi, puisque cette science est la plus élevée et qu’elle possède sa
puisssance grâce à la lumière même de l’inspiration divine, tout en demeurant
une sans se multiplier, elle porte sa considération sur des choses
différentes, et non seulement sous l’angle de l’universel comme le fait la
métaphysique qui considère tous les êtres en tant qu’êtres sans descendre à
une connaissance spécifique des choses morales ou naturelles. En effet, la
notion d’être, bien qu’elle se différencie dans des êtres différents, ne
suffit pas à parvenir à une connaissance spécifique des choses ; au
contraire, la lumière divine, laquelle demeure une en elle-même, a le pouvoir
de manifester cela ainsi que le dit le bienheureux Denys au début de son
traité intitulé De la Hiérarchie céleste. |
q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod divinum lumen, ex cujus certitudine procedit haec
scientia, est efficax ad manifestationem plurium quae in diversis scientiis
in philosophia traduntur, ex eorum rationibus in eorum cognitionem
procedentibus ; et ideo non oportet scientiam istam multiplicari. |
Solutions. 1. Il faut donc dire, à l’égard de la première difficulté, que la lumière divine qui possède la certitude d’où procède cette science, a la puissance de manifester la multiplicité des choses qui sont enseignées dans les différentes sciences philosophiques qui procèdent des raisons qui leur sont propres pour parvenir à les connaître ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que cette doctrine se multiplie en différentes sciences. |
q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod creator et creatura reducuntur in unum, non
communitate univocationis sed analogiae. Talis
autem communitas potest esse dupliciter. Aut ex eo quod aliqua participant
aliquid unum secundum prius et posterius, sicut potentia et actus rationem
entis, et similiter substantia et accidens ; aut ex eo quod unum esse et
rationem ab altero recipit, et talis est analogia creaturae ad creatorem :
creatura enim non habet esse nisi secundum quod a primo ente descendit : unde
nec nominatur ens nisi inquantum ens primum imitatur ; et similiter est de
sapientia et de omnibus aliis quae de creatura dicuntur. |
2. Par rapport à la deuxième
difficulté il faut dire que le Créateur et la créature se ramènent à quelque
chose d’un non pas par une ressemblance univoque mais par une ressemblance analogue.
Mais une telle ressemblance peut se présenter de deux manières. Soit du fait
que certais objets participent de quelque chose d’un selon l’avant et
l’après, comme la puissance et l’acte par rapport à la notion d’être et il en
est de même aussi pour la substance et l’accident ; soit que l’un des
objets reçoive de l’autre l’être et la définition, et tel est le type
d’analogie qui existe entre la créature et le Créateur : la créature en
effet ne possède l’être que selon qu’elle procède du premier être : d’où
la créature n’est appelée être que pour autant qu’elle imite l’Être
premier ; et il en est de même pour la sagesse et pour tous les autres
attributs qui se disent de la créature. |
q.
1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae sunt ab opere nostro et ea quae
sunt ab opere naturae, considerata secundum proprias rationes, non cadunt in
eamdem doctrinam. Una tamen scientia utrumque potest considerare, quae per
lumen divinum certitudinem habet, quod est efficax ad cognitionem utriusque.
Potest tamen aliter dici, quod virtus quam theologus considerat, non est ab
opere nostro : immo eam Deus in nobis sine nobis operatur, secundum
Augustinum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les opérations qui
procèdent de notre volonté et celles qui procèdent de la nature, si on les
considère d’après les raisons qui leur sont propres, ne relèvent pas d’une
même science. Mais les deux peuvent faire l’objet de cette même science qui,
parce qu’elle tient sa certitude de la lumière divine, a la puissance de
connaître les deux. On pourrait néanmoins encore dire que la puissance que le
théologien considère n’est pas celle qui est le résultat de nos propres
efforts : c’est plutôt celle que Dieu opère en nous sans nous, d’après
les paroles d’Augustin. |
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Articulus 3 |
Article 3: [La nature de cette science] |
Quaestiuncula
1 : Utrum sit practica vel spéculative |
Sous-question 1
– [La théologie est-elle pratique ou spéculative ?]
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q.
1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Circa tertium sic proceditur. Videtur quod ista
doctrina sit practica. Finis enim practicae est opus, secundum philosophum.
Sed ista doctrina, quae fidei est, principaliter est ad bene operandum ;
unde Jacob. 2, 26 : Fides sine operibus mortua est ;
et Psalm. 110, 10 : Intellectus bonus omnibus
facientibus eum. Ergo videtur quod sit practica. |
Difficultés. 1. Il semble que cette
doctrine soit pratique. La fin d’une discipline pratique est en effet l’œuvre
à réaliser d’après le Philosophe. Mais cette doctrine, qui se fonde sur la
foi, a pour fin principale de bien agir ; c’est pourquoi on lit dans la Lettre de Jacques (2. 26) : La
foi sans les actes est une foi morte ; et dans le Psaume (110, 10) : L’
Intelligence est bonne pour tous ceux qui font le bien. Il semble donc
que cette doctrine soit pratique. |
q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Contra, dicit philosophus, quod
nobilissima scientiarum est sui gratia. Practicae autem non sunt sui gratia,
immo propter opus. Ergo, cum ista nobilissima sit scientiarum, non erit
practica. |
Cependant. 1. Mais contrairement à cela le Philosophe dit que la science la plus noble est celle qui est recherchée pour elle-même. Mais les sciences pratiques ne sont pas recherchées pour elles-mêmes, mais en vue d’une œuvre à réaliser. Donc, puisque cette science est la plus noble des sciences, elle n’est pas pratique. |
q. 1 a. 3 qc. 1 s.
c. 2 Praeterea, practica scientia determinat tantum ea quae sunt ab opere
nostro. Haec autem doctrina considerat Angelos et alias creaturas, quae non
sunt ab opere nostro. Ergo non est practica, sed speculativa. |
2. Par ailleurs, une science
pratique ne traite que de ce qui procède de nos opérations. Mais cette
doctrine considère les anges et les autres créatures, lesquels sont étrangers
à nos opérations. Cette doctrine n’est donc pas pratique mais spéculative. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
– [Est-elle une science ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1
Ulterius quaeritur, utrum sit scientia ; et videtur quod non. Nulla enim
scientia est de particularibus, secundum philosophum (I Post., texte
7 [Éd. Mandonnet]. Sed in sacra Scriptura gesta traduntur particularium
hominum, sicut Abraham, Isaac et cetera. Ergo non est scientia. |
Difficultés. 1. On cherche à savoir par la
suite si cette doctrine est une science ; et il semble que ce ne soit
pas le cas. Aucune science en effet ne porte sur des cas particuliers d’après
le Philosophe (Seconds Analytiques, 1, texte 7, Éd. Mandonnet).
Mais dans les Saintes Écritures on rapporte les faits et gestes d’individus
comme Abraham, Isaac et les autres. La doctrine sacrée n’est donc pas une
science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2
Praeterea, omnis scientia procedit ex principiis per se notis, quae cuilibet
sunt manifesta. Haec autem scientia procedit ex credibilibus, quae non ab
omnibus conceduntur. Ergo non est scientia. |
2. En outre, toute science procède de principes connus pas
eux-mêmes et qui sont évidents pour tous. Mais cette doctrine procède de ce
qu’il faut croire et qui n’est pas admis par tous les hommes. Cette doctrine
n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in omni scientia
acquiritur aliquis habitus per rationes inductas. Sed in hac doctrina non
acquiritur aliquis habitus : quia fides, cui tota doctrina haec innititur,
non est habitus acquisitus, sed infusus. Ergo non est scientia. |
3. De plus, dans toute science un habitus est acquis au moyen des raisons qu’on amène. Mais dans cette doctrine aucun habitus n’est acquis : car la foi, sur laquelle repose toute cette doctrine, n’est pas un habitus acquis mais répandu en nous par Dieu. Elle n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1
Contra, Augustinus [secundum Augustinum Éd. De Parme], theologia
est scientia de rebus quae ad salutem hominis pertinent. Ergo est scientia. |
Cependant. 1. D’après Augustin, la
théologie est la science qui traite des choses qui se rapportent au salut de
l’homme. Elle est donc une science. |
Quaestiuncula 3 |
Sous question 3
: [Est-elle une sagesse ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1
Ulterius quaeritur, utrum sit sapientia ; et videtur quod non. Quia, sicut
dicit philosophus, sapiens debet esse certissimus causarum. Sed in ista
doctrina non est aliquis certissimus ; quia fides, cui haec doctrina
innititur, est infra scientiam et supra opinionem. Ergo non est sapientia. |
Difficulté. On se demande par la suite si cette doctrine est une
sagesse et il semble que ce ne soit pas le cas. Car, ainsi que le dit le
Philosophe, le sage doit avoir la connaissance la plus certaine des causes.
Mais dans cette doctrine, ce degré de certitude n’est pas présent parce que
la foi sur laquelle se fonde cette doctrine est intermédiaire entre la science
et l’opinion. Cette docrine n’est donc pas une sagesse. |
q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 2, 6 : Sapientiam
loquimur inter perfectos. Cum ergo hanc doctrinam ipse docuerit et de
ipsa loquatur, videtur quod ipsa sit sapientia. |
Cependant. À l’opposé, Saint Paul dans
la Première Épître aux Corinthiens
(2, 6) dit ceci : Nous parlons une
Sagesse entre parfaits. Donc, puisque c’est cette doctrine que lui-même a
enseignée et dont il a parlé, il semble que cette doctrine soit une sagesse. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1 (La théologie est-elle pratique ou spéculative ?)
|
Super
Sent., q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista scientia, quamvis sit
una, tamen perfecta est et sufficiens ad omnem humanam perfectionem, propter
efficaciam divini luminis, ut ex praedictis patet. Unde perficit hominem et
in operatione recta et quantum ad contemplationem veritatis : unde quantum ad
quid practica est et etiam speculativa. Sed, quia scientia omnis
principaliter pensanda est ex fine, finis autem ultimus istius doctrinae est
contemplatio primae veritatis in patria, ideo principaliter speculativa est. |
Corps de l’article. Je réponds qu’il faut dire que cette science, bien
qu’elle soit une, est cependant parfaite et satisfait à l’ensemble de la
perfection humaine à cause de la puissance de la lumière divine, ainsi que
nous l’avons vu précédemment. De là, elle assure la perfection de l’homme à
la fois quant à l’opération droite et quant à la contemplation de la
vérité : et c’est pourquoi elle est sous un rapport, pratique, et sous
un autre, spéculative. Mais parce que toute science doit d’abord s’apprécier
quant à sa fin, et que la fin ultime de cette doctrine est la contemplation
de la Vérité première dans la patrie céleste, c’est pour cette raison qu’elle
est principalement spéculative. |
Et, cum habitus speculativi
sint tres, secundum philosophum, scilicet sapientia, scientia et intellectus
; dicimus quod est sapientia, eo quod altissimas causas considerat et est
sicut caput et principalis et ordinatrix omnium scientiarum : et est etiam
magis dicenda sapientia quam metaphysica, quia causas altissimas considerat
per modum ipsarum causarum, quia per inspirationem a Deo immediate acceptam ;
metaphysica autem considerat causas altissimas per rationes ex creaturis
assumptas. Unde ista doctrina magis etiam divina dicenda est quam metaphysica
: quia est divina quantum ad subjectum et quantum ad modum accipiendi ;
metaphysica autem quantum ad subjectum tantum. Sed sapientia, ut dicit
philosophus (In Ethic., cap. VIII vel 7), considerat
conclusiones et principia ; et ideo sapientia est scientia et intellectus ;
cum scientia sit de conclusionibus et intellectus de principiis. |
Et parce que les habitus spéculatifs sont au nombre de
trois d’après le Philosophe, à savoir la sagesse, la science et
l’intelligence, nous disons qu’elle est une sagesse du fait qu’elle considère
les causes les plus élevées et qu’elle est comme la têre et le principe
d’ordre par rapport aux autres sciences auxquelles elle commande : et on
doit même dire qu’elle est davantage une sagesse que la métaphysique, car
elle considère les causes les plus élevées à la manière de ces causes
elles-mêmes car elle se fonde sur une inspiration reçue directement de Dieu
alors que la métaphysique considère les causes les plus élevées par des
raisons tirées des créatures. C’est pourquoi cette doctrine doit davantage
être appelée divine que la métaphysique : car elle est divine à la fois
quant au sujet et on mode de procéder alors que la métaphysique est divine quant
au sujet seulement. Mais la sagesse, ainsi que le dit le Philosophe dans l’Éthique (chapitre VIII),
considère à la fois les conclusions et les principes et c’est pour
cette raison qu’elle est à la fois science et intelligence puisque la science
porte sur les conclusions et l’intelligence sur les principes. |
q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod opus non est ultimum intentum in hac scientia,
immo potius contemplatio primae veritatis in patria, ad quam depurati ex
bonis operibus pervenimus, sicut dicitur Matth. 5, 8 : Beati
mundo corde ; et ideo principalius est speculativa quam practica. |
Solutions ou réponses aux difficultés. 1. Il faut donc dire par rapport à la première difficulté que l’œuvre à réaliser n’est pas la fin ultime de cette science, mais plutôt la contemplation de la Vérité première dans la patrie céleste qui est cette fin à laquelle nous parviendrons lorsque nous serons purifiés par les bonnes œuvres ainsi qu’il est dit dans Matthieu (5, 8) : Heureux ceux qui ont le cœur pur ; et c’est pourquoi cette doctrine est davantage spéculative que pratique. |
q. 1 a. 3
qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus. |
2. Nous concédons les deux
autres. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2 [La théologie est-elle une science ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur,
dicendum, quod ista doctrina scientia est, [ut dictum est Éd de Parme]. |
Corps de l’article. Quant à ce qu’on recherche
par la suite il faut dire que cette doctrine est une science ainsi que nous
l’avons dit. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Et quod objicitur, quod est de
particularibus, dicendum, quod non est de particularibus inquantum
particularia sunt, sed inquantum sunt exempla operandorum : et hoc usitatur
etiam in scientia morali ; quia operationes particularium circa particularia
sunt ; unde per exempla particularia, ea quae ad mores pertinent, melius
manifestantur, vel dicendum quod in scientia duo. Ex primo habet quod est ex
necessariis : ex contingentibus enim non potest causari certitudo ; ex
secundo quod est ex aliquibus principiis ; sed hoc est diversimode in
diversis, quia superiores scientiae sunt ex principiis per se nota, sicut
geometria, et huiusmodi habentia principia per se nota, ut : si ab aliquibus
aequalia deruas, etc. Inferiores autem scientiae, quae superioribus
subalternantur, non sunt ex principiis per se notis, sed supponunt
conclusiones probatas in superioribus scientiis, et eis utuntur pro
principiis quae in veritate non sunt principia per se nota, sed in
superioribus scientiis per principia per se nota probantur, sicut perspectiva
quae est de linea visuali, et subalternatur geometriae a qua etiam supponit
quae probantur de linea, inquantum linea, et per illa tanquam per principia
probat conclusiones quae sunt de linea, inquantum visualis. |
Réponses aux difficultés. 1. Quant à l’objection qui dit que cette doctrine
considère les cas particuliers, il faut dire qu’elle n’examine pas les
particuliers en tant que tels, mais en tant qu’exemples de ce qu’il faut
faire ; et on use du même procédé en science morale ; car les
opérations des individus portent sur des cas particuliers ; c’est
pourquoi, au moyen d’exemples particuliers, les choses qui se rapportent aux
mœurs sont mieux manifestées ; ou bien il faut dire qu’il y a deux
choses à considérer dans la science. Premièrement, elle procède de ce qui est
nécessaire : la certitude ne peut en effet être causée par ce qui est
contingent : deuxièmement, elle procède de certains principes ;
mais cela se présente différemment dans différentes sciences, car les
sciences supérieures procèdent de principes connus par eux-mêmes, comme la
géométrie, laquelle possède des principes connus par eux-mêmes comme :
si tu retires de certaines quantités des quantités égales etc. Mais les
sciences inférieures qui sont subordonnées aux sciences supérieures ne
procèdent pas de principes connus par eux-mêmes, mais elles supposent des
conclusions prouvées dans des sciences supérieures et s’en servent comme
principes qui en vérité ne sont pas des principes connus par eux-mêmes, mais
elles sont prouvées dans des sciences supérieures au moyen de principes
connus par eux-mêmes : par exemple, la science de la perspective a pour
sujet la ligne visuelle et elle est subordonnée à la géométrie de laquelle
elle suppose aussi les conclusions qui sont prouvées au sujet de la ligne en
tant que ligne, et partant de ces conclusions comme de principes elle prouve
les conclusions qui se rapportent à la ligne en tant que visuelle. |
Potest autem scientia
aliqua esse superior alia dupliciter : vel ratione subjecti, ut geometria
quae est de magnitudine, superior est ad perspectivam quae est de magnitudine
visuali ; vel ratione modi cognoscendi, et sic theologia est inferior
scientia quae in Deo est. Nos enim imperfecte cognoscimus id quod ipse
perfectissime cognoscit, et sicut scientia subalternata a superiori supponit
aliqua, et per illa tanquam per principia procedit ; sic theologia articulos
fidei quae infallibiliter sunt probati in scientia Dei supponit, et eis
credit, et per istud procedit ad probandum ulterius illa quae ex articulis
sequuntur. Est ergo theologie scientia quasi subalternata divinae scientiae
qua accipit principia sua. |
Mais une science peut être supérieure à une autre de deux manières : soit en raison du sujet comme la géométrie, dont le sujet est l’étendue, est supérieure à la perspective qui a pour sujet l’étendue visuelle ; soit en raison du mode de connaître, et ainsi la théologie est inférieure à la science qui est en Dieu. En effet, nous ne connaissons qu’imparfaitement ce que Lui-même connaît parfaitement, et comme une science subordonnée, la théologie suppose certaines vérités qu’elle emprunte à une science supérieure et elle procède à partir d’elles comme à partir de principes ; ainsi, la théologie suppose les articles de foi qui sont prouvés de manière infaillible dans la science de Dieu et elle y adhère et grâce à eux elle procède à la preuve de ce qui découle par la suite de ces principes. La science théologique est donc comme subordonnée à la science de Dieu de laquelle elle reçoit ses principes. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad aliud dicendum, quod ista
doctrina habet pro principiis primis articulos fidei, qui per lumen fidei
infusum per se noti sunt habenti fidem, sicut et principia naturaliter nobis
insita per lumen intellectus agentis. Nec est mirum, si infidelibus nota non
sunt, qui lumen fidei non habent : quia nec etiam principia naturaliter
insita nota essent sine lumine intellectus agentis. Et ex istis principiis,
non respuens communia principia, procedit ista scientia ; nec habet viam ad
ea probanda, sed solum ad defendendum a contradicentibus, sicut nec aliquis
artifex potest probare sua principia. |
2. Par rapport à l’autre
difficulté il faut dire que cette doctrine a pour principes les premiers
articles de la foi qui sont connus par eux-mêmes au moyen de la lumière
infuse de la foi chez celui qui a la foi, tout comme les principes qui nous
sont naturellement donnés par la lumière de l’intellect agent. Et il n’est
pas étonnant qu’ils ne soient pas connus des infidèles qui ne possèdent pas
la lumière de la foi car même les principes donnés par la nature ne seraient
pas connus sans la lumière de l’intellect agent. Et cette science, ne
rejetant pas les principes communs, procède à partir de ces principes ;
et elle ne s’aventure pas à les prouver, mais seulement à les défendre contre
ceux qui les contredisent, tout comme un artisan ne peut prouver ses
principes. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad
aliud dicendum, quod, sicut habitus principiorum primorum non acquiritur per
alias scientias, sed habetur a natura ; sed habitus conclusionum a primis
principiis deductarum : ita etiam in hac doctrina non acquiritur habitus
fidei, qui est quasi habitus principiorum ; sed acquiritur habitus eorum quae
ex eis deducuntur et quae ad eorum defensionem valent |
3. Par rapport à l’autre
difficulté, il faut dire que, tout comme l’habitus des premiers principes
n’est pas acquis par les autres sciences mais est plutôt donné par la nature
et que c’est l’habitus des conclusions déduites des premiers principes qui
est acquis ; de même encore dans cette doctrine, ce n’est pas l’habitus
de la foi qui est acquis, lequel est comme l’habitus des principes, mais ce
qui est acquis, c’est plutôt l’habitus des conclusions qu’on déduit des
articles de la foi et qui servent à les défendre. |
q.
1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Aliud concedimus |
Nous concédons cet énoncé. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question
3.
|
q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad id
quod ulterius quaeritur, an sit sapientia, dicendum, quod propriissime
sapientia est, sicut dictum est. |
Quant à ce qui est recherché par la suite, à savoir si cette doctrine est une sagesse, il faut dire qu’elle l’est au plus haut point, ainsi que nous l’avons dit. |
q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Et
quod objicitur, quod non est certissimus aliquis in ista doctrina, dicimus,
quod falsum est : magis enim fidelis et firmius assentit his quae sunt fidei
quam etiam primis principiis rationis. Et quod dicitur, quod fides est infra
scientiam, non loquitur de fide infusa, sed de fide acquisita, quae est
opinio fortificata rationibus. Habitus autem istorum principiorum, scilicet
articulorum, dicitur fides et non intellectus, quia ista principia supra
rationem sunt, et ideo humana ratio ipsa perfecte capere non valet ; et sic
fit quaedam defectiva cognitio, non ex defectu certitudinis cognitorum, sed
ex defectu cognoscentis. Sed tamen ratio manuducta per fidem excrescit in hoc
ut ipsa credibilia plenius comprehendat, et tunc ipsa quodammodo intelligit :
unde dicitur Isa. 7, 9, secundum aliam litteram : nisi credideritis,
non intelligetis. |
Réponses aux difficultés. Cette objection, laquelle
prétend que celui qui s’occupe de cette science n’est pas le plus certain,
est fausse : en effet, celui qui croit adhère même plus fermement aux
articles de la foi qu’aux premiers principes de la raison. Et ce qu’on a dit,
à savoir que la foi est inférieure à la science, cela ne se dit pas de la foi
infuse mais de la foi acquise, laquelle est une opinion affermie par des
raisonnements. Mais l’habitus de ces principes, c’est-à-dire des articles de
la foi, on l’appelle foi et non intelligence car ces principes transcendent
la raison et c’est pourquoi la raison humaine elle-même est impuissante à les
saisir parfaitement ; et c’est ainsi qu’apparait une imperfection dans
la connaissance non pas en raison d’un défaut de certitude du côté de l’objet
connu mais d’un défaut de certitude du côté de celui qui connaît. La raison
cependant, conduite par la foi dépasse ses limites en cela qu’elle comprend
plus pleinement les articles de la foi eux-mêmes et les saisit alors en un
certain sens : c’est pourquoi on lit dans Ésaïe (7, 9)
d’après une autre version : À moins de croire, tu ne
comprendreras pas. |
|
|
q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus sit subjectum istius
scientiae. |
Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ? |
q.
1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus sit subjectum
istius scientiae. Omnis enim scientia debet intitulari et denominari a suo
subjecto. Sed ista scientia dicitur theologia, quasi sermo de Deo. Ergo videtur quod Deus sit
subjectum ejus. |
Objections. 1. Il semble que Dieu soit le
sujet de cette science. En effet, toute science doit être intitulée et
dénommée d’après son sujet. Mais cette science est dénommée théologie, à
savoir discours sur Dieu. Il semble donc que Dieu soit le sujet de cette science. |
Contra, Boetius dicit quod simplex forma subjectum esse
non potest. Sed Deus est hujusmodi. Ergo non potest esse subjectum. |
À l’opposé, Boèce dit qu’une
forme simple ne peut être un sujet. Mais Dieu est justement une forme
simple ; il ne peut donc être le sujet de cette science. |
q. 1 a. 4 arg. 2
Item, videtur, secundum Hugonem de sancto Victore, quod opera restaurationis
sint subjectum : sic enim dicit, quod opera primae conditionis sunt materiae
aliarum scientiarum, opera autem restaurationis sunt materia theologiae. Ergo
et cetera. Contra, quidquid determinatur in scientia debet contineri sub
subjecto ipsius. Sed in theologia determinatur de operibus creationis, ut
patet Genes. 1° Ergo videtur quod
opera restaurationis non sint subjectum. |
2. En outre, d’après Hugues de Saint Victor, il semble que les œuvres de la Réparation soient un sujet : il dit ainsi en effet que les œuvres de la première condition sont les matières des autres sciences et que les œuvres de la Réparation sont la matière de la théologie. Donc, etc. À l’opposé, tout ce dont on traite dans une science doit être contenu dans le sujet de cette science. Mais en théologie on traite des œuvres de la création comme on le voit au tout début du livre de la Genèse. Il semble donc que les œuvres de la Réparation ne soient pas le sujet. |
q. 1 a. 4 arg. 3 Item,
videtur quod res et signa sint subjectum : illud enim est subjectum in
scientia circa quod tota scientiae intentio versatur. Sed tota intentio
theologiae versatur circa res et signa, ut dicit Magister sententiarum. Ergo
res et signa sunt subjectum. Contra, per rationes subjecti debet scientia
differre ab aliis scientiis, cum quaelibet scientia habeat proprium
subjectum. Sed de rebus et signis considerant etiam aliae scientiae. Ergo non
sunt proprium subjectum hujus scientiae. |
3. De plus, il semble à
certains que les choses et les signes soient le sujet : dans un science
donnée en effet le sujet est ce sur quoi porte toute le propos de cette
science. Mais tout le propos de la théologie est dirigé sur les choses et les
signes ainsi que le dit le Maître des sentences. Donc, les choses et les
signes sont le sujet. Par contre, une science doit différer des autres par la
définition du sujet puisque toute science possède un sujet qui lui est propre.
Mais les autres sciences considèrent elles aussi les choses et les signes.
Donc, ces derniers ne sont pas le sujet de cette science. |
q.
1 a. 4 co. Respondeo, quod subjectum habet ad scientiam ad minus tres
comparationes. Prima est, quod quaecumque sunt in scientia debent contineri
sub subjecto. Unde considerantes hanc conditionem, posuerunt res et signa
esse subjectum hujus scientiae ; quidam autem totum Christum, idest caput et
membra ; eo quod quidquid in hac scientia traditur, ad hoc reduci videtur.
Secunda comparatio est, quod subjecti cognitio principaliter attenditur in
scientia. Unde, quia ista scientia principaliter est ad cognitionem Dei,
posuerunt Deum esse subjectum ejus. Tertia comparatio est, quod per
subjectum distinguitur scientia ab omnibus aliis ; quia secantur scientiae
quemadmodum et res, ut dicitur in 3 de anima : et secundum hanc
considerationem, posuerunt quidam, credibile esse subjectum hujus scientiae. |
Corps de l’article. Je réponds que le sujet se compare à la science au moins sous
trois rapports. Le premier est que tout ce qui est examiné dans la science
doit être contenu dans le sujet. C’est pourquoi ceux qui ont considéré cette
condition ont posé que les choses et les signes sont le sujet de cette
science ; d’autres cependant ont posé que c’est la totalité du Christ, à
savoir la tête et les membres, du fait que tout ce qui est enseigné dans
cette science semble se ramener à cela. Le deuxième rapport est que la
connaissance du sujet est ce qui est poursuivi principalement dans la
science. De là, parce que cette science vise principalement la connaissance
de Dieu, il ont posé que Dieu en est le sujet. Le troisième rapport est
qu’une science se distingue justement de toutes les autres par son sujet car
les sciences se divisent comme les choses ainsi qu’on le dit au troisième
livre de l’Âme : et sous ce rapport, certains ont posé que
ce qu’il faut croire est le sujet de cette science. |
Haec
enim scientia in hoc ab omnibus aliis differt, quia per inspirationem fidei
procedit. Quidam autem opera restaurationis, eo quod tota scientia ista ad
consequendum restaurationis effectum ordinatur. Si autem volumus invenire
subjectum quod haec omnia comprehendat, possumus dicere quod ens divinum
cognoscibile per inspirationem est subjectum hujus scientiae. Omnia enim quae
in hac scientia considerantur, sunt aut Deus, aut ea quae ex Deo et ad Deum
sunt, inquantum hujusmodi : sicut etiam medicus considerat signa et causas et
multa hujusmodi, inquantum sunt sana, idest ad sanitatem aliquo modo
relata. Unde
quanto aliquid magis accedit ad veram rationem divinitatis, principalius
consideratur in hac scientia. |
Cette science en effet
diffère de toutes les autres sciences en ceci qu’elle procède au moyen de
l’inspiration de la foi. Mais certains ont posé que les œuvres de la
Réparation sont le sujet du fait que toute cette science est ordonnée à la
poursuite de l’effet de la Réparation. Mais si nous voulons trouver le sujet
qui se trouve à comprendre tous ces points, nous pouvons dire que le sujet de
cette science est l’être divin qui est connaissable par
l’inspiration de la foi. En effet, tout ce qui est examiné dans cette science
est soit Dieu, soit ce qui vient de Dieu et est ordonné à Lui en tant que
tel : c’est ainsi encore que le médecin considère les signes et les
causes et beaucoup de choses de cette sorte en tant qu’elles sont saines,
c’est-à-dire pour autant qu’elles se rapportent d’une certaine manière à la
santé. Il résulte de là que ce qui se rapproche le plus d’un véritable
rapport à Dieu, c’est là ce qui est examiné principalement dans cette
science. |
q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Deus non est subjectum, nisi sicut principaliter
intentum, et sub cujus ratione omnia quae sunt in scientia, considerantur.
Quod autem objicitur in contrarium, quod forma simplex non potest esse
subjectum, dicimus, quod verum est accidentis : nihilominus tamen potest esse
subjectum praedicati in propositione ; et omne tale potest esse subjectum in
scientia, dummodo illud praedicatum de eo probari possit. |
Réponses aux objections. 1. Il faut dire que Dieu
n’est le sujet de cette science que parce qu’Il en est le propos principal et
c’est sous ce rapport que toutes les autres choses sont examinées dans cette
science. Mais ce qu’on présente comme objection, à savoir qu’une forme simple
ne peut être un sujet, nous disons que cela est vrai si on le dit de
l’accident : il peut cependant être le sujet d’un prédicat dans une
proposition et dans ce cas il peut être sujet dans une science, aussi
longtemps que ce prédicat puisse être prouvé comme lui appartenant. |
q. 1 a. 4 ad 2 Ad aliud
dicendum, quod opera restaurationis non sunt proprie subjectum hujus
scientiae, nisi inquantum omnia quae in hac scientia dicuntur, ad
restaurationem nostram quodammodo ordinantur. |
2. Il faut dire par rapport à cette autre objection que les œuvres de la Réparation ne sont pas à proprement parler le sujet de cette science que dans la mesure où tout ce qui est dit dans cette science est ordonné en un sens à notre renouvellement. |
q. 1 a. 4 ad 3 Ad aliud
dicendum, quod res et signa communiter accepta, non sunt subjectum hujus
scientiae, sed inquantum sunt quaedam divina. |
3. Il faut dire à l’égard de
cette autre objection que les choses et les signes, pris absolument, ne sont
pas le sujet de cette science, mais il le sont dans le mesure où ils se
rapportent à Dieu. |
|
|
Articulus 5 : Utrum modus
procedendi sit artificialis |
Article 5 – La manière de procéder est-elle selon l’art [1] ? |
q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. [Videtur quod modus procedendi non sit artificialis add. Éd. De Parme].Nobilissimae [enim add. Éd. De Parme]scientiae debet esse nobilissimus modus. Sed quanto magis [modus add. Éd. De Parme] est artificialis, tanto nobilior est. Ergo, cum haec scientia sit nobilissima, modus ejus debet esse artificialissimus. |
Objections. 1. Il semble que le mode de
procéder ne soit pas selon l’art. Le mode le plus noble doit en effet appartenir
à la science la plus noble. Mais un mode est d’autant plus noble qu’il est
davantage conforme à l’art. Donc, puisque cette science est la plus noble,
son mode doit être le plus conforme à l’art. |
q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea,
modus scientiae debet ipsi scientiae proportionari. Sed ista scientia maxime
est una, ut probatum est. Ergo et modus ejus debet esse maxime unicus. Cujus
contrarium videtur, cum quandoque comminando, quandoque praecipiendo,
quandoque aliis modis procedat. |
2. En outre, le mode d’une
science doit être proportionné à la science elle-même. Mais cette science est
une au plus haut point ainsi qu’on l’a prouvé. Par conséquent, son mode doit
être le plus un ; mais il semble que ce soit le contraire qu’on observe,
puisqu’on y procède parfois en menaçant, parfois en enseignant, parfois selon
d’autres modes. |
q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea,
scientiarum maxime differentium non debet esse unus modus. Sed poetica, quae
minimum continet veritatis, maxime differt ab ista scientia, quae est
verissima. Ergo, cum illa procedat per metaphoricas locutiones, modus hujus
scientiae non debet esse talis. |
3. De plus, il ne doit pas exister un seul mode pour les sciences les plus différentes. Mais la poétique, qui contient très peu de vérités, diffère au plus haut point de cette science qui est la plus vraie. Donc, puisque cette science procède au moyen de locutions métaphoriques, le mode de la doctrine sacrée ne doit pas lui être identique sur ce point. |
q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea, Ambrosius : Tolle argumenta ubi fides quaeritur.
Sed in sacra scientia maxime quaeritur fides. Ergo modus ejus nullo modo
debet esse argumentativus. |
4. Ensuite, Ambroise
dit : Là où c’est la foi qu’on
cherche, qu’on écarte les arguments. Mais dans la doctrine sacrée, c’est
surtout la foi qu’on cherche. Donc, son mode ne doit aucunement faire usage
d’arguments. |
q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, 1 Pet. 3, 15 : Parati
semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem de ea, quae in vobis est,
spe. Hoc autem sine argumentis fieri non valet. Ergo debet quandoque
argumentis uti. |
Au contraire : On lit dans la Première Lettre de Pierre (3, 15) : Soyez toujours prêts à vous défendre face à tous ceux qui vous demandent de justifier l’espérance qui est en vous. Mais il est impossible de réaliser cela sans former des arguments. On doit donc parfois se servir d’arguments. |
q. 1 a. 5 s. c. 2 Idem
habetur ex hoc quod dicitur Tit. 1, 9 : Ut potens sit exhortari in
doctrina sana et eos qui contradicunt, arguere. |
Saint Paul tient le même
discours dans sa Lettre à Tite (1, 9) : Pour
qu’il soit capable d’exhorter les autres à se conformer à la doctrine saine
et d’argumenter contre ceux qui la contredisent. |
q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod modus cujusque scientiae debet inquiri secundum conditiones
materiae, ut dicit Boetius, et philosophus. Principia autem hujus scientiae
sunt per revelationem accepta ; et ideo modus accipiendi ipsa principia debet
esse revelativus ex parte infundentis, ut in revelationibus prophetarum, et
orativus ex parte recipientis, ut patet in Psalmis. Sed quia, praeter lumen
infusum, oportet quod habitus fidei distinguatur ad determinata credibilia ex
doctrina praedicantis, secundum quod dicitur Rom. 10, 14 : quomodo
credent ei quem non audierunt ?Sicut etiam intellectus principiorum
naturaliter insitorum determinatur per sensibilia accepta, veritas autem
praedicantis per miracula confirmatur, ut dicitur Marc. ult. 20
: Illi autem profecti praedicaverunt ubique, domino cooperante et
sermonem confirmante sequentibus signis ; oportet etiam quod modus
istius scientiae sit narrativus signorum, quae ad confirmationem fidei
faciunt : et, quia etiam ista principia non sunt proportionata humanae
rationi secundum statum viae, quae ex sensibilibus consuevit accipere, ideo
oportet ut ad eorum cognitionem per sensibilium similitudines manuducatur :
unde oportet modum istius scientiae esse metaphoricum, sive symbolicum, vel
parabolicum. |
Corps de l’article. Je réponds qu’il faut dire que le mode de toute science
doit se rechercher conformément aux conditions de sa matière, comme le disent
Boèce et le Philosophe. Mais les principes de cette science sont reçus de la
révélation ; et pour cette raison la manière de recevoir ces principes
doit être du type de la révélation du côté de celui qui infuse, comme dans
les révélations des prophètes, et du type de la prière du côté de celui qui
reçoit comme on le voit dans les Psaumes. Mais parce que, en dehors de la
lumière infuse, il faut que l’habitus de la foi se distingue quant à des
objets de foi déterminés tirés de la doctrine de celui qui fait œuvre de
prédication, conformément à ce qui est dit dans l’Épître aux Romains (10,
14) : Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas
entendu parler ? Alors, tout comme l’intelligence des principes
donnés naturellement est déterminée par la réception des qualités sensibles
et que de même la vérité de celui qui proclame est confirmée par les miracles
ainsi qu’on le dit à la fin de l’Évangile de Marc (20) : Partout
où ils partaient prêcher, le Seigneur les aidait et les accompagnait par des
signes qui confirmaient la vérité de leurs discours ; c’est pourquoi
il faut aussi que le mode de cette science relate les signes qui contribuent
à confirmer la foi ; et, parce qu’en outre ces principes ne sont pas
proportionnés à la raison humaine dans la condition de la vie présente,
laquelle a coutume de recevoir les vérités à partir des choses sensibles,
c’est pourquoi il faut que nous soyons conduits à la connaissance de ces
principes par des similitudes sensibles : de là il faut que le mode de
cette science soit métaphorique ou symbolique, ou comporte des paraboles. |
Ex istis autem principiis
ad tria proceditur in sacra Scriptura : scilicet ad destructionem errorum,
quod sine argumentis fieri non potest ; et ideo oportet modum hujus scientiae
esse quandoque argumentativum, tum per auctoritates, tum etiam per rationes
et similitudines naturales. Proceditur etiam ad instructionem morum : unde
quantum ad hoc modus ejus debet esse praeceptivus, sicut in lege ;
comminatorius et promissivus, ut in prophetis ; et narrativus exemplorum, ut
in historialibus. Proceditur tertio ad contemplationem veritatis in
quaestionibus sacrae Scripturae ; et ad hoc oportet modum etiam esse
argumentativum, quod praecipue servatur in originalibus sanctorum et in isto
libro, qui quasi ex ipsis conflatur. |
Mais à partir de ces principes on procède à trois choses dans les Saintes Écritures : c’est-à-dire à la réfutation des erreurs, laquelle ne pourrait avoir lieu sans argumentation ; et c’est pourquoi le mode de cette science doit parfois être argumentatif, en procédant aussi bien au moyen d’autorités que de raisonnements et de similitudes tirées de la nature. Mais on y procède aussi à la formation des mœurs : et c’est pourquoi sous ce rapport son mode doit être didactique comme dans la Loi ; menaçant et prendre la forme d’une promesse, comme dans les Prophètes ; et elle doit faire le récit des faits exemplaires, comme dans les parties historiques. On y procède en troisième lieu à la contemplation de la vérité dans les questions de l’Écriture Sainte ; et pour cela il faut que son mode soit aussi argumentatif, lequel mode est conservé surtout pour les œuvres d’origine des saints et dans ce livre qui est comme composé à partir d’eux. |
Et secundum hoc etiam potest
accipi quadrupliciter modus exponendi sacram Scripturam : quia secundum quod
accipitur ipsa veritas fidei, est sensus historicus : secundum autem quod ex
eis proceditur ad instructionem morum, est sensus moralis ; secundum autem
quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum quae sunt viae, est sensus
allegoricus ;et secundum quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum
quae sunt patriae, est sensus anagogicus. Ad destructionem autem errorum non
proceditur nisi per sensum litteralem, eo quod alii sensus sunt per
similitudines accepti et ex similitudinariis locutionibus non potest sumi
argumentatio ; unde et Dionysius dicit (in Epistola ad Titum, in
Princip.) quod symbolica theologia non est argumentativa. |
Et c’est encore d’après cela
que la manière d’expliquer les Saintes Écritures peut se prendre de quatre
façons : car selon qu’on reçoit la vérité même de la foi, il y a le sens
historique : mais selon qu’à partir d’elles on procède à la formation
des mœurs, il y a le sens moral ; selon qu’on procède à la contemplation
de la vérité des choses qui appartiennent au passage dans cette vie, le sens
est allégorique ; selon qu’on procède à la contemplation de la vérité
des choses qui appartiennent à la patrie céleste, le sens est anagogique. Mais
pour la réfutation des erreurs on ne procède qu’au moyen du sens littéral, du
fait que les autres sens sont reçus par des similitudes et que
l’argumentation ne peut se tirer de locutions qui comportent des
similitudes ; c’est pourquoi Denys dit au début de sa Lettre à
Tite que la théologie symbolique n’est pas argumentative. |
q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod modus artificialis dicitur qui competit materiae ; unde
modus qui est artificialis in geometria, non est artificialis in ethica : et
secundum hoc modus hujus scientiae maxime artificialis est, quia maxime
conveniens materiae. |
Réponses aux objections. 1. Par rapport à la première objection, il faut dire qu’est conforme à l’art le mode qui est conforme à la matière ; c’est pourquoi le mode qui est conforme à l’art pour la géométrie n’est pas celui qui est valide pour l’éthique : et la raison pour laquelle ce mode est le plus conforme à l’art par rapport à cette science, c’est qu’il convient à sa matière. |
q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis ista scientia una sit, tamen de multis est et ad multa
valet, secundum quae oportet modos ejus multiplicari, ut jam patuit. |
2. Il faut dire sur ce deuxième point que bien que cette science soit une, elle porte cependant sur de nombreuses choses et elle excelle en de nombreuses matières d’après lesquelles ses modes doivent se diversifier ainsi que nous l’avons déjà vu. |
q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod poetica scientia est de his quae propter defectum veritatis
non possunt a ratione capi ; unde oportet quod quasi quibusdam
similitudinibus ratio seducatur : theologia autem est de his quae sunt supra
rationem ; et ideo modus symbolicus utrique communis est, cum neutra rationi
proportionetur. |
3. Sur ce troisième point il
faut dire que la science poétique porte sur une matière qui ne peut être
saisie par la raison à cause de son manque de vérité ; c’est pourquoi il
faut que la raison soit séduite par certaines similitudes : mais la
théologie porte sur des réalités qui dépassent la raison ; et c’est pourquoi
le mode symbolique est commun aux deux sciences parce qu’aucune d’elles n’est
proportionnée à la raison. |
q.
1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod argumenta tolluntur ad probationem
articulorum fidei ; sed ad defensionem fidei et inventionem veritatis in
quaestionibus ex principiis fidei, oportet argumentis uti : sic etiam
apostolus facit, 1 Corinth. 15, 16 : si Christus resurrexit, ergo et mortui
resurgent. |
4. Il faut dire sur ce point que les arguments sont
écartés pour ce qui est de prouver les articles de la foi ; mais il faut
se servir d’arguments pour la défense de la foi et la découverte de la vérité
pour les questions qui découlent des principes de la foi : c’est ainsi
encore que l’Apôtre dit dans sa Première Épître aux Corinthiens (15,
16) : Si le Christ est ressuscité, c’est donc que les morts
ressusciteront. |
|
|
q.
1 pr. Huic operi Magister prooemium praemittit, in quo tria facit. Primo
reddit auditorem benevolum ; secundo docilem, ibi, "Horum
igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere, atque ora oppilare (...) volentes, in
labore multo ac sudore volumen, Deo praestante, compegimus" ;
tertio attentum, ibi, "non ergo debet hic labor cuiquam
pigro vel multum docto videri superfluus.". Benevolum reddit
assignando causas moventes ipsum ad compilationem hujus operis, ex quibus
ostenditur affectus ipsius in Deum et proximum. Sunt autem tres causae
moventes. Prima
sumitur ex parte sui, scilicet desiderium proficiendi in Ecclesia ; secunda
ex parte Dei, scilicet promissio mercedis et auxilii ; tertia ex parte
proximi, [scilicet instantia precum sociorum. Add. Éd. De
Parme]. |
Le maître fait précéder cette œuvre d’un proème dans lequel il fait trois choses. En premier lieu il rend l’auditeur bienveillant ; en deuxième lieu, il le rend docile, là où il dit : ¨Voulant donc détruire leur Église odieuse à Dieu et fermer leur bouche (…), nous avons, avec l’aide de Dieu, rédigé ce volume avec beaucoup de travail et de sueur.¨ En troisième lieu, il le rend attentif là où il dit : ¨Ce travail ne doit pas paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand savant.¨ Il a rendu l’auditeur bienveillant en indiquant les causes qui l’ont poussé à rédiger cet ouvrage, lesquelles sont révélatrices de son amour pour Dieu et le prochain. Mais il y a trois causes qui l’ont poussé à réaliser ce travail. La première se prend de son côté, à savoir le désir de progresser dans l’Église ; la deuxième se prend du côté de Dieu, à savoir la promesse de la récompense et de l’aide pour y arriver ; la troisième se prend du côté du prochain, à savoir les supplications pressantes de ses compagnons. |
Sed
contra sunt tres causae retrahentes. Prima ex parte sui, defectus ingenii et
scientiae ; secunda ex parte operis, altitudo materiae et magnitudo laboris ;
tertia ex parte proximi, invidorum contradictio. Harum autem
causarum moventium duae primae insinuant caritatem in Deum, tertia in
proximum : unde dividitur in duas. In primo ponit causas moventes quae
ostendunt caritatem in Deum ; in secundo causam quae ostendit caritatem in
proximum, ibi, "non valentes studiosorum fratrum votis jure
resistere". |
Mais à
l’opposé il y a trois causes qui tendent à le faire reculer devant la tâche.
La première se tient de son côté, à savoir son manque d’intelligence et de
science; la deuxième se tient du côté de l’oeuvre en raison du caractère
élevé de la matière et de l’étendue du travail; la troisième se tient du côté
du prochain, à savoir la contradiction des envieux. Mais parmi les causes qui
le poussent à agir, les deux premières sont révélatrices de son amour pour
Dieu et la troisième de son amour pour le prochain: et c’est pourquoi cette
partie se divise en deux. Dans la première il présente les causes actives qui
montrent son amour pour Dieu; dans la deuxième il présente celle qui
manifeste son amour pour le prochain, là où il dit: ¨Ne pouvant pas
résister avec raison aux prières de mes frères zélés.¨ |
Causis autem moventibus
adjungit etiam retrahentes : unde primo ponit quasi quamdam controversiam
causarum moventium et retrahentium ; secundo victoriam, ibi, "quam
vincit zelus domus Dei". "Cupientes" In
hoc notatur primo causa movens, scilicet desiderium proficiendi. "Aliquid" sonat
immodicitatem. "De penuria ac tenuitate nostra".
Hic tangitur prima causa retrahens, scilicet defectus scientiae. Et dicitur penuria
proprie defectus exterioris substantiae, unde transfertur ad defectum
scientiae acquisitae. "Tenuitate", quae proprie
est defectus substantiae interioris, unde transfertur ad defectum
ingenii. "Cum paupercula", de qua Marc. 12
et Lucae 21. "Gazophylacium".
Gazophylacium repositorium dicitur divitiarum. Gazae enim Persice, divitiae
Latine dicuntur, et phylasso Graece, Latine servare : et quandoque sumitur
pro arca in quo arca reponitur, sicut 4 Reg. 12, 9 : Tulit
Joiada pontifex gazophylacium unum etc., quandoque pro loco in quo
arca reponitur, sicut Joan. 8, 20 : haec locutus est Jesus
in gazophylacio. Hic autem significat studium sacrae Scripturae, in
quo sancti sua opera reposuerunt. |
Mais à ces causes actives il
ajoute encore celles qui le retiennent d’agir: c’est pourquoi il présente
d’abord comme un combat l’opposition qu’il y a entre les causes qui le
poussent à agir et celles qui le retiennent; en deuxième lieu, il présente la
victoire, là où il dit: ¨que le zèle pour la maison du Seigneur a vaincu¨.
Lorsqu’il dit ¨Désirant¨, il
indique en premier lieu la première cause active, à savoir son désir de
progresser dans l’Église. Lorsqu’il dit ¨Quelque
chose¨, cela renvoie à la démesure de la tâche. Par l’expression ¨Sur notre pauvreté et notre dénuement¨,
il touche ici du doigt la première cause qui le retient, à savoir son manque
de science. Et le terme de pauvreté
exprime à proprement parler le manque d’une substance extérieure et c’est
pourquoi il est appliqué à un manque de science acquise; mais le
terme de dénuement se rapporte
proprement à un défaut de substance intérieure et c’est pourquoi il est
appliqué à un manque d’intelligence. ¨Avec
la pauvre femme¨ dont parle Marc
(12, 41-44) et Luc (21, 1-4).
¨Gazophylacium¨. Gazophylacium signifie la salle où l’on dépose les
richesses. En effet, le terme ¨gazae¨, qui vient de la langue perse,
correspond au terme en latin divitiae qui veut dire
richesses et ¨phylasso¨, qui est un terme grec, correspond au terme
latin servare qui veut dire conserver: et
parfois gazophylacium signifie le coffre dans lequel le
trésor est dépose ainsi qu’on le dit dans le deuxième livre des Rois (12, 10): ¨Le prêtre Yéhoyada
prit un coffre…¨, et parfois pour le lieu dans lequel le coffre est dépose,
ainsi qu’on le voit dans Jean (8,
20): ¨Jésus prononça ces paroles dans
la salle du Trésor¨. Mais ce terme signifie ici le lieu de l’étude des
Saintes Écritures dans lequel les saints avaient déposé leurs oeuvres. |
"Ardua scandere".
Hic ponitur secunda causa retrahens ex parte operis, et dicuntur ardua divina
quantum est in se. Scanduntur autem quasi triplici gradu. Primus est in
derelinquendo sensum ; secundus in derelinquendo phantasias corporum ;
tertius in derelinquendo rationem naturalem. "Opus
ultra vires". Hic ostenditur altitudo materiae per comparationem
ad nos. |
Lorsqu’il ajoute ¨S’élever sur les hauteurs¨, il présente la deuxième cause qui le retient du côté du travail à accomplir, et les réalités divines sont appelées hauteurs quant à ce qu’elles sont en elles-mêmes. Et on s’y élève comme en trois étapes. La première se fait en se dégageant des sens; la deuxième en délaissant les images des corps; la troisième, en se détachant de la raison naturelle. Et lorsqu’il dit ¨Un travail au-delà de nos forces¨, il montre par là à quel point la matière à examiner est élevée par rapport à nos capacités. |
Contra, Eccli. 3,
22 : Altiora te ne quaesieris. Respondeo. Verum est ex
consideratione [confidentia Éd. De Parme] propriarum virium ; sed ex
confidentia divini auxilii possumus elevata supra nostrum posse speculari. |
Mais au contraire on lit dans
l’Ecclésiaste (3, 22) : ¨Ne
cherche pas à connaître ce qui te dépasse¨. Je réponds
que cela est vrai si on ne se fie qu’à ses propres forces ; mais en nous
appuyant sur l’aide de Dieu, nous pouvons examiner les réalités qui sont
élevées au-dessus de nos capacités. |
"Praesumpsimus".
Contra, Eccli. 37, 3 : Ô praesumptio nequissima ! Ergo
videtur quod peccaverit. Respondeo. Expone "praesumpsimus",
idest prae aliis sumpsimus.. Vel dic, quod esset praesumptio per
comparationem ad vires humanas ; sed per comparationem ad Dei auxilium, quo
omnia possumus, sicut dicitur Philipp. ult. 13 : omnia possum in eo qui me
confortat, non est praesumptio. |
¨Nous avons anticipé¨. Mais nous lisons au contraire dans l’Ecclésiaste (37, 3): ¨Ô vaine anticipation!¨. Il semble donc avoir commis une faute. Je réponds que ¨Nous anticipons¨ s’explique comme synonyme du fait que nous saisissons avant les autres…Ou bien disons qu’il y aurait là une folle anticipation par rapport aux forces humaines; mais par rapport à l’aide que nous recevons de Dieu, par laquelle nous pouvons tout, cela n’est pas de la présomption et il faut dire comme l’Apôtre dans son Épître aux Philippiens (4, 13): Je puis tout en Celui qui me rend fort. |
"Consummationis
fiduciam". Hic ponit secundam causam moventem ex parte Dei. "In
Samaritano". Sumitur de parabola quae est Lucae 10, per quam
significatur Deus. In Psal. 120, 4 : Ecce non dormitabit
neque dormiet qui custodit Israel. Samaritanus enim interpretatur
custos. "Semivivi", hominis per peccatum
spoliati gratia et vulnerati in naturalibus. Duobus denariis, duobus
testamentis, quasi regis imagine insignitis, dum veritatem continent a prima
veritate exemplatam. "Supereroganti", idest
superaddenti, sicut sancti patres suis studiis fecerunt. |
En disant : ¨La confiance dans l’accomplissement¨,
il présente ici la deuxième cause qui le pousse à agir du côté de Dieu. ¨Dans le Samaritain¨. Cette expression
est tirée de la parabole qu’on retrouve en Luc (10, 29-37) et par laquelle Dieu est signifié. Et dans le
Psaume (120, 4) : Vois, il ne dormira ni ne sommeillera, le
gardien d’Israël. Samaritain en effet peut s’interpréter comme signifiant
gardien. ¨À moitié mort¨ s’applique
à l’homme qui, par le péché, est dépourvu de la grâce et qui, parmi les êtres
naturels, est un être blessé. Par les deux deniers, image des deux
testaments, comme marqués à l’image du roi, alors qu’ils contiennent une
vérité qui est à l’image de la vérité première. ¨À ce que tu auras dépensé en plus¨, c’est-à-dire à ce que tu
auras ajouté, tout comme les saints pères l’ont fait par leurs études. |
Contra, Apocalyps. ult. 18
: Si quis apposuerit ad haec, apponet Deus super illum plagas.
Respondeo. Est apponere duplex : vel aliquid quod est contrarium, vel
diversum ; et hoc est erroneum vel praesumptuosum : vel quod continetur
implicite, exponendo ; et hoc est laudabile. |
On lit au contraire à la fin du livre de l’Apocalypse (22, 18) : Et si quelqu’un ajoute quelque chose à ces paroles, Dieu le chargera de fléaux. Je réponds à cela qu’il y a deux manières d’ajouter : soit en ajoutant quelque chose de contraire ou de différent, et cela est une erreur ou une présomption ; soit en expliquant ce qui est déjà contenu mais implicitement, et cela est louable. |
"Delectat". Hic
colligit quatuor causas enumeratas. "Quam vincit".
Hic ponit victoriam. "Zelus". Zelus, secundum
Dionysium (De div. Nom. 4, 13) est amor intensus, unde non
patitur aliquid contrarium amato. "Domus Dei" idest
Ecclesiae. "Quo inardescentes", scilicet dum non
patimur Ecclesiam ab infidelibus impugnari. "Carnalium",
quantum ad illos qui inveniunt sibi errores, ut carnis curam faciant in
desideriis, Rom. 13, sicut qui negant providentiam divinam de
rebus humanis, et animae perpetuitatem, ut impune possint peccare. "Animalium",
quantum ad errantes, ex eo quod non elevantur supra sensibilia, sed secundum
rationes corporales volunt de divinis judicare. Davidicae turris. Hoc
sumitur Cant. 4, 4 : "Sicut turris David collum
tuum, quae aedificata est cum propugnaculis : mille clypei pendent ex ea,
omnis armatura fortium". Per David significatur Christus : turris
ejus est fides vel Ecclesia : clypei sunt rationes et auctoritates
sanctorum. "Vel potius munitam ostendere" ;
quia ipse non invenit rationes, sed potius ab aliis inventas compilavit : et
in hoc tangit unam utilitatem, scilicet exclusionem erroris. "Ac
theologicarum inquisitionum abdita aperire".Hic tangit aliam
quantum ad manifestationem veritatis ; et hoc in primis tribus libris. "Nec
non et sacramentorum ecclesiasticorum pro modulo [pro modico Lombard]
intelligentiae nostrae notitiam tradere studuimus : et hoc quantum ad quartum". |
¨ Il se réjouit¨. Et il recueille ici les quatre causes qui ont été
énumérées. ¨Qu’il a vaincu¨. Il présente
ici la victoire. ¨Le zèle¨. D’après
Denys (Les Noms Divins, 4, 13), le
zèle est un amour intense qui ne souffre pas ce qui s’oppose à l’objet
aimé. ¨La maison de Dieu¨,
c’est-à-dire l’Église. ¨Pour laquelle
nous nous enflammons¨, c’est-à-dire alors même que nous ne pouvons pas
supporter que l’Église soit combattue par les infidèles. ¨Des hommes charnels¨, quant à ceux qui
se retrouvent dans des erreurs, comme ceux qui se soucient de la chair pour
en satifaire les convoitises (Romains,
13, 14), comme ceux qui nient la Providence divine dans les choses humaines
ainsi que l’immortalité de l’âme de sorte qu’ils pourraient pécher impunément.
¨Des animaux¨, quant à ceux qui
s’égarent du fait qu’ils ne s’élèvent pas au-dessus des réalités sensibles et
veulent juger des choses divines d’après des raisons tirées des réalités
corporelles. La tour de David. Cette expression est tirée du Cantique des
Cantiques (4, 4) : ¨Ton cou est
comme la tour de David construite avec des remparts : mille boucliers y
sont suspendus, toutes les armes des combattants¨. David représente ici
le Christ ; sa tour est la foi ou l’Église ; les boucliers sont les
raisons et l’autorité des saints. ¨Ou
plutôt montrer l’abri des fortifications¨ car ce n’est pas lui qui a
découvert les raisons mais il a plutôt dépouillé celles qui ont été
découvertes par les autres : et en cela il touche du doigt une utilité,
à savoir le rejet de l’erreur. ¨Et
dévoiler les secrets des recherches théologiques¨. Il indique ici une
autre utilité quant à la manifestation de la vérité ; et il fait cela
dans les trois premiers livres. ¨Et
nous nous sommes appliqués à enseigner la connaissance des sacrements de
l’Église dans la mesure de notre intelligence : et c’est là l’objet
du quatrième livre¨. |
"Non valentes studiosorum
fratrum votis jure resistere". Hic ponit causam moventem, quae
dicit caritatem in proximum : et primo ponit causam moventem ; secundo
retrahentem, ibi, "quamvis non ambigamus omnem humani
eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper fuisse
obnoxium". |
¨ Ne pouvant pas
résister avec raison aux prières de nos frères dévoués¨. Il présente ici
la cause motrice qui exprime la charité envers le prochain : et en
premier lieu il présente la cause motrice ; en deuxième lieu celle qui
le retient, là où il dit : ¨bien
que nous ne doutions pas que tout discours de l’éloquence humaine a toujours
été assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux¨. |
"Lingua",
ad praesentes, vel quantum ad communicationem doctrinae ; "stylo",
propter absentes, vel ad perpetuandam memoriam. |
¨Par la langue¨,
à l’égard de ceux qui sont présents, pour leur communiquer la doctrine; ¨par la plume¨, à l’égard de ceux qui
sont absents, pour en perpétuer la mémoire |
"Bigas",
idest linguam et stylum, quibus quasi duabus rotis vehitur a magistro in
discipulum, agitat Christi caritas. Hoc sumitur 2 Corinth. 5, 14 : caritas
Christi urget nos. |
Par ¨Les deux¨, c’est-à-dire la langue et la plume, par lesquels,
comme par deux roues, la vérité est transportée du maître au disciple,
s’avance ici la charité du Christ. Et cela est tiré de la Deuxième Épître aux Corinthiens (5,
14) : Car l’amour du Christ nous presse. |
Contra, Eccle. 9, 1 : "Nemo scit, utrum
amore an odio dignus sit". Ergo et cetera. Respondeo. Caritas
dicitur uno modo habitus infusus ; et hunc nullus potest scire se habere
certitudinaliter, nisi per revelationem ; sed potest conjicere per aliqua
signa probabilia. Alio modo dicitur caritas amor multum appretians amatum ;
et sic aliquis potest scire se habere caritatem. "Quamvis
non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni
aemulorum semper fuisse obnoxium".Hic ponit tertiam causam
retrahentem, scilicet contradictionem invidorum : et circa hoc tria facit.
Primo ponit contradictionis evidentiam per simile in aliis ; secundo
contradictionis causam ex inordinatione voluntatis, ex qua error, ex qua
invidia, ex qua contradictio oritur, ibi, "quia
dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque fit animorum sensus" ;
tertio contradicentium nequitiam, ibi, "qui non rationi
voluntatem subjiciunt". |
Mais on lit au contraire dans l’Ecclésiaste (9, 1) : ¨Nul
ne sait s’il est digne d’amour ou de haine¨. Il en est donc ainsi pour le
reste. Je réponds que la charité se prend en un sens comme un habitus
infus ; et cet habitus, nul ne peut savoir avec certitude qu’il le
possède, si ce n’est par révélation ; mais il peut le conjecturer au
moyen de signes probables. En un autre sens charité se dit de l’amour qui
estime grandement l’objet aimé ; et ainsi, en ce sens, quelqu’un peut
savoir qu’il possède la charité. ¨Bien
que nous ne doutions pas que tout discours de l’éloquence humaine a toujours
été assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux¨.
Il présente ici la troisième cause qui le retient, à savoir la contradiction
des envieux : et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il
présente l’évidence de la contradiction au moyen d’une similitude chez les
autres ; en deuxième lieu il présente la cause de la contradiction qui se
tient du côté d’un désordre de la volonté à partir duquel naissent l’erreur,
l’envie et la contradiction, là où il dit : ¨car chez ceux qui sont en désaccord par les mouvements de la volonté
il se produit aussi un jugement discordant des âmes¨ ; en troisième
lieu il présente la malice des contradicteurs, là où il dit : ¨ceux qui ne soumettent pas la volonté à la
raison¨. |
"Calumniae",
quae est occulta et particularis impugnatio ; "contradictioni",
quae est aperta, et in toto, et universalis ; "obnoxium",
quasi poenae vel noxae addictum. |
¨À la calomnie¨, laquelle est cachée et constitue une forme d’attaque particulière ; ¨à la contradiction¨, qui se fait ouvertement, en totalité et universellement ; ¨assujetti¨, en tant que lié à la peine et au préjudice. |
"Veri ratione perfectum" ;
idest, perficiebat secundum rationem veritatis, videlicet quantum ad illos
qui male intelligunt, et tamen malum intellectum pertinaci voluntate
defendunt. |
¨Achevé par la raison du vrai¨ ; c’est-à-dire qu’il accomplissait tout par la raison de la vérité, c’est-à-dire par opposition à ceux qui comprennent mal et qui cependant défendent leurs erreurs par une volonté obstinée. |
"Complacet",
quantum ad illos quorum voluntas inordinate post se trahit judicium rationis,
ut verum judicetur illud quod placet. "Offendenti",
idest quod displicet. |
¨Ce qui plaît¨ s’adresse à ceux dont la volonté désordonnée traîne
à sa suite le jugement de la raison, de telle sorte que ce qui plaît est
considéré comme étant vrai et est préféré ¨à ce qui heurte¨, c’est-à-dire à ce qui déplaît. |
Contra,
3 Esdrae, 4, 39 : Omnes benignantur in operibus ejus. Ergo et cetera. —
Respondeo. Veritas secundum se semper amatur ; sed per accidens potest haberi
odio, et hoc accidens est infinitum : quia causae per accidens, secundum
philosophum (Physique, II, texte 3 sive cap. V) infinitae sunt. |
Mais on lit au contraire dans
Esdras (3, 11) : Tous se réjouissent dans ses œuvres.
Donc… Je réponds que la vérité en tant que telle est toujours
aimée ; mais par accident elle peut être tenue en haine, et cela à
l’infini : car les causes par accident sont infinies ainsi que le dit le
Philosophe dans sa Physique (livre 11, chapitre 5). |
"Deus hujus
saeculi". Sumitur 2 Corinth., 4, et exponitur de Deo vero, qui
operatur invidiam, permittendo ; vel de Diabolo, cui saeculum obedit, qui
operatur suggerendo. Diffidentiae, vel quia diffidunt de Deo, vel quia de eis
diffidendum est ex ratione morbi, quamvis non ex potestate medici. |
¨ Le Dieu de ce siècle¨. Cette expression est tirée de la Deuxième Épitre aux Corinthiens (ch. 4), et se dit du vrai Dieu qui suscite l’envie en la permettant, ou bien du Diable auquel ce siècle obéit, qui suscite l’envie en la suggérant. De la défiance, ou bien parce qu’ils se défient de Dieu, ou bien parce qu’il faut se défier d’eux à cause de leur maladie, bien qu’elle ne relève pas du pouvoir du médecin. |
"Qui non rationi voluntatem
subjiciunt". Hic ostendit contradicentium nequitiam : et primo ex
inordinata professione ; secundo ex simulata religione, ibi, "Habent
rationem sapientiae in superstitione" ; tertio ex pertinaci
contentione, ibi, "qui contentioni studentes, contra
veritatem sine foedere bellant". |
¨Qui ne soumettent pas la volonté à la raison¨. Il montre ici la
malice des contradicteurs : et il le fait en premier lieu à partir du
dérèglement de leur déclaration ; en deuxième lieu, en partant de leur
fausse religion, là où il dit : ¨C’est
dans la religiosité qu’ils ont l’apparence de la sagesse¨ ; en
troisième lieu il le fait en partant de leurs efforts obstinés, là où il
dit : ¨ceux qui, s’appliquant avec
effort, luttent sans loi contre la vérité¨. |
Ostendit autem primo ex duobus eos esse inordinatos,
scilicet quia voluntas non sequitur rationem, sed e converso ; quod tangit
ubi dicit : "Qui non rationi voluntatem subjiciunt" :
et quia rationem suam non subjiciunt sacrae doctrinae ; quod notatur
ibi, "nec doctrinae studium impendunt". |
Mais il montre d’abord à partir de deux points qu’ils sont déréglés, c’est-à-dire parce que leur volonté ne suit pas la raison mais que c’est l’inverse qui se produit dans leur cas, ce qu’il manifeste là où il dit : ¨Ceux qui ne soumettent pas leur volonté à la raison¨ ; et aussi parce qu’ils ne soumettent par leur raison à la sainte doctrine : ce qu’il indique là où il dit : ¨ils ne consacrent pas leur zèle à la doctrine¨. |
"Somniarunt",
quasi phantasiando, sicut homo in somniis. "Sed ad fabulas
convertentes auditum." Sumitur de 2 Timoth. 4. Fabula enim
composita est ex miris, secundum philosophum (Poét. IV, Metaph. I, Lectio 3), et isti
semper volunt nova audire. "Professio", idest
studium. "Docenda", idest digna doceri. "Rationem",
idest argumentum ad ostendendum sapientiam. "In
superstitione", superflua religione exterius simulata. Quia fidei
defectionem sequitur hypocrisis mendax. Sumitur 1 Timoth. 4, 1 : Discedent
quidam a fide, attendentes spiritibus erroris, et doctrinis Daemoniorum in
hypocrisi loquentium mendacium. "Omnium verborum." |
¨Ils auront déliré¨ comme dans des rêves, comme le fait l’homme
dans son sommeil. ¨Mais ils tourneront
leurs oreilles vers des fables.¨, lequel passage est tiré de la Deuxième Épître à Timothée (4, 4). Une
fable en effet, selon le Philosophe (Poétique
IV ; Métaphysique (L. 1, l. 3)
est composée de faits prodigieux et ceux-là désirent toujours entendre des
choses nouvelles. ¨Leur
travail¨, c’est-à-dire leur occupation. ¨Qui doit être enseigné¨, c’est-à-dire qui mérite d’être enseigné.
¨La raison¨, c’est-à-dire
l’argument qui manifeste la sagesse. ¨Dans
la religiosité¨, c’est-à-dire dans la vaine religion simulée
extérieurement. Car du défaut de foi découle le mensonge de l’hypocrisie
ainsi que le souligne l’apôtre dans la Première
Épître à Timothée (4,1) : Certains s’écarteront de la foi
pour suivre des esprits trompeurs et des doctrines inspirées par les démons,
séduits par ¨toutes les paroles¨ mensongères de l’hypocrisie. |
Contra, Beda : "Nulla
falsa est doctrina, quae non aliqua vera intermisceat". |
On lit au contraire dans Bède : ¨Il n’y a pas de doctine fausse dans laquelle ne se mêle quelque vérité¨. |
Respondeo, illa vera quae
dicunt, quamvis in se vera sint, tamen quantum ad usum eorum falsa sunt, quia
falso utuntur eis. |
Je réponds que les choses qu’ils disent sont
vraies ; cependant, bien qu’elles soient vraies en elles-mêmes, cependant
elles sont fausses quant à l’usage qu’ils en font, puisqu’ils s’en servent
faussement. |
"Pruriginem",
idest inordinatum desiderium nova audiendi, sicut pruritus concitatur ex
calore inordinato. Sumitur ex 2 Tim. 4, 3 : Erit
tempus, cum (...) ad sua desideria coacervabunt sibi magistros, prurientes
auribus. "Dogmate", propter hoc quod ratio
voluntatem sequitur. "Contentioni", quae,
secundum Ambrosium ad Rom. est impugnatio veritatis cum confidentia
clamoris. "Veritas". III Esdr. 4, 38
: "Veritas manet, et invalescit in aeternum". |
¨Démangeaison¨, c’est-à-dire un désir désordonné d’entendre des
choses nouvelles comme le prurit est excité par une chaleur excessive, comme
le dit Paul dans sa Deuxième Lettre à
Timothée (4, 3): Car un temps
viendra où (…) les gens, l’oreille les démangeant, s’entoureront de maîtres
conformes à leurs désirs. ¨D’une
manière dogmatique¨, parce que la raison suit la volonté. ¨ ¨Au combat¨, qui, selon Ambroise sur l’Épître aux Romains, est l’assaut de
la vérité avec la confiance de la clameur. ¨La vérité¨. On lit dans 111 Esdras
(4, 38): La vérité demeure, et elle s’établit pour l’éternité. |
"Horum
igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere atque ora oppilare (...) volentes, in
labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus".
Hic reddit auditorem docilem, praelibando causas operis : et primo ponit
causam finalem quantum ad duas utilitates, scilicet destructionem erroris ;
unde dicit : odibilem Ecclesiam : Psalm. 25, 5 : "Odivi
Ecclesiam malignantium" : "ne virus",
idest ne venenum, "in alios effundere queant" : "et
manifestationem veritatis" : unde dicit : "Lucernam
veritatis in candelabro exaltare volentes".Sumitur de Luc.
8, 16 : "Nemo accendit lucernam, et ponit eam sub modio". "In
candelabro", idest in aperto. Secundo tangit causam efficientem,
scilicet principalem, "Deo praestante" :
instrumentalem, "Compegimus" : quia hoc
opus est quasi compaginatum ex diversis auctoritatibus. "Sudore",
quocumque defectu corporali, qui sequitur laborem spiritualem. Tertio ostendit
causam materialem ibi : ex testimoniis veritatis, Psalm. 118, 152
: "Initio cognovi de testimoniis tuis". Quarto
causam formalem quantum ad distinctionem librorum : "in
quatuor libros :" et quantum ad modum operis : "in
quo majorum exempla", quantum ad similitudines ; "doctrinam",
quantum ad rationes, "reperies". "Vipereae",
haereticae : haeretici enim pariendo alios in sua haeresi, pereunt sicut
vipera. "Prodidimus",
reseravimus. Adjicit viam. "Complexi",
amplexantes. "Impiae", infidelis. "Inter
utrumque", scilicet, nec nimis alte, nec nimis humiliter : vel
inter duos contrarios errores, sicut Sabellii, et Arii. "Non
a paternis discessit limitibus", secundum illud Proverb. 22,
28 : "Non transferes terminos antiquos, quos posuerunt patres
tui". |
¨Voulant donc renverser leur Église détestable à Dieu et fermer leur
bouche (…), nous avons rédigé, avec l’aide de Dieu, ce livre avec beaucoup de
travail et de sueur¨. Ici il rend l’auditeur docile en effleurant les
causes de cet ouvrage : et en premier lieu il présente la cause finale
quant à deux utilités, à savoir premièrement la destruction de
l’erreur ; c’est pourquoi il dit : Église détestable, ainsi qu’on
le lit dans le Psaume (25,
5) : ¨Déteste l’Église des malfaiteurs¨ : ¨afin que le poison¨, c’est-à-dire le
venin, ¨ils ne puissent le répandre
dans les autres¨ ; puis deuxièmement ¨la manifestation de la vérité¨ : c’est pourquoi il
dit : ¨Voulant relever la
chandelle de la vérité dans le chandellier¨. C’est aussi ce qu’on lit
dans Luc (8,
16) : ¨Personne n’allume une lampe pour la mettre sous un
lit¨. ¨Dans le chandellier¨,
c’est-à-dire en pleine évidence. En deuxième lieu il considère la cause
efficiente, c’est-à-dire la cause principale, en disant : ¨Avec l’aide de Dieu¨ ; puis la
cause instrumentale en disant : ¨nous
avons rédigé¨ : car cet ouvrage a été rédigé comme à partir de
différentes autorités. ¨Avec sueur¨
et tout autre défaut corporel qui suit le travail spirituel. En troisième
lieu il indique la cause matérielle là où il dit : à partir des témoignages
de la vérité, ainsi qu’on le voit dans le Psaume
(118, 152) : ¨Depuis le début j’ai connu de tes témoignages¨. En
quatrième lieu il considère la cause formelle quant à la distinction des
livres : ¨en quatre livres¨ ;
et quant au mode d’opérer : ¨dans lequel,
les exemples des grands¨, par rapport aux similitudes ; ¨la doctrine¨, quant aux arguments, ¨tu trouveras¨. ¨De la vipère¨, de l’hérétique : car les hérétiques en effet,
en séduisant les autres par leurs erreurs périssent comme une vipère. ¨Nous nous sommes avancés¨, nous avons
révélé. Il ajoute le chemin. ¨J’ai
embrassé¨, en saisissant. ¨De
l’impie¨, de l’infidèle. Entre les deux, c’est-à-dire ni trop haut ni
trop humblement : ou bien encore entre deux erreurs contraires, comme
celle de Sabellius et celle d’Arius. ¨Elle
ne s’est pas éloignée des limites paternelles¨, conformément à ce passage
des Proverbes (22, 28) : ¨Ne déplace pas les bornes anciennes que tes
ancêtres ont posées¨. |
"Non
igitur debet hic labor cuiquam pigro, vel multum docto, videri superfluus". Hic reddit auditorem
attentum : et primo ex utilitate operis, ibi : "brevi
volumine complicans patrum sententias".Sententia, secundum
Avicennam, est definitiva et certissima conceptio. Secundo ex profunditate
materiae, ibi : "in hoc autem tractatu pium lectorem, qui
secundum fidem intelligat, liberum correctorem, qui solum propter
correctionem corrigat, "desidero". Liber enim,
secundum philosophum (in proemium Metaph.) dicitur qui causa sui
est, et non propter odium vel invidiam. Tertio ex ordinatione modi
procedendi, ibi : "ut autem quod quaeritur facilius
occurrat, titulos quibus singulorum librorum capitula distinguuntur,
praemisimus". |
¨Ce travail ne doit donc pas sembler inutile au paresseux ou au grand
savant.¨ Et ici il rend l’auditeur attentif : et il le fait
premièrement à partir de l’utilité de l’ouvrage, là où il dit : ¨rassemblant dans un court traité les
sentences des Pères¨. Et la sentence, d’après Avicenne, exprime une
conception définitive et très certaine. En deuxième lieu, il le fait à partir
de la profondeur de la matière, là où il dit : ¨et pour ce traité ne désire qu’un lecteur vertueux, qui comprend en
s’appuyant sur la foi, et un correcteur libre, qui ne corrige qu’en vue de la
rectitude¨. Car on appelle libre, d’après le Philosophe (dans le proème
de la Métaphysique), ce qui n’existe qu’en vue de soi-même et non
en vue de la haine ou de l’envie. En troisième lieu, il le fait à partir de
l’ordonnance du mode de procéder, là où il dit : ¨afin que ce qu’on recherche se présente plus facilement, nous faisons
précéder les titres par lesquels se distinguent les chapitres de chacun des
livres¨. |
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Distinctio 1 |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1[2] |
1. Omnis doctrina est de rebus vel de signis. Veteris
ac novae Legis continentiam diligenti indagine etiam atque etiam
considerantibus nobis, praevia Dei gratia innotuit sacrae paginae tractatum
circa res vel signa praecipue versari. Ut enim egregius doctor Augustinus ait
in libro De Doctrina Christiana : "Omnis doctrina vel rerum est, vel
signorum. Sed res etiam per signa discuntur. Proprie autem hic res
appellantur, quae non ad significandum aliquid adhibentur ; signa vero,
quorum usus est in significando". - Eorum autem aliqua sunt quorum omnis usus est in
significando, non in iustificando, id est, quibus non utimur nisi aliquid
significandi gratia, ut aliqua sacramenta legalia ; alia quae non solum
significant, sed conferunt quod intus adiuvet, sicut evangelica sacramenta. -
Ex quo aperte intelligitur, quae hic appellentur signa, res illae videlicet
quae ad significandum aliquid adhibentur. "Omne igitur signum etiam res
aliqua est : quod enim nulla res est", ut in eodem Augustinus ait,
omnino nihil est ; "non autem" e converso "omnis res signum
est", quia non adhibetur ad significandum aliquid. |
De l’usage et de la
jouissance. 1. Toute doctrine a pour
objet soit les choses soit les signes. À nous qui considérons sans cesse par
une recherche attentive le contenu de la Loi ancienne et nouvelle, la grâce
prévenante de Dieu a fait connaître que le traité de la page sacrée se
rapporte principalement aux choses et aux signes. Comme le dit en effet
l’éminent docteur, Augustin, dans son livre de La Doctrine Chrétienne :
¨Toute doctrine se rapporte soit aux
choses, soit aux signes. Mais les choses se saisissent aussi par les signes.
Mais ici on appelle proprement ¨chose¨ ce qui n’est pas employé pour
signifier quelque chose d’autre et ¨signe¨ ce qui sert à signifier¨ - Mais parmi ceux-là il y en
a certains dont tout l’usage ne consiste qu’à signifier et non à justifier et
dont nous ne nous servons qu’en vue de signifier quelque chose, comme c’est
le cas pour certains sacrements légaux ; et il y en a d’autres qui non
seulement signifient, mais qui confèrent une aide intérieure, comme les
sacrements évangéliques. – De là on comprend clairement qu’on appelle ici
signes ces choses qui sont employées pour signifier quelque chose. ¨Donc tout
signe est aussi une certaine chose : ce qui en effet n’est aucune
chose¨, comme le dit Augustin dans le même livre, n’existe absolument
pas ; ¨ce n’est cependant pas¨, à l’inverse, ¨toute chose qui est un
signe¨, car ce n’est pas toute chose qui est présentée pour signifier quelque
chose. |
2.
Cumque his intenderit theologorum speculatio studiosa atque modesta, divinam
Scripturam, formam praescriptam in doctrina tenere advertet. |
2. Et comme l’étude appliquée et mesurée des théologiens s’étend à cela, elle voit à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine. |
3. De his ergo nobis,
aditum ad res divinas aliquatenus intelligendas Deo duce aperire volentibus,
disserendum est ; et "primum de rebus, postea de signis
disseremus". |
3. Nous devons donc traiter
de ces choses, nous qui voulons ouvrir jusqu’à un certain point une porte sur
la compréhension des choses divines sous la conduite de Dieu ; et ¨en
premier lieu nous traiterons des choses, puis des signes¨. |
Cap. 2., 1. De rebus communiter
agit. "Id ergo in rebus
considerandum est, ut in eodem Augustinus ait, quod res aliae sunt quibus
fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae quae fruuntur et utuntur. Illae
quibus fruendum est, nos beatos faciunt. Istis quibus utendum est, tendentes
ad beatitudinem adiuvamur et quasi adminiculamur, ut ad illas res quae nos
beatos faciunt, pervenire eisque inhaerere possimus". |
Chapitre 2, 1. Il traite des choses universellement. ¨Il faut donc, comme le dit Augustin dans le même
traité, considérer ce point, à savoir qu’autres sont les choses dont il faut
jouir, autres celles dont il faut user, autres encore celle dont il faut
jouir et user. Celles dont il faut jouir nous rendent heureux. Et tendant au
bonheur, nous sommes aidés et comme appuyés par les choses dont il faut user
pour que par elles nous puissions parvenir et nous attacher à ces choses qui
nous rendent heureux¨. |
2. De rebus quae fruuntur et utuntur*. "Res vero,
quae fruuntur et utuntur, nos sumus, quasi inter utrasque constituti",
et Angeli sancti (Angeli et Sancti al.). |
2. Il traite des choses dont on jouit et dont on use*. ¨Nous sommes les choses dont on jouit et dont on use, étant établis, comme les saints Anges (les Anges et les Saints), comme entre les deux premières sortes de choses. |
3. Quid sit frui et uti*. "Frui autem est amore
inhaerere alicui rei propter se ipsam ; uti vero, id quod in usum venerit
referre ad obtinendum illud quo fruendum est, alias abuti est, non uti, nam
usus illicitus abusus vel abusio nominari debet". |
3. Qu’est-ce que jouir et
user. ¨Mais jouir, c’est
s’attacher par amour à une chose pour elle-même ; mais user, c’est
rapporter ce dont on use à l’obtention de ce dont il faut jouir, autrement il
s’agit d’un abus et non d’un usage car on doit appeler abus ou mauvais usage
l’usage qui n’est pas légitime¨. |
4. De rebus quibus fruendum
est*. "Res igitur quibus fruendum est, sunt Pater et Filius et Spiritus
Sanctus. Eadem tamen Trinitas quaedam summa res est communisque omnibus
fruenitibus ea, si tamen res dici debet et non rerum omnium causa, si tamen
et causa. Non enim facile potest invenire nomen quod tantae excellentiae
conveniat, nisi quod melius dicitur Trinitas haec unus Deus". |
4. Des choses dont il faut jouir*. ¨Donc les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Cependant la même Trinité est la chose ou la réalité la plus élevée et elle est commune à toutes les choses qui en jouissent, si cependant elle doit être appelée chose plutôt que cause de toutes les choses, si cependant il s’agit bien ici de cause. Il n’est pas facile en effet de trouver un nom qui convienne à une réalité aussi excellente à moins qu’on ne dise d’une manière plus heureuse que cette Trinité est un seul Dieu¨. |
5. De rebus quibus utendum
est*. Res autem, quibus utendum est, mundus est et in eo creata. Unde
Augustinus in eodem : "Utendum est hoc mundo, non fruendum, ut
invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciantur, id est ut de
temporalibus aeterna capiantur". - Item in eodem (c. XXII) : "In omnibus
rebus illae tantum sunt quibus fruendum est, quae aeternae et incommutabiles
sunt ; ceteris autem utendum est, ut ad illarum perfruitionem
perveniatur". Unde Augustinus in libro decimo De Trinitate (cap. X, 13)
: "Fruimur cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata
conquiescit ; utimur vero eis quae ad aliud referimus quo fruendum est". |
5. Au sujet des choses dont
il faut user*. ¨Mais les choses dont il faut user sont le monde et ce qui
y a été créé. C’est pourquoi Augustin dit dans le même livre : ¨Il faut
user de ce monde et non en jouir pour que les réalités invisibles se
rapportant à Dieu soient comprises au moyen de celles qui ont été créées,
c’est-à-dire pour que ce qui est éternel soit saisi à partir de ce qui est
temporel¨. – Et de plus, dans le même livre (c. XXII) : ¨Parmi
toutes les choses, il ne faut jouir que de celles-là seules qui sont
éternelles et immuables ; et il ne faut qu’user des autres pour qu’au
moyen de ces dernières on parvienne à la jouissance des premières¨. C’est
pourquoi Augustin dit au dixième livre (ch. X, 13) de son traité de La
Trinité : ¨Nous jouissons des connaissances dans lesquelles la
volonté se repose avec complaisance pour elles-mêmes ; mais nous usons
de celles que nous rapportons à une autre dont nous devons jouir¨. |
Cap 3. 1. Item quid
intersit inter frui et uti, aliter quam supra. Notandum vero, quod idem
Augustinus in libro decimo De Trinitate, aliter quam supra
accipiens uti et frui, sic dicit : "Uti est assumere aliquid in
facultatem voluntatis ; frui autem est uti cum gaudio, non adhuc spei, sed
iam rei. Ideoque omnis qui fruitur, utitur : assumit enim aliquid in
facultatem voluntatis cum fine delectationis ; non autem omnis qui utitur, et
fruitur, si id quod in facultatem voluntatis assumit, non propter ipsum, sed
propter aliud appetivit". - Et attende quia videtur Augustinus dicere
illos frui tantum qui in re gaudent, non iam in spe ; et ita in hac vita non
videmur frui, sed tantum uti, ubi gaudemus in spe, cum supra dictum sit frui
esse "amore inhaerere alicui rei propter se", qualiter etiam hic
multi adhaerent Deo. |
Ch. 3. 1. En outre qu’y a-t-il entre la jouissance et l’usage et qui diffère de ce qui a été dit plus haut ? Mais il faut remarquer qu’Augustin, au dixième livre De la Trinité, parle autrement de la jouissance et de l’usage qu’il ne le fait plus haut lorsqu’Il dit : ¨User, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté ; mais jouir, c’est user d’une chose avec joie, non pas dans l’espoir de posséder la chose, mais dans la chose déjà possédée. Et c’est pourquoi on se trouve à user de tout ce dont on jouit : on dispose en effet d’une chose dans la faculté de la volonté, chose qui s’accompagne de délectation ; mais on ne jouit pas de tout ce dont on use si ce dont on dispose dans la faculté de la volonté n’est pas désiré pour soi-même mais pour autre chose¨. – Et il faut ici faire attention car Augustin semble dire que ce sont seulement ceux qui se délectent dans la chose possédée qui jouissent et non pas ceux qui espèrent la posséder ; et ainsi en cette vie il semble que nous ne jouissions pas mais que nous usons seulement, là où notre joie en est une d’espérance, alors que nous avons dit plus haut que jouir, c’est ¨être attaché par amour à une chose pour elle-même¨, et que plusieurs, même ici, sont attachés à Dieu de cette manière. |
2.
Determinatio eorum quae videntur contraria. Haec ergo, quae sibi contradicere
videntur, sic determinamus, dicentes nos et hic et in futuro frui, sed ibi
proprie et perfecte et plene, ubi per speciem videbimus quo fruemur ; hic
autem, dum in spe ambulamus, fruimur quidem, sed non adeo plene. Unde in
libro decimo De Trinitate : "Fruimur cognitis in quibus voluntas
est". Idem in libro De Doctrina christiana ait : "Angeli illo
fruentes iam beati sunt, quo et nos frui desideramus ; et quantum in hac vita
iam fruimur, vel per speculum vel in aenigmate, tanto nostram peregrinationem
et tolerabilius sustinemus et ardentius finire cupimus". |
2. Réponse
aux difficultés. Nous répondons donc de la manière suivante à ce qui semble
faire difficulté en disant que nous jouissons à la fois maintenant et dans le
futur, mais là à proprement parler, parfaitement et en plénitude où nous
verrons par essence ce dont nous jouirons; mais ici, tant que nous marchons
dans l’espérance, nous jouissons certes, mais non pas parfaitement. C’est
pourquoi au dixième libre De La Trinité on lit: ¨Nous jouissons des
connaissances dans lesquelles la volonté se tient¨. De même dans le libre
De La Doctrine chrétienne Augustin dit: ¨Les Anges sont déjà heureux alors
qu’ils jouissent de Celui dont nous désirons jouir; et plus nous jouissons
déjà en cette vie, soit comme par un miroir, soit par énigme, plus nous
supportons avec une plus grande tolérance notre voyage et désirons plus
ardemment en arriver au terme¨. |
Alia determinatio*. Potest
etiam dici quod qui fruitur etiam in hac vita, non tantum habet gaudium spei,
sed etiam rei, quia iam delectatur in eo quod diligit, et ita iam rem
aliquatenus tenet. |
Autre réponse*. On peut aussi dire que celui qui jouit déjà en cette vie ne possède pas seulement une joie dans l’espérance de la chose, mais aussi une joie dans la chose elle-même parce qu’il se délecte déjà dans l’objet de son amour et qu’il le possède déjà ainsi d’une certaine manière. |
- 3. Constat ergo, quia
debemus Deo frui et non uti. "Illo enim, ut ait Augustinus, frueris, quo
efficeris beatus (…) et in quo spem ponis, ut ad id pervenias". De hoc
idem ait in libro De Doctrina christiana : "Dicimus ea re nos frui, quam
diligimus propter se, et ea re nobis fruendum esse tantum, qua efficimur
beati, ceteris vero utendum". - Frequenter tamen "dicitur frui, cum
delectatione uti. Cum enim adest quod diligitur, etiam delectationem secum
gerit. Si tamen per eam transieris, et ad illud ubi permanendum est eam
retuleris, uteris ea, et abusive, non proprie diceris frui. Si vero
inhaeseris atque permanseris, finem in ea ponens laetitiae tuae, tunc vere et
proprie frui dicendus es : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id
est in summo et incommutabili bono". |
3. Il est donc clair que nous
devons jouir de Dieu et non en user. Comme le dit Augustin, ¨tu jouiras de
Celui par lequel tu sera rendu heureux (…) et dans lequel tu places ton
espoir afin de t’y unir ¨. Et il dit la même chose à ce sujet dans
son livre De La Doctrine chrétienne : ¨Nous
disons que nous jouissons de cette chose que nous aimons pour elle-même et
nous ne devons jouir que de cette seule chose qui nous rend heureux mais user
de toutes les autres¨. – Cependant, ¨jouir se dit souvent de l’usage
qui s’accompagne de délectation. Lorsqu’en effet l’objet de l’amour est
présent, il apporte aussi avec lui la délectation. Si cependant tu passes par
elle et que, la ramenant là où il faut demeurer, tu t’en sers,
alors c’est de façon abusive et non pas à proprement parler qu’on devra dire
que tu en jouis. Mais si tu t’y attaches et que tu y demeures, plaçant en
elle la fin de ta joie, alors c’est en vérité et à proprement parler qu’on
dira de toi que tu en jouis : ce qui ne doit avoir lieu que pour cette
Trinité, à savoir pour le bien par excellence et immuable¨. |
4. Utrum hominibus sit
utendum vel fruendum. Cum autem homines qui fruuntur et utuntur aliis rebus,
res aliquae sint, quaeritur "utrum frui se debeant, an uti, an
utrumque". Ad quod sic respondet Augustinus in
libro De Doctrina christiana., cap. XXII : "Si propter se homo
diligendus est, fruimur eo ; si propter aliud, utimur eo. Videtur autem mihi
propter aliud diligendus. Quod enim propter se diligendum est, in eo
constituitur beata vita, cuius etiam spes hoc tempore nos consolatur".
In homine autem spes ponenda non est, quia "maledictus" est qui hoc
facit. Ergo si liquide advertas, nec se ipso quisquam frui debet, quia non se
debet diligere propter se, sed propter illud quo fruendum est". |
4. S’il faut user ou jouir des hommes. Mais puisque les hommes qui se servent des autres choses sont eux aussi en quelque sorte des choses, on se demande ¨ s’il doivent jouir, user, ou à la fois jouir et user les uns des autres¨. Et c’est de la manière suivante qu’Augustin répond à cette question dans le livre De La Doctrine Chrétienne (ch. XXII) : ¨ Si c’est pour lui-même que l’homme doit être aimé, alors nous en jouissons ; si c’est en vue d’autre chose, alors nous en usons. Mais il me semble que c’est en vue d’autres chose qu’il doit être aimé. En effet, ce qui doit être aimé pour soi-même, c’est en cela même que doit consister la vie heureuse dont l’espérance en cette vie nous console¨. Mais l’espérance ne doit pas être placée en l’homme car ¨maudit¨ est celui qui fait cela. Donc, si tu vois avec netteté, personne ne doit jouir de lui-même car personne ne doit s’aimer pour lui-même mais pour ce dont il doit jouir¨. |
5. Huic autem contrarium
videtur quod Apostolus, ad Philemonem loquens, ait : "Ita, frater, ego
te fruar in Domino." Quod ita determinat Augustinus : "Si dixisset
tantum 'te fruar', et non addidisset 'in Domino', videretur finem dilectionis
ac spem constituisse in eo ; sed quia illud addidit, in Domino se finem
posuisse eodemque frui significavit". "Cum enim, ut idem Augustinus
ait, homine in Deo frueris, Deo potius quam homine frueris". |
5. Mais ce que l’Apôtre dit
en s’adressant à Philémon semble s’opposer à cela : ¨Ainsi mon frère,
je jouis de toi dans le Seigneur¨. Ce que précise Augustin de la manière
qui suit : ¨S’il avait dit seulement ¨je jouis de toi¨, et qu’il
n’avait pas ajouté ¨dans le Seigneur¨, la finalité de l’amour ainsi que
l’espérance aurait paru avoir été placé en lui ; mais parce qu’il a
ajouté cela, il a placé sa finalité dans le Seigneur et il a signifié par là
que sa jouissance est en Lui¨. Augustin dit encore la même chose
autrement : ¨En effet, lorsque tu jouis de l’homme en Dieu, tu jouis
davantage de Dieu que de l’homme¨. |
6. Hic
quaeritur utrum Deus fruatur an utatur nobis. Sed cum Deus diligat nos, ut
frequenter Scriptura dicit, quae "eius dilectionem erga nos multum
commendat", quaerit Augustinus, quomodo diligit, an ut utens, an ut
fruens. - Et procedit ita : "Si fruitur nobis, eget bono nostro : quod nemo
sanus dixerit. Ait enim Propheta : 'Bonorum meorum non indiges' ; omne enim
bonum nostrum vel ipse est, vel ab ipso est. Non ergo fruitur nobis, sed
utitur. Si enim nec fruitur nobis nec utitur, non invenio, quomodo diligat
nos. Neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis rebus. Nos enim res quibus
utimur, ad id referimus ut Dei bonitate perfruamur ; Deus vero ad suam
bonitatem usum nostrum refert. Ille enim miseretur nostri propter suam
bonitatem, nos autem nobis invicem propter illius bonitatem ; ille nostri
miseretur ut se perfruamur, nos vero invicem nostri miseremur ut illo
fruamur. Cum enim nos alicuius miseremur et alicui consulimus, ad eius quidem
facimus utilitatem eamque intuemur ; sed et nostra fit consequens, cum
misericordiam quam aliis impendimus, non reliquit Deus sine mercede. Haec
autem merces summa est, ut ipso perfruamur". - Item "quia bonus est
sumus, et in quantum sumus, boni sumus. Porro quia etiam iustus est, non
impune mali sumus ; et in quantum mali sumus, in tantum etiam minus sumus. Ille
igitur usus, quo nobis utitur Deus, non ad eius, sed ad nostram utilitatem
refertur, ad eius vero tantummodo bonitatem". |
6. On se demande ici si Dieu
jouit ou use de nous. Mais puisque Dieu nous aime,
ainsi que les Écritures, qui louent abondamment son amour pour nous, nous
l’affirment souvent, Augustin se demande de quelle manière il nous aime:
est-ce en tant qu’il se sert de nous ou en tant qu’il jouit de nous? – Et il
procède ainsi: ¨S’il jouit de nous, il a besoin de nous comme d’un bien:
ce qu’aucune personne saine d’esprit ne dira. Le Prophète dit en effet: ¨Tu
n’as pas besoin de mes biens¨: en effet, la totalité de notre bien consiste
en Lui ou vient de Lui. Donc, il ne jouit pas de nous mais plutôt il se sert
de nous. Si en effet il ne jouit pas de nous et qu’il ne se sert pas de nous,
je ne vois pas comment il nous aime. Et cependant il ne se sert pas de nous
comme nous nous servons des autres choses. En effet, les choses dont nous
nous servons, c’est à Lui que nous les rapportons pour jouir de sa Bonté; mais
c’est à sa bonté que Dieu rapporte notre usage. Ce dernier en effet a pitié
de nous à cause de sa bonté, et nous avons mutuellement pitié les uns des
autres à cause de sa bonté; il a pitié de nous pour que nous jouissions de
Lui alors que nous avons mutuellement pitié de nous pour jouir de Lui. En
effet, lorsque nosu avons pitié de quelqu’un et que nous en prenons soin,
nous le faisons à son profit et c’est ainsi que nous le considérons; mais il
s’ensuit aussi un profit pour nous car la pitié que nous accordons aux autres
ne laisse pas Dieu sans recompense. Et cette recompense est la plus grande
qui soit, laquelle consiste à ce que nous jouissions de Lui¨. En outre, ¨c’est
parce qu’Il est bon que nous sommes et dans la mesure où nous avons de
l’être, nous sommes bons. Mais de plus, parce qu’Il est aussi juste, ce n’est
pas impunément que nous sommes mauvais; et dans la mesure où nous sommes
mauvais, dans la même mesure nous avons aussi moins d’être. Donc cet usage
par lequel Dieu se sert de nous ne se rapporte pas à son profit mais au nôtre
mais il ne doit être attribué qu’à sa seule bonté¨. |
7.
Utrum fruendum an utendum sit virtutibus. Hic considerandum est utrum virtutibus
sit utendum an fruendum. - Quibusdam videtur quod eis sit utendum, et non
fruendum. Et hoc confirmant auctoritate Augustini, qui, ut praetaxatum est,
dicit "non esse fruendum nisi Trinitate, id est summo et incommutabili
bono". - Item dicunt ideo non esse fruendum eis, quia propter se amandae
non sunt, sed propter aeternam beatitudinem ; illud autem quo fruendum est,
propter se amandum est. - Sed quod virtutes propter se amandae non sunt, immo
propter solam beatitudinem, probant auctoritate Augustini, qui in libro
decimo tertio De Trinitate contra quosdam ait : "Forte virtutes, quas
propter solam beatitudinem amamus, sic persuadere nobis audent ut ipsam
beatitudinem non amemus ; quod si faciunt, etiam ipsas utique amare
desistimus, quando illam, propter quam solam istas amavimus, non
amamus". Ecce his verbis videtur Augustinus ostendere, quod virtutes non
propter se, sed propter solam beatitudinem amandae sint. Quod si ita est,
ergo eis fruendum non est. |
7. Faut-il jouir ou user des
vertus ? Il faut ici considérer s’il
faut user ou jouir des vertus. – Il semble à certains qu’il faille en user et
non en jouir. Et ils confirment cela par l’autorité d’Augustin qui, comme il
l’a stipulé, ¨qu’on ne doit jouir que de la Trinité, c’est-à-dire du bien
par excellence et immuable¨. – En outre ils disent que la raison pour
laquelle on ne doit pas en jouir, c’est parce qu’elles ne doivent pas être
aimées pour elles-mêmes mais en vue du bonheur éternel ; mais ce dont il
faut jouir doit être aimé pour soi-même. – Mais que les vertus ne doivent pas
être aimées pour elles-mêmes mais plutôt en vue de la seule béatitude, ils le
prouvent par l’autorité d’Augustin qui dit, pour s’opposer à l’opinion
contraire dans le treizième livre faisant partie de son traité De
La Trinité : ¨À moins qu’ils osent nous persuader, puisque
nous n’aimons les vertus qu’en vue de la seule béatitude, que nous n’aimons
pas la béatitude elle-même ; si c’est le cas, nous devons cesser de les
aimer elles aussi alors même que nous n’aimons pas celle-ci en vue de
laquelle nous aimons celles-là¨. Et voici que par ces paroles Augustin
semble montrer que les vertus ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes,
mais uniquement en vue de la seule béatitude. |
8. Aliis vero contra
videtur, scilicet quod eis fruendum sit, quia propter se petendae et amandae
sunt. Et hoc confirmant auctoritate Ambrosii, qui ait super illum locum
Epistolae ad Galatas : 'Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax,
patientia etc. ' : "Haec non nominat opera, sed fructus, quia propter se
petenda sunt". Si vero propter se petenda sunt, ergo propter se amanda. |
8. Mais il semble à d’autres au contraire qu’il faille jouir des vertus car elles doivent être recherchées et aimées pour elles-mêmes. Et ils confirment cela par l’autorité d’Ambroise qui dit sur ce passage de l’Épître aux Galates (5, 22) : ¨Mais les fruits de l’Esprit sont l’amour, la joie, la paix, la patience, etc.¨ : ¨Et il ne les appelle pas œuvres mais fruits parce qu’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes¨. Mais s’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes, ils doivent donc être aimés pour eux-mêmes. |
9. Nos autem harum quae videtur auctoritatum
repugnantiam de medio eximere cupientes, dicimus quod virtutes propter se
petendae et amandae sunt, et tamen propter solam beatitudinem. Propter se
quidem amandae sunt, quia delectant sui possessores sincera et sancta
delectatione, et in eis pariunt gaudium spirituale. Verumtamen non est hic
consistendum, sed ultra gradiendum. Non hic haereat dilectionis gressus,
neque hic sit dilectionis terminus, sed referatur hoc ad illud summum bonum
cui soli omnino inhaerendum est, quia illud propter se tantum amandum est, et
ultra illud nihil quaerendum est : illud est enim supremus finis. - Ideo
Augustinus dicit quod eas diligimus propter solam beatitudinem, non quin eas
propter se diligamus, sed quia id ipsum, quod eas diligimus, referimus ad
illud summum bonum cui soli inhaerendum est ; et in eo permanendum finisque
laetitiae ponendus. Quare virtutibus non est fruendum. |
9. Désirant donc retirer de
l’opinion commune l’apparente contradiction qui ressort de ces autorités,
nous disons que les vertus doivent être recherchées et aimées pour
elles-mêmes, mais qu’elles doivent cependant l’être en vue de la seule
béatitude. Elles doivent certes être aimées pour elles-mêmes parce qu’elles
réjouissent d’une sainte et sincère délectation ceux qui la possèdent et
elles engendrent en eux une joie spirituelle. Et pourtant il ne faut pas
d’arrêter ici mais plutôt poursuivre la marche. Ce n’est pas ici que se fixe
la progression de l’amour et ce n’est pas ici que se trouve le terme de l’amour,
lequel terme s’attribue plutôt au plus grand bien auquel seul il convient de
s’attacher d’une manière absolue et car lui seul doit être aimé pour lui-même
et au-delà duquel rien ne doit être recherché : telle est en effet la
finalité ultime. – C’est pour cette raison qu’Augustin dit que nous aimons
les vertus en vue de la seule béatitude, non pas que nous ne les aimions pas
pour elles-mêmes, mais parce que cela même que nous aimons, nous le
rapportons au bien par excellence auquel seul il faut s’attacher ; et
c’est en lui qu’il faut demeurer et que la finalité de la joie doit être
placée. Et c’est pourquoi il ne faut pas jouir des vertus. |
10. Sed dicet aliquis : "Frui est amore inhaerere
alicui rei propter se ipsam", ut praedictum est ; si ergo virtutes propter
se amandae sunt, et eis fruendum est. - Ad quod dicimus : In illa
descriptione, ubi dicitur 'propter se ipsam', intelligendum est 'tantummodo',
ut scilicet ametur propter se ipsam tantum, ut non referatur ad aliud, sed
ibi ponatur finis, ut supra ostendit Augustinus dicens : "Si inhaeseris
atque permanseris, finem ponens laetitiae, tunc vere et proprie frui dicendus
est : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id est summo et
incommutabili bono". - Utendum est ergo virtutibus, et per eas fruendum
summo bono. Ita et de voluntate bona dicimus ; Unde Augustinus in libro
decimo De Trinitate ait : "Voluntas est per quam fruimur". Ita et
per virtutes fruimur, non eis, nisi forte aliqua virtus sit Deus, ut caritas,
de qua post tractabitur. |
10. Mais quelqu’un dira : ¨Jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour elle-même¨, ainsi que nous l’avons déjà dit ; si donc les vertus doivent être aimées pour elles-mêmes, on doit donc en jouir. – Voici ce que nous répondons à cela : Dans cette définition, là où nous disons ¨pour elle-même¨, il faut comprendre ¨seulement¨, c’est-à-dire que l’objet de l’amour soit aimé pour lui seul de telle manière qu’il ne soit pas ordonné à quelque chose d’autre mais que ce soit en lui que la finalité est placée, comme le montre plus haut Augustin lorsqu’il dit : ¨Si tu t’attaches et que tu demeures dans l’objet dans lequel tu places la finalité de la joie, c’est alors qu’on devra dire de toi que tu jouis en vérité et à proprement parler : ce qui ne doit être fait qu’à l’égard de cette Trinité, laquelle est le bien par excellence et immuable¨. – Il faut donc user des vertus et par elles jouir du bien suprême. Et c’est de cette manière que nous parlons de la bonne volonté ; c’est pourquoi Augustin dit, au dixième livre de son traité intitulé De la Trinité : ¨C’est par la volonté que nous jouissons¨. Ainsi, c’est au moyen des vertus que nous parvenons à la jouissance, non pas des vertus elles-mêmes, à moins peut-être qu’une des vertus ne soit Dieu lui-même en tant que charité, ce dont nous traiterons par la suite. |
11. Epilogus. "Omnium
igitur, quae dicta sunt ex quo de rebus specialiter tractavimus, haec summa
est" : quod aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum, aliae
quae fruuntur et utuntur ; et inter eas quibus utendum est, quaedam sunt per
quas fruimur, ut virtutes et potentiae animi, quae sunt naturalia bona. De
quibus omnibus, antequam de signis tractemus, agendum est ; ac primum de
rebus quibus fruendum est, scilicet de sancta atque individua Trinitate. |
11. Épilogue. ¨Donc, de tout ce dont
nous avons parlé et à partir de quoi nous avons traité des choses en
particulier, voici la plus importante¨ : autres sont les choses dont
il faut jouir, autres sont celles dont il faut user, autres sont celles dont
il faut jouir et user : et parmi celles dont il faut user, il y a celles
au moyen desquelles nous jouissons, comme les vertus et les puissances de
l’âme, lesquelles sont des biens naturels. Et nous devons examiner tout cela
avant même de traiter des signes ; et nous devons en premier lieu
examiner les choses dont il faut jouir, c’est-à-dire de la sainte et unique
Trinité. |
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Distinctio 1 |
Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
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Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ? Article 2 – Utiliser est-il un acte de la raison ? Question 2 Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ? Article 2 – Jouir de Dieu, est-ce une seule jouissance ? Question 3 Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ? Question 4 Article 1 – Convient-il de jouir de toutes choses ? Article 2 – L’usage convient-il à ceux qui sont dans la patrie ? |
Super Sent., lib. 1 d. 1 q.
1 pr. Finito prooemio, hoc est initium praesentis operis in quo Magister
divinorum nobis doctrinam tradere intendit quantum ad inquisitionem veritatis
et destructionem erroris : unde et argumentativo modo procedit in toto opere
: et praecipue argumentis ex auctoritatibus sumptis. Dividitur autem in duas
partes : in quarum prima inquirit ea de quibus agendum est, et ordinem agendi
; in secunda prosequitur suam intentionem : et in duas partes dividitur.
Secunda ibi : hic considerandum est utrum virtutibus sit utendum, an
fruendum. |
Le proème étant terminé, voici le commencement du présent ouvrage dans lequel le Maître cherche à nous transmettre la doctrine ayant pour objet les choses divines, à la fois quant à la recherche de la vérité et quant à la réfutation de l’erreur : c’est pourquoi, dans tout l’ouvrage, il procède selon le mode de l’argumentation en se servant surtout d’arguments tirés d’autorités. Et cet ouvrage se divise en deux parties : dans la première il cherche à déterminer les choses dont il faut traiter ainsi que l’ordre selon lequel il faut les traiter ; dans la deuxième il poursuit son propos, laquelle se divise en deux parties. La deuxième partie commence là où il dit : il faut ici considérer s’il faut utiliser les vertus ou bien s’il faut en jouir. |
Ea autem de quibus in hac
doctrina considerandum est, cadunt in considerationem hujus doctrinae,
secundum quod ad aliquid unum referuntur, scilicet Deum, a quo et ad quem
sunt. Et ideo ea de quibus agendum est dividit per absolutum et relatum :
unde dividitur in partes duas. In prima ponit divisionem eorum de quibus
agendum est per absolutum et relatum secundum cognitionem, in secunda
secundum desiderium, ibi : id ergo in rebus considerandum. |
Mais les choses qu’il faut
considérer dans cette doctrine tombent sous la considération de cette
doctrine selon qu’elle se rapportent à quelque chose d’un, à savoir Dieu d’où
elles tirent leur origine et vers lequel elles tendent comme vers leur
finalité. Et c’est la raison pour laquelle il divise les choses dont il faut
traiter selon qu’elles se prennent absolument et relativement : c’est
pourquoi sa division se présente en deux parties. Dans la première il
présente la division des choses dont il faut traiter absolument et
ralativement selon la connaissance alors que dans la deuxième il la présente
selon le désir là où il dit : donc, il faut considérer cela dans
les choses. |
Circa primum duo
facit. Primo ponit divisionem eorum de quibus agendum est, in res et signa,
quae ad cognitionem rerum ducunt ; secundo concludit ordinem agendi, ibi
: cumque his intenderit theologorum speculatio studiosa atque
modesta, divinam Scripturam formam praescriptam in doctrina tenere advertet. |
Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la division, en choses et en signes qui conduisent à la connaissance des choses, des choses dont il faut traiter ; en deuxième lieu il conclut l’ordre selon lequel les traiter, là où il dit : et comme l’étude soignée et modeste des théologiens se sera appliquée à ces choses, elle sera attentive à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine. |
In primo tria facit. et dividitur in partes duas. Primo
ponit divisionem ; secundo probat per auctoritatem, ibi : ut enim
egregius doctor Augustinus ait ; tertio ponit membrorum divisionis
expositionem, ibi : proprie autem hic res appellantur quae non ad significandum
aliquid adhibentur : ubi primo exponit quid sit res ; secundo quid
sit signum, ibi : signa vero quorum usus est in significando ;
tertio utriusque comparationem, ibi : omne igitur signum etiam res
aliqua est. |
Dans la première partie qui
se divise en deux il fait trois choses. En premier lieu il présente la
division ; dans la deuxième il la prouve au moyen d’une autorité, là où
il dit : en effet, comme le dit l’éminent docteur Augustin ;
en troisième lieu il présente l’explication des membres de la division, là où
il dit : mais à proprement parler on appelle ici choses ce qui
n’est pas employé pour signifier quelque chose d’autre : et là il
explique d’abord ce qu’est une chose et en deuxième lieu ce qu’est un signe,
là où il dit : mais les signes dont l’usage consiste à signifier ;
en troisième lieu il explique la comparaison de l’un à l’autre là où il
dit : donc tout signe est aussi une certaine chose. |
Id ergo in rebus
considerandum est. Hic, dimissis signis, subdividit res per absolutum et relatum ex
parte desiderii, scilicet per fruibile, quod propter se desideratur, et
utibile, cujus desiderium ad aliud refertur : et dividitur in partes
duas. Primo ponit divisionem ;
secundo epilogat et concludit intentionem et ordinem, ibi : omnium
igitur quae dicta sunt, ex quo de rebus specialiter tractavimus, haec summa
est. Circa primum duo facit. Primo manifestat partes divisionis per
definitiones ; secundo quantum ad supposita, ibi : res igitur quibus
fruendum est, sunt pater, et filius, et spiritus sanctus. |
Voici ce qu’il faut considérer dans les choses. Ici, mettant de côté les signes, il subdivise les choses prises absolument et relativement du côté du désir, c’est-à-dire en objets de jouissance qui sont désirables pour eux-mêmes, et en objets d’usage, dont le désir se rapporte à quelque chose d’autre : et cette section se divise en deux parties. En premier lieu il présente la division ; en deuxième lieu il résume et conclut son propos ainsi que l’ordre à suivre, là où il dit : voici donc la somme de toutes les choses qui ont été dites et à partir desquelles nous avons traité des choses en particulier. Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il manifeste les parties de la division au moyen de définitions ; en deuxième lieu il les manifeste quant à ce qu’elles supposent, là où il dit : donc, les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. |
Circa primum quatuor facit. Primo definit fruibilia per
effectum ; secundo utibilia, ibi : istis quibus utendum est, tendentes
ad beatitudinem adjuvamur ; tertio definit utentia, et fruentia ibi
: res vero quae fruuntur et utuntur, nos sumus ; quarto
definit uti et frui ad probationem totius : frui autem est amore
alicui rei inhaerere propter seipsam. Et eodem ordine procedit
manifestando secundum supposita. Notandum vero, quod idem Augustinus
(...) aliter quam supra accipiens frui et uti, sic dicit. |
Au sujet du premier point il
fait quatre choses. En premier lieu, il définit par l’effet l’objet de
jouissance ; en deuxième lieu l’objet d’usage là où il dit : cherchant
la béatitude, nous sommes aidés par ce dont il faut user ; en
troisième lieu il définit ceux qui usent et ceux qui jouissent là où il
dit : mais nous sommes les choses qui jouissent et usent ;
en quatrième lieu il définit ce qu’est user et jouir pour l’ensemble de la
preuve : mais jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour
elle-même. Et dans le même ordre il procède à la manifestation de la
division selon ce qu’elle suppose : Mais il faut remarquer que le
même Augustin, prenant autrement que plus haut jouir et user, parle ainsi. |
Hic ponit
contrarietatem ad haec tria. Primo ponit diversam assignationem uti et frui ;
secundo concludit contrarietatem ad praedicta, ibi : et attende, quod
videtur Augustinus dicere illos frui tantum qui in re gaudent ;
tertio ponit solutionem, ibi : haec ergo quae sibi contradicere
videntur, sic determinamus. Et primo solvit per divisionem ; secundo per
interemptionem, ibi : potest etiam dici, quod qui fruitur etiam in
hac vita non tantum habet gaudium spei, sed etiam rei. |
Il présente ici une opposition à l’égard de ces trois
points. En premier lieu il présente une définition différente de jouir et
d’user ; en deuxième lieu il conclut le contraire de ce qui a été dit,
là où il dit : et fais attention à ce qu’Augustin semble dire
que seuls jouissent ceux qui se réjouissent dans la chose ; en
troisième lieu il présente la solution là où il dit : nous
résoudrons de la manière suivante ces choses qui semblent se contredire.
Et en premier lieu il résout par une division ; en deuxième lieu, il
résout par réfutation, là où il dit : on peut aussi dire que
celui qui jouit déjà en cette vie ne possède pas seulement une joie en
espérance mais une joie dans la chose. |
"Cum autem homines, qui fruuntur et utuntur aliis
rebus, res aliquae sint, quaeritur, utrum se frui debeant, an uti, an
utrumque". Hic movet dubitationes de habitudine eorum quae pertinent ad
invicem : et primo quaerit de utentibus et fruentibus, an sint utibilia vel
fruibilia ; secundo de fruibilibus, scilicet de Deo, utrum sit utens nobis
vel fruens, ibi : sed cum Deus diligat nos (...) quaerit Augustinus
quomodo diligat, an ut utens, an ut fruens ; tertio de quibusdam
utibilibus, utrum sint fruibilia, ibi : hic considerandum est, utrum
virtutibus sit utendum, an fruendum. Quaelibet harum partium dividitur in
quaestionem et solutionem. |
¨Mais puisque les hommes,
qui jouissent et usent des autres choses, sont eux-mêmes certaines choses, on
demande s’il doivent jouir, user, ou à la fois jouir et user d’eux-mêmes¨.
Il soulève ici des difficultés sur la nature des choses qui
s’attribuent mutuellement: et en premier lieu, il s’interroge sur les
choses qui usent et jouissent pour savoir si elles sont elles-mêmes objets
d’usage ou de jouissance ; en deuxième lieu il s’interroge sur les
objets de jouissance, à savoir sur Dieu pour savoir s’il use ou jouit de
nous, là où il dit : mais puisque Dieu nous aime (…), Augustin
se demande comment il aime, à la manière de celui qui use ou à la manière de
celui qui jouit ; en troisième lieu, il s’interroge sur certains
objets d’usage pour savoir s’ils sont objets de jouissance, là où il
dit : il faut ici examiner s’il faut user des vertus ou en jouir.
Et chacune de ces parties se divise en question et réponse. |
Hic quaeruntur tria :
primo, de uti et frui. Secundo, de utibilibus et fruibilibus. Tertio, de
utentibus et fruentibus. |
La recherche porte ici sur trois points : en premier
lieu sur la nature de l’usage et de la jouissance. En deuxième lieu sur les
objets d’usage et de jouissance. En troisième lieu sur ceux qui usent et
jouissent. |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La jouissance et l’usage] |
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Circa primum quaeruntur duo : 1 quid sit frui secundum
rem ; 2 quid sit uti secundum rem. |
Par rapport au premier point on se demande deux
choses : premièrement ce que c’est réellement que jouir ;
deuxièmement ce que c’est réellement qu’user. |
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Articulus 1 [64] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum frui sit actus intellectus. |
Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ? |
[65]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod frui sit actus
intellectus. Nobilissimus enim actus est nobilissimae potentiae. Altissima
autem potentia in homine est intellectus. Ergo, cum frui sit perfectissimus
actus hominis, quia ponit hominem in suo fine ultimo, videtur quod sit actus
intellectus. |
Arguments : 1. Au sujet de la première
question on procède ainsi. Il semble que la jouissance soit un acte de
l’intelligence. En effet, l’acte le plus noble procède de la puissance la
plus noble. Mais la puissance la plus noble chez l’homme est l’intelligence.
Donc, puisque la jouissance est l’acte le plus parfait de l’homme puisqu’elle
place l’homme dans sa finalité ultime, il semble qu’elle soit l’acte de
l’intelligence. |
[66] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Augustinus, visio est tota merces.
Sed merces totius meriti consistit in fruitione divinitatis. Ergo fruitio est
essentialiter visio. Sed visio est actus intellectus : ergo et fruitio. |
2. Par ailleurs, comme le dit
Augustin, la vision est la récompense parfaite. Mais la récompense de tout le
mérite consiste à jouir de la divinité. Donc la jouissance est
essentiellement la vision. Mais la vision est l’acte de l’intelligence :
il en est donc de même pour la jouissance. |
[67]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Sed videtur quod sit actus
voluntatis. Actus
enim determinatur ex objecto. Sed objectum fruitionis est fruibile, quod est
finis ultimus. Finis autem, cum rationem boni habeat, est objectum
voluntatis. Ergo et frui est actus voluntatis. |
3. Mais il semble que la
jouissance soit l’acte de la volonté. En effet, un acte se définit à partir
de son objet. Mais l’objet de la jouissance est ce dont on peut jouir qui est
la fin ultime. Mais la fin, parce qu’elle a raison de bien, est l’objet de la
volonté. La jouissance est donc l’acte de la volonté. |
[68] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, Augustinus, definit fruitionem per voluntatem dicens : fruimur
cognitis, in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit. Ergo
magis videtur esse actus voluntatis quam intellectus. |
4. Par ailleurs, Augustin
définit la jouissance par la volonté lorsqu’il dit : nous
jouissons des choses qu’on connaît dans lesquelles et pour elles-mêmes la
volonté se repose avec complaisance. La jouissance semble donc être
davantage l’acte de la volonté que celui de l’intelligence. |
[69]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit actus omnium
potentiarum. Praemium enim respondet merito. Sed homo meretur per omnes
potentias. Ergo
et secundum omnes praemiabitur. Sed praemium est ipsa fruitio : ergo fruitio
est omnium potentiarum. |
5. En outre, il semble que la
jouissance soit l’acte de toutes les puissances. En effet, la recompense
correspond au mérite. Mais c’est au moyen de toutes les puissances que
l’homme est digne de mérite et c’est donc grâce à elles qu’il sera
recompensé. Mais la recompense est la jouissance elle-même: la jouissance est
donc l’acte de toutes les puissances. |
[70] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo inveniet pascua
interius in divinitate salvatoris, et exterius in humanitate. Ergo videtur
quod tam vires exteriores quam interiores fruentur. |
6. Par ailleurs Augustin dit
que l’homme trouvera sa nourriture intérieure dans la divinité du sauveur et
sa nourriture extérieure dans son humanité. Il semble donc que la jouissance
appartienne aussi bien aux puissances extérieures qu’à celles qui sont
intérieures. |
[71]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 7 Sed videtur quod nullius potentiae
sit. Omnis
enim actus denominatur a potentia cujus est, sicut intelligere ab intellectu.
Sed frui non denominatur ab aliqua potentia. Ergo et cetera. |
7. Mais il semble que la
jouissance n’appartienne à aucune puissance. Tout acte en effet est dénommé
par la puissance d’où il procède, comme l’acte d’intelliger est dénommé par
cette puissance qu’est l’intelligence. Mais la jouissance n’est dénommée à partir
d’aucune puissance. Elle n’appartient donc à aucune puissance. |
[72] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 8 Unde ulterius quaeritur, cujus habitus actus sit : et
videtur quod tantum caritatis. Sicut enim dicitur 1 Corinth. 13, caritas
virtus perfecta est. Sed, secundum philosophum, felicitas est operatio
virtutis perfectae. Ergo fruitio, in qua est tota nostra felicitas, est actus
caritatis. |
8. À partir de là on se
demande par la suite de quel habitus la jouissance est l’acte : et il
semble qu’elle soit l’acte de la seule charité. En effet, comme le dit
l’Apôtre dans sa première Épître aux Corinthiens (ch. 13), la charité est la
vertu parfaite. Mais d’après le Philosophe, la félicité est l’opération de la
vertu parfaite. Donc la jouissance, dans laquelle consiste toute notre
félicité, est l’acte de la charité. |
[73] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 9 Hoc idem videtur ex definitione Augustini inducta in
littera : frui est amore inhaerere alicui rei propter seipsam. |
9. Il semble que la même conclusion
doive se tirer de la définition présentée dans la lettre : jouir,
c’est s’attacher à une chose pour elle-même par amour. |
[74] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 arg. 10 Sed videtur quod non tantum caritatis. Ad
fruitionem enim tria concurrunt, perfecta visio, plena comprehensio, et
inhaesio amoris consummati. Ergo videtur quod sit actus etiam succedentium fidei,
et spei. |
10. Mais il semble que la
jouissance n’appartienne pas seulement à l’habitus de la charité. En effet,
trois éléments contribuent à la jouissance : la vision parfaite, la
compréhension complète et l’adhésion de l’amour achevé. Il semble donc que la
jouissance soit aussi l’acte de la foi et de l’espérance qui suivent. |
[75] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, secundum fruitionem conjungimur Deo.
Sed omnis virtus conjungit nos Deo, cum virtus sit dispositio perfecti ad
optimum, ut dicitur in 7 Physic. Ergo fruitio est actus secundum omnem
virtutem. |
11. Par ailleurs, c’est pas
la jouissance que nous sommes unis à Dieu. Mais toute vertu nous unit à Dieu,
puisque la vertu est la disposition du parfait à l’égard de ce qu’il y a de
mieux, comme on le dit au septième livre des Physiques. La
jouissance est donc l’acte de toutes les vertus. |
[76] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod fruitio consistit in optima
operatione hominis, cum fruitio sit ultima felicitas hominis. Felicitas autem
non est in habitu, sed in operatione, secundum philosophum. Optima autem
operatio hominis est operatio altissimae potentiae, scilicet intellectus, ad
nobilissimum objectum, quod est Deus : unde ipsa visio divinitatis ponitur
tota substantia nostrae beatitudinis, Joan. 17, 3 : haec est vita
aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum. |
Corps de l’article. Je réponds qu’il faut dire
que la jouissace consiste dans l’opération la plus parfaite de l’homme,
puisqu’elle est sa félicité ultime. Mais la félicité ne se range pas dans un
habitus mais dans une opération d’après le Philosophe. Mais l’opération
parfaite de l’homme est celle de sa puissance la plus élevée, à savoir
l’intelligence, à l’égard de l’objet le plus noble qui est Dieu : c’est
pourquoi c’est dans la vision même de la divinité qu’est placée l’essence de
notre béatitude dans sa totalité, ainsi que le dit Jean dans son évangile
(17, 3) : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, Toi le
seul vrai Dieu. |
Ex visione autem ipsum
visum, cum non videatur per similitudinem, sed per essentiam, efficitur
quodammodo intra videntem, et ista est comprehensio quae succedit spei,
consequens visionem quae succedit fidei, sicut spes quodammodo generatur ex
fide. Ex hoc autem quod ipsum visum receptum est intra videntem, unit sibi
ipsum videntem, ut fiat quasi quaedam mutua penetratio per amorem. Sic
dicitur 1 Joan. 4, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet et Deus
in eo. Ad unionem autem maxime convenientis sequitur delectatio summa ;
et in hoc perficitur nostra felicitas, quam fruitio nominat ex parte sui
complementi, magis quam ex parte principii, cum in se includat quamdam delectationem.
Et ideo dicimus quod est actus voluntatis, et secundum habitum caritatis,
quamvis secundum ordinem ad potentias et habitus praecedentes. |
Mais cela même qui est vu
dans la vision, puisqu’il n’est pas vu par ressemblance mais par essence, est
rendu présent d’une certaine manière à l’intérieur de celui qui voit et cela
est la compréhension qui succède à l’espérance qui suit la vision qui succède
à la foi, tout comme l’espérance est engendrée en quelque sorte à partir de
la foi. Mais du fait que cela même qui est vu est reçu à l’intérieur à
l’intérieur de celui qui voit, il unit à lui celui-là même qui voit, de sorte
qu’il se produit par amour comme une certaine pénétration mutuelle. C’est
ainsi que parle Jean dans sa première Lettre (4, 16) : qui
demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Mais la
plus grande délectation suit l’union à ce qui convient le plus
parfaitement ; et c’est en cela que notre félicité trouve son achèvement
qu’il appelle jouissance du côté de son complément plutôt que du côté de son
principe puisque la félicité implique en elle une certaine délectation. Et
c’est la raison pour laquelle nous disons que la jouissance est un acte de la
volonté et, selon l’habitus, de la charité, bien que ce soit selon le rapport
des puissances aux habitus qui précèdent. |
[77] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod appetitus semper
sequitur cognitionem. Unde, sicut
inferior pars habet sensum et appetitum, qui dividitur in irascibilem et
concupiscibilem, ita suprema pars habet intellectum et voluntatem, quorum
intellectus est altior secundum originem, et voluntas secundum perfectionem.
Et similis ordo est in habitibus, et etiam in actibus, scilicet visionis et
amoris. Fruitio autem nominat altissimam operationem quantum ad sui
perfectionem. |
Solutions. 1. En réponse au premier argument il faut dire que
l’appétit suit toujours la connaissance. De là, tout comme la partie
inférieure possède le sens et l’appétit sensible, lequel se divise en irascible
et concupiscible, ainsi la partie supérieure possède l’intelligence et la
volonté, parmi lesquelles l’intelligence est supérieure quant à l’origine
alors que la volonté est supérieure quant à la perfection. Et le même ordre
se présente dans les habitus et même dans les actes, en l’occurrence pour la
vision et pour l’amour. Mais la jouissance se trouve à dénommer l’opération
qui est supérieure quant à la perfection. |
[78] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 2 Et similiter etiam patet solutio ad secundum : quia visio
non habet perfectam rationem felicitatis, nisi secundum quod est operatio
perfecta per ea quae sequuntur. Perficit enim
delectatio operationem, sicut pulchritudo juventutem, ut dicitur 10 Ethic. |
2. Et c’est de la même
manière qu’apparaît clairement la solution au deuxième argument: car la
vision n’a parfaitement raison de félicité qu’au moyen de ce qui la suit. En
effet, c’est la delectation qui achève et complete la vision, tout
comme la beauté achève et complète la jeunesse, ainsi qu’on le dit au dixième
livre de l’Éthique. |
[79]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Alia duo concedimus. |
3 et 4. Nous concédons les deux autres arguments. |
[80] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad aliud dicendum, quod inferiorum potentiarum non potest esse
fruitio proprie dicta : non enim habent operationem circa finem ultimum, quem
non apprehendunt, cum sint virtutes materiales ; sed sicut nunc intellectus
perficitur accipiendo ab inferioribus potentiis, ita erit in patria e
converso, quod perfectio et gaudium superioris partis redundabit in
inferiores potentias. Unde Augustinus : sensus vertetur in rationem,
inquantum scilicet sua remuneratio et gaudium a ratione emanabit. |
5. Par rapport à cet autre
argument il faut dire qu’il ne peut y avoir jouissance à propremet parler
pour les puissances inférieures : elles ne possèdent pas en effet une
opération qui se rapporte à la fin ultime qu’elles n’appréhendent
pas puisqu’elles sont des puissances matérielles ; mais tout
comme ici-bas notre intelligence parvient à son achèvement en empruntant aux
puissances inférieures, de même dans la patrie céleste à l’inverse la
perfection et l’allégresse de la partie supérieure rejaillira sur les
puissances inférieures. C’est pourquoi Augustin dit : le sens se
changera en raison, c’est-à-dire dans la mesure où sa récompense et sa
joie tirera son origine de la raison. |
[81] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 6 Ad aliud dicendum, quod humanitas Christi non est ultimus
finis : unde in visione ejus non erit proprie fruitio, sed erit quoddam
accidentale gaudium, et non substantialis beatitudo. |
6. Par rapport à cet argument
il faut dire que l’humanité du Christ n’est pas la fin ultime : c’est
pourquoi dans la vision de son humanité il n’y aura pas à proprement parler
jouissance, mais il y aura une certaine joie accidentelle et non pas la
béatitude prise essentiellement. |
[82] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 7 Ad aliud
dicendum, quod quando aliquis actus est absolute alicujus potentiae,
denominatur ab illa, sicut intelligere ab intellectu ; sed quando est actus
unius potentiae secundum ordinem ad alteram, a nulla denominatur ; sicut
scire est actus rationis secundum ordinem ad intellectum inquantum principia
deducit in conclusiones ; similiter frui est actus voluntatis consequens
actum intellectus, scilicet apertam Dei visionem. |
7. Quant au septième argument
il faut dire que quand un acte appartient absolument à une puissance, c’est
d’elle qu’il tient sa dénomination, comme c’est le cas pour intelliger par
rapport à l’intelligence ; mais quand un acte appartient à a une
puissance mais d’après un rapport à une autre, alors il n’est dénommé par
aucune ; par exemple, savoir est un acte de la raison quant à son
rapport à l’intelligence selon qu’il tire les conclusions des principes ;
de la même manière la jouissance est l’acte de la volonté qui suit l’acte de
l’intelligence, ce dernier consistant en une claire vision de Dieu. |
[83]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 8 Alia duo concedimus. |
8 et 9. Nous concédons ces
deux autres arguments. |
[84] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 10 Ad alia patet solutio per ea quae dicta sunt :
quia, quamvis tria concurrant ad fruitionem, tamen in amore perficitur, ut
prius, in corp. art., dictum est. |
10. La solution à cet autre argument devient claire au moyen de ce qui a été dit : car, bien que ces trois éléments contribuent à la jouissance, c’est cependant par l’amour qu’elle trouve sa perfection ainsi que nous l’avons dit précédemment dans le corps de l’article. |
[85] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 1 ad 11 Ad ultimum dicendum, quod aliae virtutes conjungunt Deo per
modum meriti et dispositionis, sed sola caritas per modum perfectae unionis. |
11. Il faut dire à la fin que
les autres vertus nous unissent à Dieu par le mérite et la disposition, mais
seule la charité nous unit à Lui à la manière d’une union achevée. |
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Articulus 2 [86] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum uti sit actus rationis |
Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ? |
[87]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur.
Videtur quod uti sit actus rationis. Ordinare enim unum ad alterum est
potentiae conferentis, cujusmodi est ratio. Sed uti dicit
ordinem ad finem. Ergo est actus rationis. |
Arguments : 1. On procède de la manière suivante quant au second article. Il semble que l’usage soit un acte de la raison. En effet, ordonner quelque chose à quelque chose d’autre appartient à la puissance qui compare, et la raison est une puissance de cette sorte. Or l’usage signifie que quelque chose est ordonné à une fin. Il est donc un acte de la raison. |
[88]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut dicit philosophus,
ordinatio eorum quae sunt ad finem et inventio finis pertinent ad
prudentiam. Prudentia
autem est habitus rationis. Ergo et uti, quod dicit talem ordinationem, est
actus rationis. |
2. Par ailleurs, comme le dit
le Philosophe, l’ordre des moyens à la fin et la découverte de la fin
relèvent de la prudence. Mais la prudence est un habitus de la raison. Donc
l’usage, qui implique un tel ordre, est un acte de la raison. |
[89] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed videtur quod sit actus voluntatis, quia voluntas
ponitur in definitione ejus : uti enim est assumere aliquid in facultatem
voluntatis. |
Au contraire : 1. Mais il semble que l’usage soit un acte de la volonté
car la volonté est placée dans la définition de l’usage : user en effet
c’est disposer d’une chose dans la faculté de la volonté. |
[90]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, illud ordinatur ad
finem quod finem consequitur. Sed frui, dicit consecutionem finis, [uti vero
dicit ordinem ad finem, ergo ejusdem est fruit et uti om. Éd. De
Parme] sed frui est actus voluntatis, ut dictum est, in articulo
antecedente. Ergo
et uti. |
2. De plus, est ordonné à la fin ce qui obtient la fin.
Mais la jouissance signifie l’obtention de la fin (mais l’usage signifie
l’ordre des moyens à la fin et il appartient donc à la même faculté de jouir
et d’user) et la jouissance est un acte de la volonté ainsi que nous l’avons
dit dans l’article précédent. Donc, l’usage est aussi un acte de la volonté. |
[91]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod uti dicitur
multipliciter. Aliquando enim nominat quamlibet operationem, secundum quod
dicimus usum alicujus rei esse bonum vel malum ; et secundum hoc videtur
definiri ab Augustino : uti est assumere aliquid in facultatem
voluntatis ; idest, ut operemur de eo quo utimur ad nutum
voluntatis. Aliquando dicit frequentiam operationis, secundum quod usus est idem
quod consuetudo : et sic definit Victorinus : usus est actus
frequenter de potentia elicitus. Sed utroque modorum istorum est actus
cujuslibet potentiae. Dicitur etiam aliquando uti eorum quae ad finem
ordinantur aliquem ; et sic uti sumitur hic quantum ad primam definitionem
quae ponitur. Illud autem quod est ad finem,
inducitur ad finem suum tribus operationibus. Prima est operatio rationis
praestituentis finem et ordinantis et dirigentis in ipsum. Secunda
est operatio voluntatis imperantis. Tertia est operatio virtutis motivae
exequentis. Uti autem nominat executionem ejus quod ad finem ordinatum est,
non secundum actum proprium alicujus motivarum virium, sed communiter
praesupposita ordinatione in finem. Unde est actus voluntatis, quae est
universalis motor virium secundum ordinem ad rationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’usage se dit en plusieurs sens. Parfois en effet ce terme signifie toute opération selon que nous disons que l’usage d’une chose est bon ou mauvais : et c’est en ce sens que ce terme semble être défini par Augustin : user, c’est en disposer au gré de la faculté de la volonté ; c’est-à-dire de telle manière que nous employions la chose dont nous nous servons conformément aux ordres de la volonté. Mais parfois ce terme signifie la fréquence de l’opération, selon que l’usage signifie la même chose que l’habitude : et c’est ainsi que Victorin le définit : l’usage est l’acte qui est fréquemment choisi par la puissance. Mais pour chacune de ces modalités l’usage est l’acte de toute puissance. On dit encore parfois que quelqu’un use des choses qui sont ordonnées à la fin ; et en ce sens l’usage se tire ici du côté de la première définition qui a été posée. Mais ce qui est ordonné à une fin est conduit a sa fin par trois opérations. La première est l’opération de la raison qui détermine la fin, qui ordonne et conduit à la fin. La deuxième est l’opération de la volonté qui commande. La troisième est l’opération de la puissance motrice qui exécute. Mais l’usage signifie l’exécution de ce qui est ordonné à la fin, non pas d’après l’acte qui est propre à une des puissances motrices, mais universellement, une fois posé l’ordre déterminé par la raison. Par conséquent, l’usage est l’acte de la volonté, laquelle est l’agent universel qui met en mouvement toutes les puissances conformément à l’ordre de la raison. |
[92]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod uti
praesupponit ordinem ; sed ejus substantia magis est in executione
voluntatis. |
Solutions: 1. Il faut dire par rapport
au premier argument que l’usage suppose l’ordre, mais essentiellement il se
range dans l’exécution de la volonté. |
[93] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prudentia est perfectio rationis
practicae, secundum quod est recta. Rectitudo autem ejus et veritas est, ut
dicitur 6 Ethic., secundum convenientiam cum appetitu recto. Unde prudentia
non tantum perficit ad actum qui est ipsius rationis, sed etiam ad actum
voluntatis, qui regulatus est ratione ; sicut eligere, etsi sit actus
voluntatis vel liberi arbitrii, est tamen prudentiae. |
2. Quant au deuxième
argument, il faut dire que la prudence est la perfection de la raison
pratique dans la mesure où la raison est droite. Mais comme on le dit au
sixième livre de l’Éthique, la prudence est droite et vraie selon
qu’elle s’accorde avec l’appétit qui est droit. C’est pourquoi la prudence
n’est pas seulement la perfection de l’acte de la raison en tant que telle,
mais aussi de l’acte de la volonté qui est réglé par la raison ; par
exemple, bien que choisir soit l’acte de la volonté ou du libre arbitre, il
relève cependant de la prudence. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Jouir de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
[94] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 pr. Circa objecta
dictorum actuum, primo quaeritur de fruibilibus ; secundo de utibilibus.
Quantum ad primum duo quaeruntur : 1 utrum solo Deo sit fruendum ; 2 utrum
una tantum fruitione vel pluribus. |
Par rapport aux objets des actes dont nous avons parlé, on s’interroge en premier sur ceux dont on peut jouir ; en deuxième lieu, sur ceux dont on peut user. Quant au premier point, on se demande deux choses : premièrement, ne faut-il jouir que de Dieu seul ; deuxièmement, ne faut-il en jouir que d’un seul ou de plusieurs actes de jouissance. |
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Articulus 1 [95] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum fruendum
sit solo Deo. |
Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ? |
[96]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non solo Deo fruendum
sit. His enim rebus fruendum est, ut dicitur in littera, quae nos beatos
faciunt. Beatitudo autem creata beatos nos facit. Ergo ea
fruendum est : non ergo tantum Deo. |
Arguments: 1. Dans ce premier article on procède de la manière suivante. Il semble qu’on ne doive pas jouir seulement de Dieu. Comme on le dit dans la Lettre, il faut jouir de ce qui nous rend heureux. Mais la béatitude créée nous rend heureux. Nous devons donc en jouir et donc ne pas jouir seulement de Dieu. |
[97] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ultimus finis hominis est sua felicitas.
Felicitas autem ejus est perfectissima operatio. Cum igitur ultimo fine
fruendum sit, operatione perfectissima fruendum est : quod etiam videtur per
philosophum qui dicit, quod felicitas non quaeritur propter aliquid aliud :
et per Boetium, qui dicit, quod beatitudo est status omnium bonorum
aggregatione perfectus. |
2. Par ailleurs, la fin
ultime de l’homme est sa félicité. Mais sa félicité est son opération la plus
parfaite. Donc, puisqu’il faut jouir de la fin ultime, il faut jouir de
l’opération la plus parfaite : ce que semble dire aussi le Philosophe
qui dit que la félicité n’est pas recherchée en vue de quelque chose
d’autre ; et Boèce parle dans le même sens lorsqu’il dit : la
béatitude est l’état parfait par la réunion de tous les biens. |
[98] Super Sent., lib. 1 d.
1 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, Tullius dicit : honestum est quod sua
vi nos trahit, et sua dignitate nos allicit. Sed quod per se allicit,
propter se amatur. Ergo omni honesto fruendum est, et ita omnibus virtutibus.
Ergo non tantum Deo. |
3. En outre, Cicéron
dit : l’honnête est ce qui nous tire par sa force et nous attire
par sa dignité. Mais ce qui attire par soi-même est aimé pour soi-même.
Il faut donc jouir de tout ce qui est honnête et par conséquent de toutes les
vertus. Il ne faut donc pas jouir seulement de Dieu. |
[99]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, apostolus ad Philemonem
20, dicit : itaque, frater, ego te fruar in domino. Ergo etiam homine justo
frui possumus, et per consequens quolibet homine, qui est ad imaginem Dei, et
qualibet creatura, in qua est vestigium Dei. |
4. De plus, l’Apôtre, dans sa
Lettre à Philémon (20) dit : c’est pourquoi, mon frère, je jouis
de toi dans le Seigneur. Nous pouvons donc jouir aussi de l’homme juste
et par conséquent de tout homme qui est à l’image de Dieu et de toute
créature dans laquelle est présent un vestige de Dieu. |
[100] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra, ratio dilectionis est bonitas. Sed omnis bonitas refertur ad
bonitatem Dei a qua fluit et cujus similitudinem gerit. Ergo nihil est
diligendum nisi in ordine ad Deum. Ergo solo Deo fruendum est. |
Cependant : 1. La cause de l’amour est le bien. Mais tout bien se rapporte et dépend de ce Bien qui est Dieu et duquel il découle et dont il porte la ressemblance. Donc, tout ne doit être aimé qu’en étant rapporté à Dieu. Il ne faut donc jouir que de Dieu seul. |
[101] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Proverb. 16, 4, dicitur : universa
propter semetipsum operatus est Deus. Ergo ipse est finis omnium. Omnia
ergo propter ipsum diligenda sunt : et sic idem quod prius. |
2. On dit dans le Proverbe
(16. 4) : C’est pour lui-même que Dieu a tout créé. C’est
donc Lui-même qui est la fin de tout. C’est donc pour Lui-même que tout doit
être aimé et par conséquent on doit conclure la même chose que précédemment. |
[102]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod frui aliquo
dicitur tripliciter. Aut sicut objecto ; et hoc modo solo Deo fruendum est :
quia ad bonitatem ipsius Dei ordinatur tota bonitas universi ; sicut bonum
totius exercitus ad bonum ducis, ut dicitur 12 Metaph. Alio modo sicut habitu
eliciente actum fruitionis ; et hoc modo beatitudine creata et caritate fruendum
est. Tertio modo fruimur aliquo sicut instrumento
fruitionis ; et hoc modo fruimur potentia, cujus fruitio est actus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que jouir de quelque chose de
dit de trois manières. Ou bien jouir se dit de l’objet de la jouissance et en
ce sens on ne doit jouir que de Dieu : car c’est à ce Bien suprême
qu’est ordonné tout bien présent dans l’univers, tout comme le bien de toute
l’armée est ordonné au bien du chef, ainsi que le dit le Philosophe au
douzième livre de la Métaphysique. En un autre sens jouir se dit
comme de l’habitus qui provoque l’acte de la jouissance et en ce sens il
faut jouir de la béatitude créée et de la charité. En un troisième sens nous
jouissons de quelque chose comme d’un instrument de la jouissance et en ce
sens nous jouissons de la puissance dont l’acte est la jouissance. |
[103] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid facit beatum
dupliciter : vel effective, sicut Deus ; et hoc solo fruendum est velut objecto
: vel formaliter, sicut albedo facit album ; et hoc fruendum est formaliter
loquendo, et sic beatitudo beatum facit. |
Solutions : 1. Il faut dire à l’égard du premier argument que quelque chose nous rend heureux de deux manières : soit à titre de cause efficiente, comme Dieu et on ne doit jouir que de cela comme objet ; soit à titre de cause formelle, comme la blancheur rend blanc et on doit jouir de cela formellement parlant et en ce sens la béatitude rend heureux. |
[104] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum operationis terminat
et perficit ipsam, et est finis ejus. Unde impossibile est operationem habere
rationem finis ultimi. Sed, quia objectum non consequimur nisi per
operationem, ideo est idem appetitus operationis et objecti. Unde, si aliquo
modo ipsa fruitione fruimur, hoc erit inquantum fruitio nos Deo conjungit :
et eadem fruitione fruemur fine et operatione, cujus objectum est finis
ultimus ; sicut eadem operatione intelligo intelligibile et intelligo me intelligere. |
2. Il faut dire à l’égard du
deuxième argument que c’est l’objet de l’opération qui est son terme, sa
perfection et sa finalité. C’est pourquoi il est impossible que l’opération
ait d’elle-même raison de fin ultime. Mais parce que nous ne parvenons à
l’objet qu’au moyen de l’opération, c’est pourquoi le désir de l’opération et
celui de l’objet sont identiques. C’est pourquoi, si en un sens nous
jouissons de la jouissance elle-même, cela sera dans la mesure où la
jouissance nous unit à Dieu : et ce sera par la même jouissance que nous
jouirons à la fois de la fin et de l’opération dont l’objet est la fin
ultime ; par exemple c’est par la même opération que j’intellige
l’intelligible et que j’intellige que j’intellige. |
[105] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod propter se dicitur dupliciter.
Uno modo secundum quod opponitur ad propter aliud ; et hoc modo virtutes et
honestum non propter se diliguntur, cum etiam ad aliud referantur. Alio modo
dicitur propter se, secundum quod opponitur ad per accidens ; et sic dicitur
propter se diligi quod habet in natura sua aliquid movens ad diligendum : et
hoc modo virtutes propter se diliguntur, quia habent in se aliquid unde
quaerantur, etsi nihil aliud ab eis contingeret : non tamen est inconveniens
ut aliquid propter se ametur et tamen ad alterum ordinetur, sicut dicitur in
1 Ethic. Est autem aliquid quod desideratur, non propter aliquid quod in se
habet, sed tantum secundum quod ordinatur ad alterum, ut effectivum illius ;
sicut potio amara amatur, non propter aliquid quod in ipsa est, sed quia
sanitatem efficit : et hujusmodi nullo modo propter se diliguntur ; sive
propter se dicat causam formalem, sicut virtus dicitur propter se diligi ;
sive finalem, sicut Deus. |
Quant au troisième argument,
il faut dire que ¨pour soi¨ se dit de deux manières. En un sens selon qu’il
s’oppose à ¨pour autre chose¨ et en ce sens les vertus et l’honnête ne sont
pas aimés pour eux-mêmes puisqu’ils se rapportent aussi à autre chose. En un
autre sens ¨pour soi¨ se dit d’après son opposition à ¨par accident¨ ;
et en ce sens on dit qu’est aimé pour soi-même ce qui possède dans sa nature
même quelque chose qui pousse à devoir l’aimer et en ce sens les vertus sont
aimées pour elles-mêmes parce qu’elles possèdent en elles-mêmes quelque chose
qui fait qu’on les recherche, même si rien d’autre ne provenait
d’elles : il n’y a pas de problème cependant à ce qu’une chose soit
aimée pour elle-même et à ce qu’elle soit aussi ordonnée à quelque chose
d’autre, ainsi qu’on le dit dans le premier livre de l’Éthique. Il y a
cependant des choses qui sont désirées non pas à cause de quelque chose
qu’elles ont en elles mais seulement selon qu’elles sont ordonnées à quelque
chose d’autre parce qu’elles le produisent : c’est ainsi par exemple
qu’on aime la potion amère non pas à cause de quelque chose qui est en elle,
mais parce qu’elle produit la santé ; et les choses de cette sorte ne
sont en aucune manière aimées pour elles-mêmes, que le ¨pour soi¨ se rapporte
à la cause formelle, comme on dit que la vertu est aimée pour elle-même ou
qu’il se rappporte à la cause finale, comme on dit de Dieu qu’il est aimé
pour lui-même. |
[106] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod homine justo non est simpliciter fruendum, sed in Deo
; ita quod objectum fruitionis sit Deus ; et repraesentans ipsum gratiae
objectum per similitudinem, in qua inhabitat Deus, sit homo sanctus. Nec
tamen sequitur quod homine peccatore sit fruendum in Deo, quia non est in eo
gratia, quae facit Deum inhabitare, et quae est exemplar expressum illius
summae bonitatis, qua fruendum est : et multo minus hoc sequitur de creatura
irrationali : non enim sufficit ad hoc similitudo imaginis et vestigii, sed
similitudo gratiae. |
4. Pour ce qui est du quatrième argument il faut dire
qu’il ne faut pas jouir de l’homme juste à parler absolument, mais seulement
par rapport à Dieu, de telle manière que l’objet de la jouissance soit Dieu
et que celui qui rend présent par ressemblance l’objet même de la grâce dans
laquelle Dieu habite soit un homme saint. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il
fait jouir en Dieu d’un homme pécheur car il n’y a pas en lui la grâce qui
ferait que Dieu habite en lui et qui est l’expression de cette suprême bonté
dont il faut jouir ; et on peut encore moins le dire d’une créature
irrationnelle car il ne suffit pas pour cela de la ressemblance d’une image
ou d’un vestige, mais seulement de la ressemblance de la grâce. |
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Articulus 2 : [107] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum fruamur Deo una fruitione |
Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition unique ? |
[108] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod non una fruitione Deo fruamur. Actus enim
distinguuntur secundum objecta. Sed objecta fruitionis sunt tres res
distinctae proprietatibus personalibus, scilicet pater, filius, et spiritus
sanctus. Ergo fruitiones sunt tres. |
Difficultés : 1. À l’égard de ce deuxième
article on procède de la manière suivante. Il semble que nous ne jouissons
pas de Dieu par un seul acte de jouissance. Les actes en effet se
distinguent d’après leurs objets. Mais les objets de la jouissance sont trois
réalités qui se distinguent par des propriétés personnelles, à savoir le
Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Il y a donc trois jouissances. |
[109] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, operatio animae sistens in communi non est
perfecta, nisi etiam descendat ad propria, sicut cognitio generis perficitur
per cognitionem differentiae ; et multo plus desiderium et amor perficitur in
particulari. Sed fruitio est operatio perfecta. Ergo non tantum fruemur
essentia communi tribus personis, sed singulis personis et proprietatibus
ipsarum ; et ita videtur quod non sit una tantum fruitio. |
2. De plus, l’opération de
l’âme qui pose l’universel n’est parfaite que si elle descend aussi à ce qui
est propre, tout comme la connaissance du genre n’est parfaite qu’au moyen de
la connaissance de la différence ; et l’amour et le désir trouvent
encore davantage leur achèvement dans le singulier. Mais la jouissance est
une opération parfaite. Nous ne jouissons donc pas seulement de l’essence qui
est commune aux trois Personnes mais aussi de chacune des Personnes ainsi que
de ses propriétés. Et ainsi il semble qu’il n’y ait pas qu’une seule
jouissance. |
[110] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3
Praeterea, quidquid habet filius solet referre ad patrem a quo habet, sicut
Joan. 7, 16, dicitur : mea doctrina non est mea, sed ejus qui misit
me. Sed bonitatem accepit filius a patre nascendo, sicut essentiam. Ergo
et fruitionem bonitatis filii debemus referre in fruitionem patris. Ergo non
est aequaliter fruendum tribus personis : multo minus ergo nec eadem
fruitione. |
3. En outre, le Fils a coutume de rapporter tout ce qu’il possède à son Père de qui il le tient, ainsi qu’on le voit dans Jean (7, 16) : Ce que j’enseigne ne vient pas de moi mais de Celui qui m’a envoyé. Mais le Fils a reçu du Père la Bonté comme essence en naissant. Nous devons donc rapporter la jouissance de la bonté du Fils à la jouissance du Père. Il ne faut donc pas jouir également des trois Personnes : et donc nous devons encore moins en jouir d’une seule et même jouissance. |
[111] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut Deus Trinitas est unum principium
omnium, ita est unus finis omnium. Sed eadem operatio communis est totius
Trinitatis, inquantum est unum principium. Ergo eadem est fruitio trium,
inquantum est unus finis. |
Cependant : 1. Tout comme le Dieu
trinitaire est le seul principe de tout ce qui existe, de même il est la
seule fin de tout ce qui existe. Mais l’opération commune de toute la Trinité
est la même selon qu’Elle est le seul principe de tout. Donc, selon qu’Elle
est la seule fin de tout, il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les
trois Personnes. |
[112] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, operatio felicitatis est ad nobilissimum
objectum, ut dicit philosophus. Nobilissimum autem est unum tantum, quia quod
per superabundantiam dicitur, uni soli convenit. Ergo, cum fruitio sit
operatio ultimae felicitatis, refertur ad unum tantum objectum ; ergo fruimur
tribus personis, inquantum sunt unum : ergo inquantum est unum objectum. |
2. Par ailleurs, l’opération
de la félicité se rapporte à l’objet le plus noble ainsi que le dit le
Philosophe. Mais l’objet le plus noble est unique car ce qui se dit de la
manière la plus excellente ne convient qu’à un seul. Donc, puisque la
jouissance est l’opération de la félicité ultime, elle ne se rapporte qu’à un
seul objet ; nous jouissons donc des trois Personnes selon leur unité et
donc dans la mesure où elles constituent un seul objet. |
[113]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod una fruitione
fruimur tribus personis : et hujus ratio est duplex. Una ex parte essentiae.
Objectum enim fruitionis est summa bonitas ; unde fruitio respicit
unamquamque personam, inquantum est summum bonum ; unde cum eadem numero sit
bonitas trium, eadem erit et fruitio. Alia ratio sumitur ex parte
proprietatum. Sicut enim dicit philosophus qui novit unum relativorum,
cognoscit et reliquum ; et sic cum tota fruitio originetur ex visione, ut
prius dictum est, qui fruitur uno relativorum inquantum hujusmodi, fruitur et
reliquo. Personae autem tres distinguuntur tantum secundum relationes ; et
ideo in fruitione unius includitur fruitio alterius ; et ita est fruitio
eadem trium. Sed prima ratio melior est, quae tangit rationem objecti, a qua
actus habet unitatem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que c’est par une seule et même jouissance que nous jouissons des trois Personnes : et il y a deux raisons pour cela. La première se tient du côté de l’essence. En effet, l’objet de la jouissance est le bien suprême ; c’est pourquoi la jouissance se rapporte à chacune des Personnes selon qu’elle est le bien suprême : de là, puisque la bonté des trois Personnes est la même par le nombre, la jouissance qui y correspond sera aussi la même. L’autre rasion se tire du côté des propriétés. En effet, comme le dit le Philosophe, qui connaît un des relatifs connaît aussi les autres ; et ainsi, puisque la jouissance dans sa totalité tire son origine de la vision ainsi que nous l’avons dit précédemment, celui qui jouit d’un des relatifs en tant que relatif jouit aussi des autres. Mais les trois Personnes ne se distinguent que par les relations et c’est pourquoi la jouissance de l’une comprend aussi la jouissance de l’autre ; et c’est ainsi qu’il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les trois Personnes. Mais la premiere raison est préférable parce qu’elle traite de l’objet duquel l’acte tient son unité. |
[114] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum : quia tres
personae non distinguuntur secundum id quod sunt objectum fruitionis, immo
uniuntur in eo, scilicet in summa bonitate. |
Solutions: 1. Et au moyen de cette
réponse la solution à la première difficulté devient évidente: car les trois
Personnes ne se distinguent pas selon cela même qu’elles sont l’objet de la
jouissance mais au contraire elles sont unies en cela, à savoir en tant que
bien suprême. |
[115] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod proprietate uniuscujusque
personae fruimur, ut paternitate ; tamen paternitas non dicit rationem
fruitionis : unde fruemur paternitate, inquantum paternitas est idem re quod
summa bonitas, differens tamen ratione. |
2. Il faut dire à l’égard de la deuxième difficulté que nous jouissons de ce qui est propre à chacune des Personnes, par exemple de la paternité ; cependant la paternité elle-même n’a pas raison de jouissance et c’est pourquoi nous jouissons de la paternité selon qu’elle est identique par la chose au bien suprême ; elle en diffère cependant par la raison. |
[116] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa reductio non ponit gradum
bonitatis in patre et filio, sed tantum ordinem naturae ; et ideo non
tollitur aequalitas et unitas fruitionis. |
3. Pour ce qui est de la
troisième difficulté, il faut dire que tout ramener au Père ne pose pas un
degré différent de bonté dans le Père et le Fils mais seulement un ordre de
nature ; et c’est pourquoi cet argument n’empêche pas l’égalité et
l’unité de la jouissance. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’usage des créatures] |
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Articulus 1 [117] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 tit. Utrum utendum sit omnibus aliis a Deo. |
Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ? |
[118] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de utibilibus, utrum omnibus aliis
praeter Deum sit utendum. Et videtur quod non. Uti enim est assumere aliquid
in facultatem voluntatis. Illud autem tantum est hoc modo assumptum quod
nostrae operationi subjacet. Non autem omnia creata sunt talia, sicut caelum
et Angeli, quae non sunt operabilia a nobis. Ergo non possumus omnibus uti. |
Difficultés : 1. On s’interroge ensuite sur
ce qui est objet d’usage, à savoir s’il faut user de tous les autres êtres
qui ne sont pas Dieu. Et il semble qu’on doive répondre par la négative. User
en effet, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté. Mais seul se prend
de cette manière ce qui est soumis à notre opération. Mais ce ne sont pas
toutes les créatures, par exemple le Ciel et les Anges, qui sont de cette
sorte, puisqu’ils ne sont pas soumis à nos opérations. Nous ne pouvons donc
pas user de tous les autres êtres qui ne sont pas Dieu. |
[119]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, illo utimur quo
tendentes ad beatitudinem juvamur. Sed creaturis impedimur frequenter, sicut
dicitur Sap. 14, 2 : creaturae factae sunt in odium et in tentationem
animabus hominum, et in muscipulam pedibus insipientium. Ergo non omnibus possumus
uti. |
2. En outre, nous usons de ce qui nous aide à tendre à la
béatitude. Mais les créatures nous empêchent fréquemment d’y tendre ainsi
qu’on le dit dans le livre de la Sagesse (14, 11) : les
créatures sont devenues des objets de haine et de tentation pour les âmes des
hommes et des pièges pour les pieds des insensés. Nous ne pouvons donc
pas user de tous les êtres qui ne sont pas Dieu. |
[120] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 3
Praeterea, si omnibus praeter Deum tenemur uti, ergo quandocumque non
referimus aliquid in Deum, peccamus ; sed quandocumque referimus aliquid in
Deum, meremur. Ergo omnis actus est meritorius, et sic nullus actus erit
indifferens. |
3. De plus, si nous étions
tenus d’user de tout ce qui n’est pas Dieu, nous pécherions à chaque fois que
nous ne rapporterions pas quelque chose à Dieu ; mais à chaque fois que
nous rapportons quelque chose à Dieu, nous faisons du bien. Donc, tout acte
est méritoire et ainsi aucun acte ne sera indifférent. |
[121] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sequitur quod nullum peccatum sit veniale ;
quia, si refertur in ultimum finem, non est aliquod peccatum ; si autem
constituatur aliquis finis alius ultimus, non relatus ad finem ultimum, est
peccatum mortale. Cum igitur omnis actus rationis sit ad aliquem finem,
oportet quod ille finis vel sit finis ultimus, et sic non est peccatum ; vel
sit alius finis non relatus ad finem ultimum, et sic erit peccatum mortale.
Ergo nihil est peccatum veniale. |
4. Par ailleurs, il s’ensuit
qu’aucune faute ne sera vénielle ; car si on le rapporte à la fin
ultime, un acte ne sera pas un péché ; mais si une autre fin est
constituée comme la fin ultime et n’est pas ordonnée à la fin ultime, alors
l’acte est un péché mortel. Donc, puisque tout acte de la raison est ordonné
à une fin, il faut que cette fin soit ou bien la fin ultime et ainsi cet acte
ne sera pas un péché ; ou bien qu’elle soit une autre fin qui n’est pas
rapportée à la fin ultime, et il y aura alors péché mortel. Donc, rien n’est
un péché véniel. |
[122] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 10, 31 : sive manducatis,
sive bibitis (...) omnia in gloriam Dei facite. Ergo videtur quod omnibus
sit utendum. |
Cependant : 1. On lit dans la premère Épître aux Corinthiens (10, 31) : Que vous mangiez ou que vous buviez (…), faites tout pour la gloire de Dieu. Il semble donc que nous devions user de tout. |
[123] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 2 Item,
sicut Deus est perfectae potentiae, ita est perfectae bonitatis. Sed ad perfectionem
potentiae ejus pertinet quod nihil habeat esse nisi productum ab ipso. Ergo et ad perfectionem divinae bonitatis pertinet quod
ametur nihil, nisi quod est in ordine ad ipsum. |
2. De plus, tout comme la
puissance de Dieu est parfaite, de même sa bonté est parfaite. Mais il
appartient à la perfection de sa puissance que tout ce qui existe soit
produit par Lui. Il appartient donc à la perfection de la bonté divine que
tout soit aimé par rapport à Lui. |
[124]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quaecumque
sunt bona, non habent bonitatem nisi inquantum accedunt ad similitudinem
bonitatis divinae. Unde oportet, cum bonitas sit ratio dilectionis et
desiderii, ut omnia amentur in ordine ad bonitatem primam. Omne autem quod bonum est,
a Deo est : unde quae ab ipso non sunt, nec quaerenda sunt, nec eis utendum
est : et ideo nullo peccato utendum est, quia peccatum non est a Deo. Poena
autem a Deo est ; et ideo poena utendum est, et ordinanda ad finem, secundum
quod promovet meritum hominis, ducens eum in considerationem suae
infirmitatis, et secundum quod purgat peccata. Similiter etiam res mundi ab
ipso sunt, et eis utendum est, vel inquantum conferunt ad Dei cognitionem,
ostendentes ipsius magnitudinem, vel secundum quod praebent subsidium vitae
nostrae ordinatae in Deum. Similiter opera nostra quae mala non sunt, ab ipso
sunt, et propter ipsum facienda : non quod quamlibet operationem oporteat
semper actualiter referre in Deum ; sed sufficit ut habitualiter in Deo
constituant finem suae voluntatis. |
Corps de l’article : Je réponds en disant que tout
ce qui est bon ne possède de bonté que dans la mesure où il arrive à
ressembler à la bonté divine. C’est pourquoi il faut, puisque le bien est la
cause de l’amour et du désir, que toute chose soit aimée dans son rappport au
bien premier. Mais tout ce qui est bon vient de Dieu ; de là, tout ce
qui ne vient pas de Lui ne doit pas être recherché et on ne doit pas en
user : et c’est pourquoi on ne doit user d’aucun péché parce que le
péché ne vient pas de Dieu. Mais le châtiment vient de Dieu ; et c’est
pourquoi il faut user du châtiment qui doit être ordonné à la fin selon qu’il
fait la promotion du mérite de l’homme en l’amenant à considérer son
infirmité et à le purger de ses fautes. De la même manière encore les choses
du monde viennent de Lui et il faut en user, soit dans la mesure où elles
contribuent à connaître Dieu en manifestant sa grandeur, soit dans la mesure
où elles offrent une aide à notre vie ordonnée à Dieu. De même encore nos
œuvres qui ne sont pas mauvaises viennent de Lui et doivent être faites en
vue de Lui : ce n’est pas qu’il faille toujours ordonner à Dieu n’importe
quelle opération de façon actuelle, mais il suffit d’établir en Dieu de
manière habituelle la fin de sa volonté. |
[125]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illis
creaturis non utimur tamquam a nobis operatis, sed sicut in Dei cognitionem
ducentibus. |
Solutions: 1. Pour ce qui est de la première difficulté, il faut dire que nous n’usons pas de ces créatures comme étant faites par nous, mais comme conduisant à la connaissance de Dieu.
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[126] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creaturae, quantum est in se,
non impediunt nos a consequenda beatitudine ; sed ex parte nostra, inquantum
eis abutimur, in eis sistendo, sicut in fine. |
2. Quant à la deuxième
difficulté il faut dire que ce ne sont pas les créatures prises en
elles-mêmes qui nous empêchent d’atteindre le bonheur; mais c’est nous qui,
par nos abus, y faisons obstacle en cherchant à nous y établir comme dans
notre finalité ultime. |
[127] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod, secundum theologum, nullus actus procedens a
voluntate deliberante est indifferens ; quia, si refertur in Deum, supposita
gratia, meritorius est ; si autem non est referibilis, peccatum est ; si vero
est referibilis et non referatur, vanus est : otiosum autem inter peccata
apud theologum computatur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que d’après le théologien aucun acte procèdant de la volonté délibérante
n’est indifférent; car si on le rapporte à Dieu en supposant la grâce, il est
méritoire; si cependant il ne peut être rapporté à Dieu, il est un péché;
mais s’il peut être rapporté à Dieu et qu’on ne le rapporte pas, il est
inutile: cependant, le théologien classe l’oisiveté parmi les péchés. |
[128] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, quamvis ille qui peccat
venialiter non referat actu in Deum suam operationem, nihilominus tamen Deum
habitualiter pro fine habet : unde non ponit creaturam finem ultimum, cum
diligat eam citra Deum ; sed ex hoc peccat, quia excedit in dilectione ;
sicut ille qui nimis immoratur viae, non tamen exit a via. |
4. Pour ce qui est de la
quatrième difficulté il faut dire que bien que celui qui fait un péché véniel
ne rapporte pas son opération à Dieu de manière actuelle, il prend
néanmoins Dieu comme fin d’une manière habituelle : par
conséquent, il ne pose pas la créature comme sa fin ultime lorsqu’il l’aime
avant d’aimer Dieu ; mais son péché consiste à aimer la créature de
façon excessive comme celui qui, s’attardant sur la route, n’en sort cependant
pas. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent] |
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Prooemium |
Prologue |
[129] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 pr. Deinde quaeritur de fruentibus et utentibus. Et 1 de fruentibus
; 2 de utentibus. |
Ensuite on s’interroge sur ceux qui jouissent et ceux qui utilisent. |
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Articulus 1 [130]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 tit. Utrum frui conveniat omnibus rebus. |
Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes les choses ? |
[131]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Fruitio
dicit desiderium quietatum in fine. Sed omnis creatura, etiam insensibilis,
desiderat naturaliter suum finem. Ergo, cum contingat ipsam consequi suum
finem et quiescere in eo, videtur quod fruitio sit creaturae insensibilis. |
Difficultés : 1. On procède ainsi à l’égard de ce premier article. Qui
dit jouissance signifie un désir qui se repose dans la fin possédée. Mais
toute créature, même celle qui est insensible, désire naturellement sa fin.
Donc, puisqu’il arrive que celle-ci atteigne sa fin et s’y repose, il semble
que la jouissance appartienne même à la créature insensible. |
[132] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, fruitio est ejus quod per se quaeritur, non
relatum ad alterum. Sed bruta quaerunt aliqua in quibus delectantur et non
referunt ad aliud, quia carent ratione ordinante. Ergo brutorum est fruitio. |
2. De plus, la jouissance
porte sur ce qui est recherché pour soi et non pour autre chose. Mais les
bêtes recherchent les choses dans lesquelles elles se délectent sans les
rapporter à quelque chose d’autre car elles sont privées de la raison qui
ordonne. La jouissance appartient donc aux bêtes. |
[133] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, naturali dilectione contingit aliquem
diligere Deum super omnia, cum naturaliter cognoscatur esse summum bonum, et
ita propter se amandum. Sed fruimur eo quod propter se amamus. Ergo contingit
hominem existentem in naturalibus tantum, frui Deo. |
3. En outre, il arrive
d’aimer Dieu de préférence à toute chose d’un amour naturel lorsqu’on connaît
naturellement qu’Il est le bien suprême et qu’il doive ainsi être aimé pour
lui-même. Mais nous jouissons de la ¨chose¨ que nous aimons pour elle-même.
Il est donc possible à l’homme qui n’existe que dans le cadre des choses
naturelles de jouir de Dieu. |
[134] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 4
Praeterea, contingit quod aliquis existens in peccato mortali, alicujus suae
actionis Deum finem ultimum constituat, non referens ad aliud. Hoc autem est
frui. Ergo peccator etiam potest frui Deo. |
4. Par ailleurs, il est
possible à celui qui existe dans l’état de péché mortel d’établir Dieu comme
la fin ultime d’une de ses actions sans la rapporter à quelque chose d’autre.
Mais c’est cela même qui est la jouissance. Donc même le pécheur peut jouir
de Dieu. |
[135]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 5 Sed e contrario videtur quod nec
etiam justus fruatur in via. Frui enim est quiescere voluntatem delectatam in
cognitis propter se. Sed quamdiu aliquis est in via, non quiescit. Ergo
quamdiu est in via, aliquis Deo non fruitur. |
5. Mais au contraire il
semble que même le juste ne peut jouir de Dieu ici-bas. La jouissance en
effet est le repos de la volonté qui se délecte dans ce qui est connu pour
soi. Mais aussi longtemps que l’homme vit ici-bas, sa volonté ne peut trouver
de repos. Donc, aussi longtemps que l’homme vit ici-bas, il ne peut jouir de
Dieu. |
[136] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 6 Praeterea, videtur quod nec etiam beati
fruantur. Sicut enim habetur in littera, omne quod fruitur aliquo eget
illo. Sed quidquid eget aliquo caret
illo. Cum igitur beati non careant Deo, videtur quod non fruantur illo. |
6. Bien plus, il semble que
même les bienheureux ne jouissent pas de Dieu. Ainsi qu’il est établi dans le
document, tout ce qui jouit d’une chose en a besoin. Mais tout ce qui a
besoin d’une chose en est privé. Donc, puisque les bienheureux ne sont pas
privés de Dieu, il semble qu’ils n’en jouissent pas. |
[137] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 arg. 7. Ex quo etiam concluditur quod nec seipso Deus fruatur,
cum non seipso indigeat. |
7. On conclut aussi de là que Dieu lui-même ne jouit pas
puisqu’il n’a pas besoin de Lui-même. |
[138]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra
dictum est, qu. 1, art. 1, fruitio ponit quamdam delectationem in fine.
Delectatio autem non potest esse nisi in cognoscente : propter quod Plato
dixit, quod delectatio est generatio sensibilis in naturam ; id est, quae
sentitur naturae conveniens ; et ideo cum creaturae insensibiles non
cognoscant, non delectantur nec fruuntur. Item, fruitio proprie loquendo, est
tantum ultimi finis. Bruta autem ultimum finem non apprehendunt, nec finem
proximum possunt ordinare ad finem ultimum, cum careant ratione, cujus est
ordinare. Unde
non proprie fruuntur. Similiter peccator ponit finem ultimum in quo non est ;
unde, cum verum finem non habeat, non vere fruitur. Ulterius autem fruitio
dicit delectationem in fine ; unde perfecta fruitio non est, nisi sit
perfecta delectatio, quae esse non potest ante consecutionem finis : et ideo
justus homo non perfecte fruitur ; sed beati, qui consecuti sunt finem, vere
et perfecte et proprie fruuntur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit plus haut (qu. 1, a. 1), qui dit jouissance
pose une certaine délectation dans la fin. Il ne peut cependant y avoir
délectation que dans celui qui connaît : et c’est pour cette raison que
Platon a dit que la délectation est une génération sensible dans la nature,
c’est-à-dire qui est perçue comme convenant à la nature ; et c’est
pourquoi, puisque les créatures insensibles sont privées de connaissance,
elles ne peuvent ni se délecter ni jouir. En outre, la jouissance à
proprement parler ne se rapporte qu’à la fin ultime. Mais les bêtes ne
peuvent appréhender la fin ultime et elles ne peuvent ordonner une fin
prochaine à la fin ultime puisqu’elles sont privées de la raison à laquelle
il appartient d’ordonner. Par conséquent les bêtes ne jouissent pas à
proprement parler. De même le pécheur établit la fin ultime dans ce qui ne
l’est pas ; c’est pourquoi, puisqu’il ne possède pas la véritable fin,
il ne connaît pas la véritable jouissance. Enfin cependant la jouissance
implique une délectation dans la fin possédée ; par conséquent, la
jouissance parfaite n’est qu’une délectation parfaite qui ne peut exister
avant d’avoir atteint la fin ; et c’est pourquoi l’homme juste ne jouit
pas parfaitement ; mais les bienheureux, lesquels ont atteint la fin,
jouissent au sens propre, c’est-à-dire d’une jouissance véritable et
parfaite. |
[139]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod,
quamvis omne desiderium consequatur cognitionem, desiderium tamen creaturae
insensibilis non sequitur cognitionem in ipsa existentem, sed cognitionem
motoris primi (quicumque sit ille) ordinantis unumquodque in suum finem : et
ideo sine cognitione nec delectationem nec fruitionem habent. |
Solutions: 1. Il faut donc dire par
rapport à la première difficulté que bien que tout désir suive une connaissance,
cependant le désir de la créature insensible ne suit pas une connaissance qui
est présente en elle-même, mais il suit la connaissance du premier moteur
(quel que soit ce moteur) qui ordonne toute chose à sa fin: et c’est pour
cette raison que ces créatures, sans une connaissance présente en elles,
n’éprouvent ni délectation ni jouissance. |
[140] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pecora, quamvis delectentur in
fine, ille tamen finis non est ultimus ; immo est relatus ad aliud, non ab
ipsis, sed a primo ordinante omnia in seipsum : et ideo, cum non delectentur
in ultimo fine simpliciter, sed in ultimo apprehenso ab eis, aliquo modo
dicuntur frui, sed improprie. |
2. Il faut dire en second
lieu que les bêtes, même si elles se délectent dans une fin, cette fin n’est
cependant pas la fin ultime; bien plus, cette fin est ramenée à une autre
fin, non pas par elles-mêmes, mais par le premier moteur qui ordonne tout à
Lui-même: et c’est pourquoi, puisque les bêtes ne se délectent pas dans la
fin ultime prise absolument mais dans ce qui est appréhendé ultimement par
elles, on peut dire d’elles qu’elles jouissent en un certain sens mais non au
sens propre du terme. |
[141]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectatio
sequitur operationem perfectam. Perfecta autem est operatio quae
procedit ab habitu. Habitus autem acquisiti vel naturales non perficiunt ad
ultimam beatitudinem patriae, ut supra habitum est, sufficienter, et proxime
: [quia, ut dicit Augustinus in Lib. de poenitentia, immo X De Trin.,cap.
V elicitive, "quodam familiari contactu ad experiendam ejus
suavitatem adjacet amanti amata creatura. "Sed voluptas creatoris
longe alterius generis est" Éd. De Parme] et ideo sine
habitu gratuito non est delectatio talis quae ad fruitionem sufficiat. Vel
dicendum, quod delectatio naturalis non ponit aliquam operationem in actu,
sed tantum quamdam naturalem inclinationem, quae in actum reducitur per
habitum caritatis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la délectation suit l’opération parfaite. Mais l’opération parfaite
est celle qui procède de l’habitus. Mais les habitus, aussi bien ceux qui
sont acquis que ceux qui sont naturels, ne réalisent pas parfaitement et de
façon prochaine la béatitude ultime de la patrie, ainsi que nous l’avons
établi plus haut : [car, comme le dit avec insistance Augustin dans
le Livre sur la Pénitence, ou plutôt dans le dixième
livre Sur la Trinité (ch. V) : La créature aimée
habite auprès de l’amant pour expérimenter sa suavité par un contact familier.
¨Mais de loin la volupté du créateur
est d’un autre genre¨ Éd. De Parme] ; et c’est pourquoi, sans
l’habitus qui est gratuit, la délectation n’est pas telle qu’elle suffise à
la jouissance. Ou bien encore il faut dire que la délectation naturelle ne
pose pas une opération en acte mais seulement une inclination naturelle qui
est conduite à l’acte au moyen de l’habitus de la charité. |
[142] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod existens in mortali peccato,
diligit aliquid habitualiter supra Deum, etsi non in actu semper ; et ideo
non fruitur ipso, sed illo ad quod omnia ordinat. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que celui qui existe en l’état de péché mortel préfère quelque chose à
Dieu de manière habituelle, bien que ce ne soit pas toujours en acte ;
et c’est pourquoi il ne jouit pas de Lui, mais de ce à quoi il ordonne tout
le reste. |
[143] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est duplex quies, scilicet
quies desiderii, et quies motus. Quies desiderii est quando desiderium sistit
in aliquo propter quod omnia facit et quaerit, et non desiderat aliquid
ulterius ; et hoc modo voluntas justi quiescit in via in Deo. Quies autem
motus est quando pervenitur ad terminum quaesitum ; et ista quies voluntatis
erit in patria. Haec autem quies facit perfectam fruitionem, sed prima
imperfectam. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’il y a deux sortes de repos, à savoir le repos du désir et le repos
du mouvement. Le repos du désir a lieu quand le désir s’arrête dans un objet
pour lequel il fait tout et mène sa recherche, et au-delà duquel il ne désire
rien d’autre ; et en ce sens la volonté du juste se repose ici-bas en
Dieu. Mais le repos du mouvement a lieu quand on parvient au terme qu’on
recherchait ; et ce repos de la volonté se produira dans la patrie. Mais
c’est ce repos qui produit la jouissance parfaite, alors que le premier ne
produit qu’une jouissance imparfaite. |
[144]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliquid eget
altero dupliciter. Aut sicut eo a quo dependet secundum esse ; et hoc modo
omnia egent Deo ; quia, secundum Gregorium, omnia in nihilum tenderent, nisi
ea manus conditoris teneret : non enim est tantum causa fieri, sed esse rerum
; et hoc modo beati egent Deo. Alio modo dicitur quis egere illo quod nondum habet ;
et sic non egent. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que c’est de deux manières qu’une chose a besoin d’une autre. Ou bien
elle en a besoin comme d’une chose dont elle dépend pour son existence et en
ce sens toute chose a besoin de Dieu ; car selon Grégoire, si le
Créateur ne les tenait dans sa main, tous les êtres tendraient au
néant : en effet, Il n’est pas seulement la cause du devenir, mais aussi
de l’existence même des choses ; et c’est en ce sens que même les
bienheureux ont besoin de Dieu. Mais en un autre sens ¨avoir besoin¨ se dit
de celui qui ne possède pas encore l’objet dont il a besoin et ce sens ne
s’applique pas aux bienheureux. |
[145] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 7 Ad
ultimum dicendum, quod hoc intelligendum est, quando fruens et id quo fruitur
sunt diversa in essentia : quod non est in divina fruitione : et ideo
perfecte ipse fruitur seipso : unde Gregorius : esto gloriosus, et
speciosis induere vestibus ; dicit : ipse gloriosus est qui,
dum seipso fruitur, accedentis laudis indigens non est. |
7. Il faut dire finalement
que cet argument doit s’entendre pour les cas où celui qui jouit et la chose
dont il jouit ne partagent pas la même essence : ce qui n’est pas le cas
pour la jouissance de Dieu ; et c’est pourquoi Il jouit parfaitement de
Lui-même. Par conséquent Grégoire a raison de dire : Sois
glorieux et revêtu de riches vêtements ; il dit : Lui-même
est glorieux qui, alors qu’il jouit de Lui-même, n’a pas besoin des louanges
qui Lui parviennent. |
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Articulus 2 : [146] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 tit. Utrum usus conveniat existentibus in patria |
Est-ce que l’usage s’attribue à
ceux qui existent dans la Patrie ?
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[147] Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in
patria nullus erit utens. Via enim non est necessaria habito fine ; unde
Bernardus : quid necesse est scala tenenti jam solium ? Sed
usus est eorum quae sunt ad finem, quae se habent per modum viae. Igitur in
beatis consecutis finem non erit usus. |
Difficultés: 1. Voici comment on procède par rapport à ce deuxième article. Il semble que dans la patrie nul ne sera sujet de l’usage. En effet, le chemin qui conduit à destination n’est pas necessaire à celui qui a déjà atteint son but. Mais l’usage se rapporte aux choses qui sont ordonnées à la fin et qui se présentent à la manière d’un chemin. Il n’y aura donc pas d’usage chez les bienheureux qui sont parvenus à la fin. |
[148] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, uti est referre aliquid in alterum. Sed hoc
non potest fieri nisi unum cogitetur post aliud ; quod non videtur esse in
patria, secundum Augustinum, quia non sunt ibi cogitationes volubiles. Ergo
videtur quod non sit ibi usus. |
2. En outre, user d’une
chose, c’est l’ordonner à une autre. Mais cela n’est possible que si une
chose est pensée suite à une autre ; mais il ne semble pas que cela soit
possible dans la patrie d’après Augustin car il n’y a pas là de pensées
réfléchies. Il semble donc qu’il n’y ait pas là d’usage. |
[149] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, constat quod in patria manet dilectio Dei et
proximi, quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8. Sed
proximus nunquam diligetur propter se, sed propter Deum. Semper ergo erit ibi
dilectio usus. |
Cependant : Il est évident que dans la patrie l’amour du prochain et de Dieu demeurent car on lit dans la première Épître aux Corinthiens (13, 8) : L’amour ne meurt jamais. Mais le prochain n’est jamais aimé pour pour lui-même, mais pour Dieu. Il y aura donc toujours usage dans la Patrie. Il y aura donc toujours là un amour d’usage. |
[150]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod usus est
eorum quae sunt ad finem. Sed eorum quae sunt ad finem, quaedam sunt
includentia finem et contingentia ipsum, et haec sunt quae non repugnant
perfectioni finis, sicut dispositiones materiae manent cum forma substantiali
; et talium erit usus in patria ; sicut perfectiones naturales, et septem
dona spiritus sancti, et alia quae ex sua ratione imperfectionem non dicunt.
Quaedam autem sunt ad finem sicut distantia a fine, ut motus et hujusmodi ;
et ista propter suam imperfectionem non compatitur finis : unde talium non
erit usus in patria ; sicut poenae, et actus fidei et spei et cibi et
hujusmodi. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’usage se rapporte à ce qui est ordonné à la fin. Mais parmi les choses
qui sont ordonnées à la fin, certaines la contiennent et lui sont unies,
lesquelles ne s’opposent pas à la perfection de la fin, comme les
dispositions de la matière qui demeurent lorsque la matière est unie à la
forme substantielle ; et pour ces choses il y aura usage dans la
patrie : par exemple, les perfections naturelles, les sept dons de
l’Esprit-Saint et d’autres choses qui par nature n’impliquent pas une
imperfection. Mais d’autres choses sont ordonnées à la fin comme
l’éloignement par rapport à la fin, le mouvement et d’autres choses de cette
sorte, lesquelles sont incompatibles avec la fin en raison de leurs
imperfections et c’est pourquoi il n’y aura pas usage de ces choses dans la
patrie comme ce sera le cas pour les peines, les actes de foi et d’espérance,
les aliments corporels et les choses de cette sorte. |
[151]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut
invenimus in processu cognitionis, quod in cognitionem principiorum venit
quis per principiata, quibus tamen habitis, magis ipsa cognoscit quam
principiata ; nec indiget principiatis ad cognitionem principiorum quae jam
per se cognoscit ; neque tamen principiatorum cognitionem amittit ; immo illa
cognitio per principia perficitur : ita est in processu hominis in Deum, qui
per creaturas in Deum venit : quo habito, creaturis non eget ad ipsum
habendum, sed per ipsum venit in perfectum usum omnium aliorum. Sic etiam est in processu
naturae, quod per dispositiones acquiritur forma, quae habita, est principium
omnium accidentium ; et ita est in omnibus aliis invenire. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que le processus que nous
retrouvons pour la connaissance se compare à celui que nous retrouvons pour
l’homme à l’égard de Dieu. Celui en effet qui parvient à la connaissance des
principes au moyen des effets, une fois que ces principes sont possédés, il les
connaît mieux que les effets et il n’a plus besoin des effets pour connaître
ces principes qu’il connaît déjà par soi ; et il ne se dessaisit
cependant pas de la connaissance des effet ; au contraire cette
connaissance est rendue plus parfaite par la connaissance des principes. Et
il en est de même pour l’homme par rapport à Dieu dans le processus par
lequel l’homme vient à Dieu au moyen des créatures : une fois qu’il y
est venu, il n’a plus besoin des créatures pour le posséder, mais au moyen de
Dieu il en vient à un parfait usage de tous les autres êtres. Il en est
encore de même quant à la manière dont procède la nature : la forme est
acquise au moyen des dispositions de la matière, mais une fois acquise, la
forme est principe de tous les accidents. Et il en est encore de même pour
tout le reste. |
[152] Super Sent., lib. 1
d. 1 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cogitatio volubilis proprie
dicitur quae est per discursum rationis, cui non offertur statim quod quaerit
: unde oportet quod inveniat procedendo ab uno in aliud. Ibi autem statim
sine difficultate occurret in illo divino lumine quidquid quaeretur : unde
etiam homines intelligent intellectu deiformi, sicut et Angeli. Non autem
excluditur successio cogitationum in patria, et multo minus ordo unius ad
alterum, qui etiam sine successione esse potest. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la pensée réfléchie se dit proprement du discours de la raison à
laquelle ne se présente pas immédiatement ce qu’elle recherche : c’est
pourquoi il faut qu’elle mène une recherche en procédant d’une chose à une
autre. Mais dans la patrie s’offrira de façon immédiate et sans
difficulté dans la lumière divine tout ce qui sera
recherché : c’est pourquoi les hommes aussi comprendront par une
intelligence qui a la forme de Dieu et qui sera semblable à celle des Anges.
La succession des pensées n’est cependant pas abolie dans la patrie et encore
moins l’ordre qu’il y a entre une chose et une autre qui peut aussi exister
sans la succession dans le temps. |
[153]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad s. c. Aliud concedimus. |
Nous concédons l’argument en sens contraire. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction. 1 |
Circa
litteram quaeritur de hoc quod dicitur : innotuit, sacrae paginae
tractatores circa res vel signa praecipue versari. Videtur enim divisio
esse incompetens : eo quod contingit idem signum esse et rem ; sicut corpus
Christi verum et character in Baptismo. |
On s’interroge sur ce qui est
dit dans le document, à savoir : il est devenu connu que ceux
qui commentent les écritures sacrées traitent principalement des choses et
des signes. Il semble en effet que la division n’est pas juste du fait
qu’il arrive que la chose et le signe soient identiques, tout comme le vrai
corps du Christ et son signe dans le Baptême. |
2. Praeterea, ipsemet dicit
quod omne signum res est ; et ita videtur quod divisio non sit per opposita. |
De plus, lui-même dit que tout signe est une chose ;
et il semble ainsi que la division ne se fait pas par les opposés. |
3. Item, creaturae omnes
sunt signum divinae bonitatis ; et ita videtur quod fere omnia quae in hac
doctrina traduntur sunt signa. |
En outre, toutes les créatures sont le signe de la bonté
divine ; et ainsi il semble que presque tout ce dont on traite dans cette
doctrine soit des signes. |
Ad quod dicendum, quod ista
divisio non est data per oppositas res, sed per oppositas rationes secundum
absolutum et relatum. Signum enim est quod est institutum ad aliquid
significandum : res autem est quae habet absolutam significationem non ad
aliud relatam. Unde non est inconveniens quod idem sit signum et res respectu
diversorum ; sicut etiam idem homo est pater et filius. Unde patet solutio ad
primum. |
Il faut répondre à cela que
cette division n’est pas donnée au moyen de choses opposées, mais au moyen de
définitions qui s’opposent selon l’absolu et le relatif. Un signe en effet
est ce qui est institué pour signifier quelque chose ; mais une chose
est ce qui possède une signification absolue en elle-même et non pas relativement
à quelque chose d’autre. C’est pourquoi il n’y a pas de difficulté à ce
qu’une même réalité soit à la fois signe et chose sous des rapports
différents, comme c’est le cas aussi pour le même homme qui est à la fois
père et fils. C’est pourquoi la solution à la première difficulté est
évidente. |
Ad secundum dicendum, quod
res dupliciter sumitur in processu hujus locutionis ; sumitur enim communiter
pro omni ente ; et sic omne signum est res : sumitur etiam magis stricte pro
eo quod est res tantum et non signum, et sic contra signum dividitur. |
Pour ce qui est de la deuxième difficulté, il faut dire
que le terme ¨chose¨ se prend de deux manières dans la façon dont on procède
dans ce discours ; il se prend en effet en un sens large, communément,
pour tout ce qui existe, et en ce sens tout signe est une chose ; mais
il se prend aussi en un sens plus étroit pour ce qui n’est que chose et non
signe, et en ce sens le terme ¨chose¨ s’oppose à signe dans la division. |
Ad tertium dicendum, quod
quamvis creaturae sint signum alicujus, nihilominus tamen ad hoc
principaliter non sunt institutae : et ideo non continentur sub signis, nisi
secundum quid. |
Pour ce qui est de la troisième difficulté il faut dire que bien que les créatures soient le signe de quelque chose, ce n’est cependant pas dans ce but qu’elles ont été établies principalement : et c’est pourquoi les craétures ne sont pas contenues dans les signes comme une de leurs parties, si ce n’est sous un certain rapport. |
Deinde quaeritur de hoc
quod dicitur : et primo de rebus, postea de signis disseremus.
Videtur enim quod prius agendum est de signis. Res enim per signa discuntur,
ut in littera dicitur. Ergo per cognitionem signorum devenimus in cognitionem
rerum. |
On s’interroge ensuite sur ce
qui est dit ici : et en premier lieu nous traiterons de choses
et par la suite des signes. Il semble en effet qu’il faut d’abord traiter
des signes. C’est en effet au moyen des signes que les choses sont enseignées
ainsi que le dit le texte. C’est donc par la connaissance des signes que nous
parvenons à la connaissance des choses. |
Ad quod dicendum, quod hoc
sequitur, quando signa et res sunt ejusdem ordinis, scilicet quod prius
determinandum est de signis quam de rebus quae per illa signa significantur.
Sic autem non se habent signa sacramentalia ad ea de quibus in primis tribus
libris agitur. Vel dicendum, quod alius est ordo
servandus in accipiendo cognitionem, et tradendo. Accipiens enim cognitionem
procedit de signis ad signata, quasi modo resolutorio, quia signa magis sunt
nota quo ad ipsum ; sed tradens cognitionem signorum, oportet quod res ante
signa manifestet, eo quod signa sumuntur per similitudinem ad res : unde
oportet praecognoscere res ad cognitionem signorum, ad quarum similitudinem
sumuntur. |
Il faut répondre à cela que
cette conclusion s’ensuit quand les signes et les choses sont du même ordre,
c’est-à-dire quand il faut traiter des signes avant les choses qui sont
signifiées par ces signes. Mais ce n’est pas de cette manière que se
présentent les signes sacramentels par rapport aux choses dont on traite dans
les trois premiers livres. Ou bien il faut dire que l’ordre à observer pour
acquérir la connaissance diffère de celui qu’il faut observer pour
l’enseigner. En effet, celui qui acquiert la connaissance procède des signes
pour aller à ce signifié par eux, comme par un mode de résolution, car les
signes sont plus connus par rapport à lui ; mais en enseignant la
connaissance des signes, il faut manifester les choses avant les signes du
fait que les signes sont tirés de leur ressemblance aux choses : par
conséquent il faut connaître les choses avant de connaître les signes qui
sont choisis d’après leurs ressemblances aux choses. |
Deinde quaeritur de hoc quod dicit : nos sumus
quasi inter utrasque constituti. Videtur enim ex hoc quod homo sit medium
inter utibilia et fruibilia : cujus contrarium videtur ex hoc quod virtus
continetur inter utibilia. Virtus autem est de maxime bonis, secundum
Augustinum, quibus nullus male utitur. Naturales autem potentiae sunt media
bona, quibus aliquis male potest uti, et bene : et ita videtur quod virtutes
sunt supra hominem. |
On s’interroge ensuite sur ce
qu’il dit : nous sommes constitués comme entre chacun des deux.
Il semble en effet d’après ces paroles que l’homme se situe entre les objets
d’usage et ceux de jouissance : mais il semble qu’il n’en soit pas ainsi
du fait que la vertu se prend parmi les objets d’usage. Mais la vertu se
trouve parmi les plus grands biens d’après Augustin, biens dont nul ne peut
mal user. Mais les puissances naturelles sont des biens intermédiaires dont
chacun peut bien ou mal user, de sorte qu’il semble que les vertus soient des
biens supérieurs à l’homme. |
Ad quod dicendum, quod ordo
bonorum dupliciter potest considerari. Aut per comparationem ad rectitudinem
vitae ; et hoc modo virtus, quae est sicut causa per se talis rectitudinis,
est maximum bonum ; potentia autem naturalis, quae est sicut materiale ad
talem rectitudinem, est medium ; et res aliae quae sunt exterius
adminiculantes, sunt minima bona. Potest etiam considerari ordo bonorum
secundum progressum in beatitudinem, et hoc modo ipsum beatificans erit
maximum bonum, et participans beatitudinem erit medium, et disponens ad ipsam
erit minimum. |
Il faut répondre à cela que
l’ordre des biens peut être considéré de deux manières : soit par
rapport à la rectitude de vie et en ce sens la vertu, qui est comme la cause
par soi d’une telle rectitude, est le plus grand bien ; mais la
puissance naturelle, qui est comme la cause matérielle d’une telle rectitude,
est un bien intermédiaire ; et les autres choses, qui sont comme des
aides extérieures, sont les moindres biens. On peut aussi considérer l’ordre
des biens d’après le cheminement vers la béatitude et en ce sens cela même
qui rend bienheureux est le plus grand bien, cellui qui participe de la
béatitude est le bien intermédiaire et ce qui dispose à la béatitude est le
moindre bien. |
Item quaeritur de hoc
: res aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae
quae fruuntur et utuntur. Omne enim quod est, vel est finis, vel est ad
finem. Sed fruibile habet rationem finis, utibile autem
rationem eorum quae sunt ad finem. Ergo utibile et fruibile sufficienter
dividunt res, et ita tertium membrum superfluit, praecipue cum ipse post
dicat, quod hominibus, qui utentes et fruentes sunt, utendum est. |
On s’interroge en outre sur ces paroles : autres
sont les choses dont il faut jouir, autres celles dont il faut user et autres
enfin sont celles dont il faut à la fois jouir et user. En effet, tout ce
qui existe est soit une fin, soit ce qui est en vue de la fin. Mais l’objet
de jouissance a raison de fin alors que l’objet d’usage a raison de ce qui
est en vue de la fin. Donc, l’objet d’usage d’une part et l’objet de
jouissance d’autre part divisent les choses de manière satisfaisante et ainsi
le troisième membre de la division est superflu, principalement parce que
lui-même dit par la suite qu’il faut user des hommes qui sont à la fois ceux
qui font usage et ceux qui jouissent. |
Ad quod dicendum, quod aliquid
est ad finem ordinatum dupliciter : vel sicut progrediens in finem ; et hoc
modo fruens et utens est ad finem : vel sicut via in finem ; et hoc modo
utibile est ad finem : unde utibile non comprehendit omnia quae sunt ad
finem, nisi valde large acceptum. Nec est inconveniens, si idem contineatur
sub duobus membris, cum divisio sit data per oppositas rationes, et non per
oppositas res. |
Il faut répondre à cela
qu’une chose est ordonnée à une fin de deux manières : soit à la manière
de ce qui progresse vers la fin, et en ce sens ce qui jouit et use est en vue
de la fin ; soit à la manière d’un chemin vers la fin et c’est en ce
sens que l’objet d’usage est ordonné à la fin : et c’est pourquoi
l’objet d’usage ne comprend pas en soi tout ce qui est ordonné à la fin, à
moins qu’on ne le prenne assurément au sens large. Et il n’y a pas de
difficulté à ce que la même chose soit contenue dans deux parties différentes
d’une même division, puisque la division se donne ici au moyen de deux
raisons opposées et non pas au moyen de deux choses opposées. |
Item quaeritur de hoc : uti vero est id quod in
usum venerit referre ad obtinendum illud quo utendum est. Videtur quod
male notificet : quia usum non est magis notum quam uti ; et ita videtur quod
definitio non sit per magis nota. |
De plus on s’interroge sur ceci : mais user,
c’est ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à
l’obtention de ce dont il faut user. Mais il semble que la définition
soit mal faite car le terme ¨usage¨ n’est pas plus connu que le terme
¨user¨ ; et il semble ainsi que la définition ne procède pas au moyen de
ce qui est plus connu. |
Ad quod dicendum, quod
totum hoc quod dicitur : id quod in usum venerit, ponitur loco
unius dictionis, et est circumlocutio hujus quod dico utibile, quod est
objectum hujus actus uti. Actus autem convenienter per suum objectum
definitur. |
Il faut répondre à cela que l’ensemble de ce qui est dit, à savoir : ce qui viendra dans l’usage, est posé au lieu d’un terme unique, et est une locution qui remplace le terme ¨l’utile¨, lequel désigne l’objet de l’acte d’user. Mais un acte est défini correctement au moyen de son objet. |
Item quaeritur de hoc
: non enim facile potest inveniri nomen quod tantae excellentiae
conveniat, quae sit causa hujus dicti. Ad quod dicendum, quod nos
imponimus nomina rebus secundum quod veniunt in cognitionem nostram ; et quia
nos cognitionem accipimus a rebus creatis, imponimus nomina secundum modum
rerum creatarum. Ea autem quae sunt in creaturis, non sunt per eumdem modum
in Deo, sed excellentiori modo ; ideo nomina quae nos imponimus, non sunt
sufficientia ad significandum Deum, sicut patet quod nomina significantia in
abstracto, significant quid imperfectum non per se subsistens, ut humanitas,
vel albedo ; concreta autem significant quid compositum, quorum neutrum
divinae convenit nobilitati. |
On s’interroge par ailleurs
sur ce qui est dit ici : on ne peut en effet découvrir facilement le nom
qui convient à un bien d’une telle excellence et qui serait la cause de ce
qui est dit. Il faut répondre à cela que nous imposons les noms aux choses
selon qu’elles viennent à être connues de nous ; et parce que nous
acquérons les connaissances à partir des choses créées, nous imposons les
noms d’après le mode des choses créées. Mais ce qu’on retrouve dans les
choses créées n’existe pas de la manière en Dieu, mais selon d’une manière
plus excellente ; et c’est pour cette raison que les noms que nous
imposons ne signifient pas Dieu d’une manière qui lui est adéquate, comme on
le voit pour les noms qui signifient d’une manière abstraite, lesquels
signifient quelque chose d’imparfait qui ne subsiste pas par soi, comme
l’humanité et la blancheur ; et les noms concrets pour leur part
signifient quelque chose qui existe par soi mais qui est composé : on
voit donc bien qu’aucune de ces deux sortes de noms n’est parfaitement
ajustée à l’excellence de Dieu. |
Item quaeritur de hoc
: tanto nostram peregrinationem et tolerabilius sustinemus, et
ardentius finire cupimus. Videtur enim contrarium, per id quod dicitur Proverb. 13,
12 : spes quae differtur, affligit animam. Et ita per hoc quod in
speculo cognoscimus, et praesentiam desideramus, intolerabilius absentiam
sustinemus. |
On s’interroge en outre sur ceci : et nous supportons d’autant plus notre pèlerinage et nous désirons d’autant plus vivement le terminer. Il se semble que ce soit le contraire qui soit vrai selon ce qu’on en dit au livre des Proverbes (13, 12) : l’espoir qui est reporté attriste l’âme. Et ainsi du fait que nous Le connaissons comme par un miroir, nous en désirons la présence et en supportons l’absence d’une manière plus intolérable. |
Ad quod dicendum, quod
inquantum spes est desiderati absentis, sic est causa afflictionis ;
inquantum autem res desiderata per spem et imperfectam cognitionem aliquo
modo efficitur praesens, sic affert quamdam delectationem. |
Il faut répondre à cela que
dans la mesure où l’espoir se rapporte à un objet désiré qui est absent, cet
espoir est cause d’affliction ; mais dans la mesure où la chose désirée
est rendue présente d’une certaine manière par l’espoir et une connaissance
imparfaite, elle apporte alors une certaine délectation. |
Deinde quaeritur de hoc
quod dicit : notandum quod idem Augustinus (...) aliter quam supra,
accipiens uti et frui, sic dicit". Unius enim unica est definitio,
sicut et esse. Ergo de uti et frui non debent dari multae definitiones. |
On s’interroge ensuite sur ce qu’il dit ici : Il faut remarquer que le même Augustin (…) concevant autrement qu’il ne l’a fait plus haut l’usage et la jouissance, parle ainsi. Pour une même chose en effet il n’y a qu’une seule définition tout comme il n’y a qu’une seule existence. On ne doit donc pas donner plusieurs définitions de l’usage et de la jouissance. |
Ad quod dicendum, quod si
inveniretur aliqua definitio quae diceret esse rei secundum comparationem ad
omnes causas ipsius proprias, esset perfectissima, et una tantum ; sed
inveniuntur definitiones notificantes esse rei plures secundum diversas
causas. Unde aliqua datur per causam finalem, quaedam per formalem, et sic de
aliis. Inveniuntur etiam aliae notificationes sumptae ex proprietatibus
consequentibus esse rei, et tales etiam possunt esse plures. |
Il faut répondre à cela que
si on rencontrait une définition qui exprimerait l’existence de la chose
d’après un rapport à toutes ses causes propres, ce serait là sa définition la
plus parfaite et la seule définition. Mais on rencontre des définitions qui
font connaître l’existence de la chose d’après des causes différentes. Il est
donc possible de donner pour une même chose une définition par la cause
finale, une autre par la cause formelle et il en est de même pour les autres.
Il se rencontre même d’autres définitions tirées des propriétés qui découlent
de l’existence de la chose et celles-là aussi peuvent être nombreuses. |
Dicendum ergo, quantum ad
praesens pertinet, quod prima definitio de frui, scilicet, frui est
amore alicui rei inhaerere propter seipsam, datur per comparationem ad
objectum, et habitum elicientem actum ; secunda autem, scilicet, fruimur
cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit, datur
per comparationem ad potentiam cujus est actus secundum ordinem ad potentiam
praecedentem, scilicet cognitivam ; tertia, scilicet, frui est uti
cum gaudio, non adhuc spei, sed jam rei, datur per proprietatem
consequentem actum, inquantum perfectus est, scilicet gaudium de re habita.
Similiter dicendum quod prima definitio de uti, scilicet, uti est
referre quod in usus venerit, ad obtinendum id quo fruendum est, datur
per comparationem ad objectum et ad finem de uti proprie dicto : alia autem,
scilicet, uti est assumere aliquid in facultatem voluntatis,
datur de uti communiter sumpto per comparationem ad potentiam operantem et
universaliter moventem. |
Il faut donc dire, quant à ce
qui se rapporte au propos actuel que la première définition de la jouissance,
à savoir que jouir c’est s’attacher à une chose pour elle-même par
amour, est donnée ici par rapport à l’objet même de la jouissance et à
l’habitus qui fait naître l’acte ; mais la deuxième, à
savoir : nous jouissons des choses connues dans lesquelles la
volonté se repose pour elles-mêmes avec complaisance, est donnée par
rapport à la puissance dont elle est l’acte conformément à un rapport à la
puissance qui précède, c’est-à-dire la puissance cognitive ; la
troisième, à savoir que jouir, c’est user avec joie, non pas la joie
de l’espérance, mais celle de la chose déjà possédée, se donne par la
propriété qui découle de l’acte dans la mesure où cet acte est parfait, à
savoir la joie qui découle de la chose possédée. De la même manière il faut
dire que la première définition de l’usage, à savoir que user,c’est
ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à l’obtention de
ce dont il faut jouir, est donnée par rapport à l’objet et à la fin
de l’usage proprement dit ; mais l’autre, à savoir que user
c’est disposer d’une chose au gré de la faculté de la volonté, est donnée
au sujet de l’usage pris communément par rapport à la puissance qui pose
l’opération et qui meut universellement. |
Deinde
circa hoc quod dicit : neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis
rebus, notandum quod ostendit differentiam usus nostri ad usum divinum in
duobus : scilicet in hoc quod nos referimus usum nostrum, quo operamur circa
res, ad utilitatem nostram ; ille vero non ad utilitatem suam, sed
nostram. Item ipse refert usum suum, quo rebus utitur, ad
bonitatem suam ; nos vero non ad bonitatem nostram, sed ipsius. |
Ensuite, par rapport à ce
qu’il dit ici: et il n’use pas de nous de la même manière que nous
usons des autres choses, il faut remarquer qu’il manifeste une double
difference entre notre usage et l’usage divin: à savoir que notre usage, par
lequel posons des operations sur les choses, nous le rapportons à notre
utilité propre alors que Lui ne rapporte pas son usage à son utilité propre
mais à la nôtre. De plus, Lui-même attribute à sa bonté son usage par lequel
il se sert des choses alors que nous n’attribuons pas notre usage à notre
bonté mais à la sienna. |
Et hoc ostendit in operibus
misericordiae primo, et planum est : et secundo in operibus creationis : ipse
enim propter bonitatem suam fecit nos ; et ideo dicit : quia bonus
est, sumus; et ex eo quod sumus, habemus bonitatem : et hoc prodest
nobis. [Unde dicit : "inquantum est, boni sumus" om. Éd. De
Parme]. Et sic patet quod hoc opus est ad nostram utilitatem. Tertio
ostendit in opere justitiae ; ipse enim punit nos propter bonitatem suam ; et
ideo dicit : quia justus est, non impune mali sumus : quia
justitia ejus bonitas ejus est. Hoc etiam ad utilitatem nostram cedit ; quia
ad hoc punimur pro malo, ut a malo recedamus, et ita a non esse : propter
quod dicit : inquantum mali sumus, minus sumus ; quia quanto
magis mali sumus, minus sumus : malum enim est privatio ; unde quanto
multiplicatur in nobis, tanto elongat nos ab esse perfecto. |
Et il manifeste cela en premier lieu dans les œuvres de miséricorde, et cela est évident, puis il le manifeste en deuxième lieu dans les œuvres de la création : en effet, c’est à cause de sa bonté qu’il nous a faits et c’est pourquoi il dit : parce qu’il est bon, nous sommes; et du fait que nous sommes, nous avons de la bonté : et cela nous est utile. [De là il dit : ¨parce qu’il est, nous sommes bons¨]. Et ainsi il est clair que cette œuvre de la création est à notre avantage. En troisième lieu il le montre par l’œuvre de la justice ; c’est Lui-même en effet qui nous punit à cause de sa bonté et c’est pourquoi il dit : parce qu’il est juste, ce n’est pas impunément que nous sommes méchants : parce que sa justice est sa bonté. Et cela aussi tourne à notre avantage ; car nous sommes punis pour le mal que nous avons fait afin que nous nous en détachions et qu’ainsi nous nous détachions aussi du non-être ; et c’est pour cette raison qu’il dit : dans la mesure où nous sommes mauvais, nous avons moins d’être ; car nous avons d’autant moins d’être que nous sommes plus mauvais ; le mal en effet est une privation ; pour cela, le mal nous éloigne d’autant plus d’une existence parfaite qu’il grandit en nous |
Deinde quaeritur de hoc quod dicit : item
quia bonus est, sumus. Videtur enim esse falsum : sicut enim dicit
Boetius, si removeatur per intellectum bonitas a Deo, adhuc remanebunt alia
entia et alia, sed non bona. Ergo non quia bonus est, sumus. |
Ensuite on s’interroge sur ce
qu’il dit ici : en outre, parce qu’il est bon, nous sommes.
Cela semble faux en effet : en effet, tout comme le dit Boèce, si notre
intelligence retire de Dieu la bonté, il restera encore d’autres êtres, mais
non de bons êtres. Ce n’est donc pas parce qu’il est bon que nous sommes. |
Respondeo dicendum, quod
opera divina possunt comparari ad divina attributa sicut ad causam
efficientem exemplarem ; et hoc modo sapientia creaturae est a sapientia Dei,
et esse creaturae ab esse divino, et bonitas a bonitate ; et sic loquitur
Boetius (loc. cit.). Sed tamen quia bonitas habet rationem finis, et finis
est causa omnium causarum, ideo omnes istae processiones perfectionum in
creaturas attribuuntur bonitati divinae etiam a Dionysio, (De div. Nom.,)
quamvis a diversis attributis exemplentur. Item quaeritur de hoc quod dicit
: inquantum sumus, boni sumus. Alia enim est ratio boni et entis
; et ita videtur falsum dicere. |
Je réponds qu’il faut dire
que les œuvres divines peuvent se comparer aux attributs divins comme à leur
cause efficiente exemplaire : et en ce sens la sagesse de la créature
vient de la sagesse divine et l’être de la créature procède de l’être divin,
et la bonté de la créature de la bonté divine ; et c’est ainsi que parle
Boèce. Cependant, parce que le bien a raison de fin et que la fin est la
cause de toutes les autres causes, c’est pourquoi toutes ces processions des
perfections dans les créatures sont attribuées à la bonté divine même par
Denys dans Les Noms Divins bien qu’elles se trouvent a être
reproduites là par différents attributs. On s’interroge de plus ce qu’il dit
ici : nous sommes bons dans la mesure où nous sommes. En
effet, la notion du bien diffère de celle de l’être et ainsi il semble faux
de dire cela. |
Respondeo dicendum, quod
quamvis bonum et ens differant secundum intentiones, quia alia est ratio boni
et entis ; tamen convertuntur secundum supposita, eo quod omne esse est a
bono et ad bonum ; unde inquantum non dicit identitatem
intentionis, sed aequalitatem suppositorum boni et entis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que bien que le bien et l’être
diffèrent en tant que notions, car la définition du bien diffère de celle de
l’être, cependant ils se convertissent quant au sujet du fait que tout ce qui
existe vient du bien et est ordonné au bien ; par conséquent, en
ce sens, il n’affirme pas
l’identité des notions, mais l’identité des sujets du bien et de l’être. |
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Distinctio 2 |
Distinction 2 – [L’unité en Dieu] |
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Quaestio 1 |
Qestion unique : [Unité de l’essence divine] |
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Prooemium |
Proème. |
Ad evidentiam eorum quae
hic dicuntur, quinque quaeruntur : 1 de unitate divinae essentiae ; 2 utrum in illa unitate sit
invenire diversitatem attributorum ; 3 utrum pluralitas
rationum, secundum quas attributa differunt, sit aliquo modo in Deo, vel
tantum in intellectu ratiocinantis ; 4 utrum illa unitas
compatiatur pluralitatem personarum ; 5 si compatitur, utrum
pluralitas illa sit pluralitas realis, vel rationis tantum. |
Pour manifester les choses
qui sont dites ici on s’interroge sur cinq points : 1. Sur l’unité de l’essence
divine. 2. Doit- on retrouver dans
cette unité une diversité d’attributs ? 3. Est-ce que la multiplicité
des définitions, d’après lesquelles les attributs diffèrent, se retrouve en
un sens en Dieu ou seulement dans l’intelligence qui raisonne ? 4. Est-ce que cette unité est
compatible avec la pluralité des Personnes ? 5. Si elle est compatible,
est-ce que cette pluralité est réelle ou s’agit-il seulement d’une pluralité
de raison ? |
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Articulus 1 [156] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit tantum unus |
Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ? |
[157]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod non sit necessarium ponere unum Deum. Ab uno enim primo et simplici
procedit tantum unum, secundum philosophum [VIII Physic., text. 49, sive c. VI et VIII
Metaph., text. 15, sive cap. VI]. Sed plures bonitates inveniuntur
participari in creaturis, sicut sapientia, bonitas, pax et hujusmodi. Ergo
videtur quod procedant a pluribus primis principiis, et sic est ponere plures
deos : et hic videtur fuisse error gentilium, ut dicit Dionys. [lib. de div.
Nom., cap XI, § 6], quod etiam patet ex hoc quod ponebant unum Deum
sapientiae, et aliam deam pacem, et sic de aliis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante à l’égard de cette première question. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de poser un seul Dieu. En effet, à partir de l’un premier et simple ne procède qu’un seul être d’après le Philosophe [ VIII Physic. Ch. VI ; VIII Metaph. Ch. VI]. Mais plusieurs biens se trouvent à être participés par les créatures, comme la sagesse, la bonté, la paix et les biens de cette sorte. Il semble donc que ces biens procèdent de plusieurs premiers principes, et ainsi il faut poser plusieurs dieux : et telle semble avoir été l’erreur des Gentils comme le dit Denys dans le livre Des Noms Divins [Ch. XI, 6], ce qui apparaît encore clairement du fait qu’ils posaient l’existence d’un dieu de la sagesse, d’une déesse de la paix et ainsi de suite. |
[158]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, sicut dicitur 5
Metaph.,[text. 18] perfectum unumquodque est, quando potest producere sibi
simile in natura. Sed divina essentia est perfectissima. Ergo videtur quod
possit producere aliam essentiam sibi similem, ita quod sint plures divinae
essentiae. |
2. En outre, comme on le dit
au cinquième livre du traité de la Métaphysique, une chose est
parfaite quand elle peut produire ce qui lui est semblable par nature. Mais
l’essence divine est la plus parfaite. Il semble donc qu’elle puisse produire
une autre essence qui lui est semblable, de sorte qu’il y aurait plusieurs
essences divines. |
[159] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, prima materia, quae est pura potentia, est una ;
et quanto formae sibi sunt propinquiores, inveniuntur pauciores numero. Primo
enim perficitur per quatuor formas elementares, post per plurimas formas
mixtorum corporum. Ergo in ultimo remotionis a materia, debet inveniri maxima
pluralitas ; et ita videtur quod, cum Deus sit maxime remotus a materia, et
natura divina sit maxime multiplicata ; et sic sunt plures dii. |
3. En outre la matière
première, qui est pure puissance, est une ; et plus les formes en sont
rapprochées, plus on les retrouve en petit nombre. En premier lieu en effet
la matière première est complétée par les quatre formes élémentaires et par
la suite par les multiples formes des corps mixtes. Donc dans l’éloignement
extrême de la matière, on doit retrouver une multiplicité extrême de formes ;
et il semble ainsi, puisque Dieu est extrêmement éloigné de la matière, que
la nature divine se multiplie à l’extrême et qu’il y ait ainsi plusieurs
dieux. |
[160] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omnis natura quae invenitur in pluribus
secundum prius et posterius, oportet quod descendat ab uno primo, in quo
perfecte habeatur. Unitas enim principiati attestatur unitati principii,
sicut omnis calor originatur ab uno calidissimo, quod est ignis. Sed entitas
invenitur in pluribus secundum prius et posterius. Ergo oportet esse unum
primum ens perfectissimum, a quo omnia entia habent esse, et hic est Deus.
Est igitur unus Deus. |
Cependant : 1. Toute nature qu’on
retrouve dans plusieurs êtres selon l’avant et l’après doit
provenir d’un seul premier principe dans lequel elle se présente
parfaitement. L’unité de l’effet est en effet confirmée par l’unité du
principe, tout comme toute chaleur tire son origine de ce seul corps le plus
chaud qui est le feu. Mais l’être se retrouve chez plusieurs selon l’avant et
l’après. Il faut donc qu’il y ait un seul être premier absolument parfait,
duquel tous les autres êtres tirent leur être et tel est Dieu. Il n’y a donc
qu’un seul Dieu. |
[161] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, si sint plures dii per essentiam distincti,
oportet quod eorum essentiae dividantur ab invicem essentiali differentia,
sicut quae differunt specie vel genere vel quae differunt numero. Si autem
differunt genere vel specie, oportet quod aliqua differentia differant. Illa
autem differentia aut pertinet ad bonitatem, aut non. Si non, ergo Deus, in
quo erat differentia, non habet puram bonitatem ; et sic non est purum bonum.
Si autem pertinet ad bonitatem, et illa non invenitur in alio, ergo ille in
quo non invenitur non erit perfectus in bonitate. Oportet autem Deum esse
summum bonum, quod sit et purum et perfectum in bonitate. Ergo impossibile
est esse plures deos. |
2. De plus, s’il y avait
plusieurs dieux distincts par leur essence, il faudrait que leurs essences se
distinguent les unes des autres par une différence essentielle, comme les
choses qui diffèrent par l’espèce ou le genre ou qui diffèrent par le nombre.
Mais s’ils diffèrent par le genre ou l’espèce, il faut qu’ils diffèrent par
une différence. Mais cette différence ou bien concerne la bonté ou bien ne la
concerne pas pas. Si elle ne la concerne pas il s’ensuit que le Dieu, dans
lequel était la différence, ne possède pas une pure bonté et ainsi n’est
pas purement bon. Mais si la différence concerne la bonté et que cette
dernière ne se retrouve pas dans l’autre, celui dans lequel elle ne se
retrouve pas ne sera pas parfait en termes de bonté. Mais il faut que Dieu
soit le bien suprême et qu’il soit la bonté pure et parfaite. Il est donc
impossible qu’il y ait plusieurs dieux. |
62] Super Sent., lib. 1 d.
2 q. 1 a. 1 s. c. 3 Si dicatur, quod illa differentia est eadem secundum
speciem in utroque, sed differens numero, contra : quidquid est ejusdem
speciei, non dividitur secundum numerum, nisi secundum divisionem materiae
vel alicujus potentialitatis. Ergo si [ergo et Éd. de Parme] illa differentia
est eadem secundum speciem, differens numero. Oportebit ergo quod in Deo sit
aliquid potentiale, et sic ens diminutum et dependens ad aliud, quod est
contra rationem primi entis. |
3. Mais si on dit que cette différence est la même selon l’espèce chez les deux et qu’ils ne diffèrent que par le nombre, il se présente une difficulté : tout ce qui est de même espèce ne se divise par le nombre que selon une division de la matière ou d’une potentialité. Donc si cette différence est la même selon l’espèce, il n’y a différence que par le nombre. Il faudra donc qu’en Dieu il y ait potentialité et il y aura donc en lui un être diminué et qui dépend d’un autre : et cela est contraire à la notion même d’un être premier. |
[163] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, ejus in quo non differt suum esse et sua
quidditas, non potest participari quidditas sua sive essentia, nisi et esse
participetur. Sed quandocumque dividitur essentia alicujus per
participationem, participatur essentia eadem secundum rationem et non
secundum idem esse. Ergo impossibile est ejus in quo non differt essentia et
esse, essentialem participationem dividi vel multiplicari. Tale autem est
Deus : alias esset suum esse acquisitum ab aliquo. Ergo impossibile est quod
divinitas multiplicetur vel dividatur ; et ita erit unus tantum Deus. |
4. Par ailleurs, pour l’être dans lequel l’existence ne diffère pas de la quiddité, la quiddité ou l’essence ne peut être participée que si l’existence elle-même peut être participée. Mais toutes les fois que l’essence d’une chose est divisée par mode de participation, cette même essence est participée selon la raison et non selon une même existence. Il est donc impossible, pour celui dans lequel l’essence ne diffère pas de l’existence, qu’il y ait division ou multiplication d’une participation essentielle. Mais Dieu est un être de cette sorte : autrement son existence serait acquise à partir d’un autre être. Il est donc impossible qu’il y ait une multiplication ou une division de Dieu et il n’y a donc ainsi qu’un seul Dieu. |
[164]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis
multitudo procedat ex [ab Éd. de Parme] unitate aliqua, ut dicit Dionysius, oportet
universitatis multitudinem ad unum principium omnium [omnium Om. Éd. de
Parme] entium primum reduci, quod est Deus ; hoc enim et fides supponit et
ratio demonstrat. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque tout multiplicité procède d’une unité, ainsi que le dit Denys, il
faut que la multiplicité qu’on retrouve dans l’univers se ramène à un univque
premier principe de tous les êtres qui est Dieu ; et c’est là en effet
ce que la foi affirme et ce que la raison démontre. |
[165] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis bonitates
participatae in creaturis sint differentes ratione, tamen habent ordinem ad
invicem et una includit alteram et una fundatur super altera ; sicut in
intelligere includitur vivere, et in vivere includitur esse ; et ideo non
reducuntur in diversa principia, sed in unum. Si etiam ordinem non haberent,
non propter hoc excluderetur unitas primi principii : quia quod in principio
unitum est, in effectibus multiplicatur : semper enim in causa est aliquid
nobilius quam in causato. Unde primum principium licet sit unum et simplex
re, sunt tamen in eo plures rationes perfectionum, ut sapientia, vita
[scilicet sapientiae, vitae Éd. de Parme] et hujusmodi, secundum quas
diversae perfectiones re differentes in creaturis causantur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que les biens dont les créatures participent diffèrent par la
raison, elles sont cependant ordonnées entre elles car l’une comprend l’autre
et l’une se fonde sur l’autre ; par exemple, intelliger est une forme de
vie et la vie est une forme d’existence ; et c’est pourquoi ces biens ne
se ramènent pas à des principes différents mais à un seul. Et même si ces
biens n’étaient pas ordonnés entre eux, l’unité du premier principe ne serait
pas écartée pour cela : car ce qui est uni dans le principe
se trouve à être divisé dans les effets : en effet, quelque
chose existe toujours d’une manière plus noble dans la cause que dans
l’effet. De là, bien que le premier principe soit un et simple en tant
qu’être, il y a cependant en lui plusieurs perfections de natures différentes
comme la sagesse, la vie et d’autres perfections de cette sorte d’après
lesquelles différentes perfections qui diffèrent par la chose sont causées
dans les créatures. |
[166] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc est de perfectione divinae
essentiae, quod sibi similis et aequalis alia essentia esse non potest. Si
enim ab ipsa esset, oporteret quod esse illius esset dependens ab ipsa, et
sic incideret in illam essentiam potentialitas, per quam distingueretur ab
essentia divina, quae est actus purus. Non autem oportet quod quidquid est de
nobilitate creaturae, sit de nobilitate creatoris, quae ipsam
improportionabiliter excedit ; sicut aliquid est de nobilitate canis, ut esse
furibundum, quod esset ad ignobilitatem hominis, ut dicit Dionysius [cap ; Iv
de div. Nom. § 25]. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’il est de la perfection même de l’essence divine qu’il ne puisse
exister une autre essence qui lui serait égale et semblable. Si en effet il
existait une autre essence divine venant d’elle, il faudrait que cette autre
essence divine en soit dépendante et on retrouverait ainsi dans cette autre
essence une potentialité par laquelle elle se distinguerait de
l’essence divine qui est acte pur. Mais il ne faut pas que ce qui fait partie
de l’excellence de la créature se retrouve dans l’excellence du créateur,
cette dernière dépassant la première sans aucune commune mesure : par
exemple, la fureur qui fait partie de l’excellence du chien serait méprisable
si on la retrouvait chez l’homme ainsi que le dit Denys dans Les Noms
Divins (ch. 4). |
[167] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod simplex principium habet rationem unitatis ; et quia materia est potentia tantum, ideo est una numero, non per unam formam quam habeat, sed per remotionem omnium formarum distinguentium ; et per eamdem rationem actus purus et primus est unus, non multiplicabilis sicut materia multiplicatur per adventum formarum, sed omnino impossibilis ad diversitatem. |
3. En troisième lieu il faut
dire qu’un principe simple a raison d’unité ; et parce que la matière
n’est que puissance, c’est pourquoi elle une par le nombre et non par la
possession d’une forme unique, mais par l’éloignement de toutes les formes
qui la distingueraient ; et pour la même raison l’acte pur et premier
est un et ne peut être multiplié, comme la matière se multiplie par la
réception des formes, mais l’altérité lui est absolument impossible. |
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Articulus 2 [168] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sint plura attributa |
Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ? |
[169]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic
proceditur. Videtur
quod in divina essentia non sit pluralitas attributorum. Illud enim est
maxime unum quod omnino a pluralitate removetur. Albius enim est, secundum
philosophum [III Top., cap. VIII], quod est nigro impermixtius. Sed divina
essentia est summe una, quae est principium totius unitatis. Ergo in ea nulla
pluralitas attributorum cadere poterit [potest Éd. de Parme]. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante pour ce deuxième article. Il semble qu’il n’y ait pas pluralité d’attributs dans l’essence divine. En effet, est suprêmement un ce qui est absolument éloigné de la multiplicité. D’après le Philosophe en effet, dans ses Topiques (3, 8), est plus blanc ce qui est moins mélangé au noir. Mais l’essence divine est suprêmement une, laquelle est principe de toute unité. On ne pourra donc retrouver en elle aucune pluralité d’attributs. |
[170] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, unius simplicis [simplicitatis Éd. de Parme] est
operatio una. Sed divina essentia est una et simplex. Ergo habet
tantum unam operationem. Diversorum autem attributorum sunt operationes diversae, sicut
scientiae scire et voluntatis velle et sic de aliis. Ergo in Deo non
invenitur diversitas attributorum. |
2. En outre, il appartient à un principe un et simple d’avoir une opération simple. Mais l’essence divine est une et simple. Elle ne possède donc qu’une seule opération. Mais des opérations différentes appartiennent à des attributs différents, comme le savoir relève de la science et le vouloir de la volonté et il en est de même pour le reste. On ne retrouve donc pas en Dieu une pluralité d’attributs. |
[171] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, omne quod simpliciter
melius est esse quam non esse, Deo est attribuendum. Sed sapientia, bonitas
et hujusmodi simpliciter sunt melius esse quam non esse. Ergo sunt in Deo. |
Cependant : 1. Comme le dit Augustin,
tout ce qu’il est préférable qu’il existe plutôt que de ne pas exister doit
être attribué à Dieu. Mais il est préférable que la sagesse, la bonté et les
attributs de cette sorte existent plutôt qu’ils n’existent pas. On doit donc
les retrouver en Dieu. |
[172] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod dicitur secundum quid, originatur
ab eo quod est simpliciter et absolute. Sed invenimus quaedam esse perfecta
non absolute, sed secundum suam naturam, quaedam plus et quaedam minus. Ergo
oportet esse aliquod perfectum absolute et simpliciter, a quo omnia alia
perficiantur. Sed, sicut dicit philosophus [in V Metaph. , text. 21], perfectum
simpliciter est in quo inveniuntur omnes nobilitates repertae in omnibus
generibus, et Commentator dicit ibidem, quod hoc est Deus. Ergo in Deo est
reperire potentiam, bonitatem, et quidquid aliud est nobilitatis in quacumque
re. |
Par ailleurs, tout ce qui se
dit relativement tire son origine de ce qui se dit simplement et absolument.
Mais nous découvrons que certaines choses sont parfaites non pas absolument
mais d’après leur nature, certaines plus et d’autres moins. Il faut donc
qu’il y ait quelque chose de parfait absolument et simplement, duquel tous
les autres êtres tirent leurs perfections. Mais tout comme le dit le
Philosophe dans sa Métaphysique (V, 16), est parfait absolument ce en quoi se
rencontrent toutes les excellences qu’on découvre dans tous les genres, et le
Commentateur dit au même endroit que c’est cela même qui est Dieu. Il faut
donc retrouver en Dieu la puissance, la bonté et toute autre
excellence qu’on rencontre dans toutes les choses. |
[173]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidquid est
entitatis et bonitatis in creaturis, totum est a creatore : imperfectio autem
non est ab ipso, sed accidit ex parte creaturarum, inquantum sunt ex nihilo.
Quod autem est causa alicujus, habet illud excellentius et nobilius. Unde
oportet quod omnes nobilitates omnium creaturarum inveniantur in Deo
nobilissimo modo et sine aliqua imperfectione : et ideo quae in creaturis
sunt diversa, in Deo propter summam simplicitatem sunt unum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout ce qu’on rencontre d’être et de bonté dans les créatures vient totalement du créateur : mais aucune imperfection ne vient de Lui mais vient des créatures selon qu’elles sont tirées du néant. Mais ce qui est cause de quelque chose le possède en lui d’une manière plus excellente et plus élevée. D’où il faut que toutes les perfections appartenant à toutes les créatures se retrouvent en Dieu d’une manière plus élevée et sans aucune imperfection : et c’est pourquoi ce qui existe dans les créatures dans la diversité n’existe en Dieu que dans l’unité en raison de sa suprême simplicité. |
Sic ergo dicendum est, quod
in Deo est sapientia, bonitas, et hujusmodi, quorum quodlibet est ipsa divina
essentia, et ita omnia sunt unum re. Et quia unumquodque eorum est in Deo
secundum sui verissimam rationem, et ratio sapientiae non est ratio
bonitatis, inquantum hujusmodi, relinquitur quod sunt diversa ratione, non
tantum ex parte ipsius ratiocinantis sed ex proprietate ipsius rei : et inde
est quod ipse non est causa rerum omnino aequivoca, cum secundum formam suam
producat effectus similes, non univoce, sed analogice ; sicut a sua sapientia
derivatur omnis sapientia, et ita de aliis attributis, secundum doctrinam
Dionysii [de div. Nom. Cap. VII]. Unde ipse est exemplaris forma rerum, non
tantum quantum ad ea quae sunt in sapientia sua, scilicet secundum rationes
ideales, sed etiam quantum ad ea quae sunt in natura sua, scilicet attributa. |
Ainsi donc il faut dire qu’en
Dieu on retrouve la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte dont
chacun est l’essence divine et ainsi tous sont un par la chose. Et parce que
chacun de ces attributs est en Dieu selon sa notion la plus vraie et que la
notion de sagesse n’est pas la notion de bonté en tant que telle, il s’ensuit
qu’elles sont différentes par la raison non seulement du côté de celui qui
raisonne mais en raison de la propriété de la chose elle-même : et il
suit de là que Lui-même n’est pas une cause absolument équivoque des choses
puisqu’il produit d’après sa forme des effets qui lui sont semblables non pas
d’une manière univoque, mais d’une manière analogue : par exemple, c’est
de sa sagesse que provient toute sagesse, et il en est de même pour tous ses
autres attributs d’après l’enseignement de denys [Les Noms Divins,
ch. VII]. C’est pourquoi il est Lui-même la forme exemplaire des
choses non seulement quant à ce qui est dans sa sagesse, c’est-à-dire d’après
des notions idéales, mais aussi quant à ce qui est dans sa nature,
c’est-à-dire les attributs. |
Quidam autem dicunt, quod
ista attributa non differunt nisi penes connotata in creaturis : quod non
potest esse : tum quia causa non habet aliquid ab effectu, sed e converso :
unde Deus non dicitur sapiens quia ab eo est sapientia, sed potius res creata
dicitur sapiens inquantum imitatur divinam sapientiam : tum quia ab aeterno
creaturis non existentibus, etiam si nunquam futurae fuissent, fuit verum
dicere, quod est sapiens, bonus et hujusmodi. Nec idem omnino significatur
per unum et per aliud, sicut idem significatur per nomina synonima. |
Certains cependant affirment
que ces attributs ne diffèrent que lorsqu’ils sont exprimés dans les
créatures : ce qui est impossible : tant parce que ce n’est pas la
cause qui tire de l’effet ce qu’elle possède mais c’est l’inverse qui est
vrai ; c’est pourquoi on ne dit pas de Dieu qu’il est sage parce qu’il
tire sa sagesse d’un tel, mais plutôt c’est la chose créée dont on dit
qu’elle est sage en tant qu’elle imite la sagesse divine ; tant parce
que de toute éternité, les créatures n’existant pas, et même si elle
n’avaient jamais existé, il était vrai de dire qu’Il est sage, bon, et
possède les attributs de cette sorte. Et on ne signifie pas absolument la
même chose par l’un et par l’autre de ces termes comme on signifie la même
chose par des noms synonymes. |
[174] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pluralitas attributorum in
nullo praejudicat summae unitati : quia ea quae in aliis sunt ut plura, in eo
sunt unum, et remanet pluralitas tantum secundum rationem, quae non opponitur
summae unitati in re, sed necessario ipsam consequitur, si simul adsit
perfectio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la multiplicité des attributs n’empêche aucunement l’unité la plus parfaite : car ce qui dans les autres existe dans la multiplicité existe en Lui dans l’unité et ne demeure multiple que selon la raison, ce que n’empêche pas l’unité la plus parfaite selon la chose mais en découle nécessairement, si la perfection est présente simultanément. |
[175] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio Dei est sua essentia.
Unde sicut essentia est una, ita operatio est una in re, sed plurificatur per
diversas rationes : sicut etiam est ex parte essentiae, quae licet sit una,
considerantur tamen in ea plures rationes attributorum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’opération de Dieu est son essence. De là, tout comme l’essence est
une, de même l’opération est une quant à la chose mais elle se multiplie au
moyen des notions différentes tout comme c’est à partir de l’essence
qui, bien qu’elle soit une, que sont cependant considérées en elle les
nombreuses notions des attributs. |
|
|
Quaestio 1 Articulus 3 lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum pluralitas rationum, quibus attributa differunt,
sit tantum in intellectu, vel etiam in Deo ; |
Article 3 – La pluralité des notions par lesquelles les attributs diffèrent, est-elle seulement dans l’intellect ou aussi en Dieu ? |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 1 Circa tertium sic proceditur. Videtur quod pluralitas
rationum secundum quas attributa differunt, nullo modo sit in Deo, sed tantum
in intellectu ratiocinantis. Dicit enim Dionysius [I cap. de div. Nom. § 4, 589 D] Omnem
sanctorum theologorum hymnum invenies ad bonos thearchiae processus,
manifestative, et laudative Dei nominationes dividentem. Et est sensus, quod
nomina quae in laudem divinam sancti assumunt, secundum diversos divinitatis
processus, quibus ipse Deus manifestatur, dividuntur. Ergo ista pluralitas
non est ex parte Dei, sed ex parte diversorum effectuum, ex quibus
intellectus noster Deum diversimode cognoscit et nominat. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de ce troisième article. Il semble que la multiplicité des notions
d’après lesquelles les attributs diffèrent n’existe nullement en Dieu, mais
seulement dans l’intelligence de celui qui raisonne. Denys dit en effet [Les
Noms Divins, 1, & 4, 13, 589] : Tu trouveras toute la
louange des saints théologiens qui distingue clairement et avec évidence les
noms divins par rapport aux bons processus de la théarchie. Et le sens en
est que les noms que ces saints prennent dans la louange divine se divisent
d’après les différents manière dont les créatures procèdent de la divinité et
par lesquelles Dieu se manifeste. Cette multiplicité ne se tient donc pas du
côté de Dieu mais du côté des différents effets à partir desquels notre
intelligence connaît et nomme Dieu de différentes manières. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 2. Praeterea, Dionysius[in Epist. Ad Gajun] dicit : si
aliquis videns Deum, intellexerit quod vidit, non ipsum vidit sed aliquid
eorum quae sunt ejus. Si ergo praedicta nomina differunt secundum diversas
rationes quas de eis intelleximus, istis rationibus nihil respondet quod in
Deo sit, sed in his quae Dei sunt, scilicet creaturis. |
2. Par ailleurs Denys dit
dans sa Lettre à Gaïus : Si quelqu’un, voyant Dieu, comprend
ce qu’il a vu, il comprendra que ce n’est pas Lui qu’il a vu, mais une des
choses qui viennent de Lui. Si donc les noms qui précèdent diffèrent d’après
différentes notions que nous avons comprises à leur sujet, rien de ce qui est
en dieu ne correspond à ces notions, mais c’est plutôt les choses qui
viennent de Dieu, à savoir les créatures, qui y correspondent. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Commentator dicit [XI Metaph., text. 31) loquens de hujusmodi
nominibus, quod multiplicitas, quam ista nomina praetendunt, est in Deo
secundum intellectum, et nullo modo secundum rem. Ergo videtur quod
pluralitas harum rationum sit secundum intellectum nostrum tantum. |
3. Par ailleurs, le
Commentateur dit [Métaphysique XI, 31], en parlant de ces noms que la
multiplicité que ces noms mettent de l’avant est en Dieu seulement selon
l’intelligence et nullement selon la chose. Il semble donc que la multiplicité
de ces notions n’existe que selon notre intelligence. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg.
4 Praeterea, quidquid est in Deo, Deus est. Si ergo istae rationes secundum
quas attributa differunt, sunt in Deo, ipsae sunt Deus. Sed Deus est unus et
simplex. Ergo istae rationes, secundum quod in Deo sunt, non
sunt plures. |
4. Par ailleurs, tout ce qui
est en Dieu est Dieu. Si donc ces notions, d’après lesquelles les attributs
diffèrent, sont en Dieu, ces notions elles-mêmes sont Dieu. Mais Dieu est un
et simple. Donc ces notions, en tant qu’elles sont en Dieu, ne sont pas
multiples. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg.
5 Praeterea, illud quod in se est unum omnibus modis, non est radix alicujus
multitudinis in eo existentis. Sed essentia divina est una omnibus modis,
quia est summe una. Ergo non potest esse radix alicujus multitudinis in ea
existentis. Pluralitas ergo dictarum rationum non radicatur in essentia
divina sed in intellectu tantum. |
5. En outre, ce qui en soi
est un absolument n’est pas la racine d’une multiplicité existant en lui.
Mais l’essence divine est une absolument puisqu’elle est parfaitement une.
Elle ne peut donc être la racine d’une multiplicité existant en elle. Donc,
la multiplicité de ces notions ne s’enracine pas dans l’essence divine mais
dans l’intelligence seulement. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg.
6 Praeterea, Damascenus dicit, quod in Deo omnia sunt unum praeter
ingenerationem et generationem et processionem. Si ergo sapientia et bonitas
et hujusmodi attributa sunt in Deo, secundum quod in ipso sunt, non habent
aliquam pluralitatem. Ergo pluralitas rationum quam nomina significant, non
est in Deo, sed in intellectu nostro tantum. |
6. De plus, Damascène dit
qu’en Dieu toutes les choses sont une au-delà de toute création, de toute
génération et de toute procession. Si donc la sagesse, la bonté et tous les
attributs de cette sorte sont en Dieu, ils ne posséderont aucune multiplicité
en tant qu’ils existeront en Lui. Donc la multiplicité des notions que ces
noms signifient n’existe pas en Dieu lui-même, mais seulement dans notre
intelligence |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c.
1 Sed contra, Dionysius [ult. cap. de div. Nom. § 1] dicit quod Deus dicitur
perfectus sicut omnia in seipso comprehendens ; et hoc est etiam quod
philosophus et Commentator dicit, quod Deus dicitur perfectus, quia omnes
perfectiones quae sunt in omnibus generibus rerum in ipso sunt. Haec autem
perfectio, qua Deus perfectus est, est secundum rem, et non secundum
intellectum tantum. Ergo ista attributa quae perfectionem demonstrant, non
sunt tantum in intellectu, sed in re, quae Deus est. |
Cependant : 1. Denys dit dans le dernier
chapitre des Noms Divins [13, & 1] qu’on dit de Dieu
qu’il est parfait en tant qu’il comprend en Lui toute chose ; et c’est
là ce que disent aussi le Philosophe et le Commentateur, à savoir qu’on dit
de Dieu qu’il est parfait parce qu’existent en Lui toutes les perfections qui
existent dans tous les genres d’êtres. Mais cette perfection par laquelle
Dieu est parfait existe selon la chose, réellement, et non pas seulement selon
l’intelligence. Donc ces attributs qui manifestent la perfection n’existent
pas seulement dans l’intelligence mais dans cette réalité qui est Dieu. |
lib. 1 d.
2 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius[IX cap. De div. Nom. § 6] dicit,
quod creaturae dicuntur Deo similes, inquantum imitantur Deum, qui perfecte
imitabilis non est a creatura. Ista autem imitatio est secundum
participationem attributorum. Ergo creaturae sunt Deo similes, secundum
sapientiam, bonitatem et hujusmodi. Sed hoc non posset esse, nisi praedicta
essent in Deo secundum proprias rationes. Ergo ratio sapientiae et bonitatis
proprie in Deo est ; et ita hujusmodi rationes non sunt tantum ex parte
intellectus. |
2. De plus, Denys dit au
chapitre 1X des Noms Divins [&6, col. 914, t. 1] qu’on
dit des créatures qu’elles sont semblables à Dieu selon qu’elles imitent Dieu
qui ne peut être imité parfaitement par la créature. Mais cette imitation se
produit d’après une participation des attributs. Donc, les créatures sont
semblables à Dieu d’après la sagesse, la bonté et les attributs de cette
sorte. Mais cela ne peut avoir lieu que si les attributs qui précèdent
existent en Dieu selon la nature qui leur est propre. Donc, la nature de la
sagesse et de la bonté existent proprement en Dieu et ainsi de telles natures
n’existent pas seulement du côté de l’intelligence. |
[185] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, sapientia non dicitur aequivoce de Deo et
creatura ; alias sapientia creata non duceret in cognitionem sapientiae
increatae ; et similiter est de potentia et bonitate et de aliis
hujusmodi. Sed ea quae praedicantur de pluribus secundum rationes
omnino diversas, aequivoce praedicantur. Ergo aliquo modo ratio sapientiae,
secundum quod de Deo dicitur et de creaturis, est una, non quidem per
univocationem, sed per analogiam : et similiter est de aliis. Sed ratio sapientiae,
secundum quod de creaturis dicitur non est eadem ratio cum ratione bonitatis
et potentiae. Ergo etiam secundum quod ista de Deo dicuntur, non sunt
eaedem rationes sed diversae. |
3. En outre, la
sagesse ne s’attribue pas à Dieu et à la créature de manière équivoque :
autrement, la sagesse créée ne conduirait pas à la connaissance de la sagesse
incréée ; et il en est de même pour la puissance, la bonté et tous les
autres attributs de cette sorte. Mais ce qui s’attribue à une multiplicité
d’après des significations totalement différentes s’attribue de manière
équivoque. Donc, d’une certaine manière, la notion de sagesse, selon qu’elle
se dit de Dieu et des créatures, est une : non pas certes d’une manière
univoque, mais par analogie : et il en est de même pour les autres
notions. Mais la notion de sagesse, selon qu’elle se dit des créatures, n’est
pas une notion identique à la notion de bonté ou à celle de puissance. Donc,
même lorsque ces attributs se disent de Dieu, leurs notions ne sont pas
identiques mais différentes. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c.
4 Praeterea, sicut Deus vere est Pater, ita etiam vere est sapiens. Sed ex
hoc quod vere Deus est Pater, non potest dici quod ratio paternitatis sit in
intellectu tantum. Ergo nec ex hoc quod Deus vere est sapiens, potest dici
quod ratio sapientiae sit in intellectu tantum. Sed ratio paternitatis, quae
realiter in Deo est, non est eadem cum ratione divinitatis. Unde nec
paternitate est Deus, nec divinitate est Pater : et tamen ista pluralitas
rationum non tollit simplicitatem divinam, propter hoc quod essentia et
paternitas idem sunt in re. Ergo similiter si ponamus sapientiam et essentiam
esse idem re omnino, et rationes eorum diversas, non tolletur simplicitas
divinae essentiae. Sed divinae essentiae simplicitas est tota causa quare
ista attributa in Deo non differunt. Ergo non est inconveniens ponere, quod
sapientiae et bonitatis ratio in Deo est, et tamen una non est altera, si res
omnino una ponatur. |
4. Par ailleurs, tout comme
Dieu est véritablement Père, de même encore il est véritablement sage. Mais
du fait que Dieu est véritablement Père, on ne peut dire que la notion de
paternité est seulement dans l’intelligence. Donc du fait que Dieu est
véritablement sage, on ne peut dire que la notion de sagesse n’existe que
dans l’intelligence. Mais la notion de paternité, qui existe réellement en
Dieu, n’est pas identique à la notion de divinité. De là, ce n’est pas par la
paternité qu’il est Dieu et ce n’est pas par la divinité qu’il est Père. Et
cependant cette pluralité de notion n’empêche pas la simplicité divine pour
cette raison que l’essence et la paternité sont identiques par la chose. Donc
de même, si nous posions que la sagesse et l’essence sont absolument
identiques par la chose et que leurs notions sont différentes, la simplicité
de l’essence divine ne serait pas supprimée pour autant. Mais la simplicité
de l’essence divine est la seule cause pour laquelle ces attributs ne diffèrent
pas en Dieu. Il n’y a donc pas de difficulté à poser que la notion de sagesse
et de la bonté sont en Dieu et cependant que l’une n’est pas l’autre, si on
pose que la chose est absolument une. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c.
5 Si dicatur quod non est simile de relationibus personalibus et de
attributis essentialibus, quia in Deo non sunt nisi duo praedicamenta,
scilicet substantia et relatio, unde ratio relationis est alia a ratione
substantiae, non tamen ratio sapientiae et aliorum absolutorum est alia a substantia
: Contra. Relatio in divinis habet duplicem comparationem :
unam ad suum correlativum, secundum quam ad aliquid dicitur ; aliam ad
essentiam, secundum quam est idem re cum ea. Sed secundum id quod aliquid est
idem alteri, non facit numerum cum eo. Ergo quod
relationes ad aliud praedicamentum pertineant quam ad praedicamentum
substantiae, est per comparationem ad suum relativum. Ergo adhuc manet eadem
comparatio sapientiae et paternitatis ad essentiam. |
5. Si on dit qu’il n’en est pas de même pour les relations personnelles et pour les attributs essentiels parce qu’en Dieu il n’y a que deux prédicaments, à savoir la substance et la relation et que de ce fait la notion de la relation diffère de celle de la substance et que cependant la notion de la sagesse et des autres attributs essentiels ou absolus ne diffère pas de la substance, il faut répondre à cela que la relation dans les personnes divines se présente sous deux rapports : le premier se présente à l’égard de son corrélatif, selon lequel on l’appelle relatif ; l’autre se présente à l’égard de l’essence, selon lequel il lui est identique par la chose. Mais en tant qu’une chose est identique à une autre, elle ne fait pas nombre avec elle. Donc, que les relations appartiennent à un autre prédicament qu’à celui de la substance, cela est dû au rapport à leurs corrélatifs. Donc, le rapport de la sagesse et de la paternité à l’essence demeure encore le même. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, art. praeced., in corp.,
sapientia et bonitas et omnia hujusmodi sunt omnino unum re in Deo, sed
differunt ratione : et haec ratio non est tantum ex parte ipsius
ratiocinantis, sed ex proprietate ipsius rei. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article
précédent, la sagesse et la bonté, ainsi que tous les attributs de cette
sorte sont absolument un par la chose en Dieu, mais ils diffèrent par la
notion : et cette notion ne se tient pas seulement du côté de celui-là
même qui raisonne, mais du côté de la propriété de la chose elle-même. |
Ad cujus rei evidentiam, ut
diligenter explicetur, quia ex hoc pendet totus intellectus eorum quae in 1
libro dicuntur, quatuor oportet videre. Primo quid sit ratio
secundum quam dicimus attributa ratione differre. Secundo quomodo dicatur
aliqua ratio in aliqua re esse vel non esse. Tertio utrum istae rationes
diversae attributorum sint in Deo vel non. Quarto utrum pluralitas
istarum rationum sit tantum ex parte intellectus nostri vel aliquo modo ex
parte rei. |
Pour expliquer cela avec plus
de soin pour en avoir davantage l’évidence, car c’est de cela que dépend
toute la compréhension des choses dont on traite dans ce premier livre, il
faut saisir quatre points. En premier lieu il faut voir
quelle est la raison pour laquelle nous disons que les attributs diffèrent
par la raison. En deuxième lieu comment on
dit qu’une notion existe ou n’existe pas dans une chose. En troisième lieu il faut
voir si ces notions différentes des attributs existent ou non en Dieu. En quatrième lieu il faut
voir si la multiplicité de ces notions existe seulement du côté de notre
intelligence ou d’une certaine manière aussi du côté de la chose. |
Quantum ad primum pertinet,
sciendum est, quod ratio, prout hic sumitur, nihil aliud est quam id quod
apprehendit intellectus de significatione alicujus nominis : et hoc in his
quae habent definitionem, est ipsa rei definitio, secundum quod philosophus
dicit [IV Metaph., text ; 11] : Ratio quam significat nomen est definitio.
Sed quaedam dicuntur habere rationem sic dictam, quae non definiuntur, sicut
quantitas et qualitas et hujusmodi, quae non definiuntur, quia sunt genera
generalissima. Et tamen ratio qualitatis est id quod significatur nomine
qualitatis ; et hoc est illud ex quo qualitas habet quod sit qualitas. Unde non
refert, utrum illa quae dicuntur habere rationem, habeant vel non habeant
definitionem. Et sic patet quod ratio sapientiae quae de Deo dicitur, est id
quod concipitur de significatione hujus nominis, quamvis ipsa sapientia
divina definiri non possit. Nec tamen hoc nomen ratio significat ipsam
conceptionem, quia hoc significatur per nomen sapientiae vel per aliud nomen
rei ; sed significat intentionem hujus conceptionis, sicut et hoc nomen
definitio, et alia nomina secundae impositionis. |
Quant à ce qui appartient au premier point, il faut savoir que le terme ¨notion¨, tel qu’il est pris ici, n’est rien d’autre que ce qu’appréhende l’intelligence au sujet de la signification d’un nom : et cela, pour les choses qui ont une définition, est la définition de la chose elle-même, selon ce qu’en dit le Philosophe dans sa Métaphysique [Livre IV, text. 11] : la notion signifiée par le nom est la définition. Mais il y a des réalités dont on dit qu’elles ont une telle notion mais qui ne sont pas définies, comme la quantité et la qualité, car elles sont les genres les plus universels. Et pourtant la notion de la qualité est ce qui est signifié par le nom de qualité et c’est là ce par quoi la qualité est une qualité. De là, il n’importe pas que ce qu’on dit avoir une notion ait ou non une définition. Et ainsi il est clair que la notion de sagesse qui est attribuée à Dieu est ce qu’on conçoit au sujet de la signification de ce nom, bien que la sagesse divine elle-même ne puisse être définie. Et cependant ce nom de notion ne signifie pas la conception elle-même, car cela est signifié par le nom de sagesse ou par un autre nom de la chose ; mais il signifie plutôt l’intention de cette conception, comme ce nom de définition et les autres noms de la seconde imposition.
|
Et ex hoc patet secundum,
scilicet qualiter ratio dicatur esse in re. Non enim hoc dicitur, quasi ipsa
intentio quam significat nomen rationis, sit in re ; aut etiam ipsa
conceptio, cui convenit talis intentio, sit in re extra animam, cum sit in
anima sicut in subjecto : sed dicitur esse in re, inquantum in re extra
animam est aliquid quod respondet conceptioni animae, sicut significatum
signo. |
Et c’est à partir de là que
le deuxième point devient clair, à savoir de quelle manière on dit
qu’une notion existe dans la chose. En effet, on ne dit pas cela comme si
l’intention elle-même que signifie le nom de notion existait dans la chose ou
comme si encore la conception elle-même à laquelle appartient telle intention
existait dans la chose en dehors de l’âme, puisque cette conception existe
dans l’âme comme dans son sujet ; mais on dit qu’elle existe dans la
chose dans la mesure où dans la chose, en dehors de l’âme, il y a quelque
chose qui correspond à la conception de l’âme, tout comme le signifié
correspond au signe. |
Unde sciendum, quod ipsa
conceptio intellectus tripliciter se habet ad rem quae est extra animam. |
De là, il faut savoir que la
conception même de l’intelligence se rapporte de trois façons à la chose qui
est en dehors de l’âme. |
Aliquando enim hoc quod
intellectus concipit, est similitudo rei existentis extra animam, sicut hoc
quod concipitur de hoc nomine homo ; et talis conceptio intellectus habet
fundamentum in re immediate, inquantum res ipsa, ex sua conformitate ad
intellectum, facit quod intellectus sit verus, et quod nomen significans
illum intellectum, proprie de re dicatur. |
Parfois en effet cela même
que l’intelligence conçoit est une similitude de la chose qui existe en
dehors de l’âme, comme ce que l’intelligence conçoit au sujet de ce nom
homme ; et une telle conception de l’intelligence a un fondement dans la
chose d’une manière immédiate, dans la mesure où la chose elle-même, du fait
de sa conformité à l’intelligence, fait que l’intelligence est dans le vrai
et que le nom signifiant cette conception se dit proprement de la chose. |
Aliquando autem hoc quod
significat nomen non est similitudo rei existentis extra animam, sed est
aliquid quod consequitur ex modo intelligendi rem quae est extra animam : et
hujusmodi sunt intentiones quas intellectus noster adinvenit ; sicut
significatum hujus nominis genus non est similitudo alicujus rei extra animam
existentis ; sed ex hoc quod intellectus intelligit animal ut in pluribus
speciebus, attribuit ei intentionem generis ; et hujusmodi intentionis licet
proximum fundamentum non sit in re sed in intellectu, tamen remotum
fundamentum est res ipsa. Unde intellectus non est falsus, qui has
intentiones adinvenit. Et simile est de omnibus aliis qui consequuntur ex
modo intelligendi, sicut est abstractio mathematicorum et hujusmodi. |
Parfois cependant ce que
signifie le nom n’est pas une similitude de la chose qui existe en dehors de
l’âme mais est quelque chose qui découle de la manière de saisir la chose qui
est en dehors de l’âme : et les intentions que notre intelligence
découvre sont quelque chose de cette sorte ; par exemple la
signification du nom genre n’est pas une similitude d’une chose qui existe en
dehors de l’âme ; mais du fait que l’intelligence saisit la notion
d’animal comme existant dans plusieurs espèces, il lui attribue l’intention
de genre ; et bien que le fondement prochain d’une telle intention n’est
pas dans la chose mais dans l’intelligence, cependant le fondement éloigné
est la chose elle-même. De là, l’intelligence qui découvre ces intentions
n’est pas dans le faux. Et il en est de même pour toutes les autres notions
qui découlent de la manière de comprendre, comme on peut le voir dans les
abstractions mathématiques et les représentations de cette sorte. |
Aliquando vero id quod
significatur per nomen, non habet fundamentum in re, neque proximum neque
remotum, sicut conceptio Chimerae : quia neque est similitudo alicujus rei
extra animam, neque consequitur ex modo intelligendi rem aliquam naturae : et
ideo ista conceptio est falsa. Unde patet secundum, scilicet quod ratio
dicitur esse in re, inquantum significatum nominis, cui accidit esse
rationem, est in re : et hoc contingit proprie, quando conceptio intellectus
est similitudo rei. |
Mais parfois ce qui est signifié par le nom n’a dans la chose ni un fondement prochain, ni un fondement éloigné, comme la conception ¨chimère¨ : car cette conception n’est pas une similitude d’une chose qui existe en dehors de l’âme et elle ne découle pas de la manière de comprendre une chose ayant une nature ; et c’est pourquoi cette conception est fausse. C’est pourquoi le deuxième point est clair, à savoir qu’on dit qu’une notion existe dans une chose dans la mesure où la signification du nom, à laquelle correspond la notion, existe dans la chose ; et cela se produit à proprement parler quand la conception de l’intelligence est une similitude de la chose. |
Quantum ad tertium,
scilicet utrum rationes attributorum in Deo sint, sciendum est, quod circa hoc
videtur esse duplex opinio. Quidam enim dicunt, ut Avicenna [lib. de
intelligen.] et Rabbi Moyses [lib. I, cap. LVII et LVIII] quod res illa quae
Deus est, est quoddam esse subsistens, nec aliquid aliud nisi esse, in Deo
est : unde dicunt, quod est esse sine essentia. Omnia autem alia
quae Deo attribuuntur, verificantur de Deo dupliciter, secundum eos : vel per
modum negationis, vel per modum causalitatis. |
Quant au troisième point, à
savoir si les notions des attributs existent en Dieu, il faut savoir qu’à ce
sujet on retrouve deux opinions. Certains en effet, comme Avicenne [Livre sur
l’intelligence] et le Rabin Moïse [Livre 1, ch. LVIII], disent que cette
réalité qui est Dieu est un être subsistant et qu’en Dieu il n’y a rien
d’autre que l’être : et à partir de là ils disent qu’il est un être sans
essence. Mais toutes les autres choses qui sont attribuées à Dieu se
vérifient de Lui de deux manières selon eux : soit par mode de négation
soit par mode de causalité. |
Per modum negationis
dupliciter : vel ad removendum privationem seu defectum oppositum, ut dicimus
Deum sapientem, ut removeatur defectus qui est in carentibus sapientia ; vel
secundum quod aliquid ex negatione consequitur, sicut est de hoc nomine unus,
qui ex hoc ipso quod non est divisus, est unus. |
Par mode de négation de deux manières : soit pour écarter une privation ou un défaut opposé, comme lorsque nous disons que Dieu est sage pour écarter le défaut qu’on retrouve chez ceux qui manquent de sagesse ; soit d’après quelque chose qui découle d’une négation, comme on le voit par exemple pour le nom ¨un¨, qui signifie qu’un être est un par cela même qu’il n’est pas divisé. |
Similiter ex hoc ipso quod
est immaterialis, est intelligens. Unde, secundum
eos, omnia ista nomina potius sunt inventa ad removendum, quam ad ponendum
aliquid in Deo. Item per modum causalitatis dupliciter : vel inquantum
producit ista in creaturis, ut dicatur Deus bonus, quia bonitatem creaturis
influit et sic de aliis ; vel inquantum ad modum creaturae se habet, ut dicatur
Deus volens vel pius, inquantum se habet ad modum volentis vel pii in modo
producendi effectum, sicut dicitur iratus, quia ad modum irati se habet. Et
secundum hanc opinionem sequitur quod omnia nomina quae dicuntur de Deo et
creaturis, dicantur aequivoce, et quod nulla similitudo sit creaturae ad
creatorem ex hoc quod creatura est bona vel sapiens vel hujusmodi aliquid ;
et hoc expresse dicit Rabbi Moyses. |
De la même
manière, par cela même qu’il est immatériel, il est intelligent. De là,
d’après eux, tous ces noms ont plutôt été découverts pour écarter que pour
poser quelque chose en Dieu. En outre
par mode de causalité de deux manières: soit selon qu’il produit ces
attributs dans les créatures, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon parce
qu’il répand la bonté dans les créatures et qu’il en est de même pour les
autres attributs; soit dans la mesure où il se presente à la manière de la
créature, comme lorsqu’on dit que Dieu veut ou qu’il est juste, selon qu’Il
se presente à la manière de celui qui veut et qui est juste dans sa façon de
produire son effet, tout comme on dit qu’il est en colère parce qu’il se
presente à la manière de celui qui est fâché. Et d’après cette opinion il
s’ensuit que tous les noms qu’on attribue à la fois à Dieu et aux créatures
s’attribuent de manière équivoque et qu’il n’y a aucune similitude de la
créature au créateur en partant du fait que la créature est bonne, sage ou
possède un attribut de cette sorte; et le Rabin Moïse s’exprime clairement à
ce sujet. |
Secundum
hoc, illud quod concipitur de nominibus attributorum, non refertur ad Deum,
ut sit similitudo alicujus quod in eo est. Unde sequitur quod rationes
istorum nominum non sunt in Deo, quasi fundamentum proximum habeant in ipso,
sed remotum ; sicut nos dicimus de relationibus quae ex tempore de Deo
dicuntur ; hujusmodi enim relationes in Deo secundum rem non sunt, sed
sequuntur modum intelligendi, sicut dictum est de intentionibus. Et sic,
secundum hanc opinionem, rationes horum attributorum sunt tantum in
intellectu, et non in re, quae Deus est ; et intellectus eas adinvenit ex
consideratione creaturarum vel per negationem vel per causalitatem, ut dictum
est. |
D’après
cela, ce qui est conçu au sujet des noms des attributs n’est pas rapporté à
Dieu comme s’il s’agissait d’une similitude de quelque chose qui existerait
en Lui. Il suit de là que les notions de ces noms n’existent pas en Dieu
comme si elles avaient en lui un fondement prochain, mais un fondement
éloigné, tout comme nous le disons pour les relations que nous attribuons à
Dieu à partir du temps; de telles relations en effet n’existent pas en Dieu
selon la chose, mais elles découlent de la manière de comprendre comme nous
l’avons dit au sujet des intentions. Et ainsi, d’après cette opinion, les
notions de ces attributs n’existent que dans l’intelligence et non pas dans
la réalité dont on parle et qui est Dieu; et l’intelligence les découvre à
partir de la considération des créatures soit par la négation, soit par la
causalité ainsi que nous l’avons dit. |
Alii vero dicunt, ut
Dionysius [cap. XIII de div. Nom. § 1] et Anselmus [Monol., cap. III],
quod in Deo praeeminenter existit quidquid perfectionis in creaturis
est. Et
haec eminentia attenditur quantum ad tria : scilicet quantum ad
universalitatem, quia in Deo sunt omnes perfectiones adunatae, quae non
congregantur in aliqua [aliqua una Éd. de Parme] creatura. Item quantum ad
plenitudinem, quia est ibi sapientia sine omni defectu, et similiter de aliis
attributis : quod non est in creaturis. Iterum
[Item Éd. de Parme] quantum ad unitatem ; quae enim in creaturis diversa
sunt, in Deo sunt unum. Et quia in illo uno habet omnia, ideo secundum illud
unum causat omnia, cognoscit omnia et omnia sibi per analogiam similantur. |
Mais
d’autres, comme Denys [Les Noms Divins, ch. XIII, &1] et Anselme
[Monol. Ch. 111], dissent que chacune des perfections qui existent dans les
creatures existe en Dieu d’une manière incomparablement plus élevée. Et cette
élévation doit s’entendre de trois manières: c’est-à-dire premièrement quant
à l’universalité, car en Dieu on retrouve toutes les perfections réunies,
lesquelles ne sont réunies dans aucune creature. En
outre cela doit s’entendre quant à la plenitude car là la sagesse est
présente sans aucun défaut et il en est de même pour les autres
attributs: ce qui n’a pas lieu chez les creatures. De
plus, cette élévation doit s’entendre enfin quant à l’unité; en effet ce qui
est séparé dans les créatures est un en Dieu. Et parce que c’est dans cet
unité qu’il possède tous les êtres, c’est pourquoi c’est d’après cet un qu’il
cause tous les êtres, qu’il les connaît tous et qu’il les rend tous
semblables à lui par analogie. |
Secundum ergo hanc
opinionem, conceptiones quas intellectus noster ex nominibus attributorum
concipit, sunt vere similitudines rei, quae Deus est, quamvis deficientes et
non plenae, sicut est de aliis rebus quae Deo similantur. Unde hujusmodi
rationes non sunt tantum in intellectu, quia habent proximum fundamentum in
re quae Deus est. Et ex hoc contingit quod quidquid sequitur ad sapientiam,
inquantum hujusmodi, recte et proprie convenit Deo. Hae autem opiniones,
quamvis in superficie diversae videantur, tamen non sunt contrariae, si quis
dictorum rationes ex causis assumit dicendi. Quia primi consideraverunt ipsas
res creatas, quibus imponuntur nomina attributorum, sicut quod hoc nomen
sapientia imponitur cuidam qualitati, et hoc nomen essentia cuidam rei quae
non subsistit : et haec longe a Deo sunt : et ideo dixerunt, quod Deus est
esse sine essentia, et quod non est in eo sapientia secundum se. |
Donc d’après cette opinion,
les conceptions que notre intelligence conçoit à partir des noms des
attributs sont véritablement des similitudes de la réalité qui est Dieu, bien
qu’elles soient déficientes et non complètes, comme les autres choses qui
sont semblables à Dieu. De là, de telles notions n’existent pas seulement
dans l’intelligence parce qu’elles possèdent un fondement prochain dans cette
réalité qui est Dieu. Et de là il résulte que tout ce qui découle de la
sagesse en tant que telle appartient de bon droit et proprement à Dieu. Mais
ces opinions, bien qu’elles apparaissent différentes en apparence, ne sont
cependant pas contraires si c’est à partir des causes qu’on
choisit de parler des raisons de ce qui est dit. Car les premiers ont considéré
les choses créées elles-mêmes auxquelles sont imposés les noms des attributs,
tout comme le nom sagesse est imposé à une qualité et le nom essence à une
chose qui ne subsiste pas : et ces choses sont fort éloignées de
Dieu : et c’est pourquoi ils ont dit que Dieu est un être sans essence
et que la sagesse en tant que telle n’existe pas en Lui. |
Alii vero consideraverunt
modos perfectionis, ex quibus dicta nomina sumuntur : et, quia Deus secundum
unum simplex esse omnibus modis perfectus est, qui importantur per hujusmodi
nomina, ideo dixerunt, quod ista nomina positive Deo conveniunt. Sic ergo
patet quod quaelibet harum opinionum non negat hoc quod alia dicit : quia nec
primi dicerent [dicunt Éd. de Parme] aliquem modum perfectionis Deo deesse,
nec secundi qualitatem, aut res non subsistentes in Deo ponerent [ponunt. Éd.
de Parme]. |
Mais les autres ont considéré
les modes de perfection à partir desquels ces noms se tirent ; et, parce
que Dieu, d’après un êre un et simple, est parfait de toutes les manières qui
sont introduites par de tels noms, c’est pourquoi ils ont dit que ces noms
conviennent à Dieu positivement. Ainsi donc, il est clair que chacune de ces
opinions ne nie pas ce que l’autre dit : car les premiers ne diraient
pas qu’un mode de perfection manque à Dieu et les seconds ne poseraient pas
en Dieu une qualité ou des choses qui ne subsistent pas. |
Sic ergo patet tertium,
scilicet quod rationes attributorum sunt vere in Deo, quia ratio nominis
magis se tenet ex parte ejus a quo imponitur nomen, quam ex parte eius cui
imponitur. |
Ainsi donc le troisième point
est clair, à savoir que les notions des attributs existent véritablement en
Dieu car la notion du nom se tient davantage du côté de celui par lequel le
nom est imposé que du côté de ce à quoi il est imposé. |
Quantum vero ad quartum,
scilicet utrum [Et sic patet quartum, quod Éd. de Parme] pluralitas istorum
nominum sit tantum est ex parte intellectus nostri formantis diversas
conceptiones de Deo, quae dicuntur diversae rationes, ut ex dictis, art.
anteced., patet, sed ex parte ipsius Dei, inquantum scilicet est aliquid in
Deo correspondens omnibus istis conceptionibus, scilicet plena et omnimoda
ipsius perfectio, secundum quam contingit quod quodlibet nominum
significantium istas conceptiones, de Deo vere et proprie dicitur ; non autem
ita quod aliqua diversitas vel multiplicitas ponatur in re, quae Deus est,
ratione istorum attributorum. |
Quant au quatrième point, à savoir si la pluralité de ces noms se tient seulement du côté de notre intelligence qui forme les différentes conceptions de Dieu et qu’on appelle les différentes notions ainsi que nous le voyons à partir de ce qui est dit dans l’article précédent, ou si elle se tient du côté de Dieu lui-même, c’est-à-dire dans la mesure où il y a quelque chose en Dieu qui correspond à toutes ces conceptions, c’est-à-dire la perfection pleine et complète de Celui-ci, d’après laquelle il résulte que n’importe quel des noms signifiant ces conceptions s’attribue véritablement et proprement à Dieu ; non pas cependant de telle manière qu’une diversité ou une multiplicité soit posée en la réalité qui est Dieu en raison de ces attributs. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 1 His visis facile est respondere ad objecta. Ad
primum ergo dicendum, quod intentio Dionysii est dicere, quod secundum
diversas bonitates quas creaturis influit Deus nominatur, manifestatur et
laudatur ; non autem ita quod rationes illarum bonitatum ex hoc verificentur
de eo quia creaturis eas influit, sed magis e converso, ut dictum est, in
corp. Quamvis
enim conditio causae cognoscatur ex conditionibus effectus, non tamen
conditio causae verificatur propter conditiones effectus, sed e converso. |
Solutions : 1. Ceci étant vu, il est
facile de répondre aux difficultés. Il faut dire à l’égard de la première
difficulté que l’intention de Denys est de dire que Dieu est nommé, manifesté
et loué d’après les différentes bontés qu’Il répand dans les créatures ;
non pas cependant de telle manière que les notions correspondant à ces bontés
se vérifient de lui du fait qu’il les répand dans les créatures, mais plutôt
il les répand dans les créaturs du fait de sa bonté, ainsi que nous l’avons
dit dans les corps de l’article. Bien en effet que la condition de la cause
est connue à partir ds conditions de l’effet, ce n’est cependant pas la
condition de la cause qui se vérifie à cause des conditions de l’effet, mais
c’est plutôt l’inverse qui est vrai. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod intellectus noster id quod concipit de bonitate
vel de sapientia non refert in Deum quasi in eo sit per modum quo ipse
concipit, quia hoc esset comprehendere ejus sapientiam vel bonitatem ; sed
intelligit ipsam bonitatem divinam, cui aliqualiter simile est quod
intellectus noster concipit, esse supra id quod de eo concipitur. Unde per
hujusmodi conceptiones non videtur ipse Deus secundum quod in se est, sed
intelligitur supra intellectum. Et hoc vult dicere Dionysius in illa
auctoritate. |
Quant à la deuxième difficulté, il faut dire que ce que conçoit notre intelligence au sujet de la bonté ou de la sagesse ne se rapporte pas à Dieu comme si ces conceptions existaient en elle à la manière dont Lui-même les conçoit, car cela reviendrait à comprendre sa sagesse et sa bonté ; mais notre intelligence saisit que la bonté divine elle-même, à laquelle ce que notre intelligence conçoit est semblable d’une certaine manière, est au-delà de ce que nous concevons à son sujet. De là, au moyen des conceptions de cette sorte, Dieu lui-même n’est pas vu tel qu’il est en lui-même mais il est saisi comme étant au-dessus de l’intelligence. Et c’est là ce que veut dire Denys par ce témoignage. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 3
Ad tertium dicendum, quod multiplicitas ista attributorum nullo modo ponitur
in Deo quasi ipse secundum rem sit multiplex ; sed tamen ipse secundum suam
simplicem perfectionem, multitudini istorum attributorum correspondet, ut
vere de Deo dicantur. Et hoc intendit Commentator. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette multiplicité des attributs n’est en aucune manière posée en
Dieu comme si Lui-même était multiple en réalité ; mais Lui-même
cependant selon sa perfection qui est simple correspond à la multiplicité de
ces attributs de sorte que ces attributs se disent véritablement de Dieu. Et
c’est là ce que le Commentateur cherche à montrer. |
lib.
1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ratio hominis non
dicitur esse in homine quasi res quaedam in ipso, sed est sicut in subjecto
in intellectu, et est in homine sicut in eo quod praestat fulcimentum
veritati ipsius ; ita etiam ratio bonitatis divinae est in intellectu sicut
in subjecto, in Deo autem sicut in eo quod correspondet per quamdam
similitudinem isti rationi, faciens ejus veritatem. Unde patet quod ratio procedit ex malo
intellectu ejus quod dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tout comme on ne dit pas que la notion de l’homme est dans l’homme
comme une chose qui est en lui, mais qu’elle est dans l’intelligence comme
dans un sujet et qu’elle est dans l’homme comme dans celui qui fournit un
soutien à sa vérité ; de même encore la notion de bonté divine est dans
l’intelligence comme dans un sujet, et en Dieu comme dans celui qui
correspond par une certaine ressemblance à cette notion de manière à la
rendre vraie. D’où il est clair que cette difficulté procède d’une mauvaise
interprétation de ce qui est dit. |
[193] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur fundari vel
radicari in aliquo metaphorice, ex quo firmitatem habet. Rationes autem
intellectae habent duplicem firmitatem : scilicet firmitatem sui esse, et
hanc habent ab intellectu, sicut alia accidentia a suis subjectis ; et
firmitatem suae veritatis, et hanc habent ex re cui conformantur. Ex eo enim
quod res est vel non est locutio et intellectus veritatem vel falsitatem
habet. Rationes ergo attributorum fundantur vel radicantur in intellectu
quantum ad firmitatem sui esse, quia, ut dictum est, art. anteced.,
intellectus est earum subjectum ; in essentia autem divina quantum ad
firmitatem suae veritatis ; et hoc in nullo repugnat divinae simplicitati. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que c’est de manière métaphorique qu’on dit d’une chose qu’elle se fonde ou s’enracine dans une autre de laquelle elle tient sa fermeté. Cependant les notions qu’on conçoit possèdent une double fermeté : à savoir premièrement la fermeté de leur existence qu’elles tiennent de l’intelligence comme les autres accidents tiennent la leur de leurs sujets ; puis deuxièmement la fermeté de leur vérité qu’elles tiennent de la chose à laquelle elles se conforment. En effet, du fait qu’une chose est ou n’est pas, la parole et l’intelligence possèdent vérité ou fausseté. Donc, les notions des attributs se fondent ou s’enracinent dans l’intelligence quant à la fermeté de leur existence car, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, l’intelligence est leur sujet ; cependant, quant à la fermeté de leur vérité, elles s’enracinent dans l’essence divine ; et cela ne répugne en rien à la simplicité divine. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 6
Ad sextum dicendum, quod in Deo omnia sunt unum re, praeter ingenerationem,
generationem, et processionem, quae constituunt personas re distinctas : non
autem oportet quod quidquid praeter ista de Deo dicitur, sit unum ratione. Et
similiter intelligendum est quod dicit Boetius [I De trin., cap. VI], quod
sola relatio multiplicat Trinitatem, scilicet pluralitate reali. Tunc enim
aliquid est unum re et ratione multiplex, quando una res respondet diversis
conceptionibus et nominibus, ut de ea verificentur ; sicut punctum, quod cum
sit una res, respondet secundum veritatem diversis conceptionibus de eo
factis, sive prout cogitatur in se, sive prout cogitatur centrum, sive prout
cogitatur principium linearum ; et hae rationes sive conceptiones sunt in
intellectu sicut in subjecto, et in ipso puncto sicut in fundamento veritatis
istarum conceptionum. Quamvis istud exemplum non sit usquequaque conveniens,
sicut nec alia quae in divinis inducuntur. |
6. En sixième lieu il faut
dire qu’en Dieu tous les attributs qui constituent les personnes distinctes
par la chose sont un par la chose, au-delà de toute création, de toute
génération de toute procession : il ne faut pas cependant que tout ce
qui est dit de Dieu en-dehors de cela soit un par la raison. Et c’est de la
même manière qu’il faut comprendre ce que dit Boèce [1 De Trinitate,
ch. VI], à savoir que la relation seule multiplie la Trinité,
c’est-à-dire la multiplicité réelle de Dieu. Alors en effet quelque chose est
un par la chose et multiple par la raison quand une même chose s’accorde
avec différentes conceptions et différents noms de telle manière que ces
derniers se vérifient de cette chose. Par exemple le point qui, alors qu’il
est une seule et même chose, s’accorde selon la vérité avec différentes
conceptions qu’on fait de lui, soit selon qu’il est pensé absolument et en
lui-même, soit selon qu’il est pensé en tant que centre, soit selon qu’il est
pensé en tant que principe de la ligne ; et ces notions ou ces
conceptions sont dansl’intelligence comme dans un sujet, et elles sont dans
le point comme dans le fondement de la vérité de ces conceptions. Bien que
cet exemple ne soit pas en tout point convenable, comme les autres choses qui
sont introduites pour parles des choses divines. |
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Quaestio 1, articulus 4
[195] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 tit. Utrum in divinis sint plures
personae |
Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ? |
[196]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod in unitate divinae essentiae non sit pluralitas personarum. In omnibus
enim creaturis ita est quod ad multiplicationem suppositorum sequitur
multiplicatio essentiae secundum numerum, sicut alia humanitas est numero in
Socrate et Platone. Sed creaturae sunt exemplatae a Deo. Cum igitur divinam essentiam
impossibile sit multiplicari, ut supra ostensum est, hac dist., art. 1,
videtur quod impossibile sit esse ibi pluralitatem suppositorum, vel
personarum. |
Difficultés: 1. On procède de la manière suivante pour ce quatrième article. Il semble qu’il n’y ait pas une pluralité de personnes dans l’unité de l’essence divine. Dans toutes les creatures en effet les choses se produisent de telle manière que la multiplication de l’essence selon le nombre découle de la multiplication des individus, tout comme l’humanité est autre par nombre dans Socrate et dans Platon. Mais les creatures sont multipliées par Dieu. Donc, puisqu’il est impossible que l’essence divine soit multipliée comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction à l’article premier, il semble qu’il soit impossible qu’il y ait là une pluralité d’individus ou de personnes. |
[197] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, eorum quae sunt idem, si unum multiplicatur vel communicatur, et reliquum. Sed in Deo idem est quo est et quod est, sive essentia et suppositum. Si ergo essentia non multiplicatur, ergo nec suppositum. Ergo et cetera. |
2. En outre, si parmi les choses qui sont identiques, l’une d’elles est multipliée ou communiquée, il en sera de même pour les autres. Mais en Dieu, ce par quoi il est, à savoir l’essence, est identique à ce qui est, à savoir l’individu. Si donc l’essence n’est pas multipliée, l’individu ne le sera pas non plus. Il n’y aura donc pas une multiplicité de personnes en Dieu. |
[198] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, natura speciei ad hoc multiplicatur in pluribus
individuis, quia non potest totam perfectionem habere in uno, eo quod
individuum est corruptibile, et species incorruptibilis : unde in
incorruptibilibus est tantum unum individuum in una specie, sicut sol. Sed
natura divina habet omnem perfectionem in uno supposito. Ergo vanum est esse
pluralitatem suppositorum, et hoc non potest esse in Deo. |
3. En outre, la nature de
l’espèce est multipliée dans plusieurs individus pour cette raison qu’elle ne
peut posséder toute sa perfection dans un seul individu du fait que
l’individu est corruptible et que l’espèce est incorruptible : c’est
pourquoi dans les êtres incorruptibles il n’y a qu’un seul individu pour
chaque espèce, comme c’est le cas pour le soleil. Mais la nature divine
possède toute sa perfection dans un seul individu. Il est donc vain qu’il y
ait une pluralité d’individus et cela ne peut avoir lieu en Dieu. |
[199] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra. Sicut dicit Dionysius [De div. Nom., cap. IV,
§ 1, 694], bonum est communicativum sui. Sed Deus est summe bonus. Ergo summe
se communicabit. Sed in creaturis non summe se communicat, quia non recipiunt
totam bonitatem suam. Ergo oportet quod sit communicatio perfecta, ut scilicet
totam suam bonitatem alii communicet. Hoc autem non potest esse in
diversitate essentiae. Ergo oportet esse plures distinctos in unitate divinae
essentiae. |
Cependant : 1. Ainsi que le dit Denys
[Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 694], il est dans la nature du bien de se
communiquer. Mais Dieu est le bien dans toute sa perfection. Il se
communiquera donc au plus haut point. Mais il ne se communique pas au plus
haut point dans les créatures, puisqu’elles ne reçoivent pas sa bonté dans sa
totalité. Il faut donc qu’il y ait une communication parfaite de telle
manière que sa bonté se communique à une autre dans sa totalité. Mais cela ne
peut avoir lieu dans une essence différente. Il faut donc qu’il y ait une
pluralité de personnes distinctes dans l’unité de l’essence divine. |
Hoc idem arguitur ex
perfectione divinae beatitudinis, quae ponit summum gaudium quod sine
consortio haberi non potest. Hoc etiam arguitur ex perfectione divinae
caritatis. Perfecta enim caritas est amor gratuitus qui tendit in alium. Sed
non erit amor summus, nisi summe diligat. Summe autem non diligit creaturam,
quae non summe diligenda est. Ergo oportet quod in ipsa creatrice essentia,
sit summe diligens et summe dilectus, distincti in essentiae unitate. |
Cette même chose se démontre
à partir de la perfection de la béatitude divine qui pose en Dieu la joie la
plus parfaite qui ne peut être possédée sans une communauté. La même chose se
défend aussi à partir de la perfection de la charité divine. La charité
parfaite en effet est l’amour gratuit qui tend vers un autre. Mais il n’y
aura d’amour parfait pour Dieu que s’il aime parfaitement. Mais il n’aime pas
parfaitement la créature, laquelle ne peut être aimée parfaitement. Il faut
donc que dans l’essence créatrice elle-même il y ait une personne qui aime
parfaitement et une autre qui est aimée parfaitement, les deux étant
distinctes dans l’unité de l’essence. |
I[200]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 co. Respondeo : concedendum est absque
ulla ambiguitate, esse in Deo pluralitatem suppositorum vel personarum in
unitate essentiae, non propter rationes inductas, quae non necessario
concludunt, sed propter fidei veritatem. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut concéder sans aucun doute qu’il y a en Dieu une pluralité d’individus ou de personnes dans l’unité de l’essence, non pas en raison des arguments présentés qui ne concluent pas avec nécessité, mais à cause de la vérité de la foi. |
[201] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creatura differt
essentia rei et esse suum, nec habet essentia esse nisi propter comparationem
ad habentem essentiam ; et ideo quando essentia creata communicatur,
communicatur tantum secundum rationem suam et non secundum esse, quia
secundum illud esse non est nisi in uno tantum habente. Divina autem essentia
est idem quod suum esse ; et ideo quando communicatur essentia, communicatur
etiam esse. Unde essentia non tantum est una secundum rationem, sed secundum
esse ; et propter hoc potest esse una numero in pluribus suppositis. Creaturae
autem quamvis exemplentur a Deo, tamen deficiunt a repraesentatione ejus. |
Solutions: 1. Il faut dire en
premier lieu que dans la creature il y a une difference entre l’essence de la
chose et son existence et l’essence ne possède d’existence qu’en raison de
son rapport à celui qui possède l’essence; et c’est pourquoi, quand l’essence
créée est communiquée, elle est communiquée seulement d’après sa nature et
non pas selon son existence car selon cette existence elle n’existe que dans
celui-là seul qui la possède. Mais l’essence divine est identique à son
existence; et c’est pourquoi, quand l’essence est communiquée, l’existence
aussi est communiquée. De là, l’essence est une non seulement selon la
nature, mais aussi selon l’existence; et c’est pour cette raison que
l’essence peut être une par le nombre dans plusieurs individus. Mais, bien
que les créatures soient reproduites par Dieu, elles sont impuissantes
cependant à Le représenter de façon adéquate. |
[202] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia et suppositum sunt in
Deo idem re, nihilominus tamen differunt ratione, sicut de attributis dictum
est supra, art. praeced. Unde Commentator [II Metaph., text. 39] dicit,
quod vita et vivens non significant idem in Deo, sicut nomina synonyma : et
ideo contra rationem suppositi est quod communicetur, non autem contra
rationem essentiae. Ideo una essentia communicatur pluribus suppositis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que l’essence et l’individu sont en Dieu identiques par la
chose, cependant ils diffèrent néanmoins par la raison ou la notion, comme
c’est le cas pour les attributs dont nous avons parlé plus haut dans
l’article précédent. De là, le Commentateur dit [11 Métaphysiques,
text. 39] que la vie et le vivant ne signifient pas la même chose en Dieu
comme c’est le cas pour les noms qui sont synonymes : et c’est pourquoi
il est contraire à la notion d’individu d’être communiqué mais cela n’est pas
contraire à la notion d’essence. C’est pourquoi une même essence se communique
à plusieurs individus. |
[203] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod necessitas finis est necessitas
conditionata et ex suppositione. Unde non quaeritur in illis quae sunt
necessaria absolute, et multo minus in illis quae sunt per se necessaria, non
habentia necessitatem ab aliquo. Unde dico, quod pluralitas suppositorum in
divina essentia non est propter aliquem finem ; immo propter seipsam est
necessario, cum ipse Deus sit finis omnium. Unde non potest concludi quod sit
vana, quia vanum est quod est ordinatum ad finem quem non consequitur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la nécessité de la fin est une nécessité conditionnée et
hypothétique. De là, on ne la recherche pas dans ces choses qui sont
nécessaires absolument et encore moins dans celles qui sont nécessaires par
soi et qui ne tirent pas leur nécessité d’un autre. C’est pourquoi je dis que
la pluralité des individus dans l’essence divine n’est pas en raison d’une
fin ; bien plutôt, c’est pour elle-même qu’elle est de toute nécessité
puisque c’est Dieu lui-même qui est la fin de tous les êtres. C’est pourquoi
on ne peut conclure qu’elle soit vaine car est vain ce qui est ordonné à une
fin qui n’est pas atteinte. |
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Articulus 5 [204] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 tit. Utrum divinae personae differant realiter
aut tantum ratione |
Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles réellement ou en raison ? |
[205]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur
quod pluralitas suppositorum in divinis non sit realis, sed tantum rationis.
Sicut enim dicit Damascenus [lib. I de fide ortho., cap. II], tres personae re idem
sunt, ratione autem et cogitatione [cognitione Éd. de Parme] distinguuntur.
Ergo videtur quod non sit ibi pluralitas realis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante à l,égard de ce cinquième article. Il semble que la pluralité des
personnes en Dieu ne soit pas réelle, mais seulement une pluralité de raison.
Ainsi que le dit en effet Damascène [1 De La Foi Orthodoxe, ch.
11], les trois personnes sont identiques par la chose mais elles diffèrent
par la raison et par la pensée. Il semble donc là que la pluralité des
personnes ne soit pas réelle. |
[206]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [V de
Trin., cap. VIII], quod tres personae in nullo absoluto distinguuntur, sed
tantum in his quae sunt ad aliquid. Res autem non est ad aliquid, sed est
absolutum. Ergo videtur quod tres personae non sunt tres res, et ita non est
ibi realis distinctio. |
2. Par ailleurs, Augustin dit
[V De Trinitate, ch. VIII] que les trois personnes ne
se distinguent en rien prises absolument, mais selulement dans leurs
relations. Mais une chose n’est pas une relation mais un absolu. Il semble
donc que les trois personnes ne sont pas trois choses et ainsi qu’il n’y ait
pas là une distinction réelle. |
[207]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, personae distinguuntur per
proprietates. Proprietates autem illae non addunt supra essentiam secundum
rem, sed tantum secundum rationem. Ergo videtur quod distinctio personarum,
quam faciunt, sit tantum distinctio rationis. |
3. En outre, les
personnes se distinguent par leurs propriétés. Mais ces propriétés n’ajoutent
rien à l’essence selon la chose mais seulement selon la raison. Il semble
donc que la distinction des personnes due à ces propriétés soit seulement une
distinction de raison. |
[208] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, sicut paternitas et essentia differunt ratione,
ita sapientia et essentia. Si ergo hoc sufficit ad distinctionem realem
suppositorum, videtur quod etiam secundum diversa attributa distinguantur
realiter supposita ; et ita sunt tot personae quot attributa. Hoc autem est
inconveniens. Ergo proprietates non faciunt realem distinctionem
suppositorum. |
4. De plus, tout comme la paternité et l’essence diffèrent par la raison, de même la sagesse et l’essence diffèrent par la raison. Si donc cela suffit à distinguer réellement les individus, il semble que ce soit aussi d’après leurs différents attributs que se distinguent réellement les individus ; et ainsi il y aura par conséquent autant de personnes qu’il y aura d’attributs, ce qui est absurde. Donc, les propriétés n’entraînent pas une distinction réelle des personnes. |
[209] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, Augustinus [I de Doct. christ., cap. 5] dicit
: res quibus fruendum est, sunt pater et filius et spiritus sanctus. Ergo
tres personae sunt plures res. Ergo eorum pluralitas est pluralitas realis. |
Cependant : 1. Augustin dit [1 De La Doctrine Chrétienne, ch. V] : Les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, les trois personnes sont plurieurs réalités. Donc, leur pluralité est une pluralité réelle. |
[210] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, distinctio rationis non sufficit ad
distinctionem suppositorum, cum unus et idem homo possit in se diversas
rationes habere, et cum suppositum dicat quid reale. Si ergo non est in
divinis nisi distinctio rationis, non erit ibi vera pluralitas personarum ;
quod est haereticum. |
2. De plus, une distinction
de raison ne suffit pas à distinguer les individus, puisqu’un seul et même
homme peut en lui-même avoir plusieurs rapports et qu’un individu dit quelque
chose de réel. Si donc il n’y a dans les personnes divines qu’une distinction
de raison, il n’y aura pas là une véritable pluralité de personnes, ce qui
constitue une erreur de doctrine. |
[211]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod dicere,
personas distingui tantum ratione, sonat haeresim Sabellianam : et ideo
simpliciter dicendum est, quod pluralitas personarum est realis. Quo modo autem hoc possit
esse, videndum est. |
Je réponds qu’il faut dire que dire que les personnes divines ne se distinguent que par la raison, c’est émettre l’hérésie de Sabellius : et c’est pourquoi il faut absolument dire que la pluralité des personnes est réelle. Mais de quelle manière cela est possible, il faut le voir dans ce qui suit. |
|
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Sciendum est igitur, quod
proprietas personalis, scilicet relatio distinguens, est idem re quod divina
essentia, sed differens ratione, sicut et de attributis dictum est. Ratio
autem relationis est ut referatur ad alterum. Potest ergo dupliciter
considerari relatio in divinis : vel per comparationem ad essentiam, et sic
est ratio tantum ; vel per comparationem ad illud ad quod refertur, et sic
per propriam rationem relationis relatio realiter distinguitur ab illo. Sed
per comparationem relationis ad suum correlativum oppositum distinguuntur
personae, et non per comparationem relationis ad essentiam : et ideo est
pluralitas personarum realis et non tantum rationis. |
Il faut donc savoir que la
propriété de la personne, à savoir la relation qui la distingue, est
identique par la chose à l’essence divine, mais elle en diffère par la
raison, tout comme nous l’avons dit pour les attributs. Mais il est de la
nature même de la relation de poser un rapport à un autre. La relation dans
les personnes divines peut donc être considérée de deux manières : soit
par rapport à l’essence et ainsi elle est seulement une notion ; soit
par rapport à celui auquel elle se rapporte et ainsi la relation, par la
notion propre de relation, se distingue réellement de lui. Mais c’est par la
comparaison de la relation à son corrélatif opposé que les personnes se
distinguent et non par la comparaison de la relation à l’essence : et
c’est pourquoi la pluralité des personnes est réelle et non seulement de
raison. |
[212] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni sic
intelligenda est. Ratione, idest relatione ; et dicitur relatio ratio, per
comparationem ad essentiam, ut dictum est, in corp. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le témoignage de Damascène doit se comprendre de la manière suivante :
par raison ou notion, on doit ici entendre relation ; et la relation est
appelée raison ou notion par rapport à l’essence, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article. |
[213] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res est de transcendentibus,
et ideo se habet communiter ad absoluta et ad relativa [relata Éd. de Parme]
; et ideo est res essentialis, secundum quam personae non differunt, et est
res relativa sive personalis, secundum quam personae distinguuntur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le terme ¨chose¨ se dit des transcendants, et c’est pourquoi il
s’attribue comunément à ce qui est absolu et à ce qui est relatif ; et
c’est pourquoi ¨chose¨ se rapporte à l’essence selon laquelle les personnes ne
diffèrent pas, et elle se rapporte à la relation ou à la personne, selon
laquelle les personnes se distinguent. |
[214]
Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
relatio per comparationem ad essentiam sit ratio tantum, tamen per comparationem
ad suum correlativum est res et realiter distinguens ab ipso. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que bien que la relation par rapport à l’essence ne soit
qu’une notion, cependant par rapport à son corrélatif elle est une réalité
qui distingue réellement de lui. |
[215] Super Sent., lib. 1
d. 2 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet sapientia secundum suam
rationem differat ab aliis attributis, non tamen opponitur ad aliquod aliud
attributum, cum sapientia bonitatem, vitam [vitam om. Éd. de Parme] et alia
attributa secum compatiatur in eodem subjecto. Et ideo non habet rationem
distinguendi supposita divinae naturae, sicut habent relationes
oppositae. Sed sicut sapientia divina realiter facit effectum
sapientiae propter veritatem rationis ipsius, quae manet ; ita relatio facit
veram distinctionem propter rationem relationis veram, quae salvatur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que la sagesse d’après sa définition diffère des autres
attibuts, elle ne s’oppose pas cependant à un autre attribut puisque la
sagesse est compatible avec la bonté, la vie et d’autres attributs dans un
même sujet. Et c’est pourquoi il n’y a pas lieu qu’elle distingue les
personnes qui ont la nature divine, contrairement aux relations qui sont
opposées entre elles. Mais tout comme la sagesse divine produit réellement
l’effet de la sagesse à cause de la vérité de sa notion qui demeure, de même
la relation produit une véritable distinction à cause de la véritable notion
de relation qui est conservée. |
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Distinctio 3 |
Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de Dieu par sa trace dans les créatures] |
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Prooemium |
Prologue |
I Sent. D. 3, qu. 1
Quia autem in parte ista ostenditur, qualiter venitur in cognitionem Dei per
vestigium creaturarum, ideo quaeruntur duo: primo de divina
cognitione. Secundo de creaturarum
vestigio. Circa primum quaeruntur
quatuor: 1 utrum Deus sit
cognoscibilis a creaturis ; 2 utrum Deum esse sit per
se notum ; 3 utrum possit cognosci
per creaturas, et quorum sit Deum per creaturas cognoscere ; 4 quid de
Deo philosophi per creaturas cognoscere potuerunt. |
Mais parce que dans la partie
qui suit on montre comment on en vient à la connaissance de Dieu par les
traces qu’on en perçoit dans les créatures, c’est pourquoi on s’interroge sur
deux points : en premier lieu sur la connaissance de Dieu ; en
deuxième lieu sur les traces qu’en laissent les créatures. Et par rapport au premier
point on cherche à répondre à quatre questions : 1. Est-ce que Dieu peut être
connu par les créatures ? 2. Est-ce que Dieu est connu
par lui-même ? 3. Est-ce que Dieu peut être
connu au moyen des créatures et à qui appartient-il de connaître Dieu au
moyen des créatures ? 4. Qu’est-ce que les
philosophes peuvent connaître de Dieu au moyen des créatures ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures][3] |
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Articulus 1.Lib. 1 d. 3 q.
1 a. 1 tit. Utrum Deus possit cognosci ab intellectu creato. |
Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé ? |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit
cognoscibilis a creato intellectu. Dicit enim Dionysius, cap. I de
div. Nom. § 1, quod Deum nec dicere nec intelligere
possumus: quod sic probat. Cognitio est tantum existentium. Sed Deus est
supra omnia existentia. Ergo est supra [omnem add. Éd. de Parme]
cognitionem. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante à l’égard de ce premier article. Il semble que Dieu ne puisse être
connu par une intelligence créée. Denys dit en effet [Les Noms Divins, ch. 1,
&1] que nous ne pouvons ni comprendre ni dire ce qu’est Dieu, ce qu’il
prouve de la manière suivante. La connaissance ne porte que sur les étants.
Mais Dieu transcende tous les étants. Dieu transcende donc toute
connaissance. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg.
2 Item, Deus plus distat a quolibet existentium intelligibilium notorum
nobis, quam distet intelligibile a sensibili. Sed sensus non potest intelligibile
cognoscere. Ergo nec Deus potest a nostro intellectu cognosci. |
2. En outre, Dieu est plus
éloigné de chacun des étants intelligibles connus de nous que l’intelligible
est éloigné du sensible. Mais le sens ne peut connaître l’intelligible. Dieu
ne peut donc être connu par notre intelligence. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, omnis cognitio est per speciem aliquam, per
cujus informationem fit assimilatio cognoscentis ad rem cognitam. Sed a Deo non potest
abstrahi aliqua species, cum sit simplicissimus. Ergo non est cognoscibilis. |
3. De plus, toute
connaissance a lieu au moyen d’une espèce par l’information de laquelle se
produit l’assimilation de celui qui connaît à la chose connue. Mais on ne
peut tirer de Dieu aucune espèce, puisqu’Il est ce qu’il est suprêmement
simple. Il ne peut donc être connu de nous. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, ut dicit philosophus, (III Physic., text. 4), omne infinitum est
ignotum ; cujus ratio est, quia de ratione infiniti est, ut sit extra
accipientem secundum aliquid sui, et tale est ignotum. Sed Deus est
infinitus. Ergo est ignotus. |
4. Par ailleurs, comme le dit
le Philosophe [111 Physiques, text. 4], tout ce qui est infini est
inconnu ; la raison en est qu’il est de la nature de l’infini de
demeurer étranger pour tout ce qui le concerne à celui qui cherche à
l’accueillir, et de lui demeurer ainsi inconnu. Mais Dieu est infini. Il est
donc inconnu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, philosophus dicit
(III de Animam text. 7), quod ita se habent phantasmata ad
intellectum, sicut colores ad visum. Sed visus corporalis nihil videt sine
colore. Ergo intellectus noster nihil intelligit sine phantasmate. Cum igitur
de Deo non possit formari aliquod phantasma, ut dicitur Isa. XL, 18, Quam
imaginem ponetis ei ? Videtur quod non sit cognoscibilis a nostro
intellectu. |
5. En outre, le Philosophe
dit [111 De l’Âme, text. 7] que les images se rapportent à l’intelligence de
la même manière que les couleurs se rapportent à la vue. Mais la vue
corporelle ne voit rien sans la couleur. Donc notre intelligence ne comprend
rien sans l’image. Donc, puisqu’on ne peut former aucune image par rapport à
Dieu comme le dit Ésaïe [XL, 18] : Quelle image pourriez-vous
fournir de Lui ?, il semble qu’Il ne puisse être connu par notre
intelligence. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c.
1 Contra, Hierem. 9, 24, dicitur: In hoc glorietur qui gloriatur,
scire et nosse me. Sed ista non est vana gloria ad quam Deus hortatur.
Ergo videtur quod possibile sit Deum cognoscere. |
Cependant : 1. Jérémie dit [9,
23] : Mais qui veut se glorifier, qu’il trouve sa gloire en
ceci : avoir de l’intelligence et me connaître. Mais cette gloire à
laquelle Dieu nous exhorte n’est pas vaine. Il semble donc qu’il soit
possible de connaître Dieu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c.
2 Item, ut supra dictum est, etiam secundum philosophum (X Ethico., cap.
X), ultimus finis humanae vitae est contemplatio Dei. Si igitur ad hoc homo
non posset pertingere, in vanum esset constitutus ; quia vanum est, secundum
philosophum, quod ad aliquem finem est, quem non attingit ; et hoc est
inconveniens, ut dicitur in Psal. 88, 48: Numquid enim vane
constituisti eum ? |
2. Par ailleurs, comme nous
l’avons dit plus haut et aussi d’après le Philosophe [X Éthiques, ch. X], la
fin ultime de la vie humaine est la contemplation de Dieu. Si donc l’homme ne
pouvait pas parvenir à cette fin, il aurait été produit en vain ; car
d’après le Philosophe, est vain ce qui est ordonné à une fin qu’il ne peut
atteindre ; et il est impossible qu’il en soit ainsi pour l’homme ainsi
que le dit le Psalmiste [88, 48] : Tu l’aurais en effet de tout
temps créé pour l’envoyer au néant ? |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c.
3 Item, ut dicit philosophus (III de anima, text. 7), in hoc
differt intelligibile a sensibili, quia sensibile excellens destruit sensum ;
intelligibile autem maximum non destruit, sed confortat intellectum. Cum
igitur Deus sit maxime intelligibilis quantum in se est, quia est primum
intelligibile, videtur quod a nostro intellectu possit intelligi: non enim
impediretur nisi propter suam excellentiam. |
3. En outre, ainsi que le dit le Philosophe [111, de l’Âme, text. 7], l’intelligible
diffère du sensible en ceci qu’un sensible extrême détruit le sens alors que
l’intelligible le plus élevé ne détruit pas l’intelligence mais l’affermit. Donc,
puisque Dieu quant à lui-même est l’intelligible le plus élevé du fait qu’il
est le premier intelligible, il semble qu’il puisse être saisi par notre
intelligence : celle-ci en effet ne pourrait en être empêchée qu’en
raison de l’excellence de ce premier intelligible. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod non est hic quaestio, utrum Deus in essentia sua
immediate videri possit, hoc enim alterius intentionis est ; sed utrum
quocumque modo cognosci possit. Et ideo dicimus quod Deus cognoscibilis est ;
non autem ita est cognoscibilis, ut essentia sua comprehendatur. Quia omne
cognoscens habet cognitionem de re cognita, non per modum rei cognitae, sed
per modum cognoscentis. Modus autem nullius creaturae attingit ad altitudinem
divinae majestatis. Unde oportet quod a nullo perfecte cognoscatur, sicut
ipse seipsum [perfecte add. Éd. de Parme] cognoscit. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de
savoir si Dieu peut être vu immédiatement dans son essence, car c’est là le
propos d’une autre question; mais il s’agit de chercher à savoir si Dieu peut
être connu d’une certaine manière. Et c’est pourquoi nous disons que Dieu
peut être connu mais non pas de telle manière qu’il soit possible de saisir
son essence. Car tout être qui connaît possède une connaissance de la chose
connue, non pas à la manière de la chose connue, mais à la manière de celui
qui connaît. Aucun mode de connaître appartenant à une créature ne peut
cependant parvenir à s’élever à la hauteur de la divine majesté. De là il
doit nécessairement s’ensuivre qu’il n’est connu parfaitement par aucune
d’elle de la manière qu’Il se connaît lui-même. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut [sicut om. Éd. de Parme] Deus non est hoc modo existens
sicut ista existentia, sed in eo est natura entitatis eminenter. Unde,
[sicut add. Éd. de Parme] non est omnino expers entitatis, ita
etiam non omnino est expers cognitionis, quin cognoscatur ; sed non
cognoscitur per modum aliorum existentium, quae intellectu creato comprehendi
possunt. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Dieu n’existe pas à la manière dont les autres êtres existent mais
en lui la nature de l’être existe de la manière la plus excellente. De là, il
n’est absolument pas dénué d’être et de même encore il n’est absolument pas
dénué de connaissance qui ne soit connue ; mais il n’est pas connu à la
manière des autres êtres, lesquels peuvent être compris par une intelligence
créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod quamvis plus distet Deus a quolibet intelligibili,
secundum naturae proprietatem, quam intelligibile a sensibili, tamen plus
convenit in ratione cognoscibilitatis [cognoscibilis Éd. de Parme].
Omne enim quod est separatum a materia, habet rationem ut cognoscatur sicut
intelligibile: quod autem materiale est cognoscitur ut sensibile. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que Dieu est plus éloigné de tout intelligible, quant à la
propriété de nature, que l’intelligible ne l’est du sensible, il est cependant
davantage proportionné à la nature de ce qui est connaissable. En effet, tout
ce qui est séparé de la matière a raison de connaissable en tant
qu’intelligible ; mais ce qui est matériel est connu en tant que
perceptible par les sens. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
species, per quam fit cognitio, est in potentia cognoscente secundum modum
ipsius cognoscentis: unde eorum quae sunt magis materialia quam intellectus,
species est in intellectu simplicior quam in rebus ; et ideo hujusmodi
dicuntur cognosci per modum abstractionis. Deus autem et Angeli sunt
simpliciores nostro intellectu ; et ideo species quae in nostro intellectu
efficitur, per quam cognoscuntur, est minus simplex. Unde non dicimur
cognoscere ea per abstractionem, sed per impressionem ipsorum in
intelligentias nostras. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’espèce, au moyen de laquelle se produit la connaissance, est dans
la puissance qui connaît selon le mode de celui-là même qui connaît :
c’est pourquoi, pour les choses qui sont plus matérielles que
l’intelligence, l’espèce est plus simple dans l’intelligence que dans les
choses ; et c’est pourquoi on dit de ces choses qu’elles sont connues
par mode d’abstraction. Mais Dieu et les Anges sont plus simples que notre
intelligence ; et c’est pourquoi les espèces qui sont produites dans
notre intelligence et par lesquelles ils sont connus sont moins simples. De
là, nous ne disons pas que nous les connaissons par abstraction mais par une
impression de ces réalités dans nos intelligences. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter, scilicet privative et
negative. Infinitum privative est quod secundum suum genus est natum habere
finem, non habens ; et tale, cum sit imperfectum, ex sui imperfectione
perfecte non cognoscitur, sed secundum quid. Infinitum negative dicitur quod
nullo modo finitum est ; et hoc est quiddam quod se ad omnia extendit,
perfectissimum, non valens ab intellectu creato comprehendi, sed tantum
attingi. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’infini se dit de deux manières, à savoir à la manière d’une
privation et d’une négation. L’infini selon la privation est celui qui selon
son genre est apte à avoir une fin mais qui ne la possède pas ; et un
tel infini, puisqu’il est imparfait, n’est pas connu parfaitement mais
seulement sous un certain rapport en raison de son imperfection. L’infini selon
la négation se dit de qui n’est fini d’aucune manière : et c’est là
l’être le plus parfait qui étend sa puissance sur toute chose, ne pouvant
être saisi mais seulement abordé par une intelligence créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod philosophus (III de anima, text. 30],
loquitur de cognitione intellectus connaturali nobis secundum statum viae ;
et hoc modo Deus non cognoscitur a nobis nisi per phantasmata, non sui
ipsius, sed causati sui per quod in ipsum devenimus. Sed per hoc non
removetur quin cognitio aliqua possit esse intellectus, non per viam
naturalem nobis, sed altiorem, scilicet per influentiam divini luminis ad
quam phantasma non est necessarium. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que le Philosophe [111, de l’Âme, text. 30] par ici de la connaissance
de l’intelligence qui nous est naturelle en cette vie ; et en ce sens
Dieu n’est connu de nous qu’au moyen des images qui ne Le représentent pas
mais qui se rapportent à ses effets et au moyen desquelles nous nous
approchons de Lui. Mais cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir une certaine
connaissance de l’intelligence de Dieu, non pas de la manière qui nous est
naturelle mais selon un mode plus élevé, c’est-à-dire au moyen du secours de
la lumière divine pour lequel les images ne sont pas nécessaires. |
Lib. 1 d.
3 q. 1 a. 1 ad s. c. 1 Alia concedimus. |
Réponses aux
objections en sens contraire. 1.Nous concédons
les réponses aux deux premières difficultés. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad s. c. 3 Tamen ad ultimum, quia
concludit, quod Deus etiam nunc maxime cognoscatur a nobis, respondendum est,
quod quodammodo est simile in intellectu et sensu, et quodammodo dissimile.
In hoc enim simile est quod sicut sensus non potest in id quod non est
proportionatum sibi, ita nec intellectus, cum omnis cognitio sit per modum
cognoscentis, secundum Boetium (De Consol., lib. V, prosa
VI): in hoc autem dissimile est quod intelligibile excellens non corrumpit,
sicut excellens sensibile ; unde intellectus non deficit a cognitione
excellentis intelligibilis quia corrumpatur, sed quia non attingit. Et ideo
non perfecte Deum videre potest intellectus creatus. |
3. Cependant à la fin, parce
qu’il conclut que Dieu aussi est en cette vie parfaitement connu de nous, il
faut répondre qu’en un sens il en est de même pour l’intelligence et le sens
mais non en un autre sens. Il en est de même en ce sens que
l’intelligence, tout come le sens, n’est pas proportionné à Dieu, puisque
toute connaissance a lieu d’après le mode de celui qui connaît selon Boèce [De
la Consolation, livre V, prose VI] : mais ils diffèrent
en cela que l’intelligible le plus élevé ne corromp pas l’intelligence
contrairement au sensible extrême à l’égard du sens ; d’où il suit que
l’intelligence n’est pas privée de la connaissance de l’intelligible par excellence
pour cette raison qu’elle est corrompue par lui, mais parce qu’elle ne
l’atteint pas. Et c’est là la raison pour laquelle une intelligence créée ne
peut parfaitement voir Dieu. |
|
|
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 Utrum Deum esse sit per se notum. |
Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi ?[4] |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deum esse sit
per se notum. Illa enim dicuntur per se nota quorum cognitio naturaliter est
nobis insita, ut: omne totum est majus sua parte. Sed cognitio existendi
Deum, secundum Damascenum (lib. de Fide orth., cap. 1)
naturaliter est omnibus inserta [insita. Éd. de Parme). Ergo
Deum esse est per se notum. |
Difficultés. 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que l’existence de Dieu
soit connue par soi. On dit en effet que sont connues par soi les choses dont
la connaissance nous est naturellement donnée, comme de connaître que tout
tout est plus grand que chacune de ses parties. Mais d’après Damascène [Livre
au sujet de la Foi orthodoxe, ch. 1], la connaissance de l’existence de
Dieu nous est naturellement donnée. Donc, la connaissance de l’existence de
Dieu nous est connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg.
2 Item, sicut se habet lux sensibilis ad visum, ita se habet lux
intelligibilis [intellectualis Éd. de Parme] ad intellectum. Sed
lux visibilis seipsa videtur ; immo nihil videtur, nisi mediante ipsa. Ergo
Deus seipso immediate cognoscitur. |
2. De plus, ce que la lumière
sensible est à la vue, la lumière intelligible l’est à l’intelligence. Mais
la lumière sensible se voit par elle-même ; bien plus, rein n’est vu si
ce n’est par son intermédiaire. Donc Dieu est connu immédiatement par
Lui-même. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis cognitio est per unionem rei cognitae ad
cognoscentem. Sed Deus est per seipsum intrinsecus animae etiam magis quam
ipsa sibi. Ergo per seipsum cognosci potest. |
3. En outre, toute connaissance s’accomplit par l’union
de la chose connue à celui qui connaît. Mais Dieu est par lui-même uni à
l’âme davantage encore que l’âme ne l’est à elle-même. Dieu peut donc être
connu par lui-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg.
4 Praeterea, illud est per se notum quod non potest cogitari non esse. Sed
Deus non potest cogitari non esse. Ergo ipsum esse, per se est notum.
Probatio mediae est per Anselmum (Prosl., cap. XV): Deus est quo
majus cogitari non potest. Sed illud quod non potest cogitari non esse, est
majus eo quod potest cogitari non esse. Ergo Deus non potest cogitari non
esse, [cum sit illud quo nihil majus cogitari potest add. Éd. de
Parme]. Potest aliter probari. Nulla res potest cogitari sine sua
quidditate, sicut homo sine eo quod est animal rationale mortale. Sed Dei
quidditas est ipsum suum esse, ut dicit Avicenna (de inteligentiis, cap.1).
Ergo Deus non potest cogitari non esse. |
4. Par ailleurs, est connu
par soi ce qui ne peut être pensé comme non existant. Mais Dieu ne peut être
pensé comme n’existant pas. Donc son existence est connue par elle-même. La
mineure est prouvée par Anselme [Prosl., ch. XV] : Dieu est ce dont on
ne peut rien penser de plus grand. Mais ce qui ne peut être pensé comme
n’existant pas est plus grand que ce qui peut être pensé comme n’existant
pas. Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas [puisqu’Il est Celui
au sujet de qui on ne peut rien penser de plus grand]. Mais on pourrait la
prouver autrement. Aucune chose ne peut être pensée sans sa quiddité, comme
l’homme ne peut être pensé sans ceci qu’il est un animal rationnel et mortel.
Mais la quiddité de Dieu est son existence même, ainsi que le dit Avicenne [Les
Intelligences, ch. 1]. Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant
pas. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 s. c.
1 Contra, ea quae per se sunt nota, ut dicit philosophus (IV Metaph.,text.
28), etsi exterius negentur ore, nunquam interius negari possunt corde. Sed
Deum esse, potest negari corde. Psalm. 13, 1: Dixit
insipiens in corde suo: non est Deus. Ergo Deum esse non est per se
notum. |
Objections : 1. Ainsi que le dit le
Philosophe [IV Métaph. text. 28] bien qu’on puisse extérieurement nier de
vive voix ce qui est connu de soi, on ne peut jamais le nier intérieurement
par l’esprit. Mais l’existence de Dieu peut être nié intérieurement dans
l’esprit. Le psalmiste dit en effet [Psaume 13, 1] : L’insensé
dit en son cœur : Dieu n’existe pas. Donc, l’existence de Dieu n’est
pas connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 s. c.
2 Item, quidquid est conclusio demonstrationis non est per se notum. Sed
Deum esse demonstratur etiam a philosophis (VIII Phys., text.
33, item XII Metaph., text. 35). Ergo Deum esse non est per se
notum. |
2. En outre, aucune
conclusion d’une démonstration n’est connue par elle-même. Mais l’exisntece
de Dieu est démontrée même par les philosophes [ VIII Phys, text, 33l XII
Métaph. text.35]. Donc, l’existence de Dieu n’est pas connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 co. Respondeo, quod de cognitione
alicujus rei potest aliquis dupliciter loqui: aut secundum ipsam rem, aut quo
ad nos. Loquendo igitur de Deo secundum seipsum, esse est per se notum, et
ipse est per se intellectus, non per hoc quod faciamus ipsum intelligibile,
sicut materialia facimus intelligibilia in actu. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on peut parler de la connaissance d’une chose de deux manières : soit
quant à la chose elle-même, soit quant à nous-mêmes. Donc, en parlant de Dieu
quant à Lui-même, son existence est connue par elle-même et il est lui-même
intelligible par lui-même et non par le fait que nous le rendons intelligible
comme nous le faisons pour les choses matérielles que nous rendons
intelligibles en acte. |
Loquendo autem de Deo per comparationem ad nos, sic
iterum dupliciter potest considerari. Aut secundum suam
similitudinem et participationem ; et hoc modo ipsum esse, est per se notum ;
nihil enim cognoscitur nisi per veritatem suam, quae est a Deo exemplata ;
veritatem autem esse, est per se notum. |
Mais en parlant de Dieu par
rapport à nous-mêmes, nous pouvons encore considérer le problème de deux
manières. Soit selon sa ressemblance et
sa participation et en ce sens son existence elle-même est connue par soi ;
rien en effet n’est connu si ce n’est par sa vérité qui est modelée par
Dieu ; mais que la vérité existe, cela est connu par soi. |
Aut secundum suppositum,
idest considerando ipsum Deum, secundum quod est in natura sua quid
incorporeum ; et hoc modo non est per se notum ; immo multi inveniuntur
negasse Deum esse, sicut omnes philosophi qui non posuerunt causam agentem,
ut Democritus et quidam alii (I Metaph., text.9) Et hujus
ratio est, quia ea quae per se nobis nota sunt, efficiuntur nota statim per
sensum ; sicut visis toto et parte, statim cognoscimus quod omne totum est
majus sua parte sine aliqua inquisitione. |
Soit selon le sujet lui-même,
c’est-à-dire en considérant Dieu lui-même, selon qu’il est dans sa nature
même un être incorporel ; en ce sens Il n’est pas connu par soi ;
au contraire, il s’en trouve plusieurs qui ont nié l’existence de Dieu, comme
tous les philosophes qui n’ont pas posé une cause efficiente, comme Démocrite
et certains autres [1 Métaph. text.
9]. Et la raison en est que les choses qui nous sont connues par soi sont
rendues connues par les sens de façon immédiate ; par exemple, voyant ce
qu’est un tout et une partie, nous connaissons aussitôt, sans aucune
recherche, que tout tout est plus grand que sa partie. |
xUnde philosophus
(I Posterior., text. 24): Principia cognoscimus
dum terminos cognoscimus. Sed visis sensibilibus, non devenimus in Deum
nisi procedendo, secundum quod ista causata sunt et quod omne causatum est ab
aliqua causa agente et quod primum agens non potest esse corpus, et ita in
Deum non devenimus nisi arguendo ; et nullum tale est per se notum. Et haec est ratio Avicennae, lib. de Intellig. cap.
1. |
C’est pourquoi le Philosophe
dit [1 Seconds Analytiques, text.
24] : Nous connaissons les principes dès lors que nous connaissons les
termes. Mais en voyant les choses sensibles, on en vient à Dieu seulement par
ce procédé suivant lequel ces effets existent, que tout effet vient d’une
cause efficiente et que le premier agent ne peut être un corps et c’est ainsi
que nous ne parvenons à Dieu qu’à force de raisonner ; et rien de ce qui
est connu de cette manière n’est connu par soi. Et telle est l’argumentation
d’Avicenne [Livre sur les Intelligences, ch. 1]. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni intelligenda est de divina
cognitione nobis inserta [insita Éd. de Parme], secundum ipsius
similitudinem et non secundum quod est in sua natura ; sicut etiam dicitur,
quod omnia appetunt Deum: non quidem ipsum prout consideratur in sua natura,
sed in sui similitudine ; quia nihil desideratur, nisi inquantum habet
similitudinem ipsius, et etiam nihil cognoscitur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que le témoignage de Damascène sur la connaissance de Dieu qui nous est
donnée doit s’entendre d’après sa similitude dans les choses et
non pas d’après son existence dans sa nature propre, tout comme on dit aussi
que tout être désire Dieu, non pas certes selon qu’on Le considère dans sa
nature, mais dans ses ressemblances ; car rien n’est désiré et même rien
n’est connu qu’à la condition d’avoir une similitude. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod visus noster est proportionatus ad videndum lucem
corporalem per seipsam ; sed intellectus noster non est proportionatus ad
cognoscendum naturali cognitione aliquid nisi per sensibilia ; et ideo in
intelligibilia pura devenire non potest nisi argumentando [arguendo Éd.
de Parme]. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que notre faculté de voir est proportionnée à voir par elle-même la
lumière corporelle ; mais notre intelligence n’est proportionnée à
connaître quelque chose par une connaissance naturelle qu’au moyen des choses
sensibles ; et c’est pourquoi notre intelligence ne peut
parvenir à saisir les purs intelligibles que par l’argumentation. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus sit in anima per
essentiam, praesentiam et potentiam, non tamen est in ea sicut objectum
intellectus ; et hoc requiritur ad cognitionem. Unde etiam anima sibi ipsi
praesens est ; tamen maxima difficultas est in cognitione animae, nec
devenitur in ipsam, nisi ratiocinando ex objectis in actus et ex actibus in
potentiam [potentias. Éd. de Parme] |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que Dieu soit dans l’âme par son essence, sa présence et sa
puissance, il n’est cependant pas en elle comme objet de
l’intelligence ; et cela est une exigence pour la connaissance. De là
l’âme aussi est présente à elle-même ; il existe cependant une grande
difficulté à connaître l’âme et on y arrive qu’en raisonnant à partir des
objets dans les actes et à partir des actes pour en venir à la
puissance. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod ratio Anselmi ita intelligenda est. Postquam
intelligimus Deum, non potest intelligi quod sit Deus, et possit cogitari non
esse ; sed tamen ex hoc non sequitur quod aliquis non possit negare vel
cogitare, Deum non esse ; potest enim cogitare nihil hujusmodi esse quo majus
cogitari non possit ; et ideo ratio sua procedit ex hac suppositione, quod
supponatur aliquid esse quo majus cogitari non potest. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le raisonnement d’Anselme doit s’entendre de la manière qui suit.
Après avoir vu ce qu’il en est de Dieu, on ne peut à la fois comprendre qu’Il
existe et pouvoir penser qu’il n’existe pas ; il ne s’ensuit cependant
pas à partir de là qu’on ne puisse pas nier Dieu ou penser qu’Il n’existe
pas ; on peut en effet penser qu’il n’y a rien de tel dont il ne soit
pas possible de penser quelque chose de plus grand ; et c’est pourquoi
le raisonnement d’Anselme procède de cette hypothèse qui suppose qu’il y a
quelque chose dont on ne peut rien penser de plus grand. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 2 ad s. c. Et similiter etiam dicendum ad aliam probationem. |
Réponse à l’objection : Et il faut répondre la même
chose à l’autre preuve. |
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Articulus 3 b. 1 d. 3 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus possit
cognosci ab homine per creaturas. |
Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers les créatures ? |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus possit
cognosci per creaturas ab homine. Rom. 1, 20: invisibilia Dei a
creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Creatura autem dicitur
[videtur Éd. de Parme].esse homo, secundum expositionem Magistri.
Ergo per creaturas ab homine potest cognosci. |
Difficultés : 1. Voici comme on procède à
l’égard de ce troisième article. Il semble que Dieu puisse être connu par
l’homme au moyen des créatures. C’est ce que dit Paul dans sa Lettre aux
romains [1, 20] : Ce qui ne peut être vu de Dieu par la créature
du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres. Mais la
créature dont on parle est l’homme, selon l’explication du Maître. Donc, Dieu
peut être connu par l’homme au moyen des créatures. |
Lib. 1 d.
3 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, videtur quod ab Angelo. Cognitio enim Dei per
creaturas fit per hoc quod videtur divina bonitas relucens in creatura. Sed
Angelus cognoscens res in proprio genere, videt divinam bonitatem in
ipsis. Ergo cognoscit creatorem ex creaturis. |
2. En outre, il
semble qu’il puisse être connu par l’Ange. La connaissance de Dieu au moyen
des creatures a lieu du fait qu’on voit la bonté divine se
refléter dans la creature. Mais l’Ange, en connaissant les choses dans leur
genre propre, voit la bonté divine en eux. Donc il connaît
le créateur à partir d’elles. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod etiam bruta. Nulli enim fit praeceptum
nisi ei qui cognoscit praeceptum. Sed Jonae, 4, dicitur, quod praecepit
dominus vermi, quod percuteret hederam. Ergo vermis potest cognoscere divinum
praeceptum, et ita potest etiam cognoscere praecipientem. |
3. De plus, il semble qu’il
en soit de même aussi pour la brute. Le commandement ne s’adresse en effet
qu’à celui qui connaît le commandement. Mais dans le livre de Jonas, 4, on
dit que le Seigneur commanda au ver de frapper le lierre. Donc le ver peut
connaître le commandement divin et ainsi il peut même connaître Celui qui le donne. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg.
4 Item, videtur quod etiam a peccatoribus possit cognosci: dicitur enim Rom.
1, 21: cum Deum cognovissent, non sicut Deum glorificaverunt.
Tales autem peccatores fuerunt. Ergo et cetera. |
4. Par ailleurs, il semble
que Dieu puisse être connu même par les pécheurs : dit en effet dans la
Lettre aux Romains (1, 21) : Puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas
rendu gloire comme ils le devaient à Dieu. Mais de tels pécheurs ont existé.
Donc, etc. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg.
5 Contra, omnis effectus ducens in cognitionem suae causae,
est aliquo modo proportionatus sibi. Sed creaturae non sunt proportionatae
Deo. Ergo ex eis non potest homo in suam cognitionem venire. |
Cependant : 5. Au contraire, tout effet
qui conduit à la connaissance de sa cause est en un sens proportionné à cette
cause. Mais les craétures ne sont pas proportionnées à Dieu. Donc, l’homme ne
peut à partir d’elles en venir à la connaissance de Dieu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a.
3 arg. 6 Item, videtur quod nec Angeli. Quod enim per se cognoscitur, non
cognoscitur per aliquid aliud. Sed Deum cognoscunt Angeli per se, videntes
ipsum in sua essentia. Ergo non
cognoscunt ipsum per creaturas. |
6. En outre, il semble que
les Anges ne le puissent pas non plus. En effet, ce qui est connu par soi
n’est pas connu par quelque chose d’autre. Mais les Anges connaissent Dieu
par lui-même, le voyant dans son essence. Donc, ils ne connaissent pas Dieu
au moyen des créatures. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg.
7 Item, videtur quod nec etiam a brutis. Nulla enim potentia affixa organo
habet virtutem ad cognoscendum nisi speciem materialem, eo quod cognitio sit
in cognoscente secundum modum ipsius cognoscentis [.cognoscentis om.
Éd. de Parme]. Sed bruta non habent virtutes cognoscitivas, nisi sensitivas,
quae sunt affixae organo. Ergo nullo modo possunt cognoscere Deum, qui omnino
est immaterialis. |
7. De plus, il semble que les
brutes animales ne le puissent pas non plus. Toute puissance en effet qui est
liée à un organe ne peut connaître qu’une espèce matérielle, du fait que la
connaissance est dans celui qui connaît selon le mode de celui-à même qui
connaît. Mais les brutes animales ne possèdent comme puissances cognitives
que celles qui sont sensibles, lesquelles sont rattachées à un organe. Elles ne
peuvent donc en aucune manière connaître Dieu qui est absolument immatériel. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a.
3 arg. 8 Item, videtur quod nec etiam a peccatoribus. Ambrosius enim dicit
super illud, Matth. 5, 8: « Beati mundo corde quoniam ipsi Deum
videbunt ». (lib. I In luc, 27) Si qui mundo corde sunt,
Deum videbunt, ergo alii non videbunt ; neque enim maligni Deum videbunt,
neque is qui Deum videre noluerit, potest videre Deum. |
8. Enfin, il semble
qu’il ne puisse non plus être connu par les pécheurs. En effet en commentant
Matthieu (5, 8): ¨Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu¨,
Ambroise dit: Si ceux qui ont le coeur pur verront Dieu, alors les autres ne
Le verront pas; les méchants en effet ne verront pas Dieu, et celui qui ne
voudra pas voir Dieu ne pourra le voir. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, cum creatura exemplariter
procedat ab ipso [ab ipso om. Éd. de Parme] Deo sicut a causa
quodammodo simili per [secundum Éd. de Parme] analogiam, [eo
scilicet quod quaelibet creatura eum imitatur secundum possibilitatem naturae
suae, add. Éd. de Parme] ex creaturis potest in Deum deveniri
tribus illis modis quibus dictum est, scilicet per causalitatem, remotionem,
eminentiam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque la créature procède à la manière d’un modèle de Dieu lui-même
comme d’une cause qui lui est en quelque sorte semblable par analogie [à
savoir du fait que toute créature imite Dieu selon les possibilités de sa
nature], il est possible de parvenir à la connaissance de Dieu à partir des
créatures selon les trois modalités dont nous avons parlé,
c’est-à-dire par la causalité, la négation et l’excellence. |
Ad hoc autem quod
aliquis ex creaturis in Deum deveniat, duo requiruntur: scilicet quod ipsum Deum possit aliquo modo capere, et
ideo brutis non convenit talis processus cognitionis ; secundo requiritur
quod cognitio divina in eis incipiat a creaturis et terminetur ad creatorem ;
et ideo Angelis non convenit Deum cognoscere per creaturas, neque beatis
hominibus, qui a creatoris cognitione procedunt in creaturas. Sed convenit iste processus hominibus, secundum statum
viae, bonis et malis. |
Mais afin de parvenir à la
connaissance de Dieu au moyen des créatures, deux choses sont
nécessaires : à savoir en premier lieu qu’on puisse saisir Dieu d’une
certaine manière, et c’est pourquoi un tel procédé de connaissance
n’appartient pas aux brutes animales ; il est requis en deuxième lieu
que la connaissance de Dieu commence en partant des créatures et se termine
au créateur : et c’est pourquoi il n’appartient pas aux Anges et aux
bienheureux de connaître Dieu au moyen des créatures, lesquels procèdent de
la connaissance du créateur pour aller à celle des créatures. Mais ce procédé
convient aux hommes en cette vie, qu’ils soient bons ou mauvais. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 1 Primum ergo concedimus. |
Solutions: 1. Nous concédons ce qui est dit dans la première
difficulté. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus cognoscat
divinam bonitatem relucere in creatura, non tamen ex creatura venit in
creatorem, sed e contrario. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que bien que l’Ange connaît que la bonté divine se reflète dans
la créature, ce n’est cependant pas à partir de la créature qu’il en vient à
connaître le créateur mais c’est plutôt en suivant le procédé inverse. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 3
Ad tertium dicendum, quod praeceptum Dei non devenit ad vermem, ita quod
intentionem praecepti apprehenderet, sed quia divina virtute mota est ejus
aestimativa naturali motu ad complendum [explendum Éd. de Parme]
illud quod Deus disponebat. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que le commandemant de Dieu ne parvient pas au ver de telle
manière que ce dernier appréhende l’intention du précepte mais parce que par
la puissance divine son estimative est poussée par un movement naturel à
accomplir ce que Dieu avait ordonné. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons ce qui est
dit dans la quatrième difficulté. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 5
Ad quintum dicendum, quod creatura est effectus non proportionatus creatori ;
et ideo non ducit in perfectam cognitionem ipsius sed in imperfectam. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la créature est un effet qui est sans commune mesure avec le
créateur ; et c’est la raison pour laquelle elle ne conduit pas à une
connaissance parfaite mais imparfaite du créateur. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 6
Sextum et septimum concedimus. |
6 et 7. Nous concédons les
arguments présentés dans 6 et 7. |
Ad octavum dicendum, quod
Ambrosius loquitur de visione Dei per essentiam, quae erit in patria, ad quam
nullus malus poterit pervenire. Similiter etiam ad cognitionem fidei nullus
venit nisi fidelis. Sed cognitio naturalis de Deo communis est bonis et
malis, fidelibus et infidelibus. |
8. Il faut dire par rapport à
ce huitième argument qu’Ambroise parle de la vision de Dieu par son essence
qui aura lieu dans la patrie céleste et à laquelle aucun méchant ne pourra
avoir accès. De même encore, nul ne vient à la connaissance de Foi excepté le
fidèle. Mais la connaissance naturelle de Dieu est commune aux bons et aux
méchants, aux fidèles et aux infidèles. |
|
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Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum philosophi naturali
cognitione cognoverint Trinitatem ex creaturis |
Article 4 – Les philosophes ont-ils connu la Trinité d’une connaissance naturelle à partir des créatures ? |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod philosophi
naturali cognitione ex creaturis in Trinitatem devenerunt. Dicit enim
Aristoteles (in principio De caelo et mundi, text.,
5) : Et per hunc quidem numerum, scilicet ternarium, adhibuimus
nos ipsos magnificare Deum unum eminentem proprietatibus eorum quae creata
sunt. Similiter
etiam Plato, in Parmen, loquitur multa de paterno intellectu et
multi alii philosophi. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à ce quatrième article. Il semble que les philosophes en
sont venus à une connaissance de la Trinité au moyen d’une connaissance
naturelle en partant des créatures. Aristote dit en effet [au début du traité du
Ciel et du Monde, text. 5] : Et par ce nombre, à savoir le
nombre trois, nous nous sommes appliqués à glorifier l’excellence du Dieu
unique par les propriétés des choses qui ont été créées. De même encore
Platon, dans son Parménide, et de nombreux autres philosophes, disent de
nombreuses choses sur l’intelligence du père. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, philosophi potuerunt devenire in
cognitionem eorum quae in creaturis relucent. Sed in anima est expressa
similitudo Trinitatis personarum. Ergo videtur quod per potentias animae,
quas philosophi multum consideraverunt, potuerunt in Trinitatem personarum
devenire. |
2. De plus, les
philosophes ont pu en venir à la connaissance de ce qui se reflète dans les
creatures. Mais dans l’âme il y a une resemblance qui représente
la Trinité des personnes. Il semble donc qu’au moyen des puissances de l’âme
que les philosophes ont grandement considérées, ces derniers ont pu en venir
à une connaissance de la Trinité des personnes. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg.
3 Item, Richardus de s. Victore (De Trin., cap. IV), dicit:
« Credo sine dubio quod ad quamcumque explanationem veritatis, quae
necesse est esse, non modo probabilia, immo et necessaria argumenta non
desunt ». Sed necessarium est cognoscere
Trinitatem. Ergo videtur quod ad ipsius cognitionem philosophi rationem
habere potuerunt. Quod etiam videtur ex probationibus supra inductis, dist. 2,
art. 4, quibus Trinitas probatur. |
3. En outre, Richard de Saint
Victor [de la Trinité, ch. IV] dit : Je crois sans aucun doute
que pour toute explication de la vérité qui doit nécessairement exister, les
arguments, non pas ceux qui se présentent sous une forme probable, mais
plutôt ceux qui sont nécessaires, ne manquent pas. Mais il est nécessaire
de connaître la Trinité. Il semble donc que pour cette connaissance les
philosophes ont pu posséder des arguments. Ce qui apparaît aussi à partir des
preuves introduites plus haut [dist. 2, art. 4], par lesquelles on prouve la
Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg.
4 Item, dicitur Rom. 1 in Glossa quod philosophi non pervenerunt ad notitiam
personae tertiae, scilicet Spiritus sancti, et idem habetur super Exod.
8, ubi dicitur, quod magi Pharaonis defecerunt in tertio signo. Ergo
videtur ad minus quod ad notitiam duarum personarum venerunt. |
4. Par ailleurs, on
dit dans la glose de la Lettre aux Romains que les philosophes ne sont pas
parvenus à la connaissance de la troisième personne, à savoir l’Esprit-Saint
et on affirme la même chose au livre de l’Exode [ch. 8] que les magiciens de
Pharaon renoncèrent au troisième signe. Il semble donc qu’ils en vinrent au
moins à la connaissance de deux personnes. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 s. c.
1 Contra, Hebr. 11, 1: Fides est substantia
sperandarum rerum, argumentum non apparentium. Sed Deum esse trinum et
unum, est articulus fidei. Ergo non est apparens rationi. |
Cependant : 1. On dit dans la Lettre aux Hébreux (11, 1) : La
foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on
ne voit pas. Mais que Dieu soit à la fois trine et un, cela est un
article de foi. Donc, cela n’est pas accessible à la raison. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 co.
Respondeo dicendum, quod per naturalem rationem non potest perveniri in
cognitionem Trinitatis personarum ; et ideo philosophi nihil de hoc
sciverunt, nisi forte per revelationem vel auditum ab aliis. Et hujus ratio
est, quia naturalis ratio non cognoscit Deum nisi ex creaturis. Omnia
autem quae dicuntur de Deo per respectum ad creaturas, pertinent ad essentiam
et non ad personas. Et ideo ex naturali ratione non venitur nisi in attributa
divinae essentiae. Tamen personas, secundum appropriata eis, philosophi
cognoscere potuerunt, cognoscentes potentiam, sapientiam, bonitatem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on ne peut parvenir à la connaissance de la Trinité des personnes par la
raison naturelle ; et c’est pourquoi les philosophes n’ont rien su à ce
sujet, si ce n’est bien sûr par révélation ou pour l’avoir entendu dire par
d’autres. Et la raison en est que la raison naturelle ne connaît Dieu qu’à
partir des créatures. Mais tout ce qu’on dit de Dieu en partant des créatures
se rapporte à l’essence divine et non aux personnes de la divinité. Et c’est
pourquoi en s’appuyant sur la raison naturelle on ne peut arriver à connaître
que les attributs de l’essence divine. Cependant les philosophes pouvaient,
selon le mode qui leur convient, connaître les personnes en connaissant la
puissance, la sagesse et la bonté. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum expositionem
Commentatoris, Aristoteles non intendit Trinitatem personarum in Deo ponere ;
sed propter hoc quod in omnibus creaturis apparet perfectio in ternario,
sicut in principio, medio et fine, ideo antiqui honorabant Deum in
sacrificiis et orationibus triplicatis. Plato autem dicitur multa cognovisse
de divinis, legens libris [libros Éd. de Parme] veteris legis,
quos invenit in Aegypto. Vel forte intellectum paternum nominat intellectum
divinum, secundum quod in se quodam modo concipit ideam mundi, quae est
mundus archetypus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que d’après l’explication du Commentateur, Aristote ne cherche pas à
affirme qu’il y a trois personnes en Dieu ; mais pour cette raison que
le nombre trois semble présenter une perfection dans toutes les créatures
comme le commencement, le milieu et la fin, c’est pourquoi les anciens
honoraient Dieu dans des sacrifices et des discours qui se multipliaient par
trois. Mais on dit que Platon a connu beaucoup de choses sur Dieu en lisant
les libres de la loi ancienne qu’il trouva en Égypte. Ou bien peut-être
appelle-t-il intelligence paternelle l’intelligence divine d’après laquelle
il conçut en lui-même d’une certaine manière l’Idée du monde qui est le
premier monde en tant que principe. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 2
Ad secundum dicendum, quod similitudo Trinitatis relucens in anima est omnino
imperfecta et deficiens, sicut infra dicet Magister. Sed dicitur expressa per
comparationem ad similitudinem vestigii. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la similitude de la Trinité qui se reflète dans l’âme est absolument
imparfaite et déficiente, comme le dira plus loin le Maître. Mais on dit
qu’elle représente la Trinité sous le rapport d’une ressemblance de vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 3
Ad tertium dicendum, quod si dictum Richardi intelligatur universaliter, quod
omne verum possit probari per rationem, est expresse falsum ; quia prima
principia per se nota non probantur. Si autem aliqua sunt in se nota quae
nobis occulta sunt, illa probantur per notiora quo ad nos. Notiora autem quo
ad nos sunt effectus principiorum. Ex effectibus autem creaturarum, Trinitas
personarum probari non potest, ut dictum est. Et ideo relinquitur quod nullo
modo possit probari ; et omnes rationes inductae sunt magis adaptationes
quaedam, quam necessario concludentes. Remoto enim per impossibile intellectu
distinctionis personarum, adhuc remanebit in Deo summa bonitas et beatitudo
et caritas. |
3. En troisième lieu il faut
dire que si les paroles de Richard s’entendent absolument, à savoir que tout
ce qui est vrai peut être prouvé par la raison, cela est manifestement
faux ; car les premiers principes connus par soi ne sont pas prouvés.
Mais s’il y a des vérités connues par soi qui nous sont inconnues, celles-là
sont prouvées par des vérités plus connues de nous. Mais les vérités plus
connues de nous sont des effets des principes. Mais à partir des effets des
créatures, la Trinité des personnes ne peut être prouvée, ainsi que nous
l’avons dit. Et c’est pourquoi il s’ensuit qu’elle ne peut en aucune façon
être prouvée ; et toutes les raisons qu’on introduit sont davantage des
ajustements que des raisons qui concluent avec nécessité. En effet, si par
impossible on écarte la compréhension de la distinction des personnes, il
demeurera encore en Dieu la bonté, la béatitude et la charité sous leur forme
la plus parfaite. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 4
Ad quartum dicendum, quod philosophi non pervenerunt in cognitionem duarum
personarum quantum ad propria, sed solum quantum ad appropriata, non
inquantum appropriata sunt, quia sic eorum cognitio dependeret ex propriis,
sed inquantum sunt attributa divinae naturae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les philosophes ne
sont pas parvenus à la connaissance de deux personnes quant à ce qui les
distingue en propre mais seulement quant à des effets appropriés, non pas
cependant en tant qu’ils sont appropriés, car ainsi la connaissance de ces
derniers dépendrait de leurs effets propres, mais en tant qu’ils sont des
attributs de la nature divine. |
Et si objiciatur, quod
similiter devenerunt in cognitionem bonitatis, quae appropriatur spiritui
sancto, sicut in cognitionem potentiae et sapientiae, quae appropriantur
patri et filio: dicendum, quod bonitatem non cognoverunt quantum ad
potissimum effectum ipsius, incarnationem scilicet et redemptionem. Vel quia
non tantum intenderunt venerationi bonitatis divinae, quam etiam non
imitabantur, sicut venerati sunt potentiam et sapientiam. |
Et si on objectait que de la
même manière ils sont parvenus à la connaissance de la bonté qui est
appropriée à l’Esprit-Saint comme à la connaissance de la puissance et de la
sagesse qui sont respectivement appropriés au Père et au Fils, il faut dire
qu’ils n’ont pas connu la bonté quant à son effet le plus puissant, à savoir
l’incarnation et la rédemption. Ou encore qu’ils n’ont pas cherché à vénérer
la bonté divine, qu’ils n’ont pas même imitée, comme ils ont vénéré la
puissance et la sagesse. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Les traces] [5] |
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Prooemium |
Prologue |
Prooemium Lib. 1 d. 3 q. 2 pr Deinde quaeritur de vestigio, circa quod quaeruntur tria: 1 quid sit vestigium ; 2 de partibus vestigii
; 3 utrum in omni
creatura vestigium inveniatur. |
Proème, Livre 1, d. 3, q. 2 pr. On s’interroge ensuite sur le vestige, au sujet duquel on
pose trois questions : 1. Qu’est-ce qu’un vestige ? 2. Quelles en sont les parties ? 3. Est-ce qu’on retrouve un vestige en toute
créature ? |
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Articulus 1- I Sent. D.3, qu.
2, a. 1. Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum similitudo Dei in creaturis, possit
dici vestigium |
Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures peut-elle être appelée vestige ? |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod similitudo
Creatoris reperta in creatura, non potest dici vestigium. Per vestigium enim
res investigatur. Sed divina majestas est investigabilis: unde dicitur Rom.
11, 33: O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei, quam
incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viae ejus ! Et Psalm. 76,
20: Et vestigia tua non cognoscentur[6]. Ergo videtur quod similitudo creatoris in creatura
non sit vestigium. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède
par rapport à cette question. Il semble que la similitude du Créateur
découverte dans la créature ne puisse être appelée vestige. C’est au moyen
d’un vestige en effet qu’une chose est découverte. Mais la divine majesté ne
peut être découverte : c’est pourquoi Paul dit dans la Lettre aux
romains (11, 33) : O abîme des richesses de la sagesse et de la
science de Dieu ! que ses décrets sont insondables et ses voies
incompréhensibles ! Et le Psalmiste nous dit (76,
20) : Et tes traces, nul ne les connut. Il semble donc que
la similitude du créateur dans la créature ne soit pas un vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg.
2 Praeterea, vestigium est impressio quaedam consequens motum ejus cujus est
vestigium. Sed Deus res producit sine aliquo sui motu, Jac. 1,
17: Apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio.
Ergo vestigium non potest dici de similitudine creaturae, quae a creatore
producitur. |
Par ailleurs, un vestige est
une impression qui découle du mouvement de ce dont il est le vestige. Mais
Dieu produit les choses sans aucun mouvement selon ce que Jacques en dit dans
sa Lettre (1, 17) : Celui chez qui n’existe aucun
changement ni l’ombre d’une variation. On ne peut donc attribuer le terme
de vestige à la similitude de la créature qui est produite par le Créateur. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, vestigium, secundum quod hic sumitur, inducit
in cognitionem personarum. Sed per creaturas non potest haberi cognitio
Trinitatis, ut dictum est. Ergo similitudo reperta in creaturis non debet
dici vestigium ; vel vestigium non ducit in Trinitatem. |
3. En outre le
vestige, dans le sens où il est pris ici, introduit à la connaissance des
personnes. Mais on ne peut acquérir une connaissance de la Trinité au moyen
des creatures, ainsi que nous l’avons dit. Donc la similitude découverte dans
les créatures ne doit pas être appelée vestige; ou bien encore, si on le
fait, le vestige ne conduit pas à la Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a.
1 arg. 4 Item, Gregorius dicit, (X Moral., c.VIII) super
illud Job 11, 7: « Forsitan vestigia » Dei
comprehendes ? »Benignitas visitationis, qua viam nobis ostendit,
ejus vestigia dicuntur. Ergo videtur, quod vestigium non sit similitudo Dei
reperta in creaturis. |
4. Grégoire dit de
plus [X Moral., ch. VIII] au sujet de ce passage de
Job (11, 7): ¨Peut-être pretends-tu comprendre les vestiges de Dieu?¨: La
bienveillance de la manifestation par laquelle il nous montre la voie est ce
qu’on appelle son vestige. Il semble donc que la similitude de Dieu
découverte dans les creatures ne soit pas un vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod vestigium, secundum quod hic dicitur [sumitur Éd.
de Parme], metaphorice accipitur, et sumitur ad similitudinem vestigii
proprie dicti, quod est impressio quaedam, confuse ducens in cognitionem
alicujus, cum non repraesentet ipsum nisi secundum partem, scilicet pedem, et
secundum inferiorem superficiem tantum. Tria ergo considerantur in ratione
vestigii: scilicet similitudo, imperfectio similitudinis, et quod per
vestigium in rem cujus est vestigium devenitur. Secundum hoc
ergo, quia in creaturis invenitur similitudo creatoris, per quam in ipsius
cognitionem devenire possimus, et est imperfecta similitudo ; ideo in
creaturis dicitur vestigium creatoris. Et quia creaturae [creaturae om.
Éd. de Parme] magis deficiunt a repraesentatione distinctionis
personarum, quam essentialium attributorum ; ideo magis proprie dicitur
creatura vestigium, secundum quod ducit in personas, quam secundum quod ducit
in divinam essentiam. |
Corps de l’article: Je réponds que le
vestige, dans le sens où il est pris ici, se dit dans un sens métaphorique et
se tire d’une resemblance avec le vestige proprement dit, lequel est une
certaine impression qui conduit confusément à la connaissance d’une chose
puisqu’elle ne la représente que selon une partie, à savoir le pied et
seulement d’après une étendue inférieure. Tois aspects sont donc considérés
dans la notion de vestige: à savoir la similitude, l’imperfection de la
similitude et ce qui est découvert au moyen du vestige dans la chose dont
elle est le vestige. D’après cela par conséquent, parce que dans les
créatures on retrouve une similitude du créateur, par laquelle nous pouvons
en venir à la connaissance de ce dernier et que cette similitude est
imparfaite, c’est pourquoi cette similitude dans les créatures est appellée
vestige du créateur. Et parce que les creatures s’écartent davantage d’une
representation de la distinction qu’il y a entre les personnes que de la
représentation des attributs essentiels, c’est pourquoi la créature est plus
proprement appellée vestige selon qu’elle conduit à la connaissance des
personnes que selon qu’elle conduit à la connaissance de l’essence divine. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod divinae viae dicuntur investigabiles, quia non
ad plenum ipsius opera comprehendere possumus, non quod ex creaturis nullo
modo in ipsas devenire possimus. |
Solutions: 1. Il faut dire
premièrement qu’on dit des voies de Dieu qu’elles sont impénétrables, non pas
parce qu’à partir des creatures nous ne pouvons parvenir en aucune manière à
celles-ci mais parce que nous ne pouvons parvenir à comprendre pleinement ses
oeuvres. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod in his quae dicuntur per translationem, sufficit
quod attendatur similitudo quantum ad aliquid, et non oportet quod quantum ad
omnia ; alias esset proprietas [identitas Éd. de Parme], et non
similitudo. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour les choses qui sont dites métaphoriquement, il suffit que la
similitude s’étende à un certain rapport et non pas à tous les
rapports ; autrement, le terme désignerait une propriété ou une identité
et non pas une similitude. |
ib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod per vestigium non devenimus in cognitionem
personarum, nisi valde confuse ; quia per appropriata personis, magis quam
per ipsarum propria, sicut patet ex littera. Appropriata autem sunt
essentialia, quamvis similitudinem habeant cum propriis personarum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’au moyen d’un vestige on n’en vient pas à la connaissanace des
personnes, si ce n’est sans doute d’une manière confuse ; car alors
c’est au moyen des attributs qui sont appropriés aux personnes qu’on les
connaît plutôt que par ceux qui leur sont propres, ainsi qu’on le voit à
partir du document. Mais les attributs appropriés sont essentiels, bien
qu’ils entretiennent une similitude avec ceux qui sont propres aux personnes. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod uni rei possunt esse multa similia ; unde non est
inconveniens quod ab eodem transumentur [transmutentur Éd. de Parme]
aliqua diversa secundum diversas similitudines ; et ideo potest esse quod
similitudo reperta in creaturis dicatur vestigium in quantum confuse
repraesentat ; et opera divinae bonitatis in mysterio incarnationis ostensa
dicantur vestigia Dei inquantum per ea nobis via paratur ad veniendum in
ipsum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que pour une seule et même chose il peut exister plusieurs
similitudes ; de là il n’y a pas de problème à ce que divers rapports
selon différentes similitudes soient reçus par une même chose ; et c’est
pourquoi il peut arriver que la similitude découverte dans les créatures soit
appelée vestige selon qu’elle représente confusément ce dont elle est la
similitude ; et les œuvres de la bonté divine manifestées dans le
mystère de l’incarnation sont appelées vestige de Dieu dans la mesure où
elles nous préparent le chemin pour parvenir jusqu’à Lui. |
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Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 tit. Utrum partes vestigii sint
tres tantum vel duae. |
Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ? |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod debeant esse
tantum duae partes vestigii. Vestigium enim est proprietas quaedam creaturae.
Sed creatura habet tantum duas partes essentiales, scilicet materiam et
formam. Ergo videtur quod secundum has partes duae tantum sint partes
vestigii. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de ce deuxième article. Il semble qu’un vestige ne comporte que deux
parties. Un vestige en effet est une certaine propriété d’une créature. Mais
la créature ne possède que deux parties essentielles, à savoir la matière et
la forme. Il semble donc que le vestige ne comporte que deux parties d’après
ces composantes. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, videtur quod
quatuor. Per vestigium enim non tantum repraesentatur personarum Trinitas,
sed etiam unitas essentiae. Ergo oportet esse tria respondentia tribus
personis et quartum respondens unitati essentiae. |
2. En outre, il semble qu’un
vestige comporte quatre parties. Par un vestige en effet ce n’est pas
seulement la Trinité des personnes qui est représentée, mais aussi l’unité de
l’essence. Il faut donc qu’il y ait trois parties qui correspondent aux trois
personnes et une autre qui correspond à l’unité de l’essence. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, vestigium dicitur in creatura secundum quod
repraesentat creatorem. Cum igitur in creaturis repraesententur plurima
attributa ipsius Dei, quae participantur a creaturis, sicut patet per
Dionysium (de div. Nom., cap. IX) videtur quod sint plurimae
partes. |
3. De plus, on dit qu’il y a
vestige dans la créature selon qu’elle représente le Créateur. Donc,
puisqu’une multitude d’attributs de Dieu, dont les créatures participent,
sont représentés dans celles-ci, ainsi qu’on le voit chez Denys [Les Noms
Divins, ch. 1X], il semble qu’un vestige comporte une multitude de parties. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg.
4 Item, a diversis inveniuntur partes diversae assignatae ; sicut Sap. 11, 21
dicitur: omnia in numero, pondere et mensura disposuisti ;
et Augustinus (de natura boni, cap. III), ponit modum, speciem et
ordinem ; et multis aliis modis secundum diversos. Quaeritur ergo de ratione
diversitatis assignationum. |
4. Par ailleurs, différentes
parties se trouvent à être attribuées d’après différents principes, ainsi
qu’il est dit dans le livre de la Sagesse (XI, 20) : Tu as tout
réglé avec nombre, poids et mesure ; et Augustin pose [Sur la
Nature du Bien, ch. 111] le mode, l’espèce et l’ordre ; et c’est de
plusieurs autres manières que se font les attributions d’après différents
critères. On s’interroge donc sur la raison de la diversité des attributions. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod vestigium invenitur in
creatura, inquantum imitatur divinam perfectionem. Perfectio autem creaturae
non statim habetur in suis principiis, quae imperfecta sunt, ut patet in
materia et forma, quorum neutrum habet per se [per se om. Éd. de
Parme] esse perfectum ; sed in conjunctione ipsius creaturae ad suum
finem. Distantia autem natura non conjungit sine medio: et ideo in creaturis
invenitur principium, medium et finis, secundum quae tria ponebat Pythagoras
perfectionem cujuslibet creaturae. Et secundum rationem etiam horum trium
repraesentatur in creaturis distinctio divinarum personarum, in quibus Filius
est media persona, sed Spiritus sanctus est in quo terminatur processio
personarum. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’on retrouve un vestige dans la creature dans la mesure où elle
imite la perfection divine. Mais la perfection de la creature n’est pas
possédée immédiatement dans ses principes, lesquels sont imparfaits, ainsi
qu’on peut le voir dans la matière et la forme, alors qu’aucune des deux ne
possède par elle-même une existence parfaite, mais seulement dans la mesure
où elles sont unies dans la créature en vue de sa fin. Mais ce n’est pas sans
intermédiaire que la nature réunit ce qui est éloigné: et c’est pourquoi dans
les créatures on retrouve un commencement, un milieu et une fin sur lesquels
Pythagore fondait la perfection de toute créature. Et c’est encore suivant la
notion de ces trois principes que se trouve à être représentée dans les
creatures la distinction des personnes divines dans lesquelles le Fils est la
personne intermédiaire et l’Esprit-Saint est celle dans laquelle se termine
la procession des personnes. |
Contingit autem inter duo extrema esse plurima
[plura Éd. de Parme] media ; et ideo contingit quod principium et
medium et finis diversimode possunt assignari, secundum quod ex his omnibus,
[scilicet principio, medio et fine, et multis mediis add. Éd. de
Parme], quaedam possunt accipi ut principium et quaedam ut medium et
quaedam ut finis, diversimode combinando ; et ideo contingit quod a diversis
partes vestigii diversimode sunt assignatae. Verbi gratia, primum quod
pertinet ad perfectionem rei, sunt principia ipsius rei ; ultimum autem est
perfectio [ipsius add. Éd.
de Parme] rei secundum comparationem
[operationem Éd. de Parme] suam ad alias res non tantum prout in
se perfecta est. Inter haec autem multa sunt media. Est enim dispositio
principiorum, sive inclinatio ad esse principiati ; est etiam limitatio principiorum
sub forma principiati, et est forma ipsius principiati et est virtus et
operatio et multa hujusmodi. |
Il arrive cependant qu’entre
deux extrêmes il y ait plusieurs intermédiaires ; et c’est pourquoi il
arrive que le commencement, le milieu et la fin puissent être attribués de
diverses manières selon qu’à partir de tous ces termes [à savoir le
commencement, le milieu et la fin et les nombreux intermédiaires] certains
puissent se prendre comme commencement, certains comme milieu et certains
comme fin par des combinaisons différentes ; et c’est pourquoi il arrive
que les parties du vestige soient attribuées différemment par différentes
combinaisons. En d’autres mots, les principes de la chose elle-même sont ce
qui se rapporte en premier lieu à la perfection de la chose ; mais ce
qui s’y rapporte en dernier lieu c’est son rapport aux autres choses
[l’opération, d’après l’Éd. de Parme] et non seulement selon
qu’elle est parfaite en elle-même. Mais entre ces deux termes il y a de
nombreux intermédiaires. Il y a en effet la disposition des principes ou
l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ; il y a aussi
la limitation des principes sous la forme de ce qui résulte des principes, il
y a la forme de l’effet lui-même, en plus de la puissance, de l’opération et
de plusieurs autres facteurs de cette sorte. |
Potest ergo assignari
vestigium, ut pro principio sumatur solum illud quod primum est, scilicet
ipsa substantia principiorum ; et pro medio illud quod est immediate sequens,
scilicet dispositio principiorum sive inclinatio ad esse principii ; et pro
fine illud totum quod consequitur ; et secundum hoc sumitur illud quod
dicitur Sapien. 11, numerus, pondus et mensura ; quia numerus pertinet ad
pluralitatem principiorum, pondus ad inclinationem principiorum in esse
principiati, mensura ad terminationem principiorum sub esse creati terminato
[terminat Éd. de Parme] ; ita quod in ista terminatione sumatur
et terminatio in esse et in operari et in omnibus aliis. Item potest aliter
sumi, ut pro principio sumatur ipsa substantia principiorum et inclinatio et
quidquid aliud pertinet ad principia, et pro medio sumatur ipsa forma
principiati, et pro ultimo sumatur ipsa comparatio ipsius rei ad ea quae sunt
extra rem. Et sic sumuntur illa verba Augustin, lib. LXXXIII quest., d.
XVIII.: « Quod constat, quod discernitur, quod congruit ». |
Le vestige peut donc être
assigné de telle manière que soit pris pour principe seulement ce qui est
premier, à savoir la substance même des principes ; et que soit pris
pour milieu ce qui suit immédiatement, c’est-à-dire la disposition des
principes ou l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ;
et que soit pris pour fin ce tout qui en découle ; et c’est d’après cela
que se prend ce qui est dit dans le livre de la Sagesse (ch. 11), à savoir le
nombre, le poids et la mesure ; car le nombre se rapporte à la
multiplicité des principes, le poids à l’inclination des principes à
l’existence de ce qui en résulte ou de l’effet, et la mesure à
l’établissement des principes sous l’existence achevée de ce qui est
créé ; de telle manière que dans cet achèvement on entende à
la fois l’achèvement dans l’existence et l’opération et l’achèvement dans
toutes les autres étapes. On peut aussi recevoir cela autrement, de telle
manière que pour principe on prenne la substance même des principes et
l’inclination et toute autre chose qui se rapporte aux principes, qu’on
prenne pour intermédiaire la forme même de l’effet et que pour fin on prenne
le rapport même de la chose elle-même à ce qui est extérieur à la chose. Et
c’est ainsi qu’on reçoit ces paroles d’Augustin [Livre des
Quatre-vingt-trois Questions, d. XVIII] : ¨Ce qui les constitue, ce
qui les distingue, ce qui convient¨. |
Constat enim res per ipsa
sua principia, discernitur per formam, congruit per comparationem ad alterum:
et quasi similiter sumuntur ista, modus, species et ordo ; ita quod modus
pertineat ad principia determinata sub esse principiati, species ad formam,
ordo ad comparationem ad alterum ; nisi quod ista sunt abstracta et prima
concreta ; et quasi similiter accipiuntur ista, unum, verum et bonum ; ut
unitas rei pertineat ad suam determinationem prout ex principiis constituta
est, et veritas secundum quod habet formam, et bonum secundum quod ordinatur
ad finem. Item etiam potest sumi pro principio tota res secundum quod est
etiam perfecta per formam, et pro medio virtus, et pro fine operatio ; et sic
sumitur illa Dionysii: essentia, virtus et operatio. Et sic patet quod
secundum quod perfectio rei potest intelligi terminari ad diversa, et
secundum quod unum membrum potest multa vel pauca includere, invenitur
diversitas partium vestigii in omnibus secundum unam communem rationem
principii, medii et finis assignatam [signatam. Éd. de Parme]. |
C’est par ses principes eux-mêmes
en effet que la chose est constituée, par sa forme qu’elle se distingue et
c’est dans son rapport à la chose à laquelle elle est ordonnée qu’elle
convient : et c’est comme de la même manière que se prennent ces trois
termes, à savoir le mode, l’espèce et l’ordre, de telle manière que le mode
se rapporte aux principes déterminés dans l’existence de l’effet, l’espèce à
la forme et l’ordre au rapport à autre chose, si ce n’est que cette dernière
séquence est abstraite alors que la première est concrète ; et c’est
encore comme de la même manière que se reçoivent les termes suivants, à
savoir l’un, le vrai et le bien, de telle manière que l’unité de la chose se
rapporte à sa définition selon qu’elle est constituée de principes
déterminés, la vérité à la forme qu’elle possède et le bien à la fin à
laquelle elle est ordonnée. En outre on peut encore prendre pour principe la
totalité de la chose selon qu’elle est achevée par sa forme, pour
intermédiaire la puissance et pour fin l’opération ; et c’est de cette
manière que se prennent ces termes de Denys, à savoir l’essence, la puissance
et l’opération. Et ainsi il est clair que selon que la perfection de la chose
peut s’entendre comme s’arrêtant à différentes termes, et selon qu’un même
membre peut contenir plusieurs ou peu d’éléments, la diversité des parties du
vestige se retrouve en tous d’après une même notion commune de principe, de
milieu et de fin ayant été attribuée. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint duae partes essentiales creaturae,
nihilominus tamen est accipere habitudinem unius ad alteram, et multas etiam
perfectiones consequentes, secundum quas partes vestigii assignari possunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien qu’il y ait dans la créature deux parties essentielles,
il faut néanmoins comprendre le rapport de l’une à l’autre et aussi les
nombreuses perfections qui en découlent d’après lesquelles les parties du
vestige peuvent être attribuées. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod sicut in Deo essentia non facit numerum cum
personis, ita et in creatura est, quod tribus partibus vestigii substat ipsum
esse creaturae repraesentans essentiam non connumeratum tribus partibus
vestigii. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme en Dieu l’essence ne fait pas nombre avec les personnes,
de même dans la créature l’existence même de la créature représentant
l’essence qui se tient sous les trois parties du vestige ne compte pas parmi
les trois parties du vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod proprietates creaturarum, ex quibus ducimur in
divina attributa, quamvis sint plura, habent tamen ordinem ad invicem
principii, medii et finis, sub quorum rationibus in tres personas ducunt,
qualitercumque diversificentur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les propriétés des créatures à partir desquels nous sommes conduits
aux attributs divins, bien qu’elles soient nombreuses, sont cependant
ordonnées les unes aux autres en tant que principes, intermédiaires et fins, et
c’est sous le rapport de ces notions qu’elles conduisent aux trois personnes,
peu importe par ailleurs de quelle manière ces propriétés diffèrent entre
elles. |
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Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 tit. Utrum in omni creatura sit
vestigium |
Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ? |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non in omni
creatura sit vestigium. Similitudo enim vestigii dividitur contra
similitudinem imaginis. Sed quaedam creaturae sunt in quibus est similitudo
imaginis, sicut in homine. Ergo in illis non est vestigium. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de ce troisième article. Il semle qu’il n’ y ait pas un vestige en
toute créature. La ressemblance du vestige en effet se distingue par opposition
à la ressemblance de l’image. Mais il existe des créatures dans lesquelles il
y a une ressemblance sous la forme de l’image, par exemple chez l’homme. Il
n’y a donc pas dans ces créatures une similitude de vestige. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, vestigium est similitudo imperfecte
repraesentans. Sed aliquae creaturae sunt quae sunt [quae sunt om. Éd. de Parme] perfecta similitudo
divinae bonitatis, sicut gratiae gratum facientes, cum quibus Deus dicitur
inhabitare in homine. Ergo in illis non est vestigium. |
2. En outre, le vestige est
une similitude dont la représentation est imparfaite. Mais il y a certaines
créatures qui sont une similitude parfaite de la bonté divine, comme les
grâces qui rendent agréable et avec lesquelles on dit de Dieu qu’il habite en
l’homme. Il n’y a donc pas de vestige en elles. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg.
3 Item, si accipiamus singulas partes vestigii, quaelibet earum creatura est,
sicut modus, vel species. Si igitur in qualibet creatura est vestigium, tunc
modi erit modus, species et ordo ; et ita erit abire in infinitum, quod nec
intellectus nec natura patitur. |
3. De plus, si on prend
chacune des parties du vestige, chacune d’elles est une créature, comme le
mode ou l’espèce. Si donc il y a vestige en toute créature, alors il y aura
un mode, une espèce et un ordre du mode et ainsi on ira à l’infini, ce qui ne
s’accorde ni avec l’intelligence, ni avec la nature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg.
4 Item, Ambrosius dicit: « Lucis natura est ut non sit in numero,
pondere et mensura, sicut alia creatura ». In
his autem tribus attenditur vestigium, secundum Augustinum, ut dictum est,
art. antecedent. Cum igitur lux sit creatura, videtur quod non in qualibet
creatura sit vestigium. |
4. En outre, Ambroise
dit : ¨La nature de la lumière est telle, contrairement aux autres
créatures, qu’elle ne comporte ni nombre, ni poids, ni mesure.¨ Mais ces
trois termes s’appliquent au vestige, d’après Augustin, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article précédent. Donc, puisque la lumière est une créature,
il semble qu’il n’y ait pas vestige en toute créature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg.
5 Item, Bernardus: « Modus caritatis est non habere modum ».
Ergo caritas, cum sit creatura, non habet modum, speciem et ordinem ; et sic
idem quod prius. |
5. Par ailleurs, Bernard
dit : ¨Le mode de la charité consiste à ne pas avoir de mode¨.
Donc la charité, bien qu’elle soit une créature, ne possède ni mode, ni
espèce, ni ordre. Donc, le vestige ne se retrouve pas en toute créature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 s. c.
1 Contra, Sap. 11, 2: omnia in numero, pondere et mensura disposuisti.
Item Augustinus loquens de modo, specie, et ordine, dicit: ubi haec
tria magna sunt, magnum bonum est ; ubi parva, parvum ; ubi nulla, nullum.
Sed omnis creatura est aliquod bonum. Ergo omnis creatura habet haec tria. |
Cependant : 1. On lit dans le livre de la
Sagesse (11, 20) : Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure. En
outre, Augustin dit, en parlant du mode, de l’espèce et de
l’ordre : là où ces trois dispositions sont considérables, il y
a un grand bien ; là où elles sont minimes, le bien est minime ; là
où elles sont absentes, le bien est absent. Mais toute créature est un
bien. Donc, toute créature possède ces trois dispositions. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod vestigium invenitur in
creatura, secundum quod consequitur esse perfectum a Deo, ut supra dictum
est, art. praecedenti. Unde in his tantum simpliciter est invenire vestigium
quae perfecta sunt in se ; et hujusmodi sunt tantum individua in genere
substantiae. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que le vestige se rencontre dans la créature selon qu’elle imite la
perfection de Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans l’article
précédent. De là, à parler absolument, le vestige se rencontre seulement dans
les êtres qui sont parfait en eux-mêmes; et sont de cette sorte seulement les
individus contenus dans le genre de la substance. |
Accidentia autem non habent
esse, nisi dependens a substantia ; unde etiam in accidentibus non est
vestigium, nisi secundum ordinem ad substantiam ; ita quod accidentia magis
sint modi, species et ordines substantiarum, quam ipsa habeant speciem, modum
et ordinem: nisi effective Deus dicatur species, modus et ordo accidentium. Tamen, cum
secundum quodlibet accidens addatur aliquod esse ipsi substantiae, erit
secundum illud esse aliquo modo considerare vestigium. Unde quod privat illud
accidens, privat partes vestigii, scilicet modum, speciem et ordinem, quantum
ad illud esse ; sicut peccatum, quod privat gratiam, dicitur privatio modi,
speciei et ordinis, secundum esse gratuitum ; nihilominus tamen manent haec
tria secundum esse naturae. |
Mais les accidents
ne possèdent d’existence qu’en dépendant de la substance; par conséquent
encore il n’y a de vestige dans les accidents que selon leur rapport à la
substance de sorte que les accidents sont bien les modes, les espèces et les
ordres des substances plutôt qu’ils ne possèdent par eux-mêmes une espèce, un
mode et un ordre, à moins bien sûr que Dieu, comme cause efficiente, ne soit
appelé l’espèce, le mode et l’ordre des accidents. Cependant, puisque suite à
tout accident une certaine forme d’existence est ajoutée à la substance, il
faudra considérer d’une certaine manière un vestige selon cette existence.
Par la suite, ce qui prive de cet accident prive des parties du vestige, à
savoir du mode, de l’espèce et de l’ordre quant à cette existence; par
exemple on dit du péché, qui prive de la grâce, qu’il est une privation du
mode, de l’espèce et de l’ordre quant à l’existence de la grâce; cependant,
ces trois dispositions demeurent selon l’existence de la nature. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in superiori semper
includitur virtus inferioris, sicut in anima etiam est virtus naturae. Anima
enim est natura ipsius corporis, quod per ipsam movetur, et dat sibi esse
naturale, et super hoc habet proprias operationes suas: et ideo cum
similitudo imaginis sequatur animam secundum id quod intellectualis est, non
excluditur ab ea ratio vestigii, quae consequitur ipsam secundum quod natura
quaedam est creata. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que la puissance inférieure est toujours comprise dans
celle qui est supérieure, tout comme dans l’âme il y a encore la puissance de
la nature. L’âme en effet est ce qui par nature appartient au corps, lequel
se meut par elle et lui donne d’être naturelle, laquelle possède par delà le
corps les opérations qui lui sont propres; et c’est pourquoi, bien que la
similitude de l’image découle de l’âme en tant qu’elle est intellectuelle,
cependant il ne faut pas écarter de cette dernière la notion de vestige qui
découle de l’âme en tant que nature créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 2
Et similiter etiam dicendum ad secundum, quod gratia gratum faciens, secundum
id quod addit aliis creaturis, dicitur perfecta similitudo, non quidem
simpliciter, sed respectu aliarum creatarum similitudinum ; sed secundum id
in quo communicat cum aliis creaturis, habet rationem vestigii. |
2. Il faut
semblablement dire encore en deuxième lieu que la grâe qui rend agréable à
Dieu, quant à ce qu’elle ajoute aux autres créatures, est appelée similitude
parfaite, non pas absolument parlant, mais par rapport aux autres similitudes
créées; mais quant à ce qu’elle partage en commun avec les autres créatures,
elle a raison de vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
aliquid dicitur modificari aliquo dupliciter. Vel formaliter, et sic res dicitur modificari suo modo,
qui in ipsa est. Vel effective, et sic omnia modificantur ab eo qui modum
rebus imponit ; et hinc est quod Deus dicitur effective modus omnium rerum. Secundum hoc ergo dico,
quod modus creaturae non habet modum quo formaliter modificetur, sed modum
modificantem effective ; et ita est in omnibus aliis partibus vestigii. |
3. En troisième lieu il faut
dire qu’on dit d’une chose qu’elle est modifiée par quelque chose de deux
manières. Soit formellement, et ainsi
on dit d’une chose qu’elle est modifiée par son mode qui est en elle. Soit de façon efficiente et
ainsi toutes les choses sont modifiées par celui qui impose un mode aux
choses. Et c’est pour cela qu’on dit de Dieu qu’il est le mode de toutes les
choses à la manière d’une cause efficiente. Je dis donc d’après cela que
le mode de la créature ne possède pas le mode par lequel elle est modifiée
formellement, mais le mode qui modifie à la manière d’une cause
efficiente ; et il en est de même pour toutes les autres parties du
vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 4
Ad quartum dicendum, quod lux in se considerata, creata est in numero,
pondere et mensura, cum habeat finitum esse et posse, sicut et aliae
creaturae ; sed respectu aliarum creaturarum corporalium habet indeterminatam
virtutem, eo quod per lucem omnia corpora aliquo modo informantur et per
ipsam omnia corpora inferiora perficiuntur in suis naturis ; et hoc accidit
sibi inquantum est forma universalis et primi alterantis, scilicet caeli ; et
pro tanto non dicitur in numero, pondere et mensura esse creata. |
4. En quatrième lieu, il faut
dire que la lumière, considérée en elle-même, est créée en nombre, poids et
mesure, puisqu’elle possède une existence et une puissance limitées, comme
les autres créatures ; mais par rapport aux autres créatures corporelles
elle possède une puissance qui n’est pas limitée du fait que tous les autres
corps sont en quelque sorte informés par la lumière et que par elle tous les
corps inférieurs trouvent leur achèvement dans leur nature propre ; et
cela lui arrive dans la mesure où elle est une forme universelle et qu’elle
relève de la première cause du changement, à savoir le ciel ; et quant à
cela qu’on dit de la lumière qu’elle n’est pas créée en nombre, poids et
mesure. |
[308] Super Sent., lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 5 Ad
ultimum dicendum, quod caritas potest dupliciter considerari. Aut secundum esse quod habet in subjecto ; et hoc modo
modum habet secundum mensuram capacitatis recipientis, vel ex natura vel ex
conatu. Aut secundum inclinationem
in objectum, et sic intelligitur non habere modum: quia objectum, cum sit
infinitum, non proportionatur voluntati nostrae: unde nunquam tantum potest
amare Deum quin amplius amandus sit et se amare velit. |
5. Il faut dire finalement
que la charité peut être considérée de deux manières. Soit selon l’existence
qu’elle possède dans le sujet ; et de cette manière elle possède un mode
d’après la mesure de la capacité de celui qui la reçoit ou bien naturellement
ou bien avec effort. Soit selon l’inclination
qu’elle a vers son objet et ainsi elle se comprend comme n’ayant pas de
mode : car l’objet lui-même, puisqu’il est infini, est sans commune
mesure avec notre volonté : c’est pourquoi on ne peut jamais aimer Dieu
jusqu’à ce point où il doit être aimé et veut être aimé. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Le substrat de l’image] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis duo quaeruntur: 1 de subjecto imaginis ; 2 de partibus imaginis enumeratis. |
Pour comprendre cette partie
on cherche à savoir deux choses : 1. Ce qu’il en est du sujet
de l’image. 2. Ce qu’il en est des
parties énumérées de l’image. |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 3 a.
1 tit. Utrum tantum mens sit subjectum imaginis. |
Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de l’image ? |
Lib.
1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non tantum
mens sit subjectum imaginis. Augustinus enim ostendit, lib. II De
Trin., cap. 2, imaginem Trinitatis in visu corporali secundum tria quae
necessaria sunt ad visionem, scilicet res exterior et imago ejus in oculo, et
intentio videntis, quae ista duo conjungit. Visus autem corporeus non
pertinet ad mentem. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante pour l’examen de la question qui précède. Il semble que ce ne soit
pas seulement l’esprit qui soit le sujet de l’image. Augustin manifeste en
effet [Livre 11 De la Trinité, ch. 2] l’image de la Trinité dans la vision
corporelle d’après trois conditions qui sont nécessaires à la vision
corporelle, à savoir la chose extérieure, l’image de cette chose dans l’œil,
et l’intention de celui qui voit, laquelle réunit les deux premières. Mais la
vision corporelle n’appartient pas au domaine de l’esprit. Donc, l’esprit
n’est pas le seul sujet de l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg.
2 Item, Damascenus, lib. III De fide orthod., cap. XVIII,
assignat imaginem in libero arbitrio, quod etiam non videtur esse de
pertinentibus ad mentem. |
2. De plus, Damascène [Livre
111 De la Foi orthodoxe, ch. XVIII] attribue l’image au libre arbitre qui lui
non plus ne semble pas faire partie de ce qui appartient à l’esprit. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg.
3 Item, Augustinus, XIV de Trin., cap. VIII :
« Imago Trinitatis ibi quaerenda est in anima nostra, quo nihil habet
melius ». Haec autem videtur esse ratio superior, secundum quam aeternis
contemplandis inhaeret. Ergo videtur quod in ratione superiori sit imago. |
3. Par ailleurs, Augustin
[XVI De la Trinité, ch. VIII] dit : ¨L’image de la Trinité
doit être recherchée dans notre âme là où elle ne possède rien de mieux¨.
Mais cette partie semble être la raison supérieure d’après laquelle l’âme
s’attache à contempler les vérités éternelles. Il semble donc que le sujet de
l’image soit la raison supérieure. |
Lib.
1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, Dionysius IV cap. De divin. Nom., § 22, col. 723 :
Angelus est imago divina. Ergo videtur quod non tantum in mente nostra sit
imago. |
4. En outre, Denys [Les Noms
Divins, ch. IV, & 22, col. 723] dit : L’Ange est l’image de
Dieu. Il semble donc que l’image ne soit pas seulement dans notre esprit. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg.
5 Contra, videtur quod in nulla creatura sit imago. Imago enim, ut dicit
Hilarius De Synod. § 13, est rei ad rem coaequandam discreta
et unica similitudo. Sed nulla res creata coaequat creatorem. Ergo in nulla
creatura potest imago creatoris inveniri. |
Cependant : Il semble au contraire que
l’image ne soit dans aucune créature. L’image en effet, comme le dit Hilaire
[Sur le Synode, & 13] est la similitude distincte et unique d’une chose
pour égaler la chose. Mais aucune chose créée ne peut égaler le Créateur. On
ne peut donc dans aucune créature retrouver une image du Créateur. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod imago in hoc differt a vestigio: quod vestigium est
confusa similitudo alicujus rei et imperfecta ; imago autem repraesentat rem
magis determinate secundum omnes suas [suas om. Éd. de Parme]
partes et dispositiones partium, ex quibus etiam aliquid de interioribus rei
percipi potest. Et ideo in illis tantum creaturis dicitur esse imago Dei quae
propter sui nobilitatem ipsum perfectius imitantur et repraesentant ; et ideo
in Angelo et homine [tantum dicitur imago divinitatis, et in homine add.
Éd. de Parme] secundum id quod est in ipso nobilius. Alia autem, quae
plus et minus participant de Dei bonitate, magis accedunt ad rationem
imaginis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’image diffère en cela du
vestige que ce dernier est une similitude confuse et imparfaite d’une chose
alors que l’image représente la chose plus déterminément selon toutes ses
parties et toutes les dispositions de ses parties, à partir desquelles encore
on peut percevoir quelque chose de ce qu’il y a à intérieur même de la chose.
Et c’est pourquoi on dit qu’il y a une image de Dieu seulement dans ces
créatures qui en raison de leur excellence, imitent et représentent plus
parfaitement Dieu ; et c’est pourquoi l’image de Dieu n’est présente que
dans l’Ange et dans l’homme, et dans l’homme d’après ce qu’il y a en lui de
plus excellent. D’autres créatures cependant, qui participent plus ou moins
de la bonté de Dieu, s’approchent davantage de la notion d’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in multis ostendit similitudinem
Trinitatis esse ; sed in nullo esse perfectam similitudinem, sicut in
potentiis mentis, ubi invenitur distinctio consubstantialis et aequalitas.
Constat autem illa tria in visu dicta, non esse consubstantialia, et ideo
solum in mente ponit imaginem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’Augustin montre que la similitude de la Trinité existe dans
de nombreux êtres ; mais dans aucun d’eux on ne retrouve une similitude
parfaite comme dans les puissances de l’esprit où on retrouve une
distinction consubstantielle et une égalité. Mais il est clair que ces trois
conditions dont on a parlé pour la vision corporelle ne sont pas
consubstantielles, et c’est pourquoi c’est seulement dans l’esprit qu’il pose
l’existence de l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod in libero arbitrio non potest esse perfecta
similitudo, cum non inveniatur ibi aliqua distinctio potentiarum ; nec etiam
est excellentior pars animae, cum sit tantum operativa. Et pars [constat
autem quod add. Éd. de Parme] contemplativa nobilior est parte
operativa. Sed Damascenus assignat ibi imaginem, large vocans imaginem
quamcumque similitudinem. Imitatur autem Deum liberum arbitrium, inquantum
est primum principium suorum operum non potens cogi. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans le libre arbitre il ne peut y avoir une similitude parfaite
puisqu’on ne retrouve pas là une distinction des puissances ; et ce
n’est pas non plus la partie la plus excellente de l’âme puisqu’elle est
seulement opérationnelle. Mais il est clair que la partie comtemplative est
plus noble que la partie opérationnelle. Mais Damascène désigne là l’image au
sens large, désignant par image toute similitude. Mais le libre arbitre est
une imitation de Dieu pour autant que, ne pouvant être contraint, il est le
premier principe des ses opérations. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod ratio superior inhaeret aeternis contemplandis,
inquantum sunt regula et norma agendorum, prout scilicet ex divinis
rationibus dirigimur in nostris operibus. Unde ibi non est imago ; sed in
illa parte quae aeterna secundum se contemplatur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la raison supérieure s’attache à la contemplation des vérités
éternelles dans la mesure où ces dernières sont les règles et les modèles de
nos actions, c’est-à-dire pour autant que c’est à partir des raisons divines
que nous sommes dirigés dans nos opérations. C’est pourquoi il n’y a pas là image,
mais seulement dans cette partie où les vérités éternelles sont contemplées
pour elles-mêmes, en tant que telles. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
imago Trinitatis potest attendi tripliciter. Vel quantum ad expressam repraesentationem divinorum
attributorum ; et sic, cum divinae bonitates copiosius effulgeant in Angelo
quam in homine, Angelus est expressior imago Dei quam homo, unde etiam
signaculum dicitur Ezech. XXVIII, secundum expositionem Gregorii, lib.
XXXIII Moralium, cap. XXXIII. Vel quantum ad distinctionem personarum ; et sic
expressior est similitudo in homine quam in Angelo, quia in Angelo suae
potentiae sunt minus distinctae. Vel inquantum ipse Deus est
principium rerum ; et sic imago invenitur in homine et non in Angelo,
inquantum unus homo est principium omnium hominum, sicut Deus omnium rerum,
et inquantum anima est in toto corpore tota, sicut Deus in mundo. Sed quia
ista repraesentatio est quantum ad exteriora, simpliciter concedendum est
quod angelus magis est ad imaginem, quam homo. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’image de la Trinité peut se prendre de trois manières. Soit quant à la
représentation distincte des attributs divins ; et ainsi, puisque les
bontés divines se répandent plus abondamment dans l’Ange que dans l’homme,
l’Ange est une image plus distincte de Dieu que l’homme et c’est pourquoi
Ézéchiel (XXVIII) dit de lui qu’il est une marque distinctive de Dieu d’après
l’explication qu’en donne Grégoire [Livre XXXIII, Sur les Choses Morales, ch.
XXXII]. Soit en tant que Dieu
lui-même est le principe des choses ; et ainsi l’image se retrouve en
l’homme et non dans l’Ange, pour autant qu’un seul homme est le principe de
tous les hommes, tout comme Dieu est le principe de toutes les choses, et
pour autant que l’âme est toute entière dans tout le corps, tout comme Dieu
est dans le monde. Mais parce que cette représentation se rapporte à ce qui
est extérieur, il faut concéder, absolument parlant, que l’Ange s’approche
davantage de l’image que l’homme. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum [ultimum Éd.
de Parme] dicendum, quod imago invenitur in Filio et in creatura
differenter, ut dicit Augustinus, lib. de decem Chordis, cap.,
sicut imago regis in filio, et in denario. Filius enim Dei est perfecta imago
Patris, perfecte repraesentans ipsum: creatura autem, secundum quod deficit a
repraesentatione, deficit a perfecta ratione imaginis. Unde etiam dicitur imago, et ad imaginem: quod de Filio
non dicitur. Et ideo non oportet quod creatura simpliciter adaequet creatorem:
hoc enim tantum verum est de Filio, qui est perfecta imago ; sed sicut
secundum quid repraesentat, ut imperfecta imago, ita etiam secundum quid
adaequat [coaequat. Éd. de Parme]. |
5. Il faut dire finalement
que l’image se retrouve dans le Fils et dans la créature, mais différemment,
ainsi que le dit Augustin [Livre Sur les Dix Cordes], tout comme l’image du
roi est dans son fils et sur la pièce de monnaie. En effet, le Fils de Dieu
est une image parfaite du Père qui le représente parfaitement : mais la créature,
selon qu’elle s’écarte de cette représentation, s’écarte de la notion
parfaite de l’image. C’est pourquoi on dit encore d’elle qu’elle est image et
qu’elle s’approche de l’image, ce qu’on ne peut dire au sujet du Fils. Et
c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la créature soit
absolument égale au Créateur : cela en effet n’est vrai que du Fils,
lequel est une image parfaite ; mais parce que la créature représente
Dieu sous un certain rapport, en tant qu’image imparfaite, de même encore
elle se compare à lui sous un certain rapport et non absolument. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La connaissance de l’image] |
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Prooemium |
Proème |
Lib. 1 d. 3 q. 4 pr. Deinde quaeritur de partibus
imaginis: et primo de prima assignatione ; secundo de secunda. Circa primum
quaeruntur quinque: 1 de partibus imaginis quid unaquaeque sit, et qualiter
ab invicem differant ; 2 quomodo se habeant ad essentiam, utrum sint ipsa
essentia animae ; 3 quomodo se habeant ad invicem, utrum scilicet una ex
alia oriatur ; 4 de ipsis per comparationem ad objectum, scilicet
respectu cujus objecti attenditur in ipsis imago Trinitatis ; 5 de ipsis per
comparationem ad actum, utrum scilicet semper sint in suis actibus dictae
potentiae. |
On s’interroge ensuite sur les parties de l’image :
et en premier lieu sur la première attribution ; en deuxième lieu sur la
deuxième. Et sur la première partie on cherche à savoir cinq choses : 1. sur les parties de l’image on cherche à savoir ce
qu’est chacune d’elles, et de quelle manière elles diffèrent entre elles. 2. comment ces parties se rapportent à l’essence :
constituent-elles l’essence même de l’âme ? 3. quel rapport y a-t-il entre elles ?
Est-ce que l’une naît de l’autre ? 4. des parties de l’image par rapport à leur objet,
c’est-à-dire par rapport à l’objet de laquelle s’entend en elles l’image de
la Trinité. 5. de ces parties par rapport à leur acte, à savoir :
est-ce que les puissances dont on parle sont toujours en acte ? |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q.
4 a. 1 tit. Utrum memoria pertineat ad imaginem |
Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod memoria non
pertineat ad imaginem. Sicut enim dicit Augustinus, XII de Trin., cap
; 17, quod in anima reperies commune cum brutis, ad sensualitatem pertinet.
Memoria autem est communis nobis et brutis. Igitur cum imago non sit in
sensualitate, videtur quod memoria ad imaginem non pertineat. |
Difficultés: 1. Voici comment on
procède pour cette question. Il semble que la mémoire ne se rapporte pas à
l’image. Comme le dit en effet Augustin [Livre XII De la Trinité, ch. 17], ce
que tu partages en commun avec les brutes animales se rapporte à la
sensualité. Mais la mémoire est commune au genre humain et aux brutes
animales. Donc, puisque l’image ne se retrouve pas dans la sensualité, il
semble que la mémoire ne se rapporte pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg.
2 Item, omnis potentia apprehendens determinatam temporis differentiam
pertinet ad sensitivam partem et non ad intellectum, qui est universalium,
quae intellectus abstrahit [quae abstrahunt Éd. de Parme] a
quolibet tempore. Sed memoria concernit tempus
praeteritum. Ergo non pertinet ad intellectivam partem in qua est imago, sed
ad sensitivam. |
2. En outre, toute
puissance qui appréhende une difference déterminée de temps appartient à la
partie sensitive et non à l’intelligence dont l’objet est l’universel que
l’intelligence sépare du temps. Mais la mémoire concerne le temps passé. La
mémoire n’appartient donc pas à la partie intellectuelle dans laquelle est
l’image, mais à la partie sensitive de l’âme. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, dicitur, XI, Metaph., text.
36, a Commentatore, quia natura intellectiva dividitur in intellectum et
voluntatem ; nec ullus unquam philosophus in intellectiva parte posuit
memoriam ; qui tamen potentias animae consideraverunt. Ergo memoria non pertinet
ad imaginem. |
3. De plus, le Commentateur
[Livre XI, Métaph., text. 36] dit que la nature intellectuelle se divise par
l’intelligence et la volonté ; mais jamais aucun philosophe n’a posé la
mémoire dans la partie intellectuelle ; pourtant, les philosophes ont
étudié les puissances de l’âme. La mémoire n’appartient donc pas à l’image. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec intelligentia pertineat ad
imaginem. Secundum
enim Dionysium, De caelest. Hier., cap. IV, § 2,
distinguuntur quatuor gradus entium, scilicet intellectualia, rationalia,
sensibilia et simpliciter existentia. Homo autem non continetur sub
intellectualibus, sed sub rationalibus. Cum igitur hic quaeratur quid sit
imago, secundum quod est in homine, videtur quod intelligentia ad imaginem
non pertineat. |
4. Par ailleurs, il semble
que l’intelligence elle-même n’appartienne pas à l’image. En effet, d’après
Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV, &2] tous les êtres se
divisent en quatre degrés, à savoir les intellectuels, les rationnels, les
sensibles et ceux qui existent tout simplement. L’homme cependant n’est pas
contenu dans les êtres intellectuels mais dans les rationnels. Donc,
puisqu’on recherche ici ce qu’est l’image selon qu’elle existe dans l’homme,
il semble que l’intelligence ne se rapporte pas à l’image. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Item, potentiae distinguuntur per actus. Sed nosse et intelligere
non differunt nisi forte sicut habere in habitu et intueri in actu, secundum
quae non diversificantur potentiae, cum ejusdem potentiae sit habere habitum
et elicere actum. Ergo intelligentia, cujus actus assignatur intelligere, non
est alia potentia a memoria, cujus assignatur nosse. |
5. En outre, les puissances
se distinguent par leurs actes respectifs. Mais connaître et comprendre ne
diffèrent peut-être que comme posséder par habitus diffère de considérer en
acte, différence qui n’établit pas une distinction de puissance, puisqu’il
appartient à la même puissance de posséder l’habitus et de poser l’acte.
Donc, l’intelligence à laquelle est attribué l’acte de comprendre, n’est pas
une puissance distincte de la mémoire à laquelle est attribué l’acte de
connaître. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 6 Item, videtur quod nec voluntas. Voluntas
enim est principium operativum. Sed imago quaerenda est in parte suprema quae
est speculativa. Ergo voluntas non pertinet ad
imaginem. |
6. De plus, il
semble qu’il en soit de même pour la volonté. La volonté en effet est le
principe de nos actions. Mais l’image doit être recherché dans la partie
supérieure de l’âme qui est spéculative. La volonté ne se
rapporte donc pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg.
7 Item, Augustinus, De spiritu et anima, cap.X, imago
est in potentia cognoscendi, similitudo in potentia diligendi. Sed voluntas
non est potentia cognoscendi, sed magis diligendi. Ergo non pertinet ad
imaginem sed ad similitudinem. |
7. Par ailleurs, selon
Augustin [De L’Esprit et de l’Âme, ch. X], l’image est dans la
puissance de connaître alors que la similitude est dans la puissance d’aimer.
Mais la volonté n’est pas dans la puissance de connaître mais plutôt dans la
puissance d’aimer. La volonté ne se rapporte donc pas à l’image mais à la similitude. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg.
8 Praeterea, illud quod imperat aliis et movet alia, est prius eis. Sed
voluntas movet omnes potentias alias, ut dicit Anselmus (lib. De
similitudinis, c.II ,. Ergo est prior quam memoria et
intelligentia, et ita non respondet ordini personarum ista assignatio, cum
voluntas Spiritui sancto approprietur. |
8. En outre, ce qui commande
aux autres et les meut leur est antérieur. Mais la volonté meut toutes les
autres puissances de l’âme, comme le dit Anselme [Livre sur les
Similitudes, ch. 11]. Elle est donc antérieure à la mémoire et à
l’intelligence et ainsi cette attribution ne correspond pas à l’ordre des
personnes, puisque la volonté est appropriée à l’Esprit-Saint. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
1 co. Respondeo dicendum, quod omnis proprietas consequens essentiam animae
secundum suam naturam, vocatur hic potentia animae, sive sit ad operandum
sive non. Cum igitur natura animae
sit receptibilis inquantum habet aliquid de possibilitate, eo quod omne
habens esse ab aliquo est possibile in se, ut probat Avicenna, lib. De
intellig., cap. IV, et non sit impressa organo corporali, cum habeat
operationem absolutam a corpore, scilicet intelligere ; consequitur ipsam
quaedam proprietas, ut impressa retineat. |
Corsp de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute propriété qui suit l’essence de l’âme selon sa nature s’appelle ici
puissance de l’âme, qu’elle soit ordonnée ou non à l’action. Donc, puisque la
nature de l’âme est apte à recevoir dans la mesure où elle possède de la
puissance, du fait que tout ce qui tient son existence d’un autre est en soi
en puissance comme le prouve Avicenne [Livre de l’Intelligence, ch. IV], et
qu’elle ne dépend pas d’un organe corporel, puisqu’elle possède une opération
dégagée du corps, c’est-à-dire comprendre, une propriété en découle pour
qu’elle puisse retenir ce qui la marque. |
Unde dicitur, III de
anima, text. 6, quod anima est locus specierum, praeter quam non
tota, sed intellectus. Ista ergo virtus retinendi dicitur hic potentia
memoriae. Ulterius, quia anima est immunis a materia, et omnis talis natura
est intellectualis, consequitur ut id quod in ipsa tenetur ab ea
intelligatur, et ita post memoriam sequitur intelligentia. |
C’est pourquoi on dit
[111 De l’Âme, text. 6] que l’âme est le lieu des espèces, non
pas toute l’âme, mais l’intelligence. Donc, cette capacité à retenir, on
l’appelle ici la puissance de la mémoire. Par la suite, parce que l’âme est
dégagée de la matière et qu’une nature de cette sorte est intellectuelle, il
s’ensuit que ce qui est conservé en elle soit compris, et ainsi
l’intelligence suit la mémoire. |
Item, quia id quod
intelligitur accipitur ut conveniens intelligenti, ideo consequitur voluntas,
quae tendit in ipsum conveniens: nec potest ultra procedere ; quia voluntas
est respectu finis, cum ejus objectum sit bonum, et rei perfectio non
extendatur ultra finem. Et secundum hoc sunt tres potentiae distinctae ab
invicem, memoria, intelligentia et voluntas. |
En outre, parce que ce qui
est compris est reçu comme convenant à celui qui comprend, c’est pourquoi
s’ensuit la volonté qui tend à ce qui est convenable ; et elle ne peut
procéder au-delà de ce point car la volonté se rapporte à la fin, puisque son
objet est le bien, et que la perfection d’une chose ne s’étend pas au-delà de
sa fin. Et c’est pour cela qu’il y a trois puissances distinctes les unes des
autres, à savoir la mémoire, l’intelligence et la volonté. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod memoria, secundum quod hic sumitur, non est
communis nobis et brutis, ut patet ex auctoritate philosophi inducta, in
corp., art., quia sola intellectiva anima in se retinet quod accipit, sed
sensitiva in organo corporali. |
1. Il faut donc dire en
premieur lieu que la mémoire, au sens où nous l’entendons ici, n’est pas
commune à l’homme et aux brutes animales, ainsi qu’on le voit par le
témoignage que présente le philosophe dans le corps de l’article, car seule
l’âme intellectuelle retient en elle-même ce qu’elle reçoit, alors que l’âme
sensible le retient dans un organe corporel. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aequivocatur nomen memoriae.
Memoria enim, secundum quod hic accipitur, abstrahit a qualibet differentia
temporis, ut in littera dicitur, quia est praesentium, praeteritorum et
futurorum ; unde sumitur hic pro memoria quae est potentia sensitivae partis,
quae habet organum in postrema parte capitis, et est thesaurus intentionum
sensibilium cum sensu, non a sensu acceptarum, ut dicit Avicenna, lib. De anima, part. IV, cap. IV. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le nom de mémoire est pris de manière équivoque dans cette
difficulté. La mémoire en effet, ainsi que nous l’entendons ici, fait
abstraction de toute différence de temps comme on peut le voir dans le texte,
car elle a pour objet à la fois le présent, le passé et le futur ; et
c’est pourquoi elle se prend ici par opposition à la mémoire qui est dans la
partie sensible de l’âme, laquelle a un organe dans la partie arrière de la
tête, et est comme l’entrepôt des intentions sensibles reçues avec le sens et
non seulement du sens, comme le dit Avicenne [Livre de L’Âme, partie
IV, ch. IV]. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophi accipiebant
potentias illas tantum quae ordinantur ad aliquem actum. Proprietas autem
retentiva ipsius animae non habet aliquem actum ; sed loco actus habet hoc
ipsum quod est tenere ; et ideo de memoria sic dicta non fecerunt mentionem
inter potentias animae. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que les philosophes d’admettaient que ces puissances qui sont
ordonnées à un acte. Mais à la propriété de conserver de l’âme elle-même ne
correspond pas un acte, mais à la place d’un acte il lui revient cela même
qui consiste à conserver; et c’est pourquoi, parmi les puissances de l’âme,
ils ne firent pas mention de la mémoire dont nous avons parlé. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, VII
cap. De divin. Nom., § 3, natura inferior secundum supremum
sui attingit infimum naturae superioris ; et ideo natura animae in sui
supremo attingit infimum naturae angelicae ; et ideo aliquo modo participat
intellectualitatem in sui summo. Et quia secundum optimum sui
assignatur imago in anima, ideo potius assignatur secundum intelligentiam,
quam secundum rationem ; ratio enim nihil aliud est nisi natura
intellectualis obumbrata: unde inquirendo cognoscit et sub continuo tempore
quod intellectui statim et plena luce offertur [confertur Éd. de
Parme] ; et ideo dicitur esse intellectus principiorum primorum, quae
statim cognitioni se offerunt. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. VII, &
3], la partie la plus élevée d’une nature inférieure atteint la partie la
moins élevée d’une nature supérieure ; et c’est pourquoi la nature de
l’âme dans ce qu’elle possède de plus élevé atteint ce qu’il y a de moins
élevé dans la nature angélique ; et c’est pourquoi elle participe d’une
certaine manière de la nature intellectuelle dans ce qu’elle a de plus noble.
Et parce que c’est d’après ce qu’elle possède de plus noble que l’image est
attribuée à l’âme, c’est pourquoi l’image lui est attribuée davantage d’après
l’intelligence que d’après la raison ; la raison en effet n’est rien
d’autre qu’une nature intellectuelle obscurcie : c’est pourquoi elle
connaît par mode d’enquête et dans la continuité du temps ce qui s’offre à
l’intelligence de façon immédiate et en pleine lumière ; et c’est
pourquoi on dit que l’intelligence a pour objet les premiers principes qui
s’offrent immédiatement à la connaissance. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod intelligere et nosse differunt: nosse enim est
notitiam rei apud se tenere ; intelligere autem dicit intueri. Quamvis autem
cujuslibet potentiae sit tenere suum habitum et objectum ; hoc tamen non est
earum, nisi inquantum est in eis virtus memoriae, quae immediate sequitur
essentiam naturae, sicut virtus prioris semper est in posteriori. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que comprendre et connaître diffèrent : connaître en effet c’est
conserver en soi la connaissance de la chose alors que comprendre implique la
considération actuelle de la chose. Mais bien qu’il appartienne à toute
puissance de posséder l’habitus et l’objet, cependant cela ne leur
appartient que dans la mesure où il y a en elles la puissance de
la mémoire qui suit immédiatement l’essence de la nature, tout comme la
puissance de ce qui est antérieur est toujours présente dans ce qui est
postérieur. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntatis objectum est bonum.
Bonum autem habet rationem finis. Finis autem est et contemplationis et
actionis. Et ideo voluntas non tantum se habet ad partem
activam, sed etiam ad contemplativam: unde pertinet ad supremam partem
animae. |
6. Il faut dire en
sixième lieu que l’objet de la volonté est le bien. Mais le bien a raison de
fin. Mais la fin se rapporte à la fois à la contemplation et à l’action. Et
c’est pourquoi la volonté ne se rapporte pas seulement à la partie active
mais aussi à la partie contemplative; par conséquent la volonté appartient à
la partie supérieure de l’âme. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 7
Ad septimum dicendum, quod Augustinus vocat large potentiam cognoscendi, sive
quae ordinatur ad cognitionem, sicut memoria, sive qua cognoscitur, sicut
intelligentia, sive quae cognitionem consequitur, sicut voluntas. Potentiam
autem diligendi nominat habitus gratuitos, quibus Deum meritorie diligimus ;
et ideo dicitur quod homo per peccatum amittens Dei similitudinem abiit in
regionem dissimilitudinis, sed non amisit imaginem. |
7. Il faut dire en
septième lieu qu’Augustin parle de la puissance de connaître au sens large,
que ce soit celle qui est ordonnée à connaître, comme la mémoire, celle par
laquelle on connaît, comme l’intelligence, ou celle qui suit la connaissance,
comme la volonté. Mais il appelle puissance d’amour les habitus de la grâce
par lesquels nous aimons Dieu avec comme il se doit d’être aimé; et c’est
pourquoi on dit que par le péché l’homme, en perdant sa resemblance avec
Dieu, s’en est allé dans un état de dissimilitude, mais n’a pas perdu son
image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 8
Ad octavum dicendum, quod, sicut in artibus est quod illa quae considerat
finem, imperat et movet artes considerantes ea quae sunt ad finem, sicut
medicus imperat pigmentario, ut supra dictum est, ita etiam est in potentiis
animae. Voluntas enim, quia considerat finem, movet alias omnes potentias
quae ordinantur ad finem et imperat eis actus suos. Unde quamvis prior sit
movendo, non tamen sequitur quod sit prior in esse ; sicut etiam finis est
ultimus in esse, et tamen movet efficientem. |
8. Il faut dire en huitième
lieu que, tout comme dans les arts celui qui considère la fin commande et
meut les arts qui considèrent les moyens ordonnés à la fin, comme c’est le
cas pour le médecin qui commande au pharmacien comme nous l’avons dit plus
haut, il en est de même dans les puissances de l’âme. La volonté en effet,
parce qu’elle considère la fin, meut toutes les autres puissances qui sont
ordonnées à la fin et commande leurs actes. Par conséquent, bien qu’elle soit
première quant au mouvement, il ne s’ensuit cependant pas qu’elle soit
première quant à l’existence ; tout comme aussi la fin est dernière dans
l’existence, elle meut cependant l’agent. |
|
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Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 tit.
Utrum potentiae animae sint essentia ejus |
Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son essence ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod essentia
animae sit suae potentiae. Primo per hoc quod dicitur in
littera: ista tria sunt una mens, una vita, una essentia. |
Difficultés: 1. On
procède de la manière suivante à l’égard de cette deuxième question. Il
semble que l’essence de l’âme s’identifie à ses puissances. Premièrement au
moyen de ce qui est dit dans le texte: ces trois facultés sont un seul
esprit, une seule vie, une seule essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg.
2 Item, idem est principium essendi et operandi. Sed anima est principium
essendi, cum sit forma substantialis corporis. Ergo per seipsam est
principium operationum. Non oportet ergo esse potentias medias. |
2. En outre, le principe de
l’existence est identique au principe de l’opération. Mais l’âme est le
principe de l’existence, puisqu’elle est la forme substantielle du corps.
C’est donc par elle-même qu’elle est le principe des opérations. Il ne faut
donc pas chercher des puissances intermédiaires entre l’âme et les
opérations. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg.
3 Item, forma substantialis nobilior est quam accidentalis. Sed forma
accidentalis facit operationes suas sine aliqua virtute media. Ergo et forma
substantialis ; et sic idem quod prius. |
3. De plus, la forme
substantielle est plus noble que la forme accidentelle. Mais la forme
accidentelle fait ses opérations sans aucune puissance intermédiaire. Il en
est donc encore de même pour la forme substantielle ; la conclusion est
donc la même que pour l’argument précédent. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, materia prima est sua potentia. Sed sicut
materiam potentia passiva consequitur, ita formam potentia active. [in
materia est potentia passiva, ita in forma potentia activa Éd. de
Parme]. Ergo etiam forma essentialis est sua potentia activa
; et sic idem quod prius. |
4. Par ailleurs, la matière
première est sa propre puissance. Mais tout comme la puissance passive
découle de la matière, de même la puissance active découle de la forme. [la
puissance passive est dans la matière comme la puissance active est dans la
forme : Éd. De Parme]. Donc, la forme substantielle aussi
est sa propre puissance active ; la conclusion est donc la même que précédemment. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg.
5 Praeterea, omne illud quod non est de essentia rei, est accidens. Sed
sensus et ratio, quae sunt potentiae quaedam, non sunt accidentia, cum sint
principia differentiarum substantialium. Ergo sunt de essentia ipsius animae. |
5. De plus, tout ce qui n’est
pas de l’essence de la chose est un accident. Mais le sens et la raison, qui
sont des puissances, ne sont pas des accidents puisqu’ils sont les principes
des différences substantielles. Ils font donc partie de l’essence de l’âme
elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c.
1 Contra, sicut se habet posse ad esse, ita se habet potentia ad essentiam.
Sed in solo Deo verum est dicere, quod suum esse sit suum posse. Ergo in
nullo alio sua essentia est sua potentia: et ita nec in anima. |
Cependant : 1. Le pouvoir est à
l’existence ce que la puissance est à l’essence. Mais c’est en Dieu seul
qu’il est vrai de dire que son existence est son pouvoir. Il n’y a donc aucun
autre être chez lequel l’essence est sa puissance et il n’en est pas ainsi
non plus dans l’âme. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c.
2 Praeterea, omne agens quod agit per essentiam suam, est agens primum, ut
dicit Avicenna lib. De intelligent., cap. 1. Cujus ratio
est, quia omne secundum agens agit inquantum participat aliquid ; et ita agit
per aliquid additum essentiae. Sed anima non est agens primum. Ergo non est
agens per suam essentiam, sed per suam potentiam. Ergo sua potentia non est
sua essentia. |
2. De plus, tout agent qui
agit pas son essence est l’agent premier comme le dit Avicenne [Livre de
l’Intelligence, ch. 1]. La raison en est que tout agent second agit en tant
que participant de quelque chose, et il agit ainsi au moyen de quelque chose
qui s’ajoute à son essence. Mais l’âme n’est pas l’agent premier. Elle n’agit
donc pas par son essence, mais par sa puissance. Sa puissance n’est donc pas
son essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c.
3 Praeterea, cum perfectio et perfectibile [perfectibilia Éd. de
Parme] sint proportionata, oportet quod perfectibilia diversarum proportionum
recipiant diversas perfectiones. Organa autem corporis animati diversa sunt
diversarum proportionum in commixtione. Ergo diversimode perficiuntur ab
anima. Non autem quantum ad esse, quia anima, cum sit forma substantialis,
dat unum esse toti corpori. Ergo oportet quod diversimode
perficiantur quantum ad perfectiones consequentes esse, secundum quas habent
diversas operationes. Has autem perfectiones, quae sunt principia operationum
animae, vocamus potentias. Ergo oportet potentias animae diversas esse ab
essentia, utpote emanantes ab ipsa. |
3. En outre, puisque la
perfection et le perfectible [les perfectibles selon l’Éd. De Parme]
sont proportionnés, il faut que les perfectibles des différentes proportions
reçoivent différentes perfections. Mais les organes du corps animé sont
différents dans un mélange de différentes proportions. Ils se trouvent donc à
être achevés différemment par l’âme mais non pas quant à l’existence car
l’âme, étant la forme substantielle, donne une seule existence à tout le corps.
Il faut donc que les différents organes soient achevés par l’âme quant à des
perfections qui suivent l’existence et d’après lesquelles elles possèdent
différentes opérations. Mais ces perfections, qui sont les principes des
opérations de l’âme, nous les appelons puissances. Il faut donc que les
puissances de l’âme soient différentes de l’essence en tant qu’émanant
d’elle. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 co
Respondeo dicendum, quod effectus proprius et immediatus oportet quod
proportionetur suae causae ; unde oportet quod in omnibus illis, in quibus
principium operationis proximum est de genere substantiae, quod operatio sua
sit substantia ; et hoc solum in Deo est: et ideo ipse solus est qui non agit
per potentiam mediam differentem a sua substantia. In omnibus autem aliis
operatio est accidens: et ideo oportet quod proximum principium operationis
sit accidens, sicut videmus in corporibus quod forma substantialis ignis
nullam operationem habet, nisi mediantibus qualitatibus activis et passivis,
quae sunt quasi virtutes et potentiae ipsius. Similiter dico,
quod ab anima, cum sit substantia, nulla operatio egreditur, nisi mediante
potentia: nec etiam a potentia perfecta operatio, nisi mediante habitu. |
Corps de l’article : Je réponds en disant que
l’effet propre et immédiat doit être proportionné à sa cause ; de là il
faut, dans tous les cas où le principe prochain de l’opération est
du genre de la substance, que son opération soit sa substance ; et cela
ne se produit qu’en Dieu : et c’est pourquoi Lui seul est celui qui
n’agit pas par une puissance intermédiaire différente de sa substance. Dans
tous les autres cas cependant l’opération est un accident : et c’est
pourquoi il faut que le principe prochain de l’opération soit un acident
comme nous voyons dans les corps que la forme substantielle du feu ne possède
aucune opération si ce n’est par l’intermédiaire de qualités actives et
passives qui sont comme ses vertus et ses puissances. De la même manière je
dis que de l’âme, puisqu’elle est une substance, ne sort aucune opération, si
ce n’est au moyen d’une puissance et même qu’une opération parfaite ne
procède d’une puissance que par l’intermédiaire d’un habitus. |
Hae autem potentiae fluunt
ab essentia ipsius animae, quaedam ut perfectiones partium corporis, quarum
operatio fit [efficitur Éd. de Parme] mediante corpore, ut
sensus, imaginatio et hujusmodi ; et quaedam ut existentes in ipsa anima,
quarum operatio non indiget corpore, ut intellectus, voluntas et hujusmodi ;
et ideo dico, quod sunt accidentia: non quod sint communia accidentia, quae
non fluunt ex principiis speciei, sed consequuntur principia individui ; sed
sicut propria accidentia, quae consequuntur speciem, originata ex principiis
ipsius: simul tamen sunt de integritate ipsius animae, inquantum est totum potentiale,
habens quamdam perfectionem potentiae, quae conficitur ex diversis viribus. |
Mais ces puissances
s’écoulent de l’essence de l’âme elle-même : certaines comme des
perfections des parties du corps, dont l’opération a lieu [est
produite Ed. de Parme] par l’intermédiaire du corps, comme le sens,
l’imagination et les facultés de cette sorte ; certaines comme existant
dans l’âme elle-même, dont l’opération n’a pas besoin du corps, comme
l’intelligence, la volonté et les facultés de cette sorte ; et c’est
pourquoi je dis qu’elles sont des accidents : non pas des accidents
communs, lesquels ne découlent pas des principes de l’espèce mais des
principes individuels ; mais elles sont plutôt des accidents propres qui
découlent de l’espèce et tirent leur origine des principes de celle-ci :
elles vont cependant de pair avec l’intégrité de l’âme elle-même selon
qu’elle est un tout potentiel, possédant une perfection de puissance, qui est
réalisé par le concours de différentes forces. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur: tres potentiae sunt una mens, non
est praedicatio essentialis, sed totius potestativi de suis partibus. Unde de
potentiis imaginis propinquius et prius praedicatur mens: quia mentis,
inquantum hujusmodi, sunt istae potentiae in quibus consistit integritas
imaginis: et minus proprie vita, quae tamen includit potentias in generali,
quae sunt principium operum vitae ; et adhuc minus proprie dicuntur una
essentia, in qua, secundum id quod est essentia, non includuntur potentiae,
nisi sicut in origine, eo quod ab essentia oriuntur potentiae, in quibus
attenditur imago. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que les trois puissances sont un seul esprit,
l’attribution n’est pas essentielle est est plutôt celle d’un tout investi de
puissance à ses parties. Par conséquent, l’esprit est attribué plus
prochainement et antérieurement aux puissances de l’image : car c’est à
l’esprit, en tant que tel, qu’appartiennent ces puissances dans lesquelles consiste
l’intégrité de l’image ; et la vie s’attribue moins proprement à elles,
laquelle contient cependant les puissances en général qui sont le principe
des opérations de vie ; et on dit encore moins proprement de ces
opérations qu’elles sont une seule essence, laquelle, en tant que telle, ne
contient les puissance que comme dans leur origine du fait que c’est de
l’essence que sortent les puissances auxquelles s’applique l’image. |
Totum enim potentiale,
quasi medium est inter integrale et universale. Universale enim adest
cuilibet parti subjectivae secundum esse et perfectam virtutem, et ideo
proprie praedicatur de parte sua. Sed totum integrale non adest cuilibet
parti, neque secundum esse, neque secundum virtutem. Non enim totum esse
domus est in pariete, neque tota virtus ; et ideo nullo modo praedicatur de
parte. Totum autem potentiale adest cuilibet parti secundum se, et secundum
aliquid virtutis, sed non secundum perfectam ; immo secundum perfectam
virtutem adest tantum supremae potentiae ; et ideo praedicatur quidem, sed
non adeo proprie sicut totum universale. |
Un tout potentiel en effet
est comme un intermédiaire entre un tout intégral et un tout universel.
L’universel en effet est présent à chacune des parties subjectives selon
l’existence et une parfaite puissance et c’est pourquoi il s’attribue
proprement à sa partie. Mais le tout intégral n’est pas présent à chacune de
ses parties, ni selon l’existence, ni selon la puissance. En effet, ce n’est
pas la totalité de la maison qui est dans le mur et elle n’y est pas non plus
selon toute sa puissance, et c’est pourquoi elle ne s’attribue nullement à sa
partie. Mais le tout potentiel est présent à chacune des parties selon
l’existence et selon une partie de sa puissance mais non selon une puissance
parfaite ; au contraire, elle n’est présente selon une puissance
parfaite qu’à la puissance la plus élevée ; et c’est pourquoi le tout
potentiel s’attribue certes, mais pas tout à fait proprement comme le tout
universel. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 ad Ad secundum dicendum, quod essentia ipsius animae est
etiam principium operandi, sed mediante virtute. Principium autem essendi
est immediate, quia esse non est accidens. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence de l’âme est aussi un principe d’opération, mais par l’intermédiaire
de la puissance. Elle est principe d’existence mais d’une manière immédiate
car l’existence n’est pas un accident. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 Ad
tertium dicendum, quod forma accidentalis est virtus alterius, per quam
producitur operatio, qui est effectus proportionatus sibi, sicut causae
proximae ; forma autem substantialis non est hoc modo proportionata
operationi, ut dictum est, in corp. art. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la forme accidentelle est une autre sorte de puissance par laquelle
c’est l’opération qui est produite, laquelle lui est proportionnée comme à sa
cause prochaine ; mais la forme substantielle n’est pas proportionnée de
cette manière à l’opération ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si per potentiam passivam
intelligatur relatio [vel ordo add. Éd. de Parme] materiae ad formam, tunc
materia non est sua potentia, quia essentia materiae non est relatio. Si
autem intelligatur potentia, secundum quod est principium in genere
substantiae, secundum quod potentia et actus sunt principia in quolibet
genere, ut diciturMetaph., text. 26, sic dico, quod materia est ipsa
sua potentia. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que si par puissance passive on entend la relation [ou l’ordre add.
Éd. De Parme] de la matière à la forme, alors la matière n’est pas sa
puissance car l’essence de la matière n’est pas la relation. Mais si on
entend plutôt par là la puissance, selon qu’elle est un principe dans le
genre de la substance, en tant que la puissance et l’acte sont des principes
dans tout genre comme le dit le Philosophe dans sa Métaphysique (text.
26), alors je dis que la matière est d’elle-même puissance. |
Et hoc modo se habet
materia prima, quae est primum recipiens, ad potentiam passivam, sicut se
habet Deus, qui est primum agens, ad potentiam activam. Et ideo materia est
sua potentia passiva, sicut et Deus sua potentia activa. Omnia
autem media habent utramque potentiam participative, et potentia materiae non
est ad aliquam operationem, sed ad recipiendum tantum. |
Et c’est de cette manière que
la matière première, laquelle est comme un premier réceptacle, est à la
puissance passive ce que Dieu, qui est le premier agent, est à la puissance
active. Et c’est pourquoi la matière est d’elle-même puissance passive tout
comme Dieu est de lui-même puissance active. Mais tous les intermédiaires
possèdent par participation ces deux sortes de puissances, et la puissance de
la matière n’est pas ordonnée à une opération mais seulement à recevoir. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 5
Ad quintum dicendum, quod sensus, secundum quod est nomen potentiae, non est
principium hujus differentiae quae est sensibile ; sed secundum quod nominat
naturam sensitivam: et ita est de aliis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que le sens, selon qu’il est le nom désignant une puissance, n’est pas
le principe de cette différence, à savoir ¨sensible¨ ; mais c’est plutôt
selon qu’il nomme la nature sensible qu’il est le principe de cette
différence : et il en est de même pour les autres termes. |
|
|
Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 tit. Utrum una potentia oriatur
ex alia |
Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît d’une autre ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod una potentia non
oriatur ex alia. Quaecumque enim simul sunt, unum ex altero non oritur. Sed
omnes potentiae simul sunt in anima ex creatione. Ergo una non oritur ex
alia. |
Difficultés : 1. Voivi comment on procède
par rapport à cette troisième question. Il semble qu’une même puissance ne
peut naître d’une autre. En effet, de tout ce qui existe simultanément, rien
ne peut naître d’un autre Mais toutes les puissances existent simultanément
dans l’âme depuis la création. Il est donc impossible qu’une puissance naisse
d’une autre. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 arg.
2 Praeterea, omne accidens causatur ex suo subjecto. Sed una potentia non est
subjectum alterius, quia accidens non est subjectum accidentis. Ergo una
potentia non oritur ex alia. |
2. En outre, tout accident
est causé à partir de son sujet. Mais une même puissance n’est pas le sujet
d’une autre car un accident n’est pas le sujet d’un autre accident. Une
puissance ne peut donc naître d’une autre. |
Lib. 1 d.
3 q. 4 a. 3 s. c. 1 Contra, potentiae determinantur secundum actus. Sed actus
unius potentiae sequitur naturaliter ad actum alterius potentiae, et
originatur ex ipsa ; sicut intelligere sequitur ad hoc quod est tenere
notitiam. Ergo
ita est etiam in potentiis. |
Cependant : 1. Les puissances se
définissent d’après leurs actes. Mais l’acte d’une puissance suit
naturellement l’acte d’une autre puissance et tire son origine d’elle, tout
comme comprendre suit la conservation de la connaissance. Il en est donc de
même pour les puissances. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 s. c.
2 Si dicas, quod ordo est in actibus ratione objectorum, et non ratione
potentiarum, in idem redibit: quia objecta sunt perfectiones potentiarum, et
formae ipsarum. Perfectio autem proportionatur perfectibili ; et sic idem
quod prius. |
2. Si tu dis que l’ordre qui
est présent dans les actes est en raison des objets et non en raison des
puissances, cela revient au même : car les objets sont les perfections
des puissances et leurs formes. Mais la perfection est proportionnée au
perfectible et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod omnis numerositas, quae descendit naturaliter ab
aliquo uno, oportet quod descendat secundum ordinem, quia ab uno non exit
nisi unum ; et ideo cum multae potentiae egrediantur ab essentia animae,
dicimus, quod in potentiis animae est ordo naturalis ; et cum omnes fluant ab
essentia, una tamen fluit mediante alia ; et inde est, quod posterior
potentia supponit in definitione sui priorem, et actus posterioris dependet a
priori. Si enim definiamus intellectum, definietur per suum actum, qui est
intelligere, et in definitione actus ejus cadet actus prioris potentiae, et
ipsa potentia. Oportet enim quod in definitione hujus actus qui est
intelligere, cadat phantasma, quod est objectum ejus, [ut in III De
anima, text. 39, dicitur Éd. Mandonnet] quod per actum
imaginationis repraesentatur intellectui ; et hoc etiam videmus in
accidentibus corporum, quod omnia alia accidentia elementorum fluunt ab
essentia, mediantibus primis qualitatibus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute multiplicité qui procède naturellement de quelque chose d’un doit
en procéder suivant un ordre, car de l’un ne peut provenir qu’un seul ;
et c’est pourquoi, puisque plusieurs puissances sortent de l’essence de
l’âme, nous disons que parmi les puissances de l’âme il y a un ordre
naturel ; et puisque toutes découlent de l’essence, l’une se trouve à en
découler par l’intermédiaire d’une autre ; et il suit de là qu’une
puissance postérieure suppose dans sa définition celle qui la précède, et que
l’acte d’une puissance postérieure dépend de l’acte d’une puissance
antérieure. Si en effet nous définissions l’intelligence, nous la définirions
par son acte qui est intelliger, et dans la définition de son acte entrerait
l’acte d’une puissance antérieure et cette puissance elle-même. Il faut en
effet que dans la définition de cet acte, à savoir intelliger, entre l’image,
conformément à ce qu’affirme le Philosophe [111 de l’Âme, text.
39] en disant que son objet est ce qui est représenté à l’intelligence au
moyen de l’acte de l’imagination ; et nous voyons cela même dans les
accidents des corps, à savoir que tous les autres accidents des éléments
découlent de l’essence par l’intermédiaire des premières qualités. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint simul tempore, nihilominus tamen
una naturaliter prior est altera. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’elles existent simultanément dans le temps, néanmoins une
même puissance est par nature antérieure à une autre. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod accidens ex seipso non habet virtutem producendi
aliud accidens ; sed a substantia potest unum accidens procedere mediante
alio, secundum quod illud praesupponitur in subjecto ; et ita etiam accidens
non potest esse per se subjectum accidentis, sed subjectum mediante uno
accidente subjicitur alteri ; propter quod dicitur superficies esse subjectum
coloris. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’un accident ne possède pas de lui-même la capacité de produire un
autre accident ; mais un même accident peut procéder de la substance par
l’intermédiaire d’un autre accident selon que ce dernier est présupposé dans
le sujet ; et ainsi encore un accident ne peut être par lui-même le
sujet d’un autre accident, mais c’est le sujet qui est compris sous cet autre
accident qui l’est par son intermédiaire ; et c’est pour cette raison
qu’on dit de la surface qu’elle est le sujet de la couleur. |
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Articulus 4. Lib. 1 d. 3 q.
4 a. 4 tit. Utrum imago attendatur in potentiis rationalibus respectu
quorumlibet objectorum |
Article 4 – Est-ce que l’image s’applique dans les puissances rationnelles par rapport à n’importe quel objet ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod imago
attendatur in istis potentiis respectu quorumlibet objectorum. Potentia enim
ex natura potentiae se habet similiter ad omnia sua objecta. Sed
per habitus diversos restringitur ad haec vel ad illa. Cum igitur assignatio
primae imaginis sit secundum potentias, non secundum habitus, videtur quod
sit respectu quorumlibet objectorum. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à cette quatrième question. Il semble que l’image se
prenne dans ces puissances par rapport à n’importe quel objet. La puissance
en effet, de par la nature même de la puissance, se rapporte de la même
manière à tous ses objets. Mais c’est par des habitus différents qu’elle se
limite à ceux-ci ou à ceux-là. Donc puisque l’attribution de la première
image se fait selon les puissances et non selon les habitus, il semble que
l’image se prenne par rapport à tout objet. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus, lib. XII, De
Trin. , cap. IV: « Cum in natura mentis humanae quaerimus
Trinitatem, in tota quaerimus, non separantes actionem temporalium a
contemplatione aeternorum ». Omnia autem objecta vel sunt aeterna,
vel temporalia. Ergo respectu quorumlibet objectorum attenditur imago. |
2. De plus, Augustin [Livre
XII, De la Trinité, ch. IV] dit : ¨Puisque nous recherchons la
Trinité dans la nature de l’esprit humain, nous la recherchons dans tout son
esprit, ne séparant pas l’action dans les choses temporelles de la
contemplation des vérités éternelles¨. Mais tous les objets sont soit
éternels, soit temporels. L’image doit donc s’appliquer à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 s. c.
1 Contra, ad rationem imaginis exigitur aequalitas imaginis [imaginis om.
Éd. de Parme]. Sed non in omnibus objectis invenitur aequalitas: non enim
quantumcumque cognosco aliquid, tantum volo illud. Ergo videtur quod non
respectu omnium attendatur imago. |
Cependant : 1. L’égalité de l’image est
requise à la notion d’image. Mais ce n’est pas parmi tous les objets qu’on
retrouve l’égalité : ce n’est pas en effet parce que je connais à ce
point une chose que je la veux pour autant. Il semble donc que l’image se
prenne par rapport à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
4 s. c. 2 Praeterea, secundum istam assignationem imaginis, intelligentia
sequitur memoriam. Sed in illis quae per acquisitionem cognoscimus, ex
intelligentia sequitur memoria. Ergo videtur quod ista assignatio imaginis
non attenditur respectu quorumlibet objectorum. |
2. De plus, d’après
cette attribution de l’image, l’intelligence suit la mémoire. Mais dans les
choses qui sont connues par mode d’acquisition, c’est la mémoire qui suit
l’intelligence. Il semble donc que cette attribution de l’image ne se prenne
pas par rapport à n’importe quel objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
4 co Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, hac distin., quaest. 3, art.
1, imago dicit expressam repraesentationem. Expressa autem repraesentatio est in ipsis potentiis
propter quinque. Quorum duo se tenent ex parte ipsius animae, scilicet
consubstantialitas et distinctio potentiarum, et ideo se habent indifferenter
respectu quorumlibet objectorum ; alia vero tria, scilicet aequalitas, et
ordo, et actualis imitatio respiciunt objecta, unde se habent diversimode
respectu diversorum objectorum. Potest autem attendi in potentiis animae
duplex aequalitas, scilicet potentiae ad potentiam et potentiae ad objectum.
Et haec secunda aequalitas salvatur hic diversimode respectu diversorum
objectorum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction [qu. 3, art. 1], que l’image
réfère à une représentation distincte. Mais une représentation distincte dans
les puissances mêmes est due à cinq conditions. Parmi ces dernières, deux se
tiennent du côté de l’âme elle-même, à savoir la consubstantialité et la
distinction des puissances et par là elles se rapportent indifféremment à
tout objet ; mais les trois autres, à savoir l’égalité, l’ordre et
l’imitation actuelle s’adressent aux objets et c’est pourquoi elles se
présentent différemment par rapport à différents objets. Mais on
peut remarquer dans les puissances de l’âme une double égalité, à savoir
celle d’une puissance à une autre puissance et celle d’une puissance à son
objet. Et cette deuxième égalité est conservée ici différemment par rapport à
différents objets. |
In illis enim quae per
habitum acquisitum discuntur, non servatur ordo, ut dictum est supra, qu. 2,
art. 3, quia intelligendi actus praecedit actum memorandi ; et ideo non est
ibi actualis repraesentatio ipsius Trinitatis, secundum quod intendit illis
objectis quae non exprimunt Trinitatem. |
Pour les choses en effet qui
sont apprises au moyen d’un habitus acquis, l’ordre n’est pas observé ainsi
que nous l’avons dit plus haut [qu. 2, art. 3], car l’arte de comprendre
précède l’acte de mémoriser ; et c’est pourquoi il n’y a pas là une
représentation actuelle de la Trinité elle-même selon qu’elle s’applique à
ces objets qui n’expriment pas la Trinité. |
Servatur autem ibi
aequalitas quaedam, scilicet potentiae ad potentiam: quia quaecumque
comprehenduntur una potentia, comprehenduntur alia: non quod quidquid
intelligimus, simpliciter velimus ; sed aliquo modo in voluntate sunt,
inquantum volumus nos ea intelligere: sed non servatur aequalitas potentiae
ad objectum: quia res corporales sunt in anima nobiliori modo quam in
seipsis, cum anima sit nobilior eis, ut dicit Augustinus. Si autem
considerentur istae potentiae respectu hujus objecti quod est anima, sic
salvatur ordo, cum ipsa anima naturaliter sit sibi praesens ; unde ex notitia
procedit intelligere, et non e converso. |
Mais une certaines égalité
est observée là, là savoir celle d’une puissance à une autre puissance car
tout ce qui est compris par une puissance est compris par une autre : ce
n’est pas que nous voulons purement et simplement tout ce que nous comprenons,
mais en un sens les choses que nous comprenons sont dans notre volonté dans
la mesure où nous voulons les comprendre ; mais l’égalité de la
puissance à son objet n’est pas observée parce que les choses corporelles
sont dans l’âme selon un mode plus excellent que celui qu’elles ont en
elles-mêmes puisque l’âme est d’une substance plus noble que la leur, ainsi
que le dit Augustin. Mais si ces puissances étaient considérées par rapport à
cet objet qui est l’âme, alors l’ordre est observé puisque l’âme elle-même
est naturellement présente à elle-même ; et c’est pourquoi c’est de la
connaissance que procède l’acte de comprendre et non inversement. |
Servatur etiam aequalitas
potentiae ad potentiam simpliciter: quia quantum se intelligit, tantum se
vult et diligit: non sicut in aliis, quod velit se tantum intelligere, sed
simpliciter. Servatur etiam ibi aequalitas potentiae ad objectum. Servatur
etiam ibi actualis imitatio ipsius Trinitatis, inquantum scilicet ipsa anima
est imago expresse ducens in Deum. Si autem considerentur respectu hujus
objecti quod est Deus, tunc servatur ibi actualis imitatio. Maxime autem
servatur ordo, quia ex memoria procedit intelligentia, eo quod ipse est per
essentiam in anima, et tenetur ab ipsa non per acquisitionem. Servatur etiam
ibi aequalitas potentiae ad potentiam simpliciter, sed non potentiae ad
objectum: quia Deus est altior quam sit anima. Unde dico, quod imago
quodammodo attenditur respectu quorumlibet objectorum ; verius autem respectu
sui ipsius, et verissime respectu hujus objecti quod est Deus ; nisi tantum
quod deest aequalitas potentiae ad objectum, quae etiam non multum facit ad
imaginem. |
L’égalité d’une puissance à une autre est aussi observée
absolument parlant : car elle se veut et elle s’aime autant qu’elle se
comprend : non pas comme dans les autres, qu’elle veut seulement se
comprendre, mais absolument. Est observée aussi dans ce cas l’égalité de
la puissance à l’objet. Est observée aussi dans ce cas l’imitation
actuelle de la Trinité, c’est-à-dire dans la mesure où l’âme
elle-même est l’image distincte qui conduit à Dieu. Mais si les puissances
étaient considérées par rapport à cet objet qui est Dieu, alors dasn ce cas
est observée l’imitation actuelle. Mais l’ordre est observé au plus haut
point car l’intelligence procède de la mémoire du fait qu’elle-même est par
essence dans l’âme et que ce n’est pas par mode d’acquisition qu’elle est
possédée par elle. Est encore conservée dans ce cas l’égalité d’une puissance
à une autre absolument, mais non pas celle d’une puissance à son objet car
Dieu est d’une nature plus élevée que celle de l’âme. C’est
pourquoi je dis que l’image s’applique en un sens à tout objet ; mais
cela est plus vrai par rapport à lui-même et le plus véritablement par
rapport à cet objet qui est Dieu ; à moins seulement que ne manque
l’égalité de la puissance à son objet qui ne contribue pas grandement à
l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ista assignatio imaginis attendatur
secundum potentias absolute, nihilominus tamen praecipue attenditur secundum
id quod est altissimum in eis ; et hoc est respectu eorum objectorum quae per
sui essentiam sunt in anima. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que cette attribution de l’image se considère d’après
les puissances prises absolument, néanmoins elle se prend d’après ce qu’il y
a de plus élevé en elles ; et cela se fait par rapport à leurs objets
qui sont dans l’âme par essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad 2
Ad secundum dicendum, quod Augustinus vult, quod respectu quorumlibet
objectorum sit aliquo modo imago: sed praecipue respectu hujus objecti quod
est Deus et quod est anima: ipse enim in multis requirit similitudinem
Trinitatis, ut ad perfectam imaginem deveniat. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’Augustin veut que par rapport à tout objet il y ait image d’une
certaine manière, mais principalement par rapport à cet objet qui est Dieu et
à celui qui est l’âme : lui-même en effet exige en plusieurs points de
la ressemblance à la Trinité qu’elle parvienne à une image parfaite. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 ad s. c. Ad aliud patet responsio per ea quae dicta sunt. |
3. Par rapport à ce qui est
dit par la suite, ce que nous avons dit y répond clairement. |
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Articulus 5 : Lib. 1
d. 3 q. 4 a. 5 tit. Utrum potentiae rationales sint semper in actu respectu
objectorum, in quibus attenditur imago |
Article 5 – Est-ce que les puissances rationnelles sont toujours en acte par rapport aux objets auxquels l’image s’applique ? |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod istae
potentiae non semper sint in suis actibus respectu horum objectorum, in
quibus praecipue attenditur imago. Dicit enim philosophus, II De
anima, text. 17, quod una potentia existente in actu, altera abstrahitur ab
actu suo. Sed istae tres sunt diversae potentiae. Ergo impossibile est quod
quaelibet semper sit in suo actu respectu cujuslibet objecti. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède
par rapport à ce cinquième article. Il semble que ces puissances ne sont pas
toujours en acte par rapport à ces objets auxquels s’applique principalement
l’image. Le Philosophe en effet [11 De L’Âme, text. 17] dit
qu’une puissance existant en acte, l’autre est tirée de son acte. Mais ces
trois puissances sont différentes. Il est donc impossible que toute puissance
soit toujours en acte par rapport à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 arg.
2 Item, philosophus, IV Metaph., text.12, dicit quod non
contingit multa simul intelligere. Sed anima quandoque intelligit quaedam
alia. Ergo tunc non intelligit simul seipsam [et Deum add. Éd. de
Parme] |
2. En outre, le Philosophe
[IV Métaphysique, text. 12] dit qu’il n’est pas possible de
comprendre plusieurs choses simultanément. Mais l’âme comprend parfois
certaines autres choses. Donc, dans ce cas elle ne comprend pas elle-même [et
Dieu add. Éd. De Parme] simultanément. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a.
5 arg. 3 Item, ad hoc quod anima intelligat vel videat, secundum Augustinum,
XI de trin., cap. II, requiritur intentio cognoscentis, per
quam species cognoscibilis in rem deducatur. Sed quandoque anima intelligit ex intentione se
intelligere. Cum igitur non percipiamus nos intelligere semper animam et
Deum, videtur quod intellectus noster non semper sit in actu, respectu horum
objectorum. |
3. En outre, pour que l’âme
puisse comprendre ou voir, d’après Augustin [XI De la Trinité,
ch. 11], l’intention de celui qui connaît est requise, par laquelle l’espèce
connaissable soit tirée de la chose. Mais parfois l’âme comprend à partir de
l’intention de se comprendre. Donc, puisque nous ne percevons pas toujours
que nous comprenons l’âme et Dieu, il semble que notre intelligence ne soit
pas toujours en acte par rapport à ces objets. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c. 1 Contra, philosophus dicit
III de anima, text. 20), quod intellectus agens semper
intelligit. Maxime autem hoc videtur respectu eorum quae semper sibi sunt
praesentia, sicut anima et Deus. Ergo videtur quod intellectus, horum
respectu, semper sit in actu. |
Cependant : 1. Le Philosophe [111 De
l’Âme, text. 20] dit que l’intellect agent pose toujours son acte
d’intellection. Mais cela se voit le plus à l’égard des choses qui lui sont
toujours présentes, comme l’âme et Dieu. Il semble donc que, par rapport à
ces objet, l’intellect soit toujours en acte. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c.
2 Praeterea, dicit Augustinus, De Trin., cap. XI, 18,
quod quidquid est in memoria mea, illud memini. Sed anima et Deus
semper est praesens memoriae. Ergo memoria semper est in actu eorum, et
similiter est in aliis. |
2. En outre, Augustin [De
la Trinité, ch. XI, 18] dit que je me suis rappelé de tout ce qui
est dans ma mémoire. Mais l’âme et Dieu sont toujours présents
à la mémoire. Donc la mémoire est toujours en acte par rapport à ces objets
et il en est de même pour les autres puissances. |
Lib. 1 d.
3 q. 4 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum, De
util. Credendi, cap. XI, differunt cogitare, discernere et
intelligere. Discernere est cognoscere rem per differentiam sui ab aliis.
Cogitare autem est considerare rem secundum partes et proprietates suas: unde
cogitare dicitur quasi coagitare. Intelligere autem dicit nihil aliud quam
simplicem intuitum intellectus in id quod sibi est praesens intelligibile.
Dico ergo, quod anima non semper cogitat et discernit de Deo, nec de se, quia
sic quilibet sciret naturaliter totam naturam animae suae, ad quod vix magno
studio pervenitur: ad talem enim cognitionem non sufficit praesentia rei
quolibet modo ; sed oportet ut sit ibi in ratione objecti, et exigitur
intentio cognoscentis. Sed secundum quod intelligere nihil aliud dicit quam
intuitum, qui nihil aliud est quam praesentia intelligibilis ad intellectum
quocumque modo, sic anima semper intelligit se et Deum [indeterminate add. Éd. de Parme], et consequitur quidam
amor indeterminatus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que , d’après Augustin [De l’utilité de
Croire, ch. XI], penser, distinguer et comprendre diffèrent. Distinguer,
c’est connaître la chose au moyen de ce qui la distingue des autres choses.
Mais penser, c’est considérer la chose d’après ses parties et ses
propriétés : c’est pourquoi penser signifie comme battre ou brasser
ensemble. Mais comprendre ne dit rien d’autre qu’un simple regard de
l’intelligence sur ce qui lui est présent comme intelligible. Je dis donc que
l’âme n’est pas toujours en train de penser et de distinguer au sujet de Dieu
et d’elle-même car ainsi tout homme connaîtrait naturellement toute la nature
de son âme, tâche qu’il parvient à peine à réaliser au prix d’un travail
considérable : en effet, la présence de la chose, de quelque manière que
ce soit, ne suffit pas à parvenir à une telle connaissance ; mais il
faut qu’elle soit là sous la raison d’objet et l’intention de celui qui
connaît est requise. Mais selon que comprendre ne signifie rien d’autre qu’un
examen, qui n’est rien d’autre que la présence de l’intelligible à
l’intelligence de quelque manière que ce soit, en ce sens l’âme se comprend
toujours elle-même ainsi que Dieu [d’une manière indéterminée add.
Éd. De Parme], et il s’ensuit un amour indéterminé. |
Alio tamen modo, secundum
philosophos, intelligitur quod anima semper se intelligit, eo quod omne quod
intelligitur, non intelligitur nisi illustratum lumine intellectus agentis,
et receptum in intellectu possibili. Unde sicut in omni colore videtur lumen
corporale, ita in omni intelligibili videtur lumen intellectus agentis ; non
tamen in ratione objecti sed in ratione medii cognoscendi. |
D’une autre manière
cependant, d’après les philosophes, on comprend que l’âme se comprend
toujours elle-même du fait que tout ce qui est compris n’est compris qu’en
tant qu’il est éclairé par la lumière de l’intellect agent et qu’il est reçu
dans l’intellect possible. De là, tout comme la lumière corporelle est vue à
travers toute couleur, de même la lumière de l’intellect agent est vue dans
tout intelligible, non pas cependant sous la raison d’objet, mais sous la
raison d’un moyen de connaître. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod hoc est intelligendum quando potentiae
operantur circa diversa objecta: tunc enim una impedit aliam in actu suo, vel
ex toto retrahit. Sed quando ordinantur ad idem objectum, tunc una juvat
aliam ; sicut illud quod videmus, facilius imaginamur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est là ce qu’il faut comprendre quand les puissances
posent leurs opérations sur différents objets : alors en effet une
puissance empêche une autre puissance dans son opération ou la retire du
tout. Mais quand différentes puissances sont ordonnées à un même objet, alors
l’une assiste l’autre comme dans le cas par exemple où ce que nous voyons est
plus facile à imaginer. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 2
Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur de intelligere, secundum quod
est operatio intellectus completa distinguentis vel cogitantis, et non
secundum quod hic sumitur intelligere. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le philosophe parle de comprendre selon qu’il s’agit là de
l’opération complète de l’intelligence de celui qui distingue ou qui pense et
non pas selon le sens de comprendre qui est pris ici. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum similiter, quod intentio
intelligentis non requiritur ad tale intelligere, sicut dictum est, in
corpore art. |
3. Il faut dire de la même
manière en troisième lieu que l’intention de celui qui comprend n’est pas
requise à une telle compréhension ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [Les parties de l’image] |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 tit. Utrum hae partes
imaginis, mens, notitia et amor differant ab aliis partibus. |
Article unique : Ces parties de l’image : l’esprit, la connaissance et l’amour, diffèrent-elles des autres parties ? |
1 Deinde quaeritur de alia
assignatione imaginis, scilicet mente, notitia et amore. |
1. Ensuite on s’interroge sur
une autre attribution de l’image, à savoir l’esprit, la connaissance et
l’amour. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. Et videtur quod ista non
differt a praedicta, sicut [si Éd. de Parme] dicitur, quod ista
assignatur secundum habitus, illa secundum potentias: imago enim attenditur
in anima praecipue respectu hujus objecti quod est anima et hujus objecti
quod est Deus. Sed anima non cognoscit seipsam tali modo cognitionis, de quo hic
loquimur, mediante habitu, sed per suam essentiam. Ergo non videtur quod secundum aliquos habitus
assignetur imago. |
Difficultés : 1. Il semble que cette
attribution ne diffère pas de celle dont nous avons parlé précédemment
(mémoire, intelligence, volonté), comme [si Éd. De Parme] on dit
que celle-ci s’attribue d’après les habitus alors que celle-là s’attribue
d’après les puissances : l’image en effet s’applique à l’âme
principalement par rapport à cet objet qui est l’âme et à cet objet qui est
Dieu. Mais l’âme ne se connaît pas elle-même d’après le mode de connaître
dont nous parlons ici, au moyen d’un habitus, mais par son essence. Il ne
semble donc pas que l’image s’attribue selon des habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
2 Praeterea, nullus habitus est consubstantialis, cum omnis habitus sit
accidens. Sed notitia et amor sunt consubstantiales ipsi menti, ut hic
dicitur. Ergo non sunt habitus. |
2. Par ailleurs, aucun
habitus n’est consubstantiel, puisque tout habitus est un accident. Mais la
connaissance et l’amour sont consubstantiels à l’esprit lui-même, comme on le
dit ici. Ils ne sont donc pas des habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
3 Item, mens superius, quaest. 3, art. 1, fuit accepta non pro habitu, sed
pro potentiarum subjecto. Cum igitur eodem modo notificetur hic, sicut
supra, a Magistro, scilicet pro eo quod in anima est excellentius, videtur
quod non sit habitus: et ita haec assignatio non est secundum habitus. |
3. En outre, l’esprit [quest.
3, art. 1] a été admis plus haut non pas comme un habitus mais comme le sujet
des puissances. Donc, puisqu’il est ici notifié de la même façon qu’il l’a
été plus haut par le Maître, à savoir pour ce qu’il y a de plus excellent
dans l’âme, il semble qu’il ne soit pas un habitus ; par conséquent,
cette attribution n’est pas faite d’après les habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
4 Praeterea, constat quod habitus non operatur sed est principium operandi.
Cum igitur hic dicat, quod mens novit se et amat se, videtur quod non sumatur
pro habitu. |
4. De plus, il est clair que
l’habitus ne pose pas d’opération mais il est plutôt principe d’opération.
Donc, lorsqu’on dit ici que l’esprit se connaît et s’aime, il semble que cela
ne se prenne pas à la manière d’un habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg.
5 Contra, cuilibet potentiae respondet suus habitus. Si igitur mens non sit
habitus, sed ipsa essentia animae, secundum quod hic sumitur, erunt quatuor
partes imaginis, scilicet mens et tres habitus trium potentiarum ; et ita non
repraesentabunt Trinitatem. |
Cependant : À toute puissance correspond
son habitus. Si donc l’esprit n’est pas un habitus mais l’essence même de
l’âme d’après la manière de l’entendre ici, il y aura quatre parties de
l’image, à savoir l’esprit et les trois habitus des trois puissances et ainsi
elles ne représenteront pas la Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod mens
multipliciter dicitur secundum quosdam. Quandoque enim dicitur ipsa natura
intellectiva, sicut Dionysius, IV de divin. Nomin., 694)
vocat Angelos divinas mentes. Quandoque dicitur ipse intellectus examinans
res, secundum quod mens dicitur a metior metiris, et juxta hoc etiam supra
sumitur, quod mens est superior pars animae. Quandoque dicitur pro memoria a
reminiscendo dicta ; et ita dicunt quod sumitur hic: unde dicunt quod mens
hic sumitur pro habitu memoriae, et notitia pro habitu intelligentiae et amor
pro habitu voluntatis. Sed quia ista opinio non procedit secundum Magistri
opinionem [intentionem Éd. de Parme], et nimis extorta est ; ideo
aliter dicendum est, quod mens sumitur hic, sicut et supra, pro ipsa
superiori parte animae, quae est subjectum praedictae imaginis, et notitia
est habitus memoriae, et amor habitus voluntatis ; et ita haec assignatio
sumitur secundum essentiam et habitus consubstantiales ; praedicta autem
secundum potentias. Unde in ista non est tanta conformitas sicut in
praedicta, nec ita propria assignatio: propter quod etiam ultimo ponitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’esprit se dit selon plusieurs acceptions d’après certains. Parfois en
effet on prend ce terme dans le sens de la nature intellectuelle, comme le
fait Denys [IV, Les Noms Divins,
694] lorsqu’il appelle les Anges esprits divins. Parfois le terme ¨esprit¨
est pris pour l’intellect lui-même qui examine les choses, selon l’esprit se
dit de l’acte de mesurer, et c’est conformément à cela aussi qu’il est pris
plus haut, à savoir que l’esprit est la partie supérieure de l’âme. Parfois
l’esprit se dit de la mémoire qui se tire de l’acte de se souvenir ; et
ils se trouvent ainsi à dire ce qu’on entend ici : ils disent par conséquent que
l’esprit se prend ici pour l’habitus de la mémoire, la connaissance pour
l’habitus de l’intelligence et l’amour pour l’habitus de la volonté. Mais
parce que cette opinion ne procède pas selon l’opinion du Maître [intention
Éd. De Parme] et qu’elle est trop forcée, c’est pourquoi il faut dire ici
autrement que l’esprit se prend ici, tout comme précédemment, pour la partie
supérieure de l’âme, laquelle est le sujet de l’image dont nous avons parlé,
que la connaissance est l’habitus de la mémoire et que l’amour est l’habitus
de la volonté ; et de cette manière cette attribution se prend d’après
l’essence et les habitus consubstantiels, alors que la précédente se prenait
d’après les puissances. C’est pourquoi cette attribution n’est pas aussi
conforme ni aussi propre que la précédente : et c’est pour cette raison
aussi qu’elle a été présentée en dernier lieu. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod ad esse habitus intellectivi duo concurrunt:
scilicet species intelligibilis, et lumen intellectus agentis, quod facit eam
intelligibilem in actu: unde si aliqua species esset quae in se haberet
lumen, illud haberet rationem habitus, quantum pertinet ad hoc quod esset
principium actus. Ita dico, quod quando ab anima cognoscitur aliquid quod est
in ipsa non per sui similitudinem, sed per suam essentiam, ipsa essentia rei
cognitae est loco habitus. Unde dico, quod ipsa essentia animae, prout est
mota a seipsa, habet rationem habitus. Et sumitur hic notitia materialiter
pro re nota ; et similiter est dicendum de amore. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que deux facteurs contribuent à l’existence d’un habitus
intellectuel : à savoir l’espèce intelligible, et la lumière de
l’intellect agent qui la rend intelligible en acte : par conséquent s’il
y avait une espèce qui possédait en soi la lumière, elle aurait raison
d’habitus quant à ceci qu’elle serait principe d’un acte. Ainsi je dis que
quand ce qui est connu par l’âme est en elle non pas au moyen de ce qui lui
ressemble mais au moyen de son essence, l’essence même de la chose connue
tient lieu d’habitus. De là je dis que l’essence même de l’âme, selon qu’elle
est mue par elle-même, a raison d’habitus. Et la connaissance se prend ici
matériellement parlant pour la chose connue ; et il faut dire
la même chose de l’amour. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 2
Unde etiam patet solutio ad secundum: quia habitus isti erunt
consubstantiales, cum sint in ipsa substantia animae, nec sunt ibi alii
habitus. Si autem diceremus, quod per notitiam et amorem significantur actus
et non habitus, planius esset ; et tunc dicerentur consubstantiales, sicut et
de potentiis supra dictum est, dist. 3, quaest. 4, art. 2. |
2. Et de là apparaît encore
la solution à la deuxième difficulté : car ces habitus seront
consubstantiels puisqu’ils sont dans la substance même de l’âme et il n’y a
pas là d’autres habitus. Mais si nous disions que par la connaissance et
l’amour ce sont les actes et non les habitus qui sont signifiés, alors
l’énoncé serait plus clair ; et alors ces habitus seraient appelés
consubstantiels, tout comme nous l’avons dit plus haut [distinction 3,
question 4, article 2] au sujet des puissances |
Lib.
1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 3 Tertium et quartum concedimus. |
3 et 4. Nous concédons la
troisième et la quatrième difficulté. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod habitus est principium elicitum [elicitivum Éd.
de Parme] operationis. Unde, quia memoria non habet per se actum qui sit
simpliciter operatio, non respondet sibi aliquis habitus, sed eodem habitu
notitia, scilicet [scilicet om. Éd. de Parme] memoria et
intelligentia reducuntur in unam operationem. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’habitus est le principe qui décide [qui choisit Éd.
de Parme] de l’opération. De là, parce que la mémoire ne possède pas d’elle-même
un acte qui soit une opération absolument parlant, il n’y a pas d’habitus qui
lui correspond, mais c’est par le même habitus que la connaissance,
c’est-à-dire la mémoire, et l’intelligence sont ramenées à une seule
opération. |
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Distinctio 4 |
Distinction 4 – [La génération en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis
de duobus quaeritur : primo de divina
generatione. Secundo de divina
praedicatione. Circa primum tria
quaeruntur : 1 an in divinis sit generatio ; 2 supposito quod sic, an haec sit vera : Deus genuit
Deum ; 3 de aliis locutionibus quae ex ista littera
concluduntur. |
Afin de comprendre cette partie on s’interroge sur deux
choses : Premièrement sur la génération en Dieu. Deuxièmement sur ce que l’on attribue à Dieu. Au sujet du premier point on s’interroge sur trois
points : 1. Y a-t-il un génération dans les personnes
divines ? 2. En supposant qu’il ne soit ainsi, cet énoncé est-il
vrai : Dieu a engendré Dieu ? 3. Sur les autres paroles qui sont conclues à partir de
ce document. |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La génération divine] |
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Articulus 1.1 lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum generatio sit
in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ? |
lib. 1 d. 4 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit
generatio. Generatio
enim est species mutationis, secundum philosophum, V Physic.,
text. 4.. Sed a Deo removetur mutatio, Jac. 1, 17 : Apud quem non est
transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. Ergo nec generatio. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
suivante à l’égard de ce premier article. Il semble qu’il n’y ait pas
génération en Dieu. La génération en effet est
une espèce de changement d’après le Philosophe [V Physiques, text. 4]. Mais
dans la Lettre de Jacques (1, 17), on écarte de Dieu le
changement : Celui chez qui n’existe aucun changement ni l’ombre
d’une variation. Il n’y a donc pas de génération en Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quanto creaturae sunt nobiliores, magis
accedunt ad divinam similitudinem. Sed in creaturis nobilioribus non
invenitur generatio, sicut in Angelis et in corporibus caelestibus, sed
tantum in inferioribus. Ergo videtur quod nec in Deo inveniatur. |
2. Par ailleurs, quand les
créatures s’approchent d’autant plus de la ressemblance divine qu’elles sont
plus nobles. Mais on ne retrouve pas de génération dans les créatures qui
sont plus nobles, comme on le voit pour les Anges et les corps célestes, mais
on observe la génération seulement chez les créatures inférieures. Il semble
donc qu’il n’y en ait pas non plus en Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, ubicumque est generatio, oportet quod sit
aliquid in genito communicatum a generante. Sed per illud quod sibi a
generante communicatur non distinguitur a generante. Ergo oportet ibi
esse aliquid aliud per quod ab ipso distinguatur, cum omne genitum a
generante distinctum sit. Ergo omne quod generatur, est compositum, cum sit ibi aliquid
et aliquid. Sed in Deo non est compositio. Ergo nec generatio. |
3. En outre, partout où il y
a génération, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit communiqué dans
celui qui est engendré par celui qui engendre. Mais celui qui est engendré ne
se distingue pas, par ce qui lui est communiqué par celui qui engendre, de
celui qui engendre. Il faut donc qu’il y ait là quelque chose d’autre au
moyen de quoi il se distingue de celui qui engendre puisque tout ce qui est
engendré est distinct de celui qui l’engendre. Donc, tout ce qui est engendré
est un composé puisqu’il y a là quelque chose est quelque chose d’autre. Mais
il n’y a pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas non plus génération. |
lib. 1 d.
4 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, generatio est actus medius inter generantem et
genitum. Sed
inter Patrem et Filium non est aliquid medium. Ergo videtur quod non sit ibi
generatio. |
4. De plus, la génération est
un acte intermédiaire entre celui qui engendre et celui qui est engendré.
Mais il n’y a pas d’intermédiaire entre le Père et le Fils. Il semble donc
qu’il n’y ait pas là de génération. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s.
c. 1 Contra, Isa. ult., 9 : Ego qui generationem tribuo
sterilis ero ? |
Cependant : 1. On lit dans Isaïe (66, 9) : Moi qui fais naître, je serai stérile ? |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s. c.
2 Item, omne quod communicat se, communicat se ratione actus qui est in ipso
; quia potentia non agit nec communicat se. Sed divina essentia est primus et
purus actus. Ergo videtur quod summe communicet se. Sed non communicat se
summe in creaturis, cum non terminetur in eamdem naturam talis communicatio.
Ergo videtur quod communicet se per generationem in Filio ; haec enim est
maxima communicatio. |
2. En outre, tout ce qui se
communique, se communique en raison de l’acte qui est en lui ; car la
puissance n’est pas capable par elle-même de poser une opération et de se
communiquer. Mais l’essence divine est un acte pur et premier. Il semble donc
qu’elle se communique au plus haut point. Mais elle ne se communique pas au
maximum dans les créatures parce qu’une telle communication ne se termine pas
dans une même nature. Il semble donc en effet que cette communication
maximale doive se communiquer par la génration dans le Fils. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod generationem esse in divinis, ratione efficaciter
confirmari non potest, sicut supra dictum est, dist. 3, quaest. 1, art. 4,
sed auctoritate et fide tenetur : unde simpliciter concedendum est,
generationem esse in divinis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on ne peut confirmer efficacement par la raison qu’il y a génération dans
les personnes divines, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 3, quest.
1, art. 4], mais c’est par la foi et l’autorité qu’on soutient qu’il y a
génération dans les personnes divines. |
Sciendum tamen est, quod,
cum omnis perfectio sit in Deo et nulla imperfectio, quidquid perfectionis
invenitur in creatura, de Deo dici potest quantum ad id quod est perfectionis
in ipsa, omni remota imperfectione. Si autem nomen imponitur ab eo quod
imperfectionis est, sicut lapis, vel leo, tunc dicitur de Deo symbolice vel
metaphorice. Si autem imponitur ab eo quod est perfectionis, dicitur proprie,
quamvis secundum modum eminentiorem. |
Il faut cependant savoir que
puisqu’il y a en Dieu toute perfection et aucune imperfection, tout ce qu’on
retrouve de perfection dans la créature peut s’attribuer à Dieu quant à ce
qu’il y a en elle de perfection, en écartant toute imperfection. Mais si le
nom est imposé en partant de ce qui relève de l’imparfait comme la pierre ou
le lion, alors on le dit de Dieu de manière symbolique ou métaphorique. Mais
si le nom est imposé en partant de ce qui relève de la perfection, alors il
se dit proprement de Dieu, bien que ce soit selon un mode plus excellent. |
Dicitur autem nomen imponi
ab eo quod est quasi differentia constitutiva et non ex ratione generis ; et
ideo quandocumque aliquid secundum suum genus dicit imperfectionem, et
secundum differentiam, perfectionem, illud [illud om. Éd. de Parme]
invenitur in Deo quantum ad rationem differentiae, et non quantum ad rationem
generis : sicut scientia non est in Deo quantum ad rationem habitus vel
qualitatis, quia sic habet rationem accidentis ; sed solum secundum id quod
complet rationem scientiae, scilicet cognoscitivum certitudinaliter
aliquorum. |
Mais on dit que le nom est imposé en partant de ce qui est comme la différence constitutive et non à partir de la notion de genre ; et c’est pourquoi, toutes les fois que quelque chose dit une imperfection selon son genre et une perfection selon sa différence, cela se retrouve en Dieu quant à la notion de différence et non quant à la notion de genre : par exemple la science n’est pas en Dieu quant à la notion d’habitus ou de qualité, car elle aurait ainsi raison d’accident; mais elle est en Dieu seulement d’après ce qui complète la définition de la science, à savoir qu’elle connaît des choses avec certitude. |
Similiter dico, quod si
accipiamus genus generationis, secundum quod invenitur in inferioribus,
imperfectionis est : mutatio enim, quae est genus ipsius, ponit exitum de
potentia ad actum, et per consequens ponit materialitatem in genito, et per
consequens divisionem essentiae : quae omnia divinae generationi non
competunt. |
Je dis de la même manière que
si nous prenons le genre de la génération selon qu’il se retrouve dans les
créatures inférieures, il dit une imperfection : le changement en effet,
qui est son genre, pose un passage de la puissance à l’acte et pose par
conséquent la matérialité dans ce qui est engendré et par conséquent la
division de l’essence : et tout cela est contraire à la génération
divine. |
Si autem consideretur
secundum differentiam suam, per quam completur ratio generationis, sic dicit
aliquam perfectionem : passive enim accepta dicit acceptationem essentiae in
perfecta similitudine ; cujus communicationem dicit, si sumatur active :
quorum neutrum imperfectionem dicit : communicatio enim consequitur rationem
actus : unde omnis forma, quantum est de se, communicabilis est ; et ideo
communicatio pertinet ad nobilitatem. |
Mais si on considère la
génération d’après sa différence par laquelle est achevée la définition de la
génération, cette dernière dit alors une perfection : prise passivement
en effet elle dit la réception de l’essence dans une similitude
parfaite ; si on la prend activement, elle dit la communication de cette
similitude parfaite. Mais dans aucun cas elle ne dit une imperfection :
la communication en effet suit la notion de l’acte : c’est pourquoi
toute forme en tant que telle est communicable et c’est pourquoi la
communication relève de l’excellence. |
Et hoc modo accepta
generatione est per prius in Deo, et omnis generatio in creaturis descendit
ab illa, et imitatur eam quantum potest, quamvis deficiat. Unde ad Ephes.
3, 15 : Ex quo omnis paternitas in caelis et in terra nominatur.
Si autem accipiatur secundum rationem usitatam in nomine, secundum quam
dicimus generationem in creaturis, sic non convenit Deo nisi transumptive,
sicut et alia corporalia. |
Prise en ce sens, la
génération se retrouve à titre premier en Dieu et toute génération observée
dans les créatures procède d’elle et l’imite dans la mesure du possible bien
qu’elle s’en écarte. C’est pourquoi on lit [Lettre aux Éphésiens, 3,
15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son
nom. Mais si on prenait la génération d’après la notion généralement
admise par l’usage du nom d’après laquelle nous parlons de la génération
telle qu’on la retrouve dans les créatures, alors elle ne conviendrait à Dieu
que par transfert métaphorique, comme toutes les autres réalités corporelles. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1
Et per hoc jam patet solutio ad primum : quia generatio, secundum suum genus,
quod est mutatio, in divinis non invenitur ; unde in Deo non est mutatio, sed
operatio divinae naturae, secundum Damascenum, lib. I Fide
orth., cap. VIII. Differt autem operatio a motu, secundum philosophum, Ethic., V,
cap. IV,
V et VI, quia operatio est actus perfecti, sed motus est actus imperfecti,
quia existentis in potentia. |
Solutions : 1. Et par ce que nous venons de dire, la solution à la première difficulté est déjà claire : car la génération, selon son genre qui est le changement, ne se retrouve pas dans les personnes divines ; de là il n’y a pas en Dieu de changement, mais une opération de la nature divine d’après Damascène [1 Livre sur la Foi Orthodoxe, ch. VIII]. Or l’opération diffère du mouvement selon le Philosophe [V Éthique, ch. IV, V, VI] car l’opération est l’acte de ce qui est parfait alors que le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait parce qu’il est l’acte de ce qui existe en puissance. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod nulla creatura susceptibilis est generationis sine
eo quod est imperfectionis in ipsa : cum enim in omni creatura differat
essentia et esse, non potest essentia communicari alteri supposito, nisi
secundum aliud esse, quod est actus essentiae [in qua est add. Éd. de
Parme] ; et ideo oportet essentiam creatam communicatione dividi, quod
imperfectionis est ; et ideo in perfectissimis creaturis non invenitur, sed
in his quae magis removentur a divina similitudine. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’aucune créature n’est susceptib le de génération sans qu’il y ait
quelque chose d’imparfait en elle : en effet, puisque dans toute
créature l’essence diffère de l’existence, l’essence ne eput être communiquée
à un autre sujet que selon une autre existence, laquelle est l’acte de
l’essence [dans laquelle elle est add. Éd. de Parme] ; et
c’est pourquoi il faut que l’essence créée soit divisée par la communication,
ce qui relève de l’imperfection ; et c’est pourquoi, dans les créatures
les plus parfaites on ne retrouve pas cette division, mais seulement chez
celles qui sont les plus éloignées de la ressemblance divine. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod in divina generatione non est aliquid additum
essentiae in genito, per quod differat a generante ; sed ex hoc ipso quod
accipit essentiam a generante, distinguitur ab eo relatione dantis et
accipientis : quae relationes non differunt ab essentia realiter, sed tantum
ratione, ut dictum est, dist. 11, quaest. 1, art. 5. Et ideo non sequitur ibi
compositio : quod in aliis esse non potest, quia nulla relatio est substantia
secundum rem in creaturis. Unde oportet quod omne generatum sit compositum,
et sic iterum patet quod generatio in creaturis sine imperfectione esse non
potest. |
3. Il faut dire en troisième lieu que dans la génération divine il n’y a pas quelque chose qui est ajouté à l’essence dans celui qui est engendré et par quoi il diffère de celui qui engendre ; dans ce cas en effet, du fait même qu’il reçoit l’essence de celui qui engendre, l’engendré se distingue de lui par la relation de donneur à receveur, relation qui ne diffère pas de l’essence par la chose mais par la raison seulement, ainsi qu’on l’a dit précédemment [dist. 11, quest. 1, art. 5]. Et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas là une composition : ce qui n’est pas possible dans les autres êtres car aucune relation, chez les créatures, n’est la substance selon la chose. De là, il faut toujours dans ces cas que tout ce qui est engendré soit composé, et ainsi il est clair en outre que la génération dans les créatures ne peut exister sans imperfection. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod generatio realiter non est aliquid medium inter
Patrem et Filium, cum generatio secundum rem passive accepta, sit ipsa
filiatio, quae est proprietas Filii, et est in Filio ; et accepta vero active
[cum in Patre accipitur active. Éd. de Parme], est ipsa paternitas
quae est in Patre, et est ipse Pater : tamen significat proprietatem per
modum actus, et ista significatio fundatur aliquo modo supra rem in
acceptione unius ab altero. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la génération n’est pas un intermédiaire réel entre le Père et le
Fils puisque la génération selon la chose, prise passivement, est la
filiation même, laquelle est la propriété du Fils et est présente dans le
Fils ; mais prise activement [puisque dans le Père la génération est
prise activement. Éd. de Parme], elle est la paternité même qui
est dans le Père, et qui est le Père lui-même : cependant elle signifie
la propriété par mode d’acte, et cette signification se fonde d’une certaine
manière par-dessus la chose dans le rapport de l’un à l’autre. |
|
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Articulus 2.lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio,
Deus genuit Deum, sit falsa. |
Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré Dieu » est-elle fausse ? |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haec sit
falsa, Deus genuit Deum. Generatio enim importat relationem
distinguentem personas, ut dictum est, (art. praeced.) Si igitur conceditur, quod
Deus genuit Deum, oportet quod concedatur quod Deus distinguitur a Deo, et
quod Deus est alius a Deo, quod non conceditur. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que cette
proposition, Dieu a engendré Dieu, soit fausse. La génération en
effet implique une relation qui distingue les personnes, ainsi que nous
l’avons dit [article précédent]. Si donc on concède que Dieu a engendré Dieu,
il faut concéder que Dieu se distingue de Dieu et que Dieu est autre que
Dieu, ce qu’on ne peut concéder. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg.
2 Praeterea, terminus in praedicato positus non trahit terminum in subjecto
positum extra suam significationem, sed tantum restringit ipsum ratione
consignificationis temporis, ut stet pro praesentibus, praeteritis, et
futuris : quin potius est e converso, secundum Boetium, lib. I Trin., cap.
V, quod talia sunt praedicata, qualia permiserint subjecta. Sed hoc nomen
Deus significat essentiam. Ergo per verbum quod praedicatur, non trahitur ad
standum pro persona, sed supponit essentiam. Haec autem est falsa, essentia genuit
essentiam, ut infra dicetur, dist. 5, quaest. 1, art. 1. Ergo et haec, Deus
genuit Deum. |
2. Par ailleurs, le terme
posé dans le prédicat ne tire pas le terme posé dans le sujet en dehors de sa
signification, mais le limite seulement en raison de la double signification
du temps pour se fixer dans le présent, le passé et le futur : mais n’en
serait-il pas plutôt, au contraire, comme le dit Boèce [1 De la
Trinité, ch. V], que les présicats sont tels que l’auront permis les
sujets. Mais ce nom, Dieu, signifie l’essence. Donc, par le verbe qui est
attribué, ce nom n’est pas entraîné à représenter la personne, mais suppose
l’essence. Mais cette proposition, à savoir l’essence engendre l’essence, est
fausse, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Et par
conséquent celle-là aussi est fausse : Dieu a engendré Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg.
3 Item, si Deus genuit Deum, ergo Deus est generans, et Deus est genitus. Sed
quidquid dicitur de singulis personis, potest dici de Deo. Ergo [Sed. Éd.
de Parme] de Patre dicitur quod est generans et de Filio quod non est
generans. Ergo potest dici quod Deus generat et Deus non generat : quod
falsum est. Ergo et prima est falsa, Deus genuit Deum. |
3. En outre, si Dieu a
engendré Dieu, Dieu est celui qui engendre et Dieu est aussi celui qui est
engendré. Mais tout ce qui est dit de chacune des personnes peut être dit de
Dieu. Donc [Mais, Éd. de Parme]. Mais on dit du Père qu’Il est
celui qui engendre et du Fils qu’Il n’est pas celui qui engendre. On peut
donc dire que Dieu engendre et que Dieu n’engendre pas : ce qui est
faux. Donc, la première proposition est fausse, à savoir que Dieu a engendré
Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c.
1 Contra, in symbolo dicitur : Deum de Deo genitum. Sed non
generatur de Deo, nisi sicut de generante. Ergo Deus generat Deum. |
Cependant : 1. On dit au contraire dans
le Symbole des Apôtres : Dieu né de Dieu. Mais on ne peut
naître de Dieu que comme de Celui qui engendre. Donc, Dieu engendre Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus dicit habentem deitatem. Ergo
quidquid dicitur de habente deitatem, potest dici de Deo. Sed
potest dici : habens deitatem generat habentem deitatem. Ergo potest dici :
Deus generat Deum. |
2. En outre, Dieu désigne
celui qui possède la divinité. Donc, tout ce qui et dit de celui qui possède
la divinité peut se dire de Dieu. Mais on peut dire que celui qui possède la
divinité engendre celui qui possède la divinité. On peut donc dire que Dieu
engendre Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ista
est simpliciter vera et concedenda, Deus generat Deum. Sed circa veritatem
ejus est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod
hoc nomen Deus significat essentiam et supponit essentiam quantum est de se,
sed propter indifferentiam essentiae ad personas in divinis, ex adjuncto
notionali trahitur ad supponendum pro persona. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette proposition, à savoir que Dieu engendre Dieu, est vraie absolument parlant et qu’elle doit être admise. Mais il existe deux opinions relativement à sa vérité. Certains en effet disent que ce nom Dieu signifie l’essence quant à lui-même, mais en raison de l’indifférence de l’essence à l’égard des personnes divines, mais par l’ajout d’une notion il est entraîné à se substituer à la personne. |
Alii dicunt quod hoc nomen
Deus significat essentiam, et supponit, quantum est de se, personam, tamen
indistincte : unde potest supponere unam tantum vel plures personas : unam
cum dicitur, Deus generat : plures, ut cum dicitur Deus est Trinitas. Et haec
opinio videtur verior esse. |
D’autres disent que le nom
Dieu signifie l’essence et suppose de lui-même la personne, mais
indistinctement : par conséquent il peut supposer une seule ou plusieurs
personnes : une seule comme lorsque je dit que Dieu engendre ;
plusieurs, comme lorsque je dis que Dieu est trine. Et cette dernière opinion
se présente comme la plus vraie. |
Quamvis enim, ut dicitur
Lib. de causis, prop. 6, omne nomen deficiat a significatione divini esse,
propter hoc quod nullum nomen significat simul aliquid perfectum et simplec
[simpliciter Éd. de Parme] quia abstracta non significant ens per
se subsistens, et concreta significant ens compositum, nihilominus tamen
abjicientes id quod imperfectionis est, utimur utrisque nominibus in divinis,
abstractis propter simplicitatem, concretis propter perfectionem. Unde hoc
nomen Deus significat per modum perfecti et per se subsistentis, sicut et hoc
nomen homo : unde, sicut et hoc nomen homo in se importat non tantum
essentiam, sed etiam suppositum, sed indistincte alias non praedicaretur de
individuis, ita et hoc nomen Deus. Et ideo de se habet quod possit supponere
pro persona, et non habet quod supponat pro essentia ex modo significandi
nominis, sed tantum ex ratione divinae simplicitatis, in qua idem est re
essentia et suppositum. |
En effet, bien que , comme on
dit [Livre des Causes, prop. 6] que
tout nom fait défaut par rapport à la signification de l’existence divine
pour cette raison qu’aucun nom ne signifie simultanément quelque chose de
parfait et de simple [simplement Éd. de Parme] car les termes
abstraits ne signifient pas un être qui subsiste par soi et les
termes concrets signifient de l’être composé, néanmoins cependant, rejetant
ce qu’il y a d’imparfait, nous utilisons les deux sortes de noms pour
signifier Dieu, des termes abstraits pour signifier sa simplicité et des
termes concrets pour signifier sa perfection d’être subsistant. Par conséquent
ce nom, Dieu, signifie à la manière de ce qui est parfait et subsiste par
soi, comme le nom homme ; par conséquent tout comme le nom homme
implique en lui-même non seulement l’essence, mais aussi le sujet, mais
indistinctement autrement il ne s’attribuerait pas aux individus, il en est
de même pour ce nom, Dieu. Et c’est pourquoi ce nom tient de lui-même qu’il
puisse être mis à la place de la personne et il ne tient pas du mode de
signifier du nom qu’il puisse être mis à la place de l’essence, mais il le
tient seulement en raison de la simplicité de Dieu dans laquelle l’essence et
le sujet sont identiques par la chose. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod generari significat proprietatem per modum
actus ; actus autem est suppositorum tantum : humanitas enim non generat, sed
homo : et ideo cum dicitur, Deus generat Deum, locutio simpliciter est vera,
quia actus non potest referri nisi ad suppositum. Sed referri et distingui
non significant actus nisi grammatice loquendo ; et ideo possunt referri ad
essentiam et ad suppositum : et ideo non simpliciter conceditur, Deus
distinguitur a Deo, ne distinctio referatur ad essentiam ; et praecipue cum
hoc nomen Deus importet suppositum indistinctum, quod non distinguitur nisi
personali proprietate adjuncta, ut paternitate vel filiatione. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le fait d’êre engendré signifie une propriété à la manière
d’un acte ; mais un acte n’appartient qu’à un individu : en effet,
ce n’est pas l’humanité mais l’homme qui engendre ; et c’est pourquoi,
lorsqu’on dit que Dieu engendre Dieu, l’expression est vraie absolument car
l’acte ne peut être rapporté qu’à un individu. Mais rapporter et distinguer
ne signifient un acte que grammaticalement parlant et c’est pourquoi ils
peuvent être attribués à la fois à l’essence et à l’individu : et c’est
pourquoi il ne faut pas concéder absolument que Dieu se distingue de Dieu,
afin que la distinction ne s’attribue pas à l’essence ; et
principalement puisque ce nom, Dieu, implique implique indistinctement
l’individu, lequel n’est distingué que par une propriété personnelle ajoutée,
comme la paternité ou la filiation. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod, quamvis hoc nomen Deus significet essentiam,
tamen, quantum est de se, supponit habentem essentiam, et rem naturae, etiam
non intellectis personis, quas fides distinguit. Unde potest supponere pro
persona, etiamsi ab alio non restringatur. Et quia supponit personam
indistincte, ideo potest stare in locutione pro quacumque persona : et sic
reddit locutionem veram. Unde in hac propositione, Deus generat
Deum, in supposito stat pro patre, in apposito pro filio. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que bien que le nom Dieu signifie l’essence, cependant, de
lui-même, il suppose celui qui possède l’essence et la chose de nature, même
si les personnes, que la foi distingue, ne sont pas comprises. C’est pourquoi
il peut être mis à la place d’une personne, même s’il n’est pas limité par un
autre terme. Et parce qu’il suppose la personne indistinctement, c’est
pourquoi dans le discours il peut représenter toute personne, de manière à
render vrai le discours. Par consequent, dans cette proposition, Dieu
engendre Dieu, le terme pris comme sujet tient lieu de père et dans le
prédicat il tient lieu de fils |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum quod hoc nomen Deus, proprie loquendo, nec est universale
nec singulare ; sed habet aliquid de ratione universalis, scilicet quod
praedicatur essentialiter de pluribus suppositis ; et inde habet quod ea quae
praedicantur de singulis suppositis, praedicantur de ipso : habet autem de
ratione singularis hoc quod non multiplicatur ad multitudinem suppositorum :
dicimus enim, quod Pater et Filius sunt unus Deus, sed Socrates et Plato sunt
plures homines : et ex parte ista habet hoc nomen Deus quod negatio et
affirmatio dictae de ipso [dictae de ipso om. Éd. de Parme]
opponuntur contradictorie : unde sicut istae non possunt simul esse verae,
Socrates currit et non currit ; ita nec istae, Deus generat et non generat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ce nom, Dieu, à proprement parler, n’est ni universel, ni
singulier ; mais il possède quelque chose du concept universel, à savoir
qu’il s’attribue essentiellement à plusieurs sujets ; et de là il tient
que ce qui s’attribue aux sujets individuels s’attribue à lui-même ;
mais il possède aussi quelque chose de la notion du singulier par cela qu’il
ne se multiplie pas à l’égard de la multiplicité des sujets : nous
disons en effet que le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais que Socrate et
Platon sont plusieurs hommes : et de ce côté ce nom Dieu tient que la
négation et l’affirmation qu’on dit de Lui [qu’on dit de lui om. Éd.
de Parme] s’opposent de manière contradictoire : de là, tout comme
ces propositions ne peuvent êre vraies simultanément, à savoir Socrate court
et Socrate ne court pas, de même ces propositions, à savoir Dieu engendre et
Dieu n’engendre pas, ne peuvent être vraies simultanément. |
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Articulus 3. lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus genuit se
Deum vel alium Deum |
Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou a-t-il engendré un autre Dieu ? |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod genuit vel se
Deum, vel alium Deum. Idem enim et diversum universaliter dividunt ens. Sed
se est relativum identitatis, alius autem importat diversitatem. Ergo oportet
dicere, quod genuit vel se Deum vel alium Deum. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce troisième article. Il semble ou bien qu’il se soit
engendré lui-même comme Dieu, ou bien qu’il ait engendré un autre Dieu. En
effet, le même et l’autre divisent tous les êtres. Mais le ¨soi-même¨ est un
relatif d’identité alors que ¨l’autre¨ implique la diversité. Il faut donc
dire que Dieu a engendré ou bien lui-même comme Dieu, ou bien un autre Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, ut supra dictum est, art. anteced., hoc nomen
‘Deus’ trahitur ad standum pro persona ex notionali adjuncto. Sed alius
importat distinctionem notionalem. Ergo ly alius hoc nomen Deus facit stare
pro persona. Sed
haec est vera : Deus genuit aliam personam divinam. Ergo et haec : Deus
genuit alium Deum. |
2. En outre, comme nous
l’avons dit plus haut dans l’article précédent, ce nom ¨Dieu¨ est entraîné à
tenir la place d’une personne à partir de l’ajout d’une notion. Mais l’autre
implique la distinction d’une notion. Donc le nom Dieu avec l’ajout de la
notion ¨autre¨ tient la place d’une personne. Mais cette proposition est
vraie : Dieu a engendré une autre personne divine. Donc celle-là l’est
aussi, à savoir que Dieu a engendré un autre Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg.
3 Item, videtur quod haec sit vera, Deus genuit se Deum. Idem enim, ut dicit
philosophus, V Metaph., cap. XV ; in ant. exempl., cap.
XVII, est unum in substantia, sicut aequale unum in quantitate. Sed sicut una
magnitudo est Patris et Filii, sic et una substantia. Ergo
sicut conceditur ista, Deus genuit aequalem Deum ; ita debet concedi ista,
Deus genuit eumdem Deum. Unde similiter et haec, Deus genuit se Deum, cum se sit
relativum identitatis. |
3. De plus, il semble que
cette proposition soit vraie, à savoir que Dieu s’est engendré lui-même comme
Dieu. Le même en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
ch. XV], est l’un dans la substance comme l’égal est l’un dans la quantité.
Mais tout comme la grandeur du Père et celle du Fils sont une, de même leur
substance est une. Donc, tout comme on concède cette proposition-ci, à savoir
que Dieu a engendré un Dieu égal, de même on doit concéder cette
proposition-là, à savoir que Dieu a engendré le même Dieu. D’où on dit
semblablement concéder cette autre proposition, à savoir que Dieu s’est
engendré soi-même comme Dieu, puisque ¨soi-même¨est un relatif d’identité. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg.
4 Item, quaeritur de aliis duabus propositionibus, scilicet, genuit Deum, qui
est Deus Pater, vel Deum qui non est Deus Pater. Videtur enim quod haec sit
falsa : genuit Deum qui est Deus Pater. Qui enim cum sit relativum,
facit secundam notitiam suppositorum. Sed iste terminus Deus, ad quem
refertur, stabat pro persona Filii. Ergo et relativum supponet personam
Filii. Sed haec est falsa : Filius est Deus Pater. Ergo et haec, Deus genuit
Deum, qui est Deus Pater. |
4. En outre, on s’interroge
sur ces deux propositions, à savoir que Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le
Père ou Dieu qui n’est pas Dieu le Père. Il semble en effet que cette
proposition soit fausse : Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le Père.
Puisque le pronom ¨qui¨ est un relatif, il fait une deuxième connaissance des
sujets. Mais ce terme Dieu auquel il réfère, tenait lieu de la personne du
Fils. Donc le relatif aussi supposait la personne du Fils. Mais cette
proposition, à savoir le Fils est Dieu le Père, est fausse. Donc celle-là
l’est aussi : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a.
3 arg. 5 Item, videtur quod etiam negativa sit falsa. Negatio enim respicit
terminum sequentem formalem. Ergo cum dicit, Deus genuit Deum qui non est
Deus Pater, a Filio, quem refert relativum, per negationem removetur ly Deus,
qui in praedicato ponitur, non tantum quantum ad suppositum, sed quantum ad
formam ; et ita divina essentia removebitur a Filio, quod falsum est. |
5. Il semble que
même la négative soit fausse. La négation en effet considère le terme qui
suit la proposition formelle. Donc, lorsqu’il dit que Dieu a engendré Dieu
qui n’est pas Dieu le Père, par la négation, ce Dieu, qui est placé dans le
prédicat, est écarté du Fils auquel réfère le relatif, non seulement quant au
sujet, mais aussi quant à la forme; et ainsi l’essence divine sera écartée du
Fils, ce qui est faux. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod Magister in littera negat utramque praemissarum ; eo
quod alius, cum notet diversitatem, ponit formam suam circa terminum cui
adjungitur, cum sit adjectivum, et ita designabitur diversitas in forma
divinitatis. Ly se autem cum sit relativum identitatis, refert idem
suppositum ; et ita cum dico : genuit se Deum, ponitur indistinctio suppositi
inter Patrem et Filium ; et cum dicitur, genuit alium Deum, ponitur
diversitas naturae ; et ideo utraque neganda est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le Maître, dans le document nie chacune des deux propositions du fait que
¨autre¨, signifiant la différence, pose sa forme sur le terme auquel il
s’ajoute, puisqu’il et un adjectif, et ainsi la différence sera notée dans la
forme de la divinité. Mais ce ¨soi¨, puiqu’il est un relatif d’identité, se
rapporte au même sujet ; et ainsi lorsque je dis : Dieu s’est engendré
soi-même comme Dieu, un manque de distinction du sujet est posé entre le Père
et le Fils ; et lorsqu’on dit que Dieu a engendré un autre Dieu, on pose
une diversité de nature ; et c’est pourquoi chacune des deux
propositions doit être niée. |
Sed sunt aliqui qui
distinguunt istam, genuit alium Deum ; quia ly alium potest teneri
substantive vel adjective. Si adjective, tunc erit locutio falsa, quia ponet
diversitatem circa hunc terminum Deus ; si substantive, tunc erit constructio
appositiva, et locutio erit vera, et erit sensus, genuit alium [Deum add/
Éd de Parme], qui est Deus. Sed, quia non invenitur quod adjectivum in
masculino genere substantivetur, et maxime cum adjungitur sibi substantivum,
ideo haec distinctio non videtur multum valere ; nisi forte subintelligatur
hoc participium ens ut dicatur alium entem Deum. Sed hoc erit nimis extortum
; et ideo dicendum cum Magistro quod utraque falsa est. |
Mais il y en a d’autres qui
nuancent cette proposition, à savoir Dieu a engendré un autre Dieu ; car
¨autre¨ peut être pris comme substantif ou comme adjectif. S’il est pris
comme adjectif, alors l’énoncé sera faux car il posera une différence par
rapport à ce terme, Dieu ; s’il est pris comme substantif, alors il y
aura une apposition et l’énoncé sera vrai et aura pour signification que Dieu
a engendré un autre [Dieu add. Éd. de Parme] qui est Dieu. Mais parce qu’il
n’arrive pas que l’adjectif dans le genre masculin devienne un substantif, et
principalement lorsqu’un substantif lui est ajouté, c’est pourquoi cette distinction
ne semble pas avoir une grande valeur, à moins peut-être qu’on ne
sous-entende le participe ¨étant¨, comme lorsqu’on dit que Dieu a
engendré un autre étant Dieu. Mais cette expression sera trop forcée ;
et c’est pourquoi il faut dire comme le Maître que chacune des deux
propositions est fausse. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod idem et diversum sufficienter dividunt ens creatum, propter hoc quod
ubicumque in creaturis est diversitas suppositorum, est diversitas essentiae
; sed in Deo in diversis suppositis est una essentia : et ideo nec identitas
competit propter diversitatem suppositorum nec diversitas propter identitatem
essentiae ; sed tantum unitas. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le même et l’autre divisent l’être créé avec satisfaction
pour cette raison que partout où il y a une diversité de sujets dans les
créatures, il y a aussi une diversité de nature. Mais en Dieu il n’y a qu’une
seule essence dans les différents sujets : et c’est pourquoi l’identité
ne se rencontre pas à cause de la diversité des sujets et que la diversité ne
se rencontre pas à cause de l’identité de l’essence : on ne retrouve
alors que l’unité. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod alius importat distinctionem in communi, non magis
personalem quam essentialem : et ideo quando adjungitur termino personali,
importat distinctionem personalem ; quando autem adjungitur termino
essentiali, importat diversitatem essentiae, secundum exigentiam formae
illius termini ; cum termini, praecipue substantiales, recipiant diversitatem
et pluralitatem ex parte suae formae. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le terme ¨autre¨ implique une distinction universelle, et non pas
une distinction qui serait davantage personnelle qu’essentielle : et
c’est pourquoi, quand il est ajouté à un terme personnel, il implique une
distinction personnelle ; mais quand il est ajouté à un terme essentiel,
il implique une diversité d’essence, d’après l’exigence de la forme de ce
terme, puisque les termes, principalement ceux qui sont substantiels,
reçoivent la diversité et la pluralité du côté de leur forme. |
Ad tertium dicendum, quod
idem significat unitatem in substantia ; et praeter hoc, quia relativum est
et habet articulationem implicitam, importat unitatem suppositi, et multo
plus hoc pronomen se, quod est etiam relativum reciprocum, quod non est
reperire in hoc nomine aequale : et ideo non est simile quod pro simili
inducitur. |
3. En troisième lieu il faut
dire que le même signifie l’identité de substance ; et en outre, parce
qu’il est un relatif et qu’il possède une articulation implicite, il implique
l’unité du sujet ; et il en est encore bien davantage ainsi pour le
pronom ¨soi¨, qui est aussi un relatif réciproque, ce qui ne se rencontre pas
par rapport au mot ¨égal¨ : et c’est pourquoi ce qui est introduit comme
un semblable ne l’est pas. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 4
Ad quartum dicendum, quod Magister distinguit utramque illarum propositionum.
Si enim cum dicitur, Deus genuit Deum, qui est Deus Pater, ly Pater
construitur appositive ad ly Deus, locutio falsa est : quia tunc ly Deus
restringetur ad standum pro persona patris ; et sic erit sensus : genuit
Deum, qui est ipse Pater : et sic affirmativa falsa est, et negativa vera. Si
autem intelligantur non per appositionem, sed mediate conjungi illi duo
termini, scilicet Deus, et Pater ; ut sit sensus : genuit Deum qui est Deus
et Deus est Pater ; tunc affirmativa vera est, et negativa falsa. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le Maître a distingué chacune de ces propositions. Si en effet,
lorsqu’on dit : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père, ce Père est
construit appositivement à ce Dieu, l’expression est fausse : car alors
ce Dieu est limité à représenter la personne du père ; et ainsi le sens
sera : Dieu a engendré Dieu qui est le Père lui-même : et ainsi
l’affirmative sera fausse et la négative vraie. Mais si les termes ne sont
pas pris par apposition, mais que ces deux termes, à savoir Dieu et le Père,
sont pris comme réunis au milieu, de manière à ce que le sens soit :
Dieu, qui est Dieu le Père, a engendré Dieu, alors l’affirmative sera vraie
et la négative fausse. |
Praepositivus tamen dixit,
quod utraque falsa est, nec sunt contradictoriae propter diversam
suppositionem hujus relativi qui : in affirmativis enim refert tantum
suppositum antecedentis, et cum antecedens supponat pro persona filii,
referret personam filii, de qua non est verum dicere, quod sit Deus
pater. In negativa vero relativum refert non tantum
suppositum, sed etiam essentiam. Unde oporteret quod hoc praedicatum Deus
pater removeretur non tantum a supposito filii, sed etiam ab essentia : et
ita falsa est. |
Cependant la conjunction prepositive dit que chacune des deux est fausse, et elles ne sont pas contradictoires à cause de la supposition différente du relatif ¨qui¨: dans les affirmatives en effet il se rapporte seulement au sujet de l’antécédent, et comme l’antécédent suppose comme personne le Fils, il se rapporterait à la personne du Fils au sujet de laquelle il n’est pas vrai de dire qu’elle est Dieu le Père. Mais dans la negative le relative ne se rapporte pas seulement au sujet mais aussi à l’essence. D’où il faudrait que le prédicat, Dieu le Père, soit écarté non seulement du sujet, le Fils, mais aussi de l’essence: et ainsi elle serait fausse. |
Sed quia hac distinctione
facta, adhuc habet locum distinctio Magistri, et praecipue in affirmativa ;
et iterum quia non videtur necessarium esse quod in negativis relativum
referat aliter quam in affirmativis, nisi forte propter negationem, cujus est
confundere terminum et facere eum teneri simpliciter (quod tamen non habet
respectu praecedentis, sed tantum respectu sequentis) : ideo videtur
efficacior via Magistri, et secundum ipsum concedendum est, quod utraque
potest esse vera et falsa ; secundum cujus distinctionem patet solutio ad
quartum argumentum. |
Mais parce que, cette
distinction étant faite, la distinction du Maître a encore sa place et
principalement dans l’affirmative ; et en outre parce qu’il ne semble
pas qu’il soit nécessaire que dans les négatives le relatif se rapporte
autrement que dans les affirmatives, excepté peut-être à cause de la négation
à laquelle il appartient de confondre le terme et de le faire prendre
absolument (ce qu’elle ne fait cependant pas par rapport à ce qui précède,
mais seulement par rapport à ce qui suit) : c’est pourquoi la démarche
du Maître semble plus efficace et conformément à lui il faut concéder que
chacune des deux propositions peut être vraie et fausse ; et c’est d’après
cette distinction que la solution à la quatrième difficulté apparaît. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 5
Ad quintum dicendum, quod quando duo termini contrahuntur per appositionem,
terminus appositus efficitur quasi forma ei cui apponitur. Unde si
intelligatur appositive : genuit Deum qui non est Deus Pater, negatio non
removebit formam divinitatis sed paternitatis a Filio. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que quand deux termes se trouvent à être réunis par apposition, le terme
qui est apposé est établi comme la forme pour le terme auquel il est apposé.
De là, si l’expression, à savoir Celui qui n’est pas Dieu le Père a engendré
Dieu est entendue dans sa forme appositive, la négation n’enlèvera pas la
forme de la divinité, mais enlèvera du Fils la forme de la paternité. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’attribution divine] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de divina
praedicatione. Et circa hoc duo quaeruntur : 1 utrum possit fieri
praedicatio in divinis per propositionem aliquam ; 2 utrum possit persona
praedicari de essentia. |
Livre 1, dist. 4, quest. 2, proème. On s’interroge ensuite sur les attributions qui
s’adressent à Dieu. Et à ce sujet on se demande deux choses : 1. Est-il possible qu’il y ait attribution à Dieu au
moyen d’une proposition ? 2. Est-ce qu’une personne peut être attribuée à
l’essence ? |
Articulus 1. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum de divinis
possit formari propositio |
Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de Dieu ? |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis non possit aliqua
formari propositio, in qua aliquid de ipso praedicetur. Veritas enim signi
consistit in conformitate signi ad signatum. Sed omnis praedicatio fit per
aliquam compositionem. Cum igitur in Deo nulla sit compositio, videtur quod
de ipso nulla possit formari vera praedicatio. |
Difficultés: 1. Il semble qu’on
ne puisse former une proposition sur Dieu dans laquelle un prédicat serait
attribué à un sujet. En effet, la vérité du signe consiste dans la conformité
du signe au signifié. Mais toute attribution est produite au moyen d’une
composition. Donc, puisqu’il n’y a en Dieu aucune composition, il semble
qu’on ne puisse former à son sujet aucune veritable attribution. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 Item Dionysius, cap. II caelest hierar., §
3 142 : in Deo negationes sunt verae affirmationes incompactae. Appellatur
autem incompactum illud quod non est debito modo ordinatum, nec est
competens. Sed talis inordinatio inducit falsitatem in
propositionibus. Ergo videtur idem quod prius. |
2. En outre, Denys
[La Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 3, 142] dit: En Dieu les
négations sont de vraies affirmations qui sont défectueuses. Mais on
appelle défectueux ce qui n’est pas ordonné de la manière qui est juste et
qui ne convient pas. Mais un tel défaut d’ordre introduit de la fausseté dans
les propositions. Il semble donc que la conclusion soit la même que la
précédente. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra ; fidei non potest subesse falsum. Sed multae propositiones
affirmativae enunciantur a nobis de Deo secundum fidem nostram, scilicet quod
Deus est trinus et unus. Ergo videtur quod de Deo possit formari vera
propositio. |
Cependant : 1. Mais la foi ne peut se fonder sur le faux. Mais nous
formons plusieurs propositions affirmatives sur Dieu conformément à notre
foi, par exemple que Dieu est à la fois trine et un. Il semble donc que de
vraies propositions puissent être formées au sujet de Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2
Item, secundum Boetium, nulla propositio est verior illa in qua idem de se
praedicatur. Sed quidquid est in divinis, est idem re, cum in Deo sit idem
habens et habitum, et quod est et quo est, excepto quod una persona non est
alia. Ergo videtur quod de Deo possint formari verissimae locutiones. |
2. En outre, d’après Boèce,
aucune proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le même est
attribué au même. Mais tout ce qui est en Dieu est le même par la chose,
puisqu’en Dieu est identique à la fois ce qui possède et ce qui est possédé,
la chose qui existe et ce par quoi elle existe, à l’exception qu’une seule et
même personne n’est pas l’autre. Il semble donc que les propositions les plus
vraies puissent être formées au sujet de Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod enuntiatio sequitur apprehensionem. Unde secundum quod intelligimus aliqua, oportet quod
enuntiemus illa. Apprehensio autem fit secundum potestatem apprehendentis ;
et ideo ea quae sunt simplicia intellectus noster enuntiat per modum cujusdam
compositionis ; sicut e contrario Deus intelligit res compositas modo
simplici : et inde est quod intellectus noster de Deo format propositiones ad
modum rerum compositarum, a quibus naturaliter cognitionem accipit. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’énonciation suit la compréhension. De là, il faut que nous énoncions
les choses conformément à la manière dont nous les comprenons. Mais la
compréhension se produit conformément à la puissance de celui qui
comprend ; et c’est pourquoi notre intelligence énonce par mode de composition
les choses qui sont simples, tout comme au contraire Dieu saisit les choses
composées d’après un mode qui est simple : et il suit de là que notre
intelligence forme sur Dieu des propositions d’après le mode qu’il applique
aux choses composées desquelles il reçoit naturellement la connaissance. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod intellectus noster deficit a cognitione divinae
majestatis, similiter etiam et enuntiatio deficit a significatione perfecta ;
nihilominus tamen est veritas, inquantum intellectus formans enuntiationem
accipit duo quae sunt diversa secundum modum et idem secundum rem. Unde
secundum diversitatem rationum format praedicatum et subjectum, et secundum
identitatem componit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que notre intelligence est loin de connaître la divine majesté tout comme notre discours est aussi loin de la signifier parfaitement ; néanmoins, il y a cependant là vérité dans la mesure où notre intelligence en formant l’énonciation reçoit deux choses qui sont différentes selon le mode et identitques selon la chose. Ensuite, conformément à la diversité des notions elle forme un prédicat et un sujet, et conformément à l’identité elle les compose. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod affirmativae propositiones pro tanto dicuntur
incompactae in divinis, quia nihil eorum quae praedicantur de ipso
significant ipsum per modum quo ipse est, sed per modum quo intellectus
noster accipit ex rebus creatis informatus. Unde oportet quod nomina illa
praedicata de Deo intelligantur praedicari remotis illis modis quibus de
creaturis praedicantur. Unde Dionysius, de divin nomin., cap.
VII, 866, omnes divinas praedicationes ita docet exponere : Deus est sapiens,
et non sapiens, scilicet sicut alia, ut differat in eo sapientia a sapiente ;
sed est supersapiens, inquantum est in ipso nobiliori modo sapientia quam
significetur per nomen. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’on dit que les propositions affirmatives attribuées à Dieu sont
d’autant plus défectueuses que rien en elles de ce qui Lui est attribué ne Le
signifie à la manière dont Lui-même existe, mais seulement à la manière dont
notre intelligence reçoit l’information des choses créées. De là il faut que
ces noms qu’on attribue à Dieu soient compris comme étant attribués sans ces
modalités d’après lesquelles on les attribue aux créatures. C’est pourquoi
Denys [Les Noms Divins, ch. VII, 866] enseigne qu’il faut
expliquer de la manière qui suit toutes les attributions qu’on fait à
Dieu : Dieu est sage et il n’est pas sage comme les autres le sont,
c’est-à-dire de telle manière qu’en Lui différerait la sagesse et celui qui
est sage ; au contraire, il est sage au-delà de toute sagesse, selon que
la sagesse en Lui existe selon un mode plus excellent que celui qui est
signifié par le nom. |
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Articulus 2. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 tit. Utrum persona
possit praedicari de essentia |
Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à l'essence ? |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod persona non
possit praedicari de essentia. Praedicatum enim habet rationem formae. Sed
persona est suppositum formae, vel naturae. Ergo persona non habet rationem
quod praedicetur de natura vel essentia. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à cette deuxième question. Il semble que la personne ne
puisse être attribuée à l’essence. En effet, le prédicat a raison de forme.
Mais la personne est le sujet de la forme ou de la nature. Donc la personne
n’a pas raison d’être attribuée à la nature ou à l’essence. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, praedicatum semper significatur inesse
subjecto. Persona
autem non significatur ut inhaerens essentiae, sed e converso. Ergo persona
non potest praedicari de essentia. |
2. En outre, le prédicat est
toujours signifié comme appartenant au sujet. Mais la personne n’est pas
signifiée comme appartenant à l’essence, mais c’est plutôt l’inverse qui se
produit. Donc la personne ne peut être attribuée à l’essence. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 3
Item, superius per se praedicatur de suo inferiori, sicut homo de Socrate ;
sed Socrates accidentali praedicatione praedicatur de homine ; accidit enim
homini esse Socratem. Sed sicut Socrates est suppositum humanae naturae, ita
Pater est suppositum naturae divinae. Ergo videtur quod haec non sit vera,
Deus est Pater, nisi forte per accidens. |
3. De plus, le supérieur
s’attribue de lui-même ou essentiellement à son inférieur, comme l’homme
s’attribue à Socrate. Mais Socrate s’attribue accidentellement à
l’homme ; en effet, il est accidentel à l’homme d’être Socrate. Mais
tout comme Socrate est le sujet de la nature humaine, de même le Père est le
sujet de la nature divine. Il semble donc qu’il ne soit pas vrai de dire que
Dieu est le Père, sauf peut-être par accident. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4
Item, sicut dictum est, Sup., qu. 1, art. 2, hoc nomen Deus, quantum est de
se, supponit personam. Sed haec est falsa : una persona est Pater et Filius
et Spiritus sanctus. Ergo haec etiam : unus Deus est Pater et Filius et Spiritus
sanctus. |
4. En outre, comme nous
l’avons dit plus haut [quest. 1, art. 2], ce nom Dieu, en tant que tel,
suppose une personne. Mais cette proposition est fausse, à savoir qu’une
seule et même personne est à la fois le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc
cette proposition elle aussi est fausse, à savoir qu’un même Dieu est à la
fois Père, Fils et Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 5
Item videtur quod haec etiam sit falsa, Deus est Trinitas. Nihil enim
praedicatur de homine quod non praedicetur de aliquo supposito hominis. Sed
Trinitas neque praedicatur de Patre neque de Filio neque de Spiritu sancto.
Ergo per eamdem rationem non potest dici quod Deus sit Trinitas. |
5. Par ailleurs il semble que cette autre proposition
soit fausse : Dieu est Trinité. Rien en effet n’est attribué à l’homme
qui ne soit pas attribué à un sujet de l’homme. Mais la Trinité n’est
attribuée ni au Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit. Donc, pour la même
raison on ne peut dire que Dieu soit Trinité. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod in divinis est omnino indifferentia naturae ad
suppositum ; et ideo nec est ibi universale neque particulare : et ideo sicut
vere praedicatur essentia de persona, ita et e converso. Sed verum est quod
quantum ad modum significandi plus habet de proprietate propositio in qua
praedicatur essentia, quam in qua praedicatur persona, cum praedicatum se
habeat loco formae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a absolument aucune différence entre la nature et le sujet dans les
personnes divines ; et c’est pourquoi il n’y a pas lieu de
distinguer dans ce cas l’universel du particulier : et c’est pour cette
raison que tout comme l’essence s’attribue véritablement à la personne, de
même inversement la personne s’attribue véritablement à l’essence. Mais quant
au mode de signifier lui-même, il est vrai que la proposition dans laquelle
l’essence s’attribue est possède plus d’intelligibilité que celle dans
laquelle la personne s’attribue, puisque le prédicat tient lieu de forme. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis persona sit suppositum, nihilominus tamen
propter indifferentiam suppositi ad naturam persona est aequalis
simplicitatis cum natura ; et ideo de se conversim praedicantur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la personne soit le sujet, néanmoins cependant en
raison de l’absence de différence entre le sujet et la nature, la personne
est égale à la nature en simplicité ; et c’est pourquoi ils s’attribuent
réciproquement l’un à l’autre. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum : quia in Deo habens
et habitum sunt idem re. |
2. Et par là on
voit la solution à la deuxième difficulté car en Dieu celui qui possède est
identique par la chose à ce qui est possédé. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in divinis non est aliquid accidentale, nec est ibi
universale et particulare ; et ideo nihil dicitur ibi per accidens, neque per
consequens, sicut in creaturis ; sed tantum attenditur ibi alius et alius
modus significandi. |
3. Il fuat dire en
troisième lieu qu’en Dieu il n’y a rien d’accidentel, et il n’y a là ni
universel ni particulier; et c’est pourquoi il n’y a rien là qui soit dit par
accident et par conséquent comme dans les créatures; mais il faut seulement
comprendre qu’il y a là plusieurs manières de signifier. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod hoc nomen Deus, quantum est de se, quamvis supponat
pro persona, nihilominus tamen non supponit pro aliqua persona distincte,
immo indeterminate ; nec forma significata per nomen Deus, a qua nomen
imponitur, est proprietas personalis, sed potius [potius om.. Éd. de
Parme] natura communis : et ideo unitas significata per hoc adjectivum
unus, refertur ad formam divinitatis, et non ad suppositum. Sed hoc nomen
persona imponitur a personali proprietate, quae est forma significata per
terminum ; et ideo haec est falsa : una persona est Pater et Filius et
Spiritus sanctus ; quia significaretur una personalitas trium personarum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ce nom, Dieu, en tant que tel, bien qu’il suppose une personne,
néanmoins il ne suppose pas une personne distinctement mais bien plutôt d’une
manière indéterminée ; et la forme signifiée par le nom Dieu, à partir
de laquelle le nom est imposé, n’est pas une propriété personnelle mais
plutôt une nature commune : et c’est pourquoi l’unité signifiée par
l’adjectif ¨un¨ se rapporte à la forme de la divinité et non au sujet. Mais
le nom personne est imposé à partir d’une propriété personnelle, laquelle est
la forme signifiée par le terme ; et c’est pourquoi cette proposition
est fausse : une même personne est à la fois le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint, car alors une seule des trois personnes serait signifiée. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Pater supponit personam distinctam, similiter et
Filius et Spiritus sanctus ; sed hoc nomen Deus supponit personam
indeterminate ; et ideo ratione indeterminationis aliquid potest praedicari
de Deo quod de nulla distinctarum personarum praedicatur : sicut etiam de
homine dicitur, quod nulli singularium convenit esse commune vel speciem vel
aliquid hujusmodi. Quod autem plures personae hominum non possunt simul
praedicari de hoc nomine homo, ratio est quia plures personae non sunt unus
homo sicut plures personae sunt unus Deus et Trinitas ; et ideo convenienter
dicitur : Deus est tres personae vel Trinitas [vel Trinitas om. Éd.
de Parme]. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que le Père suppose une personne distincte, tout comme le Fils et
l’Esprit-Saint ; mais le nom Dieu suppose la personne d’une manière
indéterminée ; et c’est pourquoi, en raison de cette indétermination,
quelque chose peut être attribué à Dieu qui ne peut être attribué à aucune
des personnes prise séparément : tout comme aussi se dit de l’homme ce
qui est commun ou l’espèce ou quelque chose de la sorte qui ne convient à
aucun des individus. Mais que plusieurs personnes humaines ne puissent être
simultanément être attribuées à ce nom ¨homme¨, la raison en est que
plusieurs personnes ne sont pas un seul et même homme comme plusieurs
personnes divines sont un seul et même Dieu et la Trinité ; et c’est
pourquoi on dit avec raison que Dieu est trois personnes ou la Trinité [ou la
Trinité om. Éd. de Parme] |
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Distinctio 5 |
Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de Dieu dans l’abstrait] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis de tribus quaeritur : primo utrum essentia se
habeat ad generationem sicut generans. Secundo utrum se habeat
sicut de quo est generatio. Tertio utrum se habeat
sicut id quod est terminus generationis. Circa primum duo
quaeruntur : 1 utrum essentia generet ; 2 dato quod non, utrum
similiter sit in omnibus aliis essentialibus nominibus. |
Pour comprendre cette partie on s’interroge sur trois
points : 1. En premier lieu est-ce que l’essence se rapporte à la
génération comme ce qui engendre ? 2. En deuxième lieu est-ce qu’elle s’y rapporte comme au
sujet de la génération ? 3. En troisième lieu, est-ce qu’elle y est présente en
tant que terme de la génération ? Au sujet du premier point on se demande deux
choses : 1. Est-ce que l’essence engendre ? 2. Si on accorde que non, est-ce que l’essence se
présente de la même manière dans tous les autres noms essentiels ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de la génération comme ce qui engendre ?] |
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Articulus 1. lib. 1 d. 5 q. 1
a. 1 tit. Utrum essentia generet. |
Article 1 – L’essence engendre-t-elle ? |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod essentia generet. Major enim
est oppositio affirmationis et negationis, quam relationis. Sed oppositio
relationis facit in divinis ut una persona non sit alia. Ergo fortius faciet
hoc contradictio. Sed persona Patris est generans. Si igitur essentia non
generet, Pater non erit essentia ; quod est impossibile. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit à l’égard de ce premier article. Il semble que l’essence engendre.
L’opposition de l’affirmation et de la négation est plus grande que
l’opposition de relation. Mais dans la relation, l’opposition fait que dans
les personnes divines une personne n’est pas l’autre. Donc, l’opposition de
contradiction fera cela à plus forte raison. Mais la personne du Père
engendre. Si donc l’essence n’engendre pas, le Père ne sera pas
l’essence : ce qui est impossible. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, quidquid praedicatur de aliquo potest supponere illud. Sed
essentia praedicatur de patre et vere. Ergo potest supponere pro Patre, et ita
potest recipere praedicationem Patris. Ergo potest concedi quod essentia
generet. |
2. De plus, tout ce qui est
attribué à une chose peut lui être substitué. Mais l’essence est attribuée au
Père et en vérité. Elle peut donc être substituée au Père et ainsi elle peut
recevoir l’attribution du Père. On peut donc concéder que l’essence engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 3
Item, si essentia est Pater, ergo est Pater Filii. Sed relativa dicuntur ad
convertentiam. Ergo et Filius erit Filius essentiae. Ergo essentia generat. |
3. En outre, si l’essence est
le Père, elle est donc le Père du Fils. Mais les relatifs se disent suivant
la conversion. Donc le Fils sera le Fils de l’essence. Donc l’essence
engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 4
Item, essentia est res generans. Sed res generans est generans. Ergo essentia
est generans. |
4. De plus, l’essence est une
chose qui engendre. Mais une chose qui engendre engendre. Donc l’essence
engendre. |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, sicut se habet essentia ad personam, ita persona
ad essentiam. Sed de persona praedicantur attributa essentiae, sicut potentia,
bonitas, et cetera. Ergo et de essentia proprietates personae. Ergo potest
dici, quod essentia est generans. |
5. Par ailleurs, l’essence
est à la personne ce que la personne est à l’essence. Mais les attributs de
l’essence, comme la puissance, la bonté et les autres caractères de cette
sorte sont attibués à la personne. Donc les propriétés de la personnes le
sont à l’essence. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contrarium ostenditur per rationes Magistri. |
Cependant : Le maître manifeste le contraire au moyen de raisonnements. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod in creaturis actus sunt suppositorum ; et essentia
non agit, sed est principium actus in supposito : non enim humanitas generat,
sed Socrates virtute suae naturae. In creaturis autem essentia realiter
differt a supposito ; et ideo nullus actus proprie de essentia praedicatur
nisi causaliter. In divinis autem essentia realiter non differt a supposito,
sed solum ratione, sive quantum ad modum significandi : quia suppositum est
distinctum, et essentia est communis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans les créatures les actes appartiennent aux individus et que l’essence
n’agit pas d’elle-même mais elle est le principe de l’acte dans
l’individu : en effet, ce n’est pas l’humanité qui engendre, mais
Socrate par la puissance de sa nature. Mais dans les créatures, l’essence
diffère réellement de l’individu : et c’est pourquoi aucun acte n’est attribué
proprement à l’essence, si ce n’est comme à sa cause. Mais dans les personnes
divines l’essence ne diffère par réellement ou par la chose de l’individu,
mais seulement par la raison, ou quant au mode de signifier, car l’individu
est distinct alors que l’essence est commune. |
Et ideo in divinis quaecumque
praedicantur de supposito non secundum modum quo differt ab essentia,
praedicantur etiam de essentia : dicimus enim, quod essentia creat et
gubernat et hujusmodi. Sed actus qui dicitur de supposito secundum modum
secundum quem differt ab essentia, non potest de essentia praedicari ; et
hujusmodi est actus generandi, qui praedicatur de supposito Patris, secundum
quod distinctum est a supposito Filii : unde non est concedendum quod
essentia generet, sed quod Pater generat virtute essentiae, vel naturae. Unde
etiam dicit Damascenus, lib. I Fid. Orth., cap. VIII, quod
generatio est opus divinae naturae existens. |
Et c’est pourquoi dans les
personnes divines tout ce qui est attribué à l’individu, mais non selon le
mode par lequel il diffère de l’essence, s’attribue aussi à l’essence :
nous disons en effet que l’essence crée, gouverne, etc. Mais l’acte qui
s’attribue à l’individu, d’après le mode selon lequel il diffère de
l’essence, ne peut s’attribuer à l’essence ; et l’acte d’engendrer est
de cette sorte, lequel s’attribue à cet individu qu’est le Père selon qu’il
est distinct de cet individu qu’est le Fils : il ne faut par conséquent
pas concéder que l’essence engendre, mais plutôt que le Père engendre par la
puissance de l’essence ou de la nature. Et c’est pourquoi Damascène dit aussi
[1 De la Foi Orthodoxe, ch. VIII] que la génératioin
est l’œuvre de la nature divine existante. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod affirmatio et negatio dicuntur maxime opponi, quia
in eis non importatur aliqua convenientia : in privative enim oppositis
importatur convenientia quantum ad subjectum, quia nata sunt fieri circa idem
; in contrariis autem relativis etiam quantum ad genus, quia scilicet sunt in
eodem genere. Unde in utraque oppositione utrumque extremorum significatur
per modum entis et naturae cujusdam. Illud autem in quo invenitur aliquid non
permixtum contrario, est maximum et primum in genere illo, et causa omnium
aliorum ; et ideo oppositio affirmationis et negationis, cui non admiscetur
aliqua convenientia, est prima et maxima oppositio, et causa omnis
oppositionis et distinctionis ; et ideo oportet quod in qualibet alia
oppositione includatur affirmatio et negatio, sicut primum in posteriori. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on dit que l’affirmation et la négation est l’opposition la
plus grande car il n’y a entre elles rien de commun : en effet, dans les
opposés par la privation il y a un rapport quant au sujet car ils sont aptes
à se produire dans un même sujet ; mais dans les contraires par la
relation il y a un rapport quant au genre puisqu’ils sont dans le même genre.
C’est pourquoi dans ces deux sortes d’oppositions chacun des extrêmes est
signifié à la manière d’un être et d’une certaine nature. Mais ce en quoi se
retrouve quelque chose sans être mélangé à son contraire est ce qu’il y a de
premier et de plus excellent dans ce genre et qui est la cause de tous les
autres ; et c’est pourquoi l’opposition de l’affirmation et de la
négation, dans laquelle rien de commun ne se mêle, est la première et la plus
grande opposition, et la cause de toute opposition et de toute
distinction ; et c’est pourquoi il faut que dans toute autre opposition
soient comprises l’affirmation et la négation, comme ce qui est premier est
compris dans ce qui est second. |
Unde plura requiruntur ad
alias oppositiones quam ad oppositionem contradictionis, quia se habent ex
additione ad ipsam. Unde non oportet quod, si contrarietas non inveniatur nisi
in diversis realiter, quod affirmatio et negatio inveniatur in diversis
realiter ; immo sufficit etiam distinctio rationis ad affirmationem et
negationem, cum quaelibet distinctio, ut dictum est, includat affirmationem
et negationem : et talis distinctio, scilicet rationis, est inter essentiam
et personam. Sed opposita relative aliquando requirunt diversitatem vel
distinctionem realem ; et talia sunt quae divinas personas distinguunt :
aliquando autem distinctionem rationis tantum ; ut cum dicitur idem eidem
idem : et hoc melius dicetur in Tractatu de relationibus, dist.
26, quaest. 2, art. 1. |
Et c’est pourquoi les autes
oppositions requièrent plus de conditions que l’opposition de contradiction
parce qu’elles sont constituées comme à partir d’éléments ajoutés à
l’opposition de contradiction. Par conséquent il ne faut pas que, si la
contrariété ne se retrouve que dans des sujets réllement différents, que
l’affirmation et la négation se retrouvent elles aussi dans des sujets
réellement différents ; au contraire, pour qu’il y ait affirmation et
négation, il suffit même qu’il y ait distinction de raison, puisque toute
distinction, ainsi que nous l’avons dit, comprend l’affirmation et la
négation : et une telle distinction, à savoir une distinction de raison,
se rapporte à l’essence et à la personne. Mais les opposés par la relation
exigent parfois une différence ou une distinction réelle ; et tels sont
les opposés qui distinguent les personnes divines ; mais parfois ils
n’impliquent qu’une distinction de raison, comme lorsqu’on dit que le même
est identique au même : et tout cela est mieux expliqué dans Le
Traité des Relations(dist. 26, quest. 2, art. 1). |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia non praedicatur de supposito ratione modi significandi
in utroque, sed ratione indifferentiae secundum rem propter simplicitatem
divinae naturae, et ideo non oportet quod supponat Patrem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence n’est pas attribuée à l’individu en raison du mode de
signifier qui est présent dans les deux, mais en raison de l’absence de
différence réelle ou selon la chose, à cause de la simplicité de la nature
divine et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle se substitue au
Père. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod cum dicitur essentia est Pater, est duplex locutio ex
eo quod ly Pater potest teneri quasi adjective, ut ponat formam suam circa
essentiam ; et sic falsa est, quia proprietates non determinant essentiam :
vel potest sumi substantive, et tunc supponit pater in praedicato pro persona
Patris ; et sic vera est, nec oportet quod fiat hoc modo conversio : ergo
Filius est Filius essentiae ; sed, ergo Filius est Filius Patris, qui est
essentia. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’on dit que l’essence est le Père, il y a là deux discours du
fait que Père peut être pris comme adjectif de manière à poser sa forme sur
l’essence ; et ainsi le discours est faux car les propriétés ne
déterminent pas l’essence ; mais Père peut être pris comme substantif et
alors père dans le prédicat est pris pour la personne du Père ; et ainsi
le discours est vrai et alors il ne faut pas que la conversion se produise de
cette façon : donc le Fils est le Fils de l’essence ; mais
plutôt : donc, le Fils est le Fils du Père, lequel est l’essence. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod cum dicitur, essentia est res generans, ly res potest
supponere essentiam, vel personam. Si essentiam, sic falsa est, quia sic
adjectivum poneret formam suam circa essentiam ; si personam, sic vera est ;
et tunc non sequitur : ergo essentia est generans, quia tunc non circa idem
ponetur forma adjectivi. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que lorsqu’on dit que l’essence est une chose qui engendre, la chose ici
peut être prise pour l’essence ou la personne. Si elle est prise pour
l’essence, alors la proposition est fausse car ainsi l’adjectif poserait sa
forme sur l’essence ; si elle est prise pour la personne, ainsi elle est
vraie et alors il ne s’ensuit pas : donc l’essence est ce qui
engendre car alors ce n’est pas sur la même chose qu’est posée la forme de
l’adjectif. |
ib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod cum essentia et persona differant in modo
significandi, illud quod praedicatur de persona ratione modi significandi
secundum quod ab essentia distinguitur, non praedicatur de essentia, ut
generans et genitum [generatum : alias Éd. de Parme] juiusmodi
similiter [etiam add. Éd. de Parme] est ex parte essentiae ;
illud enim quod praedicatur de essentia ratione modi significandi quo differt
a supposito distincto, non praedicatur de supposito ; sicut essentia est
communis tribus, tamen non potest dici hoc de aliqua personarum. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que puisque l’essence
et la personne diffèrent par le mode de signifier, ce qui est attribué à la
personne, comme ce qui engendre ou ce qui est engendré, en raison du mode de
signifier selon lequel elle se distingue de l’essence, ne s’attribue pas à
l’essence, et il en est de même du côté de l’essence : en effet, ce qui
est attribué à l’essence, en raison du mode de signifier par lequel elle
diffère d’un sujet distinct, ne s’attribue pas au sujet ; comme
l’essence est commune aux trois personnes, elle ne peut cependant être
atribuée à l’une des personnes. |
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Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum
actus generandi praedicetur de aliquo nominum essentialium |
Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des noms essentiels ?[7] |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod actus
generandi de nullo nominum essentialium praedicetur. Sicut enim tres personae
sunt una essentia, ita etiam sunt unus Deus. Sed, secundum rationem Magistri, non
potest dici essentia generare, ne notetur essentiae distinctio. Ergo
similiter non potest dici, Deus generat, ne sequatur deorum pluralitas. |
Difficultés : 1. Il semble que l’acte d’engendrer ne s’attribue à aucun des noms essentiels. En effet, tout comme les trois personnes sont une seule essence, de même encore elles sont un seul Dieu. Mais, d’après le raisonnement du Maître, on ne peut dire de l’essence qu’elle engendre afin de ne pas indiquer une distinction de l’essence. Donc, de la même manière on ne peut dire que Dieu engendre pour ne pas que s’ensuive une pluralité de dieux. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2
Item, persona et hypostasis et substantia non dicuntur relative. Sed,
secundum Magistrum, ideo essentia non potest dici generare, quia relative non
dicitur. Ergo similiter nec persona vel hypostasis. |
2. En outre, la personne et
l’hypostase et la substance ne se disent pas relativement. Mais, d’après le
Maître, on ne peut dire que l’essence engendre par ce qu’elle ne se dit pas
relativement. Il en est donc de même pour la personne ou l’hypostase. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3
Item, ista nomina, natura, bonitas et hujusmodi, sunt aequalis abstractionis
sicut essentia. Si igitur essentia propter modum significandi in abstracto
non potest generare, ergo videtur quod nec aliquod aliorum. |
3. De plus, ces noms, à savoir nature, bonté etc., sont d’une abstraction égale à celle de l’essence. Si donc l’essence, en raison de son mode de signifier dans l’abstrait, ne peut engendrer, il semble donc que les autres noms ne le puissent pas davantage. |
lib. 1
d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contrarium ostenditur per multas auctoritates in
littera. |
Cependant : De nombreuses autorités
présentées dans le document manifestent le contraire. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art. praec. in corp., generare
proprie convenit supposito inquantum distinctum ; et ideo quanto magis
appropinquat nomen ad suppositum distinctum, tanto verius potest praedicari
de ipso actus generandi. Unde haec est propriissima, Pater generat, quia
imponitur nomen patris a proprietate distinguente. Et similiter potest dici,
persona generat, quia nomen personae imponitur a proprietate communi, quae
dicitur personalitas : et consequenter minus proprie dicitur, Deus generat ;
quia, quamvis claudat in se suppositum, non tamen suppositum distinctum ; nec
imponitur nomen a proprietate distinguente, sed ab essentia communi. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent, il
appartient au sujet en tant que distinct d’engendrer ; et c’est pourquoi
l’acte d’engendrer peut s’attribuer avec d’autant plus de vérité que le nom
(auquel il s’attibue ) s’approche davantage du sujet distinct. C’est pourquoi
c’est la proposition suivante qui est la plus appropriée : le Père
engendre ; car le nom de Père est imposé à partir d’une propriété qui le
distingue. Et on peut même dire que la personne engendre, car le nom de
personne est imposé à partir d’une propriété commune qu’on appelle la
personnalité : et par conséquent on le dit moins proprement, tout comme
on dit moins proprement que Dieu engendre car bien que le terme Dieu enferme
en lui le suppôt, il ne contient cependant pas le suppôt distinct et le nom
n’est pas imposé à partir d’une propriété qui le distingue, mais à partir de
l’essence commune. |
In omnibus autem abstractis etiam est ordo : quia quaedam ordinem dicunt ad actum, sicut virtus, bonitas, lux, natura et hujusmodi : et quia actus sunt suppositorum, ideo in istis invenitur dictum, quod sapientia generat vel natura generat ; tamen hujusmodi locutiones non sunt extendendae, sed pie intelligendae. Quaedam vero nomina sunt quae non dicunt ordinem ad operationem, sed tantum imponuntur secundum rationem nominis ab actu substandi, sicut substantia. Unde hoc nomen substantia adhuc accedit ad rationem suppositi, sed hoc nomen essentia removetur omnino a ratione suppositi : et ideo minime potest dici, quod essentia generet. Si tamen inveniretur, esset exponenda, essentia generat, idest Pater, qui est essentia. |
Cependant dans tous les termes abstraits aussi il y a un
ordre : car certains expriment un ordre en direction d’un acte, comme la
vertu, la bonté, la lumière, la nature, etc. : et parce que les actes
appartiennent aux suppôts, c’est pourquoi pour ces termes il arrive de dire
que la sagesse engendre ou que la nature engendre ; cependant de telles
expressions ne doivent pas s’étendre mais s’entendre bienveillamment. Mais il
y a des noms qui ne disent pas un ordre à une opération, mais sont seulement
imposés d’après la notion du nom de l’acte de subsister, comme le terme
substance. Par conséquent le nom substance atteint encore la
notion de suppôt, mais le nom d’essence s’écarte absolument de la notion de
suppôt : et c’est pourquoi on peut moins dire que l’essence engendre. Si
cependant cela se produisait, il faudrait expliquer cette expression, à
savoir l’essence engendre, en disant que c’est le Père, qui est l’essence,
qui engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod hoc nomen Deus includit in se suppositum
indeterminate, et ratione ejus a quo nomen imponitur, includit in se naturam
: unde ratione modi significandi est quasi medium inter essentiam et personam
distinctam : et ideo nec repugnat sibi modus essentiae ratione
indeterminationis, nec modus distinctae personae ratione suppositi : et ideo
potest dici, Deus generat, et, Deus est communis tribus personis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce nom, à savoir Dieu, inclut en lui le suppôt d’une manière
indéterminée, et en raison de ce à partir de quoi ce nom est imposé, il
inclut aussi en lui la nature : c’est pourquoi, en raison de son mode de
signifier, il est comme intermédiaire entre l’essence et la personne
distincte : et c’est pourquoi ni le mode de l’essence en raison de
l’indétermination, ni le mode de la personne distincte en raison du suppôt ne
s’oppose à ce nom ; et c’est pourquoi on peut dire que Dieu engendre et
que Dieu est commun aux trois personnes. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod relativum in divinis multipliciter dicitur ;
propriissime enim relativum est quod secundum suum nomen ad aliud refertur,
ut Pater. Aliud autem dicitur relativum quod sequitur vel causat relationem,
sicut generatio et generare. Aliud autem quod implicite claudit in se
relationem, sicut Trinitas personas distinctas relatione ; et hoc nomen
persona includit in se relationem distinguentem. Aliud autem potest dici
relativum, inquantum pro relatione ponitur, sicut Deus, et etiam quaedam
nomina abstracta, cujus ratio dicta est in corpore. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les personnes divines ¨relatif¨ se dit en plusieurs sens ;
relatif en effet d’après son nom se dit le plus proprement de ce qui se
rapporte à un autre, comme Père. Mais on appelle aussi relatif ce qui suit ou
ce qui cause la relation, comme la génération ou l’acte d’engendrer. Mais en
un autre sens encore, on appelle relatif ce qui renferme implicitement en soi
une relation, comme la Trinité qui renferme en elle les trois personnes par
la relation, et le nom de personne qui renferme en lui la relation qui
distingue. On peut encore autrement appeler relatif ce qui est posé à la
place d’une relation, et aussi certains noms abstraits pour la raison dont nous
avons parlé dans le corps de l’article. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod majoris abstractionis est essentia quam bonitas vel
sapientia : quia quamvis aequaliter abstrahant a supposito, tamen essentia
super hoc abstrahit etiam ab actu ; illa vero dicunt ordinem ad actum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le terme d’essence
est d’une plus grande abstraction que les termes de bonté et de
sagesse : car bien qu’ils font également abstraction d’un suppôt,
cependant l’essence ajoute aussi à cela l’abstraction d’un acte alors que les
autres signifient un ordre en direction d’un acte. |
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Quaestio 2 : Utrum
essentia se habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ? |
Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où vient la génération ?] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur, utrum essentia se
habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ; et circa hoc duo
quaeruntur : 1 utrum filius generetur de substantia patris ; 2 utrum sit ex nihilo. |
On se demande ensuite si l’essence se rapporte à la
génération comme ce d’où vient la génération ; et à ce
sujet on se demande deux choses : 1. Est-ce que le Fils est engendré de la substance du
Père ? 2. Est-il engendré à partir de rien ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum
filius sit genitus de substantia patris. |
Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du Père ? |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod filius non sit genitus de
substantia patris. Omnis enim praepositio transitiva est. Transitio autem
requirit diversitatem vel distinctionem. Cum igitur filius non distinguatur
ab essentia patris, non potest dici de essentia ejus natus. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne soit pas engendré de la substance du Père. En effet, toute préposition est transitive. Mais toute transition exige diversité ou distinction. Donc, puisque le fils ne se distingue pas de l’essence du père, on ne peut dire qu’Il soit né de son essence. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, sicut se habet natura humana ad Socratem, ita
divina essentia ad Filium. Sed Socrates non potest dici de essentia humana. Ergo nec
Filius de essentia Patris. |
2. En outre, ce que la nature
humaine est à Socrate, la nature divine l’est au Fils. Mais on ne peut dire
que Socrate vient de l’essence humaine. Donc, le Fils ne peut venir de
l’essence du Père. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3
Item, de semper dicit ordinem. Sed inter Filium et essentiam non est ordo
neque temporis, neque naturae, cum essentia non sit generans, sed Pater ;
neque causalitatis. Ergo videtur quod nullo modo sit de essentia Patris. |
3. De plus, ¨de¨ exprime
toujours un ordre. Mais entre le Fils et l’essence il n’y a ni ordre de
temps, ni ordre de nature puisque ce n’est pas l’essence qui engendre mais le
Père ; et il n’y a pas non plus un ordre de causalité. Il semble donc
qu’en aucune manière le Fils vienne de la substance du Père. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4
Si dicas, quod hoc dicitur propter consubstantialitatem Filii ad Patrem,
contra. Sicut essentia Patris est essentia Filii, ita tota essentia Filii est
in Patre. Ergo eadem ratione potest dici Pater de substantia Filii, sicut e
contrario. |
4. Si tu dis qu’on peut dire cela en raison de la
consubstantialité du Fils et du Père, j’objecte ceci. Tout comme l’essence du
Père est l’essence du Fils, ainsi toute l’essence du Fils est dans le Père.
On peut donc dire pour la même raison que le Père vient de la substance du
Fils, tout comme on peut dire l’inverse. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1
s. c. 1 Contrarium ostenditur per auctoritates in littera. |
Cependant : Le contraire est manifesté
par de nombreuses autorités dans le document. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod haec praepositio de proprie designat principium et
consubstantialitatem ; haec autem praepositio ex designat tantum ordinem
principii. Unde quidquid dicitur esse de aliquo, ex illo est, sed non
convertitur, sicut dicitur infra, 36 distinct. Unde haec praepositio ex
quandoque notat ordinem temporis tantum, ut, ex mane fit dies ; quandoque
ordinem principii agentis, sicut, artificiata sunt ex artifice : quandoque
principium materiale, ut, cultellus fit ex ferro. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette préposition, de, désigne à proprement parler le principe et la consubstantialité, alors que cette préposition, à partir de, désigne seulement le rapport au principe. De là, tout ce qui est dit venir d’un être, existe à partir de cet être comme on le dit plus loin [distintion 36]. C’est pourquoi cette préposition, ¨à partir de¨, indique parfois l’ordre du temps seulement, comme le jour qui existe à partir du matin ; parfois il indique l’ordre par rapport au principe agent, comme la chose artificielle que existe à partir de l’artisan ; et parfois seulement l’ordre par rapport au principe matériel, comme le couteau qui existe à partir du fer. |
Sed de, cum notet
consubstantialitatem, semper notat vel principium materiale, [sicut,
cultellus est de ferro add. Éd. de Parme] ; vel agens
consubstantiale, sicut dicimus quod homo filius generatur de patre suo, cum
sit generatio per decisionem substantiae. Et secundum istum modum filius
dicitur de Patre et de essentia Patris : tamen de Patre sicut de generante,
et de essentia sicut de principio generationis communicato. Unde etiam accedit
ad similitudinem secundum materiam, si a materia removeatur totum quod est
imperfectionis et remaneat haec sola de conditionibus materiae, quod est
manens in re et per eam res subsistit ; et praecipue res artificiata, quae
est in genere substantiae propter suam materiam et non propter suam formam,
ut dicit Commentator, in II De anima,com.4. |
Mais la préposition ¨de¨, puisqu’elle réfère à la consubstantialité, indique toujours soit le principe matériel [comme le couteau qui vient du fer add. Éd. de Parme] ; soit l’agent consubstantiel, comme nous disons que l’homme fils est engendré de son père puisqu’il y a génération au moyen d’une division de la substance. Et c’est d’après ce mode qu’on dit du Fils qu’il vient du Père et de l’essence du Père : cependant il vient du Père comme de celui qui engendre et de l’essence comme du principe de la génération qui est communiqué. De là il parvient aussi à une ressemblance selon la matière si on écarte de la matière tout ce qu’il y a d’imperfection et qu’il ne reste plus de toutes les conditions de la matière que celle-là seule, à savoir qu’elle est ce qui demeure dans la chose et que c’est par elle que la chose subsiste ; et cela et surtout vrai de la chose artificielle qui est dans le genre de la substance en raison de sa matière et non en raison de sa forme, ainsi que le dit le Commentateur [11 De l’Âme, com. 4]. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod de, ut deductum est, dicit consubstantialitatem et
ordinem ad principium, et consubstantialitas respicit essentiam ; et ordo,
ratione cujus est transitio, respicit personam generantem : non enim dicimus
quod Filius sit de essentia, sed quod sit de essentia Patris ; et ideo non
oportet esse distinctionem Filii ab essentia sed a Patre. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la préposition ¨de¨, telle qu’elle a été établie, exprime la consubstantialité et l’ordre à l’égard du principe, et la consubstantialité concerne l’essence alors que l’ordre, par la raison dont il est le passage, concerne la personne qui engendre : nous ne disons pas en effet que le Fils vient de l’essence, mais qu’Il vient de l’essence du Père ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’il y ait distinction entre le Fils et l’essence, mais entre le Fils et le Père. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod similiter Socrates dicitur nasci de natura patris vel
substantia, sicut Filius Dei, tamen differenter ; quia Filius Dei est de tota
substantia Patris, sed Socrates est de parte substantiae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que de même que Socrate
est dit naître de la nature du père ou de sa substance, tout comme le Fils
naît de la substance de Dieu, cependant il y a une différence : car le
Fils de Dieu vient de la totalité de la substance du Père, alors que Socrate
ne vient que d’une partie de la substance. |
Item
ad aliud. Quia Socrates subsistit non tantum per essentiam, sed etiam per
materiam, per quam individuatur natura humanitatis in ipso. Sed Filius Dei subsistit per
essentiam Patris, cum essentia Patris non sit pars Filii, sed totum quod est
Filius. |
Il y a encore une autre
différence. Car Socrate subsiste non seulement par l’essence, mais aussi par
la matière grâce à laquelle la nature de l’humanité est individuée en lui.
Mais le Fils de Dieu subsiste par l’essence du Père, puisque l’essence du
Père n’est pas une partie du Fils, mais tout ce qu’est le Fils. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum sicut ad primum. |
3. Il faut répondre à la
troisième difficulté de la même manière qu’à la première. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod non notatur ibi tantum consubstantialitas, sed etiam
ordo ad principium, qui non salvatur, si diceretur : Pater est de essentia
Filii. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que ce n’est pas
seulement la consubstantialité qui est signifiée là, mais aussi l’ordre à
l’égard du principe qui ne serait pas conservé si on disait : le Père
vient de l’essence du Fils. |
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Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum
filius sit ex nihilo. |
Article 2 – Le Fils vient-il du néant ? |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod filius sit ex nihilo. Illud enim dicitur ex nihilo esse quod non est ex
praejacenti materia. Sed Filius est hujusmodi, quia non est de aliquo sicut
de materia. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils
vienne du néant. On dit en effet que vient du néant ce qui n’existe pas à
partir d’une matière préexistante. Mais c’est le cas du Fils car il ne vient
pas de quelque chose qui serait comme une matière. Donc le Fils vient du
néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2
Item, quidquid non habet esse nisi ab alio, quantum est in se, est non ens,
cum inter esse et non esse non sit medium. Sed Filius non habet esse nisi a
Patre. Ergo de se habet non esse. Sed omne tale, secundum Avicennam, VII
suae Metaph., cap. VII, est ex nihilo. Ergo Filius est ex
nihilo. |
2. De plus, tout ce qui
n’existe que par un autre, quant à ce qu’il est en lui-même, est du non-être,
puisqu’entre l’être et le non-être il n’y a pas d’intermédiaire. Mais le Fils
ne possède d’existence que par le Père. Il ne possède donc de lui-même que du
non-être. Mais tout ce qui est ainsi d’après Avicenne [ VII Métaphysique,
ch. VII] vient du néant. Donc le Fils vient du néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1
Contra, omne quod est ex nihilo, est creatum. Sed filius est increatus. Ergo
et cetera. |
Cependant : 1. Tout ce qui vient du néant est créé. Mais le Fils est incréé. Il ne vient donc pas du néant. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Item, secundum Damascenum,lib. I Fid. Orth, cap. III, omne quod est ex
nihilo est vertibile in nihil. Sed Filius non est hujusmodi. Ergo et cetera. |
2. De plus, selon Damascène
[Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. 111], tout ce qui vient du
néant peut retourner au néant. Mais le Fils ne pelut retourner au néant. Il
ne vient donc pas du néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 co. :
Respondeo dicendum, quod differt dicere aliquid non esse ex aliquo, et
aliquid esse ex nihilo. Cum enim dicitur non esse ex aliquo sicut ex materia,
nihil ponitur ; et hoc convenit Filio Dei. Cum autem dicitur esse ex nihilo,
remanet ordo affirmatus ad nihil. Sed aliquid habet ordinem ad nihil
dupliciter ; scilicet ordinem temporis et ordinem naturae. Ordinem temporis
ex eo quod prius fuit non ens, et postea est ens ; et hoc nulli aeterno
convenit. Ordinem naturae, quando aliquid habet esse dependens ab alio ; hoc
enim ex parte sui non habet nisi non esse, cum totum esse suum ad alterum
dependeat ; et quod est alicui ex se ipso, naturaliter praecedit id quod est
ei ab altero. Et ideo, supposito quod caelum, et hujusmodi, fuerit ab
aeterno, adhuc tamen est verum dicere quod est ex nihilo, sicut probat
Avicenna. Neutro autem modo Filius habet ordinem ad nihil. Non enim habet
ordinem temporis, quia aeternus est : non habet ordinem naturae, quia suum
esse est absolutum, non dependens ab alio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’affirmer que quelque chose ne vient pas d’un autre n’est pas la même chose
que soutenir que quelque chose vient du néant. Lorsqu’on dit en effet qu’une
chose ne vient pas d’une autre comme d’une matière, on n’affirme rien et cela
peut se dire du Fils de Dieu. Mais lorsqu’on dit qu’une chose vient du néant,
il subsiste là l’affirmation d’un ordre à l’égard du néant. Mais une chose
possède un ordre à l’égard du néant de deux manières, à savoir un ordre du
temps et un ordre de nature. Un ordre du temps du fait il y eut d’abord du
non-être et après de l’être ; et cela n’appartient à rien de ce qui
est éternel. Mais il y a une ordre de nature quand un être possède une
existence qui dépend d’un autre ; cela en effet ne possède de soi-même
que du non-être puisque la totalité de son existence dépend d’un autre ;
et ce qui chez un être lui vient de lui-même précède naturellement ce qui lui
vient d’un autre. Et c’est pourquoi, en supposant même que le ciel, et les
autres êtres de cette sorte, ait existé de toute éternité, il est encore
cependant vrai de dire qu’il vient du néant, ainsi que le prouve Avicenne.
Mais le Fils n’est ordonné au néant d’aucune de ces manières. En effet, il
n’est pas soumis à l’ordre du temps puisqu’il est éternel. Et il n’est pas
soumis à un ordre de nature car son existence est absolue et ne dépend pas
d’un autre. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
quamvis non sit de materia, non tamen sequitur quod non de aliquo, quia est
de substantia Patris : quo etiam remoto, adhuc non sequeretur quod esset ex
nihilo, ut dictum est : quia Pater non est de aliquo, et tamen non est ex
nihilo. [Idem autem est esse Patris et Filii. Add. Éd. de Parme]. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le Fils ne vienne pas d’une matière, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il ne vienne pas d’un autre, car il vient de la substance du Père : et même en écartant cette dernière raison, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il viendrait du néant, ainsi que nous l’avons dit : car le Père ne vient pas d’un autre et cependant il ne vient pas du néant. [Mais l’existence du Père est identique à celle du Fils. Add. Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod filius quamvis totum esse suum habeat ab alio,
nihilominus tamen esse suum non est dependens, quia accipit a Patre idem
numero esse quod ipse habet : et ideo non est dependens esse suum, sicut esse
creaturae quae in nihilum caderet, nisi ab alio contineretur
[sicut…contineretur om. Éd. de Parme], neque possibile, neque ex
nihilo : quod necessario sequeretur, si aliud in numero esse reciperet. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que le Fils tienne toute son existence d’un autre, néanmoins
son existence n’est pas dépendante car il reçoit du Père la même existence
individuelle que ce dernier possède : et c’est pourquoi son existence
n’est pas dépendante, comme l’existence de la créature qui tomberait dans le
néant si elle n’était contenue par un autre [comme… contenue om. Éd.
de Parme] et elle ne serait pas même possible et ne pourrait venir du
néant : ce qui devrait s’ensuivre nécessairement si le Fils recevait une
existence individuelle différente par le nombre. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui est le terme de la génération] |
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Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 tit. Utrum essentia sit terminus
generationis. |
Article unique : L’essence est-elle le terme de la génération ? |
lib. 1 d. 5
q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur, utrum essentia sit terminus
generationis. Videtur quod non. Generatio enim est inter duos terminos,
scilicet terminum a quo et terminum ad quem. Sed generatio Filii non habet
terminum a quo, quia non est ex non esse. Ergo etiam non habet terminum ad
quem. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite si
l’essence est le terme de la génération. Et il semble que non. La génération
en effet est comme un chemin entre deux termes : le point de départ et
le point d’arrivée. Mais la génération du Fils ne possède pas de point de
départ car il ne vient pas du non-être. Il ne possède donc pas non plus de
point d’arrivée. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 2
Item, omne quod est terminus generationis, est generatum per se vel per
accidens : per se, sicut ipsa res generata ; per accidens, sicut forma
ejus. Sed essentia nullo modo generata est, sicut nec
generans : quia sequeretur distinctio. Ergo non est terminus generationis. |
2. De plus, tout terme d’une
génération est ce qui est engendré par soi ou par accident : par soi,
comme par exemple la chose même qui est engendrée ; par accident, comme
la forme qui lui advient. Mais l’essence, tout comme celui qui engendre,
n’est nullement engendrée, car il s’ensuivrait une distinction. L’essence
n’est donc pas le terme de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 3
Praeterea, si esset terminus, hoc non esset nisi sicut acceptum per
generationem. Sed Filius non accepit essentiam. Ergo essentia non [non om.
Éd. de Parme] est terminus generationis. Probatio mediae. Accipere enim
cum non conveniat tribus personis, est actus notionalis. Sed nullus actus
notionalis terminatur ad essentiam, sicut patet quod Pater non generat
essentiam. Ergo nec Filius accepit essentiam. |
3. Par ailleurs, si elle
était le terme de la génération, cela ne se produirait que comme étant reçu
au moyen de la génération. Mais le Fils ne reçoit pas l’essence. Donc,
l’essence n’est pas le terme de la génération [ ne pas om. Éd. de
Parme]. Preuve de la mineure. En effet, recevoir est un acte notionel
puisqu’il ne convient pas aux trois personnes. Mais aucun acte notionel ne se
termine à l’essence, comme on le voit pour le Père qui n’engendre pas
l’essence. Donc le Fils ne reçoit pas l’essence. |
lib. 1
d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, illud in quo est generatio, est terminus
generationis. Sed Hilarius,lib. IX de Trinitate, in textu, dicit,
quod nativitas unigenita in naturam ingenitam subsistit. Ergo
natura vel essentia est terminus generationis. |
Cependant: 1. Ce en quoi il y a generation est le terme de la generation. Mais Hilaire [1X De la Trinité] dit dans son texte que la naissance unique subsiste dans une nature unique. Donc, la nature ou l’essence est le terme de la generation. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2
Praeterea, generatio invenitur in divinis, ut supra dictum est, dist. 4,
quaest. 1, art. 1, secundum id quod est perfectionis in ipsa. Sed
tota perfectio generationis est ex termino ad quem. Ergo in generatione
divina est terminus ad quem. Sed hoc non est aliud quam essentia. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, il y a
génération en Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1,
art. 1], selon ce qu’il y a de perfection en elle. Mais toute la perfection
de la génération vient de son point d’arrivée. Il y a donc dans la génération
divine un point d’arrivée. Mais cela n’est rien d’autre que l’essence.
L’essence est donc le terme de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod terminus generationis in creaturis potest accipi
dupliciter, sicut etiam et principium. Dicitur enim principium generationis
ipsum generans ; et huic principio correspondet sicut terminus ipsum genitum.
Dicitur etiam principium generationis a quo incipit generatio, et hoc modo
principium vel initium generationis est privatio formae inducendae ; et huic
principio terminus oppositus est forma per generationem inducta. Sicut etiam
in dealbatione terminus a quo est nigredo et terminus ad quem est albedo ;
similiter in divinis terminus generationis (quamvis non sit ibi actio vel
mutatio) potest accipi dupliciter : scilicet ipsum generatum, et hoc est
Filius ; vel essentia accepta a Filio per generationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le terme de la génération chez les créatures peut s’entendre de deux
manières, tout comme aussi le principe. On dit en effet que le principe de la
génération est celui-là même qui engendre ; et le terme qui correspond à
ce principe est celui qui est engendré. Le principe de la génération est
aussi appelé le point de départ de la génération et en ce sens le principe ou
le commencement de la génération est la privation de la forme qui doit être
introduite ; et le terme opposé à ce principe est la forme introduite au
moyen de la génération. Par exemple, dans la génération de la blancheur le
point de départ est le noir et le point d’arriver est le blanc ; de la
même manière dans les personnes divines le terme de la génération (bien qu’il
n’y ait pas là action ou changement) peut se prendre de deux
manières : à savoir cela même qui est engendré et c’est là le
Fils ; ou l’essence reçue du Fils au moyen de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod generatio et quilibet motus totam imperfectionem
habet ex termino a quo, quod est privatio vel contrarium includens privationem
; et ideo in generatione divina non est terminus a quo, sed tantum terminus
ad quem, a quo est tota perfectio generationis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la génération et tout mouvement tient toute son imperfection de son point de départ qui est la privation ou le contraire qui comprend la privation ; et c’est pourquoi dans la génération divine il n’y a pas en ce sens de point de départ mais seulement un point d’arrivée d’où vient toute la perfection de la génération. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia divina non est genita in filio neque per se
neque per accidens : quia eadem essentia est in generante et genito. Si autem
essentia esset divisa, tunc sequeretur necessario quod esset genita per
accidens, quamvis non per se, sicut in rebus creatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence divine n’est engendrée dans le Fils ni par soi ni par
accident : car c’est la même essence qui est dans celui qui engendre et
dans celui qui est engendré. Mais si l’essence était divisée, alors il
s’ensuivrait nécessairement qu’elle serait engendrée par accident bien
qu’elle ne le serait pas par soi, comme c’est le cas dans les choses créées. |
lib. 1
d. 5 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis accipere sit actus
notionalis, potest tamen terminari ad essentiam : quod sic patet ; quia in
generatione divina, sicut in qualibet alia, est tria considerare, scilicet
generantem et genitum et naturam communicatam per generationem. Possunt ergo
verba notionalia designare comparationem generantis ad genitum, sicut
generare vel dare ; vel geniti ad essentiam ut accipere, vel geniti ad
generantem, sicut nasci [vel generantis ad essentiam, vel geniti ad
essentiam, ut accipere ; vel geniti ad generantem, sicut nasci. Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que recevoir soit un acte notionel, il peut cependant se
terminer à l’esssence ; ce qui devient clair de la manière
suivante : car dans la génération divine, comme dans toute autre
génération, il y a trois choses à considérer, à savoir celui qui engendre,
celui qui est engendré et la nature qui est communiquée par la génération.
Les verbes notionels peuvent donc signifier le rapport de celui engendre à
celui qui est engendré, comme engendrer ou donner ; ou le rapport de
celui qui est engendré à l’essence, comme recevoir, ou encore le rapport de
celui qui est engendré à celui qui engendre, comme naître [ou de celui qui
engendre à l’essence, ou de celui qui est engendré à l’essence, comme
recevoir ; ou de celui qui est engendré à celui qui engendre, comme
naître. Éd. de Parme]. |
Sciendum igitur, quod, cum
omne verbum notionale significet actum personae ut distincta est, oportet
quod semper egrediatur a persona distincta : et ideo nullum verbum tale exit
ab essentia, ut dicatur essentia generare vel dare notionaliter vel accipere
vel nasci. Verba autem quae designant comparationem generantis ad essentiam
vel geniti ad essentiam, terminantur ad essentiam, quia ex parte illa non
sunt distinctiva ; et hujusmodi verba sunt accipere et dare. |
Il faut donc savoir que
puisque tout verbe notionel signifie l’acte d’une personne en tant que
distincte, il faut qu’il provienne toujours d’une personne distincte :
et c’est pourquoi aucun verbe de cette sorte ne sort de l’essence de telle
manière qu’on dirait que l’essence engendre ou donne notionnellement ou
reçoit ou naît. Mais les verbes qui désignent le rapport de celui qui
engendre à l’essence ou de celui qui est engendré à l’essence, se terminent à
l’essence car de ce côté ils ne sont pas distinctifs ; et recevoir et
donner sont des verbes de cette sorte. |
Sed verba quae designant
comparationem geniti ad generantem vel e converso, sunt distincta ex utraque
parte ; et ideo ex neutra parte potest eis adjungi essentia ; quia nec
essentia generat, nec Pater generat essentiam ; quod patet etiam ex
significatione verborum ; quia generans, inquantum generans, distinguitur a
genito et e converso. Sed dans distinguitur quidem ab eo cui dat, sed non ab
eo quod dat : quia aliquis potest dare seipsum. Similiter et accipiens
distinguitur ab eo a quo accipit, sed non ab eo quod accipit de necessitate ;
aliquis enim accipere seipsum potest, sicut servus manumissus. |
Mais les verbes qui désignent
le rapport de celui qui est engendré à celui qui engendre, ou inversement,
sont distincts de part et d’autre ; et c’est pourquoi ni d’un côté ni de
l’autre l’essence ne peut leur être ajoutée ; car l’essence n’engendre
pas et le Père n’engendre pas l’essence ; ce qui apparaît encore clairement
à partir de la signification des verbes ; car celui qui engendre, en
tant que tel, se distingue de celui qui est engendré et inversement. Mais
celui qui donne se distingue certes de celui à qui il donne mais non de ce
qu’il donne : car on peut se donner soi-même. De la même manière celui
qui reçoit se distingue de celui de qui il reçoit, mais non de ce qu’il
reçoit de toute nécessité ; on peut en effet se recevoir soi-même, comme
l’esclave qui a reçu la liberté. |
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Distinctio 6 |
Distinction 6 – [La génération en son principe] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La nécessité de la génération du Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus
partis tria quaeruntur : 1 utrum Pater genuit Filium necessitate ; 2 utrum voluntate ; 3 utrum natura. |
Pour comprendre cette partie, on cherche à répondre à
trois questions : 1. Est-ce que le Père a engendré le Fils par
nécessité ? 2. L’a-t-il engendré par volonté ? 3. L’a-t-il engendré par nature ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 6 q. 1
a. 1 tit. Utrum pater genuit Filium necessitate. |
Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité ? |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
Pater genuit Filium necessitate. Necessarium enim et possibile dividunt
ens. Si igitur Pater non genuit Filium necessitate, genuit ipsum contingenter
vel possibiliter : quod est impossible. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père a
engendré le Fils par nécessité. L’être se divise en nécessaire et possible.
Si donc le Père n’a pas engendré le Fils par nécessité, il l’a engendré d’une
manière contingente ou d’une manière possible ; mais cela est
impossible. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne aeternum est necessarium. Sed generatio Filii a Patre
est aeterna. Ergo necessaria. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est éternel est nécessaire. Mais la génération du Fils par le Père est
éternelle. Elle est donc nécessaire. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, sicut Deus est per se bonus, ita est per se ens necessarium : omne
enim quod est per participationem, reducitur ad id quod est per se. Sed in
per se bono nihil potest esse nisi bonum. Ergo nec in per se necessario
aliquid nisi necessarium. Cum igitur generatio sit in Deo, ergo erit necessaria. |
3. De plus, tout comme Dieu
est bon par soi, de même il est par soi un être nécessaire : en effet,
tout ce qui existe par participation se ramène à ce qui existe par soi. Mais
dans le bien par soi il ne peut exister que du bien. Donc dans le nécessaire
par soi il ne peut exister que du nécessaire. Donc, puisque la génération est
en Dieu, elle sera nécessaire. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, omnis necessitas est ratione alicujus fortioris [fortioris om.
Éd. de Parme] cogentis vel interius vel exterius. Sed Deo non potest esse
aliquid fortius. Ergo ibi non potest esse necessitas. |
Cependant : 1. Toute nécessité existe en
raison de quelque chose de plus fort [fort om. Éd. de Parme] qui
contraint soit intérieurement soit extérieurement. Mais il n’y a rien de plus
fort que Dieu. Il ne peut donc pas y avoir là nécessité. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, Augustinus, V de Civit. Dei, cap. X,
dividit necessitatem in coactionem et prohibitionem. Sed neutrum Deo
convenit. Ergo
et cetera. |
2. Par ailleurs, Augustin [V
De la Cité de Dieu, ch. X] divise la nécessité en obligation et en
interdiction. Mais aucune des deux ne convient à Dieu. Donc, le Père n’a pas
engendré le Fils par nécessité. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, V Metaph., text.
6,
necessarium dicitur multipliciter. Est enim necessarium absolute, et
necessarium ex conditione ; et hoc est duplex : scilicet ex conditione finis
vel ex conditione agentis. Necessarium ex conditione agentis, est necessarium
per violentiam : non enim eum qui violenter currit, necesse est currere, nisi
sub hac conditione, si aliquis eum cogit. Necessarium ex conditione finis est
illud sine quo non potest consequi aliquis finis, vel non ita faciliter.
Finis autem est duplex : vel ad esse, et hoc modo cibus vel nutrimentum
dicuntur esse necessaria, quia sine eis non potest esse homo ; vel pertinens
ad bene esse, et sic dicitur esse navis necessaria eunti ultra mare ; quia
sine ea exercere non potest actionem suam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 6], le nécessaire se dit de
plusieurs manières. Il y a en effet le nécessaire absolu et le nécessaire
conditionnel ; et ce dernier nécessaire se divise à son tour en
deux : le nécessaire par la fin et le nécessaire par l’agent. Le
nécessaire qui se fonde sur une condition de l’agent est le nécessaire par
violence : en effet, celui qui court par violence ne court
nécessairement qu’à cette condition d’y être forcé par quelqu’un. Le
nécessaire qui se fonde sur une condition de la fin est ce sans quoi la fin
ne peut être atteinte, ou ne peut être atteinte avec autant de facilité. Mais
il y a deux sortes de fins : il y a celle qui est ordonnée à l’être, et
en ce sens on dit de l’aliment ou de la nourriture qu’ils sont nécessaires
parce que sans eux l’homme ne peut exister ; mais il y a aussi la fin
qui est ordonnée au bien-être et en ce sens on dit du navire qu’il est
nécessaire à celui qui veut traverser la mer car sans lui il ne peut réaliser
son action. |
Necessarium
autem absolute dicitur quod est necessarium per id quod in essentia sua est ;
sive illud sit [sua om. Éd. De Parme] ipsa essentia, sicut in
simplicibus ; sive, sicut in compositis, illud principium sit materia, sicut
dicimus, hominem mori est necessarium ; sive forma, sicut dicimus, hominem
esse rationalem est necessarium. Hoc autem absolute necessarium est duplex.
Quoddam enim est quod habet necessitatem et esse ab alio, sicut in omnibus
quae causam habent : quoddam autem est cujus necessitas non dependet ab alio,
sed ipsum est causa necessitatis in omnibus necessariis, sicut Deus. |
Mais le nécessaire
absolu est celui qui a lieu au moyen de ce qui est dans l’essence de la
chose; alors ou bien cela est l’essence même de la chose, comme dans les
corps simples, ou bien ce principe est la matière, comme dans les corps
composés, comme lorsque nous disons qu’il est nécessaire que l’homme meurre,
ou bien ce principe est la forme, comme lorsque nous disons qu’il est
necessaire que l’homme soit rationnel. Mais ce necessaire absolu est de deux
sortes. Il y a en effet des êtres qui tiennent d’un autre la nécessité et
l’existence, comme tous les êtres qui on tune cause; mais il y a un être dont
la nécessité ne dépend pas d’un autre, mais Lui-même, à savoir Dieu, est la
cause de la nécessité pour tout ce qui est nécessaire. |
Dicendum ergo, quod generatio
in divinis non est ex necessitate conditionata, sive conditionetur ex fine,
sive ex agente. Non ex agente ; cum ipse Deus sit primum principium et
ultimus finis. Sed est necessaria necessitate absoluta, sicut est necessitas
primae causae quae non dependet ab alio, sed ipsa potius est causa
necessitatis in omnibus aliis. [quae… omnibus alliis om. Éd. de Parme]
Et per hoc patet solutio ad utramque partem : quia primae rationes procedunt
de necessitate absoluta, et aliae de necessitate coactionis quae repugnat
necessitati absolutae : et de ista procedebat haereticus, et secundum hoc
negatur in littera. |
Il faut donc dire que la
génération dans les personnes divines ne vient pas d’une nécessité
conditionnée, et elle n’est pas conditionnée par une fin ou par un agent.
Elle n’est pas conditionnée par un agent puisque Dieu lui-même est le premier
principe et la fin ultime. Mais la génération divine est nécessaire d’une
nécessité absolue comme elle est la nécessité de la première cause qui ne
dépend pas d’un autre, mais elle-même est plutôt cause de nécessité pour tous
les autres êtres. [qui…pour tous les autres êtres om. Éd. de Parme] Et par là
deveint évidente la solution aux deux séries de
difficultés : car les premiers arguments procèdent de la
nécessité absolue et les autres de la nécessité de contrainte qui répugne à
la nécessité absolue et c’est de cette raison que procédait l’hérétique et
c’est suivant cela qu’il est rejeté dans le document. |
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Articulus 2.lib. 1 d. 6 q. 1
a. 2 tit. Utrum pater genuit filium voluntate. |
Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ? |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod pater genuit filium voluntate. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père a
engendré le Fils par volonté. |
Omne enim bonum est volitum a
Deo, sicut omne verum scitum. Sed generatio Filii est optimum. Ergo est
volitum a Deo ; et ita Pater genuit Filium voluntate. |
En effet, tout ce qui est bon
est voulu par Dieu, comme tout ce qui est vrai est connu de Lui. Mais la
génération du Fils est ce qu’il y a de plus excellent. Elle est donc voulue
par Dieu ; et ainsi, le Père a engendré le Fils par volonté. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in generatione humana ita est quod
principium inclinans ad generandum, est voluntas. Sed generatio humana
extrahitur a divina. Ergo et similiter erit in generatione divina, et ita
videtur quod Pater genuit Filium voluntate. |
2. Par ailleurs,
les choses sont telles dans la generation humaine que le principe qui incline
à engendrer est la volonté. Mais la génération humaine est tirée de la
generation divine. Il en sera donc de même dans la generation divine et ainsi
il semble que le Père a engender le Fils par volonté. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, Origenes, in Apol. Pamphil. Col. 583, dicit de Patre
loquens : germen proferens voluntatis factus est verbi pater. Sed
illud quod est germen voluntatis, est natum voluntate generantis. Ergo Pater
genuit Filium voluntate |
3. De plus, Origène [Apol.
Pamphil. Col. 583], dit, en parlant du Père : En énonçant le
germe de la volonté, le Père fit la Parole. Mais le germe de la volonté
est apte à engendrer par volonté. Donc le Père a engendré le Fils par
volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, voluntas est principium productionis eorum quae per artem producuntur
in rebus humanis. Sed Filius non producitur a Patre sicut artificiatum, immo
sicut ars ; sed creaturae sicut artificiata. Ergo videtur quod
Pater non genuit Filium voluntate ; sed voluntate creaturas produxit. |
Cependant: 1. La volonté est
le principe de production des choses qui sont produites par l’art dans les
choses humaines. Mais le Fils n’est par produit par le Père comme un
artefact, mais plutôt comme art, et il a produit les creatures comme des
artefacts. Il ne semble donc pas que le Père a engender le Fils par volonté;
mais c’est par volonté qu’il a produit les creatures. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius, lib. de synodis, can. XXIV, col. 512 : Si
quis voluntate Dei filium tamquam factum dicat, anathema sit. Ergo et
cetera. |
2. En outre, Hilaire [Livre
sur les Synodes, can. XXIV, clo. 512] dit ceci : Si quelqu’un dit que le
Fils de Dieu a été produit par volonté, qu’il soit anathème. Donc, le Père
n’a pas engendré le Fils par volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod voluntas potest comparari ad aliquid dupliciter :
aut sicut potentia ad objectum, aut sicut principium. Si comparetur ad
aliquid sicut ad objectum, tunc omne volitum a Deo, potest dici esse voluntate
ejus ; et sic potest dici, pater est Deus voluntate sua ; vult enim se esse
Deum ; et similiter potest concedi quod Pater genuit Filium voluntate. Si
autem comparetur voluntas ad aliquid sicut principium, hoc potest esse
dupliciter : quia aut illud ad quod comparatur sicut principium dicit
rationem principiandi ; aut dicit ipsum principiatum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la volonté se compare à une chose de deux manières : ou bien comme
une puissance à un objet, ou bien comme un principe. Si elle se compare à une
chose comme à son objet, alors on peut dire que tout ce qui est voulu par
Dieu vient de sa volonté ; et ainsi on peut dire que le Père est Dieu
par sa volonté : il veut en effet être Dieu ; et de la même manière
on peut concéder que le Père a engendré le Fils par volonté. Mais si c’est en
tant que principe qu’on compare la volonté à une chose, cela peut se faire de
deux manières : car ou bien ce à quoi elle se compare en tant que
principe a raison de ce qui doit être commencé, ou bien a raison d’effet. |
Si primo modo, sic comparatur
voluntas ad processionem Spiritus sancti, qui procedit ut amor, in quo
voluntas principiata omnia, scilicet creaturas, amore producit ; et secundum
hunc modum etiam intellectus in Deo se habet ad generationem Filii, qui
procedit ut verbum et ars. |
Si c’est de la première
manière, alors la volonté se compare à la procession de l’Esprit-Saint, qui
procède en tant qu’Amour, dans lequel la volonté produit par amour tous les
effets, c’est-à-dire les créatures. Et c’est de cette manière aussi que
l’intelligence en Dieu se rapporte à la génération du Fils qui procède en
tant que verbe et art. |
Si secundo
modo, tunc principiatum voluntatis procedit a voluntate secundum voluntatis
conditionem. Voluntas
autem, quantum est in se, libera est : unde principiata voluntatis sunt
tantum ea quae possunt esse vel non esse. Et hoc modo
constat, quod voluntas divina comparatur ad creationem rerum, et non ad
generationem Filii. Et hinc est quod quidam distinguunt voluntatem in tria,
scilicet in voluntatem accedentem, quae scilicet de novo accedit operi vel
operanti, et talis non est in Deo secundum aliquem trium dictorum modorum
voluntatis, quia omnis operatio ejus est a voluntate aeterna. Item in
voluntatem concomitantem quae dicitur secundum comparationem ad objectum
tantum ; et sic est in Deo respectu generationis Filii. Item in voluntatem
antecedentem ; et sic dicit comparationem principii ad principiatum ; et sic
est respectu creaturarum. |
Si c’est de la
deuxième manière, alors l’effet de la volonté procède de la volonté d’après
la condition de la volonté. Mais la volonté, quant à sa nature même, est
libre: de là les effets de la volonté sont seulement ceux qui peuvent être ou
ne pas être. Et il est clair que c’est de cette manière que la volonté divine
se compare à la création des choses et non pas à la génération du Fils. Et il
suit de là que certains font trois distinctions sur la volonté: à savoir la
volonté qui s’approche, c’est-à-dire qui aborde pour la première fois
l’oeuvre ou l’opération et cette volonté n’existe en Dieu selon aucun des
trois mode de volonté don nous avons parlé car toute operation de Dieu
procède d’une volonté éternelle; il y a en outre la volonté qui accompagne
qui se dit par rapport à son objet seulement et cette volonté est en Dieu par
rapport à la generation du Fils; il y a enfin la volonté qui précède et cette
volonté dit le rapport du principe à l’effet et qui se rapporte aux
créatures. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit
secundum comparationem voluntatis ad objectum tantum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cet argument procède du rapport de la volonté à son objet
seulement. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum quod generatio humana non est aeterna, et ideo potest
habere voluntatem antecedentem, quod non potest esse in divina. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la génération humaine n’est pas éternelle et c’est pourquoi elle
peut avoir une volonté qui précède, ce qui ne peut être le cas pour Dieu. |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Origenes vocat germen
voluntatis id in quo quiescit Patris beneplacitum ; et haec est Filius, sicut
ipse dixit Matth. 3, 17 : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi
complacui. Aliae autem rationes procedunt de voluntate antecedente, sive
secundum comparationem principii ad principiatum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’Origène appelle ¨germe de la volonté¨ ce en quoi se repose le bon
plaisir du Père, à savoir le Fils, ainsi qu’il l’a dit lui-même en Matthieu
(3, 17) : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai placé
tout mon amour. Mais tous les autres arguments procèdent de la volonté
qui précède ou de la volonté d’après le rapport du principe à l’effet. |
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Articulus 3 lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3
tit. Utrum pater genuit filium naturaliter. |
Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ? |
lib. 1
d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod pater non
naturaliter genuit filium. Hilarius, De synodis, can. XXV, col.
512, : Non naturali necessitate ductus Pater genuit Filium. Ergo
videtur quod non sit naturalis generatio. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette question. Il semble que le Père n’a pas engendré le Fils par
nature. Hilaire [Sur Les Assemblées, can. XXV, col. 512] dit en
effet : Ce n’est pas par une nécessité naturelle que le Père a
été conduit à engendrer le Fils. Il semble donc qu’il ne s’agisse pas là
d’une génération naturelle. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, in Deo idem est voluntas et natura. Sed Pater non genuit Filium
voluntate. Ergo nec genuit Filium natura. |
2. De plus, la volonté
s’identifie à la nature en Dieu. Mais le Père n’a pas engendré le Fils par
volonté. Il ne l’a donc pas engendré non plus par nature. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, sicut supra habitum est, dist. 3, quaest. 1,
art. 3, philosophi per rationes creaturarum potuerunt devenire in cognitionem
divinae naturae. Sed cognita natura cognoscitur operatio naturae. Ergo
potuerunt devenire in cognitionem generationis aeternae, si Pater naturaliter
genuit Filium : cujus contrarium superius est ostensum, dist. 3, quaest. 1,
art. 4. |
3. En outre, ainsi
que nous l’avons établi plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 3], les
philosophes ont pu en arriver à la connaissance de la nature divine au moyen
des causes des creatures. Mais une fois connue la nature, l’opération de la
nature est connue. Ils ont donc pu en arriver à la connaissance de la
génération éternelle, si le Père a engendré le Fils par nature: ce dont on a
pourtant plus haut démontré le contraire [dist. 3, quest.1, art.
4] |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1
Contra, Hilarius, De synodis § 58, col. 520 : Omnibus creaturis
substantiam Dei voluntas attulit ; sed Filio natura dedit. Ergo
videtur quod Pater genuit Filium natura. |
Cependant : 1. Hilaire dit [Sur les
Assemblées, &58, col. 520] : À toutes les créatures la
volonté de Dieu a apporté la substance, mais au Fils Dieu l’a donnée par
nature. Il semble donc que le Père a engendré le Fils par nature. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 2
Praeterea, Damascenus, lib. I Fid. orth., cap. VIII :Generatio
est opus divinae naturae existens. Ergo et cetera. |
2. En outre, Damascène dit
[Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. VIII] : La
génération est une œuvre qui existe dans la nature divine. Donc, etc. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod essentia divina, ut dictum est, dist. 3, art. 4, est
principium omnium actuum divinorum ; licet essentia sub ratione essentiae non
dicat principium actus qui est operatio, sed qui est esse. Sed cum in
essentia sit considerare diversa attributa, quae sunt realiter unum in ipsa,
ratione tamen distincta ; actus refertur ad essentiam secundum hoc attributum
vel illud, secundum quod exigit conditio actus ; sicut intelligere est ab
essentia divina, inquantum ipsa est intellectus ; et res volitae, quae
possunt esse vel non esse, producuntur ab essentia, inquantum ipsa est
voluntas. Et quia de ratione generationis est ut producatur genitum in
similitudinem generantis, et hujus productionis principium pertinet ad
naturam, quae est ex similibus similia procreans ; ideo dicitur, quod Pater
natura generat [genuit Éd. de Parme] Filium. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’essence divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 3, art. 4] est le
principe de tous les actes divins, bein que l’essence en tant qu’essence ne
signifie pas le principe de l’acte qui est l’opération mais celui de l’acte
qui est l’être. Mais puisque dans l’essence il faille considérer de nombreux
attributs qui sont réellement un en elle mais différents par la raison,
l’acte se rapporte à l’essence d’après cet attribut ou cet autre, selon ce
qu’exige la condition de l’acte ; par exemple, comprendre vient de
l’essence divine pour autant qu’elle est elle-même une intelligence, et les
choses voulues, qui peuvent être ou ne pas être, sont produites par l’essence
pour autant qu’elle-même est une volonté. Et parce qu’il est de la nature
même de la génération de produire ce qui est engendré à la ressemblance de ce
qui engendre, et que le principe de cette production appartient à la nature,
laquelle procrée du semblable à partir du semblable, c’est pourquoi nous
disons que le Père engendra le Fils par nature. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Hilarius naturalem necessitatem appellat, quando
virtute naturae aliquid agitur quod est contrarium voluntati, sicut fames et
sitis in nobis ; unde voluntas patitur quasi quamdam violentiam a natura ; et
talis necessitas non est in Deo. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’Hilaire appelle nécessité naturelle quand quelque chose se
passe en nous par une puissance de la nature qui est contraire à la volonté,
comme la faim et la soif en nous ; c’est pourquoi la volonté se trouve à
souffrir comme une certaine violence de la part de la nature ; et une
telle nécessité ne se trouve pas en Dieu. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis natura et voluntas sint idem re, differunt
tamen ratione, ut dictum est. Et ideo essentia divina in ratione naturae est
principium alicujus, cujus principium non est ipsa eadem, prout habet
rationem voluntatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que la nature et la volonté soient un par la chose, elles
diffèrent cependant par la raison, ainsi que nous l’avons déjà dit. Et c’est
pourquoi l’essence divine, en tant que nature, est principe de quelque chose
dont elle-même n’est pas le principe en tant qu’elle a raison de volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod naturam est [contingit Éd. de Parme]
cognoscere dupliciter. Vel perfecte comprehendendo ipsam ; et sic philosophi
non cognoverunt naturam divinam : quia sic cognovissent omnia opera divina,
et quaecumque sunt in ipsa. Vel est cognoscere [est om. Éd. de Parme]
per effectus ; et ita philosophi cognoverunt. Quia vero creatura non perfecte
repraesentat naturam divinam, secundum quod est principium generationis
aeternae et consubstantialis ; ideo generationem divinam, quae est ejus
operatio, non cognoverunt philosophi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il faut [qu’il est possible Éd. de Parme] connaître la
nature de deux manières. Soit en la comprenant parfaitement et en ce sens les
philosophes n’ont pas connu la nature divine car alors ils auraient connu
toutes les œuvres divines et tout ce qu’il y a en elle. Soit en la
connaissant au moyen des effets ; et de cette manière les philosophes
ont connu la nature divine. Mais parce que les créatures ne représentent pas
parfaitement la nature divine selon qu’elle est le principe de la génération
et de la consubstantialité éternelles, c’est pourquoi les philosophes n’ont
pas connu la génération divine qui est l’opération de la nature divine. |
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Distinctio 7 |
Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu. Principe] |
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Prooemium |
Prologue |
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Question 1 Article 1 – Y a-t-il de la
puissance générative en Dieu ? Article 2 – la puissance
générative est-elle une relation ? Article 3 – Parle-t-on de la
puissance d'engendrer et celle de créer de manière univoque ? Question 2 Article 1 – La puissance
d'engendrer est-elle dans le Fils ? Article 2 – Le Fils peut-il
engendrer un autre Fils Quæstiuncula 1 : Le Père
peut-il engendrer un autre fils ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu] |
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Hic quaeruntur duo : primo de potentia generandi
in Deo. Secundo de communitate
ipsius. Circa primum tria quaeruntur : 1 utrum in Deo sit
potentia ad generandum ; 2 quid sit illa
potentia, an sit absolutum aliquid vel ad aliquid ; 3 de
comparatione ipsius ad potentiam creandi. |
On s’interroge ici sur deux choses : En premier lieu sur la puissance d’engendre
qui est en Dieu. En deuxième lieu sur le caractère commun de
cette puissance. Et au sujet du premier point on pose trois questions : 1. Est-ce qu’il y a en Dieu une puissance
d’engendrer ; 2. Quelle est cette puissance ? Est-elle
quelque chose d’absolu ou de relatif ? 3. Est-elle semblable ou différente de la
puissance de créer ? |
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Articulus 1 : 7 q. 1 a. 1 tit.
Utrum potentia generativa sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ? |
7 q. 1
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit potentia ad
generandum. Quidquid enim exit ab aliqua potentia, sive sit potentia agentis
sive materiae, prius est in potentia quam sit in actu. Sed generatio Filii a Patre
non est hujusmodi, cum sit aeterna. Ergo non exit ab aliqua potentia. Ergo
in Deo non est potentia ad generandum. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas en Dieu une puissance d’engendrer. En effet, tout ce qui sort d’une
puissance, que ce soit de la puissance d’un agent ou de celle d’une matière,
est d’abord en puissance avant d’être en acte. Mais la génération du Fils du
Père n’est pas une génération de cette sorte, puisqu’elle est éternelle. Le
Fils ne provient donc pas d’une puissance. Il n’y a donc pas en Dieu une
puissance d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea,
illud quod per se est naturae, non exit ab ea mediante aliqua potentia, sicut
anima dat tale esse corpori nullo mediante. Sed generatio est
per se opus naturae, ut dicit Damascenus, Lib I, Fid. Orth., cap.VIII,
col. 814. Ergo
non est opus potentiae ; et sic idem quod prius. |
2. De plus, ce qui appartient
par soi à la nature ne naît pas d’elle au moyen d’une puissance, comme l’âme
qui donne telle existence au corps sans aucun intermédiaire. Mais la
génération est par soi une œuvre de la nature, ainsi que le dit Damascène
[Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. VIII, col. 814]. La
génération n’est donc pas l’œuvre d’une puissance et ainsi la conclusion est
identique à celle qui précède. |
7 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
omnis potentia vel est activa vel passiva. Sed in Patre non est potentia
passiva ad generandum Filium, quia secundum eam magis diceretur mater quam
pater. Nec est etiam in eo potentia activa ; quia, secundum philosophum,
V Metaph., text. 17 et IX metaph., text. 2, potentia activa est
principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud : unde potentia
activa exigit materiam in quam agat. Generatio autem Filii non est ex
materia. Ergo videtur quod in Deo non sit potentia ad generandum. |
3. Par ailleurs, toute
puissance est ou bien active ou bien passive. Mais il n’y a pas dans le Père
une puissance passive à engendrer le Fils car dans ce cas il devrait être
appelé mère plutôt que père. Et il n’y a pas en Lui une puissance active non
plus car d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 17, et
1X Métaphysique, texte 2] une puissance active est un principe de
changement dans un autre en tant qu’autre : c’est pourquoi la puissance
active exige une matière dans laquelle agir. Mais la génération du fils ne
procède pas d’une matière. Il semble donc qu’il n’y ait pas en Dieu une
puissance d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
Augustinus, II Contra Maxim., cap. VII, col. 761, arguit
: Si pater non potuit generare Filium aequalem et coaeternum sibi,
impotens fuit. Ergo ex hoc videtur quod potentia divina
etiam se extendat ad generationem Filii. |
Cependant: 1. Augustin [Contre
Maxim. Ch. VII, col. 761] affirme: Si le Père ne put
engendrer un Fils qui lui soit égal et coéternel, il fut impuissant. Il
semble donc à partir de là que la puissance divine s’étend même à la
génération du Fils. |
7 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis operatio demonstrat potentiam ipsius operantis.
Cum igitur actus generationis in infinitum transcendat productionem
creaturarum, quae tamen divinam omnipotentiam manifestat, videtur quod multo
fortius generatio Filii sit manifestativa divinae potentiae, et non nisi
sicut actus ejus. Ergo videtur quod in Deo sit potentia generandi. |
2. De plus, toute opération
manifeste la puissance de celui-là même qui pose l’opération.
Donc, puisque l’acte de la génération dépasse à l’infini la production des
créatures qui manifeste cependant la toute-puissance divine, il semble à plus
forte raison que la génération du Fils manifeste la puissance divine
puisqu’elle est son acte. Il semble donc qu’il y ait en Dieu une puissance
d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in creaturis aliquid producitur per potentiam naturalem, et
hoc producitur per similitudinem naturae ipsius producentis, sicut homo
generat hominem : producitur etiam aliquid per potentiam rationalem, et hoc
producitur in similitudinem producentis quantum ad speciem, non naturae, sed
in ratione existentiae [existentem Éd. de Parme] ; cum omne agens
agat sibi simile aliquo modo ; sicut domus producitur ab artifice, et recipit
similitudinem speciei quam artifex habet in mente. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans les créatures quelque chose est produit par une puissance naturelle,
et que cela est produit à la ressemblance de la nature de celui qui produit,
comme c’est le cas pour l’homme qui produit un homme ; mais quelque
chose est produit aussi par une puissance rationnelle et cela est produit à
la ressemblance de celui qui produit quant à l’espèce qui n’est pas celle de
la nature, mais de celle qui existe dans la raison, puisque tout agent
produit ce qui lui ressemble d’une certaine manière : par exemple, la
maison est produite par l’artisan et reçoit la ressemblance de la forme que
l’artisan a à l’esprit. |
Et secundum
hos duos modos aliquid producitur a Deo. Procedit enim
aliquid a Deo in similitudinem naturae, recipiens totam naturam ; nec eamdem
specie tantum, sed eamdem numero ; et sic Filius procedit a Patre per actum
generationis. Unde in Deo est potentia ad generandum similis potentiae
naturali. Procedit etiam aliquid a Deo in similitudinem ideae existentis in
mente divina, quod non recipit naturam divinam, sicut creaturae. Unde
potentia operandi in creaturis est sicut potentia rationalis in Deo ; et
secundum istam potentiam attenditur omnipotentia in Deo. Persona enim divina,
quae procedit per potentiam quasi naturalem, non est aliquid connumeratum
omnibus. Unde potentia generandi non continetur sub omnipotentia, sicut
potentia creandi. Hoc tamen melius explicabitur infra, XX dist. [sicut… XX
dist. om. Éd. de Parme]. |
Et une chose est produite par
Dieu selon ces deux modalités. En effet un être procède de Dieu selon une
ressemblance de nature en recevant toute sa nature ; et il n’est pas
seulement de même espèce, mais de même individualité ; et c’est ainsi
que le Fils procède du Père par son acte de génération. Il y a par conséquent
en Dieu une puissance à engendrer qui est semblable à une puissance
naturelle. Mais quelque chose peut encore procéder de Dieu à la ressemblance
d’une idée existant dans l’esprit divin et qui ne reçoit pas la nature
divine, comme c’est le cas pour les créatures. C’est pourquoi la puissance
d’opérer dans les créatures est comme une puissance rationnelle en
Dieu ; et c’est d’après cette puissance que s’entend la toute-puissance
de Dieu. En effet la Personne divine qui procède de Dieu par une puissance
quasi naturelle, n’est pas quelque chose qui est compté parmi tous les autres
êtres. C’est pourquoi la puissance d’engendrer n’est pas comprise dans la
toute-puissance comme c’est le cas pour la puissance de créer. Cela sera
cependant mieux expliqué par la suite lors de l’examen de la distinction XX
[comme … dist. XX om. Éd. de Parme]. |
7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod illud est verum, quando actus differt realiter a potentia
a qua exit : tunc enim oportet quod prius sit in potentia quam in actu vel
tempore vel natura. Sed in Deo est omnino idem re essentia, potentia et operatio,
sed differunt tantum ratione ; et ideo in divinis non valet. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce qui est dit là est vrai quand l’acte diffère réellement
de la puissance de laquelle il procède : il faut alors en effet que
l’être en question existe d’abord en puissance avant d’exister en acte, ou
bien par le temps ou bien par la nature. Mais en Dieu l’essence, la puissance
et l’opération sont absolument identiques par la chose et diffèrent seulement
par la raison. Et c’est pourquoi cet argument ne tient plus à l’égard des
personnes divines. |
Vel dicendum, quod in divinis
personis est tantum ordo naturae, quo, secundum Augustinum, aliquis est ex
alio, et non prior alio. Unde non potest concludi aliqua prioritas per hoc
quod Filius generatur ex potentia Patris. |
Ou bien il faut dire qu’il
n’y a dans les personnes divines qu’un ordre de nature par lequel, selon
Augustin, l’un procède de l’autre et non antérieurement à l’autre. C’est
pourquoi on ne peut conclure aucune antériorité du fait que le Fils est
engendré à partir de la puissance du Père. |
7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod natura vel essentia comparatur ad duo : ad habentem, et ad id
cujus natura est principium. Inter essentiam igitur et habentem essentiam non
cadit aliqua potentia media quantum ad actum ipsius essentiae in habentem,
qui est esse ; sed ipsa essentia dat esse habenti : et iste actus est quasi
actus primus. Egreditur etiam ab essentia alius actus, qui est etiam actus
habentis essentiam sicut agentis, et essentiae sicut principii agendi : et
iste est actus secundus, et dicitur operatio : et inter essentiam et talem
operationem cadit virtus media differens ab utroque, in creaturis etiam
realiter, in Deo ratione tantum ; et talis actus est generare ; et ideo, secundum
modum intelligendi, natura non est principium ipsius nisi mediante potentia. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la nature ou l’essence se compare à deux choses : d’abord à
celui qui la possède, puis à ce dont la nature est le principe. Donc entre
l’essence et celui qui la possède on ne trouve aucune puissance intermédiaire
quant à l’acte de l’essence même dans celui qui la possède, et qui est
l’existence ; mais l’essence elle-même donne l’existence à celui qui la
possède : et cet acte est comme l’acte premier. Mais de l’essence sort
un autre acte qui est aussi l’acte de celui qui possède l’essence en tant
qu’agent et qui est l’acte de l’essence comme principe d’action : et
c’est là l’acte second qu’on appelle l’opération ; et c’est entre l’essence
et une telle opération qu’on retrouve une puissance intermédiaire qui diffère
des deux ( de l’essence et de l’opération) réellement et par la raison dans
les créatures, mais en Dieu par la raison seulement ; et cet acte est
l’acte d’engendrer ; et c’est pourquoi, d’après le mode de comprendre,
la nature n’est le principe de cet acte que par l’intermédiaire d’une
puissance. |
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Article 2 – La puissance générative est-elle une relation ? |
7 q. 1
a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod potentia generandi sit
ad aliquid. Remoto enim intellectu distinctarum personarum a divinis, adhuc
manet intellectus omnium quae absolute dicuntur, sicut bonitas, sapientia et
hujusmodi. Sed remoto intellectu personarum, non remanet potentia generandi :
quia remotis personis removetur generatio, et remota generatione removetur
potentia generandi ; non enim potest in divinis esse aliquid in potentia quod
non sit actu ; alias Deus esset mutabilis. Ergo non est de absolutis, sed de ad
aliquid dictis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière
qui suit par rapport à cette deuxième question. Et il semble que la puissance
d’engendrer soit une relation. Si en effet on fait disparaître de Dieu
l’intelligence des personnes divines, il demeure encore l’intelligence de
tous les attributs qui se disent absolument de Lui, comme la bonté, la
sagesse, etc. Mais si on écarte l’intelligence des personnes, la puissance
d’engendrer n’est pas conservée : car une fois écartées les personnes,
la génération est elle aussi écartée et une fois cette dernière écartée, la
puissance d’engendrer l’est aussi ; il ne peut en effet exister en Dieu
une puissance qui ne soit pas en acte, autrement Dieu serait sujet au
changement. La puissance d’engendrer ne fait donc pas partie des attributs absolus,
mais de ceux qui se disent par la relation. |
7 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, potentiae distinguuntur per actus. Sed generare in
divinis est ad aliquid dictum : quia generatio est proprietas ipsa relativa,
ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 2. Ergo et potentia generandi. |
2. De plus, les puissances se
distinguent par leurs actes. Mais en Dieu engendrer se dit par la
relation : car la génération est elle-même une propriété qui est
relative ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 2]. Donc
la puissance d’engendrer l’est aussi. |
7 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis operatio propria alicujus rei egreditur a forma
propria ejusdem, sicut comburere a forma ignis. Sed generare Filium in
divinis, est propria operatio Patris. Ergo principium illius erit propria
forma Patris. Hoc autem est paternitas, quae relatio quaedam est. Cum
igitur principium operationis sit potentia, videtur quod potentia generandi
sit ad aliquid. |
3. En outre, toute
operation qui est propre à une chose procède de la forme qui est propre à
cette chose, tout comme brûler procède de la forme du feu. Mais en Dieu,
engendrer le Fils est l’opération propre du Père. Donc le principe de cette
opération sera la forme qui est propre au Père. Mais c, il semble ette forme
est la paternité, laquelle est une relation. Donc, puisque le principe de
l’opération est la puissance, il semble que la puissance d’engendrer soit une
relation. |
7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
cujus est actus, ejus est potentia, secundum philosophum. De sensu et
sens., lect. 5, Sed, secundum Damascenum, I Fid.
Ortho., cap. VIII, col 814, generatio est actus naturae. Ergo et
potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] est ipsius
naturae. Sed [om. Éd. De Parme] natura autem est absolute dictum. Ergo
et potentia. |
Cependant : 1. D’après le Philosophe, ce
d’où procède l’acte est la puissance de cet acte [Du Sens et du Senti,
leçon 5]. Mais d’après Damascène, [1 De la Foi Orthodoxe,
ch. VIII, col. 814] la génération est l’acte de la nature. Et donc
la puissance d’engendrer [d’engendrer om. Éd. de Parme]
appartient à la nature elle-même. Mais [om. Éd. de Parme] la nature se
dit cependant absolument. Il en est donc de même pour la puissance. |
7 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea,
in qualibet generatione univoca idem est principium generationis et terminus
; sicut homo generat hominem. Sed terminus generationis in divinis est
essentia, quae communicatur per generationem, ut supra dictum est, dist. 5,
qu. 1, art. 1. Ergo essentia etiam est principium generationis ; et sic
videtur quod potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] sit
essentiale. |
2. En outre, dans toute
génération univoque, le principe est identique à son terme, tout comme
l’homme qui engendre un homme. Mais en Dieu le terme de la génération est
l’essence, laquelle se communique parla génération ainsi que nous l’avons dit
plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Donc l’essence est aussi le principe
de la génération. Et ainsi il semble que la puissance d’engendrer
[d’engendrer om. Ed. de Parme] soit essentielle. |
7 q. 1 a. 2 co. Respondeo,
quidam dixerunt, quod potentia generandi simpliciter est ad aliquid non
tantum ex parte actus, sed etiam ex parte ipsius potentiae : potentia enim
dicit relationem principii. Sed hoc nihil est : quia potentia non est
relativum secundum suum esse, sed solum secundum dici : immo potentia
significat etiam illud quod est principium, et non tantum relationem
principii. Sic enim quaerimus hic de potentia generandi. Principium autem
cujuslibet operationis divinae, ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 1,
est essentia divina. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que certains ont
soutenu que que la puissance d’engendrer, à parler absolument, est relative
non seulement du côté de l’acte mais aussi du côté de la puissance
elle-même : qui dit puissance en effet dit relation à un principe. Mais
cela n’est rien : car la puissance n’est pas relative quant à son
existence, mais seulement quant à l’attribution : bien plutôt, la
puissance signifie aussi cela même qui est principe et non seulement la
relation au principe. C’est en ce sens en effet que nous menons ici notre
recherche sur la puissance d’engendrer. Mais le principe de toute opération
divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 4, quest. 1, art. 1], est l’essence
divine. |
Sed ab essentia egreditur
aliquis actus, secundum quod essentia est sapientia ; et aliquis, secundum
quod est voluntas ; et sic de aliis attributis. Similiter dico, quod cum
proprietas realiter sit essentia, essentia secundum quod est ipsa paternitas,
est principium hujus actus qui est generare, non sicut agens, sed sicut quo
agitur : unde principium generationis est essentiale sub ratione relationis :
unde est quasi medium inter essentiale et personale ; ex parte enim illa qua
potentia, quae est media inter essentiam et operationem, radicatur in
essentia, est absolutum ; ex parte autem illa qua conjungitur operationi, est
relativum. |
Mais certains actes procèdent
de l’essence selon que l’essence est sagesse ; et d’autres selon que
l’essence est volonté et il en est de même pour les autres attributs. De
même, je dis que puisque la propriété est réellement l’essence, l’essence en
tant qu’elle est la paternité elle-même est le principe de cet acte qui est
celui d’engendrer, non pas en tant qu’agent, mais comme ce par quoi l’opération
est posée : c’est pourquoi le principe de la génération est essentiel
sous le rapport de la relation : de là il est comme intermédiaire entre
ce qui est essentiel et ce qui est personnel ; en effet, du côté par
lequel la puissance, qui est intermédiaire entre l’essence et l’opération,
s’enracine dans l’essence, le principe de la génération est absolu ;
mais du côté par lequel il est uni à l’opération, il est relatif. |
7 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, remoto intellectu personarum, remanent
ea quae sunt pure absoluta. Sed hujusmodi est potentia generandi, ut dictum est, in
corp. art., et ideo non remanet, subtractis personis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’une fois qu’on écarte l’intelligence des personnes, les attributs qui
sont purement absolus demeurent. Mais la puissance d’engendrer est de cette
sorte ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et c’est pourquoi
elle n’est pas conservée une fois qu’on fait abstraction des personnes. |
7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis potentiae innotescant per actus, non tamen oportet
quod in eodem genere ponantur potentiae et actus, praecipue de potentiis
activis : unde quamvis generare sit ad aliquid, non tamen oportet quod
potentia generandi sit ad aliquid ; sed verum est quod posse generare est
posse ad aliquid accusativi casus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que les puissances sont connues par leurs actes, il n’est
cependant pas nécessaire que les puissances et les actes soient posés dans le
même genre, principalement dans le cas des puissances actives : de là,
bien qu’engendrer soit un relatif, il n’est cependant pas nécessaire que la
puissance d’engendrer soit un relatif ; mais il est vrai que le pouvoir
d’engendrer soit un pouvoir relatif à un accusatif. |
7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod natura communis in unoquoque operatur secundum conditionem
ipsius : unde anima sensibilis habet in diversis animalibus diversas
operationes, et etiam in diversis organis sentiendi. Et hoc ideo est, quia
natura communis determinatur et contrahitur in unoquoque, secundum
proprietates inventas in illo. Divina autem natura non contrahitur neque
determinatur per proprietates suppositorum ; tamen natura divina in Patre est
proprietas patris, et in Filio est proprietas Filii. Ideo autem non
contrahitur, quia proprietas non est aliud [ab essentia vel add. Éd.
De Parme] ipsa natura, ut adveniat sibi quasi dispositio contrahens. Ideo
etiam [natura add.. Éd. De Parme] non determinatur vel
distinguitur, quia relatio non distinguitur secundum id quod est (sed
secundum hoc tantum comparatur ad essentiam, cum qua est idem re) sed
secundum quod ad alterum est, et sic respicit personam, et distinguit eam :
et ideo in Patre est principium operationis secundum proprietatem patris et
in Filio secundum proprietatem Filii. Unde eadem operatio est et naturae
communis, et propriae formae ipsius patris : et ideo potentia generandi, ut
dictum est, in corp. art., est medium inter absolutum et relatum. Et hoc
voluerunt quidam dicere, dicentes potentiam generandi absolutum, si
consideretur potentia remota, vel indisposita et ad aliquid si consideretur
potentia disposita [et ad aliquid…disposita om. Éd. De Parme] ;
quamvis improprie locuti sint, quia proprietas non disponit essentiam, sed
suppositum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la nature commune opère en chaque être d’après les conditions de cet
être : c’est pourquoi l’âme sensible est capable de différentes
opérations dans des animaux différents, et même dans des organes de sensation
différents. Et il en est ainsi parce que la nature commune se détermine et se
limite en chaque être d’après les propriétés qui se trouvent en lui. Mais la
nature divine n’est pas limitée et bornée par les propriétés des
suppôts ; cependant la nature divine dans le Père est la propriété du
Père et dans le Fils elle est la propriété du Fils. C’est pourquoi cependant
que cette nature n’est pas restreinte ou diminuée de manière à recevoir une
disposition qui la limiterait, parce que la propriété n’est rien d’autre que
la nature même [que l’essence ou add. Éd. de Parme]. C’est
pourquoi encore elle [la nature add. Ed. de Parme] n’est pas
limitée ou différenciée, car la relation ne se distingue selon ce qui est
(mais seulement selon qu’elle se compare à l’essence avec laquelle elle est
identique par la chose) mais selon qu’elle se rapporte à un autre et ainsi
elle concerne la personne et la distingue : et c’est pourquoi dans le
Père elle est le principe d’opération selon la propriété du Père et dans le
Fils selon la propriété du Fils. Par conséquent la même opération relève à la
fois de la nature commune et de la forme propre du Père lui-même : et
c’est pourquoi la puissance d’engendrer, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article, est intermédiaire entre l’absolu et le relatif. Et c’est
là ce que certains ont voulu dire en disant que la puissance d’engendrer est
un absolu si la puissance est considérée comme retirée ou non ordonnée, et
comme un relatif si la puissance est considérée comme ordonnée [comme
relatif…ordonnée om. Éd. de Parme] ; ils se sont cependant
exprimés improprement, car la propriété n’ordonne pas l’essence mais le
suppôt. |
7 q. 1
a. 2 ad s. c. Et per ea quae dicta sunt, patet etiam solutio ad sequentia. |
Et la solution aux arguments
qui suivent devient claire au moyen de ce que nous avons dit. |
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Articulus 37 q. 1 a. 3 tit.
Utrum potentia dicatur univoce de potentia generandi et potentia creandi. |
Article 3 – Parle-t-on de manière univoque de la puissance d’engendrer et de la puissance créatrice[8] ? |
7
q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod potentia non dicitur
univoce de potentia generandi et creandi. Potentiae enim distinguuntur per
actus, et actus per objecta. Sed Filius Dei et creaturae non univocantur in
aliquo. Ergo nec generatio et creatio. Igitur ulterius nec potentia generandi
et creandi. |
Difficultés : 1. Il semble que la puissance
ne s’attribue pas univoquement à la puissance d’engendrer et à celle de
créer. Les puissances en effet se distinguent par leurs actes et les actes
par leurs objets. Mais le Fils de Dieu et les créatures ne reçoivent aucune
attribution univoque. Donc, la génération et la création n’en reçoivent pas
non plus. Par conséquent, la puissance d’engendrer et de créer ne reçoivent
pas une attribution univoque. |
7 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, potentia creandi est simpliciter absoluta. Sed potentia generandi
est quodammodo ad aliquid. Cum igitur nihil univocetur ad absolutum et
relatum, cum sint in diversis praedicamentis, videtur quod potentia non
univoce dicatur de utraque. |
2. En outre, la puissance de
créer est absolue en tant que telle. Mais la puissance d’engendrer est en
quelque sorte relative. Donc, puisque rien ne se dit univoquement de l’absolu
et du relatif, puisqu’ils sont dans des prédicaments différents, il semble
que la puissance ne se dise pas univoquement des deux. |
7 q. 1 a. 3 arg. 3 Contra,
sicut dictum est, art. antec., potentia generandi est ipsa divina essentia ;
similiter etiam potentia creandi, cum Deus sit primum agens, et omnis sua
operatio sit per suam essentiam. Ergo videtur quod utraque sit una potentia. |
3. Cependant, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article précédent, la puissance d’engendrer est l’essence
divine elle-mpeme ; et il en est de même encore de la puissance de
créer, puisque Dieu est l’agent premier, et que toute son opération
s’effectue par son essence. Il semble donc que les deux puissances soient une
seule et même puissance. |
7 q. 1 a. 3 arg. 4
Supposito quod potentia aliquo modo de eis dicatur secundum prius et
posterius, quaeritur quae istarum potentiarum sit prior, et videtur quod
potentia creandi. Commune enim est ante proprium, et essentiale ante
personale, secundum rationem intelligendi. Sed potentia creandi est communis
tribus personis ; potentia autem generandi videtur proprie pertinere ad
personam Patris. Ergo videtur quod potentia creandi sit prior. |
4. En supposant que la
puissance se dise d’une certaine manière de ces puissances selon l’avant et
l’après, on se demande laquelle de ces puissances est antérieure à l’autre,
et il semble que ce soit la puissance de créer. En effet, le commun est
antérieur au propre, et l’essentiel l’est au personnel, selon l’ordre
d’intelligibilité. Mais la puissance de créer est commune aux trois
personnes, alors que la puissance d’engendrer semble appartenir en propre à
la personne du Père. Il semble donc que la puissance de créer soit
antérieure. |
7
q. 1 a. 3 arg. 5 Contra, secundum ordinem actuum est ordo potentiarum. Sed
generatio est prior creatione, sicut aeternum temporali. Ergo et potentia generandi
est prior. |
5. Cependant, l’ordre des
puissances est conforme à l’ordre des actes. Mais la génération est antérieure
à la création, comme l’éternel l’est au temporel. Donc, la puissance
d’engendrer est antérieure. |
7 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod potentia est medium, secundum rationem intelligendi, inter
essentiam et operationem naturae. Possunt ergo considerari potentia creandi
et potentia generandi secundum quod radicantur in essentia divina : et sic
est una numero potentia, nedum univoce dicta. Possunt etiam considerari ex
parte qua conjunguntur operationi, et secundum hoc potentia dicitur de eis
non univoce, sed secundum prius et posterius, et potentia generandi erit
prior secundum rationem intelligendi quam potentia creandi, sicut generatio
est prior creatione. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la puissance
est intermédiaire, selon l’ordre d’intelligibilité, entre l’essence et
l’opération de la nature. La puissance de créer et celle d’engendrer peuvent
donc être considérées selon qu’elles s’enracinent dans l’essence
divine : et ainsi ce ne sont plus qu’une seule puissance par
le nombre et à plus forte raison elles se disent de manière univoque. Elles
peuvent aussi être considérées du côté par lequel elles se rattachent à
l’opération et de ce point de vue elles ne se voient pas attribuer la
puissance de manière univoque, mais plutôt selon l’avant et
l’après et alors la puissance d’engendrer est antérieure à la
puissance de créer selon l’ordre d’intelligibilité, tout comme la génération
est antérieure à la création. |
7
q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum, quod procedit de potentia
comparata ad actum. |
Solutions: 1. Et au moyen de
ce que nous avons dit la solution à la première difficulté, laquelle procède
de la puissance compare à l’acte, est évidente |
7 q. 1 a. 3 ad 2 Et
similiter ad secundum, quia potentia generandi non est ad aliquid nisi ex
parte illa qua conjungitur actui. |
2. Et il en est de même pour
la deuxième difficulté, car la puissance d’engendrer n’est relative que du
coté par lequel elle se rattache à l’acte. |
7 q. 1 a.
3 ad 3 Et similiter ad tertium, quod procedit e contrario de potentia
secundum quod se tenet a parte essentiae. |
3. Et il en est de même pour
la troisième qui procède au contraire de la puissance selon qu’elle se prend
du côté de l’essence. |
7 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod commune in divinis est ante proprium, quando commune per se
accipitur secundum rationem intelligendi ; sed quando commune accipitur cum
respectu ad creaturas, ratione respectus adjuncti, est posterius quam
proprium alicujus personae, secundum rationem intelligendi. |
4. Il faut dire pour la
quatrième difficulté qu’en Dieu le commun est antérieur au propre quand le
commun se prend en lui-même selon l’ordre d’intelligibilité ; mais quand
le commun se prend par rapport aux créatures, en raison du rapport ajouté, il
est postérieur à ce qui est propre à une personne, selon la raison
d’intelligibilité. |
7
q. 1 a. 3 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons la
quatrième difficulté. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’état commun de cette puissance] |
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Prooemium |
Prologue |
7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de communitate
hujus potentiae ; et circa hoc duo quaeruntur : 1 utrum potentia
generandi sit in Filio ; 2 utrum Filius possit generare |
Nous nous interrogeons ensuite sur le
caractère commun de cette puissance ; et à ce sujet nous nous posons
deux questions : 1. Est-ce que la puissance d’engendrer est
dans le Fils ? 2. Est-ce que le Fils peut engendrer ? |
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Articulus 1 : 7 q. 2 a. 1 tit.
Utrum potentia generandi sit in filio. |
Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le Fils ? |
7 q. 2
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Sicut supra dictum est, in corp. art.
2, qu. praeced., potentia generandi includit in se rationem
paternitatis. Sed paternitas non est in Filio. Ergo nec potentia
generandi. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette question. Ainsi que nous l’avons dit plus haut dans le corps
de l’article 2 de la question précédente, la puissance d’engendrer inclut en
elle la notion de paternité. Mais la paternité n’est pas dans le Fils. La
puissance d’engendrer n’y est donc pas non plus. |
7 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, cum potentia dicat rationem principii, potentia
generandi dicit principium generationis. Sed Filio nullo modo competit esse
principium generationis : esset enim principium suiipsius. Ergo in Filio
nullo modo est potentia generandi. |
2. En outre, puisque la
puissance a raison de principe, la puissance d’engendrer a raison de principe
de génération. Mais il n’appartient d’aucune manière au Fils d’être principe
de génération : Il serait en effet principe de lui-même. La puissance
d’engendrer n’est donc dans le Fils d’aucune manière. |
7 q. 2 a. 1 arg. 3 Contra,
sicut supra dictum est, in hac dist. qu. 1, art. 2, potentia generandi est
ipsa divina essentia. Sed essentia Patris tota est in Filio. Ergo videtur
quod etiam potentia generandi sit in filio. |
3. Cependant : Ainsi que nous l’avons dit
précédemment dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la puissance
d’engendrer est l’essence divine elle-même. Mais l’essence du Père dans sa
totalité est dans le Fils. Il semble donc que même la puissance d’engendrer
soit dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea,
nulla scientia vel voluntas est patris, quae non sit Filii. Ergo nec etiam
aliqua potentia, cum potentia illis duobus condividatur. Sed potentia generandi
est in Patre. Ergo et in Filio. |
4. De plus, il n’y a aucune
science et aucune volonté du Père qui ne soit pas aussi celle du Fils. Il n’y
a donc aussi aucune puissance de Père qui ne soit pas celle du Fils puisque
la puissance se divise en ces deux dernières constituantes. Mais la puissance
d’engendrer est dans le Père. Elle est donc aussi dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
potentia generandi dicitur tripliciter, secundum quod generandi potest esse
gerundium verbi impersonalis, vel verbi personalis activi, vel verbi
personalis passivi. Si sit gerundium verbi impersonalis, tunc
potentia generandi est potentia qua ab aliquo generatur ; et ita est in Filio
potentia generandi, idest qua a Patre generatur. Si sit gerundium verbi personalis activi, tunc
potentia generandi dicitur potentia ut generet ; et sic non est in Filio. Si sit gerundium verbi
personalis passivi, tunc potentia generandi dicitur potentia ut generetur ;
et ita est in filio, quia eadem potentia quae in Patre est ut generet, est in
Filio ut generetur. Et ista distinctio fundatur super id quod dictum est, in
corp., art. 2, quaest. praeced., quod potentia generandi est essentia divina,
a qua, prout in Patre est paternitas, est generatio activa ; et prout in
Filio est filiatio, erit generatio passiva. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la puissance d’engendrer se dit de trois manières : selon
qu’engendrer se prenne comme le gérondif d’un verbe impersonnel, comme celui
d’un verbe personnel actif, ou celui qu’un verbe personnel passif. S’il est le gérondif d’un
verbe impersonnel, alors la puissance d’engendrement est la puissance par
laquelle on est engendré par un autre ; et ainsi il y a dans le Fils une
puissance d’engendrement, c’est-à-dire celle par laquelle il est engendré par
le Père. S’il est le gérondif d’un
verbe personnel actif, alors la puissance d’engendrer signifie une puissance
qui engendre et ainsi une telle puissance n’est pas dans le Fils. S’il est le gérondif d’un
verbe personnel passif, alors la puissance d’engendrer signifie une puissance
qui permet à l’être d’être engendré ; et une telle puissance est dans le
Fils, car la même puissance qui est dans le Père pour qu’il engendre est dans
le Fils pour qu’Il soit engendré. Et cette distinction se fonde sur ce qui a
été dit [quest. 1, art. 2, corps], à savoir que la puissance d’engendrer est
l’essence divine par laquelle, en tant qu’elle est paternité dans le Père,
est une génération active ; mais en tant qu’elle est filiation dans le
Fils, elle est une génération passive. |
7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod potentia generandi ex parte qua conjungitur actui
includit in se paternitatem ; et secundum hoc non convenit filio : sed ex
parte illa qua radicatur in essentia, non includit ; et ita convenit Filio,
secundum quod generandi est gerundium verbi impersonalis, ut sit sensus :
potentia generandi est in Filio, idest, essentia divina per quam a Patre fit
generatio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la puissance d’engendrer, prise du côté par lequel elle est
rattachée à l’acte, inclut en elle la paternité ; et de ce point de vue
elle n’appartient pas au Fils. Mais prise du côté par lequel elle s’enracine
dans l’essence, elle n’inclut pas en elle la paternité et en ce sens elle
appartient au Fils, selon qu’engendrer est le gérondif d’un verbe
impersonnel, de sorte que le sens soit le suivant : la puissance
d’engendrer, à savoir l’essence divine par laquelle il y a génération par le
Père, est dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod potentia generandi non est nisi in Patre, secundum quod habet
rationem principii in se inclusam per modum paternitatis. Sed
alio modo potest esse in Filio, sicut dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la puissance d’engendrer n’est que dans le Père selon qu’elle a la
raison de principe incluse en elle par mode de paternité. Mais en un autre
sens elle peut être dans le Fils ainsi que nous l’avons dit. |
7 q. 2
a. 1 ad 3 Et ex his etiam quae dicta sunt patet solutio ad tertium. |
3. La solution à la troisième
difficulté devient elle aussi claire à partir de ce que nous avons dit. |
7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod voluntas et scientia non habent rationem principii respectu
generationis Filii, qui procedit per modum naturae, sed tantum respectu
creaturarum, quae producuntur a Deo sicut artificiata ; sed potentia etiam
habet rationem principii ad generationem divinam, et ideo magis potest trahi
ad personale, ut sit proprium alicujus personae, quam scientia et voluntas. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la volonté et la science n’ont pas raison de principe à l’égard de
la génération du Fils, qui procède par mode de nature, mais seulement à
l’égard des créatures qui sont produites par Dieu à la manière
d’artefacts ; mais la puissance aussi a raison de principe par rapport à
la génération divine, et c’est pourquoi elle peut, plus que la science et la
volonté, être attribuée à ce qui est personnel de manière à être propre à une
personne. |
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Articulus 2 : 7 q. 2 a. 2 tit.
Utrum Filius possit generare alium Filium |
Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
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7 q. 2
a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius possit
generare Filium alium. Secundum enim potentiam non impeditam est aliquid
potens operari. Sed in Filio est aliquo modo potentia generandi, ut dictum
est, art. anteced. Cum igitur potentia Dei non possit impediri, videtur quod Filius
possit generare alium Filium. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils puisse
engendrer un autre Fils. En effet, c’est d’après une puissance qui n’est pas
empêchée qu’une chose peut produire son opération. Mais dans le Fils il y a
en un sens une puissance d’engendre ainsi que nous l’avons dit dans l’article
précédent. Donc, puisque la puissance de Dieu ne peut être empêchée, il
semble que le Fils puisse engendrer un autre Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2
Praeterea, Filius est imago Patris perfecte repraesentans ipsum, secundum
perfectam similitudinem. Sed Pater potest generare. Ergo videtur quod etiam
Filius ; alias non perfecte assimilatur sibi. |
2. En outre, le Fils est une
image du Père qui Le représente parfaitement d’après une similitude parfaite.
Mais le Père peut engendrer. Il semble donc que le Fils le puisse aussi,
autrement il ne lui ressemblerait pas parfaitement. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3
Praeterea, quaecumque operatio est alicujus naturae communis, si est in uno
suorum suppositorum, est et in alio : sicut intelligere et ratiocinari
est operatio naturae humanae in Socrate et Platone. Sed
generatio est operatio divinae naturae in Patre. Ergo et in Filio. Videtur ergo quod Filius
possit generare Filium. |
3. De plus, toute opération
appartient à une nature commune, et si elle est dans l’un de ses suppôts,
elle est aussi dans l’autre : par exemple comprendre et raisonner sont
des opérations de la nature humaine qui se retrouvent à la fois dans Socrate
et Platon. Mais la génération est une opération de la nature divine dans le
Père. Elle est donc aussi dans le fils. Il semble donc que le Fils puisse
engendrer un autre Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Item,
posse generare est aliquid dignitatis patris ; alias non esset proprietas
personalis. Sed nulla dignitas est in Patre quae non sit in Filio, cum sint
omnino aequales in dignitate. Ergo Filius potest generare. |
4. Par ailleurs, le pouvoir
d’engendrer est quelque chose qui appartient à la dignité du Père, autrement
il ne serait pas une propriété personnelle. Mais toute dignité qui est dans
le Père est aussi dans le Fils, puisqu’ils sont absolument égaux en dignité.
Donc, le Fils peut engendrer. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1
Contra, secundum Anselmum [Augustinum Éd. De Parme], minimum
inconveniens Deo est impossibile. Sed si Filius generaret Filium, sequeretur
in Deo inconveniens, quia ille Filius generaret alium, et sic in infinitum.
Ergo videtur quod Filius non possit generare. |
Cependant : 1. Selon Anselme
[Augustin Éd. de Parme], la plus petite incohérence est
impossible à Dieu. Mais si le Fils engendrait un Fils, il s’ensuivrait en Dieu
une incohérence car ce Fils engendrait un autre Fils et il en serait ainsi à
l’infini. Il semble donc que le Fils ne puisse engendrer. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2
Praeterea, si ille Filius generaret alium [si …alium om. Éd. De Parme]
non esset ibi summa unio et indistantia aequalis, quia Filius Deus
propinquius se haberet ad Filium quam ad Patrem, et hoc non videtur in
divinis competere. |
2. En outre, si ce Fils
engendrait un autre Fils [si…un autre om. Éd. de Parme], il n’y
aurait pas là la plus grande union et la plus parfaite intimité, car le Fils
de Dieu serait plus près du Fils que du Père, et cela ne semble pas que cela
puisse convenir aux personnes divines. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 3
Praeterea, qui non potest esse pater, non potest generare. Sed Filius non
potest esse pater, quia sequeretur confusio personarum. Ergo et cetera. |
3. Par ailleurs, celui qui ne
peut être le Père ne peut pas engendrer. Mais le Fils ne peut être le Père,
car il s’ensuivrait une confusion des Personnes. Le Fils ne peut donc engendrer
un autre Fils. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
|
7 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1
Ulterius quaeritur, utrum Pater possit generare alium Filium : et videtur
quod sic. Quia per generationem in nullo diminuitur ejus potentia. Ergo qua
ratione potest generare unum, potest et generare plures. |
On se demande par la suite si
le Père peut engendrer un autre Fils : et il semble qu’il en soit ainsi
pour cette raison que sa puissance n’est diminuée en rien par la génération.
Donc, pour la même raison qu’Il peut engendrer un seul Fils, il peut en
engendrer plusieurs. |
7 q. 2
a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt quod Filius potest
generare alium Filium, sed ista potentia nunquam reducetur in actum propter
inconveniens, quod Augustinus inducit in littera. Sed hoc nihil est : quia in
perpetuis, secundum philosophum in III Phys., text. 32 non
differt esse et posse, et multo minus in divinis : unde quidquid non est in
Deo non potest esse ibi, alias Deus esset mutabilis. Unde dicendum
simpliciter, quod Filius non potest generare Filium. Et ratio hujus est, quia
ille Filius in nullo distingueretur ab alio. Cum enim personae divinae non
distinguantur secundum divisionem materiae, quia non sunt materiales, non
remanet ibi alia distinctio nisi per relationes originis. Impossibile est
autem quod una relatio originis, sicut filiatio, multiplicetur secundum
numerum, quia talis multiplicatio esset materialis. Unde in Deo non potest
esse nisi una filiatio, et una filiatione non constituitur nisi unus Filius ;
et ita in divinis non possunt esse plures Filii, nec plures Patres ; et hoc
pertinet ad perfectionem Filii, quia nihil de filiatione est extra ipsum in
divinis, unde est perfectus Filius. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains ont soutenu que le Fils peut engendrer un autre Fils mais que
cette puissance ne passe jamais à l’acte en raison d’une incohérence
qu’Augustin introduit dans une lettre. Mais il n’en est rien : car pour
ce qui est éternel, d’après le Philosophe [111 Physique, texte
32], il n’y a aucune différence entre l’existence et le pouvoir, et encore
moins chez les personnes divines : par conséquent, ce qui ne se retrouve
pas en Dieu ne peut se retrouver là, autrement Dieu serait sujet au
changement. C’est pourquoi il faut dire, à parler absolument, que le Fils ne
peut engendrer un autre Fils. Et la raison en est que ce Fils ne se
distinguerait en rien de l’autre. En effet, puisque les personnes divines ne
se distinguent pas d’après une division de la matière, car elles ne sont pas
matérielles, il ne se conserve pas là d’autre distinction que celle qui est
causée par les relations d’origine. Il est cependant impossible qu’une même
relation d’origine, par exemple la filiation, soit multipliée selon le
nombre, car une telle multiplication serait matérielle. C’est pourquoi en
Dieu il ne peut y avoir qu’une seule filiation, et par cette seule filiation
un seul Fils est constitué ; et ainsi dans les personnes divines il ne
peut y avoir plusieurs Fils et plusieurs Pères ; et cette unicité appartient
à la perfection du Fils, car il n’y a rien de la filiation qui soit en dehors
de Lui dans les personnes divines, d’où il suit qu’Il est le Fils parfait. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in Filio non est potentia generandi ; nisi secundum
quod radicatur in essentia, et non ex parte qua conjungitur actui generandi :
et ideo non sequitur quod sit actus ibi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il n’y a dans le Fils une puissance d’engendrer que selon
qu’elle s’enracine dans l’essence et non selon qu’elle se rattache à l’acte
d’engendrer : et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait là un
acte. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ubicumque est similitudo, oportet quod ibi sit aliqua
distinctio : quia, secundum Boetium, lib. III in Porphyr. ‘De
l’espèce’, col. 99 in similitudo est rerum differentium eadem qualitas, alias
non esset similitudo, sed identitas. Unde inter Filium et Patrem salvatur
perfecta similitudo. Sed remanente distinctione, in omnibus attributis
conveniunt. Si autem Filius generaret non remaneret distinctio inter Patrem
et Filium, cum non sit ibi distinctio, nisi per relationes originis ; et non
possit ibi esse nisi una paternitas tantum, ut dictum est, in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que partout où il y a ressemblance, il faut qu’il y ait là une
distinction : car, selon Boèce [111 Porphyre, De l’Espèce,
col. 99], dans la ressemblance il y a une qualité semblable pour des choses
différentes, autrement il n’y aurait pas similitude mais identité. C’est
pourquoi une parfaite ressemblance est conservée entre le Père et le Fils.
Mais, la distinction étant conservée, ils se ressemblent dans tous les
attributs. Mais si le Fils engendrait, la distinction entre le Père et le
Fils ne serait plus conservée puisqu’il n’y a là distinction que par les
relations d’origine : et il ne peut y avoir là qu’une seule paternité,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod generare non est actus divinae naturae, nisi secundum
quod natura divina est ipsa paternitas ; et sub tali ratione natura divina
non est in Filio. |
3. En troisième lieu il faut
dire qu’engendrer n’est l’acte de la nature divine que selon que la nature
divine est la paternité elle-même ; et sous ce rapport la nature divine
n’est pas dans le Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod dignitas est de absolute dictis : et ideo eadem est
dignitas Patris et Filii numero, sicut eadem essentia. Unde sicut paternitas in
Patre est essentia, et eadem essentia est in Filio non paternitas, sed
filiatio ; ita eadem dignitas numero quae in Patre est paternitas, in Filio
est filiatio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la dignité fait partie de ce qui se dit absolument : et c’est
pourquoi la dignité du Père et celle du Fils sont identiques par le nombre,
tout comme l’est leur essence. C’est pourquoi, tout comme la paternité dans
le Père est l’essence et que la même essence qui est dans le Fils n’est pas
la paternité mais la filiation, de même la même dignité par le nombre qui
dans le Père est paternité, dans le Fils est filiation. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3
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7 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id
quod ulterius quaeritur, patet solutio etiam per praedicta ; quia impossibile
est in divinis plures esse filios : hoc enim non est ex defectu potentiae
patris, sed ex distinctione suppositorum divinae naturae, quae tolleretur, ut
dictum est, in corp. art. |
Corps de l’article : À l’égard de ce qu’on cherche
à savoir par la suite, la solution est évidente aussi au moyen de ce qui a
été dit précédemment ; car il est impossible qu’il y ait plusieurs fils
dans les personnes divines : et cela ne vient pas d’un défaut de
puissance de la part du Père, mais de la distinction des suppôts de la nature
divine qui serait supprimée, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
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Dictinctio 8 |
Distinction 8 – [Les attributs divins : être, éternité, immutabilité, simplicité] |
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Prooemium |
Prologue |
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Question 1 – [L’être de Dieu] Article 1 Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ? Article 2. Dieu est-il l'être de toutes les créatures ? Article 3. Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ? Question 2 – [L’éternité de Dieu] Article 1. La définition de l'éternité donnée par Boèce convient-elle ? Article 2. L'éternité convient-elle à Dieu seulement ? Article 3. Est-ce que les paroles temporelles peuvent se dire de Dieu ? Question 3 – [L’immutabilité de Dieu] Article 1. Dieu est-il changeant de quelque manière ? Article 2. Toute créature est-elle changeante ? Article 3. Les modes de changement des créatures ont-ils été assignés convenablement par Augustin. Question 4 – [La simplicité de Dieu] Article 1. Dieu est-il tout à fait simple ? Article 2. Dieu est-il dans la catégorie de la substance ? Article 3. Est-ce que d'autres catégories que la substance peuvent se dire de Dieu ? Question 5 – [La simplicité des créatures] Article 1. Y a-t-il une créature qui soit simple ? Article 2. L'âme est-elle simple ? Article 3. L'âme est-elle toute en tout et toute en chaque partie ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’être de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Circa primam partem distinctionis, in qua agitur de
proprietate divini esse, duo quaeruntur: primo de ipso esse divino. Secundo de mensura ejus,
scilicet aeternitate. In primo tria quaeruntur: 1 utrum esse Deo proprie conveniat ; 2 utrum suum esse sit esse cujuslibet creaturae ; 3 de ordine hujus
nominis, qui est, ad alia divina nomina. |
Au sujet de la première
partie de la distinction, dans laquelle on traite de la propriété de
l’existence divine, on s’interroge sur deux choses : Premièrement sur l’existence
même de Dieu. Deuxièmement sur la mesure de
cette existence, à savoir l’éternité. Et sur le premier point on se
demande trois choses : 1. Est-ce que l’existence
appartient proprement à Dieu ? 2. Est-ce que son existence
est l’existence de toute créature ? 3. Quel est le rapport de ce
nom, ¨celui qui est¨, aux autres noms divins ? |
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Articulus 1. lib. 1 d. 8 q. 1
a. 1 tit. Utrum esse proprie dicatur de Deo. |
Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ? |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod esse non proprie dicatur de
Deo. Illud enim est proprium alicui quod sibi soli convenit. Sed esse non
solum convenit Deo, immo etiam creaturis. Ergo videtur quod esse non proprie
Deo conveniat. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette première question. Il semble que l’existence ne se dise pas
proprement de Dieu. En effet, ce qui est propre à un être n’appartient qu’à
lui. Mais l’existence n’appartient pas qu’à Dieu, mais bien aussi aux
créatures. Il semble donc que l’existence n’appartienne en propre à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, non possumus nominare Deum, nisi secundum quod ipsum cognoscimus ;
unde Damascenus lib. Fid. Orth., cap. XIII :
« Verbum est Angelus », idest nuntius intellectus. Sed nos non
possumus cognoscere Deum in statu viae immediate, sed tantum ex creaturis.
Ergo nec nominare. Cum igitur qui est non dicat aliquem respectum ad
creaturas, videtur quod non proprie nominet Deum. |
2. Par ailleurs, nous ne
pouvons nommer Dieu que d’après ce que nous connaissons de Lui ; c’est
pour cette raison que dans son livre, Damascène [De la Foi orthodoxe,
ch. XIII] dit : ¨L’Ange est une Parole¨, c’est-à-dire une intelligence
qui annonce ou fait connaître. Mais nous ne pouvons connaître Dieu de façon
immédiate dans l’état de la vie présente, mais seulement à partir des
créatures. Nous ne pouvons donc pas non plus le nommer. Donc, puisque ¨celui
qui est¨ ne dit rien par rapport aux créatures, il semble que ce nom ne se
dise pas proprement de Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut sapientia creata deficit a sapientia
increata, ita et esse creatum ab esse increato. Sed propter hoc nomen
sapientiae dicitur deficere a perfecta significatione divinae sapientiae,
quia est impositum a nobis secundum apprehensionem creatae sapientiae. Ergo videtur quod eadem
ratione nec hoc nomen qui est, proprie significet divinum [Deum Éd.
de Parme] esse: et ita non oportet dici magis proprium nomen ejus quam
alia nomina. |
3. De plus, tout comme la
sagesse créée est fort éloignée de la sagesse incréée, de même l’existence
créée est fort éloignée de l’existence incréée. Mais c’est pour cette raison
qu’on dit que le nom de sagesse est loin de signifier parfaitement la sagesse
divine car il est imposé par nous d’après une compréhension de la sagesse
créée. Il semble donc pour la même raison que ce nom, à savoir ¨celui qui
est¨, ne signifie pas proprement l’existence divine [Dieu, Éd. de
Parme]. |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, Damascenus lib. I, Fid. Orth., cap. 9, dicit, quod « qui
est » non significat quid est Deus, sed quoddam pelagus substantiae
infinitum. Sed infinitum non est comprehensibile, et per consequens non
nominabile sed ignotum. Ergo videtur quod qui est non sit divinum nomen. |
4. En outre, Damascène [Livre 1, De la Foi
Orthodoxe, ch. 9] dit que ¨celui qui est¨ ne signifie pas ce qu’est Dieu
mais comme une mer de substance infinie. Mais l’infini n’est pas intelligible
et il ne peut par conséquent être nommé mais seulement rester inconnu. Il
semble donc que ¨celui qui est¨ ne soit pas un nom divin. |
lib. 1 d. 8
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Exod. III, 14, Dixit Dominus [Deus Éd.
de Parme] ad Moysen: si quaesierint nomen meum, sic dices filiis
Israel: Qui est, misit me ad vos. Hoc idem videtur per Damascenum ubi
supra, cap. IX, dicentem quod qui est, maxime est proprium nomen
Dei: et per Rabbi Moysen, qui dicit, hoc nomen esse nomen Dei ineffabile,
quod dignissimum habebatur. |
Cependant : 1. On lit dans l’Exode (111,
14) que le Seigneur dit à Moïse : S’ils te demandent mon nom, tu
parleras ainsi aux fils d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous.
Cette parole semble être identique à ce que dit Damascène plus haut au
chapitre 1X où il dit que ¨celui qui est¨ est le nom qui se dit le plus
proprement de Dieu, et identique aussi à ce que dit le rabbi Moïse qui dit
que ce nom est le nom ineffable de Dieu et le plus digne qu’on possédait. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod qui est, est maxime proprium nomen Dei
inter alia nomina. Et ratio hujus potest esse quadruplex: prima sumitur ex
littera ex verbis Hieronymi secundum perfectionem divini esse. Illud enim est
perfectum cujus nihil est extra ipsum. Esse autem nostrum habet aliquid sui
extra se: deest enim aliquid quod jam de ipso praeteriit, et quod futurum
est. Sed in divino esse nihil praeteriit nec futurum est: et ideo totum esse
suum habet perfectum, et propter hoc sibi proprie respectu aliorum convenit
esse. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que ¨celui qui est¨ est le nom qui, parmi tous les autres noms, s’attribue le plus proprement à Dieu. Et on peut le montrer au moyen de quatre raisons. La première se tire du texte à partir des paroles de Jérôme sur la perfection de l’existence divine. Est parfait en effet ce dont rien n’est en dehors de lui. Mais notre existence a quelque chose qui est en dehors d’elle : elle manque en effet de quelque chose qui lui échappe encore à présent et qui est dans l’avenir. Mais rien ne manque à l’existence divine et qui est dans l’avenir : et c’est pourquoi il possède toute son existence dans sa perfection, et c’est pour cette raison que l’existence, parmi tous les autres noms, est le nom qui lui convient en propre. |
Secunda
ratio sumitur ex verbis Damasceni lib. I Fid. Orth., cap. IX),
qui dicit, quod qui est significat esse indeterminate, et
non quid est: et quia in statu viae hoc tantum de ipso cognoscimus, quia est,
et non quid est, nisi per negationem, et non possumus nominare nisi secundum
quod cognoscimus, ideo propriissime nominatur a nobis « qui est ». |
La deuxième raison se tire
des paroles de Damascène [1, De la Foi Orthodoxe, ch. 1X], qui
dit que ¨celui qui est¨ signifie l’existence d’une manière indéterminée et
non pas ce qu’est la chose : et parce que dans l’état de la vie présente
nous connaissons de Lui seulement qu’Il est et non ce qu’Il est, sauf par la
négation, et que nous ne pouvons le nommer que d’après ce que nous en connaissons,
c’est pourquoi nous nommons Dieu de la manière la plus propre qui soit par ce
nom : ¨celui qui est¨. |
Tertia ratio sumitur ex verbis
Dionysii, qui dicit, quod esse inter omnes alias divinae bonitatis
participationes, sicut vivere et intelligere et hujusmodi, primum est, et
quasi principium aliorum, praehabens in se omnia praedicta, secundum quemdam
modum unita ; et ita etiam Deus est principium divinum, et omnia sunt unum in
ipso. |
La troisième raison se tire
des paroles de Denys qui dit que l’existence, parmi toutes les autres
participations de la bonté divine, comme vivre, comprendre etc., est la
première et comme le principe de toutes les autres, possédant à l’avance en
elle, unies d’après une certaine modalité, toutes les autres dont nous avons
parlé ; et c’est pourquoi encore Dieu est le principe divin et que
toutes les choses existent en Lui dans l’unité. |
Quarta ratio potest sumi ex
verbis Avicennae, Metaph., tract. VIII, cap. 1, in hunc
modum, quod, cum in omni quod est sit considerare quidditatem suam, per quam
subsistit in natura determinata, et esse suum, per quod dicitur de eo quod
est in actu, hoc nomen res imponitur rei a quidditate sua, secundum Avicennam
tract. II Metaph, cap. 1, hoc nomen qui est vel ens imponitur ab
ipso actu essendi. Cum autem ita sit quod in qualibet re creata essentia sua
differat a suo esse, res illa proprie denominatur a quidditate sua, et non ab
actu essendi, sicut homo ab humanitate. In Deo autem ipsum esse suum est sua
quidditas: et ideo nomen quod sumitur ab esse, proprie nominat ipsum, et est
proprium nomen ejus: sicut proprium nomen hominis quod sumitur a quidditate
sua. |
La quatrième raison peut se
tirer des paroles d’Avicenne [Métaphysique, traité VIII,
ch. 1] de la manière qui suit, à savoir que puisque dans tout ce qui existe
il faut considérer la quiddité, par laquelle la chose existe dans une nature
déterminée, puis l’existence par laquelle on dit d’elle qu’elle existe en
acte, selon Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1] le nom ¨chose¨ est imposé
à la chose en partant de sa quiddité, alors que ce nom ¨qui est¨ ou ¨étant¨
lui est imposé à partir de l’acte même d’exister. Mais puisque toute chose
créée est telle que son essence diffère de son existence, cette chose est
proprement dénommée à partir de sa quiddité, comme l’homme qui est dénommé à
partir de son humanité, et non à partir de son acte d’exister. Mais en Dieu
son existence même est sa quiddité : et c’est pourquoi le nom qui est
tiré de l’existence Le nomme proprement et est son nom propre, tout comme le
nom propre de l’homme est celui qui se tire de sa quiddité. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod cum dicitur aliquid proprie convenire alicui, hoc
potest intelligi dupliciter: aut quod per proprietatem excludatur omne extraneum
a natura subjecti, ut cum dicitur proprium hominis esse risibile, quia nulli
extraneo a natura hominis convenit ; et sic esse non dicitur proprium Deo,
quia convenit etiam creaturis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que quelque chose appartient en propre à un
être, cela peut s’entendre de deux manières : soit par ¨propre¨ on
exclut tout ce qui est extérieur à la nature du sujet, comme lorsqu’on dit
que la capacité de rire est le propre de l’homme, car cette capacité ne se
retrouve nulle part à l’extérieur de la nature humaine ; et en ce sens
l’existence ne s’attribue pas proprement à Dieu car elle appartient aussi aux
créatures. |
Aut secundum quod excluditur
omne extraneum a natura praedicati, ut cum dicitur, hoc proprie esse aurum,
quia non habet admixtionem alterius metalli, et hoc modo esse dicitur
proprium Deo, quia non habet admixtionem divinum esse alicujus privationis
vel potentialitatis, sicut esse creaturae. Et ideo pro eodem in littera
sumitur proprietas et veritas: verum enim aurum dicimus esse quod est
extraneo impermixtum. |
Soit par propre on exclut
tout ce qui est extérieur à la nature du prédicat, comme lorsqu’on dit que
cela est proprement de l’or car aucun autre métal ne s’y trouve mélangé et
c’est en ce sens que l’existence se dit proprement de Dieu, car l’existence
divine ne se trouve mélangée à aucune privation et à aucune potentialité,
comme c’est le cas pour les créatures. Et c’est pourquoi dans le document
¨propriété¨ et ¨vérité¨ sont pris comme des termes identiques : nous
disons en effet qu’est vrai l’or qui n’est mélangé à aucun métal étranger. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex creaturis contingit Deum nominari
tripliciter. Uno modo quando nomen
ipsum actualiter connotat effectum in creatura propter relationem ad
creaturam importatam in nomine, sicut creator et dominus. Alio modo quando ipsum
nomen nominat secundum suam rationem principium alicujus actus divini in
creaturis, sicut sapientia, potentia et voluntas. Alio modo quando
ipsum nomen dicit aliquid repraesentatum in creaturis, sicut vivens: omnis
enim vita exemplata est a vita divina. Et similiter hoc nomen qui est nominat
Deum per esse inventum in creaturis, quod exemplariter deductum est ab ipso. |
2. Il faut dire en troisième
que c’est de trois manières qu’il arrive de nommer Dieu à partir des
créatures. Premièrement quand le nom
lui-même fait actuellement connaître un effet dans la créature en raison
d’une relation à la créature qui est introduite dans le nom, comme c’est le
cas pour créateur et seigneur. Deuxièmement lorsque le nom
lui-même se trouve à nommer d’après sa signification le principe d’un acte
divin dans les créatures, comme la sagesse, la puissance et la volonté. Enfin, quand le nom lui-même
signifie quelque chose qui est représenté dans les créatures, comme le terme
¨vivant¨ : en effet, toute vie qui est copiée dans les créatures
provient de la vie divine. Et il en est de même pour ce nom, à savoir ¨celui
qui est¨ : ce nom en effet dénomme Dieu au moyen de l’existence
découverte dans les créatures, existence qui est tirée de Lui à la manière
dont une copie est tirée d’un modèle. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod cum esse creaturae imperfecte repraesentet divinum
esse, et hoc nomen qui est imperfecte significat ipsum, quia
significat per modum cujusdam concretionis et compositionis ; sed adhuc
imperfectius significatur per alia nomina: cum enim dico, Deum esse
sapientem, tunc, cum in hoc dicto includatur esse, significatur ibi duplex
imperfectio: una est ex parte ipsius esse concreti, sicut in hoc nomine qui
est ; et superadditur alia ex propria ratione sapientiae. Ipsa enim
sapientia creata deficit a ratione divinae sapientiae: et propter hoc major
imperfectio est in aliis nominibus quam in hoc nomine qui est ;
et ideo hoc est dignius et magis Deo proprium. |
3. Il faut dire en troisième lieu que puisque l’existence
de la créature représente imparfaitement l’existence divine et que le nom
¨celui qui est¨ Le signifie imparfaitement car il signifie par mode de
concrétion et de composition ; mais les autres noms Le signifient encore
plus imparfaitement : en effet, lorsque je dis que Dieu est sage, alors,
puisque dans ce qui est dit est inclut ¨être¨, il y a là deux imperfections
qui sont signifiées : une qui se tient du côté de l’existence concrète,
comme pour ce nom, à savoir ¨celui qui est¨ ; et il s’en ajoute une
autre du côté de la signification propre de la sagesse. En effet, la sagesse
créée elle-même est fort éloignée de la signification de la sagesse
divine : et c’est pour cette raison qu’il y a une plus grande
imperfection dans les autres noms que dans le nom ¨celui qui est¨ ; et
c’est pourquoi ce nom est le plus digne et celui qui appartient le plus
proprement à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod alia omnia nomina dicunt aliam rationem determinatam
[esse determinatum et particulatum Éd. de Parme] ; sicut sapiens
dicit aliquid esse ; sed hoc nomen qui est dicit esse
absolutum et indeterminatum per aliquid additum ; et ideo dicit Damascenus
quod non significat quid est Deus, sed significat quoddam pelagus substantiae
infinitum, quasi non determinatum. Unde quando in Deum procedimus per viam
remotionis, primo negamus ab eo corporalia ; et secundo etiam intellectualia,
secundum quod inveniuntur in creaturis, ut bonitas et sapientia ; et tunc
remanet tantum in intellectu nostro, quia est, et nihil amplius: unde est
sicut in quadam confusione. Ad ultimum autem etiam hoc ipsum esse, secundum
quod est in creaturis, ab ipso removemus ; et tunc remanet in quadam tenebra
ignorantiae, secundum quam ignorantiam, quantum ad statum viae pertinet,
optime Deo conjungimur, ut dicit Dionysius, et haec est quaedam caligo, in
qua Deus habitare dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que les autres noms expriment une autre signification déterminée [une
existence déterminée et particulière Éd. de Parme] ; par
exemple, le terme sage dit quelque chose qui existe ; mais le nom ¨celui
qui est¨ dit une existence absolue et qui n’est pas déterminée par quelque
chose d’ajouté ; et c’est pourquoi Damascène dit que ce terme ne
signifie pas ce qu’est Dieu, mais qu’il signifie comme une mer de substance
infinie et comme indéterminée. De là, lorsque nous nous avançons vers Dieu
par voie de négation, nous nions d’abord de Lui les êtres corporels ;
deuxièmement nous nions aussi de Lui les réalités intellectuelles selon
qu’elles se retrouvent dans les créatures, comme la bonté et la
sagesse ; et alors il ne demeure plus dans notre intelligence que l’existence
et rien de plus : de là, il y a en elle comme un manque de distinction.
Mais à la fin aussi, cette existence même, selon qu’elle se retrouve dans les
créatures, nous la nions de Lui ; et alors elle demeure dans l’obscurité
de l’ignorance, et c’est selon cette ignorance que nous nous unissons le
mieux à Dieu dans l’état de cette vie ainsi que le dit Denys, état qui se
compare comme à des ténèbres dans lesquelles Dieu habite. |
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Articulus 2 I Sent. D. 8, q. 1, a. 2 lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2
tit. Utrum Deus sit esse omnium rerum. |
Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ? |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus sit esse
omnium rerum per id quod dicit Dionysius 4 capit. Caelest. Hierar.: Esse
omnium est superesse divinitatis. Hoc etiam idem dicit 5 capit. de
divinis nominibus: ipse Deus est esse existentibus. |
Difficultés : 1. À l’égard de cette
question il semble que Dieu soit l’être de toutes les choses au moyen de ce
que dit Denys [La Hiérarchie Céleste, ch. 4] : L’existence
de toutes les choses est la supra-existence de Dieu. Et il le dit encore
[Les Noms Divins, ch. 5] ici : C’est Dieu lui-même qui est
l’existence même de ceux qui existent. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, nulla creatura est per se sed per aliud. Esse autem non est per aliud, quia si esset per aliud
esse, iterum eadem quaestio esset de illo, et sic in infinitum procederet, et
ita videtur quod esse non sit quid causatum, et ita est Deus. |
2. En outre, aucune créature
n’existe par elle-même, mais plutôt par un autre. Mais l’existence ne vient
pas d’un autre car si l’existence venait d’une autre existence, il faudrait
encore se poser la même question au sujet de cette dernière existence et
ainsi on procéderait à l’infini ; et ainsi il semble que l’existence ne
soit pas quelque chose qui est causé et il en est ainsi de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, ea quae sunt et nullo modo differunt, sunt idem. Sed Deus et esse
rei sunt et nullo modo differunt. Ergo sunt idem. Probatio mediae. Quod sint
manifestum est ; quod autem non differant, videtur. Quaecumque enim
differunt, aliqua differentia differunt. Sed quaecumque differunt aliqua
differentia, in se habent aliquam differentiam, et ita sunt composita ; sicut
homo habet in se rationale. Cum igitur esse sit simplex, et similiter Deus,
videtur quod non differant. |
3. De plus, les choses qui
existent et ne diffèrent en rien sont identiques. Mais Dieu et l’existence de
la chose existent et ne diffèrent en rien. Ils sont donc identiques. Preuve
de la mineure. Il est manifeste qu’elles existent ; mais qu’elles ne
diffèrent pas, il semble qu’il en soit ainsi. En effet, toutes les choses qui
diffèrent par quelque différence possèdent en elles une différence et les
réalités composées sont ainsi, tout comme l’homme qui a en lui cette
différence d’être rationnel. Donc comme l’existence est simple et qu’il en
est de même pour Dieu, il semble qu’ils ne diffèrent pas. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, nihil est magis in re quod sit unitum sibi quam esse suum. Sed Deus
non unitur rebus, quod patet etiam per philosophum Lib. De causis, (prop.
20): « Causa prima regit omnes res, praeterquam commisceatur cum eis ».
Ergo Deus non est omnium esse. |
Cependant : 1. Il n’y a rien dans la chose qui ne lui soit plus uni que son existence même. Mais Dieu n’est pas uni aux choses, ce qui est clair encore au moyen de ce qui est dit par le Philosophe [Le Livre des Causes, prop. 20] : la cause première gouverne toutes les choses, excepté qu’elle ne se mélange pas avec elles. Donc, Dieu n’est pas l’existence de toutes les choses. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, nihil habet esse, nisi inquantum participat divinum esse, quia
ipsum est primum ens, quare causa est omnis entis. Sed omne quod est
participatum in aliquo, est in eo per modum participantis: quia nihil potest
recipere ultra mensuram suam. Cum igitur modus cujuslibet rei creatae sit
finitus, quaelibet res creata recipit esse finitum et inferius divino esse
quod est perfectissimum. Ergo constat quod esse creaturae, quo est
formaliter, non est divinum esse. |
2. En outre, aucun être ne
possède une existence, si ce n’est dans la mesure il participe de l’existence
divine, car Dieu lui-même est le premier à exister, et c’est pourquoi il est
la cause de tout être. Mais tout ce qui est participé dans un être est en lui
selon le mode de celui-là même qui en participe : car aucun être ne peut
recevoir une participation au-dela de la mesure qui lui est propre. Donc
puisque le mode de toute chose créée est fini, toute chose créée reçoit une
existence finie et inférieure à l’existence divine, laquelle est la plus
parfaite qui soit. Il est donc clair que l’existence de la créature, par
laquelle elle existe formellement, n’est pas l’existence divine. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 co.
Respondeo, sicut dicit Bernardus, Sermo,4 super Cant.,
Deus est esse omnium non essentiale, sed causale. Quod sic patet. Invenimus
enim tres modos causae agentis. Scilicet causam aequivoce agentem, et hoc est
quando effectus non convenit cum causa nec nomine nec ratione: sicut sol
facit calorem qui non est calidus. |
Corps de l’article : Je réponds, comme le dit
Bernard [Sermon 4 sur le Cantique], que Dieu est l’existence de toutes les
choses, non pas comme faisant partie de leur essence, mais à la manière d’une
cause. Ce qui est clair de la manière qui suit. Nous retrouvons en effet
trois modalités d’opération pour la cause efficiente : à savoir la cause
qui est efficiente de manière équivoque, et cela a lieu lorsque l’effet ne
s’accorde avec sa cause ni par le nom ni par la définition, tout comme le
soleil qui rend chaud, lui qui n’est pas chaud. |
Item causam univoce agentem,
quando effectus convenit in nomine et ratione cum causa, sicut homo generat
hominem et calor facit calorem. Neutro istorum modorum Deus agit. Non univoce
quia nihil univoce convenit cum ipso. Non aequivoce, cum effectus et causa
aliquo modo conveniant in nomine et ratione licet [licet om. Éd. de
Parme] secundum prius et posterius ; sicut Deus sua sapientia facit nos
sapientes, ita tamen quod sapientia nostra semper deficit a ratione
sapientiae suae, sicut accidens a ratione entis, secundum quod est in
substantia. |
Il y a encore la cause qui
est efficiente de manière univoque quand l’effet s’accorde avec sa cause à la
fois par le nom et par la définition, comme l’homme qui engendre un homme et
la chaleur qui produit la chaleur. Mais Dieu n’agit selon aucun de ces modes.
Il n’agit pas de manière univoque car rien ne lui correspond de manière
univoque. Et il n’agit pas de manière équivoque, puisque la cause et l’effet
correspondent d’une certaine manière par le nom et par la définition, bien
[bien om. Éd. de Parme] que ce soit selon l’avant et
l’après ; par exemple Dieu par sa sagesse nous fait sages de telle
manière cependant que notre sagesse est toujours en défaut à l’égard de la
définition de sa sagesse à Lui, tout comme l’accident est en défaut à l’égard
de la définition de ce qui possède l’existence, selon qu’il existe dans une
substance. |
Unde est tertius modus causae
agentis analogice. Unde patet quod divinum esse producit esse creaturae in
similitudine sui imperfecta: et ideo esse divinum dicitur esse omnium rerum,
a quo omne esse creatum effective et exemplariter manat. |
Il y a enfin la cause
efficiente qui agit de manière analogue. De là il est clair que l’existence
divine produit l’existence des créatures selon une ressemblance imparfaite de
sa propre existence : et c’est pourquoi on dit de l’existence de Dieu,
de laquelle toute existence des créatures provient comme d’une cause efficiente
et d’un modèle, qu’elle est l’existence de toutes les choses. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Et
per hoc patet solutio ad dictum Dionysii, quod ita intelligendum est, ut
patet ex hoc quod dicit superesse: si enim Deus esset
essentialiter esse creaturae, non esset superesse creatum. |
Solutions : 1. Et au moyen de ce que nous
avons dit la solution aux paroles de Denys devient évidente, à savoir
qu’elles doivent s’entendre de la manière suivante ainsi qu’on le voit à
partir de cette expression : supra-existence ; si en
effet Dieu était essentiellement l’existence des créatures, il ne
transcenderait pas l’existence créée. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod esse creatum non est per aliquid aliud, si ly per
dicat causam formalem intrinsecam ; immo ipso formaliter est creatura ; si
autem dicat causam formalem extra rem, vel causam effectivam, sic est per
divinum esse et non per se. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’existence créée n’existe pas par quelque chose d’autre si par ce
¨par¨ on signifie une cause formelle intrinsèque ; bien au contraire
cette existence est formellement par elle-même la créature ; mais si
elle signifie une cause formelle extérieure à la chose ou une cause
efficiente, en ce sens l’existence créée existe par l’existence divine et non
par elle-même. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod prima non sunt diversa nisi per seipsa: sed ea quae
sunt ex primis, differunt per diversitatem primorum ; sicut homo et asinus
differunt istis differentiis diversis, rationale et irrationale, quae non
diversificantur aliis differentiis, sed seipsis: ita etiam Deus et esse
creatum non differunt aliquibus differentiis utrique superadditis, sed
seipsis: unde nec proprie dicuntur differre, sed diversa esse: diversum enim est
absolutum, sed differens est relatum, secundum philosophum 10 Metaph.
Text. 13. Omne enim differens, aliquo differt ; sed non omne diversum, aliquo
diversum est. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les différences qui sont premières ne diffèrent entre elles que par elles-mêmes ; mais les choses qui proviennent de celles qui sont premières diffèrent entre elles par les différences des premières ; par exemple, l’homme et l’âne diffèrent par ces différences, à savoir rationnel et irrationnel, lesquelles ne se distinguent plus par d’autres différences, mais par elles-mêmes : de même encore Dieu et l’existence des créatures ne diffèrent pas par des différences qui s’ajoutent à l’un et à l’autre, mais ils diffèrent par eux-mêmes : c’est pourquoi on ne dit pas à proprement parle qu’ils diffèrent, mais qu’ils sont autres ou divers ; en effet, le divers se prend absolument alors que le différent se prend relativement, selon le Philosophe [10 Métaphysique, texte 13]. En effet, tout ce qui est différent diffère par quelque chose, mais ce n’est pas tout ce qui est autre ou divers qui est divers par quelque chose d’autre. |
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Articulus 3lib. 1 d. 8 q. 1 a.
3 tit. Utrum hoc nomen qui est sit primum inter nomina divina. |
Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ? |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur enim quod hoc nomen
qui est non sit primum inter divina nomina. De prioribus enim prius est
agendum. Sed Dionysius prius agit de bono in Lib. De divinis nominibus, quam
de existente. Ergo videtur bonum prius esse ente. |
Difficultés : 1. Il semble que ce nom, ¨celui qui est¨, ne soit pas le premier parmi tous les noms divins. En effet, il faut traiter en premier lieu de ce qui est premier. Mais Denys traite du bien avant de traiter de l’existence dans le livre intitulé Les Noms Divins. Il semble donc que le bien soit antérieur à l’être. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, illud quod est communius videtur esse prius. Sed bonum est
communius quam ens: quia divinum esse extendit se tantum ad entia quae esse
participant ; bonum autem extendit se ad non entia, quae etiam in esse vocat:
dicitur enim bonum a boare, quod est vocare, ut Commentator dicit Super Lib.
de ‘Divin. Nominib. c. IV. Ergo bonum est prius quam ens. |
2. En outre, ce qui est plus
commun semble être antérieur. Mais le bien est plus commun que l’être :
car l’existence divine s’étend seulement aux êtres qui participent de
l’existence ; mais le bien s’étend aussi à ce qui n’existe pas encore et
qu’il appelle aussi à exister : le bien en effet tire son origine du
terme ¨boare¨ qui signifie ¨appeler¨, ainsi que le Commentateur le
dit [Sur le Libre des Noms Divins, ch. IV]. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, quaecumque sunt aequalis simplicitatis, unum non est prius altero.
Sed ens, verum, bonum, et unum sunt aequalis simplicitatis: quod patet ex hoc
quod ad invicem convertuntur. Ergo unum non est altero prius. |
3. De plus, parmi tout ce qui
est d’une égale simplicité, on ne peut rien trouver qui serait antérieur au
reste. Mais l’être, le vrai, le bien et l’un sont d’une égale
simplicité : ce qui est clair du fait qu’ils se convertissent entre eux.
Aucun de ces termes n’est donc antérieur à l’autre. |
lib. 1 d. 8
q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum Dionysium, De divin. Nom., cap.1, § 4, divina attributa
non innotescunt nobis nisi ex eorum participationibus, quibus a creaturis
participantur. Sed inter omnes alias participationes esse prius est, ut
dicitur 5 cap. De div. nom. his verbis: ante alias ipsius,
scilicet Dei, participationes, esse positum est. Cui etiam dictum
philosophi consonat Lib. De causis, prop. 4, prima rerum
creatarum est esse. Ergo videtur quod, secundum rationem intelligendi, in
Deo esse sit ante alia attributa, et qui est inter alia
nomina. |
Cependant : 1. D’après Denys [Les Noms
Divins, ch. 1, &4], les attributs divins ne nous deviennent connus
qu’à partir de leurs participations dont les créatures participent. Mais
parmi toutes les participations, l’existence est première, ainsi que Denys le
dit [Les Noms Divins, ch. 5] par ces paroles : avant ses (à
savoir celles de Dieu) autres participations, Il attribua l’existence.
Et l’opinion du Philosophe s’accorde aussi avec cet énoncé [Le Livre des
Causes, prop. 4] : la première des choses créées est l’existence. Il
semble donc que, d’après la raison d’intelligibilité, l’existence en Dieu est
le premier de tous les attributs et ¨celui qui est¨ est le premier de tous
les noms divins. |
Praeterea, illud quod est
ultimum in resolutione, est primum in esse. Sed ens, ultimum est in
resolutione intellectus : quia remotis omnibus aliis, ultimo remanet
ens. Ergo est primum naturaliter. |
2. En outre, ce qui est
dernier dans la résolution est premier dans l’existence. Mais l’être est
dernier dans la résolution de l’intelligence car si on écarte tout le reste,
en dernier il ne reste plus que l’être. L’être est donc premier par nature. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ista
nomina, ens et bonum, unum et verum, simpliciter secundum rationem intelligendi
praecedunt alia divina nomina: quod patet ex eorum communitate. Si autem
comparemus ea ad invicem, hoc potest esse dupliciter: vel secundum suppositum ; et sic convertuntur ad invicem,
et sunt idem in supposito, nec unquam derelinquunt se ; vel secundum intentiones eorum ; et sic simpliciter et
absolute ens est prius aliis. Cujus ratio est, quia ens
includitur in intellectu eorum, et non e converso. Primum enim quod cadit in
imaginatione intellectus, est ens, sine quo nihil potest apprehendi ab
intellectu ; sicut primum quod cadit in credulitate intellectus, sunt
dignitates, et praecipue ista, contradictoria non esse simul vera: unde omnia
alia includuntur quodammodo in ente unite et distincte [indistincte Éd.
de Parme], sicut in principio ; ex quo etiam habet quamdam decentiam ut
sit propriissimum divinum nomen. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que ces noms, à savoir l’être et le bien, l’un et le vrai, précèdent
absolument selon la raison d’intelligibilité les autres noms divins : ce
qui est évident à partir de leur universalité. Mais si nous les comparons
entre eux, cela peut se faire de deux manières : soit d’après le suppôt,
et ainsi ils se convertissent entre eux et ils sont identiques dans le suppôt
et ne se séparent jamais ; soit d’après leurs significations et alors
l’être est simplement et absolument antérieur aux autres noms. La raison en est que l’être
est inclut dans la signification des autres noms mais l’inverse n’est pas
vrai. En effet, la première représentation qui tombe dans l’intelligence,
sans laquelle rien ne peut être saisi par cette dernière, est l’être ;
tout comme les ¨dignités¨, et surtout celle qui pose que les contradictoires
ne peuvent être vraies simultanément, sont ce à quoi en premier
l’intelligence donne son adhésion. Par conséquent, toutes les autres notions
sont contenues d’une certaine manière dans la notion d’être sous le mode de
l’unité et de l’indétermination, comme dans un principe ; d’où il
convient encore que ce nom soit celui qui appartienne le plus proprement à
Dieu. |
Alia vero quae diximus,
scilicet bonum, verum et unum, addunt super ens, non quidem naturam aliquam,
sed rationem: sed unum addit rationem indivisionis ; et propter hoc est
propinquissimum ad ens, quia addit tantum negationem: verum autem et bonum
addunt relationem quamdam ; sed bonum relationem ad finem, verum relationem
ad formam exemplarem ; ex hoc enim unumquodque verum dicitur quod imitatur
exemplar divinum, vel relationem ad virtutem cognoscitivam ; dicimus enim
verum aurum esse, ex eo quod habet formam auri quam demonstrat, et sic fit
verum judicium de ipso. Si autem considerentur secundum rationem
causalitatis, sic bonum est prius: quia bonum habet rationem causae finalis,
esse autem rationem causae exemplaris et effectivae tantum in Deo: finis
autem est prima causa in ratione causalitatis. |
Mais les autres noms que nous
Lui attribuons, à savoir le bien, le vrai et l’un, ajoutent à la notion
d’être non pas certes une certaine nature, mais un aspect de raison, une
notion : or l’un ajoute la notion d’indivisibilité et c’est pour cette
raison que cette notion est la plus proche de la notion d’être, car elle
n’ajoute que la négation ; mais le vrai et le bien ajoutent une certaine
relation : le bien ajoute une relation à la fin alors que le vrai ajoute
une relation à la forme exemplaire, du fait que tout ce qui est vrai imite le
modèle divin, ou une relation à la puissance cognitive : nous disons en
effet que l’or est vrai du fait qu’il possède vraiment la forme de l’or qu’il
manifeste extérieurement et qu’ainsi le jugement qu’on porte sur lui devient
vrai. Mais si on considère ces notions sous le rapport de la causalité, alors
le bien est premier : car le bien a raison de cause finale alors que
l’être a raison de cause exemplaire et efficiente seulement en Dieu ;
mais la fin est la première cause sous le rapport de la causalité. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum dicendum, quod Dionysius tractat de divinis nominibus secundum quod
habent rationem causalitatis, prout scilicet manifestantur in participatione
creaturarum ; et ideo bonum ante existens determinat. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Denys traite des noms divins selon qu’ils ont raison de causalité,
c’est-à-dire dans la mesure où ils se manifestent dans la participation des
créatures ; et c’est pourquoi il traite du bien avant de traiter de
l’être ou de l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod bonum est communius non secundum ambitum
praedicationis, quia sic convertitur cum ente, sed secundum rationem
causalitatis ; causalitas enim efficiens exemplaris extenditur tantum ad ea
quae participant formam actu suae causae exemplaris ; et ideo causalitas
entis, secundum quod est divinum nomen, extenditur tantum ad entia, et vitae
ad viventia ; sed causalitas finis extenditur etiam ad ea quae nondum
participant formam, quia etiam imperfecta desiderant et tendunt in finem
[nondum participantia rationem finis, quia sunt in via ad eum add.
Éd. de Parme]. Vocat enim Dionysius non ens materiam propter privationem
adjunctam ; unde etiam dicit 4 cap. De div. nom. § 3,, quod ipsum
non existence [ens Éd. de Parme] desiderat bonum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le bien est plus commun non pas selon l’étendue de l’attribution car
alors il se convertit avec l’être, mais sous le rapport de la
causalité ; en effet, la causalité efficiente exemplaire s’étend
seulement aux choses qui participent en acte de la forme de leur cause
exemplaire ; et c’est pourquoi la causalité de l’être, selon qu’il est
un nom divin, s’applique seulement à ce qui existe en acte, tout comme la
causalité de la vie s’applique seulement aux vivants ; mais la causalité
de la fin s’étend même aux choses qui ne participent pas encore de la forme,
car même ce qui est imparfait désire et tend vers la fin [qui ne participent
pas encore de la fin parce qu’ils sont encore en chemin vers elle add.
Éd. De Parme]. Denys en effet donne au non-être le nom de
matière en raison de la privation qui lui est rattachée ; c’est pourquoi
Denys [Les Noms Divins, ch. 4, & 3] dit aussi que même ce qui
n’existe pas [le non-être Éd. de Parme] désire le bien. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod convertuntur secundum suppositum considerata ; sed
tamen secundum intentionem, ens est simplicius et prius aliis, ut dictum est. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ces notions se convertissent selon qu’on les considère dans le
suppôt ; mais selon leur signification, l’être possède une plus grande
simplicité et une priorité par rapport aux autres, ainsi que nous l’avons
dit. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’éternité divine] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 2 pr. Deinde quaeritur de mensura divini
esse, quae est aeternitas ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 quid est aeternitas ; 2 cui conveniat ; 3
utrum de aeterno verba diversorum temporum praedicari possint. |
On s’interroge ensuite sur la mesure de l’existence de
Dieu qui est l’éternité ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Qu’est-ce que l’éternité ? 2. À qui appartient-elle ? 3. Est-ce que les verbes qui expriment les différents
temps peuvent être attribués à ce qui est éternel ? |
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Articulus 1lib. 1 d. 8 q. 2 a.
1 tit. Utrum definitio aeternitatis a Boetio posita, sit
conveniens. |
Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce convient-elle ? |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Et ponitur definitio aeternitatis a
Boetio, 5 de Consol.: aeternitas est interminabilis vitae tota simul
et perfecta possessio. Sed videtur quod ista definitio
inconvenienter assignetur. Interminabile enim dicit negationem. Sed negatio non certificat
aliquid. Ergo videtur quod in definitione aeternitatis poni non debeat. |
1. La définition de l’éternité présentée par Boèce [5 De la Consolation] est la suivante : la possession entière, parfaite et simultanée d’une vie sans terme. Mais il semble que cette définition ne soit pas assignée avec justesse. Sans terme en effet ne dit qu’une négation. Mais une négation ne fait pas connaître une chose avec certitude. Il semble donc que cela ne doive par entrer dans la définition de l’éternité. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 arg. 2 Item, prima mensura respondet primo mensurato. Sed primum
inter mensurata est esse. Ergo videtur quod aeternitas, quae est prima
mensura, non debet definiri per vitam sed per esse. |
2. En outre la première
mesure correspond au premier mesuré. Mais l’existence est la première des
réalités à être mesurées. Il semble donc que l’éternité, qui est la première
mesure, ne doive pas être définie par la vie mais par
l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 3
Item, simplex non habet mensuram, immo simplicissimo mensurantur omnia alia,
secundum philosophum, X Metaph., text. 3. Sed vita divina
est simplicissima. Ergo non respondet aliquid sibi in ratione mensurae, sed
ipsa habet rationem mensurae: et ita nec aeternitas, quae rationem mensurae
dicit. |
3. De plus, le simple n’a pas
de mesure, mais plutôt tout le reste est mesuré par ce qu’il y a de plus
simple d’après le Philosophe [X Métaphysique, texte 3]. Mais la
vie divine est ce qu’il y a de plus simple. Donc, rien ne lui correspond en
terme de mesure, mais c’est elle-même qui a raison de mesure : et ainsi
l’éternité, qui a raison de mesure, n’est pas sa mesure. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 4
Item, totum dicitur respectu partium. Sed de ratione durationis est quod
partes ejus non sint simul: quia impossibile est simul esse duas durationes,
nisi una includat aliam, sicut Augustinus dicit, XI De civitate
Dei, cap. VI.. Ergo videtur duo opposita dicere, cum
dicit, tota simul. |
4. Par ailleurs, le tout se dit par rapport aux parties. Mais il est de la nature même de la durée que ses parties ne soient pas simultanées : car il est impossible que deux durées soient simultanées, à moins que l’une soit contenue dans l’autre, ainsi que le dit Augustin [XI De la Cité de Dieu, ch. VI]. Il semble donc qu’on dise deux choses qui s’opposent lorsqu’on dit : entière et simultanée. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, totum includit in se rationem perfectionis. Ergo videtur quod perfecta superfluit. |
5. En outre, le tout implique
en lui-même la notion de perfection. Il semble donc que le terme parfait soit
de trop. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 arg. 6 Item, aeternitas habet rationem durationis. Sed possessio nihil
dicit ad durationem pertinens. Ergo videtur quod non debet poni in definitione
aeternitatis, ad minus in recto, et sicut genus: quia quod sic ponitur in
definitione alicujus, debet dicere quid sit definitum. |
6. Par ailleurs, l’éternité a
raison de durée. Mais la possession ne dit rien qui se
rapporte à la durée. Il semble donc que ce terme ne doive pas être posé dans
la définition de l’éternité, au moins directement et comme un genre :
car ce qui est placé de cette manière dans la définition d’un défini doit
dire ce qu’est le défini. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod aeternitas dicitur quasi ens extra terminos. Esse
autem aliquod potest dici terminatum tripliciter: vel secundum durationem
totam, et hoc modo dicitur terminatum quod habet principium et finem ; vel ratione
partium durationis, et hoc modo dicitur terminatum illud cujus quaelibet pars
accepta terminata est ad praecedens et sequens ; sicut est accipere in motu ;
vel ratione suppositi in quo esse recipitur: esse enim recipitur in aliquo
secundum modum ipsius, et ideo terminatur, sicut et quaelibet alia forma,
quae de se communis est, et secundum quod recipitur in aliquo, terminatur ad
illud ; et hoc modo solum divinum esse non est terminatum, quia non est
receptum in aliquo, quod sit diversum ab eo. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’éternité se dit comme de l’être posé en dehors de termes. Mais on peut dire qu’une existence possède des termes de trois manières : Soit selon la durée totale et en ce sens une chose est dite avoir des termes lorsqu’elle a un commencement et une fin. Soit en raison des parties de la durée et en ce sens on dit qu’a des termes ce dont n’importe quelle partie qu’on prend est terminée par rapport à ce qui précède et à ce qui suit, tout comme on le fait pour le mouvement. Soit en raison du suppôt dans lequel l’existence est reçue : l’existence en effet est reçue dans une être selon le mode de cet être et c’est pourquoi elle se trouve ainsi à être déterminée comme toute autre forme qui de soi est commune, et c’est de la manière qu’elle est reçue dans un être que l’existence se trouve à être limitée ou déterminée à cet être ; et en ce sens seule l’existence divine n’est pas déterminée car elle n’est pas reçue dans quelque chose d’autre qui ne serait pas elle. |
Dico ergo, quod ad excludendam
primam terminationem, quae est principii et finis totius durationis,
ponitur, interminabilis vitae ; et per hoc dividitur
aeternum ab his quae generantur et corrumpuntur. |
Je dis donc que pour exclure
de la définition de l’éternité la première détermination, qui est celle du
début et de la fin de la durée totale, il dit : de la vie sans
terme ; et par là il se trouve à distinguer l’éternité des choses
qui sont engendrées et corrompues. |
Ad excludendum autem secundam
terminationem, scilicet partium durationis, additur, tota simul:
per hoc enim excluditur successio partium, pro qua unaquaeque pars finita est
et transit: et per hoc dividitur aeternum a motu et tempore, etiam si semper
fuissent et futura essent, sicut quidam posuerunt. |
Mais pour exclure la deuxième
détermination, à savoir celle des parties de la durée, il ajoute : entière
et simultanée ; par là en effet il écarte la succession des parties
en faveur de laquelle toute partie est finie et passagère : et par là
l’éternel se distingue du mouvement et du temps, même s’ils avaient toujours
existé et devaient toujours exister, ainsi que certains l’ont soutenu. |
Ad excludendum tertiam
terminationem, quae est ex parte recipientis, additur, perfecta:
illud enim in quo non est esse absolutum, sed terminatum per recipiens, non
habet esse perfectum sed illud solum quod est suum esse: et per hoc dividitur
esse aeternum ab esse rerum immobilium creatarum, quae habent esse
participatum, sicut spirituales creaturae. |
Pour écarter la troisième
délimitation qui se tient du côté de celui qui reçoit, il ajoute : parfaite ;
en effet, celui en qui l’existence n’est pas absolue mais limitée par celui
qui reçoit, ne possède pas une existence parfaite contrairement à celui qui
est son existence même : et par là l’existence éternelle se distingue de
l’existence des réalités immobiles créées qui possèdent une existence par
participation, comme les créatures spirituelles. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod simplicia, et praecipue
divina, nullo modo melius manifestantur quam per remotionem, ut dicit
Dionysius. Cujus ratio est, quia ipsorum esse intellectus perfecte non potest
comprehendere ; et ideo ex negationibus eorum quae ab ipso removentur,
manuducitur intellectus ad ea aliqualiter cognoscenda. Unde et punctus negatione
definitur. Et praeterea in ratione aeternitatis est quaedam negatio,
inquantum aeternitas est unitas, et unitas est indivisio, et hujusmodi non
possunt sine negatione definiri. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que les réalités qui sont simples, et surtout Dieu, ne peuvent en aucune manière être mieux manifestées que par la négation ainsi que le dit Denys. La raison en est que l’intelligence ne peut saisir parfaitement leur existence ; et c’est pourquoi, à partir des négations des choses qui sont écartées par elle, l’intelligence est conduite petit à petit vers celles qui sont à connaître jusqu’à un certain point. C’est pourquoi le point aussi est défini par la négation. Et de plus dans la notion d’éternité il y a une certaine négation, selon que l’éternité est une sorte d’unité et que l’unité est indivisible, et de telles notions ne peuvent être définies sans la négation. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vivere hic large sumitur ad
omne esse secundum etiam quod Augustinus dicit, lib. II Contre Max., cap.
XII, col. 768, quod quaelibet mutatio creaturae, aliqua mors ejus est. Vel
dicendum, quod quia in illo qui solus habet aeternitatem, esse et vivere sunt
omnino idem ; ideo ratione ejus [actus, Éd. de Parme] in quo est
aeternitas, posuit aeternitatem mensuram vitae. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que vivre se prend ici au sens large pour tout ce qui existe selon ce
qu’en dit encore Augustin [Livre 11 Contre Max., ch. XII, col.
768], à savoir que tout changement dans la créature est pour elle une
certaine mort. Ou bien il faut dire que parce dans celui-là seul qui possède
l’éternité, exister et vivre sont absolument identiques, c’est pourquoi il
affirmé que l’éternité est la mesure de la vie en raison de celui [de
l’acte Éd. de Parme] dans lequel se trouve l’éternité. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod vivere et esse dicuntur per modum actus ; et quia
cuilibet actui respondet mensura sua, ideo oportet ut divino esse et vitae
divinae intelligatur adjacere aeternitas, quasi mensura ; quamvis realiter
non sit aliud a divino esse ; et quia vivere magis habet rationem actus etiam
[etiam om. Éd. de Parme] quam esse, ideo forte definit
aeternitatem per vitam potius quam per esse. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que vivre et exister se dire à la manière d’un acte ; et parce qu’à
tout acte correspond sa mesure, c’est pourquoi il faut que l’éternité soit
comprise comme accompagnant, comme une mesure, l’existence divine
et la vie divine ; bien qu’en réalité l’éternité ne diffère pas
de l’existence divine ; et parce que vivre a davantage raison d’acte
encore [encore om. Éd. de Parme] qu’exister, c’est pourquoi
peut-être il définit l’éternité par la vie plutôt que par l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod in successivis est duplex imperfectio: una ratione
divisionis, alia ratione successionis, quia una pars non est cum alia parte ;
unde non habent esse nisi secundum aliquid sui. Ut autem excludatur omnis
imperfectio a divino esse, oportet ipsum intelligere sine aliqua divisione
partium perfectum, et hoc dicit nomen ‘tota’: non enim dicit rationem
partium. Item oportet ipsum intelligere sine successione, et hoc notatur
[importatur Éd. de Parme] per adverbium simul. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que dans la succession il y a une double imperfection ; la première
imperfection est en raison de la division alors que la deuxième est en raison
de la succession, car une partie n’est pas avec l’autre partie ; c’est
pourquoi elles ne possèdent l’existence que partiellement. Mais pour écarter
toute imperfection de l’existence divine, il faut la comprendre comme
parfaite sans aucune division de ses parties, et c’est ce que veut signifier
¨entière¨ : ce terme en effet ne dit pas la notion de parties. En
outre il faut comprendre cette existence sans aucune sucession, et cela est
signifié [introduit Éd. de Parme] par l’adverbe ¨simultanément¨ |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod imperfectio esse potest considerari dupliciter. Vel
quantum ad durationem ; et sic dicitur esse imperfectum cui deest aliquid de
spatio durationis debitae ; sicut dicimus vitam hominis qui moritur in
pueritia, imperfectam vitam ; et talis imperfectio tollitur per ly tota. Est
etiam quaedam imperfectio quantum ad modum habendi, sicut omnis creatura
habet imperfectum esse ; et talis imperfectio tollitur per ly perfecta unde
non superfluit. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’imperfection peut être considérée de deux manières. Soit quant à
la durée, et ainsi on dit qu’est imparfait celui à qui manque quelque chose
de l’espace de durée qui est due, tout comme nous disons que la vie de
l’homme qui meurt dans sa jeunessse est une vie imparfaite ; et une
telle imperfection est écartée par ce terme : entière. Mais
il y a encore une certaine imperfection quant à la manière de posséder, comme
toute créature qui possède une existence imparfaite ; et une telle
imperfection est écartée par le terme parfait qui n’est par conséquent pas de
trop. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod duratio dicit quamdam distensionem ex ratione nominis:
et quia in divino esse non debet intelligi aliqua talis distensio, ideo
Boetius non posuit durationem, sed possessionem, metaphorice loquens ad
significandum quietem divini esse ; illud enim dicimus possidere, quod quiete
et plene habemus ; et sic Deus possidere vitam suam dicitur, quia nulla
inquietudine molestatur. |
6. Il faut dire en sixième lieu que la durée dit une
certaine extension (dans le temps) en raison du nom : et parce que dans
l’existence divine on ne doit pas entendre une telle extension,
c’est pourquoi Boèce n’a pas posé dans sa définition la durée, mais la
possession, parlant par métaphore pour signifier le repos de l’existence
divine ; en effet, nous disons posséder ce dont nous jouissons
pleinement et paisiblement ; et c’est de cette manière que nous disons
de Dieu qu’Il possède sa vie car il n’est tourmenté par aucune inquiétude. |
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Articulus 2 ib. 1 d. 8 q. 2 a.
2 tit. Utrum aeternitas tantum Deo convenait |
Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ? |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod aeternitas non
tantum Deo conveniat. Aeternitas enim non est nobilior quam bonitas. Sed
bonitas communicatur cum creaturis, ita quod a bono Deo creatura sit
bona. Ergo videtur quod similiter aeternitas, ut alia ab
ipso sint aeterna. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que l’éternité n’appartienne pas qu’à Dieu. En effet, l’éternité n’est pas plus noble que la bonté. Mais la bonté est communiquée aux créatures de telle manière que c’est d’un Dieu bon que la créature tient sa bonté. Il semble donc qu’il en soit de même pour l’éternité de sorte que les autres êtres soient éternels de par son éternité à Lui. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Dan. XII, 3: qui ad justitiam
erudiunt multos, fulgebunt quasi stellae in perpetuas aeternitates. Sed
plures aeternitates non sunt unius aeterni. Ergo videtur quod sint plura
aeterna, et non tantum Deus. |
2. On lit
dans Daniel (XII, 3): Ceux qui auront enseigné la justice à un grand
nombre resplendiront comme des étoiles dans les éternités perpétuelles.
Mais plusieurs éternités n’appartiennent pas à une seul être éternel. Il
semble donc qu’il y ait plusieurs êtres qui soient éternels et pas seulement
Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, in Psal.LXXV, 5: illuminans
tu mirabiliter a montibus aeternis. Sed montes sunt creaturae. Ergo etiam
creaturae sunt aeternae. |
3. Par ailleurs, le
Psalmiste dit (LXXV, 5): Tu resplendis admirablement sur les monts
éternels. Mais les monts sont des créatures. Donc, même les créatures
sont éternelles. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 4
Similiter etiam ignis Inferni dicitur aeternus, Matth. 25, 41: Ite
maledicti in ignem aeternum. Ergo et cetera. |
4. De la même
manière encore on dit [Matth. 25, 41] du feu de l’Enfer qu’il est
éternel: Allez, maudits, au feu éternel! La conclusion
est donc la même ici. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, philosophus dicit, quod omne necessarium est aeternum.
Sed multa sunt necessaria. Ergo et cetera. Huic etiam consonat quod dicit
Augustinus, IV de trinitate, cap. XVIII, col. 904,
quod veritas aeterna est. |
5. En outre, le
Philosophe dit que tout ce qui est necessaire est éternel. Mais plusieurs
énoncés sont nécessaires. Donc, la conclusion est la même. Et ce que dit
Augustin [IV De la Trinité, ch. XVIII, col. 904] s’accorde avec
cela lorsqu’il affirme que la vérité est éternelle. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 s. c. 1
Contra, aeternum est esse interminatum, ut dictum est, art. praec. Sed solus
Deus est hujusmodi. Ergo et cetera. |
Cependant : L’éternité est une existence sans terme, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Mais seul Dieu existe de cette manière. Donc, seul Dieu est éternel. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut ex praedicta definitione patet, aeternitas
non potest nisi Deo convenire simpliciter et absolute secundum perfectam
rationem aeternitatis. Sed secundum quod aliqua participant de
interminabilitate aeternitatis, aliquo modo dicuntur aeterna participative. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout comme on le voit à partir de la définition qui précède, l’éternité
ne peut appartenir, à parler absolument et simplement, qu’à Dieu seul d’après
la définition parfaite de l’éternité. Mais selon que certains participent de
l’absence de limite de l’éternité, on dit d’eux qu’ils sont éternels
relativement, c’est-à-dire par participation. |
Quod vero nullo modo
interminabilitatem participat, nullo modo aeternum dicitur, sicut temporale,
quod incipit et finitur. Dico ergo, quod quibusdam communicatur
interminabilitas, secundum quod excludit terminum durationis ex parte post ;
et hoc modo ignis Inferni dicitur aeternus, quia nunquam finietur. Utrum
autem aliquod aeternum possit esse, quod non habeat principium durationis,
quaeretur in principio secundi. |
Mais ce qui ne participe en
aucune manière de l’absence de limite de l’éternité ne peut aucunement être
appelé éternel, par exemple ce qui est temporel et qui a un commencement et
une fin. Je dis donc qu’à certains êtres est communiqué l’absence de limite
selon qu’est enlevé le terme de la durée du côté de l’après ; et en ce
sens le feu de l’Enfer est dit éternel car il ne finira jamais. Mais
existe-t-il quelque chose qui puisse être éternel du côté de l’avant, sans
avoir de commencement de sa durée, nous chercherons à le savoir au début du
second livre. |
Aliquibus autem creaturis
communicatur interminabilitas, secundum quod excludit terminationem quae est
ex successione partium ; et istae sunt spirituales creaturae, quarum esse est
totum simul. Sed interminabilitas quae excludit omnem imperfectionem, non
communicatur alicui creaturae, cum nulla creatura possit esse perfecta
simpliciter ; sed communicatur sibi perfectio quaedam, scilicet quam nata
[nota Éd. de Parme] est creatura attingere, ut sit perfecta
secundum suam naturam: et sic Angeli et homines beati sunt perfecti, quia
totum habent id ad quod eorum natura capax est: unde Angeli beati, magis sunt
in participatione aeternitatis quam in naturalibus tantum considerati. |
Mais l’absence de limite est
communiquée à certaines créatures selon qu’elle exclut le terme ou la limite
qui se tient du côté de la succession des parties ; et c’est le cas pour
ces créatures qui sont spirituelles dont l’existence est entière et
simultanée. Mais l’absence de limite qui exclut toute imperfection n’est
communiquée à aucune créature, puisqu’aucune créature ne peut être absolument
parfaite ; mais plutôt ce qui lui est communiqué, c’est une certaine
perfection, c’est-à-dire celle pour l’atteinte de laquelle la
créature est faite de manière à être parfaite conformément à sa nature :
et en ce sens les Anges et les hommes bienheureux sont parfaits parce qu’ils
possèdent tout ce dont leur nature est capable : c’est pourquoi les
Anges bienheureux participent davantage de l’éternité que ceux qu’on
considère seulement parmi les êtres naturels. |
Ex hoc potest colligi
differentia inter aeternitatem, aevum et tempus. Illud enim quod habet
potentiam non recipientem actum totum simul, mensuratur tempore: hujusmodi
enim habet esse terminatum et quantum ad modum participandi, quia esse
recipitur in aliqua potentia, et non est absolutum quantum ad partes
durationis, quia habet prius et posterius. Illud autem quod habet potentiam
differentem ab actu, sed quae totum actum simul suscipiat, mensuratur aevo:
hoc enim non habet nisi unum modum terminationis, scilicet quia esse ejus est
receptum in alio a se, ut dictum est, hac dist., quaest. 1, art. 1. Illud vero
quod non habet potentiam differentem ab esse, mensuratur aeternitate ;
hujusmodi enim esse est omni modo interminatum. Unde patet etiam quod aevum
non est nisi quaedam aeternitas participata. |
Et à partir de là on peut recueillir la différence qu’il y a entre l’éternité, l’aevum et le temps. Ce qui en effet possède la puissance de ne pas recevoir l’acte entièrement et simultanément est mesuré par le temps : un tel être en effet possède une existence limitée à la fois à cause du mode de participation parce qu’il reçoit l’existence dans une certaine puissance et parce qu’il n’est pas absolu quant aux parties de la durée car il est soumis à l’avant et à l’après. Mais ce qui, tout en possèdant une puissance différente de son acte, reçoit simultanément la totalité de l’acte, est mesuré par l’aevum : cet être en effet ne possède qu’une seule sorte de limite, à savoir parce que son existence est reçue dans quelque chose d’autre qu’elle-même, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 1). Mais ce qui ne possède pas une puissance différente de son existence est mesuré par l’éternité ; une telle existence en effet n’est limitée d’aucune manière. D’où il est clair aussi que l’aevum n’est qu’une participation de l’éternité prise au sens propre. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis divina bonitas sit communicabilis, non
tamen secundum modum altissimum, prout est in Deo: unde summa bonitas non
communicatur. Et quia aeternitas dicit esse secundum altissimum modum, qui est
in Deo, ideo non communicatur ; sed esse absolute sumptum communicatur, sicut
et bonum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la bonté divine soit communicable, elle ne l’est
pas cependant de la manière la plus élevée comme elle existe en Dieu :
de là, la bonté parfaite n’est pas communiquée. Et parce que l’éternité
signifie une existence selon le mode le plus élevé qui existe en Dieu, c’est
pourquoi elle non plus n’est pas communiquée ; mais l’existence prise
absolument est communiquée, tout comme le bien. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Daniel accipit ibi aeternitates participatas in
beatis, quae erunt plures secundum plures beatos. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que Daniel parle ici des éternités dont les bienheureux participent et
qui sont multiples selon qu’elles existent chez plusieurs bienheureux. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod montes aeterni possunt dici ipsi Angeli, qui dicuntur
aeterni participative, ut dictum est, in corp. art. Vel dicendum, quod potest
intelligi etiam ad litteram de montibus corporalibus ; et dicuntur aeterni
propter longaevitatem durationis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les Anges eux-mêmes peuvent être appelés monts éternels parce qu’ils
sont éternels par participation, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. Ou bien encore il faut dire qu’on peut aussi entendre cette
expression comme pouvant se dire littéralement des monts corporels ; et
on les dit éternels en raison de la longévité de leur existence. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ignis Inferni dicitur etiam aeternus, inquantum
participat aliquam conditionem aeternitatis, scilicet non habere finem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on dit aussi du feu
de l’Enfer qu’il est éternel selon qu’il participe d’un caractère de
l’éternité, à savoir ne pas avoir de fin. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod necessaria sunt aeterna tantum
in mente divina, sicut etiam veritates enuntiabilium fuerunt ab aeterno in
Deo, et non aliter: nisi ponerentur creaturae ab aeterno, sicut philosophi
posuerunt. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que les propositions nécessaires sont éternelles seulement dans l’esprit
divin, tout comme aussi les vérités des énoncés qui existent de toute
éternité en Dieu et qui ne peuvent être autrement : à moins qu’on
affirme, ainsi que les philosophes l’ont soutenu, que les créatures sont
éternelles. |
|
|
Articulus 3. ib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 tit. Utrum verba
temporalia possint dici de Deo |
Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles temporelles? |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod verba temporalia
non possint dici de Deo. Unicuique enim respondet propria mensura. Sed tempus
est propria mensura motus. Cum igitur in Deo nullus sit motus, videtur quod
de Deo nullum temporale dici possit. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semble qu’on ne puisse attribuer à Dieu des paroles temporelles. À toute chose en effet correspond une mesure qui lui est propre. Mais le temps est la mesure qui est propre au mouvement. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a aucun mouvement, il semble qu’aucune parole temporelle ne puisse être attribuée à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 2
Item, quandocumque aliquid importans aliquam conditionem corporalem dicitur
de Deo, metaphorice vel symbolice dicitur. Sed tempus est conditio consequens
ipsa corpora, quia sequitur motum, et motus magnitudinem, secundum
philosophum, IV Phys.,text. 99. Ergo videtur quod quandocumque
aliquod verbum temporale dicitur de Deo, sit metaphorice dictum. |
2. De plus, quelque chose
impliquant une condition corporelle se dit parfois de Dieu par métaphore ou
de manière symbolique. Mais le temps est une condition qui suit les corps
eux-mêmes puisqu’elle découle du mouvement et que le mouvement découle de
l’étendue d’après le Philosophe [IV Physique, texte 99]. Il
semble donc que parfois une parole temporelle soit attribuée à Dieu et
qu’elle soit une expression métaphorique. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 3
Item, videtur quod tantum praesens de Deo debeat dici. Aeternitas enim, quae
est mensura divini esse secundum rationem intelligendi, omni [omni om.
Éd. de Parme] caret successione. Sed solum praesens non includit
successionem ; praeteritum enim et futurum dicuntur per relationem ad
praesens, et non e converso ; et relatio illa est in ordine successionis.
Ergo solum praesens de Deo debet dici. |
3. En outre, il semble que le
présent seul doive être attribué à Dieu. L’éternité en effet, qui est la
mesure de l’existence divine selon ce qu’il faut en comprendre, est privée de
toute [toute om. Éd. de Parme] succession. Mais seul le présent
ne comprend pas en lui la succession ; le passé et le futur en effet se
disent par rapport au présent et non inversement ; et cette relation
entre dans l’ordre de succession. Il n’y a donc que le présent qu’on doive
attribuer à Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod praeteritum. Divinum enim esse est
perfectum. Sed inter alia tempora praeteritum magis sonat
perfectionem. Ergo de Deo maxime dici debet. |
4. De plus, il semble que le
passé puisse se dire de Dieu. En effet, l’existence divine est parfaite. Mais
parmi tous les temps, le passé est celui qui signifie le plus la perfection.
C’est donc surtout ce temps qui doit lui être attribué. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod praeteritum imperfectum. Quia Joannes in principio
Evangelii sui altissime de Deo locutus est. Sed ipse ibi utitur verbis
praeteriti imperfecti temporis ad designandum divinam aeternitatem,
dicens: In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus
erat Verbum. Ergo videtur quod ista verba maxime
competant ad significandum divinam aeternitatem. |
5. En outre, il
semble que ce doive être le passé imparfait. Car Jean, au début de son
Évangile, a parlé de Dieu de la manière la plus élevée. Mais lui-même se sert
là de verbes appartenant au temps du passé imparfait pour designer l’éternité
divine lorsqu’il dit: Au commencement était le Verbe, et le Verbe
était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Donc, il semble que ces verbes
conviennent au plus haut point pour signifier l’éternité divine. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod futurum. Divinum
enim esse maxime distat a defectu. Cum igitur futurum remotius sit inter alia
a deficiendo, videtur quod maxime competat in divinis. |
6. Mais il semble
que le futur soit plus approprié pour signifier l’éternité divine.
L’existence divine en effet est celle qui est la plus loin d’être en défaut.
Donc, puisque le futur est parmi tous les autres temps celui qui est le plus
éloigné d’être en défaut, il semble qu’il convienne davantage à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod enuntiatio non potest fieri de aliquo nisi secundum
quod cadit in cognitionem. Omne autem cognoscens cognoscit secundum
modum suum, ut dicit Boetius ; lib. V De consol., pros. 2,
et ideo, quia ratio nostra connaturale habet secundum statum viae accipere
cum tempore, propter hoc quod ejus cognitio oritur a sensibilibus, quae in
tempore sunt, ideo non potest formare enuntiationes nisi per verba
temporalia: unde cogitur de Deo enuntians, verbis temporalibus uti, quamvis
intelligat eum supra tempus esse: nihilominus tamen istae locutiones non sunt
falsae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on ne peut former une énonciation sur une chose que dans la mesure où
cette dernière vient à être connue. Mais ce qui est capable de connaître
connaît selon les modalités qui lui sont propres, ainsi que le dit
Boèce [ 1 De la Consolation, pros. 2], et c’est pourquoi, parce que
notre raison naturelle doit ici-bas appréhender les choses en fonction du
temps pour cette raison que sa connaissance se forme à partir des choses
sensibles qui existent dans le temps, c’est pourquoi elle ne peut former des
énonciations qu’au moyen de verbes temporels : de là elle est réduite,
en formant des énoncés sur Dieu, de se servir de verbes temporels, bien
qu’elle comprenne elle-même que Dieu transcende le temps ; et néanmoins
cependant ces façons de parler ne sont pas fausses. |
Divinum enim esse, ut dicit
Dionysius, de divinis nominibus, c. V § 4, col. 818,
praeaccipit sicut causa in se omne esse quantum ad id quod est perfectionis
in omnibus ; et ideo enuntiamus de ipso verba omnium temporum, propter id
quod ipse nulli tempori deest, et quidquid est perfectionis in omnibus
temporibus, ipse habet. |
L’existence divine en effet,
ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. V, &4, col. 818],
contient en elle comme dans leur cause toutes les existences quant à ce qu’il
y a de parfait en elles ; et c’est pourquoi nous formons sur Dieu des
énoncés au moyen de verbes de tous les temps pour cette raison que Lui-même
n’est absent à aucun temps et qu’Il possède tout ce qu’il y a de parfait dans
tous les temps. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quando verba temporalia dicuntur de Deo,
intellectus noster non attribuit divino esse illud quod est imperfectionis in
singulis temporibus, sed quod est perfectionis in omnibus ; aeternitas enim
includit in se omnem perfectionem modo simplici, quae est in temporalibus
divisum [divisa et temporibus diversis Éd. de Parme] cum tempus
imitetur perfectionem aeternitatis, quantum potest. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsque les verbes temporels sont dits de Dieu, notre intelligence n’attribue pas à l’existence divine ce qu’il y a d’imparfait dans chacun de ces temps, mais ce qu’il y a de parfait dans tous ces temps ; l’éternité en effet contient en elle selon le mode de la simplicité toutes les perfections qui dans les choses temporelles se rencontrent dans la division [divisées et dans des temps différents Éd. de Parme], puisque le temps se trouve à imiter, dans la mesure du possible, la perfection de l’éternité. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod aliqua dictio potest importare conditionem corporalem
dupliciter. Vel quantum ad rem significatam principaliter in nomine ; et tale
quid non dicitur de Deo nisi symbolice, sicut leo et agnus et ira et
hujusmodi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’un énoncé comporter une condition corporelle de deux manières. Soit quant
à la chose qui est signifiée principalement dans le nom : et un tel
énoncé ne se dit de Dieu que dans un sens symbolique, comme lorsqu’on dit de
Lui qu’Il est un lion, un agneau, en colère, etc. |
Vel quantum ad modum
significandi, et non quantum ad rem significatam ; et ista proprie dicuntur
de Deo, quamvis non perfecte ipsum repraesentent: alias omnia nomina dicta de
Deo essent symbolica, quia modus significandi ipsorum est secundum quod de
creaturis dicuntur ; et de talibus haec sunt verba, fuit et erit quae
significant essentiam per modum actus, et consignificant tempus. |
Soit quant au mode même de
signifier et non quant à la chose même qui est signifiée ; et ces noms
se disent proprement de Dieu bien qu’ils ne Le représentent pas parfaitement,
(car autrement tous les noms s’attribueraient à Dieu selon le mode
symbolique) car le mode de signifier de ces noms de deuxième type est celui
dont on use pour les attribuer aux créatures ; et dans ce cas, tels sont
les verbes ¨fut¨ et ¨sera¨, lesquels signifient l’essence à la manière d’un
acte et transportent avec eux la signification du temps. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quantum ad id quod praesens non implicat successionem
nec habet aliquid de non esse inclusum, inter alia proprius Deo competit ;
nihilominus tamen verba aliorum temporum dicuntur de Deo secundum id quod
perfectionis est in ipsis, et non ratione successionis vel alicujus defectus. |
3. Il faut de en troisième
lieu que le présent, quant à ceci qu’il n’implique pas la succession et qu’il
ne contient pas en lui du non-être, convient plus proprement à Dieu que tout
autre temps ; néanmoins cependant les verbes relatifs aux autres temps
se disent de Dieu selon la perfection qui est impliquée en eux et non en
raison de la succession ou de tout autre défaut. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod nomine perfectionis praeteritum de Deo dicitur, et
quia non est novum, secundum quod ipse praeteritis non defuit. Nihilominus
tamen intelligendum est, quod aliquando per praesens magis designatur
perfectio quam per praeteritum: quaedam enim sunt quorum esse est in fieri,
et horum perfectio non est nisi quando venitur ad terminum, et horum
perfectio magis significatur per praeteritum, sicut sunt motus, et hujusmodi
successiva. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le passé se dit de Dieu par un nom de perfection et parce qu’il
n’est pas nouveau, selon que Lui-même n’abandonne pas ce qui est passé. Il faut
néanmoins comprendre que c’est parfois plus par le présent que par le passé
qu’une perfection est désignée : il y a des choses en effet dont
l’existence est dans le devenir et leur perfection ne s’accomplit que
lorsqu’elles parviennent à leur terme, et leur perfection est davantage
signifiée par le passé, comme c’est le cas pour le mouvement et tout ce qui
est soumis à la progression. |
Quaedam autem sunt quorum esse
consistit in permanendo ; et horum perfectio designatur magis per praesens
quam per praeteritum: quia in hoc quod sunt, habent perfectionem ; et
praeteritum dicitur secundum recessum ab esse. Unde etiam in divinis ea quae
dicuntur per modum rei permanentis verius signantur per praesens, ut, Deus
est bonus, ut hujusmodi ; quae autem signantur per modum actus, verius
signantur per praeteritum, sicut infra, dist. 9, dicit Gregorius quod magis
proprie dicimus filium natum, quam nasci. |
Mais il y a certaines choses
dont l’existence consiste dans la permanence ; et leur perfection est
davantage désignée par le présent que par le passé car elles possèdent leur
perfection par cela même qu’elles existent. Et le passé se dit d’après un
éloignement de l’être. C’est pourquoi même pour les choses divines ce qui se
dit par mode de permanence se dit est signifié davantage en vérité par le
présent : par exemple, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon ; mais
ce qui est signifié par mode d’acte est signifié davantage en vérité par le
passé ainsi que le dit plus loin Grégoire dans la distincition 9 lorsqu’il
affirme que nous disons plus proprement que le Fils est né que lorsque nous
disons qu’Il naît. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod quoad aliquid magis proprie dicitur de ipso Deo
praeteritum imperfectum quam praeteritum perfectum, eo scilicet quod
terminationem non includit, sicut verbum praeteriti perfecti ; unde in illis
quae significantur per modum actus, verius dicitur praeteritum perfectum,
quia horum perfectio non potest significari nisi ex termino ; quae autem
significantur non per modum operationis, verius significantur per praeteritum
imperfectum, quia horum perfectio non dependet ex termino. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que d’un certain point de vue le passé imparfait se dit plus proprement de Dieu que le passé parfait du fait qu’il ne contient pas un terme comme c’est le cas pour le verbe du passé parfait ; c’est pourquoi, pour les choses qui sont signifiées par mode d’acte, le passé parfait se dit davantage en vérité parce leur perfection ne peut être signifiée qu’à partir du terme ; mais pour celles qui ne sont pas signifiées par mode d’opération, elles sont davantage signifiées en vérité par le passé imparfait car leur perfection ne dépend pas d’un terme. |
lib. 1
d. 8 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod futurum maxime removetur a
divina praedicatione, propter hoc quod nondum est, nisi in potentia.
Nihilominus tamen secundum id quod est perfectionis in ipso, scilicet quod
longius distat a deficiendo, de Deo dicitur, abjecta imperfectione. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que le futur est le temps le plus éloigné de l’attribution divine pour
cette raison qu’il n’existe encore qu’en puissance. Néanmoins cependant,
selon ce qu’il y a de perfection en lui, à savoir selon qu’il est le plus
éloigné d’un défaut, il se dit de Dieu une fois l’imperfection
écartée. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’immutabilité de Dieu] |
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 3 pr. Dei etiam solius essentia
incommutabilis dicitur proprie. Hic prosequitur de secundo attributo,
scilicet immutabilitate, dicens solum Deum incommutabilem esse, alias autem
omnes creaturas aliquo modo mutabiles ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum Deus sit omnino immutabilis ; 2 utrum omnis creatura sit mutabilis ; 3 de modis mutationum, quos
Augustinus assignat in littera. |
Il n’y a encore que la seule essence de Dieu qui soit
immuable à proprement parler. Ceci
traite du deuxième attribut de Dieu, à savoir l’immutabilité, en disant que
seul Dieu est immuable et que toutes les créatures sont de quelque manière
changeantes ; et à ce sujet on cherche à répondre à trois
questions : 1. Est-ce que Dieu est absolument immuable ? 2. Est-ce que toute créature est changeante ? 3. Quels sont les modes de changements qu’Augustin
identifie identifie dans son texte ? |
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Articulus
1.lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus aliquo modo sit mutabilis. |
Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ? |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus sit aliquo modo
mutabilis. Sap. 7, 24: omnibus mobilibus mobilior est sapientia.
Sed sapientia divina, de qua loquitur, est ipse Deus. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il semble que Dieu soit changeant d’une certaine manière. On lit en effet dans le livre de la Sagesse (7,24) : La Sagesse est plus mobile que tout ce qui se meut. Mais la Sagesse divine, dont il parle, est Dieu lui-même. Donc Dieu est changeant de quelque manière. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid movet seipsum, movetur a
seipso. Sed, sicut dicit Augustinus super Genes. ad
lit., lib. VIII, cap. XX, col.388 : spiritus creator movet
se nec per tempus nec per locum. Ergo videtur quod moveatur. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
se meut soi-même est mû par soi-même. Mais, tout comme le dit Augustin [ VIII1
Super Genes. ad litt., ch. XX, col. 388, t. 111] : L’Esprit
créateur se meut lui-même, mais ni dans le temps ni dans le lieu. Il
semble donc que Dieu se meuve. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1
arg. 3 Item, omne quod est per alterum, reducitur ad illud quod est per se.
Sed invenimus multa quae moventur per alios motores. Ergo oportet esse
aliquid quod moveatur a seipso. Sed omnis creatura mota movetur ab alio, quia
a Deo. Ergo
Deus est motus a se. |
3. En outre, tout ce qui existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi. Mais nous rencontrons une multitude de choses qui sont mues par des moteurs extérieurs. Il faut donc qu’il y ait un être qui se meuve par lui-même. Mais toute créature qui se meut est mue par un autre qui est Dieu. Donc Dieu est mû par lui-même. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod exit de otio in actum, aliquo modo
movetur, secundum philosophum, III Physic., text. 16, quia
omnis operatio quae est ab operante non moto est semper. Sed Deus quandoque
creat in actu, vel infundendo gratiam, cum prius hoc non fecerit. Ergo
videtur quod ad minus sit in eo mutatio de habitu in actum. |
4. De plus, tout ce
qui passe du reposà l’acte est mû de quelque manière selon le Philosophe [111
Physique, texte 16], car toute operation qui vient d’un agent immobile est
éternelle. Mais Dieu crée parfois en acte, soit en répandant la grâce, alors
qu’il n’avait pas fait cela antérieurement. Il semble donc qu’il y ait au
moins en lui le changement de l’habitus à l’acte. |
lib. 1 d. 8
q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, Malach. III, 6: ego Deus, et non mutor ; et
Jacob. I, 17: apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. |
Cependant : 1. Malachie dit (111,
6) : Je suis Dieu et je ne change pas ; et on lit dans
Jacques (1, 17) : Celui qui ne change pas et chez qui il n’y a
pas l’ombre d’une variation. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut probat philosophus, VIII Physic., text.
34,omne quod movetur, ab alio movetur. Si igitur illud a quo movetur mobile
ipsum, etiam movetur, oportet quod ab aliquo motore moveatur. Sed impossibile est ire in
infinitum. Ergo oportet devenire ad primum motorem, qui movet et nullo modo
movetur ; et hic est Deus. Ergo omnino est immutabilis. |
2. En outre, tout comme le
prouve le Philosophe [ VIII Physique, texte 34], tout ce qui se
meut est mû par un autre. Si donc ce par quoi le mobile se meut, se meut lui
aussi, il faut qu’il se meuve par l’action d’un moteur extérieur. Mais il est
impossible de procéder ainsi à l’infini. Il faut donc en venir à un premier
moteur qui meut tout en n’étant mû d’aucune manière ; ce premier moteur
est Dieu. Et il est absolument immuable. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod omnis motus vel mutatio, quocumque modo dicatur,
consequitur aliquam possibilitatem, cum motus sit actus existentis in
potentia. Cum igitur Deus sit actus purus, nihil habens de potentia admixtum,
non potest in eo esse aliqua mutatio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout mouvement ou tout changement, quelle qu’en soit la sorte, découle d’une
possibilité, puisque le mouvement est l’acte de ce qui existe encore en
puissance. Donc, puisque Dieu est acte pur, n’étant mélangé à aucune
puissance, il ne peut y avoir en Lui aucun changement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod divina sapientia non dicitur mobilis quia in se
moveatur, sed inquantum procedit in effectus ; et ista processio non est
proprie motus, sed quamdam similitudinem motus habet. In motu enim locali
processivo, illud quod est in uno loco, fit postmodum in alio, et deinde in
alio, et sic deinceps quousque compleatur motus. Similiter autem divina
sapientia, quae est exemplar rerum, facit similitudinem suam in creatura
secundum ordinem: quia prius efficiuntur in participatione divinae
similitudinis creaturae superiores, et posterius inferiores. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on n’attribue pas la mobilité à la sagesse divine parce qu’en
elle-même elle se meut mais pour autant qu’il y a des effets qui procèdent
d’elle ; et cette procession n’est pas à proprement parler un mouvement,
mais elle possède une certaine ressemblance à l’égard du mouvement. Dans le
mouvement local progressif en effet, ce qui est dans tel lieu devient par la
suite dans un autre lieu et ainsi successivement jusqu’à ce que le mouvement
soit complété. De la même manière en quelque sorte la sagesse divine,
laquelle est la cause exemplaire des choses, produit dans la créature sa
ressemblance selon un certain ordre : car ce sont en premier lieu les
créatures supérieures, puis celles qui sont inférieures, qui ont été
produites par participation à la ressemblance divine. |
Unde
in hoc habet similitudinem motus: quia ipsa divina sapientia secundum
similitudinem suam efficitur in creatura. In duobus autem deficit a ratione
motus: primo quia non est idem numero quod est in hoc et in illo ; sed
similitudo ejus ; secundo, quia non est ibi ordo temporis, secundum quod
procedit in diversas creaturas, sed tantum ordo naturae: quia per prius
naturaliter sunt in participatione divinae bonitatis creaturae nobiliores, et
si non tempore, saltem natura, et sic etiam intelligitur quod Dionysius dicit
in principio Cael. Hierar., 1, §1, 120 B : Sed et patre luminum moto etc.,
et quod frequenter dicit, divinam bonitatem vel sapientiam procedere in creaturas. |
C’est donc en cela que cette
procession ressemble au mouvement : car c’est la sagesse divine
elle-même qui est produite dans la créature selon la ressemblance. Et c’est
sous deux rapports qu’elle se distingue du mouvement : premièrement, ce
n’est pas la même chose par le nombre qui est en ceci et en cela, mais
seulement une ressemblance ; deuxièmement, parce qu’il n’y a pas là un
ordre temporel selon lequel elle procède dans les créatures, mais seulement
un ordre de nature : car c’est par nature que les craétures plus nobles
sont les premières à exister dans la participation de la bonté divine ;
et si ce n’est pas par le temps, elles les sont au moins par nature et c’est
ainsi encore que l’entend Denys au début de La Hiérarchie
Céleste (1, &1, 120 B) : Mais toute procession par
laquelle Dieu se manifeste vient à nous par le Père des lumières etc.,
et c’est là ce qu’il dit en de nombreuses occasions, à savoir que la bonté ou
la sagesse divine procède dans les créatures. |
[682] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Augustinus accipit large moveri, secundum quod ipsum
intelligere est moveri quoddam et velle, quae proprie non sunt motus sed
comparatione [operationes Éd. de Parme]. In hoc enim verificatur
dictum Platonis in Parmenide, qui dicit: Deus movet se; sicut
dicit Commentator, XII Metaph., cap. II, qui dicit quod Deus
intelligit se et vult se: sicut etiam dicimus, quod finis movet efficientem.
Vel dicendum, quod movet se in creaturarum productione, ut dictum est, hac dist.,
quaest. 1, art. 1. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’Augustin parle ici du mouvement au sens large, selon que l’opération
de l’intelligence et celle de la volonté sont un certain mouvement,
lesquelles ne sont pas proprement un mouvement mais seulement par comparaison
[les opérations Éd. de Parme]. C’est en cela que se vérifie la
parole de Platon dans le Parménide qui dit : Dieu se
meut ; comme le dit le Commentateur [XII Métaphysique, ch.
11] qui dit que Dieu se comprend et se veut : tout comme nous disons
aussi que la fin meut l’agent. Ou bien il faut dire qu’Il se meut dans la
production des créatures ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction, à
l’article 1 de la question 1. |
[683] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod impossibile est aliquid movere seipsum nisi secundum diversas
partes, ita quod una pars sit movens et alia mota ; sicut etiam in animali
est anima movens et corpus motum. Cujus ratio est, quia nihil movet nisi
secundum quod est in actu, nec movetur nisi secundum quod est in potentia, et
haec duo non possunt simul eidem inesse respectu ejusdem. Et quia Deus est
simplex, non potest esse quod seipsum moveat, proprie loquendo. Quod ergo
objicitur quod omne mobile per aliud reducitur ad mobile per se, verum est de
reductione quae est ad primum in genere illo. Unde secundum philosophos,
omnia mobilia reducuntur ad primum mobile, quod dicebant motum ex se, quia
est compositum ex motore et moto. Sed hoc ulterius oportet reducere in primum
simplex, quod est omnino immobile. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il est impossible à une chose de se mouvoir soi-même si ce n’est
d’après différentes parties, de telle manière qu’une partie meuve et que
l’autre soit mue ; tout comme nous voyons encore que l’âme meut et que
le corps est mû. La raison en est que rien ne meut qui ne soit en acte et
rien n’est n’est mû qui ne soit en puissance, et ces deux dimensions ne
peuvent exister simultanément dans un même sujet sous un même
rapport. Et parce que Dieu est simple, il est impossible, à proprement
parler, qu’Il se meuve lui-même. Donc, ce qu’on objecte, à savoir que tout ce
qui est mû par un autre se ramène à ce qui se meut par soi est vrai de cette
réduction à l’égard de ce qui est premier dans tel genre. C’est pourquoi d’après
les philosophes tous les mobiles se ramènent à un premier mobile qu’ils
disaient être mû à partir de lui-même parce qu’ils le disaient être composé
d’un moteur et d’un mû. Mais il faut à la fin ramener cela à un être premier
et simple qui est absolument immobile. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnibus in quibus operatio
differt a substantia, oportet esse aliquem modum motus ex hoc quod exit de
novo in operationem ; quia acquiritur in ipso operatio, quae prius non erat.
In Deo autem operatio sua est sua substantia: unde sicut substantia est
aeterna, ita et operatio. Sed non sequitur operationem operatum ab aeterno,
sed secundum ordinem sapientiae, quae est principium operandi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que dans tous les cas
où l’opération diffère de la substance, il faut qu’il y ait une sorte de
mouvement du fait qu’il passe une nouvelle fois à l’opération car alors est
acquise en lui l’opération qui n’y était pas antérieurement. Mais en Dieu son
opération est sa substance : de là, tout comme la substance est
éternelle, de même son opération est éternelle. Mais l’effet ou l’œuvre
produite ne suit pas l’opération de toute éternité mais suivant l’ordre de la
sagesse qui est le principe de l’opération. |
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Articulus 2lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 tit. Utrum omnis creatura
sit mutabilis. |
Article 2 – Toute créature est-elle changeante ? |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omnis
creatura sit mutabilis. Omnis enim mutatio ut dicitur in V Phys.,
text. 7, est generatio vel corruptio vel motus. Sed quaedam sunt in quibus
nullum horum est, sicut Angeli, et hujusmodi, quae sunt separata a materia et
motu secundum philosophos, XII Metaph., text. 30. Ergo non
omnis creatura mutabilis est. |
Difficultés : 1. Il semble que toute
créature ne soit pas changeante. Tout changement en effet, comme le dit
[V Physique, texte 7] le Philosophe, est soit une génération,
soit une corruption, soit un mouvement. Mais il existe des êtres, comme les
Anges et les êtres qui sont séparés de la matière et du mouvement d’après les
philosophes [XII Métaphysique, texte 30], dans lesquels ne se
trouve aucun de ces changements. Donc, ce n’est pas toute créature qui est
changeante. |
Lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 2
Praeterea, quidquid est mutabile pertinet ad considerationem naturalis, cujus
est considerare motum. Sed substantiae separatae a materia non considerantur
a naturali. Ergo non sunt mutabiles. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est changeant relève de la considération du naturaliste auquel il appartient
d’examiner le mouvement. Mais les substances séparées de la matière ne sont
pas examinées par le philosophe de la nature. Elles ne sont donc pas
changeantes. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quidquid mutatur, subjicitur mutationi. Sed formae simplices non
possunt esse subjectum ut dicit Boetus, De Trinitae, cap.
II, col. 1250. Ergo non possunt mutari |
3. De plus, tout ce qui est
changé est le sujet d’un changement. Mais, comme le dit Boèce [De
la Trinité, ch. 11, col. 1250], les formes simples ne peuvent être un
sujet. Elles ne peuvent donc pas être changées. |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut in Littera dicitur,
omnis creatura movetur per tempus vel per locum. Sed quaedam sunt creaturae
quorum non est locus et tempus ; sicut universale, quod, secundum
philosophum, I Post., text. 7, est ubique et semper ; et sicut
materia prima, de qua dicit Augustinus, XII, Confess. Cap.
XIX, col. 836, quod successiones temporum, non habet. Ergo non omnis creatura
mutatur. |
4. En outre, comme il est dit
dans le document, toute créature se meut par le temps ou par le lieu. Mais il
y a certaines créatures pour lesquelles il n’y a ni lieu ni temps, comme
c’est le cas pour l’universel qui, selon le Philosophe [1 Seconds
Analytiques, texte 7], se retrouve partout et toujours ; et il en
est de même pour la matière première, au sujet de laquelle Augustin
[XII Confessions, ch. XIX, col. 836] dit qu’elle n’est pas
soumise à la succession des temps. Ce n’est donc pas toute créature qui est
soumise au changement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 s. c. 1
Contra, Psalm., 101, 28: Mutabis eos, et mutabuntur. |
Cependant : 1. Le Psalmiste dit
(101, 28) : Tu les changeras et ils seront changés. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 s. c. 2
Praeterea, Damascenus, lib. I Fidei orth., cap. III, col.
795, dicit: omne quod est ex nihilo, vertibile est in nihil ; quod
enim a mutatione incepit, subjacere mutationi necesse est. Sed omnis
creatura est hujusmodi. Ergo et cetera. |
En outre, Damascène [
1, De la Foi Orthodoxe, ch. 111, col. 795] dit : Tout ce qui
sort du néant peut retourner au néant ; tout ce qui a commencé à exister
par le changement est nécessairement soumis au changement. Toute créature est
donc soumise au changement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 1, motus, quocumque modo
dicatur, sequitur potentiam. Cum igitur omnis creatura habeat [aliquam
potentiam vel Éd. de Parme] aliquid de potentia, quia solus Deus
est purus actus, oportet omnes creaturas mutabiles esse, et solum Deum immutabilem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit dans l’article 1, le mouvement, quelle que
soit la manière dont on le prenne, découle d’une puissance. Donc, puisque
toute créature a en elle [une puissance Éd. de Parme] de la
potentialité, car seul Dieu est acte pur, il faut que toute créature soit
changeante et que seul Dieu soit immuable. |
Est autem considerare duplicem
possibilitatem: unam secundum id quod habet [res add. Éd. de Parme]
; alteram secundum id quod nata est habere. Prima consequitur creaturam
[naturam Éd. de Parme] secundum quod habet esse ab alio ; omne
enim quod esse suum ab alio habet, non est per se necesse esse, ut probat
Avicenna ; unde, quantum est in se, est possibile, et ista possibilitas dicit
dependentiam ad id a quo est. |
Mais il y a deux sortes de
puissances à considérer : la première selon ce qu’elle possède [la
chose add. Éd. de Parme] ; la deuxième selon ce qu’elle est
apte à posséder naturellement. La première résulte de la créature [nature Éd.
de Parme] selon qu’elle tient d’un autre son existence ; en effet,
tout ce qui tient son existence d’un autre, il n’est pas par soi nécessaire
qu’il existe ainsi que le prouve Avicenne ; de là, quant à ce qu’il est
en lui-même, il n’est qu’un possible ou une puissance et cette possibilité
dit une dépendance à l’égard de ce par quoi il existe. |
Haec autem possibilitas est
duplex. Quaedam secundum dependentiam totius esse ad id a quo est res
secundum totum esse suum, et illud [hujusmodi Éd. de Parme] est
Deus ; et hanc dependentiam sive possibilitatem consequitur mutabilitas
quaedam, quae est vertibilitas in nihil, secundum Damascenum ubi supra. Tamen
haec non proprie est mutabilitas [mutabilitas dicitur Éd. de Parme]
dicitur, nec creatura secundum hoc proprio mutabilis est ; et ideo Augustinus
de hoc non facit mentionem in Littera. |
Mais cette possibilité
d’existence est double. Il y a une possibilité d’existence d’après la
dépendance de toute l’existence à l’égard de ce par quoi la chose existe
d’après la totalité de son existence, et cela [un tel être Éd. de
Parme] est Dieu ; et de cette dépendance ou de cette possibilité
résulte un certain changement qui est le retour possible au néant, comme
Damascène l’a souligné plus haut. Cependant ce changement n’est pas à
proprement parler un changement [ne s’appelle pas changement Éd. de
Parme] et ce n’est pas d’après cela proprement que la créature est
changeante ; et c’est pourquoi Augustin n’en fait pas expressément
mention dans sa Lettre. |
Et hujus ratio est duplex,
quia in omni mutabili est invenire aliquid quod substernitur ei quod per
mutationem amovetur, et de hoc dicitur quod potest mutari. Sed si accipiamus
totum esse creaturae quod dependet a Deo, non inveniemus aliquid substratum
de quo possit dici quod potest mutari. |
Et il y a deux raisons pour
cela, car dans tout ce qui peut changer il faut retrouver quelque chose qui
se tient sous ce qui est retiré par le changement, et on peut dire que cela
peut changer. Mais si nous prenons la totalité de l’existence de la créature
qui dépend de Dieu, nous ne retrouvons pas un substrat au sujet duquel on
puisse dire qu’il peut changer. |
Alia ratio est, quia nihil
dicitur possibile cujus contrarium est necessarium, vel quod non potest esse,
nisi impossibili posito. Esse autem creaturae omnino deficere non potest,
nisi retrahatur inde fluxus divinae bonitatis in creaturis, et hoc est
impossibile ex immutabilitate divinae voluntatis, et contrarium necessarium ;
et ideo ex hoc creatura non potest dici simpliciter corruptibilis vel
mutabilis sed sub conditione si sibi relinquatur ; et hoc est quod dicit
Gregorius ; lib. XVI, Moralium, cap. XXXVII, col.
1343,: In nihilum omnia deciderent, nisi ea manus omnipotentis
contineret. |
L’autre raison est que rien
n’est dit possible dont le contraire est nécessaire, ou qui ne peut exister
que s’il est posé comme impossible. Mais l’existence de la créature ne peut
absolument s’éteindre que si le flot de la bonté divine est retiré aux
créatures, et cela est impossible à cause de l’immuabilité de la volonté
divine et contraire à ce qui est nécessaire ; et c’est pourquoi sous ce
rapport la créature ne peut être dite simplement corruptible ou changeante, à
condition toutefois que l’existence lui soit conservée ; et c’est là ce
que dit Grégoire [XVI, Des Choses Morales, ch. XXXVII, col.
1343] : Tous retourneraient au néant si la main du Tout-Puissant
ne les tenait. |
Est etiam quaedam dependentia
sive possibilitas rei secundum partem sui esse, scilicet formam,
praesupposita materia, vel eo quod est loco materiae ; et hanc possibilitatem
sequitur mutatio variabilitatis, ex eo quod id quod habet ab alio, potest
amittere, quantum est in se, nisi forte impediatur ex immutabilitate causae,
ut dictum est, art. praeced. ; et hoc modo sancti in gloria sunt immutabiles
in esse gloriae propter immutabilitatem divinae voluntatis. Secunda
possibilitas consequitur creaturam secundum quod non est perfecta simpliciter
; secundum hoc enim semper possibilis est ad receptionem. |
Mais il y a aussi une
dépendance ou une possibilité de la chose d’après une partie de son
existence, à savoir sa forme, la matière ou ce qui en tient lieu étant
présupposé ; et le changement de la variabilité résulte de cette
possibilité du fait que ce que la chose, quant à ce qu’elle est en elle-même,
tient d’un autre, elle peut le perdre à moins que cela ne soit empêché en
raison de l’immuabilité de la cause, comme nous l’avons dit dans l’article
précédent ; et en ce sens les saints qui jouissent de la gloire de Dieu
sont immuables dans leur existence en présence de cette gloire en raison de
l’immuabilité de la volonté divine. La deuxième possibilité résulte de la
créature selon que son existence n’est pas absolument parfaite ; sous ce
rapport en effet elle est toujours en puissance à recevoir. |
Unde secundum hoc etiam
dicitur omnis creatura mutabilis, accipiendo large mutationem, secundum quod
omne recipere dicitur pati quoddam et moveri, sicut dicit philosophus in Lib.
3 de anima, text. 12 : intelligere quoddam pati est. |
Par conséquent sous ce
rapport on dit encore de toute créature qu’elle est changeante, en prenant le
changement au sens large, selon qu’on dit de toute réception qu’elle est une
certaine passion, un certain mouvement, ainsi que le dit le Philosophe
[111 De l’âme, texte 12] : L’acte de l’intelligence
est une certaine passion. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod philosophi consideraverunt tantum illam mutationem
quae est secundum variationem formae substantialis vel accidentalis cujus
causa non est immutabilis ; et hanc diviserunt per generationem et
corruptionem et motum. Talem autem mutationem non est possibile in Angelis
esse quantum ad id quod in natura eorum est. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que les philosophes n’ont considéré que ce changement qui a lieu selon
la variation de la forme substantielle ou de la forme accidentelle dont la
cause n’est pas immuable ; et c’est pourquoi leur division du changement
contient la génération, la corruption et le mouvement. Mais il est impossible
qu’il y ait de tels changements chez les Anges quant à ce qui existe dans
leur nature. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 2 Et
per hoc patet solutio ad secundum, quia naturalis non considerat nisi dictam
mutationem. |
2. Et par là on voit la
solution à la deuxième difficulté car le naturaliste ne considère que les
changements dont nous venons de parler. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Magister et Augustinus loquuntur hic de creaturis quae
habent esse perfectum ; formae autem non habent esse perfectum, cum non
subsistant in se, sed in alio. Vel dicendum, quod dupliciter dicitur aliquid
mutabile ; vel quia subjicitur mutationi, et hoc modo id tantum quod est in
potentia, mutatur ; aut sicut id quod removetur vel abjicitur in [in om.
Éd. De Parme] mutatione ; et sic formae, quae sunt actus, mutabiles sunt.
Non hoc tamen videtur esse de intentione Augustini. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le Maître, tout comme Augustin, parle ici des créatures qui
possèdent une existence parfaite ; mais les formes ne possèdent pas une
existence parfaite puisqu’elles ne subsistent pas en elles-mêmes mais dans
quelque chose d’autre. Ou bien encore il faut dire qu’une chose est dite
changeante de deux manières ; soit parce qu’elle est sujette au
changement et en ce sens seul ce qui est en puissance est changeant ;
soit comme ce qui est rejeté ou écarté dans [dans om. Éd. de Parme]
le changement ; et ainsi les formes, qui sont des actes, sont
changeantes. Mais cela ne semble pas avoir été l’intention d’Augustin. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum similiter,
quod materia prima et universale non habent in se esse completum ; sed esse
eorum est in particularibus compositis: et ideo esse non mutant per se, sed
tantum per accidens, sicut est de formis. |
4. Il faut dire de la même
manière en quatrième lieu que la matière première et l’universel ne possèdent
pas en eux-même une existence complète ; mais leur existence se retrouve
dans des composés particuliers : et c’est pourquoi leur existence n’est
pas changée essentiellement mais accidentellement, tout comme celle des
formes. |
|
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Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3
tit. Utrum modi mutationis creaturarum convenienter assignentur ab Augustino. |
Article 3 – Les modes de changement des créatures sont-ils attribués convenablementpar Augustin ? |
lib. 1
d. 8 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Augustinus
inconvenienter assignet modos mutationis creaturarum. Secundum illud enim est
mutatio in quo invenitur motus, sicut secundum quantitatem vel qualitatem. Sed in quando non est motus,
ut dicit philosophus, V Phys., text. 9. Ergo videtur quod nihil
dicat creaturas moveri per tempora. |
Difficultés : 1. Il semble qu’Augustin
n’identifie pas comme il convient les modes de changements présents dans les
créatures. D’après lui en effet il y a changement là où on retrouve le
mouvement, comme celui selon la quantité et celui selon la qualité. Mais il
n’y a pas de mouvement dans le temps comme le dit le Philosophe [V Physique,
texte 9]. Il semble donc qu’il ne dise rien des créatures qui se meuvent par
le temps. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 2
Praeterea, in nulla divisione debet unum membrum contineri sub alio. Sed
omnis motus qui est per locum, est etiam [etiam om. Éd. De Parme]
per tempus. Ergo videtur inconvenienter dividere mutationem in mutationem
loci et temporis. |
2. Par ailleurs, dans aucune
division on ne doit retrouver un membre qui est contenu dans un autre. Mais
tout mouvement qui s’effectue dans le lieu se réalise aussi [aussi om.
Éd. de Parme] par le temps. Il semble donc incorrect de diviser le
changement en changement de lieu et en changement de temps. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 3
Praeterea, motus, secundum philosophum est in tribus generibus, scilicet
quantitate, qualitate, et ubi: et adhuc est in substantia generatio et
corruptio simpliciter, et in omnibus generibus generatio et corruptio
secundum quid: qui omnes inveniuntur in creatura corporali. Ergo
videtur quod diminute assignet mutationem creaturarum corporalium per ubi,
sive per locum tantum. |
3. En outre, le mouvement,
selon le Philosophe, se retrouve dans trois genres: la quantité, la qualité
et le lieu; et en outre dans le genre de la substance il y la génération et
la corruption proprement dites et dans tous les genres la génération et la
corruption sous un certain rapport: et tous ces changements se retrouvent
dans la créature corporelle. Il semble donc qu’il assigne sous une forme
diminutive le changement des créatures corporelles par le changement selon le
où, c’est-à-dire par le lieu seulement. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 4
Praeterea, tempus est mensura primi mobilis. Ergo quod non habet ordinem ad
motum primi mobilis, non habet relationem ad tempus. Sed affectiones animarum
non ordinantur ad motum caeli nec subjacent sibi. Ergo inconvenienter dicit,
quod moveri per tempus est per affectiones mutari. |
4. De plus, le temps est la
mesure du premier mobile. Donc, ce qui n’a pas rapport au mouvement du
premier mobile n’a pas de relation avec le temps. Mais les affections des
âmes n’ont pas de rapport au mouvement du ciel et ne lui sont pas soumises.
Il dit donc incorrectement que se mouvoir dans le temps c’est être changé
dans les affections. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod in motu proprie accepto est duo reperire, scilicet
continuitatem et successionem: et secundum quod habet continuitatem, sic
proprie mensuratur per locum, quia ex continuitate magnitudinis est
continuitas motus [ut dicitur IV Physic., text. 99 et
V Physic.,text ; 39 add. Éd. Mandonnet] secundum
autem quod habet successionem, sic proprie mensuratur per tempus ; unde
tempus dicitur numerus motus secundum prius et posterius. Quia autem
inveniuntur aliqui motus habentes continuitatem et successionem, aliqui autem
habentes successionem tantum, sicut motus affectionum, et etiam cogitationum,
quando scilicet anima transit de una cogitatione in aliam (inter enim illas
duas intentiones cogitatas non est aliqua continuitas) ideo divisit
mutationem creaturae per locum et tempus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux choses à retrouver dans le mouvement pris au sens propre, à
savoir la continuité et la succession : et selon qu’il posssède la
continuité, ainsi il est proprement mesuré par le lieu car la continuité du
mouvement vient de la continuité de l’étendue [ainsi qu’on le dit dans
IV Physique, texte 99 et V Physique, texte
39 ; add. Éd. Mandonnet] ; mais selon qu’il possède la
succession, alors le mouvement se mesure proprement par le temps ; c’est
pourquoi on dit du temps qu’il est la mesure du mouvement selon l’avant ety
l’après. Mais parce qu’il se rencontre certains mouvements qui possèdent à la
fois la continuité et la succession et d’autres qui ne possèdent que la
succession, comme celui des affections et celui des pensées, c’est-à-dire
quand l’âme passe d’une pensée à une autre (il n’y a en effet entre ces deux
intentions pensées aucune continuité), c’est pourquoi il divise le changement
de la créature par le lieu et par le temps. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in genere quando non est motus, sicut in
terminante motum ; nullus enim motus terminatur ad quando sicut ad ubi: est
tamen motus in quando, sicut in mensurante. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le mouvement n’est pas dans le genre du temps comme dans le
terme du mouvement ; aucun mouvement en effet ne se termine à un temps
comme il se termine à un lieu : le mouvement se termine cependant au
temps comme à ce qui le mesure. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod divisio intelligenda est cum praecisione, ut sic
scilicet intelligatur, quod quaedam mutatio est per locum et tempus ; quaedam
autem per tempus tantum ; quod patet ex his quae dicta sunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la division doit s’entendre avec précision, c’est-à-dire de manière
à se comprendre ainsi, à savoir que certains changements ont lieu dans le
temps et le lieu alors que d’autes ont lieu dans le temps seulement, ce qui
est manifeste à partir de ce qui a été dit. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis in corporalibus sint plures motus, omnes tamen
ordinantur ad motum localem caeli, qui est causa omnis motus corporalis ; et
ideo per motum localem tanguntur omnes. Vel potest dici, quod alii motus a
motu locali tanguntur per mutationem quae est per tempus: quia, sicut
Commentator probat, nullus alius motus est simpliciter continuus nisi motus
localis ; et ipse Augustinus dicit in littera, quod Deus creaturam corporalem
movet et per tempus et per locum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien qu’il y ait plusieurs sortes de mouvements dans les réalités
corporelles, elles sont cependant toutes ordonnées au mouvement local du ciel
qui est la cause de tout mouvement corporel ; et c’est pourquoi par le
mouvement corporel on se trouve à toucher tous les mouvements. On peut encore
dire que les autres mouvements sont touchés par le mouvement local
au moyen du changement qui a lieu dans le temps : car, tout comme le
Commentateur le prouve, aucun autre mouvement n’est absolument continu, sauf
le mouvement local ; et Augustin lui-même dit dans la letre que Dieu
meut la créature corporelle à la fois par le temps et par le lieu. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
tempus dupliciter dicitur: uno modo numerus prioris et
posterioris inventorum in motu caeli ; et istud tempus continuitatem habet a
motu, et motus a magnitudine, et hoc tempore mensurantur omnia quae habent
ordinem ad motum caeli, sive per se, sicut motus corporales, sive per
accidens, sicut aliquae operationes animae, secundum quod habent aliquam
relationem ad corpus. Et hoc modo tantum accipitur a philosophis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le temps se dit de
deux manières : premièrement comme le nombre de l’avant et de l’après de
ce que l’on rencontre dans le mouvement du ciel ; et ce temps tient sa
continuité du mouvement et le mouvement la tient de l’étendue, et c’est par
ce temps que sont mesurées toutes les réalités qui se rapportent au mouvement
du ciel, soit par soi, comme les mouvements corporels, soit par accident
comme certaines opérations de l’âme selon qu’elles ont une relation au corps.
Et c’est de cette manière seulement que le temps s’entend par les
philosophes. |
Alio modo, dicitur tempus
magis communiter numerus ejus quod habet quocumque modo prius et posterius:
et sic dicimus esse tempus mensurans simplices conceptiones intellectus, quae
sunt sibi succedentes: et istud tempus non oportet quod habeat continuitatem,
cum illud secundum quod attenditur motus, non sit continuum. Et sic accipitur
hic tempus, et frequenter a theologis. |
Deuxièmement le temps se dit
plus communément comme le nombre de ce qui possède de quelque façon que ce
soit de l’avant et de l’après : et c’est ainsi que nous disons que le
temps est ce qui mesure les conceptions simples de l’intelligence qui se
succèdent les unes aux autres : et il n’est pas nécessaire que ce temps
possède de la continuité puisque ce d’après quoi s’entend le mouvement n’est
pas continu. Et c’est ainsi que se prend ici le temps, comme le prennent
fréquemment les théologiens. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La simplicité en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad
intellectum hujus partis duo quaeruntur: primo de divina simplicitate.
Secundo de simplicitate creaturae. |
Pour arriver à comprendre cette partie, on s’interroge sur
deux choses : premièrement sur la simplicité de Dieu ; deuxièmement
sur la simplicité de la créature. |
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Circa primum tria quaeruntur: 1 si in Deo sit omnimoda
simplicitas ; 2 an contineatur in
praedicamento substantiae ; 3 si alia
praedicamenta de ipso dicantur. |
Au sujet du premier point on pose trois questions : 1. Y a-t-il en Dieu une simplicité absolue ? 2. Dieu est-il contenu dans le prédicament de la
substance ? 3. Est-ce que les autres prédicaments lui sont
attribués ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 tit. Utrum Deus sit omnino
simplex. |
Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est absolue? |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit simplex omnino.
Ens enim cui non fit additio, est ens commune praedicatum de omnibus de quo
nihil potest vere negari. Sed Deus non est hujusmodi. Ergo ad esse suum fit
aliqua additio. Non est ergo simplex. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à
l’égard de cette première question. Il semble que Dieu ne soit pas simple
d’une simplicité absolue. En effet, l’être auquel rien ne s’ajoute est l’être
commun qui est attribué à tous et duquel rien ne peut être véritablement nié.
Mais Dieu n’est pas un être de cette sorte. Il y a donc quelque chose qui
s’ajoute à son existence. Donc, il n’est pas simple. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De hebdom. Col. 1311,: « Omne
quod est esse participat ut sit ; alio autem participat, ut aliquid
sit ». Sed Deus verissime est ens et est aliquid, quia bonus et sapiens
et hujusmodi. Ergo Deus habet esse suum quo est, et super hoc habet aliquid
aliud quo aliquid est. Ergo non est simplex. |
2. Par ailleurs, Boèce [De
Hebdom. Col. 1311] dit : ¨Toute chose qui existe participe de
l’être pour exister ; mais elle participe par ailleurs pour être aussi
quelque chose de déterminé¨. Mais Dieu est le plus véritablement celui
qui est et il est quelque chose, car il est bon, sage etc. Donc Dieu possède
son existence par laquelle il existe et en plus de cela il possède quelque
chose d’autre par quoi il est quelque chose. Il n’est donc pas simple. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 3
Item, de quocumque praedicatur aliquid quod non est de substantia sua, illud
non est simplex. Sed quidquid praedicatur de aliquo postquam non
praedicabatur, illud non est de substantia sua, cum nulli rei substantia sua
de novo adveniat. Cum igitur de Deo praedicetur aliquid postquam non
praedicabatur, ut esse dominum et creatorem quae dicuntur de ipso ex tempore,
videtur quod ipse non sit simplex. |
3. Toute ce à quoi on
attribue quelque chose qui ne fait pas partie de sa substance, cela n’est pas
simple. Mais tout ce qui est attribué à un être sans lui avoir été attribué
antérieurement ne fait pas partie de sa substance puisque la substance
d’aucun être ne lui survient à nouveau. Donc, puisque quelque chose est
attribué à Dieu à nouveau sans lui avoir été attribué avant, comme d’être
seigneur et créateur qui se disent de Lui à partir du temps, il semble que
Lui-même ne soit pas simple. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 4
Praeterea, ubicumque sunt plures res in uno, ibi oportet esse aliquem modum
compositionis. Sed in divina natura sunt tres personae realiter
distinctae, convenientes in una essentia. Ergo videtur ibi esse aliquis modus
compositionis. |
4. De plus, partout où il y a
plusieurs choses dans une seule, il faut qu’il y ait là une certaine forme de
composition. Mais dans la nature divine il y a trois personnes réellement
distinctes qui ont en commun une seule et même essence. Il semble donc qu’il
y ait là une certaine forme de composition. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 1
Contra, omne compositum est posterius suis componentibus: quia simplicius est
prius in se, quam addatur sibi aliquid ad compositionem tertii. Sed primo
simpliciter nihil est prius. Cum igitur Deus sit primum principium, non est
compositus. |
Cependant : 1. Tout composé est
postérieur à ses composants : car ce qui est plus simple est antérieur
en soi à ce qui lui est ajouté pour la composition d’une troisième chose.
Mais rien n’est antérieur à ce qui est absolument premier. Donc, puisque Dieu
est le tout premier principe, il n’est pas composé. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 2
Praeterea, illud quod est primum dans omnibus esse, habet esse non dependens
ab alio: quod enim habet esse dependens ab alio, habet esse ab alio, et
nullum tale est primum dans esse. Sed Deus est primum dans omnibus esse. Ergo
suum esse non dependet ab alio. Sed cujuslibet compositi esse dependet ex
componentibus, quibus remotis, et esse compositi tollitur et secundum rem et
secundum intellectum. Ergo Deus non est compositus. |
2. En outre, ce qui est
premier de manière à donner l’existence à tout le reste, cela même possède
une existence qui ne dépend pas d’un autre : en effet, ce qui possède
une existence qui dépend d’un autre tient son existence de cet autre et rien
de tel n’est premier à donner l’existence. Mais Dieu est le premier principe
qui donne l’existence à tous les êtres. Donc, son existence ne dépend pas
d’un autre. Mais l’existence de tout composé dépend des éléments de sa composition
qui, une fois retirés, l’existence du composé disparaît elle aussi, à la fois
quant à la chose et quant à l’intelligence. Donc, Dieu n’est pas un être
composé. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 3
Item, illud quod est primum principium essendi, nobilissimo modo habet esse,
cum semper sit aliquid nobilius in causa quam in causato. Sed nobilissimus
modus habendi esse, est quo totum aliquid est suum esse. Ergo Deus est suum
esse. Sed nullum compositum totum est suum esse, quia esse ipsius sequitur
componentia, quae non sunt ipsum esse. Ergo Deus non est compositus. Et hoc
simpliciter concedendum est. |
3. En outre, ce qui est le
premier principe de l’existence possède l’existence de la manière la plus
noble puisque toujours quelque chose possède une existence plus noble dans la
cause que celle qu’il a dans l’effet. Mais la manière la plus noble de
posséder l’existence est celle par laquelle tout ce qu’est la chose est son
existence. Donc Dieu est sa propre existence. Mais aucun composé n’est dans
sa totalité son existence car son existence résulte de ses composantes qui ne
sont pas son existence même. Donc Dieu n’est par un être composé. Et cela
doit être concédé absolument. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid esse sine additione
dicitur dupliciter. Aut de cujus ratione est ut nihil sibi addatur: et sic dicitur de
Deo: hoc enim oportet perfectum esse in se ex quo additionem non recipit ;
nec potest esse commune, quia omne commune salvatur in proprio, ubi sibi fit
additio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est de deux manières qu’on peut dire que quelque chose
existe sans addition. Ou bien il est dans sa nature même que rien ne lui soit
ajouté et c’est ainsi que cela se dit de Dieu : cela doit être en effet
parfait en soi du fait qu’il ne reçoit aucune addition ; et il ne peut
être commun car tout universel est conservé dans le propre où quelque chose
lui est ajoute. |
Aut ita quod non sit de
ratione ejus quod fiat sibi additio, neque quod non fiat, et hoc modo ens commune
est sine additione. In intellectu enim entis non includitur ista conditio,
sine additione ; alias nunquam posset sibi fieri additio, quia esset contra
rationem ejus ; et ideo commune est, quia in sui ratione non dicit aliquam
additionem, sed potest sibi fieri additio ut determinetur ad proprium ; sicut
etiam animal commune dicitur esse sine ratione, quia de intellectu ejus non
est habere rationem, neque non habere ; asinus autem dicitur sine ratione
esse, quia in intellectu ejus includitur negatio rationis, et per hoc
determinatur secundum differentiam propriam. |
Ou bien quelque chose est
sans addition de telle manière qu’il ne soit pas dans sa nature ni que
quelque chose lui soit ajouté, ni que quelque chose ne lui soit pas ajouté,
et c’est en ce sens que l’être commun est sans addition. En effet, dans la
compréhension de l’être n’est pas incluse cette condition, à savoir sans
addition, autrement jamais une addition ne pourrait lui arriver car cela
serait contraire à sa nature ; et c’est pourquoi cet être est commun car
dans sa définition on ne dit aucune addition, mais il peut lui survenir une
addition de manière à ce qu’il se détermine à quelque chose de propre ;
c’est de cette manière encore qu’on dit de l’animal, pris universellement,
qu’il est sans raison car posséder la raison, tout comme ne pas la posséder,
ne fait pas partie de sa compréhension ; mais on dit de l’âne au
contraire qu’il est sans raison car dans la compréhension qu’on s’en fait est
incluse la négation de la raison et par là il se trouve à être déterminé
selon une différence qui lui est propre. |
Ita etiam divinum esse est
determinatum in se et ab omnibus aliis divisum, per hoc quod sibi nulla
additio fieri potest. Unde patet quod negationes dictae de Deo, non designant
in ipso aliquam compositionem. |
C’est de cette manière encore
que l’existence divine est déterminée en elle-même et séparée de toutes les
autres par cela même qu’aucune addition ne peut lui arriver. D’où il est
clair que les négations qu’on dit de Dieu ne désignent en Lui aucune
composition. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis res determinatur ut sit
aliquid, tripliciter: aut per additionem
alicujus differentiae, quae potentialiter in genere erat ; aut ex eo quod natura communis recipitur in aliquo, et fit
hoc aliquid ; aut ex eo quod alicui additur
accidens, per quod dicitur esse vel sciens vel albus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les choses créées la chose est déterminée à être quelque chose
de trois manières : soit par l’addition d’une
différence qui existait potentiellement dans le genre ; soit du fait que la nature
commune est reçue dans un sujet pour devenir tel individu ; soit du fait qu’à un individu
un accident s’ajoute par lequel on dise de lui qu’il est soit savant, soit
blanc. |
Nullus istorum modorum potest
esse in Deo, quia ipse non est commune aliquid, cum de intellectu suo sit
quod non addatur sibi aliquid [alicui additur accidens Éd. de Parme]
; nec etiam ejus natura est recepta in aliquo, cum sit actus purus ; nec
etiam recipit aliquid extra essentiam suam, eo quod essentia sua continet
omnem perfectionem. |
Aucune de ces manières ne
peut exister en Dieu car Lui-même n’est pas comme un genre commun puisqu’il
est dans sa nature que rien ne lui soit ajouté [à quoi s’ajoute
l’accident Éd. de Parme] ; et en plus sa nature n’est
pas telle qu’elle soit reçue dans quelque chose puisqu’Il est acte pur ;
et enfin il ne reçoit pas quelque chose qui serait extérieur à son essence du
fait que son essence contient toute perfection. |
Remanet autem quod sit aliquid
determinatum per conditionem negandi ab ipso omnem additionem [vel
conditionem Éd. de Parme], et per hoc removetur ab eo omne illud
quod possibile est additionem recipere. Unde per suum esse absolutum non
tantum est, sed aliquid est. Nec differt in eo quo est et aliquid esse, nisi
per modum significandi, vel ratione, ut supra dictum est, (dist. 2, qu.
unica, art. 2), de attributis. Dictum autem Boetii intelligitur de
participantibus esse, et non Deo qui essentialiter est suum esse. Ex quo
patet quod attributa nullam compositionem in ipso faciunt. Sapientia enim
secundum suam rationem non facit compositionem, sed secundum suum esse, prout
in subjecto realiter differens est ab ipso ; qualiter in Deo non est, ut
dictum est, (in hac dist. qu. 1, art. 1). |
Il demeure cependant qu’il
soit un être déterminé par cette condition de devoir nier de Lui toute
addition [ou condition Éd. de Parme] et par là on écarte de Lui
tout ce qui est en puissance à recevoir une addition. C’est pourquoi par son
existence absolue il n’existe pas seulement, mais il existe comme être
déterminé. Et en Lui il n’y a pas de différence entre ce par quoi il est et
ce qu’il est, si ce n’est par la manière de signifier ou par la raison, ainsi
que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 2] au sujet des
attributs. Mais les paroles de Boèce s’entendent de ceux qui existent par
participation et non de Dieu qui est essentiellement sa propre existence.
D’où il est clair que ses attributs n’entraînent aucune composition en Lui.
Ce n’est pas en effet selon sa définition que la sagesse entraîne une
composition mais c’est selon son existence selon que dans un sujet elle
diffère réellement de ce dernier ; mais comme nous l’avons dit [dans
cette distinction, question 1, article 1], ce n’est pas de cette manière que
les choses se passent en Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hujusmodi relationes quae
dicuntur de Deo ex tempore, non ponunt aliquid in ipso realiter, sed tantum
in creatura. Contingit enim, ut dicit philosophus, V Metaph., text.
20, aliquid dici relative, non quod ipsum referatur, sed quia aliquid
refertur ad ipsum ; sicut est in omnibus quorum unum dependet ab altero, et
non e contrario ; sicut scibile non est relativum, nisi quia scientia
refertur ad ipsum ; scibile enim non dependet a scientia, sed e converso. Sed
quia intellectus noster non potest accipere relationem in uno relativorum
[extremorum Éd. de Parme] quin intelligatur in illo ad quod
refertur, ideo ponit relationem quamdam circa ipsum scibile, et significat
ipsum relative. Unde illa relatio quae significatur in scibili, non est
realiter in ipso, sed secundum rationem tantum ; in scientia autem realiter.
Ita etiam relatio importata per hoc nomen Deus, vel creator, cum de Deo
dicatur, non ponit aliquid in Deo nisi secundum intellectum, sed tantum in
creatura. Ex
quo patet quod diversitas relationum ipsius Dei ad creaturas non ponit
compositionem in ipso. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que de telles relations attribuées à Dieu à partir du temps n’affirment
pas quelque chose qui existent en Lui réellement, mais seulement dans la
créature. Il arrive en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 20] que quelque chose se dise relativement non pas de manière à se
rapporter à quelque chose d’autre, mais parce que quelque chose d’autre se
rapporte ou se compare à lui ; il en est ainsi par exemple dans tous les
cas où une même chose dépend d’une autre mais non inversement. Par exemple
l’objet qui peut être connu n’est relatif que parce que la science se
rapporte à lui ; en effet, ce n’est pas l’objet à connaître qui dépend
de la science mais c’est l’inverse qui est vrai. Mais parce que notre
intelligence ne peut recevoir une relation dans un seul des
relatifs [extrêmes Éd. de Parme] qui n’est compris que par
comparaison à celui auquel il se rapporte, c’est pourquoi il pose une
certaine relation sur l’objet à connaître lui-même et le signifie
relativement. C’est pourquoi cette relation qui est signifiée dans l’objet à
connaître n’existe pas en lui selon la réalité mais seulement selon la
raison, alors que cette relation existe en réalité dans la science. De même
encore la relation impliquée par ce nom, à savoir Dieu ou créateur,
lorsqu’elle se dit de Dieu, ne pose quelque chose en Dieu que selon
l’intelligence mais quelque chose de réel seulement dans la créature. D’où il
est clair que la diversité des relations de Dieu lui-même aux créatures ne
pose aucune composition en Lui. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist.
2, qu. unica, art. 5, proprietas personalis comparata ad essentiam, non
differt re ab ipsa, et ideo non facit compositionem cum ea ; sed comparata ad
suum correlativum, facit distinctionem realem ; sed ex illa parte non est
aliqua unio, et ideo nec compositio. Unde relinquitur ibi tres esse res et
tamen nullam compositionem. Ex hoc patet nomina personalia nullam in Deo
compositionem significare. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 5],
la propriété personnelle comparée à l’essence ne diffère pas par la chose de
cette dernière, et c’est pourquoi elle ne fait pas composition avec
l’essence ; mais comparée à son corrélatif, elle fait une distinction réelle ;
mais de ce côté il n’y a pas union et c’est pourquoi il n’y a pas non plus
composition. D’où il s’ensuit qu’il y a là trois réalités qui existent et
cependant aucune composition. D’où il est clair que les noms personnels ne
signifient en Dieu aucune composition. |
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lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2
tit. Utrum Deus sit in praedicamento substantiae. |
Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance ?[9] |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus sit in
praedicamento substantiae. Omne enim quod est, vel est substantia vel accidens. Sed
Deus non est accidens, ergo est substantia. Cum igitur substantia praedicetur
de ipso sicut praedicatum substantiale, et non conversim, quia non omnis
substantia est Deus, videtur quod de ipso praedicetur sicut genus, et ita
Deus est in genere substantiae. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que Dieu soit dans le prédicament de la substance. En effet, tout ce qui existe est soit une substance, soit un accident. Mais Dieu n’est pas un accident ; il est donc une substance. Donc puisque la substance s’attribue à Lui comme un prédicat substantiel et non inversement car ce n’est pas toute substance qui est Dieu, il semble que la substance Lui est attribuée comme un genre et ainsi Dieu est dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 2
Praeterea, substantia est quod non est in subjecto, sed est ens per se. Cum
igitur Deo hoc maxime conveniat, videtur quod ipse sit in genere substantiae. |
2. Par ailleurs, la
substance est ce qui n’existe pas dans un sujet mais ce qui existe par soi.
Donc, puisque cela appartient à Dieu de la façon la plus excellente, il
semble que Lui-même soit dans le genre de la substance. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, X Metaph., text. 3, unumquodque mensuratur
minimo sui generis, et dicit ibi Commentator quod illud ad quod mensurantur
omnes substantiae est primus motor, qui, secundum ipsum, est Deus. Ergo Deus
est in genere substantiae. |
3. De plus, selon le
Philosophe [X Métaphysique, texte 3], toute chose est mesurée par
ce qu’il y a de plus petit dans son genre, et là le Commentateur dit que ce à
quoi se mesurent toutes les substances est le premier moteur qui, d’après
lui, est Dieu. Dieu est donc dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 s. c. 1
Contra, quidquid est in genere [substantiae add. Éd. de Parme],
aut est sicut generalissimum, aut est sicut contentum sub ipso. Sed Deus non
est in genere substantiae sicut generalissimum, quia praedicaretur de omnibus
substantiis ; nec etiam sicut contentum sub genere [contentum
sustantiae Éd. de Parme], quia adderet aliquid, supra genus
[scilicet supra add. Éd. de Parme] et ita non esset divina
essentia simplicissima. Ergo Deus non est in genere substantiae. |
Cependant : 1. Tout ce qui est dans le genre [de la substance add. Éd. de Parme] y est soit comme le plus universel, soit comme ce qui est contenu en lui. Mais Dieu n’est pas dans le genre de la substance comme ce qu’il y a de plus universel car alors Il s’attribuerait à toutes les substances ; et Il ne s’y trouve pas non plus comme contenu dans le genre [comme un contenu de la substance Éd. de Parme] car alors il ajouterait quelque chose au genre [c’est-à-dire au genre add. Éd. de Parme] et ainsi l’essence divine ne serait plus la plus simple. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 s. c. 2.
Praeterea, quidquid est in genere, habet esse suum determinatum ad illud
genus. Sed esse divinum nullo modo determinatum [terminatum Éd. de
Parme] est ad aliquod genus ; quinimmo comprehendit in se nobilitates
omnium generum, ut dicit philosophus et Commentator, in V Metaph.,text.
21. Ergo Deus non est in genere substantiae. Quod simpliciter concedendum
est. |
2. De plus, tout ce qui est dans un genre possède une existence qui est déterminée ou limitée à ce genre. Mais l’existence divine n’est d’aucune manière déterminée [limitée Éd. de Parme] à un genre particulier ; mais au contraire elle comprend en elle-même les perfections de tous les genres, ainsi que le disent le Philosophe et le Commentateur [V Métaphysique, texte 21]. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance. Et cela doit être concédé purement et simplement. |
Hujus autem ratio quadruplex
assignatur, prima ponitur in littera ex parte nominis sumpta. Nomen enim
substantiae imponitur a substando, Deus autem nulli substat. |
Il y a quatre raisons pour
manifester cela et la première qui est présentée dans le document se tire du
côté du nom. En effet, le nom même de substance a été imposé à partir de
l’idée de se tenir dessous, alors que Dieu ne se tient sous rien. |
Secunda sumitur ex ratione
ejus quod est in genere. Omne enim hujusmodi addit aliquid supra genus, et
ideo illud quod est summe simplex, non potest esse in genere. |
La deuxième se tire de la
nature de ce qui est dans un genre. En effet tout ce qui est dans un genre
ajoute quelque chose au genre, et c’est pourquoi ce qui est le plus simple ne
peut se trouver dans un genre. |
Tertia ratio subtilior est Avicennae, tract. V Metaph., cap.IV
et tract. IX, cap. 1. Omne quod est in genere, habet quidditatem differentem
ab esse, sicut homo ; humanitati enim ex hoc quod est humanitas, non debetur
esse in actu ; potest enim cogitari humanitas et tamen ignorari an aliquis
homo sit. Et ratio hujus est, quia commune, quod praedicatur de his quae sunt
in genere, praedicat quidditatem, cum genus et species praedicentur in eo
quod quid est. |
Une troisième raison plus
fine nous vient d’Avicenne [Métaphysique V, ch. IV et 1X, ch. 1]. Tout ce qui
est dans un genre possède une quiddité qui est différente de son existence,
comme c’est le cas pour l’homme : en effet, du seul fait que l’humanité
est l’humanité, il ne lui est pas nécessaire d’exister en acte ; on peut
en effet penser l’humanité et cependant ignorer si tel homme existe. Et la
raison en est que l’universel, qui est attribué à ce qui est contenu dans le
genre, attribue la quiddité, puisque le genre et l’espèce sont attribués dans
l’essence. |
Illi autem quidditati non
debetur esse nisi per hoc quod suscepta est in hoc vel in illo. Et ideo
quidditas generis vel speciei non communicatur secundum unum esse omnibus,
sed solum secundum unam rationem communem. Unde constat quod esse suum non
est quidditas sua. In Deo autem esse suum est quidditas sua : aliter
enim accideret quidditati, et ita esset acquisitum sibi ab alio, et non
haberet esse per essentiam suam. Et ideo Deus non potest esse in aliquo
genere. |
Mais il n’est nécessaire à
cette quiddité d’exister qu’à la condition d’être reçue dans celui-ci ou dans
celui-là. Et c’est pourquoi la quiddité du genre ou de l’espèce n’est pas
communiquée à tous d’après une seule existence, mais seulement d’après une
seule définition commune. De là il est clair que son existence n’est pas sa
quiddité. Mais en Dieu l’existence est identique à la quiddité :
autrement il Lui surviendrait une quiddité et ainsi elle Lui serait acquise
par un autre et il ne posséderait par l’existence par son essence. Et c’est
là la raison pour laquelle Dieu ne peut être dans un genre. |
Quarta causa est ex
perfectione divini esse, quae colligit omnes nobilitates omnium generum. Unde
ad nullum genus determinatur, ut objectum est. |
La quatrième raison se tire
de la perfection de l’existence divine qui réunit toutes les perfections
qu’on retrouve dans tous les genres. C’est pourquoi Dieu ne peut être limité
à aucun genre, ainsi que nous l’avons expliqué. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Deus simpliciter non est accidens, nec tamen
omnino proprie potest dici substantia ; tum quia nomen substantiae dicitur a
substando, tum quia substantia quidditatem nominat, quae est aliud ab esse ejus.
Unde illa est divisio entis creati. Si tamen non fieret in hoc vis, largo
modo potest dici substantia, quae tamen intelligitur supra omnem substantiam
creatam, quantum ad id quod est perfectionis in substantia, ut non esse in
alio et hujusmodi, et tunc est idem in praedicato et in subjecto, sicut in
omnibus quae de Deo praedicantur ; et ideo non sequitur quod omne quod est
substantia, sit Deus ; quia nihil aliud ab ipso recipit praedicationem
substantiae sic acceptae, secundum quod dicitur de ipso ; et ita propter
diversum modum praedicandi non dicitur substantia de Deo et creaturis
univoce, sed analogice. Et haec potest esse alia ratio quare Deus non est in
aliquo genere, quia scilicet nihil de ipso et de aliis univoce praedicatur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Dieu n’est absolument pas un accident et il ne peut cependant
absolument pas être appelé substance au sens propre, tant parce que le nom de
substance se dit de ce qui se tient dessous que parce que la substance
désigne une quiddité qui est autre que son existence. Et c’est pourquoi la
substance est une division de l’être créé. Cependant, s’il n’y a rien de
forcé en cela, au sens large Dieu peut être appelé substance si on l’entend
cependant comme une substance qui transcende toute substance créée quant à ce
qu’il y a de perfection dans la substance, comme de ne pas exister dans un
autre et d’autres choses de ce genre et alors c’est la même chose
qu’on retrouve dans le sujet et le prédicat, comme tout ce qui est attribué à
Dieu ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que tout ce qui est
substance soit Dieu ; car rien d’autre que Lui ne reçoit l’attribution
de la substance prise en ce sens selon qu’elle se dit de Lui ; et ainsi,
en raison d’un mode différent d’attribution, la substance ne se dit pas de
Dieu et des créatures d’une manière univoque, mais par analogie. Et cela peut
constituer une autre raison pour laquelle Dieu n’est pas dans un genre,
c’est-à-dire parce que rien ne s’attribue de manière univoque à Dieu et aux
autres êtres. |
Lib.
1, dist. 8, qu. 4, art. 2, ad. 2. Ad
secundum dicendum, quod ista definitio, secundum Avicennam, tract. 11 Metaph., cap.
1, et tract. 111, cap. VIII, non potest esse substantiae :
substantia est quae non est in subjecto. Ens enim non est genus. Haec autem
negatio ¨non in subjecto¨ nihil ponit ; unde hoc quod dico, ens non est
in subjecto, non dicit aliquod genus : quia in quolibet genere oportet
significare quidditatem aliquam, ut dictum est, de cujus intellectu non est
esse. Ens autem non dicit quidditatem, sed solum actum essendi, cum sit
principium ipsum ; et ideo non sequitur : est non in subjecto, ergo
est in genere substantiae ; sed oportet addi : est habens
quidditatem quam consequitur esse non in subjecto ; ergo est in genere
substantiae. Sed hoc dictum Deo non convenit, ut dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que cette définition, d’après Avicenne [Métaphysique, tr. 11, ch.
1 ; et tr. 111, ch. VIII] ne peut pas être celle de la
substance : la substance est ce qui n’existe pas dans un sujet. L’être
en effet n’est pas un genre. Cette négation cependant, à savoir ¨n’est pas
dans un sujet¨, n’affirme rien ; de là ce que je dis, à savoir l’être
n’est pas dans un sujet, cela ne dit pas un genre car dans tout genre il
faut signifier une certaine quiddité, ainsi que nous l’avons dit, dans la
compréhension de laquelle il n’y a pas l’existence. L’être cependant ne dit
pas une quiddité, mais seulement l’acte d’exister puisqu’il est le principe
même ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas ceci : ceci n’est pas
dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance ; mais il
faut ajouter : ceci possède une quiddité qui découle de ne pas exister
dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance. [mais il faut
…dans le genre de la substance om. Éd. de Parme]. Mais cela ne
convient pas à Dieu, ainsi que nous l’avons dit [nous l’avons dit om.
Éd. de Parme] dans la citation précédente. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod mensura proprie dicitur in quantitatibus: dicitur enim
mensura illud per quod innotescit quantitas rei, et hoc est minimum in genere
quantitatis vel simpliciter, ut in numeris, quae mensurantur unitate, quae
est minimum simpliciter ; aut minimum secundum positionem nostram, sicut in
continuis, in quibus non est minimum simpliciter ; unde ponimus palmum loco
minimi ad mensurandum pannos, vel stadium ad mensurandum viam. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la mesure se dit proprement de la quantité : on dit en effet
d’une mesure qu’elle est ce par quoi la quantité de la chose est connue, et
cela est la plus petite partie dans le genre de la quantité soit absolument
comme dans les nombres qui sont mesurées par l’unité qui set la plus petite
partie absolument ; soit la plus petite partie selon notre position, comme
c’est le cas dans les quantités continues dans lequelles il n’y a pas de plus
petite partie absolue ; c’est pourquoi nous prenons le palme comme étant
la plus petite quantité pour mesurer les pièces d’étoffe, ou le stade pouir
mesurer le chemin parcouru. |
Exinde transumptum est nomen
mensurae ad omnia genera, ut illud quod est primum in quolibet genere et
simplicissimum et perfectissimum dicatur mensura omnium quae sunt in genere
illo ; eo quod unumquodque cognoscitur habere de veritate generis plus et minus,
secundum quod magis accedit ad ipsum vel recedit, ut album in genere colorum.
Ita etiam in genere substantiae illud quod habet esse perfectissimum et
simplicissimum, dicitur mensura omnium substantiarum, sicut Deus. Unde non
oportet quod sit in genere substantiae sicut contentum, sed solum sicut
principium, habens in se omnem perfectionem generis sicut unitas in numeris,
sed diversimode ; quia unitate non mensurantur nisi numeri ; sed Deus est
mensura non tantum substantialium perfectionum, sed omnium quae sunt in
omnibus generibus, sicut sapientiae, virtutis et hujusmodi. Et ideo quamvis
unitas contineatur in uno genere determinato sicut principium, non tamen
Deus. |
De là le nom de mesure a été
transporté à tous les genres, de sorte que ce qui est premier, le plus simple
et le plus parfait dans tout genre soit appelé la mesure de tout ce qui est
dans ce genre ; du fait que toute chose est connue comme possédant plus
ou moins de la vérité du genre selon qu’elle s’approche ou s’éloigne
davantage de la mesure, comme du blanc dans le genre de la couleur. De même
encore dans le genre de la substance ce qui possède l’existence la plus
parfaite et la plus simple, comme Dieu, est appelé la mesure de toutes les
substances. C’est pourquoi il ne faut pas que la mesure soit dans le genre de
la substance comme ce qui y est contenu, mais seulement comme un principe qui
possède en lui toute la perfection du genre comme c’est le cas pour l’unité
par rapport aux nombres, mais différemment ; car il n’y a que les nombres
qui soient mesurés par l’unité alors que Dieu est la mesure non seulement des
perfections substanctielles, mais de toutes les perfections qui sont dans
tous les genres, par exemple de la sagesse, de la vertu etc. Et c’est
pourquoi, bien que l’unité soit contenue dans un genre déterminé comme
principe, ce n’est pas le cas pour Dieu. |
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Articulus 3 :
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 tit. Utrum alia praedicamenta de Deo dicantur |
Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments s’attribuent à Dieu ?[10] |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur etiam quod
alia praedicamenta de Deo dicantur. De quocumque enim praedicatur species, et
genus. Sed scientia, quae est species qualitatis, invenitur in Deo, et
magnitudo, quae est species quantitatis. Ergo et quantitas et qualitas. |
Difficultés : 1. Il semble que les autres prédicaments aussi s’attribuent à Dieu. L’espèce et le genre en effet s’attribuent à tout. Mais la science, qui est une espèce de la qualité, se retrouve en Dieu, comme la grandeur qui est une espèce de la quantité. Donc la quantité et la qualité s’attribuent à Dieu. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus in IV Metaph., text.
4 et seq., dicit: « unum in substantia facit idem, in quantitate
aequale, in qualitate simile ». Sed in Deo dicitur vere aequalitas
et similitudo. Ergo oportet de eo dici aliquid per modum qualitatis et
quantitatis, sicut scientiam vel magnitudinem. |
2. En outre, le Philosophe
[IV Métaphysique, texte 4 et suiv.] dit : ¨De l’un dans
la substance résulte le même, dans la quantité l’égal et dans la qualité le
semblable¨. Mais en Dieu on parle véritablement de l’égal et du
semblable. Il faut donc Lui attribuer quelque chose selon le mode de la
qualité et de la quantité, comme la science ou la grandeur. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, natura generis propriissime reperitur in eo
in quo primo est. Sed
Deus est primum agens. Ergo in eo actio praecipue invenitur. |
3. De plus, la nature du
genre se découvre le plus proprement dans ce en quoi elle se retrouve en
premier. Mais Dieu est l’agent premier. C’est donc en Lui que l’action se
retrouve en premier. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 4
Praeterea, quanto aliquid est debilioris esse, tanto magis repugnat summae
perfectioni. Sed inter omnia alia entia relatio habet debilissimum esse, ut
dicit Commentator, XI Metaph., text. 11, unde etiam fundatur
super alia omnia entia, sicut supra quantitatem aequalitas, et sic de aliis.
Cum igitur in divinis inveniatur relatio, multo fortius alia praedicamenta. |
4. Par ailleurs, un être
répugne d’autant plus à la plus grande perfection qu’il est plus faible. Mais
parmi tous les autres êtres, la relation comme catégorie possède l’existence
la plus faible, ainsi que le dit le Commentateur [XI Métaphysique,
texte 11], et c’est pourquoi elle se fonde sur tous les autres êtres comme
l’égalité se fonde sur sur la quantité, et il en est ainsi du reste. Donc,
puisqu’on retrouve une relation entre les personnes divines, on y retrouve à
plus forte raison les autres catégories. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 s. c. 1
Contra, Augustinus V De Trin., cap. VIII : omne quod
de Deo dicitur, aut secundum substantiam aut secundum relationem dicitur ;
et ita alia praedicamenta non erunt in divinis. Hoc etiam habetur ex
auctoritate Augustini in littera. |
Cependant : 1. Augustin [V De la
Trinité, ch. VIII] dit : Tout ce qui se dit de
Dieu se dit soit selon la substance, soit selon la relation ; et
ainsi les autres prédicaments de se retrouvent pas en Dieu. Cette conclusion
se tire aussi de l’autorité d’Augustin dans le document. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod quidquid inventum in creaturis, de Deo praedicatur,
praedicatur eminenter, ut dicit Dionysius, sicut etiam est in omnibus aliis
causis et causatis. Unde oportet omnem imperfectionem
removeri ab eo quod in divinam praedicationem venit. Sed in unoquoque novem
praedicamentorum duo invenio ; scilicet rationem accidentis et rationem
propriam illius generis, sicut quantitatis vel qualitatis. Ratio autem
accidentis imperfectionem continet: quia esse accidentis est inesse et
dependere, et compositionem facere cum subjecto per consequens. Unde secundum
rationem accidentis nihil potest de Deo praedicari. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce qu’on retrouve dans les créatures et qui s’attribue à Dieu Lui
est attribué de la manière la plus excellente, ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, VII, & 3, col. 870, t. 1], comme c’est le cas
aussi pour toutes les autres causes et leurs effets. D’où il faut que toute
imperfection soit exclue de ce qui est présent dans la perfection divine.
Mais dans chacun des neuf autres prédicaments je découvre deux choses :
à savoir la notion d’accident et la notion propre à ce genre, comme la
quantité et la qualité. Mais la notion d’accident contient une
imperfection : car l’être d’un accident est d’exister dans un autre et
de dépendre, et par conséquent de produire une composition avec le sujet.
C’est pourquoi rien ne peut être attribué à Dieu d’après la notion
d’accident. |
Si autem consideremus propriam
rationem cujuslibet generis, quodlibet aliorum generum, praeter ad aliquid,
importat imperfectionem ; quantitas enim habet propriam rationem in
comparatione ad subjectum ; est enim quantitas mensura substantiae, qualitas
dispositio substantiae, et sic patet in omnibus aliis. Unde
eadem ratione removentur a divina praedicatione secundum rationem generis,
sicut removebantur per rationem accidentis. Si autem consideremus species ipsarum,
tunc aliqua secundum differentias completivas important aliquid perfectionis,
ut scientia, virtus et hujusmodi. Et ideo ista praedicantur de Deo secundum
propriam rationem speciei et non secundum rationem generis. Ad
aliquid autem, etiam secundum rationem generis, non importat aliquam
dependentiam ad subjectum ; immo refertur ad aliquid extra: et ideo etiam
secundum rationem generis in divinis invenitur. Et propter hoc tantum
remanent duo modi praedicandi in divinis, scilicet secundum substantiam et
secundum relationem ; non enim speciei contentae in genere debetur aliquis
modus praedicandi, sed ipsi generi. |
Mais si nous
considérons la notion propre à un genre, n’importe quel des autres genres en
dehors de la relation implique une imperfection; la quantité en effet possède
une notion propre par rapport au sujet: elle est en effet la mesure de la
substance, alors que la qualité est une disposition de la substance et il est
clair qu’il en est ainsi pour tous les autres genres. C’est pourquoi ces
autres genres sont exclus de l’attribution divine selon la notion du genre
pour la même raison qu’ils en étaient exclus pour la raison de l’accident.
Mais si nous considérons les espèces de ces genres, alors certaines, d’après
leurs differences complémentaires, impliquent quelque perfection, comme la
science, la vertu, etc. Et c’est pourquoi ces genres s’attribuent à Dieu
selon la notion propre à l’espèce et non pas selon la notion de genre en tant
que tel. Mais la relation, même selon la notion de genre, n’implique pas
quelque dépendance à l’égard d’un sujet; bien au contraire, elle se rapporte
à quelque chose d’extérieur: et c’est pourquoi elle se retrouve dans les
personnes divines même selon la notion de genre. Et c’est pour cette raison
qu’il ne reste que deux modes d’attribution qui s’appliquent aux personnes
divines, à savoir celui de la substance et celui de la relation; c’est au
genre lui-même en effet qu’est dû un mode d’attribution et non à l’espèce qui
est contenue dans le genre. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dictum est, in corp.
art., scientia non praedicatur de Deo secundum rationem generis, sed secundum
propriam differentiam, quae complet rationem ipsius. Unde non praedicatur univoce
de Deo et de aliis ; sed secundum prius et posterius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article
précédent, la science ne s’attribue pas à Dieu selon la notion de genre mais
selon la différence propre qui complète sa notion. C’est pourquoi elle ne
s’attribue pas à Dieu et aux autres être de manière univoque, mais selon
l’avant et l’après. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in divinis quaedam dicuntur habere modum quantitatis
vel qualitatis ; non quia secundum talem modum praedicentur de Deo, sed
secundum modum quo inveniuntur in creaturis, prout nomina quae a nobis
imposita sunt, modum habent qualitatis et quantitatis: sicut etiam Damascenus
dicit, lib. I Fide orth.,cap. XII, col. 834, quod quaedam
dicuntur de Deo sicut assequentia substantiam, cum tamen, prout in ipso est,
nihil sit assequens. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que parmi les personnes divines certaines sont dites posséder
le mode de la quantité ou celui de la qualité; non pas parce qu’ils
s’attribuent à Dieu selon un tel mode mais selon le mode par lequel ils se
retrouvent dans les créatures, dans la mesure où les noms que nous imposons
possèdent le mode de la qualité ou de la quantité; tout comme Damascène dit
encore [De la Foi Orthodoxe, 1, ch. XII, col. 834] que certaines
choses se disent de Dieu comme si elles atteignaient la substance bien que
cependant, considérées en elles-mêmes, elles n’atteignent rien. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod actio, secundum quod est praedicamentum, dicit aliquid
fluens ab agente, et cum motu ; sed in Deo non est aliquid medium secundum
rem inter ipsum et opus suum, et ideo non dicitur agens actione quae est
praedicamentum, sed actio sua est substantia. De hoc tamen plenius
dicetur in principio secundi, (dist. 1, qu. unica, art. 2). |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’action, en tant que prédicament, dit quelque chose qui découle
d’un agent et qui s’accompagne de mouvement ; mais en Dieu il n’y a
aucun intermédiaire en réalité entre Lui et son œuvre, et c’est pourquoi on
ne dit pas de Lui qu’il est un agent par une action qui serait un
prédicament, mais au contraire son action est sa substance. Nous parlerons
cependant de cela d’une manière plus exhaustive au début du second livre
[dist. 1, qu. unique, art. 2]. |
Lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod debilitas esse relationis consideratur secundum
inhaerentiam sui ad subjectum: quia non ubje aliquid absolutum in ubject, sed
tantum per respectum ad aliud.Unde ex hoc habet magis quod veniat in divinam
praedicationem : quia quanto minus addit, tanto minus repugnat
simplicitati. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la faiblesse de l’existence de la relation est considérée d’après
son attachement au sujet : car elle ne pose pas quelque chose d’absolu
dans le sujet, mais seulement par rapport à quelque chose d’autre. Et c’est
pourquoi à partir de là il lui appartient davantage d’en venir à une
attibution aux personnes divines : car elle répugne d’autant moins à la
simplicité qu’elle ajoute moins. |
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Question 5 – [La simplicité du côté des créatures] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 5 pr. Deinde quaeritur de simplicitate ex
parte creaturae ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum aliqua creatura sit simplex ; 2 utrum anima sit simplex, quia hoc habet specialem
difficultatem ; 3 utrum sit tota in qualibet
parte corporis. |
On s’interroge ensuite sur la
simplicité qui se tient du côté de la créature ; et à ce sujet on pose
trois questions : 1. Y a-t-il une créature qui
soit simple ? 2. Est-ce que l’âme est
simple ? Car cela présente une difficulté spéciale. 3. L’âme est-elle totalement
présente dans chacune des parties du corps ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1
tit. Utrum aliqua creatura sit simplex |
Article 1 – Existe-t-il une créature simple ? |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aliqua creatura simplex sit.
Forma enim est compositioni contingens, simplici et invariabili essentia
consistens. Sed forma est creatura. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait
simplicité chez certaines créatures. La forme en effet est congingente à la
composition et consiste en une essence simple et invariable. Mais la forme
est une créature. Il y a donc simplicité chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 2
Praeterea, resolutio intellectus non stat quousque invenit compositionem,
sive sint separabilia secundum rem, sive non ; multa enim separantur
intellectu quae non separantur actu, secundum Boetium, De hebdom., col.
1311, Illud ergo in quo ultima stat resolutio intellectus est omnino simplex.
Sed ens commune est hujusmodi. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, la
résolution de l’intelligence ne s’arrête pas tant que l’on retrouve de la
composition, que l’objet de la résolution soit séparable en réalité ou
non : il y a plusieurs objets en effet selon Boèce [Les Hebdomadaires,
co. 1311]qui sont séparés par l’intelligence mais qui ne le sont pas en acte.
Donc, ce en quoi s’arrête la dernière résolution de l’intelligence est absolument
simple. Mais l’être commun est absolument simple. La simplicité existe donc
chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 3
Praeterea, si omnis creatura est composita, constat quod non est composita
nisi ex creaturis. Ergo et componentia sua erunt composita. Igitur itur
[universaliter Éd. de Parme] in infinitum (quod natura et
intellectus non patitur) ; vel erit devenire ad prima componentia simplicia,
quae tamen creaturae sunt. Ergo et cetera. |
3. De plus, si toute créature
est composée, il est clair qu’elle n’est composée que de ce qui est créé,
d’autres créatures. Donc, les composantes elles-mêmes seront composées. On
ira donc [universellement Éd. de Parme] à l’infini (ce qui n’est
compatible ni avec nature ni avec l’intelligence) ; ou bien il faudra en
venir à de premières composantes simples qui sont cependant des créatures. Il
y donc simplicité chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 4
Si dicatur, quod illa componentia non possunt esse simplicia, quia habent
habitudinem concretam, quod sint ab alio: contra, illud quod est extrinsecum
rei, non facit compositionem cum re ipsa. Sed agens est extrinsecum a re.
Ergo per hoc quod res est ab aliquo agente, non inducitur in ipsam aliqua
compositio. |
4. Si on disait que ces
composantes ne peuvent être simples car elles possèdent une manière d’être
qui et concrète, et qu’elles viennent d’un autre : mais ce qui est
extrinsèque à la chose ne fait pas composition avec elle. Mais l’agent est
extrinsèque à la chose. Donc, par cela que la chose vient d’un agent
extérieur, cela ne conduit pas à introduire en elle une composition. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 s. c. 1
Contra, Boetius, De Trinitate, cap. II: col. 1250: « In
omni eo quod est citra primum, differt et quod est et quo est ». Sed omnis
creatura est citra primum. Ergo est composita ex esse et quod est. |
Cependant : 1. Boèce [De la Trinité,
ch. 11, col. 1250] dit : ¨Dans tout ce qui est en deçà de ce qui est
premier, ce qui existe diffère de ce par quoi la chose existe¨.
Mais toute créature est en deçà de ce qui est premier. Elle est donc composée
de l’existence et de ce qui existe. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 s. c. 2
Praeterea, omnis creatura habet esse finitum. Sed esse non receptum in
aliquo, non est finitum, immo absolutum. Ergo omnis creatura habet esse
receptum in aliquo ; et ita oportet quod habeat duo ad minus, scilicet esse,
et id quod esse recipit. |
2. De plus, toute créature
possède une existence qui est finie. Mais l’existence qui n’est pas reçue
dans un autre n’est pas finie mais elle est plutôt absolue. Donc, toute
créature possède une existence qui est reçue dans un autre ; et ainsi,
il faut qu’elle possède au moins deux éléments, à savoir l’existence et ce
qui reçoit l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod omne quod procedit a Deo in diversitate essentiae,
deficit a simplicitate ejus. Ex hoc autem quod deficit a simplicitate, non
oportet quod incidat in compositionem ; sicut ex hoc quod deficit a summa
bonitate, non oportet quod incidat in ipsam aliqua malitia. Dico ergo quod
creatura est duplex. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce qui procède de Dieu s’écarte de la simplicité de ce dernier. Mais
du fait qu’elle s’écarte de cette simplicité, il ne s’ensuit pas
nécessairement que la créature tombe dans la composition, tout comme du fait
qu’elle s’écarte de la bonté la plus excellente, il ne s’ensuit pas qu’il se
rencontre en elle de la méchanceté. Je dis donc qu’il y a deux sortes de
créatures. |
Quaedam enim est quae habet
esse completum in se, sicut homo et hujusmodi, et talis creatura ita deficit
a simplicitate divina quod incidit in compositionem. Cum enim in solo Deo
esse suum sit sua quidditas, oportet quod in qualibet creatura, vel in
corporali vel in spirituali, inveniatur quidditas vel natura sua, et esse
suum, quod est sibi acquisitum a Deo, cujus essentia est suum esse ; et ita
componitur ex esse, vel quo est, et quod est. |
Il y en a qui possèdent une
existence complète en elles-mêmes, comme l’homme et les créatures de cette
sorte, et ces créatures s’écartent de la simplicité divine de telle manière
qu’elles tombent dans la composition. En effet, puisque c’est en Dieu seul
que l’existence est identique à la quiddité, il faut que dans toute créature,
soit corporelle soit spirituelle on retrouve à la fois une quiddité et une
nature d’une part et une existence d’autre part qui lui soit acquise par Dieu
dont l’essence est son existence ; et ainsi toute créature est composée
de son existence, ou de ce par quoi elle est, et de ce qu’elle est. |
Est etiam quaedam creatura quae non habet esse in se, sed
tantum in alio, sicut materia prima, sicut forma quaelibet, sicut universale
; non enim est esse alicujus, nisi particularis subsistentis in natura ; et
talis creatura non deficit a simplicitate, ita quod sit composita. |
Mais il y a aussi une autre
sorte de créature qui ne possède pas l’existence en elle-même mais seulement
dans un autre comme la matière première, comme toute forme, comme
l’universel ; et une telle créature en effet n’est pas l’existence d’un
être, sauf d’un être particulier qui subsiste dans une nature ; et une
telle créature ne s’écarte pas de la simplicité de telle manière qu’elle
serait composée. |
Si enim dicatur, quod
componitur ex ipsa sua natura et habitudinibus quibus refertur ad Deum vel ad
illud cum quo componitur, item quaeritur de illis habitudinibus utrum sint
res, vel non: et si non sunt res, non faciunt compositionem ; si autem sunt
res, ipsae non referuntur habitudinibus aliis, sed se ipsis: quia illud quod
per se est relatio, non refertur per aliam relationem. Unde oportebit
devenire ad aliquid quod non est compositum, sed tamen deficit a simplicitate
primi: et defectus iste perpenditur ex duobus: vel quia est divisibile in
potentia vel per accidens, sicut materia prima, et forma, et universale ; vel
quia est componibile alteri, quod divina simplicitas non patitur. |
Si en effet on disait qu’elle
est composée de sa nature et des manières d’êtres par lesquelles elle se
rapporte à Dieu ou à ce avec quoi elle est composée, il faudrait encore savoir
au sujet de ces manières d’être si elles sont des choses ou non : et si
elles ne sont pas des choses, elles ne font pas composition ; mais si
elles sont des choses, elles-mêmes ne se rapportent pas à d’autres manières
d’être mais à elles-mêmes : car ce qui constitue une relation en
soi-même ne se rapporte pas à une autre relation. C’est pourquoi il faudra en
venir à quelque chose qui n’est pas composé mais qui s’écarte cependant de la
simplicité première : et ce défaut se juge d’après deux choses :
soit parce qu’elle est divisible en puissance ou par accident comme la
matière première, la forme et l’universel ; soit parce qu’elle peut
entrer en composition avec quelque chose d’autre, ce qui n’est pas compatible
avec la simplicité divine. |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad ea quae objecta
sunt. Primae
enim rationes procedebant de illis creaturis quae non habent esse completum,
quae non componuntur ex aliis sicut ex partibus ; et aliae duae procedebant
de creaturis quae habent esse completum. |
Et par là on voit manifestement la solution aux
difficultés qui ont été présentées. Les deux premières raisons en effet
procédaient de ces créatures qui ne possèdent pas en elles-mêmes une
existence complète et qui ne sont pas composées d’autres choses comme de
parties ; les deux dernières procédaient des créatures qui possèdent une
existence complète. |
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Articulus 2,
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 tit. Utrum anima sit simplex. |
Article 2 – L'âme est-elle simple ? |
lib.
1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 1. Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima sit
simplex. Sicut enim dicit philosophus, de anima, text. 2, anima est
forma corporis. Sed ibidem dicit, quod forma neque est materia neque
compositum. Ergo
anima non est composita. |
Difficultés : 1. Il semble que l’âme soit
simple. Comme le dit en effet le Philosophe [11 De l’Âme, texte
2], l’âme est la forme du corps. Mais il dit au même endroit que la forme
n’est ni une matière, ni un composé. L’âme n’est donc pas un composé. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 2
Praeterea, omne quod est compositum, habet esse ex suis componentibus. Si
igitur anima sit composita, tunc ipsa in se habet aliquod esse, et illud esse
nunquam removetur ab ea. Sed ex conjunctione animae ad corpus relinquitur
esse hominis. Ergo esse hominis est esse duplex, scilicet esse animae, et
esse conjuncti: quod non potest esse, cum unius rei sit unicum esse. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est composé possède l’existence à partir de ses composants. Si donc l’âme
était un composé, elle posséderait en elle-même une existence et cette
existence ne pourrait jamais lui être enlevée. Mais c’est de l’union de l’âme
et du corps que résulte l’existence de l’homme. L’existence de l’homme est
donc double, à savoir l’existence de l’âme et celle du composé : mais
cela est impossible car pour une seule et même chose il n’y a qu’une seule
existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 3
Praeterea, omnis compositio quae advenit rei post suum esse completum, est
sibi accidentalis. Si igitur anima est composita ex suis principiis, habens
in se esse perfectum, compositio ipsius ad corpus erit sibi accidentalis. Sed
compositio accidentalis terminatur ad unum per accidens. Ergo ex anima et
corpore non efficitur nisi unum per accidens ; et ita homo non est ens per
se, sed per accidens. |
3. En outre, toute
composition qui survient à la chose suite à son existence complète lui est
accidentelle. Si donc l’âme est composée de ses principes, possédant en
elle-même une existence parfaite, sa composition avec le corps lui sera
accidentelle. Mais toute composition accidentelle se termine à une unité
accidentelle. Donc, de l’union du corps et de l’âme ne résulterait qu’une
unité accidentelle et ainsi l’homme ne serait pas un être essentiel, par soi,
mais un être accidentel. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 4 Contra, Boetius, I De Trin., cap. II, col. 1250: Nulla forma simplex potest esse subjectum. Sed anima est subjectum et potentiarum et habituum et specierum intelligibilium. Ergo non est forma simplex. |
4. Au contraire, Boèce
[1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250] dit : Aucune forme
simple ne peut être un sujet. Mais l’âme est le sujet à la fois des
puissances, des habitus et des espèces intelligibles. L’âme n’est donc pas
une forme simple. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 5
Praeterea, forma simplex non habet esse per se, ut dictum est, art. praec.,
in corp. Sed illud quod non habet esse nisi per hoc quod est in altero, non
potest remanere post illud, nec etiam potest esse motor, quamvis possit esse
principium motus, quia movens est ens perfectum in se ; unde forma ignis non
est motor ut dicitur VIII Physic. Text. 40. Anima autem
manet post corpus, et est motor corporis. Ergo non est forma simplex. |
5. Par ailleurs, la forme
simple ne possède pas d’existence par elle-même, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article précédent. Mais ce qui ne possède l’existence que
du fait qu’il existe dans un autre ne peut continuer à exister sans cet autre
et il ne peut non plus être un moteur bien qu’il puisse être le principe d’un
mouvement, car tout moteur est un être qui est parfait en lui-même ;
c’est pourquoi la forme du feu n’est pas un moteur ainsi que le dit le
Philosophe [ VIII Physique, texte 40]. Mais l’âme continue à
exister sans le corps et elle est le moteur du corps. Elle n’est donc pas une
forme simple. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 6
Praeterea, nulla forma simplex habet in se unde individuetur, cum omnis forma
sit de se communis. Si igitur anima est forma simplex, non habebit in se unde
individuetur ; sed tantum individuabitur per corpus. Remoto autem eo quod est
causa individuationis, tollitur individuatio. Ergo remoto corpore, non
remanebunt animae diversae secundum individua ; et ita non remanebit nisi una
anima quae erit ipsa natura animae. |
6. De plus, aucune forme
simple ne possède en elle le principe de son individuation, puisque toute
forme est de soi universelle. Si donc l’âme est une forme simple, elle ne
possède pas en elle le principe de son individuation mais elle ne peut
être individuée que par un principe corporel. Mais une fois enlevé
ce qui est cause d’individuation, l’individuation elle-même disparaît. Donc,
une fois enlevé ce qui est corporel, il ne restera plus d’âmes différentes
dans des individus différents ; et ainsi il ne restera plus qu’une seule
âme qui sera la nature même de l’âme. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod hic est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod
anima est composita ex materia et forma ; quorum etiam sunt quidam dicentes,
eamdem esse materiam animae et aliorum corporalium et spiritualium. Sed hoc
non videtur esse verum, quia nulla forma efficitur intelligibilis, nisi per
hoc quod separatur a materia et ab appendentiis materiae. Hoc autem non est
inquantum est materia corporalis perfecta corporeitate, cum ipsa forma
corporeitatis sit intelligibilis per separationem a materia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux opinions à ce sujet. Certains disent en effet que l’âme est
composée de matière et de forme ; parmi lesquels encore certains
soutiennent que la matière de l’âme est la même que celle des autres corps et
des réalités spirituelles. Mais cela ne semble pas être vrai car aucune forme
ne devient intelligible, si ce n’est par ceci qu’elle est séparée de la
matière et de ce qui dépend de la matière. Mais il n’en est pas ainsi selon que
la matière corporelle est parfaite par la corporéité, puisque la forme même
de la corporéité est intelligible par la séparation de la matière. |
Unde illae substantiae quae
sunt intelligibiles per naturam, non videntur esse materiales: alias species
rerum in ipsis non essent secundum esse intelligibile. Unde Avicenna dicit,
tract. III, cap. VIII, quod aliquid dicitur esse intellectivum, quia est
immune a materia. Et propterea materia prima, prout consideratur nuda ab omni
forma, non habet aliquam diversitatem, nec efficitur diversa per aliqua
accidentia ante adventum formae substantialis, cum esse accidentale non
praecedat substantiale. Uni autem perfectibili debetur una
perfectio. Ergo oportet quod prima forma substantialis perficiat totam
materiam. |
C’est pourquoi ces substances
qui sont intelligibles par nature ne semblent pas être matérielles :
autrement les espèces des choses ne seraient pas en elles selon une existence
intelligible. C’est pourquoi Avicenne dit [traité 111, ch. VIII]
qu’on dit d’un être qu’il est intellectuel parce qu’il est dépourvu de
matière. Et c’est à cause de cela que la matière première, selon qu’on la
considère comme dénuée de toute forme, ne possède aucune diversité et n’est
différenciée par aucun accident avant que lui suivienne la forme
substantielle, puisque l’existence accidentelle ne précède pas l’existence
substantielle. Mais à un seul et même perfectible n’est due qu’une seule
perfection. Il faut donc que la forme substantielle première donne sa
perfection à toute la matière. |
Sed prima forma quae recipitur
in materia, est corporeitas, a qua nunquam denudatur, ut dicit Comment. Ergo
forma corporeitatis est in tota materia, et ita materia non erit nisi in
corporibus. Si enim diceres, quod quidditas substantiae esset prima forma
recepta in materia, adhuc redibit in idem ; quia ex quidditate substantiae
materia non habet divisionem, sed ex corporeitate, quam consequuntur
dimensiones quantitatis in actu ; et postea per divisionem materiae, secundum
quod disponitur diversis sitibus, acquiruntur in ipsa diversae formae. Ordo
enim nobilitatis in corporibus videtur esse secundum ordinem situs ipsorum,
sicut ignis est super aerem ; et ideo non videtur quod anima habeat materiam,
nisi materia aequivoce sumatur. |
Mais la première forme qui
est reçue dans la matière est la corporéité de laquelle elle n’est jamais
dépouillée, comme le dit le Commentateur. Donc, la forme de la corporéité est
présente dans toute la matière et de cette manière la matière ne sera
présente que dans les corps. Mais si tu disais que la quiddité de la
substance est la première forme qui est reçue dans la matière, on en
reviendrait encore au même ; car ce n’est par de la quiddité de la
substance que la matière tient la division, mais de la corporéité d’où découlent
les dimensions de la quantité en acte ; et par la suite, grâce à la
division de la matière selon qu’elle est disposée en différentes positions,
diverses formes sont acquises en elle. En effet, l’ordre d’excellence parmi
les corps semble découler de l’ordre de leur position, tout comme le feu qui
est au-dessus de l’air ; et c’est pourquoi il ne semble pas que l’âme
possède une matière, à moins que cette dernière ne soit prise en un sens
équivoque. |
Alii dicunt, quod anima est
composita ‘ex quo est’ et ‘quod est’. Differt autem quod est a materia ; quia
‘quod est’, dicit ipsum suppositum habens esse ; materia autem non habet
esse, sed compositum ex materia et forma ; unde materia non est quod est, sed
compositum. |
D’autres disent que l’âme est
composée de ¨ce par quoi elle est¨ et de ¨ce qui est¨. Mais ¨ce qui est¨
diffère de la matière ; car ¨ce qui est¨ renvoie au suppôt lui-même qui
possède l’existence ; mais la matière elle-même ne possède pas
l’existence, mais c’est le composé de la matière et de forme qui la
possède ; c’est pourquoi ce n’est pas la matière, mais le composé qui
est ¨ce qui est¨. |
Unde in omnibus illis in quibus est compositio ex materia
et forma, est etiam compositio ex quo est et quod est. In compositis autem ex
materia et forma quo est potest dici tripliciter. Potest enim dici quo est ipsa forma partis, quae dat esse
materiae. Potest etiam dici quo est ipse actus essendi, scilicet
esse, sicut quo curritur, est actus currendi. Potest etiam dici quo est ipsa
natura quae relinquitur ex conjunctione formae cum materia, ut humanitas ;
praecipue secundum ponentes quod forma, quae est totum, quae dicitur
quidditas, non est forma partis, de quibus est Avicenna, tract. V, cap. III. |
C’est pourquoi, dans tous les
cas où il y a composition de matière et de forme, il y a aussi composition de
¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce qui est¨. Mais dans les composés de
matière et de forme le ¨ce par quoi la chose est¨ peut se dire de trois
manières. Le ¨ce par quoi la chose est
peut en effet se dire de la forme d’une partie, qui donne l’existence à la
matière. Il peut aussi se dire de
l’acte même d’exister, à savoir l’existence, tout comme ce par quoi un tel
court est l’acte même de courrir. Le ¨ce par quoi la chose est¨
peut encore se dire de la nature même qui découle de l’union de la forme
avec la matière, par exemple l’humanité ; surtout d’après ceux qui
affirment, comme Avicenne [Traité V, ch. 111], que la forme, qui est le tout
et qu’on appelle quiddité, n’est pas la forme d’une partie |
Cum autem de ratione quidditatis,
vel essentiae, non sit quod sit composita vel compositum ; consequens poterit
inveniri et intelligi aliqua quidditas simplex, non consequens compositionem
formae et materiae. Si autem inveniamus aliquam quidditatem quae non sit
composita ex materia et forma, illa quidditas aut est esse suum, aut non. Si
illa quidditas sit esse suum, sic erit essentia ipsius Dei, quae est suum
esse, et erit omnino simplex. Si vero non sit ipsum esse, oportet quod habeat
esse acquisitum ab alio, sicut est omnis quidditas creata. |
Mais puisqu’il est de la
nature même de la quiddité qu’elle ne soit pas composée ou qu’elle ne soit
pas un composé, il s’ensuit qu’on pourra trouver et intelliger une quiddité
simple qui ne résulte pas de la composition d’une forme et d’une matière.
Mais si nous trouvions une quiddité qui n’est pas composée de matière et de
forme, cette quiddité serait ou non sa propre existence. Si cette quiddité
était sa propre existence, ce serait là l’essence de Dieu lui-même, lequel
est son existence même, et elle serait absolument simple. Mais si cette
quiddité n’était pas son existence même, il faudrait qu’elle possède une
existence acquise d’un autre, comme c’est le cas pour toute quiddité créée. |
Et quia haec quidditas posita
est non subsistere in materia, non acquireretur sibi esse in altero, sicut
quidditatibus compositis, immo acquiretur sibi esse in se ; et ita ipsa
quidditas erit hoc quod est, et ipsum esse suum erit quo est. Et quia omne
quod non habet aliquid a se, est possibile respectu illius ; hujusmodi
quidditas cum habeat esse ab alio, erit possibilis respectu illius esse, et
respectu ejus a quo esse habet, in quo nulla cadit potentia ; et ita in tali
quidditate invenietur potentia et actus, secundum quod ipsa quidditas est
possibilis, et esse suum est actus ejus. Et hoc modo intelligo in Angelis
compositionem potentiae et actus, et de quo est et quod est, et similiter in
anima. Unde Angelus vel anima potest dici quidditas vel natura vel forma
simplex, inquantum eorum quidditas non componitur ex diversis ; sed [om.
Éd. De Parme] tamen advenit [sibi add. Éd. De Parme]
compositio horum duorum, scilicet quidditatis et esse. |
Et parce qu’on affirme de
cette quiddité qu’elle ne subsiste pas dans une matière, il ne lui serait pas
acquis d’exister dans un autre, comme c’est le cas pour les quiddités
composées, mais il lui serait plutôt acquis d’exister en elle-même ; et
ainsi la quiddité elle-même sera ¨ce qui est¨ et son existence elle-même sera
¨ce par quoi elle est¨. Et parce que tout ce qui ne possède pas quelque chose
par soi-même est en puissance par rapport à cette chose, une telle quiddité,
puisqu’elle tient son existence d’un autre, sera en puissance par rapport à
cette existence et par rapport à celui, dans lequel ne se rencontre nulle
puissance, de qui elle tient cette existence ; et c’est ainsi que dans
une telle quiddité se retrouvent à la fois puissance et acte, selon que la
quiddité elle-même est la puissance et que son existence est son acte. Et
c’est de cette manière que je comprends la composition de la puissance et de
l’acte, et de ¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce qui est¨ chez les Anges,
et il en est de même pour l’âme. Et c’est pourquoi l’Ange et l’âme peuvent
êre appelés quiddité, nature ou forme simple selon que leur quiddité n’est
pas composée de différentes parties ; mais [om. Éd. de
Parme] on [ y add. Éd. de Parme] retrouve cependant
composition de ces deux éléments, à savoir la quiddité et l’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod anima non est composita ex aliquibus quae sint
partes quidditatis ipsius, sicut nec quaelibet alia forma ; sed quia anima
est forma absoluta, non dependens a materia, quod convenit sibi propter
assimilationem et propinquitatem ad Deum, ipsa habet esse per se, quod non habent
aliae formae corporales. Unde in anima invenitur compositio esse et quod est,
et non in aliis formis: quia ipsum esse non est formarum corporalium
absolute, sicut eorum quae sunt, sed compositi. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que l’âme n’est pas composée d’éléments qui seraient les parties de sa
quiddité, tout comme elle n’est composée d’aucune autre forme ; mais
parce que l’âme est une forme absolue, qui ne dépend pas de la matière, ce
qui lui revient en raison de sa ressemblance et de sa proximité par rapport à
Dieu, c’est essentiellement qu’elle possède l’existence , ce que ne possèdent
pas les autres formes corporelles. C’est pourquoi on retrouve dans l’âme
composition d’existence et de ¨ce qui est¨, et non dans les autres formes :
car l’existence elle-même n’appartient pas aux formes corporelles prises
absolument comme à des choses qui existent, mais elle appartient au composé. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod anima sine dubio habet in se esse perfectum, quamvis
hoc esse non resultet ex partibus componentibus quidditatem ipsius, nec per
conjunctionem corporis efficitur ibi aliquod aliud esse ; immo hoc ipsum esse
quod est animae per se, fit esse conjuncti: esse enim conjuncti non est nisi
esse ipsius formae. Sed verum est quod aliae formae materiales, propter earum
imperfectionem, non sunt per illud esse, sed sunt tantum principia essendi. |
2. Il faut dire en deucième
lieu que l’âme en elle-même sans aucun doute possède une existence parfaite,
bien que cette existence ne résulte pas de parties composant sa quiddité et
que par l’union au corps n’est pas produite là une autre existence ;
bien au contraire, cette existence même qui appartient essentiellement à
l’âme devient l’existence du composé : l’existence en effet du composé
n’est que l’existence de la forme elle-même. Mais il est vrai que les autres
formes matérielles, en raison de leur imperfecion, ne possèdent pas cette
forme d’existence mais ne sont que des principes d’existence. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 3 Et
per hoc etiam patet solutio ad tertium: quia compositio quae advenit animae
post esse completum, secundum modum intelligendi, non facit aliud esse, quia
sine dubio illud esse esset accidentale, et ideo non sequitur quod homo sit
ens per accidens. |
3. Et c’est ainsi que la
solution à la troisième difficulté devient elle aussi évidente : car la
composition qui arrive à l’âme suite à une existence complète, conformément à
la manière de le comprendre, n’entraîne pas une autre existence, car sans
aucun doute cette existence serait accidentelle, et c’est pourquoi il ne
résulte pas que l’homme soit un être par accident. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod si Boetius loquitur de subjecto respectu quorumcumque
accidentium, dictum [suum add. Éd. De Parme] est verum de forma
quae est ita simplex quod etiam est suum esse, sicut est Deus: et talis
simplicitas nec in anima nec in Angelo est. Si autem loquitur de subjecto
respectu accidentium quae habent esse firmum in natura, et quae sunt
accidentia individui ; tunc est verum dictum suum etiam de forma simplici,
cujus quidditas non componitur ex partibus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que si Boèce parle du sujet par rapport à tout accident, l’énoncé
[son add. Éd. de Parme] est vrai au sujet de la forme qui est
simple en ce sens qu’elle est aussi son existence comme c’est le cas pour
Dieu : et une telle simplicité n’est présente ni dans l’âme ni chez
l’Ange. Mais si on parle du sujet par rapport aux accidents qui possèdent une
existence ferme dans la nature et qui sont les accidents d’un individu, alors
son énoncé est vrai aussi au sujet de la forme simple dont la quiddité n’est
pas composée de parties. |
Sunt enim quaedam accidentia
quae non habent esse vere, sed tantum sunt intentiones rerum naturalium ; et hujusmodi
sunt species rerum, quae sunt in anima, item accidentium habentium esse
naturae quoniam consequuntur naturam individui, scilicet materiam, per quam
natura individuatur, sicut album et nigrum in homine ; unde etiam non
consequuntur totam speciem: et talibus accidentibus non potest subjici anima. |
Il existe en effet certains
accidents qui ne possèdent pas une existence dans la réalité mais qui ne sont
que des intentions des choses naturelles ; et ces intentions sont les
espèces des choses, lesquelles espèces existent dans l’âme, et en outre des
accidents qui possèdent une existence de nature puisqu’ils découlent de la
nature de l’individu, c’est-à-dire de la matière par laquelle la nature est
individuée, comme c’est le cas pour le blanc ou le noir dans l’homme ;
c’est pourquoi aussi ils ne résultent pas de toute l’espèce : et l’âme
en tant que telle ne peut être le sujet de tels accidents. |
Quaedam autem habent esse
naturae, sed consequuntur ex principiis speciei, sicut sunt proprietates
consequentes speciem ; et talibus accidentibus potest forma simplex subjici,
quae tamen non est suum esse ratione possibilitatis quae est in quidditate
ejus, ut dictum est, in corp. art., et talia accidentia sunt potentiae animae
; sic enim et punctus et unitas habent suas proprietates. |
Mais certains accidents
possèdent une existence de nature mais ils découlent des principes de
l’espèce, comme c’est le cas pour les propriétés qui découlent de
l’espèce ; et une forme simple peut être le sujet de tels accidents,
laquelle cependant n’est pas sa propre existence en raison de la puissance
qui est dans sa quiddité, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article, et de tels accidents sont les puissances de l’âme ; c’est de
cette manière en effet que le point et l’unité possèdent leurs propriétés. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod omnis forma est aliqua similitudo primi principii, qui
est actus purus: unde quanto forma magis accedit ad similitudinem ipsius,
plures participat de perfectionibus ejus. Inter formas autem corporum magis
appropinquat ad similitudinem Dei, anima rationalis ; et ideo participat de
nobilitatibus Dei, scilicet quod intelligit, et quod potest movere, et, quod
habet esse per se ; et anima sensibilis minus, et vegetabilis adhuc minus et
sic deinceps. Dico igitur, quod animae non convenit movere, vel habere esse
absolutum, inquantum est forma ; sed inquantum est similitudo Dei. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que toute forme est une certaine similitude du premier principe qui est
acte pur : c’est pourquoi une forme participe d’un plus grand nombre de
ses perfections dans la mesure où elle s’approche davantage de sa
ressemblance. Mais parmi les formes des corps, c’est l’âme rationnelle qui
s’approche davantage de la ressemblance de Dieu ; et c’est pourquoi elle
participe davantage des perfections, c’est-à-dire qu’elle comprend, qu’elle
peut mouvoir et qu’elle possède essentiellement l’existence ; et l’âme
sensitive en participe moins et l’âme végétative encore moins et il en est
encore davantage ainsi pour le reste. Je dis donc que ce n’est pas en tant
que forme qu’il convient à l’âme de mouvoir ou de posséder une existence
absolue, mais en tant qu’elle est une similitude de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod, secundum praedicta, in anima non est aliquid quo ipsa
individuetur, et hoc intellexerunt qui negaverunt eam esse hoc aliquid, et
non quod non habeat per se absolutum esse. Et dico quod non individuatur nisi
ex corpore. Unde impossibilis est error ponentium animas prius creatas, et
postea incorporatas: quia non efficiuntur plures nisi secundum quod
infunduntur pluribus corporibus. Sed quamvis individuatio animarum dependeat
a corpore quantum ad sui principium, non tamen quantum ad sui finem, ita
scilicet quod cessantibus corporibus, cesset individuatio animarum. |
6. Il faut dire en sixième
lieu, suivant ce qui a été dit précédemment, qu’il n’y a pas dans l’âme
quelque chose par quoi elle-même est individuée, et ceux qui ont nié qu’elle
soit une réalité individuelle ont compris cela, et non pas qu’elle ne possède
pas par elle-même une existence absolue. Et je dis que l’âme n’est individuée
que par le corps. C’est pourquoi l’erreur de ceux qui soutiennent que les
âmes ont été créées en premier puis qu’elles ont ensuite été incorporées, est
une absurdité : car une multiplicité d’individus n’est rendue possible
que si elle repose sur une multiplicité de corps. Mais bien que
l’individuation des âmes dépende du corps quant à son principe, elle n’en
dépend cependant pas quant à sa fin, c’est-à-dire de telle manière que les
corps cessant d’exister, l’individuation des âmes cesserait elle aussi. |
Cujus ratio est quod cum omnis
perfectio infundatur materiae secundum capacitatem suam, natura animae ita
infundetur diversis corporibus, non secundum eamdem nobilitatem et puritatem:
unde in unoquoque corpore habebit esse terminatum secundum mensuram corporis.
Hoc autem esse terminatum, quamvis acquiratur animae in corpore, non tamen ex
corpore, nec per dependentiam ad corpus. Unde, remotis corporibus, adhuc
remanebit unicuique animae esse suum terminatum secundum affectiones vel
dispositiones quae consecutae sunt ipsam prout fuit perfectio talis corporis. |
La raison en est que puisque
toute perfection se fonde sur la matière suivant les capacités de cette
dernière, c’est de cette manière aussi que la nature de l’âme est introduite
dans divers corps, à savoir d’après une perfection et une pureté
différentes : c’est pourquoi dans tout corps l’âme possédera
une existence limitée d’après la mesure du corps. Mais cette existence
limitée, bien que ce soit dans le corps qu’elle soit donnée à l’âme, ce n’est
cependant pas à partir du corps ni par une dépendance à l’égard du corps
qu’elle lui est acquise. C’est pourquoi, une fois disparus les corps, il
subsistera encore en toute âme son existence limitée d’après les affections
ou les dispositions qui en découlaient selon qu’elle était la perfection de
tel corps. |
Et haec est solutio Avicennae,
et potest manifestari per exemplum sensibile. Si enim aliquid unum non
retinens figuram distinguatur per diversa vasa, sicut aqua ; quando vasa
removebuntur, non remanebunt proprie figurae distinctae ; sed remanebit una
tantum aqua. Ita est de formis materialibus, quae non retinent esse per se.
Si autem sit aliquid retinens figuram quod distinguatur secundum diversas
figuras per diversa instrumenta, etiam remotis illis, remanebit distinctio
figurarum, ut patet in cera ; et ita est de anima, quae retinet esse suum
post corporis destructionem, quod etiam manet in ipsa esse individuatum et
distinctum. |
Et telle est la solution
d’Avicenne, et elle peut être manifestée par un exemple sensible. Si en effet
quelque chose d’un qui ne retient pas une figure, par exemple de l’eau, se
distingue par différents contenants, lorsque les contenants seront retirés,
les figures distinctes ne demeureront pas mais il ne demeurera plus qu’une
seule et même quantité d’eau. Il en est de même pour les formes matérielles
qui ne retiennent pas par elles-mêmes l’existence. Mais s’il existe une
matière qui retient la figure et qui se distingue selon différentes figures
obtenues au moyen de différents instruments, même si ces derniers sont
retirés, la distinction des figures sera conservée, comme on peut
le voir pour cette matière qu’est la cire ; et il en est ainsi pour
l’âme humaine, qui retient son existence après la destruction du corps, à
savoir que demeure encore en elle une existence individuée et distincte. |
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Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 tit. Utrum anima sit
tota in toto, et tota in qualibet parte. |
Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le corps et en chaque partie ? |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod anima non sit
tota in qualibet parte corporis. Cum enim anima sit forma simplex, totalitas
ejus attenditur secundum potentias. Sed non in qualibet parte corporis sunt
omnes ejus potentiae. Ergo non est tota in qualibet parte corporis. |
Difficultés : 1. Il semble que l’âme ne soit pas totalement présente dans chacune des parties du corps. En effet, puisque l’âme est une forme simple, sa totalité doit s’entendre d’après ses puissances. Mais ce n’est pas dans chacune des parties du corps que se retrouvent toutes ses puissances. L’âme n’est donc pas totalement présente dans chacune des parties du corps. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 2
Praeterea, animal est quod est compositum ex anima et corpore. Si igitur
anima esset in qualibet parte corporis tota, quaelibet pars corporis esset
animal, sicut quaelibet pars ignis est ignis. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, un animal
est composé d’une âme et d’un corps. Si donc l’âme était totalement présente
dans chacune des parties du corps, chacune d’elles serait l’animal, tout
comme chaque partie du feu est du feu. Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 3
Praeterea, constat quod anima influit vitam corpori. Si igitur anima esset
tota in qualibet parte corporis, quaelibet pars corporis immediate acciperet
vitam ab anima ; et ita vita unius partis non dependeret ab alia: quod
videtur falsum, quia vita totius corporis dependet ex corde. Ergo et cetera. |
3. De plus, il est clair que
l’âme fait passer la vie dans le corps. Si donc l’âme était totalement dans
chaque partie du corps, toute partie du corps recevrait immédiatement la vie
de l’âme ; et ainsi la vie d’une partie ne dépendrait pas
d’une autre : ce qu’on voit être faux car la vie de tout le corps dépend
du cœur. Donc, etc. |
lib. 1 d. 8
q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, corpus habet diversas partes distinctas. Si igitur anima esset in
qualibet parte corporis tota, tota esset in pluribus locis simul. Hoc autem
non videtur convenire nisi Deo. Ergo et cetera. |
4. En outre, le corps possède
différentes parties bien distinctes. Si donc l’âme était totalement présente
dans chacune des parties du corps, elle serait totalement présente dans
plusieurs lieux simultanément. Mais cela ne semble appartenir qu’à Dieu seul.
Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 1
Contra, forma substantialis adest cuilibet parti materiae: non enim perficit
tantum totum, sed singulas partes. Sed anima est forma substantialis corporis
animati. Ergo est in qualibet parte ejus tota. |
Cependant : 1. La forme substantielle est présente à chaque partie de la matière : en effet, elle ne donne pas la perfection qu’au tout, mais aussi à chacune de ses parties. Mais l’âme est la forme substantielle du corps animé. Elle est donc présente totalement dans chacune de ses parties. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, videmus quod
anima aequaliter cito sentit laesionem in qualibet parte corporis. Hoc autem
non esset, nisi anima adesset cuilibet parti. Ergo anima est tota in qualibet
parte corporis. |
2. En outre, nous voyons que
l’âme ressent rapidement et également une blessure dans chacune des parties
du corps. Mais cela n’aurait pas lieu si l’âme n’était pas présente
totalement dans chaque partie du corps. Donc l’âme est présente totalement
dans chacune des parties du corps. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam
posuerunt animam dupliciter posse considerari: aut secundum suam essentiam, aut
secundum quod est quoddam totum potentiale. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que certains ont soutenu que l’âme peut être examinée de deux manières : soit selon son essence, soit selon qu’elle est un certain tout potentiel. |
Si primo modo, sic dicebant, ipsam non esse in toto
corpore, sed in aliqua parte ejus, scilicet corde, et per cor vivificare
totum corpus per spiritus vitales procedentes a corde. Si secundo modo, sic anima
consideratur ut quaedam potentia integrata ex omnibus particularibus
potentiis ; et sic tota anima est in toto corpore, et non tota in qualibet
parte corporis: immo, sicut dicit philosophus, II De anima, text.
9, partes animae se habent ad partes corporis sicut tota anima ad corpus
totum ; unde si pupilla esset animal, visus esset anima ejus. |
Si on la considère de la
première façon, ils disaient que l’âme n’est pas dans tout le corps, mais
dans une de ses parties, à savoir le cœur et que par le cœur tout le corps
est vivifié par les esprits vitaux qui procèdent du coeur. Si c’est de la deuxième
manière, alors l’âme est considérée comme une certaine puissance renouvelée à
partir de toutes les puissances particulières ; et vue ainsi, l’âme est
toute entière dans tout le corps, et non toute entière dans chacune des parties
du corps : bien au contraire, comme le dit le Philosophe [11 De
l’Âme, texte 9], les parties de l’âme se rapportent aux parties du corps
comme la totalité de l’âme à la totalité du corps ; de là, si la pupille
était un animal, la vue serait son âme. |
Hujus autem positionis causa,
fuit duplex falsa imaginatio: una est, quia imaginati sunt animam esse in
corpore sicut in loco, ac si tantum esset motor, et non forma, sicut est
nauta in navi ; alia est, quia imaginati sunt simplicitatem animae esse ad
modum puncti, ut sit aliquid indivisibile habens situm indivisibilem. Et
utrumque horum stultum est. Et ideo dicendum cum Augustino, quod anima
secundum essentiam suam considerata, tota est in qualibet parte corporis. |
Mais la cause de cette
opinion fut une vision fausse à double titre : la première
est qu’ils croyaient que l’âme est dans le corps comme dans un lieu, comme si
elle était seulement un moteur, à la manière du pilote dans son navire, et
non une forme ; la deuxième est qu’ils croyaient que l’âme est simple à
la manière du point, comme si elle était quelque chose d’indivisible
possédant une position indivisible. Et ces visions sont toutes les deux
insensées. Et c’est pourquoi il faut dire avec Augustin que l’âme, prise
selon son essence, est totalement présente dans chacune des parties du corps. |
[Idem dicit Albertus add.
Éd. De Parme]. Non tamen tota, si accipiatur secundum totalitatem
potentiarum ; sic enim est tota in toto animali. Et ratio hujus est, quia
nulli substantiae simplici debetur locus, nisi secundum relationem quam habet
ad corpus. Anima autem comparatur ad corpus ut ejus formatio a qua totum
corpus et quaelibet pars ejus habet esse, sicut a forma substantiali. Et
tamen potentias ejus, non omnes partes corporis participant ; immo sunt aliquae
potentiae quibus non est possibile perfici aliquid corporeum, sicut potentiae
intellectivae ; aliae autem sunt, quae possunt esse perfectiones corporum,
non tamen eas omnes influit anima in qualibet parte corporis, cum non
quaelibet pars corporis sit ejusdem harmoniae et commixtionis ; et nihil
recipitur in aliquo nisi secundum proportionem recipientis ; et ideo non
eamdem perfectionem recipit ab anima auris et oculus, cum tamen quaelibet
pars recipiat esse. |
[Albert dit la même
chose add. Éd. de Parme]. Elle n’y est cependant pas totalement
présente, si l’âme se prend selon la totalité des puissances : de cette
manière en effet elle est totalement présente dans tout l’animal. Et la
raison en est qu’aucune substance simple n’est tenue d’avoir un lieu, sauf d’après
la relation qu’elle entretient avec le corps. Mais l’âme se compare au corps
comme une forme à la matière, forme de laquelle tout le corps et chacune de
ses parties tient son existence comme de la forme substantielle. Et cependant
ce ne sont pas toutes les parties du corps qui participent de ses
puissances ; bien au contraire, il y a des puissances pour lesquelles il
n’est pas possible de compléter quelque chose de corporel comme c’est le cas
pour les puissances intellectuelles ; mais il y en a d’autres qui
peuvent être les perfections des corps, mais l’âme ne se répand pas en elles
toutes dans chacune des parties du corps, puisque ce n’est pas chaque partie
du corps qui présente le même ordre et la même composition ; et tout ce
qui est reçu dans un être y est reçu proportionnellement à celui qui
reçoit ; et c’est pourquoi ce n’est pas la même perfection que l’oreille
et l’œil reçoivent de l’âme, bien que cependant chacune des parties reçoive
l’existence. |
Unde si consideretur anima
prout est forma et essentia, est in qualibet parte corporis tota ; si autem
prout est motor secundum potentias suas, sic est tota in toto, et in diversis
partibus secundum diversas potentias. |
C’est pourquoi, si l’âme est
considérée en tant qu’essence et forme, elle est totalement présente dans
chacune des parties du corps ; si cependant elle est considérée en tant
que moteur d’après ses puissances, ainsi elle est totalement dans le tout et
elle est dans ses différentes parties d’après ses différentes puissances. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod cum dicimus totam animam esse in qualibet parte
corporis, intelligimus per totum perfectionem naturae suae, et non aliquam
totalitatem partium ; totum enim et perfectum est idem, ut dicit
philosophus, Physic. III, text. 54. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que lorsque nous disons que toute l’âme est dans chacune des parties du
corps, nous entendons par ¨toute¨ la perfection de sa nature et non une
certaine totalité des parties ; en effet, ainsi que le dit le Philosophe
[111 Physique, texte 54], le tout et la perfection signifient la
même chose. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod perfectibile debet esse proportionatum suae
perfectioni. Anima autem quamvis sit forma simplex, est tamen multiplex in
virtute, secundum quod ex ejus essentia oriuntur diversae potentiae ; et ideo
oportet corpus proportionatum sibi habere partes distinctas ad recipiendum
diversas potentias ; unde etiam anima dicitur esse actus corporis organici.
Et quia non quaelibet pars animalis habet talem distinctionem, non potest
dici animal. Sed animae minus nobiles quae habent parvam diversitatem in
potentiis, perficiunt etiam corpus quod est quasi uniforme in toto et
partibus ; et ideo ad divisionem partium efficiuntur diversae animae actu in
partibus, sicut etiam in animalibus annulosis et plantis. Non tamen ante
divisionem in hujusmodi animalibus quaelibet pars dicitur animal, nisi in
potentia ; sicut nullius continui pars est nisi in potentia: unde nec pars
ignis est aliquid actu, nisi post divisionem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le perfectible doit être proportionné à sa perfection. Mais l’âme,
bien qu’elle soit une forme simple, est cependant multiple en puissance,
selon que différentes puissances sortent de son essence ; et c’est
pourquoi il faut que le corps qui lui est proportionné possède des parties
distinctes pour recevoir différentes puissances ; c’est pourquoi encore
on dit de l’âme qu’elle est l’acte d’un corps organisé. Et parce que chaque
partie de l’animal ne possède pas cette distinction, elle ne peut être
appelée un animal. Mais les âmes qui sont moins nobles qui possèdent une
petite diversité dans leurs puissances se trouvent aussi à compléter un corps
qui est comme uniforme dans son tout et dans ses parties ; et c’est
pourquoi, suite à la division des parties, différentes âmes sont produites en
acte dans les parties comme on le voit encore chez les animaux à anneaux et
les plantes. Chez ces animaux cependant, avant la division, ce n’est qu’en puissance
que chaque partie est appelée animal, tout comme pour tout continu sa partie
n’existe qu’en puissance : c’est pourquoi une partie du feu n’est
quelque chose en acte qu’après la division. |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere in animali dicitur
dupliciter: uno modo vivere est ipsum esse viventis, sicut dicit
philosophus, II de anima, text. 37 : « vivere
viventibus est esse » ; et hoc modo anima immediate facit vivere
quamlibet partem corporis, inquantum est ejus forma ; alio modo dicitur vivere pro
operatione animae quam facit in corde prout est motor ; et talis est vita
quae defertur per spiritus vitales ; et talem vitam influit primo in cor, et
postea in omnes alias partes. Et inde est quod laeso corde perit operatio
animae in omnibus partibus corporis, et per consequens esse ipsarum partium,
quod conservatur per operationem animae. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que chez l’animal, vivre de dit de deux manières : En un premier sens vivre est
l’existence même du vivant comme le dit le Philosophe [11 De l’Âme, texte
37] : ¨Pour les vivants, vivre c’est exister¨. Et en ce sens
l’âme, en tant qu’elle est la forme du corps, fait vivre
immédiatement chaque partie du corps. En un autre sens vivre se dit
pour l’opération de l’âme que l’âme fait dans le cœur en tant qu’elle est
moteur ; et telle est la vie qui est apportée par les esprits
vitaux ; et c’est en premier lieu dans le cœur que l’âme déverse une
telle vie, et par la suite dans toutes les autres parties. D’où il résulte
que l’opération de l’âme cesse dans toutes les parties du corps une fois que
le cœur est blessé, et que cesse par conséquent aussi l’existence des parties
elles-mêmes, existence qui est conservée par l’opération de l’âme. |
lib. 1
d. 8 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima non est in corpore vel in
partibus corporis, sicut in loco, sed sicut forma in materia, et ideo non
sequitur quod sit in pluribus locis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que l’âme n’est pas
dans le corps ou dans les parties du corps comme dans un lieu, mais comme la
forme est dans la matière et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle soit
dans plusieurs lieux. |
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Distinctio 9 |
Distinction 9 – [La distinction des personnes] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La distinction du Père et du Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
Circa hanc partem quaeruntur duo: primo de distinctione Filii a
Patre. Secundo de
coaeternitate. [aeternitatem Éd.
de Parme] Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum propter distinctionem possit dici Filius alius a Patre
; 2 utrum Pater et Filius propter eamdem distinctionem
possint dici plures aeterni. |
Dans cette partie on s’interroge sur deux choses : Premièrement sur la distinction qu’il y a entre le Fils
et le Père. Deuxièmement sur la coéternité. [éternité Éd. de
Parme] Au sujet du premier point on pose deux questions : 1. Est-ce qu’en raison de la distinction on peut dire que
le Fils est autre que le Père ? 2. Est-ce qu’on peut dire du Père et du Fils, en raison
de la même distinction, qu’ils sont plusieurs éternités ? |
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Articulus 1.Article 1.[779] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1
a. 1 tit. Utrum Filius sit alius a Patre |
Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ? |
[780] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit alius a Patre. Alius enim,
secundum Priscianum, lib. II, cap. « De pronomine », est relativum
diversitatis substantiae. Sed Pater et Filius sunt unius substantiae. Ergo
Filius non potest dici alius a Patre. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas autre que le Père. En effet, ¨autre¨, selon Priscien [Traité sur
l’art de la Grammaire, Livre 11, ch. Sur le Pronom], est un terme relatif
qui renvoie à une diversité de substance. Mais le Père et le Fils sont une
seule et même substance. Donc le Fils ne peut être dit autre que le Père. |
.[781] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 2. Item,
unitas substantiae impedit quod Filius non potest dici aliud esse a Patre,
propter diversitatem significatam per ly aliud. Sed alius et
aliud non differunt nisi secundum modum significandi: quia alius masculine,
aliud neutraliter significat. Cum igitur modus significandi non variet
significationem, videtur quod nec etiam alius a Patre dici possit. |
2. En outre, l’unité de la
substance empêche que le Fils puisse être dit autre que le Père, à cause de
la diversité signifiée par le terme ¨aliud¨. Mais ¨alius¨ et
¨aliud¨ ne diffèrent que par le mode de signifier : car ¨alius¨signifie
le masculin alors que ¨aliud¨ signifie le neutre. Donc, puisque le mode de
signifier ne change pas la signification, il semble qu’on ne puisse non plus
dire qu’il est autre que le Père. |
[782] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
si Filius dicitur alius a Patre, hoc non est nisi quia Filius est a Patre.
Sed Pater est a seipso. Ergo Pater erit alius a seipso. |
3. En outre, si on dit que le
Fils est autre que le Père, ce n’est que parce que le Fils vient du Père.
Mais le Père vient de lui-même. Donc, le Père sera autre que lui-même. |
[783] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, proprietas secundum Porphyrium, in Praedicabili., cap.
« De different., », non facit alietatem, sed magis alteritatem.
Pater autem non distinguitur a Filio nisi per proprietatem relationis. Ergo
Pater non potest dici alius a Filio, sed alter. |
4. De plus, la propriété selon Porphyre [Les
Prédicables, ch. De la différence], n’entraîne pas une altérité mais
plutôt une différence. Mais le Père ne se distingue du Fils que par la
propriété de relation. Donc le Père ne peut être dit autre que le Fils, mais
seulement différent. |
[784] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
quaecumque distinguuntur realiter, unum eorum est alia res ab alio. Sed Pater
et Filius, ut supra dictum est, dist. 2, quaest. unica, art. 5, distinguuntur
realiter. Ergo Pater est alia res a Filio ; et eodem modo potest dici esse
alius a Filio. Hoc etiam videtur per verbum Augustini in littera. |
Cependant : 1. Pour toutes les choses qui
se distinguent en réalité, l’une d’elles est une chose différente de l’autre.
Mais le Père et le Fils, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2,
quest. Uniquqe, art. 5], se distinguent en réalité. Donc le Père est une
réalité autre que le Fils ; et de la même manière on peut dire qu’il est
autre que le Fils. C’est ce que manifestent encore les paroles d’Augustin
dans le document. |
[785] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum,
quod in divinis invenimus tria, scilicet essentiam, personam, proprietatem,
quibus aptantur tria genera. Essentiae enim, quia communis est et
indistincta, aptatur neutrum genus, quod est informe non importans sexus
distinctionem. Personae vero, quae est distincta et significatur ut aliquid
existens in natura divina, aptatur masculinum genus quod est genus
distinctum, et non femininum propter imperfectionem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que nous retrouvons trois choses dans les personnes divines, à savoir
l’essence, la personne et la propriété, lesquelles s’appliquent à trois
genres. À l’essence en effet, parce qu’elle est commune et indifférenciée,
s’applique le genre qui est le neutre, lequel est informe et n’implique pas
la distinction de sexe. Mais le genre masculin qui est un genre distinct, et non
le genre féminin en raison de son imperfection, s’applique à la personne qui
est distincte et qui est signifiée comme quelque chose d’existant dans la
nature divine. |
Proprietati autem, quae significatur per modum formae,
aptatur genus femininum ; sic etiam essentiae aptari potest, inquantum
essentia significatur ut forma ; et ideo propter unitatem essentiae non
potest dici Pater aliud [alius Éd. de Parme] a Filio, sed
propter distinctionem personae dicitur alius. Istud autem videtur magis esse
adaptatio, quam expressio proprietatis locutionis. |
Mais c’est à la propriété,
qui est signifiée par mode de forme, que s’applique le genre féminin ;
mais il peut s’appliquer aussi à l’essence selon que l’essence est signifiée
en tant que forme ; et c’est pourquoi, en raison de l’unité de
l’essence, on ne peut dire du Père qu’Il est autre chose [autre Éd. de Parme]
que le Fils, mais en raison de la distinction des personnes on peut dire de
Lui qu’il est autre que le Fils. Mais cela semble être davantage un
ajustement que l’expression d’une propriété du langage. |
Unde dicendum aliter, quod hoc contingit, quia neutrum
genus substantivatur ; et ideo importat diversitatem simpliciter et absolute,
quae est diversitas essentiae ; sed masculinum genus et femininum tenentur
adjective ; unde ponunt diversitatem circa terminos personales qui in locutione
ponuntur, cum dicitur: Filius est alius a Patre ; et hoc
explicabitur in solutionibus argumentorum. |
C’est pourquoi il faut dire autrement que cela est
possible car le genre neutre est pris comme un substantif : et c’est
pourquoi il implique diversité purement et simplement, c’est-à-dire une
diversité d’essence ; mais les genres masculin et féminin sont pris
comme des adjectifs et c’est pourquoi ils posent une diversité sur les termes
personnels qui sont placés dans le discours lorsque l’on dit : Le
Fils est autre que le Père ; et cela sera expliqué dans les réponses
aux difficultés. |
[786] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alius semper significat
diversitatem substantiae. Sed substantia dicitur dupliciter: |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’autre signifie toujours une diversité de substance :
mais substance se dit de deux manières : |
quandoque enim sumitur pro essentia, sicut est in usu
Latinorum ; quandoque pro supposito essentiae, vel pro re naturae primi
praedicamenti, quae dicitur hypostasis apud Graecos ; et hoc secundo modo non
est eadem substantia Patris et Filii: quia sic substantia significat personam
; et hac ratione potest dici alius. |
Parfois ce terme est pris
pour l’essence comme c’est la coutume en latin ; mais parfois il est
pris pour le suppôt de l’essence ou pour la chose de nature du premier
prédicament qu’on appelle hypostase chez les Grecs ; et en ce deuxième
sens la substance du Père n’est pas la même que celle du Fils car alors substance
signifie la personne ; et c’est pour cette raison qu’elle peut être dite
autre. |
[787] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod neutrum genus substantivatur, et non masculinum. Substantivum
autem significationem suam habet absolutam ; sed adjectivum ponit
significationem suam circa proprie [proprie om. Éd. de Parme]
substantivum [subjectum Éd. de Parme]. Quando autem aliquid
dicitur absolute, intelligitur de eo quod simpliciter est, sicut ens,
absolute dictum, significat substantiam ; et ideo quia alietas essentiae est
simpliciter alietas, ideo neutrum genus substantivatum importat alietatem
essentiae. Sed genus masculinum, quia adjective tenetur, ponit alietatem
circa suum subjectum. Unde si terminus personalis est, designat suum
substantivum distinctionem personarum [personalis est suum substantivum
designat Éd. de Parme]. Et ideo haec est vera: Pater est
alius a Filio. Si autem sit terminus essentialis, designat diversitatem
substantiae ; unde haec est falsa: Pater est alius Deus a Filio. Et similiter
neutrum adjective sumptum, quando adjungitur termino personali, importat
alietatem personae, ut cum dicitur: Pater est aliud suppositum a Filio. Unde
hoc non contingit ex variata significatione, sed ex eo quod alietas significata
in masculino et neutro, non ad idem refertur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le genre neutre, et non le masculin, est pris comme substantif. Mais
le substantif possède une signification absolue alors que l’adjectif pose sa
signification sur ce qui lui est propre [propre om. Éd. de Parme]
comme substantif [sujet Éd. de Parme]. Mais quand quelque chose
se dit absolument, il se comprend comme existant purement et simplement,
comme l’être, dit absolument, signifie la substance ; et c’est pourquoi,
parce que l’altérité de l’essence est une altérité pure et simple, le genre
neutre pris comme substantif implique une altérité d’essence. Mais le genre
masculin, parce qu’il est pris comme adjectif, pose une altérité sur son
sujet. C’est pourquoi, si le terme est personnel, son substantif désigne une
distinction de personnes [le terme personnel désigne son substantif Éd.
de Parme]. Et c’est pourquoi cette proposition est vraie : Le Père
est autre que le Fils. Mais si le terme est essentiel, il désigne une diversité
de substance et c’est pourquoi cette proposition est fausse : Le Père
est un autre Dieu que le Fils. Et de la même manière le neutre, pris comme
adjectif, lorsqu’il est ajouté à un terme personnel, implique une altérité de
personnes, comme lorsqu’on dit : le Père est un suppôt autre que le
Fils. Et c’est pourquoi cela n’est pas possible si on change la
signification, mais seulement si l’altérité signifiée au masculin et au
neutre ne se rapporte pas à la même chose. |
[788] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod haec est impropria: Pater est a se ; et exponenda est per
negationem ; id est, non est ab alio. Ista autem est propria: Filius est a
Patre. Unde non est simile. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette proposition est impropre : le Père vient de
lui-même ; et elle dit être expliquée par la négation, c’est-à-dire
qu’Il ne vient pas d’un autre. Mais celle-ci est se dit proprement : le
Fils vient du Père. C’est pourquoi elle n’est pas semblable. |
[789] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod proprietas in divinis non tantum est proprietas, sed etiam
subsistens: Paternitas enim est ipse Pater ; et ideo proprietas facit alium
magis proprie, quam alterum. De hoc tamen infra plenius habebitur, dist. 26,
quaest. 2, art. 2.4 |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la propriété chez les personnes divines n’est pas seulement une
propriété, mais aussi une substance : la Paternité en effet est le Père
lui-même ; et c’est pourquoi la propriété rend plus proprement autre que
divers. Nous traiterons cependant plus loin [dist. 26, quest. 2, art. 2.4] de
ce sujet d’une manière plus complète. |
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Articulus 2 [790] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 tit.
Utrum Pater et Filius possint dici plures aeterni ? |
Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont plusieurs éternels ? |
[791] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non possint dici plures
aeterni, per id quod habetur in symbolo Athanasii: Et tamen non tres
aeterni. |
Difficultés : 1. Il semble qu’on ne puisse
dire du Père et du Fils qu’ils sont plusieurs éternels en s’appuyant sur ce
qui est établi dans le symbole d’Athanase : Et cependant ils ne
sont pas trois éternels. |
[792] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
Augustinus, V De Trinit., cap. VIII, col. 916 : quidquid
in divinis ad se dicitur, singulariter de tribus, et non pluraliter
praedicatur. Sed aeternus ad se dicitur: non enim est relativum. Ergo
singulariter de tribus dicitur, et non pluraliter. |
2. Par ailleurs, Augustin
[V De la Trinité, ch. VIII, col. 916] dit : Tout
ce qui se dit absolument de Dieu s’attribue aux trois personnes au singulier
et non au pluriel. Mais éternel se dit absolument : en effet, il
n’est pas un relatif. Donc il s’attribue aux trois personnes au singulier et
non au pluriel. |
[793] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea,
sicut una deitas est trium personarum, ita etiam est una aeternitas, cum
aeternitas sit ipsa divina substantia. Sed non potest dici: Pater et Filius
sunt [plures add. Éd. de Parme] dii ; propter unitatem
divinitatis. Ergo nec etiam propter unitatem aeternitatis potest dici: Pater
et Filius sunt [plures add. Éd. de Parme] aeterni. |
3. En outre, tout comme une
même divinité appartient aux trois personnes, de même c’est une même éternité
qi appartient aux trois personnes puisque l’éternité est la substance divine
elle-même. Mais on ne peut dire : le Père et le Fils sont
[plusieurs add. Éd. de Parme] des dieux, en raison de l’unité de
la divinité. Donc en raison de l’unité de l’éternité on ne peut non plus
dire : le Père et le Fils sont [plusieurs add. Éd. de Parme]
des éternels. |
[794] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas,
quod hoc est, quia Deus est substantivum, sed aeternus est adjectivum, et
ideo aeternus recipit pluralem numerum, secundum numerum suppositorum.
Contra, adjectivum significatur per modum accidentis. Sed in Deo non potest
esse aliquod accidens, quia, sicut dicit Boetius, lib. I De
Trinit., cap. IV, col. 1252, caetera praedicamenta cum in divinam
venerint praedicationem mutantur in substantiam. Ergo non potest ibi esse adjectivum. |
4. Mais tu pourrais dire
qu’ils sont plusieurs éternels parce que Dieu est un substantif mais
qu’éternel est un adjectif et que c’est là pourquoi éternel reçoit le nombre
pluriel selon le nombre des suppôts. Cependant l’adjectif signifie à la
manière d’une accident. Mais en Dieu il ne peut y avoir aucun accident car,
ainsi que le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. IV, col. 1252], lorsque
les autres prédicaments en viennent à l’attribution divine, ils se changent
en la substance. Eternel ne peut donc pas être pris là comme adjectif. |
Sed contra est quod habetur in Symbolo Athanasii,
quod tres personae sunt sibi coaeternae. |
Cependant on établit dans
le Symbole d’Athanase que les trois personnes sont
coéternelles. |
[795] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, adjectivum trahit numerum a
substantivo. Sed aeternus est
adjectivum. Cum ergo Pater et Filius sint plures quidam, videtur quod debeant
dici aeterni. |
5. De plus, l’adjectif tire
son nombre du substantif. Mais éternel est un adjectif. Donc, puisque le Père
et le Fils sont plusieurs personnes, il semble qu’ils doivent être appelées
éternels. |
[796]
Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec est
differentia inter adjectiva et substantiva: quia substantiva significant per
modum substantiae, et ideo significant rem suam absolute ; et ideo
substantivum non dicitur in plurali numero, nisi formatio sua numeretur ;
adjectivum autem significat per modum accidentis, quod non habet esse
absolutum, nec unitatem: sed esse suum et unitas sua dependet ex eo cui
inhaeret. Unde etiam non multiplicatur secundum numerum per divisionem
alicujus quod sit pars sui, sicut species substantiarum multiplicantur per
individua, secundum divisionem materiae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que telle est la différence entre les adjectifs et les substantifs : car
les substantifs signifient à la manière d’une substance et c’est pourquoi ils
signifient leur chose absolument ; et c’est pourquoi le substantif ne se
dit au pluriel que si sa formation est comptée ; mais l’adjectif
signifie à la manière d’un accident qui ne possède ni une existence ni une unité
absolue mais son existence et son unité dépendent de ce en quoi il se trouve.
C’est pourquoi encore il ne se multiplie pas selon le nombre par
la division de ce qui serait une de ses parties comme les espèces
des substances se multiplient en individus par la division de la matière. |
Sed accidens multiplicatur secundum divisionem subjecti in
quo est ; unde haec albedo est alia ab illa, inquantum haec est hujus, et
illa illius ; et ideo adjectivum non habet numerum pluralem, nisi ex parte
suppositorum. Dicendum igitur, quod omnes termini essentiales
[essentiales om. Éd. de Parme] significantes substantiam per
modum substantiae, sicut sunt substantiva, non praedicantur in plurali de
tribus personis, eo quod forma [formatio Éd. de Parme]
significata, scilicet ipsa essentia divina, non dividitur. |
Mais l’accident se multiplie
d’après la division du sujet dans lequel il se trouve ; c’est pourquoi
cette blancheur-ci diffère de cette blancheur-là selon qu’elle appartient à
celui-ci et celle-là à celui-là ; et c’est pourquoi l’adjectif ne
possède le nombre pluriel que du côté de son suppôt. Il faut donc dire que
tous les termes essentiels [essentiels om. Éd. de Parme]
signifiant la substance par mode de substance, comme les substantifs, ne
s’attribuent pas au pluriel aux trois Personnes du fait que la forme [la
formation Éd. de Parme] signifiée, à savoir l’essence divine
elle-même, ne se divise pas. |
Termini vero significantes
substantiam adjective per modum inhaerentis, vel assequentis substantiam, ut
dicit Damascenus, I Fid. Orthod., cap. IX, col. 834,
praedicantur in plurali de tribus personis, propter pluralitatem
suppositorum. Sed tamen in talibus terminis, qui significant substantiam
adjective, est ordo. Quaedam enim significant ut inhaerenter, non
significantes substantiam quantum ad modum significandi quem grammatici
considerant dicentes, nomen significare substantiam cum qualitate, sicut
verba et participia: et ista nullo modo debent praedicari in singulari, quia
significant per modum actus, qui non significatur nisi ut inhaerens. |
Mais les termes qui
signifient la substance à la manière d’un adjectif par mode d’inhérence ou de
ce qui arrive à la substance, comme le dit Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. 1X, col. 834], s’attribuent au pluriel aux trois Personnes
en raison de la pluralité des suppôts. Mais dans de tels termes cependant qui
signifient la substance à la manière d’un adjectif, il y a un ordre. Certains
en effet signifient comme étant présents dans la substance, qui ne signifient
pas la substance quant au mode de signifier que les grammairiens
considèrent en disant que le nom signifie la substance avec une
qualité, tout comme les verbes et les participes : de tels termes ne
doivent en aucune manière être attribués au singulier car ils signifient à la
manière d’un acte qui n’est signifié que comme étant présent dans la
substance. |
Quaedam
autem significant substantiam quantum ad modum consideratum a grammaticis,
sicut nomina adjectiva. Omne enim nomen significat substantiam et qualitatem ; sed formam
quae est qualitas, significant ut inhaerentem ; et talia possunt magis
praedicari singulariter, et praecipue quia possunt substantiari, sicut
aeternus, et hujusmodi. Quando tamen talibus adjectivis additur
per compositionem aliqua praepositio denotans habitudinem personae ad
personam, magis trahuntur ad suppositum ; et tunc nunquam debent praedicari
in singulari, sed tantum in plurali, sicut coaeternus. |
Mais il y a les termes qui signifient la substance quant
au mode considéré par les grammairiens, comme les noms adjectifs. Tout nom en
effet signifie la substance et la qualité ; mais ils signifient la
forme, qui est une qualité, comme étant présente dans la substance ; et
de tels noms peuvent davantage être attribués au singulier et surtout parce
qu’ils peuvent être pris comme des substantifs, comme éternel et les termes
de cette sorte. Quand cependant à de tels adjectifs s’ajoute une préposition
par composition dénotant le rapport d’une personne à une autre, ils sont
davantage appliqués au suppôt ; et alors ils ne doivent jamais être
attribués au singulier mais seulement au pluriel, comme coéternel. |
[797] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 1 a. 2 ad 1 Dico igitur ad primum, quod si aeternus substantive sumatur,
tunc praedicatur in singulari de tribus ; et sic accipit Athanasius. Si
adjective, tunc praedicatur pluraliter. Sed coaeternus semper debet
pluraliter praedicari, propter habitudinem personae ad personam, quam
importat. |
Solutions : 1. Je dis donc en premier
lieu que si éternel est pris comme substantif, alors il s’attribue au
singulier aux trois personnes. Et c’est ainsi qu’Athanase le prend. Mais si
on le prend comme adjectif, alors il s’attribue au pluriel. Mais coéternel
doit toujours s’attribuer au pluriel en raison du rapport qu’il implique de
la personne à la personne. |
[798] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., adjectiva non habent numerum
ex seipsis, sed ex suis suppositis ; et ideo aeternus, quamvis non numeretur
ex seipso, quia absolutum est, tamen praedicatur in plurali propter
pluralitatem suppositorum, quae relativa sunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, ce n’est
pas d’eux-mêmes que les adjectifs possèdent un nombre, mais ils le tiennent
de leurs suppôts ; et c’est pourquoi éternel, bien qu’il ne se dénombre
pas de lui-même car il est un absolu, il s’attribue cependant au pluriel en
raison de la pluralité des suppôts qui sont des relatifs. |
[799] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium: quia Deus non est
adjectivum, ut recipiat numerum ab alio, sicut aeternus. Unde non posset pluraliter praedicari nisi propter
pluralitatem suae formae: quam pluralitatem non est in Deo ponere. |
3. Et par là la réponse à la
troisième difficulté devient évidente : car Dieu n’est pas un adjectif
qui, comme éternel, reçoit son nombre d’un autre. De là il ne pourrait
s’attribuer au pluriel qu’en raison de la pluralité de sa forme, pluralité
qu’il n’y a pas lieu de poser en Dieu. |
[800] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis secundum rem non sit accidens in divinis, tamen
quantum ad modum significandi potest aliquid ut adjacens significari, vel
assequens substantiam ; et inde sunt adjectiva in divinis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien qu’il n’y ait pas en réalité d’accidents dans les personnes
divines, il se peut cependant que, quant au mode de signifier, quelque chose
soit signifié comme étant rattaché ou comme advenant à la substance ; et
c’est de là qu’on retrouve des adjectifs dans les Personnes divines. |
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Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
[801] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 pr. Deinde quaeritur
de coaeternitate Filii ad Patrem ; et quaeruntur duo: 1 utrum Pater aliquo modo sit
prior Filio ; 2 si non, sed generatio est aeterna, quibus verbis
significari debeat. |
On s’interroge ensuite
sur la coéternité du Fils à l’égard du Père ; et on pose alors deux
questions : 1. Est-ce que le Père est antérieur
au Fils de quelque manière ? 2. Si ce n’est pas le cas, la
génération étant éternelle, par quels verbes doit-elle être signifiée ? |
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Articulus 1 [802] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1
tit. Utrum
Pater sit prior Filio |
Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils ? |
[803] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod Pater sit prior Filio. Sicut enim se
habet corruptio ad desitionem, ita se habet generatio ad inceptionem. Sed omne quod corrumpitur, desinit esse. Ergo omne quod
generatur, incipit esse per generationem. Ergo Filius coepit esse ; et ita
est posterior Patre. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père soit
antérieur au Fils. En effet, tout comme la corruption se rapporte au terme,
la génération se rapporte au commencement. Mais tout ce qui se corrompt cesse
d’exister. Donc, tout ce qui est engendré commence à exister par
la génération. Donc le Fils a commencé à exister ; et ainsi il est
postérieur au Père. |
[804] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 1 arg. 2, nihil accipit aliquid, nisi quod non habet. Sed omne quod
generatur, accipit esse a generante. Ergo omne quod generatur, ante
generationem non habet esse ; et sic idem quod prius. |
2. On ne reçoit que ce que
l’on ne possède pas. Mais tout ce qui est engendré reçoit l’existence de
celui qui engendre. Donc tout ce qui est engendré ne possède pas l’existence
avant d’être engendré ; et ainsi la conclusion est la même que
précédemment. |
[805] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 1 arg. 3, principium naturaliter prius est eo cujus est principium.
Sed Pater est principium Filii. Ergo etsi non tempore, saltem natura est
prior ipso. |
3. Le principe est
naturellement antérieur à ce dont il est le principe. Mais le Père est le
principe du Fils. Donc, si ce n’est pas par le temps, Il Lui est au moins
antérieur par nature. |
[806] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, dare
esse est aliqua dignitas. Sed Pater dat esse suum Filio. Ergo ad minus
dignitate Pater est prior Filio. |
4. De plus, donner
l’existence constitue une dignité. Mais le Père donne son existence au Fils.
Donc le Père est antérieur au Fils au moins par la dignité. |
[807] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, omne illud quo aliquid est prius, non est
simpliciter primum. Si ergo Filio esset Pater prior, Filius non esset
simpliciter primum. Sed omnes dicunt Deum esse primum principium, sicut dicit
philosophus, I Metaph., I, 7. Ergo Filius non
esset Deus: quod Ariani concedunt. |
Cependant : 1. Tout ce dont quelque chose est antérieur, cela n’est
pas absolument premier. Si donc le Père était antérieur au Fils, le Fils ne
serait pas absolument premier. Mais tous disent que Dieu est le premier
principe, comme le Philosophe le dit [1 Métaphysique, 1, 7]. Donc
le Fils ne serait pas Dieu : ce que les Ariens concèdent. |
[808] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum,
quod Pater nullo modo est prior Filio, neque duratione, neque natura, neque
intellectu, neque dignitate: in Patre enim et Filio non possumus nisi duo
considerare. Vel id quod absolutum est: et hoc utrique commune est:
unde ex hoc unus non habet prioritatem ad alium, cum essentia divina non sit
divisibilis, ut supra ostensum est, in hac dist., qu. 1, art. 1. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le Père n’est d’aucune manière antérieur au Fils, ni par la durée, ni par
la nature, ni par l’intelligence, ni par la dignité : dans le Père et le
Fils en effet on ne peut considérer que deux choses. Soit ce qui est absolu :
et cela est commun aux deux : c’est pourquoi de ce point de vue l’un ne
possède aucune antériorité sur l’autre puisque l’essence divine n’est pas
divisible comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction [quest.
1, art. 1]. |
Vel id quod est ad aliquid. Relativorum autem est simul
esse natura, secundum philosophum, in Praedicam., cap.
« De relat., », et etiam tempore: quia posita se
ponunt, et perempta se perimunt: et etiam intellectu, cum unum per alterum
definiatur: quamvis enim in hominibus ille qui est pater, sit prior eo qui
est filius, ut Socrates Platone ; nihilominus tamen ista duo relativa,
inquantum relativa sunt, Pater et Filius simul sunt omnibus modis
praedictis. Unde patet quod Pater nullo modo potest esse prior Filio ; neque secundum
id quod absolutum, neque secundum id quod ad aliquid est. |
On peut encore considérer ce
qui est relatif. Mais pour les relatifs l’existence est simultanée par
nature, selon ce qu’en dit le Philosophe dans ses Prédicaments,
au chapitre intitulé ¨Des relatifs¨, et elle l’est aussi par le
temps : car si l’un est posé les deux le sont et si l’un est
anéanti les deux le sont : et leur existence est simultanée aussi par
l’intelligence car l’un se définit par l’autre bien qu’en effet chez les
hommes celui qui est père soit antérieur à celui qui est fils, comme Socrate
est antérieur à Platon ; cependant ces deux relatifs, à savoir le Père
et le Fils, en tant qu’ils ont relatifs, existent néanmoins
simultanément de toutes les manières dont nous venons de parler. C’est
pourquoi il est clair que le Père n’est en aucune manière antérieur au Fils,
quelque soit la manière dont on les considère, soit absolument, soit
relativement. |
[809] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod generatio quae opponitur corruptioni, est mutatio ; et
tali generationi semper annexa est inceptio. Sed generatio, prout est in
divinis, non est mutatio, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1,
sed operatio naturae divinae prout est in Patre. Et quia naturalis operatio
semper sequitur id cujus est, cum natura divina in Patre sit aeterna, et
generatio erit aeterna. |
Solutions: 1. Il faut dire en
premier lieu que la génération qui s’opose à la corruption est un changement;
et à une telle génération est toujours rattaché un commencement. Mais la
génération, selon qu’elle existe chez les personnes divines, n’est pas un
changement ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1]
mais une operation de la nature divine existant dans le Père. Et parce qu’une
operation naturelle correspond toujours à ce à quoi elle appartient, puisque
la nature divine est éternelle dans le Père, la génération aussi sera
éternelle. |
[810] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illud quod accipit aliquid, non habet illud a se, non tamen
sequitur quod non habeat illud simpliciter: quia potest esse quod illud
accipere nunquam inceperit ; et ita Filius accepit esse a Patre, nec habet
esse a se, sed ab aeterno a Patre accepit esse. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que si ce qui reçoit quelque chose ne le possède pas de lui-même, il ne
s’ensuit pas cependant qu’il ne possède absolument pas cela : car il se
peut qu’il n’ait jamais commencé de recevoir cela ; et c’est de cette
manière que le Fils a reçu l’existence du Père et qu’il ne possède pas
l’existence de Lui-même, mais il a reçu l’existence du Père de toute
éternité. |
[811] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principium potest dupliciter
considerari: vel id quod est principium, et hoc est prius naturaliter
eo cujus est principium ; vel secundum relationem principii, et sic est simul
naturaliter cum principiato. Si igitur esset aliquis ab eodem habens quod sit
aliquis et quod sit ad aliquid ; omnino simul esset naturaliter cum eo ad
quod diceretur. Et quia in divinis Pater ab eodem habet quod sit aliquis et
quod sit Pater ; est simul natura cum Filio, non solum inquantum est Pater,
sed simpliciter. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que par le terme de principe on peut considérer deux choses : Soit cela même qui est le
principe et cela est antérieur à ce dont il est le principe. Soit la relation de principe
et alors le principe est par nature simultané avec ce dont il est le
principe. Si donc il existait un être qui du même coup tiendrait son
existence et d’être en relation, il serait par nature absolument simultané
avec ce dont il est dit relatif. Et parce que dans les Personnes divines le
Père tient du même coup son existence et sa Paternité, il est par nature
simultané avec le Fils, non seulement en tant que Père, mais absolument. |
[812] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod proprietas qua Pater dat esse, est dignitas sua. Sed quia
dignitas est de absolutis, ideo eadem dignitas est in Patre et Filio, et
eadem dignitas quae in Patre est paternitas, in Filio est filiatio ; sicut
paternitas in Patre est divina essentia vel divina bonitas, et eadem essentia
in numero vel bonitas, est filiatio in Filio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la propriété par laquelle le Père donne l’existence est sa dignité
propre. Mais parce que le dignité porte sur des absolus, c’est pourquoi il y
a une même dignité dans le Père et dans le Fils, et la même dignité qui dans
le Père est la paternité se retrouve dans le Fils sous la forme de la
filiation ; tout comme la paternité dans le Père est l’essence divine ou
la bonté divine, la même essence ou bonté par le nombre est la filiation dans
le fils. |
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Articulus 2 [813] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2
tit. Utrum
generatio divina debeat significari per tempus praesens. |
Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée par le temps présent ? |
[814] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod generatio
divina debeat significari per praesens tempus. Praesens enim maxime aeternitati
competit, eo quod non habet successionem. Sed generatio divina est aeterna.
Ergo debet significari per praesens tempus. |
Difficultés : 1. Il semble que la
génération divine doive être signifiée par le temps présent. Le présent en
effet semble convenir plus proprement à l’éternité du fait qu’il n’implique
pas la succession. Mais la génération divine est éternelle. Elle doit donc
être signifiée par le temps présent. |
[815] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Avicenna, tract. VI, Metaph., cap. II), distinguit duplex
agens: quoddam quod est causa fiendi tantum, et istud non influit
in rem nisi dum est in fieri ; quoddam autem quod est principium essendi, et hoc agens
non cessat ab influendo in causatum suum quamdiu habet esse. Constat autem
quod Pater non est principium Filii sicut principium fiendi, quia Filius non
est factus ; sed sicut principium essendi, quia dat sibi esse. Ergo quandiu
Filius habet esse, Pater dat sibi esse, quae datio est generatio. Cum igitur
Filius verissime dicatur semper esse, et magis quam fuisse, verius diceretur
semper nasci quam semper natus. |
2. Par ailleurs, Avicenne [ VI Métaphysique, ch. 11] distingue deux sortes d’agents : La première qui est la cause du devenir seulement, et celle-ci ne se répand dans la chose que lorsqu’elle est en devenir ; l’autre cependant est le principe de l’existence, et un tel agent ne cesse de passer dans son effet tant qu’il possède l’existence. Il est clair cependant que le Père n’est pas le principe du Fils en tant que principe de devenir, car le Fils n’est pas produit, mais en tant que principe d’existence parce qu’il lui donne d’exister. Donc, aussi longtemps que le Fils possède l’existence, le Père lui donne d’exister, et ce don est une génération. Donc puisqu’on dit du Fils avec la plus grande justesse qu’il existe de toute éternité, plus qu’il a toujours existé, on dira avec plus de vérité qu’il naît de toute éternité que si on dit qu’il est né de toute éternité. |
[816] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 3 Contra,
illud quod est semper in fieri, est imperfectum. Sed quod semper nascitur,
significatur semper ut in fieri. Ergo significatur ut imperfectum. Ergo non
proprie dicitur Filius semper nasci, cum ab eo secludatur omnis imperfectio. |
3. Mais au contraire, ce qui
est toujours en devenir est imparfait. Mais ce qui naît toujours est signifié
comme étant toujours en devenir. Il est donc signifié comme imparfait. On ne
dit donc pas proprement du Fils qu’Il naît toujours, puisque toute
imperfection est exclue de Lui. |
[817] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea,
omne illud quod consequitur generationem secundum modum intelligendi, est
quasi terminus generationis. Sed relatio filiationis consequitur generationem
secundum modum intelligendi. Ergo se tenet ex parte termini generationis. Sed
terminus generationis non significatur per praesens, sed per praeteritum.
Ergo Filius verius dicitur natus quam nascens. |
4. En outre, tout ce qui suit
la génération selon la manière de la comprendre est comme le terme de la génération.
Mais la relation de filiation suit la génération selon la manière de la
comprendre. Elle se tient donc du côté du terme de la génération. Mais le
terme de la génération n’est pas signifié par le présent mais par le passé.
On dit donc avec davantage de vérité que le Fils est né que si on dit qu’Il
est en train de naître. |
[818] Super Sent., lib.
1 d. 9 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est superius,
dist. 8, qu. 2, art. 3, nullum verbum alicujus temporis perfecte aeternitatem
repraesentat. Unde cum generatio Filii sit aeterna, ut dictum est,
dist. 4, qu. 1, art. 1, non sufficienter
exprimitur per verbum alicujus temporis ; unde per diversorum temporum verba
significari potest, ut quidquid est perfectionis in quolibet tempore, divinae
generationi attribuatur, et omnis imperfectio excludatur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, qu. 2, art. 3], qu’aucun
verbe, quel qu’en soit le temps, ne représente parfaitement l’éternité. C’est
pourquoi, puisque la génération du Fils est éternelle ainsi que nous l’avons
dit [dist. 4, qu. 1, art. 1], elle n’est exprimée avec satisfaction par aucun
verbe de quelque temps qu’il soit ; c’est pourquoi elle peut être
exprimée au moyen de verbes de différents temps de telle manière que ce qu’il
y a de perfection dans chaque temps soit attribué à la génération divine et
que toute imperfection en soit exclue. |
Cum igitur in omni inferiori generatione vel in quocumque
fieri, ipsum esse sit imperfectum, quia hujusmodi non sunt nisi in fieri, et
perfectio non est nisi quando fieri terminatur, et tunc esse non retinet
generatio creaturae, sicut etiam in termino motus non est motus ; in divina
tamen generatione invenitur simul et perfectio et esse. |
Donc, alors que dans toute génération inférieure ou dans
tout devenir l’existence elle-même est imparfaite car de tels êtres
n’existent que dans le devenir et qu’il n’y a perfection que lorsque le
devenir est terminé et que la génération de la créature ne retient pas alors
l’existence, tout comme aussi dans le terme du mouvement il n’y a plus de
mouvement ; dans la génération divine cependant on retrouve
simultanément la perfection et l’existence. |
Unde ad significandum esse divinae generationis, quod
nunquam transit, possumus uti verbo praesentis temporis, ut dicamus filium
generari a Patre ; ad significandum vero generationis perfectionem possumus
verbo praeteriti temporis uti, ut dicamus filium natum ; ut autem utrumque
concludatur simul, scilicet perfectio et esse generationis, convenientissime
dicitur semper natus ; ut per sempiternitatem significetur esse generationis
indeficiens, et per praeteritum tempus ipsius perfectio. |
C’est pourquoi, pour
signifier l’existence de la génération divine, laquelle ne passe jamais, nous
pouvons faire usage d’un verbe du temps présent, comme lorsque nous disons
que le fils est engendré par le Père ; mais pour signifier la perfection
de la génération nous pouvons user d’un verbe du temps passé, comme lorsque
nous disons que le Fils est né ; mais pour que les deux dimensions
soient conclues simultanément, à savoir à la fois la perfection et
l’existence de la génération, il convient au plus haut point de dire qu’il
est toujours né, de telle manière que par l’éternité soit signifiée l’existence
indéfectible de la génération, et par le temps passé sa perfection. |
Si autem diceremus, semper nascitur, designaretur solum
esse generationis indeficiens, sed non perfectio ; et ideo melius dicitur
semper natus quam semper nascens. In aliis autem divinis quae non
significantur ut in fieri, convenientius utimur praesenti tempore. |
Mais si nous disions qu’il naît toujours, il n’y aurait
que l’existence indéfectible de la génération qui serait désignée mais non sa
perfection ; et c’est pourquoi on parle avec plus de justesse lorsqu’on
dit qu’il est toujours né que si on dit qu’il est toujours en train de
naître. Mais pour toutes les autres caractéristiques divines qui ne sont pas
signifiées comme dans le devenir, on use avec plus d’à propos du temps présent. |
[819] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis praesens aeternitati
conveniat maxime, quia ponit esse in actu, tamen in illis quae per modum
fieri significant, importat imperfectionem, quia talia dum habent esse,
imperfecta sunt ; et ideo in talibus convenientius utimur praeterito,
praecipue si addatur aliquid ad indeficientiam designandam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le
temps présent convienne au plus haut point à l’éternité car il pose
l’existence en acte, cependant pour les cas qui signifient par mode de
devenir, il implique une imperfection car de tels êtres, tant et aussi
longtemps qu’ils possèdent l’existence, sont imparfaits ; et c’est
pourquoi dans ces cas on se sert de préférence du temps passé, surtout si
quelque chose est ajouté pour désigner l’indéfectibilité ou la perpétuité. |
[820] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per illam rationem probatur quod
esse divinae generationis nunquam transeat, et hoc significatur per praesens
; tamen ex modo significandi, quia significatur per modum fieri, importatur
quaedam imperfectio ; et ideo oportet uti praeterito tempore, et hoc
sequentia argumenta concludunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que par cet argument on prouve que l’existence de la génération divine
ne passe jamais, et cela est signifié par le présent ; cependant de par
son mode de signifier, car il signifie par mode de devenir, il implique une
certaine imperfection ; et c’est pourquoi il faut user du temps passé et
c’est là ce que concluent les arguments qui suivent. |
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Distinctio 10 |
Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis quinque quaeruntur: 1 utrum Spiritus sanctus procedat ut amor ; 2 utrum sit amor quem Pater habet in Filium, et e
contrario ; 3 utrum sit nexus vel unio Patris et Filii ; 4 utrum ex processione sua possit dici proprie Spiritus
sanctus ; 5 de numero personarum. |
Afin de bien comprendre cette
partie nous cherchons à répondre à ces cinq questions : 1. Est-ce que l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour ? 2. Est-il l’amour que le Père
porte au Fils ou est-ce plutôt l’inverse ? 3. Est-il le lien ou l’union
entre le Père et le Fils ? 4. Est-ce à partir de sa
procession qu’il peut être appelé proprement Esprit-Saint ? 5. Quel est le nombre des
Personnes ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint comme amour] |
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Articulus 1 : [823] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a.
1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat ut amor. |
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ? |
[824] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus
sanctus non procedat ut amor. Quia Spiritus sanctus procedit ut persona in se
subsistens. Amor autem non significat aliquid per modum subsistentis ;
immo per modum inhaerentis formae, vel passionis. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour, car c’est en tant que
personne qui subsiste en elle-même qu’elle procède. Mais l’amour ne signifie
pas quelque chose à la manière d’une substance mais bien plutôt à la manière
d’une forme ou d’une passion rattachée à autre chose. Donc, Il ne procède pas
en tant que forme. |
[825] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, nunquam natura communicatur nisi per actum naturae. Sed amor non
significat actum naturae, sed magis voluntatis. Ergo cum per processionem
Spiritus sancti communicetur tota divina natura personae procedenti, videtur
quod Spiritus sanctus non procedat ut amor. |
2. Par ailleurs, jamais la
nature ne se communique autrement que par un acte de la nature. Mais l’amour
ne signifie pas un acte de la nature mais plutôt de la volonté. Donc,
puisqu’au moyen de la procession de l’Esprit-Saint c’est toute la nature
divine qui est communiquée à cette Personne qui procède, il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour. |
[826] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, non est idem modus processionis creaturae et personae divinae. Sed
creaturae procedunt a Deo per actum voluntatis, cujus opus est creatio,
secundum Damascenum, lib. I Fid. Orth., c. VIII, col.
811. Ergo nulla persona divina procedit
per modum amoris, qui est actus voluntatis. |
3. En outre, le mode de
procession de la créature n’est pas identique au mode de procession de la
personne divine. Mais les créatures procèdent de Dieu par son acte
de volonté dont l’œuvre est la création selon Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. VIII, col. 811]. Donc, aucune Personne divine ne
procède par mode d’amour, lequel est un acte de la volonté. |
[827] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4 Item,
modus processionis personae est proprius personae procedenti, quia per
processionem distinguitur una persona ab alia. Sed amor est commune tribus
personis, ut dicitur in Littera. Ergo nulla persona ut amor
procedit. |
4. De plus, le mode de
procession de la personne est propre à la personne qui procède, car c’est par
sa procession qu’une Personne se distingue d’une autre. Mais l’amour est commun
aux trois Personnes, ainsi qu’on le lit dans le Document. Donc, aucune
Personne ne procède en tant qu’amour. |
[828] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 5
Praeterea, non est idem appropriatum et proprium, quia appropriatum sumitur
juxta rationem proprii: unde sapientia, quae appropriatur Filio, nulli
personae propria est. Sed amor, ut dicitur in littera, est appropriatum
Spiritui sancto. Ergo non est proprius modus suae processionis ut procedat ut
amor |
5. Enfin, ce qui est
approprié n’est pas identique à ce qui est propre, car l’approprié se tire
immédiatement à côté de la notion du propre : de là la sagesse, qui est
appropriée au Fils, n’est propre à aucune Personne. Mais l’amour, comme on le
lit dans le Document, est approprié à l’Esprit-Saint. Ce n’est donc pas là le
mode propre de sa procession de procéder en tant qu’amour. |
[829] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, imago creata, quae est in anima,
repraesentat Trinitatem in creatura. Sed in imagine creata procedit aliquid
per modum notitiae, et aliquid per modum amoris. Cum igitur in Trinitate
increata procedat Filius per modum notitiae, erit alia persona procedens per
modum amoris. |
Cependant : 1. L’image créée qui est dans
l’âme représente la Trinité dans la créature. Mais dans l’image créée on a
quelque chose qui procède par mode de connaissance, et quelque chose qui
procède par mode d’amour. Donc puisque dans la Trinité incréée le Fils
procède par mode de connaissance, il y aura une autre Personne qui procède
par mode d’amour. |
[830] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item,
cognitio perfecta non est, nisi adjungatur voluntas. Sed sicut se habet
intellectus ad voluntatem, ita et verbum ad amorem. Ergo verbum non erit perfectum sine amore. Sed Verbum Dei
perfectum est. Ergo et associatur sibi amor perfectus ; et hic est Spiritus
sanctus. |
2. En outre, une connaissance
n’est parfaite que si elle est unie à la volonté. Mais ce que l’intelligence
est à la volonté, le verbe l’est à l’amour. Donc le verbe ne pourra être
parfait sans l’amour. Mais le verbe de Dieu est parfait. Donc un amour
parfait lui est rattaché et c’est là l’Esprit-Saint. |
[831] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in processione creaturarum duo est considerare
ex parte ipsius creatoris: |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans la procession des créatures il y a deux choses à considérer du côté
du créateur lui-même : |
scilicet naturam ex cujus plenitudine et perfectione omnis
creaturae perfectio et efficitur et exemplatur, ut supra dictum est, dist. 2,
qu. unic., art. 2, |
À savoir la nature d’une part
à partir de la plénitude et de la perfection de laquelle toute perfection de
la créature est produite et modelée, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 2, quest. Unique, art. 2], |
et voluntatem, ex cujus liberalitate, non naturae
necessitate haec omnia creaturae conferentur. Supposita autem, secundum fidem
nostram, processione divinarum personarum in unitate essentiae, ad cujus
probationem ratio sufficiens non invenitur, oportet processionem personarum,
quae perfecta est, esse rationem et causam processionis creaturae. |
Et la volonté d’autre part, à
partir de la libéralité de laquelle et non à partir d’une nécessité de
nature, toutes ces créatures sont réunies. Mais ayant posé, conformément à
notre foi, la procession des Personnes divines dans l’unité de l’essence, ce
que la raison ne se montre par capable de démontrer, il faut que le
procession des Personnes, laquelle est parfaite, soit la raison et la cause
de la procession de la créature. |
Unde sicut processionem creaturarum naturae divinae
perfectionem imperfecte repraesentantium reducimus in perfectam imaginem,
divinam perfectionem plenissime continentem, scilicet Filium, tamquam in
principium, et quasi naturalis processionis creaturarum a Deo, secundum
scilicet imitationem naturae, exemplar et rationem ; ita oportet quod,
inquantum processio creaturae est ex liberalitate divinae voluntatis,
reducatur in unum principium, quod sit quasi ratio totius liberalis collationis.
Haec autem est amor, sub cujus ratione omnia a voluntate conferuntur ; et
ideo oportet aliquam personam esse in divinis procedentem per modum amoris,
et haec est Spiritus sanctus. Et inde est quod quidam philosophi totius
naturae principium amorem posuerunt. |
De là, tout comme nous
ramenons la procession des créatures qui représentent imparfaitement la
perfection de la nature divine à une image parfaite contenant dans sa
plénitude la perfection divine, à savoir au Fils, comme au principe de la
procession naturelle des créatures qui viennent de Dieu, c’est-à-dire d’après
une imitation, un modèle et une raison de la nature ; de même il faut,
dans la mesure où la procession de la créature vient de la liberté de la
volonté divine, qu’elle soit ramenée à un principe unique qui soit comme la
cause de ce libre rassemblement. Et cette cause est l’amour en raison duquel
toutes les choses sont rassemblées par la volonté ; et c’est pourquoi il
faut qu’il y ait parmi les Personnes divines une Personne qui procède par mode
d’amour, laquelle est l’Esprit-Saint. Et c’est pour cette raison que certains
philosophes ont soutenu que l’amour est le principe de toute la nature. |
[832] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod licet amor, inquantum amor, non dicat quid perfectum et
subsistens ; tamen inquantum est Dei amor, a quo omnis imperfectio removetur,
habet quod sit perfectum quid et subsistens ; et simile est de Verbo. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que l’amour, en tant qu’amour, ne signifie pas en
lui-même un être parfait et subsistant, cependant en tant qu’il est l’amour
de Dieu duquel toute imperfection est exclue, il possède une existence
parfaite et subsistante ; et il en est de même pour le Verbe. |
[833] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut per primum processum naturae communicatur tota natura
divina, cum sit perfectus ; ita et per primum processum voluntatis, qui est
ratio omnis processionis voluntariae a Deo, communicatur tota voluntas ; et
quia in Deo idem est voluntas et natura, nec tota voluntas, quae infinita
est, posset esse nisi in natura infinita ; et non nisi boni infiniti, quasi
objecti aequantis infinitam voluntatem, unde nec amor, qui est ratio
voluntatis, potest esse nisi infinitus ; ideo oportet etiam communicari
naturam. Unde amor, quamvis non dicat communicationem naturae inquantum est
amor, dicit tamen inquantum est amor Dei et primus processus divinae
voluntatis. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que tout comme dans la première procession de la nature, puisqu’elle est
parfaite, c’est toute la nature divine qui est communiquée, de même par la
première procession de la volonté, laquelle est la cause de toute procession
volontaire provenant de Dieu, c’est toute la volonté qui est
communiquée ; et parce qu’en Dieu la volonté et la nature sont
identiques et qu’une volonté totale qui est infinie ne pourrait exister que
dans une nature infinie et ne peut porter que sur un bien infini comme objet
qui est proportionné à une volonté infinie, c’est pourquoi l’amour,
qui est la cause de la volonté, ne peut être qu’infini ; et c’est
pourquoi il faut aussi que la nature soit communiquée. C’est pourquoi
l’amour, bien qu’en tant qu’amour, il ne signifie pas la communication de la
nature, il la signifie cependant dans la mesure où il est l’amour de Dieu et
le premier mouvement de la volonté divine. |
[834] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura procedit a
voluntate sicut res operata per voluntatem ; sed Spiritus sanctus sicut ratio
cujuslibet operis voluntatis, sicut etiam Filius producitur ut ars omnium
eorum quae per intellectum divinum constituta sunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la créature procède de la volonté comme l’œuvre d’art est réalisée
au moyen de la volonté ; mais l’Esprit-Saint est comme la cause de toute
œuvre de la volonté comme aussi le Fils est engendré comme l’art d’où toutes
les choses sont constituées par l’intelligence divine. |
[835] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amor in divinis tripliciter
sumitur. Quandoque enim sumitur
essentialiter, quandoque personaliter, quandoque notionaliter. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’amour se prend de trois manières dans les Personnes divines. Il se
prend en effet tantôt essentiellement, tantôt personnellement, tantôt
notionnellement. |
Quando sumitur essentialiter, non dicit aliquam
processionem vel relationem realem, sed tantum rationis, sicut etiam cum de
Deo dicimus intelligens et intellectum: eadem enim persona potest esse
intelligens et intellecta. |
Quand il se prend
essentiellement, il ne signifie pas une procession ou une relation réelles,
mais seulement de raison, tout comme lorsque nous disons aussi de Dieu qu’il
comprend et qu’il est compris : en effet, la même personne peut à la
fois comprendre et être comprise. |
Quando autem dicitur personaliter, tunc importatur
processio et relatio realis, et significatur ipsa persona, sive res
procedens, sicut amor est quoddam procedens. |
Quand il se prend
personnellement, alors il implique une procession et une relation réelles et
alors ce qui est signifié c’est la Personne elle-même ou la réalité qui
procède, tout comme l’amour est quelque chose qui procède. |
Quando autem dicitur notionaliter, significat ipsam
rationem processionis personae: quia amor non tantum est procedens, sed etiam
dicit rationem sub qua alia procedunt. Secundum ergo quod est essentiale, est
commune tribus, sed appropriatur Spiritui sancto ; ut cum dicitur, Deus
caritas est, 1 Joan. 4, 16 ; secundum autem quod est personale, est
proprium Spiritus sancti ; et dicitur, quod Spiritus sanctus procedit ut
amor. Secundum autem quod est notionale, est quaedam relatio vel notio
communis Patri et Filio, quae etiam dicitur communis spiratio ; et hoc modo
significatur amor in hoc verbo diligunt: cum dicitur, Pater et Filius
diligunt se Spiritu sancto. |
Mais quand il se dit
notionnellement, il signifie la cause même de la procession de la
Personne : car l’amour n’est pas seulement ce qui procède, mais il
signifie aussi la raison sous laquelle les autres procèdent. Donc, selon
qu’il est essentiel, l’amour est commun aux trois Personnes, mais il est
approprié à l’Esprit-Saint, comme lorsqu’on dit que Dieu est Amour [1 Jean,
4, 16] ; mais selon qu’il est personnel, il est le propre de
l’Esprit-Saint et c’est ainsi qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède en
tant qu’amour. Mais selon qu’il est notionnel, l’amour est une relation ou
une notion commune au Père et au Fils, qu’on appelle aussi le souffle
commun ; et c’est en ce sens qu’est signifié l’amour dans
cette parole où on dit qu’Ils s’aiment, lorsqu’on dit du Père et du Fils
qu’ils s’aiment par l’Esprit-Saint. |
[836] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod amor, secundum quod est proprium, non est
appropriatum. Sapientia autem ita est appropriata quod nunquam potest esse
proprium. Et ratio hujus est, quia sapientia non significatur per modum
alicujus exeuntis ab aliquo, sed per modum quiescentis in subjecto ; et ideo
semper est essentialis, et nunquam personalis. Sed amor significatur per
modum exitus ; nihilominus tamen significat aliquid absolutum. Exitus autem
ille potest intelligi ut realis, vel secundum rationem tantum. Ex parte ergo
qua significat aliquid absolutum, est essentiale ; et tunc relatio, vel
exitus importatus, erit rationis tantum, sicut cum dicitur idem eidem idem.
Quando autem ille exitus significatur non tantum ut rationis, sed ut realis,
tunc amorem significat personalem. |
5. En cinquième lieu, il faut
dire que l’amour, en tant qu’il set propre, n’et pas approprié. Mais la
sagesse est appropriée de telle manière qu’elle ne peut jamais être propre.
Et la raison en est que la sagesse n’est pas signifiée à la manière de ce qui
sort d’un autre, mais à la manière de ce qui repose dans un sujet. Et c’est
pourquoi elle est toujours essentielle et jamais personnelle. Mais l’amour
est signifié à la manière d’une sortie ; néanmoins il signifie cependant
quelque chose d’absolu. Mais cette sorte peut se comprendre soit comme étant
réelle, soit selon la raison seulement. Donc, du côté par lequel il signifie
quelque chose d’absolu, il est essentiel ; et alors la relation ou la
sortie impliquée en sera une de raison seulement, comme lorsqu’on dit que le
même est identique au même. Mais lorsque cette sortie est signifiée non
seulement comme en étant une de raison seulement mais comme étant réelle,
alors elle signifie un amour personnel. |
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Articulus 2 [837] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 tit.
Utrum Spiritus sanctus sit amor quem habet Pater in Filium. |
Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a pour le Fils ? |
[838] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus
sanctus non sit amor quem Pater habet in Filium vel e contrario. Quidquid
enim procedit in aliud tendens, non procedit ut per se subsistens. Sed Spiritus sanctus
procedit ut persona subsistens per se. Ergo non procedit in Filium. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne soit pas l’amour que le Père porte au Fils ou inversement.
En effet, tout ce qui procède en tendant vers un autre ne procède pas en tant
qu’être subsistant. Mais l’Esprit-Saint procède en tant que personne qui
subsiste par elle-même. Il ne procède donc pas vers le Fils. |
[839] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 2 Item,
quod procedit in aliquid, recipitur in illo, nisi sit ex defectu recipientis.
Sed in Filio non est aliquis defectus. Si ergo Spiritus sanctus procedit a
Patre ut in Filium, Filius recipit Spiritum sanctum. Sed quidquid Filius
recipit a Patre, recipit per generationem. Ergo processio per quam Spiritus
sanctus procedit a Patre in Filium, est generatio, vel etiam prius secundum
rationem, sicut quod includitur in illa. |
2. De plus, ce qui
procède vers quelque chose est reçu dans cette chose à moins d’un défaut du
côté de celui qui reçoit. Mais il n’y a aucun défaut dans le Fils. Si donc
l’Esprit-Saint procède du Père comme au Fils, le Fils reçoit l’Esprit-Saint.
Mais tout ce que le Fils reçoit du Père, il le reçoit par mode de génération.
Donc la procession par laquelle l’Esprit-Saint procède du Père au Fils est
une génération ou encore elle lui est antérieure selon la raison comme ce qui
est inclu en elle. |
[840] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, etsi Filius aliquid accipiat a Patre,
tamen Pater nihil accipit a Filio. Ergo cum illud in quod est aliquid, se
habeat in ratione recipientis, nullo modo poterit dici Spiritus sanctus amor
quem habet Filius in Patrem. |
3. En outre, bien
que le Fils reçoive quelque chose du Père, cependant le Père ne reçoit rien
du Fils. Donc, puisque ce en quoi se trouve quelque chose a raison de
récepteur, en aucune manière l’Esprit-Saint ne pourra être appelé l’amour que
le fils a pour le Père. |
[841] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, omnis amor procedit ab amante in amatum.
Sed Spiritus sanctus est amor, ut supra dictum est, art. anteced. in Resp. ad
4. Ergo videtur, cum Pater amet Filium et e contrario, quod Spiritus sanctus
sit amor Patris in Filium et e contrario. |
Cependant: 1. Tout amour
procède d’un amant vers un objet aimé. Mais l’Esprit-Saint est amour ainsi
que nous l’avons dit plus haut [art. Précéd., dans la réponse à la quatrième
difficulté]. Il semble donc, puisque le Père aime le Fils et inversement, que
l’Esprit-Saint soit l’amour que le Père porte au Fils et inversement. |
[842] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per auctoritatem Hieronymi
in littera. |
2. C’est encore là
ce qui apparaît clairement par l’autorité de Jérôme dans le document. |
[843] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in processione Spiritus sancti est considerare duo: scilicet
processionem ipsam, et modum procedendi. Et quia Spiritus sanctus procedit ut
res distincta et per se existens, non habet ex processione sua, inquantum
processio est, quod sit a Patre in Filium, vel e contrario ; sed quod sit in
se subsistens. Si autem consideretur modus processionis quia procedit ut
amor, ut dictum est, art. praec., ad 2, cum amatum secundum rationem
intelligendi sit id in quod terminatur amor, et amans a quo exit amor: cum
Pater amet Filium, potest dici amor Patris in Filium ; et cum Filius amet
Patrem, amor Filii in Patrem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux choses à considérer dans la procession de
l’Esprit-Saint : à savoir la procession elle-même et le mode de
procéder. Et parce que l’Esprit-Saint procède à la manière d’une réalité
distincte et existant par elle-même, il ne Lui est pas nécessaire que sa
procession, en tant que procession, procède du Père au Fils ou inversement,
mais qu’Il soit une réalité subsistant en elle-même. Mais si on considère le
mode de la procession, car l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour ainsi que
nous l’avons dit plus haut [art. précéd., réponse à la deuxième difficulté],
puisque l’objet aimé d’après son intelligibilité est ce en quoi l’amour
trouve son terme et que l’amant est ce d’où procède l’amour, il s’ensuit que
puisque le Père aime le Fils, l’Esprit-Saint peut être appelé l’amour que le
Père a pour le Fils et comme le Fils aime le Père, il est aussi être appelé
l’amour que le Fils a pour le Père. |
[844] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum. Quia Spiritus
sanctus non habet ut sit amor unius personae in aliam ex hoc quod est persona
procedens, sed ex hoc quod procedit ut amor. |
Solutions: 1. Et c’est par là
qu’apparaît la solution à la première difficulté. Car l’Esprit-Saint est
nécessairement l’amour d’une personne pour une autre du fait qu’il procède en
tant qu’amour et non pas du fait qu’il est une personne qui procède. |
[845] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur Filius amari a
Patre, non praedicatur secundum rem quod Filius aliquid a Patre accipiat, sed
quod terminetur in ipsum actus amoris ; et ideo hoc quod dicitur esse
Spiritus sanctus amor Patris in Filium, non pertinet ad generationem, sed ad
Spiritus sancti processionem. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que lorsqu’on dit que le Fils est aimé du Père, on ne dit pas
que c’est en réalité que le Fils reçoit quelque chose du Père mais que c’est
en Lui que se termine l’acte d’amour; et c’est pourquoi ce qui est dit ici, à
savoir que l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils, cela n’appartient
pas à la génération, mais à la procession de l’Esprit-Saint. |
[846] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. Quia sicut cum
dicitur, quod Pater habet amorem in seipsum, non significatur ibi aliqua
terminatio vel acceptio secundum rem, sed tantum secundum modum significandi
; ita etiam cum dicitur Spiritus sanctus amor Filii in Patrem, non ponitur
quod Pater aliquid accipiat, nisi quod secundum modum significandi in ipsum
terminatur amor Filii, sicut in amatum. |
3. Et par là on voit
clairement la solution à la troisième difficulté. Car tout comme lorsque nous
disons que le Père a de l’amour pour Lui-même, on ne signifie pas par là un
terme ou une concession selon la chose mais seulement selon le mode de signifier ;
de même encore lorsque nous disons que l’Esprit-Saint est l’amour du Fils
pour le Père, on n’affirme pas que le Père reçoit quelque chose, si ce n’est
que selon le mode de signifier l’amour du Fils se termine en Lui comme dans
l’objet aimé. |
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Articulus 3 [847] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 tit.
Utrum Spiritus sanctus sit unio Patris et Filii |
Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du Fils ? |
[848] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non sit nexus vel unio
Patris et Filii. Quod enim est discretum et distinctum ab aliquibus, non est
unitivum ipsorum. Sed Spiritus sanctus est distinctus a Patre et Filio. Ergo
non est unio utriusque. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint
ne soit pas le lien ou l’union qu’il y a entre le Père et le Fils. En effet,
il n’y a pas de lien entre les choses et celles dont elles se distinguent et
sont séparées. Mais l’Esprit-Saint est distinct du Père et du Fils. Il n’y a
donc pas de lien entre les deux. |
[849] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, nexus vel unio habet quasi rationem medii inter ea quae uniuntur
vel connectuntur. Sed Spiritus sanctus non est media in Trinitate persona, sed
tertia. Ergo non est unio vel nexus. |
2. De plus, le lien a raison
d’intermédiaire entre les choses qui sont unies ou reliées. Mais
l’Esprit-Saint n’est pas la personne intermédiaire dans la Trinité, mais la
troisième personne. Il n’est donc pas le lien ou l’union entre les deux
autres Personnes. |
[850] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, nexus dicitur quo aliqua nectuntur. Sed sive hoc intelligatur
effective, sive formaliter, illud quo aliqua nectuntur habet aliquam rationem
principii annexam. Ergo cum Spiritus nullo modo sit principium Patris et
Filii, immo e contrario, non poterit dici nexus vel unio utriusque. |
3. En outre, le lien se dit
de ce par quoi certaines choses sont rattachées. Mais qu’on entende cela
effectivement ou formellement, ce par quoi certaines choses sont rattachées a
une raison ajoutée de principe. Donc, puisque l’Esprit-Saint n’est en aucune
manière le principe du Père et du Fils et que c’est bien plutôt le contraire
qui est vrai, on ne pourra dire de Lui qu’Il est le lien ou l’union entre le
Père et le Fils. |
[851] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra,
Dionysius, lib. De divin. Nomin., cap. IV, § 15, col.
714 : Amorem sive divinum sive angelicum sive intellectualem sive
animalem sive naturalem dicamus, unitivam quamdam et concretivam accipimus
virtutem. Sed Spiritus sanctus est amor Patris et Filii. Ergo est unio
ipsorum. |
Cependant : Denys dit [Les Noms Divins,
ch. IV, &15, col. 714] : Nous admettons que l’amour, qu’il
soit divin, angélique, intellectuel, animal ou naturel, est puissance d’union
et de rassemblement. Mais l’Esprit-Saint est l’maour du Père et du Fils.
Il est donc l’union ou le lien qu’il y a entre les deux. |
[852] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 2 Hoc
etiam videtur ex auctoritate apostoli, Eph. 4, 3: soliciti servare
unitatem Spiritus in vinculo pacis ; et ita amor habet rationem
vinculi et nexus. |
2. Cela se voit aussi par
l’autorité de l’Apôtre [Épître aux Éphésiens, 4, 3] : Appliquez-vous
à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Et c’est
ainsi que l’amour a raison de lien ou de joint. |
[853] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod amor semper ponit
complacentiam amantis in amato. Quando
autem aliquis placet sibi in aliquo, trahit se in illud et conjungit se illi
quantum potest, ita ut illud efficiatur suum ; et inde est quod amor habet
rationem uniendi amantem et amatum. Et quia Spiritus sanctus procedit ut
amor, ex modo processionis habet ut sit unio Patris et Filii. Possunt enim
Pater et Filius considerari vel inquantum conveniunt in essentia, et sic
uniuntur in essentia ; vel inquantum distinguuntur in personis, et sic
uniuntur per consonantiam amoris: quia et si per impossibile poneretur quod
non essent unum per essentiam, ad perfectam jucunditatem oporteret in eis intelligi
unionem amoris. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’amour pose toujours une complaisance de l’amant pour l’objet aimé. Mais
quand on se complaît en quelqu’un, on se trourne vers lui et on s’y unit dans
la mesure du possible afin qu’il devienne soi ; et c’est de là que
l’amour a raison d’unir l’amant à l’objet aimé. Et parce que l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour, c’est de cette forme de procession qu’il se trouve
à être l’union du Père et du Fils. Le Père et le Fils peuvent en effet être
considérés soit selon qu’ils se rencontrent dans une
même essence et ainsi ils sont unis dans cette même essence, soit selon
qu’ils se distinguent par la personne et alors ils sont unis par l’harmonie
de l’amour : car si par impossible on posait qu’ils ne sont
pas un par l’essence, il faudrait que soit comprise en eux l’union de l’amour
pour une joie parfaite. |
[854] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod ex ipsa processione Spiritus sanctus habet quod procedat ut
persona ; et sic est distinctus a Patre et Filio [et sic …Filio om.
Éd. de Parme] sed ex modo processionis habet quod sit vinculum vel unio
amantis et amati. Utrum autem Pater et Filius diligant se Spiritu sancto,
infra quaeretur, dist. 32, quaest. 1, art. 1 et 2. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que c’est de la procession elle-même qu’il revient à l’Esprit-Saint de
procéder comme personne ; et c’est ainsi qu’il est distinct du Père et
du Fils [et ainsi…du Fils om. Éd. de Parme], mais c’est du mode
de procession qu’il Lui revient d’être le lien ou l’union de l’amant à
l’objet aimé. Mais est-ce que le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint,
nous chercherons à le savoir plus loin [dist. 32, quest. 1, art. 1 et 2] |
[855] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum procedit a
duobus, habet quod sit tertia in Trinitate persona ; sed ex modo procedendi,
quod sit unio utriusque personae. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que pour autant qu’Il procède des deux autres Personnes, il
revient à l’Esprit-Saint d’être la troisième personne de la Trinité; mais il
Lui revient, considérant le manière dont il procède, d’être le lien entre les
deux autres Personnes. |
[856] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pater et Filius dicuntur
uniri Spiritu sancto, non effective, sed quasi formaliter. Sed forma est duplex: quaedam enim manens et quiescens in his quorum est forma ;
et sic per modum formae se habet ad personas divina essentia, et sic uniuntur
formaliter amore essentiali. Est etiam aliquid formaliter uniens, non quasi inhaerens,
sed sicut procedens ab utroque unitorum ; ac si diceremus, aliqua duo corpora
uniri per aliquem liquorum [aliquorum Éd. de Parme] ab eis
procedentem ; et ita Pater et Filius uniuntur Spiritu sancto. Unde non
sequitur quod sit principium Patris et Filii, sed e converso. Hoc tamen magis
discutietur, dist. 32, ut Sup., quando quaeretur, utrum Pater et Filius
diligant se Spiritu sancto. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont unis par l’Esprit-Saint non pas
à la manière d’une cause efficiente, mais comme formellement. Mais il y a
deux sortes de formes : il y a en effet celle qui demeure et repose dans
les choses dont elle est la forme ; et c’est de cette manière que
l’essence divine se rapporte aux Personnes et c’est ainsi que ces dernières
sont unies formellement par un amour essentiel. Il y a aussi celle qui unit
formellement non pas en tant qu’elle est présente dans la chose, mais en tant
qu’elle procède des choses qui sont unies, comme si on disait que deux corps
sont unis par un des fluides [de certains Éd. de Parme] qui en
procèdent ; et c’est ainsi que le Père et le Fils sont unis par
l’Esprit-Saint. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il soit le principe du
Père et du Fils, mais c’est le contraire qui s’ensuit. Cela sera cependant
davantage discuté à la distinction 32 quand on cherchera à savoir si le Père
et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint. |
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Articulus 4 [857] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 tit.
Utrum persona procedens per modum amoris, proprie dicatur Spiritus sanctus |
Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint, la personne qui procède par amour ? |
[858] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod persona quae procedit ut amor, non proprie
dicatur Spiritus sanctus. Illud enim quod est commune tribus personis, non
efficitur proprium, nisi aliquo proprio adjuncto. Sed Spiritus convenit
tribus personis, Joan. 4, 24: Spiritus est Deus. ‘Sanctus’ autem
quod additur, est etiam commune, et non proprium. Ergo videtur quod Spiritus
sanctus non sit proprium nomen alicujus personae. |
Difficultés ; 1. Il semble que la Personne
qui procède en tant qu’amour ne s’appelle pas proprement Esprit-Saint. En
effet, ce qui est commun aux trois Personnes n’est rendu propre que par un
ajout qui lui est propre. Mais l’Esprit est commun aux trois Personnes ainsi
que Jean (4, 24) le dit : L’esprit est Dieu. Mais le terme
¨saint¨, qui est ajouté, est lui aussi commun et non pas propre. Il semble
donc que ¨Esprit-Saint¨ ne soit pas le nom propre d’une Personne. |
[859] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, personae distinguuntur per relationem
originis. Sed hujusmodi relationes, secundum modum intelligendi, consequuntur
processiones personarum. Ergo quaelibet persona debet denominari secundum
processionem aliquam. Sed Spiritus sanctus nullam processionem vel
processionis modum exprimit. Ergo non
videtur esse nomen alicujus personae. |
2. Par ailleurs, les
Personnes se distinguent par la relation d’origine. Mais de telles relations,
selon la manière de les comprendre, résultent des processions des Personnes.
Donc, toute Personne doit être dénommée d’après une procession. Mais
l’Esprit-Saint n’exprime aucune procession ou un mode de procession. Il ne
semble donc pas être le nom d’une Personne. |
[860] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas,
quod dicitur Spiritus sanctus, quia procedit ut amor, scilicet ad
similitudinem ejus quod [dico add. Éd. de Parme] duo amantes
conspirant sibi in amore per osculum oris, unde fit respiratio: contra,
secundum hoc, nomen Spiritus sumeretur ex similitudine spiritus corporalis.
Sed omne tale nomen dicitur de Deo metaphorice, et non proprie nec secundum prius.
Cum igitur nomina personalia inveniantur in divinis proprie, et etiam per
prius quam in creaturis, ut dicitur Ephes. 3, 15: Ex quo omnis
paternitas in caelis et in terra nominatur ; videtur quod per istum
modum nulla persona divina debeat nominari Spiritus sanctus. |
3. Si tu dis qu’on l’appelle
Esprit-Saint parce qu’il procède en tant qu’amour, c’est-à-dire à la
ressemblance de ce qu’on voit chez deux amants qui se serrent mutuellement
dans l’amour au moyen d’un baiser de la bouche, d’où résulte une respiration,
il faudra dire à l’encontre de cela que le nom d’Esprit se tire d’après cela
d’une ressemblance à un esprit corporel. Mais tout nom de cette sorte se dit
de Dieu sous la forme de la métaphore et non proprement ni par priorité.
Donc, puisque les noms personnels se retrouvent proprement dans les personnes
divines et même antérieurement aux créatures, comme le dit l’Apôtre
[Ephésiens 3, 15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la
terre, tire son nom, il semble que suivant ce mode aucune Personne divine
ne doive être appelée Esprit-Saint. |
[861] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, sicut processio, quae est per modum amoris, est sancta ; ita illa
quae est per modum naturae. Ergo sicut non dicitur Filius sanctus, ita non
debet dici Spiritus sanctus. |
4. En outre, tout comme la
procession qui a lieu par l’amour est sainte, de même est sainte celle qui a
lieu par la nature. Donc, tout comme on ne dit pas Fils-Saint, de même on ne
dit pas Esprit-Saint. |
[862] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 1 In
contrarium est tota Scriptura, et totus usus Ecclesiae, quae tertiam in
Trinitate personam sic nominat. |
Cependant : Toute l’Écriture et toute la
tradition de l’Église est contraire à cette position en nommant ainsi la
troisième Personne de la Trinité : Esprit-Saint. |
[863] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod spiritus est nomen positum ad significandum subtilitatem
alicujus naturae ; unde dicitur tam de corporalibus quam de incorporeis: aer
enim spiritus dicitur propter subtilitatem ; et exinde attractio aeris et
expulsio dicitur inspiratio et respiratio ; et exinde ventus etiam dicitur
spiritus ; et exinde etiam subtilissimi vapores, per quos diffunduntur
virtutes animae in partes corporis, dicuntur spiritus ; et similiter
incorporea propter suam subtilitatem dicuntur spiritus ; sicut dicimus
Spiritum Deum, et Angelum, et animam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le terme ¨esprit¨ est le nom posé pour signifier la subtilité d’une
nature ; c’est pourquoi on le dit aussi bien des réalités
corporelles que de celles qui sont incorporelles : l’air est appelé
esprit en raison de sa subtilité ; et c’est de là que l’entrée de l’air
et sa sortie sont appelées inspiration et respiration ; et c’est pourquoi
le vent aussi est appelé esprit ; et c’est pourquoi encore les vapeurs
les plus subtiles par lesquelles se répandent les puissances de
l’âme dans les parties du corps s’appellent aussi esprits ; et de la
même manière les réalités incorporelles, en raison de leur subtilité, sont
appelées esprits. C’est ainsi en effet que nous atribuons à Dieu, à l’Ange et
à l’âme humaine le nom d’esprit. |
Et inde est etiam quod dicimus duos homines amantes se, et
concordes, esse unius spiritus vel conspiratos ; sicut etiam dicimus eos esse
unum cor et unam animam ; sicut dicitur Eth. IX, cap. X : proprium amicorum
est, unam animam in duobus corporibus esse. Subtilitas autem dicitur per
remotionem a materialitate ; unde ea quae habent multum de materia vocamus
grossa, sicut terram ; et ea quae minus, subtilia, sicut aerem et ignem. Unde
cum removeri a materia magis sit in incorporeis, et maxime in Deo,
spiritualitas secundum rationem significationis suae per prius invenitur in
Deo, et magis in incorporeis quam in corporalibus ; quamvis forte secundum
impositionem nominis spiritualitas magis se teneat ad corporalia, eo quod
nobis qui nomina imposuimus, eorum subtilitas magis est manifesta. |
Et c’est pourquoi nous disons
encore de deux hommes qui s’aiment et qui sont d’accord qu’ils sont d’un même
esprit ou qu’ils sont en harmonie, tout comme nous disons encore qu’ils sont
un seul cœur et une seule âme ; tout comme on le dit le Philosophe [
1X Éth. Ch. X] : le propre des amis est d’être une seule âme
dans deux corps. Mais la subtilité se dit par opposition à la
matérialité ; c’est pourquoi les choses dont la matière est abondante,
par exemple la terre, sont appelées grossières alors que celles qui en ont
peu, comme l’air et le feu, sont appelées subtiles. Donc, puisque le fait
d’être éloigné de la matière se retrouve davantage dans les réalités
incorporelles et surtout en Dieu, la spiritualité, en raison de sa
signification se retrouve premièrement en Dieu, et davantage dans les
réalités incorporelles que dans celles qui sont corporelles ; bien que
selon l’imposition du nom la spiritualité se tienne peut-être davantage du
côté des réalités corporelles du fait que pour nous qui imposons les noms,
leur subtilité nous est davantage manifeste. |
Secundum hoc igitur dico, quod Spiritus, inquantum nominat
subtilitatem naturae, commune est tribus personis ; sed duplici ratione
nominatur Spiritus sanctus a spiritualitate. Una et praecipua est, ut credo, quia per ipsum et dona
ipsius in participationem divinae spiritualitatis trahimur, inquantum a
temporalibus removemur. Unde contemptores temporalium spirituales dicuntur:
et hoc convenit sibi inquantum procedit ut amor, qui habet rationem primi
doni in quo omnia dona donantur. Alia ratio est quia est amor Patris in Filium, quo se
diligunt ; et amantem et amatum dicimus in spiritu uniri. |
D’après cela je dis donc que
l’Esprit, selon qu’il nomme une subtilité de nature, est commun aux trois
Personnes ; mais c’est pour deux raisons que l’Esprit-Saint se dénomme à
partir de la spiritualité. La première et la principale
est, comme je crois, que c’est par Lui est ses dons que nous sommes attirés à
participer à la spiritualité divine selon que nous nous éloignons des choses
temporelles. C’est pourquoi ceux qui méprisent les choses temporelles sont appelés
spirituels : et cela convient à l’Esprit-Saint selon qu’Il procède en
tant qu’amour, Lequel a raison de premier don dans lequel tous les dons sont
distribués. L’autre raison est que
l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils par Lequel Ils s’aiment :
et nous disons que l’amant et l’aimé sont unis en esprit. |
[864] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod hoc quod dico, Spiritus sanctus, potest dupliciter
considerari: vel quantum ad virtutem vocabulorum, et sic convenit toti
Trinitati prout sumitur in virtute duarum dictionum ; vel quantum ad
impositionem Ecclesiae, per quam hoc impositum est ad significandum unam
personam, quasi circumlocutio unius nominis, propter defectum vocabulorum,
quia linguae nostrae deficiunt a narratione Dei ; et sic proprie convenit
Spiritui sancto. Et rationem convenientiae assignat Augustinus in Littera.
Quia enim est communitas Patris et Filii, decet ut communi nomine nominetur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsque je dis ¨Esprit-Saint¨, cette expression
peut être considéré de deux manières : soit quant à la puissance des
mots, et ainsi ce terme s’applique à toute la Trinité selon qu’il se prend
dans la puissance des deux termes ; soit quant à l’imposition qu’en a fait
l’Église et par laquelle cette expression a été imposée pour signifier une
personne, comme une circonlocution d’un nom en raison d’un manque de termes
car nos langues sont impuissantes à parler parfaitement de Dieu ; et
ainsi cette expression convient proprement à l’Esprit-Saint. Et Augustin
désigne la raison de cette convenance dans la Lettre en disant que puisqu’Il
est commun au Père et au Fils, il est juste qu’Il soit nommé par un nom
commun. |
[865] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ex ratione suae processionis Spiritus sanctus procedit ut amor
; et inquantum est amor, convenit sibi quod nominetur per spiritualitatem, ut
dictum est, in corp. art., et sic aliquo modo nomen Spiritus sancti quemdam
modum processionis exprimit, quia amoris. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que c’est en raison de sa procession que l’Esprit-Saint procède en tant
qu’amour : et en tant qu’il est amour, il lui convient qu’il soit nommé
par la spiritualité ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et
c’est ainsi que d’une certaine manière le non d’Esprit-Saint exprime un
certain mode de procession pour cette raison qu’Il est le mode de procession
de amour. |
[866] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Spiritus per prius dicitur de divinis quam de corporeis, sicut
praedictum est, loc. cit., et ideo objectio illa non tenet ; nec credo ab
illa similitudine Spiritum sanctum vocari. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’Esprit se dit des personnes divines avant de se dire des réalités
corporelles ainsi que nous l’avons dit précédemment et c’est pourquoi cette
objection ne tient pas ; et je ne crois pas que l’Esprit-Saint soit
dénommé à partir de cette similitude. |
[867] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, cap.
XII De div. Nom., § 2, col.970, sanctitas est ab omni
immunditia libera et perfecta et immaculata munditia ; et ideo
convenienter sanctitas spiritualitati adjungitur, quae etiam a materialitate
separationem dicit, ut sic per spiritualitatem designetur separatio a
materia, et per sanctitatem a materialibus defectibus. Vel dicendum, quod
natura semper eodem modo operatur ; et ideo in opere naturae non est invenire
rectum et non rectum, sicut in opere voluntatis. Et ideo convenienter sanctitas, quae rectitudinem
voluntatis importat, adjungitur processioni amoris, et non generationi, quae
est opus naturae. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. XII, &2,
col. 970] : la sainteté est détachée de toute souillure et
consiste en une propreté parfaite et sans tache ; et c’est pourquoi
la sainteté est rattachée à juste titre à la spiritualité, puisqu’elle
implique elle aussi une séparation de la matière de telle manière que par
spiritualité on désigne une séparation de la matière et que par sainteté on
signifie une séparation des défauts matériels. Ou bien il faut dire que la
nature opère toujours de la même manière ; et c’est pourquoi dans les
œuvres de la nature on ne retrouve pas du juste et de l’injuste comme dans
les œuvres de la volonté. Et c’est pourquoi la sainteté, qui implique une
rectitude de la volonté, est rattachée à juste titre à la procession de
l’amour et non à la génération qui est une œuvre de la nature. |
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Articulus 5 [868] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5
tit. Utrum
tantum tres personae sint in divinis |
Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ? |
[869] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non sint tantum tres personae in divinis. In
divinis enim non plus distat voluntas et natura, quam intellectus. Sed alia persona est
procedens per modum voluntatis vel amoris, ab illa quae procedit per modum
naturae vel generationis. Ergo adhuc debet esse alia quae procedat per modum
intellectus. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas seulement trois personnes en Dieu. En Dieu en effet il n’y a
pas plus de différence entre la volonté et la nature qu’entre l’intelligence
et la nature. Mais la personne qui procède par mode de volonté ou d’amour est
autre que celle qui procède par mode de nature ou de génération. Il doit donc
y avoir encore une autre personne qui procède par mode d’intelligence. |
[870] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 2
Praeterea, sicut Pater diligit Filium, ita etiam diligit Spiritum sanctum.
Sed amor quo Pater diligit Filium, est una persona. Ergo et amor quo diligit
Spiritum sanctum, est una persona, et ita sunt plures quam tres. |
2. Par ailleurs, tout comme
le Père aime le Fils, de même encore il aime l’Esprit-Saint. Mais l’amour par
lequel le Père aime le Fils est une Personne. Donc, l’amour par lequel il
aime l’Esprit-Saint est une autre Personne et ainsi il y a plus que trois
personnes. |
[871] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 3 Item,
sicut est perfecta bonitas et liberalitas in Patre et Filio, ita et in
Spiritu sancto. Sed propter summam bonitatem et liberalitatem convenit Patri
quod naturam suam communicet alii, quia bonum est communicativum sui. Ergo
eadem ratione Spiritus sanctus communicabit naturam suam perfecta
communicatione. Sed non perfecte communicat creaturae. Ergo communicabit alii
divinae personae. |
3. En outre, il y a dans
l’Esprit-Saint, tout comme dans le Père et dans le Fils, une parfaite bonté
et une parfaite liberté. Mais en raison de son excellente bonté et de son
excellente liberté, il revient au Père de communiquer sa nature à un autre,
car il est dans la nature du bien de se communiquer. Donc pour la même raison
l’Esprit-Saint communiquera sa nature par une parfaite communication. Mais il
ne la communique pas parfaitement à la créature. Il la communiquera donc à
une autre personne divine. |
[872] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, in
Deo non tantum est natura et voluntas, sed plura alia attributa, quorum
unumquodque habet rationem principii. Sed voluntati et naturae respondet
aliqua processio, inquantum habent rationem principii. Ergo etiam et aliis
attributis respondebunt aliae processiones, secundum quas multiplicabuntur
personae multo plures quam tres. |
4. De plus, il n’y a pas
seulement en Dieu la nature et la volonté, mais plusieurs autres attributs
dont chacun a raison de principe. Mais à la nature et à la volonté correspond
respectivement une procession selon qu’elles ont raison de principe. Donc
d’autres processions correspondront aussi aux autres attributs, processions
selon lesquelles se multiplieront les personnes en un nombre plus
grand que trois. |
[873] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed
contra, videtur quod sint tantum duae. Personae enim non distinguuntur nisi
secundum relationes originis. Sed relatio originis est secundum quam aliquis
est ab alio. Ergo videtur quod sit tantum una persona, quae sit ens ab alia,
et reliqua a qua est alius. Ergo sunt tantum duae personae. |
5. Il semble cependant qu’il
n’y ait que deux Personnes en Dieu. Les Personnes en effet ne se distinguent
que par les relations d’origine. Mais une relation d’origine est celle selon
laquelle un être vient d’un autre. Il semlbe donc qu’il n’y ait qu’une
personne qui soit un être qui vient d’un autre et que le reste soit celle
d’où vient cet autre. Il n’y a donc que deux Personnes en Dieu. |
[874] Super Sent., lib.
1 d. 10 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod non sunt nisi tres personae in divinis. Et ratio hujus est,
quia in divinis propter essentiae simplicitatem non potest esse distinctio
secundum aliquod absolutum, sed secundum relationem, et tantum secundum
relationem originis, ut infra probabitur, dist. 26, quaest. 2, art. 2. Item,
relatio originis non potest constituere personam, si significet in communi ;
sed oportet quod significet aliquid proprium et determinatum. Habet enim se
loco differentiae constitutivae respectu personae, quam oportet esse
propriam. |
Corps de l’article ; Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a que trois Personnes en Dieu. Et la raison en est qu’il ne peut y
avoir en Dieu, en raison de la simplicité de l’essence, une distinction selon
quelque chose d’absolu, mais seulement selon la relation, et seulement selon
la relation d’origine ainsi qu’on le prouvera plus loin [dist. 26, quest. 2,
art. 2.]. En outre la relation d’origine ne peut constituer la Personne si
elle signifie dans l’universel, mais il faut qu’elle signifie quelque chose
de propre et de déterminé. Elle tient lieu en effet de différence
constitutive, laquelle doit être propre, par rapport à la personne. |
Item, quia persona est nomen dignitatis, oportet
quod illa relatio sit ad dignitatem pertinens. Sic ergo oportet tria
considerare in constituentibus personas, scilicet quod sit relatio originis,
quod sit propria, quod sit ad dignitatem pertinens |
De plus, parce que ¨personne¨
est un nom de dignité, il faut que cette relation concerne la dignité. Ainsi
donc il faut considérer trois choses dans ce qui constitue les personnes, à
savoir qu’il y ait une relation d’origine, qu’elle soit propre et qu’elle
concerne la dignité. |
Relatio autem originis in communi importatur in his
duobus, qui ab alio, et a quo alius. Hoc etiam quod dico, a quo alius, est
quidem ad dignitatem pertinens, sed commune est. Unde oportet, ad hoc
quod constituat personam, quod determinetur per specialem modum
originis. In divinis autem non potest esse nisi duplex modus originis,
secundum quod omne agens dividitur in agens a natura et agens a voluntate: et
istae actiones inventae in creaturis, ut supra dictum est, dist. 4, quaest.
1, art. 1, reducuntur, ut in causam et exemplar, in duas processiones in
divinis, quarum una est per modum naturae et vocatur generatio, et alia per
modum voluntatis et vocatur spiratio, ut supra dictum est, loc. cit. Oportet
igitur ita specificare, a quo alius per generationem, a quo alius per
spirationem. |
Mais la relation
d’origine prise dans l’universel est introduite dans ces expressions, à
savoir ¨celui qui vient d’un autre¨ et ¨ celui d’où il vient¨. Et ce que je
dis, à savoir ¨celui d’où il vient¨, concerne certes la dignité, mais est
universel. C’est pourquoi il faut, pour que cela constitue la personne, que
l’expression soit déterminée par un mode particulier d’origine. Mais en Dieu
il ne peut y avoir que deux modes d’origine, selon que tout agent se divise
soit en agent par nature, soit en agent par volonté: et ces actions qu’on
trouve dans les créatures, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4,
quest. 1, art. 1], se ramènent, comme dans leur cause et leur modèle, aux
deux processions qui sont présentes en Dieu dont l’une se fait par mode de
nature et qu’on appelle la génération alors que l’autre se fait par mode de
volonté et qu’on appelle spiration ainsi que nous l’avons dit dans la référence
que nous venons de citer. Il faut donc préciser ¨celui d’où vient l’autre¨
par génération et ¨celui d’où vient l’autre¨ par spiration. |
Haec autem duo non habent repugnantiam: quia idem potest
esse principium plurium diversis modis. Unde ex hoc non constituentur duae
personae, sed una tantum ; quia nihil habet virtutem distinguendi, nisi quod
habet aliquam rationem oppositionis. Sic igitur habemus unam personam, a qua
est aliquis per generationem et spirationem, sicut Pater. Si autem accipiamus
aliud, scilicet, qui est ab alio, quamvis importet relationem originis, tamen
non sufficit ad constituendam personam: tum quia commune est, tum quia nihil
dignitatis importat. Esse enim ab alio potest aliquid vel nobili vel ignobili
modo. |
Mais ces deux formes de
relations d’origine ne s’opposent pas : car le même agent peut être le
principe de plusieurs effets selon différentes modalités. C’est pourquoi à
partir de là ce ne sont pas deux personnes qui sont constituées, mais
seulement une seule ; car rien n’a la capacité d’être distingué s’il ne
contient pas en lui une cause d’opposition. Ainsi donc nous avons une
personne de laquelle vient une autre personne par génération et
par spiration, à savoir le Père. Mais si nous prenons l’autre terme de la
relation, à savoir celui qui vient de l’autre, bien qu’il implique une
relation d’origine, cependant il ne suffit pas à constituer une Personne,
tant parce qu’il est commun que parce qu’il n’implique rien de la dignité.
Quelque chose en effet peut venir d’un autre soit d’une manière honorable,
soit d’une manière méprisable. |
Unde oportet ad hoc
quod constituatur persona, quod determinetur per specialem modum ad
dignitatem pertinentem ; et isti sunt tantum duo in divinis, et ideo
oportebit ita dicere: qui est ab alio per generationem, et qui est ab alio
per spirationem. Ista autem duo non possunt
uni convenire, quia una res habet tantum unum modum quo oritur ex alio. Non
enim idem in specie est a natura et ab arte, nec per putrefactionem et
seminationem. Et ideo erit una persona quae est ab alia per generationem, et
hic est Filius ; et alia quae est ab alia per spirationem, et hic est
Spiritus sanctus. Et cum istae relationes non possint multiplicari secundum
numerum, ita quod remaneat unitas in specie, eo quod non est ibi aliqua
divisio materialis, oportet quod sint tantum tres personae. |
D’où il faut, pour que soit
constituée la Personne, qu’elle soit déterminée par un mode particulier qui
concerne la dignité ; et il n’y a que deux mode de cette sorte en Dieu,
et c’est pourquoi il faudra parler de la manière suivante : celui qui
vient d’un autre par génération et celui qui vient d’un autre par spiration.
Mais ces deux modes particuliers ne peuvent s’appliquer à un seul, car une
même réalité ne possède qu’une seule modalité par laquelle elle provient
d’une autre. En effet, ce qui vient de la nature et ce qui vient de l’art
n’est pas identique par l’espèce, ni ce qui est le résultat d’une
putréfaction et d’une reproduction. Et c’est pourquoi il n’y aura qu’une
seule personne qui vient d’une autre par génération, et celle-ci est le Fils,
et une seule autre qui vient d’une autre par spiration, et celle-là est
l’Esprit-Saint. Et puisque ces relations ne peuvent se multiplier selon le
nombre de manière à ce que soit conservée l’unité dans l’espèce du fait qu’il
ne peut y avoir là de division matérielle, il faut qu’il n’y ait que trois
Personnes en Dieu. |
[875] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod processio intellectus et naturae habent quamdam
similitudinem per quam distinguuntur a processione per modum voluntatis.
Potest enim procedere aliquid ab uno vel a pluribus [Potest… pluribus om.
Éd. de Parme]. Quod autem procedit per modum naturae, procedit ut ab uno,
si illud perfectum sit ; et similiter quod procedit per modum intellectus ;
non enim plures homines habent unam conceptionem in numero. Et ita Filio, qui
est tantum ab uno, scilicet a Patre, attribuitur uterque modus ; procedit
enim per modum naturae ut Filius, et per modum intellectus ut Verbum. Sed
voluntas tendit in alium, et potest esse reciprocatio, ut ex duobus una
voluntatis procedat conformitas, quae est unio utriusque. Et ideo procedere
per modum voluntatis convenit Spiritui sancto, qui procedit a duobus, uniens
eos, inquantum sunt distinctae personae. Inquantum enim sunt una essentia,
uniuntur per essentiam ; et secundum hoc est inter eos amor essentialis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la procession de l’intelligence et celle de la nature ont
quelque ressemblance par laquelle elles se distinguent de la procession par
mode de volonté. Quelque chose en effet peut procéder d’un seul ou de
plusieurs [peut…plusieurs om. Éd. de Parme]. Mais ce qui procède par mode de
nature ne procède que d’un seul si celui-ci est parfait ; et il en est
de même pour ce qui procède par mode d’intelligence ; en effet,
plusieurs hommes ne possèdent pas une même conception numériquement parlant.
Et ainsi au Fils, qui ne provient que d’un seul et même principe, à savoir le
Père, on attribue les deux modes : il procède en effet du Père par mode
de nature comme Fils et il en procède par mode d’intelligence comme Verbe.
Mais la volonté tend vers un autre et il peut y avoir réciprocité de telle
manière que de deux personnnes procède une conformité de volonté qui est
l’union des deux. Et c’est pourquoi il appartient à l’Esprit-Saint de
procéder par mode de volonté, Lui qui procède de deux Personnes en les
unissant en tant qu’elles sont deux Personnes distinctes. En effet, en tant
que les deux Personnes sont une même essence, elles sont unies par l’essence
et conformément à cela il y a entre elles un amour essentiel. |
[876] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod, sicut est in inferioribus, quod non alio actu potentia fertur
in objectum et in actum suum, eodem enim actu intellectus intelligit se et
intelligit se intelligere ; ita etiam cum Spiritus sanctus procedat ut amor
quo Pater amat Filium, non oportet quod sit alius amor quo amet illum amorem
; et praecipue cum ille amor non differat ab isto nisi secundum numerum, et
non secundum rationem. Et talis diversitas in divinis non potest esse, ut
supra, dist. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme dans les réalités inférieures ce n’est pas par un acte
différent que la puissance est conduite à son objet et à son acte : en
effet, c’est par le même acte que l’intelligence se comprend et qu’elle
comprend qu’elle se comprend ; de même encore lorsque l’Esprit-Saint procède
en tant qu’amour par lequel le Père aime le Fils, il ne faut pas qu’il y ait
un autre amour par lequel il aime cet amour ; et surtout puisque cet
amour ne diffère de celui-là que par le nombre et non par la raison ; et
une telle diversité ne peut exister en Dieu comme nous l’avons prouvé plus
haut [dist. 9, quest. 1, art. 1]. |
[877] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod liberalitas et bonitas sunt essentialia ; essentialia autem
non sunt principia actuum notionalium, nisi secundum quod ipsa essentia est
idem re quod proprietas vel notio, ut supra, dist. 2, quaest. unica, art. 3,
dictum est. Unde bonitas vel liberalitas in Patre, non est principium
generationis, nisi inquantum bonitas est sua paternitas ; in Filio autem bonitas
non est Paternitas sed filiatio. Unde eadem bonitate et liberalitate Pater
generat, et Filius generatur, et Pater spirat, et Spiritus sanctus spiratur.
Unde secundum Augustinum, lib. III Contra Maximinum, c.
XVIII, § 3, col. 786, cum dico, de quo est, est quaestio originis
et non aequalitatis ; sed cum quaeritur, qualis vel quantus. Et ideo per hoc
quod Spiritus sanctus non producit aliam personam, non est minoris
liberalitatis vel bonitatis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la liberté et la bonté sont des attributs essentiels ; mais les
principes des actes notionnels ne sont essentiels que selon que l’essence
même est identique par la chose à la propriété ou à la notion, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 2, question unique, art. 3]. C’est pourquoi la
liberté ou la bonté dans le Père n’est principe de génération que selon que
la bonté est sa Paternité ; mais dans le Fils la bonté n’est pas la
Paternité mais la Filiation. C’est pourquoi c’est par la même bonté et la
même liberté que le Père engendre et que le Fils est engendré, et que le Père
spire et que l’Esprit-Saint est spiré. C’est pourquoi, comme Augustin
[111, Contre Maximin, ch. XVIII, & 3, col. 786], lorsque je
dis ceci, à savoir d’où il vient, la question en est une
d’origine et non d’égalité comme lorsque la question porte sur la qualité et
la quantité. Et c’est pourquoi l’Esprit-Saint n’est pas d’une moins grande
liberté ou bonté par cela même qu’il ne produit pas une autre personnes. |
[878] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod omnia attributa divina sunt principium productionis per modum
efficientis exemplaris ; sicut bonitatem omnia bona imitantur, et essentiam
omnia entia, et sic de aliis. Unde omnis illa processio est per modum naturae
; et ideo non oportet esse plures modos processionis in divinis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tous les attributs divins sont principes de production par mode de
modèle efficient ; par exemple tous les biens imitent la Bonté et tous
les êtres imitent l’Essence et il en est de même pour les autres. C’est
pourquoi toute cette procession a lieu par mode de nature ; et c’est
pourquoi il ne faut pas qu’il y ait plusieurs modes de procession
en Dieu. |
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Distinctio 11 |
Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint] |
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Prooemium |
Prologue |
[881] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 pr. Hic determinat de processione Spiritus sancti quantum ad suum
principium ; et dividitur in duas partes : in prima ostendit, spiritum
sanctum procedere a patre et filio ; in secunda inquiritur utrum aequaliter
ab utroque procedat, 12 dist. : item quaeritur, cum Spiritus sanctus a patre
procedat et a filio, utrum prius vel magis processerit a patre quam a filio.
Prima in duas : in prima probat veritatem ; in secunda excludit errorem, ibi
: Graeci tamen dicunt, spiritum sanctum procedere tantum a patre et non a
filio. Quae dividitur in duas : in
prima ostendit Graecorum controversiam ; in secunda reducit ad concordiam
intellectus, ibi : sciendum tamen est, quod Graeci confitentur spiritum sanctum
esse filii, sicut et patris. Prima in duas : in prima ponit objectionem
Graecorum ; in secunda solutionem, ibi : nos autem illa verba ita
determinamus. Sciendum tamen, quod Graeci confitentur spiritum sanctum esse
filii, sicut et patris. Hic ostendit Graecorum concordiam ad Latinos quantum
ad sensum, quamvis in verbis sit differentia ; et circa hoc duo facit : primo
ostendit quod Graeci concedunt, spiritum sanctum esse a filio in suo
aequivalenti, quia scilicet concedunt eum esse filii ; secundo ostendit per
multas auctoritates doctorum Graecorum, quod etiam concedunt spiritum sanctum
expresse esse a filio, ibi : unde et quidam eorum Catholici doctores (...)
professi sunt spiritum sanctum etiam procedere a filio. |
Il traite ici de la
procession de l’Esprit-Saint quant à son principe ; et cette section se
divise en deux parties : dans la première il montre que l’Esprit-Saint
procède du Père et du Fils ; dans la deuxième, à la distinction 12, on
se demande s’Il procède des deux d’une manière égale : on se demande en
outre, puisque l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, s’Il procède
antérieurement ou davantage du Père que du Fils. La première partie se divise
elle-même en deux parties : dans la première il prouve la vérité ;
dans la deuxième il écarte une erreur, là où il dit : les Grecs disent
cependant que l’Esprit-Saint procède seulement du Père et non du Fils. Cette dernière partie se
divise en deux : dans la première il montre cette difficulté provenant
des Grecs ; dans la deuxième il la ramène à un accord de l’intelligence,
là où il dit : il faut cependant savoir que les Grecs confessent que
l’Esprit-saint appartient au Fils tout comme il appartient au Père. La
première partie se divise en deux : dans la première il présente
l’objection des Grecs ; dans la deuxième il présente la réponse, là où
il dit : mais nous répondons ainsi à ces paroles. Il faut cependant
savoir que les Grecs confessent que l’Esprit-Saint appartient au Fils tout
comme il appartient au Père. Il montre ici l’accord qu’il y a entre les Grecs
et les Latins quant au sens, bien qu’il y ait une différence quant aux
paroles elles-mêmes ; et à ce sujet il fait deux choses :
premièrement il montre que les Grecs concèdent que l’Esprit-Saint vient du
Fils dans son égalité, c’est-à-dire parce qu’ils concèdent qu’il appartient
au Fils ; deuxièmement il montre par de nombreux témoignages des
docteurs Grecs qu’ils concèdent même clairement que l’Esprit-Saint vient du
Fils, là où il dit : c’est pourquoi certains d’entre eux, comme les docteurs
Catholiques (…), ont confessé que l’Esprit-Saint procède aussi du Fils. |
Ad intelligentiam hujus partis
quatuor quaeruntur : 1 utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio ; 2
dato quod sic, utrum procedat ab eis inquantum sunt unum, vel inquantum sunt
plures. Et si inquantum unum ; 3 quaeritur utrum inquantum sunt unum in
essentia, vel inquantum sunt unum in aliqua notione ; 4 utrum possint dici Pater et Filius unus spirator. |
Pour comprendre cette partie
on pose quatre questions : 1. Est-ce que l’Esprit-Saint
procède du Père et du Fils ? 2. Si on accorde qu’il en est
ainsi, est-ce qu’il procède d’eux en tant qu’ils sont un ou en tant qu’ils
sont plusieurs personnes ? 3. Et si c’est en tant qu’ils
sont un, est-ce en tant qu’ils sont un dans l’essence ou en tant qu’ils sont
un dans une notion ? 4. Est-ce qu’on peut dire du
Père et du Fils qu’ils ne sont qu’une seule et même
spiration ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La procession de l’Esprit Saint] |
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Articulus 1 [882]
Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a
Patre et Filio |
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils ? |
[883] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non procedat a Filio, sed
tantum a Patre. Dionysius [de divin.nomin. cap.II] quod Pater quidem est
fontana deitas, Filius et Spiritus sanctus deigenae deitatis, si ita oportet
dicere, pullulationes sunt, et sicut flores divinae naturae, et sicut divina
lumina, a sanctis eloquiis accepimus. Sed pullulatio non est a pullulatione,
nec flos a flore. Ergo nec Spiritus sanctus a Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils mais seulement du Père. Denys [Les
Noms Divins, ch. 11] dit que le Père est certes la source de la divinité,
et que le Fils et l’Esprit-Saint sont comme la descendance de Dieu, s’il faut
parler ainsi, et ses rejetons, et nous admettons des Écrivains
sacrés qu’ils sont comme les fleurs de la nature divine et comme des lumières
divines. Mais un rejeton ne vient pas d’un rejeton ni une fleur ne vient
d’une fleur. Donc l’Esprit-Saint ne vient pas du Fils. |
[884] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, in Legenda B. Andreae dicitur : Pax vobis et universis qui credunt
in unum Deum Patrem, et in unum Filium ejus Dominum nostrum Jesum, et in unum
Spiritum sanctum procedentem ex Patre, et in Filio permanentem. Quod autem permanet in
aliquo procedens ab alio, non procedit ab eo in quo permanet ; alias non
diceretur manere in eo. Ergo Spiritus
sanctus non procedit a Filio. |
2. Par ailleurs on dit dans
la Légende de Saint-André : Paix à vous et à tous ceux qui croient en un
seul Dieu le Père, et en son Fils unique notre Seigneur Jésus, et en un seul
Esprit-Saint qui procède du Père et demeure dans le Fils. Mais ce
qui demeure dans un être en procédant d’un autre ne procède pas de celui dans
leqel il demeure, autrement on ne dirait pas qu’il demeure en lui. Donc,
l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils. |
[885] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
Damascenus, [de Fid. Orth., c. VII] : Spiritum sanctum ex Patre dicimus, et
Spiritum patris nominamus ; ex Filio autem Spiritum non dicimus, Spiritum
vero Filii nominamus. Ergo et cetera. |
3. En outre, Damascène [De
la Foi Orthodoxe, ch. VII] dit : Nous disons que l’Esprit-Saint
vient du Père et nous l’appelons l’Esprit du Père ; nous ne disons pas
cependant que l’Esprit vient du Fils, mais nous l’appelons néanmoins l’Esprit
du Fils. Donc, etc. |
[886] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, hoc videtur per quasdam similitudines. Spiritus enim corporalis, quo verbum vocale profertur, non
procedit a verbo, immo utrumque a loquente. Ergo nec Spiritus sanctus
procedit a Filio, qui est Verbum ; sed utrumque a Patre. |
4. De plus, cela se voit par
certaines similitudes. En effet l’esprit corporel, par lequel le verbe vocal
est proféré, ne procède pas du verbe mais bien plutôt les deux procèdent de
celui qui parle. Donc, l’Esprit-saint ne procède pas du Fils qui est le
Verbe, mais les deux procèdent du Père. |
[887] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, ex
sole procedit splendor et calor, ita quod neutrum ex altero. Sed Filius est
splendor Patris, Hebr. 1, Spiritus sanctus autem est sicut calor, cum sit
amor. Ergo et cetera. |
5. Par ailleurs, l’éclat et
la chaleur procèdent du soleil de telle manière qu’aucun des deux ne procède
de l’autre. Mais le Fils est la splendeur du Père [Épître aux Hébreux,
1], mais l’Esprit-Saint est comme sa chaleur puisqu’Il est amour. Donc, etc. |
[888] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 Item,
videmus quod illud quod procedit corporaliter, procedit ex uno loco in alium,
et non ex illis duobus. Ergo et Spiritus sanctus procedit ex Patre in Filium,
et non ex Patre et Filio. |
6. En outre, nous voyons que
ce qui procède corporellement, procède d’un lieu à un autre et non de ces
deux lieux. Donc l’Esprit-Saint procède du Père vers le Fils et non du Père
et du Fils. |
[889] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, hoc videtur ratione. Nullum enim simplex potest esse a duobus ; alias enim
effectus esset simplicior causa, quod est impossibile. Sed Spiritus sanctus
est simplex. Ergo non est a duobus. |
7. De plus, cela se voit
aussi par raisonnement. En effet, rien de ce qui est simple ne vient d’une
dualité, car autrement en effet l’effet serait plus simple que sa cause, ce
qui est impossible. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il ne vient donc pas
d’une dualité, c’est-à-dire du Père et du Fils. |
[890] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 8
Praeterea, Spiritus sanctus non minus convenit cum Patre quam Filius, nec
minoris est dignitatis. Si igitur Filius communicat cum Patre in spiratione
Spiritus sancti, videtur quod Spiritus sanctus communicet cum Patre in
generatione Filii, et hoc est falsum. Ergo et primum. |
8. En outre, l’Esprit-Saint
n’est pas moins uni au Père que le Fils et qu’il ne possède pas moins de
dignité que Lui. Si donc le Fils communique avec le Père dans la spiration de
l’Esprit-Saint, il semble que l’Esprit-Saint communique avec le Père dans la génération
du Fils, et cela est faux. Donc, puisque ce conséquent est faux, l’antécédent
l’est aussi. |
[891] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 9
Praeterea, aut Pater perfecte spirat Spiritum sanctum, aut non. Si non, ergo
est aliqua imperfectio in Patre, quod est impossibile. Si perfecte, ergo
superfluus est alius spirans. In divinis autem nihil est superfluum. Ergo
Filius non spirat Spiritum sanctum. |
9. Par ailleurs, ou bien le
Père est l’agent parfait de la spiration de l’Esprit-Saint, ou bien il ne l’est
pas . S’il ne l’est pas, il y a donc une imperfection dans le Père, ce qui
est impossible. Mais s’il en est l’agent parfait, un autre agent de spiration
serait donc inutile. Mais il n’y a rien d’inutile en Dieu. Le Fils n’est donc
pas un agent de spiration de l’Esprit-Saint. |
[892] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium sunt multae auctoritates in Littera
positae. |
Cependant : 1. De nombreux témoignages
présentés dans le Document affirment le contraire. |
[893] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Idem
ostenditur per similitudinem. Quia in anima est imago Trinitatis. Sed amor in
anima, qui repraesentat Spiritum sanctum, procedit a notitia, quae
repraesentat Filium. Ergo in divinis Spiritus sanctus procedit a Filio. |
2. La même chose est
manifestée par la similitude de l’âme qui est une image de la Trinité. Mais
l’amour dans l’âme, lequel représente l’Esprit-Saint, procède d’une
connaissance qui représente le Fils. Donc en Dieu l’Esprit-Saint procède du
Fils. |
[894] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 3 Item, omnis amor procedit ab amante. Sed Spiritus sanctus [amor add. Ed de Parme] est Patris et
Filii, secundum auctoritatem Damasceni inductam. Ergo procedit ab
utroque [ut amor ipsorum. om. Ed. de Parme]. |
3. En
outre, tout amour procède d’un amant. Mais l’Esprit-Saint [l’amour add.
Éd. de Parme] est l’amour du Père et du Fils selon le témoignage
introduit par Damascène. Il procède donc des deux [en tant qu’amour
communiqué entre ces deux Personnes om. Éd. de Parme]. |
[895] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum simpliciter, quod Spiritus sanctus
procedit a Filio. Hoc enim remoto, inevitabiliter removetur distinctio Filii
et Spiritus sancti. Cum enim divinae personae secundum nihil absolutum
distinguantur, oportet quod omnis ipsarum distinctio sit secundum relationes
originis. Unde si Spiritus sanctus et
Filius non distinguerentur per hoc quod unus est ab alio, oporteret quod
uterque esset una persona. Nec hoc remoto posset dici quod distinguerentur
personaliter Filius et Spiritus sanctus per diversum modum procedendi a
patre, ut quod Filius procederet per modum naturae, et Spiritus sanctus per
modum voluntatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut
absolument dire que l’Esprit-Saint procède du Fils. En effet, si on rejette
cette affirmation, la distinction entre le Fils et l’Esprit-Saint est
nécessairement abolie. En effet, puisque les Personnes divines ne se
distinguent par rien d’absolu, il faut que toute distinction qu’il y ait
entre elles tienne à des relations d’origine. C’est pourquoi, si
l’Esprit-Saint et le Fils ne se distinguaient pas par le fait que l’un vient
de l’autre, il s’ensuivrait que les deux ne seraient plus qu’une seule et
même personne. Et cela rejeté, on ne pourrait dire que le Fils et
l’Esprit-Saint se distingueraient personnellement par une manière différente
de procéder du Père et qui serait telle que le Fils procéderait du Père par
mode de nature et l’Esprit-Saint par mode de volonté. |
Ille enim modus diversus aut haberet [diceret Éd. de
Parme] diversitatem per oppositionem relationis, et sic rediret idem quod
prius : aut diceret diversitatem in absolutis ; et tunc vel realem
diversitatem, et sic esset compositio in Deo ; vel diversitatem rationum, et
sic non posset esse inter Filium et Spiritum sanctum nisi diversitas rationis
; et hoc non sufficit ad distinctionem personarum, ut supra dictum est, dist.
2, quaest. Unic., art. 5. Et ideo cum Filius non sit a Spiritu sancto,
relinquitur quod Spiritus sanctus sit a Filio. |
Ce mode différent de
procéder présenterait [signifierait Éd. de Parme] en
effet une diversité par l’opposition de relation, et ainsi elle reviendrait à
ce qui précède : ou bien elle signifierait une diversité par quelque
chose d’absolu ; et alors on aurait ou bien une diversité réelle et
ainsi il y aurait composition en Dieu, ou bien on aurait une diversité de
raisons et ainsi on ne retrouverait plus entre le Fils et
l’Esprit-Saint qu’une diversité de raison et cela ne suffit pas à distinguer
les Personnes ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. unique,
art. 5]. Et c’est pourquoi, puisque le Fils ne vient pas de l’Esprit-Saint,
il reste que l’Esprit-Saint vient du Fils. |
[896] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod locutiones illae sunt symbolicae ; et ideo ex eis non
procedit argumentum, sicut idem Dionysius dicit in Epistola ad Titum ; quia
symbolica theologia non est argumentativa. Est autem similitudo quantum ad
aliquid, scilicet quod flores sunt ab uno ; non tamen quantum ad omnia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ces expressions sont symboliquees ; et c’est pourquoi à
partir d’elles on ne peut procéder par argumentation, comme le dit aussi
Denys dans l’Épître à Tite ; car la théologie symbolique
n’est pas argumentative. Mais il y a ressemblance sous un rapport, à savoir
que les fleurs viennent d’un principe unique ; mais il n’y a pas
ressemblance sous tous les rapports. |
[897] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur manere in filio, non quod sit
distinctus ab eo, sed quia virtus spirativa est in Patre, et a Patre est in
Filio, sicut et omnia quae Filius habet, et ibi manet, et non procedit
ulterius, quia Spiritus sanctus non habet virtutem spirandi, ut scilicet
spiret, sed ut spiretur, ut supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, de
potentia generativa Filii. Vel dicendum, quod intelligitur de Filio secundum
naturam assumptam, in quo nihil fuit contrarium gratiae Spiritus sancti ; et
ideo in ipso dicitur quiescere, sicut etiam dicitur habitare in sanctis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint demeure dans le Fils, on ne veut
pas dire qu’il y est comme distinct de Lui, mais parce que la puissance de
spiration est dans le Père et que par le Père elle est dans le Fils, comme
tout ce que possède le Fils et y demeure sans procéder ultérieurement, car
l’Esprit-Saint ne possède pas la puissance de spiration de telle manière que
Lui-même ne spire pas mais est spiré seulement, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] au sujet de la puissance de génération du
Fils. Ou bien il faut dire qu’on l’entend du Fils au sujet de la nature qu’il
a prise et dans laquelle il ne fut contraire en rien à la grâce de l’Esprit-Saint ;
et c’est pourquoi on dit que l’Esprit-Saint repose dans le Fils, tout comme
on dit aussi qu’il habite dans les bienheureux. |
[898] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Damasceno in hac parte non creditur, quia dicitur fuisse
tempore illo quo incepit controversia super hac quaestione inter Graecos et
Latinos. Tamen
non negat quin sit ex filio ; sed dicit se non concedere quod sit a filio,
quia adhuc apud eos in dubio vertebatur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on n’adhère pas à la position de Damascène en ce point car il a
existé à cette époque dans laquelle a commencé la controverse sur cette
question entre les Grecs et les Latins. Cependant il ne nie pas que
l’Esprit-Saint procède du Fils, mais plutôt il dit qu’il ne concède pas qu’Il
vienne du Fils car c’est encore dans le doute qu’il se tournait vers eux. |
[899] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod verbum est duplex, scilicet vocale, et verbum mentis ; et
duplici verbo respondet duplex spiritus. Verbo enim vocali respondet spiritus
corporalis, verbo mentali spiritus amoris intimi. Unde dico, quod Verbum,
secundum generationem aeternam est simile verbo mentali ; et ideo a verbo
procedit Spiritus sanctus, sicut a verbo mentali amor. Sed Filius, secundum
quod carnem assumpsit, habet similitudinem verbi vocalis ; et sicut formatio
vocis fit per aerem respiratum, ita incarnatio Verbi facta est operatione
Spiritus sancti. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu qu’il y a deux sortes de verbes : le verbe vocal et le
verbe mental ; et à ces deux verbes correspondent deux esprits. Au verbe
vocal correspond l’esprit corporel et au verbe mental correspond l’esprit
d’un amour intime. C’est pourquoi je dis que le Verbe, selon sa génération
éternelle, est semblable au verbe mental ; et c’est pourquoi
l’Esprit-Saint procède du Verbe comme l’amour procède du verbe mental. Mais
le Fils, selon qu’Il a pris chair, partage quelque ressemblance avec le verbe
vocal ; et tout comme la formation de la voix se fait par l’air qui est
respiré, de même l’incarnation du Verbe est produite par l’opération de
l’Esprit-Saint. |
[900] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod in illa similitudine supponitur falsum. Calor enim procedit ex
splendore, secundum philosophos ; unde dicit Avicenna [VI De Naturalibus,
part. III,
cap. I] quod sol non facit calorem in inferioribus nisi mediante splendore. |
5. Il
faut dire en cinquième lieu qu’on suppose quelque chose de faux dans cette
similitude. La chaleur en effet procède de la splendeur selon les
philosophes; c’est pourquoi Avicenne dit [ VI Des Choses Naturelles,
part. 111, ch. 1] que le soleil ne produit la chaleur dans les choses
inférieures que par l’intermédiaire de la splendeur. |
[901] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio dicitur proprie in
divinis, sicut et generatio. Unde non sumitur a similitudine processionis
localis, quia hoc esset metaphorice dictum ; sed dicit exitum a principio.
Non autem omne quod est a principio, procedit in aliud ; sed aliquid procedit
ut in se subsistens ; et ita procedit Spiritus sanctus a Patre et Filio. |
6. Il faut dire en
sixième lieu que la procession se dit proprement de Dieu, tout comme la
generation. C’est pourquoi elle ne se tire pas de la similitude de la
procession selon le lieu, car elle se dirait alors d’une façon métaphorique,
mais elle dit plutôt la sortie ou la provenance d’un principe. Mais ce n’est
pas tout ce qui vient d’un principe qui procède dans un autre; mais il arrive
que quelque chose procède en tant que subsistant en soi-même; et
c’est ainsi que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. |
[902] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod simplex non potest
procedere a pluribus quae sunt diversa per essentiam, quorum sunt diversae
operationes. Sed Pater et Filius virtute
unius naturae spirant Spiritum sanctum unica spiratione. Et ideo qui spiratur
est simplex. |
7. Il faut dire en septième
lieu que le simple ne peut procéder d’une pluralité où il y a diversité par
essence et dont les opérations diffèrent. Mais le Père et le Fils sont les
agents d’une unique spiration de l’Esprit-Saint par la puissance d’une nature
unique. Et c’est pourquoi Celui qui est spiré est simple. |
[903] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non potest Spiritus sanctus
communicare Patri in generatione Filii duplici ratione. Primo, quia Filius procedit
per modum naturae, quia per actum generationis ; et actus naturae est unius
tantum ; sed Spiritus sanctus procedit ut amor per modum voluntatis. Sed
plures uniuntur in voluntate ad aliquem actum ; et ideo Spiritus sanctus
potest esse a Patre et Filio. Alia ratio est, quia repugnaret proprietati Spiritus
sancti, qua scilicet procedit a Patre et Filio ut amor : non enim potest esse
quod duo sint principium sibi invicem. Unde sicut Pater Filio non communicat
paternitatem, ut seipsum generet, ita nec spiritui sancto, ut Filium generet.
Sicut enim [autem Éd de Parme] est inconveniens quod aliquid generetur ex
seipso, ita etiam vel plus, quod aliquid generetur ab eo cujus est
principium. |
8. Il faut dire en huitième
lieu qu’il y a deux raisons pour lesquelles l’Esprit-Saint ne peut partager
la génération du Fils à partir du Père. Premièrement parce que le Fils
procède par mode de nature qui se fait au moyen de l’acte de
génération ; et l’acte de la nature ne relève que d’un seul
principe ; mais l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour par mode de
volonté. Et plusieurs peuvent s’unir par la volonté en vue d’un même
acte ; et c’est pourquoi l’Esprit-Saint peut provenir à la fois du Père
et du Fils. L’autre raison est que ce
partage répugnerait à la propriété de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire à celle
par laquelle Il procède du Père et du Fils en tant qu’amour : il est
impossible en effet que deux réalités soient mutuellement principes l’une de
l’autre. C’est pourquoi, tout comme le Père ne communique pas sa paternité au
Fils de sorte que ce dernier engendrerait le Père, de même il ne la
communique pas non plus à l’Esprit-Saint de sorte que ce dernier engendrerait
le Fils. En effet [mais Éd. de Parme] tout comme il est
impossible que quelque chose soit engendré à partir de soi-même, de même ou
encore plus il est impossible qu’un être soit engendré par celui dont il est le
principe. |
[904] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 9 Ad ultimum
dicendum, quod Pater perfecte spirat Spiritum sanctum. Sed quia omnis
perfectio patris communicatur filio, quae non repugnat suae proprietati, cum
nihil distinguat inter eos nisi originis relatio, oportet quod sicut
communicat sibi perfectionem divinitatis, ita etiam perfectionem spirandi.
Unde non est propter imperfectionem Patris quod Filius spiret, sed propter
perfectionem Filii, qui habet totam perfectionem Patris. Eodem enim modo posset
argui quod Filius non esset Deus, vel quod non crearet. |
9. Il faut dire finalement
que le Père est un agent parfait de la spiration de l’Esprit-Saint. Mais
parce que toute perfection du Père qui ne s’oppose pas à la propriété du
fils, est communiquée au Fils, car rien ne les distingue si ce n’est la
relation d’origine, il faut que tout comme il lui communique la perfection de
la divinité, de même il faut qu’il Lui communique aussi la perfection de la
spiration. C’est pourquoi ce n’est pas en raison d’un imperfection du Père
que le Fils est lui aussi agent de spiration, mais c’est en raison de la
perfection du Fils qui tient toute sa perfection du Père. C’est de la même
manière en effet qu’on pourrait faire difficulté en déclarant que le Fils
n’est pas Dieu ou qu’il ne crée pas. |
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Articulus 2 [905] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et
Filio inquantum sunt unum |
Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un ? |
[906] Super Sent.,
lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedit a Patre et
Filio, non inquantum sunt unum. Spiritus sanctus enim procedit ab eis ut
nexus vel unio quaedam. Sed nexus est distinctorum. Ergo procedit ab eis, ut
distincti sunt. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas du Père et du Fils en tant qu’ils sont un. En
effet l’Esprit-Saint procède d’eux en tant que lien ou union entre eux. Mais
un lien n’existe qu’entre des êtres distincts. L’Esprit-Saint procède donc
d’eux en tant qu’ils sont distincts. |
[907] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Item,
Pater et Filius diligunt se et inquantum sunt unum in essentia, et inquantum
sunt distinctae personae ; si enim per essentiam distinguerentur, adhuc
diligerent se. Diligunt autem se, inquantum sunt unum in essentia, amore
essentiali. Ergo inquantum sunt distincti in personis, amore [personali add.
Ed. de Parme] ab eis procedente. Sed hic amor est Spiritus sanctus. Ergo
Spiritus sanctus procedit ab eis, inquantum sunt distinctae personae. |
2. En outre, le Père et le
Fils s’aiment à la fois en tant qu’ils sont un dans l’essence et en tant
qu’ils sont des personnes distinctes ; si en effet ils se distinguaient
par l’essence, ils s’aimeraient encore. Mais ils s’aiment d’un amour
essentiel en tant qu’ils sont un dans l’essence. Donc, en tant qu’ils se
distinguent comme Personnes, ils s’aiment d’un amour [personnel add.
Éd. de Parme] qui procède d’eux. Mais cet amour est l’Esprit-Saint. Donc
l’Esprit-Saint procède d’eux en tant qu’ils sont des Personnnes distinctes. |
[908] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, actus sunt suppositorum. Si ergo spirare est actus Patris et Filii, oportet quod
sit actus eorum, inquantum sunt supposita distincta. Sed Spiritus sanctus
procedit ab eis per actum spirationis. Ergo procedit ab eis inquantum sunt
personae distinctae. |
3. De plus, les
actes appartiennent aux suppôts. Si donc l’acte de spiration est l’acte du
Père et du Fils, il faut que cet acte leur appartienne en tant
qu’ils sont des suppôts distincts. Mais l’Esprit-Saint procède du Père et du
Fils au moyen de l’acte de spiration. Il procède donc d’eux en tant qu’ils
sont des personnes distinctes. |
[909] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
Pater et Filius distinguuntur paternitate et filiatione. Ergo si Spiritus
sanctus procedit ab eis inquantum sunt personae distinctae, procedet a Patre
inquantum habet paternitatem et a Filio inquantum habet filiationem. [Ergo paternitate Pater
refertur ad spiritum sanctum add. Ed. de Parme]. Sed Pater paternitate
refertur ad Filium. Ergo eadem relatione, [scilicet paternitate add. Ed. de
Parme], refertur ad Filium et Spiritum sanctum, et eadem erit processio
utriusque, quod stare non potest. |
Cependant: 1. Le Père et le
Fils se distinguent par la paternité et la filiation. Donc, si l’Esprit-Saint
procède d’eux en tant qu’Ils sont des personnes distinctes, il procède du
Père en tant qu’il possède la paternité, et du Fils selon qu’il possède la
filiation. [C’est donc par la paternité que le Père se rapporte à
l’Esprit-Saint add. Éd. de Parme]. Mais c’est par la paternité
que le Père se rapporte au Fils. C’est donc par la même relation [à savoir
par la paternité add. Éd. de Parme] que le Père se rapporte au
Fils et à l’Esprit-Saint, et ainsi il n’y aura donc qu’une même procession
pour les deux, ce qu’il est impossible de soutenir. |
[910] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Item, ut dictum est, dist. 8, quaest. 5, art. 2,
nullum simplex procedit a pluribus, nisi in essentia uniantur et
operatione. Sed Spiritus sanctus est
simplex. Ergo procedit a Patre et Filio inquantum sunt unum. |
2. En outre, ainsi que nous
l’avons déjà dit [dist. 8. Quest. 5, art. 2], rien de simple ne procède d’une
multiplicité, à moins que cette multiplicité ne soit unie dans l’essence et
l’opération. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il procède donc du Père et du
Fils en tant qu’Ils sont un. |
[911] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omnis actus refertur ad duo
originaliter, scilicet ad agentem, et ad principium actionis. Agens autem est
ipsum suppositum, ut homo vel ignis ; et principium actionis est aliqua forma
in ipso, substantialis vel accidentalis. Dico ergo, quod ly inquantum
potest dicere conditionem agentis, vel principium actionis. Si dicat
conditionem agentis vel operantis, sic procedit Spiritus sanctus a Patre et
Filio inquantum sunt plures, et inquantum sunt distinctae personae, quia ab
eis pluribus et distinctis procedit. Si autem
dicat conditionem principii actionis, sic dico, quod procedit ab eis
inquantum sunt unum. Cum enim operatio non sit nisi ab uno principio oportet
aliquid esse unum in Patre et Filio, quod est principium hujus actus qui est
spirare, qui est unus et simplex, quo una et simplex persona Spiritus sancti
procedit. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout acte se rapporte à deux choses dans son origine : à l’agent et
au principe d’action. Mais l’agent est le suppôt lui-même, comme l’homme ou
le feu ; et le principe d’action est une forme qui est en lui, soit
substantielle, soit accidentelle. Je parle donc de cet acte selon qu’il peut
signifier la condition de l’agent ou le principe de l’action. S’il signifie
la condition de l’agent ou de celui qui pose l’opération, alors
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’ils sont des personnes
multiples et selon qu’ils sont des Personnes distinctes, car c’est de leur
multiplicité et de leur distinction qu’Il procède. Mais si cet acte signifie
la condition du principe d’action, alors je dis qu’Il procède d’eux en tant
qu’ils sont un. En effet, puisqu’une opération ne procède que d’un seul
principe, il faut qu’il y ait quelque chose d’un dans le Père et le Fils qui
soit le principe de cet acte qui est la spiration, lequel est lui-même un et
simple, duquel l’unique et simple personne de l’Esprit-Saint procède. |
[912] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad totum. Quid autem sit illud unum commune in Patre et Filio,
patebit in sequenti articulo. |
Solutions : Et c’est ainsi qu’on voit la
solution à l’ensemble des difficultés soulevées plus haut. C’est dans
l’article suivant qu’apparaîtra avec clarté ce qu’est ce principe commun
présent dans le Père et le Fils. |
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Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en nature ?[11] |
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[914] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio,
inquantum sunt unum in natura. Natura enim non communicatur nisi per actum
naturae. Sed Spiritus sanctus procedendo accipit totam naturam divinam sicut
Filius nascendo. Ergo principium actus,
quo communicatur sibi natura divina, est natura. Ergo et cetera. Et hoc idem
videtur per Anselmum in Tract. De process. Spiritui sancti, cap. VI qui
dicit, quod ridiculum est dicere, quod propter relationem tota essentia
Patris et Filii sit in Spiritu sancto, et non potius propter essentiam. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un par leur
nature. La nature en effet ne se communique que par un acte de la nature.
Mais par la procession l’Esprit-Saint reçoit la totalité de la nature divine
tout comme le Fils la reçoit par la génération. Donc le principe de l’acte
par lequel la nature divine lui est communiquée est la nature. Donc, etc. Et
Anselme [Traité sur la Procession de l’Esprit-Saint, ch. VI]
semble manifester la même conclusion en disant qu’il est absurde
de dire que c’est à cause de la relation et non pas plutôt à cause de
l’essence que la totalité de l’essence du Père et du Fils est dans
l’Esprit-Saint. |
[915] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Spiritus sanctus procedit ut amor. Amor
autem dicit processum voluntatis. Ergo Spiritus sanctus procedit a patre et
filio, inquantum sunt unum in voluntate. Sed voluntas, cum sit de absolutis,
tenet se ex parte naturae. Ergo et
cetera. |
2. En outre, l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour. Mais l’amour signifie un processus de la volonté.
Donc, l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’Ils sont un par la
volonté. Mais la volonté, puisqu’elle porte sur des absolus, se tient du côté
de la nature. Donc, etc. |
[916] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, cum proprietas recipiat numerum a supposito, impossibile est
duorum suppositorum esse eamdem numero proprietatem vel notionem. Sed Pater
et Filius sunt supposita distincta. Ergo non possunt convenire in aliqua una
notione : et ita Spiritus sanctus non procedet a patre et filio inquantum
sunt unum in notione aliqua. Restat ergo quod inquantum sunt unum in
essentia. |
3. De plus, puisque c’est du
suppôt que la propriété reçoit le nombre, il est impossible que la même
propriété ou notion par le nombre appartienne à deux suppôts différents. Mais
le Père et le Fils sont des suppôts distincts. Ils ne peuvent donc pas se
rencontrer dans une notion unique : et ainsi il est impossible que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans une
notion. Il reste donc qu’Il en procède selon qu’ils sont un dans l’essence. |
[917] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed
contra, in virtute divinae essentiae communicat non tantum Filius, sed etiam
Spiritus sanctus. Si igitur Pater et Filius spirant spiritum sanctum
inquantum sunt unum in natura, oportet quod etiam Spiritus sanctus simul cum
eis spiret seipsum, quod est impossibile. Ergo et primum. |
4. Au contraire, ce n’est pas
seulement le Fils, mais aussi l’Esprit-Saint qui communique dans la puissance
de l’essence divine. Si donc le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en
tant qu’ils sont un par la nature, il faut que l’Esprit-Saint se spire
lui-même simultanément avec eux, ce qui est impossible. Donc, ce n’est pas en
tant qu’ils sont un par la nature que le Père et le Fils spirent
l’Esprit-Saint. |
[918] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Si dicas,
quod repugnat proprietas Spiritus sancti : contra, proprietates non
distinguunt nec determinant essentiam, sed tantum personam. Ergo quidquid
convenit essentiae in persona Patris et Filii, convenit etiam in persona
Spiritus sancti. |
5. Si tu dis que la propriété
de l’Esprit-Saint s’oppose à cela, il faut dire au contraire que les
propriétés ne distinguent et ne déterminent pas l’essence mais seulement la
personne. Donc, tout ce qui appartient à l’essence dans les personnes du Père
et du Fils se rencontre aussi dans la personne de l’Esprit-Saint. |
[919] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod Pater et Filius spirant Spiritum sanctum, inquantum sunt unum
in potentia spirativa. Potentia autem spirativa, sicut et supra dictum est,
dist. 7, quaest. 1, art. 2, dicit aliquid quasi medium inter essentiam et
proprietatem, eo quod dicit essentiam sub ratione proprietatis : sic enim
actus notionalis ab essentia egreditur, non sicut ab agente, sed sicut ab eo
quo agitur. Generatio enim non egreditur ab essentia inquantum est essentia,
sed inquantum est paternitas. |
Corps de l’article : Je réponds en disant que le
Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant qu’ils sont un dans la
puissance de spiration. Mais la puissance de spiration, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 2] renvoie comme à un
intermédiaire entre l’essence et la propriété, du fait qu’elle signifie
l’essence sous la raison de propriété : c’est ainsi en effet que l’acte
notionnel sort de l’essence, non pas comme d’un agent, mais comme de ce par
quoi il est amené. La génération en effet ne sort pas de l’essence en tant
qu’essence mais en tant qu’elle est paternité. |
Et si ista duo, scilicet essentia et paternitas,
differrent in divinis, egrederetur ab utroque generatio ; sed a paternitate
immediate, et ab essentia sicut a primo principio. Similiter dico, quod
spiratio egreditur ab essentia, non sicut a spirante, sed sicut a principio
spirationis, inquantum habet rationem alicujus notionis quae est communis
Patri et Filio, quae dicitur communis spiratio : et ita spirativa potentia
dicit essentiam sub ratione talis proprietatis. Et ideo dico, quod procedit
Spiritus sanctus a Patre et Filio, inquantum sunt unum in essentia, et in
aliqua notione, scilicet in communi spiratione. Et per hoc solvenda sunt
argumenta ad utramque partem. |
Et si ces deux aspects, à
savoir l’essence et la paternité, diffèrent en Dieu, la génération
proviendrait des deux ; mais de fait elle provient de la paternité de
façon immédiate et de l’essence comme d’un premier principe. De la même
manière je dis que la spiration sort de l’essence non pas comme de ce qui
spire, mais comme du principe de la spiration, en tant qu’elle a raison de
notion commune au Père et au Fils et qu’on appelle la spiration
commune : et c’est ainsi que la puissance de spiration signifie
l’essence sous la raison d’une telle propriété. Et c’est pourquoi je dis que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans
l’essence et dans une notion, à savoir dans la spiration commune. Et c’est
ainsi que se trouvent à être solutionnées les difficultés qui ont été
présentées de part et d’autre. |
[920] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod natura communicatur per actum naturae, communiter
loquendo ; sed determinata communicatio debet esse per actum naturae sub
aliqua propria ratione acceptae ; et ideo communicatio quae est per
spirationem, est actus divinae naturae, inquantum habet rationem spirationis.
Et hoc intendit Anselmus, quod impossibile est dicere, quod processionis,
quae terminatur in naturam, non sit aliquo modo natura principium, cum sit
ibi quasi communicatio univoca. Deus enim procedit a Deo, sicut ignis ab
igne. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que, à parler universellement, la nature se communique au moyen d’un
acte de nature ; mais une communication déterminée doit avoir lieu au
moyen d’un acte de nature pris sous une raison propre ; et c’est
pourquoi la communication qui a lieu par spiration est un acte de la nature
divine en tant qu’elle a raison de spiration. Et c’est ce que cherche à
montrer Anselme, à savoir qu’il est impossible de dire que la nature ne soit
pas de quelque manière principe de la procession, laquelle a pour terme la
nature, puisqu’il y a là comme une communication univoque. Dieu en effet procède
de Dieu comme le feu procède du feu. |
[921] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Et per hoc
patet solutio etiam ad secundum : quia eadem est ratio de voluntate et
essentia. |
2. Et c’est par là qu’on voit
aussi la solution à la deuxième difficulté, car le raisonnement relatif à la
volonté est le même que celui qui se rapporait à l’essence. |
[922] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod diversorum suppositorum secundum essentiam distinctorum non
potest esse notio una ; sed si eorum sit essentia una, erit et operatio una.
Et quia relatio secundum intellectum innascitur ex aliqua operatione, per
consequens erit et relatio una : et ita Pater et Filius possunt convenire in
una proprietate relativa. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que pour des suppôts différents, il ne peut y avoir une notion unique
d’après l’essence de ce qui diffère; mais si leur essence est unique, leur
opération le sera aussi. Et parce que la relation selon l’intelligence naît
d’une opération, par conséquent la relation sera elle aussi unique : et
ainsi le Père et le Fils peuvent se rencontrer dans une propriété relative
unique. |
[923] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ab essentia, inquantum est essentia, non est actus spirandi,
sed inquantum habet rationem talis proprietatis, scilicet communis
spirationis. Et quia rationem hanc non habet essentia in Spiritu sancto, ideo
non sequitur quod Spiritus sanctus per essentiam suam spiret. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’acte de spiration ne vient pas de l’essence en tant qu’essence
mais en tant qu’elle a raison de cette propriété qui est la spiration
commune. Et parce que l’essence dans l’Esprit-Saint n’a pas cette raison,
c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que l’Esprit-Saint spire par son essence. |
[924] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si proprietas in persona esset
aliud ab essentia, de necessitate determinaret ipsam per se vel per accidens
; sed quia est idem quod essentia secundum rem, ideo non advenit sibi ut
restringens vel determinans eam ; tamen secundum unam proprietatem est
principium unius actus, cujus non est principium secundum rationem alterius
proprietatis : sicut patet etiam quod est principium hujus actus, velle,
secundum rationem voluntatis, et hujus actus, scire, secundum rationem
scientiae ; et tamen essentia per hoc non determinatur realiter, neque
distinguitur. Et ideo, cum secundum rationem communis spirationis essentia in
Patre et Filio sit principium actus notionalis quo Spiritum sanctum spirant ;
non oportet quod in Spiritu sancto eadem essentia sit principium ejusdem
actus, cum essentia divina in Spiritu sancto non sit communis spiratio, sicut
in Patre et Filio. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que si la propriété dans la Personne était autre que l’essence, elle la
déterminerait nécessairement essentiellement ou
accidentllement ; mais parce qu’en réalité ou selon la chose elle est
identique à l’essence, elle ne lui survient pas comme ce qui la limite ou la
détermine ; c’est cependant d’après une même propriété qu’elle est
principe d’un même acte pour lequel elle n’est pas principe d’après la raison
d’une autre propriété : tout comme il est clair aussi que l’essence est
le principe de cet acte, à savoir vouloir, d’après la raison de volonté, tout
comme elle est le principe de cet acte, savoir, d’après la raison de
science ; et cependant l’essence n’est ni déterminée ni distinguée
réellement par cela. Et c’est pourquoi, puisque c’est sous la raison de
spiration commune que l’essence dans le Père et le Fils est le principe de
l’acte notionnel par lequel ils spirent l’Esprit-Saint, il ne faut pas que
dans l’Esprit-Saint la même essence soit le principe du même acte, puisque
l’essence divine dans l’Esprit-Saint n’est pas la spiration commune comme
c’est le cas dans le Père et le Fils. |
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Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de spiration ? |
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[926] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod Pater et Filius sint unus spirator. Per hoc
enim non importatur nisi unitas in actu spirandi. Sed uno actu spirant Pater
et Filius. Ergo sunt unus spirator, sicut unus Deus propter unitatem
deitatis. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père et
le Fils soient un seul agent de spiration. C’est par cela en effet qu’est
causée l’unité dans l’acte de spiration. Mais c’est par un acte unique que le
Père et le Fils accomplissent la spiration. Il n’y a donc qu’un seul agent de
spiration, tout comme il n’y a qu’un seul Dieu en raison de l’unité de la
divinité. |
[927] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, sicut Pater et Filius conveniunt in actu creandi, ita etiam in
actu spirandi. Sed propter illam convenientiam Pater et Filius dicuntur unus
creator. Ergo eadem ratione debent dici unus spirator. |
2. En outre, tout comme le
Père et le Fils sont unis dans l’acte de création, de même encore ils sont
unis dans l’acte de spiration. Mais c’est en raison de cette union qu’on dit
du Père et du Fils qu’ils sont un seul créateur. Donc pour la même raison on
doit dire d’eux qu’ils sont un seul agent de spiration. |
[928] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, principium dicit relationem consequentem
ad actum, quo est principium. Sed Pater
et Filius dicuntur unum principium Spiritus sancti, ut infra habebitur,
distin. 29, qu. Unic., art. 4. Ergo etiam dici debent unus spirator. |
3. De plus, le principe
signifie une relation qui découle de l’acte par lequel il est principe. Mais
on dit du Père et du Fils qu’ils sont un principe unique de l’Esprit-Saint,
comme nous l’établirons plus loin [dist. 29, quest. uniq. Art. 4]. On doit
donc aussi dire d’eux qu’Ils sont un seul agent de spiration. |
[929] Super Sent., lib. 1 d.
11 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quicumque spirant, sunt spirantes. Sed Pater et
Filius spirant spiritum sanctum. Ergo sunt spirantes ; ergo etiam sunt
spiratores Spiritus sancti. |
Cependant : 1. Tous ceux qui posent
l’acte de spiration sont des agents de spiration. Mais le Père et le Fils
posent l’acte de spiration de l’Esprit-Saint. Ils posent donc un acte de
spiration ; ils sont donc aussi des agents de spiration de
l’Esprit-Saint. |
[930] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod actus recipit numerum a
suppositis ; unde etiam verbum significans substantiam per modum actus,
dicitur de pluribus personis pluraliter, quamvis sit essentia una, sicut
Joan. 10, 30 : Ego et Pater unum sumus. Actus
autem significatur etiam in verbo et in participio et in nomine verbali ; sed
tamen participium plus accedit ad substantiam quam verbum, et adhuc nomen
verbale magis quam participium [vel verbum om. Ed. de Parme). Et ideo non
possumus [praesumimus Éd. de Parme] dicere, quod Pater et Filius spiret
Spiritum sanctum ; vel quod sint spirans, vel quod sint spirator ; sed quod
spirent, et sint spirantes et sint spiratores ; et quamvis sit actus unus quo
spirant, tamen secundum quod unumquodque eorum magis accedit ad significandum
actum, minus proprie potest in singulari praedicari. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’acte reçoit son nombre des suppôts ; c’est pourquoi aussi un verbe
signifiant la substance à la manière d’un acte se dit de plusieurs personnes
de plusieurs manières, bien que l’essence soit unique ainsi que le dit Jean
(10, 30) : Le Père et moi sommes un. Mais un acte est
signifié aussi dans un verbe, un participe et un nom verbal ; mais le
participe s’approche cependant davantage de la substance que le verbe, et le
nom verbal encore davantage que le participe [ou le verbe om. Éd. de
Parme]. Et c’est pourquoi nous ne pouvons [présumons Éd. de Parme]
dire que le Père et le Fils ¨posent¨ l’acte de spiration, ou qu’ils ¨sont en
train de poser l’acte de spiration¨ ou qu’ils sont ¨un agent de
spiration¨ ; mais plutôt qu’ils posent l’acte de spiration, qu’ils sont
en train de poser l’acte de spiration et qu’ils sont des agents de
spiration ; et bien qu’il n’y ait qu’un seul acte par lequel ils posent
l’acte de spiration, cependant selon que chacune de ces expressions
s’approche davantage de la signification de l’acte, elle peut moins
proprement s’attribuer au singulier. |
¨[931] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod quamvis actus sit unus, tamen quando significatur ut
actus egrediens a pluribus suppositis, oportet quod significetur pluraliter.
Actus enim trahit numerum a suppositis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que l’acte soit unique, cependant quand il est signifié
comme un acte qui procède de plusieurs suppôts, il faut qu’il soit signifié
au pluriel. En effet, l’acte tire son nombre des suppôts. |
[932] Super Sent., lib.
1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio est actus trium
personarum, non secundum quod distinctae sunt, sed secundum quod uniuntur in
essentia : quia etiam per intellectum remota distinctione personarum, adhuc
remanebit creatio. Et ideo dicimus quod
Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt unus creator, quamvis non dicamus
quod sint unus creans ; quia nomen verbale plus recedit ab actu quam
participium. Sed spiratio est actus conveniens pluribus suppositis
quodammodo, secundum quod distinguuntur, ut supra dictum est, in corp. art.
Et ideo etiam in nomine verbali oportet quod actus pluraliter significetur. |
2. Il faut dire en second
lieu que la création est un acte des trois personnes non pas en tant qu’elles
sont distinctes, mais en tant qu’elles sont unies dans l’essence : car
même si par l’intelligence on met de côté la distinction des personnes, la
création demeure encore. Et c’est pourquoi nous disons que le Père, le Fils
et l’Esprit-Saint sont un seul créateur, bien que nous ne disons pas qu’ils
sont un seul ¨créant¨, car le nom verval s’éloigne davantage de l’acte que le
participe. Mais la spiration est un acte qui convient d’une certaine manière,
selon qu’ils se distinguent, à plusieurs suppôts ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article. Et c’est pourquoi il faut que l’acte soit
signifié au pluriel même dans le nom verbal. |
[933] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod principium non nominat aliquem actum, sed tantum relationem ;
et quia Pater et Filius referuntur una relatione ad Spiritum sanctum, ideo
dicuntur unum principium Spiritus sancti, sed non unus spirator. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que principe ne désigne pas un acte mais seulement une relation ;
et parce que le Père et le Fils se rapportent à l’Esprit-Saint par une
relation, c’est pourquoi on dit d’eux qu’ils sont un unique principe de
l’Esprit-Saint mais non qu’ils en sont un agent unique de spiration. |
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Expositio textus |
Texte de Pierre Lombard |
[934] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 expos.
Misit Deus spiritum filii sui in corda nostra. Haec probatio non videtur
sufficiens : quia Graeci confitentur spiritum sanctum esse filii, sed non a filio.
Sed dicendum, quod cum oporteat genitivum in aliqua habitudine construi, non
potest alia inveniri nisi habitudo originis, quia sola talis relatio personas
distinguit ; et ideo oportet concedere, quod Spiritus sanctus a filio
oriatur. Quem ego mittam vobis a patre. Videtur etiam haec probatio
insufficiens : quia hic loquitur de temporali processione Spiritus sancti,
quam Graeci a filio esse concedunt, non autem aeternam. Sed dicendum, quod
cum temporalis processio includat aeternam, ut infra dicetur, dist. 15, qu.
4, art. 5, oportet quod a quo procedit temporaliter, etiam ab aeterno
procedat. Qui aliud docuerit, vel aliter praedicaverit, idest contrarium.
Haec Magister bene exponit, aliud pro contrario sumens : quod enim non est
contrarium sacrae Scripturae, veritas ejus est, secundum Anselmum, nec potest
esse quod omnia credenda explicite in illo symbolo contineantur in quo de
descensu ad Inferos nulla mentio sit. Processio autem Spiritus sancti
continetur ibi implicite, inquantum ibi continetur distinctio personarum,
quae aliter esse non posset, ut dictum est. Sed quaerunt Graeci quomodo
fuerunt Latini ausi hoc addere. Ad quod dicendum, quod necessitas fuit, sicut
eorum error ostendit, et auctoritas Romanae Ecclesiae synodum congregandi, in
qua exprimeretur aliquid quod implicite in articulis fidei continebatur. |
Dieu a envoyé l’esprit de son
Fils dans nos cœurs. Cet argument ne semble pas suffisante : car les Grecs
confessent que l’Esprit-Saint est du Fils mais non qu’il vient du Fils. Mais
il faut dire que puisqu’il faut que ce qui est engendré soit constitué dans
un certain rapport, on ne peut y trouver un autre rapport que celui de
l’origine, car c’est seulement une relation de cette sorte qui distingue les
personnes ; et c’est pourquoi il faut concéder que l’Esprit-Saint
provient du Fils. Celui que je vous enverrai par mon Père. Il
semble que même cela ne soit pas un argument suffisant : car il parle
ici de la procession temporelle de l’Esprit-Saint que les Grecs concèdent
provenir du Fils sans concéder qu’il en soit de même pour la procession
éternelle. Mais il faut dire que puisque la procession temporelle comprend
celle qui est éternelle, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 15, quest. 4,
art. 5], il faut que ce d’où elle procède selon le temps soit aussi ce d’où
elle procède de toute éternité. Certains auront enseigné autre chose ou
auront proclamé autrement, c’est-à-dire le contraire. Et le Maître explique
bien cela en prenant autre chose pour le contraire : en effet ce qui
n’est pas contraire aux Écritures fait partie de sa vérité selon Anselme, et
il n’est pas possible que tout ce qui doit être cru soit contenu
explicitement dans ce Symbole dans lequel il n’est nullement fait mention de
la descente aux Enfers. Mais la procession de l’Esprit-Saint y est
implicitement contenue selon qu’y est contenue explicitement la distinction
des Personnes qui ne pourrait exister autrement ainsi que nous l’avons dit.
Mais les Grecs demandent comment les Latins ont pu oser ajouter
cela. Il faut répondre à cela qu’il était nécessaire de le faire, tout comme
leur erreur le montre, et l’autorité de l’Église Romaine devait réunir le
synode dans lequel serait exprimé quelque chose qui était contenu
implicitement dans les articles de la foi. |
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Distinctio 12 |
Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint – suite] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint procède-t-il antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur : 1 utrum
generatio filii praecedat aliquo modo processionem Spiritus sancti ; 2 utrum
Spiritus sanctus prius vel plenius procedat a Patre quam a Filio ; 3 utrum
procedat a Patre mediante Filio. |
Pour comprendre cette partie,
on cherche à répondre à ces trois questions : 1. Est-ce que la génération
du Fils précède de quelque manière la procession de l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce que l’Esprit-Saint
pricède antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ? 3. Procède-t-il du Père par
l’intermédiaire du Fils ? |
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Articulus 1 [936] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1
tit. Utrum
generatio sit prior processione |
Article 1 – La génération est-elle antérieure à la procession ? |
[937] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod generatio praecedat
processionem. Principium enim processionis, ad minus naturaliter, est prius
processione. Principium autem processionis Spiritus sancti est Filius, qui
est terminus generationis ; ut supra dictum est, dist. 5, qu. 2, art. 1. Ergo
generatio praecedit processionem. |
Difficultés : 1. Il semble que la
génération précède la procession. En effet le principe de la procession, au
moins par nature, est antérieur à la procession elle-même. Mais le principe
de la procession de l’Esprit-Saint est le Fils qui est le terme de la
génération ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 2, art. 1].
Donc la génération précède la procession. |
[938] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, cum
sint duo agentia in rebus creatis, scilicet natura et propositum vel voluntas
; actio naturae praecedit actionem voluntatis, quia actio voluntatis fundatur
super actionem naturae. Sed generatio Filii est a Patre per modum naturae ;
processio Spiritus sancti ab utroque per modum voluntatis. Ergo generatio est
prior processione. |
2. En outre, puisqu’il y a
deux agents dans les choses créées, à savoir la nature et le propos ou la
volonté, l’action de la nature précède celle de la volonté car l’action de la
volonté se fonde sur l’action de la nature. Mais la génération du Fils vient
du Père par mode de nature, alors que la procession de l’Esprit-Saint vient
des deux par mode de volonté. Donc la génération est antérieure à la
procession. |
[939] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3.
Praeterea, in anima est imago Trinitatis in qua processus notitiae a mente
praecedit processum amoris. Sed processus notitiae repraesentat generationem
Filii ; processus amoris processionem Spiritus sancti. Ergo ut prius. |
3. De plus, il y a dans l’âme
une image de la Trinité dans laquelle le processus de la connaissance par
l’intelligence précède le processus de l’amour. Mais le processus de la
connaissance représente la génération du Fils, alors que le processus de
l’amour représente la procession de l’Esprit-Saint. La génération est donc représentée
comme antérieure à la procession. |
[940] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra est quod dicitur in Littera, quod Spiritus sanctus non
procedit jam nato Filio ; quod oporteret, si nativitas processionem
praecederet. |
Cependant : 1. On dit dans le document que l’Esprit-Saint ne procède pas après que le Fils soit déjà né, ce qui devrait se passer si la naissance précédait la procession. |
[941] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet Filius ad Patrem in ratione
ordinis, ita Spiritus sanctus ad filium. Sed Pater nullo modo prior est Filio,
ut supra ostensum est, dist. 9, qu. 2, art. 1, nec intellectu nec dignitate nec
tempore. Ergo nec Filius Spiritu sancto prior est. Ergo nec generatio
processione : quia sicut se habet Filius ad Spiritum sanctum, ita generatio
ad processionem. |
2. De plus, sous le
rapport de l’ordre, l’Esprit-Saint est au Fils ce que le Fils est au Père.
Mais le Père n’est aucunement antérieur au Fils, ainsi que nous l’avons
montré plus haut [dist. 9, quest. 2, art. 1], ni par l’intelligence, ni par
la dignité, ni par le temps. Donc le Fils n’est pas antérieur à
l’Esprit-Saint. Et la génération n’est donc pas antérieure à la procession
car la génération est à la procession ce que le Fils est à l’Esprit-Saint. |
[942] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum [contr. Maximinien., II,
14], in divinis non est aliquis ordo nisi ordo naturae. Ordo autem naturae
est quo aliquis est ex alio, non quo aliquis est prior altero ; et ideo in
divinis nullo modo potest aliquid altero prius dici. Et ratio hujus est, quia
in divinis non potest considerari nisi id quod absolutum est, et hoc unum est
et indivisibile, in quo prioritas vel posterioritas non invenitur vel id quod
ad aliquid dicitur. Horum autem quae ad aliquid dicuntur, natura est ut sint
simul tempore, intellectu, natura. Et ideo dicimus, quod generatio non est
prior processione aliquo modo qui possit ad divina referri ; sed tantum
secundum modum intelligendi, qui est in intellectu nostro tantum, accipiente
generationem et processionem in divinis secundum similitudines repertas in
creaturis, quae deficientes sunt ad repraesentandum generationem et
processionem prout sunt in divinis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
d’après Augustin [Contre Maximien, 11, 14], qu’il n’y a en Dieu qu’un
ordre de nature. Mais l’ordre de nature est celui par lequel une personne
vient d’un autre et non pas celui par lequel une personne est antérieure à
une autre. Et c’est pourquoi en Dieu il n’y a rien qui puisse être dit
antérieur à un autre. Et la raison en est qu’en Dieu on ne peut considérer
que ce qui est absolu, et cela est un et indivisible, où on ne peut retrouver
de la priorité ou de la postériorité ou ce qui se dit
relativement. Mais pour les choses qui se disent relativement, leur nature
est qu’elles soient simultanées par le temps, l’intelligence et la nature. Et
c’est pourquoi nous disons que la génération n’est pas antérieure à la
procession d’une manière qui pourrait se rapporter à Dieu, sauf seulement
d’après le mode de comprendre qui n’existe que dans notre intelligence, en
prenant la génération et la procession dans les Personnes divines d’après des
ressemblances qu’on découvre dans les créatures qui sont incapables de
représenter parfaitement la génération et la procession en tant qu’elles
existent dans les Personnes divines. |
[943] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod principium, secundum relationem principii non est eo
prius cujus est principium aliquo modo ; sed id quod est principium,
naturaliter est prius. Si autem ille qui est principium, ipsa relatione sit
quis, vel persona distincta ; omnis prioritas removetur ab eo respectu illius
cujus est principium ; et ita, cum Filius, ut supra dictum est, dist. 9, qu.
2, art. 1, ipsa sua relatione sit persona distincta, nullo modo est prior
Spiritu sancto. Sed verum est quod propter ordinem naturae Spiritus sanctus
est a Filio ; quamvis enim communis spiratio non sit proprietas personalis
Filii, est tamen ipsa persona filii, sicut bonitas divina est ipse Deus ; et
prima processio correspondens sibi est proprietas personalis Spiritus sancti. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que le principe, selon la relation de principe, n’est pas antérieur à ce
dont il est le principe de quelque manière ; mais ce qui est le principe
est naturellement antérieur. Mais si celui qui est le principe, par la
relation elle-même est quelqu’un ou une personne distincte, toute antériorité
disparaît de lui par rapport à ce dont il est le principe ; et ainsi,
puisque le Fils , comme nous l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. 2, art.
1], de par sa relation elle-même est une Personne distincte, l n’est
nullement antérieur à l’Esprit-Saint. Mais il est vrai qu’en raison de
l’ordre de nature l’Esprit-Saint vient du Fils ; en effet,
bien que la spiration commune ne soit pas une propriété personnelle du Fils,
elle est cependant la personne même du Fils, tout comme la bonté divine est
Dieu lui-même ; et la première procession qui lui correspond est la
propriété personnelle de l’Esprit-Saint. |
[944] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum et tertium, quod rationes illae deficiunt ex hoc quod similitudines
inventae in creaturis non perfecte repraesentant ea quae sunt in Deo ; et hoc
patet in proposito : quia non invenitur aliqua creatura quae ab eodem habeat
quod ad aliquid dicatur, et sit in se subsistens. |
2. Il faut dire en deuxième
et troisième lieu que ces arguments sont faibles du fait que les similitudes
qu’on découvre dans les créatures ne représentent pas parfaitement la réalité
divine ; et cela est évident dans le propos car on ne retrouve aucune
créature qui tienne du même principe de se dire relativement et de subsister
en elle-même. |
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Articulus 2 [945]
Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus magis
procedat a Patre quam a Filio |
Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que du Fils ? |
[946] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus magis procedat a Patre quam
a Filio. Sicut enim dicit philosophus [in lib. De causis], omnis
causa primaria plus est influens in suum causatum quam causa secundaria. Sed
Filius est quasi secunda causa, Pater autem quasi primum principium, quod non
est de aliquo. Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint procède davantage du Père
que du Fils. Ainsi que le dit le Philosophe [Au sujet des Causes], toute cause première a plus d’influence sur
son effet que la cause seconde. Mais le Fils est comme une cause seconde,
alors que le Père est comme le premier principe qui ne procède de rien. Donc,
l’Esprit-Saint procède davantage du Père que du Fils. |
[947] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, philosophus [in I Posteriorum, text. 5] :« propter quod unumquodque tale et
illud magis ». Sed Filius hoc quod est principium Spiritus sancti habet
a Patre. Ergo Pater magis est principium quam Filius. |
2. En outre, le Philosophe
[1 Seconds Analytiques, texte 5] dit : Ce à cause de
quoi une chose est telle, cela l’est davantage. Mais le Fils tient du
Père qu’il soit principe de l’Esprit-Saint. Donc le Père est davantage
principe de l’Esprit-Saint que le Fils. |
[948] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, illud quod est principium alicujus principaliter et proprie,
videtur esse magis ejus principium quam illud quod non est ita. Sed, sicut
dicitur in littera, Spiritus sanctus procedit a Patre principaliter et
proprie ; non autem dicitur hoc de Filio. Ergo et cetera. |
3. Par ailleurs, ce qui est
principe d’une chose au premier titre et à proprement parler semble davantage
en être principe que ce qui ne l’est pas de cette manière. Mias, comme on le
dit dans le document, l’Esprit-Saint procède du Père à titre premier et à
proprement parler ; mais on ne dit pas cela du Fils. Donc, etc. |
[949] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, Spiritus sanctus non habet aliquid quod non habeat a Patre ; habet
autem aliquid quod non habet a Filio, hoc scilicet quod procedit a Patre.
Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio. |
4. De plus l’Esprit-Saint ne
possède rien qu’il ne tient pas du Père ; il possède cependant quelque
chose qu’il ne tient pas du Fils, à savoir cela même qu’il procède du Père.
L’Esprit-Saint procède donc davantage du Père que du Fils. |
[951] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, ubi est summa aequalitas, non potest esse magis et plenius. Sed
inter Patrem et Filium est summa aequalitas. Ergo Spiritus sanctus non potest
esse magis ab uno quam ab alio. |
Cependant : Par ailleurs, là où on retrouve l’égalité la plus grande,
on ne peut retrouver du plus et une plus grande plénitude. Mais entre le Père
et le Fils l’égalité est parfaite. Donc l’Esprit-Saint ne peut procéder
davantage de l’un que de l’autre. |
[952] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod Spiritus sanctus nec prius nec plenius nec magis procedit a
Patre quam a Filio. Et ratio hujus tota est, quia Pater et Filius sunt unum
principium Spiritus sancti ; et ubi est unitas, non potest esse distinctio
plenitudinis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’Esprit-Saint ne procède ni antérieurement, ni plus pleinement, ni
davantage du Père que du Fils. Et toute la raison en est que le Père et le
Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint ; et là où l’unité
est présente il ne peut y avoir une différence de plénitude. |
[953] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Pater quamvis dicatur principium Filii et Spiritus
sancti, tamen non potest dici causa, proprie loquendo : causa enim semper
ponit diversitatem essentiae, sicut patet in omnibus. Sed principium aliquod
a quo aliquid fluit, est consubstantiale rei cujus est principium ; sicut
dicimus, quod punctum est principium lineae, et cor principium animalis, et
fundamentum domus ; et ideo propter consubstantialitatem Pater dicitur
principium, sed non causa. Praeterea, causatum habet dependentiam ad causam.
Sed principium importat originem quamdam, secundum quod dicitur principium,
ex quo incipit aliquid. Item, quamvis dicatur
principium, non tamen potest dici primum ; quia ibi non est aliquid prius et
posterius, ut dictum est, dist. 9, quaest. 2, art. 1. Unde patet quod illa
auctoritas non est ad propositum : quia Pater nec est causa nec primaria
respectu Filii et Spiritus sancti. Si tamen in hoc non fiat vis, adhuc Pater
et Filius respectu Spiritus sancti non se habent sicut duo principia, sed
sicut unum ; et ideo nullus gradus inter eos invenitur in spirando Spiritum
sanctum. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien qu’on dise du Père qu’Il est le principe du Fils et de
l’Esprit-Saint, cependant on ne peut dire qu’il en est la cause à proprement
parler : la cause en effet pose toujours une diversité d’essence ainsi
qu’on le voit dans tous les cas. Mais un principe duqueel quqelque chose
s’écoule est consubstantiel à la chose dont il est le princpe ; par
exemple nous disons que le point est le principe de la ligne et que le cœur
est le principe de l’animal et que les fondations sont le principe de la
maison ; et c’est pourquoi c’est en raison de la consubstantialité qu’on
dit du Père qu’Il est principe et non une cause. Par ailleurs, l’effet a une
dépendance par rapport à sa cause. Mais le principe implique une certaine
origine d’après laquelle il est dit principe et d’où procède quelque chose.
En outre, bien qu’on dise du Père qu’il est principe, on ne peut dire de Lui
qu’il est premier car il n’y a rien là qui soit antérieur et postérieur ainsi
que nous l’avons dit [dist. 9, quest. 2, art. 1]. D’où il est clair que cette
autorité n’a pas rapport au propos car le Père n’est ni cause ni premier par
rapport au Fils et à l’Esprit-Saint. Si cependant il n’y avait pas de force
dans ce raisonnement, ajoutons par ailleurs le Père et le Fils par rapport à
l’Esprit-Saint ne se présentent pas comme deux principes, mais comme un
seul ; et c’est pourquoi il ne se trouve entre eux aucun degré ou aucun
rang dans la spiration de l’Esprit-Saint. |
[954] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod dictum philosophi verificatur, quando illud quod convenit
alicui propter aliquid aliud, est diversum in utroque, et praecipue quando
unum est causa alterius essentiali ordine causae ; tunc enim causalitas sua
est respectu totius speciei, et non unius individui tantum, ut dicit Avicenna
[IX Metaph., cap. II), sicut calor est magis in igne quam in corpore
mixto, quia propter ignem est in corpore mixto. Sed quamvis Filius habeat a
Patre hoc quod spirat Spiritum sanctum, nihilominus tamen non est hoc
diversum in Patre et Filio ; quia eamdem virtutem spirativam, quam Pater
habet, Filio communicat : et ideo per illam aequaliter Pater et Filius
spiritum sanctum spirant. Et si etiam non
esset una numero, sed specie tantum, ratio non valeret : sicut patet in
omnibus univocis generationibus : non enim Pater Socratis plus influit in
filium Socratis quam Socrates. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la parole du Philosophe se vérifie lorsque ce qui appartient à une chose
en raison d’une autre est différent dans les deux, et surtout quand l’une est
la cause de l’autre selon l’ordre essentiel de la cause ; alors en effet
sa causalité est par rapport à toute l’espèce et non par rapport à un seul
individu, ainsi que le dit Avicenne [1X Métaphysique, ch. 11], comme c’est le
cas pour la chaleur qui est davantage dans le feu que dans le corps mixte
parce que c’est à cause du feu qu’elle est dans le corps mixte. Mais bien que
le Fils tienne du Père cela même qu’Il spire l’esprit-Saint, néanmoins cet
acte n’est pas différent dans le Père et dans le Fils ; car c’est la
même puissance de spiration que le Père possède et qu’Il communique au Fils :
et c’est pourquoi le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint d’une manière
égale au moyen de cette puissance. Et encore si elle n’était pas une par le
nombre mais seulement par l’espèce, la raison ne tiendrait plus, comme on le
voit dans tous les cas de génération univoque : en effet, le père de
Socrate ne se répand pas davantage dans le fils de Socrate que Socrate
lui-même. |
[955] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur esse principaliter a Patre, quia in
Patre est auctoritas spirationis, a quo etiam habet Filius virtutem
spirativam, et non propter aliquem ordinem vel gradum prioritatis vel
posterioritatis Patris et Filii. Similiter etiam propter eamdem rationem
dicitur proprie procedere a Patre, maxime cum haec praepositio a apud
Graecos notet relationem ad primam originem : unde apud eos non dicitur, quod
lacus sit a rivo, sed quod est a fonte ; et inde est etiam, quod non
concedunt, quod Spiritus sanctus sit a Filio, sed a Patre. Nihilominus tamen
non est dicendum, quin etiam a Filio proprie procedat, qui cum Patre est unum
principium Spiritus sancti. Non autem sic rivus et fons sunt unum principium
laci. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’Il vient principalement du Père parce que
c’est dans le Père que se trouve l’autorité de la spiration, de qui le Fils
possède aussi la puissance de spiration, et non pas à cause d’un ordre ou
d’un degré de priorité ou de postériorité du Père et du Fils. De la même
manière encore, pour la même raison qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède
proprement du Père, surtout à cause de cette préposition ¨a¨ qui désigne chez
les Grecs une relation à l’origine première : c’est pourquoi chez eux on
ne dit pas que le lac vient du ruisseau, mais qu’il vient de la source ;
et c’est de là aussi qu’ils ne concèdent pas que l’Esprit-Saint vient du
Fils, mais plutôt qu’Il vient du Père. Néamoins cependant il ne faut pas dire
qu’il procède aussi proprement du Fils, lequel avec le Père est un unique
principe de l’Esprit-Saint. Ce n’est cependant pas de cette manière que le
ruisseau et la source sont un unique principe du lac. |
[956] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Spiritus sanctus non aliter nec alia processione procedit a
Patre quam a Filio : unde processio Spiritus sancti tota est a Filio, sicut
etiam tota est a Patre. Unde non sequitur quod alia res sit in Spiritu sancto
quae non sit a Filio. Sed verum est quod illa processio non est a Filio
secundum omnem sui habitudinem, sed hoc in nullo derogat plenitudini
processionis. Accidit enim processioni Spiritus sancti quod secundum
habitudinem qua est a Filio, sit a Patre : non quia a Filio est Spiritus
sanctus, sed quia Filius est a Patre. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’Esprit-Saint ne procède pas du Père autrement qu’Il procède du
Fils, ni par une autre procession : de là, la procession de
l’Esprit-Saint vient totalement du Fils tout comme elle vient aussi
totalement du Père. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait autre chose
dans l’Esprit-Saint qui ne viendrait pas du Fils. Mais il est vrai que ce
n’est pas selon toute sa nature que cette procession vient du Fils mais cela
n’enlève rien à la plénitude de la procession. Il est accidentel en effet à
la procession de l’Esprit-Saint que selon le rapport sous lequel elle vient
du Fils, elle vienne aussi du Père : ce n’est pas parce que
l’Esprit-Saint vient du Fils, mais parce que le Fils vient du Père. |
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Articulus 3 [957] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 tit.
Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre mediante Filio ? |
Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par l'intermédiaire du Fils ? |
[958] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus
sanctus procedat a Patre mediante Filio. Illud enim per quod aliquid
procedit, videtur esse medium in processione. Sed Spiritus sanctus procedit a
Patre per Filium. Ergo procedit a Patre mediante Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint procède du Père par
l’intermédiaire du Fils. En effet, ce par quoi quelque chose procède se
présente comme un intermédiaire dans la procession. Mais l’Esprit-Saint
procède du Père par le Fils. Il en procède donc par l’intermédiaire du Fils. |
[959] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea,
constat quod tertium non exit a primo, nisi per medium. Sed Spiritus sanctus
dicitur esse tertia persona in Trinitate. Ergo non procedit a Patre, qui est
principium non de principio, nisi mediante Filio. |
2. De plus, il est clair qu’un troisième ne sort d’un
premier que par un intermédiaire. Mais on dit que l’Esprit-Saint est la
troisième personne de la Trinité. Donc, Il ne procède du Père, lequel est un
principe sans principe, que par l’intermédiaire du Fils. |
[960] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, in imagine creata amor repraesentat Spiritum sanctum, et notitia
Filium. Sed amor non procedit a mente nisi mediante notitia. Ergo nec
Spiritus sanctus a Patre nisi Filio mediante. |
3. En outre, dans l’image
créée l’amour représente l’Esprit-Saint, et la connaissance représente le
Fils. Mais l’amour ne procède de l’intelligence que par l’intermédiaire de la
connaissance. Donc l’Esprit-Saint ne procède du Père que par l’intermédiaire
du Fils. |
[961] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed
contra, videtur quod immediatius procedit a Patre quam a Filio. Immediatum
enim principium dicitur principalius quam mediatum, ut patet in primis
propositionibus, quae immediatae dicuntur. Sed Spiritus sanctus procedit
principaliter a Patre. Ergo immediatius procedit ab ipso quam a Filio. |
4. Au contraire, il semble
que l’Esprit-Saint procède plus immédiatement du Père que du Fils. On dit en
effet du principe immédiat qu’il est un principe plus premier que celui qui
est médiat, ainsi qu’on le voit pour les propositions premières qu’on appelle
immédiates. Mais l’Esprit-Saint procède premièrement du Père. Donc, il
procède plus immédiatement du Père que du Fils. |
[962] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omne medium aliquo modo distinguitur
ab his inter quae medium dicitur. Cum autem in spiratione Pater et Filius
sint duo spirantes, inquantum sunt unum in potentia spirativa, possumus loqui
de actu spirationis per comparationem ad ipsos spirantes, vel ad principium
spirandi sicut virtute cujus fit spiratio. Si autem consideremus ipsum principium, scilicet potentiam
spirativam, cum in hoc non distinguantur Pater et Filius, non potest dici
spiratio esse a Patre mediante Filio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout intermédiaire se distingue de quelque façon des extrêmes
entre lesquels il est dit être intermédiaire. Mais comme dans la spiration le
Père et le Fils sont deux agents de spiration, selon qu’Ils sont un dans la
puissance de spiration, nous pouvons parler de l’acte de spiration par
rapport aux agents eux-mêmes ou par rapport au principe de spiration comme à
la puisssance d’où vient la spiration. Mais si nous considérons le principe
lui-même, à savoir la puissance de spiration, puisqu’en cela le Père et le Fils
ne se distinguent pas, on ne peut dire que la spiration vient du Père par
l’intermédiaire du Fils. |
Si autem consideremus ipsos spirantes qui distincti sunt, et secundum hoc praebent suppositum spirationi, sic est ibi mediatio, secundum quod est ibi ordo naturae : quia Filius est ex Patre, et Spiritus sanctus simul a Patre et Filio. Unde dicit Richardus (V de Trinitate, cap. VI et VII), quod generatio in divinis est a Patre immediate ; sed processio Spiritus sancti quodammodo est mediate et quodammodo immediate. Immediate quantum ad virtutem spirativam, quae est una patris et Filii, et iterum quantum ad ipsum suppositum Patris quod immediate est principium processionis, quia ipse simul et Filius spirant. Sed mediate, inquantum Filius, qui spirat, est a Patre. |
Mais si nous considérons
ceux-là même qui posent cette opération et qui sont distincts, et qui en cela
fournissent un suppôt à la spiration, alors il y a là une médiation selon
qu’il y a là un ordre de nature : car le Fils vient du Père et l’Esprit-Saint
vient simultanément du Père et du Fils. C’est pourquoi Richard dit [V De la
Trinité, ch. VI et VII] que la génération dans les
Personnes divines vient immédiatement du Père, mais que le procession de
l’Esprit-Saint est en un sens médiate et en un autre sens immédiate. Elle est
immédiate quant à la puissance de spiration qui est une seule spiration du
Père et du Fils et aussi quant au suppôt même du Père qui est immédiatement
le principe de la procession car c’est Lui et le Fils qui posent simultanément
cette opération. Mais elle est médiate en tant que le Fils, qui pose cette
opération, vient du Père. |
[963] Super Sent., lib.
1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod per hoc quod dicitur,
Spiritum sanctum procedere a Patre per filium, designatur auctoritas in Patre
respectu Filii ; quia Filius habet a Patre quod Spiritum sanctum spiret. Ex hoc autem non ponitur mediatio aliqua nisi ex parte
suppositorum, quae distinguuntur per hoc quod unum est ab alio, ratione cujus
in uno est auctoritas respectu alterius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit
que l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils, on désigne l’autorité du Père
apr rapport au Fils ; car c’est du Père que le Fils tient son opération
de spiration de l’Esprit-Saint. Et c’est à cause de cela qu’il n’y a lieu de
poser une médiation que du côté des suppôts eux-mêmes qui se distinguent par
ceci que l’un vient de l’autre, en raison de quoi l’autorité est dans l’un
par rapport à l’autre. |
[964] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Spiritus sanctus uno modo, ut dictum est, procedit a Patre
mediante Filio : sed hoc non excludit quin etiam immediate a Patre procedat,
ut dictum est, in corp. art. praeced. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’Esprit-Saint procède en un sens du Père par l’intermédiaire du
Fils comme nous l’avons dit ; mais cela n’empêche pas qu’il
procède aussi immédiatement du Père, comme nous l’avons dit dans le corps de
l’article précédent. |
[965] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod imago quae est in anima, deficienter repraesentat Trinitatem ;
notitia enim est omnino distincta a mente ; et ideo simpliciter amor a mente
mediante notitia procedit. Sed in divinis personis Filius non quantum ad
omnia distinguitur a Patre ; et ideo secundum aliquid non est ibi mediatio. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’image qui est dans l’âme représente faiblement la Trinité ;
la connaissance en effet est absolument distincte de l’intelligence ; et
c’est pourquoi l’amour procède de l’intelligence par
l’intermédiaire de la connaissance. Mais dans les Personnes divines le Fils
ne se distingue pas du Père sous tous les rappports ; et c’est pourquoi
sous certains rapports il n’y a pas médiation. |
[966] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quando sunt multae causae agentes ordinatae, possunt
dupliciter considerari, secundum quod est duo invenire in agente, scilicet
ipsum agens quod exercet actionem, et virtutem ipsius quae est principium
actionis impositio. Si igitur considerentur causae agentes ordinatae secundum
rationem agentis cujus est agere, sic quanto agens est posterius, tanto magis
est proximum et immediatum ad actionem, et ad id quod per actionem educitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que lorsqu’il y a multiplicité de causes agentes ordonnées, elles
peuvent être considérées de deux manières, selon qu’il y a deux aspects qui
se trouvent dans l’agent, à savoir l’agent lui-même qui exerce l’action et la
puissance de ce dernier qui est le principe de l’action à laquelle elle
s’applique. Si donc on considère les causes agentes ordonnées sous le rapport
de l’agent auquel il appartient d’agir, alors l’agent est d’autant plus
prochain et immédiat par rapport à l’action et à ce qui est amené par
l’action qu’il est postérieur. |
Si autem considerentur quantum ad virtutem quae est
principium operationis, quanto causa est magis prima, tanto est magis
immediata, eo quod agens secundum non agit, nisi inquantum est motum a primo,
et secundum quod virtus primi est in ipso. Unde oportet ut semper resolvatur
virtus ultimi agentis in virtutem agentis primi. Verbi gratia, quod planta
generat plantam hoc habet a virtute solis, et quod sol moveat ad generationem
plantae, habet a virtute motoris sui quicumque sit ille. |
Mais si ces causes sont considérées quant à la vertu qui
est le principe de l’action, alors la cause est d’autant plus immediate
qu’elle est antérieure du fait que l’agent second n’agit que dans la mesure
où il est mû par le premier et dans la mesure où la puissance du premier est
en lui. C’est pourquoi il faut toujours que la puissance du dernier agent
soit ramenée à la puissance du premier agent. En d’autres mots, que la plante
engendre une plante, elle le tient de la puissance du soleil, et que le
soleil provoque la génération d’une plante, il le tient de la
puissance de son agent, quel qu’il soit. |
Et inde est quod quia
Deus est agens primum, ipse immediatius se habet secundum virtutem suam ad
quamlibet operationem naturae, quam aliquod agens naturale. Et inde est etiam
quod propositiones primae dicuntur immediatae, quia praedicatum non
conjungitur subjecto per virtutem alterius causae praecedentis. Inde est
etiam quod haec praepositio per, quae denotat causam mediam,
quandoque notat auctoritatem in recto, quandoque in obliquo : in recto, ut
cum dicitur : rex facit hoc per balivum ; tunc enim mediatio attenditur
quantum ad ipsos operantes. In obliquo,
cum dicitur : praepositus facit hoc per regem. |
Et il suit de là que parce
que Dieu est l’agent premier, c’est lui qui selon sa puissance est une cause
plus immédiate que tout agent naturel par rapport à toute opération de la
nature. Et il s’ensuit encore qu’on appelle imémédiates les propositions
premières parce que le prédicat n’est pas rattaché au sujet par la puissance
d’une autre cause antérieure. D’où il suit encore que cette préposition
¨par¨, qui signifie une cause intermédiaire, signifie parfois une autorité
directe, parfois une autorité indirecte : directe, comme lorsqu’on dit :
le roi fait cela par son bailli : alors en effet la médiation se prend
quant à ceux-là mêmes qui posent l’opération. Mais elle signifie une autorité
indirecte comme lorsqu’on dit : l’intendant fait cela par le roi. |
Hic enim consideratur
mediatio quantum ad virtutem, quae est principium operationis. Virtus enim
superioris est quasi medium, per quod operans suae operationi conjungitur ;
in Patre autem et in Filio non est accipere distinctionem quantum ad
principium operationis, quia illud est idem in utroque, scilicet divina
potentia ; sed solum quantum ad operantes, qui sunt ad invicem distincti. Et
ideo, cum in Patre sit auctoritas, dicitur Pater operari per filium, et nullo
modo Filius per Patrem. Inde est etiam quod secundum aliquem modum Filius est
medium in operatione Patris, sed Pater nullo modo in operatione Filii. |
Alors dans ce cas
en effet la médiation se prend du côté de la puissance qui est le principe de
l’opération. En effet la puissance de la cause supérieure est comme un
intermédiaire par lequel celui qui pose l’opération est rattaché à son
opération; mais il n’y a pas à chercher de distinction dans le Père et dans
le Fils quant au principe de l’opération car c’est la même puissance
numériquement parlant qui existe dans les deux, à savoir la puissance divine;
mais il n’y a distinction que du côté de ceux qui posent l’opération et qui
sont distincts entre eux. Et c’est pourquoi, puisque l’autorité est dans le
Père, on dit que le Père opère par le Fils et en aucune manière que le Fils
opère par le Père. Et c’est pourquoi encore, en un certain sens, le Fils est
un intermédiaire dans l’opération du Père, mais le Père ne l’est nullement
dans l’opération du Fils. |
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Distinctio 13 |
Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit – suite] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis, quatuor
quaeruntur : 1 utrum in Deo sit aliqua processio ; 2 si est, utrum sit una tantum vel plures ; 3 qualiter duae processiones nominari debeant ; 4 si Spiritus sanctus, qui procedit, non dicatur genitus,
utrum debeat dici ingenitus. |
Pour comprendre cette partie, on cherche à
répondre à quatre questions : 1. Y a-t-il une procession en Dieu? 2. Y en a-t-il une seule ou plusieurs ? 3. De quelle manière les deux processions
doivent-elles être nommées ? 4. Est-ce qu’on doit dire de l’Esprit-Saint
qui procède et n’est pas engendré, qu’Il est inengendré ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La procession du Saint Esprit] |
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Articulus 1 [969] Super Sent., lib. 1 d. 13 q.
1 a. 1 tit. Utrum processio sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ? |
[970] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit processio. Processio enim
dicit motum quemdam processivum. Omnis autem motus indigentiae et imperfectionis
est, et Deo non competit. Ergo in Deo non est processio. |
Difficultés : Il semble qu’il n’y ait pas de procession en
Dieu. En effet, qui dit procession dit un certain mouvement progressif. Mais
tout mouvement relève d’un manque et d’une imperfection et n’appartient pas à
Dieu. Il n’y a donc pas de procession en Dieu. |
[971] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, processio dicit exitum unius ab alio. Exitus
autem est per distantiam exeuntis ab eo ex quo exit. Cum igitur in
divinis personis sit omnino indistantia, videtur quod ibi non sit processio. |
2. En outre, toute procession
implique qu’un être sorte d’un autre. Mais une sortie se réalise par une
distantiation de celui qui sort par rapport à celui d’où il sort. Donc,
puisqu’en Dieu il n’y a absolument aucune distance, il semble qu’il n’y ait
là aucune procession. |
[972] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, omnis processio est ab aliquo in aliquid. Sed divinae personae cum
sint per se subsistentes, non sunt ab aliquo in aliquid. Ergo videtur quod
non conveniat eis procedere. |
3. De plus, toute procession
a lieu d’un être à un autre. Mais les Personnes divines, puisqu’elles
subsistent par elles-mêmes, n’existent par par un passage d’un être à un
autre. Il semble donc qu’il ne leur appartient pas de procéder. |
[973] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
Joan. 15, 26 : cum venerit Paraclitus, quem ego mittam a patre,
spiritus veritatis, qui a patre procedit. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Jean (15, 26) dit dans son évangile : Lorsque
viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de
vérité, qui procède du Père…Donc, il y a bien procession en Dieu. |
[974] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, in anima est imago Trinitatis. Sed in anima invenitur notitia
procedere a mente, et amor ab utroque. Videtur ergo quod sit processio etiam
in divinis personis. |
2. Par ailleurs, il y a dans
l’âme une image de la Trinité. Mais dans l’âme il se trouve que la
connaissance procède de l’intelligence, et l’amour procède de ces deux
dernières. Il semble donc qu’il y ait procession même chez les Personnes
divines. |
[975] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod processio dicitur dupliciter : uno modo dicit motum
localem qui proprie est motus animalis motu progressivo, et talis processio
non potest esse in divinis, nisi metaphorice loquendo : secundum
similitudinem enim talis processionis dicitur divina sapientia vel bonitas
procedere in creaturas, secundum quod similitudinem suam gradatim efficit in
illis ; secundum quem modum quaedam Deo aliis similiora sunt. Alio modo dicitur
processio eductio principiati a suo principio ; et cum in divinis personis
una sit ab alia sicut a principio, per modum istum proprie est processio in
divinis. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que le terme de procession se dit en deux sens: Il se dit
premièrement à la manière du mouvement local qui est proprement celui de
l’animal qui se meut d’un mouvement progressif, et une telle procession ne
peut exister en Dieu, si ce n’est en un sens métaphorique: c’est à la
resemblance d’une telle procession qu’on dit de la sagesse ou de la bonté
divine qu’elle procède dans les créatures selon qu’elle imprime peu à peu sa
resemblance en elles; et selon ce mode certaines créatures ressemblent
davantage à Dieu que d’autres. Mais en un autre
sens le terme de procession se dit de la sortie d’une chose de son principe;
et comme en Dieu une personne vient d’une autre comme de son principe, c’est
de cette manière qu’on retrouve proprement une procession en Dieu. |
[976] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creaturis quaelibet
processio est per aliquem motum vel mutationem ; quia nec aliquid localiter
procedit nisi per motum, nec aliquid a causa sua egreditur nisi aliqua
mutatione contingente circa ipsum a quo egreditur, si sit de essentia ejus,
vel saltem circa id quod egreditur. In divinis autem est origo unius personae
ab alia sine aliqua mutatione, ut supra de generatione dictum est, dist. 4,
quaest. 1, art. 1, cum nihil praedicetur de Deo secundum id quod
imperfectionis est in ipso. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que dans les créatures toute procession se réalise par un
mouvement ou un changement ; car ce n’est que par le mouvement que
quelque chose procède selon le lieu et ce n’est que par un changement se
produisant sur cela même d’où elle sort qu’une chose sort de sa cause si elle
est de même essence qu’elle, ou au moins sur cela même qui en sort. |
[977] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod quamvis in divinis personis non sit distantia
secundum locum neque secundum essentiam, est tamen distinctio in personis
secundum proprietates personales ; et hoc sufficit ad rationem processionis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que dans les Personnes divines il n’y ait distance ni selon le
lieu ni selon l’essence, il y a cependant une distinction entre elles d’après
les propriétés personnelles. Et cela suffit à la notion de procession. |
[978] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod processio localis est in
aliquid sicut in terminum motus ; sed quod procedit a causa, non oportet quod
in alterum procedat, et sic sumitur processio in divinis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la procession locale est dans une chose comme dans le terme du
mouvement ; mais ce qui procède d’une cause ne procède pas
nécessairement dans un autre et c’est en ce sens que se prend la procession
dans les Personnes divines. |
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[979] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum processio divina sit
tantum una |
Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ? |
[980] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in divinis
una tantum sit processio. Sicut enim paternitas notat proprietatem originis,
ut a quo est aliquis ; ita processio, ut qui est ab alio. Sed supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, quod in
divinis non potest esse nisi una paternitas. Ergo nec nisi una processio. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
qu’une seule procession en Dieu. En effet, tout comme la paternité désigne
une propriété d’origine, comme celui d’où vient un être, de même la
procession désigne la propriété d’origine comme celui qui vient d’un autre.
Mais nous avons dit plus haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] qu’il ne peut y
avoir qu’une paternité en Dieu. Il ne peut donc y avoir qu’une seule
procession. |
[981] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, in omnibus habentibus unam naturam in specie, non est nisi unus
modus quo natura illa communicatur ; unde etiam dicit Commentator 8 Physic.,
quod mures qui generantur ex putrefactione terrae, et qui generantur ex
semine, non sunt ejusdem speciei. Sed per processionem personarum
communicatur natura divina, quae est una tantum non solum in specie, sed
etiam in numero. Ergo non est nisi unus
modus processionis in divinis. |
2. Par ailleurs, pour tous
les êtres qui possèdent une même nature dans l’espèce, il n’y a qu’une seule
manière par laquelle cette nature est communiquée ; c’est pourquoi le
Commentateur dit aussi [8 Physique] que les souris qui sont
engendrées par la putréfaction de la terre et celles qui sont engendrées à
partir d’une semence ne sont pas de même espèce. Mais par la procession des
Personnes c’est la nature divine qui est communiquée, laquelle est unique non
seulement par l’espèce mais aussi par le nombre. Il n’y a donc qu’une seule
forme de procession dans les Personnes divines. |
[982] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, operationes vel actus distinguuntur ad
invicem penes terminos et penes principia. Sed processio in divinis est
semper ab eodem principio, quia omnis processio est virtute naturae ipsius
producentis ; est etiam ad eumdem terminum per processionem acceptum, quia in
processione divina semper accipitur divina natura. Ergo videtur quod non sit nisi una processio in divinis. |
3. En outre, les opérations
ou les actes se distinguent les uns des autres par les termes et par les
principes. Mais la procession en Dieu vient toujours d’une même principe car
toute procession vient de la puissance de la nature de celui-là même qui
produit ; et par la procession c’est toujours le même terme qui est
atteint car dans la procession divine c’est toujours à la nature divine qu’on
aboutit. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule procession en Dieu. |
[983] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, si sunt duae processiones, aut differentiam habebunt ex parte
essentiae, aut ex parte relationum, cum non sint plura in divinis. Sed ex
parte essentiae non invenitur diversitas nisi rationis secundum pluralitatem
attributorum ; diversitas autem rationis non causat pluralitatem realem,
qualem oportet esse processionum duarum, secundum quas duae personae realiter
distinctae procedunt. Ergo ex parte essentiae non potest sumi realis
diversitas processionum. Similiter nec ex parte relationum ; relationes enim
secundum rationem intelligendi consequuntur processiones ; eo enim Filius
est, quia a Patre procedit. Ergo videtur quod nullo modo possunt esse
processiones plures in divinis. |
4. De plus, s’il y a deux
processions, ou bien elles se différencieront du côté de l’essence, ou bien
du côté des relations, car il n’y a rien d’autre en Dieu. Mais du côté de
l’essence on ne retrouve qu’une différence de raison d’après la multiplicité
des attributs ; mais une différence de raison n’entraîne pas une
multiplicité réelle qu’il doit y avoir pour qu’il y ait deux processions
d’après lesquelles deux Personnes réellement distinctes procèdent. Une
différence réelle de processions ne peut donc se tirer du côté de l’essence.
Elle ne peut non plus se tirer du côté des relations puisque les relations en
effet, selon la manière de les comprendre, découlent des processions ;
c’est parce qu’Il procède du Père que le Fils existe comme Fils. Il semble
donc qu’en aucune manière il ne peut y avoir plusieurs processions en Dieu. |
[984] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
secundum unam processionem est unus tantum procedens. Sed in divinis sunt
duae personae procedentes, scilicet Filius et Spiritus sanctus, ut habetur in
littera. Ergo videtur quod oportet esse duas processiones. |
Cependant : 1. Au contraire, un seul être
procède d’une seule et même procession. Mais en Dieu il y a deux personnes
qui procèdent, à savoir le Fils et l’Esprit-Saint, ainsi qu’on l’établit dans
le document. Il semble donc qu’il faut qu’il y ait deux processions. |
[985] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum,
quod quidam dicunt quod istae duae processiones realiter distinguuntur, nec
oportet quaerere quo distinguantur, quia sunt prima distinguentia personas ;
sicut nec quaerimus quo distinguuntur rationale et irrationale. Sed hoc non
videtur conveniens : quia generatio et processio nullam habent oppositionem
ad invicem ; omnis autem distinctio formalis est secundum aliquam
oppositionem. Et praeterea processio et generatio significantur per
modum operationum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains disent que ces deux processions se distinguent réellement et
qu’il ne faut pas chercher par quoi elles se distinguent parce qu’elles sont
premières à distinguer les personnes, tout comme nous ne cherchons pas à
savoir par quoi se distinguent le rationnel et l’irrationnel. Mais cela ne semble
pas juste car la génération et la procession ne s’opposent nullement entre
elles ; mais toute distinction formelle implique une opposition. Et dès
lors la procession et la génération signifient par mode d’opération. |
Hoc autem non convenit, ut per operationes vel motus,
distinguantur operantia vel operata ; sed magis e converso, quia actiones
differunt specie secundum formas agentium, ut calefacere et infrigidare, et
motus secundum terminos. Et ideo alii dicunt quod differentia sumitur ex hoc
quod generatio est processio naturae, et processio Spiritus sancti est
processio voluntatis. Sed hoc etiam non competit : quia voluntas et natura in
divinis solum ratione distinguuntur. |
Mais il ne convient pas que
ce soit par les opérations ou par les mouvements que se distinguent ceux qui
posent les opérations et les œuvres ; mais c’est plutôt l’inverse car
les actions, comme réchauffer et refroidir, diffèrent par l’espèce d’après
les formes des agents, et les mouvements diffèrent d’espèce d’après leurs
termes. Et c’est pourquoi d’autres disent que la différence se tire de ceci
que la génération est une procession de la nature alors que la procession de
l’Esprit-Saint est une procession de la volonté. Mais cela non plus n’est pas
valable car la nature et la volonté ne se distinguent en Dieu que par la
raison. |
Unde talis distinctio, realis distinctionis ratio esse non
potest, quia principium non est debilius principiato. Et praeterea secundum
hoc processio intellectus, secundum quam dicitur Verbum, esset alia a processione
naturae, secundum quam dicitur Filius. Et ideo dicendum, quod in divinis non
potest esse aliqua realis distinctio et pluralitas, nisi secundum relationes
originis. |
C’est pourquoi une telle
distinction ne peut être la raison d’une distinction réelle car le principe
n’est pas plus faible que ce qui en résulte. Et par la suite suivant cela la
procession de l’intelligence d’après laquelle se dit le Verve serait autre
que la procession de la nature selon laquelle se dit le Fils. Et c’est
pourquoi il faut dire qu’en Dieu il ne peut y avoir une distinction réelle et
une multiplicité que d’après les relations d’origine. |
Et ideo secundum hoc nos oportet investigare pluralitatem
procedentium et processionum. Dico igitur secundum hoc, quod est in divinis
aliqua processio secundum quam una persona procedit ab una ; et haec est
processio generationis, secundum quam Filius est a Patre ; et ideo dicitur
esse per modum naturae vel intellectus ; procedit enim ut Filius, et ut
Verbum : quia in utroque modo istarum processionum, scilicet naturae et
intellectus, est unius ab uno processio. Item est aliqua processio in divinis
quae est simul a duobus, scilicet ab eo qui procedit et ab eo a quo procedit
; et haec distinguitur a prima secundum originem ; quia ista secunda processio
est a procedente secundum processionem praedictam, quae est per modum
naturae. |
Et c’est pourquoi suivant
cela il nous faut rechercher la multiplicité de ceux qui procèdent et des
processions. Je dis donc suivant cela qu’il y a en Dieu une procession
d’après laquelle une seule Personne procède d’une seule autre et c’est là la
procession de la génération d’après laquelle le Fils vient du Père ; et
c’est pourquoi on dit que c’est là une procession par mode de nature ou
d’intelligence ; cette Personne en effet procède en tant que Fils et en
tant que Verbe : car dans chacune de ces deux sortes de processions, à
savoir celle de la nature et celle de l’intelligence, un seul être procède
d’un seul autre. Il y a en outre en Dieu une procession qui vient simultanément
de deux autres, à savoir de celui qui procède et de celui duquel il
procède ; et cette procession se distingue de la première d’après
l’origine ; car cette deuxième procession vient de ce qui procède
d’après la procession précédente et qui opère par mode de nature. |
Et inde est quod ista processio dicitur per modum
voluntatis esse, quia per consensum ex duobus volentibus potest unus amor
procedere. Et secundum istos modos diversos originis, producuntur plures
personae relatione originis distinctae, scilicet Filius, qui est a Patre, et
Spiritus sanctus, qui est ab utroque. Unde concedo quod nisi Spiritus sanctus
esset a Filio, non esset assignare distinctionem realem inter Filium et
Spiritum sanctum. |
Et c’est pourquoi on dit que
cette procession a lieu par mode de volonté, car c’est de l’accord de deux
volontés que peut procéder un unique amour. Et c’est d’après ces différentes
sortes d’origine que sont produites plusieurs Personnes qui se distinguent
par une relation d’origine : le Fils qui vient du Père, et le
Saint-Esprit qui vient du Père et du Fils. C’est pourquoi nous concédons
qu’il n’y a lieu d’assigner une distinction réelle entre le Fils et
l’Esprit-Saint que parce que l’Esprit-Saint vient du Fils. |
[986] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod paternitas dicit modum determinatum originis, qui
ulterius non potest multiplicari secundum diversam rationem originis, sed
tantum secundum materiam, ut diversificetur in numero ; sed processio dicit
originem in communi, et potest secundum duos modos originis determinari ;
scilicet quod sit processio unius ab uno non procedente, et quod sit
processio etiam a procedente. Plures modi non possunt inveniri qui
distinguantur ex ratione originis ; et ideo non possunt esse plures processiones
in divinis quam duae. Si enim acciperetur processio ab uno procedente vel
pluribus, non esset differentia nisi secundum unum et plura, quae differentia
nullo modo ad originem pertinet, sicut si divideretur gressibile, non per
bipes et quadrupes, sed per album et nigrum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la paternité renvoie à un mode déterminé d’origine qui ne
peut par la suite se multiplier d’après une notion différente d’origine, mais
seulement d’après la matière pour se différencier par le nombre ; mais
c’est dans l’universel que la procession renvoie à l’origine et elle peut
être précisée suivant deux modes ; à savoir le premier où un seul être
procède d’un seul autre qui ne procède pas et le second cas où il y a
procession même de ce qui procède. On ne peut trouver davantage de sortes de
processions qui se distinguent par la notion d’origine et c’est pourquoi il
n’y a pas plus que deux processions en Dieu. Si en effet on prenait une
procession venant d’un seul principe qui procède ou de plusieurs,
il n’y aurait de différence que selon l’un et le multiple, différence qui ne
renvoie nullement à l’origine, par exemple si on divisait les animaux qui
marchent non pas en bipèdes et quadrupèdes, mais en blancs et noirs. |
[987] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in natura creata est duplex communicatio : una quae
est per modum naturae, et alia quae est per modum amoris. Non autem in
utraque communicationum communicatur natura, sed tantum in ea quae est per
modum naturae. Ex imperfectione autem voluntatis creatae est quod non potest
communicari per eam natura ; quia illud quod procedit per modum voluntatis,
scilicet amor, non est hypostasis per se subsistens, sicut in divinis ; et
ideo ex perfectione divinae naturae est quod communicetur non tantum per
actum naturae, qui est generatio, sed per actum voluntatis, qui est consensus
amoris. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la nature créée il y a deux sortes de communications : la
première qui est par mode de nature et la deuxième qui est par mode d’amour.
Et ce n’est pas dans les deux sortes de communications que la nature est
communiquée, mais seulement dans celle qui est par mode de nature. C’est en
raison de l’imperfection de la volonté créée que la nature ne peut être
comuniquée par cette dernière ; car ce qui procède par mode de volonté,
à savoir l’amour, n’est pas une hypostase qui subsiste par elle-même comme
c’est le cas en Dieu ; et c’est pourquoi c’est en raison de la perfection
de la nature divine que cette dernière est communiquée non seulement par
l’acte de nature qui est la génération mais aussi par l’acte de volonté qui
est l’accord de l’amour. |
[988] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod distinguuntur processiones in divinis et penes principium et
penes terminum [finem Éd. de Parme]. Ut enim superius dictum est,
quamvis natura divina sit principium generationis in Patre, non tamen
absolute sub ratione naturae, sed sub ratione paternitatis. Et similiter natura,
inquantum est natura divina, quae accipitur [Et similiter a natura divina,
inquantum est natura quae acquiritur Éd. de Parme] in Filio per
generationem, non habet Filius quod sit Filius, sed ab eo quod natura in
Filio secundum rem est ipsa filiatio. Et ita patet quod ipsae relationes se
habent aliquo modo ut principium et ut terminus ad ipsas processiones. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les processions en Dieu se distinguent à la fois par le principe et
par le terme [la fin Éd. de Parme]. En effet, ainsi que nous l’avons dit plus
haut, bien que la nature divine soit le principe de la génération dans le
Père, ce n’est cependant pas d’une manière absolue nous la notion de nature,
mais sous la notion de paternité. Et de la même manière la nature, selon
qu’elle est la nature divine, qui est reçue [Et de la même manière c’est de
la nature divine, selon qu’elle est la nature qui est acquise Éd. de
Parme] dans le Fils par la génération ne fait pas que le Fils soit le
Fils, mais que par là la nature qui est reçue dans le Fils est selon la chose
la filiation elle-même. Et ainsi il est clair que le
relations elles-mêmes se présentent d’une certaine manière comme
principe et comme terme par rapport aux processions. |
[989] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod, cum secundum processiones distinguantur personae, quae
realiter plures sunt, non potest dici quod processiones re non differunt sed
ratione tantum. Nihil enim causat distinctionem majorem, formaliter loquendo,
quam sit distinctio qua distinguuntur ipsa ad invicem. Sed sicut proprietates
personales, secundum quod comparantur ad essentiam, sunt idem re, quia sunt
divina essentia, a qua tantum ratione differunt ; secundum autem quod ad
aliquid dicuntur, sunt secundum rem plures ; ita est etiam de processionibus
: quia secundum quod comparantur ad naturam ut principium vel terminum
[terminus Éd. de Parme], non distinguuntur nisi ratione, secundum
quod dicitur in Deo voluntas et natura ratione differre ; sed quia
comparantur etiam ad proprietates relativas sicut ad principium vel terminum,
ut dictum est, dist. 2, qu. 1, art. 5, ideo ex hoc etiam habent realem
differentiam. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que puisque c’est d’après les processions que se distinguent les
personnes, lesquelles sont réellement multiples, on ne peut dire que les
processions diffèrent seulement par la raison et non pas réellement. Rien en
effet ne cause une différence majeure, à parler formellement, si ce n’est la
distinction par laquelle les Personnes se distinguent l’une de l’autre. Mais
tout comme les propriétés personnelles, selon qu’elles se comparent à
l’essence, sont identiques par la chose parce qu’elles sont l’essence divine
de laquelle elles diffèrent seulement par la raison, mais selon qu’elles se
disent relativement elles sont réellement multiples, il en est de même aussi
des processions : car selon qu’elles se comparent à la nature comme
principe ou terme [terme Éd. de Parme], elles ne se distinguent
que par la raison, selon qu’on dit que la volonté et la nature en Dieu ne
diffèrent que par la raison ; mais parce qu’elles se comparent aussi aux
propriétés relatives comme à leur principe ou à leur terme ainsi que nous
l’avons dit [dist. 2, quest. 1, art. 5], c’est pourquoi elles tiennent aussi
de cela une différence réelle. |
[990] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad s. c. 1 Quod
ergo objicitur, quod relationes consequuntur processiones, unde magis videtur
quod processiones diversae causent diversitatem relationum, quam e converso ;
vel ad minus erit ibi circulatio : dicendum, quod relatio in divinis non
tantum habet quod sit relatio, sed etiam quod sit personalis, idest
constituens personam ; et ex hoc habet quasi actum differentiae constitutivae
et formae propriae ipsius personae, cujus est operatio generationis vel
spirationis ; et ideo non est inconveniens quod secundum relationis rationem
relationes consequantur ipsas processiones, et recipiant differentiam ab eis
; secundum autem quod sunt formae propriae ipsarum personarum, causent differentiam
processionum. |
1. Ce qui et présenté comme
objection, à savoir que les relations découlent des processions, d’où il
semble davantage que les processions différentes causent la diversité des
relations plutôt que l’inverse, ou au moins qu’il y aura cercle vicieux, il
faut dire que la relation en Dieu ne tient pas seulement qu’elle soit une
relation, mais aussi qu’elle soit personnelle, c’est-à-dire qu’elle constitue
la Personne ; et c’est de là qu’elle tient comme l’acte de la différence
constitutive et de la forme propre de la Personne elle-même, dont l’opération
est celle de la génération ou de la spiration ; et c’est pourquoi il n’y
a pas de problème à ce que selon la notion de relation les relations
découlent des processions elles-mêmes et reçoivent d’elles leur
différence ; mais selon qu’elles sont les formes propres des Personnes
elles-mêmes, les relations causent la différence des processions. |
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Articulus 3 |
Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle être appelée procession ou génération ? |
[992] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod processio
Spiritus sancti non debet nominari processio, sed generatio. Si enim non sit
generatio, tunc contra generationem dividitur. Sed nullum commune
dividitur contra proprium. Cum igitur processio sit communis generationi et
processioni Spiritus sancti, videtur quod processio Spiritus sancti non
debeat nominari processio. |
Difficultés : 1. Il semble que la
procession de l’Esprit-Saint ne doive pas être appelée procession, mais
plutôt génération. Si en effet elle n’était pas une génération,
alors elle se distinguerait par opposition à la génération. Mais rien de ce
qui est commun ne se distingue par opposition à ce qui est propre. Donc,
puisque la procession est commune à la fois à la génération et à la
procession de l’Esprit-Saint, il semble que la procession de l’Esprit-Saint
ne doive pas être appelée procession. |
[993] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, sicut generatio Filii dicit specialem modum originis, ita et
processio Spiritus sancti ; alias non esset proprietas constitutiva personae,
ut prius dictum est, art. antec. Sed processio non dicit aliquem specialem
modum originis, ut dictum est, art. 1, istius dist. Ergo modus originis
Spiritus sancti non debet per processionem nominari. |
2. Par ailleurs, tout comme
la génération du Fils signifie un mode d’origine particulier, il en est de
même pour la procession de l’Esprit-Saint ; autrement, il n’y aurait pas
une propriété constitutive de la personne comme nous l’avons dit plus haut
dans l’article précédent. Mais le terme de procession ne dit pas un mode
particulier d’origine comme nous l’avons dit dans l’article premier de cette
distinction. Donc, le mode d’origine de l’Esprit-Saint ne doit pas être
dénommé par le terme de procession. |
[994] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, sicut Filius accipit totam naturam et substantiam Patris, ita et
Spiritus sanctus. Sed illa processio secundum quam aliquis accipit naturam ejus a quo procedit,
dicitur generatio, etiam in inferioribus, ut patet inducendo in
singulis. Ergo videtur quod processio
Spiritus sancti debet dici generatio. |
3. En outre, tout comme le
Fils reçoit toute sa nature et toute sa substance du Père, il en est de même
de l’Esprit-Saint. Mais cette procession, selon laquelle un être reçoit la
nature de celui duquel il procède, s’appelle génération même chez les êtres
inférieurs ainsi qu’on le voit par l’examen des cas particulieurs. Il semble
donc que la procession de l’Esprit-Saint doive être appelée génération. |
[995] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, Damascenus, definiens generationem dicit sic : generatio est
divinae naturae opus existens, ut versionem, qui generat, non suscipiat, et
ut neque Deus prior neque posterior sit. Sed processio Spiritus sancti est
opus divinae naturae et cetera. Ergo videtur quod sit generatio. Quod autem
sit opus divinae naturae et non voluntatis, probatur per Hilarium, qui dicit,
quod omnibus creaturis substantiam voluntas attulit, sed Filio natura dedit.
Sed Spiritus sanctus non est creatura ; et ita non habet substantiam per
voluntatem, sed per naturam Patris. |
4. De plus Damascène,
lorsqu’il définit la génération, parle ainsi : la génération
est l’œuvre de la nature divine qui existe de telle manière que celui qui
engendre ne reçoit pas le changement et que Dieu n’est ni antérieur ni
postérieur. Mais la procession de l’Esprit-Saint est une œuvre de la nature
divine etc. Donc il semble qu’elle soit une génération. Mais qu’elle soit
l’œuvre de la nature divine et non de la volonté, cela est prouvé par
Saint-Hilaire qui dit que la volonté a apporté la substance à toutes les
créatures mais que la nature l’a donnée au Fils. Mais l’Esprit-Saint n’est
pas une créature et ainsi il ne tient pas sa substance de la volonté mais de
la nature du Père. |
[996] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, quidquid procedit per modum generationis,
procedit ut genitum, praecipue in rebus viventibus. Sed Spiritus sanctus non procedit ut genitus : alias
essent duo filii in Trinitate, quod non potest esse. Ergo processio Spiritus
sancti non debet dici generatio. |
Cependant : Au contraire, tout ce qui
procède par mode de génération procède à la manière de ce qui est engendré,
surtout chez les vivants. Mais l’Esprit-Saint ne procède pas à la manière de
ce qui est engendré : autrement, il y aurait deux fils dans la Trinité,
ce qui est impossible. La procession de l’Esprit-Saint ne doit donc pas être
appelée génération. |
[997] Super Sent., lib.
1 d. 13 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis est accipere commune et proprium, quamvis non sit
accipere universale, et particulare. Ad hoc enim quod sit universale et
particulare, exigitur aliqua diversitas realis, ut supra dictum est, dist. 8,
quaest. 4, art. 1, quidditatis communicabilis, et esse quod proprium est. Et
talis diversitas non potest esse in divinis. Sed est ibi accipere commune et
proprium dupliciter, scilicet secundum rem, et secundum rationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu il faut admettre du commun et du propre, bien qu’il n’y ait pas à
admettre de l’universel et du particulier. En effet, pour qu’il y ait de
l’universel et du particulier, il faut qu’il y ait une différence réelle,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1], entre une
quiddité communicable et une existence qui est propre. Et une telle
différence ne se trouve pas en Dieu. Mais il faut y admettre du commun et du
propre de deux manières, à savoir selon la chose, en réalité, et selon la
raison. |
Secundum rem, sicut
dicimus essentiam esse communem tribus personis, et unamquamque personam
distingui per id quod sibi est proprium. Secundum rationem autem,
sicut quando intellectus noster in divinis accipit aliquid et quantum ad
rationem communem vel indeterminatam, et quantum ad rationem determinatam et
propriam : quia utrumque ad dignitatem pertinet, et ratio generis et ratio
differentiae : sicut in divinis est ratio cognitionis, quae communis est, et
ratio scientiae, quae propria est et determinata ; nec tamen unum est genus
alterius, secundum quod in Deo sunt. Ita dico, quod processio dicitur
secundum rationem communem originis, generatio autem secundum determinatam
originis rationem. Unde se habent sicut commune et proprium ; non tamen sicut
genus et species. |
Selon la chose, comme nous
disons que l’essence est commune aux trois Personnes et que toute personne se
distingue par ce qui lui est propre. Mais selon la raison, comme
lorsque notre intelligence admet en Dieu quelque chose à la fois quant à la
notion commune ou indéterminée et quant à la notion déterminée ou
propre : car les deux se rapportent à la dignité, à la fois la notion de
genre et celle de différence : par exemple en Dieu il y a la notion de
connaissance, qui est commune, et la notion de science qui est propre et
déterminée ; et cependant, selon qu’elles existent en Dieu, l’une n’est
pas le genre de l’autre. Ainsi je dis que la procession se dit selon une
notion commune d’origine, et la génération selon une notion déterminée
d’origine. C’est pourquoi elles se présentent dans le rapport du commun au
propre et non dans celui du genre à l’espèce. |
[998] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod processio, secundum quod sumitur in communi ratione,
non condividitur generationi ; sed prout sumitur secundum determinatum modum
processionis, qui Spiritui sancto competit. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que la procession, ne se distingue pas par opposition à la
génération selon qu’on la prend dans sa notion commune mais selon
qu’elle se prend d’après un mode déterminé de procession qui appartient à
l’Esprit-Saint. |
[999] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod frequenter invenimus quod aliquod proprium denominatur
nomine communi ; sicut omne convertibile dicitur proprium, sive significet
quid est res, sive non. Sed tamen hoc nomen sibi specialiter retinet illud
convertibile quod substantiam non significat, quia non addit aliquid
nobilitatis quo nominari possit. Non autem sic dicimus in proposito : non
enim origo spiritus sancti nominatur communi nomine, quia nihil addit supra
rationem, vel minus habet quam generatio Filii, cum Spiritus sanctus Filio
sit aequalis in dignitate. Sed hujusmodi assignantur tres rationes. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’il arrive souvent que quelque chose de propre soit dénommé par un nom
commun, comme tout ce qui est convertible est appelé propre, qu’il signifie
ou non ce qu’est la chose. C’est cependant le convertible qui ne signifie pas
la substance qui retient pour lui ce nom d’une manière spéciale car il
n’ajoute rien de notable par quoi il pourrait être nommé. Mais ce n’est pas
en ce sens que nous parlons dans notre propos : en effet, l’origine de
l’Esprit-Saint n’est pas dénommée par un nom commun parce qu’elle n’ajoute
rien à la nature de la génération du Fils ou qu’elle lui est inférieure,
puisque l’Esprit-Saint est égal au Fils en dignité. Mais on présente trois
raisons pour expliquer cette attribution qu’on fait à l’Esprit-Saint d’un nom
commun. |
Prima est, quia Spiritus sanctus maxime accedit ad
processionem : non enim tantum ipse procedit sicut et Filius, sed a
procedente procedit, quod Filio non competit. |
La première est que
l’Esprit-Saint accède davantage à la procession : en effet, Lui-même ne
procède pas à la manière du Fils, mais Il procède de ce qui procède, ce qui
n’est pas le cas pour le Fils. |
secunda est, quia cum processio dicatur dupliciter,
scilicet secundum motum localem et secundum exitum causati a causa, uterque
modus aliquo modo competit origini Spiritus sancti. |
La deuxième est que puisque
la procession se dit en deux sens, à savoir selon le mouvement local et selon
qu’une effet sort de sa cause, les deux modalités appartiennent d’une
certaine manière à l’Esprit-Saint. |
Inquantum enim procedit
ut persona distincta, sic sua processio habet similitudinem ad exitum causati
a causa. Inquantum autem procedit ut amor, qui tendit [in add. Éd. de
Parme] alterum non sicut in recipiens, sed sicut in objectum, habet similitudinem
cum processione locali, quae est ex aliquo in aliquid. Pater enim amat Filium amore, qui est Spiritus sanctus.
Filio autem non competit processio nisi secundum unum modum, scilicet exitum
a causa. |
En effet, selon qu’Il procède
en tant que personne distincte, ainsi sa procession ressemble à la sortie
d’un effet de sa cause. Mais selon qu’il procède en tant qu’amour qui se
continue [vers add. Éd. de Parme] dans un autre non
pas comme dans ce qui reçoit mais comme dans un objet, alors il ressemble à
une procession locale qui va d’un point à un autre. En effet, c’est par
l’amour qui est l’Esprit-Saint que le Père aime le Fils. Mais il n’y a qu’un
seul mode de procession qui appartient au Fils, à savoir celui qui consiste
pour un effet à sortir de sa cause. |
Tertia ratio (et credo quod melior est) quia in rebus
creatis invenimus aliquid in se subsistens, procedere per modum naturae, et
hoc dicimus generari ; unde secundum hoc potuimus processionem Filii proprio
nomine nominare, scilicet generationis nomine. Sed non invenimus aliquid in
creaturis per se subsistens, procedere per modum amoris, sicut Spiritus
sanctus procedit : et ideo istam processionem non potuimus nominare nomine
proprio, sed tantum communi. |
La troisième raison (et je
crois que c’est la meilleure) est que dans les choses créées nous découvrons
que ce qui subsiste en soi procède par mode de nature et nous appelons cela
être engendré ; par la suite c’est d’après cela que nous avons pu nommer
la procession du Fils au moyen d’un nom propre, à savoir par le nom de
génération. Mais dans les créatures nous n’observons rien qui subsiste par
soi et qui procède par mode d’amour à la manière dont l’Esprit-Saint
procède : et c’est pourquoi nous n’avons pu dénommer cette
procession par un nom propre mais seulement par un nom commun. |
[1000] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod processio amoris, inquantum hujusmodi, non habet quod per
ipsam natura aliqua communicetur ; sed hoc habet inquantum est in divinis,
ubi non potest esse aliquid imperfectum. Et ideo Spiritus sanctus secundum
rationem processionis, communiter loquendo, non habet quod communicetur sibi
natura ; et ideo talis processio non potest dici generatio secundum suam
propriam rationem. Ex ipsa enim ratione generationis est quod natura genito
communicetur : quamvis enim diversitas rationis non sufficiat ad realem
processionum differentiam, sufficit tamen ad differentem nominationem. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que la procession de l’amour, en tant que telle, n’a pas le
pouvoir de communiquer par elle-même une nature ; mais elle possède ce
pouvoir en tant qu’elle existe en Dieu en qui rien d’imparfait ne peut
exister. Et c’est pourquoi il ne revient pas à l’Esprit-Saint que lui soit
communiquée une nature d’après la notion de procession telle qu’on l’entend
communément ; et c’est pourquoi une telle procession ne peut être
appelée génération si on prend ce terme d’après sa définition propre. En
effet, il est de la nature même de la génération de communiquer une nature à
ce qui est engendré : en effet, bien qu’une différence de définition ne
suffise pas à établir une différence réelle de processions, elle suffit
cependant à établir une dénomination différente. |
[1001] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod natura non est principium processionis Spiritus sancti sub
ratione naturae, sed sub ratione voluntatis, a qua procedit amor ; et ideo
sua processio non dicitur nativitas, cum nativitas a natura dicatur. Nec
tamen ex hoc sequitur quod Spiritus sanctus sit creatura. Voluntas enim
comparatur ut principium ad ipsa principiata, et sic comparatur ad creaturas
; vel ad ipsam rationem principiandi, et sic comparatur ad amorem, qui est
Spiritus sanctus, sicut intellectus ad artem, ut superius dictum est, dist.
10, quaest. 1, art. 3. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la nature n’est pas le principe de la procession de l’Esprit-Saint
sous le rapport de la nature, mais sous le rapport de la volonté de laquelle
l’amour procède ; et c’est pourquoi sa procession n’est pas appelée
naissance, puisque la naissance se dit à partir de la notion de nature. Et
cependant il ne suit pas de là que l’Esprit-Saint soit une créature. C’est en
tant que principe en effet que la volonté se compare à ce qui en résulte et
c’est ainsi qu’elle se compare aux créatures ; ou bien elle se compare à
la notion même de principe et c’est ainsi qu’elle se compare à l’amour, qui
est l’Esprit-Saint, comme l’intelligence se compare à l’art, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 3]. |
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Articulus 4 [1002] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4
tit. Utrum spiritus sanctus debeat dici ingenitus |
Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est inengendré ? |
[1003] Super Sent.,
lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus debet dici ingenitus. Et
primo per auctoritatem Hieronymi in littera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’on doive dire
de l’Esprit-Saint qu’Il est inengendré. Et premièrement en raison de
l’autorité de Saint-Jérôme dans le document. |
[1004] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, terminus infinitus convertitur cum negatione, supposita existentia
subjecti ; sicut non homo, non est homo. Quidquid enim est et non est homo,
est non homo. Sed ingenitus est terminus infinitus. Ergo cum Spiritus sanctus
sit, et non sit genitus, videtur quod sit ingenitus. |
2. Par ailleurs, un terme
infini se convertit avec la négation, une fois supposée l’existence du
sujet ; tout comme un non-homme n’est pas un homme. En effet, tout ce
qui existe et n’est pas un homme est un non-homme. Mais ¨inengendré¨ est un
terme infini. Donc, puisque l’Esprit-Saint existe et qu’Il n’est pas
engendré, il semble qu’il soit inengendré. |
[1005] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, ingenitum aut dicit relationem, aut absolutum. Sed non dicit
relationem notionalem, quia tunc non posset dici essentia ingenita. Ergo
videtur quod sit de absolutis ; et ita videtur convenire Spiritui sancto. |
3. En outre, inengendré dit
soit une relation, soit un absolu. Mais il ne dit pas une relation
notionnelle, car alors on ne pourrait pas dire de l’essence qu’elle est
inengendrée. Il semble donc que ce soit un terme qui fait partie des
absolus ; et ainsi il semble que ce terme convienne à l’Esprit-Saint. |
[1006] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed in
contrarium est quod dicitur in littera, quod solus pater ingenitus est. Ergo
non spiritus sanctus. |
Cependant : 1. Mais au contraire on dit dans le document
que seul le Père est inengendré. Donc l’Esprit-Saint n’est pas inengendré. |
[1007] Super Sent.,
lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis, proprie loquendo, nihil potest dici privatum
[privative Éd. de Parme] : quia ad rationem privationis exigitur
quod aliquid sit aptum natum habere quod non habet. Hoc autem Deo competere
non potest. Unde oportet quod ingenitus sumatur negative et non privative.
Sed negatio quaedam negat in genere determinato, et haec habet aliquid simile
privationi, inquantum ponitur aliquod determinatum genus. Est etiam quaedam
negatio extra genus ; et haec est absoluta negatio, quia nullum genus
determinat. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu, à proprement parler, la privation ne peut être attribuée à rien
[par privation Éd. de Parme] : car la notion de privation
suppose nécessairement qu’une chose est apte à posséder ce qu’elle ne possède
pas. Mais cela ne peut se rencontrer en Dieu. C’est pourquoi il faut que
¨inengendré¨ se prenne par la négation et non par la privation. Mais une
certaine négation nie quelque chose dans un genre déterminé, et celle-ci a
quelque chose de semblable à la privation en tant qu’elle pose un genre
déterminé. Mais il y a une négation qui est étrangère à un genre et celle-là
est une négation absolue car elle ne précise aucun genre. |
Dico ergo, quod ingenitus si dicat negationem extra genus,
tunc convenit omni ei quod est et quod non est ab alio per generationem, sive
sit ab aliquo alio sive non, et sive sit creatum sive increatum ; et secundum
hoc possumus dicere Patrem ingenitum, et Spiritum sanctum, et essentiam
divinam, et primas creaturas, quae non exierunt in esse per generationem. Si
autem sit negatio in genere, hoc potest esse dupliciter, secundum quod in
divinis accipitur : vel in genere divinae naturae ; et sic adhuc convenit
Patri, Spiritui sancto et essentiae ; vel in genere principii in natura
divina ; et sic non convenit nisi patri, et tunc erit notio Patris.
Principium enim aliquod potest innotescere aut secundum quod aliquid est ab illo,
et sic Pater innotescit per generationem et spirationem activam : aut
secundum quod non est ab alio, et sic est notio Patris ingenitus. |
Je dis donc que si
¨inengendré¨ renvoie à une négation étrangère à un genre, alors il convient à
tout ce qui existe et qui ne vient pas d’un autre par mode de génération,
qu’il vienne d’un autre ou non, qu’il soit créé ou incréé ; et en ce
sens nous pouvons dire que le Père, l’Esprit-Saint, l’essence divine et les
premières créatures qui ne sont pas venues à l’existence par mode génération,
sont tous inengendrés. Mais si on parle d’une négation qui est dans un genre,
cela peut exister de deux manières selon qu’on le prend en Dieu : soit
dans le genre de la nature divine et ainsi ce terme convient ce terme s’attribue
encore au Père, à l’Esprit-Saint et à l’essence ; soit dans le genre du
principe dans la nature divine et alors ce terme n’appartient qu’au Père et
alors il sera la notion même de Père. Un principe en effet peut se faire
connaître soit selon qu’une chose vient de lui et ainsi le Père se fait
connaître par la génération et par la spiration active ; soit selon
qu’il ne vient pas d’un autre et ainsi ¨inengendré¨ est la notion de Père. |
[1008] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Hieronymus accipit ingenitum, idest non genitum, secundum
quod negatio est extra genus ; vel in genere divinae naturae, et non in
genere principii. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Saint-Jérôme prend inengendré, c’est-à-dire non-engendré, comme une
négation étrangère à un genre ou comme étant dans le genre de la nature
divine et non dans le genre de principe. |
[1009] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 2
Ad secundum dicendum, quod negatio termini infiniti non est negatio in aliquo
genere determinato, sed tantum in genere entis ; et ideo potest dici de omni
ente cui non convenit affirmatio : sed negatio quae negat in aliquo genere
determinato, non potest dici extra illud genus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la négation présente dans un terme infini n’est pas une négation
dans un genre déterminé, mais seulement dans le genre de l’être ; et
c’est pourquoi elle peut se dire de tout être auquel l’affirmation ne se
vérifie pas : mais la négation qui nie dans un genre déterminé ne peut
se dire en dehors de ce genre. |
[1010] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ingenitus, secundum quod convenit tantum Patri, dicit notionem
Patris ; et sic non convenit essentiae. Secundum autem quod convenit
essentiae et Spiritui sancto, non dicit aliquam notionem, nec etiam aliquid
de absolutis, quia sic etiam conveniret Filio ; sed removet notionem quamdam,
scilicet generationem passivam. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ¨inengendré¨, en tant que ce terme convient seulement au Père,
signifie la notion de Père et en ce sens il ne convient pas à l’essence. Mais
selon que ce terme convient à l’essence et à l’Esprit-Saint, il ne signifie
pas une notion ni même un des absolus car alors il conviendrait même au
Fils ; mais il exclut cependant une certaine notion, à savoir celle de
génération passive. |
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Distinctio 14 |
Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint– suite] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur: primo de processione temporali
secundum se. Secundo ratione cujus Spiritus
sanctus temporaliter procedere dicatur, vel secundum quid fiat. Tertio a quo fiat. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum sit aliqua temporalis
processio Spiritus sancti ; 2 utrum
ponat in numerum cum aeterna. |
Pour comprendre cette partie,
nous faisons porter nos interrogations sur trois points : Premièrement sur la
procession temporelle en elle-même. Deuxièmement sur la raison
pour laquelle nous disons que l’Esprit-Saint procède temporellement et selon
laquelle elle se produit. Troisièmement sur ce d’où
elle est produite. Et sur le premier point nous
posons deux interrogations : 1. Est-ce qu’il existe une
procession temporelle de l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce qu’elle est
numériquement distincte de celle qui est éternelle ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La procession temporelle en soi] |
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Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 1
a. 1 tit. Utrum aliqua processio Spiritus sancti sit temporalis. |
Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui est temporelle ? |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla processio Spiritus
sancti sit temporalis. Sicut enim generatio est proprietas aeterna Filii
secundum quam distinguitur a Patre, ita processio Spiritus sancti est
proprietas secundum quam distinguitur a Patre et Filio. Sed generatio Filii
non dicitur temporalis nisi secundum naturam assumptam. Cum igitur Spiritus
sanctus nullam assumpserit naturam, nec assumet, videtur quod nulla sit ejus
processio temporalis. |
Difficultés : 1. Il semble qu’aucune procession
de l’Esprit-Saint ne soit temporelle. En effet, tout comme la génération est
une propriété éternelle du Fils selon laquelle il se distingue du Père, de
même la procession de l’Esprit-Saint est une propriété selon laquelle Il se
distingue du Père et du Fils. Mais on ne dit de la génération du Fils qu’elle
est temporelle que selon la nature qu’il a prise. Donc, puisque
l’Esprit-Saint n’aura pris et ne prendra aucune nature, il semble
qu’aucune procession temporelle ne lui appartienne. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, omne illud cui convenit aliquid temporaliter, est mutabile
vel variabile. Hoc autem Spiritui sancto non convenit, cum sit verus Deus.
Ergo nec temporalis processio. |
2. Par ailleurs, tout ce à
quoi appartient quelque chose selon le temps, cela même est changeant et
variable. Mais le changement ne peut s’attribuer à l’Esprit-Saint puisqu’il
est Dieu en vérité. On ne peut donc lui attribuer non plus une procession
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, secundum philosophum Lib. De causis, prop.31, inter rem
cujus substantia et operatio est in tempore, et inter rem cujus substantia et
operatio est in momento aeternitatis, est res media, cujus operatio est in
tempore, et substantia in aeternitate. Rem autem illam, cujus substantia et
operatio est in aeternitate, dicit substantias separatas, et praecipue Deum.
Cum igitur processio sit operatio ipsius Dei, sive active sive passive
intelligatur, videtur quod non sit in tempore, et ita nec temporalis dici
debeat. |
3. En outre, d’après le
Philosophe [Livre des Causes, prop. 31], entre la réalité dont la
substance et l’opération sont dans le temps et celle dont la substance et
l’opération sont dans le moment de l’éternité, il y a une réalité
intermédiaire dont l’opération est dans le temps et dont la substance est
dans l’éternité. Mais il dit de ces réalités dont la substance et l’opération
sont dans l’éternité, et surtout de Dieu, qu’elles sont des substances
séparées. Donc puisque le procession est une opération de Dieu lui-même,
qu’on la prenne activement ou passivement, il semble qu’elle ne soit pas dans
le temps et qu’elle ne doive pas non plus être appelée temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, illud quod elevat hominem supra tempus, non potest dici
temporale. Sed per processionem Spiritus sancti in hominem
elevatur homo supra omnia temporalia: quia, secundum Augustinum, IV De
Trinit., cap. XX,
§ 28, inquantum aliquod aeternum mente capimus, non in hoc mundo sumus. Ergo
non debet dici temporalis. |
4. De plus, ce qui élève
l’homme au-dessus du temps ne peut être appelé temporel. Mais par la
procession de l’Esprit-Saint dans l’homme, l’homme est élevé au-dessus de
tout ce qui est temporel : car selon Augustin [IV De la Trinité,
ch. XX, & 28], dans la mesure où nous saisisson quelque chose d’éternel
par notre intelligence, nous ne sommes pas en ce monde. La procession de
l’Esprit-Saint ne doit donc pas être appelée temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, in processione temporali, quae etiam missio dicitur,
includitur intellectus processionis aeternae, secundum Augustinum, De
Trinit., cap. XV et XVI, col. 921, et II De Trinit., cap. V col. 848 Sed
denominatio debet fieri a digniori. Igitur etsi in processione esset aliquid
temporale, non deberet dici temporalis, sed aeterna. |
5. Aussi, selon Augustin
[V De la Trinité, ch. XV et XVI, col. 921, t. VIII et
11 De la Trinité, ch. V col. 848] dans la procession temporelle
qu’on appelle aussi mission est comprise l’intelligence de la procession
éternelle. Mais la dénomination doit provenir de ce qui est plus digne. Donc,
bien que dans la procession il y ait quelque chose de temporel, elle ne doit
pas être appelée temporelle, mais plutôt éternelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
s. c. 1 Contrarium dicitur per auctoritates in Littera. |
Cependant : 1. Mais plusieurs autorités
disent le contraire dans le document. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, contingit aliquem ex tempore habere Spiritum sanctum, qui
prius non habuit. Sed Spiritus sanctus non habetur nisi ut procedens a Patre
et Filio, cum sit donum utriusque. Ergo est ejus aliqua processio temporalis,
secundum quam procedit ad sanctificandum creaturam, ut in littera dicitur. |
2. De plus, il est possible
que quelqu’un reçoive l’Esprit-Saint dans un temps déterminé alors qu’il ne
Le possédait pas antérieurement. Mais l’Esprit-Saint n’est dans un homme
qu’en tant qu’Il procède du Père et du Fils, puisqu’il est un don qui vient
des deux. Il y a donc une procession de l’Esprit-Saint qui est temporelle et
selon laquelle il procède à la sanctification de la créature, ainsi qu’on le
dit dans le document. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod quamvis in personis divinis, proprie loquendo,
dicatur processio secundum rationem exitus a principio, qui non necessario
tendit in aliud, tamen processio Spiritus sancti ex modo suae processionis
habet, inquantum scilicet procedit ut amor, quod in alium tendat, scilicet in
amatum, sicut in objectum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que bien que dans les Personnes divines, la procession se dit à proprement
parler selon la notion de ce qui sort d’un principe et qui ne tend par
nécessairement vers un autre, cependant la procession de l’Esprit-Saint tient
du mode même de sa procession, à savoir selon qu’Il procède en tant qu’amour,
qu’il tende vers un autre, c’est-à-dire vers ce qui est aimé comme vers son
objet. |
Et quia processiones
personarum aeternae, sunt causa et ratio totius productionis creaturarum,
ideo oportet quod sicut generatio Filii est ratio totius productionis
creaturae secundum quod dicitur Pater in Filio omnia fecisse, ita etiam amor
Patris tendens in Filium ut in objectum, sit ratio in qua Deus omnem effectum
amoris creaturis largiatur ; et inde est quod Spiritus sanctus, qui est amor
quo Pater amat Filium, est etiam amor quo amat creaturam impartiendo sibi
suam perfectionem. |
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Poterit ergo processio istius
amoris dupliciter considerari: vel secundum quod tendit in
objectum aeternum, et sic dicetur aeterna processio, vel secundum quod procedit ut
amor in objectum creatum, inquantum scilicet per illum amorem, creaturae
aliquid a Deo confertur ; et sic dicetur processio temporalis, ex eo quod ex
novitate effectus consurgit nova relatio creaturae ad Deum, ratione cujus
oportet Deum sub nova habitudine ad creaturam significari, ut patet in
omnibus quae de Deo ex tempore dicuntur. |
La procession de cet amour
pourra donc être considérée de deux manières : Soit selon qu’elle tend vers
son objet éternel et ainsi on dira de la procession qu’elle est éternelle. Soit selon qu’elle procède en
ant qu’amour vers l’objet créé, c’est-à-dire en tant que par cet amour
quelque chose est donné par Dieu à la créature ; et ainsi on dira de la
procession qu’elle est temporelle du fait qu’une nouvelle relation de la
créature à Dieu naît de la nouveauté de l’effet, par la raison par laquelle
il faut que Dieu soit signifié à l’égard de la créature sous un nouveau
rapport, ainsi qu’on le voit pour tout ce qui se dit au sujet de Dieu à
partir du temps. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio de ratione sui non dicit
respectum nisi ad eum a quo est generatio. Hoc autem dupliciter potest esse
in Filio: aut sicut a quo accipit
divinam naturam, et sic est generatio aeterna a Patre ; aut sicut a quo accipit
naturam humanam, et sic est temporalis generatio a matre. Processio autem
Spiritus sancti, ut dictum est, dist. 13, quaest. unica, art. 2, non solum
dicit respectum ad principium a quo procedit, secundum quem aeterna
tantummodo est, sicut et generatio ; sed etiam importat respectum ad eum in
quem procedit, secundum quem temporalis dici potest. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que la génération, de par sa définition ne signifie un rapport qu’à
celui d’où procède la génération. Mais cela peut exister dans le Fils de deux
manières : Soit comme de celui d’où Il
reçoit la nature divine, et ainsi la génération vient du Père de toute
éternité ; Soit comme de celui d’où il
reçoit la nature humaine et en ce sens la génération qui vient de la mère est
temporelle. Mais la procession de l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 13, quest. unique, art. 2], ne dit pas seulement un rapport au principe
d’où Il procède et selon lequel la procession est seulement éternelle, tout
comme la génération ; mais cette procession implique aussi un rapport à
celui vers lequel elle procède et selon lequel elle peut être appelée
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum per amorem, qui est Spiritus
sanctus, aliquod donum creaturae confertur, nulla mutatio vel variatio fit in
ipso amore, sed in eo cui per amorem aliquid datur ; si tamen mutatio, et non
potius perfectio dici debet. Et ideo ille temporalis respectus non ponitur
circa Spiritum sanctum realiter, sed solum secundum rationem ; realiter autem
in creatura quae mutatur ; sicut fit cum dicitur Deus Dominus ex tempore. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la mesure où un don est tranmis à la créature par l’amour qui
est l’Esprit-Saint, aucun changement ou aucune variation ne se produit dans
l’amour lui-même, mais seulement dans celui auquel quelque chose est donné
par l’amour, si cependant cela doit être appelé un changement et non pas
plutôt une perfection. Et c’est pourquoi ce rapport temporel n’est
pas attribué à l’Esprit-Saint comme étant réel, mais seulement
selon la raison ; mais il est attribué à la créature qui change comme
étant réel, tout comme cela se produit lorsque nous disons de Dieu qu’Il est
Seigneur pour nous qui existons dans le temps. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio divina dupliciter potest
considerari: vel ex parte operantis, et sic
est aeterna ; vel quantum ad effectum
operationis, et sic potest esse temporalis. Sed tamen quia Deus non agit per
operationem quae sit media inter ipsum et operatum, sed sua operatio est in
ipso et est tota sua substantia ; ideo operatio ejus essentialiter aeterna
est, sed effectus temporalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’opération divine peut être considérée de deux manières : Soit du côté de celui qui pose
l’opération et en ce sens elle est éternelle ; Soit quant à l’effet de
l’opération et en ce sens elle peut être temporelle. Mais parce que Dieu
n’agit par au moyen d’une opération qui serait un intermédiaire entre lui et
l’effet de l’opération, mais que son opération et en Lui et qu’elle est toute
sa substance, c’est pourquoi son opération est essentiellement éternelle,
mais son effet est temporel. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquid potest dici temporale multipliciter: vel quia subjacet variationi
temporis, et hoc modo processio non dicitur temporalis, etiam quantum ad
effectum gratiae ; vel quia habet initium in
tempore, et sic gratia dicitur temporalis, et eadem ratione processio ratione
effectus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’une chose peut être dite temporelle de plusieurs manières : Soit parce qu’elle est
soumise à la variation du temps et en ce sens la procession ne peut être dite
temporelle, même quant à l’effet de la grâce ; Soit parce qu’elle a un
commencement dans le temps et en ce sens la grâce est dite temporelle, et
pour la même raison la procession en raison de l’effet. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquod conjunctum non potest affirmari nisi
pro utraque parte, sed negari potest pro altera parte tantum ; sicut patet in
veritate et falsitate copulativae propositionis. Et quia temporale claudit in
se quamdam negationem cum affirmatione, scilicet aliquando esse et prius non
fuisse, aeternum autem importat tantum affirmationem essendi ; ideo
conjunctum non potest dici aeternum, nisi utrumque aeternum sit ; temporale
autem dici potest, etiam si alterum tantum sit temporale, sicut creator
importat divinam operationem et connotat effectum in creatura actualiter,
ratione cujus Deus non dicitur creator ab aeterno sed ex tempore. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’une proposition double ne peut être affirmée que pour les deux
parties mais peut être niée pour une partie seulement, ainsi qu’on peut le
voir pour la vérité et la fausseté d’une proposition copulative. Et parce que
le temporel renferme en lui une certaine négation avec une affirmation,
c’est-à-dire ce qui vient enfin à exister sans avoir existé antérieurement,
l’éternel implique cependant uniquement l’affirmation de l’existence ;
c’est pourquoi ce qui est double ne peut être appelé éternel que si les deux
parties le sont, mais il peut être appelé temporel même si seulement une des
parties est temporelle ; par exemple, la notion de créateur implique une
opération divine et fait connaître un effet en acte dans la créature, en
raison de quoi Dieu n’est pas appelé créateur de toute éternité, mais à partir
d’un temps déterminé. |
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Articulus 2 lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 tit. Utrum processio temporalis distinguatur realiter ab aeterna |
Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle réellement de la procession éternelle ? |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod temporalis
processio ponat in numerum cum aeterna, ut sit alia et alia processio.
Aeternum enim et temporale non possunt idem esse in essentia. Sed quae differunt per
essentiam, simpliciter multiplicantur et numerantur. Ergo aeterna processio
et temporalis simpliciter sunt duae. |
Difficultés : 1. Il semble que la
procession temporelle soit numériquement différente de celle qui est
éternelle, de sorte de sorte que l’une soit réellement différente de l’autre.
En effet, l’éternel et le temporel ne peuvent être identiques par l’essence.
Mais les choses qui diffèrent par l’essence se multiplient et se comptent
absolument parlant. Donc la procession éternelle et celle qui est temporelle
sont réellement deux processions absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
arg. 2 Item, idem non est signum sui ipsius. Sed processio temporalis,
secundum Augustinum, lib. V De Trinit., XV est signum aeternae. Ergo non sunt
una processio. |
2. En outre, une même chose
n’est pas signe d’elle-même. Mais la procession temporelle, d’après Augustin
[V De la Trinité, ch. XV], est le signe de celle qui est
éternelle. Les deux ne sont donc pas une seule et même procession. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, cum una dicatur processio aeterna et alia temporalis, aut
hoc erit quia essentialiter differunt, aut quia una addit super aliam. Sed
aeterna non potest addere supra temporalem, quia sic temporalis esset
naturaliter prior aeterna ; nec etiam temporalis potest se habere ex
additione ad aeternam, cum aeterno, quia perfectum est, nihil sit addibile.
Ergo relinquitur quod essentialiter differant, et ita simpliciter sunt duae. |
3. Par ailleurs, puisque
l’une des processisons est appelée éternelle et que l’autre est appelée
temporelle, il en sera ainsi soit parce qu’elles diffèrent essentiellement,
soit parce que l’une ajoute à l’autre. Mais la procession éternelle ne peut
ajouter à celle qui est temporelle car ainsi celle qui est temporelle serait
naturellement antérieure à celle qui est éternelle ; et aussi la
procession qui est temporelle ne peut se prendre par addition à celle qui est
éternelle car à l’éternel, parce qu’il est parfait, rien ne peut être ajouté.
Il reste donc que les deux processions diffèrent essentiellement et qu’alors
elles sont deux processions absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Filius se habet ad generationem passivam, ita et
Spiritus sanctus ad processionem passivam. Sed propter aeternam generationem et
temporalem, Filius dicitur habere duas nativitates et bis natus. Ergo et
Spiritus sanctus dicitur habere duas processiones |
4. En outre, ce que le fils
est à la génération passive, l’Esprit-Saint l’est à la procession passive.
Mais à cause de la génération éternelle et de celle qui est temporelle, on
dit du Fils qu’il possède deux naissances et qu’il est né deux fois. On dit
donc de l’Esprit-Saint qu’il possède deux processions. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 5 Contra, processio ponit aliquid in ipso procedente. Sed processio temporalis,
inquantum est temporalis, nihil ponit circa Spiritum sanctum. Ergo oportet
quod in processione temporali essentialiter includatur aeterna. Ergo non
differunt essentialiter, nec simpliciter sunt plures. |
5. Au contraire, la
procession pose quelque chose dans celui-là même qui procède. Mais la
procession temporelle, en tant qu’elle est temporelle, n’affirme rien au
sujet de l’Esprit-Saint. Il faut donc que la procession éternelle soit
incluse essentiellement dans la procession temporelle. Elles ne diffèrent
donc pas essentiellement et elles ne sont pas absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 arg. 6 Item, ea quae non sunt ejusdem rationis, non connumerantur ad
invicem. Sed
temporale et aeternum non sunt ejusdem rationis. Ergo non potest dici quod
sint duae processiones, temporalis et aeterna. |
6. De plus, les choses qui
n’appartiennent pas à une même définition ne sont pas comptées comme faisant
partie d’un même ensemble. Mais le temporel et l’éternel n’appartiennent pas
à une même définition. On ne peut donc dire qu’il y ait deux processions,
l’une temporelle et l’autre éternelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
co. Respondeo dicendum, quod cum processio semper dicat respectum procedentis
ad illum a quo procedit, Spiritus sanctus autem ad Patrem non refertur nisi
relatione aeterna ; oportet quod nulla processio Spiritus sancti sit alia
essentialiter ab aeterna ; sed potest sibi advenire aliquis respectus alius
ex parte ejus in quem est, sicut in amatum, et ratione illius dicitur
temporalis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque la procession signifie toujours un rapport de celui qui procède à
celui duquel il procède, mais que l’Esprit-Saint ne se rapporte au
Père que par une relation éternelle, il faut qu’aucune procession
de l’Esprit-Saint ne soit essentiellement différente de celle qui est
éternelle ; mais il pouet lui advenir un rapport différent du côté de
celui dans lequel il est comme dans l’objet aimé, et c’est en raison de ce
rapport qu’on dit de la procession qu’elle est temporelle. |
Dicendum ergo, quod est una
processio essentialiter propter respectum unum procedentis ad id a quo
procedit, quem principaliter importat. Processio autem est duplex, vel
gemina, ratione duorum respectuum in duo objecta, scilicet in aeternum et
temporale: quorum unus, scilicet aeternus, realiter est in ipso procedente ;
alius autem secundum rationem tantum in Spiritu sancto, sed secundum rem in
eo in quem procedit. Horum tamen respectuum primus includitur in secundo,
sicut ratio et causa ejus ; unde secundus se habet ex additione ad primum. |
Il faut donc dire qu’il n’y a
essentiellement qu’une seule procession à cause de l’unique rapport de celui
qui procède par rapport à celui d’où il procède qu’elle implique
principalement. Mais la procession est double ou forme un couple, en raison
de deux rapports à deux objets, à savoir à l’éternel et au temporel :
dont le premier, à savoir l’éternel, existe réellement dans celui-là même qui
procède ; mais l’autre n’existe dans l’Esprit-Saint que selon la raison
mais réellement dans celui dans lequel Il procède. Cependant, parmi ces deux
rapports, le premier est compris dans le second comme sa raison et sa
cause ; c’est pourquoi le second rapport se prend par addition à l’égard
du premier. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio non dicitur temporalis secundum
id quod est, sed ratione respectus ad creaturam, temporalis dicitur, ut
dictum est, art. 1 hujus quaest. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la procession n’est pas appelée temporelle selon ce qu’elle
est en elle-même, mais c’est en raison du rapport à la créature qu’elle est
dite temporelle, ainsi que nous l’avons dit dans l’article premier de cette
question. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio temporalis dicitur esse signum
aeternae, quantum ad effectum ex quo consurgit respectus ille temporalis
secundum quem processio temporalis dicitur. Effectus autem hujus processionis
est amor gratuitus, qui est similitudo quaedam amoris increati, qui est Spiritus
sanctus, et per consequens signum ejus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’on dit de la procession temporelle qu’elle est le signe de celle qui
est éternelle quant à l’effet à partir duquel apparaît ce rapport temporel
d’après lequel la procession est appelée temporelle. Mais l’effet de cette
procession est l’amour gratuit qui est une certaine ressemblance de l’amour
incréé, lequel est l’Esprit-Saint ; et par conséquent cet amour gratuit
est le signe de l’amour incréé. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aeterno secundum rem nihil sit
addibile ; nihilominus tamen aeternum potest intelligi in aliqua habitudine
se habere ad aliquod temporale: quae tamen habitudo non ponitur realiter
circa ipsum aeternum, ut dictum est. Et quia intellectus potest repraesentari
per nomen, quia voces sunt notae earum quae sunt in anima passionum, ut lib.
I Perih., ideo potest aeterno imponi aliquod nomen, prout intelligitur sub
illa habitudine, sicut Deus dicitur Dominus ex tempore. Ita etiam dicitur
processio temporalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien qu’à l’éternel selon la chose rien ne puisse être ajouté,
néanmoins cependant l’éternel peut se comprendre comme étant dans un certain
rapport à quelque chose de temporel : lequel rapport n’est cependant pas
affirmé comme existant réellement dans l’éternel lui-même, ainsi que nous
l’avons dit. Et parce que le concept peut être représenté par un nom, car les
sons de voix sont les signes de ces passions qui sont dans l’âme comme on le
dit au premier livre du Peri Hermeneias, c’est pourquoi on peut
imposer un nom à l’éternel en tant qu’il est compris sous ce rapport, tout
comme c’est à partir du temps qu’on dit de Dieu qu’Il est Seigneur. Et c’est
encore de la même manière qu’on peut dire de la procession qu’elle est
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod generatio Filii temporalis et aeterna
distinguuntur etiam secundum respectum ad principium a quo sunt, quia aeterna
est a Patre et temporalis a matre, et secundum diversas naturas ; et ideo una
realiter non est alia. Sed de processione non est simile, ut dictum est, art.
antec |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la génération temporelle du Fils se distingue aussi de celle qui est
éternelle selon le rapport au principe d’où elles viennent, car la génération
éternelle vient du Père et celle qui est temporelle vient de la mère, et ces
deux générations résultent en des natures différentes ; et c’est
pourquoi l’une diffère réellement de l’autre. Mais il n’en est pas de même
pour la procession ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. |
lib. 1 d. 14 q. 1
a. 2 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons la
cinquième difficulté. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2
ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio temporalis et aeterna, consideratae
secundum respectum procedentis ad principium, a quo est, sunt omnino idem,
nedum ejusdem rationis ; et ex hac parte non numerantur. Sed consideratae
secundum respectum ad id in quod est processio per modum dictum, non sunt
ejusdem rationis, scilicet per univocationem, sed analogice ; quia unum est
ratio alterius ; et ita possunt connumerari: sicut etiam dicimus Deum et
hominem duas res. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que la procession temporelle et celle qui est éternelle, considérées
d’après le rapport de celui qui procède au principe d’où il procède, sont
absolument identiques et non seulement d’une même définition ; et de ce
côté elles ne se distinguent pas par le nombre. Mais si on les considère
d’après le rapport à ce dans quoi la procession existe de la manière que nous
avons dite, elles n’appartiennent pas à une même définition, c’est-à-dire que
procession n’est plus ici un mot univoque, mais un mot analogue ; car
l’une est la raison de l’autre ; et en ce sens elles se distinguent par
le nombre, tout comme nous disons encore que Dieu et l’homme sont deux
réalités distinctes. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [En raison de qui dit-on que l’Esprit Saint procède temporellement, ou selon quoi cela se produit-il ?] |
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Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 14 q. 2 pr. Deinde
quaeritur, secundum quid attendatur processio temporalis, et circa hoc duo
quaeruntur: 1 utrum ipse Spiritus sanctus
secundum processionem temporalem detur, vel tantum dona ejus, vel utrumque. Et si utrumque, quaeritur,
secundum quae dona dicatur Spiritum sanctum dari vel procedere temporaliter |
On se demande ensuite
selon quoi s’étend la procession temporelle et à ce sujet on pose deux
questions : 1. Est-ce l’Esprit-Saint
lui-même, ses dons, ou les deux à la fois qui sont donnés selon la procession
temporelle ? 2. Et si ce sont les deux qui
sont donnés, selon quels dons dit-on de l’Esprit-Saint qu’Il est donné ou
qu’Il procède temporellement ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus temporaliter detur |
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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lib. 1
d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ipse Spiritus
sanctus non procedat temporaliter vel detur. Illud enim quod secundum se est ubique
non videtur usquam secundum se procedere. Sed Spiritus sanctus, cum sit Deus,
est ubique. Ergo non potest in quemquam procedere. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne procède pas ou n’est pas donné temporellement. En effet, ce
qui en soi-même est partout ne semble pas en soi-même procéder en quelque
lieu. Mais l’Esprit-Saint, puisqu’Il est Dieu, est partout. Il ne peut donc
pas procéder en quelque lieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 2 Si dicas, quod potest esse secundum aliquem modum in aliquo
secundum quem prius non erat, adhuc habetur propositum ; quia, secundum
Dionysium, De div. nom., c. III, col. 679, et auctorem [philosophum Éd.
Mandonnet] Lib. De causis prop. 24. Deus eodem modo se habet ad omnia,
quamvis non omnia eodem modo se habeant ad ipsum. Sed iste modus diversus in
creaturis est ex diversis perfectionibus quas ex Deo consequuntur. Ergo
videtur quod [ex add. Éd. de Parme] hoc quod Spiritus sanctus dicatur
[dicitur Éd. de Parme] aliter esse in isto quam prius, non sit [fuit, non Éd.
de Parme] propter aliud est nisi quia aliquem effectum consequitur iste quem
prius non consequebatur: et sic tota datio vel processio refertur ad dona, et
non ad ipsum Spiritum sanctum |
2. Si tu dis qu’il peut
procéder en un endroit d’une certaine manière selon laquelle il n’était pas
antérieurement, la question demeure ; car selon Denys [Les Noms
Divins, ch. 111, col. 679] et l’auteur [le philosophe Éd.
Mandonnet] dans son livre Sur les Causes, proposition 24,
Dieu est toujours de la même manière face à tout, bien que ce ne soient pas
tous les êtres qui se présentent toujours de la même manière par rapport à
Dieu. Mais ces manières d’être différentes qu’on retrouve dans les créatures
proviennent de perfections différentes qu’elles poursuivent et qui viennent
de Dieu. Il semble donc que [à partir de Éd. de Parme] cela même
qu’on dit [dit Éd. de Parme] de l’Esprit-Saint qu’Il soit autrement dans
celui-ci qu’Il ne l’était antérieurement ne soit [était Éd. de Parme]
pas parce qu’Il est autre, si ce n’est parce que celui-ci poursuit
un effet qu’il ne poursuivait pas antérieurement : et ainsi toute la
donation ou la procession se rapporte aux dons et non à l’Esprit-Saint
lui-même. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, ut dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2,
processio temporalis nihil secundum rem addit ex parte ipsius procedentis ad
processionem aeternam. Sed secundum processionem aeternam ipse
Spiritus sanctus non procedit in aliquam creaturam. Ergo nec secundum temporalem,
quantum ex parte ipsius Spiritus sancti, sed solum quantum ad dona ipsius. |
3. En outre, ainsi que nous
l’avons déjà dit [dist. 14, quest. 1, art. 2], la procession temporelle
n’ajoute rien en réalité du côté de celui-là même qui procède en
regard de la procession éternelle. Mais selon la procession éternelle
l’Esprit-Saint lui-même ne procède pas dans une créature. Donc, Il n’y
procède pas davantage selon la procession temporelle en tant qu’Esprit-Saint
lui-même, mais seulement en tant que dons qui viennent de Lui. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 4 Praeterea, constat quod virtus infusa non est deficientior in
operibus meritoriis, quam virtus acquisita in operibus politicis. Sed virtus
acquisita sufficienter dirigit hominem in omnibus civilibus. Ergo infusa in
omnibus meritoriis. Non igitur oportet, ut videtur, quod cum virtute infusa
ipse Spiritus sanctus detur, sed vel solus Spiritus sanctus, vel sola virtus. |
4. De plus, il est clair
que la vertu infuse n’est pas plus faible dans les œuvres
méritoires que la vertu acquise dans les œuvres politiques. Mais la vertu
acquise guide suffisamment l’homme dans toutes les activités civiles. Donc la
vertu infuse dirige suffisamment l’homme dans toutes les œuvres méritoires.
Il ne faut donc pas, comme on le voit, que ce soit l’Esprit-saint lui-même
qui soit donné avec la vertu infuse, mais plutôt soit seulement
l’Esprit-Saint, soit seulement la vertu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Contra, Rom. 5, 5, dicitur: caritas Dei diffusa est in cordibus
nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis. Ergo videtur quod utrumque
detur. |
Cependant : 1. Au contraire, l’Apôtre dit
[Romains 5, 5] : L’amour de Dieu a été répandu dans
nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Il semble donc que ce
soient les deux qui ont été donnés. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, amor habet rationem primi doni, quia in ipso omnia
ex liberalitate conferuntur. Cum igitur Spiritus sanctus sit amor, videtur
quod habeat rationem doni. Sed non nisi quia datur. Ergo videtur quod ipse Spiritus
sanctus detur. |
2. De plus, l’amour a raison
de premier don car c’est en lui que tous les autres sont attribués par pure
bonté. Donc puisque l’Esprit-Saint est amour, il semble qu’il ait raison de
don. Mais cela n’est possible que parce qu’Il est donné. Il semble donc que
l’Esprit-Saint lui-même soit donné. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
2.
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lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2
arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc, si utrumque datur, quid per prius datur.
Et videtur quod Spiritus sanctus: quia per ipsum dantur alia, et quia habet
rationem primi doni. |
Difficulté : 1. On se demande par la suite
à ce sujet si, des deux qui sont donnés, lequel est donné en priorité. Et il
semble que ce soit l’Esprit-Saint : parce que c’est à travers Lui que
les autres dons sont donnés, et parce qu’Il a raison de premier don. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a.
1 qc. 2 s. c. 1 Sed e contrario videtur quod dona per prius. Quia dona ipsius
disponunt nos ad hoc quod ipsum habeamus. Dispositio autem prior est eo ad quod
disponit. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Mais au contraire il
semble que ce soient les dons qui sont attribués en priorité. Car ses dons
nous disposent à Le recevoir. Mais la disposition est antérieure à ce à quoi
elle dispose. Donc, etc. |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question
1.
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lib. 1
d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ipsemet Spiritus sanctus procedit
temporali processione, vel datur, et non solum dona ejus. Si enim
consideremus processionem Spiritus sancti ex parte ejus a quo procedit, non
est dubium quin secundum illum respectum ipsemet Spiritus sanctus
procedat. Si autem consideremus processionem secundum
respectum ad id in quo procedit, tunc, sicut dictum est, in hac dist.,
quaest. 1,
art. 1, respectus iste in Spiritu sancto ponitur, non quia ipse realiter
referatur, sed quia alterum refertur ad ipsum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est l’Esprit-Saint lui-même qui procède ou qui est donné selon une
procession temporelle, et non seulement ses dons. Si en effet nous
considérons la procession de l’Esprit-Saint du côté de celui d’où Il procède,
il n’y a pas de doute que sous ce rapport c’est l’Esprit-Saint lui-même qui
procède. Mais si nous considérons la procession sous le rapport de ce en quoi
Il procède, alors, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction [quest.
1, art. 1], ce rapport est posé dans l’Esprit-Saint non pas parce que
Lui-même se rapporte réellement à autre chose, mais parce que quelque chose
d’autre se rapporte à Lui. |
Cum igitur in acceptione
donorum ipsius non solum relatio nostra terminetur ad dona, ut ipsa tantum
habeamus, sed etiam ad Spiritum sanctum, quia aliter ipsum habemus quam prius
; non tantum dicentur dona ipsius procedere in nos, sed etiam ipsemet ;
secundum hoc enim ipse dicitur referri ad nos, secundum quod nos referimur in
ipsum. Et ideo procedit ipse in nos et dona ipsius: quia et dona ejus
recipimus et per eadem ad ipsum nos aliter habemus, inquantum per dona ejus
ipsi Spiritui sancto conjungimur, [vel ille nobis add. Éd. de Parme], per
donum nos sibi assimilanti [assimilans Éd. de Parme]. |
Donc puisque dans la
réception de ses dons notre relation ne se termine pas seulement à ses dons
de sorte que nous ne posséderions que les dons eux-mêmes, mais aussi à
l’Esprit-Saint car c’est Lui-même que nous possédons d’une manière qui
est autre qu’antérieurement ; ce ne sont pas seulement ses dons dont on
dit qu’ils procèdent en nous, mais aussi Lui-même ; on dit en effet
qu’Il se rapporte à nous selon que nous nous rapportons à Lui. Et c’est
pourquoi Lui-même procède en nous avec ses dons : car en même temps que
nous recevons ses dons, par eux nous nous présentons à Lui différemment,
selon qu’au moyen de ses dons nous nous unissons à l’Esprit-Saint Lui-même
[ou Lui-même à nous add. Éd. de Parme], Lui étant rendus
semblables par le don [rendant semblable Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum dicitur Deus esse ubique,
importatur quaedam relatio Dei ad creaturam, quae quidem realiter non est in
ipso, sed in creatura. Contingit autem ex parte creaturae istas relationes multipliciter
etiam diversificari secundum diversos effectus quibus Deo assimilatur ; et
inde est quod significatur ut aliter se habens ad creaturam quam prius. Et
propter hoc Spiritus sanctus, qui ubique est secundum relationem aliquam
[aliquam om. Éd. de Parme] creaturae ad ipsum, potest dici de novo esse in
aliquo, secundum novam relationem ipsius creaturae ad ipsum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que Dieu est partout, cela implique une
relation de Dieu à la créature qui n’existe certes pas réellement en Lui,
mais dans la créature. Il est possible cependant que ces relations, du côté
de la créature, se différencient d’après différents effets par lesquels elle
est assimilée à Dieu ; et c’est de là qu’Il est signifié comme se
présentant à la créature autrement qu’antérieurement. Et à cause de cela on
peut dire de l’Espri-Saint, qui est partout selon une certaine relation
[certaine om. Éd. de Parme] de la créature à Lui, qu’Il existe pour la
première fois dans un être d’après une nouvelle relation de la
créature elle-même à Lui. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis ille modus aliter se habendi, diversificetur
ex diversis donis receptis in creatura, tamen relatio creaturae non sistit in
donis illis, sed ulterius tendit in eum per quem illa dona dantur. Et ideo
possumus significare, nos alio modo habere Spiritum sanctum, et Spiritum
sanctum aliter a nobis haberi ; et hoc significatur cum dicitur ipsemet in nos
procedere vel nobis dari. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que cette manière d’être différente se différencie à partir des
dons différents reçus dans la créature, cependant la relation de la créature
ne s’arrête pas à ces dons, mais tend ultérieurement vers Celui par lequel
ces dons sont distribués. Et c’est pourquoi nous pouvons signifier que nous
possédons l’Esprit-Saint d’une autre manière, et que l’Esprit-Saint est
possédé par nous autrement ; et cela est signifié lorsqu’on dit de Lui
qu’Il procède en nous ou qu’Il nous est donné. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicitur ipsemet in nos procedere,
quia circa ipsum aliquid fiat ; sed quia ex eo quod nos ad ipsummet aliter
nos habemus, ipse potest significari sub alio respectu se habere ad nos. Et
ita dicitur in nos procedere quantum ad illum respectum quem processio ponit
ad id in quod est processio ; licet non quantum ad illum quem ponit ad id a
quo est |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on ne dit pas de Lui qu’Il procède en nous parce que quelque chose se
produit en Lui ; mais parce que du fait que nous nous présentons
différemment à Lui, Lui-même peut être signifié sous un autre rapport comme
se présentant à nous. Et ainsi on dit de Lui qu’Il procède en nous quant à ce
rapport que la procession pose à l’égard de ce vers quoi il y a procession,
bien que ce ne soit pas quant à ce rapport qu’elle pose à l’égard de ce d’où
il y a procession. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus infusa est multo sufficientior quam
virtus acquisita, et ex ratione suae perfectionis habet quod nos maxime Deo
conjungat et assimilet ; secundum quam conjunctionem innascitur nobis novus
respectus ad Deum. Unde quanto sufficientior est, tanto magis in ipsa Spiritus
sanctus procedere dicitur et cum ipsa. Utrum autem oporteat aliquod donum
creatum dari cum spiritu sancto, erit quaestio infra, dist. 18, quaest.
unica, art. 3. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la vertu infuse est de beaucoup plus suffisante que la vertu
acquise, et c’est en raison de sa perfection qu’elle a le pouvoir de nous
unir et de nous assimiler à Dieu au plus haut point ; et c’est d’après
cette union que naît en nous un nouveau rapport à Dieu. C’est pourquoi elle
est d’autant plus suffisante que l’Esprit-Saint procède davantage en elle et
avec elle. Mais faut-il qu’un don créé soit donné avec l’Esprit-Saint, la
question sera posée plus loin [dist. 18, quest. unique, art. 3]. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 1 qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus. |
Nous concédons les deux
autres difficultés. |
Quaestiuncula
2 |
Sous-question
2.
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lib. 1
d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod ordo
aliquorum secundum naturam potest dupliciter considerari. Aut ex
parte recipientis vel materiae ; et sic dispositio est prior quam id ad quod
disponit: et sic per prius recipimus dona Spiritus sancti quam ipsum
spiritum, quia per ipsa dona recepta spiritui sancto assimilamur. Aut ex parte agentis et finis
; et sic quod propinquius erit fini et agenti, dicitur esse prius: et ita per
prius recipimus Spiritum sanctum quam dona ejus, quia et Filius per amorem
suum alia nobis donavit. Et hoc est simpliciter esse prius. |
Corps de l’article : Il faut dire, par rapport à
ce qu’on se demande par la suite, que l’ordre de certaines choses
selon la nature peut être considéré de deux manières. Soit du côté de celui qui
reçoit ou de la matière. Et en ce sens la disposition
est antérieure à ce à quoi elle dispose : et ainsi nous recevons en
priorité les dons de l’Esprit-Saint plutôt que l’Esprit-Saint lui-même, car
c’est par les dons reçus que nous sommes assimilés à l’Esprit-Saint. Soit encore du côté de
l’agent et de la fin ; et en ce sens on dira qu’est antérieur ce qui est
le plus proche de la fin et de l’agent : et ainsi nous recevons
l’Esprit-Siant antérieurement à ses dons, car le Fils par son amour nous a
donné les autres. Et c’est là ce qui est antérieur absolument. |
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Articulus 2 : lib. 1 d.
14 q. 2 a. 2 tit. Utrum processio temporalis Spiritus sancti attendatur
secundum omnia dona. |
Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint s’étend-elle à tous les dons ? |
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lib. 1 d. 14 q. 2
a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod secundum omnia dona
processio temporalis Spiritus sancti attendatur. Omne
enim donum quod creaturae confertur, ex liberalitate divinae voluntatis
procedit. Sed ratio conferendi per liberalitatem est amor. Ergo videtur quod
secundum quaelibet dona creaturae collata, Spiritus sanctus detur vel
procedat. |
Difficultés : 1. Il semble que la
procession temporelle de l’Esprit-Saint s’étend à tous les dons. En effet,
tout don qui est conféré à la créature procède de la générosité de la volonté
divine. Mais la raison de cette prodigalité est l’amour. Il semble donc que
l’Esprit-Saint soit donné ou qu’Il procède d’après tous les dons réunis de la
créature. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea, in collatione cujuslibet doni, creatura secundum aliquem
respectum se habet ad Deum secundum quem prius non se habebat. Assimilatur
enim sibi secundum participationem illius perfectionis quam de novo a Deo
recepit. Sed hoc erat Spiritum sanctum temporaliter procedere, quod
significari Spiritum sanctum in habitudine aliqua ad creaturam, ex eo quod
creatura novo modo referebatur ad ipsum. Ergo videtur quod Spiritus sanctus etiam
secundum dona naturalia mittatur, et non tantum secundum gratum facientia. |
2. Par ailleurs, dans la
réception de tout don, la créature se présente à Dieu sous un rapport selon
lequel elle ne se présentait pas antérieurement. Elle Lui est rendue
semblable en effet d’après la participation de cette perfection qu’elle
reçoit de Dieu pour la première fois. Mais c’est là en quoi consiste la
procession temporelle de l’Esprit-Saint, à savoir d’être signifié dans un
certain rapport à la créature, du fait que la créature se rapporte à Lui pour
la première fois. Il semble donc que l’Esprit-Saint soit envoyé même d’après
les dons naturels et non seulement d’après ceux qui nous rendent agréables à
Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, IV de Trinit., cap. XX, col. 906,
mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed aliquis sine gratia gratum faciente
potest cognoscere Spiritum sanctum ab alio esse per fidem informem. Ergo
videtur quod processio temporalis non semper sit secundum donum gratum
faciens. |
3.
De plus, selon Augustin [IV De la
Trinité, ch. XX, col. 906], être envoyé c’est être connu comme venant
d’un autre. Mais quelqu’un, sans la grâce qui rend agréable à Dieu peut
connaître par la foi informe que l’Esprit-Saint vient d’un autre. Il semble
donc que la procession temporelle n’a pas toujours lieu d’après un don qui
rend agréable à Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 2 arg. 4 Praeterea, Rabanus, in XII, v. 11, 1 ad Cor., dicit, quod
Spiritus sanctus datus est apostolis ad operationem miraculorum. Hoc autem donum non est gratum
faciens, sed tantum gratis datum. Ergo etiam secundum haec dona potest
attendi temporalis processio Spiritus sancti. |
4. En outre, l’Apôtre [1 Corinth., ch. XII, v. 10] dit que
l’Esprit-Saint est donné aux apôtres pour opérer les miracles. Cependant ce
don ne rend pas agréable à Dieu mais il est seulement donné gratuitement.
C’est donc même à ces dons que peut s’étendre la procession temporelle de
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Contra, Sapient. 1, 5: Spiritus sanctus disciplinae effugiet
fictum. Quicumque autem caret gratia gratum faciente, pro
ficto habetur. Ergo in nullum talem Spiritus sanctus procedit. |
Cependant: 1. On lit au
contraire dans La Sagesse (1, 5): L’Esprit-Saint,
l’éducateur, fuit la fourberie. Mais quiconque est privé de la grâce qui
rend agréable à Dieu est tenu pour fourbe. Donc, l’Esprit-Saint ne procède en
aucune personne de cette sorte. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non procedit in aliquem nisi
quem inhabitat Deus, sicut in templo suo: quia per Spiritum sanctum efficitur
quis templum Dei, 1 Corinth. 6. Sed in nullo dicitur habitare Deus nisi per
gratiam gratum facientem. Ergo secundum hoc donum tantum temporalis processio
Spiritus sancti attenditur. |
2. En outre,
l’Esprit-Saint ne procède qu’en celui que Dieu habite comme Il habite son
temple: car c’est pas l’Esprit-Saint que quelqu’un devient le temple de Dieu
[1 Corinth. 6]. Mais on ne dit que Dieu habite quelqu’un que par
la grâce qui rend agréable à Dieu. Ce n’est donc qu’à cette sorte de don que
la procession temporelle de l’Esprit-Saint s’applique. |
lib. 1
d. 14 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in exitu creaturarum a primo
principio attenditur quaedam circulatio vel regiratio, eo quod omnia
revertuntur sicut in finem in id a quo sicut a principio prodierunt. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’un certain circuit et un certain retour s’applique à la sortie
des créatures du premier principe du fait que toutes les choses se
retournent, comme vers leur fin, vers celui d’où elles procèdent comme de
leur principe. |
Et ideo oportet ut per eadem
quibus est exitus a principio, et reditus in finem attendatur. Sicut igitur
dictum est, dist. 13, quaest. 1, art. 1, quod processio personarum est ratio
productionis creaturarum a primo principio, ita etiam est eadem processio
ratio redeundi in finem, quia per Filium et Spiritum sanctum sicut et conditi
sumus, ita etiam et fini ultimo conjungimur ; ut patet ex verbis Augustini,
de vera religione, LV, 113, col. 172, positis in 3 dist., ubi dicit:
Principium ad quod recurrimus, scilicet Patrem, et formam quam sequitur,
scilicet Filium, et gratiam qua reconciliamur. |
C’est pourquoi il
faut que ce soit par les mêmes choses par lesquelles a lieu la sortie du
principe que le retour tende vers la fin. Donc, tout comme nous avons dit
[dist. 13, quest. 1, art. 1] que la procession des Personnes est la cause de
la production des créatures par le premier principe, de même encore c’est la
même procession qui est la cause du retour vers la fin, car tout comme c’est
par le Fils et l’Esprit-Saint que nous sommes fondés, de même encore c’est
par eux que nous sommes rattachés à la fin ultime; c’est là
ce qu’on voit par les paroles d’Augustin [De la Vraie Religion, LV,
113, col. 172] présentées dans la distinction 3, où il dit: le Principe vers
lequel nous retournons, à savoir le Père, et la forme qui est poursuivie, à
savoir le Fils, et la grâce par laquelle nous sommes réconciliés. |
Et Hilarius
dicit infra 31 dist.: Ad unum initiabile omnium initium per Filium universa
referimus. Secundum hoc ergo processio divinarum personarum in creaturas
potest considerari dupliciter. Aut inquantum est ratio
exeundi a principio ; et sic talis processio attenditur secundum dona
naturalia, in quibus subsistimus, sicut dicitur a Dionysio, IV de div. nom.,
cap. IV, col. 694, divina sapientia vel bonitas in creaturas procedere. Sed de
tali processione non loquimur hic. |
Et Saint-Hilaire dit plus
loin dans la distinction 31 : C’est à un unique pouvoir de
commencement de tous les commencements par le Fils que nous
rapportons toutes les choses. C’est donc conformément à cela que la
procession des Personnes divines dans les créatures peut être considérée de
deux manières. Soit en tant qu’elle est la
notion de la sortie du principe et en ce sens une telle procession s’applique
aux dons naturels dans lesquels nous subsistons ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. IV, col. 694] lorsqu’il affirme que la sagesse et la
bonté divines procèdent dans les créatures. Mais nous ne parlons pas ici de
cette procession. |
Potest etiam attendi
inquantum est ratio redeundi in finem, et est secundum illa dona tantum quae
proxime conjungunt nos fini ultimo, scilicet Deo, quae sunt gratia gratum
faciens et gloria, et de ista processione loquimur hic. Sicut enim in
generatione naturali generatum non conjungitur generanti in similitudine
speciei nisi in ultimo generationis, ita etiam in participationibus divinae
bonitatis non est immediata conjunctio ad Deum per primos effectus quibus in
esse naturae subsistimus, sed per ultimos quibus fini adhaeremus ; et ideo
concedimus, Spiritum sanctum non dari nisi secundum dona gratum facientia. |
Mais elle peut aussi
s’entendre comme la notion du retour vers la fin et alors la procession n’a
lieu que selon ces seuls dons qui nous rattachent intimement à la fin ultime,
c’est-à-dire à Dieu, et qui sont la grâce et la gloire qui nous rendent
agréables à Dieu, et c’est de cette procession que nous parlons ici. En
effet, tout comme dans la génération naturelle ce qui est engendré n’est
rattaché à celui qui engendre dans la ressemblance de l’espèce qu’à la fin de
la génération, de même encore dans les participations de la bonté divine il
n’y a pas une union immédiate à Dieu au moyen des premiers effets par
lesquels nous subsistons dans l’existence de la nature, mais au moyen des
derniers grâce auxquels nous sommes unis à la fin ; et c’est pourquoi
nous concédons que l’Esprit-Saint n’est donné que selon les dons qui nous
rendent agréables à Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in collatione donorum naturalium
vel gratis datorum attendatur magna liberalitas, tamen perfectio
liberalitatis attenditur in his quae ultimae perfectioni conjungunt: et ista
sunt quae immediate ordinant nos in finem ; et ideo secundum ista dona
praecipue Spiritus sancti processio attenditur |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que dans la réunion des dons naturels ou de ceux qui
sont donnés gratuitement on remarque une grande libéralité, cependant la
perfection de la libéralité se remarque dans ceux qui unissent à la
perfection ultime : et ces dons sont ceux qui nous ordonnent
immédiatement à la fin ; et c’est pourquoi la procession de
l’Esprit-Saint s’étend surtout d’après ces dons. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in processione Spiritus, secundum quod hic
loquimur, prout scilicet claudit in se dationem Spiritus sancti, non sufficit
quod sit nova relatio, qualiscumque est, creaturae ad Deum ; sed oportet quod
referatur in ipsum sicut ad habitum: quia quod datur alicui habetur aliquo
modo ab illo. Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi vel ad
fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae ; aut secundum fructum
imperfectum, et sic habetur per donum gratiae gratum facientis ; vel potius
sicut id per quod fruibili conjungimur, inquantum ipsae personae divinae
quadam sui sigillatione in animabus nostris relinquunt quaedam dona quibus
formaliter fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod Spiritus
sanctus dicitur esse pignus hereditatis nostrae. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la procession de l’Esprit dont nous parlons ici, c’est-à-dire
dans la mesure où elle enferme en elle le don de l’Esprit-Saint, il ne suffit
pas qu’il y ait une nouvelle relation, quelle qu’elle soit, de la créature à
Dieu, mais il faut qu’elle se rapporte à Lui comme à ce qui est
possédé : car ce qui est donné à l’un se trouve à être possédé de quelque
manière par ce dernier. Mais la personne divine ne peut être possédée par
nous que pour une jouissance parfaite et ainsi elle est possédée par le don
de la gloire, ou selon une jouissance imparfaite et ainsi elle est possédée
par le don de la grâce qui rend agréable à Dieu ; ou de préférence elle
est possédée comme ce par quoi nous sommes unis à l’objet de la jouissance,
selon que les personnes divines elles-mêmes déposent en nos âmes certains
dons par lesquels nous jouissons formellement, c’est-à-dire de l’amour et de
la sagesse ; c’est à cause de cela que nous disons de l’Esprit-Saint
qu’il est le gage de notre héritage. |
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non qualiscumque cognitio sufficit ad
rationem missionis, sed solum illa quae accipitur ex aliquo dono appropriato
personae, per quod efficitur in nobis conjunctio ad Deum, secundum modum
proprium illius personae, scilicet per amorem, quando Spiritus sanctus datur.
Unde cognitio
ista est quasi experimentalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ce n’est pas n’importe quelle connaissance qui remplit la notion de
mission, mais seulement celle qui est reçue à partir d’un don approprié à la
personne et par lequel est produite en nous l’union à Dieu selon le mode
propre de cette personne, c’est-à-dire par l’amour, quand l’Esprit-Saint est
donné. C’est pourquoi cette connaissance est comme expérimentale. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis operatio virtutum non sit donum gratum
faciens, tamen cum dono gratum faciente conferri potest. Et quia apostoli hoc
donum non sine gratia gratum faciente acceperunt, ideo dicuntur temporaliter
accepisse Spiritum sanctum in collatione hujus doni. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que l’opération des vertus ne soit pas un don qui rend agréable
à Dieu, cependant elle peut être donnée avec le don qui rend agréable à Dieu.
Et parce que les apôtres n’ont pas reçu ce don sans la grâce qui rend
agréable à Dieu, c’est pourquoi on dit qu’ils ont reçu temporellement
l’Esprit-Saint en union à ce don. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Par qui la procession temporelle de l’Esprit Saint est-elle faite ?] |
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Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 3
a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus detur a viris sanctis ; |
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ? |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
arg. 1 Deinde quaeritur a quo Spiritus sanctus procedit: et quaeritur hic,
utrum Spiritus sanctus detur a sanctis viris ; alia enim quae ad hanc
inquisitionem pertinent, infra dicentur, dist. 16, quaest. unica, art. 2. Videtur
autem quod sancti viri Spiritum sanctum dare possunt. Remissio enim
peccatorum non fit nisi per Spiritum sanctum. Sed sancti viri possunt
remittere peccata, Joan. 20, 23: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis.
Ergo videtur quod possunt dare Spiritum sanctum. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite de
qui l’Esprit-Saint procède : et on se demande ici si l’Esprit-Saint est
donné par des hommes saints. En effet, les autres choses qui appartiennent à
cette recherche seront exposées plus loin [dist. 16, quest. unique, art. 2].
Il semble cependant que des hommes saints peuvent donner l’Esprit-Saint. En
effet, la rémission des péchés n’est réalisée que par l’Esprit-Saint. Mais
les hommes saints peuvent remettre les péchés [Jean, 20,
23] : Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront
remis. Il semble donc que les hommes saints peuvent donner
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
arg. 2 Praeterea, gratia Spiritus sancti est sicut lumen spirituale. Sed unum
corpus illuminatum lumine corporali potest et aliud illuminare. Ergo et unus
existens in gratia potest alteri gratiam conferre. |
2. De plus, la grâce
de l’Esprit-Saint est comme une lumière spirituelle. Mais un corps
illuminé par une lumière corporelle peut en illuminer un autre. Donc, celui qui
existe dans la grâce peut conférer la grâce à un autre. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea, qui dat occasionem damni, damnum dedisse videtur. Ergo qui
facit aliquid, quo facto confertur gratia Spiritus sancti, videtur gratiam
Spiritus sancti conferre. Sed ministri Ecclesiae sacramenta dispensant, in
quibus gratia Spiritus sancti datur. Ergo videtur quod Spiritum sanctum dare
possint. |
3. En outre, celui qui donne
l’occasion d’un tort semble avoir donné le tort. Donc celui qui fait quelque
chose, et par l’action de qui la grâce de l’Esprit-Saint est conférée,
celui-là semble avoir conféré la grâce de l’Esprit-Saint. Mais les ministres
de l’Église distribuent les sacrements dans lesquels la grâce de
l’Esprit-Saint est donnée. Il semble donc qu’ils peuvent donner
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
s. c. 1 Contra, dans nunquam est inferior eo quod datur. Sed quilibet
minister Ecclesiae est inferior Spiritu sancto, et quasi instrumentum ipsius.
Ergo nullus talis Spiritum sanctum dare potest. |
Cependant : 1. Au contraire, celui qui
donne n’est jamais inférieur à ce qui est donné. Mais tout ministre de
l’Église est inférieur à l’Esprit-Saint et en est comme l’instrument. Donc,
aucun d’eux ne peut donner l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non datur nisi in gratia gratum
faciente. Gratiam autem talem nulla creatura conferre potest.
Ergo nec Spiritum sanctum. Probatio mediae. Nullum infinitum potest esse a potentia
finita. Gratia autem habet quamdam virtutem infinitam, inquantum scilicet
ipsi Deo qui est infinitus, conjungit. Ergo cum omnis
potentia creaturae sit finita, gratia gratum faciens a nulla creatura
conferri potest. |
2. Par ailleurs,
l’Esprit-Saint n’est donné que dans la grâce sanctifiante. Mais aucune créature
ne peut conférer une telle grâce. Donc, aucune créature ne peut donner
l’Esprit-Saint. Preuve de la mineure : Rien d’infini ne peut venir
d’une puissance finie. Mais la grâce possède une puissance infinie,
c’est-à-dire en tant qu’elle unit à Dieu qui est infini. Donc, puisque toute
puissance qui se trouve dans la créature est finie, aucune créature ne peut
conférer la grâce sanctifiante. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod nulla creatura potest dare Spiritum sanctum, sed
solus Deus. Cum enim in processione temporali, ut dictum est, duo sint ;
scilicet respectus aeternus, quo Spiritus sanctus exit a Patre et Filio, et
respectus temporalis qui consurgit ex eo quod creatura per donum susceptum
novo modo se habet ad ipsum: constat quod neutro modo potest ab aliqua
creatura processio temporalis Spiritus sancti intelligi: quod enim a nulla
creatura Spiritus sanctus procedat secundum relationem aeternam, nulli dubium
est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’aucune créature ne peut donner l’Esprit-Saint et que seul Dieu le peut. En
effet, ainsi que nous l’avons dit, puisqu’il y a deux choses à considérer
dans la procession temporelle, à savoir un rapport éternel par lequel
l’Esprit-Saint provient du Père et du Fils, et un rapport temporel qui
provient du fait que la créature se présente à Dieu d’une nouvelle manière
par le don reçu : il est clair que la procession temporelle de
l’Esprit-Saint ne peut être comprise d’aucune de ces manières par une
créature : en effet, personne ne doute que l’Esprit-Saint ne procède
d’aucune créature selon la relation éternelle. |
Similiter etiam nulla creatura
gratiam gratum facientem, in qua sola Spiritus sanctus datur, conferre
potest. Cujus ratio potest dupliciter assignari. |
De la même manière aussi
aucune créature ne peut conférer la grâce sanctifiante qui est la seule dans
laquelle l’Esprit-Saint est donné. Et la raison peut en être donnée de deux
manières. |
Primo, quia cum omnis operatio
creaturae praesupponat potentiam materiae, impossibile est quod aliqua
creatura aliquam formam producat in esse, quae non educitur de potentia
materiae: et inde est quod anima rationalis a solo Deo creatur. Et quia
gratia gratum faciens elevat hominem supra totum esse naturae, inquantum
elicit actum et ordinat in finem in quem natura per sua principia attingere
non potest ; non est perfectio educta de potentia materiae ; et ideo a solo
Deo confertur |
Premièrement, parce que toute
opération de la créature présuppose la puissance de la matière,
il est impossible qu’une créature fasse exister une forme qui ne
soit pas tirée de la puissance de la matière : et c’est pourquoi l’âme
rationnelle n’est créée que par Dieu. Et parce que la grâce sanctifiante
élève l’homme au-dessus de la totalité de son existence naturelle selon
qu’elle engage l’acte et l’ordonne à une fin que la nature ne peut atteindre
par ses seuls principes, et que la perfection n’est pas tirée d’une puissance
de la matière, c’est pourquoi elle n’est conférée que par Dieu. |
Alia ratio potest esse, quia
cum omnis actio sit secundum aliquam similitudinem in per se agentibus,
secundum quod videtur quod unumquodque agit sibi simile ; oportet, si aliqua
perfectio acquisita in aliquo immediate conjungat alicui sicut similitudo
ipsius, quod immediate ab ipso producatur. Et quia per gratiam efficimur ipsi
Deo conjuncti, et non mediante aliqua creatura ; ideo oportet quod gratia
immediate a Deo in nos procedat. |
On peut présenter une
deuxième raison car puisque toute action est produite d’après une
certaine ressemblance chez les agents par soi, selon qu’on voit que chacun
fait ce qui lui est semblable ; il faut, si une perfection acquise dans
un être l’unit immédiatement à un autre comme sa ressemblance, que cet être
soit produit immédiatement par lui. Et parce que par la grâce nous sommes
unis à Dieu lui-même et non par l’intermédiaire d’une créature, c’est
pourquoi il faut que la grâce procède immédiatement de Dieu en nous. |
Tertia ratio potest etiam sumi
ex virtute ipsius gratiae, ex qua eliciuntur in nobis actus meritorii, qui
ducunt in infinitum bonum, sicut objectio tangit ; et ex eo quod in omnibus
agentibus ordinatis per modum agentis et instrumenti, ultima perfectio
attribuitur primo agenti ; sicut forma substantialis non est per calorem
ignis, qui est quasi instrumentum, sed per virtutem caelestem. |
Une troisième raison peut
encore se tirer de la puissance de la grâce elle-même, à partir de laquelle
sont obtenus en nous les actes méritoires qui conduisent à un bien infini,
comme une objection l’indique ; et du fait que dans tous les agents qui
sont ordonnés à la manière d’un agent et de son instrument la perfection
ultime est attribuée à l’agent premier comme c’est le cas pour la forme
substantielle qui n’est pas d’abord produite par la chaleur du feu qui est comme
un instrument, mais par la puissance céleste. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ministri Ecclesiae non remittunt peccata
auctoritate, vel per modum efficientis ; sed solus Deus, qui dicit Isa. 43,
25: Ego sum qui deleo iniquitates tuas propter me. Remittunt autem per modum
ministerii: et ideo etiam possunt dici ministri collationis Spiritus sancti,
sed non datores, quia hoc importat auctoritatem. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que les ministres de l’Église ne remettent pas les péchés de leur propre
autorité ou par mode de cause efficiente, mais seul Dieu le fait lorsqu’il
dit [Isa. 43, 25] : C’est moi, moi, qui efface tes crimes par
égard pour moi. Mais les ministres ne remettent les péchés que par mode de
ministère : et c’est pourquoi on peut encore dire à leur sujet qu’ils
sont les ministres de la communication de l’Esprit-Saint et non ses donateurs
car cela implique autorité. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod lumen spirituale est nobilius et potentius quam lumen
corporale, et ex sua dignitate habet quod a nullo creato potest produci,
sicut et anima rationalis, ut dictum est, in corp. hujus art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la lumière spirituelle est plus noble et plus puissante que la lumière
corporelle, et c’est de sa dignité qu’elle tient de ne pouvoir être produite
par aucune créature, comme c’est le cas pour l’âme rationnelle, ainsi que
nous l’avons dit dans le corps de cet article. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ille qui dat occasionem damni, videtur damnum fecisse
interpretative, sed non proprie ; et tamen qui dat occasionem damni, facit
aliquid proportionatum et sufficiens ad hoc quod damnum sequatur. Sed nulla
operatio ministri in se considerata, prout exit a ministro, est proportionata
et sufficiens ut sequatur Spiritus sancti donatio ; sed solum hoc habet ex
divina institutione et dignatione ; et ideo tota causalitas in Deum refertur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que celui qui donne l’occasion d’un tort semble avoir produit le tort en
un sens mais non à proprement parler ; et cependant celui qui donne
l’occasion du tort fait quelque chose qui est proportionné au tort et qui
suffit à entraîner le tort. Mais aucune opération d’un ministre, considérée
en elle-même, en tant qu’elle provient d’un ministre, n’est proportionnée à
la donation de l’Esprit-Saint et ne suffit à l’entraîner ; mais elle ne
tient cela que de la seule institution divine et de son excellence ; et
c’est pourquoi la causalité de la donation de l’Esprit-Saint doit être
totalement rapportée à Dieu. |
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Distinctio 15 |
Distinction 15 – [La mission en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue15 |
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Question 1 Article 1 La mission
convient-elle aux Personnes divines ? Article 2 La mission
signifie-t-elle une notion ? Question 2 Article 1. La
mission convient-elle à toutes les personnes ? Question 3 Article 1 Est-ce qu’une
personne s’envoie ou se donne-t-elle elle-même ? Article 2 L’Esprit Saint
envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? Question 4 Article 1 Le Fils est-il
envoyé invisiblement dans l’esprit[12] ? Article 2 La mission du Fils
se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? Article 3 La mission peut-elle
être éternelle ? Question 5 Article 1 La mission est-elle
faite pour les créatures sans raison ? qc. 2. Le Fils et l’Esprit
Saint sont-ils envoyés à tous les saints[13] ? qc. 3. Y a-t-il une mission
pour les anges ? qc. 4. Une mission peut-elle
être faite pour le Christ en tant qu’homme ? Article 2 La mission
invisible a-t-elle été plus complète après l’Incarnation ? Article 3 Par la mission
invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes divines ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis de tribus
quaeritur: primo de missione secundum
se. Secundo de ipsa ex parte
missi. Tertio de eadem ex parte
mittentis. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum missio aut datio conveniat divinis
personis ; 2 quid significet, utrum essentiam, vel
notionem. |
Pour comprendre cette partie,
on s’interroge sur trois points : Premièrement sur la mission
en elle-même. Deuxièmement sur la mission
prise du côté de celui qui est envoyé. Troisièmement sur la mission
prise du côté de celui qui envoie. Et au sujet du premier point
on se demande deux choses : 1. Est-ce que la mission ou
la donation convient aux personnes divines ? 2. Cette mission
signifie-t-elle l’essence ou la notion ? |
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Articulus 1 [1082] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
1 a. 1 tit. Utrum missio conveniat divinis personis |
Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes divines ? |
[1083] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio
non conveniat divinis personis. Missio enim videtur dicere quamdam loci
mutationem, secundum quod dicimus nuntium mitti ad aliquem locum. Sed divinis personis, quae ubique sunt, non
convenit aliqua loci mutatio. Ergo nec missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
ne convienne pas aux personnes divines. La mission en effet semble signifier
un changement de lieu selon que nous disons du messager qu’il est envoyé vers
un lieu. Mais aux personnes divines qui sont partout, on ne peut
attribuer un changement de lieu, ni par conséquent une mission. |
[1084] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg.
2 Praeterea, super illud Ezech., 16, 53: Convertens restituam eos
conversione Sodomorum cum filiabus suis, et conversione Samariae et filiarum
ejus ; dicit Hieronymus: « Quod conjunctum est et in uno
corpore copulatum, mitti non potest ». Sed una persona conjuncta est alii
majori unione quam aliqua copulatio corporalis. Ergo una persona non potest
mitti ab alia. |
2. Par ailleurs, sur ce
passage d’Ézéchiel (16, 53) : ………., Saint-Jérôme
dit : Ce qui vous est uni et conjoint dans un seul et même corps
ne peut être envoyé. Mais une personne est unie à une autre
par une union plus grande que l’union corporelle. Donc, une Personne ne peut
être envoyée par une autre. |
[1085] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg.
3 Item, nihil pertinens ad inferioritatem potest dici de una persona respectu
alterius, cum non sint gradus in Trinitate ; unde dicit Damascenus, lib.
III, Fid orthod., cap. XIV, col. 1042, quod Christus non est
obediens Patri nisi secundum quod homo. Missio autem et datio videntur
importare quamdam inferioritatem in misso et dato. Ergo neutrum convenit
divinae personae. |
3. En outre, rien d’inférieur
par rappport à une autre ne peut être attribué à une
personne puisqu’il n’y a pas de degrés parmi les Personnes de la
Trinité ; c’est pourquoi Damascène [111, De la Foi Orthodoxe,
ch. XIV, col. 1042] dit que le Christ n’obéit à son Père qu’en
tant qu’Il est homme. Mais la mission et la donation semblent
impliquer une certaine infériorité dans celui qui est envoyé
et donné. Donc, ni l’un ni l’autre ne convient à la Personne
divine. |
[1086] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg.
4 Item, constat quod divina persona est in infinitum dignior quam aliquis
Angelus. Sed Angeli superiores qui sunt assistentes, secundum Dionysium,
XIII, Caelest. Hierar., col. 299, non mittuntur ad nos propter suam
dignitatem. Ergo multo minus divinae personae mittuntur. |
4. De plus, il est
clair qu’une Personne divine est infiniment plus digne qu’un Ange. Mais les
Anges supérieurs qui sont des assistants d’après Denys [XIII De la
Hiérarchie Céleste, col. 299], ne sont pas envoyés vers nous
en raison de leur dignité. Donc, à bien plus forte raison les personnes
divines ne sont pas envoyées. |
[1087] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 s.
c. 1 In contrarium autem sunt plurimae auctoritates canonis et sanctorum, ut
in littera. |
Cependant : Un grand nombre d’autorités
du canon et de saints affirment le contraire, comme on le voit dans le
document. |
[1088] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod missio vel datio ratione
suae significationis dicit exitum alicujus ut missi ab aliquo sicut a
mittente, et ad aliquem terminum. Iste autem exitus in creaturis est secundum
distantiam corporalem missi a mittente, et in comparatione ad terminum ponit
in misso esse ubi non fuit prius. Quia autem omnis imperfectio amovenda est
ab his quae in divinam praedicationem veniunt, ideo missio in divinis
intelligitur non secundum exitum localis distantiae, nec secundum aliquam
novitatem advenientem ipsi misso, ut sit ubi prius non fuerat ; sed secundum
exitum originis ab aliquo ut a principio, et secundum novitatem advenientem
ei ad quem fit missio, ut novo modo persona missa in eo esse dicatur. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que le mission ou la donation en raison de sa signification dit la
sortie de quelqu’un à titre d’envoyé de la part de quelqu’un qui
envoie vers un certain terme. Mais chez les créatures cette sortie s’opère
d’après une distance corporelle entre celui qui est envoyé et celui qui
envoie, et par rapport au terme elle pose chez celui qui est envoyé d’être en
un lieu où il n’était pas antérieurement. Mais parce que toute imperfection
doit être écartée de ce qui est attribué aux personnes divines, c’est
pourquoi la mission, en tant qu’elle s’applique à Dieu, doit s’entendre non
pas d’après une sortie qui implique une distance dans le lieu, ni selon
une nouveauté qui arrive à celui-là même qui est envoyé de sorte qu’il serait
là où il n’était pas avant, mais d’après une sortie d’origine de
quelqu’un comme de son principe, et d’après une nouveauté qui arrive à celui
à qui est ordonnée la mission comme terme, de telle manière qu’on dise que la
personne envoyée est en lui d’une nouvelle manière. |
Ex quo patet quod missio de ratione sui differt
a processione et datione. Processio enim, inquantum processio, dicit realem distinctionem
et respectum ad principium a quo procedit, et non ad aliquem terminum. Datio
autem non importat distinctionem dati a principio a quo datur, quia idem
potest dare seipsum ; sed tantum ab eo cui datur, ut supra dictum est,
dist. 14,
qu. 2, art. 1. Sed missio ponit distinctionem in misso et ad principium et ad
terminum. Et ideo cum dicitur Spiritus sanctus mitti, includitur in
significatione missionis uterque respectus, scilicet temporalis et aeternus ;
aeternus prout a Patre et Filio procedit ; et temporalis prout significatur
in habitudine ad creaturam, quae novo modo ad ipsum se habet. |
D’où il est clair
que la mission de par sa notion diffère de la procession et de la donation.
La procession en effet, en tant que procession, dit une distinction réelle et
un rapport au principe d’où elle procède et non un rapport à un terme. Mais
la donation n’implique pas une distinction entre ce qui est donné et le
principe duquel il est donné, car un même être peut se donner lui-même, mais
elle implique une distinction entre ce qui est donné et celui auquel se fait
le don, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 1].
Mais la mission pose une distinction de l’envoyé à la fois à l’égard du
principe et du terme. Et c’est pourquoi, lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint est
envoyé, les deux rapports sont compris dans la signification de la mission, à
savoir celui qui est temporel et celui qui est éternel: éternel en tant
qu’elle procède du Père et du Fils, temporel en tant que la mission est
signifiée dans son rapport à la créature qui se présente à l’Esprit-Saint
d’une nouvelle manière. |
[1089] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus, qui ubique est, non
possit esse ubi non fuerat, loci mutatione circa ipsum intellecta ; tamen
potest esse aliquo modo quo prius non fuerat, mutatione facta circa illud in
quo esse dicitur ; et in hoc salvatur ratio missionis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que l’Esprit-Saint, qui est partout, ne puisse être là où il
n’était pas auparavant par un changement de lieu étant pris comme lui
appartenant, cependant il peut être selon un mode par lequel il
n’était pas avant grâce à un changement produit sur la chose même dans
laquelle on dit qu’Il est ; et c’est en cela que se conserve la notion
de mission. |
[1090] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod Glossa Hieronymi intelligitur de missione
creaturae quae fit per loci mutationem, quae non potest esse nisi ejus quod
localiter separatur. Ad divinam autem missionem sufficit distinctio
personarum in essentiae unitate. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que la somme de Saint-Jérôme doit ici s’entendre de la mission
de la créature qui s’opère par un changement de lieu et qui ne peut avoir
lieu que pour celui qui s’éloigne d’un lieu. Mais la distinction des
Personnes dans l’unité de l’essence suffit à conserver la mission divine. |
[1091] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod obedientia est proprie respectu praecepti, quod
proprie ad dominium pertinet. Unde patet quod obedientia gradum importat
dignitatis. Unde non potest dici de persona Filii vel Spiritus sancti
secundum divinitatem. Mittere autem non ponit gradum dignitatis, sed
auctoritatem principii in uno, respectu alterius qui ab illo exit: et iste
ordo est in divinis personis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’obéissance se rapporte proprement au commandement qui appartient
en propre au Seigneur. C’est pourquoi il est clair que l’obéissance implique
un degré de dignité. Et c’est pourquoi elle ne peut se dire de la
personne du Fils ou de l’Esprit-Saint sous le rapport de la
divinité. Mais la mission ne pose pas un degré de dignité, mais l’autorité
d’un principe dans un être par rapport à un autre qui sort de lui : et
cet ordre existe dans les Personnes divines. |
[1092] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem missio dicitur de
Angelo et de divina persona. Angelus enim missus localiter movetur, cum sit
ubi prius non fuerat: quia cum sunt in caelo, non sunt in terra. Unde missio
talis aliquam indignitatem vel inferioritatem gradus ponit circa missum. Non
autem missio divinae personae a qua omnino loci mutatio excluditur. Et
praeterea effectus ille ad quem est missio personae divinae etiam immediate
est ab ipsa persona, scilicet gratia gratum faciens, ut dictum est,
dist. 14,
qu. 2, art. 2. Effectus autem superiorum Angelorum efficitur in nos
mediantibus inferioribus Angelis, secundum Dionysium, caelest.
Hier., cap. XIII, § 3, col. 299, et ideo non dicuntur ipsi
superiores Angeli ad nos mitti, sed inferiores, qui circa nos immediate
operantur ; sicut etiam nec missio divinae personae est secundum illas
perfectiones quas creatura a Deo recipit, agente aliqua media creatura. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que ce n’est pas d’après la même notion qu’on parle
de la mission de l’Ange et de celle de la Personne divine. En effet, l’Ange
qui est envoyé se meut localement, puisqu’il est là où il n’était pas avant:
car alors même qu’ils sont dans le ciel, ils ne sont pas sur la terre. C’est
pouquoi une telle mission pose une indignité ou une infériorité de degré sur
celui qui est envoyé. Ce qui n’est pas le cas pour la mission de la personne
divine de laquelle tout changement de lieu est absolument exclu.
Et de plus cet effet auquel la mission de la personne divine est ordonné, à
savoir la grâce sanctifiante, est immédiatement produit par la Personne
elle-même, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 2].
Mais les effets des Anges supérieurs sont produits en
nous par l’intermédiaire des Anges inférieurs d’après Denys [De la
Hiérarchie Céleste, ch. XIII, & 3, col. 299], et c’est pourquoi on ne
dit pas des Anges supérieurs qu’ils sont envoyés vers nous, mais on le dit
seulement des Anges inférieures qui agissent immédiatement sur nous; tout
comme aussi la mission de la Personne divine, d’après ces
perfections que la créature reçoit de Dieu, ne se fait pas par l’action d’une
créature intermédiaire. |
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Articulus 2 [1093] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
1 a. 2 tit. Utrum missio significet notionem |
Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ? |
[1094] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
significet notionem. Dicit enim Beda in quadam Homil., quod missio Spiritus
sancti est ejus processio. Sed processio est notionale. Ergo et missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
signifie une notion. Bède dit en effet dans une de ses homélies
que la mission de l’Esprit-Saint est sa procession. Mais la procession est
notionnelle. Donc la mission l’est aussi. |
[1095] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg.
2 Praeterea, quidquid importat originem in divinis, est notionale: quia
essentia divina non originatur, nec aliquam personam originat. Missio autem, ut dictum
est, in art. antec., importat exitum originis ab alio sicut a
principio. Ergo est
notionale. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
implique une origine en Dieu est notionel : car l’essence divine n’a pas
d’origine et ne donne pas son origine à une Personne. Mais la mission, ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent, implique, sous le rapport de
l’origine, une sortie d’un autre comme d’un principe. Elle est donc
notionnelle. |
[1096] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg.
3 Contra, secundum Dionysium, De div. nom., cap. II, col. 615, omne
nomen connotans effectum aliquem in creatura, dictum de Deo pertinet ad
communitatem essentiae. Sed missio importat effectum aliquem in creatura, ut
dictum est. Ergo significat
essentiam. |
3. Au contraire, selon Denys
[Les Noms Divins, ch. 11, col. 615], tout nom qui signifie un effet
dans la créature, dit de Dieu, relève de la communauté de
l’essence. Mais la mission implique un effet dans la créature, ainsi que
nous l’avons dit. Elle signifie donc l’essence. |
[1097] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg.
4 Praeterea, nulla notio communis est Filio et Spiritui sancto. Sed missio
communis est utrique: uterque enim legitur missus, ut in Littera dicitur.
Ergo missio non dicit aliquam notionem. |
4. De plus, aucune notion
n’est commune au Fils et à l’Esprit-Saint. Mais la mission est commune aux
deux : chacun des deux en effet est choisi comme envoyé, ainsi qu’on le
dit dans le document. Donc la mission ne dit pas ne notion. |
[1098] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quaedam nomina sunt in
divinis quae significant tantum personam, ut Pater et Filius ; quaedam quae
tantum significant essentiam, sicut hoc nomen essentia ; quaedam quae
significant utrumque, sicut dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1, de potentia generandi et spirandi. Et
ita dico, quod missio est et essentiale et notionale, secundum aliud et
aliud. Secundum enim respectum quem importat missio ad suum principium, est notionale
; secundum autem respectum quem importat ad effectum in creatura, est
essentiale. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a certains noms qui à l’égard de Dieu signifient seulement la
personne, comme Père et Fils ; il y en a d’autres qui signifient
seulement l’essence, comme ce nom, ¨essence¨ ; mais il y en a d’autres
qui signifient les deux, ainsi que nous l’avons dit [dist. 7, quest. 1, art.
1] au sujet de la puissance de génération et de la puissance de spiration. Et
ainsi je dis que la mission est à la fois essentielle et notionnelle, mais
sous des rapports différents. En effet, selon le rapport que la mission
implique à son principe, elle est notionnelle ; mais sous le rapport que
la mission implique à l’effet qu’elle produit dans la créature, elle est
essentielle. |
Sed circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod principaliter
significat notionem, et ex consequenti essentiam secundum effectum
connotatum. Alii dicunt e converso ; et hoc mihi videtur
verius esse, considerata virtute vocabuli. Missio enim secundum rationem sui
nominis non dicit exitum ab aliquo sicut a principio a quo missio esse habet
; sed solum in ordine ad effectum missionis ponitur auctoritas alicujus ad
missum. Servus enim qui mittitur a domino, non exit ab ipso secundum suum
esse, sed sicut a principio movente ipsum per imperium ad hunc actum. |
Mais à ce sujet il
y a deux opinions. Certains en effet
disent que la mission signifie principalement une notion et par conséquent
l’essence d’après l’effet qui lui est rattaché. Mais d’autres disent
le contraire et cela me semble plus près de la vérité si on considère la
puissance du mot lui-même. La mission en effet, d’après la signification du
nom, ne dit pas la sortie d’un être comme du principe par lequel la mission
tient son existence, mais c’est seulement dans le rapport à l’effet de la
mission que l’autorité de quelqu’un est posée à l’égard de celui qui est
envoyé. En effet, l’esclave qui est envoyé par le seigneur ne sort pas de lui
quant à son existence mais comme d’un principe qui le meut à cet acte par un
commandement. |
Sed quia in divinis personis non potest esse
auctoritas respectu missi, nisi secundum originem essendi, ideo ex
consequenti importatur relatio originis in missione, secundum quam est notionale
; et principaliter importatur ordo ad effectum missionis secundum quem est
essentiale. Sed in processione temporali est e converso: quia processio
secundum notionem suam, prout sumitur in divinis, dicit exitum a principio
originante, et non dicit ordinem ad effectum nisi ex consequenti ; scilicet
quantum ad modum processionis, [qui est temporalis add. Éd. de Parme],
ut dictum est, art. antec. Et ideo processio temporalis videtur esse
principaliter notionale, et ex consequenti significare essentiam ratione
connotati effectus. [Dico autem, quod hic accedit plus Éd. de Parme].
Datio autem accedit adhuc plus ad essentiam quam missio, ut patet ex dictis. |
Mais parce que dans les
Personnes divines il ne peut y avoir une autorité par rapport à celui qui est
envoyé que d’après l’origine de l’existence, c’est pourquoi par conséquent la
relation d’origine est impliquée dans la mission et d’après laquelle la
mission est notionnelle ; et principalement c’est le rapport à l’effet
de la mission qui est impliqué et d’après lequel la mission est
essentielle. Mais dans la procession temporelle c’est l’inverse : car la
procession selon sa notion, si on la prend dans les personnes divines, dit
une sortie d’un principe d’origine et ne dit pas un rapport à un effet si ce
n’est comme conséquence, c’est-à-dire quant à la modalité de la procession,
[qui est temporelle add. Éd. de Parme] ainsi que nous l’avons dit
dans l’article précédent. Et c’est pourquoi la procession temporelle semble
être principalement notionnelle et par conséquent signifier l’essence en
raison de l’effet qui lui est rattaché. [Mais je dis qu’ici s’approche
davantage Éd. de Parme]. Mais la donation s’approche encore
davantage de l’essence que la mission ainsi qu’on le voit en partant de ce
qui a été dit. |
[1099] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1
Et per hoc patet solutio ad tria prima argumenta. |
Solutions: 1. Suite à cela, la
solution aux trois premières difficultés est évidente. |
[1100] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod notio potest significari in divinis dupliciter: aut
proprie, sicut paternitas vel innascibilitas ; aut communiter, sicut esse ab
alio vel a quo est alius ; et hoc modo significatur notio in missione ; et
ideo communis est duabus personis ab alio existentibus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la notion en Dieu peut être signifiée de deux manières : ou
bien proprement, comme la paternité et l’inascibilité ; ou bien au sens
large, comme d’exister par un autre ou ce par quoi un autre existe ; et
en ce sens la notion est signifiée dans la mission ; et c’est pourquoi
elle est commune à deux personnes qui existent par un autre. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les personnes ?] |
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Articulus 1 [1101] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
2 a. 1 tit. Utrum missio conveniat omnibus personis |
Article 1 – La mission convient-elle à toutes les personnes ? |
[1102] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
1 Deinde quaeritur cui convenit mitti. Et videtur quod toti Trinitati. Sicut
enim dicit Damascenus, lib. I Fide, orthod., cap.II, col. 79, in
divinis omnia unum sunt, praeter ingenerationem, generationem et
processionem. Sed missio nullum horum est. Ergo videtur quod toti Trinitati
convenit. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite à
qui il convient d’être envoyé. Et il semble que cela convienne à toute la
Trinité. En effet, comme le dit Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 11,
col. 79], en Dieu tout est un, à l’exception de l’inascibilité, de la
génération et de la procession. Mais la mission n’appartient à aucune de ces
trois notions. Il semble donc que la mission appartienne à toute la Trinité. |
[1103] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
2 Praeterea, missio divinae personae intelligitur secundum hoc quod ipsa
persona per missionem manifestatur. Unde dicit Augustinus, IV De
Trinit., cap. XX, col. 906, quod mitti est cognosci quod ab alio
sit. Sed effectus in creatura qui fit per missionem, manifestat totam
Trinitatem sicut causatum suam causam. Ergo videtur quod tota Trinitas
mittatur. |
2. Par ailleurs, la mission
de la personne divine se comprend selon ceci que la personne
elle-même est manifestée par la mission. C’est pourquoi Augustin dit
[IV De la Trinité, ch. XX, col. 906] qu’on dit qu’est envoyé ce
qui est connu comme venant d’un autre. Mais l’effet qui est produit par la
mission dans la créature manifeste toute la Trinité comme le causé manifeste
sa cause. Il semble donc que toute la Trinité soit envoyée. |
[1104] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
3 Praeterea, sicut dona appropriata Filio et et Spiritui sancto sunt
communicabilia creaturae, scilicet sapientia et bonitas, ita et dona
appropriata Patri, scilicet potentia. Sed ratione illorum donorum
appropriatorum eis dicuntur Spiritus sanctus et Filius mitti. Ergo eadem
ratione et Pater. |
3. En outre, tout comme les
dons appropriés au Fils et à l’Esprit-Saint, à savoir la sagesse et la bonté,
sont cummunicables à la créature, de même encore les dons appropriés au Père,
à savoir la puissance, sont eux aussi communicables à la créature. Mais c’est
en raison de ces dons qui leur sont appropriés qu’on dit du Fils et de
l‘Esprit-Saint qu’ils sont envoyés. Pour la même raison, il en est donc de
même pour le Père. |
[1105] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
4 Item, ubicumque est Filius vel Spiritus sanctus, est et Pater. Sed Spiritus sanctus vel
Filius dicuntur mitti, quia novo modo existunt in aliqua creatura. Ergo
videtur quod simul cum eis Pater mittatur, et ita toti Trinitati convenit
mitti. |
4. De plus, partout où sont
le Fils et l’Esprit-Saint, le Père y est aussi. Mais on dit de l’Esprit-Saint
et du Fils qu’ils sont envoyés parce qu’ils existent d’une nouvelle manière
dans la créature. Il semble donc que le Père soit envoyé simultanément avec
eux et qu’il convienne ainsi à toute la Trinité d’être envoyée. |
[1106] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
5 Sed contra, videtur quod solus Filius mittatur. Sicut enim dicit
Augustinus, IV de Trinitate, cap. XX, col. 906, mitti est
cognosci quod ab alio sit. Sed cognitio appropriatur Filio, qui est Verbum et
sapientia Patris. Ergo solus Filius videtur mitti. |
5. Au contraire, il semble
que seul le Fils soit envoyé. En effet, comme le dit Augustin [IV De
la Trinité, ch. XX, col. 906], on dit qu’est envoyé ce qui est connu
comme venant d’un autre. Mais la connaissance est appropriée au Fils qui est
le Verbe et la sagesse du Père. Il semble donc que seul le Fils soit envoyé. |
[1107] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg.
6 Item, videtur quod solus Spiritus sanctus. Omnia enim dona spiritualia
pertinent ad manifestationem Spiritus, ut habetur 1 Corinth. 12,
7: unicuique datur manifestatio Spiritus ad utilitatem. Sed per
missionem manifestatur persona divina. Ergo videtur quod solus Spiritus
mittatur in omnibus donis. |
6. Aussi, il semble que seul
l’Esprit-Saint soit envoyé. En effet, tous les dons spirituels appartiennent
à la manifestation de l’Esprit ainsi que l’affirme l’Apôtre [1 Corinth., 12,
7] : À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit pour le service.
Mais la personne divine est manifestée par la mission. Il semble donc que
seul l’Esprit-Saint soit envoyé dans tous les dons. |
[1108] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in hac
dist., qu. 1, art. 1, in omni missione oportet quod ponatur aliqua auctoritas
alicujus ad ipsum missum. In
divinis autem personis non est auctoritas nisi secundum originem ; et ideo
nulli personae divinae convenit mitti nisi ei quae est ab alio, respectu
cujus potest in alio designari auctoritas ; et ideo Spiritus sanctus et
Filius dicuntur mitti, et non Pater vel Trinitas ipsa. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
comme nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. 1, art. 1], que dans toute
mission il faut que l’autorité d’une personne soit posée à l’égard de celui
qui est envoyé. Mais dans les personnes divines il n’y a d’autorité que selon
l’origine ; et c’est pourquoi il ne convient à une personne divine
d’être envoyée que si elle vient d’une autre et sous ce rapport l’autorité
peut être désignée comme étant dans l’autre ; et c’est pourquoi on dit
du Fils et de l’Esprit-Saint qu’ils sont envoyés et non le Père ou la Trinité
elle-même. |
[1109] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod in missione includitur intellectus processionis
et generationis implicite quantum ad id quod commune est eis, scilicet esse
ab alio: quamvis non quantum ad propriam rationem generationis vel
processionis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que dans la mission sont implicitement inclus les concepts de
procession et de génération quant à ce qui leur est commun, à
savoir d’exister par un autre, bien qu’ils ne le soient pas quant à leur
définition propre. |
[1110] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod in missione non tantum est effectus doni creati
creaturae collati, sed etiam, ut dictum est, in corp. art., ponitur
auctoritas alicujus principii respectu ipsius missi. Unde in missione
personae cognoscitur persona ab alia esse, secundum Augustinum IV De
Trinit., cap. XX, col. 906. Et quia hoc non convenit toti Trinitati
nec ipsi Patri, ideo non potest dici Pater vel Trinitas mitti. Et praeterea
effectus ille magis appropriatur uni personae quam alii, secundum quem una
persona dicitur mitti et non alia. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans la mission il n’y a pas seulement l’effet du don qui est uni à
la créature mais aussi, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article
l’autorité d’un principe est posée par rapport à celui qui est envoyé. C’est
pourquoi dans la mission de la personne il est connu que la
personne vient d’une autre d’après Augustin [IV De la Trinité,
ch. XX, col. 906]. Et parce que cela ne convient pas à toute la Trinité ni au
Père lui-même, c’est pourquoi on ne peut attribuer la mission ni au Père ni à
la Trinité. Et par ailleurs tel effet est davantage approprié à une personne
qu’à une autre, selon lequel on dit d’une personne et non d’une autre qu’elle
est envoyée. |
[1111] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia, quae
appropriatur patri, non habet rationem ut pertineat ad reditum in finem ; sed
magis pertinet ad exitum a principio, dicit enim potentia rationem principii:
et ideo non pertinet ad missionem, quae fit ad revocandum rationalem
creaturam in Deum. Et
praeterea Pater, in quo est prima auctoritas, non potest designari mitti,
quia respectu ejus nulla habetur auctoritas. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la puissance qui est appropriée au Père n’a pas raison de se
rapporter à un retour vers la fin mais plutôt elle se rapporte à une sortie
d’un principe car la puissance en effet a raison de principe : et c’est
pourquoi elle ne se rapporte pas à la mission qui a lieu pour rappeler la
créature rationnelle à Dieu. Et par ailleurs le Père dans lequel se tient la
première autorité, ne peut être identifié comme un envoyé car au-dessus de
Lui il n’y a aucune autorité. |
[1112] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod cum Pater sit in Filio, et Filius in Spiritu
sancto, quando Filius mittitur, simul et venit Pater et Spiritus sanctus ;
sive intelligatur de adventu Filii in carnem, cum ipse dicat, Joan. 8,
16: Solus non sum [et non sum solus Éd. de Parme],
sed ego, et qui misit me Pater, sive intelligatur de adventu in mentem,
cum ipse dicat, Joan. 14, 23: Ad eum veniemus, et mansionem apud eum
faciemus. Et ideo adventus vel inhabitatio convenit toti Trinitati: quae
non dicuntur nisi ratione effectus conjungentis ipsi Trinitati, quamvis ille
effectus ratione appropriationis possit ducere magis in unam personam quam in
aliam. Sed missio super hoc addit auctoritatem alicujus respectu personae
quae mitti dicitur ; et ideo non potest convenire nisi personae quae est ab
alio principio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que puisque le Père est dans le Fils et que le Fils est dans
l’Esprit-Saint, quand le Fils est envoyé, le Père et l’Esprit-Saint viennent
simultanément ; soit qu’on le prenne quant à la venue du Fils dans la
chair comme Il le dit lui-même dans Jean (8,
16) : Je ne suis pas seul [et je ne suis pas seul Éd.
de Parme] mais il y a moi et le Père qui m’a envoyé ;
soit qu’on le prenne quant à sa venue dans notre intelligence, comme Il le
dit lui-même dans Jean(14, 23) : Nous viendrons chez
lui et nous ferons notre maison en lui. Et c’est pourquoi la venue ou
l’habitation convient à toute la Trinité et ces termes ne sont dits qu’en
raison de l’effet qui unit à la Trinité elle-même, bien que cet effet en
raison de l’appropriation puisse conduire davantage à une personne qu’à une
autre. Mais la mission ajoute à cela l’autorité d’une personne par rapport à
la personne qu’on dit être envoyée ; et c’est pourquoi la mission ne
peut convenir qu’à la personne qui vient d’une autre comme de son principe. |
[1113] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod quamvis cognitio approprietur Filio, tamen donum
illud ex quo sumitur experimentalis cognitio, quae necessaria est ad
missionem, non necessario appropriatur Filio, sed quandoque Spiritui sancto,
sicut amor. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que bien que la connaissance soit appropriée au Fils, cependant ce don,
d’où se tire la connaissance expérimentale qui est nécessaire à la mission,
n’est pas nécessairement approprié au Fils, mais parfois
à l’Esprit-Saint en tant qu’amour. |
[1114] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in dono duo est
considerare: scilicet rationem doni, et sic manifestat omne
donum Spiritum sanctum, inquantum habet rationem primi doni, secundum quod
est amor ; aut secundum speciem doni, et sic aliquod donum
manifestat ipsum Filium, sicut sapientia vel scientia. |
6. Il faut dire en sixième
lieu qu’il y a deux choses à considérer dans le don : Soit la notion universelle de
don et ainsi tout don manifeste l’Esprit-Saint selon qu’Il a raison de
premier don en tant qu’Il est amour ; Soit l’espèce du don et ainsi
un don particulier manifeste le Fils lui-même en tant qu’il est sagessse ou
science. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La mission par comparaison à celui qui envoie] |
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Prooemium |
Prologue |
[1115] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 pr.
Deinde quaeritur de missione per comparationem ad mittentem, et circa hoc duo
quaeruntur: 1 utrum alicui personae
conveniat quod mittat se, vel procedat a se, vel det ; 2 utrum Filius mittatur a Spiritu sancto. |
Par la suite on s’interroge
sur la mission par rapport à celui qui envoie et à ce sujet on
pose deux questions : 1. Convient-il à une personne
de s’envoyer elle-même, de procéder d’elle-même ou de se donner
elle-même? 2. Est-ce que le Fils est
envoyé par l’Esprit-Saint ? |
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Articulus 1 [1116] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
3 a. 1 tit. Utrum aliqua persona mittat se vel det |
Article 1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne elle-même ? |
[1117] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla persona det se, vel mittat
se. Dans enim semper videtur habere auctoritatem respectu dati. Sed nulla
persona habet auctoritatem respectu sui ipsius. Ergo videtur quod nulla
persona det se. |
Difficultés : 1. Il semble q’aucune
personne ne s’envoie ou ne se donne elle-même. Celui qui donne en effet
semble toujours posséder une autorité par rapport à ce qui est donné. Mais
aucune Personne ne possède une autorité par rapport à elle-même. Il semble
donc qu’aucune personne ne se donne. |
[1118] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 2 Item supra, dist. 14, dixit Magister, quod homines non possunt dare Spiritum
sanctum, quia ab eis non procedit. Sed nulla persona procedit a seipsa ;
alias esset principium sui ipsius. Ergo nulla persona seipsam dare potest. |
2. En outre, plus haut (dist.
14), le Maître a dit que les hommes ne peuvent donner l’Esprit-Saint car il
ne procède pas d’eux. Mais aucune personne ne procède d’elle-même autrement
elle serait principe d’elle-même. Donc, aucune personne ne peut se donner
elle-même. |
[1119] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg.
3 Item, sicut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 2, missio ponit exitum
ipsius missi a mittente. Sed nulli personae convenit [exire a seipsa Éd.
deParme] mittere se. Ergo nulli personnae convenit mittere se |
3. De plus, ainsi que nous
l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la mission affirme que
l’envoyé lui-même sort de celui qui envoie. Mais il ne convient à aucune
personne [de sortir d’elle-même Éd. de Parme] de s’envoyer
elle-même. Donc il ne convient à aucune personne de s’envoyer elle-même. |
[1120] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg.
4 Item, sicut dictum est, processio principaliter importat respectum personae
ad principium a quo distinguitur. Sed nulla persona divina distinguitur a seipsa.
Ergo nec a se procedit. |
4. Par ailleurs, ainsi que
nous l’avons dit, la processon implique principalement un rapport de la
personne à un principe dont elle se distingue. Mais aucune personne divine ne
se distingue d’elle-même. Donc aucune personne divine ne procède d’elle-même. |
[1121] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg.
5 Praeterea, haec praepositio a importat habitudinem
principii. Sed nulla res est principium sui ipsius. Ergo etsi conceditur quod
aliqua persona mittit se, non debet concedi quod mittatur a se. |
5. De plus, cette préposition
¨par¨ implique un rapport à un principe. Mais aucune chose n’est
le principe d’elle-même. Donc, bien qu’on concède qu’une personne s’envoie
elle-même, on ne doit pas concéder qu’elle est envoyée par elle-même. |
[1122] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s.
c. 1 Contra, Augustinus, IV De Trinit., cap. XX, XXIX, col.
908 : « Sicut generari est Filium esse a Patre, ita Filium cognosci
esse a Patre, est Filium mitti ». Sed ista cognitio potest causari a
Filio. Ergo et missio Filii potest esse a Filio. |
Cependant : 1. Au contraire,
Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 29 , col. 908]
dit : ¨Tout comme la génération fait exister le Fils par
le Père, de même c’est la mission du Fils qui fait connaître que
le Fils vient du Père¨. Mais cette connaissance peut être causée par le Fils
et par conséquent la mission du fils peut venir du Fils. |
[1123] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s.
c. 2 Item, hoc videtur ex his quae in littera dicuntur. |
2. En outre cela est clair en
partant de ce qui est dit dans le document. |
[1124] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum differentiam
donationis, missionis et processionis superius assignatam in hac dist.,
quaest. 1, art. 1, diversimode oportet in hac quaestione loqui. Si enim accipiamus donationem sive dationem, de
ratione dationis non videtur plus esse nisi quod datum libere a dante
habeatur. Hoc autem potest esse dupliciter: aut sicut aliquis libere seipsum habet, vel
aliquid quod in ipso est ; aut sicut libere aliquis habet suam possessionem, vel id respectu cujus dominium habet, secundum
quod habere multis modis dicitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après la distinction qui a été assignée [dist. 15, quest. 1, art. 1]
entre la donation, la mission et la procession, il importe dans cette
question de parler de différentes manières. Si en effet nous prenons la
donation, il ne semble pas y avoir plus dans la définition de la donation que
ce qui est donné est possédé librement par celui qui donne. Mais cela peut
avoir lieu de deux manières : Soit comme celui qui se
possède lui-même librement ou qui possède librement quelque chose qui est en
lui ; ou comme celui qui possède librement sa possession. Soit ce par rapport à quoi il
possède une autorité, selon que ¨posséder¨ se dit de multiples manières. |
Unde de ratione donationis non est quod ponatur
aliqua auctoritas respectu ipsius dati (potest enim aliquis et seipsum ex
amore dare alicui in amicum), nisi specificetur datio secundum specialem
modum habendi, qui est secundum dominium. Talis autem donatio nulla est
respectu divinorum. Et ideo donatio non exigit aliquam rationem principii
respectu ipsius dati. Unde dari, potest convenire et essentiae divinae, prout
dicimus quod Pater dat essentiam suam Filio ; et potest convenire Patri, ut
dicatur Pater seipsum dare ; et similiter Filio, et Spiritui sancto. Nec
notabitur aliqua distinctio dantis ad datum, nisi forte secundum rationem, sicut
intelligentis ad intellectum. Et sic concedimus simpliciter quod persona dat
se, et datur a se. |
C’est pourquoi il ne fait pas
partie de la notion de donation qu’une autorité soit posée par rapport à cela
même qui est donné (quelqu’un peut en effet par amour se donner lui-même dans
son ami), à moins que la donation ne soit spécifiée d’après un mode spécial
de possession qui est celui du maître. Mais il n’y a aucune donation de cette
sorte par rapport aux personnes divines. Et c’est pourquoi la donation n’exige
pas l’idée de principe par rapport à cela même qui est donné. C’est pourquoi
¨être donné¨ peut s’attribuer à la fois à l’essence divine, selon que nous
disons que le Père donne son essence au Fils, au Père lorsque nous disons que
le Père se donne lui-même, et de la même manière au Fils et à l’Esprit-Saint.
Et on ne notera pas une distinction entre celui qui donne et ce qui est
donné, saug bien sûr selon la raison comme on le fait entre celui
qui comprend et ce qui est compris. Et c’est ainsi que nous concédons
absolument que la personne se donne elle-même et qu’elle est donnée par
elle-même. |
Sed circa missionem est major difficultas, quam
attestatur opinionum diversitas. Quidam enim dicunt, quod omnes tales sunt
falsae: Spiritus sanctus mittit se vel Filius mittit
se. Et dicunt, rationes Magistri non valere ; quia cum missio includat in
se notionem, non oportet quod in potentia vel operatione missionis tres
personae conveniant, sicut nec in generatione vel potentia generandi. Et
dicunt etiam non esse simile de missione in carnem, secundum quam Filius
seipsum mittere dicitur ; quia in illa missione natura creata assumitur in
unitatem divinae personae ; quod non contingit in aliis missionibus. |
Mais en ce qui concerne la
mission la difficulté est plus grande, ce qu’atteste la diversité des
opinions. Certains en effet disent que toutes ces propositions sont
fausses : L’esprit-Saint s’envoie lui-même ou le
Fils s’envoie lui-même. Et ils disent que les raisonnements du Maître ne
sont pas valides ; car puisque le mission inclut en elle la notion, il
ne faut pas que dans la puissance et l’opération de la mission les trois
personnes se rencontrent, tout comme il ne faut pas qu’elles se
rencontrent dans la génération ou la puissance d’engendrer. Et ils disent
encore qu’il n’en est pas de même pour la mission dans la chair selon
laquelle on dit du Fils qu’il s’envoie lui-même ; car dans cette mission
la nature créée est assumée dans l’unité de la personne divine, ce qui ne se
produit pas dans les autres missions. |
Et si in auctoritate aliqua invenitur quod
Spiritus sanctus mittat se, glossandum est: idest, a Spiritu sancto est
effectus, in quo ab alio cognoscitur esse. Sed quia sancti communiter talibus
locutionibus utuntur et praecipue Augustinus et Magister hoc concedunt ; ideo
alii dixerunt, quod missio aliquando proprie sumitur, aliquando improprie.
Quando missio sumitur proprie, importat distinctionem missi ab eo a quo fit
missio ; et ideo hoc modo non potest dici quod Spiritus sanctus mittat se.
Communiter autem sumitur et improprie missio pro influentia vel datione ; et
sic dicunt Spiritum sanctum mittere se quia dat se vel quia inspirat se. |
Et si on trouve dans une
autorité que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même, on doit s’en moquer : à
savoir qu’il y a un effet produit par l’Esprit-Saint et par lequel il est
connu qu’il vient d’un autre. Mais parce que les saints se servent
communément de telles locutions, et surtout Augustin et le Maître, ils
concèdent cela ; c’est pourquoi d’autres auront dit que la mission se prend
parfois proprement, parfois improprement. Quand la mission se prend
proprement, elle implique une distinction entre celui qui est envoyé et celui
d’où vient la mission ; et c’est pourquoi en ce sens on ne peut dire que
l’Esprit-Saint s’envoie lui-même. Mais prise communément et improprement, la
mission tient lieu d’influence ou de donation ; et en ce sens ils disent
que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même parce qu’il se donne lui-même ou parce
qu’il s’inspire lui-même. |
Et haec opinio est Praepositini et
Altisiodorensis, lib. I Summae VIII. Et quia haec opinio
parum videtur recedere a prima ; ideo dixerunt alii, quod proprie dicitur
Spiritus sanctus se mittere. Et huic consentiendum videtur, si virtus nominis
attendatur. Missio enim, ut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 1, importat
duo ; scilicet missum esse ab alio, ratione auctoritatis quam importat ; et
iterum effectum, secundum quem novo modo in aliqua creatura Spiritus sanctus
dicitur. Unde sensus est: Spiritus sanctus mittitur ; idest, est ab aliquo,
et fit novo modo in aliquo, nulla tamen mutatione facta circa ipsum, ut prius
dictum est. Notandum est autem, quod diversimode
verificatur locutio, quando aliquod conjunctum praedicatur de aliquo secundum
esse, et quando secundum fieri. Quando enim praedicatur secundum esse,
oportet quod utrumque illorum esse dicatur ; ut si dicam, Socrates est homo
albus, oportet eum esse hominem, et album esse ; nisi alterum diminuat
rationem alterius, ut cum dicitur, homo mortuus. |
Et cette opinion est celle de
Préposition et d’Altisiodore [1 De la Somme VIII]. Et parce que
cette opinion semble peu s’éloigner de la première c’est pourquoi d’autres
ont dit que c’est proprement qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il s’envoie. Et
il semble qu’il faille se rallier à cette position si on s’arrête à la
puissance du nom. La mission en effet, ainsi que nous l’avons dit [dist. XIV,
quest. 1, art. 1], implique deux choses : à savoir que l’envoyé vient
d’un autre en raison de l’autorité qu’elle implique ; et en outre elle
implique l’effet selon lequel on dit que l’Esprit-Saint est présent d’une
manière nouvelle dans une créature. C’est pourquoi le sens est :
l’Esprit-Saint est envoyé, c’est-à-dire qu’il vient de la part d’un autre et
il se fait présent d’une nouvelle manière dans une créature sans
qu’aucun changement ne soit produit en Lui, ainsi que nous l’avons dit
antérieurement. Il faut cependant remarquer
que la locution se vérifie différemment quand ce qui est rattaché à une chose
s’attribue à quelque chose selon l’existence et selon le devenir. Quand il
s’attribue selon l’existence, il faut dire de chacun des deux qu’il
existe ; par exemple si je dis que Socrate est un homme blanc, il faut
qu’il soit un homme et qu’il soit blanc, à moins que l’un des deux
n’amoindrisse la notion de l’autre comme lorsqu’on dit ¨homme mort¨. |
Sed quando praedicatur conjunctum secundum
fieri, sufficit quod alterum in fieri praedicetur ; ut si dicam, Socrates est
nunc factus homo albus, sufficit ad veritatem hujus locutionis, quod sit nunc
factus albus, quamvis non sit factus homo. Item notandum est, quod quando
aliquod compositum praedicatur de aliquo secundum fieri, diversimode se habet
in faciente et in facto. Quia ex parte facti, oportet quod utrumque
praedicetur secundum esse, etsi non utrumque secundum fieri, ut si dicam,
iste est factus homo albus, oportet eum esse hominem et esse album, nisi
alterum sit diminuens ; non autem oportet quod fiat homo, sed sufficit quod
fiat album. |
Mais quand ce qui est
rattaché s’attribue selon le devenir, il suffit que l’un s’attribue dans le
devenir ; comme lorsque je dis que Socrate est maintenant en train de
devenir un homme blanc, il suffit, pour que cette locution soit vraie, qu’il
soit maintenant en train de devenir blanc bien qu’il ne soit pas en train de
devenir homme. Il faut en outre noter que lorsqu’un composé s’attribue à un
sujet selon le devenir, cela se présente différemment dans ce qui est en
train de devenir et dans ce qui est devenu. Car du côté de ce qui
est devenu, il faut que chacun des deux soit attribué selon l’existence bien
que chacun d’eux ne soit pas attribué selon le devenir, comme si je disais
que celui-ci est devenu homme blanc, il faut qu’il soit homme et qu’il soit
blanc, sauf si l’un est un terme de diminution ; cependant il ne faut
pas qu’il devienne homme, mais il suffit qu’il devienne blanc. |
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Unde oportet ad hoc ut dicatur missus, quod et
sit ab alio, et fiat in aliquo secundum novam habitudinem. Propter quod Pater
non potest dici mitti, quia non est ab aliquo. Si autem accipiamus ex parte
mittentis, tunc mittere Spiritum sanctum nihil aliud est quam facere Spiritum
sanctum existentem ab alio, esse in aliquo secundum novam habitudinem ; et
ideo cuicumque personae convenit facere alterum istorum, scilicet quod sit in
aliquo secundum novam habitudinem, dicetur mittere Spiritum sanctum, quamvis
non sit principium Spiritus sancti, secundum quod est ab aliquo. Et quia tota
Trinitas facit Spiritum sanctum esse in aliquo secundum novam habitudinem,
propter donum collatum totius Trinitatis ; ideo tota Trinitas dicitur mittere
Spiritum sanctum ; et ipse seipsum mittit et ipse a se mittitur sub eodem
sensu. |
C’est pourquoi il faut, pour
dire qu’une Personne est envoyée, qu’elle vienne d’une autre et qu’elle se
présente dans un être sous un nouveau rapport. Et c’est pourquoi on ne peut
dire du Père qu’il est envoyé car il ne vient pas d’un autre. Mais si on le
prend du côté de celui qui envoie, alors envoyer l’Esprit-Saint n’est rien
d’autre que de faire que l’Esprit-Saint, qui existe par un autre, soit dans
un être sous un nouveau rapport ; et c’est pourquoi on dira de toute
Personne à laquelle il convient de remplir une de ces conditions de la
mission, à savoir pour l’esprit-Saint d’être dans un être sous un nouveau
rapport, qu’elle envoie l’Esprit-Saint, bien qu’elle ne soit pas le principe
de l’Esprit-Saint selon qu’Il vient d’un autre. Et parce que toute la Trinité
rend l’Esprit-Saint présent dans un être sous un nouveau rapport, pour cette
raison ce dernier est le don réuni de toute la Trinité ; c’est pourquoi
on dit de toute la Trinité qu’elle envoie l’Esprit-Saint ; et dans le
même sens Il s’envoie lui-même et Il est envoyé par lui-même. |
Ulterius, si loquamur de processione, habebit
minus de proprietate, et minus proprie dicetur, Spiritum sanctum procedere a
se, quam mitti a se. Sed tamen, quia processio temporalis, ut dictum est,
loc. cit., ponit novam habitudinem ad creaturam in quam procedit, et omnis
novitas pertinet ad aliquam factionem ; ideo etiam secundum processionem
temporalem Spiritus sanctus ens ab alio est et existens novo modo in aliquo.
Et sic sub eodem sensu conceditur quod Spiritus sanctus procedat a se
temporaliter. |
Par la suite, si nous parlons
de procession, le terme sera moins propre et on dira moins proprement de l’Esprit-Saint
qu’Il procède de lui-même que si on dit qu’il est envoyé par lui-même.
Cependant, parce que la procession temporelle, ainsi que nous l’avons dit,
pose un nouveau rapport à la créature dans laquelle il procède et que toute
nouveauté appartient à une production, c’est pourquoi encore selon la
procession temporelle l’Esprit-Saint est un être qui vient d’un autre et qui
existe d’une nouvelle manière dans un être. Et ainsi en ce sens nous
concédons que l’Esprit-Saint procède temporellement de lui-même. |
[1125] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod non est de ratione dationis quod ponatur aliqua
auctoritas respectu dati, nisi quando datur aliquid quod habetur per modum
dominii ; et talis datio non est in divinis, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il ne fait pas partie de la notion de donation qu’une
autorité soit posée par rapport à ce qui est donné sauf quand est donné
quelque chose qui est possédé à la manière d’un maître ; et une telle
donation ne se trouve pas en Dieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps
de l’article. |
[1126] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod neutrum horum homines efficiunt quae in missione
importantur ; quia nec gratiam conferunt, nec ab eis Spiritus sanctus
procedit ; et ideo nullo modo potest homo mittere Spiritum sanctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les hommes ne produisent aucune des choses qui sont impliquées
dans la mission ; car ils ne confèrent pas la grâce et l’Esprit-Saint ne
procède pas d’eux ; et c’est pourquoi en aucune manière l’homme ne peut
envoyer l’Esprit-Saint. |
[1127] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod missio non ponit tantum exitum ; sed cum hoc
aliquid aliud, scilicet esse in creatura secundum novam habitudinem. Et
quamvis secundum alterum, scilicet exitum, non referatur ad se sicut ad
principium ; tamen secundum utrumque conjunctum refertur ad se sicut ad
principium ; ipse enim facit, se existentem ab alio, secundum novam
habitudinem esse in aliquo ratione perfectionis quam illi confert. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la mission ne pose pas seulement une sortie ; mais avec cela
elle pose quelque chose d’autre, à savoir une existence dans la créature
d’après une nouvelle relation. Et beine qued’apre`s l’autre
aspect, à savoir la sortie, l’Esprit-Saint ne se rapporte pas à lui-même
comme à un principe, cependant d’après les deux aspects réunis il se rapporte
à Lui-même comme à un principe ; c’est Lui-même en effet qui,
existant par un autre, se fait exister dans un être selon un nouveau rapport
en raison de la perfection qu’il lui apporte |
[1128] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 4
Ad quartum dicendum, quod quamvis processio importet tantum respectum ad
personam a qua habet esse, tamen processio temporalis, ut dictum est,
importat respectum ad creaturam in quam procedit ; et hujus ratione
temporaliter dicitur procedere a se, sicut et mitti a se. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que la procession implique seulement un rapport à la personne
de laquelle elle tient l’existence, cependant la procession temporelle, comme
nous l’avons dit, implique un rapport à la créature dans laquelle elle
procède ; et en raison de ce rapport on dit qu’il procède temporellement
de lui-même, tout comme on dit qu’il est envoyé par lui-même. |
[1129] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 5
Ad quintum dicendum, quod ipse Spiritus sanctus quamvis non sit principium
sui ipsius simpliciter, tamen ipse facit, se existentem ab alio, esse in
aliquo secundum novam habitudinem ; et secundum hoc, totum conjunctum
refertur in se sicut in principium, ratione alterius tantum, ut patet ex
praedictis in hoc art. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’Esprit-Saint lui-même, bien qu’il ne soit pas le principe de
Lui-même à parler absolument, cependant Lui-même, existant par un autre, se
fait exister dans un être dans une nouvelle relation ; et d’après cela,
tout ce qui est ainsi conjoint se rapporte à lui comme à un principe, en raison
de l’autre seulement, comme cela est clair à partir de ce qui précède dans
cet article. |
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Articulus 2 [1130] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
3 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus mittat vel det Filium |
Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? |
[1131] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non det vel
mittat Filium. Augustinus, III De Trinit., cap. V, col. 849,
enim dicit, quod exire Filium a Patre et venire in mundum hoc est Filium
mitti a Patre. Sed Filius non exit a Spiritu sancto. Ergo non mittitur ab
ipso. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’Esprit-Saint ne donne pas ou n’envoie pas le Fils. En effet, Augustin
[111 De la Trinité, ch. V, col. 849] dit que le fait que le Fils
sorte du Père et qu’il vienne dans le monde, telle est la mission
que le Fils reçoit du Père. Mais le Fils ne sort pas de
l’Esprit-Saint. Il n’est donc pas envoyé par Lui. |
[1132] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 2 Item, sicut Filius se habet ad Patrem, ita
Spiritus sanctus ad Filium. Sed Filius nullo modo mittit Patrem. Ergo nec Spiritus
sanctus Filium. |
2. En outre, l’Esprit-Saint
se rapporte au Fils comme le Fils se rapporte au Père. Mais en aucune manière
le Fils n’envoie le Père. Donc l’Esprit-Saint n’envoie pas le Fils. |
[1133] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s.
c. 1 Contra, Isa. 48, 16: Et tunc misit me Dominus, et Spiritus ejus ;
et exponit Glossa de Filio. Ergo mittitur a Patre et Spiritu sancto. |
Cependant : On lit au contraire
dans Isaïe (48, 16) : Alors le Seigneur et son
Esprit m’a envoyé ; et la Somme donne cette explication au sujet du
Fils. Donc le Fils est envoyé par le Père et par l’Esprit-Saint. |
[1134] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 2 Item, Ambrosius, lib. III, cap. II, col. 811 De Spiritu
sancto : « Datus Filius est a Patre, ut Isaias dicit, 9,
6, Filius datus est nobis. Datus est (audeo dicere) et a
Spiritu sancto, quia a Spiritu sancto missus est ». Ergo et
cetera. |
2. De même
Ambroise [111 De l’Esprit-Saint, ch. 11, col. 811] : ¨Le
Fils a été donné par le Père comme le dit Isaïe (9, 6) : Le Fils
nous a été donné. Il a été donné (j’ose dire) aussi par l’Esprit-Saint
car c’est par l’Esprit-Saint qu’il a été envoyé¨. Donc, etc. |
|
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains distinguent trois missions chez le Fils. La première par laquelle Il a
été envoyé dans la chair, une deuxième par laquelle il a été envoyé dans
l’esprit et une troisième par laquelle il est envoyé en prédication ; et
ils disent que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint selon cette dernière
mission mais non selon les deux premières dans lesquelles il n’est envoyé que
par le Père. La raison en est, selon eux, que la mission de
la prédication peut convenir au Christ en raison de la nature
humaine dont l’acceptation est présupposée ; mais les deux premières
missions se rapportent à la Personne même du Fils car la mission dans la
chair appartient à la personne elle-même en elle-même, et non en raison de
la nature humaine dont l’acceptation découle de la mission selon
l’intelligence comme l’effet découle de sa cause et comme le terme suit le
mouvement. |
Et similiter in mentem non mittitur ratione
humanae naturae. Et quia Spiritus sanctus non habet auctoritatem respectu
personae Filii sed tantum respectu naturae assumptae, ideo concedunt tertiam
missionem Filii esse a Spiritu sancto et non duas primas. Sed quia, ut dictum est, in hac distin.,
quaest. 1, art. 2, non requiritur de necessitate quod in mittente sit
auctoritas respectu missi, sed tantum efficientia respectu ejus secundum quod
missus dicitur mitti ; ideo concedimus quod Spiritus sanctus et tota Trinitas
misit Filium, secundum quamlibet missionem ; et praecipue cum Augustinus, in
lib. II De Trint., cap. V, 8 expresse dicat eum missum a
Spiritu sancto loquens de missione in carne: « mitti, inquiens, a Patre
sine Spiritu sancto non potuit: quia Pater intelligitur eum misisse, cum
fecit eum ex femina ; quod utique non fecit sine Spiritu sancto ». |
Et de la même manière il
n’est pas envoyé dans l’esprit en raison de la nature humaine. Et parce que
l’Esprit-Saint ne possède pas une autorité par rapport à la personne du Fils
mais seulement par rapport à la nature qu’il a prise, c’est pourquoi ils
concèdent que la trisième mission du Fils vient de l’Esprit-Saint et non les
deux premières. Mais parce que, ainsi que
nous l’avons dit [dist. 15, quest. 1, art. 2], il n’est par nécessairement
requis qu’il y ait chez celui qui envoie une autorité par rapport à celui qui
est envoyé mais seulement une efficience par rapport à celui selon lequel on
dit de l’envoyé qu’il est envoyé, c’est pourquoi nous concédons
quel’Esprit-Saint et toute la Trinité envoie le Fils selon chacune des
missions ; et surtout qu’Augustin [11 De la Trinité, ch. V,
8] dit expressément que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint en parlant de
la mission dans la chair : ¨Le Fils n’a pas pu être envoyé par le Père
sans l’Esprit-Saint, parce que l’on comprend que le Père l’a envoyé lorsqu’il
l’a fait à partir d’une femme, ce qu’Il n’a pas fait sans
l’Esprit-Saint¨. |
[1136] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quando Pater dicitur mittere Filium, in
mittente intelligitur auctoritas respectu missi, non inquantum est mittens,
sed inquantum est Pater ; et ideo Filium mitti a Patre est ipsum exire a
Patre. Non autem ostenditur auctoritas in mittente cum seipsum Filius mittere
dicitur, vel cum Spiritus sanctus eum mittit ; et ideo Filium mitti a se vel
a Spiritu sancto, non est ipsum exire a se vel a Spiritu sancto. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que lorsqu’on dit du Père qu’il envoie le Fils, une autorité est
comprise dans celui qui envoie par rapport à celui qui est envoyé, non pas en
tant qu’il est celui qui envoie, mais en tant qu’Il est Père ; et c’est
pourquoi l’envoie du Fils pas le Père est sa sortie même du Père. Mais aucune
autorité n’est manifestée dans celui qui envoie lorsqu’on dit que le Fils
s’envoie lui-même ou que l’Esprit-Saint l’envoie ; et c’est pourquoi
l’envoie du Fils par lui-même ou par l’Esprit-Saint n’est pas une sortie de
Lui-même ou de l’Esprit-Saint. |
[1137] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod Filius non potest mittere Patrem ; quia Pater non
potest mitti, cum non sit ab alio. Si ab alio esset, et mitti posset et
Filius eum mitteret. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le Fils ne peut envoyer le Père ; car le Père ne peut être
envoyé puisqu’Il ne vient pas d’un autre. S’il venait d’un autre,
il pourrait être envoyé et le Fils l’enverrait. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi] |
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Prooemium |
Prologue |
[1139] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 pr. Ad
intellectum hujus partis de duobus quaeritur. Primo de missione Filii
invisibili, secundum se ; quia de visibili dicetur in 3. Secundo de missione per
comparationem ad eos ad quos sit missio. |
Pour comprendre cette partit
on s’interroge sur deux points : en premier lieu sur la mission
invisible du Fils en elle-même car on parlera de sa mission visible dans le
livre 3 ; en deuxième lieu sur la mission par rapport à ceux pour
lesquels il y a mission. |
Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum missio invisibilis conveniat Filio ; 2 utrum fit distincta a missione Spiritus
sancti invisibili ; 3 utrum aliqua missio sit aeterna, sicut
processio est aeterna et temporalis. |
Et au sujet du premier point
on pose trois questions : 1. Convient-il au Fils
d’avoir une mission invisible ? 2. Cette mission serait-elle
distincte de la mission invisible de l’Esprit-Saint ? 3. Y a-t-il une mission qui
est éternelle, tout comme il y a une procession qui est éternelle et une
autre qui est temporelle ? |
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Articulus 1 [1140] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
4 a. 1 tit. Utrum Filius invisibiliter mittatur in mentem |
Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit ? |
[1141] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius
invisibiliter in mentem non mittatur. Ad missionem enim divinae personae
requiritur quod cognoscatur ipsa persona adveniens ; et praecipue in missione
sapientiae, quam nullus habens ignorat. Sed adveniente Filio, non cognoscitur
ejus adventus. Job 9, 11: Si venerit ad me, non intelligam. Non
videbo illum, si abierit [non …abierit om. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod Filius non mittatur
in mentem. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas envoyé invisiblement en esprit. Il est requis en effet à la mission
de la personne divine que la personne qui survient soit connue ; et
c’est surtout le cas pour la mission de la sagesse que nul n’ignore lorsqu’il
la possède. Mais lorsque le Fils vient, sa venue n’est pas connue. C’est là
ce qui est dit en Job 9, 11 : Si tu viens vers moi, je ne
comprendrai pas. Je ne le verrai pas s’il s’en va [ne…s’en va om. Éd.
de Parme]. Il semble donc que le Fils ne soit pas envoyé en esprit. |
[1142] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg.
2 Item, missio est idem quod processio temporalis, ut supra dictum est, dist.
ista, quaest. 1, art. 1. Sed, sicut supra diximus, processio non habet quod
dicatur temporalis, nisi secundum respectum in quem est ; quem respectum
habet processio Spiritus sancti ex ipso modo processionis, inquantum procedit
ut amor. Cum igitur processio Filii ex suo modo non habeat respectum ut in
quem, sed solum ut a quo, videtur quod processio temporalis Filio non
conveniat, et ita nec missio. |
2. En outre, la mission est
identique à la procession temporelle, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 15, quest. 1, art. 1]. Mais, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la
procession n’a à être dite temporelle que par rapport à celui dans lequel
elle est ; et la procession de l’Esprit-Saint tient ce rapport de son
mode même de procession dans la mesure où il procède en tant qu’amour. Donc,
puisque la procession du Fils quant à son mode ne possède pas un rapport à
celui dans lequel elle est mais seulement à celui par lequel elle
est, il semble quela procession temporelle ne convienne pas au Fils et par
conséquent ni la mission. |
[1143] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg.
3 Praeterea, persona divina non mittitur nisi in donis gratiae gratum
facientis. Sed dona pertinentia ad intellectum quae appropriantur Filio, non
sunt gratum facientia, cum sint communia bonis et malis, ut dicitur 1
Corinth. 13: « Si habuero omnem scientiam (...) caritatem autem non
habuero, nihil sum ». Ergo Filius non dicitur mitti invisibiliter in
donis sibi appropriatis ; et ita nullo modo. |
3. Par ailleurs, la personne
divine n’est envoyée que dans les dons de la grâce sanctifiante. Mais les
dons qui se rapportent à l’intelligence, lesquels sont appropriés au Fils, ne
sont pas ceux de la grâce sanctifiante, puisqu’ils sont communs aux bons et
aux méchants comme le dit l’Apôtre [1 Corinth. 13] : ¨Même si je
possède toute la science (…) si je ne possède pas l’amour, je ne suis rien¨.
On ne peut donc dire que le Fils est envoyé invisiblement dans les dons qui
lui sont appropriés ; et alors, Il n’est envoyé d’aucune manière. |
[1144] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s.
c. 1 In contrarium est quod habetur Sap. 9, 10: Mitte illam,
sapientiam, de caelis, scilicet tuis, a sede magnitudinis
tuae. Non autem loquitur de sapientia essentialiter dicta ; quia illa non
mittitur, cum non sit ab alio. Ergo loquitur de sapientia genita, quae est
Filius. |
Cependant : 1. On affirme le contraire dans
ce passage [Sagesse 9, 10] : Envoyez-la, cette
sagesse, de vos cieux, du trône de votre gloire. Cependant on ne
parle pas ici de la sagesse prise absolument car celle-là n’est pas envoyée
puisqu’elle ne vient pas d’un autre. On parle donc de la sagesse qui est
engendrée, laquelle est le Fils. |
[1145] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s.
c. 2 Item, Augustinus, libro IV De trinit., cap. XX, 29,
col. 906 : Sicut Filium generari, est ipsum esse a Patre ; ita Filium
mitti est cognosci quod sit a Patre. Hoc autem contingit. Ergo et Filium
mitti. |
2. En outre, Augustin [IV De
la Trinité, ch. XX, 29, col. 906] dit : Tout comme la génération du Fils
est son existence même par le Père, de même la mission du Fils consiste à
être connu comme venant du Père. Mais cela est possible. Il est donc
possible que le Fils soit envoyé. |
[1146] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut in exitu rerum a
principio dicitur bonitas divina in creaturas procedere, inquantum
repraesentatur in creatura per similitudinem bonitatis divinae in ipsa
receptam [bonitas divina recepta Éd. de Parme] ; ita
in reductione rationalis creaturae in Deum intelligitur processio divinae
personae, quae et missio dicitur, inquantum propria relatio ipsius personae
divinae repraesentatur in anima per similitudinem aliquam receptam, quae est
exemplata et originata ab ipsa proprietate relationis aeternae ; sicut
proprius modus quo Spiritus sanctus refertur ad Patrem, est amor, et proprius
modus referendi Filium in Patrem est, quia est verbum ipsius manifestans
ipsum. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que tout comme dans le fait que les choses
sortent de leur principe on dit que la bonté divine procède dans les créatures
dans la mesure où elle est représentée dans la créature par une similitude de
la bonté divine reçue dans la creature [bonté divine reçue Éd. De
Parme], de même dans le retour de la créature rationnelle à Dieu on
entend la procession de la personne divine qui est aussi appelée mission,
dans la mesure où la relation propre de la personne divine elle-même est
représentée dans l’âme par une certaine similitude reçue qui est comme un
exemplaire qui tient son origine de la propriété même de la relation
éternelle; par exemple le mode propre par lequel l’Esprit-Saint se rapporte
au Père est l’amour, et il est le mode propre de rapporter le Fils au Père
car le Fils est le verbe qui manifeste le Père. |
Unde sicut Spiritus
sanctus invisibiliter procedit in mentem per donum amoris, ita Filius per
donum sapientiae ; in quo est manifestatio ipsius Patris, qui est ultimum ad
quod recurrimus. Et quia secundum receptionem horum duorum efficitur in nobis
similitudo ad propria personarum ; ideo secundum novum modum essendi, prout
res est in sua similitudine, dicuntur personae divinae in nobis esse,
secundum quod novo modo eis assimilamur ; et secundum hoc utraque processio
dicitur missio. |
C’est
pourquoi, tout comme l’Esprit-Saint procède invisiblement dans l’esprit par
le don de l’amour, il en est de même pour le Fils par le don de sagesse; et
en cela nous avons une manifestation du Père qui est le dernier
auquel nous recourons. Et parce que d’après la reception de ces deux sortes
de dons est produite en nous une resemblance à l’égard de ce qui est propre
aux personnes, c’est pourquoi d’après ce nouveau mode d’exister, selon que la
chose existe dans cette ressemblance, on dit que les Personnes
divines existent en nous selon que nous sommes assimilés à elles d’une
manière nouvelle; et conformément à cela les deux processions sont appelées
missions. |
Ulterius, sicuti
praedicta originantur ex propriis personarum, ita etiam effectum suum non
consequuntur ut conjungantur fini, nisi virtute divinarum personarum ; quia
in forma impressa ab aliquo agente est virtus imprimentis. Unde in receptione hujusmodi
donorum habentur personae divinae novo modo quasi ductrices in finem vel
conjungentes. Et ideo utraque
processio dicitur datio, inquantum est ibi novus modus habendi. |
Par la suite, comme les dons
dont on vient de parler tirent leur origine de ce qui est propre aux
personnes, de même encore leur effet n’est atteint de manière à
être uni à la fin que par la puissance de l’Esprit-Saint car dans la forme
inprimée par un agent est présente la puissance de celui qui imprime. C’est
pourquoi dans la réception de tels dons les personnes divines se présentent
d’une nouvelle manière comme conduisant ou unissant à la fin. Et c’est
pourquoi chacune des deux processions est appelée donation, dans la mesure où
il y a là un nouveau mode de possession. |
[1147] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod ad rationem missionis non requiritur quod sit
ibi cognitio actualis personae ipsius, sed tantum habitualis, inquantum
scilicet in dono collato, quod est habitus, repraesentatur proprium divinae
personae sicut in similitudine ; et ita dicitur quod mitti est cognosci quod
ab alio sit per modum repraesentationis, sicut [repraesentationis.
Sicut Éd. de Parme] aliquid dicitur se manifestare
vel facere cognitionem de se, inquantum se repraesentat in sui similitudine. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que pour la notion de mission il n’est pas exigé qu’il y ait là
une connaissance actuelle de la personne elle-même, mais seulement
une connaissance habituelle, c’est-à-dire dans la mesure où dans le bien
rattaché, qui est un habitus (possédé ?), ce qui est propre à la
personne divine est représenté comme dans une similitude ; et ainsi on
dit qu’être envoyé c’est être connu comme existant par un autre par mode de
représentation, tout comme [de représentation. Tout comme Éd. de
Parme] on dit qu’une chose se manifeste ou se fait connaître selon
qu’elle se représente dans ce qui lui ressemble. |
Sed tamen me habere actuale donum, in quo
persona divina detur, non possum scire certitudinaliter in actu, propter
similitudinem actuum naturalium [moralium Éd. de Parme]
ad actus meritorios etsi possim ex aliquibus signis conjicere nisi per
revelationem fiat certitudo ; et ideo dicit Job: si venerit ad me,
non videbo eum ; si abierit, non intelligam ; quia certitudinaliter
gratia gratum faciens in qua est adventus divinae personae, cognosci non
potest ; quamvis ipsum donum perceptum sit in se sufficienter ductivum in
cognitionem advenientis personae. |
Mais je ne peux savoir en
acte avec certitude que je possède un don actuel dans lequel la personne se
donne à cause de la ressemblance des actes naturels [moraux Éd. de
Parme] aux actes méritoires bien que je puisse à partir de certains signes le
conjecturer, à moins que la certitude ne vienne de la révélation ; et
c’est pourquoi Job dit : S’il vient vers moi, je ne le verrai
pas ; s’il s’éloigne, je ne le saisirai pas. Car la grâce
sanctifiante, dans laquelle est la venue de la personne divine, ne peut être
connue avec certitude, bien que le don perçu conduise suffisamment en
lui-même à la connaissance de la personne qui vient. |
[1148] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 2
Ad secundum dicendum, quod proprium Spiritus sancti, quod est amor, potest
dupliciter habere respectum ad creaturam, vel ut objectum, vel secundum
rationem principii exemplaris ad principiatum exemplatum. Sed proprium Filii
unam tantum habere potest relationum dictarum, scilicet illam quae est
secundum rationem principii ; et hoc sufficit ad processionem temporalem Filii,
quamvis secundum plura possit attendi respectus temporalis in processione
Spiritus sancti: et ita etiam missio utrique convenire potest. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le propre de l’Esprit-Saint, qui est amour, peut avoir deux rapports
à la créature : soit comme objet, soit selon la notion de principe
exemplaire à ce qui en résulte comme copie à l’image de l’exemplaire. Mais le
propre du Fils ne peut avoir qu’une seule des relations que nous avons dites,
à savoir celle qui est selon la notion de principe ; et cela suffit à la
procession temporelle du Fils, bien que le rapport temporel dans la
procession de l’Esprit-Saint puisse puisse comporter plus de rapports :
et ainsi la mission peut convenir à chacun des deux. |
1149] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 3
Ad tertium dicendum, quod quando aliquid participatur non secundum suum actum
perfectum, sed secundum aliquem modum, non dicitur proprie haberi ; sicut
animalia habent aliquem modum prudentiae, non tamen dicuntur prudentiam
habere, quia non habent actum rationis, qui proprie est actus prudentiae,
scilicet ipsa electio ; unde magis habent aliquid simile prudentiae quam
prudentiam. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’un être est participé non pas d’après son acte parfait mais
d’une certaine manière, on ne dit pas qu’il est possédé à proprement
parler ; par exemples les animaux possèdent une certaine sorte de
prudence mais on ne dit pas pour cela qu’ils possèdent la prudence car ils ne
possèdent pas l’acte de la raison, lequel est proprement l’acte de la
prudence, c’est-à-dire le choix ; c’est pourquoi, au lieu de posséder la
prudence, ils possèdent plutôt quelque chose de semblable à la prudence. |
Videmus autem in cognitione duos gradus:
primum, secundum quod cognitio intellectiva tendit in unum ; secundum, prout
verum accipit ut conveniens et bonum. Et nisi sit aliqua resistentia ex tali
cognitione, sequitur amor et delectatio ; quia, secundum philosophum,
VII Ethic., cap. XIII et XIV, delectatio consequitur
operationem perfectam non impeditam. Unde felicitas contemplativa est quando
aliquis pervenit ad ultimam operationem intellectus et ipsam sine impedimento
exercet. Constat autem quod in processione Verbi aeterni est cognitio
perfecta secundum omnem modum, et ideo ex tali notitia procedit amor. |
Mais nous observons deux
degrés dans la connaissance : le premier, selon que la connaissance
intellectuelle tend vers quelque chose d’un ; le deuxième, selon qu’elle
reçoit le vrai comme convenable et comme un bien. Et à moins qu’un obstacle
ne naisse de cette connaissance, il s’ensuit l’amour et la délectation ;
car d’après le Philosophe [ VII Éthic. Ch. XIII et XIV, la
délectation suit l’opération parfaite non-empêchée. C’est pourquoi la
félicité contemplative a lieu quand on parvient à l’opération ultime de
l’intelligence et qu’on l’exerce sans obstacle. Il est clair cependdant que
dans la procession du verbe éternel il y a connaissance parfaite sous tous
les rapports et c’est pourquoi l’amour procède d’une telle connaissance. |
Unde dicit Augustinus, III De
Trint., cap. X,: « Verbum quod insinuare intendimus cum amore
notitia est ». Quandocumque igitur habetur cognitio ex qua non sequitur
amor gratuitus, non habetur similitudo Verbi, sed aliquid illius. Sed solum
tunc habetur similitudo Verbi, quando habetur cognitio talis ex qua procedit
amor, qui conjungit ipsi cognito secundum rationem convenientis. Et ideo non
habet Filium in se inhabitantem nisi qui recipit talem cognitionem. |
C’est pourquoi Augustin
[111 De la Trinité, ch. X] dit : ¨Le verbe que nous
cherchons à faire entendre est une connaissance pleine d’amour¨. Donc à
chaque fois qu’est possédée une connaissance de laquelle ne suit pas l’amour
gratuit, la similitude du Verbe n’est pas possédée mais quelque chose de Lui.
Mais la similitude du Verbe n’est possédée que lorsqu’est possédée cette
connaissance de laquelle procède l’amour qui unit à l’objet connu lui-même
sous le rapport de ce qui convient. Et c’est pourquoi ne possède le Verbe qui
habite en lui que celui qui reçoit une telle connaissance. |
Hoc autem non potest esse sine gratia gratum
faciente. Unde constat quod, simpliciter et proprie loquendo, Filius nec
datur nec mittitur, nisi in dono gratiae gratum facientis ; sed in aliis
donis quae pertinent ad cognitionem, participatur aliquid de similitudine
Verbi. |
Mais cela ne peut avoir
lieu sans la grâce sanctifiante. C’est pourquoi il est clair que,
à parler absolument et proprement, le Fils n’est donné ou envoyé que dans le
don de la grâce sanctifiante. Mais pour ce qui est des autres dons qui se
rapportent à la connaissance, c’est quelque chose de la similitude du Verbe
qui est participé. |
|
|
[1150] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 tit.
Utrum missio Filii distinguatur a missione Spiritus sancti |
Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? |
[1151] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
Filii distinguatur a missione Spiritus sancti. Missio enim est temporalis
processio, ut supra dixit Magister, dist. 14. Sed alia est ratio processionis
Filii, alia ratio processionis Spiritus sancti: quia Spiritus sanctus
procedit ut amor, Filius ut verbum. Ergo et alia ratio missionis. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
du Fils se distingue de celle de l’Esprit-Saint. La mission en effet est une
procession temporelle, ainsi que l’a dit le Maître dans la distinction 14.
Mais autre est la raison de la procession du Fils, autre est celle de la
procession de l’Esprit-Saint : car l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour
alors que le Fils procède en tant que verbe. Donc la mission de l’un diffère
de la mission de l’autre. |
[1152] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
2 Item, omne quod convenit aliquibus secundum prius et posterius non convenit
eis secundum eandem rationem. Sed Spiritui sancto convenit datio per prius
quam Filio, quia habet rationem primi doni: ergo alia est ratio dationis in
utroque. Ergo et missionis, cum missio sit ipsa datio. |
2. En outre, tout ce qui
convient à plusieurs selon l’avant et l’après ne leur convient pas
selon la même définition. Mais la donation convient à l’Esprit-Saint avant de
convenir au Fils, car elle a raison de premier don : donc, la raison de
la donation diffère chez l’un et chez l’autre et par conséquent, puisque la
mission est la donation elle-même, la raison de la mission diffère dans les
deux cas. |
[1153] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
3 Praeterea, dona in quibus datur Filius et Spiritus sanctus sunt diversa et
non dependentia ad invicem. Sed eorum quae non dependent ad invicem, unum
potest esse sine alio. Ergo missio Filii potest esse sine missione Spiritus
sancti et e converso, et ita sunt distinctae etiam secundum tempus missionis. |
3. De plus, les dons dans
lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont donnés sont différents et ne
dépendent pas les uns des autres. Mais parmi les choses qui ne dépendent pas
les unes des autres, les unes peuvent exister sans les autres. Donc la
mission du Fils peut exister sans celle de l’Esprit-Saint et inversement, et
ainsi elles sont distinctes même selon le temps de la mission. |
[1154] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
4 Praeterea, videmus sensibiliter quosdam simplices ferventes esse in amore
divino, qui tamen sunt valde hebetes in cognitione divinae sapientiae et e
converso. Cum igitur missio Filii sit secundum donum sapientiae et missio
Spiritus sancti sit secundum amoris donum, videtur quod una missio sine alia
possit esse. |
4. Par ailleurs, nous voyons
de nos yeux certaines âmes simples et ferventes exister dans l’amour divin et
qui sont cependant grandement dépourvues dans la connaissance de la sagesse
divine et inversement. Donc, puisque la mission du Fils s’opère selon le don
de la sagesse et que la mission de l’Esprit-Saint s’effectue selon le don de
l’amour, il semble donc qu’une mission puisse exister sans l’autre. |
[1155] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg.
5 Contra, missio Spiritus sancti est ad sanctificandum creaturam, ut supra
dixit Magister, dist. 14. Si igitur missio Filii quae est etiam in gratia
gratum faciente, cujus est sanctificare, esset alia a missione Spiritus
sancti, essent duae missiones ad sanctificandum creaturam rationalem ; et ita
altera superflueret, quod non invenitur in operibus divinis. Ergo una missio
non distinguitur ab alia. |
5. Au contraire, la mission
de l’Esprit-Saint est ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que
l’a dit plus haut le Maîrte dans la distinction 14. Si donc la mission du
Fils, qui est aussi dans la grâce sanctifiante à laquelle il appartient de
sanctifier, était distincte de celle de l’Esprit-Saint, ily aurait deux
missions ordonnées à la sanctification de la créature rationnelle ; et
ainsi l’une des deux serait superflue, ce qui ne se rencontre pas dans les
œuvres divines. Donc, une mission ne se distingue pas de l’autre. |
[1156] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de distinctione missionum
Filii et Spiritus sancti, tripliciter contingit loqui: aut quantum ad ipsarum
diversitatem realem, aut quantum ad rationem missionis, aut quantum ad earum
separationem. Si primo modo,
cum in missione duo considerentur: scilicet exitus personae missae ab alia,
et effectus secundum quem novo modo in creatura persona divina esse dicitur ;
utroque modo missio Filii est alia a missione Spiritus sancti secundum rem:
quia et generatio qua Filius exit a Patre, est alia a processione Spiritus
sancti qua exit ab utroque. Similiter donum quod perficit intellectum,
scilicet sapientia, secundum quod attenditur missio Filii, est aliud a dono
quod perficit affectum vel voluntatem, secundum quod attenditur missio
Spiritus sancti. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il est possible de parler de trois manières de la distinction qu’il y a
entre la mission du Fils et celle de l’Esprit-Saint : soit quant à la
distinction réelle qu’il y a entre elles, quant à la notion de
mission ou quant à leur séparation. Si on en parle de la première manière,
puisqu’il y a dans la mission deux aspects à considérer, à savoir le fait que
la personne envoyée sort d’une autre et l’effet selon lequel on dit de la
personne divine qu’elle existe d’une nouvelle manière dans la créature ;
et par ces deux aspects la mission du Fils diffère de celle de l’Esprit-Saint
par une différence réelle : car la génération par laquelle le Fils sort
du Père diffère de la procession de l’Esprit-Saint par laquelle ce dernier
sort des deux autres. De la même manière le don qui donne sa perfection à
l’intelligence, à savoir la sagesse, et selon lequel s’étend la mission du
Fils, diffère du don qui donne sa perfection à l’affectivité ou à la volonté
et selon lequel s’étend la mission de l’Esprit-Saint. |
Si autem secundo modo de earum distinctione
loquamur, hoc potest esse dupliciter ; aut secundum rationem propriam utriusque, aut
secundum communem. Si secundum communem, tunc eadem ratio est missionis Filii
et Spiritus sancti quantum ad utrumque ; quia et esse ab alio commune est
utrique, et similiter esse novo modo in creatura. |
Mais si on parle de leur
distinction d’après la deuxième manière, cela peut se faire de deux
manières ; Soit d’après la notion qui
est propre à chacune des deux, soit d’après la notion commune. Si c’est
d’après la notion commune, alors la notion de la mission du Fils est la même
que celle de l’Esprit-Saint sous les deux rapports car exister par une autre
est commun aux deux Personnes et il en est de même pour ce qui est d’exister
d’une nouvelle manière dans la créature. |
Sed secundum propriam rationem utrumque
differt: quia et propria ratio processionis Filii non est propria ratio processionis
Spiritus sancti, cum ille procedat ut amor, et hic ut Filius vel verbum ; et
similiter proprius modus quo Filius dicitur esse in creatura, non est
proprius modus quo Spiritus sanctus est ; quinimmo unus per sapientiam, alter
per amorem. Si autem tertio modo, tunc dico, quod una
missio nunquam est sine alia ; quia amor sequitur notitiam ; notitia
perfecta, secundum quam est missio Filii, semper inducit in amorem, et ideo
simul infunduntur et simul augmentantur. |
Mais selon la notion propre
de mission les deux diffèrent : car d’une part la notion propre de la
procession du Fils n’est pas la notion propre de la procession de
l’Esprit-Saint, puisque ce dernier procède en tant qu’amour et que le premier
procède en tant que Fils ou Verbe ; et de la même manière d’autres part
le mode propre par lequel on dit du Fils d’il existe dans la créature n’est
pas le mode propre par lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’il existe dans la
créature : car le premier y existe par la sagesse alors que le dernier y
existe par l’amour. Mais si on en parle de la
troisième manière, alors je dis qu’une mission n’est jamais sans
l’autre ; car l’amour suit la connaissance ; et la connaissance
parfaite, qui soutient la mission du Fils, conduit toujours à l’amour, et
c’est pourquoi ils se fondent et croissent simultanément. |
[1157] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sit alia processio secundum rem,
conveniunt tamen in quodam communi secundum rationem, quod est esse ab alio. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que les deux procession diffèrent réellement, elles se
rencontrent cependant dans une notion commune qui est celle d’exister par un
autre. |
[1158] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod, ut prius diximus, in divinis non est prius et
posterius ; tamen exitus Spiritus sancti praesupponit exitum Filii, secundum
ordinem naturae ; et ex parte ista, si liceret ita loqui, possemus dicere,
quod missio Filii ex parte exitus importati, est prior missione Spiritus
sancti. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus tôt, il n’y a pas d’avant et
d’après en Dieu ; cependant la sortie de l’Esprit-Saint présuppose,
d’après un ordre de nature, la sortie du Fils ; et de ce côté, s’il était
permis de parler ainsi, nous pourrions dire que la mission du Fils, du côté
de la sortie qu’elle implique, est antérieure à la mission de l’Esprit-Saint. |
Sed hoc esset secundum rationem propriam
utriusque, et non secundum rationem communem. Si autem considerentur istae
missiones quantum ad effectum in creatura, hoc dupliciter: vel ex parte
ipsius dantis vel mittentis ; vel ex parte ipsorum donorum in quibus fit
missio. Si ex parte donorum, tunc simpliciter naturaliter notitia praecedit
amorem, et ex parte illa missio Filii missionem Spiritus sancti. Sed hoc erit
secundum rationis propriae considerationem, et non communis ; sicut omnes
species motus aequaliter conveniunt in ratione communi motus ; tamen secundum
esse suum proprium, motus localis est prior aliis motibus. Si autem ex parte
dantis, cum primum movens et inclinans ad dandum sit ipse amor, sic datio
Spiritus sancti est prior datione Filii. Sed hoc non ita exprimitur in
ratione missionis. |
Mais il en serait ainsi
d’après la notion propre à chacun et non d’après la notion commune. Mais si
on considérait ces missions quant à l’effet qu’elles produisent dans la
créature, on le ferait de deux manières : soit du côté de celui-là même
qui donne ou qui envoie ; soit du côté des dons mêmes dans lesquels
s’opère la mission. Si on le fait du côté des dons, alors la connaissance
précède naturellement l’amour de façon absolue, et de ce côté la mission du
Fils précède la mission de l’Esprit-Saint. Mais cela sera d’après la
considération de la notion propre et non d’après celle qui est commune ;
par exemple, toutes les espèces de mouvement se rencontrent également dans la
notion commune de mouvement ; cependant, selon l’existence qui lui est
propre, le mouvement local est antérieur aux autres mouvements. Mais si on
considère ce problème du côté de celui qui donne, puisque le moteur qui est
premier et qui incline à donner est l’amour lui-même, alors la donation de
l’Esprit-Saint est antérieure à la donation du Fils. Mais cela n’est pas
exprimé de cette manière dans la notion de mission. |
[1159] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod dona in quibus mittitur Filius et Spiritus sanctus,
consequuntur se invicem necessario, ut supra ostensum est, in corp. art., et
ideo ratio procedit ex falsis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les dons dans lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés se
suivent nécessairement comme nous l’avons montré plus haut dans le corps de
l’article et c’est pourquoi cet argument procède de prémisses fausses. |
[1160] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod illa notitia ex qua procedit amor, viget in
ferventibus divino amore, qua scilicet cognoscunt divinam bonitatem inquantum
est finis, et inquantum est largissime in eos profluens sua beneficia ; et
talem notitiam perfecte non habent qui amore ipsius non accenduntur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que cette connaissance de laquelle procède l’amour,
est florissante dans ceux qui brûlent de l’amour divin, à savoir
cette connaissance par laquelle ils connaissent la bonté divine en tant que
fin et en tant qu’elle coule abondamment en eux de par sa bienfaisance ;
et ceux qui ne sont pas élevés par son amour ne possèdent pas parfaitement
une telle connaissance. |
[1161] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 5
Ad quintum dicendum, quod utraque missio ordinatur ad finem unum ultimum,
scilicet conjungere Deo ; sed effectus utriusque missionis differt secundum
duo quae inveniuntur in rationali creatura, quibus Deo conjungitur, scilicet
intellectus et affectus, et ita neutra superfluit. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que les deux missions sont ordonnées à une même fin ultime, à savoir
d’être uni à Dieu ; mais l’effet de chaque mission diffère d’après deux
aspects qu’on retrouve dans la créature rationnelle et par lesquels elle est
unie à Dieu, à savoir l’intelligence et l’affectivité, et ainsi aucune des
deux n’est inutile ou superflue. |
|
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Articulus 3[1162] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
4 a. 3 tit. Utrum missio possit esse aeterna |
Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ? |
[1163] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio
possit esse aeterna. Sicut enim dicit Gregorius, Homil., XXVI,
in octav. Paschae, 2, col. 1198, « eo mittitur Filius quo
generatur ». Sed
generatio ejus est aeterna. Ergo et missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
puisse être éternelle. En effet, comme le dit Saint Grégoire [Homélie XXVI,
dans l’Octave de Pâques, 2, col. 1198] : ¨Le Fils est envoyé du fait
qu’il est engendré¨. Mais sa génération est éternelle. Donc sa mission
aussi est éternelle. |
[1164] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg.
2 Item, sicut missio dicit respectum a quo est, et in quem ; ita et processio
amoris, ut supra dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2. Sed
processio amoris est aeterna a Patre in Filium. Ergo et missio potest esse aeterna. |
2. En outre, tout comme la
mission dit un rapport à celui d’où elle procède et au terme auquel elle est
ordonnée, il en est de même pour la procession de l’amour comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 15, quest. 1, art. 2]. Mais la procession de l’amour qui
va du Père au Fils est éternelle. Donc la mission aussi peut être éternelle. |
[1165] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut missio dicitur per respectum
ad creaturam, ita et donum. Sed
donum Spiritus sancti dicitur ab aeterno. Ergo et missio potest dici aeterna. |
3. De plus, tout comme la
mission se dit par rapport à la créature, il en est de même pour le don. Mais
le don de l’Esprit-Saint se dit de toute éternité. Donc la mission peut être
dite éternelle. |
[1166] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s.
c. 1 Contra est illud quod Augustinus in litteradicit: Non
eo quod de Patre natus est, dicitur Filius missus. |
Cependant : 1. Augustin dit le contraire
dans la lettre : Ce n’est pas du fait qu’il est né du Père que
le Fils est envoyé. |
[1167] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s.
c. 2 Praeterea, missio semper ponit novum modum existendi in aliquo ipsius
missi. Sed nihil novum est aeternum. Ergo non est aeterna, sed tantum
temporalis: et hoc simpliciter concedendum est. |
2. Par ailleurs, la mission
pose toujours pour celui qui est envoyé un nouveau mode d’exister dans un
être. Mais rien de nouveau n’est éternel. Donc la mission n’est pas éternelle
mais temporelle : et cela doit être concédé absolument. |
[1168] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod verbum Gregorii potest tripliciter exponi. Uno modo quod loquatur de generatione temporali
ipsius Filii, secundum quam dicitur missus in carne. Secundo modo ut ly eo non sit adverbium, sed
ablativi casus ; ut sit sensus: ab eo a quo generatur mittitur: et hoc verum
est. Tertio modo ut loquatur non de missione in
actu, sed secundum aptitudinem: ex hoc enim Filius est, ut ita dicam,
missibilis, quo a Patre per generationem exivit. Esse enim ab alio non dicit
totam rationem missionis, ut patet ex dictis. |
Solutions : 1. Il faut dire en troisième
lieu que la parole de Saint Grégoire peut s’expliquer de trois manières. Premièrement dans le sens où
il parle de la génération temporelle du Fils selon laquelle on dit de lui
qu’Il est envoyé dans la chair. Deuxièmement de telle manière
que ce ¨du fait¨ ne soit pas pris comme un adverve mais comme un ablatif, de
sorte que le sens serait : il est envoyé du fait qu’Il est
engendré : et cela est vrai. Troisièmement de telle
manière qu’il ne parle pas de la mission en acte, mais selon
l’aptitude : de sorte que je dirais que le Fils est apte à être envoyé
du fait qu’Il sort du Père par la génération. En effet, le seul fait
d’exister par un autre ne dit pas la totalité de la notion de mission, comme
on le voit à partir de ce qui a été dit. |
[1169] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 2
Ad secundum dicendum, quod processio amoris, quamvis sit in aliquem, non
tamen ponit novum modum existendi in illo, et ideo potest esse aeterna: sed
missio ponit novitatem existendi in aliquo, et ideo non potest esse aeterna.
Et propter hoc, quamvis possit concedi aliquo modo quod Spiritus sanctus procedat
a Patre in Filium ab aeterno, non tamen conceditur quod mittatur a Patre in
Filium ab aeterno. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la procession de l’amour, bien qu’elle soit dans un être, ne pose
cependant pas une nouvelle manière d’exister dans cet être, et c’est pourquoi
elle peut être éternelle : mais la mission au contraire pose une
mouvelle manière d’exister dans un être et c’est pourquoi elle ne peut être
éternelle. Et pour cette raison, bien qu’on puisse concéder en un sens que
l’Esprit-Saint procède du Père dans le Fils de toute éternité, on ne concède
pas cependant qu’Il soit envoyé par le Père dans le Fils de toute éternité. |
[1170] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio est nomen
verbale, unde importat actualem relationem ad creaturam ; sed donum imponitur
ab aptitudine donandi, et ideo non importat actualem respectum ad creaturam ;
propter quod ab aeterno Spiritus sanctus dicitur donum, non autem missus,
sicut nec datus. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la mission est un nom verbal et c’est pourquoi il implique une
relation actuelle à la créature ; mais le don est un nom imposé à partir
de l’aptitude à donner et c’est pourquoi il n’implique pas une relation
actuellee à la créature ; et c’est pour cette raison qu’on dit de
l’Esprit-Saint qu’Il est un don de toute éternité, mais non qu’Il est envoyé
ni qu’il est donné de toute éternité. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec ceux à qui il est envoyé] |
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Prooemium |
Prologue |
[1171] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 pr.
Deinde quaeritur de missione Filii per comparationem ad eos ad quos mittitur
; et circa hoc tria quaeruntur: 1 ad quos fiat missio Filii vel Spiritus
sancti ; 2 supposito quod ad omnes sanctos, utrum
plenius post incarnationem quam ante ; 3 de effectu invisibilis missionis: utrum
faciat eos ad quos mittitur, non in hoc mundo esse. |
On s’interroge ensuite sur la
mission du Fils par rapport à ceux auxquels il est envoyé ; et à ce
sujet on pose trois questions : 1. Quels sont ceux pour
lesquels il y a mission du Fils ou de l’Esprit-Saint ? 2. En supposant qu’elle
s’adresse à tous les saints, est-elle plus substantielle après l’incarnation
qu’avant ? 3. Au sujet de l’effet
invisible de la mission, est-ce qu’elle fait que ceux auxquels elle est
envoyée n’existent plus en ce monde ? |
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Articulus 1 [1172] Super Sent., lib. 1 d. 15 q.
5 a. 1 tit. Utrum missio fiat ad creaturas irrationales |
Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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[1173] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
missio fiat etiam ad creaturas irrationales. Est enim missio ad
sanctificandum creaturam, ut dictum est, dist. 14, quaest. 2, art. 2. Sed quaedam creaturae irrationales dicuntur
sanctificari, ut templum et vasa. Ergo et ad eas fit missio. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
s’adresse même aux créatures irrationnelles. En effet, la mission est
ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que nous l’avons dit [dist.
14, quest. 2, art. 2]. Mais on dit de certaines créatures irrationnelles
qu’elles sont sanctifiées, comme un temple ou un vase. La mission s’adresse
donc à elles. |
[1174] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 arg. 2 Item, in nullo potest esse gratia, nisi missio ad ipsum fiat. Sed in
sacramentis continetur gratia, et tamen sunt insensibiles creaturae. Ergo ad
eas fit missio. |
2. En outre, la grâce ne peut
être dans un être que si la mission s’adresse à lui. Mais la grâce est
contenue dans les sacrements, lesquels sont cependant des créatures
insensibles. La mission s’adresse donc aux créatures insensibles. |
[1175] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 arg. 3 Item, Filius non tantum procedit ut Verbum manifestans Patrem per
modum cognitionis, sed etiam ut repraesentans Patrem secundum similitudinem
naturae. Sed omnes creaturae etiam insensibiles, habent similitudinem
generationis Filii, inquantum procedunt in aliqua imitatione divinae naturae,
secundum attributa participata ; sicut rationalis creatura participando
sapientiam, habet similitudinem ipsius, inquantum procedit ut Verbum. Ergo
cum ratione istius assimilationis dicatur Filius mitti ad rationales
creaturas inquantum est Verbum, eadem ratione debet mitti ad irrationales
inquantum est Filius. |
3. De plus, le Fils ne
procède pas seulement comme Verbe qui manifeste le Père par mode de
connaissance, mais aussi comme représentant le Père selon une similitude de
nature. Mais toutes les créatures, même celles qui sont insensibles, ont une
similitude de la génération du Fils en tant qu’elles procèdent dans une
certaine imitation de la nature divine d’après des attributs
participés ; par exemple la créature rationnelle, en participant de la
sagesse, possède une similitude possède une similitude de cette sagesse qui
procède comme Verbe. Donc, puisque c’est en raison de cette assimilation
qu’on dit du Fils qu’il est envoyé aux créatures rationnelles en tant qu’Il
est Verbe, pour la même raison Il doit être envoyé aux créatures
irrationnelles en tant qu’Il est Fils. |
[1176] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 arg. 4 Contra, missio divinae personae est tantum secundum gratiam gratum
facientem, ut dictum est. Hujus autem creaturae rationales tantum capaces
sunt. Ergo ad eas tantum fit missio. |
4. Au contraire, la mission
de la Personne divine n’a lieu que selon la grâce sanctifiante, comme nous
l’avons dit. Cependant, seules les créatures rationnelles sont capables de
recevoir cette grâce. C’est donc à elles seules que la mission s’adresse. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Dit-on que le Fils et l’Esprit Saint sont
envoyés pour tous les saints pour l’accroissement de la grâce ?]
|
[1177] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
2 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad omnes sanctos, ratione augmenti
gratiae, dicatur mitti Filius vel Spiritus sanctus. Et videtur quod non. Quia
missio dicit novum modum existendi personae divinae in creatura. Sed per
gratiae augmentum non dicitur alio modo Deus esse in sanctis quam prius. Ergo
ad eos non fit missio divinae personae. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite
si on doit dire que le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés à tous les saints
pour l’accroissement de la grâce. Car la mission dit une nouvelle manière
d’exister de la Personne divine dans la créature. Mais par l’augmentation de
la grâce on ne dit pas de Dieu qu’il existe dans les saints d’une manière qui
est autre qu’antérieurement. La mission de la Personne divine ne s’adresse
donc pas à eux. |
[1178] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, missio personae fit ad
revocandum rationalem creaturam, ut Magister dicit. Sed non revocantur nisi errantes. Ergo cum
sancti non sint errantes, ad eos non fit missio. |
2. Par ailleurs, la mission
de la Personne a lieu pour rappeler la créature rationnelle, ainsi que le dit
le Maître. Mais seuls ceux qui se sont égarés sont rappelés ou ramenés. Donc,
puisque les saints ne se sont pas égarés, la mission ne s’adresse pas à eux. |
[1179] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
2 s. c. 1 Contra, Spiritus sanctus missus est ad apostolos in Pentecostes in
visibili missione. Sed missio visibilis demonstrat invisibilem. Ergo etiam et
invisibiliter. Sed ipsi prius habebant gratiam. Ergo secundum augmentum
gratiae in sanctis, dicitur ad eos mitti Filius vel Spiritus sanctus. |
Cependant : 1. Au contraire,
l’Esprit-Saint a été envoyé aux Apôtres à la Pentecôte dans une mission
visible. Mais la mission visible manifeste la mission invisible. Donc,
l’Esprit-Saint leur a été envoyé aussi d’une manière invisible. Mais ces
derniers possédaient déjà la grâce avant. Donc, c’est pour l’augmentation de
la grâce qu’on dit du Fils et de l’Esprit-Saint leur a été envoyé. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La mission de l’Esprit Saint est-elle pour
les anges et les autres bienheureux ?]
|
[1180] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
3 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Angelos et ad alios beatos fiat missio
Spiritus sancti. Videtur quod non. Missio enim semper est secundum aliquem
effectum gratiae, qui in ea mittitur. Sed in Angelis et beatis, qui
devenerunt ad terminum vitae, neque datur de novo gratia neque augetur. Ergo
ad eos non fit missio. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite
si la mission de l’Esprit-Saint s’adresse aux Anges et aux autres bienheureux.
En effet, la mission a toujours lieu d’après un certain effet de la grâce qui
est envoyée en elle. Mais dans les Anges et les bienheureux qui seront
parvenus au terme de la vie, une nouvelle grâce ne sera ni donnée ni
augmentée. La mission ne s’adresse donc pas à eux. |
[1181] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
3 arg. 2 Item, non est idem nuntius et ad quem fit missio. Sed in missione
Filii et Spiritus sancti, Angeli se habent ut nuntii, quia custodiunt et
suggerunt. Ergo videtur quod ad eos non fiat missio, quia sic oporteret ire
in infinitum. |
2. En outre, le messager
n’est pas identique à celui à qui s’adresse la mission. Mais dans la mission
du Fils et de l’Esprit-Saint, les Anges se présentent comme des messagers car
ils protègent et conseillent. Il semble donc que la mission ne s’adresse pas
à eux, car ainsi il faudrait procéder à l’infini. |
[1182] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
3 s. c. 1 Sed contrarium habetur ex littera. |
Cependant : On établit le
contraire dans le document. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 : [Une mission peut-elle être faite pour le
Christ en tant qu’homme ?]
|
[1183] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
4 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Christum, secundum quod homo, possit
fieri missio. Videtur quod non. Missio enim semper est ad distans. Sed humana
natura nunquam fuit in Christo distans a divina ; immo a principio
conceptionis suae fuit conjuncta per unionem et plenitudinem omnis gratiae.
Ergo videtur quod ad eum non fiat missio. |
Difficultés : 1. Par la suite, on se
demande s’il peut y avoir une mission qui s’adresse au Christ en tant qu’il
est homme. Et il semble que non. Une mission en effet est toujours ordonnée à
ce qui est éloigné. Mais dans le Christ la nature humaine ne fut jamais
éloignée de la nature divine ; bien au contraire, dès le début de sa
conception elle lui fut unie par une union et une plénitude de toute grâce.
Il semble donc que la mission ne s’adresse pas à Lui. |
[1184] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, missio est ad sanctificandum
creaturam. Sanctificatur
autem quod non est sanctum. Cum igitur Christus nunquam fuerit non sanctus,
videtur quod ad eum non possit fieri missio. |
2. De plus, la mission est
ordonnée à la sanctification de la créature. Mais ce qui est sanctifié n’est
pas saint. Donc, puisque le Christ ne fut jamais dans un état où il n’était
pas saint, il semble qu’il ne puisse y avoir une mission qui s’adresse à Lui. |
[1185] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
4 arg. 3 Contra, missio Spiritus sancti est ipsa datio. Sed Spiritus sanctus
datus est Christo, ut dicitur Joan. 3, 34: non ad
mensuram dat Deus Spiritum. Ergo ad eum fit missio. |
3. Au contraire, la mission
de l’Esprit-Saint est la donation elle-même. Mais l’Esprit-Saint a été donné
au Christ ainsi qu’on le lit dans Jean (3, 34) : Dieu
Lui a donné l’Esprit sans mesure. Donc, la mission s’adresse au Christ. |
[1186] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
4 arg. 4 Praeterea, missio visibilis est signum invisibilis. Sed ad Christum
facta est missio visibilis Spiritus sancti in columbae specie, Matth. 3. Ergo
et invisibilis. |
4. Par ailleurs, la mission
visible est le signe de la mission invisible. Mais la mission visible de
l’Esprit-Saint s’est adressée au Christ sous la forme d’une colombe comme le
dit Matthieu au chapitre 3 de son évangile. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[1187] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum missio divinae
personae sit solum in donis gratiae gratum facientis, ad illos solum fit
missio quibus hujusmodi dona conferri possunt ; et ideo concedimus quod ad
omnes rationales creaturas potest fieri missio, nisi sint depravatae per
obstinationem in malo, sicut Daemones et damnati, et non ad irrationales
creaturas. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque la mission de la Personne divine n’est présente que dans les dons
de la grâce sanctifiante, la mission ne s’adresse qu’à ceux auxquels de tels
dons peuvent être conférés ; et c’est pourquoi nous concédons qu’il peut
y avoir mission pour toutes les créatures rationnelles, à moins qu’elles ne
soient corrompues par une persévérance dans le mal, comme c’est le cas pour
le Démon et les damnés ; mais il n’y a pas mission pour les créatures
irrationnnelles. |
[1188] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc.
1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sanctificari tripliciter dicitur: uno modo secundum quod sanctum dicitur mundum,
prout sanctificatio dicitur emundatio a peccato per gratiam ; alio modo secundum quod sanctum dicitur firmum,
prout dicitur sanctificatio, confirmatio in bono per donum gratiae vel
gloriae, et istis duobus modis est tantum in rationali creatura, et secundum
hos tantum fit missio ; tertio modo dicitur sanctificatio, secundum
quod aliquid accommodatur ad usum divini cultus, quem decet omnis munditia,
et hoc modo dicuntur templum et vasa sanctificari. |
Solutions : 1. ll faut donc dire en
premier lieu qu’être sanctifié se dit de trois manières : En un sens selon qu’on dit du
monde qu’il est saint pour autant qu’on appelle sanctification la
purification du péché par la grâce. En un autre sens selon qu’on
appelle saint ce qui est ferme, pour autant que la sanctification se dit de
la confirmation dans le bien par le don de la grâce ou de la gloire, et, par
ces deux modalités, la mission est seulement dans la créature rationnelle et
ne s’effectue en elle que par ces modalités. En un troisième sens la
sanctification se dit de ce qu’on applique à l’usage du culte divin qui exige
une pureté absolue, et c’est en ce sens qu’on dit d’un temple ou d’un vase
qu’ils sont sanctifiés. |
[1189] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramentis
non habetur gratia sicut in subjecto gratiae, sed sicut in instrumento in quo
confertur gratia. De hoc tamen habebitur in 4, distin. 1, quaest. 1, art. 1.
Unde sanctificatio sacramentorum pertinet ad tertium modum, secundum quem non
fit missio. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que dans les sacrements la grâce n’est pas
contenue comme dans le sujet de la grâce mais comme dans l’instrument par
lequel la grâce est conférée. Nous traiterons cependant de cela plus loin
[livre 4, dist. 1, quest. 1, art. 1]. C’est pourquoi la sanctification se
rapporte au troisième sens du nom sanctification d’après lequel il n’y a pas
mission. |
[1190] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio pertinet
ad reditum creaturae in finem ; et ideo non potest esse missio, nisi secundum
illa quae possunt dicere relationem in finem. Sed generatio Filii, inquantum
Filius est, dicitur tantum secundum exitum a principio, et ideo secundum
rationem illam non pertinet ad missionem, sed magis ad creationem, secundum
quod res educuntur in esse, prout dicitur, quod per Filium omnia facta sunt.
Sed ratio Verbi et amoris possunt se habere ad utrumque ; et ideo ratio Verbi
et amoris pertinet ad creationem et ad missionem. Et praeterea,
imitatio divinae naturae, quam Filius perfecte accipit, est etiam secundum
primos effectus, quibus in esse naturae subsistimus: qui non sufficiunt ad
talem conjunctionis rationem qualem missio requirit. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la mission se rapporte au retour de la
créature à sa finalité; et c’est pourquoi il ne peut y avoir mission que pour
ce qui peut dire une relation à la finalité. Mais la génération du Fils, en
tant que Fils, se dit seulement d’après une sortie du principe, et c’est
pourquoi elle ne peut se rapporter à la mission d’après cette définition,
mais plutôt à la création selon laquelle les choses sont amenées à
l’existence, comme on dit que c’est pas le Fils que toute chose a été faite.
Mais les notions de Verbe et d’amour peuvent comporter les deux rapports et
c’est pourquoi ces deux notions se rapportent à la fois à la création et à la
mission. Et
par ailleurs l’imitation de la nature divine qui est reçue parfaitement dans
le Fils se réalise aussi selon les premiers effets par lesquels nous
subsistons dans notre existence de nature, lesquels cependant ne suffisent
pas à la notion de réunion exigée par la mission. |
[1191] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons la
quatrième difficulté. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[1192] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius et
Spiritus sanctus dicuntur mitti ad sanctos secundum augmentum gratiae. Sed
augmentum gratiae potest esse dupliciter: |
Corps de l’article : Il faut dire, par rapport à
ce qu’on se demande par la suite, que le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés
aux saints pour l’augmentation de la grâce. Mais il peut y avoir augmentation
de la grâce de deux manières. |
aut secundum intentionem ejusdem virtutis
tantum, et ratione hujus augmenti non dicitur nova missio ; aut secundum quod per augmentum gratiae
perficit in novum usum vel actum gratiae, et secundum hoc dicitur Spiritus
sanctus et Filius mitti nova missione ; verbi gratia, notitia talis quae
habetur de Deo, ut ex ea procedat amor, sufficit ad rationem missionis Filii. |
Soit conformément à l’intention
de la même puissance seulement, et en raison de cette augmentation on ne
dit pas qu’il y a nouvelle mission ; Soit selon que par
l’augmentation de la grâce il y a perfectionnement dans un nouvel usage ou un
nouvel acte de la grâce, et c’est conformément à cela qu’on dit que
l’Esprit-Saint et le Fils sont envoyés dans une nouvelle mission ; en
d’autres mots, une telle connaissance qui est possédée sur Dieu, de telle
manière que l’amour procède d’elle, suffit à la notion de mission du Fils. |
Quando autem ita
notitia per inspirationem elevatur ut etiam divina mysteria cognoscat, sic
datur in dono prophetiae. Et
similiter est de Spiritu sancto, quia amor caritatis quicumque sufficit ad
missionem Spiritus sancti. Sed quando virtus amoris excrescit, ut ratione
amoris conferatur sibi aliquis alius usus gratiae, ut miracula facere, vel
sine difficultate omnem tentationem vincere, vel aliquid hujusmodi, tunc
dicitur esse nova missio Spiritus sancti. Quidam tamen dicunt quod in omni
augmento gratiae gratum facientis, est missio divinae personae, quod etiam
facile potest sustineri. |
Mais quand la connaissance
est ainsi élevée par l’inspiration qu’elle connaît aussi les mystères divins,
elle est donnée dans la don de prophétie. Et il en est de même pour
l’Esprit-Saint car tout amour de charité suffit à la mission de
l’Esprit-Saint. Mais quand la puissance de l’amour s’étend démesurément, de
telle sorte qu’en raison de l’amour lui est conféré un autre usage de la
grâce, comme de faire des miracles ou de vaincre toute tentation sans
difficulté ou de poser toute opération de cette sorte, alors on dit qu’il y a
une nouvelle mission de l’Esprit-Saint. Certains disent cependant que dans
toute augmentation de la grâce sanctifiante il y a une mission d’une Personne
divine qui peut encore être soutenue avec facilité. |
[1193] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis non sit alius modus
accipiendo generales modos, tamen est secundum aliquem specialem modum,
inquantum secundum specialem usum gratiae assimilat sibi illum ad quem fit
missio. Vel etiam est in eo pleniori modo ; et hoc sufficit ad missionem
quantum ad secundam opinionem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien qu’il n’y ait pas une autre manière de recevoir les
modes généraux, cependant cela a lieu d’après une manière spéciale, dans la
mesure où celui qui est envoyé s’assimile d’après un usage spécial de la
grâce celui auquel est ordonnée la mission. Ou bien encore Il est en lui
d’une manière plus parfaite ; et cela suffit à la mission entendue selon
la deuxième opinion. |
[1194] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revocare aberrantem accidit missioni ex
parte ejus ad quem fit missio qui est in culpa. Missio enim determinat
terminum ad quem, ut scilicet per missionem gratia conferatur ; non autem ex
ratione missionis determinatur terminus a quo, sive sit status culpae, sive
sit status naturalium tantum, vel etiam status minoris gratiae. Vel dicendum,
quod quamvis non revocet actu errantem, tamen gratia facit ne erret, et haec
est quaedam revocatio ab errore. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le rappel de celui qui s’égare se produit dans la mission
du côté de celui auquel la mission est ordonnée, lequel est dans le péché. La
mission en effet précise le terme d’arrivée de la mission, c’est-à-dire que
par la mission la grâce soit conférée ; mais par la notion de mission le
terme du départ n’est pas déterminé, qu’il s’agisse de l’état de la faute, de
celui des choses naturelles seulement ou même de l’état d’une grâce
inférieure. Ou bien il faut dire que bien qu’elle ne rappelle pas en acte
celui qui s’égare, cependant la grâce fait qu’il ne s’égare pas et c’est là
un certain rappel qui détourne de l’erreur. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[1195] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 co. Ad id quod ulterius quaeritur de Angelis et
beatis, dicendum, quod visio quae est essentialis beatitudini, et caritas et
hujusmodi quae pertinent ad praemium substantiale, non augentur in eis ex quo
jam beati sunt effecti ; sed per hoc non tollitur quin aliquae revelationes
novae fiant in eis, cum quantumcumque perficiatur eorum cognitio, in
infinitum a Dei cognitione excedatur ; et secundum illas novas revelationes
consurgunt ad Dei amorem, non quidem ut magis ament, sed ut sub alia ratione
eorum amor dirigatur in Deum. |
Corps
de l’article: Il
faut dire, par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite au sujet des
Anges et des bienheureux, que la vision qui est essentielle à la
béatitude essentielle, et la charité et les autres attributs de cette sorte
qui appartiennent à la recompense substantielle, n’augmentent pas en eux du
fait qu’ils ont déjà été rendus bienheureux; mais cela n’empêche pas que de
nouvelles révélations se produisent en eux, puisque quelle que soit la
perfection à laquelle parvient leur connaissance, elle est dépassée à
l’infini par la connaissance de Dieu; et conformément à ces nouvelles
révélations ils s’élèvent à l’amour de Dieu, non pas de telle manière qu’ils
L’aiment advantage, mais de telle manière que leur amour se tourne vers Dieu
sous un autre rapport. |
[1196] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 ad 1 Dicendum igitur ad primum, quod Angelis
facta est missio Filii et Spiritus sancti in ipsa collatione gratiae vel
gloriae. Ulterius etiam
fit ad eos missio Filii et Spiritus sancti, postquam beati sunt effecti,
secundum novas revelationes et novos modos amandi. Et per hoc patet responsio
ad primum. Quia quamvis non fiat ad eos missio secundum augmentum gratiae
intensive, fit tamen, secundum quod quodammodo eorum gratia extensive ad
plura augetur ex novis revelationibus. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la mission du Fils et de l’Esprit-Saint a été faite aux
Anges dans l’union même à la grâce ou à la gloire. Par la suite encore il y a
mission du Fils et de l’Esprit-Saint envers eux, après qu’ils aient été
rendus bienheureux, d’après de nouvelles révélations et de nouvelles manières
d’aimer. Et par là la réponse à la première difficulté est claire. Car bien
qu’il ne se produise pas à leur égard une mission selon une augmentation de
la grâce d’une manière intensive, il s’en produit une cependant, selon que
leur grâce d’une certaine manière s’étend à plusieur chose d’une manière extensive
à partir de nouvelles révélations. |
[1197] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in eadem missione non est idem nuntius
et ad quem fit missio ; sed in diversis non est inconveniens. Dico igitur,
quod in missione divinarum personarum ad nos, Angeli sunt missi vel nuntii,
non tamquam ipsi menti illabentes, sed per ministerium exterius. In missione
vero quae fit ad eos, non sunt ipsi sicut nuntii, nisi forte secundum quod
superiores Angeli cooperantur divinis personis in illuminatione inferiorum.
Sed tamen non erit abire in infinitum: quia est devenire ad supremos Angelos,
qui immediate lumen divinae revelationis recipiunt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour la même mission, le messager n’est pas identique à celui à qui
s’adresse la mission ; mais pour des missions différentes, cela n’est
pas un problème. Je dis donc que dans la mission des Personnes divines à
notre égard, les Anges sont des envoyés ou des messagers, non pas en tant que
pénétrant eux-mêmes dans l’intelligence, mais par un ministère de extérieur.
Mais pour la mission qui s’adresse à eux, ils ne sont pas eux-mêmes comme des
messagers, à moins peut-être selon que des Anges supérieurs collaborent avec
les Personnes divines pour l’illumination des Anges inférieurs. On ne pourra
cependant procéder à l’infini car il faut en venir à des Anges suprêmes qui
reçoivent immédiatement la lumière de la révélation divine. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[1198] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 co. Ad id quod ulterius quaeritur de Christo,
dicendum, quod non est dubium quin ad humanam naturam in Christo missus sit
Dei Filius missione visibili quae est in carnem. Sed utrum ad Christum,
secundum quod homo est, mittatur Filius invisibiliter, vel Spiritus sanctus
visibiliter vel invisibiliter, dubium est. Quidam enim dicunt, quod ad ipsum
nulla invisibilis missio facta est. Cujus rationem assignant, quia Christus ab initio
conceptionis suae plenus fuit omni gratia: unde gratia in eo nullo modo fuit
augmentata. Et ideo neque ratione collationis gratiae, neque ratione augmenti
potest ad eum fieri missio invisibilis. Sed missio visibilis Spiritus sancti
ad ipsum facta est, ad manifestationem interioris gratiae et non alicujus
missionis interioris quae aliquam novitatem in gratia importaret. Alii
dicunt, et verius, ut videtur, quod ad animam Christi facta est missio
invisibilis in collatione gratiae quam in initio suae conceptionis accepit ;
sed postmodum nulla missio ad eum facta est, quia nulla circa ipsius gratiam
innovatio facta est. |
Corps de l’article : Quant à ce qu’on cherche à
savoir par la suite sur le Christ il faut dire qu’il n’y a pas de doute que
le Fils de Dieu, par la mission visible qui est dans la chair, a été envoyé
pour prendre la nature humaine qui est dans le Christ. Mais est-ce que le
Fils d’une manière invisible ou l’Esprit-Saint d’une manière visible ou
invisible, a été envoyé vers le Christ, cela n’est pas évident. Certains en
effet disent qu’aucune mission invisible n’a été faite pour lui. Et ils en
donnent pour raison que le Christ dès le début de sa conception fut rempli de
toute grâce : de là, la grâce en lui ne fut augmentée d’aucune manière.
Et c’est pourquoi ni en raison de la réunion de la grâce ni
en raison de son augmentation il ne peut y avoir mission invisible à son
égard. Mais il y a eu mission visible de l’Esprit-Saint à son égard pour
manifester la grâce intérieure et non une mission intérieure qui impliquerait
une nouveauté dans la grâce. D’autres disent, et avec plus de justesse, comme
on le voit, qu’une mission invisible a été faite pour l’âme du Christ dans la
réunion de la grâce qu’il a reçue au début de sa conception ; mais par
la suite aucune mission n’a été faite pour lui, car aucune nouveauté n’a été apportée
à sa grâce. |
[1199] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura quamvis tempore non
fuerit ante unionem, tamen prius est ipsam considerare secundum intellectum
in se quam ut unitam ; et ideo ad ipsam fit missio Filii per gratiam unionis,
quae dicitur missio in carnem. Similiter etiam secundum quod intelligitur
unita, adhuc est distans a divina natura secundum conditionem naturae,
quamvis non secundum unitatem personae ; et ideo ad naturam humanam etiam
unitam potest fieri missio per gratiam invisibilem in mentem, quamvis tempore
natura gratiam non praecedat. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien qu’il n’y ait pas eu de nature humaine
antérieurement à l’union selon le temps, cependant il faut la considérer en
elle-même selon l’intelligence avant de la considérer comme étant
unie ; et c’est pourquoi c’est à la nature humaine que la mission du
Fils est ordonnée par la grâce de l’union, qu’on appelle la mission dans la
chair. De la même manière encore selon qu’elle est comprise comme étant unie,
elle est encore éloignée de la nature divine selon une condition de nature,
bien qu’elle ne le soit pas selon l’unité de la personne ; et c’est
pourquoi il peut y avoir mission à l’égard de la nature humaine, même en tant
qu’elle est unie, par une grâce invisible dans l’esprit, bien que la nature
ne précède pas la grâce selon le temps. |
[1200] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sanctificare est sanctum facere. Sanctum
autem facere contingit dupliciter: vel ex non sancto, vel ex sancto. Ex non sancto dupliciter: vel privative,
idest quod primum fuerit natum habere sanctitatem non habens, et sic
sanctificari non convenit Christo ; vel negative, et sic convenit Christo ex non
sancto fieri sanctum secundum humanam naturam, quae prius quam esset, sancta
non erat ; et hoc sufficit ad rationem missionis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que sanctifier signifie rendre saint. Mais rendre saint se produit de
deux manières : soit à partir de ce qui n’est pas saint, soit à partir
de ce qui est déjà saint. Et à partir de ce qui n’est
pas saint, il arrive de rendre saint de deux manières : soit par la
privation, c’est-à-dire pour qui ne possède pas la sainteté mais qui était
apte à la posséder, et en ce sens sanctifier ne convient pas au Christ ; Soit négativement, et en ce
sens il convient au Christ à partir de ce qui n’est pas saint de devenir
saint selon la nature humaine qui, avant d’exister, n’était pas sainte ;
et cela suffit à la notion de mission. |
Ex sancto autem fieri sanctum, est
dupliciter: vel ex minus sancto facere magis sanctum, et in tali
sanctificatione adhuc salvatur ratio missionis, sed talis sanctificatio vel
missio Christo non competit ; vel secundum continuationem sanctitatis, ut sit
sanctificari, in sanctitate continuari. Sed hoc proprie non dicitur. Unde
haec sanctificatio non sufficit ad rationem missionis, quia non ponitur
aliqua innovatio ; quamvis talis sanctificatio Christo conveniat, ut ipse
dicit Joan. 17, 19: Ego pro eis sanctifico meipsum. |
Mais devenir saint à partir
de ce qui est déjà saint se produit de deux manières : soit de rendre
plus saint à partir de ce qui est moins saint et dans une telle
sanctification est encore conservée la notion de mission, mais une telle
sanctification ou mission ne convient pas au Christ ; soit selon la
continuité de la sainteté, de telle manière qu’être sanctifié, c’est
continuer dans la sainteté. Mais cela ne se dit pas proprement de la
sanctification. C’est pourquoi cette sanctification ne suffit pas à la notion
de mission, car on ne retrouve pas en elle l’idée d’innovation, bien qu’une
telle sanctification convienne au Christ comme il le dit lui-même dans Jean (17,19) : Mais
moi, c’est pour eux que je me sanctifie. |
[1201] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1
qc. 4 ad 3 Ad tertium, secundum aliam opinionem, potest dici, quod non omnis
datio est missio, sed illa quae fit alicui praeexistenti ; quamvis hoc non
multum habeat rationis. |
3. On peut dire en troisième
lieu, d’après une autre opinion, que toute donation n’est pas une mission
mais celle qui arrive à qui existe déjà, bien que cela ne contienne pas
beaucoup de raison. |
[1202] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum patet responsio per praedicta,
in corp. art. |
4. La réponse à la quatrième
difficulté est claire au moyen de ce qui a été dit dans le corps de
l’article. |
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Articulus 2 [1203] Super Sent., lib. 1 d. 15
q. 5 a. 2 tit. Utrum missio invisibilis fuerit plenior post incarnationem
quam ante |
Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète après l’Incarnation qu’avant ? |
[1204] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
invisibilis non plenior fuerit post incarnationem quam ante. Missio enim fit
per quamdam irradiationem divinae bonitatis in donis gratiae gratum
facientis. Sed sol
corporalis, cui bonitatem divinam Dionysius, IV de divin.
Nomin. §§1 et 4, col. 694, assimilat, semper aequaliter irradiat.
Ergo videtur quod missio omni tempore aequaliter fiat. |
Difficultés : 1. Il semble que la mission
invisible ne fut pas plus complète après qu’avant l’incarnation. La mission
en effet se produit par une irradiation de la bonté divine dans les dons de
la grâce sanctifiante. Mais le soleil physique, auquel Denys [IV Les
Noms Divins, & 1 et 4, col. 694] compare la bonté divine, irradie
toujours d’une manière égale. Il semble donc qu’en tout temps la mission a
lieu d’une manière égale. |
[1205] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
arg. 2 Praeterea, Augustinus, De bono conjugali, cap. XXI, §
26, col. 391, dicit, quod caelibatus Joannis non praefertur conjugio Abrahae,
et ita videtur quod sancti novi testamenti non sint majoris meriti quam
sancti veteris testamenti. Sed plenitudo missionis attenditur secundum copiam
gratiae, quae est principium merendi. Ergo videtur quod non plenius sit facta
post incarnationem quam ante. Hoc etiam videtur, quod sancti veteris
testamenti proponuntur nobis in exemplum perfectae virtutis, sicut patet ad
Hebr. 11, ut Job proponitur in exemplum patientiae, Abraham in exemplum fidei
; et sic de aliis. |
2. Par ailleurs Augustin [Le
bien conjugal, ch. XXI, & 26, col. 391] dit que le célibat de Jean
n’est pas préféré au mariage d’Abraham et il semble ainsi que les
saints du nouveau testament ne sont pas d’un plus grand mérite que
les saints de l’ancien testament. Mais la plénitude de la mission se prend
selon une imitation de la grâce, laquelle est le principe du mérite. Il
semble donc que la mission n’a pas été rendue plus complète après
l’incarnation qu’avant. On le voit encore à ce que les saints de l’ancien
testament nous sont proposés comme exemples d’une vertu parfaite, comme le
montre l’Apôtre dans l’Épître aux Hébreux (11), comme Job qui est présenté
comme un exemple de patience et Abraham comme un exemple de foi ; et il
en est ainsi pour les autres. |
[1206] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
s. c. 1 Contra Augustinus, IV De Trin., cap. XX, § 29, col.
908, exponens illud Joan. 7, 39: Nondum erat Spiritus
datus, quia Jesus nondum erat glorificatus ait: Quomodo hoc
intelligitur nisi quod illa datio Spiritus vel missio futura erat qualis
nunquam ante fuerat ? Non enim antea nulla erat, sed non talis erat. Ergo
videtur quod post incarnationem plenior fuerit. |
Cependant : Augustin prend une position
contraire [IV De la Trinité, ch. XX, & 29, col. 908] en
expliquant ce passage de Jean (7, 39) : L’Esprit-Saint n’avait
pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié,
lorsqu’il dit : Comment comprendre ce passage autrement qu’en ce sens, à
savoir que cette donation ou cette mission à venir de l’Esprit-Saint était
telle qu’elle n’avait jamais été avant ? En effet, elle n’était pas
nulle avant, mais elle n’avait pas une telle importance. Il semble donc
qu’elle fut plus complète après qu’avant l’incarnation. |
[1207] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod de missione possumus loqui dupliciter: vel ex parte ipsius mittentis, et sic cum
apud ipsum nulla sit transmutatio, aequalis fit missio in omni tempore ; nisi
forte secundum praedeterminationem sapientiae et praescientiae suae, secundum
quod praeordinavit sine sui mutatione, secundum diversas congruitates
temporum, aliquid uno tempore facere, et non alio ; vel ex parte eorum ad quos fit missio ; et sic
illi qui magis sunt parati ad perceptionem gratiae, pleniorem gratiam
consequuntur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que nous pouvons parler de la mission de deux manières : Soit du côté de celui-là même
qui envoie, et ainsi puisqu’il n’y a en lui aucun changement, la mission est
égale en tout temps, sauf peut-être d’après la prédétermination de sa sagesse
et de sa préscience, selon qu’il a ordonné à l’avance sans aucun changement
de sa part, d’après les différentes opportunités des époques, de faire
quelque chose en tel temps et on en un autre ; Soit du côté des êtres vers
lesquels se porte la mission ; et ainsi ceux qui sont davantage préparés
à recevoir la grâce y parviennent plus pleinement. |
Dicendum igitur, quod quia per adventum Christi
remotum est obstaculum antiquae damnationis, totum humanum genus effectum est
paratius ad perceptionem gratiae quam ante: tum propter solutionem pretii, et
victoriam Diaboli ; tum etiam propter doctrinam Christi, per quam clarius
nobis innotescunt divina. Et ideo, loquendo communiter, plenior facta est
missio post incarnationem quam ante, quia de plenitudine ejus omnes
accepimus. Sed verum est quod ad aliquas speciales personas est in veteri
testamento plenissima facta missio secundum perfectionem virtutis ; et ipsi
tamen de plenitudine Christi acceperunt, inquantum in fide mediatoris salvati
sunt, secundum Augustinum, lib. III, De gratia Christi et de peccato
originali., c. XXIV, col. 398. |
Il faut donc dire que par la
venue du Christ est écarté l’obstacle de l’ancienne damnation, tout le genre
humain a été rendu plus prêt qu’avant à recevoir la grâce ; tant à cause
de la perte de la récompense et de la victoire du Diable d’une part, qu’à
cause de la doctrine du Christ par laquelle les choses divines nous sont
connues plus clairement. Et c’est pourquoi, pour parler universellement, la
mission a été rendue plus complète après qu’avant l’incarnation car nous
avons tout reçu de sa plénitude. Mais il est vrai que pour certaines
personnes spéciales de l’ancien testament la mission fut la plus complète
selon la perfection de sa puissance ; et cependant eux-mêmes ont
accueilli la plénitude du Christ selon qu’ils ont été sauvés par leur foi
dans le médiateur, d’après Augustin [111 De la Grâce du Christ et du
péché originel, c. XXIV, col. 398] |
[1208] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa ratio procedit ex parte ipsius
mittentis, qui, quantum in se est, semper aequaliter se habet ad gratiam
conferendam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cet argument procède de celui-là même qui envoie qui, quant
à ce qu’il est en lui-même, est toujours égal à lui-même dans sa manière de
conférer la grâce. |
[1209] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod sancti veteris testamenti dupliciter possunt
considerari: vel quantum ad gratiam personalem, et sic
per fidem mediatoris consecuti sunt gratiam aeque plenam his qui sunt in novo
testamento et multis plus et multis minus ; vel secundum statum
naturae illius temporis, et sic cum adhuc continerentur obnoxii divinae
sententiae pro peccato primi parentis, nondum soluto pretio, erat in eis
aliquod impedimentum, ut non ad eos ita plena missio fieret, sicut fit in
novo testamento etiam per traductionem in gloriam, in qua omnis perfectio
naturae amovetur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les saints de l’ancien testament peuvent être considérés de deux
manières : Soit quant à la grâce
personnelle et ainsi par leur foi dans le médiateur ils ont atteint une grâce
également pleine à ceux du nouveau testament, et plus abondamment que
plusieurs et moins abondamment que plusieurs ; Soit d’après l’état de nature
de ce temps, et ainsi puisqu’ils étaient encore contenus comme prisonniers de
la sentence divine pour la faute des premiers parents, la récompense n’étant
pas encore détruite, il y avait en eux un obstacle tel qu’une mission
complète ne pouvait leur être adressée comme c’est le cas dans le Nouveau
Testament même par ce passage à la gloire dans laquelle toute perfection de
nature est écartée. |
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Articulus 3 [1210] Super Sent., lib. 1 d. 15
q. 5 a. 3 tit. Utrum per missionem invisibilem efficimur ne simus in hoc mundo |
Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus de ce monde ? |
[1211] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per
missionem invisibilem efficimur quod non in hoc mundo simus. Qui enim est in caelis, non est in mundo.
Sed apostolus in persona omnium sanctorum dicit, Phil. 3, 20: Nostra
conversatio in caelis est. Ergo videtur quod sancti ad quos fit missio,
non sint in mundo. |
Difficultés : 1. Il semble que par la
mission invisible il se fait que nous ne sommes plus de ce monde. En effet,
celui qui est dans les cieux n’est pas de ce monde. Mais l’Apôtre, dans la
personne de tous les saints, dit [Phil.
3, 20] : Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux. Il
semble donc que les saints envers auxquels s’adresse la mission ne sont plus
de ce monde. |
[1212] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
arg. 2 Item, Augustinus dicit, quod anima verius est ubi amat, quam ubi est.
Sed esse essentialiter in aliquo, est verissimus modus essendi in eo. Ergo
sancti essentialiter sunt in caelestibus, quae amant. |
2. En outre, Augustin dit que
l’âme est plus véritablement là où elle aime que là où elle est. Mais être
essentiellement pour un être est le mode d’être le plus vrai qu’il y a en
lui. Donc les saints sont essentiellement dans les cieux qu’ils aiment. |
[1213] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
arg. 3 Praeterea, cum anima fit substantia incorporalis, non determinatur ad
locum nisi per accidens. Ibi ergo erit anima essentialiter ubi est per
accidens. Sed in suo objecto est anima per accidens sicut in sua materia.
Ergo essentialiter est ubi est suum objectum. |
3. De plus, puisque l’âme est
une substance incorporelle, ce n’est que par accident qu’elle est déterminée
à un lieu. L’âme sera donc essentiellement là où elle est par accident. Mais
dans son objet l’âme existe par accident comme dans sa matière. Elle est donc
essentiellement là où est son objet. |
[1214] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
arg. 4 Praeterea, nos dicimus Angelos esse in aliquo loco, propter hoc quod
ibi operantur. Sed operatio animae est circa objectum. Ergo anima
essentialiter est ubi est suum objectum. |
4. Par ailleurs nous disons
que les Anges sont dans un lieu pour cette raison que c’est là qu’ils posent
une opération. Mais l’opération de l’âme porte sur un objet. Donc l’âme est
essentiellement là où est son objet. |
[1215] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
s. c. 1 Contra, forma nunquam excedit id cujus est forma. Sed anima est forma
essentialis corporis. Ergo non est essentialiter nisi ubi est corpus. Corpus
autem nunquam est extra mundum, quamdiu vivimus. Ergo missio invisibilis non
facit nos in hoc mundo non esse. |
Cependant : Au contraire, la forme
n’outrepasse jamais ce dont elle est la forme. Mais l’âme est la forme
substantielle du corps. Donc, elle n’est essentiellement que là où est le
corps. Mais le corps n’est jamais en dehors du monde, tant que nous vivons.
Donc la mission invisible ne fait pas que nous ne sommes plus de ce monde. |
[1216] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod anima nostra comparatur ad duo: scilicet ad corpus, cui dat
esse substantiale, per quod etiam ipsa est ; non enim est aliud animae esse
quam hoc quod corpori dat, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 5, art. 2.
Comparatur etiam ad objectum suum, a quo recipit esse secundum perfectionem
secundam, quod est esse accidentale. Et ideo anima essentialiter est ubi est
corpus suum ad quod habet essentialem relationem. Ubi autem est objectum
suum, non est essentialiter, sed solum per quamdam conformitatem: prout
dicitur quod scientia est assimilatio scientis ad rem scitam. Et hoc modo intelligitur
quod dicitur in Littera: « Secundum quod aliquod aeternum
mente percipimus, non in hoc mundo sumus » ; quia non conformatur
affectus noster et intellectus mundanis rebus et caducis, sed caelestibus et
aeternis ; et sic etiam intelligendum est quod apostolus dicit: Nostra
conversatio in caelis est ; ut patet ex cantu Ecclesiae :
« cogitatione et amore in illa aeterna patria conversatio est [ut
patet…conversatio est om. Éd. de Parme]. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que notre âme se compare à deux choses : à savoir au corps, auquel il
donne l’être substantiel par lequel elle aussi existe ; en effet,
l’existence de l’âme n’est pas autre que celle qu’elle donne au corps, ainsi
que nous l’avons dit [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Notre âme se compare aussi
à son objet, duquel elle reçoit une existence selon une perfection seconde
qui est son être accidentel. Et c’est pourquoi l’âme est essentiellement là
où est son corps avec lequel elle a une relation essentielle. Mais l’âme
n’est pas essentiellement, mais seulement par une certaine conformité, là où
est son objet, pour autant qu’on dit que la science est l’assimilation de
celui qui sait à la chose qu’il sait. Et c’est de cette manière qu’on
comprend ce qui est dit dans le Document : ¨Selon que par
l’esprit nous saisisson quelque chose d’éternel, nous ne sommes pas en ce
monde¨ ; car notre affectivité et notre intelligence ne sont pas
conformées aux choses du monde qui sont passagères, mais aux choses célestes
et éternelles ; et c’est encore de cette manière qu’il faut comprendre
ce que l’Apôtre dit : Pour nous, notre cité se trouve dans les
cieux ; tout comme on le voit dans ce chant de l’Église : ¨Par
la pensée et l’amour notre relation est dans cette patrie éternelle [comme on
le voit…notre relation est om. Éd. de Parme] |
[1217] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 1 Unde patet responsio ad primum. |
Solutions: 1. À
partir de là la réponse à la première difficulté est évidente. |
[1218] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esse
substantiale animae sit in conjunctione ad corpus, tamen tota nobilitas
ipsius est, secundum quod per actus suos nobilissimos suis perfectionibus
conjungitur. Et ideo
Augustinus dicit animam verius esse ubi amat, quia ibi est secundum suum
nobilius esse, quod est secundum perfectionem ultimam. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que l’existence substantielle de l’âme est dans son union au
corps , cependant toute sa noblesse a lieu selon que par ses actes
les plus nobles elle est unie à ses perfections. Et c’est pourquoi Augustin
dit que l’âme est plus véritablement là où elle aime car c’est là qu’elle
existe d’après une existence plus noble conforme à sa perfection ultime. |
[1219] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod locus non convenit animae nisi per accidens:
tamen ad hoc quod in loco essentialiter esse dicatur, oportet quod etiam
essentialiter conjungatur ei, ratione cujus sibi locus attribuitur. Sed anima
non conjungitur objecto suo essentialiter, sed tantum secundum similitudinem
ipsius receptam in anima: quia lapis non est in anima, sed species lapidis,
secundum philosophum, De anima, texte 38 : cui etiam
speciei, sive intentioni, conjungitur anima, non quantum ad esse primum, quod
est substantiale, sed quantum ad esse secundum, quod est esse accidentale. Et
ideo ratione objecti sui non dicitur anima essentialiter esse in loco. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le lieu ne convient à l’âme que par accident : cependant, pour
qu’on dise qu’elle existe essentiellement dans un lieu, il faut encore
qu’elle lui soit essentiellement unie à la chose en raison de laquelle le
lieu lui est attribué. Mais l’âme n’est pas unie essentiellement à son objet
mais seulement d’après sa similitude reçue dans l’âme : car ce n’est pas
la pierre qui est reçue dans l’âme mais la forme de la pierre,
selon le Philosophe [De l’Âme, texte 38] : et à cette forme ou à cette
intention l’âme s’unit encore non pas quant à son existence première qui est
substantielle, mais quant à son existence seconde qui est accidentelle. Et
c’est pourquoi on ne dit pas pas que l’âme existe essentiellement dans le
lieu en raison de son objet. |
[1220] Super Sent.,
lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod operatio Angeli in res corporales
est operatio activa ; et ideo oportet quod per virtutem suam, quae non
separatur ab essentia sua, conjungatur corpori in quod operatur, sicut motor
mobili. Sed operatio animae intellectualis in rem quam cognoscit et diligit,
est operatio non activa, sed receptiva ; et ideo non oportet quod conjungatur
ei essentialiter, sed quod intentio illius recipiatur in ipsa anima. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’opération de l’Ange dans les choses corporelles est une opération
active ; et c’est pourquoi il faut que par sa puissance qui n’est pas
séparée de son essence, il s’unisse au corps dans lequel il opère, comme le
moteur est uni au mobile. Mais l’opération de l’âme intellectuelle dans la
chose qu’il connaît et qu’il aime est une opération qui n’est pas active mais
réceptive ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’elle s’unisse à elle
essentiellement mais plutôt que l’intention de la chose soit reçue dans
l’âme elle-même. |
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Distinctio 16 |
Distinction 16 – [Les missions visibles] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [Les missions visibles des Personnes divines] |
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Prooemium |
Prologue |
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Ad intellectum hujus partis quatuor
quaeruntur: 1 de ipsa missione visibili secundum se ; 2 ad quos fieri
debeat ; 3 quibus speciebus ; 4 per quos missio visibilis administrata
sit. |
Pour comprendre cette partie
nous nous interrogeons sur quatre points : 1. Sur la mission visible en
elle-même. 2. À qui elle doit
s’adresser. 3. Les formes qu’elle doit
revêtir. 4. Au moyen de qui la mission
visible doit être administrée. |
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Articulus 1 [1223] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 1 tit. Utrum missio visibilis conveniat divinae personae |
Article 1 – Une mission visible convient-elle aux Personnes divines ? |
[1224] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio visibilis divinae
personae non competat. Missio enim est, ut prius dictum est, dist. 15, qu. 1, art. 1,
secundum quod divina persona aliquo novo modo est in aliquo quo prius non
fuit. Sed in nulla creatura visibili potest esse aliquo modo quo prius non
fuerit ; est enim in omnibus creaturis essentialiter, potentialiter,
praesentialiter ; et praeter hoc est in sanctis mentibus per gratiam, quo
modo in aliquo visibili corporeo esse non potest. Ergo videtur quod missio visibilis non sit
[possit esse Éd. de Parme]. |
Difficultés : 1. Il semble qu’une mission
visible ne convienne pas à une Personne divine. Une mission en effet, ainsi
que nous l’avons dit précédemment [dist. 15, qu. 1, art. 1] a lieu selon
qu’une personne divine existe dans un être d’une manière nouvelle par
laquelle elle n’y existait pas avant. Mais elle ne peut exister dans une
créature visible d’une manière par laquelle elle n’y était pas
avant ; Dieu en effet est dans toutes les créatures essentiellement,
potentiellement et par sa présence ; et en plus de cela elle est dans
les esprits saints par la grâce, ce qui ne peut être le cas pour certains
corps visibles. Il semble donc qu’il n’y ait [ne puisse y avoir Éd.
de Parme] pars de mission visible pour une Personne divine. |
[1225] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 2 Si dicas [dicis Éd. de Parme] quod esse
in illis creaturis visibilibus alio modo est, quia sicut in signo ; contra,
omnis effectus repraesentans causam est signum illius quo in ipsam potest
deveniri. Sed omnes creaturae repraesentant ipsum Deum tamquam causam per
imaginem vel vestigium. Ergo secundum hoc in omnibus creaturis mittetur
visibiliter, nec alio modo erit in illis visibilibus creaturis, in quibus
mitti dicitur, quam prius. |
2. Si
tu disais [dis Éd. de Parme] qu’exister dans ces creatures
visible a lieu d’une autre manière, car elle y existe comme dans un signe, il
faudrait dire au contraire que tout effet représentant une cause est un signe
par lequel on peut parvenir à sa cause. Mais toutes les créatures, en tant
qu’images ou vestiges, représentent Dieu lui-même comme cause. Donc, d’après
cette position la Personne divine serait envoyée visiblement dans toutes les
créatures, et il n’y aurait pas une autre manière pour la Personne divine d’être
présente dans ces créatures visibles, dans lesquelles on dit qu’elle est
envoyée, que celle que nous avons présentée avant. |
[1226] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ratio sacramenti est quod in ipso
sit Deus sicut in signo visibili. Si igitur propter hoc dicitur visibiliter mitti, quia
in rebus visibilibus est, sicut in signis ; tunc illae res essent sacramenta,
et in omnibus sacramentis esset missio visibilis. |
3. Par ailleurs, la
définition du sacrement est ce en quoi Dieu existe comme dans un signe
visible. Si donc on dit que la Personne divine est envoyée visiblement pour
cette raison qu’elle est dans les choses visibles comme dans des signes,
alors ces choses seraient des sacrements et il y aurait mission visible dans
tous les sacrements. |
[1227] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in Littera, quod ex hoc
Spiritus sanctus visibiliter mitti dicitur, quod facta est quaedam species
creaturae ex tempore, in qua visibiliter ostenderetur. Sed in apparitionibus
veteris testamenti in visibilibus creaturis ostendebantur divinae personae,
sicut ipsi Abrahae, Genes. 18. Ergo secundum hoc videtur quod missio
visibilis non sit aliud quam apparitio. |
4. En outre, Augustin dit
dans la Lettre, qu’on dit que l’Esprit-Saint est envoyé visiblement du fait
qu’une certaine espèce de créature est produite dans le temps, dans laquelle
il serait manifesté visiblement. Mais dans les apparitions de l’ancien
testament les Personnes divines étaient manifestées dans des créatures
visibles, comme ce fut le cas pour Abraham (Genèse 18). Donc, suivant cela,
il semble que la mission visible ne soit rien d’autre qu’une apparition. |
[1228] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 5 Si dicatur, quod missio visibilis ostendit missionem invisibilem,
quod non facit apparitio ; contra, per missionem invisibilem
efficitur aliquis dignus Dei amore: Sed nemo scit utrum amore vel
odio dignus sit, Eccle. 9, 1, nec videtur hoc utile scire,
quia alias non esset ita homini occultatum. Ergo videtur quod nulla visibilis
apparitio fiat ad missionis interioris manifestationem. |
5. Si on dit que
la mission visible manifeste la mission invisible, ce que ne fait pas une
apparition, il faut dire par contre que par la mission invisible quelqu’un
est rendu digne de l’amour de Dieu : Mais personne ne sait s’il
est digne d’amour ou de haine (Ecclés. 9, 1) et il ne semble pas
utile de savoir cela car autrement cela ne serait pas ainsi caché à l’homme.
Il semble donc qu’aucune apparition visible ne se produit pour manifester la
mission intérieure. |
[1229] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 6 Praeterea, nihil potest manifestari per aliquid, nisi sufficienter
illud ducat in ipsum. Sed nulla creatura visibilis ducit sufficienter in
cognitionem gratiae invisibilis. Ergo videtur quod invisibilis missio per
visibiles species non manifestetur. |
6. Par ailleurs, aucune chose
ne peut être manifestée par une autre à moins que cette dernière ne conduise
suffisamment à elle. Mais aucune créature visible ne conduit suffisamment à
la connaissance de la grâce invisible. Il semble donc que la mission
invisible n’est pas manifestée par des espèces visibles. |
[1230] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut processio
temporalis non est alia quam processio aeterna essentialiter, sed addit
aliquem respectum ad effectum temporalem ; ita etiam missio visibilis non est
alia essentialiter ab invisibili missione Spiritus sancti, sed addit solam
rationem manifestationis per visibile signum. Ad rationem ergo visibilis
missionis Spiritus sancti tria concurrunt, scilicet quod missus sit ab aliquo
; et quod sit in alio secundum aliquem specialem modum, et quod utrumque
istorum per aliquod visibile signum ostendatur, ratione cujus tota missio
visibilis dicitur. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que tout comme la procession temporelle ne diffère
pas essentiellement de la procession éternelle mais ajoute seulement un
rapport à un effet temporal, de même encore la mission visible ne diffère pas
essentiellement de la mission invisible de l’Esprit-Saint mais ajoute
seulement l’idée de manifestation au moyen d’un signe visible. Il y
a donc trois choses qui contribuent à définir la mission visible de
l’Esprit-Saint, à savoir qu’il soit envoyé par une autre Personne, qu’il soit
dans une creature d’après une modalité spéciale, et que chacun des deux soit
manifesté par un signe visible, en raison de quoi on dit qu’il y a mission
visible. |
[1231] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa visibilis
creatura, secundum quam missio dicitur visibilis, aliter se habet in missione
visibili Filii, et in missione visibili Spiritus sancti. Quia in missione
Filii se habet non solum ut per quod vel in quo ostenditur missio, sed etiam
ut ad quod fit missio ; quia naturam humanam visibilem assumpsit in unitatem
personae ; secundum quam assumptionem visibiliter in carnem mitti dicitur. Et
ideo in ipsa natura visibili quodam novo modo per carnem existit, scilicet
per unionem non tantum in anima, sed etiam in corpore. At in missione
visibili Spiritus sancti illa creatura visibilis non se habet ut ad quod fit
missio ; sed solum ut ostendens missionem invisibilem factam in aliquem ; et
ideo non oportet quod in illa creatura visibili sit novo modo nisi sicut in
signo ; sed est novo modo in eo ad quem fit missio. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que cette créature visible d’après laquelle on
parle de mission visible, se présente autrement dans la mission visible du
Fils et dans la mission visible de l’Esprit-Saint. Car dans la mission du
Fils elle se présente non seulement comme ce par quoi ou en quoi la mission
est manifestée, mais aussi comme le terme vers lequel il y a mission; car il
a choisi la nature humaine visible dans l’unité de la Personne; et c’est
d’après ce choix qu’on dit qu’il a été envoyé visiblement dans la chair. Et
c’est pourquoi il existe dans la nature visible elle-même d’une manière
nouvelle par la chair, c’est-à-dire par une union non seulement à une âme,
mais aussi à un corps. Et dans la mission visible de l’Esprit-Saint cette
créature visible ne se présente pas comme le terme auquel est ordonnée la
mission mais seulement comme manifestant la mission invisible réalisée dans
un être; et c’est pourquoi il ne faut pas que la Personne
existe dans cette créature visible selon un nouveau
mode mais qu’elle y existe comme dans un signe; mais elle existe d’une
nouvelle manière dans celui qui est le terme de la mission. |
[1232] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnis creatura
significet Deum esse et bonitatem ipsius ; non tamen significat ipsum esse
per gratiam in aliquo nisi ad hoc specialiter instituatur, sicut illae
creaturae visibiles ad hoc specialiter factae sunt, ut in eis praesentia Spiritus
sancti insinuetur. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que bien que toute créature est le signe de
l’existence de Dieu et de sa bonté, cependant toute créature ne signifie pas
son existence par la grâce dans un être, à moins d’avoir été instituée spécialement
à cette fin comme ces créatures visible qui ont été faites spécialement à
cette fin de telle manière que la présence de l’Esprit-Saint s’introduise en
elles. |
[1233] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per sacramenta
significatur praesentia divinae inhabitationis, sicut in signis institutis,
non ad tempus, sed semper. Sed illae creaturae visibiles non fuerunt
institutae ut significarent gratiam divinae inhabitationis semper, sed solum
in illo tempore determinato ; et ideo non est simile. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la présence de la divine habitation est
signifiée par les sacrements comme dans des signes institués, non pas par
rapport à un temps déterminé, mais toujours. Mais ces créatures visibles ne
furent pas instituées pour signifier la grâce de l’habitation divine
toujours, mais seulement dans tel temps déterminé; et c’est pourquoi on ne
parle pas ici de la même chose. |
Vel aliter dicendum,
et melius, quod sacramenta veteris legis significabant quidem gratiam
affuturam, sed non praesentem, eo quod in eis gratia non conferebatur.
Sacramenta vero novae legis non tantum sunt signa, sed etiam causae
quodammodo ; et ideo non significant gratiam ut jam habitam, sed ut per
sacramenta inducendam. Sed
illae species sunt tantum signa praesentis gratiae et non causae, sicut patet
quod circa Christum, ad quem visibilis missio facta est, nihil gratiae
invisibilis effectum est. Unde etiam omnes ad quos missio visibilis facta
est, gratiam habent ; non autem omnes quibus sacramenta conferuntur, gratiam
suscipiunt, quia causalitas sacramentorum impeditur: significant enim
gratiam, non ut existentem, sed ut causandam quodammodo per ipsa. |
Ou bien encore il faut dire
autrement, et même mieux, que les sacrements de l’ancienne alliance
signifiaient certes une grâce à venir mais non présente, du fait qu’en eux la
grâce n’était pas conférée. Mais les sacrements de la nouvelle loi ne sont
pas seulement des signes, mais ils sont aussi des causes en quelque
sorte ; et c’est pourquoi ils ne signifient pas la grâce en tant qu’elle
serait déjà possédée, mais comme introduite par les sacrements. Mais ces
formes ou ces espèces sont seulement des signges d’une grâce présente et non
pas des causes de la grâce, ainsi qu’on le voit par rapport au Christ, pour
lequel ne mission visible a été faite, rien d’une grâce invisible n’a été
fait. C’est pourquoi encore tous ceux à qui une mission visible a été faite
possèdent la grâce ; cependant ce ne sont pas tous ceux à qui les
sacrements sont conférés qui reçoivent la grâce car la causalité des
sacrements est empêchée : en effet, ils signifient la grâce non pas
comme existante, mais comme devant être causée d’une certaine manière par
eux. |
[1234] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod missio visibilis includit in se apparitionem,
et super hoc aliquid addit, scilicet rationem missionis ; quae in duobus
consistit, ut dictum est, in corp. art. Unde de ratione apparitionis non est
nisi quod aliquod divinum in signo visibili manifestetur, non autem quod
manifestetur origo unius personae ab alia, nec inhabitatio secundum specialem
modum essendi in eo cui fit apparitio, vel in aliquo alio, sicut patet in
apparitione facta Abrahae ; quamvis enim apparuerint tres ad manifestandum
numerum personarum, tamen ordo unius personae, secundum quem est ab alio, in
illo signo visibili non manifestabatur ; et inde est quod apparitio potest
Patri convenire, non autem missio visibilis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la mission visible comprend en elle une apparition et elle ajoute à
cela quelque chose de plus, à savoir la notion de mission ; laquelle
consiste en deux points ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. C’est pourquoi dans la notion d’apparition il n’y a rien d’autre
que quelque chose de divin qui est manifesté dans un signe sensible, et non
pas la manifestation de l’origine d’une personne par rapport à une autre, ni
l’habitation d’après un mode spécial d’existence dans celui à qui se présente
l’apparition ou dans un autre, ainsi qu’on le voit dans l’apparition faite à
Abraham ; en effet, bien qu’il y eut trois hommes qui lui apparurent
pour manifester le nombre des Personnes, cependant l’ordre d’une Personne,
d’après lequel elle vient d’une autre, cela n’est pas manifesté dans ce signe
visible ; d’où l’apparition peut convenir au Père mais non pas la
mission visible. |
[1235] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullus per se potest scire utrum dignus sit
odio vel amore ; sed potest sibi divinitus propter aliquam utilitatem
manifestari ; et non solum sibi, sed aliis etiam ; [quia add. Éd. de
Parme] quod est uni utile, non est utile omnibus. Unde non oportet quod
si uni reveletur, quod omnibus. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que personne ne peut par lui-même savoir s’il est digne d’amour ou de
haine ; mais quelque chose de divin peut lui être manifesté pour une
certaine utilité ; et non seulement à lui mais aussi aux autres ;
[parce que add. Éd. de Parme] ce qui est utile à l’un n’est pas
utile à tous. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que ce qui est révélé à
l’un soit révélé à tous. |
[1236] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis una creatura visibilis non sufficiat ad
hoc quod ducat in cognitionem invisibilis missionis, tamen ex sua novitate
excitat videntes in admirationem et inquisitionem, et tunc inquirentibus per
gratiam invisibilem et per doctrinam praedicatoris exterius potest missio
invisibilis designata edoceri. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que bien qu’une créature visible ne suffise pas à conduire à la
connaissance d’une mission invisible, cependant de par sa nouveauté elle
pousse à l’admiration et à la recherche ceux qui la voient, et alors , à ceux
qui recherchent, la mission invisible désignée peut être enseignée par une
grâce invisible et par la doctrine du prédicateur extérieur. |
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Articulus 2 [1237] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 2 tit. Utrum missio visibilis debuerit fieri ad patres veteris
testamenti |
Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour les Pères de l’ancien Testament ? |
[1238] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur etiam quod
ad patres veteris testamenti missio visibilis fieri debuerit. Missio enim
visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad patres veteris testamenti
facta est missio invisibilis, ut supra dictum est, distinct. 15, qu. 5, art.
2. Ergo videtur quod etiam visibilis fieri debuerit. |
Difficultés : 1. Il semble encore que la
mission visible aurait dû exister pour les Pères de l’ancien testament. En
effet, la mission visible est le signe de la mission invisible. Mais la
mission invisible a été faite aux Pères de l’ancien testament, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 5, art. 2]. Il semble donc que la
mission visible aurait dû leur être faite. |
[1239] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, constat quod gratia novi testamenti est gratia
plenitudinis, inquantum de plenitudine Christi omnes accepimus. Si igitur ad
illos de primitiva Ecclesia propter gratiae plenitudinem missio Spiritus
sancti fiebat, videtur quod etiam ad omnes fideles fieri debuerit. |
2. Par ailleurs, il est clair
que la grâce du nouveau testament est la grâce de la plénitude selon que nous
recevons tous de la plénitude du Christ. Si donc la mission de l’Esprit-Saint
existait pour ceux de l’église primitive à cause de la plénitude de la grâce,
il semble qu’elle aurait dû exister aussi pour tous les fidèles |
[1240] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, per visibiles missiones et visibilia signa, apostoli
notitiam fidei in multos diffuderunt, sicut dicitur Marci ult.: Illi
autem profecti, praedicaverunt ubique, domino cooperante, et sermonem
confirmante sequentibus signis. Sed sicut illi tenebantur ad
praedicationem fidei, ita etiam et praelati nostri temporis. Ergo videtur
quod ad eos etiam missio visibilis fieri debeat. |
3. En outre, par les missions
visibles et les signes visibles, les apôtres ont répandu en plusieurs la
connaissance de la foi, ainsi que le dit Marc à la fin de son
évangile : Pour eux, ils s’en allèrent prêcher en tout lieu, le
Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui
l’accompagnaient. Mais tout comme ceux-là étaient tenus à la prédication
de la foi, de même aussi les prélats de notre temps le sont. Il semble donc
que la mission visible doive aussi exister pour eux. |
[1241] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, constat quod beata virgo plenissimam gratiam habuit inter
omnes puras creaturas. Si igitur missio visibilis fit ad ostendendum
plenitudinem gratiae inhabitantis, videtur quod ad ipsam fieri debuerit
missio specialis. |
4. De plus, il est clair que
la bienheureuse vierge parmi toutes les créatures pures a possédé
la grâce la plus complète. Si donc la mission visible existe pour manifester
la plénitude de la grâce qui habite, il semble qu’une mission spéciale aurait
dû exister pour elle. |
[1242] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 5 E contrario videtur quod ad Christum non debuit fieri missio. Missio
enim visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad Christum nulla missio
invisibilis Spiritus sancti facta est, nisi forte in principio suae
conceptionis. Ergo videtur quod postmodum nulla missio visibilis ad eum fieri
debuerit. |
5. Il semble au
contraire qu’une mission n’a pas dû exister pour le Christ. La mission
visible en effet est le signe de la mission invisible. Mais il semble
qu’aucune mission invisible de l’Esprit-Saint n’a été faite pour le Christ,
excepté peut-être au début de sa conception. Il semble donc que par la suite
aucune mission visible n’a dû exister pour Lui. |
[1243] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut in missione
invisibili Spiritus sancti ex plenitudine divini amoris redundat gratia in
mentem, et per illum effectum gratiae accipitur cognitio illius personae
divinae experimentalis ab ipso cui fit missio, ita in missione visibili
attenditur alius gradus redundantiae, inquantum scilicet gratia interior
propter sui plenitudinem quodammodo redundat in visibilem ostensionem, per
quam manifestatur inhabitatio divinae personae, non tantum ei cui fit missio,
sed etiam aliis. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que tout comme dans la mission invisible de
l’Esprit-Saint la grâce abonde dans l’esprit de par la plenitude de l’amour
divin, et que par cet effet de la grâce est recue une connaissance
expérimentale de cette personne divine par celui à qui s’adresse la mission,
de même dans la mission visible on considère un autre degré de débordement,
c’est-à-dire dans la mesure où la grâce intérieure, en raison de sa
plénitude, déborde d’une certaine manière, dans une manifestation visible par
laquelle est manifestée l’habitation de la divine personne, non seulement sur
celui à qui s’adresse la mission mais aussi sur les autres. |
Unde oportet quod ad
missionem visibilem duo concurrant, scilicet quod sit gratiae plenitudo in
illis ad quos fit missio, et ulterius quod plenitudo ordinetur ad alios, ut
per aliquem modum gratia abundans redundet in eos: propter quod manifestatio
gratiae interioris non tantum habenti, sed etiam aliis fit. Et ideo Christo primo, et postmodum
apostolis missio, visibilis scilicet, facta est, quia per eos plures gratia
diffusa est, secundum quod per eos Ecclesia plantata est. |
C’est pourquoi deux choses
sont requises à la mission visible, à savoir qu’il y ait plénitude de grâce
chez ceux à qui s’adresse la mission, et par la suite que cette plénitude
soit ordonnée aux autres, afin que la grâce d’une certaine manière déborde
sur eux : c’est pour cette raison que la manifestation de la grâce
intérieure a lieu non seulement chez celui qui la possède, mais aussi chez
les autres. Et c’est pourquoi la mission, c’est-à-dire celle qui est visible,
a d’abord eu lieu dans le Christ et par la suite dans les apôtres car c’est à
travers leur grand nombre que la grâce s’est répandue de telle manière que
c’est à travers eux que l’Église a été implantée. |
[1244] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis aliqui patres veteris testamenti
gratiam plenissimam acceperint personalem, tamen quia nondum erat tempus
gratiae, propter impedimentum originalis peccati, a quo nondum morte Christi
natura humana remedium acceperat, ideo non debuit significari plenitudo
gratiae ut praesens, sed tantum ut futura in apparitionibus et legalibus
sacramentis. Vel ex alia parte non erat tunc tempus spiritualis
propagationis, per quam spirituali modo diversae gentes in Dei cognitione
regenerantur, sed carnali propagatione cultus divinus a patribus in filios
procedebat: et ideo non debuit significari gratia per missionem visibilem,
quae significat gratiam tendentem in alios. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que bien que certains Pères de l’ancien testament ont reçu la grâce
personnelle la plus abondante, cependant parce que le temps de la grâce
n’était pas encore arrivé, à cause de l’empêchement du péché originel pour
lequel la nature humaine n’avait pas encore reçu la guérison par la mort du
Christ, c’est pourquoi la plénitude de la grâce n’a pas dû être signifiée
dans les apparitions et dans les sacrements légaux comme étant présente, mais
seulement comme étant à venir. Ou bien d’un autre côté ce n’était pas encore
le temps de la propagation spirituelle par laquelle différentes nations
seraient regénérées dans la connaissance de Dieu d’une manière spirituelle,
mais celui où le culte divin passait des pères aux fils par une propagation
charnelle ; et c’est pourquoi la grâce n’a pas dû être signifiée par une
mission visible qui signifie la grâce qui tend vers les autres. |
[1245] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod fideles primitivae Ecclesiae erant quasi
semen quoddam spirituale per quos debuit pullulare fides in omnibus gentibus
; et ideo ad eos visibilis missio facta est, ad ostendendum quod per eos
plantanda erat Ecclesia in cognitione Dei per universum mundum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les fidèles de l’Église primitive était comme une certaine semence
spirituelle et c’est grâce à eux que la foi a dû se multiplier chez tous les
peuples ; et c’est pourquoi la mission visible s’est adressée à eux,
pour montrer que l’Église devait être implantée par eux dans la
totalité du monde pour la connaissance de Dieu. |
[1246] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplici ratione non oportet modo fieri
missionem visibilem, sicut tunc: primo quia iste est naturalis ordo quod ex
visibilibus in invisibilia veniatur. Unde primis tamquam adhuc rudibus in Dei
cognitione signa visibilia ostendebantur ; sed jam modo innotescente et
publicata fide, sufficit cognitio in invisibilibus signis, quae sunt dona
gratiarum mentibus infusa. Videmus enim aliquid proficere novae plantulae,
quod postmodum sibi non adhibetur, quando ad perfectum venit. Alia ratio est, quia signa illa et visibiles
missiones fuerunt quasi argumentum confirmans fidei veritatem. Illius autem
cujus probatio semel perfecta est, non oportet probationem iterari ; sed ex
suppositione prioris probationis procedere. Ita etiam non oportet quod per
nova signa modo fides probetur, sed per ea quae tunc facta sunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que pour deux raisons il ne faut pas que la mission visible ait lieu
comme alors : Premièrement parce que
l’ordre qui consiste à aller du visible à l’invisible est un ordre naturel.
C’est pourquoi aux membres de l’Église primitive qui étaient encore ignorants
de la connaissance de Dieu de nombreux signes visibles étaient
manifestés ; mais la foi étant annoncée et s’étant déjà fait connaître,
la connaissance des signes invisibles suffit, lesquels sont les dons des
grâces répandus dans les esprits. Nous voyons en effet qu’une plante
progresse d’une nouvelle bouture qui par la suite ne lui est pas jointe quand
elle est parvenue à sa perfection. L’autre raison est que ces
signes et les missions visibles furent comme des signes pour confirmer la
vérité de la foi. Mais pour les choses dont la preuve est parfaite une fois
pour toutes, la preuve n’a pas besoin d’être renouvelée, mais il faut aller
de l’avant en s’appuyant sur ce qui a été prouvé antérieurement. Ainsi encore
il n’est pas nécessaire que la foi soit prouvée en procédant par de nouveaux
signes, mais par les choses qui ont déjà été réalisées. |
[]1247] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod inter alios qui fuerunt de primitiva Ecclesia,
in die Pentecostes etiam beatae virgini visibilis missio Spiritus sancti
facta est. Sed quamvis singularem plenitudinem gratiae consecuta sit, tamen
non fuit ad ipsam facta missio visibilis specialis: quia non ordinabatur
gratia sua ad plantationem Ecclesiae per modum doctrinae et administrationis
sacramentorum, sicut per apostolos factum est. Unde apostolus dicit 1 ad
Timoth. 2, 12: Mulierem in Ecclesia loqui non permitto. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que parmi ceux qui furent membres de la primitive
Église, la mission de l’Esprit-Saint au jour de la Pentecôte a eu lieu aussi
pour la bienheureuse vierge. Mais bien qu’elle parvint à une plénitude
exceptionnelle de la grâce, cependant la mission visible spéciale n’a pas eu
lieu pour elle: car sa grâce n’était pas ordonnée à l’implantation de
l’Église par mode d’enseignement et d’administration des sacrements comme ce
fut le cas pour les apôtres. C’est pourquoi l’Apôtre dit [1Tm. 2, 12]: Je
ne permets pas à la femme d’enseigner dans l’Église. |
[1248] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum, quod missio visibilis ostendit missionem
invisibilem non semper tunc fieri, sed sufficit si etiam prius facta
fuerit. Quare autem tunc missio visibilis ad Christum facta sit, dicetur
infra, art. seq. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la mission visible ne manifeste pas toujours la mission invisible en
devenir, mais il suffit même qu’elle ait déjà eu lieu antérieurement. Mais
pourquoi alors la mission visible a eu lieu pour le Christ, on le dira plus
loin dans l’article suivant. |
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Articulus 3 [1249] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 3 tit. Utrum missio visibilis fiat tantum in specie corporali |
Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement dans une forme corporelle ? |
[1250] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio
visibilis non solum fiat in specie corporali. Est enim triplex missionis
genus, scilicet corporalis, imaginaria et intellectualis, ut dicitur in
Glossa Isidori. Per quamlibet autem harum potest fieri divinorum
manifestatio. Ergo videtur quod sicut est missio aliqua quae fit secundum
visionem intellectualem, scilicet per gratiam invisibilem, et aliqua quae fit
secundum corporalem, scilicet secundum species corporales ; ita etiam sit
aliqua secundum visionem imaginariam per species imaginarias. |
Difficultés: 1. Il
semble que la mission visible n’ait pas lieu seulement dans une espèce corporelle.
Il y a en effet trois genres de missions, à savoir corporelle, imaginaire et
intellectuelle, ainsi qu’on le dit dans la glose d’Isidore. Et Dieu peut se
manifester dans n’importe laquelle de ces missions. Il semble donc que tout
comme il y a une mission qui a lieu d’après une vision intellectuelle,
c’est-à-dire au moyen d’une grâce invisible, et une autre qui a lieu d’après
une vision corporelle, c’est-à-dire d’après des espèces corporelles, de même
encore il y a une mission qui a lieu d’après une vision imaginaire au moyen
d’espèces imaginaires. |
[1251] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid nobilius est, tanto
nobiliores proprietates habet. Sed nobilioribus proprietatibus creatura
nobilior divinam bonitatem repraesentat. Ergo cum missio visibilis sit ad
manifestandum divinas personas, videtur quod semper per creaturas
nobilissimas fieri debet, ut per stellam vel aliquid hujusmodi, et non per
columbam vel ignem. |
2.
Par ailleurs, un être possède des propriétés d’autant plus nobles que sa
nature est plus noble. Mais c’est par ses propriétés plus nobles qu’une
créature noble représente la bonté divine. Donc, puisque la mission visible a
lieu pour manifester les Personnes divines, il semble qu’elle doive toujours
avoir lieu au moyen des créatures les plus nobles, par exemple au moyen des
étoiles ou de quelque chose du genre, et non pas au moyen d’une colombe ou du
feu. |
[1252] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, Spiritum veritatis non decet aliqua fictio. Sed Spiritus
sanctus est Spiritus veritatis, ut dicitur Joan. 15. Ergo non decet quod per
aliquas species, quibus non subsit rei veritas, appareat ; et ita videtur
quod columba illa, in qua apparuit, verum animal fuerit, et linguae et ignis,
verae linguae et verus ignis. Quod non videtur ; quia non comburebat ignis,
et columba, peracto illo officio, reversa est in pristinam materiam, ut
sancti dicunt. Et praeterea si essent verae res, non ducerent in aliud. |
3. De plus, une fiction ne
convient pas à l’Esprit de vérité. Mais l’Esprit-Saint est l’Esprit de
vérité, comme on le dit dans l’Évangile de Jean au chapître 15. Il ne
convient donc pas qu’Il apparaisse au moyen de certaines espèces par
lesquelles la vérité de la chose ne subsiste pas ; et ainsi il semble
que cette colombe, dans laquelle Il apparut, devait être un véritable animal,
et les langues et le feu, de véritables langues et du véritable feu. Mais il
semble que ce ne fut pas le cas car le feu ne brûlait pas et la colombe,
ayant rempli sa fonction, retourna à sa matière primitive ainsi que le disent
les saints. Et par ailleurs si elles étaient de véritables choses, elles ne
conduiraient pas à autre chose. |
[1253] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus unus est, ut dicitur 1 Corinth. 12,
13: Uno spiritu potati sumus. Sed signum debet respondere
signato. Ergo videtur quod in uno tantum signo Spiritus sanctus apparere
debuerit. |
4. En outre, l’Esprit-Saint
est un, comme le dit l’Apôtre [1 Co. 12, 13] : C’est par un seul
Esprit que nous avons tous été abreuvés. Mais le signe doit correspondre
au signifié. Il semble donc que c’est dans un seul signe que
l’Esprit-Saint aurait dû apparaître. |
[1254] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, sicut Spiritus sanctus invisibiliter mittitur in mentem,
ita et Filius ; et per utramque missionem ordinatur aliquis ad plantationem
Ecclesiae. Cum igitur missio visibilis ad hoc ostendendum facta sit, videtur
quod sicut Spiritus sanctus visibilibus signis ad aliquos missus est, ita et Filius
etiam sine hoc quod carnem assumpsit. |
5. Aussi, le Fils, tout comme
l’Esprit-Saint, est envoyé invisiblement dans l’Esprit ; et chacun est
ordonné à l’implantation de l’Église par ces deux missions. Donc, puisque la
mission visible a été faite pour manifester ces deux missions invisibles, il
semble que tout comme l’Esprit-Saint a été envoyé vers certains par des
signes visibles, de même le Fils devait l’être sans même devoir prendre
chair. |
[1255] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art.
anteced., missio visibilis fit ad significandum plenitudinem gratiae
redundantis in multos ; propter quod manifestatio talis aliis etiam fit.
Redundat autem gratia dupliciter, scilicet per instructionem, et per operationem,
secundum quod se habet aliquo modo ille in quo est gratiae plenitudo,
efficienter ad gratiam. Uterque autem modus redundantiae fuit in Christo.
Ipse enim per doctrinam suam nos in Dei cognitionem adduxit, ut dicitur Joan.
1, 18: Unigenitus, qui est in sinu Patris, ipse enarravit. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que, ainsi que nous l’avons déjà dit dans l’article
précédent, que la mission visible a lieu pour manifester la plenitude de la
grâce qui déborde sur plusieurs; et c’est pourquoi une telle manifestation a
lieu aussi pour les autres. Mais la grâce rejaillit de deux manières,
c’est-à-dire par l’instruction et par l’opération selon lesquelles celui dans
qui se trouve la plénitude de la grâce se présente en un sens d’une manière
efficace à l’égard de la grâce. Mais ces deux modalités de débordement furent
dans le Christ. En effet, de par son enseignement, Il nous conduisit à la
connaissance de Dieu ainsi qu’Il le dit Lui-même [Jean, 1, 18]: Le
Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître. |
Ipse etiam gratiam dedit, inquantum Deus,
effective, et inquantum homo, per modum meriti. Unde ad significandum
redundantiam gratiae ipsius in nos per modum operationis, facta est missio
visibilis ad ipsum in Baptismo: quia tunc ipse nihil accipiens a Baptismo,
tactu suae mundissimae carnis vitam regenerativam [regenerantem Éd.
de Parme] contulit aquis, efficienter ut Deus, et meritorie ut homo. |
Lui-même nous donna aussi la
grâce, d’une manière efficace en tant que Dieu et par son mérite en tant
qu’homme. C’est pourquoi, pour signifier le débordement de sa grâce en nous
par mode d’opération, il y a eu la mission visible à son égard lors de son
Baptême : car alors lui-même ne recevant rien du Baptême, il apporta aux
eaux, efficacement en tant que Dieu et d’une façon méritoire en tant
qu’homme, une vie regénérative [qui regénère Éd. de Parme] par le
seul toucher de sa chair la plus pure. |
Et ideo in specie
columbae facta est ad eum missio Spiritus sancti, ad significandum fecunditatem
spiritualem: quia columba animal fecundissimum est. Propter quod etiam Pater
apparuit in sono vocis naturalem filiationem ipsius protestans, dicens Matth.
17, 5: Hic est filius meus dilectus. Ad cujus filiationis
similitudinem per baptismalem gratiam in filios adoptionis regeneramur, ut
dicitur Roman. 8,
29: Quos praescivit, eos et praedestinavit conformes fieri imagini
Filii ejus. Ad insinuandum vero redundantiam gratiae ex ipso in alios per
modum doctrinae, apparuit Spiritus super ipsum in nube lucida, cujus est
lumen spargere. Job 37, 2: Nubes spargunt lumen suum. |
Et c’est pourquoi il y a eu
mission de l’Esprit-Saint à son égard sous la forme d’une colombe, pour
signifier sa fécondité spirituelle : car la colombe est l’animal le plus
fécond. Et c’est pour cette raison aussi que le Père apparut dans un son de
voix témoignant avec force de la filiation naturelle de celui-ci, en disant
[Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon fils bien-aimé. Et c’est à la
ressemblance de cette filiation que nous sommes regénérés par la grâce
baptismale en des fils d’adoption comme le dit l’Apôtre [Rm. 8, 29] :
Ceux qu’il a d’avance discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire
l’image de son Fils. Mais pour faire connaître le débordement de la grâce de
Lui aux autres par mode d’enseignement, l’Esprit-Saint apparut sur Lui dans
un nuage lumineux auquel il appartient de répandre la lumière ainsi qu’il est
dit [Job 37, 2] : Les nuages répandent sa lumière. |
In quo signatur
effusio doctrinae per praedicationem, secundum Gregorium, lib. XXVII Moral., cap.
XXXI, col. 132. Et hoc in transfiguratione, ut dicitur Matth. 17, secundum
Glossam Augustini, Annotationes in Job, c. XXXVII, col. 868
et Bernardi. Et ideo cum
vox Patris tunc super ipsum intonuit: Hic est Filius meus dilectus,
additum est, ipsum audite. Unde patet quod non oportet fieri
visibilem missionem ad Christum a principio conceptionis suae ; sed tunc
quando incepit ejus gratia in alios redundare. Similiter etiam apostolis bis
facta est visibilis missio Spiritus sancti. |
Et c’est en cela qu’est
signifiée l’effusion de la doctrine par la prédication selon Saint-Grégoire
[XXVII, Moral. ch. XXXI, col. 132]. Et cela est manifesté dans la
transfiguratin comme il est dit dans Matthieu au chapître 17, conformément à
la glose d’Augustin [Annotations sur Job, ch. XXXVII, col. 868] et de
Bernard. Et c’est pourquoi lorsque la voix du Père retentit alors sur
lui : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, elle
ajouta : écoutez-le. C’est pourquoi il est clair qu’il ne
fallait pas qu’il y ait une mission visible à l’égard du Christ au début de
sa conception, mais seulement alors que sa grâce commença à déborder sur les
autres. De la même manière encore la mission visible de l’Esprit-Saint fut
faite deux fois sur les apôtres. |
Primo ad insinuandum redundantiam gratiae ex
ipsis per modum operationis, in administrationem sacramentorum, in specie
flatus, ut legitur Joan. 20: unde et ibi dicitur, 23: Quorum
remiseritis peccata, remittuntur eis ; et quorum retinueritis, retenta sunt ;
ut ostenderetur quia talis auctoritas non devenit in eos nisi ex influxu
capitis, scilicet Christi. In Christum autem devenit immediate ab ipso Patre ;
et propter hoc in ipso significabatur haec auctoritas per volatum columbae
desuper advenientis ; in apostolis autem per speciem flatus a Christo
procedentis. |
Premièrement
pour faire connaître le débordement de la grâce à partir d’eux par mode
d’opération, dans l’administration des sacrements, sous la forme d’un souffle
comme le dit Jean (20, 23): Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus;
pour que soit manifesté qu’une telle autorité ne leur venait que par
l’influence de la tête, c’est-à-dire du Christ. Mais le Christ tenait cette
autorité immédiatement du Père lui-même; et c’est pour cette raison que cette
autorité était signifiée en Lui par le vol d’une colombe venant
d’en haut, et chez les apôtres sous la forme d’un souffle venant du Christ. |
Secundo facta est ad
eos missio visibilis, ad insinuandum redundantiam per modum doctrinae ; et
hoc in die Pentecostes, ut legitur actuum 2. Et ideo apparuit super eos in linguis igneis: Verbis
ut essent proflui, et caritate fervidi zelantes proximorum salutem. |
Deuxièmement la mission
visible de l’Esprit-Saint a eu lieu sur les apôtres pour faire connaître le
débordement par mode d’enseignement ; et cela au jour de la Pentecôte
comme on le lit au chapître deux des Actes
. Et c’est pourquoi l’Esprit apparut sur eux comme des langues de
feu : pour qu’ils soient inondés de paroles et brûlants d’amour,
zélés pour le salut de leurs prochains. |
[1256] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod visio imaginaria dicitur proprie
revelatio et non apparitio vel missio, et hujusmodi visiones prophetis saepe
factae sunt. In missione enim visibili ostenditur praesentia gratiae
inhabitantis. Species autem quae est in imaginatione, non est necessario rei
praesentis, sicut species quae est in sensu ; et ideo per corporales species
exteriori visioni subjectas, magis debet manifestari interior missio, quam
per imaginarias. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’une vision imaginaire s’appelle proprement révélation et non pas
apparition ou mission, et de telles visions prophétiques ont souvent eu lieu.
En effet, la présence de la grâce d’habitation est manifestée dans la mission
visible. Mais l’espèce qui est dans l’imaginatio n’est pas nécessairement
celle de la chose présente comme c’est le cas pour l’espèce qui est dans le
sens ; et c’est pourquoi la mission intérieure doit davantage être
manifestée par les espèces corporelles soumises à la vision extérieure que
par des espèces imaginaires. |
[1257] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in nobilioribus creaturis divinae
perfectionis similitudo, quo ad attributa essentialia, magis inveniatur
expressa ; tamen quo ad exitum unius personae ab alia, et quantum ad modum
processionis donorum a Deo, et effectus ipsorum, potest etiam in
ignobilioribus creaturis similitudo convenientior attendi, sicut fecunditas
in columba et locutio in lingua, et hoc oportuit per missionem visibilem
significari |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que la ressemblance de la perfection divine se retrouve plus
clairement dans les créatures plus nobles quant à ses attributs essentiels,
cependant, quant à la sortie d’une Personne d’une autre et quant au mode de
procession des dons de Dieu et des leurs effets, cette ressemblance peut
aussi se remarquer plus convenablement dans les créatures inférieures, comme
la fécondité pour la colombe et la parole pour la langue, et cela devait être
signifié par la mission visible. |
. Vel dicendum, secundum
Dionysium,II cap. Caelest hierarch, § 2, col. 138, quod
inferiores creaturae eo ipso quo magis distant a participatione divinarum
personarum, convenientius per ea divina manifestantur vel significantur ;
quia non potest ex hoc aliquis error provenire propter manifestam distantiam
eorum a divinis ; qui error posset contingere, si per nobiles creaturas divina
significarentur: de facili enim posset aliquis errare, credens aliquod numen
esse in stella, vel in aliqua nobiliori creatura. |
Ou bien il
faut dire, selon Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 2,
col. 138], que les créatures inférieures, par cela même qu’elles sont plus
éloignées d’une participation des Personnes divines, manifestent ou
signifient plus clairement les réalités divines; car à cause de la distance
manifeste qu’il y a entre elles et Dieu, aucune erreur ne peut provenir de
là, erreur qui pourrait se produire si les personnes divines étaient
signifiées par des créatures nobles: : alors en effet quelqu’un pourrait
facilement se tromper en croyant qu’il existe une divinité dans l’étoile ou
dans quelque noble créature. |
[1258] Super Sent., lib. 1
d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod columba illa non fuit verum et
naturale animal, sed tantum similitudo columbae visibiliter ostensa in aliqua
materia ad hoc praeparata. Unde etiam peracto officio in pristinam materiam
est reversa. Nec fuit ibi aliqua fictio, quia illa similitudo columbae non
ostendebatur ad manifestandum aliquam veritatem in ipsa columba, sed ad
manifestandas proprietates invisibilis missionis. Et ideo non fuit ibi falsitas signi, quia
signatum respondebat signo, et res similitudini ; sicut aliquis loquens per
metaphoricas locutiones, non mentitur: non enim intendit sua locutione ducere
in res quae per nomina significantur, sed magis in illas quarum illae res
significatae per nomina similitudinem habent: similiter de igne dicendum est
[dicendum est om. Éd. de Parme]. Sed natura visibilis in qua
Filius apparuit, assumebatur ad esse et non tantum ad signum ; et ideo
oportuit quod verum esse hominis haberet. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette colombe n’était pas un animal véritable et naturel, mais
seulement une similitude de la colombe manifestée visiblement dans une
matière préparée à cette fin. C’est pourquoi encore, une fois sa fonction
accomplie, elle retourna à sa matière originelle. Et il n’y eut pas là une
fiction, car cette similitude de la colombe n’était pas montrée pour
manifester une vérité dans la colombe elle-même, mais pour manifester les
propriétés de la mission invisible. Et c’est pourquoi il n’y eut pas là une
erreur de signe, car le signifié correspondait au signe, et la chose à la
similitude ; tout comme celui qui parle par locutions métaphoriques ne
ment pas : en effet, il ne cherche pas par son discours à conduire aux
choses qui sont signifiées par les noms, mais plutôt à celles avec lesquelles
ces choses signifiées par les noms ont une ressemblance : c’est de la
même manière qu’il faut parler [qu’il faut parler om. Éd. de Parme]
du feu. Mais la nature visible dans laquelle le Fils est apparu était assumée
pour l’existence et non seulement comme signe ; et c’est pourquoi il
fallait qu’il possède une véritable existence d’homme. |
[1259] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod species illae in quibus Spiritus sanctus
apparuit, significant effectus Spiritus sancti, secundum quos Spiritus
sanctus dicitur multiplex, quamvis substantialiter sit unus, ut dicitur Sap.
7. Et ideo secundum plures species apparuit et pluries. Sed quia natura
visibilis, in qua Filius apparuit, assumpta est ad esse unum in persona Filii
Dei ; sicut est unum esse personae, ita est una tantum talis missio. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ces espèces dans lesquelles l’Esprit-Saint est apparu signifient des
effets de l’Esprit-Saint d’après lesquelles on dit de l’Esprit-Sant qu’il est
multiple, bien qu’Il soit substantiellement un, comme on le dit au chapître 7
du livre de la Sagesse. Et c’est pourquoi Il est apparu sous plusieurs
espèces et en plusieurs occasions. Mais parce que la nature visible dans
laquelle le Fils est apparu a été prise en vue d’une existence unique dans la
Personne du Fils de Dieu, tout comme il n’y a qu’une seule existence de la
Personne, de même il n’y a qu’une seule mission de cette sorte. |
[1260] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3
ad 5 Ad ultimum dicendum, quod apparitio sub aliena specie, quae includitur
in missione visibili, non competit nisi ei quod non habet speciem per quam
corporaliter videri possit. Missio autem visibilis, ut dictum est, art.
anteced., non debuit esse ante tempus gratiae. Tempus autem gratiae incepit,
quando Filius Dei carnem assumpsit. Et quia inseparabiliter assumpsit, ideo
tempore quo convenit fieri visibilem missionem, semper habet speciem
visibilem propriam, in qua videri potest. Unde nunquam competit sibi missio
visibilis, nisi una quae est in natura assumpta [assumptam Éd. de
Parrme]. Quare autem Spiritus sanctus naturam non assumpserit in unitatem
personae, quaeretur in 3, distin. 1, quaest. 2, art. 3. |
5. Il faut dire en dernier
lieu qu’une apparition sous une forme étrangère, qui est comprise dans la
mission visible, n’appartient qu’à celui qui ne possède pas l’espèce par
laquelle il pourrait être vu corporellement. Mais la mission visible, ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent, ne devait pas exister avant le
temps de la grâce. Mais le temps de la grâce commença quand le Fils de Dieu
prit chair. Et parce qu’il la prit inséparablement, c’est pourquoi à l’époque
à laquelle il convient qu’il y ait mission visible, Il possède toujours la
forme visible propre dans laquelle il peut être vu. C’est pourquoi il ne lui
appartient jamais qu’une seule mission visible à savoir celle qui existe dans
la nature qui est prise [qu’il a prise Éd. de Parme]. Mais
pourquoi l’Esprit-Saint n’a pas pris une nature dans l’unité de la Personne,
on cherchera à le savoir dans le livre 3 [dist. 1, quest. 2, art. 3]. |
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Articulus 4 [1261] Super Sent., lib. 1 d. 16
q. 1 a. 4 tit. Utrum species missionis visibilis sint formatae ministerio Angelorum |
Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles formées par l’intervention des anges ? |
[1262] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod illae species visibiles,
ministerio Angelorum formatae non sint. Dicit enim Augustinus, III De
trinit., cap. quod sermones Dei in novo testamento non per Angelos,
sed per ipsum Deum facti sunt. Ergo illa locutio, sive ille sonus qui in novo
testamento factus est, Matth. 17, 5: Hic est Filius meus dilectus,
non est per Angelos formatus ; et eadem ratione nec alia quae ad missionem
pertinent visibilem. |
Difficultés : 1. Il semble que ces formes
visibles ne soient pas formées par le ministère des Anges. En
effet, Augustin [111 De la Trinité, ch. XI, &22,
co. 882, t. VIII] dit que les discours de Dieu dans le nouveau
testatement ne sont pas faits par les Anges mais par Dieu lui-même. Donc
cette parole ou ce son de voix qui a été fait dans le nouveau
testament [Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon Fils
bien-aimé, n’a pas été formé par les Anges ; et pour la même raison
il en est de même pour les autres paroles qui se rapportent à la mission
visible. |
[1263] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, corpori quod per Angelum formatur,
unitur Angelus, sicut motor mobili. Si igitur illae species per Angelos
formatae sunt, tunc sunt corpora assumpta ab Angelis. Ergo in eis non dicetur
mitti divina persona, sed Angelus. |
2.
Par ailleurs, l’Ange est uni, comme le moteur au mobile, au corps qui est
formé par l’Ange. Si donc ces formes sont formées par les Anges, alors elles
sont des corps pris par les Anges. On ne dira donc pas que dans ces formes
c’est la Personne divine qui est envoyée, mais l’Ange. |
[1264] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, sicut visibilis missio Filii facta est
per corpus assumptum, ita missio visibilis Spiritus sancti per hujusmodi
species. Sed corpus Christi assumptum, Angeli nullo modo formaverunt. Ergo nec
species illas visibiles. |
3. En
outre, tout comme la mission visible du Fils a été faite par la prise d’un
corps, de même le mission visible de l’Esprit-Saint a été faite par des
formes de cette sorte. Mais les Anges n’ont en aucune manière formé le corps
pris par le Christ. Ils n’ont donc pas formé non plus ces formes visibles. |
[1265] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
arg. 4 Contra, Gregorius XXVIII Moral., c. 1, § 4 col. 449,
loquens de illa voce, qua Pater respondit Filio: Et clarificavi, et
clarificabo, Joan. 12, 28, ita dicit: « Nimirum de caelestibus
loquens verba sua, quae ab hominibus audiri voluit, rationali administrante
creatura formavit » ; et eadem ratio est de aliis. Ergo videtur quod
omnes administratae sunt per Angelos. |
4. Au contraire,
Saint-Grégoire [XXVIII, Moral. ch.
1, & 4, col. 449], en parlant de ce son de voix par lequel le Père
répondit au Fils [Jean 12, 28] : Je l’ai glorifié et je le
glorifierai, dit : ¨Assurément, prononçant des cieux ses paroles
qu’il voulait faire entendre des hommes, il les forma par l’administration
d’une créature rationnelle¨ ; et la même raison vaut pour les autres
cas. Il semble donc que toutes les formes de la mission visible sont
administrées par les Anges. |
[1267] Super Sent.,
lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in hoc est duplex opinio. Quidam dicunt, quod
in hoc differunt missiones novi testamenti ab apparitionibus veteris
testamenti, quod apparitiones veteris testamenti factae sunt per Angelos, ut
sancti communiter volunt ; missiones autem novi testamenti factae sunt
immediate per divinas personas. Quapropter in illis speciebus divinae personae mitti
dicuntur, et non Angeli. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’à ce sujet il y a deux opinions. Certains disent que les
missions du nouveau testament diffèrent des apparitions de l’ancien testament
en ceci que les apparitions de l’ancien testament ont été faites par les
Anges, ainsi que le veulent communément les saints, alors que les missions du
nouveau testament ont été faites immédiatement par les Personnes divines.
C’est pourquoi les Personnes divines, et non des Anges, ont été envoyées dans
ces formes. |
Alii dicunt e contrario,
quod utrumque Angelorum ministerio perfectum est. Videtur autem quod utrique
quantum ad aliquid verum dicant. In utroque enim, scilicet apparitione
veteris testamenti et missione visibili, est duo considerare: scilicet illud
quod exterius apparet, et aliquid quod interius efficitur vel factum
signatur. Sed tamen diversimode, quia in apparitione veteris testamenti illud
exterius apparens non refertur ut signum ad illud quod interius est, sed ad
aliquid aliud, sicut ad significandum Trinitatem, vel aliquid hujusmodi ;
unde illud quod interius est, nihil aliud est quam ipsa cognitio vel
illuminatio animae de rebus quae per signa exteriora significantur |
D’autres
disent au contraire que les deux ont été accomplies par le ministère des
Anges. Mais il semble que les deux opinions soient dans le vrai sous un
certain rapport. Dans les deux cas en effet, c’est-à-dire dans l’apparition
de l’ancien testament et dans la misión visible, il y a deux choses à
considérer: à savoir ce qui apparaît extérieurement et quelque chose qui est
produit intérieurement ou qui est signalé comme étant fait. Mais différemment
cependant, car dans l’apparition de l’ancien testament cela même qui apparaît
extérieurement n’est par rapporté comme un signe par rapport à ce qui existe
intérieurement mais par rapport à quelque chose d’autre, comme pour signifier
la Trinité ou quelque chose de la sorte; c’est pourquoi ce qui existe
intérieurement n’est rien d’autre que la connaissance ou l’illumination même
de l’âme au sujet des choses qui sont signifiées par les signes extérieurs. |
Et quia illuminationes divinae descendunt in
nos, secundum Dionysium, cap. IV, Caelest. Hier. § 2, etc.,
col 179, per Angelos, ideo ministerio Angelorum in illis apparitionibus
utrumque factum est, scilicet et quod exterius est, et quod interius ; et
ideo nullo modo est ibi missio divinae personae, quae tantum attenditur
secundum immediatum effectum ipsius personae divinae. |
Et parce que d’après Denys [La
Hiérarchie Céleste, ch. IV, & 2, etc., col. 179, t. 1] les
illuminations divines descendent en nous par les Anges, c’est pourquoi dans
ces apparitions les deux aspects sont faits par le ministère des Anges, à
savoir ce qui existe extérieurement et ce qui existe intérieurement ; et
c’est pourquoi en aucune manière il n’y a là mission de la Personne divine,
laquelle ne s’applique qu’à un effet immédiat de la Personne divine
elle-même. |
In missione autem visibili, illud quod
exterius apparet, est signum ejus quod interius est factum, vel tunc, vel
prius ; unde interius non ponitur tantum aliqua cognitio, sed aliquis
effectus gratiae gratum facientis, qui est immediate a divina persona,
ratione cujus divina persona mitti dicitur. |
Mais dans la mission visible,
ce qui apparaît extérieurement est le signe de ce qui est réalisé
intérieurement, soit au moment même, soit antérieurement ; c’est
pourquoi ce n’est pas seulement une connaissance qui est affirmée
intérieurement, mais un effet de la grâce sanctifiante qui provient
immédiatement de la Personne divine et en raison de quoi on dit que c’est la
Personne divine elle-même qui est envoyée. |
Unde in missione visibili illud quod est
interius, immediate sine ministerio Angelorum effectum est, propter quod
ratione illius effectus persona divina mitti dicitur ; sed quantum ad id quod
est exterius, Angeli ministerium habent, ut Gregorius dicit. |
C’est pourquoi ce qui existe
intérieurement dans la mission visible est produit immédiatement sans le
ministère des Anges, et c’est à cause de cela qu’on dit que la Personne
divine est envoyée en raison de cet effet ; mais quant à ce qui existe
extérieurement dans ces missions, il y a ministère de l’Ange, comme le dit
Saint-Grégoire. |
[1268] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Augustinus loquitur de sermone quem
Filius Dei in corpore assumpto protulit, quem constat immediate a Deo esse
prolatum. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’Augustin parle du discours que le Fils de Dieu prononça dans le corps
qu’il avait pris, et dont il est clair qu’il a été immédiatement prononcé par
Dieu. |
[1269] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus habeat operationem in
creatura exterius apparente, non tamen habet in effectu interiori ; et ideo
ratione ejus persona divina mitti dicitur. Nec est inconveniens ut persona
divina simul, et Angelus mittatur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que l’Ange pose une opération dans une créature qui apparaît
extérieurement, il n’a cependant pas une opération dans l’effet
intérieur ; et c’est pourquoi, en raison de cet effet, on dit de la
personne divine qu’elle est envoyée. Et il ne convient pas que la Personne
divine et l’Ange soient envoyés simultanément. |
[1270] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus assumptum est unitum ipsi personae
divinae, unione ad unum esse personale. Unde non decuit propter suam
dignitatem ut non a Deo formaretur. Non autem similis ratio est in aliis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le corps qui est pris est uni à la Personne divine elle-même par une
union en vue d’une seule existence personnelle. C’est pourquoi il
ne convenait pas, en raison de sa dignité, qu’il ne soit pas formé par Dieu.
Et la raison n’est pas la même pour les autres cas. |
[1271] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum dicendum, quod dictum Gregorii referendum est tantum ad illud
quod exterius est, et non quantum ad interius significatum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le passage de Saint-Grégoire doit être rapporté seulement à ce qui
existe extérieurement et non à ce qui est signifié intérieurement. |
[1272] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum dicendum, quod dictum Dionysii habebat veritatem in
effectibus qui a creatura possunt esse ; non autem talis effectus est, gratia
; et ideo quantum ad interius, quod est in missione visibili, Angeli non
habent operationem, sed solum quantum ad exterius. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la parole de Denys est conforme à la vérité pour les effets qui
peuvent exister par la créature ; mais la grâce n’est pas un effet de
cette sorte ; et c’est pourquoi, quant à l’effet intérieur qui existe
dans la mission visible, les Anges n’interviennent pas par une opération mais
seulement quant à ce qui apparaît extérieurement. |
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Distinctio 17 |
Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit Saint] |
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Prooemium |
Prologue[14] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature de la charité] |
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Articulus 1 [1275] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum caritas
sit aliquid creatum in anima |
Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ? |
[1276]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod caritas non sit aliquid creatum in anima. Agens enim quod sine medio
operatur perfectius est quam illud quod non agit nisi per medium. Sed
Spiritus sanctus operatur in nobis velle et perficere in actibus meritoriis,
secundum apostolum: Qui enim spiritu Dei aguntur hi filii Dei sunt, Roman. 8,
14. Ergo cum ipse sit perfectissimum agens, videtur quod non moveat ad hanc
operationem per aliquem habitum creatum medium. |
Difficultés: 1. Il
semble que la charité ne soit pas quelque chose de créé dans l’âme. En effet,
un agent qui opère sans intermédiaire est plus parfait qu’un agent qui n’agit
que par un intermédiaire. Mais l’Esprit-Saint opère en nous le vouloir et
l’exécution dans les actes méritoires d’après l’Apôtre [Romains 8, 14]: En
effet, tous ceux qui sont animés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont des fils
de Dieu. Donc, puisque l’Esprit-Saint est l’agent le plus parfait, il semble
qu’il ne pousse pas à cette opération par un intermédiaire qui serait un
habitus créé. |
[1277]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, sicut anima se habet ad
corpus ut vita ipsius, ita se habet Deus ad animam, ut dicit Augustinus De
verbis Apostoli, Serm. XVIII et XXVIII. Sed anima non vivificat corpus per
aliquam formam mediam. Ergo nec Spiritus sanctus animam per habitum medium. |
2. Ce
que l’âme est au corps comme principe de vie, Dieu l’est à l’âme comme le dit
Augustin [Sur les Paroles de l’Apôtre, Serm. XVIII et XXVIII]. Mais
l’âme ne vivifie pas le corps par une forme intermédiaire. Donc,
l’Esprit-Saint ne vivifie pas l’âme par un habitus intermédiaire. |
[1278] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, esse gratiae immediatius est a Deo et
propinquius, quam esse naturae. Sed Deus in
creatione non est usus aliquo medio, quando naturam instituit. Ergo nec in
recreatione, quando gratiam infundit. |
3.
Par ailleurs, l’existence de la grâce vient plus immédiatement et
prochainement de Dieu que l’existence de la nature. Mais Dieu dans la
creation ne s’est pas servi d’un intermédiaire quand il a institué la nature.
Il ne s’en est donc pas servi non plus dans la recréation quand il a
introduit la grâce. |
[1279] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 4 Hoc etiam ostenditur ex dignitate caritatis. Omnis
enim creatura est vanitas. Si ergo caritas est creatura, vanitas erit. Sed vanitas non conjungit
veritati, nec confirmat in veritate. Ergo caritas non conjungeret nos Deo ;
quod falsum est. |
4. Cela est manifeste aussi
en partant de la dignité de la charité. Toute créature en effet est vanité.
Si donc la charité est une créature, elle sera vanité. Mais la vanité ne
s’unit pas à la vérité et ne s’affirme pas dans la vérité. Donc la charité ne
nous unirait pas à Dieu, ce qui est faux. |
[1280] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullum finitum est virtutis infinitae: cum
virtus fluat ab essentia. Sed omnis creatura finita est. Ergo
nullius creaturae virtus infinita est. Sed virtus caritatis infinita est,
quia movet per infinitam distantiam ; conjungit enim creaturam creatori, et
facit de peccatore justum. Ergo videtur quod non sit creatura. |
5. En outre, rien de fini
n’appartient à une puissance infinie, puisque la puissance découle de
l’essence. Mais toute créature est finie. Donc la puissance d’aucune créature
n’est infinie. Mais la puissance de la charité est infinie car elle meut sur
une distance infinie ; elle unit en effet la créature au créateur et
d’un pécheur elle fait un juste. Il semble donc qu’elle ne soit pas une
créature. |
[1281] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 arg. 6 Item, nulla creatura est dignior quam anima Christi.
Sed caritas est dignior quam anima Christi ; quia ipsa caritate anima Christi
bona est. Ergo caritas non est creatura. |
6. De plus, aucune créature
n’est plus noble que l’âme du Christ. Mais la charité est plus noble que
l’âme du Christ, car c’est par la charité elle-même que l’âme du Christ est
bonne. Donc la charité n’est pas une créature. |
[1282]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, majori bono debetur
major amor. Sed
Deus est infinitum bonum, et infinita fecit pro nobis. Igitur debemus sibi
infinitum amorem. Sed amor quo diligimus Deum, est caritas. Ergo caritas est
quid infinitum. Ergo non est creatura. |
7. Par ailleurs, à un plus
grand bien doit correspondre un plus grand amour. Mais Dieu est un bien
infini, et il a produit pour nous des biens infinis. Nous lui devons donc un
amour infini. Mais l’amour par lequel nous aimons Dieu est la charité. Donc
la charité est quelque chose d’infini. Elle n’est donc pas une créature. |
[1283]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, omne creatum est in
praedicamento aliquo. Sed quidquid continetur in decem generibus, est aliqua natura.
Si ergo caritas sit quid creatum, erit natura quaedam. Sed natura adveniens
naturae non facit nisi naturam. Ergo anima habens caritatem, si caritas sit
quid creatum, non habebit nisi esse naturae. Sed per
caritatem potest mereri. Ergo natura aliqua per se poterit in actus
meritorios ; quod est haeresis Pelagiana. Videtur ergo quod caritas non sit
quid creatum. |
8. Enfin, tout ce qui est
créé se range dans un prédicament. Mais tout ce qui est contenu dans les dix
genres est une nature. Si donc la charité est quelque chose de créé, elle
sera une certaine nature. Mais une nature qui s’ajoute à une nature ne peut
produire qu’une nature. Donc l’âme qui possède la charité, si la charité est
quelque chose de créé, n’aura qu’une existence de nature. Mais par la charité
elle peut obtenir du mérite. Donc une nature sera capable par elle-même
d’actes méritoires, ce qui constitue l’hérésie de Pélage. Il semble donc que
la charité ne soit pas quelque chose de créé. |
[1284]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omne quod recipitur in
aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Sed amor increatus, qui est
Spiritus sanctus, participatur in creatura. Ergo secundum modum ipsius
creaturae. Sed modus ejus est finitus. Ergo oportet quod recipiatur in
creatura aliquis amor finitus. Sed omne finitum est creatum. Ergo in anima
habente Spiritum sanctum, est aliqua caritas creata. |
Cependant: 1. Au
contraire, tout ce qui est reçu dans un être y est reçu à la manière de celui
qui reçoit. Mais l’amour incréé, qui est l’Esprit-Saint, est participé dans
la créature. Il y est donc participé selon le mode de la créature elle-même.
Mais son mode est fini. Il faut donc que ce soit un amour fini qui soit reçu
dans la créature. Mais tout ce qui est fini est créé. Il y a donc une charité
créée dans l’âme qui possède l’Esprit-Saint. |
[1285]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, omnis assimilatio fit per
formam aliquam. Sed per caritatem efficimur conformes ipsi Deo ; qua amissa,
dicitur anima deformari. Ergo videtur quod caritas sit quaedam
forma creata manens in anima. |
2. En outre, toute
assimilation se réalise au moyen d’une certaine forme. Mais c’est par la
charité que nous sommes rendus conformes à Dieu, de telle manière que si elle
manque, on dit de l’âme qu’elle est déformée. Il semble donc que la charité
soit une certaine forme créée qui demeure dans l’âme. |
[1286] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea constat quod Deus aliquo modo est in
sanctis quo non est in creaturis. Sed ista diversitas non potest
poni ex parte ipsius Dei, qui eodem modo se habet ad omnia. Ergo videtur quod
sit ex parte creaturae, scilicet quod ipsa creatura habeat aliquid quod alia
non habent. Aut ergo habet ipsum divinum esse ; et sic omnes justi
assumerentur a Spiritu sancto in unitatem personae, sicut natura humana
assumpta est a Christo in unitatem personae ipsius Filii Dei: quod non potest
esse. Aut
oportet quod illa creatura, in qua speciali modo Deus esse dicitur, habeat in
se aliquem effectum Dei, quem alia non habent. Iste autem effectus non potest
esse tantum actus ; quia sic in justis dormientibus non esset alio modo quam
in aliis creaturis. Ergo oportet quod sit aliquis habitus. Oportet igitur
aliquem habitum caritatis creatum esse in anima, secundum quem Spiritus
sanctus ipsam inhabitare dicitur |
3. De plus, il est clair que
Dieu est dans les saints selon un mode par lequel il n’est pas dans les créatures.
Mais cette différence ne peut être posée du côté de Dieu lui-même qui est le
même à l’égard de tout. Il semble donc que cette différence se tienne du côté
de la créature, c’est-à-dire qu’une créature possède quelque chose que les
autres ne possèdent pas. Donc, soit qu’elle possède l’existence divine
elle-même ; et ainsi tous les justes seraient seraient assumés par
l’Esprit-Saint dans l’unité de la Personne, tout comme la nature humaine est
assumée par le Christ dans l’unité de la Personne du Fils de Dieu lui-même,
ce qui est impossible. Ou bien il faut que cette créature, dans laquelle on
dit de Dieu qu’il y exise selon un mode spécial, possède en elle un effet de
Dieu que les autres ne possèdent pas. Mais cet effet ne peut être seulement
un acte, car ainsi dans les justes qui reposent il n’en serait pas autrement
que dans les autres créatures. Il faut donc qu’il y ait un certain habitus.
Il faut donc qu’il y ait dans l’âme un certain habitus créé de la charité,
selon lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’Il y habite. |
[1287]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod tota bonitas
ipsius animae est ex caritate: unde quantum bona est tantum habet de caritate
; et si caritatem non habeat, nihil est, sicut dicitur 1 Corinth., 13. Constat
autem quod per caritatem anima non habet minus de bonitate in esse gratiae,
quam per virtutem acquisitam in esse politico. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute la bonté de l’âme elle-même vient de la charité, d’où elle est
aussi bonne qu’elle possède de la charité ; et si elle ne possédait pas
de charité, elle ne serait rien, ainsi que le dit l’Apôtre [1 Corinth. 13].
Mais il est clair que par la charité l’âme ne possède pas moins de
bonté dans l’existence de la grâce qu’elle n’en possède dans l’existence
politique par la vertu acquise. |
Virtus autem politica duo
facit: quia facit bonum habentem, et opus ejus bonum reddit. Multo fortius
igitur hoc facit caritas. Neutrum autem horum effici poterit, nisi caritas
sit habitus creatus. Constat enim quod omne esse a forma aliqua inhaerente
est, sicut esse album ab albedine, et esse substantiale a forma substantiali. |
Mais la vertu politique
produit deux choses : car elle rend bon celui qui la possède et elle
rend bonne son œuvre. Donc à plus forte raison la charité produit ces deux
effets. Mais la charité ne pourra produire aucun de ces effets si elle n’est
pas un habitus créé. Il est clair en effet que toute existence vient d’une
forme inhérente, tout comme d’être blanc vient de la blancheur, et que
l’existence substantielle vient d’une forme substantielle. |
Sicut igitur non potest
intelligi quod paries sit albus sine albedine inhaerente ; ita non potest
intelligi quod anima sit bona in esse gratuito sine caritate et gratia
informante ipsam. Similiter etiam, cum actus proportionetur potentiae
operativae sicut effectus propriae causae, impossibile est intelligere quod
actus perfectus in bonitate sit a potentia non perfecta per habitum ; sicut
etiam calefacere non potest esse ab igne nisi mediante calore. |
Ainsi donc on ne peut
comprendre qu’un mur soit blanc sans qu’il y ait en lui la blancheur ;
de même on ne peut comprendre que l’âme soit bonne dans l’existence gratuite
sans la charité et sans la grâce qui l’informe. De la même manière encore,
puisque l’acte est proportionnée à la puissance d’opération comme
l’effet est proportionné à la cause qui lui est propre, il est impossible de
comprendre qu’un acte qui est parfait en bonté vienne d’une puissance qui ne
serait pas achevée par un habitus, tout comme aussi réchauffer ne peut venir
du feu que par l’intermédiaire de la chaleur. |
Et ideo cum actus caritatis
perfectionem quamdam habeat ex hoc quod est meritorius omnibus modis, oportet
ponere, caritatem esse habitum creatum in anima ; quae quidem efficienter est
a tota Trinitate, sed exemplariter manat ab amore, qui est Spiritus sanctus:
et ideo frequenter invenitur quod Spiritus sanctus sit amor quo diligimus
Deum et proximum, sicut etiam dicitur a Dionysio,cap. IV Caelest. Hier. §1
col. 178, quod esse divinum est esse omnium rerum, inquantum scilicet ab eo
omne esse exemplariter deducitur. Magister tamen vult quod caritas non sit
aliquis habitus creatus in anima ; sed quod sit tantum actus qui est ex
libero arbitrio moto per Spiritum sanctum, quem caritatem dicit. |
Et c’est pourquoi, puisque
l’acte de la charité possède une telle perfection du fait qu’elle est plus
méritoire de toutes les manières, il faut affirmer que la charité est un
habitus créé dans l’âme, laquelle est certes l’effet de toute la Trinité,
mais elle demeure en nous à titre d’exemplaire grâce à cet amour qui est
l’Esprit-Saint : et c’est pourquoi il arrive fréquemment que
l’Esprit-Saint soit l’amour par lequel nous aimons Dieu et le prochain, comme
dit encore Denys [IV De la Hiérarchie Céleste, & 1, col. 178]
que l’existence de Dieu est l’existence de toutes les choses, c’est-à-dire
pour autant que toute existence se tire de Lui comme d’un modèle. Mais le
Maître veut que la charité ne soit pas un habitus créé dans l’âme, mais qu’elle
soit seulement un acte qui vient du libre arbitre mû par
l’Esprit-Saint qu’Il appelle charité. |
Ad cujus explanationem,
quidam dixerunt, quod sicut lux dupliciter potest considerari, vel prout est
in se, et sic dicitur lux ; vel prout est in extremitate diaphani terminati,
et sic lux dicitur color (quia hypostasis coloris est lux, et color nihil
aliud est quam lux incorporata) ; ita dicunt, quod Spiritus sanctus, prout in
se consideratur, Spiritus sanctus et Deus dicitur ; sed prout consideratur ut
existens in anima, quam movet ad actum caritatis, dicitur caritas. |
Et pour expliquer cela
certains ont dit que tout comme la lumière peut être considérée de deux
manières, c’est-à-dire soit en elle-même et ainsi elle est appelé lumière,
soit selon qu’elle se termine à une extrémité de l’air et alors la lumière
s’appelle couleur (car la substance de la couleur est la lumière et la
couleur n’est rien d’autre qu’une lumière dans un corps), de même ils disent
que l’Esprit-Saint, considéré en lui-même, s’appelle Esprit-Saint et
Dieu ; mais selon qu’il est considéré comme existant dans l’âme qu’Il
meut à l’acte de charité, il s’appelle charité. |
Dicunt enim, quod sicut
Filius univit sibi naturam humanam solus, quamvis sit ibi operatio totius
Trinitatis ; ita Spiritus sanctus solus unit sibi voluntatem, quamvis ibi sit
operatio totius Trinitatis. Sed hoc non potest stare ; quia unio humanae
naturae in Christo terminata est ad unum esse personae divinae: et ideo idem
actus numero est personae divinae et naturae humanae assumptae. Sed voluntas
alicujus sancti non assumitur in unitatem suppositi Spiritus sancti. Unde cum
operatio a supposito unitatem habeat et diversitatem ; non potest esse quod
intelligatur esse una operatio voluntatis et Spiritus sancti, nisi per modum
quo Deus operatur in qualibet re. |
Ils disent en effet que tout
comme le Fils seul s’est uni à une nature humaine bien qu’il y ait là
l’opération de toute la Trinité, de même seul l’Esprit-Saint s’est uni à la
volonté bien qu’il y ait là l’opération de toute la Trinité. Mais cela ne
peut se défendre ; car l’union à la nature humaine dans le Christ se
termine à une seule existence de la personne divine : et c’est pourquoi
c’est le même acte, numériquement parlant, qui appartient à la fois à la personne
divine et à la nature humaine assumée. Mais la volonté d’un saint n’est pas
assumée dans l’unité du suppôt de l’Esprit-Saint. C’est pourquoi, puisque
l’opération tient son unité et sa diversité du suppôt lui-même, c’est
pourquoi il est impossible de comprendre qu’une seule et même opération
appartienne à la fois à la volonté et à l’Esprit-Saint, sauf à la manière par
laquelle Dieu opère en une chose. |
Sed iste modus non sufficit
ad operationis perfectionem ; quia operatio consequitur conditiones causae
proximae in necessitate et contingentia et perfectione et hujusmodi, et non
primae causae. Unde non est intelligere quod sit operatio perfecta voluntatis
per quam uniatur Spiritui sancto, nisi sit ibi habitus perficiens potentiam
operativam: nec potest esse similitudo actus voluntatis ad Spiritum sanctum,
nisi sit similitudo Spiritus sancti in anima per aliquam formam, quae est
principium actus quo Spiritui sancto conformetur ; unde oportet in anima poni
aliquem formam, per quam Spiritui sancto conformetur [unde… conformetur om.
Éd de Parme] quia actus ad hoc non sufficit, ut dictum est. |
Mais cette manière ne suffit
pas à la perfection de l’opération ; car l’opération suit les conditions
de la cause prochaine sous le rapport de la nécessité, de la contingence, de
la perfection et sous d’autres rapports, et non les conditions de la cause
première. Et c’est pourquoi on ne peut comprendre qu’il y ait une opération
parfaite de la volonté par laquelle elle est unie à l’Esprit-Saint qu’à
condition qu’il y ait là un habitus qui donne son achèvement à la puissance
d’opération : et il ne peut y avoir similitude entre l’acte de la
volonté et l’Esprit-Saint que s’il y a une similitude de l’Esprit-Saint dans
l’âme au moyen d’une forme qui soit le principe de l’acte par lequel elle se
conforme à l’Esprit-Saint ; c’est pourquoi il faut poser qu’il y a dans
l’âme une forme par laquelle elle se conforme à l’Esprit-Saint [c’est
pourquoi … elle se conforme om. Éd. de Parme] car l’acte ne
suffit pas à cela ainsi que nous l’avons dit. |
[1288]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in
gratificatione animae est considerare duplicem operationem Spiritus sancti. Unam, quae terminatur ad
esse secundum actum primum qui est esse gratum in habendo habitum caritatis. Aliam,
secundum quam operatur actum secundum, qui est operatio movens voluntatem in
opus dilectionis: et
utroque modo oportet incidere medium non propter indigentiam vel defectum
ipsius Spiritus operantis, sed propter necessitatem animae recipientis ; sed
diversimode. Quia quo ad primum effectum, qui est esse gratiae, caritas est
medium per modum causae formalis: quia nullum esse potest recipi in creatura,
nisi per aliquam formam. Ad effectum autem secundum, qui est operatio, est
medium caritas in ratione causae efficientis secundum quod virtutem quae est
principium operandi reducimus in causam agentem: quia etiam non est possibile
aliquam operationem perfectam a creatura exire, nisi principium illius
operationis sit perfectio potentiae operantis, prout dicimus habitum
elicientem actum esse principium ejus. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que dans la gratification de l’âme il faut
considérer deux opérations de l’Esprit-Saint. La
première qui se termine à l’existence selon l’acte premier qui est l’existence
de la grâce dans la possession de l’habitus de la charité. La
deuxième, selon laquelle il opère l’acte second, qui est l’opération qui meut
la volonté à une oeuvre d’amour: Et
dans les deux cas, mais de différentes manières, il faut rencontrer un
intermédiaire non pas à cause d’un manque ou d’un défaut du côté de
l’opération de l’Esprit-Saint lui-même, mais à cause d’une nécessité qui se
tient du côté de l’âme qui reçoit. Car quant au premier effet, qui est
l’existence de la grâce, la charité est un intermédiaire à la la manière
d’une cause formelle, car aucune forme d’existence ne peut être recue dans la
créature sans quelque forme. Mais quant au deuxième effet qui est
l’opération, la charité est un intermédiaire sous le rapport d’une cause efficiente
selon que nous ramenons la vertu, qui est principe d’opération, à une cause
agente: car encore il n’est possible qu’une opération parfaite sorte de la
créature que si le principe de cette opération est la perfection de la
puissance d’opération, selon que nous disons que l’habitus qui décide de
l’acte est le principe de cet acte. |
[1289]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima
comparatur ad corpus non tantum ut causa agens, secundum quod est motrix
corporis, sed etiam ut forma ; unde formaliter seipsa facit vivere corpus,
secundum quod vivere dicitur esse viventium. Deus autem non est forma ipsius animae
vel voluntatis, qua formaliter vivere possit ; sed dicitur vita animae sicut
principium exemplariter influens vitam gratiae ipsi. Similiter dicendum de
luce, quod lux potest dupliciter considerari. Vel prout est in ipso corpore
lucido ; et sic se habet ad illuminationem aeris ut principium efficiens, nec
illuminat nisi per formam luminis influxam ipsi diaphano illuminato: vel
prout est in diaphano illuminato ; et sic est forma ipsius, qua formaliter
est lucidum. Deus autem dicitur esse illuminans lux per modum lucis quae est
in ipso corpore lucenti per se, et non per modum quo illuminatum formaliter
illuminatur a forma lucis in ipso recepta. Sed illi lumini recepto
assimilatur caritas vel gratia recepta in anima. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’âme se compare au corps non seulement comme une cause agente,
selon qu’elle meut le corps, mais aussi comme une forme ; c’est pourquoi
c’est formellement elle qui fait vivre le corps, selon que nous disons que
vivre est l’existence même des vivants. Mais Dieu n’est pas la forme de l’âme
elle-même ou de la volonté, par laquelle elle peut vivre formellement ;
mais on dit de Dieu qu’Il est la vie de l’âme au sens où, comme principe, à
la manière d’un modèle, Il répand la vie de la grâce en elle. Il faut dire la
même chose de la lumière, à savoir qu’elle peut être considérée de deux
manières. Soit selon qu’elle est dans le corps même qui est
éclairé ; et ainsi elle se rapporte à l’illumination de l’air comme un
principe efficient et elle n’éclaire que parla forme de la lumière répandue
sur l’air illuminé lui-même ; soit selon qu’elle est dans l’air
éclairé ; et ainsi elle est sa forme par laquelle l’air est formellement
éclairé. Mais on dit de Dieu qu’il est une lumière qui éclaire à la manière
d’une lumière qui est dans le corps même qui éclaire par lui-même et non pas
à la manière par laquelle ce qui est éclairé est formellement éclairé par la
forme de la lumière reçue en lui. Mais c’est à cette lumière reçue que se
compare la charité ou la grâce reçue en l’âme. |
[1290] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnino simile est de creatione
et recreatione. Sicut enim Deus per creationem contulit rebus esse naturae,
et illud esse est formaliter a forma recepta in ipsa re creata, quae est
quasi terminus operationis ipsius agentis ; et iterum forma illa est
principium operationum naturalium, quas Deus in rebus operatur: ita etiam et
in recreatione Deus confert animae esse gratiae ; et principium formale
illius esse est habitus creatus, quo etiam perficitur operatio meritoria quam
Deus in nobis operatur ; et ita iste habitus creatus partim se habet ad
operationem Spiritus sancti ut terminus, et partim ut medium. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il en est absolument de même pour la création et la recréation. En
effet, tout comme Dieu confère aux choses une existence de nature par la
création, et que cette existence vient formellement d’une forme reçue dans la
chose créée elle-même et qui est comme le terme de l’opération de l’agent
lui-même, et que cette forme est par la suite le principe des opérations
naturelles que Dieu opère dans les choses, de même encore dans la recréation
Dieu confère à l’âme l’existence de la grâce ; et le principe formel de
cette existence est un habitus créé par lequel l’opération méritoire que Dieu
opère en nous trouve sa perfection ; et c’est ainsi que cet habitus créé
se rapporte à l’opération de l’Esprit-Saint en partie comme terme et en
partie comme intermédiaire. |
[1291] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas, inquantum est ex
nihilo, habet quod sit vanitas ; sed inquantum procedit a Deo ut similitudo
ipsius, non habet rationem vanitatis, immo conjungendi ipsi Deo. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la charité, pour autant qu’elle est créée à partir de rien, possède
quelque chose de la vanité ; mais pour autant qu’elle procède de Dieu
comme une ressemblance de Lui, n’a pas raison de vanité mais plutôt de moyen
devant unir à Dieu lui-même. |
[1292]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid
dicitur facere dupliciter: vel per modum efficientis, sicut pictor facit parietem
album ; vel per modum formae, sicut albedo facit album. Facere igitur de peccatore
justum vel Deo conjunctum, est ipsius Dei sicut efficientis, et ipsius
caritatis sicut formae. Unde non potest concludi quod caritas sit virtutis
infinitae, sed solum quod est effectus virtutis infinitae. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que c’est de deux manières qu’on dit d’une chose qu’elle ¨fait¨ :
soit à la manière d’une cause efficiente, comme le peintre qui rend le mur
blanc ; soit à la manière d’une forme, comme la blancheur qui fait
qu’une chose est blanche. Donc c’est à Dieu comme cause efficiente et à la
charité comme forme qu’il appartient de rendre le pécheur juste ou uni à
Dieu. On ne peut donc conclure que la charité soit d’une puissance infinie,
mais seulement qu’elle est l’effet d’une puissance infinie. |
[1293] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nobilitas aliquorum potest
attendi dupliciter: vel simpliciter, vel secundum quid. Videtur autem
simpliciter dignius esse quod secundum suum esse nobilius est, et hoc modo
anima Christi et anima cujuscumque justi est nobilior quam caritas creata,
quae habet esse accidentis. Videtur etiam aliquid dignius secundum quid, quod
secundum aliquod dignius est ; et hoc modo caritas creata est nobilior quam
anima Christi. In quolibet enim genere actus est nobilior quam potentia,
quantum ad illud genus. Unde sicut albedo corporis Christi quantum ad hoc
esse quod est esse album, est nobilior quam sit corpus Christi ; ita etiam
scientia ejus creata est nobilior quam anima ejus quantum ad hoc quod est
esse scientem, quod est esse secundum quid. Et similiter caritas quantum ad
tale esse: quia se habet in esse illo ad animam Christi, sicut actus ad
potentiam. |
6. En sixième lieu il faut
dire que la noblesse de certains êtres peut se remarquer de deux
manières : soit absolument, soit d’une certaine manière. Mais il semble
que soit plus digne absolument ce qui est plus noble selon son existence, et
en ce sens l’âme du Christ et l’âme de tout juste est plus noble que la
charité créée qui possède l’existence d’une accident. Il semble encore qu’un
être soit plus digne d’une certaine manière ce qui est plus digne sous un
rapport déterminé ; et en ce sens la charité créée est plus noble que
l’âme du Christ. Dans tout genre en effet l’acte est plus noble que la
puissance quant à ce genre déterminé. C’est pourquoi tout comme la blancheur
du corps du Christ, quant à cette existence déterminée qui consiste à être
blanc, est plus noble que ne l’est le corps du Christ, de même encore sa
science créée est plus noble que son âme quant à ceci qu’il existe comme
savant, ce qui est une existence sous un certain rapport. Et il en est de
même pour la charité quant à cette existence déterminée : car dans cette
existence elle se rapporte à l’âme du Christ comme l’acte se rapporte à la
puissance. |
[1293] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum Philosophum VIII
Ethicorum, cap. VIII, numquam in quibusdam amicitiis contingit aequivalens
reddere ; sed sufficit ad aequitatem amicitiae illud quod est possibile reddi
; sicut filius numquam potest patri carnali reddere aliquid aequivalens ei
quod ab ipso acceptit, scilicet esse et doctrinam et nutrimentum. Multo minus
divinis beneficiis et bonitati suae possumus reddere amorem aequivalentem.
Unde non sequitur quod amor quo Deum diligimus sit infinitus quantum ad
substantiam actus : licet [sed… habet Éd. De Parme] infinitatem habeat,
ex hoc quod objectum amoris omnibus aliis praeponitur : sed sufficit
quod amemus cum amore commensurato nobis. |
7. Il faut dire en septième
lieu que d’après le Philosophe [ VIII Éthiques,
ch. VIII] il n’est jamais possible dans certaines amitiés de
rendre la pareille ; mais il suffit, pour que l’amitié soit équitable,
de faire ce qu’il est possible de faire ; par exemple, le fils ne peut
jamais rendre à son père charnel quelque chose qui soit égal à ce qu’il a
reçu de lui, à savoir l’existence, l’enseignement et la nourriture. Nous
pouvons encore moins rendre à Dieu un amour qui soit équivalent à sa bonté et
aux bienfaits divins que nous en retirons. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas,
dans cet argument, que l’amour par lequel nous aimons Dieu soit infini quant
à l’essence même de l’acte, bien [mais…il possède Éd. de Parme] qu’il
possède un certain caractère d’infinité du fait que l’objet de l’amour dans
ce cas est préférable à tous les autres. Il suffit donc que nous aimions Dieu
d’un amour qui nous est proportionné. |
[1295] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod natura dicitur multipliciter,
secundum Boetium de duabus naturis c. 1, col. 1341, : dicitur enim uno modo
natura omne quod est, vel substantia vel accidens ; et hoc modo gratia est
natura quaedam. Alio modo dicitur natura quod est principium motus et quietis
ipsius in quo est, unde illud dicitur esse naturale vel quod causatur a
principiis naturalibus, vel causari potest ; et hoc modo caritas non est
natura, quia per principia naturalia creaturae non potest causari ; et
secundum hunc modum dicit Pelagius, per naturalia sola hominem posse in actus
meritorios. |
8. Il faut dire finalement
que selon Boèce [De Duabus Naturis ch. 1, col. 1341] nature se
dit suivant plusieurs significations : en un premier sens en effet
nature signifie tout ce qui existe, soit la substance, soit l’accident ;
et en ce sens la grâce est une certaine nature. Mais en un autre sens nature
signifie ce qui est principe du mouvement ou du repos de celui dans lequel
elle est et c’est pourquoi on dit qu’est naturel soit ce qui est causé, soit
ce qui peut être causé par les principes naturels ; et en ce sens
la charité n’est pas nature car elle ne peut être causée par les principes
naturels de la créature ; et c’est en ce sens que Pélage dit que l’homme
est capable d’actes méritoires par les seuls principes naturels. |
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[1296] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum caritas sit accidens |
Article 2 – La charité est-elle un accident ? |
[1297]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas non
sit accidens. Nullum enim accidens extenditur ultra suum subjectum. Sed
caritas extenditur ultra suum subjectum, quia caritate etiam alios amamus.
Ergo videtur quod caritas non sit accidens. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
ne soit pas un accident. Aucun accident en effet ne s’étend au delà de son
sujet. Mais la charité s’étend au-delà de son sujet, car c’est par la charité
que nous aimons aussi les autres. Il semble donc que la charité ne soit pas
un accident. |
[1298] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, omne accidens est causatum a substantia ; quia,
secundum Avicennam, tract. II Metaph., cap ; 1, subjectum est quod est in se
completum, praebens alteri occasionem essendi. Sed caritas non causatur a
principiis animae in qua est. Ergo videtur quod non sit accidens. |
2. En outre, tout accident
est causé par la substance ; car, selon Avicenne [traité 11, Métaphysique,
ch. 1], le sujet est ce qui est complet en soi et qui offre à un autre
l’occasion d’exister. Mais la charité n’est pas causée par les principes de
l’âme dans laquelle elle existe. Il semble donc qu’elle ne soit pas un
accident. |
[1299] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum accidens est melius et nobilius suo
subjecto. Sed caritas est melior quam anima. Ergo non est
in anima sicut accidens in subjecto. Probatio mediae. Propter quod unumquodque
tale, et illud magis. Sed anima est bona propter caritatem. Ergo caritas est
melior. |
3. Par ailleurs, aucun
accident n’est plus noble et meilleur que son sujet. Mais la charité est
meilleure que l’âme. Elle n’existe donc pas dans l’âme comme un accident dans
son sujet. Preuve de la mineure. Cela même, à cause de quoi un être est tel,
l’est davantage. Mais l’âme est bonne à cause de la charité. La charité est
donc meilleure que l’âme. |
[1300] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 arg. 4 Item, agens semper est honorabilius patiente, secundum
philosophum, in III De anima, text. 19. Sed caritas agit in animam, mundando
ipsam a peccatis. Ergo est honorabilior anima, et ita idem quod prius. |
4. De plus, l’agent est
toujours plus digne que le patient selon le Philosophe [111 de L’Âme,
texte 19]. Mais la charité agit dans l’âme en la purifiant de ses péchés.
Elle est donc plus digne que l’âme et il faut donc conclure de la même
manière que précédemment. |
[1301] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid potest adesse et abesse praeter
subjecti corruptionem, est accidens. Caritas est hujusmodi. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Tout ce qui peut être
présent et absent au-delà de la corruption du sujet est un accident. Or c’est
le cas pour la charité. Elle est donc un accident. |
[1302]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omne illud
quod advenit alicui post esse completum, advenit sibi accidentaliter ; nisi
forte assumatur ad participationem ipsius esse substantialis, sicut dictum
est supra, 8 dist., quaest. 5, art. 2, de anima. Sed hoc tamen non sufficit
ut dicatur accidens in se: potest enim aliquid in se substantia esse, et advenire
alicui accidentaliter, sicut vestimenta ; sed si adveniat post esse completum
ut forma inhaerens, de necessitate est accidens. Et quia post esse naturale
animae advenit sibi caritas ut forma perficiens ipsam ad esse gratiae, prout
dictum est, art. antec., ideo oportet quod sit accidens. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce qui survient à un être suite à une existence complète est un
accident, à moins peut-être que cela ne soit pris pour participer à
l’existence substantielle de cet être, ainsi que nous l’avons dit plus haut
au sujet de l’âme [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Mais cela n’est pas suffisant
pour être appelé un accident en soi : quelque chose peut en effet être
une substance en soi et survenir à un être accidentellement, comme les
vêtements ; mais si quelque chose survient à un être suite à une
existence complète comme une forme qui lui est inhérente, alors cela est
nécessairement un accident. Et parce que la charité, suite à
l’existence naturelle de l’âme, survient en elle comme une forme qui la
complète en vue de l’existence de la grâce, ainsi que nous l’avons dit dans
l’article précédent, c’est pourquoi il faut qu’elle soit un accident. |
[1303]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem accidens
numero nunquam extenditur ultra subjectum suum, idest ut sit in alio sicut in
subjecto ; sed bene extenditur extra subjectum suum sicut ad objectum
operationis ; sed diversimode in operatione activa et passiva. Quia in activa
extenditur ad objectum extrinsecum, imprimens similitudinem formae suae in
ipso, sicut patet quod calor ignis active calefacit aliud corpus, et est
operatio activa. Similiter etiam quando est operatio passiva, et extenditur
in aliud objectum extrinsecum, cujus similitudo in ipso recipitur ; et ita
anima per habitum scientiae scit ea quae sunt extra ipsam, et per habitum
amoris eadem amat. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que le même accident individuel ne s’étend
jamais au delà de son sujet, c’est-à-dire de telle manière qu’il serait dans
un autre comme dans un sujet; mais il s’étend bien en dehors de son sujet
comme vers l’objet de l’opération, mais d’une manière différente dans
l’opération active et dans celle qui est passive. Car dans l’opération active
il s’étend à un objet extrinsèque, imprimant la similitude de sa forme en
lui, comme on le voit pour la chaleur du feu qui réchauffe activement un
autre corps et dont l’opération est active. Il en est de même encore quand
l’opération est passive et s’étend à un autre objet extérieur dont la
resemblance est recue en lui; et c’est ainsi que l’âme, connaît les choses
qui sont en dehors d’elle par l’habitus de la science et les aime par
l’habitus de l’amour. |
[1304]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod subjectum
diversimode se habet ad diversa accidentia. Quaedam autem sunt accidentia
naturalia quae creantur ex principiis subjecti ; et hoc dupliciter: quia vel
causantur ex principiis speciei, et sic sunt propriae passiones, quae
consequuntur totam speciem ; vel ex principiis individui, et sic sunt
communia consequentia principia naturalia individua. Sunt
etiam quaedam accidentia per violentiam inducta, sicut calor in aqua, et ista
sunt repugnantia principiis subjecti. Quaedam autem sunt quae quidem
causantur ab extrinseco non repugnantia principiis subjecti, sed magis
perficientia ipsa, sicut lumen in aere: et ita etiam caritas in anima est ab
extrinseco. Tamen
sciendum, quod omnibus accidentibus, communiter loquendo, subjectum est causa
quodammodo, inquantum scilicet accidentia in esse subjecti sustentantur ; non
tamen ita quod ex principiis subjecti omnia accidentia educantur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le sujet se rapporte différemment à différents accidents. Car parmi
les accidents certains sont des accidents naturels qui sont créés à partir
des principes du sujet, et cela de deux manières : car ou bien ils sont
causés à partir des principes de l’espèce et ainsi ils sont des passions
propres qui suivent toute l’espèce ; ou bien ils sont causés par les
principes de l’individu et ainsi ils sont des accidents communs
qui suivent les principes naturels individuels. Mais il y a aussi certains
accidents qui sont provoqués par violence, comme la chaleur pour l’eau et
ceux-là sont contraires aux principes du sujet. Mais il y en a certains qui
sont certes causés par un principe extérieur et qui ne répugnent pas aux
principes du sujet mais qui plutôt les perfectionnent comme la lumière le
fait pour l’air : et c’est ainsi encore que que la charité est
introduite dans l’âme par un principe extérieur. Il faut ependant savoir, à
parler universellement, que le sujet se présente face à tous les accidents
comme une cause d’une certaine manière, c’est-à-dire pour autant que les
accidents sont soutenus dans l’existence du sujet mais non pas cependant de
telle manière que tous les accidents sont tirés des principes du sujet. |
[1305] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eadem ratione posset probari
quod nulla perfectio animae esset accidens, nec aliqua perfectio corporis:
quia unumquodque perfectibile habet bonitatem ex sua perfectione. Dicendum
est igitur, quod simpliciter anima est melior caritate, et quodlibet
subjectum suo accidente ; sed secundum quid est e converso. Cujus ratio est,
quia esse, secundum Dionysium, V cap. de div. nominibus, col. 815, est
nobilius omnibus aliis quae consequuntur esse: unde esse simpliciter est
nobilius quam intelligere, si posset intelligi intelligere sine esse. Unde
illud quod excedit in esse, simpliciter nobilius est omni eo quod excedit in
aliquo de consequentibus esse ; quamvis secundum aliud possit esse minus
nobile. Et quia anima et quaelibet substantia habet nobilius esse quam
accidens, ideo simpliciter nobilior est. Sed quantum ad aliquod esse, vel
secundum aliquod accidens, potest accidens esse nobilius, quia se habet ad
substantiam sicut actus ad potentiam ; et hanc bonitatem consequentem habet
substantia ab accidentibus, sed non bonitatem primam essendi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que c’est par le même raisonnement qu’on pourrait prouver qu’aucune
perfection de l’âme n’est un accident et qu’aucune perfection du corps n’est
un accident : car tout ce qui est perfectible tient sa bonté de sa
perfection. Il faut donc dire, à parler absolument, que l’âme est meilleure
que la charité et que tout sujet est meilleur que son accident ; mais
sous un certain rapport, c’est le contraire. Et la raison en est que
l’existence, selon Denys [Les Noms Divins, ch. V, col. 815], est plus
noble que tout ce qui découle de l’existence : c’est pourquoi
l’existence à parler absolument est plus noble que l’intelligence si
l’intelligence pouvait se prendre sans l’existence. C’est pourquoi ce qui
excelle dans l’existence est absolument plus noble que tout ce qui excelle
dans une des choses qui suivent l’existence, bien que selon un autre rapport
il puisse être moins noble. Et parce que l’âme et toute substance possède une
existence plus noble qu’un accident, c’est pourquoi elle est plus noble
absolument. Mais quant à une certaine forme d’existence ou d’après un
accident, l’accident peut être plus noble car il se rapporte à la substance
comme l’acte à la puissance ; et la substance tient des accidents cette
bonté qui découle de l’existence mais non pas cette bonté première d’exister. |
[1306] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas non dicitur agere in
animam per modum efficientis, sed solum formaliter ; et secundum id quod
forma est, quantum ad esse secundum, nobilior est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’on ne dit pas que la charité agit dans l’âme à la manière d’une cause
efficiente, mais seulement à la manière d’une cause formelle ; et selon
qu’elle est une forme, elle est meilleure quant à l’existence seconde. |
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Articulus 3 [1307] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 tit. Utrum caritas
detur secundum capacitatem naturalium |
Article 3 – La charité est-elle donnée selon la capacité des choses naturelles ? |
[1308]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod caritas detur secundum capacitatem naturalium. Ita dicitur Matth. 25,
15: Dedit unicuique secundum propriam virtutem ; ubi Glossa Hieronymi: Non
pro largitate vel parcitate, alii plus vel minus recipiunt ; sed secundum
virtutem recipientium. Sed ante adventum caritatis non intelligitur nisi virtus quae
est secundum naturalia. Ergo videtur quod secundum capacitatem naturalium
caritas infundatur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
soit donnée selon les capacités des choses naturelles. C’est que ce que dit
l’évangéliste [Matthieu : 25, 15] : Il donna à
chacun selon ses capacités ; et à ce sujet la glose de Saint-Jérôme
dit : Ce n’est pas à cause d’une prodigalité ou d’une modération que
certains ont reçu plus ou moins, mais à cause des capacités de ceux qui
reçoivent. Mais avant l’arrivée de la charité il n’y a pas d’autres capacités
à chercher que celles qui sont naturelles. Il semble donc que la charité soit
répandue selon les capacités des choses naturelles. |
[1309] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, sicut se habet forma substantialis ad esse
naturae, ita caritas ad esse gratiae. Sed forma
substantialis datur secundum capacitatem materiae, ut dicit Plato, II De
anima mundi. Ergo
et caritas datur secundum capacitatem naturae, quae per eam perficitur. |
2. De plus, la charité est à
l’existence de la grâce ce que la forme substantielle est à l’existence de la
nature. Mais la forme substantielle est donnée selon la capacité de la
matière comme le dit Platon [De l’Âme du Monde, ch. 11]. Donc la charité est
donnée suivant la capacité de la nature qui tient d’elle sa perfection. |
[1310] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut gloria praesupponit gratiam, ita
gratia praesupponit naturam. Sed gloria datur secundum modum gratiae, ut qui
plus habet de capacitate, plus etiam de gloria recipiat. Ergo videtur quod
etiam caritas detur secundum capacitatem naturae, ut qui meliora naturalia
habet, major sibi caritas infundatur. |
3. Par ailleurs, tout comme
la gloire présuppose la grâce, de même la grâce présuppose la nature. Mais la
gloire est donnée selon le mode de la grâce de telle manière que celui qui a
plus de capacités reçoit aussi plus de gloire. Il semble donc que la charité
aussi soit donnée selon la capacité de la nature de telle manière qu’une plus
grande charité soit introduite dans celui qui possède de meilleures capacités
naturelles. |
[1311] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, in quibuscumque invenitur perfectio ejusdem
rationis, videtur esse idem modus consequendi illam perfectionem, cum
unaquaeque res proprium modum habeat. Sed caritas invenitur in hominibus et
Angelis secundum rationem eamdem, quod patet ex actu et fine. Cum igitur
Angeli consecuti sint majorem caritatem et meliora gratuita, secundum gradum
naturalium, videtur etiam quod in hominibus ita sit. |
4. En outre, dans tous ceux
chez lesquels on retrouve une perfection pour la même raison, il semble que
la manière d’atteindre cette perfection soit la même puisque toute chose
possède un mode qui lui est propre. Mais la charité se retrouve chez les
hommes et les Anges selon la même raison, ce qui apparaît clairement à partir
de l’acte et de la fin. Donc puisque les Anges obtiennent une plus grande
charité et de meilleurs grâces suivant le degré de leurs capacités
naturelles, il semble qu’il en soit aussi de même chez les hommes. |
[1312] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, natura angelica altior est et sublimior quam
natura humana. Sed aliqui homines, secundum gradum gratiae
assumuntur ad sublimius praemium quam Angeli, cum, secundum Gregorium, Hom.
XXXIV in Evang. § 1, col. 1252, ad singulos ordines Angelorum aliqui homines
assumantur. Ergo
videtur quod perfectiones gratiae et gloriae non dentur secundum mensuram
naturalium. Hoc idem videtur per hoc quod dicitur Prov. XXX, 28: Stellio
manibus nititur ; ubi dicit Gregorius quod gratia major infunditur, secundum
quod ad habendum gratiam aliquis magis nititur. |
Cependant : Au contraire, la nature
angélique est plus élevée et plus grande que la nature humaine. Mais certains
hommes, conformément au degré de la grâce, sont établis dans une plus grande
récompense que les Anges puisque, selon Saint-Grégoire [HomélieXXXIV,
in Évang. & 1, col. 1252], certains hommes sont établis à des degrés
particuliers des Anges. Il semble donc que les perfections de la grâce et de
la gloire ne soient pas données selon les capacités des choses naturelles. La
même chose apparaît au moyen de ce que nous dit l’Écriture [Proverbes XXX,
28] : Le lézard que l’on capture à la main ; et
là-dessus Saint-Grégoire dit qu’une plus grane grâce est versée dans celui
qui s’efforce davantage de posséder la grâce. |
[1313]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, cum Deus
habeat se aequaliter ad omnia, oportet quod diversitas donorum receptorum ab
ipso, attendatur secundum diversitatem recipientium. Diversitas autem
recipientium attenditur, secundum quod aliquid est magis aptum et paratum ad
recipiendum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, puisque Dieu est le même à l’égard de tout, il faut que la diversité des
dons reçus de lui soit considérée d’après la diversité de ceux qui reçoivent.
Mais la diversité de ceux qui reçoivent se prend suivant qu’un être est
davantage apte et prêt à recevoir. |
Sicut autem videmus in
formis naturalibus, quod per dispositiones accidentales, sicut calorem et
frigus et hujusmodi, materia efficitur magis vel minus disposita ad
suscipiendum formam ; ita etiam in perfectionibus animae ex ipsis operibus
animae anima efficitur habilior vel minus habilis ad consequendum
perfectionem suam. Sed tamen differenter se habent
operationes animae ad perfectiones infusas vel acquisitas. Acquisitae enim
perfectiones sunt in natura ipsius animae, in potentia, non pure materiali
sed etiam activa, secundum quod [qua Éd. de Parme] aliquid est in causis
seminalibus. |
Mais tout comme nous voyons
dans les formes naturelles que la matière, par des dispositions naturelles
comme la chaleur, le froid et des caractéristiques de cette sorte, est rendue
plus ou moins disposée à recevoir la forme, de même encore pour les
perfections de l’âme, en partant des œuvres mêmes de l’âme, l’âme est rendue
plus ou moins habile à poursuive sa perfection. Cependant les opérations de
l’âme se présentent différemment par rapport aux perfections infuses et à
celles qui sont acquises. Les perfections acquises existent en effet en
puissance dans la nature de l’âme, non pas par une puissance purement
matérielle mais aussi active, selon laquelle [par laquelle Éd. de
Parme] une chose existe dans sa cause comme dans une semence. |
Sicut patet quod omnis
scientia acquisita est in cognitione primorum principiorum, quae naturaliter
nota sunt, sicut in principiis activis ex quibus concludi potest. Et
similiter virtutes morales sunt in ipsa rectitudine rationis et ordine, sicut
in quodam principio seminali. Unde philosophus, VII Ethic., cap. V, dicit
esse quasdam virtutes naturales, quae sunt quasi semina virtutum moralium. Et
ideo operationes animae se habent ad perfectiones acquisitas, non solum per
modum dispositionis, sed sicut principia activa. Perfectiones autem infusae
sunt in natura ipsius animae sicut in potentia materiali et nullo modo
activa, cum elevent animam supra omnem suam actionem naturalem. Unde
operationes animae se habent ad perfectiones infusas solum sicut
dispositiones. |
Par
exemple il est clair que toute science acquise existe dans la connaissance
des premiers principes qui sont naturellement connus comme dans les principes
actifs à partir desquelles elle peut être tirée. Et de la même manière les
vertus morales existent dans la rectitude même et l’ordre de la raison comme
dans un principe et une semence. C’est pourquoi le Philosophe [ VII Éthiques,
ch.. V] dit qu’il existe certaines vertus naturelles qui sont comme les
semences des vertus morales. Et c’est pourquoi les opérations de l’âme se
rapportent aux perfections acquises non seulement à la manière d’une
disposition mais comme des principes actifs. Mais les perfections infuses
sont dans la nature de l’âme elle-même comme dans une puissance
matérielle et en aucune manière comme dans une puissance active
puisqu’elles élèvent l’âme au-dessus de la totalité de son action
naturelle. C’est pourquoi les opérations de l’âme ne se présentent que comme
des dispositions face aux perfections infuses. |
Dicendum est igitur, quod
mensura secundum quam datur caritas, est capacitas ipsius animae, quae est ex
natura simul, et dispositione quae est per conatum operum: et quia secundum
eumdem conatum magis disponitur natura melior ; ideo qui habet meliora
naturalia, dummodo sit par conatus, magis recipiet de perfectionibus infusis
; et qui pejora naturalia, quandoque magis recipiet, si adsit major conatus. |
Il faut donc dire que la
mesure selon laquelle la charité est donnée est la capacité de l’âme
elle-même qui vient à la fois de la nature et de la disposition acquise par
l’entreprise des œuvres : et parce que suivant les mêmes efforts la
nature est davantage disposée à être meilleure, c’est pourquoi celui qui
possède de meilleurs moyens naturels, pourvu que les efforts demeurent égaux,
recevra davantage de perfections infuses ; et celui qui possède des
ressources naturelles moindres recevra parfois davantage si des efforts plus
grands sont présents. |
[1314] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus recipientis non est
consideranda secundum naturam tantum ; sed etiam secundum dispositionem
conatus advenientem naturae: et ita etiam est in formis substantialibus
respectu materiae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la capacité de celui qui reçoit ne doit pas être considérée
seulement selon la nature mais aussi selon la disposition de l’effort
qui survient à la nature : et il en est encore de même dans les formes
substantielles par rapport à la matière. |
[1315]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 2 Unde patet solutio ad secundum. |
2. À
partir de là la solution à la deuxième difficulté est évidente. |
[1316]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ipsa
gratia est dispositio naturae ad gloriam. Unde non
requiritur quod interveniat alia dispositio media [media om. Éd. de Parme] inter
caritatem et gloriam: sed inter naturam et gratiam cadit conatus medius,
quasi dispositio. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la grâce elle-même est une disposition de la nature à l’égard de la
gloire. De là il n’est pas requis qu’intervienne une autre disposition
intermédiaire [intermédiaire om. Éd. de Parme] entre la charité
et la gloire : mais entre la nature et la grâce tombe l’effort
intermédiaire comme à titre de disposition. |
[1317] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in Angelis non est aliquid
quod contendat ad motum naturae intellectualis, ex quo conatus naturae
retardetur, sicut in natura hominis est natura sensitiva, quae tendit in
contrarium de se ad id quo tendit [ad id…tendit om. Éd. de Parme] motus
naturae intellectivae, scilicet delectabile secundum sensum, nisi cogatur et
reguletur ab ipsa ; et ideo in Angelis est diversitas secundum diversitatem
naturae. Haec tamen melius in 2, dist. 3, quaest. 1, art. 4, dicentur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que chez les Anges il n’y a pas quelque chose qui tend avec effort au
mouvement de la nature intellectuelle par quoi le mouvement de la nature
serait retardé, comme dans la nature de l’homme il y a la nature sensible qui
de soi tend à ce qui est contraire à ce vers quoi tend [à ce…tend om.
Éd. de Parme] le mouvement de la nature intellectuelle, à savoir à ce qui
est délectable selon le sens, à moins qu’elle ne soit contrainte et réglée
par elle ; et c’est pourquoi chez les Anges il y a une diversité selon
une diversité de nature. Mais nous verrons mieux cela plus loin [Livre 2,
dist. 3, quest. 1, art. 4] |
|
|
Articulus 4 [1318] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum caritas certitudinaliter ab habente
cognoscatur |
Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par celui qui la possède ? |
[1319]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod caritas
certitudinaliter ab habente cognoscatur. Ita enim dicitur in Littera: Magis
novit quis dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Sed
fratrem suum certitudinaliter cognoscit. Ergo multo magis caritatem qua ipsum
diligit. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
soit connue avec certitude par celui qui la possède. C’est de cette manière
en effet qu’on s’exprime dans le document : Quelqu’un connaît davantage
l’amour par lequel il aime que le frère qu’il aime. Mais il connaît son frère
avec certitude. Il connaît donc bien davantage la charité par laquelle il
l’aime. |
[1320] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, philosophus dicit, II Post. lect. 20, contra
Platonem, quod inconveniens est habere nos nobilissimos habitus, et nos
lateant. Sed caritas est habitus nobilissimus. Ergo videtur quod ab habente
certitudinaliter cognoscatur. |
2. En outre, le Philosophe
[11 Seconds Analytiques, lect. 20] dit à l’encontre de Platon qu’il est
absurde de posséder les plus nobles habitus et qu’ils nous soient cachés.
Mais la charité est le plus noble des habitus. Il semble donc qu’elle soit
connue avec certitude par celui qui la possède. |
[1321] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, quicumque habet fidem, scit se habere
fidem. Sed fides non magis est praesens animae [animae om. Éd. de Parme],
quam caritas. Ergo et qui habet caritatem, scit se habere illam. |
3. Par ailleurs, quiconque
possède la foi sait qu’il la possède. Mais la foi n’est pas plus présente à
l’âme [âme om. Éd. de Parme] que la charité. Donc celui-là qui
possède la charité sait aussi qu’il la possède. |
[1322] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, quidquid cognoscitur ab anima, cognoscitur ab ea
per hoc quod praesens sibi efficitur per sui [sui om. Éd. de Parme]
similitudinem. Sed magis est praesens animae quod est in ipsa essentialiter,
quam quod est per sui similitudinem. Ergo cum caritas essentialiter sit in
anima, videtur quod certius cognoscatur ab habente quam res exteriores quae
per sui similitudinem cognoscuntur. |
4. De plus, tout objet connu
par l’âme est connu par elle au moyen de ce qui lui est rendu présent par une
similitude de lui [de lui om. Éd. de Parme]. Mais est plus
présent à l’âme l’objet qui est en elle essentiellement que ce qui est en
elle par une similitude de lui. Donc, puisque la charité est présente dans
l’âme essentiellement, il semble qu’elle soit connue avec plus de certitude
par celui qui la possède que les choses extérieures qui sont connues par
leurs similitudes. |
[1323] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, caritas est quoddam lumen spirituale, ut
habetur 1 Joan., 2, 10: Qui diligit fratrem, in lumine manet. Sed lux seipsa
videtur. Ergo videtur quod similiter caritas ; et sic certius quam alia cognoscatur. |
5. Par ailleurs, la charité
est une certaine lumière intellectuelle comme le dit l’Écriture [1 Jean,
2, 10] : Qui aime son frère demeure dans la lumière. Mais la
lumière elle-même est perçue. Il semble donc que la charité semblablement
soit vue ; et ainsi elle est connue avec plus de certitude que les
autres choses. |
[1324] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, per caritatem quae est in aliquo efficitur
dignus Dei amore. Sed, ut dicitur Eccle. 9, 1, Nemo scit, utrum amore an odio
dignus sit. Ergo videtur quod nullus sciat se habere caritatem
certitudinaliter. |
Cependant : 1. Au contraire, c’est par la
charité qui est en soi qu’on est rendu digne de l’amour de Dieu. Mais, comme
il est dit [Ecclésiaste 9, 1] : Personne ne sait
s’il est digne d’amour ou de haine. Il semble donc que nul ne sache avec
certitude s’il possède la charité. |
[1325]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus dicit 1
Corinth. 4, 4: Nihil mihi conscius sum, sed non in hoc justificatus
sum. Cum
ergo nullum majus signum possit haberi de caritate quam non habere
conscientiam peccati mortalis, et hoc non sufficit ; videtur quod per nullum
signum possit aliquis certitudinaliter scire se habere caritatem. |
2. En outre, l’Apôtre
[1 Corinth. 4, 4] dit : Ma conscience ne me reproche
rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. Donc, puisqu’on ne peut
posséder aucun signe plus grand au sujet de la charité que celui de ne pas
avoir conscience d’un péché mortel et que cela ne suffit pas, il semble qu’on
ne puisse savoir avec certitude au moyen d’aucun signe qu’on possède la
charité. |
[1326]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, secundum
philosophum, II Métaph., text. 1, aliquid dicitur esse difficile ad
cognoscendum dupliciter: vel secundum se, vel quo ad nos. Dicendum est igitur
quod ea quae per esse suum non sunt unum in materia, quantum in se est, sunt
maxime nota ; sed quo ad nos sunt difficillima ad cognoscendum ; propter quod
dicit philosophus, ibidem, quod intellectus noster se habet ad manifestissima
naturae, sicut oculus vespertilionis ad lucem solis. Cujus ratio est, quia
cum intellectus noster potentialis sit in potentia ad omnia intelligibilia,
et ante intelligere non sit in actu aliquod eorum ; ad hoc quod intelligat actu,
oportet quod reducatur in actum per species acceptas a sensibus illustratas
lumine intellectus agentis ; quia, sicut dicit philosophus, III De anima,
text. 32, sicut se habent colores ad visum, ita se habent phantasmata ad
intellectum potentialem. Unde cum naturale sit nobis procedere ex sensibus ad
intelligibilia, ex effectibus in causas, ex posterioribus in priora, secundum
statum viae, quia in patria alius modus erit intelligendi ; ideo est quod
potentias animae et habitus non possumus cognoscere nisi per actus, et actus
per objecta. In actu autem animae est plura considerare: scilicet speciem
ipsius actus, quae est ab objecto, et modum et effectum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [11 Métaphysique,
texte 1], une chose est dite difficile à connaître de deux manières :
soit en elle-même, soit quant à nous. Il faut donc dire que les choses qui
dans leur existence ne sont pas unies à la matière, autant qu’elles le sont
en elles-mêmes, sont les plus connues ; mais quant à nous, elles sont
les plus difficiles à connaître ; et c’est pour cela que le Philosophe,
au même endroit, dit que le rapport de notre intelligence à ce qui
est le plus manifeste par nature est le même que celui de l’œil de
l’oiseau de nuit à la lumière du soleil. La raison en est que puisque notre
intellect possible est en puissance à tous les intelligibles et qu’avant de
concevoir il n’eat aucun d’eux en acte, pour concevoir ou intelliger en acte,
il faut qu’il passe à l’acte d’intelliger au moyen des espèces reçues des
sens et éclairées par la lumière de l’intellect agent ; car, ainsi que
le dit le Philosophe [111 de L’Âme,
texte 32], ce que les couleurs sont à la vue, de même les images le sont à
l’intellect possible. C’est pourquoi, puisqu’il nous est naturel ici-bas de
procéder du sensible à l’intelligible, des effets aux causes, de ce qui est
second à ce qui est premier parce que dans la patrie céleste il y aura une
autre manière d’intelliger, c’est pourquoi nous ne pourvons connaître les
puissances de l’âme et leurs habitus que par leurs actes et les
actes par leurs objets. Mais dans l’acte de l’âme il y a plusieurs choses à
considérer : à savoir l’espèce de l’acte lui-même, qui se tire de son
objet, le mode et l’effet. |
Si igitur accipiamus actum
caritatis, qui est diligere Deum et proximum, ex specie actus, non
discernitur utrum sit a potentia imperfecta, vel perfecta per habitum ; quia
ad idem objectum ordinatur potentia et habitus, sicut scientia et intellectus
possibilis. Modus autem quem ponit habitus in opere est facilitas et
delectatio, unde [ut Éd. de Parme] dicit philosophus, II Ethic., c. III, quod
signum habitus oportet accipere fientem in opere delectationem. Per istum
autem modum non discernitur utrum sit ab habitu caritatis infuso, vel ab
habitu acquisito. |
Si donc nous considérons à
part l’acte de charité, qui consiste à aimer Dieu et son prochain, à partir
de l’espèce même de cet acte, on ne distingue pas s’il vient d’une puissance
imparfaite ou d’une puissance qui est complétée par un habitus ; car
c’est au même objet que sont ordonnés la puissance et l’habitus, par exemple
la science et l’intellect possible. Mais le mode que présente l’habitus dans
l’opération est la facilité et le plaisir et de là [de telle manière que Éd.
de Parme] le Philosophe dit [11 Éthique, ch. 111] que le
signe qu’il faut prendre de l’habitus est qu’il produit le plaisir dans
l’opération. Mais par ce mode on ne distingue pas si l’acte de charité vient
d’un habitus infus de charité ou d’un habitus acquis. |
Effectus autem proprius
dilectionis, secundum quod est ex caritate, est in virtute merendi. Hoc autem
nullo modo cadit in cognitionem nostram nisi per revelationem. Et ideo nullus
certitudinaliter potest scire se habere caritatem ; sed potest ex aliquibus signis
probabilibus conjicere. Caritatem etiam increatam, quae Deus est, quamdiu
vivimus, per speciem non videmus, ut dicitur 1 Corinth. 13. |
Mais l’effet propre de
l’amour, selon qu’il vient de la charité, réside dans la capacité de mériter.
Et cela ne vient en aucune manière à notre connaissance si ce n’est par la
révélation. Et c’est pourquoi personne ne peut savoir avec certitude s’il
possède la charité, mais il peut le conjecturer à partir de signes probables.
Comme le dit l’Apôtre [1 Corinth., ch. 13], tant que nous vivons
en cette vie, nous ne pouvons voir non plus telle qu’elle est,
spécifiquement, la charité incréée qui est Dieu. |
Quamvis quidam aliter
dicant, quod ipsam caritatem, quae Deus est, in nobis videmus, sed visio est
adeo tenuis, scilicet quod nec visio potest dici, nec aliquis percipit se
videre ; eo quod visio ipsius Dei quasi confunditur et admiscetur in
cognitione aliorum. Sicut etiam dicunt, quod anima semper se intelligit, sed
tamen non semper de se cogitat. Hoc autem quomodo intelligendum est, supra,
dist. 3, qu. 1, art. 2, dictum est. |
Bien que certains parlent
autrement, à savoir que nous voyons en nous la charité même qui est Dieu,
cette vision cependant est faible, c’est-à-dire qu’on ne peut pas même
l’appeler vision et qu’on ne se perçoit pas en train de voir du fait que
la vision de Dieu se confond et se mêle à la connaissance des autres choses.
Par exemple ils disent aussi que l’âme se saisit toujours elle-même mais
cependant elle ne pense pas toujours à elle-même. Mais nous avons dit plus
haut [dist. 3, quest. 1, art. 2] comment cela doit se comprendre. |
[1327] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod auctoritates Augustini
in Littera positae loquuntur de cognitione ex parte ipsius cognoscibilis, et
non ex parte cognoscentis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que les témoignages d’Augustin présentés dans le Document
parlent de la connaissance prise du côté de l’objet connaissable lui-même et
non du côté de celui qui connaît. |
[1328] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus ibi loquitur de
habitibus nobilissimis partis cognitivae. Sed istorum habituum actus perfecte
exprimunt suos habitus quantum ad id quod est proprium eis ; sicut in actu
scientiae est certitudo per causam, in qua expresse scientia demonstratur ;
et multo plus est hoc in intellectu principiorum. Et ideo qui habet
scientiam, scit se habere, quamvis non e converso: quia aliqui se credunt
habere, qui non habent. Semper enim ad rectum mensuratur obliquum ; et ideo,
secundum philosophum, III Ethic., c. VIII, virtuosus est mensura in operibus
humanis ; quia illud est bonum, quod virtuosus appetit ; et similiter etiam
est de rectitudine intellectus ; quia illud est verum quod videtur habenti
rectum intellectum ; non autem quod videtur cuilibet. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le Philosophe parle à cet endroit des habitus les plus nobles de la
partie cognitive. Mais les actes de ces habitus expriment parfaitement leurs
habitus quant à ce qui leur est propre ; par exemple dans l’acte de
science la certitude s’obtient au moyen de la cause dans laquelle la science
est démontrée de manière explicite ; et il en est bien davantage ainsi
dans l’intelligence des principes. Et c’est pourquoi celui qui possède la
science sait qu’il la possède mais l’inverse n’est pas nécessairement
vrai : car certains croient posséder la science mais ils ne la possèdent
pas. En effet, c’est toujours par rapport à ce qui est droit que se
mesure ce qui est courbé; et c’est pourquoi, d’après le Philosophe
[111 Éthique, ch. 8], la mesure des actes humains est le
vertueux ; car ce qui est bon, c’est ce que le vertueux désire ; et
il ne est de même encore pour la rectitude de l’intelligence car est vrai ce
que voit celui qui possède une intelligence droite et non pas ce que le
premier venu voit. |
[1329]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 3 Et per hoc patet etiam solutio ad
tertium. Quia
actus fidei per ipsum objectum, quod est creditum, distinguitur ab actibus
aliorum habituum vel potentiae imperfectae, quae non potest per se in tale
objectum ; et ideo habens fidem scit se illam habere. |
3. Et au moyen de ce qui
vient d’être dit la solution à la troisième difficulté est évidente. Car
c’est pas son objet lui-même, qui est ce qui est cru, que l’acte de foi se
distingue des actes des autres habitus ou d’une puissance imparfaite qui est
incapable par elle-même d’un tel objet ; et c’est pourquoi celui qui
possède la foi sait qu’il la possède. |
[1330]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc
quod aliquid cognoscatur ab anima, non sufficit quod sit sibi praesens
quocumque modo, sed in ratione objecti. Intellectui autem nostro nihil est
secundum statum viae praesens ut objectum, nisi per aliquam similitudinem
ipsius, vel ab ipso effectu acceptam: quia per effectus devenimus in
causas. Et
ideo ipsam animam et potentias ejus et habitus ejus non cognoscimus nisi per
actus, qui cognoscuntur per objecta. Nisi largo modo velimus loqui de
cognitione, ut Augustinus loquitur, secundum quod intelligere nihil aliud est
quam praesentialiter intellectui quocumque modo adesse. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que pour qu’une chose soit connue par l’âme, il ne suffit pas qu’elle
lui soit présente de n’importe quelle manière, mais seulement en tant
qu’objet de connaissance. Mais en cette vie, aucun être n’est présent à notre
intelligence en tant qu’objet si ce n’est n’est au moyen d’une similitude de
cet être, ou reçue de son effet : car c’est au moyen des effets que nous
parvenons aux causes. Et c’est pourquoi nous ne connaissons l’âme elle-même,
ses puissances et ses habitus que par leurs actes qui ne sont eux-mêmes
connus que par leurs objets. À moins que nous voulions parler de la
connaissance au sens large comme le fait Augustin, au sens où comprendre ou
intelliger n’est rien d’autre que ce qui est présent maintenant d’une manière
ou d’une autre à l’intelligence. |
[1331] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per hoc quod caritas creata
vel increata est lux, ostenditur quod in se cognoscibilis sit, sed non
cognoscitur, ab intellectu nostro in se nisi per effectum suum, ratione jam
dicta, in corp. art. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que du fait que la charité créée ou incréée est une lumière, on montre
qu’elle est connaissable en elle-même mais non pas qu’elle est connue en
elle-même par notre intelligence, si ce n’est par son effet pour la raison
que nous avons déjà dite dans le corps de l’article. |
|
|
Articulus 5 [1332] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 tit. Utrum caritas sit ex caritate diligenda |
Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ? |
[1333]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod caritas non
sit ex caritate diligenda. Quatuor enim tantum sunt diligenda ex caritate, ut
in 3, dist. 27, qu. unica, art. 5, dicetur: scilicet, Deus, proximus, anima,
corpus. Sed caritas nullum horum est. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
ne doive pas être aimée par charité. Il n’y a en effet que quatre choses qui
doivent être aimées par charité comme nous le dirons plus loin [Livre 3,
dist. 27, quest. unique, art. 5] : à savoir Dieu, le prochain, l’âme et
le corps. Mais la charité n’est aucune de ces réalités. Elle ne doit donc pas
être aimée par charité. |
[1334] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 arg. 2 Item, nulla res denominat seipsam, quia albedo non
dicitur alba. Sed dilectum denominatur a dilectione. Ergo dilectio non
diligitur, nec caritas caritate amatur. |
2. De plus, aucune chose ne
se voit attribuer à elle-même son propre nom, car on ne dit pas de la
blancheur qu’elle est blanche. Mais ce qui est aimé est dénommé à partir de
l’amour. Donc l’amour n’est pas aimé et la charité n’est pas aimée par
charité. |
[1335] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut se habet sensus ad sentire, ita se
habet affectus ad diligere. Sed sensus proprius non sentit se sentire. Ergo
nec affectus diligit suam dilectionem. Caritas autem est in affectu. Ergo
caritas ex caritate non diligitur. |
3. Par ailleurs,
l’affectivité est à l’acte d’aimer ce que le sens est à l’acte de sensation.
Mais le sens propre ne sent pas qu’il sent. Donc l’affectivité n’aime pas son
amour. Mais la charité est dans l’affectivité. Donc la charité n’est pas
aimée par charité. |
[1336] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne quod diligitur, aliqua dilectione
diligitur. Si igitur actus caritatis amatur, oportet quod aliquo alio actu
ametur, et ille eadem ratione erit diligendus. Ergo hoc modo ducitur in
infinitum, quod non est ponendum. Ergo videtur quod caritas non sit ex
caritate diligenda. |
4. En outre, tout ce qui est
aimé est aimé d’un certain amour. Si donc l’acte de charité est aimé, il faut
qu’il soit aimé d’un autre acte et ce dernier pour la même raison devra être
aimé d’un autre acte. Et de cette manière on sera conduit à procéder à
l’infini, ce qui est impossible. Il semble donc que la charité ne doive pas
être aimée par charité. |
[1337] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera ex verbis
Augustini: Qui proximum diligit, consequens est ut ipsam praecipue
dilectionem diligat. Sed proximus diligendus est ex caritate. Ergo et
caritas. |
Cependant : 1. C’est le contraire qui est
établi dans le document à partir des paroles d’Augustin : Qui aime son
prochain, c’est principalement l’amour même qu’il aime. Mais le prochain doit
être aimé par charité. Il en est donc de même pour la charité. |
[1338] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, proximus non est diligendus ex caritate, nisi
inquantum habet imaginem Dei. Sed expressius repraesentat Deum caritas, quam
imago naturalis quae est in anima. Ergo videtur quod ipsa sit magis ex
caritate diligenda. |
2. En outre, le prochain ne
doit être aimé par charité que pour autant qu’il possède l’image de Dieu.
Mais la charité représente plus clairement Dieu que l’image naturelle qui est
dans l’âme. Il semble donc que la charité elle-même doive davantage être
aimée par charité. |
[1339]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod aliquid est
diligibile dupliciter: vel sicut ratio dilectionis, vel sicut objectum, sicut
etiam color videtur ut objectum, et lumen ut ratio per quam color est
visibilis in actu. Sicut autem eodem actu videtur color et lux, ita etiam eodem
actu diligitur quod amatur ut objectum et ut ratio objecti. Sciendum est
igitur quod caritas potest tripliciter sumi ; vel pro caritate increata, quae
Spiritus sanctus est ; vel pro caritate habituali ; vel pro actu caritatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’un être peut être aimé de deux manières : soit comme la raison de
l’amour, soit comme l’objet de l’amour, tout comme aussi la couleur est vue
comme objet, et la lumière comme la raison par laquelle la couleur est
visible en acte. Mais tout comme c’est par le même acte que la couleur et la
lumière sont vues, de même aussi c’est par le même acte qu’est aimé ce qui
est aimé comme objet et ce qui est aimé en tant que raison de l’objet. Il
faut donc savoir que la charité peut se prendre de trois manières ; soit
en tant que charité incréée qui est l’Esprit-Saint ; soit en tant que
charité habituelle ; soit en tant qu’acte de charité. |
Quodlibet autem istorum est
ratio diligendi, et potest esse objectum dilectionis ; sicut proximum
diligimus inquantum in ipso Deus inhabitat, et habitum caritatis habet, et
actum exercet ; et sic diliguntur ut ratio diligibilis. Si autem
considerentur in se, sic adhuc diliguntur ut objectum dilectionis. Sic autem
non diligitur caritatis habitus vel actus dilectione amicitiae vel
benevolentiae quae inanimatorum esse non potest, ut philosophus, VIII Ethic.,
cap. 1, dicit, sed dilectione cujusdam complacentiae, secundum quod diligere
dicimur illud quod approbamus, et quod esse volumus. |
Et chacune de ces charités
est une raison d’aimer et peut aussi être objet d’amour ; tout comme
nous aimons le prochain en tant que Dieu habite en lui, qu’il possède
l’habitus de la charité et qu’il exerce l’acte de charité ; et dans ces
cas il y a amour en tant que raison de ce qui est aimable. Mais si on les
considère en eux-mêmes, alors en outre ils sont aimées en tant qu’objets
d’amour. Mais alors l’habitus et l’acte de charité ne peut être aimé d’une
amour d’amitié ou de bienveillance qui ne peut avoir lieu pour les objets
inanimés, comme le dit le Philosophe [ VIII Éthiques, ch. 1], mais seulement
d’un amour de complaisance, selon que nous disons aimer ce que nous
approuvons ou ce que nous voulons être. |
[1340] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est quodammodo
medium inter Deum et proximum: quia est similitudo Dei, et etiam est ratio
diligendi ipsum proximum ; et ideo consequitur ad dilectionem utriusque. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la charité est d’une certaine manière un intermédiaire entre
Dieu et le prochain car elle est une similitude de Dieu et aussi la raison
d’aimer le prochain ; et c’est pourquoi elle atteint à l’amour des deux. |
[1341] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod denominatio proprie est
secundum habitudinem accidentis ad subjectum: sic autem dilectum non
denominatur a dilectione, sed magis sicut objectum ; et ideo ratio non
procedit. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la dénomination a proprement lieu d’après le rapport de l’accident
au sujet : mais de cette manière ce qui est aimé n’est pas dénommé à
partir de l’amour, mais plutôt comme un objet ; et c’est pourquoi cet
argument ne nous fait pas avancer. |
[1342] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in potentiis materialibus hoc
contingit quod potentia non reflectitur super suum actum, propter hoc quod
determinata est secundum complexionem [compilationem Éd. de Parme] organi.
Visus enim particularis non potest cognoscere nisi illud cujus species
spiritualiter in pupilla potest recipi ; et ideo visus non potest
comprehendere suum actum. Si autem hoc esset necessarium in omnibus, quod
actus cujuslibet potentiae non cognosceretur a propria potentia, sed a superiore,
tunc oporteret quod vel in potentiis animae iretur in infinitum, vel
remaneret aliquis actus animae imperceptibilis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que dans les puissancs matérielles il est possible que la puissance ne
revienne pas sur son acte pour cette raison qu’elle est déterminée suivant la
complexion [dépouillement Éd. de Parme] de l’organe. Une vision
particulière en effet ne peut connaître que ce dont l’espèce peut être reçue
immatériellement dans la pupille ; et c’est pourquoi la vue ne peut
comprendre son propre acte. Mais s’il était nécessaire qu’il en soit ainsi
pour toutes les puissances, à savoir que l’acte de n’importe quelle puissance
ne soit pas connu par la puissance qui lui est propre mais par une puissance
supérieure, alors il faudrait soit qu’on procède à l’infini dans les
puissances de l’âme, soit qu’un acte de l’âme demeure inintelligible. |
Et ideo dicendum, quod
potentiae immateriales reflectuntur super sua objecta ; quia intellectus
intelligit se intelligere, et similiter voluntas vult se velle et diligere.
Cujus ratio est, quia actus potentiae immaterialis non excluditur a ratione
objecti. Objectum enim voluntatis est bonum ; et sub hac ratione diligit
voluntas omne quod diligit ; et ideo potest diligere actum suum inquantum est
bonus ; et similiter est ex parte intellectus ; et propter hoc Lib. De Caus.,
prop. 15, dicitur quod cujuscumque actio redit in essentiam agentis per
quamdam reflexionem, oportet essentiam ejus ad seipsam redire, idest in se
subsistentem esse, non super aliud delatam, idest non dependentem a materia. |
Et c’est pourquoi il faut
dire que les puissances immatérielles font un retour sur leurs objets ;
car l’intelligence comprend qu’elle comprend et la volonté veut vouloir et
aimer. La raison en est que l’acte d’une puissance immatérielle n’est pas
écarté de la notion d’objet. L’objet de la volonté en effet est le bien et
c’est sous cette raison que la volonté aime tout ce qu’elle aime ; et
c’est pourquoi elle peut aimer son acte dans la mesure où il est bon ; et
il en est de même du côté de l’intelligence ; et c’est pour cette raison
qu’on dit [Livre des Causes, prop. 15] que l’action de quiconque qui
aboutit à l’essence de l’agent par un certain retour sur soi, il faut que son
essence se ramène à elle-même, c’est-à-dire qu’elle soit subsistante en
elle-même sans être portée par quelque chose d’autre, c’est-à-dire sans
dépendre de la matière. |
[1343] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus dilectionis, secundum
quod tendit in alterum, constat quod differt numero ab actu dilectionis qui
in alio diligitur, sive diligatur ut objectum, sive ut ratio diligendi. Sed
quia etiam animam suam potest aliquis ex caritate diligere, potest etiam ex
caritate actum suae caritatis diligere. Et tunc distinguendum est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’acte d’amour, selon qu’il tend vers un autre, diffère clairement
par le nombre de l’acte d’amour qui est aimé dans un autre, qu’il soit aimé
comme objet ou comme raison d’aimer. Mais parce que quelqu’un peut aimer par
charité même son âme, il peut aussi par charité aimer l’acte de sa charité.
Et alors il faut distinguer. |
Quia vel dilectio fertur in
actum dilectionis proprium, sicut in rationem dilectionis tantum ; et sic
constat quod eodem actu numero diligitur diligens et actus ejus ; et sic idem
actus diligitur per actum qui est ipse. Vel diligitur ut objectum
dilectionis, et sic est alius actus dilectionis numero qui diligitur et quo
diligitur ; sicut patet planius in actu intellectus. Cum enim actus
distinguantur per objecta, oportet dicere diversos actus qui terminantur ad
objecta diversa. Unde sicut sunt diversi actus quibus intellectus intelligit
equum et hominem, ita sunt diversi actus in numero, quo intelligit equum et
quo intelligit actum illius sub ratione actus. Nec est inconveniens quod in
actibus animae eatur in infinitum in potentia, dummodo actus non sint
infiniti in actu. Unde etiam Avicenna concedit non esse impossibile quin
relationes consequentes actum animae, multiplicentur in infinitum. |
Car ou bien l’amour se porte
vers l’acte propre de l’amour comme vers la raison de l’amour seulement et
ainsi il est clair que c’est par le même acte numériquement parlant que sont
aimés celui qui aime et son acte ; et ainsi c’est le même acte qui est
aimé par l’acte qui est lui-même. Ou bien il est aimé comme objet d’amour et
ainsi ce qui est aimé et ce par quoi il est aimé sont des actes
différents d’amour numériquement parlant, tout comme on le voit plus
clairement dans l’acte de l’intelligence. En effet, puisque les actes se
distinguent par leurs objets, il faut dire que les actes qui se terminent à
des objets différents sont eux-mêmes différents. C’est pourquoi tout comme
sont différents les actes par lesquels l’intelligence conçoit le cheval et
l’homme, de même l’acte par lequel l’intelligence conçoit le cheval et celui
par lequel elle conçoit cet acte sous la raison d’acte sont des actes
différents numériquement parlant. Et il n’y a pas de problème à aller à
l’infini en puissance dans les actes de l’âme, pourvu que les actes ne soient
pas infinis en acte. C’est pourquoi même Avicenne [111 Métaphysique,
ch. X] concède qu’il n’est pas impossible que les relations découlant de
l’acte de l’âme se multiplient à l’infini. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La croissance de la charité] |
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Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus
partis quinque quaeruntur: 1 utrum caritas augeatur ; 2 de modo augmenti ; 3 utrum quolibet actu
augeatur ; 4 utrum sit aliquis
terminus augmenti ; 5 utrum diminuatur. |
Pour comprendre cette partie
on s’interroge sur cinq points : 1. Est-ce que la charité peut
s’accroître ? 2. De quelle manière ? 3. Est-ce qu’elle s’accroît
par n’importe quel acte ? 4. Est-ce que cet
accroissement se limite à un terme ? 5. Est-ce que la charité peut
diminuer ? |
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Articulus 1 [1346] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum caritas augeatur |
Article 1 – La charité s’accroît-elle ? |
[1347]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas non
augeatur. Nihil enim augetur nisi quantum. Sed nullum simplex est quantum,
quia omne quantum est divisibile. Caritas autem est simplex habitus, et ita
non est quantum per se, nec similiter per accidens, cum ejus subjectum,
scilicet anima, sit etiam indivisibile. Ergo non augetur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
ne puisse croître. Rien en effet n’est le sujet d’une croissance si ce n’est
ce qui possède une quantité. Mais rien de simple ne possède une quantité car
toute quantité est divisible. Mais la charité est un habitus qui est simple
et ainsi elle n’est une quantité ni par soi ni par accident puisque son
sujet, à savoir l’âme, est elle aussi indivisible. Elle ne peut donc croître. |
[1348] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 2 Si dicis, quod quanta est, non quantitate molis, sed
virtutis, contra: quantitas virtutis dividitur secundum objecta in quae
virtus potest. Sed in omnia objecta caritatis potest quaelibet caritas,
quantumcumque parva. Ergo non augetur secundum quantitatem virtutis. |
2. Si tu dis qu’elle est une
quantité non pas par la quantité d’une masse matérielle mais d’une puissance,
il faut dire cependant que la quantité d’une puissance de divise d’après les
objets dans lesquels la puissance peut se diviser. Mais toute charité, si
petite qu’elle soit, peut se diviser dans tous les objets de charité. La
charité ne peut donc croître selon la quantité d’une puissance. |
[1349] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, cum augmentum sit species motus, quidquid
augetur movetur, et quod essentialiter augetur essentialiter movetur. Sed
quod movetur est corpus, ut probat philosophus, VI Physic. : text. 32 ;
et quod naturaliter movetur corrumpitur. Cum igitur caritas non corrumpatur,
quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8, nec sit corpus mobile ;
videtur quod non essentialiter augeatur. |
3. En outre, puisque la
croisssance est une espèce de mouvement, tout ce qui croît se meut, et tout
ce qui croît essentiellement se meut essentiellement. Mais ce qui se meut est
un corps ainsi que le prouve le Philosophe [ VI Physiques, texte
32] ; et ce qui se meut par nature se corrompt. Donc, puisque la charité
ne peut se corrompre, car la charité ne meurt jamais [1 Corinth.
13, 8], elle n’est pas non plus un corps en mouvement ; il semble donc
qu’elle ne puisse croître essentiellement. |
[1350] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, cujus causa semper se habet eodem modo, illud
neque augetur neque minuitur, nec aliquo modo variatur. Sed causa
immediata caritatis Deus est, qui semper eodem modo se habet. Ergo caritas non variatur
per augmentum. |
4. De plus, ce dont la cause
est toujours la même n’est sujet ni à croissance, ni à diminution, ni à
aucune sorte de changement. Mais la cause immédiate de la charité est Dieu
qui est toujours le même. Donc la charité ne peut changer par augmentation. |
[1351] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, constat quod augmentum qualitatis non
potest reduci ad aliquam speciem motus, nisi ad alterationem. Sed alteratio,
ut probat philosophus VII Physic., text. 20, non est nisi circa partem animae
sensitivam, et circa objecta ejus. Cum ergo caritas qualitas sit et sit in
parte intellectiva, alioquin non esset in Angelis, qui sensitiva carent,
videtur quod non augeatur. |
5. Par ailleurs, il est clair
que l’augmentation d’une qualité ne peut se ramener à une espèce de mouvement
que selon l’altération. Mais l’altération, comme le prouve le Philosophe [
VII Physiques, texte 20], ne se rapporte qu’à la partie sensitive de l’âme et
à ses objets. Donc, puisque la charité est une qualité et qu’elle est dans la
partie intellective de l’âme, autrement on ne la retrouverait pas chez les
Anges qui sont privés de la partie sensitive, il semble que la charité ne
soit pas le sujet d’une croissance. |
[1352]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, Augustinus, Tract. V
Super I Epist. Joan., § 4, dicit: Caritas cum fuerit nata, nutritur ; cum
fuerit roborata, perficitur. Omne autem in quo progressus secundum diversos
gradus attenditur, augetur. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Au contraire, Augustin
[Traité V, Sur la Première Lettre de Jean, & 4] dit : Lorsque la
charité sera née, elle se nourrira ; lorsqu’elle aura été fortifiée,
elle se perfectionnera. Mais toute chose dans laquelle on remarque un
processus qui s’échelonne suivant différents degrés est sujette à croissance.
Il en est donc ainsi pour la charité. |
[1353] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, per actum devenimus in cognitionem
habitus. Sed contingit actum caritatis intensiorem fieri. Ergo etiam et
caritas augeri potest. |
2. Par ailleurs, c’est au
moyen de l’acte que nous parvenons à la connaissance de l’habitus. Mais il
arrive que se produise une augmentation de l’acte de charité. L’habitus de la
charité peut donc augmenter lui aussi. |
[1354]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam
posuerunt caritatem essentialiter non augeri, et horum fuit quadruplex
opinio. Quidam enim dixerunt, ut
Magister in littera, quod caritas secundum se non augetur, sed dicitur augeri
in nobis, inquantum nos in caritate proficimus ; et hoc quia ponit caritatem
esse Spiritum sanctum, in quem variatio non cadit. Sed hoc non potest stare:
quia non est intelligibile, quod nos in caritate, quae Spiritus sanctus est,
proficiamus, nisi aliquid fiat in nobis quod prius non fuit ; et hoc non
potest esse tantum actus, cum omnis actus sit ex virtute aliqua, et actus
perfectus, quali Spiritu sancto unimur, est a virtute perfecta per habitum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains ont affirmé que la charité, essentiellement, ne peut croître et
parmi eux il y a eu quatre opinions. Certains en effet ont dit,
comme le Maître dans ce document, que la charité en elle-même ne croît pas,
mais on dit qu’elle croît en nous dans la mesure où nous progressons dans la
charité ; et cette opinion découle de ce qu’il pose que la charité est
l’Esprit-Saint lui-même dans lequel il ne peut se rencontrer aucun
changement. Mais cette position ne peut tenir : car on ne peut
comprendre que nous progressions dans la charité qui est l’Esprit-Saint que
s’il se produit quelque chose en nous qui n’y était pas avant ; et cela
ne peut être seulement un acte puisque tout acte vient d’une certaine
puissance, et que tout acte parfait par lequel nous sommes unis à
l’Esprit-Saint, vient d’une puissance qui est achevée par un habitus. |
Alii dixerunt, quod caritas
essentialiter non augetur, sed dicitur augeri, inquantum magis firmatur in
subjecto, secundum ipsam radicationem. Sed ex hoc etiam sequitur ipsam augeri
essentialiter. Nulla enim forma potest intelligi magis firmari in subjecto,
nisi per hoc quod habet majorem victoriam super subjectum suum. Augmentum
autem victoriae redundat in augmentum virtutis, et per consequens in
augmentum essentiae: quia virtus, si non est ipsa essentia, oportet quod sit
ab essentia, et commensuretur sibi sicut effectus causae proximae. |
D’autres disent que la
charité ne croît pas essentiellement, mais on dit qu’elle croît selon qu’elle
est davantage fixée, selon son enracinement même, dans un sujet. Mais il
découle encore de cette position que la charité croît essentiellement. En
effet, on ne peut comprendre qu’une forme se fixe davantage dans un sujet que
du fait qu’elle obtient une plus grande supériorité sur son sujet. Mais l’augmentation
de la supériorité retombe sur l’augmentation de la puissance et par
conséquent sur l’augmentation de l’essence : car la puissance, si elle
n’est pas l’essence même, il faut qu’elle vienne de l’essence et qu’elle lui
soit proportionnée, comme l’effet est proportionné à sa cause prochaine. |
Alii dixerunt, quod caritas
essentialiter non augetur, sed adveniente majori caritate, minor caritas,
quae inerat, destruitur. Hoc etiam non potest stare: quia nulla forma
destruitur, nisi vel ex contrario agente, vel per accidens ex corruptione
subjecti. Cum igitur subjectum caritatis maneat, et caritas adveniens
caritati inventae non contrarietur ; non potest esse quod destruatur nec per
se nec per accidens, sicut ignis parvus a magno igne propter consumptionem materiae. |
D’autres disent que la
charité ne croît pas essentiellement, mais qu’une fois survenue une plus
grande charité, la plus petite charité qui était présente disparaît. Mais
cela non plus ne peut tenir : car aucune forme n’est détruite, si ce
n’est par un agent contraire ou par accident suite à la corruption du sujet.
Donc, puisque le sujet de la charité demeure et que la charité qui survient
n’est pas contraire à la charité déjà obtenue, il est impossible que la
charité soit détruite soit essentiellement soit par accident, comme un petit
feu est détruit par un grand feu à cause de la corruption de la matière. |
Alii dixerunt, quod caritas
non augetur nisi quantum ad fervorem. Sed hoc etiam non potest stare: quia
fervor caritatis dupliciter accipitur: proprie et metaphorice. Metaphorice,
secundum quod dicimus caritatem esse calorem, et intensionem actus caritatis
metaphorice dicimus fervorem, secundum quod Dionysius, VII De cael. hier.,
col. 206, ponit fervidum in amore Angelorum. Sic autem fervor acceptus, est
per se consequens essentiam caritatis ; unde non potest in tali fervore fieri
augmentum, nisi ipsa caritas essentialiter augeatur ; cum simul varietur res
et omnia quae per se consequuntur ipsam. |
D’autres disent que la
charité ne croît que quant à la ferveur. Mais cela non plus ne peut tenir car
la ferveur de la charité se prend de deux manières : soit proprement,
soit d’une manière métaphorique. Elle se prend d’une manière métaphorique
selon que nous disons que la charité est de la chaleur et que nous appelons
métaphoriquement ferveur l’augmentation de l’acte de charité,
conformément à ce que Denys dit [ VII De
la Hiérarchie Céleste, col. 206] lorsqu’il affirme qu’il y a de la
ferveur dans l’amour des Anges. Mais prise en ce sens, la ferveur découle essentiellement
de l’essence de la charité ; c’est pourquoi il ne peut y avoir
croissance dans une telle ferveur que si la charité elle-même croît
essentiellement, puisque la chose et tout ce qui découle de la chose changent
simultanément. |
Alio modo dicitur fervor
prout est in parte sensitiva ; cum enim vires inferiores sequantur motum
superiorum, si sit intensior, sicut videmus quod ad apprehensionem mulieris
dilectae totum corpus exardescit et movetur ; ita etiam quando affectus
superior movetur in Deum, consequitur quaedam impressio etiam in virtutibus
sensitivis, secundum quam incitantur ad obediendum divino amori. Intensio
autem istius fervoris non sufficit ad augmentum caritatis: quia secundum
augmentum istius fervoris non attenditur quantitas meriti, cum consistat in
dispositione corporis. Unde magis ferventes non semper magis merentur. Sed
ille qui dicitur crescere in charitate, crescit etiam in merito, si sit in
statu merendi. |
En un autre sens on appelle
ferveur ce qui existe dans la partie sensitive ; en effet, puisque les
puissances inférieures suivent le mouvement des puissances supérieures s’il
s’y manifeste une plus grande intensité, comme nous voyons qu’à
l’appréhension de la femme aimée tout le corps s’enflamme et s’émeut, de même
encore quand l’affectivité supérieure se meut vers Dieu, il s’ensuit une
impression même dans les parties sensitives d’après laquelle elles sont
portées à obéir à l’amour divin. Mais l’intensité de cette ferveur ne suffit
pas à l’augmentation de la charité : car ce n’est pas d’après
l’augementation de cette ferveur que se considère la quantité du mérite,
puisqu’elle consiste dans une disposition du corps. C’est pourquoi les plus
fervents ne sont pas toujours ceux qui méritent le plus. Mais celui dont on
dit qu’il croît dans la charité, il faut aussi qu’il croisse dans le mérite
s’il est dans l’état de mériter. |
Et ideo dicendum, quod
charitas essentialiter augetur. Sciendum tamen est, quod augeri nihil aliud
est quam sumere majorem quantitatem ; unde secundum quod aliquid se habet ad
quantitatem ; ita se habet ad augmentum. Quantitas autem dicitur dupliciter ;
quaedam virtualis, quaedam dimensiva. Virtualis quantitas non est ex genere
suo quantitas, quia non dividitur divisione essentiae suae ; sed magnitudo
ejus attenditur ad aliquid divisibile extra, vel multiplicabile, quod est
objectum vel actus virtutis. Sed ex genere suo est vel forma accidentalis in
genere qualitatis, vel forma substantialis, quae tamen non est major vel
minor. Et ideo augmentum secundum quantitatem virtutis non pertinet ad
speciem motus quae augmentum dicitur, sed magis ad alterationem ; et hoc modo
augetur caritas et aliae qualitates. |
Et c’est pourquoi il faut
dire que la charité croît essentiellement. Il faut cependant savoir que
croître n’est rien d’autre que prendre une plus grande quantité ; c’est
pourquoi un être se rapporte à la croissance de la même manière qu’il se
rapporte à la quantité. Mais la quantité se dit de deux manières : soit
quant à la puissance, soit quant à la dimension. La quantité potentielle
n’est pas une quantité de par son genre lui-même car elle ne se divise pas
par la division de son essence mais son étendue se considère par rapport à
quelque chose qui est divisible extérieurement, ou qui est multipliable, à
savoir l’objet ou l’acte de la puissance. La quantité potentielle est donc,
de par son genre, ou bien une forme accidentelle dans le genre de la qualité,
ou bien une forme substantielle qui cependant ne peut être plus grande ou
plus petite. Et c’est pourquoi la croissance selon la quantité de la
puissance n’appartient pas à cette espèce de mouvement qu’on appelle la
croissance, mais plutôt à l’altération ; et c’est en ce sens que la
charité et les autres qualités croissent. |
Quantitas autem dimensiva
est quorumdam per accidens, sicut albedinis, quae dicitur quanta secundum
quantitatem superficiei, ut in Praedicamentis « De quant. »,
dicitur. Unde non augetur nisi per accidens ; sed per se invenitur in
corporibus quae per se augentur. Hoc autem contingit dupliciter. Quia aliquando
illud quod sumit majorem quantitatem, movetur de quantitate minori in
majorem. Aliquando autem est sine motu ipsius quod augeri dicitur ; unde non
quaelibet pars augetur, sicut quaelibet pars moti per se movetur. |
Mais la quantité
dimentionnelle appartient à certaines choses d’une manière accidentelle,
comme à la blancheur qui est dite grande d’après la quantité de la surface,
ainsi qu’on le dit dans le Traité des Prédicaments au
chapître intitulé ¨De la Quantité¨. C’et pourquoi la
couleur ne croît que par accident, mais elle se retrouve par elle-même dans
les corps qui croissent essentiellement. Mais cela est possible de deux
manières. Car parfois ce qui prend une quantité plus grande se meut d’une
quantité plus petite à une quantité plus grande. Mais parfois la
quantité plus grande est acquise sans mouvement de la part de celui dont on
dit qu’il croît ; c’est pourquoi ce n’est pas toute partie qui croît,
comme toute partie de ce qui se meut se meut essentiellement. |
Et hoc contingit quando
efficitur major quantitas per additionem quantitatis, sicut quando additur
lignum ligno, vel linea lineae. Unde hoc est augmentum, sed non motus
augmenti. Quod autem moveatur aliquid ad majorem quantitatem, contingit
dupliciter: vel ita quod quantitas sit per se terminus motus ; vel quod
consequatur terminum. |
Et cela se produit quand une
quantité plus grande est réalisée par l’addition d’une quantité, comme
lorsqu’on ajoute du bois à du bois, une ligne à une autre ligne. C’est
pourquoi cela est une croissance mais non un mouvement de croissance. Mais
qu’une chose se meuve vers une plus grande quantité, cela est possible de
deux manières : soit de telle manière que la quantité soit par elle-même
le terme du mouvement, soit qu’elle suive le terme. |
Quando per se quantitas
est terminus motus, oportet quod sit ibi additio ad totum, et quod ad
quamlibet partem, ut totum augeatur et quaelibet pars ejus ; sicut est in
animali et in planta ; et tunc proprie est motus augmenti. Unde motus
augmenti non est nisi in habentibus nutritivam. Consequitur autem quantitas
[quantitatis om. Éd. de Parme] terminum motus, quando est ad formam aliquam
quam consequitur aliqua quantitas. Cuilibet enim formae debetur quantitas
determinata: et quia motus non specificatur nisi ab eo quod est per se
terminus motus, ideo talis motus non dicitur per se motus augmenti ; sed vel
generatio si sit forma substantialis, sicut quando ex aere fit ignis ; vel
alteratio, quando est forma accidentalis, sicut in rarefactione aeris patet. |
Quand la quantité est par
elle-même le terme du mouvement, il faut qu’il y ait là une addition par
rapport au tout et par rapport à chacune des parties pour que le tout croisse
et que chacune de ses parties croisse ; et c’est là ce qu’on observe
chez l’animal et la plante ; et c’est alors qu’on parle proprement de
mouvement de croissance. Et c’est pourquoi le mouvement de croissance ne se
retrouve que chez ceux qui possèdent la capacité de se nourrir. Mais la
quantité [quantité om. Éd. de Parme] suit le terme du mouvement
quand une quantité est en vue d’une certaine forme qu’elle poursuit. À toute
forme en effet est due une quantité déterminée : et parce qu’un
mouvement n’est spécifié que par ce qui est par soi le terme du mouvement,
c’est pourquoi un tel mouvement n’est pas appelé par soi un mouvement de
croissance ; mais il s’agit là d’une génération si la forme est
substantielle, comme lorsque le feu est obtenu à partir de l’air, ou d’une
altération si la forme est accidentelle comme on le voit dans la raréfaction
de l’air. |
[1355] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas, quamvis non
habeat quantitatem dimensivam neque per se neque per accidens, quia subjectum
etiam ejus non est quantum ; tamen in ea quantitas virtutis est, ratione
cujus augeri dicitur, sicut et albedo et calor. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la charité, bien qu’elle ne possède une quantité
dimentionnelle ni essentiellement ni accidentellement, parce que son sujet
n’est pas lui non plus une quantité, a en elle, comme la blancheur et la
chaleur, la quantité d’une puissance en raison de laquelle on peut dire
qu’elle croît. |
[1356] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas virtutis attenditur
dupliciter: vel quantum ad numerum objectorum, et hoc est per modum
quantitatis discretae ; vel quantum ad intensionem actus super idem objectum
; et hoc est sicut quantitas continua ; et ita excrescit virtus caritatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la quantité de la puissance se prend de deux manières : soit
quant au nombre des objets, et cela à la manière d’une quantité
discrète ; soit quant à l’intensité de l’acte sur le même objet, et cela
à la manière d’une quantité continue ; et c’est ainsi que se développe
ou s’accroît la vertu de charité. |
[1357] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas non dicitur augeri
quasi subjectum augmenti, cum sit accidens, sed quia secundum ipsam
attenditur augmentum ; sicut etiam quantitas augeri dicitur, et albedo
variari quando aliquid per albedinem variatur. Nec oportet quod si
essentialiter augetur, quod destruatur. Dicitur enim aliquid secundum
essentiam suam moveri dupliciter: vel quia essentia est per se terminus
motus, et sic moveri per essentiam est essentiam amittere et corrumpi ; vel
quia est motus [motus om. Éd. de Parme] secundum aliquid conjunctum
essentiae, quod est per se terminus motus, sicut dicitur aliquid moveri
essentialiter dum secundum locum movetur, quia secundum suam essentiam in
loco est. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’on ne dit pas que la charité croît à titre de sujet de la croissance
puisqu’elle est un accident, mais parce que c’est par rapport à elle qu’on
considère la croissance, tout comme on dit aussi que la quantité augmente et
que la blancheur varie quand quelque chose varie par la blancheur. Et il
n’est pas nécessaire qu’elle soit détruite si elle augmente essentiellement.
C’est de deux manières en effet qu’on dit d’une chose qu’elle se meut suivant
son essence : soit parce que son essence est essentiellement le terme du
mouvement, et ainsi se mouvoir par essence c’est perdre l’essence et se
corrompre ; soit parce qu’elle est en mouvement [mouvement om.
Éd. de Parme] d’après quelque chose qui est uni à l’essence et
qui est par soi le terme du mouvement, tout comme on dit qu’une chose se meut
essentiellement alors qu’elle se meut selon le lieu, car c’est d’après son
essence qu’elle est dans un lieu. |
Et sic essentiale augmentum
dicitur quod est secundum quantitatem essentiam consequentem, manente una et
eadem essentia sub diversa quantitate ; sive quantitas sit ipsa essentia rei,
sicut quantitas virtutis est idem cum ipsa virtute, et tamen movetur per se
loquendo secundum quantitatem, secundum majorem et minorem perfectionem virtutis
; nec tunc per se secundum essentiam movetur, quia esse suum retinet: sive
sit aliud ab essentia, sicut patet in augmento corporali. Nec oportet quod
omne quod movetur, sit corpus, nisi accipiatur de motu naturali, qualis non
est motus animae. |
Et ainsi la croissance se dit
essentiellement de ce qui suit l’essence selon la quantité, l’essence
demeurant une seule et unique essence sous des quantités différentes ; soit
que la quantité soit l’essence même de la chose, comme la quantité de la
puissance est identique à la puissance elle-même, et cependant à parler
essentiellement elle se meut d’après la quantité d’après une plus grande et
une plus petite perfection de la puissance ; et cependant alors elle ne
se meut pas essentiellement d’après l’essence car elle conserve son
existence. Soit encore la quantité est autre que l’essence, comme on le voit
dans la croissance corporelle. Et il n’est pas nécessaire que tout ce qui se
meut soit un corps, à moins qu’on ne parle du mouvement naturel, lequel n’est
pas le mouvement de l’âme. |
[1358] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis causa efficiens
caritatis sit in se immobilis ; tamen secundum ordinem sapientiae suae,
potest alicui majorem caritatem praebere pro beneplacito suae voluntatis, et
secundum quod aliquis diversimode se ad caritatem praeparat, qui etiam se
habet aliquo modo ad caritatem ut causa materialis recipiens ad cujus
diversitatem etiam sequitur variatio in effectu. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que la cause efficiente de la charité soit en elle-même
immobile, cependant, suivant l’ordonnance de sa sagesse, Dieu peut fournir à
un tel une plus grande charité pour le bon plaisir de sa volonté et
conformément à une préparation différente de chacun à l’égard de la charité,
chacun se rapportant encore d’une certaine manière à la charité comme la
cause matérielle qui reçoit, et c’est de la diversité de cette cause
matérielle que découle encore une variation dans l’effet. |
[1359] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, cum alteratio passiva
includat in intellectu suo passionem, sicut duplex est passio, ita et duplex
est alteratio. Dicitur enim communiter passio uno modo omnis receptio,
secundum etiam quod intelligere pati dicitur, et sic etiam alteratio secundum
istam passionem consistit in qualibet variatione circa receptionem alicujus
qualitatis ; et hoc modo potest esse alteratio etiam in substantiis pure
intellectualibus, et sic alteratio potest esse in caritate. Alio modo dicitur
proprie passio, quando abjicitur aliquid a substantia, et hoc est ex actione
contrarii transmutantis ; et secundum istam passionem alteratio dicta non est
nisi circa sensibilia et circa sensibilem partem animae per se, et circa
intellectum per accidens, quantum ad illas qualitates quae in parte
intellectiva ex sensibus oriuntur, sicut sunt omnes habitus acquisiti ;
quorum non est caritas. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que, puisque l’altération passive inclut dans sa compréhension une
passion et comme il y a deux sortes de passion, il y aura deux sortes
d’altération. En un sens en effet on appelle communément passion toute
réception suivant laquelle on appelle aussi passion l’acte de l’intelligence
et de la même manière encore l’altération suivant cette signification
consiste en une certaine variation par rapport à la réception d’une
qualité ; et en ce sens il peut y avoir altération même dans les
substances purement intellectuelles, et c’est en ce sens qu’il peut y avoir
altération dans la charité. En un autre sens passion se dit proprement quand
quelque chose est rejeté de la substance et cela provient de l’action d’un
agent contraire qui transforme ; et l’altération dite d’après cette
sorte de passion ne se rapporte qu’aux choses sensibles, essentiellement à la
partie sensible de l’âme et accidentellement à sa partie intellectuelle quant
à ces qualités qui naissent dans l’âme intellectuelle à partir des sens comme
c’est le cas pour tous les habitus acquis dont la charité ne fait
pas partie. |
|
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Articulus 2 [1360] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas
augeatur per additionem |
Article 2 – La charité s’accroît-elle par addition ? |
[1361]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod caritas augeatur per additionem. Philosophus enim dicit, I De
generatione, text. 32 : Augmentum est praeexistenti quantitati additamentum.
Si igitur caritas augetur, oportet quod praeexistenti caritati alia caritas
addatur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
croisse par addition. Le Philosophe dit en effet [1 De la Génération,
texte 32] : La croissance est une addition à une quantité préexistante.
Si donc la charité croît, il faut qu’une autre charité s’ajoute à une charité
préexistante. |
[1362] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, nihil potest augere caritatem nisi Deus qui
dedit. Sed Deus non agit aliquid in anima de novo nisi per novum influxum.
Non potest autem intelligi novus influxus nisi aliquid de novo infundatur.
Ergo videtur quod caritas augeatur per hoc quod alia caritas de novo infusa
praesenti addatur. |
2. En outre, rien ne peut
augmenter la charité si ce n’est Dieu qui l’a donnée. Mais Dieu ne fait rien
de nouveau dans l’âme si ce n’est au moyen d’une influence nouvelle. Mais on
ne peut comprendre qu’il y ait une influence nouvelle à moins que quelque
chose ne soit répandu à nouveau. Il semble donc que la charité augmente ou
croît du fait qu’une autre charité nouvellement répandue s’ajoute à celle qui
est présente. |
[1363] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, si non augetur per additionem novae caritatis a
Deo, non videtur posse augeri nisi per recessum a contrario caritatis. Sed
contra, augmentum caritatis potest esse in illis in quibus nihil est de
contrario caritatis, sicut in Angelo, et homine in statu innocentiae. Ergo
videtur quod isto modo caritas non augeatur, sed praedicto modo. |
3. De
plus, si la charité n’est pas accrue par Dieu au moyen de l’addition d’une
nouvelle charité, il semble qu’elle ne puisse croître qu’au moyen d’un
retrait de ce qui est contraire à la charité. Mais cependant, la croissance
de la charité peut avoir lieu dans ceux chez lesquels il n’y a rien de
contraire à la charité, comme chez les Anges et chez les hommes qui sont dans
l’état d’innocence. Il semble donc que la charité ne puisse croître de cette
manière mais de la manière qui précède. |
[1364] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, videtur, secundum hoc, quod Deus non est
causa augmenti caritatis, sed homo, qui se a contrario caritatis refrenat,
sicut a concupiscentia. Et hoc est inconveniens. Ergo videtur quod non
augeatur nisi per additionem. |
4. Par ailleurs, il semble,
d’après cela, que ce ne soit pas Dieu qui est la cause de l’augmentation de
la charité, mais l’homme qui se soustrait à ce qui est contraire à la
charité, par exemple à la concupiscence. Mais cela est impossible. Il semble
donc que la charité ne croisse que par addition. |
[1365] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, simplex simplici additum, nihil majus efficit,
ut probat philosophus, I de generatione, text. 8. Sed caritas est quid
simplex. Ergo per additionem caritatis ad caritatem non efficitur major
caritas. |
Cependant : 1. Au contraire, le simple
ajouté au simple ne produit pas quelque chose de plus grand, ainsi que le
prouve le Philosophe [1 De la Génération, texte 8]. Mais la
charité est quelque chose de simple. Donc l’addition d’une charité à une
autre ne produit pas une charité plus grande. |
[1366] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Dionysium, V cap. De div. nom.,
tantum distat inter ipsas Dei participationes et participantes, quod
participatio quanto simplicior est tanto nobilior, participans vero quanto
majorem habet compositionem donorum participatorum, tanto nobilius est ;
sicut esse est nobilius quam vivere, et vivere quam intelligere, si unum sine
altero intelligatur: omnibus enim esse praeeligeretur. Sed quod habet plura
ex his, melius est. Sed caritas est quaedam participatio divinae
bonitatis. Ergo quanto compositior est per additionem caritatis
ad caritatem, minus valebit. Igitur si caritas augetur per additionem, quanto magis
augetur, minus erit eligenda. Hoc autem est ridiculum. Ergo non augetur per
additionem. |
2. Par ailleurs, d’après
Denys [Les Noms Divins, ch. V], les participations et les participants
de Dieu diffèrent seulement entre eux en ceci que la participation est
d’autant plus noble qu’elle est plus simple, mais le participant est d’autant
plus noble qu’il possède une plus grande composition des dons participés ;
par exemple exister est plus noble que vivre, et vivre plus qu’intelliger, si
l’un se comprend sans l’autre : en effet, exister est préférable à tout
le reste. Mais ce qui, à partir de là, possède davantage, est meilleur. Mais
la charité est une certaine participation de la bonté divine. Donc, plus elle
est composée par l’addition d’une charité à une charité, moins elle vaudra.
Donc, si la charité croît par addition, plus elle croîtra, moins elle devra
être choisie. Mais cela est ridicule. Elle ne croît donc pas par addition. |
[1367]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod eorum qui
ponunt caritatem essentialiter augeri, dicta revertuntur in duas opiniones:
quarum una est, quod augetur per additionem caritatis ad caritatem ; alia est
quod augetur per intensionem secundum accessum ad terminum ; et in hoc
revertitur quod quidam dicunt, caritatem augeri per multiplicationem sui in
anima sicut lux in aere: lux enim non augetur nisi per intensionem, sicut
aliae qualitates. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que parmi ceux qui affirment que la charité croît
essentiellement, ce qui est dit se ramène à deux opinions: dont l’une pretend
qu’elle croît par l’addition d’une charité à une autre et l’autre qu’elle
croît par l’intensité d’après l’accès au terme; et c’est à cela que se ramène
ce que certains disent, à savoir que la charité croît par sa multiplication
dans l’âme comme c’est le cas pour la lumière dans l’air: la lumière en effet
ne croît que par intensité comme les autres qualités. |
Primam
autem positionem non possum intelligere ; quia in omni additione oportet
intelligere duo diversa, quorum unum alteri additur. Si autem intelligantur
duae caritates, aut intelligentur diversae secundum speciem aut
numerum. Constat
quod non secundum speciem, cum omnes caritates sint in eadem specie virtutis. |
Mais la première position
m’est inintelligible car dans toute addition il faut comprendre deux choses
différentes dont l’une s’ajoute à l’autre. Mais si on entend deux charités,
on les entend différentes soit selon l’espèce, soit selon le nombre. Mais il
est clair que ce n’est pas selon l’espèce, puisque toutes les charités font
partie de la même espèce de vertu. |
Diversitas autem secundum
numerum est ex diversitate materiae, sicut haec albedo differt ab illa
numero, quia est in diverso subjecto. Unde non potest qualitas addi qualitati
nisi per hoc quod subjectum subjecto additur. Caritas autem quae potest addi,
nunquam fuit in alio subjecto, antequam in isto ; et secundum hoc quod est in
isto, non differt numero ab alia caritate in eodem existente, ut probatum
est, in hac dist., quaest. 1, art. 1. Unde nullo modo est intelligere ibi
additionem. Sed ista positio provenit ex falsa imaginatione, quia augmentum
caritatis imaginati sunt ad modum augmenti corporalis, in quo fit additio
quantitatis ad quantitatem. |
Mais la différence selon le
nombre vient d’une différence de matière, tout comme cette blancheur diffère
de telle autre par le nombre parce qu’elle est dans un sujet différent. C’est
pourquoi une qualité ne peut être ajoutée à une qualité que par ceci qu’un
sujet est ajouté à un sujet. Mais la charité qui peut être ajoutée ne fut
jamais dans un autre sujet avant d’être dans celui-ci ; et selon qu’elle
existe dans celui-ci, elle ne diffère pas par le nombre d’une autre charité
qui existe dans le même sujet ainsi que nous l’avons prouvé [dist. 17, quest.
1, art. 1]. C’est pourquoi en aucune manière il y a lieu d’entendre là une
addition. Mais cette position vient d’une fausse imagination car ils ont
imaginé la croissance de la charité à la manière de la croissance corporelle
dans laquelle il y a addition d’une quantité à une quantité. |
Et ideo dico, quod quando
caritas augetur, nihil ibi additur, sicut philosophus etiam dicit in IV Physic.,
texte 84, quod aliquid efficitur magis album vel magis calidum, non per
additionem alicujus albedinis vel caloris ; sed quia illa qualitas quae prius
inerat intenditur secundum propinquitatem ad terminum. |
Et c’est pourquoi je dis que
quand la charité croît, rien n’est ajouté là ainsi que le Philosophe le dit
aussi [IV Physique, texte 84], à savoir qu’une chose est rendue
plus blanche ou plus chaude non pas par l’addition d’une blancheur ou d’une
chaleur mais parce que cette qualité qui était déjà présente dans un corps
s’intensifie selon sa proximité par rapport au terme. |
Haec autem intensio
contingit diversimode in qualitatibus simplicibus et compositis, primis et
secundis. Qualitates enim compositae vel secundae, intenduntur secundum
intensionem qualitatum primarum, sicut sapor et sanitas et alia hujusmodi,
secundum intensionem caloris et frigoris, humoris et siccitatis. |
Mais cette intensification se
présente différemment dans les qualités simples et composées, dans celles qui
sont premières et celles qui sont secondes. En effet, les qualités composées
ou secondes s’intensifient d’après l’intensification des qualités premières,
comme la saveur, la santé et les qualités de cette sorte s’intensifient
d’après l’intensification de la chaleur et du froid, de l’humidité et de la
sécheresse. |
Qualitates autem primae et
simplices intenduntur ex causis suis, scilicet ex agente et recipiente. Agens
enim intendit reducere patiens de potentia in actum suae similitudinis,
quantumcumque potest. |
Mais les qualités premières
et simples s’intensifient à partir leurs causes, c’est-à-dire à partir de
l’agent et de celui qui reçoit. L’agent en effet cherche à faire passer le
patient de la puissance à l’acte de sa ressemblance dans la mesure du
possible. |
Sicut autem non calidum est
potentia caloris ; ita minus calidum est potentia respectu magis calidi. Unde
sicut per potentiam calidi efficitur de non calido calidum, non quod ponatur
ibi aliquis calor, sed quia calor qui est in potentia, educitur in actum ;
ita etiam efficitur magis calidum per actionem calidi, inquantum educitur
calor, qui inerat ut actus imperfectus, in majorem perfectionem et majorem
assimilationem agentis ; et hoc contingit, secundum quod potentia subjecta
actui, quae quidem, quantum in se est, ad multa se habet, magis ac magis
terminatur ab actu illo ; vel quia augetur virtus agentis, sicut ex
conjunctione plurium luminarium intenditur illuminatio ; vel ex parte ipsius
materiae, secundum quod efficitur susceptibilior illius actus, sicut aer
quanto plus attenuatur, fit susceptibilior luminis. |
Mais tout comme ce qui n’est
pas chaud est en puissance à être chaud, de même ce qui est moins chaud est
en puissance à être plus chaud. C’est pourquoi tout comme c’est par la
puissance à la chaleur que ce qui n’est pas chaud devient chaud, non pas
parce qu’on pose là une chaleur, mais parce que la chaleur qui est en
puissance passe à l’acte, de même encore ce qui est moins chaud est rendu
plus chaud par l’action du chaud dans la mesure où la chaleur, qui était
présente comme un acte imparfait, passe à une perfection plus grande et à une
plus grande ressemblance à l’agent ; et cela est possible selon que la
puissance qui est placée sous l’acte, et qui certes en elle-même se rapporte
à une multiplicité, est délimitée de plus en plus par cet acte ; soit
parce que la puissance de l’agent croît, tout comme l’illumination
s’intensifie à partir de la réunion de plusieurs luminaires ; soit du
côté de la matière elle-même selon qu’elle est rendue plus apte à recevoir cet
acte, tout comme l’air devient plus capable de recevoir la lumière selon
qu’il est rendu d’autant plus fin. |
Intensio autem caritatis
non contingit ex hoc quod virtus agentis fortificetur, sed tantum ex hoc quod
natura recipiens, quae quantum in se est, dispositionem quamdam habet
secundum quod est in potentia ad plura, magis ac magis praeparatur ad
susceptionem gratiae, secundum quod ex dicta multitudine, scilicet confusione
potentialitatis, in unum colligitur per operationes quibus ad caritatem
suscipiendam praeparatur, ut prius dictum est, art. 1 istius quaest. Et ideo
Dionysius perfectum sanctitatis semper designat per hoc quod est ex partita
[partita : sparsa Éd. de Parme] vita sparsa vita in unicam consurgere. |
Mais l’intensification de la
charité n’est pas possible à partir de ceci que la puissance de l’agent est
fortifiée, mais seulement à partir de ceci que la nature de celui qui reçoit,
qui quant à ce qu’elle est en elle-même, possède une certaine disposition
selon qu’elle est en puissance à une multiplicité, est préparée de plus en
plus à recevoir la grâce selon qu’à partir de cette multiplicité dont on
parle, à savoir le mélange des potentialités, elle se concentre sur une seule
finalité au moyen des opérations par lesquelles elle se prépare à recevoir la
charité ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 17, quest. 2, art. 1].
Et c’est pourquoi Denys désigne toujours la perfection de la sainteté par
ceci que la vie qui est dispersée du fait qu’elle est partagée
[partagée : dispersée Éd. de Parme] soit élevée à une vie
unique et remarquable. |
Et sic patet quod augmentum
caritatis simile est augmento qualitatum naturalium, licet origo ejus
differat ab origine illarum. Cujus ratio est, quia qualitates naturales
educuntur de potentia materiae, quarum inchoationes quasdam materiae Deus
opere creationis indidit ; et ideo quando in actum procedunt, est exitus de
imperfecto ad perfectum. |
Et ainsi il est clair que la
croissance de la charité est semblable à la croissance des qualités
naturelles, bien que l’origine de celle-ci soit différente de l’origine de
celles-là. La raison en est que les qualités naturelles procèdent de la
puissance de la matière, qualités dont Dieu, par l’œuvre de la création, a
donné certains fondements ou commencements à la matière ; et c’est
pourquoi, quand ces qualités passent à l’acte, il y a là comme un passage de
l’imparfait au parfait. |
Dona autem gratuita non
educuntur quasi de potentia naturae ; quia nihil est in potentia naturali
quod per agens naturale educi non possit. Et ideo origo
gratiae est per novam infusionem ; sed augmentum ejus est per hoc quod de
imperfecto ad perfectum actus infusus educitur. |
Mais
les dons de la grâce ne sont pas produits comme à partir d’une puissance de
la nature car il n’y a rien dans une puissance naturelle qui ne puisse être
produit par un agent naturel. Et c’est pourquoi l’origine de la grâce a lieu
par une infusion inusitée; mais sa croissance a lieu par ceci que son acte
est produit de l’imparfait au parfait. |
[1368]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
propositio philosophi intelligitur de augmento corporali, quod fit semper per
additionem quantitatis, quia in hac materia ab ipso proponitur. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que la proposition du Philosophe s’entend de
la croissance corporelle qui a toujours lieu par l’addition d’une quantité,
car c’est pour cette matière que cette proposition est présentée par lui. |
[1369]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus una et
eadem operatione agit in omnia quae sunt, quamvis forte illa operatio
differat solum secundum rationem, secundum quod exit a ratione diversorum
attributorum, vel diversarum idearum. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que c’est par une seule et même opération que Dieu
agit en tout ce qui existe, bien que peut-être cette opération diffère
seulement par la raison selon qu’elle procède de la notion de différents
attributs ou de différentes idées. |
Unde dico, quod una et
eadem operatione infunditur gratia et augetur ; nec est diversitas nisi ex
parte recipientis, quod ex illa operatione plus minusve recipit, secundum
quod ad eam diversimode praeparatur ; sicut eadem irradiatione solis
efficitur aer clarus et magis clarus, depulsis nebulosis vaporibus qui receptionem
luminis impediebant ; unde non oportet quod sit ibi alia et alia claritas. |
C’est pourquoi je dis que
c’est par une seule et même opération que la grâce est répandue et qu’elle
croît ; et il n’y a de différence que du côté de celui qui
reçoit, à savoir qu’à partir de cette opération il reçoit plus ou moins
selon qu’il est préparé différemment à la recevoir ; tout comme c’est
par le même rayonnement du soleil que l’air est rendu clair et plus clair une
fois qu’ont été repoussées les brumes qui empêchaient la réception de la
lumière ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait là telle et
telle autre clarté. |
Praeterea,
etiam si essent duae operationes, non oporteret quod terminarentur ad duo
diversa secundum substantiam ; sed prima terminaretur ad esse caritatis
imperfectae, secunda ad eamdem caritatem secundum perfectionem, secundum quod
aliquid educitur de imperfecto ad perfectum. |
Par
ailleurs, même s’il y avait deux opérations, il ne serait pas nécessaire
qu’elles se terminent à deux choses différentes selon la substance; mais la
première operation se terminerait à l’existence d’une charité imparfaite et
la seconde à la même charité selon sa perfection, selon que
quelque chose est conduit de l’imparfait au parfait. |
[1370]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est de
ratione intensionis alicujus qualitatis, quod sit per remotionem a contrario
; sed hoc accidit qualitati, secundum quod inest in subjecto participante
contrarium. Sed hoc est de necessitate intensionis quod qualitas educatur de
imperfecto ad perfectum, sicut patet de diaphano, in quo nihil est contrarium
luci, quod potest lumen intendi secundum incrementum virtutis
illuminantis. Haec autem imperfectio est ex potentialitate ipsius naturae,
quae subjicitur perfectioni et actui. Cum enim omnis potentia receptiva ad
multa se habeat, secundum istam multitudinem ipsius, dissimile est principio
agenti, quod est terminatum ad actum unum ; et secundum quod ista confusio
potentialitatis magis subjicitur actui, perfectior perficitur actus, et ipsum
perfectum magis efficitur unum, et magis assimilatum principio agenti. Haec
autem confusio potentialitatis est in qualibet natura creata, secundum id [id
om. Éd. de Parme] quod nondum est perfecta per actum. Unde etiam per istum
modum ponit Dionysius, purgationem in Angelis, scilicet secundum quod
removentur a confusione dissimilitudinis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il n’entre pas dans la définition de l’intensité d’une qualité
qu’elle ait lieu au moyen d’un éloignement de la qualité contraire ;
mais cela se produit dans le cas d’une qualité qui appartient au sujet qui
participe de la qualité contraire. Mais il appartient nécessairement à
l’intensité que la qualité soit conduite de l’imparfait au parfait comme on le
voit pour le diaphane dans lequel il n’y a rien de contraire à la lumière, à
savoir que la lumière peut s’intensifier selon l’augmentation de la puissance
de celui qui éclaire. Mais cette imperfection vient d’une potentialité de la
nature elle-même qui est soumise au perfectionnement et à l’acte. En effet,
puisque toute puissance réceptive est apte à une multiplicité, c’est d’après
cette multiplicité qui la concerne qu’elle s’oppose au principe agent qui est
déterminé à l’égard de son acte ; et selon que cette sorte de mélange de
potentialité est davantage soumis à l’acte, l’acte se trouve à être achevé
plus parfaitement et cela même qui est achevé est davantage rendu un et
davantage rendu semblable au principe agent. Mais ce mélange de potentialité
est présent dans toute nature créée selon ceci [ceci om. Éd. de Parme]
qu’elle n’est pas encore achevée par l’acte. C’est pourquoi c’est encore de
cette manière que Denys présente la purgation chez les Anges, à savoir selon
qu’ils s’écartent du mélange de la dissemblance. |
[1371] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod eodem modo sumus causa
augmenti gratiae, sicut et causa ipsius gratiae, scilicet per modum
dispositionis tantum. Sed efficientia utrobique est ex parte ipsius Dei,
sicut patet ex his quae supra dicta sunt, in corp. art. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que c’est de la même manière que nous sommes causes de l’augmentation de
la grâce et que nous sommes causes de la grâce elle-même, à savoir à la
manière d’une disposition seulement. Mais la cause efficiente dans les deux
cas se trouve du côté de Dieu lui-même comme on le voit en s’appuyant sur ce
qui a été dit plus haut dans le corps de l’article. |
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Articulus 3 [13 72] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 tit. Utrum caritas augeatur quolibet actu |
Article 3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel acte ? |
[1373]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caritas
quolibet actu augeatur. Ubi enim eadem causa est, et idem effectus. Sed omnes
actus caritatis sunt ejusdem speciei quantum ad esse morale, sicut omnes
actus fortitudinis. Ergo cum aliquis actus caritatis caritatem augeat,
videtur etiam quod quilibet actus. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
croît par n’importe quel acte. Là en effet où la cause est la même, l’effet
est le même. Mais tous les actes de charité sont de même espèce quant à
l’existence morale, comme c’est le cas pour tous les actes de force. Donc
puisque tout acte de charité augmente la charité, il semble qu’il en soit de
même pour n’importe quel acte. |
[1374] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, quod facere potest majus, potest etiam facere
minus. Sed quodlibet actu caritatis meretur quis vitam aeternam. Ergo et
potest mereri augmentum caritatis. |
2. En outre, ce qui peut
faire plus peut aussi faire moins. Mais c’est par n’importe quel acte de
charité que quelqu’un mérite la vie éternelle. C’est donc aussi par n’importe
quel acte qu’il peut mériter l’augmentation de la charité. |
[1375] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, quilibet actus caritatis est longe
potentior quantum ad esse gratiae, quam actus qui sunt ex naturalibus tantum.
Sed per actus qui sunt tantum ex naturalibus, homo praeparatur per modum
dispositionis ad recipiendum gratiam. Ergo multo magis per quemlibet actum
caritatis disponitur ad caritatis augmentum. |
3. Par ailleurs, n’importe
quel acte de charité est de loin plus puissant quant à l’existence de la
grâce que les actes qui viennent des puissances naturelles seulement. Mais
c’est par les actes qui viennent des seules puissances naturelles que l’homme
se prépare à recevoir la grâce par mode de disposition. C’est donc bien
davantage par n’importe quel acte de charité que l’homme se dispose à la
croissance de la charité. |
[1376] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 4 Contra, ex eisdem principiis ex quibus aliquid
nascitur, et augmentatur. Sed unus actus non sufficit ut disponens [ad
dispositionem Éd. de Parme] ut caritas infundatur. Ergo
nec ad hoc ut augeatur. Probatio mediae. Majorem causalitatem habet actus
noster ad virtutem acquisitam quam ad caritatem infusam. Sed unus actus non
sufficit ad generationem virtutis acquisitae ; quinimmo ex frequenti bene
agere fit homo bonus, secundum philosophum, II Ethic., cap. 1. Ergo multo minus unus actus
sufficit disponere ad caritatem. |
4. Au contraire, une chose
croît à partir des mêmes principes à partir desquels elle naît. Mais un seul
acte ne suffit pas pour disposer [à la disposition Éd. de Parme]
à répandre la charité. Donc, un seul acte ne suffit pas non plus pour la
faire croître. Preuve de la mineure. Notre acte possède une plus grande
causalité à la vertu acquise qu’à la charité infuse. Mais un seul acte ne
suffit pas à la génération de la vertu acquise ; mais au contraire c’est
par la répétition de bonnes actions que l’homme devient bon d’après le
Philosophe [11 Éthique, ch. 1]. Donc un seul acte suffit beaucoup
moins à disposer à la charité. |
[1377] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, secundum augmentum caritatis augetur etiam
praemium substantiale ; sed non quolibet actu charitatis augetur praemium
substantiale [sed… substantiale om. Éd. de Parme] dicitur enim communiter,
quod pluribus operibus in caritate factis, non plus meretur quis quantum ad augmentum
praemii substantialis, quam uno ex aequali caritate facto. Ergo non quolibet
actu caritatis caritas augetur. |
5. De plus, c’est d’après la
croissance de la charité qu’est aussi accrue la récompense
substantielle ; mais ce n’est pas par n’importe quel acte de charité
qu’est accrue la récompense substantielle [mais…substantielle om. Éd.
de Parme] puisqu’on dit en effet communément que quelqu’un ne mérite pas
davantage, quant à l’augmentation de la récompense substantielle, au moyen de
plusieurs œuvres faites dans la charité que par une seule faite dans une
charité égale. Ce n’est donc pas par n’importe quel acte de charité que la
charité croît. |
[1378]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod non eodem
modo se habet actus informatus caritate ad augmentum caritatis, et actus
praecedens caritatem ad habendam caritatem. Actus enim qui est ex caritate,
ordinatur ad augmentum caritatis et per modum dispositionis et per modum
meriti ; sed actus praecedens caritatem ordinatur ad consequendum caritatem
solum per modum dispositionis, ut supra dictum est, art. antec., non per
modum meriti: quia ante caritatem nullum potest esse meritum. Neuter autem
actus ordinatur ad habendam vel augmentandam caritatem per modum alicujus
efficientiae, sicut actus nostri ad habendum habitus acquisitos. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le rapport de l’acte informé par la charité à la croissance de la charité
n’est pas le même que celui de l’acte qui précède la charité à celui qui la
possède. En effet, l’acte qui vient de la charité est ordonné à la croissance
de la charité à la fois à la manière d’une disposition et à la manière d’un
mérite ; mais l’acte qui précède la chatité est ordonné à la poursuite
de la charité uniquement à la manière d’une disposition, comme nous l’avons
dit dans l’article précédent, et non à la manière d’un mérite : car
avant la possession de la charité, il ne peut y avoir aucun mérite. Mais ni
l’un ni l’autre n’est ordonné à la possession ou à l’augmentation de la charité
à la manière d’une cause efficiente comme c’est le cas pour nos actes qui
sont ordonnés à la possession des habitus acquis. |
Sciendum est igitur, quod
actus qui praecedit caritatem, quandoque unus solus disponit ultima
dispositione ut infundatur caritas, secundum immobilitatem divinae bonitatis,
per quam unicuique largitur secundum quod praeparatum est ad recipiendum:
quandoque autem unus actus non disponit nisi dispositione remota, et sequens
actus magis disponit, et sic deinceps, secundum quod ex multis bonis actibus
pervenitur ad ultimam dispositionem, inquantum actus sequens semper agit in
virtute omnium praecedentium ; ut patet in guttis cavantibus lapidem, quod
non quaelibet aufert aliquid de lapide, sed omnes praecedentes disponunt, et
una ultima agens in virtute omnium praecedentium, inquantum scilicet invenit
materiam dispositam per praecedentes, complet cavationem. |
Il faut donc savoir que pour
ce qui est de l’acte qui précède la charité, un seul suffit parfois pour
disposer l’âme d’une disposition ultime telle que la charité soit répandue,
conformément à l’immobilité de la bonté divine, charité par laquelle elle se
donne à chacun en autant qu’il est préparé à la recevoir ; parfois
cependant un seul acte ne dispose que par une disposition éloignée, et l’acte
qui suit dispose davantage et ainsi de suite, selon qu’à partir de plusieurs
actes bons on parvienne à la disposition ultime, dans la mesure où l’acte qui
suit agit toujours dans la puissance de ceux qui précèdent ; c’est ce
qu’on voit par exemple dans le cas des gouttes qui creusent la pierre, à
savoir que ce n’est pas n’importe laquelle d’entre elles qui enlève une
partie à la pierre, mais toutes celles qui précèdent la préparent, mais la
seule et dernière goutte, agissant dans la puissance de toutes celles qui ont
précédé, c’est-à-dire dans la mesure où elle trouve la matière disposée par
les gouttes qui ont précédé, achève le creusage. |
Hoc autem ideo contingit,
quia homo est dominus sui actus. Unde potest agere secundum totam virtutem
naturae suae vel secundum partem: quod non contingit in illis quae agunt ex
necessitate naturae: semper enim agunt tota virtute sua. Quando ergo ita est
quod homo non habens caritatem ex tota virtute bonitatis naturalis sibi
inditae movetur ad caritatem, tunc unus actus disponit eum ultima
dispositione, ut caritas sibi detur. |
Mais cela n’est possible que
parce que l’homme est maître de ses actes. C’est pourquoi il peut agir soit
selon la totalité de la puissance de sa nature, soit selon une partie
seulement : ce qui n’est pas possible chez ceux qui agissent par une
nécessité de nature : ces derniers en effet agissent toujours par la
totalité de leur puissance. Donc quand il en est ainsi que l’homme qui ne
possède pas la charité se meut vers la charité par toute la puissance de la
bonté naturelle qui lui est donnée, alors un seul acte le dispose d’une
disposition dernière telle que la charité lui est donnée. |
Quando vero non secundum
totam virtutem, sed secundum aliquid ejus praeparatur ad caritatem, tunc
actus non est sicut dispositio ultima, sed remota, et per plures actus
poterit pervenire ad dispositionem ultimam. Similiter dico ex parte alia,
quod quando actus caritatis procedit ex tota virtute habentis et quantum ad
virtutem naturae et quantum ad virtutem habitus infusi, tunc unus actus
disponit, et meretur augmentum caritatis, ut statim fiat. Quando autem non
secundum totam virtutem procedit actus ille, tunc est ut dispositio remota,
et poterit tunc per plures actus pervenire ad augmentum caritatis, non tamen
de necessitate: quia homo, quantumcumque sit dispositus, potest non agere
secundum rationem dispositionis illius: quod non contingit in dispositionibus
non voluntariis, ratione jam dicta, paulo sup. |
Mais quand ce n’est pas selon
toute sa puissance, mais d’après une partie seulement qu’il se prépare à la
charité, alors l’acte ne se présente pas comme une disposition dernière, mais
comme une disposition éloignée, et c’est alors par plusieurs actes qu’il
pourra parvenir à la disposition dernière. D’un autre côté je dis
semblablement que quand l’acte de charité procède de toute la puissance de
celui qui possède à la fois quant à la puissance de la nature et quant à la
puissance de l’habitus infus, alors un seul acte dispose et mérite la
croissance de la charité de telle manière qu’elle est produite aussitôt. Mais
quand cet acte de charité ne procède pas suivant toute la puissance, alors il
n’y a qu’une disposition éloignée, et il pourra alors parvenir à la
croissance de la charité au moyen de plusieurs actes, mais non
nécessairement : car l’homme, quelle que soit sa disposition, peut ne
pas agir en raison de cette disposition : ce qui n’est pas possible pour
les dispositions qui ne sont pas volontaires pour la raison que nous avons
déjà dite un peu plus haut. |
[1379] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non eodem modo se habet
quilibet actus caritatis, eo quod unus potest esse magis intensus, et etiam
unus potest esse disponens in virtute plurium praecedentium, ut dictum est, in
corp. art., et ideo non sequitur idem effectus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que ce n’est pas de la même manière que se présente n’importe quel acte
de charité, du fait que l’un peut être plus intense, et même que l’un peut
disposer par la puissance des nombreux autres qui précèdent, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, et c’est pourquoi ce n’est pas le
même effet qui suit. |
[1380] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praemium substantiale vitae
aeternae ordinatur sicut finis ad actus caritatis, et commensuratur ad
invicem, non secundum aequiparantiam, sed secundum proportionem. Unde actui
caritatis debetur praemium substantiale, et actui majoris caritatis majus
praemium. Unde quilibet actus caritatis, inquantum est informatus tali
habitu, ordinatur ad praemium substantiale ; non tamen ad augmentum praemii,
sicut nec ad augmentum caritatis, secundum quod caritas remanet primum
principium merendi, sed solum secundum quod augmentum caritatis pertinet ad
perfectionem praemii. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la récompense substantielle de la vie éternelle est ordonnée à
l’acte de charité comme à sa fin et qu’ils sont proportionnés l’un à l’autre
non pas selon l’égalité mais selon la proportion. C’est pourquoi à un acte de
charité est due une récompense substantielle et à un acte de charité plus
grand est due une récompense substantielle plus grande. C’est pourquoi tout
acte de charité, en autant qu’il est informé par un tel habitus, est ordonnée
à une récompense substantielle, mais non pas cependant à la croissance de la
récompense ni à la croissance de la charité, selon que la charité demeure le
premier principe du mérite, mais seulement selon que la croissance de la
charité appartient à la perfection de la récompense. |
[1381]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium jam patet responsio per
id quod dictum est, quia actus caritatis excedit actum praecedentem caritatem
in hoc quod habet virtutem merendi, et ita accedit plus ad causalitatem
caritatis quam actus praecedens caritatem. |
3. La
réponse à la troisième difficulté est déjà claire au moyen de ce qui a été
dit, car l’acte de charité dépasse l’acte qui précède la charité en ceci
qu’il possède la puissance du mérite et qu’ainsi il accède advantage à la
causalité de la charité que l’acte qui précède la charité. |
[1382]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc
quod aliqua perfectio introducatur, duo requiruntur. Unum
ex parte introducentis, ut sua operatio commensuretur secundum aequalitatem
perfectioni introducendae: non enim ex parva calefactione inducitur calor
ignis, sed ex tali calefactione, quae habet aequalem virtutem, ad minus ex
suo principio, calori ignis. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que pour qu’une perfection soit introduite, deux
conditions sont requises. Une
qui se tient du côté de celui qui introduit, afin que son operation soit
proportionnée selon l’égalité à la perfection devant être introduite: en
effet, ce n’est pas à partir d’une petit réchauffement que la chaleur du feu
est introduite, mais à partir d’un réchauffement qui possède une puissance
égale, au moins à son début, à la chaleur du feu. |
Aliud ex
parte recipientis, ut dispositio sua proportionetur eodem modo perfectioni
inducendae. Contingit autem quandoque, sicut in operibus animae,
quod aliquid disponitur et perfectionem recipit a seipso, ut in scientia et
virtute patet. Unde ad perfectam dispositionem sufficit quod anima operetur
secundum virtutem proportionatam illi perfectioni quae inducenda est: et quia
tota capacitas animae vix sufficit ad receptionem tantae perfectionis quanta
est caritas, nisi Deus de sua liberalitate suppleret ; ideo ad hoc quod sit
in anima ultima dispositio ad caritatem requiritur actus qui sit secundum
totam virtutem suam, et iste sufficit quantum in nobis est ; sed minor non
sufficit ad talem dispositionem. |
Une
autre condition se tient du côté de celui qui reçoit, de telle manière que sa
disposition soit proportionnée d’une manière semblable à la perfection devant
être introduite. Mais il est parfois possible, comme c’est le cas pour les
opérations de l’âme, que ce soit d’elle-même qu’une chose soit disposée à une
perfection et la reçoive, comme on le voit pour la science et la vertu. C’est
pourquoi, pour en venir à une disposition parfait, il suffit que l’âme opère
suivant une puissance proportionnée à cette perfection qui doit être
introduite: et parce que toute la puissance de l’âme ne suffit à peine à
recevoir cette si grande perfection qu’est la charité que si Dieu la complète
de sa bonté, c’est pourquoi, pour qu’il y ait dans l’âme une disposition
dernière à la charité, il faut que l’acte procède suivant toute sa puissance,
et cela suffit quant à ce qui relève de nous; mais un acte plus faible ne suffit
pas à une telle disposition. |
Ulterius
in illis perfectionibus in quibus per actum animae non tantum est dispositio,
sed etiam ipsa perfectio, exigitur quod actus ipsius animae sit
proportionatus et aequalis in virtute ipsi perfectioni introducendae. Omnis autem habitus de
ratione sua habet quod sit difficile mobilis ; idest, habet firmitatem
quamdam. Unde quando una actio animae habet firmitatem, inducit habitum ;
sicut patet quod una demonstratio propter sui certitudinem et firmitatem
facit habitum scientiae. |
Par la suite, pour ces
perfection dans lesquelles au moyen de l’acte de l’âme il n’y a pas seulement
disposition mais aussi la perfection elle-même, il est nécessaire que l’acte
de l’âme elle-même soit proportionné et égal en puissance à la perfection
même devant être introduite. Mais il est dans la nature même d’un habitus
d’être difficilement mobile, c’est-à-dire de posséder une certaine fermeté.
C’est pourquoi, quand une même action de l’âme possède de la fermeté, elle
conduit à un habitus ; on voit par exemple qu’une démonstration, en
raison de sa certitude et de sa fermeté, produit l’habitus de la science. |
Quando autem unus actus non
habet firmitatem, non sufficit unus, sed oportet quod sint plures. Unde ex
uno argumento dialectico non generatur opinio, sed ex pluribus congregatis.
Ita etiam quia actus voluntatis humanae non habet firmitatem, cum voluntas
indeterminate se habeat ad multa, habitus virtutum politicarum, qui
acquiruntur per actus voluntatis, non possunt acquiri tantum per unum actum,
sed oportet quod multi conveniant. Habitus autem caritatis non habet
firmitatem per actum animae, sed a causa sua, quae Deus est ; et ideo unus
actus voluntatis potest sufficere ad hoc quod caritas infundatur, et
similiter ad hoc quod augeatur. |
Mais quand
un même acte ne possède pas la fermeté, il ne suffit pas à lui seul, mais il
faut qu’il y ait plusieurs actes. C’est pourquoi ce n’est pas à partir d’un
seul argument dialectique mais à partir de plusieurs que l’opinion est
engendrée. De même encore, parce que l’acte de la volonté humaine ne possède
pas de fermeté, puisque la volonté se rapporte indéterminément à une
multiplicité, les habitus des vertus politiques, qui sont acquis par les
actes de la volonté, ne peuvent être acquis par un seul acte mais il faut que
plusieurs y contribuent. Mais l’habitus de la charité ne tient pas sa fermeté
de l’acte de l’âme, mais de sa cause propre qui est Dieu; et c’est pourquoi
un seul acte de volonté ne peut suffire pour que la charité soit
répandue et aussi à ce qu’elle soit accrue. |
[1383] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando est talis actus
caritatis qualis requiritur ad augmentum caritatis, tunc etiam augetur
praemium substantiale, quod debetur caritati majori consequenti actum, non
caritati quae est radix actus. Non autem omnes sunt tales, ut dictum est, in
respons., ad 2 istius art. ; et ideo ad multitudinem actuum non sequitur de
necessitate augmentum praemii substantialis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que quand il y a un acte de charité tel qu’il est requis à la croissance
de la charité, alors c’est aussi la récompense substantielle qui est accrue,
laquelle est due à une charité plus grande qui suit l’acte et non à la
charité qui est la racine de l’acte. Mais ce ne sont pas tous les actes de
charité qui sont de cette sorte, ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à
la deuxième difficulté de cet article ; et c’est pourquoi la croissance
de la récompense substantielle ne découle pas nécessairement de la multitude
de tous les actes de charité. |
|
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Articulus 4 [1384] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 tit. Utrum augmentum caritatis habeat aliquem
terminum |
Article 4 – L’accroissement de la charité a-t-il une limite ? |
[1385]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod augmentum caritatis habeat aliquem terminum. Perfectio enim non excedit
capacitatem perfectibilis. Sed capacitas animae finita est. Ergo non potest
recipere nisi perfectionem finitam. Sed omnis motus qui est ad finitum,
finitus est. Ergo augmentum caritatis, quod est ad perfectionem animae, est
finitum. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’accroissement de la charité comporte une limite. La perfection en effet ne
dépasse pas la capacité de ce qui est perfectible. Mais la capacité de l’âme
est limitée. Elle ne peut donc recevoir qu’une perfection limitée. Mais tout
mouvement qui est ordonné à un terme est fini. Donc la croissance de la
charité, qui est ordonnée à la perfection de l’âme, est limitée. |
[1386]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, nihil ordinate movetur
ad id quod consequi non potest, secundum philosophum, III Physic.,
text. 47
; sicut qui non potest esse in Aegypto, non movetur ordinate ad eundum illuc.
Sed infinitum distans nullus potest consequi, cum nullus motus possit esse
secundum distantiam infinitam. Ergo nullus motus est infinitus. Sed augmentum
caritatis est quidam motus. Ergo venit ad aliquem terminum. |
2. Par ailleurs, rien ne se
meut avec ordre vers ce qu’il ne peut atteindre d’après le Philosophe
[111 Physique, texte 47] ; par exemple, celui qui ne peut
être en Égypte ne peut se mouvoir avec ordre pour y aller. Mais nul ne peut
atteindre à ce qui est infiniment éloigné, puisqu’aucun mouvement ne peut
exister suivant une distance infinie. Donc, aucun mouvement n’est infini.
Mais la croissance de la charité est un certain mouvement. Elle doit donc en
venir à un terme. |
[1387]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut infra, in 3,
distinct. 13,
dicit Magister, gratia Christi nihil potest etiam Deus majus facere. Sed si
augmentum caritatis et gratiae esset in infinitum, qualibet caritate posset
esse aliqua major. Ergo non est infinitum. Et similiter potest dici de beata
virgine, de qua dicit Anselmus, De concept. Virg., cap. XVIII, col. 451, quod
ea puritate nituit qua major sub Deo nequit intelligi. Et similiter etiam de
beatis, quorum caritas augeri non potest. Per quae omnia videtur quod
augmentum caritatis venit ad terminum aliquem, qui augeri non potest. |
3. En outre, ainsi que nous
le verrons plus loin [Livre 3, dist. 13] le Maître dit que par la grâce du
Christ même Dieu ne peut rien faire de plus. Mais si la croissance de la
charité et de la grâce était infinie, il pourrait y avoir pour toute charité
une charité plus grande. La croissance de la charité n’est donc pas infinie.
Et on peut dire la même chose de la bienheureuse Vierge, de laquelle
Saint-Anselme [De la Conception de la Vierge, ch. 18, col. 451] dit
qu’elle brilla d’une pureté telle qu’on ne peut pas en saisir une plus grande
qui soit inférieure à celle de Dieu. Et on peut dire encore la même chose des
bienheureux, dont la charité ne peut croître. Et c’est par tous ces cas qu’on
voit que la croissance de la charité en vient à un terme qui ne peut être augmenté. |
[1388] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 1 Contra, augmentum caritatis est, secundum majorem
assimilationem ad Deum. Sed quantumcumque aliquis accedat ad Dei
similitudinem, semper in infinitum distat ab eo. Ergo semper magis potest
accedere ; et ita videtur quod augmentum caritatis non sit infinitum. |
Cependant : 1. Au contraire, la
croissance de la charité a lieu suivant une plus grande ressemblance à Dieu.
Mais si près qu’on puisse s’approcher de la ressemblance de Dieu, on en
demeure cependant toujours infiniment éloigné. On peut donc toujours s’en
approcher davantage ; et ainsi il semble que la croissance de la charité
ne soit pas finie. |
[1389] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quando caritatis actus procedit a majori caritate,
majoris est virtutis in merendo. Sed actus caritatis imperfectae meretur
augmentum caritatis. Ergo multo magis merebitur quando caritas magis
perficietur, et ita augmentum caritatis nunquam stabit. |
2. En outre, quand l’acte de
charité procède d’une plus grande charité, elle est d’une plus grande
puissance quant au mérite. Mais l’acte d’une charité imparfaite demande une
augmentation de la charité. Donc, quand la charité sera plus parfaite elle
demandera encore davantage à s’accroître, et ainsi la croissance de la
charité ne s’arrêtera jamais. |
[1390]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod de termino
augmenti caritatis dupliciter possumus loqui: aut quantum ad id quod est, aut
quantum ad id quod potest esse. Sicut etiam dicimus, quod summum malum non
est quo non possit esse aliquid pejus ; tamen aliquid est summe malum quo
nihil est pejus. Similiter dico, quod augmentum caritatis pervenit ad aliquem
terminum ultra quem caritas non augetur in quolibet homine ; non tamen pervenit
ad aliquem terminum ultra quem non possit augeri. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est de deux manières que nous pouvons parler du terme de la croissance
de la charité : soit quant à ce qu’il est, soit quant à ce qu’il peut
être. Par exemple nous disons aussi que le plus grand mal est ce dont il ne
peut y avoir rien de pire ; cependant il y a un mal suprême dont il n’y
a rien de pire. De la même manière je dis que la croissance de la charité
parvient à un terme au-delà duquel la charité ne croît plus en aucun
homme ; elle ne parvient cependant pas à un terme au-delà duquel elle ne
peut parvenir. |
Cujus ratio est ex parte
ejus quod movetur secundum hoc augmentum, et ex parte ejus ad quod movetur.
Id autem ad quod movetur anima in augmento caritatis, est similitudo divinae
caritatis, cui assimilatur ; ad quam, cum infinita sit, in infinitum potest
accedi plus et plus, et nunquam adaequabitur perfecte. |
La raison de cela se tient du
côté de ce qui se meut selon cette croissance et du côté de ce vers quoi il
se meut. Mais ce vers quoi se meut l’âme dans la croissance de la charité,
c’est la ressemblance de la charité divine à laquelle elle est
assimilée ; et quant à cette charité divine, puisqu’elle est infinie,
l’âme peut s’en approcher de plus en plus à l’infini, et elle ne s’y élèvera
jamais de manière à l’égaler parfaitement. |
Ex parte autem ejus quod
movetur est quod ipsa anima, quantum plus recipit de bonitate divina et
lumine gratiae ipsius, tanto capacior efficitur ad recipiendum ; et ideo
quanto plus recipit, tanto plus potest recipere. Cujus ratio est, quia
potentiae materiales sunt terminatae et finitae secundum exigentiam materiae
; et ideo non possunt recipere nisi secundum proportionem materiae ;
potentiae autem immateriales non limitantur ex materia, sed magis secundum
quantitatem bonitatis divinae in eis perceptae. |
Mais du côté de celui qui se
meut il y a que l’âme elle-même, selon qu’elle reçoit davantage de la bonté
de Dieu et de la lumière de sa grâce, elle est rendue d’autant plus capable
d’en rcevoir ; et c’est pourquoi elle peut d’autant plus recevoir
qu’elle reçoit davantage. La raison en est que les puissances matérielles sont
limitées et finies d’après les exigences de la matière ; et c’est
pourquoi elles ne peuvent recevoir que proportionnellement à la
matière ; mais les puissances immatérielles ne sont pas limitées par la
matière mais plutôt par la quantité de bonté divine reçue en elles. |
Unde quanto plus additur de
bonitate, tanto magis est de potentia ad capacitatem ; sicut patet in exemplo
philosophi de sensu et intellectu, III De anima,Text. 7,. Dicit enim quod
sensus a fortibus sensibilibus corrumpuntur, et non augetur eorum capacitas,
quia sunt potentiae materiales ; sed intellectus quanto magis intelligit
difficilia, tanto etiam plus potest ; ita etiam quanto natura spiritualis
plus recipit de caritate, plus potest recipere. |
Et c’est pourquoi l’âme
humaine a d’autant plus de puissance à la capacité qu’on y ajoute davantage
de bonté ainsi qu’on le voit dans l’exemple du Philosophe sur le sens et
l’intelligence [111 De l’Âme, texte 7]. Il dit en effet que les sens sont
détruits par des qualités sensibles extrêmes et que leurs capacités ne s’en
trouvent pas accrues parce qu’ils ont des puissances matérielles ; mais
l’intelligence au contraire devient d’autant plus capable de comprendre
qu’elle saisit des vérités qui sont difficiles à comprendre. De même encore
une nature spirituelle peut d’autant plus recevoir de charité qu’elle en
reçoit davantage. |
Quidam autem comparantes
capacitatem substantiae spiritualis capacitati substantiae materialis,
dixerunt quod est terminus in augmento caritatis secundum capacitatem naturae
scilicet quod quando [quando om. Éd. de Parme] tantum recipit de caritate
quod impleatur capacitas prima quae erat ex natura, nec potest plus recipere. |
Mais certains, comparant la
capacité de la substance spirituelle à la capacité de la substance
matérielle, ont dit qu’il y a dans la croissance de la charité un terme
d’après la capacité de la nature, à savoir que quand [quand om. Éd. de Parme]
elle reçoit une telle quantité de charité que la capacité première qui venait
de la nature est comblée, elle ne peut en recevoir davantage. |
Et ponunt exemplum de aere,
qui habet terminum subtilitatis suae, quem non excedit. Unde potest in eo
intendi lumen, secundum quod magis et magis depuratur a vaporibus permixtis ;
sed quando pervenitur ad puritatem naturae suae, non potest amplius
purificari, nec illuminari ab eodem illuminante. Sed non est simile de
capacitate substantiae materialis et spiritus, ut dictum est, in hac dist.,
qu. 1, art. 3. |
Et ils donnent l’exemple de
l’air qui a une limite à sa subtilité et qu’il ne dépasse pas. Et c’est
pourquoi la lumière peut pénétrer en lui selon qu’il se libère de plus en plus
des vapeur qui y sont mélangées ; mais quand il est parvenu à la pureté
de sa nature, il ne peut être purifié davantage ni être éclairé par le même
éclairage. Mais il n’en est pas de même de la capacité de la substance
matérielle et de celle de l’esprit ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 17,
quest. 1, art. 3]. |
[1391] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis capacitas animae
sit finita in actu, tamen potest plus et plus in finitum elongari, secundum
quod plus et plus recipit. Nunquam tamen erit infinita, nec recipiet
perfectionem infinitam ; sicut etiam patet in additione numeri, qui in
infinitum est possibilis [imposibilis Éd. de Parme] ; nunquam tamen est
aliquis numerus infinitus in actu ; quia potentia additionis numerorum, ut
dicit Commentator in III Physic., text. 68, non est una, sed semper ex nova
additione efficitur alia potentia in numero secundum quod efficitur nova
species numeri. Unde quaelibet potentia potest exire in actum, non tamen
potest esse ut omnes exeant in actum, quia in quolibet actu additur etiam
potentia ; et ita est etiam hic de capacitate animae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la capacité de l’âme soit limitée en acte, elle
peut cependant s’étendre de plus en plus dans la limite selon qu’elle reçoit
de plus en plus. Jamais cependant elle ne sera infinie et ne recevra une
perfection infinie ; tout comme on le voit aussi pour l’addition du
nombre qui est un infini possible [impossible Éd. de Parme] ; cependant,
jamais on ne rencontre un nombre infini en acte ; car la puissance de
l’addition des nombres, comme le dit le Commentateur [111 Physique,
texte 68] n’est pas une mais c’est toujours une autre puissance dans un
nombre qui est produite à partir d’une nouvelle addition, selon qu’une
nouvelle espèce de nombre est produite. C’est pourquoi toute puissance peut
passer à l’acte, et cependant il est impossible que toutes passent à l’acte
car dans tout acte s’ajoute aussi une puissance ; et ainsi il en est encore
de même pour la capacité de l’âme. |
[1392] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quodlibet augmentum caritatis
terminatum est, et est ad terminum quem consequi potest homo ; sed tamen ille
terminus, cum non sit actus purus, est permixtus potentiae ; unde adhuc
potest esse aliud augmentum numero, et ita in infinitum augmentum succedere
augmento, et hoc modo intelligitur augmentum caritatis interminatum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que toute croissance de la charité a un terme et elle se rapporte à un
terme que l’homme peut atteindre ; mais puisqu’il n’est pas un acte pur,
ce terme est cependant mélangé à de la puissance ; c’est pourquoi il
peut encore y avoir une autre croissance numériquement parlant, et ainsi une
croissance peut succéder à une croissance à l’infini, et c’est en ce sens que
se comprend une croissance illimitée de la charité. |
[1393] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia Christi, quamvis
secundum essentiam esset finita, tamen secundum quid fuit infinita, inquantum
scilicet erat dispositio congruitatis ad unionem, et inquantum concurrebat in
operationem Christi, qui erat virtutis infinitae ex hoc quod erat persona
divina, et aliis modis, ut dicetur in 3, dist. 17, qu. 1, art. 2, qu. 3, et
ex hoc habebat quod non poterat augeri. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la grâce du Christ, bien qu’elle soit limitée selon l’essence, elle
fut cependant infinie sous un certain rapport, c’est-à-dire selon qu’elle
était une disposition de conformité à l’union, et selon qu’elle contribuait à
l’opération du Christ qui était d’une puissance infinie du fait qu’il était
une personne divine, et de d’autres manières comme on le dira [Livre 3, dist.
17, quest. 1, art. 2] plus loin. Et c’est de là qu’elle tenait de ne pouvoir
croître. |
Ad illud quod
objicitur de beata virgine, dicendum est, quod differt puritatis augmentum,
et caritatis. Augmentum enim puritatis est secundum recessum a contrario ; et
quia in beata virgine fuit depuratio ab omni peccato, ideo pervenit ad summum
puritatis ; sub Deo tamen, in quo non est aliqua potentia deficiendi, quae
est in qualibet creatura, quantum in se est. Caritatis autem augmentum est
per accessum ad divinam bonitatem ; et ideo non habuit beata virgo summam caritatem
qua major non possit intelligi, quia etiam profecit in caritate et gratia. |
Quant à la difficulté qu’on
présente au sujet de la bienheureuse Vierge, il faut dire que la croissance
de la pureté diffère de la croissance de la charité. En effet, la croissance
de la pureté se fait d’après un retrait de son contraire ; et parce que
dans la bienheureuse Vierge il y eut une épuratioin de tout péché, c’est
pourquoi elle est parvenue au sommet de la pureté ; une pureté
inférieure à celle de Dieu cependant, dans lequel il n’y a aucune puissance à
défaillir qu’on retrouve en toute créature en tant que telle. Mais la
croissance de la charité a lieu au moyen d’un rapprochement de la bonté
divine ; et c’est pourquoi la bienheureuse Vierge n’a pas possédé la
charité suprême au-delà de laquelle on ne peut en penser une plus grande car
elle-même a progressé en charité et en grâce. |
Ad illud quod objicitur de
beatis, dicendum, quod caritas non augetur in eis propter conditionem status:
quia non sunt in via, sed in termino viae. Unde datur eis
praemium secundum illud quod caritas in statu viae in eis crevit. |
Quant à la difficulté
soulevée par rapport aux bienheureux, il faut dire que la charité ne croît
pas en eux à cause d’une condition de leur état : car ils ne
sont pas sur le chemin d’ici-bas, mais au terme du chemin. C’est pourquoi il
leur est donné une récompense conforme à l’accroissement de la charité dans
l’état du chemin d’ici-bas. |
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Articulus
5 [1394] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 tit. Utrum caritas minuatur |
Article 5 – La charité diminue-t-elle ? |
[1395]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod caritas
minuatur. Contraria enim nata sunt fieri circa idem. Sed augmentum et
diminutio sunt contraria. Cum igitur caritas augeatur, videtur quod minuatur. |
Difficultés : 1. Il semble que la charité
diminue. Les contraires en effet sont aptes à être produits dans un même
sujet. Mais la croissance et la décroissance sont des contraires. Donc
puisque la charité croît, il semble qu’elle décroisse ou diminue. |
[1396] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 arg. 2 Item, Augustinus dicit, Enchir., cap. CXXXI, col.
288 : « Ubi magna cupiditas, ibi parva caritas ; » et alibi,
Conf. : « Minus te amat qui aliquid tecum amat ». Sed
contingit cupiditatem augeri. Ergo etiam caritatem contingit minui. |
2. En outre, Augustin [Enchir.
ch. CXXXI, col. 288] dit : ¨Où la cupidité est grande, la charité est
petite ;¨ et ailleurs dans les Confessions : ¨Celui qui aime
quelque chose avec toi t’aime moins¨. Mais il est possible à la cupidité
de croître. Donc il est aussi possible à la charité de diminuer. |
[1397] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, veniale peccatum est malum culpae. Sed omne
malum aliquod bonum adimit sibi oppositum. Cum igitur malo culpae opponatur
bonum gratiae vel caritas, adimet veniale peccatum bonum caritatis. Sed non
adimit totum, quia sic excluderet a regno ; sola enim caritas dividit inter
filios regni et perditionis, secundum Augustinum, et sic esset mortale. Ergo
adimit aliquid ejus ; ergo diminuit ipsam. |
3. Par ailleurs, le péché
véniel est le mal de la faute. Mais tout mal enlève le bien qui lui est
opposé. Donc, puisque le bien de la grâce ou de la charité est opposé au mal
de la faute, le péché véniel enlève le bien de la charité. Mais il ne
l’enlève pas totalement, car il écarterait ainsi du règne ; d’après
Augustin en effet, seule la charité fait la séparation entre les fils du
règne et ceux de la perdition, et ainsi le péché véniel serait mortel. Il
enlève donc seulement une partie du bien de la charité ; donc il diminue
la charité. |
[1398] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 arg. 4 Item, secundum quod aliquis se disponit ad caritatem
et gratiam, secundum hoc sibi Deus infundit, quia, secundum Augustinum, lumen
divinae gratiae omnibus praesens est. Sed quod aliqui non suscipiant eam, est
quia avertunt se ab illa ; sicut qui claudit oculos ad lumen solis. Sed
contingit quod aliquis minus disponit se ad caritatem quam prius fecerat.
Ergo minus participabit de lumine gratiae et de caritate. |
4. En outre, c’est selon que
nous nous disposons à la charité et à la grâce que Dieu les répand en nous
car, selon Augustin, la lumière de la grâce divine est présente à tous. Mais
si certains ne la reçoivent pas, c’est parce qu’ils s’en détournent, tout
comme ceux qui ferment leurs yeux à la lumière du soleil. Mais il est
possible que quelqu’un se dispose moins à la charité qu’il ne le faisait
avant. Il participera donc moins de la lumière de la grâce et de la charité. |
[1399] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 1 Contra, quaelibet caritas creata est finita. Sed
omne finitum, secundum philosophum, I Physic., Texte 37, consumitur per
ablationem, ablato quodam semper et semper. Si igitur veniale diminuit aliquid de
caritate, sequens etiam diminuit, et sic multiplicatis venialibus tota
caritas tolletur. Sed caritas non tollitur nisi per mortale peccatum. Ergo
multa venialia fient unum mortale, quod nullus ponit. |
Cependant : 1. Au contraire, toute
charité créée est limitée. Mais tout ce qui est limité, selon le Philosophe
[1 Physique, texte 37], est détruit par le retrait, une fois
qu’on aura enlevé encore et encore. Si donc le péché véniel enlève quelque
chose à la charité, celui qui suit aussi diminue et ainsi toute la charité
sera enlevée par la multiplication des péchés véniels. Mais la charité n’est
enlevée que par le péché mortel. Et donc plusieurs péchés véniels deviendront
un péché mortel, ce que personne n’affirme. |
[1400] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 2 Si dicas, quod in ista ablatione est sicut in
divisione continui, quae est in infinitum, si fiat secundum eamdem
proportionem, et non secundum eamdem quantitatem, contra: quando est divisio
secundum eamdem proportionem, illud quod post aufertur, semper est minus eo
quod prius auferebatur ; sicut si primo auferatur tertia pars lineae, et
postea tertia illius residui, et sic deinceps ; semper acceptum post, erit
minus secundum quantitatem. Sed quod sequens veniale non habeat minorem
virtutem quam primum, potest contingere. Ergo adimet de caritate quantum et
primum ; et ita consumetur per ablationem. |
2. Si tu dis que cette sorte
de retrait ou d’enlèvement est semblable à celui qui a lieu dans la division
du continu qui est infinie, si elle a lieu selon la même proportion et non
selon la même quantité, je m’oppose : quand il y a division selon la
même proportion, ce qui est enlevé après est toujours plus petit que ce qui
avait été enlevé avant ; par exemple si tu enlèves d’abord la troisième
partie de la ligne et que tu enlèves ensuite la troisième partie de ce qui
reste et ainsi de suite : toujours ce qui est pris par après sera
moindre selon la quantité. Mais il est possible que le péché véniel qui suit
ne possède pas une plus petite puissance que le premier. Donc il enlèvera de
la charité autant que le premier et ainsi la charité sera détruite par le
retrait. |
[1401]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod caritas non
potest diminui essentialiter, nisi forte per successionem, ita scilicet quod
destruatur caritas quae inest, per mortale peccatum, et postmodum minor
infundatur per minorem praeparationem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la charité ne peut être diminuée essentiellement, sauf peut-être par le remplacement,
c’est-à-dire de telle manière que la charité qui est présente soit détruite
par le péché mortel et que par la suite elle soit répandue plus faiblement
par une plus faible préparation. |
Et causa hujus est, quia
causa diminutionis caritatis non potest sumi ex parte Dei ; cum nullus
defectus reducatur in ipsum qui est actus completus, sicut in causam. Oporteret
ergo, si caritas diminuatur, quod diminutionis causa ex parte nostra
suscipiatur. Defectus autem contingens
ex parte nostra, vel est ex cessatione actus vel ex inordinatione. Ex
cessatione actus non potest remitti caritas, sicut habitus virtutum
acquisitarum, secundum id quod in se est. Firmitas enim caritatis ipsius non
est ex actu nostro, sed ex principio influente, ut dictum est, in hac quaest.,
art. 2. |
Et la cause en est que la
cause de la diminution de la charité ne peut se prendre du côté de Dieu,
puisqu’aucun défaut ne se ramène à Lui, qui est complet, comme à sa cause. Il
faudrait donc, si la charité diminue, que la cause de la diminution se
reçoive de notre côté. Mais un défaut se produisant
de notre côté a lieu soit par l’arrêt de l’acte soit par un désordre. Mais la
charité, selon ce qu’elle est en elle-même ne peut être affaiblie à partir de
l’arrêt de l’acte, comme c’est le cas pour les habitus des puissances
acquises. En effet, la fermeté de la charité elle-même ne lui vient pas de
notre acte, mais du principe qui répand la grâce, ainsi que nous l’avons dit
dans l’article deux de cette question. |
Unde cessantibus actibus,
manet nihilominus idem robur caritatis. Sed verum est quod per actus
frequentes disponuntur omnes vires animae, et membra corporis rediguntur in
obsequium caritatis, in quo consistit fervor, ut dictum est ; et ideo ex otio
tepescit caritatis fervor. |
C’est pourquoi, les actes
ayant cessé, il reste néanmoins une même force de la charité. Mais il est
vrai que c’est pas des actes fréquents que toutes les forces de l’âme sont
disposées et que les membres du corps sont ramenés à une soumission à la
charité, en quoi consiste la ferveur comme nous l’avons dit ; et c’est
pourquoi la ferveur de la charité se refroidit par l’oisiveté. |
Habitus autem acquisitarum
virtutum, robur et firmitatem habent ex nostris operibus: unde cessantibus
operibus, remittitur robur virtutis etiam in se. Inordinatio autem actus vel
est circa finem, vel circa ea quae sunt ad finem. Si circa finem, ita
scilicet quod finis tollatur ; sic caritas, secundum quam adhaeretur fini,
tollitur: et hoc fit per mortale peccatum |
Mais les habitus des
puissances acquises tiennent leur force et leur solidité de nos
opérations : c’est pourquoi, si les opérations cessent, la force de la
puissance est affaiblie même en elle-même. Mais le désordre de l’acte se
rapporte soit à la fin, soit aux moyens qui sont ordonnés à la fin. S’il se
rapporte à la fin, c’est-à-dire de telle manière que la fin soit
supprimée ; alors la charité, d’après laquelle on adhérait à la fin, est
elle aussi supprimée : et cela se produit par le péché mortel. |
Si autem circa ea quae sunt
ad finem, ita scilicet quod finis remaneat, et inordinate aliquis immoretur
circa ea quae sunt ad finem ; talis inordinatio, quae est peccati venialis,
non attingit caritatem, quae est secundum adhaesionem finis, et ideo nihil
diminuit de ipsa. |
Mais si le désordre a lieu
par rapport aux moyens qui sont ordonnés à la fin, c’est-à-dire de telle
manière que la fin elle-même demeure, et que quelqu’un s’arrête avec désordre
sur les moyens qui sont ordonnés à la fin, un tel désordre, qui relève du
péché véniel, n’atteint pas la charité qui concerne l’adhésion à la fin, et
c’est pourquoi ce désordre ne diminue en rien la charité. |
Sed verum est quod sicut ea
quae sunt ad finem disponunt ad finem, ita inordinatio in eis est dispositio
ad inordinationem quae est circa finem, secundum quod dicimus, quod veniale
peccatum est dispositio ad mortale. Unde per hujusmodi venialia disponitur
quis ad amissionem caritatis. |
Mais il est vrai que tout
comme les choses qui sont en vue de la fin disposent à la fin, de même le
désordre qui se présente en elles est une disposition à un désordre qui se
rapporte à la fin, selon que nous disons que le péché véniel est une
disposition au péché mortel. Et c’est pourquoi quelqu’un, par de telles
fautes vénielles, est disposé à l’abandon de la charité. |
Et inde est quod
caritas dicitur diminui quantum ad radicationem et fervorem, et non quantum
ad essentiam. Quantum ad radicationem quidem, secundum quod fit dispositio ad
contrarium, unde minuitur firma inhaesio caritatis ; secundum fervorem vero, prout
impeditur obedientia inferiorum virium ad superiores, ex quo dictus fervor
causabatur. |
Et c’est de là qu’on dit que
la charité est diminuée quant à son enracinement et à sa ferveur, et non
quant à son essence. Quant à son enracinement certes, selon que se produit
une disposition à ce qui est contraire, d’où s’ensuit une diminution d’un
ferme attachement à la charité ; mais quant à la ferveur, pour autant
que la soumission des puissances inférieures aux puissances supérieures, qui
causait la ferveur dont on parle, est empêchée. |
[1402] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod contraria nata sunt
fieri circa idem, nisi alterum naturaliter insit. Et dicitur naturaliter
inesse, quando consequitur causas ejus. Unde dico, quod augmentabilitas, quia
ex parte suscipientis et influentis potest esse aliqua causa augmenti, et non
diminutionis, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que les contraires sont aptes à se produire dans un même sujet,
à moins que l’un d’eux y soit naturellement présent. Et on dit qu’il y est
naturellement présent quand il découle de ses causes. C’est pourquoi je dis
que c’est le cas pour la capacité de croître, car il peut y avoir une cause
de croissance du côté de celui qui reçoit et de celui qui répand, mais non de
diminution, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[1403] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commensuratio cupiditatis et
caritatis per oppositum, potest intelligi dupliciter: vel quantum ad ipsum
fieri caritatis, vel quantum ad esse. Si quantum ad fieri, tunc verum est
quod quanto per actus inordinatos magis dominatur in eo cupiditas, minus
disponitur ad caritatem vel augmentum ejus: quia ad habendum caritatem vel ad
proficiendum in ea disponunt actus nostri. Si quantum ad esse, tunc, cum
actus nostri non sint causa esse ipsius caritatis, ex inordinatione actuum
per cupiditatem nihil derogatur caritati quantum ad suum esse, sed solum
quantum ad fervorem, secundum quod dehabilitantur inferiores partes a
caritatis obedientia. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que la proportion inverse de la cupidité et de la charité peut
s’entendre de deux manières : soit quant au devenir même de la charité,
soit quant à son existence. Si on l’entend quant à son devenir, alors il est
vrai que plus la cupidité domine dans une âme par des actes déréglés, moins
elle est disposée à la charité ou à sa croissance : car ce sont nos
actes qui nous disposent à posséder la charité ou à progresser en elle. Si on
l’entend quant à son existence, alors, puisque nos actes ne sont pas la cause
de l’existence même de la charité, à partir du désordre de nos actes par la
cupidité rien n’est retranché à la charité quant à son existence mais
seulement quant à sa ferveur selon que les parties inférieures de l’âme
perdent de leur habilité à se soumettre à la charité. |
[1404] Super Sent., lib. 1
d. 17 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod veniale non potest adimere
aliquid de caritate, quia non attingit ad illam partem animae ubi est
caritas. Sicut enim superior pars intellectus est in consideratione
principiorum per se notorum, per quae alia cognoscuntur ; unde quantumcumque
dubitatio oriatur circa conclusiones, de certitudine principiorum nihil
minuitur ; ita etiam superior pars affectus est in adhaesione finis, propter
quem omnia diliguntur. Unde quaecumque inordinatio contingat circa illa quae
sunt ad finem, ipsa non minuitur inhaesio finis, quae est per caritatem, nisi
ponatur finis contrarius. Unde veniale, quia non ponit finem indebitum, non
attingit ad illud supremum affectus ubi est caritas. Sed sicut veniale non
est peccatum simpliciter, sed solum inquantum est dispositio ad mortale ; ita
etiam privat bonum, quod se habet ut dispositio ad caritatem, idest fervorem,
qui contingit in habilitate actus ex diligenti obedientia vel subjectione
inferiorum virium ad superiorem partem affectus, in qua est caritas. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la faute vénielle ne peut retirer quelque chose de la charité car
elle ne parvient pas à cette partie de l’âme où réside la charité. En effet,
tout comme la partie supérieure de l’intelligence est dans la considération
des principes connus par soi au moyen desquels tout le reste devient
connu ; c’est pourquoi, quelque soit le doute qu’on soulève par rapport
aux conclusions, cela ne diminue en rien la certitude qu’on porte aux
principes ; de même encore la partie supérieure de l’affectivité est
dans l’adhésion à la fin par rapport à laquelle tout le reste est aimé. C’est
pourquoi, quel que soit le désordre qui se produise sur les choses qui sont
ordonnées à la fin, l’attachement à la fin, qui a lieu par la charité, ne
s’en trouve aucunement diminué, à moins qu’on ne pose une fin contraire.
C’est pourquoi le péché véniel, parce qu’il ne pose pas une fin injuste, ne
parvient pas à cette affectivité suprême où se trouve la charité. Mais tout
comme le péché véniel n’est pas un péché pris absolument mais seulement selon
qu’il est une disposition au péché mortel, de même encore il prive du bien
qui se présente comme une disposition à la charité, c’est-à-dire de la
ferveur qui se produit dans l’aptitude de l’acte qui lui vient d’une
soumission ou d’un assujettissement amoureux des puissances inférieures à la
partie supérieure de l’affectivité dans laquelle se trouve la charité. |
[1405]
Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dispositio
ad caritatem est secundum actus inferiorum virium, prout operantur circa ea
quae sunt ad finem, sicut per ea quae sunt ad finem, devenitur in finem.
Habito autem fine, non indigetur his quae sunt ad finem. Unde quaecumque inordinatio
fit circa ea, non redundat in deordinationem finis, nisi per modum
dispositionis ; sicut etiam cognitio principiorum primorum determinatur in
nobis per sensus, qui si etiam destruantur, non minuitur certitudo
principiorum, quae non est acquisita, sed naturaliter insita ; et similiter
est de caritate infusa. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la disposition à la charité a lieu d’après les actes des puissances
inférieures, pour autant qu’ils opèrent sur les choses qui sont ordonnées à
la fin, tout comme au moyen des choses qui sont ordonnées à la fin on en
vient à la fin. Mais la fin une fois possédée, on n’a plus besoin des choses
qui sont ordonnées à la fin. C’est pourquoi, quel que soit le désordre qui se
produise par rapport à elles, il ne déborde pas en un désordre de la fin,
sauf à la manière d’une disposition ; et il en est de même pour la
charité infuse, tout comme aussi pour la connaissance des premiers principes
qui est fixée en nous au moyen des sens, lesquels, même s’ils sont détruits,
la certitude des principes, n’étant pas acquise mais naturellement donnée, ne
s’en trouve pas diminuée. |
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Distinctio 18 |
Distinction 18 – [L’Esprit Saint comme don] |
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Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint comme don] |
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Prooemium |
Prologue |
Postquam determinavit de temporali processione Spiritus
sancti, hic determinat nomen quod sibi competit secundum rationem qua
temporaliter procedit, scilicet donum. |
Après avoir traité de la
procession temporelle de l’Esprit-Saint, il traite ici du nom qui lui revient
selon la raison par laquelle il procède temporellement, à savoir le don. |
Circa hanc partem quinque quaeruntur: 1 utrum donum sit essentiale, vel personale ; 2 utrum sit proprium Spiritus sancti ; 3 utrum per hoc donum omnia dona dentur ; 4 utrum Spiritus sanctus processione qua donum dicitur,
etiam Deus dicatur ; 5 utrum possit dici donum nostrum. |
Et par rapport à cette partie
on se pose cinq questions : 1. Est-ce que le don est
essentiel ou personnel ? 2. Est-ce que le don est
propre à l’Esprit-Saint ? 3. Est-ce par ce don que tous
les dons sont donnés ? 4. Est-ce que l’Esprit-Saint
est aussi appelé Dieu par la procession par laquelle il est appelé don ? 5. Est-ce qu’on peut
l’appeler notre don ? |
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Articulus 1 [1408] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1
tit. Utrum
donum sit nomen essentiale |
Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ? |
[1409] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod donum
sit nomen essentiale. Omne enim nomen connotans effectum in creatura,
significat divinam essentiam, ut communiter dicitur. Sed hoc nomen donum
connotat effectum in creatura: dicitur enim Spiritus sanctus donum, inquantum
est donabilis creaturae in aliquo effectu. Ergo est essentiale. |
Difficultés : 1. Il semble que ¨don¨ soit
un nom essentiel. En effet, tout nom qui renvoie à un effet dans la créature
signifie l’essence divine, ainsi qu’on le dit généralement. Mais ce nom,
¨don¨, renvoie à un effet dans la créature : on dit en effet de
l’Esprit-Saint qu’il est un don dans la mesure où il peut être donné dans un
effet à la créature. Ce nom est donc un nom essentiel. |
[1410] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, nullum nomen personale convenit essentiae ; quia essentia nec
genita est nec gignens. Sed essentia divina dicitur donata esse Filio a
Patre, ut dicitur Philip., 2, 9: Donavit illi nomen quod est super
omne nomen: quod etiam accipitur ex verbis Hilarii supra positis, (16
distinct., ult. Cap). Ergo donum est nomen essentiale. |
2. Par ailleurs, aucun nom
personnel ne convient à l’essence car l’essence n’est ni engendrée ni
engendrante. Mais comme le dit l’Apôtre [Philippiens 2, 9], l’essence
divine est donnée au Fils par le Père : Il lui a donné le nom
qui est au-dessus de tout nom. : ce qu’on admet aussi à partir des
paroles de Saint-Hilaire présentées plus haut [dist. 16, chapître dernier.
¨Don¨ est donc un nom essentiel. |
[1411] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
Spiritui sancto convenit esse donum, inquantum procedit ut amor. Sed amor in
divinis etiam essentialiter dicitur, ut habetur ex verbis Augustini supra,
distin. 10 positis. Ergo videtur quod et donum. |
3. En outre, il convient à
l’Esprit-Saint d’être un don en tant qu’il procède comme amour. Mais l’amour
chez les personnes divines se dit aussi essentiellement comme on l’a établi à
partir des paroles de Saint-Augustin présentées plus haut dans la distinction
dix. Il semble donc qu’il en soit aussi ainsi pour le don. |
[1412] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, quidquid habetur ab aliquo, hoc dicitur esse datum vel donatum.
Sed, non intellecta distinctione personarum adhuc possemus habere Deum ad
fructum, et non habemus hoc a nobis. Ergo esset datum nobis. Quidquid autem
intelligitur in divinis, exclusa per intellectum distinctione personarum, est
essentiale. Ergo donum est essentiale. |
4. De plus, tout ce qui est
possédé par quelqu’un, on dit que cela est donné ou procède d’une donation.
Mais même si nous ne comprenons pas la distinction des personnes, nous
pouvons encore posséder Dieu pour en jouir et ce n’est pas de nous que nous
tenons cela. Il nous serait donc donné. Mais tout ce qui est compris dans les
personnes divines, si on exclut la distinction des personnes par
l’intelligence, est essentiel. Donc le don est essentiel. |
[1413] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, quidquid convenit alicui personae secundum rationem originis, non est
essentiale sed notionale. Donum autem dicitur Spiritus sanctus, inquantum ab
aeterno procedit, ut dicitur in Littera. Ergo non est essentiale,
sed personale. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce qui
convient à une personne en raison de l’origine n’est pas essentiel mais
notionnel. Mais on dit de l’Esprit-Saint qu’il est un don en tant qu’il
procède éternellement, comme on le dit dans le Document. Donc, le
nom ¨don¨ n’est pas un nom essentiel mais personnel. |
[1414] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art. 1, dare vel
donare dicitur dupliciter. Uno modo illud quod habetur per modum dominii, ut
possessio. Alio modo illud quod habetur quasi intrinsecum sibi,
sicut aliquis habet seipsum vel materiam suam vel qualitatem. Quamvis autem
in divinis personis non sit dominium unius respectu alterius, tamen est ibi
auctoritas principii. Dicendum igitur, quod datio potest importare
auctoritatem respectu dati ; et sic donum vel datum est notionale. Potest
etiam non importare auctoritatem, sed tantum hoc quod id quod datur, libere
habeatur ; et hoc modo ipsa essentia dicitur dari vel donari. Et secundum
hoc, donum vel datum non est personale, sed essentiale ; tamen semper
importat distinctionem dantis ad eum cui datur, quamvis non ad id quod datur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quet. 3, art. 1],
donner ou faire une donation se dit de deux manières. En un premier sens comme ce
qui est possédé à la manière d’une domination, comme un bien. En un deuxième sens comme ce
qui est possédé intérieurement à soi-même, comme celui qui possède lui-même
sa matière ou une qualité. Mais bien que dans les personnes divines il n’y
ait pas supériorité de l’une par rapport à l’autre, il y a cependant là une
autorité de principe. Il faut donc dire que la donation peut impliquer une
autorité par rapport à ce qui est donné. Et de cette manière le
don ou ce qui est donné est notionnel. Mais elle peut aussi ne pas comporter
une autorité mais seulement ceci que ce qui est donné est possédé
librement ; et en ce sens on dit de l’essence elle-même qu’elle est
donnée ou qu’elle fait l’objet d’une donation et suivant cela, le don ou ce
qui est donné n’est pas personnel mais essentiel ; cependant la donation
comporte toujours une distinction de celui qui donne par rapport à celui à
qui il y a don, et non par rapport à ce qui est donné. |
[1415] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nomen potest
connotare effectum in creatura dupliciter: vel secundum rationem principii tantum ; et quia eadem
est operatio totius Trinitatis, oportet quod tale nomen commune sit toti
Trinitati et ad essentiam pertinens ; vel ita quod cum ratione principii, respectu creaturae,
etiam aliquid aliud importet: et tunc, quamvis secundum respectum ad
creaturam det intelligere essentiam ex consequenti, sicut causa intelligitur
in effectu ; tamen secundum aliud quod significat potest ad personam
pertinere ; sicut assumere carnem importat et operationem, quae communis est
tribus personis, et terminum operationis in quem terminata est assumptio,
quod proprium est personae Filii ; et ideo sibi soli convenit. Similiter
dico, quod donum, praeter respectum quem importat ad illud cui donabile est,
importat respectum ad illum a quo est, sicut a principio respectu ejus
auctoritatem habente ; et ex hac parte est notionale. |
Solutions : 1. Il faut donc dire
en premier lieu que le nom peut renvoyer à un effet dans la créature de deux
manières : Soit selon la raison
de principe seulement ; et parce que l’opération de toute la Trinité est
la même, il faut que tel nom soit commun à toute la Trinité et appartienne à
l’essence ; Soit de telle
manière qu’avec la raison de principe par rapport à la créature, il comporte
quelque chose d’autre : et alors, bien que selon le rapport à la
créature il donne à comprendre l’essence à partir de la conséquence, comme la
cause qui est comprise dans son effet, cependant d’après ce qu’il signifie d’autre
il peut appartenir à la personne ; par exemple assumer la chair comporte
à la fois l’opération qui est commune aux trois personnes et le terme de
l’opération dans lequel se termine cet emprunt et qui est propre à la
personne du Fils ; et c’est pourquoi il convient à Lui seulement. De la
même manière je dis que le don, en dehors du rapport qu’il implique à
l’égard de celui à qui il peut être donné, comporte un rapport à
celui d’où il vient comme au principe qui possède l’autorité par rapport à
lui ; et ce ce côté ce nom est notionnel. |
[1416] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod si dare importet auctoritatem respectu dati in dante,
sic essentia non dicitur dari, sed alio modo, ut dictum est, in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que si donner implique une autorité dans celui qui donne
par rapport à ce qui est donné, alors on ne dit pas de l’essence
qu’elle est donnée, mais le don se dit en un autre sens, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article. |
[1417] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 3 Et per
hoc patet responsio ad tertium ; quia amor essentialis, quamvis sit habens
rationem primi doni, in quo alia dona dantur, tamen respectu ejus non potest
denotari auctoritas ; et ideo ratione praedicta, amor non potest dici donari
secundum quod auctoritas importatur in donante respectu dati. |
3. Et c’est grâce à cela
qu’est manifeste la réponse à la troisième difficulté ; car l’amour
essentiel, bien qu’il soit ce qui a raison de premier don dans lequel tous les
autres dons sont donnés, on ne peut cependant lui reconnaître une
autorité ; et c’est pourquoi, pour la raison que nous avons dite, on ne
peut dire de l’amour qu’il est un don selon que l’autorité est impliquée dans
celui qui donne par rapport à ce qui est donné. |
[1418] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 4 Et
similiter etiam dicendum ad quartum ; quia donum, in cujus ratione importatur
auctoritas, non remanet, non intellecta distinctione personarum. |
4. C’est de la même manière
encore qu’il faut parler de la quatrième difficulté ; car le don, dans
la définition duquel l’autorité est impliquée, ne demeure pas si la
distinction des personnes n’est pas comprise. |
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Articulus 2 [1419] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2
tit. Utrum donum sit proprium Spiritus sancti |
Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ? |
[1420] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod donum
non sit proprium Spiritus sancti. Temporalis enim processio vel missio
Spiritus sancti dicitur ejus donatio. Sed Filius mittitur sicut Spiritus
sanctus, et habet aptitudinem ad missionem a processione aeterna sicut
Spiritus sanctus, ut patet ex dictis, dist. 15, quaest. 4, art. 2. Ergo Filius potest dici donum
sicut Spiritus sanctus. |
Difficultés : 1. Il semble que le
don ne soit pas propre à l’Esprit-Saint. On dit en effet de la procession ou
de la mission de l’Esprit-Saint qu’elle est la donation de ce dernier. Mais
le Fils est envoyé comme l’Esprit-Saint et il possède, tout comme lui, d’une
procession éternelle, une aptitude à la mission ainsi qu’on le voit à partir
de ce qui a été dit [dist. 15, quest. 4, art. 2]. Donc le Fils, tout comme
l’Esprit-saint, peut être appelé don. |
[1421] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, cum personae distinguantur per processiones aeternas, nomen
proprium personae potest designari in actu processionis ; sicut Filius
designatur in generatione, inquantum est Filius. Sed nomen doni non
designatur in processione aeterna: quia secundum eam Pater non dicitur donare
donum, sicut dicitur generare Filium. Ergo videtur quod non sit proprium
Spiritus sancti. |
2. Par ailleurs, puisque les
personnes se distinguent au moyen des processions éternelles, le nom propre
de la personne peut être désigné dans l’acte même de la procession, tout
comme le Fils est désigné dans la génération en tant que Fils. Mais le nom de
don n’est pas désigné dans la procession éternelle : car on ne dit pas
d’après elle que le Père donne un don comme on dit de lui qu’il engendre le Fils.
Il semble donc que le don ne soit pas propre à l’Esprit-Saint. |
[1422] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 3 Item,
propria personarum dicunt tantum relationem, quia in absolutis divinae
personae non distinguuntur. Sed donum non dicit tantum relationem, immo
aliquid aliud quod datur. Ergo videtur quod non sit nomen proprium Spiritus
sancti. |
3. En outre, le propre des
personnes dit seulement la relation car les personnes divines ne se
distinguent pas par les caractères absolus. Mais le don ne dit pas seulement
la relation, mais bien plutôt quelque chose d’autre qui est donné. Il semble
donc que le don ne soit pas un nom propre à l’Esprit-Saint. |
[1423] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, Spiritus sanctus non habet nisi unam notionem, quae est ejus
processio. Sed alio modo innotescit Spiritus sanctus inquantum est donum, et
inquantum est procedens. Ergo videtur quod notio qua donum dicitur, non sit
propria Spiritus sancti, et ita nec nomen doni. |
4. De plus, l’Esprit-Saint ne
possède qu’une seule notion, laquelle est sa procession. Mais l’Esprit-Saint
se fait connaître d’une autre manière en tant qu’il est don et en tant qu’il
procède. Il semble donc que la notion par laquelle il est appelé don n’est
pas propre à l’Esprit-Saint et qu’il en soit de même aussi pour le nom de
don. |
[1424] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 1 In
contrarium est quod dicit Augustinus, Lib. de Trinit., quia sicut in
Trinitate solus Filius dicitur Verbum, ita solus Spiritus sanctus dicitur
donum. Sed quod convenit soli alicui personae, est proprium sibi. Ergo nomen
doni proprium est Spiritus sancti. |
Cependant : 1. Saint-Augustin dit le
contraire dans le Livre sur la Trinité, car tout comme dans la
Trinité seul le Fils est appelé Verbe, de même seul l’Esprit-Saint est appelé
don. Mais ce qui convient à une seule personne lui est propre. Donc le nom de
don est propre à l’Esprit-Saint. |
[1425] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod donum et datum differunt,
ut in littera dicitur: et horum differentia potest attendi quantum ad tria ;
scilicet quantum ad consignificationem. Datum
enim consignificat tempus, cum sit participium ; donum autem non, cum sit
nomen. Inde est quod donum competit magis divinis, quae sine tempore sunt,
quam datum: unde donum potest esse aeternum, sed non datum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que don diffère du donné, ainsi qu’on le dit dans le document : et la
différence qu’il y a entre eux peut se prendre de trois manières ;
c’est-à-dire soit quant à ce qu’elles consignifient. Le
donné en effet consignifie le temps puisqu’il est un participe, mais non le
don qui est un nom. Et de là le don appartient davantage aux personnes
divines, lesquelles existent en dehors du temps, que le donné : c’est
pourquoi le don peut être éternel mais non le donné. |
Item quantum ad
significationem, quia donare addit supra dare. Donum enim, ut dicit philosophus IV Top., cap.
2, est datio irreddibilis, non quae recompensari non valeat, sed illa quae
recompensationem non quaerit. |
Soit deuxièmement quant à
leur signification, car faire une donation ajoute à donner. Une donation,
ainsi que le dit le Philosophe [IV Topiques, ch. 2], est un don
qui ne peut être rendu, non pas celui qui ne vaut pas d’être récompensé, mais
celui qui ne cherche pas à être récompensé. C’est pourquoi la donation
implique une libéralité chez celui qui donne. |
Unde donum importat
liberalitatem in dante. Item quantum ad modum significandi: quia donum
importat aptitudinem ad dandum ; datum autem importat dationem in actu. Aptitudo autem ad dandum potest attendi dupliciter ;
vel ex parte ipsius dati, quasi passiva, sicut calefactibile ad calefactionem
aptitudinem importat: vel ex parte dantis quasi activa ; et talis aptitudo
est secundum rationem qua aliquid datur liberaliter. |
Soit troisièmement quant au
mode de signifier : car la donation implique une aptitude à l’acte de
donner alors que le don implique l’action de donner en acte. Mais l’aptitude
à donner peut se prendre de deux manières ; soit du côté de ce qui est
donné, comme étant passive, comme ce qui peut être réchauffé implique une
aptitude au réchauffement ; soit du côté de celui qui donne, comme étant
active ; et une telle aptitude existe d’après la raison par
laquelle quelque chose est donné avec libéralité. |
Ratio autem omnis liberalis collationis est amor: quod
enim propter cupiditatem datur, vel propter timorem, non liberali datione
datur ; sed talis datio magis dicitur quaestus vel redemptio. |
Mais la raison ou la cause de
toute contribution libérale est l’amour : en effet, ce qui est donné à
cause de la cupidité ou de la crainte n’est pas donné par une donation
libérale, mais une telle donation s’appelle plutôt une recherche de profit ou
un trafic. |
Quia igitur Spiritus sanctus est amor, ex ratione suae
processionis habet in se et quod detur, et quod sit ratio dandi: unde est
donum per se, et primo ; alia autem quae dantur non sunt dona nisi secundum
quod participant aliquid amoris, ut ex amore data. |
Donc, parce que
l’Esprit-Saint est amour, c’est en raison de sa procession qu’il est en son
pouvoir d’être donné et d’être la raison de donner : c’est pourquoi il
est le premier don, et il l’est essentiellement ; mais les autres choses
qui sont données ne sont données que selon qu’elles participent de l’amour,
en tant qu’elles sont données par amour. |
Si igitur colligantur tres dictae rationes doni,
adjuncta auctoritate dantis ad donum, patet quod in Trinitate donum Spiritui
sancto convenit secundum suam processionem aeternam, inquantum procedit ut
amor, qui est ratio liberalis collationis. Unde sicut amor est sibi proprium,
ita donum. |
Si donc nous rassemblons les
trois raisons du don que nous avons dites, si on y ajoute l’autorité de celui
qui donne par rapport à ce qui est donné, il est clair que dans la Trinité le
don convient à l’Esprit-Saint selon sa procession éternelle, en tant qu’Il
procède comme amour, lequel est la raison d’une contribution libérale. C’est
pourquoi le don, tout comme l’amour, lui est propre. |
[1426] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum igitur dicendum, quod donum non importat missionem in actu, sed
rationem liberalis collationis vel dationis ; quae quamvis sit idem re quod
missio in divinis personis, tamen differunt ratione. Unde quamvis Filius
detur vel mittatur, tamen ratio liberalis dationis est amor, qui est Spiritus
sanctus: et ista ratio non pertinet ad Filium: unde non proprie potest dici
donum, etsi dicatur datus. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le don n’implique pas la mission en acte, mais la cause
d’une contribution ou d’une donation libérale ; laquelle, bien qu’elle
soit identique par la chose à la mission chez les personnes divines, en
diffère cependant par la raison. C’est pourquoi, bien que le Fils soit envoyé
ou donné, cependant la raison ou la cause de la donation libérale est l’amour
qui est l’Esprit-Saint : et cette raison n’appartient pas au Fils :
c’est pourquoi, bien qu’on dise de Lui qu’il est donné, on ne peut dire de
Lui à proprement parler qu’il est don. |
[1427] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod, sicut dictum est, distin. 13, quaest. unica, art. 3,
processio Filii nominatur etiam quantum ad proprium suum modum, scilicet
nomine suae generationis ; et ideo ex propria sua processione potest trahi
sua proprietas, scilicet Filius. Sed processio Spiritus sancti non habet
nomen quantum ad modum suae processionis proprium. Unde ex actu personali quo
significatur procedere, non potest trahi ad proprium pertinens ad modum
processionis, secundum quod dicitur amor vel donum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, ainsi que nous l’avons dit [dist. 13, quest. unique, art. 3] la
procession du Fils est aussi dénommée quant au mode qui lui est propre, à
savoir par le nom de sa génération ; et c’est pourquoi sa propriété, à
savoir d’être Fils, peut se tirer de sa procession propre. Mais la
procession de l’Esprit-Saint ne possède pas un nom quant au mode qui
est propre à sa procession. C’est pourquoi, selon qu’il est appelé
amour ou don, son nom ne peut se ramener à ce qui lui appartient en propre
quant à son mode de procession à partir de l’acte personnel par lequel on
signifie de Lui qu’il procède. |
[1428] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod hoc nomen donum vel datum, praeter relationem ex qua
dicitur donum vel datum, dat intelligere rem quamdam quae datur ; quamvis
forte non sicut partem significationis nominis, quia subjectum non includitur
in significatione nominis significantis accidens concretive, ut dicit
Commentator, quamvis Avicenna, V metaph., text. 14,
contrarium senserit. Sed ad rationem dati vel doni, nihil refert utrum illa
res data sit in hoc genere vel in illo: et secundum quod coarctatur donum
conditionibus praedictis, oportet quod res illa data relationem significet:
quia donum, ut ratio dandi, est amor ; nec amor potest dari ut respectu cujus
habeatur auctoritas nisi personalis quae ad aliquid est. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les noms de don ou de donné, en dehors de la relation à partir de
laquelle on dit don ou donné, donnent à entendre une chose qui est donnée,
bien que ce ne soit peut-être pas comme une partie de la signification du
nom, car le sujet n’est pas inclus dans la signification du nom qui signifie
l’accident concrètement comme le dit le Commentateur, bien qu’Avicenne
[V Métaphysique, texte 14] ait pensé le contraire. Mais il est
indifférent à la définition du don ou du donné que la chose donnée soit dans
tel ou tel autre genre : et selon que le don se limite aux conditions
que nous avons dites, il faut que cette chose donnée signifie une
relation : car le don, comme la raison de donner, est l’amour ; et
l’amour ne peut être donné comme en rapport à ce qui possède l’autorité que
si cette autorité qui est une relation est personnelle. |
[1429] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut est in essentialibus, quod una essentia communis
est bonitas et sapientia et omnia alia attributa, secundum diversas rationes
; ita etiam in personalibus: quia una proprietas vel notio secundum rem
differt secundum diversas rationes significandi in nomine ; sicut proprietas Verbi
alio modo significatur dum dicitur Filius, et dum dicitur Verbum. Ita etiam
proprietas Spiritus sancti potest secundum diversas rationes diversis
nominibus significari ; et potest esse quod secundum rationem intelligendi
una illarum rationum consequatur ad aliam, sicut etiam est in essentialibus
attributis, quod voluntas praesupponit intellectum. Unde ratio doni
consequitur rationem amoris simili modo. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tout comme dans les attributs essentiels il y a une seule essence
commune qui est la bonté et la sagesse et tous les autres attributs d’après
différentes définitions, il en est de même encore pour les attributs
personnels : car une même propriété ou une même notion selon la chose
diffère d’après différentes raisons de signifier dans le nom ; par
exemple, la propriété du Verbe est signifiée différemment selon qu’il est
appelé Fils et selon qu’il est appelé Verbe. De même encore la propriété de
l’Esprit-Saint peut être signifiée par différents noms selon différentes
raisons ; et il peut arriver que, suivant la raison de comprendre, une
de ces raisons découle d’une autre, comme cela se produit aussi dans les
attributs essentiels, à savoir que la volonté présuppose l’intelligence.
C’est pourquoi, de la même manière, la notion de don découle de la notion
d’amour. |
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[1430] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 tit. Utrum
per donum, quod Spiritus sanctus est, dentur omnia dona |
Article 3 – Est-ce que tous
les dons sont donnés par le don qui est l’Esprit Saint ? |
[1431] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per donum, quod est Spiritus sanctus, non
dentur omnia dona. Sicut enim dicit philosophus, V Physic., text.
10, alterationis non est alteratio: alias in infinitum abiretur. Si ergo
donum datur per donum, ibitur in infinitum ; et hoc non est ponere. Ergo
videtur quod dona non dentur per aliud donum. |
Difficultés : 1. Il semble que tous les
dons ne soient pas donnés par ce don qu’est l’Esprit-Saint. En effet, tout
comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 10], il n’y a pas
d’altération de l’altération : autrement, il faudrait aller à l’infini.
Si donc un don est donné par un don, on ira à l’infini ; et cela est
impossible. Il semble donc que les dons ne soient pas donnés par un don. |
[1432] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, ut supra habitum est ex verbis Hilarii, d. XVI ex IX de
Trinit., ipsa essentia divina est data a Patre Filio. Si igitur omne
datum datur per Spiritum sanctum, tunc essentia datur Filio per Spiritum
sanctum ; et hoc est inconveniens, quia Spiritus sanctus esset principium
Filii. Ergo videtur quod per hoc donum non dentur omnia dona. |
2.
Par ailleurs, comme nous l’avons établi à partir des paroles de Saint-Hilaire
[1X De la Trinité] à la distinction XVI, l’essence divine est
donnée par le Père au Fils. Si donc tout don est donné par l’Esprit-Saint,
alors l’essence est donnée au Fils par l’Esprit-Saint; et cela est impossible
car l’Esprit-Saint serait ainsi le principe du Fils. Il semble donc que tous
les dons ne soient pas donnés par ce don. |
[1433] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, Filius est etiam datus nobis, Isaiae 9.
Sed Spiritus sanctus non habet aliquam rationem principii respectu
Filii. Ergo videtur quod non omne
datum detur per hoc donum. |
3. En outre, le Fils aussi
nous est donné (Isaïe, 9). Mais l’Esprit-Saint n’a pas raison de principe par
rapport au Fils. Il semble donc que ce ne soit pas tout don qui soit donné
par ce don qu’est l’Esprit-Saint. |
[1434] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil datur per donum aliquod, nisi
illud donum detur. Sed multa dantur nobis a Deo, in quibus non datur Spiritus
sanctus, sicut data naturalia, et gratiae gratis datae. Ergo videtur quod non
omnia dona dentur per hoc donum. |
4. De
plus, rien n’est donné par un don, à moins que ce don ne soit donné. Mais
plusieurs choses nous sont données par Dieu dans lesquelles l’Esprit-Saint n’est
pas donné, par exemple les dons naturels, et les grâces données gratuitement.
Il semble donc que ce ne soient pas tous les dons qui sont donnés par ce don. |
[1435] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1
Contra est quod in Littera dicitur. Praeterea, illud quod
est primum in quolibet genere, est causa omnium quae sunt in genere illo ut
habetur ex verbis philosophi,II Metaph., text. 4. Sed
Spiritus sanctus habet rationem primi doni, inquantum ipse est amor Patris et
Filii. Ergo videtur quod per hoc donum omnia dentur. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le Document. Par ailleurs, ce qui est premier dans tout genre est
la cause de tout ce qu’on retrouve dans ce genre, ainsi que l’établissent les
paroles du Philosophe [11 Métaphysique, texte 4]. Mais
l’Esprit-Saint a raison de premier don, en tant qu’il est l’amour qu’il y a
entre le Père et le Fils. Il semble donc que ce soit par ce don que tout le
reste nous est donné. |
[1436] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod aliquid dicitur dari multipliciter: quandoque ex ipsa proprietate naturae, secundum quod
dicimus quod ignis dat calorem suum et sol splendorem, et hujus dationis non
est principium voluntas: quandoque ex voluntate, ut principio dationis ; et hoc
contingit dupliciter ; quandoque enim per dationem intenditur aliqua utilitas
ipsius dantis, vel quantum ad remotionem mali, sicut quando aliquid datur ex
timore, et talis datio dicitur redemptio ; vel quantum ad acquisitionem alicujus boni, et talis
datio est proprie quaestus, vel venditio ; quandoque autem non intenditur utilitas aliqua in ipso
dante, et haec datio dicitur liberalis, et proprie dicitur donatio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est de plusieurs manières qu’une chose est donnée : Parfois à partir de la
propriété même de la nature, selon que nous disons que le feu donne sa
chaleur et que le soleil donne sa lumière, et la volonté n’est pas le
principe d’un tel don. Parfois à partir de la
volonté comme principe de don, et cela est possible de deux manières ;
parfois par le don c’est l’utilité de celui-là même qui donne qui est
recherchée, soit pour éloigner un mal comme lorsque quelque chose est donné
par crainte et un tel don s’appelle rançon ; soit pour acquérir un bien,
et un tel don s’appelle proprement un profit ou une vente ; Mais parfois celui qui donne
ne recherche aucune utilité et on dit alors du don qu’il est libéral et
s’appelle proprement donation. |
Constat autem quod illa datio in qua intenditur
utilitas dantis nunquam competit Deo ; unde ipse [ipsa Ed. de Parme]
singulariter dicitur liberalis, quia in omnibus aliis dantibus intenditur
aliqua utilitas in dante vel boni temporalis vel spiritualis. Unde nulla
datio est pure liberalis, ut dicit Avicenna, nisi Dei et operatio ipsius.
Ratio autem liberalis dationis est amor qui, secundum Dionysium, IV
cap. de divin. Nomin. § 1, col 694 ; movet superiora ad
provisionem minus habentium. Et quia Spiritus sanctus est amor, ideo ipse est
ratio omnium eorum datorum quorum principium est divina voluntas, sicut sunt
omnia data creaturis. |
Il est clair cependant que ce
don dans lequel est recherchée une utilité du côté de celui qui donne ne se
retrouve jamais en Dieu ; c’est pourquoi on dit de lui [elle Éd.
de Parme] qu’il est exceptionnellement libéral car une utilité,
temporelle ou spirituelle, est recherchée dans celui qui donne chez tous les
autres donneurs. C’est pourquoi aucun acte de donner n’est purement libéral,
comme le dit Avicenne, si ce n’est celui de Dieu et son opération. Mais la raison
du don libéral est l’amour qui, selon Denys [Les Noms Divins, ch. IV,
& 1, col. 694] meut les êtres supérieurs à pourvoir à ceux qui possèdent
moins. Et parce que l’Esprit-Saint est amour, c’est pourquoi il est Lui-même
la raison de tous ces dons dont le principe est la divine volonté, comme tout
ce qui est donné aux créatures. |
[1437] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod philosophus intendit dicere, quod alteratio non
terminatur ad alterationem, per se loquendo ; non tamen intendit dicere, quod
una alteratio non possit esse causa alterius: et ita etiam unum donum potest
esse causa alterius [ et ita… alterius om. Ed. de Parme] et non
ibitur in infinitum, quia erit devenire ad primum donum quod datur per
seipsum, et non per aliud donum Spiritus sancti. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le Philosophe cherche à dire que le terme de l’altération, à
parler essentiellement, n’est pas l’altération ; cependant il ne cherche
pas à dire qu’une altération ne peut être la cause d’une autre
altération : et ainsi encore un don peut être la cause d’un autre don
[et ainsi… d’un autre om. Éd. de Parme] et alors on ne procédera
pas à l’infini car il faudra en venir à un premier don qui se donne par
lui-même et non par un autre don de l’Esprit-Saint. |
[1438] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod datio illa qua Pater dat essentiam Filio est datio ex
proprietate naturae ; unde ad illam dationem comparatur natura ut principium
et non voluntas, ut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art. 1, et ideo
talis datio non est per Spiritum sanctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que ce don par lequel le Père donne l’essence au Fils est un don à
partir d’une propriété de nature ; c’est pourquoi c’est la nature, et
non la volonté, qui se compare à ce don comme principe, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 3, art. 1] ; et c’est pourquoi
un tel don n’a pas lieu par l’Esprit-Saint. |
[1439] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus non sit principium Filii, est tamen
principium effectus secundum quem Filius dicitur dari vel mitti: et ideo
etiam ipse Filius est datus per donum quod est Spiritus sanctus, scilicet per
amorem: unde dicitur Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum ut Filium
suum unigenitum daret. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que l’Esprit-Saint ne soit pas le principe du Fils, il est
cependant le principe de l’effet selon lequel on dit du Fils qu’il est donné
ou envoyé : et c’est pourquoi encore le Fils lui-même est donné par le
le don qu’est l’Esprit-Saint, à savoir par l’amour : c’est pourquoi on
lit [Jean, 3, 16] : Dieu a tant aimé le monde qu’il a
donné son Fils unique. |
[1440] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis omnia dona et naturalia et gratuita, dentur
nobis a Deo per amorem, qui est primum donum, non tamen in omnibus donis
datur ipse amor, sed tantum in dono quod est similitudo illius amoris,
scilicet in dono caritatis. Cum enim dicitur, quod alia dona dantur per donum
amoris, qui est Spiritus sanctus, praepositio per non notat causam ex parte
recipientis, ut sit sensus: per hoc quod recipit donum amoris, recipit alia
dona: sed notat habitudinem causae ex parte dantis, qui per hoc quod amat
creaturam suam, omnia data dat. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que tous les dons, à la fois ceux qui sont naturels et ceux qui
sont reçus par pure grâce, nous viennent de Dieu par l’amour qui est le
premier don ; ce n’est cependant pas dans tous les dons que se donne
l’amour lui-même, mais seulement dans ce don qui est une similitude de cet
amour, à savoir dans le don de la charité. En effet, puisqu’il a été dit que
que les autres dons sont donnés par le don de cet amour qui est l’Esprit-Saint,
la préposition ¨par¨ ne désigne pas la cause du côté de celui qui reçoit, de
telle manière qu’on voudrait dire : par cela même qu’il reçoit le don de
l’amour, il reçoit les autres dons ; mais cette proposition indique un
rapport de causalité du côté de celui qui donne, lequel, par cela même qu’il
aime sa créature, lui donne tous les autres dons. |
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Articulus 4 [1441] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4
tit. Utrum eadem processione Spiritus sanctus habeat quod sit donum et Deus |
Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession d’être don et Dieu ? |
[1442] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non eadem processione Spiritus sanctus
habeat quod sit Deus et quod sit donum. Non enim est eadem ratio communis et
proprii. Sed donum est proprium Spiritui sancto. Deus autem est commune. Ergo
non est idem donum et Deus. |
Difficultés : 1. Il semble que ce ne soit
pas de la même procession que l’Esprit-Saint tienne d’être Dieu et d’être
don. En effet, la raison commune n’est pas identique à la raison propre. Mais
le don est propre à l’Esprit-Saint alors que la divinité est commune aux
trois Personnes. Ce n’est donc pas pour la même raison que l’Esprit-Saint est
don et qu’Il est Dieu. |
[1443] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, quidquid habet Spiritus sanctus per processionem, secundum
rationem intelligendi consequitur ipsam processionem. Sed deitas non est
consequens processionem: quia non procedit neque per se neque per accidens,
sicut etiam non generatur. Ergo videtur quod Spiritus sanctus non habet per
processionem quod sit Deus. |
2. Par ailleurs, tout ce que
l’Esprit-Saint possède de par la procession découle de la procession
elle-même, conformément à la manière de comprendre. Mais la divinité ne
découle pas de la procession : car elle ne procède ni essentiellement,
ni accidentellement, tout comme aussi elle n’est pas engendrée. Il semble
donc que ce ne soit pas par sa procession que l’Esprit-Saint tienne d’être
Dieu. |
[1444] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 s. c. 1
Contra, Spiritus sanctus non est Deus, nisi inquantum habet deitatem. Sed per processionem
recipit totam deitatem a Patre. Ergo processione est Deus. |
Cependant: 1. Au
contraire, l’Esprit-Saint n’est Dieu qu’en tant qu’il possède la divinité.
Mais c’est par procession qu’il reçoit toute sa divinité du Père. C’est donc
par procession qu’il est Dieu. |
[1445] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod sicut in Filio est
significare proprietatem ejus per modum relationis, ut cum dicitur filiatio,
et per modum exitus vel emanationis, ut cum dicitur generatio passive, vel
nativitas ; ita esset etiam in Spiritu sancto, si nomina essent posita ; sed
propter defectum nominum utimur eodem nomine ad significandum emanationem
ipsius, et proprietatem vel relationem, scilicet nomine processionis. Dico igitur, quod processio potest dicere emanationem
Spiritus sancti, vel relationem sive proprietatem ejus |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout comme pour le Fils sa propriété doit être signifiée par le mode de
relation, comme lorsqu’on parle de filiation , ou par la modalité de sortie
ou d’émanation, comme lorsqu’on parle de génération passive ou de naissance,
il en serait de même pour l’Esprit-Saint si des noms avaient été posés ;
mais en raison d’un défaut de nom nous nous servons du même nom pour
signifier son émanation et sa propriété ou sa relation, à savoir du nom de
procession. Je dis donc que la procession peut dire l’émanation de l’Esprit-Saint
aussi bien que sa relation ou sa propriété. |
Si relationem vel proprietatem, sic Spiritus sanctus
proprietate sua, formaliter loquendo, est Spiritus sanctus et donum et amor,
non autem Deus, sicut nec Filius filiatione est Deus formaliter loquendo, sed
filiatione est Filius, et deitate Deus, et sapientia sapiens. Si dicat
emanationem, tunc potest dici, quod Spiritus sanctus sua processione est Deus
et donum, sicut etiam Filius sua nativitate est Filius et Deus ; sed
diversimode: quia deitas se habet ad generationem solum ut accepta per
generationem ; sed filiatio, secundum rationem intelligendi, est consequens
generationem. |
Si elle dit la relation ou la
propriété, alors l’Esprit-Saint, de par sa propriété, à parler formellement,
est à la fois don et amour, mais non pas Dieu ; tout comme le Fils, de
par sa filiation n’est pas Dieu formellement parlant, mais par la filiation
il est Fils, par sa divinité il est Dieu et par sa sagesse il est sage. Mais
si la procession disait l’émanation, alors on pourrait dire que
l’Esprit-Saint par sa procession est Dieu et don, tout comme aussi le Fils
par sa naissance est Fils et Dieu, mais d’une manière différente : car
la divinité se rapporte à la génération seulement comme reçue au moyen de la
génération ; mais la filiation, d’après la manière de la comprendre,
découle de la génération. |
Et simili ratione consequitur quod Filius nascendo
accipiat divinitatem ; et non solum ita quod gerundium importet
concomitantiam, ut cum [cum om. Éd. de Parme] dicitur de aliquo:
currendo est homo: sed importat ordinem ad acceptum, ut sit sensus: Filius
nascendo accepit deitatem ; idest, per nativitatem accepit divinitatem. Et
similiter est de processione Spiritus sancti. Haec autem plenius dicta sunt
supra, dist. 10, quaest. unic. art. 1. |
Et il s’ensuit pour la même
raison que le Fils en naissant reçoit la divinité ; et non seulement de
telle manière que le gérondif implique un accompagnement , comme lorsqu’on
[lorsque om. Éd. de Parme] dit de quelqu’un : l’homme en
courant ; mais se telle manière qu’il implique un ordre à l’égard de ce
qui est reçu, de telle manière que le sens soit le suivant : le Fils en
naissant reçoit la divinité, c’est-à-dire que c’est au moyen de la naissance
qu’Il reçoit la divinité. Et il en est de même au sujet de la procession de
l’Esprit-Saint. Mais nous avons parlé plus clairement de ces choses plus haut
[dist. 10, quest. unique, art. 1]. |
[1446] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod non eodem modo formaliter secundum rationem Spiritus
sanctus est Deus et donum ; sed per eamdem emanationem habet utrumque: quia
sicut Filius nihil habet nisi quod nascendo accepit, ita et Spiritus sanctus
nihil habet nisi quod procedendo accepit. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que selon la raison ce n’est pas de la même manière formellement parlant
que l’Esprit-Saint est à la fois Dieu et don ; mais c’est par la même
émanation qu’il tient d’être les duex : car tout comme le Fils ne
possède que ce qu’il a reçu en naissant, de même l’Esprit-Saint ne possède
que ce qu’il a reçu en procédant. |
[1447] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia divina non accepit novum esse in Spiritu
sancto per processionem, cum unum et idem sit esse trium personarum ; et ideo
non procedit neque per se neque per accidens ; neque etiam processionem
consequitur ; sed hoc quod Spiritus sanctus habeat deitatem, convenit ei ex
sua processione. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’essence divine n’a pas reçu une nouvelle existence dans
l’Esprit-Saint par la procession, puisqu’il n’y a qu’une seule et même
existence pour les trois personnes ; et c’est pourquoi elle ne procède
si par essence ni par accident ; et elle ne découle pas non plus de la
procession ; mais le fait que l’Esprit-Saint possède la divinité, cela
lui appartient de par sa procession. |
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Articulus 5 [1448] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 tit. Utrum Spiritus sanctus possit dici donum nostrum |
Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ? |
[1449] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod
Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. Donum enim dicitur secundum
respectum ad creaturam. Sed eis quae important respectum ad creaturam, potest
addi meum vel nostrum, ut creator noster. Ergo videtur quod Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. |
Difficultés : 1. ll semble que
l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don. Le don en effet se dit d’après
un rapport à la créature. Mais à ce qui implique un rapport à la créature, on
peut ajouter mon et notre, comme dans ¨notre créateur¨. Il semble
donc que l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don. |
[1450] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 2 Item,
sanctus nihil adimit de ratione hujus quod dicitur spiritus. Sed dicitur
spiritus noster, ut Spiritus Eliae. Ergo videtur quod potest dici Spiritus
sanctus noster. |
2. En outre, ¨saint¨ n’enlève
rien de la signification de ce qu’on veut dire quand on dit ¨esprit¨. Mais on
dit notre esprit, comme l’Esprit d’Élie. Il semble donc qu’Il puisse être
appelé notre Esprit-Saint. |
[1451] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 3 Item,
sicut Filius importat relationem aeternam, a qua imponitur, ita et Pater. Sed
dicitur Pater noster. Ergo etiam potest dici Filius noster. |
3. De plus, tout comme le
Fils apporte avec Lui une relation éternelle par laquelle il est porté, il en
est de même pour le Père. Mais on dit ¨notre Père¨. On peut donc aussi dire
¨notre Fils¨. |
[1452] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 4
Praeterea, quidquid datur nobis, est nostrum. Sed Filius datus est nobis.
Ergo est Filius noster. |
4. Par ailleurs, tout ce qui
nous est donné est nôtre. Mais le Fils nous est donné. Donc le Fils est
nôtre. |
[1453] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 5
Praeterea, in Deo idem est deitas et Deus et sapientia et bonitas et omnia
hujusmodi. Sed dicitur Deus noster ; ergo etiam potest dici Deus sapientia nostra
vel essentia nostra. |
5. En outre, la divinité,
Dieu, la sagesse, la bonté et tous les caractères de cette sorte sont
identiques en Dieu. Mais on dit ¨notre Dieu¨ ; donc, Dieu peut aussi
être appelé notre sagesse ou notre essence. |
[1454] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 6 Sed e
converso videtur quod non potest dici Deus noster. In pronomine enim
nostrum vel meum, importatur aliqua habitudo vel relatio creatoris ad
creaturam. Sed Deus est nomen
absolutum et nomen naturae, ut dicit Ambrosius, lib. I De fide, cap.
1, col. 552. Ergo videtur quod non potest dici Deus noster. |
6. Mais au contraire il
semble qu’on ne puisse dire ¨notre Dieu¨. En effet, dans les pronoms ¨le
nôtre¨ et ¨le mien¨ est impliqué un rapport ou une relation du créateur à la
créature. Mais Dieu est un nom absolu et un nom de nature, comme le dit
Saint-Ambroise [De la Foi, livre 1, ch. 1, col. 552]. Il semble donc qu’on
ne puisse dire ¨notre Dieu¨. |
[1455] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod Deus non potest habere aliquam relationem ad nos, nisi per
modum principii. Cum autem causae sint quatuor, ipse non est causa materialis
nostra ; sed se habet ad nos in ratione efficientis et finis et formae
exemplaris, non autem in ratione formae inhaerentis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que Dieu ne peut avoir une relation à nous qu’à la manière d’un principe.
Mais comme il y a quatre causes, Il ne peut être notre cause
matérielle ; mais il se présente à nous sous le rapport d’une cause
efficiente, d’une fin et d’une forme exemplaire, mais non sous le rapport
d’une forme inhérente. |
Considerandum est igitur in nominibus divinis, quod
omnia illa nomina quae important rationem principii per modum efficientis vel
finis recipiunt additionem dictorum pronominum, sicut dicimus: creator noster
et bonum nostrum. Ea autem quae dicuntur per modum formae inhaerentis, non
recipiunt dictorum pronominum additionem ; et talia sunt nomina omnia divina,
quae in abstracto significantur, quae omnia significantur per modum formae,
ut essentia, bonitas et hujusmodi. Unde in talibus non potest fieri additio. |
Il faut donc considérer dans
les noms divins, que tous ces noms qui impliquent la relation de principe à
la manière d’une cause efficiente et d’une fin reçoivent d’addition de ces
pronoms dont on vient de parler, comme lorsque nous disons : notre
créateur et notre bien. Mais ceux qui se disent à la manière d’une forme
inhérente ne reçoivent pas l’addition de ces pronoms ; et tels sont tous
les noms divins qui signifient dans l’abstrait, lesquels signifient tous à la
manière d’une forme, comme l’essence, la bonté et les caractères de cette
sorte. C’est pourquoi il ne peut y avoir dans ces cas l’addition de ces
pronoms. |
Non enim possum dicere, quod Deus sit essentia nostra
vel substantia vel aliquid hujusmodi. Tamen in istis nominibus considerandus
est quidam ordo. Quia quaedam horum abstractorum important rationem principii
efficientis et exemplaris, ut sapientia et bonitas et hujusmodi, quando fit
additio dictorum pronominum, ut cum dicimus, Deus est sapientia nostra
causaliter, per modum quo dicitur spes nostra: quia per ejus sapientiam
efficitur in nobis sapientia exemplata a sua sapientia, per quam sapientes
sumus formaliter. Quaedam autem non important rationem principii, nisi forte
exemplaris, et talibus non consuevit fieri dicta additio. Non enim consuetum
est dici, quod Deus sit essentia nostra, vel substantia nostra. Tamen etiam
quandoque istis nominibus fit talis additio propter habitudinem principii
exemplaris: sicut Dionysius dicit, IV cap. cael. hier. § 1,
quod esse omnium est superesse deitatis ; licet hujusmodi locutiones magis
sint exponendae quam extendendae. |
Je ne peux dire en effet que
Dieu est notre essence, notre substance ou quelque chose de la sorte.
Cependant dans ces noms il y a un ordre à considérer. Car certains de ces
noms abstraits comportent le rapport de principe efficient et exemplaire,
comme la sagesse, la bonté et les autres quand il y a addition de ces
pronoms, comme lorsque nous disons que Dieu est notre sagesse à titre de
cause, à la manière par laquelle nous disons de Lui qu’il est notre
espoir : car c’est au moyen de sa sagesse qu’une imitation de la sagesse
est produite en nous par sa sagesse et par laquelle nous sommes formellement
sages. Mais d’autres ne comportent pas le rapport de principe, si ce n’est
peut-être le rapport de principe exemplaire et pour eux il n’est pas coutume
qu’il y ait une telle addition. Il n’est pas coutume en effet de dire que
Dieu est notre essence ou notre substance. Cependant il arrive aussi parfois
qu’il y ait une telle addition à cause du rapport de principe
exemplaire : tout comme Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV,
&1] dit que la supra-existence de Dieu est l’existence de tous les êtres,
bien qu’on doive davantage expliquer de telles expressions que les répandre. |
[1456] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod donum importat quamdam relationem in actu,
scilicet ad dantem, et quamdam solum in aptitudine, quantum est in ratione
sui nominis, scilicet ad eum cui datur ; et ideo potest semper dici donum
dantis ; sed non est ejus cui datur, nisi quando sibi est datum in actu ; et
propter hoc dicimus datum nostrum et non donum nostrum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le don implique une relation en acte, à savoir par rapport à
celui qui le donne, et une seulement dans l’aptitude quant à la signification
de son nom, à savoir par rapport à celui à qui il est donné ; et c’est
pourquoi on peut toujours dire qu’il est le don de celui qui donne et non pas
qu’il est le don de celui à qui il est donné, si ce n’est quand il lui est
donné en acte ; et c’est pour cette raison que nous disons notre donné
et non pas notre don. |
[1457] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Spiritus sanctus est quaedam circumlocutio inventa ad
exprimendum personam Spiritus sancti: ipse autem, inquantum est persona
subsistens, non importat relationem principii, sed magis ejus qui est a
principio ; et ideo non potest dici Spiritus sanctus noster ; sed Spiritus
importat rationem principii, inquantum a spiritu est inspiratio, propter quod
potest dici Spiritus noster. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’Esprit-Saint est une expression inventée pour exprimer la personne
de l’Esprit-Saint : mais Lui-même, en tant qu’Il est une personne
subsistante, n’implique pas la relation de principe mais plutôt de ce qui
vient du principe ; et c’est pourquoi il ne peut être appelé notre
Esprit-Saint ; mais il comporte la notion de principe, pour autant que
c’est pas l’Esprit qu’il y a inspiration, pour laquelle il peut être appelé
notre Esprit. |
[1458] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Pater importat rationem principii, Filius autem non,
sed magis ejus quod est a principio ; et ideo non potest dici Filius noster,
sicut dicitur Pater noster ; quamvis etiam non dicatur Pater noster, prout
imponitur nomen a paternitate aeterna: sic enim est Pater solius Filii
naturalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le Père implique le rapport de principe mais non le Fils qui
implique plutôt le rapport de ce qui vient du principe ; et c’est pourquoi
il ne peut être appelé notre Fils, comme on dit notre Père, bien qu’il ne
puisse aussi être appelé notre Père pour autant que le nom est imposé en
partant d’une paternité éternelle : en ce sens en effet il n’est le Père
que du seul Fils naturel. |
[1459] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis Filius datus sit nobis, non tamen datus est
nobis in Filium, sed in doctorem vel salvatorem ; et ideo potest dici
salvator noster, sed non filius noster. Et si objiciatur: est Filius et est
noster ; ergo est filius noster, patet quod est fallacia accidentis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que le Fils nous soit donné, il ne nous est cependant pas donné
en tant que Fils, mais en tant que maître ou sauveur ; et c’est pourquoi
il peut être appelé notre sauveur et non notre Fils. Et si on objecte qu’il
est Fils, qu’il est nôtre, et qu’il est donc notre Fils, il est clair qu’il
s’agit d’un sophisme de l’accident. |
[1460] Super Sent.,
lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sapientia in abstracto
significata [significata om. Éd. de Parme]significat
id quo aliquis est formaliter sapiens ; et propter hoc ratione praedicta non
potest proprie dici quod sit sapientia, nisi per modum qui dictus est, in
corp. art. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la sagesse signifiée dans l’abstrait [signifiée om. Éd. de
Parme] signifie ce par quoi quelqu’un est formellement sage ; et à
cause de cela, pour la raison que nous avons dite, on ne peut proprement dire
qu’il soit la sagesse, si ce n’est de la manière que nous avons dite dans le
corps de l’article. |
[1461] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 6 Ad
ultimum dicendum, quod Deus, quamvis significet essentiam divinam quantum ad
id cui imponitur, tamen quantum ad id a quo imponitur nomen, significat
operationem, ut supra dictum est ex verbis Damasceni. Et ideo potest dici
Deus noster. Tamen diversimode potest dici Deus omnium et justorum ; Deus
enim dicitur omnium propter relationem principii, inquantum scilicet est
creator omnium ; dicitur autem Deus justorum specialiter, secundum rationem
finis quem contingunt ; et ideo dicitur etiam ab eis haberi. Alia enim licet
ordinentur in ipsum sicut in finem, non tamen consequuntur ipsum, nisi justi
qui conjunguntur sibi per gratiam et gloriam: et ideo etiam omnium communiter
dicitur vel finis vel aliquid hujusmodi ; sed absolute dicitur de justis quia
Deus est eorum, quia habent ipsum sicut suam hereditatem, et per quemdam
modum possessionis. |
6. Il faut dire finalement
que le nom de Dieu, bien qu’il signifie l’essence divine quant à celui à qui
il est imposé, cependant quant à celui par qui le nom a été imposé, ce nom
signifie l’opération, ainsi que nous l’avons dit plus haut en nous appuyant
sur les paroles de Damascène. Et c’est pourquoi Il peut être appelé notre
Dieu. C’est cependant d’une manière différente qu’il peut être appelé le Dieu
de tous et le Dieu des justes ; on dit en effet qu’Il est le Dieu de
tous à cause de la relation de principe, à savoir pour autant qu’Il est le créateur
de tous ; mais il est appelé le Dieu des justes d’une manière spéciale,
selon la raison de fin qu’ils atteignent ; et c’est pourquoi on dit
encore qu’Il est possédé par eux. Les autres en effet, bien qu’ils soient
ordonnés à lui comme à leur fin cependant ils n’y parviennent pas, sauf les
justes qui Lui sont unis par la grâce et la gloire : et c’est pourquoi
on dit encore généralement de lui qu’il est la fin de tous ou quelque chose
de cette sorte ; mais c’est d’une manière absolue qu’on L’attribue aux
justes, car Dieu appartient à ceux qui le possèdent comme leur héritage et à
la manière d’une certaine propriété. |
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Distinctio 19 |
Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations, leur égalité] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo de aequalitate. Secundo de illis in quibus
attenditur aequalitas. Circa
primum quaeruntur duo: 1
an in divinis sit aequalitas ; 2
an ibi sit mutua aequalitas. |
On s’interroge ici sur deux
choses. En premier lieu sur
l’égalité. En deuxième lieu sur les
choses dans lesquelles on observe l’égalité. Et au sujet du premier point
on se demande deux choses : 1. Y a-t-il égalité chez les
personnes divines ? 2. Est-ce qu’il y a là une
égalité réciproque ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’égalité des personnes divines] |
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Articulus 1 [1464] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum
aequalitas sit in divinis |
Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ? |
[1465]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod aequalitas non sit in divinis. Sicut enim dicit philosophus V Métaph.,
c XV, unum in quantitate facit aequale. Sed in Deo non est quantitas, ut supra
dixit Augustinus V De Trin., cap. 1, quod est sine
quantitate magnus. Ergo videtur quod non sit aequalitas ibi. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas égalité en Dieu. En effet, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique,
ch. XV], c’est l’unité dans la quantité qui fait l’égalité. Mais il n’y a pas
de quantité en Dieu ainsi que l’a dit Saint-Augustin plus haut [V De la Trinité,
ch. 1], en disant qu’Il est grand mais sans la quantité. Il semble donc qu’il
n’y ait pas d’égalité en Dieu. |
[1466] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid est in divinis de absolutis,
significat divinam substantiam. Sed secundum unitatem substantiae attenditur
identitas, et non aequalitas. Ergo videtur quod per hoc quod probatur una
essentia trium personarum, magis probetur identitas quam aequalitas. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
se trouve dans les caractères absolus en Dieu signifie la substance divine.
Mais selon l’unité de la substance c’est l’identité qui est attendue et non
l’égalité. Il semble donc qu’on prouve une seule essence pour trois
personnes, c’est davantage l’identité que l’égalité qui est prouvée. |
[1467] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, qualitas magis se habet ad spiritualia quam
quantitas: quia quaedam species qualitatis, ut scientia et virtus et
hujusmodi, inveniuntur in substantiis spiritualibus ; non autem species
quantitatis, nisi forte numerus, secundum quem non attenditur haec aequalitas
personarum. Ergo cum secundum qualitatem potius sit similitudo quam
aequalitas, videtur quod ista convenientia in essentialibus magis dicenda sit
similitudo quam aequalitas. |
3. En outre, c’est davantage
la qualité que la quantité qui se rapporte aux réalités spirituelles :
car certaines espèces de qualité, comme la science, la vertu, et d’autres de
la sorte, se retrouvent dans les substances spirituelles, mais on n’y
retrouve pas des espèces de la quantité, si ce n’est peut-être le nombre qui
ne s’applique pas à l’égalité des personnes. Donc
puisque selon la qualité il y a davantage similitude
qu’égalité, il semble que cette ressemblance dans les termes essentiels doive
danvantage être appelée similitude qu’égalité. |
[1468] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis aequalitas dicit proportionem et
commensurationem quamdam. Sed infinitorum non est aliqua commensuratio nec
proportio. Cum igitur divinae personae infinitae sint, non videtur in eis
esse aequalitas. |
4. De plus, toute égalité dit
une proportion et une certaine égalité de mesure. Mais il n’y a ni égalité de
mesure ni proportion à l’égard de ce qui est infini. Donc, puisque les
personnes divines sont infinies, il ne semble pas qu’il y ait entre elles
égalité. |
[1469] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium, est quod in symbolo Athanasii
dicitur: et totae tres personae coaeternae sibi sunt
et coaequales. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le symbole de Saint-Athanase : Les trois Personnes sont
coéternelles et égales entre elles. |
[1470]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit
philosophus, loc. cit., unum in substantia facit idem, unum
in quantitate aequale, unum in qualitate facit simile. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que, comme le dit le Philosophe dans la citation
précédente, l’un dans la substance fait l’identité, l’un dans la quantité
fait l’égalité et l’un dans la qualité fait le semblable. |
Quamvis autem in divinis
non sit qualitas vel quantitas secundum communem rationem generis, sunt tamen
ibi aliquae species qualitatis secundum proprias rationes suas, quantum ad
differentias constitutivas ; et similiter aliquae species quantitatis
secundum id quod est proprium eis, ut magnitudo et duratio: et ideo ratione
eorum dicitur in divinis aequalitas et similitudo. |
Mais bien que dans les
personnes divines il n’y ait pas de qualité ou de quantité selon la notion
commune de genre, il y a cependant là certaines espèces de qualité selon les
notions qui leur sont propres, quant aux différences
constitutives ; et de même il y a certaines espèces de quantité selon ce
qui leur est propre, comme la grandeur et la durée : et c’est pourquoi
c’est en raison d’elles qu’on dit qu’il y a en Dieu égalité et similitude. |
Sicut autem ea quae
significantur per modum qualitatis, ut sapientia et hujusmodi, non sunt aliud
secundum rem ab essentia, sed solum secundum rationem ; ita etiam similitudo
et identitas in divinis differunt secundum rationem et non secundum rem, et
similiter est de aequalitate. |
Mais tout comme les
caractères qui sont signifiés à la manière d’une qualité, comme la sagesse et
d’autres de cette sorte, ne diffèrent pas de l’essence selon la chose mais
seulement selon la raison, de même encore la similitude et l’identité chez
les personnes divines diffèrent selon la raison et non selon la chose, et il
en est de même pour l’égalité. |
Et inde est quod
diversimode invenitur aequalitas et similitudo in divinis personis et in aliis
rebus. In aliis enim aequalibus non est eadem quantitas secundum essentiam,
sed solummodo secundum commensurationem ; et similiter una qualitas secundum
speciem ; quia in eis est aliud qualitas et essentia, quae respicit esse
sicut actum proprium. |
Et c’est de là que l’égalité
et la similitude se retrouvent différemment dans les personnes divines et
dans les autres choses. En effet, dans les autres choses qui sont égales, la
quantité n’est pas la même selon l’essence mais seulement selon l’égalité de mesure ;
et de la même manière la qualité est une selon l’espèce ; car en elles
la qualité est autre que l’essence, laquelle s’intéresse à l’existence comme
à l’acte qui lui est propre. |
Qualitas autem vel
quantitas non dicitur per respectum ad esse, sed tantum dicunt quidditatem
alicujus generis. Unde potest dici una quantitas ubi non est unum esse ; sed
non potest dici una essentia absolute, nisi ubi est unum esse ; et hoc est
ubi est eadem essentia secundum numerum. |
Mais la qualité ou la
quantité ne se disent pas par rapport à l’existence, mais elles disent
seulement la quiddité d’un genre. C’est pourquoi on peut parler d’une seule
et même quantité là où il n’y a pas une seule existence ; mais on ne
peut parler d’une seule et même essence absolument que là où il n’y a qu’une
seule et même existence ; et cela ne se rencontre que là où il y a une
seule et même essence selon le nombre. |
[1471] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aequalitas non causatur
ex uno in quantitate solum secundum rationem quantitatis communem, sed etiam
secundum rationem alicujus speciei quantitatis. Ad rationem enim aequalitatis
sufficit quod sit unitas numeri, vel etiam temporis. Et ita cum in divinis
sit ratio aliquarum specierum quantitatis, potest ibi esse aequalitas
proprie. Sed quia quod invenitur in pluribus, convenit eis secundum id quod
est eis commune, et non secundum quod est eis proprium: ideo potest melius
dici, quod aequalitas consequitur rationem quantitatis in communi, quae
consistit in quadam divisibilitate: unde ratio quantitatis invenitur proprie
in illis quae secundum se dividuntur ; et sic Deo non convenit. Invenitur
etiam quodammodo in illis quorum divisio attenditur secundum ea quae
extrinsecus sunt, sicut virtus dicitur divisibilis et quantitatis rationem
habens ex ratione et divisione actuum et objectorum. Et talis ratio
quantitatis, scilicet virtualis, Deo convenit, et per consequens aequalitas. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que l’égalité n’est pas causée par l’un dans la quantité seulement selon
la définition universelle de la quantité, mais aussi selon la définition
d’une espèce particulière de quantité. Il suffit en effet à la définition de
l’égalité qu’il y ait unité de nombre ou même de temps. Et ainsi puisqu’il y
a raison de poser en Dieu certaines espèces de quantité, il peut y avoir là
égalité à proprement parler. Mais parce que ce qu’on retrouve en plusieurs
leur convient selon ce qui leur est commun et non selon ce qui leur est
propre, c’est pourquoi, pour mieux s’exprimer, l’égalité découle de la
définition commune de la quantité qui consiste en une certaine
divisibilité : c’est pourquoi la notion de quantité se retrouve
proprement dans les choses qui sont divisibles en elles-mêmes ; et en ce
sens la quantité ne convient pas à Dieu. Mais la notion de quantité se
retrouve aussi dans les choses dont la division se vérifie selon ce qui est
extérieur, tout comme on dit de la puissance qu’elle est divisible et qu’elle
a raison de quantité en raison de la division de ses actes et de ses objets.
Et une telle notion de la quantité, à savoir de celle qui se rapport à la
puissance, convient à Dieu, et par conséquent l’égalité aussi. |
[1472]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratione
jam dicta, dist. 9, patet quod identitas ponit unitatem in essentia secundum
numerum: et quia in rebus creatis, ex quarum consideratione nomina imponimus,
etiam illa quae de Deo praedicantur, unitas essentiae non est nisi in eodem
supposito ; ideo identitas nullam importat distinctionem in supposito ; sed
magis unitatem. Unde Filius non potest dici, masculine loquendo, idem Patri,
sed neutraliter tantum ; ut unitas ad essentiam referatur. Aequalitas vero et
similitudo, quae important unitatem quantitatis vel qualitatis non secundum
essentiam vel esse, quantum est de sui significatione, non important unitatem
quantitatis vel qualitatis in numero ; sed sufficit quod sint idem specie.
Haec autem unitas est in diversis suppositis: et ideo aequalitas et similitudo
simul cum unitate important distinctionem: et propter hoc dicimus Filium
similem Patri vel aequalem ; non tamen eumdem. Et inde est quod potius
Magister de aequalitate quam de identitate determinavit, dist. 9, quia in
identitate importatur tantum unitas essentiae. Nec etiam secundum quemlibet
modum divinis personis competit, scilicet masculine ; sed in aequalitate
importatur utrumque ; et unitas essentiae per modum quantitatis significatae,
et personarum distinctio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que pour la raison que nous avons déjà dite antérieurement (distinction
neuf), il est clair que l’identité pose l’unité dans l’essence selon le
nombre : et parce que dans les choses créées l’unité de l’essence
n’existe que dans un même suppôt, puisque nous imposons les noms, même ceux
que nous attribuons à Dieu, à partir de la considération de ces choses, c’est
pourquoi l’identité n’implique en elle-même aucune distinction dans le
suppôt, mais plutôt l’unité. De là on ne peut dire du Fils, en parlant au
masculin, qu’il est identique au Père, mais seulement en parlant au neutre,
de telle manière que l’unité se rapporte à l’essence. Mais l’égal et le
semblable, qui n’impliquent pas l’unité de la quantité ou de la qualité selon
l’essence ou l’existence quant à leur signification, n’impliquent pas l’unité
de la quantité ou de la qualité selon le nombre, mais il suffit qu’ils soient
identiques selon l’espèce. Mais cette unité a lieu dans des suppôts
différents : et c’est pourquoi l’égal et le semblable impliquent une
distinction simultanément avec l’unité : et c’est pour cette raison que
nous disons du Fils qu’il est semblable ou égal au Père, mais non qu’il lui
est identique. Et c’est de là que le Maître traita plutôt de l’égalité que de
l’identité (distinction neuf) car l’identité implique seulement l’unité de
l’essence. Et ce n’est pas de n’importe quelle manière qu’elle convient aux
personnes divines, c’est-à-dire au masculin ; mais l’égalité implique
les deux, à savoir à la fois l’unité de l’essence à la manière d’une quantité
signifiée et la distinction des personnes. |
[1473] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in similitudine
similiter importetur utrumque, ut patet ex verbis Hilarii, in 2 distinct.
positis quod similitudo sibi ipsi non est, tamen aequalitas addit aliquid
supra similitudinem, et includit eam, quando dicitur de divinis personis. Cum
enim in divinis non nisi quantitas sit virtutis, quae fundatur in qualitate,
in unitate talis quantitatis ponitur unitas qualitatis, et privatur
intensionis excessus, ut patet: quia quaecumque aequalia sunt in colore, sunt
etiam similia, sed non convertitur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que le semblable implique également les deux, comme on le voit
à partir des paroles de Saint-Hilaire présentées (distinction deux) plus
haut, à savoir que le semblable n’est pas semblable à lui-même, cependant
l’égal ajoute quelque chose au semblable et le contient quand il se dit des
Personnes divines. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a comme quantité que celle
qui appartient à la puissance qui se fonde sur la qualité, il faut poser
l’unité de la qualité dans l’unité d’une telle quantité et cette dernière est
exempte d’une différence de degrés, ainsi qu’on le voit : car tout ce
qui est égal dans une même couleur est aussi semblable, mais tout ce qui a
une couleur semblable n’est pas nécessairement égal dans l’intensité de cette
couleur. |
[1474] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aequalitas est species
proportionis: est enim aequalitas proportio aliquorum habentium unam
quantitatem. Dico igitur de aequalitate, sicut de quibusdam aliis, quod
praedicatur de Deo quantum ad rationem differentiae, quod est habere unam
quantitatem, et non quantum ad rationem generis, quae consistit in
commensuratione quantitatis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’égalité est une espèce de proportion : l’égalité en effet est
la proportion par rapport à des choses qui possèdent une même quantité. Je
dis donc de l’égalité, comme de certaines autres choses, qu’elle s’attribue à
Dieu quant à la raison de différence qui est de posséder une même quantité,
et non quant à la raison de genre qui consiste dans la proportion de la
quantité. |
Unde
dico, quod divina magnitudo nullo modo est mensurabilis vel mensurata nec ab
alio nec a se. Primo, quia
mensuratio ponit terminationem, et divina magnitudo non habet terminum intra
nec extra ; et ideo infinita dicitur, non quidem per extensionem privative,
sed per negationem termini. Secundo, quia commensuratio non
est unius quantitatis ad se, sed duarum ; et nulla alia magnitudo potest esse
aequalis sibi. Pater autem et Filius non habent aliam et aliam magnitudinem,
sed unam et eamdem, secundum quam aequales dicuntur ; et ita divinae
magnitudini nihil diversum ab ipsa commensuratur. Tertio, quia sicut omnis motus
reducitur ad movens quod non est motum neque a se neque ab alio: ita omnis
mensuratio reducitur ad unum primum quod nullo modo est mensuratum, sed est
omnium mensura ; et hoc Deus est, ut etiam Commentator dicit (X Metaph.,
text. 17). |
C’est pourquoi je dis que la
grandeur divine n’est en aucune manière mesurable ou mesurée, ni par un autre
ni par elle-même. Premièrement parce que la mesure
pose un terme et que la grandeur divine n’a de terme ni en elle-même ni à
l’extérieur d’elle-même ; et c’est pourquoi on dit d’elle qu’elle est
infinie, non pas certes à la manière d’une privation, par extension, mais par
la négation d’une terme. Deuxièmement parce que la proportion
n’appartient pas à une seule quantité par rapport à elle-même, mais à
deux ; et aucune autre grandeur ne peut être égale à elle-même. Mais le
Père et le Fils ne possèdent pas une telle et une autre grandeur, mais une
seule et même grandeur d’après laquelle ils sont dits égaux ; et ainsi
il n’y a rien d’autre qu’elle qui soit proportionné à la grandeur divine. Troisièmement parce que tout comme
tout mouvement se ramène au moteur qui n’est mû ni par lui-même ni par un
autre, de même toute mesure se ramène à un premier principe unique qui n’est
mesuré en aucune manière mais qui est la mesure de tout le reste. Et ce
premier principe est Dieu comme le dit aussi le Commentateur [X Métaphysique,
texte 17]. |
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Articulus 2 [1475] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum
aequalitas in divinis sit mutua |
Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ? |
[1476]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit ibi
mutua aequalitas. Ita enim dicit Dionysius cap. IX [cap. X, Éd. de
Parme] De div. Nom. § 6, col. 914) quod in causa et in
causatis non recipimus conversionem similitudinis et aequalitatis. Sed
quamvis in divinis personis non sit causa et causatum, est tamen ibi
principium et quod est de principio. Ergo videtur quod Filius, qui est a Patre
sicut a principio, sit similis et aequalis Patri, sed non e converso. |
Difficultés : 1. Il semble que l’égalité ne
soit pas mutuelle en Dieu. C’est ne ce sens en effet que parle Denys [1X (X
Éd. de Parme) Les Noms Divins, &6, col. 914], lorsqu’il dit
qu’il ne faut pas admettre la conversion du semblable et de l’égal dans la
cause et les effets. Mais bien qu’en Dieu il n’y ait pas de cause et
d’effets, il y a cependant là un principe et ce qui vient du principe. Il
semble donc que le Fils, qui vient du Père comme de son principe, soit
semblable et égal au Père, mais non inversement. |
[1477] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, unumquodque est aequale illi quo non est
minus ; et nihil est aequale illi quo est majus. Sed supra, distinct. 16, dicit
Hilarius IX De Trin.,§ 54 : « Filius non est minor
Patre, et tamen Pater est major Filio ». Ergo Filius est aequalis
Patri, sed non e converso. |
2. Par ailleurs, chacun est
égal à celui dont il n’est pas plus petit ; et nul n’est égal à celui
dont il est plus grand. Mais plus haut (distinction 16), Saint Hilaire
[1X De la Trinité, & 54] dit : ¨Le Fils n’est pas
plus petit que le Père, et cependant le Père est plus grand que le Fils¨.
Donc le Fils est égal au Père mais non inversement. |
[1478] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, cum nihil sibiipsi sit aequale, omne quod
aequale dicitur praesupponit aliquid cui aequale dicatur. Sed Filius secundum
ordinem naturae praesupponit Patrem, non autem Pater praesupponit aliquid.
Ergo videtur quod Filius sit aequalis Patri, et non e converso. |
3. En outre, puisque rien
n’est égal à soi-même, tout ce qui se dit égal présuppose quelque chose par
rapport à quoi il est dit égal. Mais le fils présuppose le Père selon l’ordre
de nature, alors que le Père ne présuppose rien. Il semble donc que le fils
soit égal au Père et non inversement. |
[1479] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in symbolo Athanasii dicitur: « Tres
personae coaeternae sibi sunt et coaequales ». Ergo
est ibi mutua aequalitas. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le symbole d’Athanase : ¨Les trois personnes sont coéternelles et
égales entre elles¨. Il y a donc là une égalité réciproque. |
[1480]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum aequalitas
fundetur in unitate quantitatis, idem est aliquid esse aequale alicui, quod
habere quantitatem illius ; et esse simile, quod habere qualitatem illius.
Qualitas autem alicujus dicitur quam proprie et plene habet. Contingit autem
quandoque quod qualitas illa perfecta est in utroque: unde utriusque dici
potest: et secundum hoc in talibus potest dici quod utrumque alteri simile
est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
puisque l’égalité se fonde sur l’unité de la quantité, qu’affirmer qu’une
chose soit égale à une autre, c’est la même chose que de dire qu’elle possède
sa quantité ; et lui être semblable, c’est la même chose que de posséder
sa qualité. Mais on appelle qualité d’une chose ce qu’elle possède proprement
et pleinement. Mais il arrive parfois que cette qualité soit parfaite dans
les deux sujets : c’est pourquoi elle peut se dire des deux : et
d’après cela dans ces cas on peut dire que chacun des deux est semblable à
l’autre. |
Quandoque autem qualitas
aliqua est proprie et plene in uno, et in alio est tantum quaedam imitatio
illius, secundum aliquam participationem: et tunc illa qualitas non dicitur
utriusque, sed ejus tantum quod eam [non add. Ed. de Parme] plene
possidet. Et tunc illud quod non plene habet, dicetur simile ei quod plene habet,
et non e converso: ut si dicamus quod pictura est similis homini, et non e
converso. Non enim dicitur quod homo sit similis suae imagini, proprie
loquendo. |
Mais parfois une qualité est
proprement et pleinement dans l’un et dans l’autre il y a seulement une
certaine imitation de cette qualité suivant une certaine participation :
et alors on ne dit pas que cette qualité appartient aux deux, mais seulement
à celui qui [ne add. Éd. de Parme] la possède pleinement. Et
alors on dira de celui qui ne la possède pas pleinement qu’il est semblable à
celui qui la possède pleinement, mais non inversement, comme lorsque nous
disons que l’image de l’homme est semblable à l’homme et non inversement. On
ne dit pas en effet, à proprement parler, que l’homme est semblable à son
image. |
Ulterius, assimilari, supra
hoc quod est similem esse, ponit quemdam motum et accessum ad unitatem
qualitatis, et similiter, adaequari, ad quantitatem. In divinis autem
personis non est aliquis motus ; sed loco motus est ibi acceptio, prout
dicitur una persona ab alia accipere: unde non potest esse assimilatio vel
adaequatio, nisi secundum rationem acceptionis. Dico igitur, quod quia
magnitudo vel bonitas est plene in qualibet divinarum personarum, quaelibet
persona potest dici aequalis vel similis alii. |
Par la suite, être assimilé
ajoute à l’idée d’être semblable la notion d’un mouvement et d’un
rapprochement de l’unité de la qualité et de la même manière, être égalé
ajoute à l’idée d’être égal la notion d’un mouvement et d’un rapprochement de
l’unité de la quantité. Mais il n’y a pas de mouvement dans les personnes
divines et au lieu du mouvement il y a là réception, selon qu’on dit d’une
personne qu’elle reçoit d’une autre : c’est pourquoi il ne peut y avoir
là assimilation ou égalisation que d’après la notion de réception. Je dis
donc que parce que la grandeur ou la bonté existe en plénitude dans chacune
des personnes divines, chaque personne peut être dite égale ou semblable à
l’autre. |
Sed quia una persona
accipit ab alia et non e converso, ideo persona accipiens potest dici
adaequari vel assimilari illi personae a qua accipit, et non e converso.
Concedimus igitur inter Patrem et Filium esse mutuam similitudinem vel
aequalitatem: quia Pater est similis Filio, et e converso: non autem mutuam
adaequationem vel assimilationem: quia Filius adaequatur Patri et
assimilatur, et non e converso. |
Mais parce qu’une personne
reçoit d’une autre et non inversement, c’est pourquoi on peut dire de cette
personne qui reçoit qu’elle est égalée ou assimilée à cette personne de qui
elle reçoit et non inversement. Nous concédons donc qu’il y a entre le Père
et le fils une similitude ou une égalité réciproque : parce que le Père
est semblable au fils et inversement ; mais non pas qu’il y a assimilation
ou adéquation réciproque : car le Fils est rendu égal au Père et lui est
assimilé et non inversement. |
[1481] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Dionysius loquitur in
causatis illis quae non perfecte recipiunt similitudinem suae causae, quod
non est in divinis personis, quia tota plenitudo Patris est in Filio: et ideo
potest dici mutua similitudo vel aequalitas. Unde Dionysius dicit, quod in
coordinatis, idest aequalibus, possibile est similia sibi invicem esse, et
convertere ad alterutrum similitudinem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Denys parle ici de ces effets qui ne reçoivent pas
parfaitement la similitude de leur cause, ce qui n’est pas le cas pour les
personnes divines, car toute la plénitude du Père est dans le Fils : et
c’est pourquoi dans ce cas on peut parler de similitude ou d’égalité
réciproque. C’est pourquoi Denys dit que pour ce qui est des choses
coordonnées, c’est-à-dire égales, il est possible qu’elles soient semblables
entre elles et que la similitude se convertisse d’un côté ou de l’autre. |
[1482] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hoc quod dicitur Pater
major Filio, non ponitur aliquis gradus magnitudinis, sed tantum ordo
auctoritatis. Unde per hoc non removetur mutua
aequalitas, sed tantum mutua adaequatio. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que du fait qu’on dise que le Père est plus grand que le Fils, on ne
pose pas un degré de grandeur mais seulement un ordre d’autorité. C’est
pourquoi on n’exclut pas par là une égalité réciproque, mais seulement une
réciproque action d’égaler. |
[1483] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non de necessitate
praesupponit aliquid aliud, sed supponit. Unde non oportet quod illud quod
dicitur aequale, habeat aliquem ordinem vel prioritatis vel principii ad
illud cui aequale dicitur, vel e converso. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’égalité ne présuppose pas nécessairement quelque chose d’autre,
mais elle le suppose. C’est pourquoi il ne faut pas que ce qu’on dit être
égal ait un ordre de priorité ou de principe par rapport à ce à quoi il est
dit égal, ou inversement. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines est atteinte] |
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Prooemium |
Prologue |
[1484] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 pr. Deinde quaeritur de illis in quibus attenditur illa aequalitas
; et circa hoc quaeruntur duo. Primo de
aeternitate. Secundo
de magnitudine: quia de potentia infra, distinct. 43, quaest. 1, art. 1,
quaeretur. De aeternitate,
praeter ea quae supra, dist. 8, quaesita sunt, duo quaeruntur: 1 quid
sit aeternitas secundum rem ; 2 quomodo
se habeat nunc aeternitatis ad aeternitatem. |
On s’interroge ensuite sur
les choses sur lesquelles se vérifie cette égalité ; et à ce sujet on
s’interroge sur deux choses. En premier lieu sur
l’éternité. En deuxième lieu sur la
grandeur : car on s’interrogera plus loin sur la puissance [dist. 43,
quest. 1, art. 1]. Sur l’éternité, en plus des
choses que nous avons examinées plus haut (dist. 8), on soulève deux
questions : 1. Qu’est-ce que l’éternité
en elle-même ? 2. Comment se rapporte
l’instant de l’éternité à l’éternité ? |
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Articulus 1 [1485] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 tit. Utrum aeternitas sit substantia Dei |
Article 1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ? |
[1486]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aeternitas non
sit ipsa divina substantia. Nihil enim est causa sui ipsius. Sed Deus est
auctor aeternitatis, ut dicit Augustinus lib. LXXXQuaest., qu.
XXIII, col. 16 et est etiam ante aeternitatem, sicut causa ejus, ut dicitur
lib. De causis, prop. 2. Ergo videtur quod aeternitas non
sit ipse Deus. |
Difficultés : 1. Il semble que l’éternité
ne soit pas la substance même de Dieu. En effet, rien n’est cause de
soi-même. Mais Dieu est l’auteur de l’éternité, ainsi que le dit
Saint-Augustin [Livre Des Quatre-vingt-trois questions, quest.
XXIII, col. 16], et il est même antérieur à l’éternité en tant que cause de
cette dernière ainsi qu’on le dit dans le Livre Des Causes, à la
proposition 2. Il semble donc que l’éternité ne soit pas Dieu lui-même. |
[1487] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, unumquodque mensuratur primo sui generis. Sed
primum esse est divinum esse. Ergo per ejus mensuram mensuratur omne esse.
Sed esse temporalium mensuratur per tempus, et aeternorum [aeviternorum Éd.
de Parme] per aevum. Ergo videtur, cum unius non sit nisi una mensura,
quod aeternitas sit idem secundum rem quod aevum et tempus. |
2. En outre, chaque chose est
mesurée par ce qui est premier dans son genre. Mais l’existence première est
l’existence divine. Donc, toute existence est mesurée par la mesure de
l’existence divine. Mais l’existence des êtres temporels est mesurée par le
temps, et celle des êtres éternels [éviternelles Éd. de Parme]
est mesurée par l’aevum. Il semble donc, puisque que pour une seule et même
chose il n’y a qu’une mesure, que l’éternité soit identique selon la chose au
temps et à l’aevum. |
[1488] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, in omnibus participationibus divinae
bonitatis est communitas in nomine et in ratione cujusdam analogiae inter
perfectionem participatam a creatura et principium communicationis in Deo,
sicut se habet bonitas creaturae cum bonitate increata. Sed secundum
Dionysium, de divin. Nomin., cap. VII, col. 866, et X, col.
935, sicut Deus dicitur sapiens inquantum implet alios sapientia, ita per hoc
dicitur aeternus quod est causa aevi et temporis. Ergo videtur quod aevum et
tempus debeant dici aeternitas. |
3. Par ailleurs, dans toutes
les participations de la bonté divine il y a quelque chose de commun dans le
nom et la notion d’une certaine analogie entre la perfection participée par
la créature et le principe de ce caractère commun en Dieu, de la même manière
que la bonté de la créature se rapporte à la bonté incréée. Mais d’après
Denys [Les Noms Divins, ch. VII, col. 866, et X, col. 935],
tout comme Dieu est dit sage selon qu’Il comble tous les autres de sagesse,
de la même manière il est appelé éternel du fait qu’il est la cause de
l’aevum et du temps. Il semble donc que l’aevum et le temps doivent être
appelés éternité. |
[1489] Super Sent.,
lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, mensura est proportionata mensurato. Sed
omne esse in se consideratum indivisibile est, quia nihil habet admixtum ut
dicit Boetius, lib. De hebd., col. 1311 et quamdiu res
manet, esse suum substantiale non variatur, quamvis accidentia varientur. Cum
igitur esse temporalium mensuretur tempore, videtur quod tempus sit mensura
indivisibilis et permanens, et sic non differat ab aeternitate. |
4. De plus, la mesure est
proportionnelle au mesuré. Mais toute existence considérée en elle-même est
indivisible, car rien ne lui est mélangé comme le dit Boèce [Livre sur Les
Semaines, col. 1311] et tant que la chose demeure, son existence
substantielle ne change pas bien que ses accidents changent. Donc, puisque
l’existence des choses temporelles est mesurée par le temps, il semble que le
temps soit une mesure indivisible et permanente, et qu’elle ne diffère pas
ainsi de l’éternité. |
[1490] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in quocumque est invenire successionem,
illud mensuratur tempore. Sed esse aeviternorum, sicut Angeli et substantiae
caeli, non mensuratur tempore. Ergo videtur quod eorum esse non habeat
successionem, et ita videtur quod non differat ab aeternitate. |
5. Enfin, partout où on
retrouve succession dans le temps, la chose est mesurée par le temps. Mais
l’existence des êtres éviternels, comme les Anges et les substances célestes,
n’est pas mesurée par le temps. Il semble donc que leur existence ne comporte
pas de succession dans le temps et ainsi il semble qu’elle ne diffère pas de
l’éternité. |
[1491]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod diversitatem
aeternitatis, temporis et aevi, quidam voluerunt accipere, quod tempus habet
principium et finem ; aevum principium habet et non finem ; aeternitas nec
principium nec finem. Sed secundum hoc non attenditur essentialis eorum diversitas:
quia posito quod tempus nunquam inceperit, nec nunquam finiatur, adhuc tempus
non erit aeternitas, ut dicit Boetius, lib. V De Consol., prosa
ultim, col. 858. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut
dire que certains ont voulu prendre la différence entre
l’éternité, le temps et l’aevum en ceci que le temps a un principe et une
fin, l’aevum a un principe et non une fin, et l’éternité n’a ni principe ni
fin. Mais cela ne vérifie pas la différence essentielle qu’il y a entre
eux : car une fois qu’on aura dit que le temps n’a jamais commencé et
qu’il ne finira jamais, cela ne fera pas encore du temps l’éternité, comme le
dit Boèce [Livre V De la Consolation, prose dernière, col. 858. |
Supposito
etiam quod Angeli semper fuerint, aevum adhuc differret ab aeternitate. Quid tamen veritatis
habeat, ex his quae dicentur, patebit. Sciendum est igitur, quod tria
praedicta nomina significant durationem quamdam. Duratio autem omnis
attenditur secundum quod aliquid est in actu: tamdiu enim res durare dicitur
quamdiu in actu est, et non dum est in potentia. Esse autem in actu
contingit dupliciter. |
En supposant même que les
Anges aient toujours ex : isté, l’aevum différerait encore de
l’éternité. Que cela soit vrai, on le verra par ce qui sera dit. Il faut donc
savoir que les trois noms qui précèdent signifient une certaine durée. Mais
toute durée se vérifie selon qu’un être est en acte. En effet, on dit d’une
chose qu’elle est dans la durée, tant qu’elle est en acte, et non aussi
longtemps qu’elle est en puissance. Mais exister en acte est possible de deux
manières. |
Aut secundum hoc quod actus
ille est incompletus, et potentiae permixtus, ratione cujus ulterius in actum
procedit ; et talis actus est motus: est enim motus actus [actus om. Ed.
de Parme] existentis in potentia, secundum quod hujusmodi, ut dicit
philosophus, III Phys., text. 6. Aut secundum quod actus non
est permixtus potentiae, nec additionem recipiens perfectionis ; et talis
actus est actus quietus et permanens. |
Soit selon que cet acte est
incomplet et mélangé à de la puissance, en raison de quoi il progresse par la
suite vers son acte ; et un tel acte est le mouvement : le
mouvement en effet est l’acte [acte om. Éd. de Parme] de ce qui
existe en puissance en tant que tel, comme le dit le Philosophe [111 Physique, texte 6]. Soit selon que
l’acte n’est pas mélangé à de la puissance et qu’il ne reçoit pas l’ajout
d’une perfection ; et un tel acte est l’acte de ce qui est en repos et
qui est permanent. |
Esse autem in tali actu
contingit dupliciter. Vel ita quod ipsum esse
actu, quod res habet, sit sibi acquisitum ab alio ; et tunc res habens tale
esse est potentialis respectu hujus actus, quem tamen perfectum accepit. Vel esse actu est rei ex
seipsa, ita quod est de ratione quidditatis suae ; et tale esse est esse
divinum, in quo non est aliqua potentialitas respectu hujus actus. Sic igitur
patet quod est triplex actus. |
Mais l’existence dans un tel
acte est possible de deux manières. Soit de telle manière que l’existence
même en acte que la chose possède lui est acquise d’un autre et alors la
chose qui possède une telle existence est en puissance par rapport à cet acte
qu’elle reçoit cependant parfaitement. Soit c’est d’elle-même que la
chose possède l’existence en acte de telle manière qu’elle fasse partie de sa
quiddité ; et une telle existence est l’existence divine dans laquelle
il n’y a aucune potentialité par rapport à cet acte. Il est donc clair qu’il
y a trois sortes d’actes. |
Quidam cui non substernitur
aliqua potentia ; et tale est esse divinum et operatio ejus ; et huic
respondet loco mensurae aeternitas. Est alius actus cui substat
potentia quaedam ; sed tamen est actus completus acquisitus in potentia illa
; et huic respondet aevum. Est autem alius cui
substernitur potentia, et admiscetur sibi potentia ad actum completum
secundum successionem, additionem perfectionis recipiens ; et huic respondet
tempus. |
Il y a certes celui qui n’est
assujetti à aucune puissance ; et c’est là l’existence de Dieu et son
opération ; et c’est à ce cas que correspond l’éternité à titre de
mesure. Il y a l’autre acte qui est
assujetti à une certaine puissance ; cependant l’acte complet est acquis
dans cette puissance : et c’est à cet acte que correspond l’aevum. Mais il y a l’autre acte qui
est assujetti à la puissance, mais la puissance qui lui est mélangée est
ordonnée à un acte complet suivant la succession et reçoit l’ajout d’une
perfection ; et c’est à cet acte que correspond le temps. |
Cum igitur unicuique rei
respondeat propria mensura, oportet quod secundum conditionem actus mensurati
accipiatur essentialis differentia ipsius mensurae. Invenitur autem in actu
qui motus est, successio prioris et posterioris. Et haec duo, scilicet prius
et posterius, secundum quod numerantur per animam, habent rationem mensurae
per modum numeri, quae tempus est. Unde dicit philosophus, IV Physicorum, text.
101, quod tempus est numerus motus secundum prius et posterius. Et est
numerus numeratus, et non numerus simpliciter. |
Donc, puisqu’à chaque chose
correspond la mesure qui lui est propre, il faut donc que ce soit selon la
condition de l’acte mesuré que soit reçue la différence essentielle de la
mesure elle-même. Mais on retrouve, dans l’acte qui est le mouvement, la
succession de l’avant et de l’après. Et ces deux termes, à savoir l’avant et
l’après, selon qu’ils sont nombrés par l’âme, ont raison de mesure à la
manière d’un nombre, laquelle est le temps. C’est pourquoi le Philosophe dit
[IV Physique, texte 101] que le temps est le nombre du
mouvement selon l’avant et l’après. Et il est un nombre nombré et non le
nombre pris absolument. |
Sicut enim dicimus quod duo
canes est numerus numeratus, et duo est numerus simpliciter ; ita etiam
numerus prioris et posterioris in motu est numerus numeratus, qui est tempus.
Ex quo patet quod illud quod est de tempore quasi materiale, fundatur in
motu, scilicet prius et posterius ; quod autem est formale, completur in
operatione animae numerantis: propter quod dicit philosophus, IVPhysic. , text.
13) quod si non esset anima, non esset tempus. |
En effet, tout comme nous
disons que deux chiens est un nombre nombré et que deux est nombre pris
absolument, de même encore le nombre de l’avant et de l’après dans le
mouvement est un nombre nombré qui est le temps. D’où il est clair que ce qui
s’attribue au temps comme matériellement se fonde dans le mouvement,
c’est-à-dire dans l’avant et l’après ; mais ce qui s’attribue à lui
formellement est accompli dans l’opération de l’âme qui nombre : c’est
pour cette raison que le Philosophe dit [IV Physique, texte 13]
que si l’âme n’existait pas, le temps n’existerait pas. |
Sic igitur de ratione hujus
mensurae, quae est tempus, sunt duo: scilicet quod accipiantur ibi plura, ad
minus duo ; vel duo nunc, inter quae est tempus ; vel duo tempora continuata
per unum nunc: et quod illa sint succedentia. Continuitas etiam accedit
tempori ex ratione motus quem mensurat. |
Ainsi donc il y a deux choses
dans la définition de cette mesure qui est le temps, il y a deux
choses : à savoir qu’on entend là une pluralité, et au moins deux
choses : soit deux instants entre lesquels est le temps, soit deux temps
qui se continuent au moyen d’un seul instant ; et qu’ils se succèdent.
La continuité survient encore au temps en raison du mouvement qu’il mesure. |
Unde si aliquis motus esset
non continuus, non habens ordinem ad motum continuum caeli, tempus mensurans
illum motum non esset continuum. Ex quo patet quod tempore non mensuratur
nisi id quod includitur in tempore, et secundum principium et finem. |
C’est pourquoi, s’il existait
un mouvement non-continu, n’étant pas ordonné par rapport au mouvement
continu du ciel, le temps qui mesurerait ce mouvement ne serait pas continu.
D’où il est clair que n’est mesuré par le temps que ce qui est compris dans
le temps, à la fois selon le commencement et la fin. |
Motus enim caeli etsi
ponatur semper fuisse, secundum philosophum, VIII Phys., text.
17 tamen unaquaeque revolutio vel pars revolutionis, quae mensuratur tempore,
secundum prius et posterius accepta in ipsa, principium habet et finem, et
secundum hoc verum est quod tempus habet principium et finem: quia non est
mensura nisi habentis principium et finem. |
En effet, bien qu’on pose que
le mouvement du ciel ait toujours existé, cependant d’après le Philosophe [
VIII Physique, texte 17] chacune des révolutions ou chaque partie
d’une révolution, qui est mesurée par le temps selon l’avant et l’après qui
est prise en elle, a un commencement et une fin, et suivant cela il est vrai
que le temps a un commencement et une fin : car le temps n’est la mesure
que de ce qui possède un commencement et une fin. |
In actu autem illo qui est
actus completus, non est intelligere prius et posterius, nec aliqua plura, et
ita nec successionem: unde mensura quae respondet eis, non est per modum
numeri, sed magis per modum unitatis. Sicut ergo prius et posterius temporis,
prout intelliguntur numerata, complent rationem temporis ; ita permanentia
actus, secundum quod intelligitur in ratione unius quod habet rationem
mensurae, complet rationem aevi et aeternitatis. |
Mais pour ce qui est de cet
acte qui est complet, il n’y a pas lieu d’entendre, un avant et un
après, ni une pluralité, ni non plus une succession : c’est pourquoi la
mesure qui leur correspond n’a pas lieu à la manière d’un nombre, mais plutôt
à la manière de l’unité. Donc, tout comme l’avant et l’après du temps, pour
autant qu’ils s’entendent comme étant nombrés, complètent la notion de temps,
de même la permanence de l’acte, selon qu’elle s’entend dans la notion de
l’un qui a raison de mesure, complète la notion de l’aevum et de l’éternité. |
Sed quia esse aeviternorum
est acquisitum ab alio, ideo aevum mensurat esse quod habet principium ; non
autem aeternitas, quae mensurat esse quod non est acquisitum ab alio. Et
secundum hoc potest sustineri dicta differentia, licet non uniformiter sumpto
principio: quia aeternitas respicit illud esse quod non habet principium
efficiens ; aevum autem quod habet tale principium ; tempus vero respicit
actum qui habet principium et finem durationis, ut mensuratur tempore. |
Mais parce que l’existence
des êtres éviternels est acquise d’un autre, c’est pourquoi l’aevum mesure
l’existence qui a un principe ; il n’en est cependant pas ainsi pour
l’éternité qui mesure l’existence qui n’est pas acquise d’un
autre. Et c’est pour cette raison que peut être soutenue la différence qui a
été présentée, bien que principe ne se soit pas pris dans le même sens :
car l’éternité a rapport à cette existence qui n’a aucun principe
efficient ; l’aevum cependant se rapporte à ce qui a un tel principe ;
mais le temps se rapporte à l’acte qui a un commencement et une fin dans la
durée de telle manière qu’il soit mesuré par le temps. |
[1492] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut patet ex
praedictis, in corp. art., aevum nihil aliud est quam aeternitas quaedam
participata ; unde non inveniuntur auctores antiqui multum curasse de
differentia aevi et aeternitatis: propter hoc Dionysius utitur uno pro alio.
Unde si proprie accipiatur causa et auctor, Deus dicitur esse auctor aeternitatis,
non qua ipse aeternus est, sed aeternitatis participatae, quae aevum est ;
sicut dicimus, quod ipse est causa omnis bonitatis, non suae, sed ejus quae
ab ipso in creaturas effluit sicut a principio. Posset etiam dici, quamvis
non ita bene, quod causa communiter accipitur pro omni eo quod est etiam
prius secundum rationem: cum enim essentia divina secundum intellectum sit
prius quam esse suum, et esse prius quam aeternitas, sicut mobile est prius
motu, et motus prior tempore ; dicetur ipse Deus esse causa suae aeternitatis
secundum modum intelligendi, quamvis ipse sit sua aeternitas secundum rem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que tout comme on voit à partir de ce qui précède dans le corps
de l’article, l’aevum n’est rien d’autre qu’une participation de
l’éternité ; c’est pourquoi on n’a pas trouvé chez les auteurs anciens
un grand souci au sujet de la différence entre l’aevum et l’éternité ;
et c’est pour cette raison que Denys a utilisé l’un à la place de l’autre. C’est
pourquoi, si on entend proprement la cause et l’auteur, on dit de Dieu qu’il
est l’auteur de l’éternité, non pas de celle par laquelle il est lui-même
éternel, mais de l’éternité participée qui est l’aevum ; par exemple,
nous disons que Lui-même est la cause de toute bonté, non pas de la sienne,
mais de celle qui est répandue dans les créatures par Lui comme par son
principe. On pourrait encore dire, bien que d’une manière moins excellente,
que la cause est entendue universellement pour tout ce qui est aussi antérieur
selon la raison : en effet, puisque l’essence divine est
antérieure à son existence selon l’intelligence, et que son existence est
antérieure à l’éternité, tout comme le mobile est antérieur au mouvement et
que le mouvement est antérieur au temps, on dira que Dieu lui-même est la
cause de son éternité selon l’intelligence, bien qu’il soit son éternité
selon la chose, en réalité. |
[1493] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnibus illis in quibus
invenitur diversa ratio mensurandi, oportet esse diversas mensuras proprias ;
non enim eodem modo mensurantur panis et vinum. Unde cum diversa ratio
mensurandi sit in diversis actibus, oportet quod respondeant eis diversae
mensurae propriae: verumtamen una earum potest ordinari ad aliam, sicut ad
primam mensuram et excedentem. Unde sicut divinum esse est mensura omnis
actus, ita aeternitas est mensura omnis durationis, excedens et non
coaequata. Sed praeter hoc oportet habere alias proprias mensuras
propter diversos modos mensurandi. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour toutes ces choses dans lesquelles on retrouve une manière
différente de mesurer, il faut que les différentes mesures soient
appropriées ; ce n’est pas de la même manière en effet que se mesurent
le pain et le vin. C’est pourquoi, puisque la manière de mesurer diffère dans
les actes différents, il faut que les différentes mesures qui leur
correspondent soient appropriées : il est vrai cependant que l’une
d’elles peut être ordonnée à une autre, tout comme à une mesure première et
supérieure. C’est pourquoi, tout comme l’existence divine est la mesure de
tout acte, de même l’éternité est la mesure de toute durée, une mesure qui
trascende et non pas une mesure qui est sur le même pied que le mesuré. Mais
outre cela il faut posséder d’autres mesures qui sont propres en raison des
différentes manières de mesurer. |
[1494] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divina bonitas participatur in
diversis secundum diversos modos. Perfectioni autem participatae duplex nomen
imponitur. Vel secundum rationem
communem perfectionis illius ; et tunc nomen est commune et ipsi principio
communicanti et omnibus participantibus, secundum analogiam, sicut bonitas,
entitas et hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la bonté divine est participée par différents êtres d’après
différentes modalités. Mais deux sortes de noms sont imposés à une perfection
qui est participée. Soit d’après la définition
commune de cette perfection : et alors le nom est commun, d’une manière
analogue, à la fois au principe même qui communique la perfection et à tous
ceux qui en participent, comme c’est le cas pour la bonté, l’être et les
notions de cette sorte. |
Vel secundum proprium modum
quo recipitur vel est in aliqua creatura, ut patet quod cognitio participatur
a Deo in omnibus cognoscentibus et hoc nomen sensus imponitur ad
significandum cognitionem secundum aliquem modum determinatum habendi ipsam,
et propter hoc non est commune omnibus. Similiter aeternitas nominat durationem
secundum illum modum quo est in principio suo ; et ideo aliae durationes
participatae non dicuntur nomine aeternitatis. |
Soit d’après le mode propre
par lequel la perfection est reçue ou existe dans une créature, comme on voit
par exemple que la connaissance est participée de Dieu dans tous les êtres
connaissants et que le nom de sens est imposé pour signifier la connaissance
selon un mode déterminé de la posséder, et c’est pour cette raison que ce nom
n’est pas commun à tous. De la même manière l’éternité signifie la durée
selon cette modalité par laquelle elle existe dans son principe ; et
c’est pourquoi les autres durées, qui participent de l’éternité, ne sont pas
dénommées du nom d’éternité. |
[1495] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus per se est mensura
motus primi ; unde esse rerum temporalium non mensuratur tempore nisi prout
subjacet variationi ex motu caeli. Unde dicit Commentator, quod sentimus
tempus, secundum quod percipimus nos esse in esse variabili ex motu caeli. Et
inde est quod omnia quae ordinantur ad motum caeli sicut ad causam, cujus
primo mensura est tempus, mensurantur tempore ; et quicumque sentit
quamcumque variabilitatem quae consequitur ex motu caeli, sentit tempus,
quamvis non videat ipsum motum caeli. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le temps est par soi la mesure du mouvement premier ; c’est
pourquoi l’existence des choses temporelles n’est mesurée par le temps que
pour autant qu’elle est soumise au changement à partir du mouvement du ciel.
C’est pourquoi le Commentateur dit que nous sentons le temps selon que nous
percevons que nous sommes dans une existence changée à partir du mouvement du
ciel. Et c’est de là que tous les êtres qui sont ordonnés au mouvement du
ciel comme à leur cause, dont la mesure est d’abord le temps, sont eux-mêmes
mesurés par le temps ; et quiconque sent un changement qui découle du
mouvement du ciel sent le temps, bien qu’il ne voit pas le mouvement même du
ciel. |
[1496] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis actus qui mensuratur
aevo, sit totus simul sine successione, hoc esse tamen est ab alio ; et in
hoc ab aeternitate aevum discernitur, ut prius dictum est, dist. 8, quaest.
2, art. 2. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que bien que l’acte qui est mesuré par l’aevum soit entier et simultané
sans aucune succession, cette existence cependant vient d’un autre ; et
c’est en cela que l’aevum se distingue de l’éternité, ainsi que nous l’avons
dit précédemment [dist. 8, quest. 2, art. 2]. |
|
|
Articulus 2 [1497] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 tit. Utrum nunc aeternitatis sit ipsa
aeternitas |
Article 2 : L’instant de l’éternité est-il l’éternité elle-même ? |
[1498]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nunc
aeternitatis non est ipsa aeternitas. Nunc enim aeternitatis, temporis et
aevi, videtur unum esse, quod significatur, cum dicitur: quando motus est, et
Angelus est, et Deus est. Sed aeternitas non est tempus, ut dictum est, art.
antec. Ergo nunc aeternitatis, quod est idem quod nunc temporis, non est idem
quod aeternitas. |
Difficultés : 1. Il semble que l’instant de
l’éternité ne soit pas l’éternité elle-même. En effet, l’instant de
l’éternité, du temps et de l’aevum semble être le même, ce qu’on signifie
lorsqu’on dit : quand il y a mouvement, c’est à la fois l’Ange et Dieu
qui est. Mais l’éternité n’est pas le temps, comme nous l’avons dit dans
l’article précédent. Donc l’instant de l’éternité, qui est identique à
l’instant du temps, n’est pas identique à l’éternité. |
[1499] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, omne nunc est indivisibile. Sed aeternitas est
divisibilis: quod videtur ex hoc quod in littera inducitur: in
generationem et generationem anni tui, ps CI, 25 ; et loquitur de
duratione aeternitatis. Ergo videtur quod nunc aeternitatis non sit
aeternitas. |
2. En outre, tout instant est
indivisible. Mais l’éternité est divisible : ce qui apparaît à partir de
ce qui est introduit dans le document : D’âge en âge vont tes années (Psaume C1,
25) ; et on parle de la durée de l’éternité. Il semble donc que
l’instant de l’éternité ne soit pas l’éternité. |
[1500] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, nunc stans facit aeternitatem, ut Boetius dicit
; et ita nunc est causa aeternitatis. Sed non potest idem esse causa sui
ipsius. Ergo non est idem aeternitas et nunc aeternitatis. |
3. De plus, l’instant qui
demeure fait l’éternité, comme le dit Boèce ; et ainsi l’instant est la
cause de l’éternité. Mais il n’est pas possible que le même soit la cause de
lui-même. Donc, l’éternité n’est pas la même chose que l’instant de
l’éternité. |
[1501] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet nunc temporis ad tempus, ita
se habet nunc aeternitatis ad aeternitatem. Sed nunc temporis non est tempus
sicut nec punctus est linea. Ergo nec nunc aeternitatis est aeternitas. |
4. Par ailleurs, ce que
l’instant du temps est au temps, de même l’instant de l’éternité l’est à
l’éternité. Mais l’instant du temps n’est pas le temps, tout comme le point
n’est pas la ligne. Donc, l’instant de l’éternité n’est pas l’éternité. |
[1502] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, aeternitas est ipse Deus. Sed in divina
essentia non est aliqua realis diversitas. Ergo non differt ibi nunc
aeternitatis et aeternitas. |
Cependant : 1. Au contraire, l’éternité
est Dieu lui-même. Mais dans l’essence divine, il n’y a aucune diversité
réelle. Il n’y a donc pas là de différence entre l’instant de l’éternité et
l’éternité. |
[1503]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum
philosophum, IV Phys., text. 101, tempus est mensura ipsius
motus, et nunc temporis est mensura ipsius mobilis. Unde sicut est idem
mobile secundum substantiam in toto motu, variatur tamen secundum esse, sicut
dicitur, quod Socrates in foro est alter a seipso in domo ; ita nunc est
etiam idem secundum substantiam in tota successione temporis, variatum tantum
secundum esse, scilicet secundum rationem quam accepit prioris et
posterioris. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [IV Physique, texte 101], le temps est
la mesure du mouvement lui-même et l’instant du temps est la mesure du mobile
lui-même. C’est pourquoi, tout comme le mobile reste identique à lui-même
quant à la substance pendant tout le mouvement et qu’il change cependant
quant à son existence, tout comme on dit de Socrate sur la place publique
qu’il diffère de lui-même dans la maison, de même l’instant reste
identique à lui-même selon la substance pendant toute la succession du temps,
n’étant changé que selon son existence, c’est-à-dire selon la raison qu’il
reçoit de l’avant et de l’après. |
Sicut autem motus est actus
ipsius mobilis inquantum mobile est ; ita esse est actus existentis,
inquantum ens est. Unde quacumque mensura mensuretur esse alicujus rei, ipsi
rei existenti respondet nunc ipsius durationis, quasi mensura: unde per nunc
aevi mensuratur ipsum existens cujus mensura est aevum, et per nunc
aeternitatis mensuratur illud ens cujus esse mensurat aeternitas. |
Mais tout comme le mouvement
est l’acte du mobile en tant que mobile, de même l’être est l’acte de ce qui
existe en tant qu’être. C’est pourquoi, quelle que soit la mesure par
laquelle l’être d’une chose est mesurée, à la chose même qui existe
correspond, comme une mesure, l’instant de cette durée : c’est pourquoi
c’est par l’instant de l’aevum qu’est mesuré l’être même dont la mesure est
l’aevum, et c’est par l’instant de l’éternité est mesuré cet être dont
l’existence mesure l’éternité. |
Unde sicut se habet
quilibet actus ad id cujus est actus, ita se habet quaelibet duratio
ad suum nunc. Actus autem ille qui mensuratur tempore, differt ab
eo cujus est actus, et secundum rem, quia mobile non est motus ; et secundum
rationem successionis, quia mobile non habet substantiam de numero
successivorum sed permanentium. |
C’est pourquoi, ce que tout
acte est à ce dont il est l’acte, de même toute durée l’est à son instant.
Mais cet acte qui est mesuré par le temps diffère de ce dont il est l’acte à
la fois réellement, car le mobile n’est pas le mouvement, et selon la raison
de succession car le mobile n’a pas une substance qui fait partie de ce qui
passe mais de ce qui demeure. |
Unde eodem modo tempus a
nunc temporis differt dupliciter, scilicet secundum rem, quia nunc non est
tempus, et secundum successionis rationem, quia tempus est successivum et non
nunc temporis. Actus autem qui mensuratur aevo, scilicet ipsum esse
aeviterni, differt ab eo cujus est actus re quidem, sed non secundum rationem
successionis, quia utrumque sine successione est. |
C’est pourquoi de la même
manière le temps diffère de l’instant du temps de deux façons, à savoir
réellement car l’instant n’est pas le temps, et selon la raison de
succession, car le temps est successif alors que l’instant du temps ne l’est
pas. Mais l’acte qui est mesuré par l’aevum, à savoir l’existence éviternelle
elle-même, diffère certes réellement de ce dont elle est l’acte mais non
selon la raison de succession car les deux existent sans la succession dans
le temps. |
Et sic etiam intelligenda
est differentia aevi ad nunc ejus. Esse autem quod mensuratur aeternitate,
est idem re cum eo cujus est actus, sed differt tantum ratione ; et ideo
aeternitas et nunc aeternitatis non differunt re, sed ratione tantum,
inquantum scilicet ipsa aeternitas respicit ipsum divinum esse, et nunc
aeternitatis quidditatem ipsius rei, quae secundum rem non est aliud quam
suum esse, sed ratione tantum. |
Et c’est encore de cette
manière que doit s’entendre la différence qu’il y a entre l’aevum et son
instant. Mais l’existence qui est mesurée par l’éternité, est réellement
identique à ce dont elle est l’acte mais en diffère seulement par la
raison ; et c’est pourquoi l’éternité et l’instant de l’éternité ne
diffèrent pas réellement, mais seulement par la raison, c’est-à-dire dans la
mesure où l’éternité elle-même se rapporte à l’existence divine elle-même, et
l’instant de l’éternité à la quiddité de la chose même qui n’est pas
différente de son existence réellement mais par la raison seulement. |
[1504] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non est idem nunc
aeternitatis, temporis et aevi ; et quando dicitur: quando est motus, est
Angelus et Deus, potest significari tripliciter nunc vel aeternitatis vel
aevi vel temporis. Si significetur nunc temporis ; tunc dicetur motus esse in
illo, sicut in propria mensura ; Angelus autem et Deus, non secundum rationem
mensurationis, sed magis secundum concomitantiam quamdam, prout aeternitas et
aevum cum tempore simul sunt, nec sibi deficiunt. Si autem significetur nunc
aeternitatis ; tunc dicitur Deus esse in illo sicut in mensura propria et
adaequata ; Angelus autem et mobile, sicut in mensura excedenti. Si autem
significetur nunc aevi, respondebit Angelo sicut mensura adaequata, et Deo
secundum concomitantiam, et mobili sicut mensura excedens. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’instant de l’éternité n’est pas le même que celui du temps
et celui de l’aevum ; et quand on dit : quand il y a le mouvement
,il y a l’Ange et Dieu, cet énoncé peut signifier l’instant de trois
manières : soit celui de l’éternité, soit celui celui de
l’aevum, soit celui du temps. S’il signifie l’instant du temps, alors on dira
que le mouvement est en lui comme dans la mesure qui lui est propre ;
mais l’Ange et Dieu sont en cet instant non pas selon la raison de mesure
mais plutôt selon un certain accompagnement, pour autant que l’éternité et
l’aevum sont simultanés au temps et ne lui font pas défaut. Mais si l’instant
qui est signifié est celui de l’éternité, alors on dit de Dieu qu’il existe
en lui comme dans la mesure qui lui est propre et adéquate, mais de l’Ange et
du mobile qu’ils y sont comme d’une dans une mesure qui les dépasse. Mais si
c’est l’instant de l’aevum qui est signifié, alors il correspondra à l’Ange
comme une mesure qui lui est proportionnée, à Dieu selon l’accompagnement et
au mobile comme une mesure qui le dépasse. |
[1505] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aeternitas indivisibilis est,
et quod pluraliter aliquando significetur, hoc potest esse dupliciter: vel
secundum quod participatur in diversis, praecipue in beatis, ut dicitur Dan.
XII, 3: Qui ad justitiam erudiunt multos, quasi stellae in perpetuas
aeternitates ; vel ratione mensurae inferioris, cui per se accidit
divisio, scilicet ratione temporis. Unde est sensus: anni aeternitatis, idest
aeternitas, sub qua possibile esset contineri plurimos annos, sicut in
mensura excedenti. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que l’éternité est indivisible et qu’elle est signifiée parfois de
plusieurs manières, soit en particulier de deux manières : soit selon
qu’elle est participée dans différents êtres, surtout chez les bienheureux,
comme le dit l’Écriture [Daniel, XII, 3] : Ceux qui ont
enseigné la justice à un grand nombre resplendiront comme les étoiles pour
toute l’éternité ; ou bien selon qu’elle est signifiée en raison
d’une mesure inférieure à laquelle survient accidentellement une division,
c’est-à-dire en raison du temps. C’est pourquoi le sens est le suivant :
les années de l’éternité, c’est-à-dire l’éternité sous laquelle il serait
possible que plusieurs années soient contenues comme dans une mesure qui les
dépasse. |
[1506] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut esse, secundum rationem
intelligendi, consequitur principia ipsius entis quasi causas ; ita etiam
mensura entis se habet ad mensuram essendi secundum rationem causae. Unde
nunc aeternitatis secundum rationem videtur esse causa aeternitatis. Sed ex
hoc non ostenditur diversitas in re, sed tantum in ratione ; sicut nec inter
ipsum divinum esse et ipsum ens. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que tout comme l’existence, selon la manière de la comprendre, découle
des principes de l’être lui-même comme de ses causes, de même encore la
mesure de l’être se rapporte à la mesure de l’existence selon la raison de
cause. C’est pourquoi l’instant de l’éternité selon la raison semble être la
cause de l’éternité. Mais à partir de là on ne montre pas une diversité dans
la réalité, mais seulement dans la raison, tout comme on n’en montre pas non
plus entre l’existence divine elle-même et l’être lui-même. |
[1507] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio de
tempore et nunc temporis et de aeternitate et nunc aeternitatis, et ratio
assignata est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le rapport entre le temps et l’instant du temps n’est pas semblable
à celui qu’il y a entre l’éternité et l’instant de l’éternité, et le rapport
a été identifié. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La grandeur des personnes divines] |
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Prooemium |
Prologue |
[1508] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 pr. Deinde quaeritur de magnitudine ; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum magnitudo Deo
conveniat, et quid sit ; 2
de signo aequalitatis in magnitudine divinarum personarum, secundum quod in
se invicem [invicem om. Éd. de Parme] esse dicuntur. |
On s’interroge ensuite sur la
grandeur ; et à ce sujet, deux points font l’objet d’une recherche : 1. Est-ce que la grandeur
convient à Dieu, et en quoi consiste-t-elle ? 2. Le signe de l’égalité dans
la grandeur des personnes divines, selon qu’on dit à leur sujet qu’elles
existent réciproquement [réciproquement om. Éd. de Parme] l’une
dans l’autre. |
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Articulus 1 [1509] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 tit. Utrum magnitudo competat Deo |
Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ? |
[1510]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod magnitudo Deo
non competat. Magnitudo enim est quaedam conditio materiae. Sed nulla
conditio materialis de Deo dicitur, nisi metaphorice. Ergo videtur quod
magnitudo Deo non conveniat nisi metaphorice. |
Difficultés : 1. Il semble que la grandeur
ne convienne pas à Dieu. La grandeur en effet est une condition de la
matière. Mais aucune condition de la matière ne se dit de Dieu, si ce n’est
en un sens métaphorique. Il semble donc que la grandeur ne convienne à Dieu
qu’en un sens métaphorique. |
[1511] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, magnum et parvum ex opposito dividuntur.
Sed, secundum philosophum, omne parvum est magnum sicut et omne paucum est
multum, ut X Metaphys., cap. IX dicit. Ergo videtur etiam quod omne magnum
sit parvum. Sed Deus non est parvus. Ergo non est magnus. |
2. Par ailleurs, le grand et
le petit se divisent par l’opposé. Mais d’après le Philosophe, tout petit est
grand comme tout peu nombreux est nombreux [X Métaphysique, ch.
1X]. Il semble donc aussi que tout grand soit petit. Mais Dieu n’est pas
petit. Donc il n’est pas grand. |
[1512] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, magnitudo est quantitas continua. Sed in Deo non
potest esse continuatio, cum sit simplex et indivisibilis. Ergo nec
magnitudo. |
3. En outre, la grandeur est
une quantité continue. Mais il ne peut y avoir de continuité en Dieu,
puisqu’il est simple et indivisible. Il n’y a donc pas en lui de grandeur. |
[1513] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod in Deo est quantitas
virtutis secundum quam dicitur magnus ; contra Deus secundum
virtutem suam dicitur potens. Sed hic dividitur potentia contra magnitudinem.
Ergo non intelligitur de magnitudine virtutis. |
4. Si tu dis qu’en Dieu il y
a la quantité de la puissance selon laquelle il est appelé grand, je dirai
par contre que Dieu est appelé puissant selon sa puissance. Mais ici la
puissance se divise par opposition à la grandeur. Elle ne s’entend donc pas
de la grandeur de la puissance. |
[1514] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur in Psalm. CXLVI,
5: Magnus Deus et magna virtus ejus. |
Cependant : C’est le contraire qui est
dit dans l’Écriture [Psaume CXLVI, 5] : Dieu est
grand et grande est sa puissance. |
[1515]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in Deo non
potest esse quantitas nisi virtutis ; et cum aequalitas attendatur secundum
aliquam speciem quantitatis, aequalitas non erit nisi secundum virtutem.
Virtus autem, secundum philosophum VI Ethic., c. II, est
ultimum in re de potentia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il ne peut y avoir en Dieu que la quantité de la vertu ; et puisque
l’égalité se vérifie selon une espèce de la quantité, il n’y aura là
d’égalité que selon la vertu. Mais la vertu, selon le Philosophe [ VI Éthique,
ch. 11] est l’excellence dans la chose au sujet de la puissance. |
Unde
etiam dicitur in VII Physic., text. 18, quod virtus est perfectio quaedam,
et tunc unumquodque perfectum est quando attingit propriam virtutem. Omnibus
igitur illis modis quibus contingit pertingere ad ultimum est considerare
virtutem rei. |
C’est pourquoi il dit encore
[ VII Physique, texte 18] que la vertu est une certaine
perfection, et alors chacun est parfait quand il parvient à la vertu qui lui
est propre. Il faut donc considérer la vertu d’une chose d’après toutes les
modalités par lesquelles il est possible de parvenir à l’excellence. |
Hoc autem contingit tripliciter: primo in operationibus, in
quibus contingit gradus perfectionis inveniri. Unde dicitur habere virtutem
ad operandum quod attingit completam operationem, prout dicitur II Ethic.,
cap ; V, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus ejus bonum
reddit. |
Mais cela est possible de
trois façons : Premièrement dans les
opérations dans lesquelles il est possible de retrouver des degrés de
perfection. C’est pourquoi on dit que possède la vertu ordonnée à l’opération
celui qui parvient à poser une opération complète, comme on dit [11 Éthique,
ch. V] que la vertu rend bon celui qui la possède et rend bonne aussi son
œuvre. |
Secundo etiam respectu
ipsius esse rei, secundum quod etiam philosophus dicit, I Caeli et
mundi, text. 103, quod aliquid habet virtutem ut semper sit. Item secundum plenitudinem
perfectionis respectu ipsius entis, secundum quod attingit ultimum naturae
suae. Unde etiam virtus circuli dicitur, secundum philosophum, V Phys., text. 5,
quando attingit complete definitionem suam. Si igitur virtus divina
consideretur secundum perfectionem ad opus, erit virtus potentiae operativae.
Si autem consideretur perfectio quantum ad ipsum esse divinum, virtus ejus
erit aeternitas. Si autem consideretur quantum ad complementum perfectionis
ipsius naturae divinae, erit magnitudo. |
Deuxièmement
aussi par rapport à l’existence même de la chose, selon ce que dit encore le
Philosophe [1, Du Ciel et du Monde, texte 103], à savoir qu’un
être possède la vertu pour exister toujours. En
outre selon la plénitude de la perfection par rapport à l’être lui-même,
selon qu’il parvient à l’excellence de sa nature. C’est pourquoi la vertu se
dit aussi du cercle d’après le Philosophe [V Physique, texte 5]
quant il attaint complètement sa circonscription. Si donc la vertu divine est
considérée d’après la perfection à agir, la vertu sera celle d’une puissance
opérationnelle. Mais si la perfection est considérée quant à l’existence même
de Dieu, sa vertu sera l’éternité. Mais si elle est considérée quant au
caractère accompli de la perfection de la nature divine elle-même, sa vertu
sera la grandeur. |
Quod
patet ex hoc quod ipse probat aequalitatem in magnitudine ex hoc quod tota
plenitudo naturae Patris est in Filio ; secundum quem etiam modum Augustinus
dicit, VI De trinitate, cap. VIII, col. 929, quod in his quae non
mole magna sunt, idem est majus esse quod melius ; secundum quod etiam
dicimus aliquem hominem esse magnum, qui est perfectus in scientia et
virtute. Et sicut omnipotentiae suae virtute omnes potentias operativas
fundat et in eis operatur ; ita per virtutem aeternitatis suae instituit et
firmat omnem durationem et per virtutem magnitudinis suae omnia implet et
continet. |
Ce qui est évident du fait
que lui-même prouve l’égalité dans la grandeur du fait que toute la plénitude
de la nature du Père est dans le Fils ; et c’est aussi de la même
manière que Saint-Augustin dit [ VI De la Trinité,
ch. VIII, col. 929] que dans les choses qui sont grandes d’une
grandeur qui n’est pas celle de la masse, être plus grand c’est être
meilleur ; et c’est d’après cela encore que nous disons qu’une homme est
grand quand il est parfait dans la science et la vertu. Et tout comme il
établit toutes les puissances opérationnelles et opère en elles par la vertu
de sa toute-puissance, de même par la vertu de son éternité il institue et
affermit toute durée, et par la vertu de sa grandeur il comble et conserve
tous les êtres. |
[1516] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod magnitudo secundum
rationem generis sui, quod est quantitas, est conditio materiae ; et secundum
hoc non praedicatur de Deo, sed secundum rationem differentiae suae ; quae consistit
in ratione completionis, prout dicimus aliquem ex parvo fieri magnum, quando
attingit completam quantitatem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la grandeur, sous le rapport de son genre qui est la
quantité, est une condition de la matière ; et d’après cela elle ne
s’attribue pas à Dieu, mais seulement sous le rapport de sa différence qui
consiste dans la notion d’accomplissement, selon que nous disons d’une chose
que de petite elle devient grande, quand elle atteint sa quantité complète. |
[1517] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas continua dividitur
in infinitum, sed non in infinitum augetur ; et ideo ratione divisionis
infinitae quodlibet parvum potest habere minus, in cujus respectu dicetur [
videtur Éd. de Parme] magnum ; sed tamen non quolibet magno est
aliquod majus, respectu cujus possit dici minus, sicut patet in quantitate
caeli. Nihilominus tamen si magnum et parvum non dicatur secundum relationem,
sed absolute, prout consideratur, quantitas determinata ad aliquam speciem,
sic quamvis quodlibet minus sit majus, non tamen quodlibet minus est parvum,
nec quodlibet majus est magnum, ut dicit philosophus, III, Caeli et
lundi, text. 9. Nihilominus tamen sciendum quod Deus sicut dicitur
magnus, ita etiam dicitur parvus, ut dicit Dionysius, IX cap. De
divin. Nom., § 3, col. 911, et accipit parvum pro subtili, secundum
quod ipse penetrat omnia, etiam profundas cogitationes, et secundum quod
dicitur quod principia sunt parva quantitate et magna virtute. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la quantité continue se divise à l’infini, mais elle ne croît
pas à l’infini ; et c’est pourquoi tout ce qui est petit, en raison de
la division infinie, pourra avoir une quantité moindre par rapport à laquelle
il sera dit [paraîtra Éd. de Parme] grand ; cependant ce
n’est pas par n’importe quoi de grand qu’une chose est plus grande et par
rapport à quoi elle peut être dite moindre, comme on le voit dans la quantité
du ciel. Néanmoins cependant si le grand et le petit ne se disent pas selon
la relation mais absolument selon qu’on considère une quantité déterminée à
une espèce, ainsi, bien que n’importe quel moindre soit plus grand, ce n’est
cependant pas n’importe quel moindre qui est petit, ni n’importe quel plus
grand qui est grand ainsi que le dit le Philosophe [111 Du Ciel et du
Monde, texte 9]. Néanmoins cependant il faut savoir que tout comme Dieu
est appelé grand, de même il est aussi appelé petit, comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 1X, & 3, col. 911], et il prend ici petit au sens de
fin, selon que Dieu pénètre toute chose, même les pensées les plus profondes,
et selon qu’on dit que les principes sont petits quantitativement parlant
mais grands en puissance. |
[1518] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuitas sequitur
magnitudinem dimensivam, non autem magnitudinem virtutis, quae sola debet in
Deo intelligi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la continuité découle de la grandeur de la dimension et non de la
grandeur de la vertu qui est la seule à devoir être comprise comme étant
présente en dieu. |
[1519] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum patet jam solutio per ea quae dicta sunt, in
corp. art. ; quia virtus non tantum dicitur respectu operis [operationis Éd.
de Parme] secundum quod hic accipitur potentia, sed etiam aliis modis, ut
dictum est, ubi supra. |
4. En quatrième lieu la
solution à cette difficulté est déjà claire au moyen de ce qui a été dit dans
le corps de l’article ; car la vertu ne se dit pas seulement par rapport
à l’œuvre [l’opération Éd. de Parme], d’après le sens dans lequel
on prend ici puissance, mais aussi autrement comme nous l’avons dit plus
haut. |
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Articulus 2 [1520] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 tit. Utrum Pater sit in Filio et e converso |
Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ? |
[1521]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod Pater non sit in Filio nec e converso. Philosophus enim, in
IV Physic., text. 23, assignat octo modos essendi in, quorum
nullus potest aptari ad hoc quod Pater in Filio esse dicatur vel e converso.
Neque enim est sicut totum in partibus neque sicut e converso, neque sicut
genus in speciebus neque sicut e converso, neque sicut in loco, neque sicut
forma in materia, neque sicut in movente, sicut regnum est in rege ; neque
sicut in fine optimo, ut de facili potest probari. Ergo Pater non est in
Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père ne
soit pas dans le Fils ni réciproquement. Le Philosophe [IV Physique,
texte 23] en effet désigne huit manières d’exister dans un autre, dont aucune
ne peut s’appliquer à ce qu’on dit, à savoir que le Père est dans le Fils ou
réciproquement. En effet, il n’est pas comme un tout dans ses parties, ni
comme une partie dans son tout, ni comme un genre dans ses espèces ni comme
inversement, ni comme dans un lieu, ni comme une forme dans la matière, ni
comme dans un moteur, comme le royaume est dans le roi ; ni comme dans
une fin suprême, comme on peut le prouver facilement. Donc le Père n’est pas
dans le Fils. |
[1522] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, eorum quorum unum est apud alterum, ut
distinctum ab ipso, unum non est in altero. Sed Filius est apud Patrem, ut
dicitur Joan. 1: Et Verbum erat apud Deum. Ergo videtur quod
Pater non sit in Filio, nec e converso. |
2. Par ailleurs, parmi les
choses dont l’une est auprès de l’autre et comme distincte d’elle, l’une
n’est pas dans l’autre. Mais le Fils est auprès du Père comme le dit Jean (1,
1) : Et le Verbe était auprès de Dieu. Il semble donc que le
Père ne soit pas dans le Fils, ni inversement. |
[1523] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, in divinis non est nisi relatio originis. Sed
haec praepositio in importat aliquam habitudinem. Ergo in divinis non potest
importare nisi relationem originis. Sed non eamdem relationem habet Filius ad
Patrem et Pater ad Filium. Ergo vel non uterque est in altero, vel non eodem
modo. |
3. En outre, il n’y a dans
les personnes divines qu’une relation d’origine. Mais cette préposition
¨dans¨ implique une certaine manière d’être. Donc dans les personnes divines
on ne peut introduite qu’une relation d’origine. Mais la relation du Fils au
Père n’est pas la même que celle du Père au Fils. Donc, ou bien ce ne sont pas
les deux qui sont dans l’autre, ou bien ils ne le sont pas de la même
manière. |
[1524] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est essentia Patris, est Pater. Sed
tota essentia Patris est in Filio et e converso. Ergo Pater est in Filio et e
converso. |
Cependant : 1. Au contraire, partout où
est l’essence du Père, là est le Père. Mais toute l’essence du Père est dans
le Fils et réciproquement. Donc le Père est dans le Fils et réciproquement. |
[1525] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in uno relativorum intelligitur aliud. Sed
Pater et Filius sunt relativa. Ergo videtur quod Pater sit in Filio et e
converso. |
2. Par ailleurs, dans l’un
des relatifs, l’autre est compris. Mais le Père et le Fils sont des relatifs.
Il semble donc que le Père soit dans le Fils et réciproquement. |
[1526]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis
personis est duo considerare: scilicet essentiam quae est una et eadem, et
relationes quibus distinguuntur ; et secundum utrumque Pater dicitur esse in
Filio et e converso, secundum diversorum assignationes. Secundum enim tres
doctores, qui in Littera inducuntur, scilicet Augustinum, Hilarium,
Ambrosium, hoc dicitur propter essentiae unitatem, quia essentia Patris est
in Filio et Pater non deserit naturam suam ; unde ubi est natura sua, ibi est
ipse, sicut patuit etiam ex verbis Hilarii (supra) inductis, (dist. 5),
inductis. Sed secundum Damascenum, lib. III Fid. orthod., cap.
VI, col. 1002, hoc intelligitur secundum rationem relationis, prout in uno
relativorum intelligitur aliud. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans les personnes divines il y a deux choses à considérer :
c’est-à-dire l’essence qui est une et la même, et les relations par lesquelles
elles se distinguent ; et sous ces deux rapports, on dit que le Père est
dans le Fils et inversement, selon les assignations de différents
auteurs. En effet, d’après les trois docteurs qui sont introduits dans le
Document, à savoir Saint-Augustin, Saint-Hilaire et Saint-Ambroise, cela se
dit à cause de l’unité de l’essence, car l’essence du Père est dans le Fils
et le Père n’abandonne jamais sa nature ; c’est pouqquoi, là où est sa
nature, là il est Lui-même, ainsi qu’on l’a vu aussi à partir des paroles de
Saint-Hilaire présentées plus haut (dist. 5). Mais d’après Damascène
[111 De la Foi Orthodoxe, ch. VI, col. 1002], cela
s’entend sous le rapport de la relation, selon que chacun des relatifs entre
dans la notion de l’autre. |
[1527] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod stricte accipiendo, non
omnes modi quibus aliquid est in aliquo, continentur in illis octo, nisi per
quamdam similitudinis reductionem ; sicut esse in tempore reducitur ad illum
modum quo aliquid dicitur esse in loco, quia utrumque est sicut mensuratum in
mensura ; sic etiam per quamdam similitudinem ille modus potest reduci ad
aliquem illorum. Si enim hoc accipiatur quantum ad unitatem essentiae, tunc
Pater dicitur esse in Filio propter hoc quod essentia Patris in Filio est. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’à le prendre au sens strict, ce ne sont pas tous les modes
par lesquels une chose est dans une autre qui se trouvent à être contenus
dans ces huit modalités, sauf si on les ramène à une certaine
ressemblance : tout comme exister dans le temps se ramène à ce mode par
lequel on dit d’une chose qu’elle est dans un lieu, car chacun des deux se
présente comme ce qui est mesuré dans une mesure ; de même encore c’est
pas une certaine ressemblance que ce mode peut se ramener à l’un d’eux. Si en
effet cet énoncé se prend quant à l’unité de l’essence, alors on dit du Père
qu’il est dans le fils pour cette raison que l’essence du Père est dans le
Fils. |
Unde
ad illum modum reducitur ad quem reduceretur si essentia in Filio esse
diceretur. Hoc
autem est per modum quo natura communis est in aliquo supposito, et reducitur
ad illum modum quo genus est in specie ; quamvis in divinis non sit genus et
species, ut infra, dist. 25, quaest. unic., art. 3, patebit. Si autem
accipiatur quantum ad relationem, tunc reducetur ad illum modum quo aliquid
est in aliquo sicut in principio movente et efficiente ; quamvis enim Pater
non sit principium efficiens Filii, tamen est originans ipsum. Unde Filius
est in Patre sicut originatum in originante, et e converso Pater in Filio
sicut originans in originato. Sed adhuc magis proprie dicitur in divinis
Filius in Patre, etiam ex parte relationis, quam in humanis ; quia Filius ex
ipsa relatione est persona subsistens ; sua enim relatio est sua
personalitas, quod in aliis rebus non contingit. |
C’est pourquoi il se ramène à
ce mode auquel il se ramènerait si on disait que l’essence est dans le Fils.
Mais cela se dit au moyen de ce mode par lequel une nature commune est dans un
suppôt, cela se ramène à ce mode dans lequel un genre est dans son
espèce, bien qu’en Dieu il n’y ait ni genre ni espèce, comme on le verra plus
loin [dist. 25, quest. unique, art. 3]. Mais si on prend cet énoncé quant à
la relation, alors il se ramène à ce mode par lequel une chose est dans une
autre comme dans son principe moteur et efficient ; bien qu’en effet le
Père ne soit pas le principe efficient du Fils, il est cependant son origine.
C’est pourquoi le Fils est dans le Père comme celui qui procède est dans le
principe d’origine, et inversement le Père est dans le Fils comme le principe
d’origine est dans celui qui en procède. Mais en outre on dit plus proprement
dans les personnes divines que dans les personnes humaines que le Fils est
dans le Père, même du côté de la relation, car c’est par la relation
elle-même que le Fils est une personne subsistante ; en effet, sa
relation est sa personne, ce qui n’est pas possible pour les autres réalités. |
[1528] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod una persona dicitur esse apud
aliam ratione distinctionis ; sed dicitur esse in alia vel quantum ad
essentiam, vel quantum ad intellectum relationum, quia in una intelligitur
alia, quamvis unum relativum ab altero sit distinctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’on dit d’une personne qu’elle est auprès d’une autre en raison de sa
distinction ; mais on dit qu’elle est dans une autre soit quant à
l’essence, soit sous le rapport des relations, car l’un des relatifs entre
dans la notion de l’autre, bien que l’un des relatifs soit distinct de
l’autre. |
[1529] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si accipiatur Pater esse in
Filio propter unitatem essentiae, eodem modo est Pater in Filio et Filius in
Patre: et tunc haec praepositio in non importabit aliquam relationem realem,
sed tantum relationem rationis, qualis est inter essentiam et personam,
secundum quam essentia dicitur esse in persona. Si autem hoc accipiatur ex
parte relationis, tunc est alius modus, ut dictum est, in Resp. ad primum,
secundum diversam habitudinem Patris ad Filium et Filii ad Patrem. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que si on prend le Père comme étant dans le Fils à cause de l’unité de
l’essence, c’est de la même manière que le Père est dans le Fils et que le
Fils est dans le Père : et alors cette préposition ¨dans¨ n’impliquera
pas une relation réelle, mais seulement une relation de raison, laquelle se
trouve entre l’essence et la personne, selon laquelle on dit de l’essence
qu’elle est dans la personne. Mais si on prend le même énoncé du côté de la
relation, alors le mode diffère, conformément à une différente manière d’être
du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard d u Père. ainsi que nous
l’avons dit dans la réponse à la première difficulté. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [Le tout attribué à Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeritur de duobus,
secundum duas rationes quae in hac lectione habentur. Circa
primam probationem quaeruntur duo: 1
utrum in divinis sit totum integrale ; 2 utrum
sit ibi totum universale. |
On s’interroge ici sur deux
choses, d’après deux notions qui sont contenues dans cette leçon. Et au sujet
de ce premier examen on pose deux questions : 1. Y a-t-il en Dieu un tout
intégral ? 2. Y a-t-il en Dieu un tout
universel ? |
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Articulus 1 [1532] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 tit. Utrum in
divinis sit totum integrale |
Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral[15]? |
[1533]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis sit
totum integrale. Ubicumque enim est quantitas aliqua, ibi est ratio totius
integralis, cum omnis quantitas in partes divisibilis sit. Sed in Deo est
quantitas virtutis. Ergo est ibi totum integrale. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait en
Dieu un tout intégral. Partout en effet où il y a une quantité, il y a là
raison de tout intégral, puisque toute quantité est divisible en parties.
Mais en Dieu il y a la quantité de la vertu. Il y a donc là un tout intégral. |
[1534] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut quantitas continua integratur ex suis
partibus, ita et numerus. Sed in divinis est numerus personarum, scilicet
ternarius, cujus pars quaedam est unum et duo. Ergo videtur quod sit ibi
totum integrale. |
2. Par ailleurs, tout comme
la quantité continue est constituée comme tout à partir de ses parties, il en
est de même du nombre. Mais en Dieu il y a une nombre de personnes, à savoir
trois, dont les parties sont un et deux. Il semble donc qu’il y ait un tout
intégral en Dieu. |
[1535] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, quidquid est aliquid alicujus et non est illud,
est pars integralis illius. Sed Pater est aliquid Trinitatis et non est
Trinitas. Ergo est pars integralis Trinitatis. |
3. En outre, tout ce qui est
une partie d’une chose sans être cette chose, est une partie intégrale de
cette chose. Mais le Père fait partie de la Trinité et n’est pas la Trinité.
Il est donc une partie intégrale de la Trinité. |
[1536] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex sola natura nunquam constituuntur res
naturae, et praecipue ubi sunt plures res naturae in una natura. Sed in una
natura divina sunt plures res naturae, scilicet personae. Ergo oportet quod
ad constitutionem personae aliquid aliud naturae divinae adveniat ; et sic
erit ibi aliquid integratum ex pluribus. |
4. De plus, les choses d’une
même nature ne sont jamais constituées à partir de leur seule nature, et
principalement là où il y a plusieurs choses de même nature dans une seule et
même nature. Mais dans une seule et même nature divine il y a plusieurs
choses de même nature, à savoir les personnes divines. Il faut donc que
quelque chose d’autre survienne à la nature divine pour constituer la
personne ; et ainssi il y aura là quelque chose qui sera constitué de
plusieurs parties intégrales. |
[1537] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 s. c. 1 Contra, omne totum integrale est compositum ex
partibus. Sed in Deo nulla est compositio, sed summa simplicitas,
ut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 1, habitum est. Ergo in divinis non est
totum integrale. |
Cependant : 1. Au contraire, tout tout
intégral est composé de parties. Mais en Dieu il n’y a nulle composition,
mais la plus grande simplicité, ainsi que nous l’avons établi plus haut
[dist. 8, quest. 4, art. 1]. Il n’y a donc en Dieu aucun tout intégral. |
[1538]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ratio totius
integralis consistit in compositione. Ratio autem partis integralis habet
imperfectionem annexam, quibus divina simplicitas et perfectio repugnat ;
unde non potest ibi esse totum integrale et pars. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que la notion de tout integral consiste en une
composition. Mais la notion de partie intégrale comporte une imperfection qui
lui est rattachée à laquelle répugne la simplicité et la perfection divines;
c’est pourquoi il ne peut y avoir là ni tout integral, ni partie intégrale. |
[1539]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
quantitas virtutis non attenditur secundum divisionem virtutis intrinsecus ;
sed magis attenditur ejus divisio respectu exteriorum, vel secundum numerum
objectorum, vel secundum intensionem actus, vel secundum modos agendi. Unde patet quod in
quantitate virtutis non est ratio totius et partis integralis, quia partes
integrales sunt intra suum totum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la quantité de la vertu ne se vérifie pas d’après
une division intérieure de la vertu, mais sa division se vérifie
plutôt par rapport à quelque chose d’extérieur, soit d’après le nombre des
objet, soit selon l’intention de l’acte, soit d’après les modes d’opération.
D’où il est clair que dans la quantité de la vertu il n’y a pas raison de
tout intégral ni de partie intégrale, car les parties intégrales sont à
l’intérieur de leur tout. |
[1540] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in divinis unitas vel
dualitas non est pars ternarii nisi secundum rationis acceptionem. Cujus
ratio est, quia alio modo est numerus in rebus divinis et in rebus creatis,
et alio modo unitas. Cum enim unum sit quod est indivisum in se et divisum ab
aliis, unumquodque autem creatum per essentiam suam distinguatur ab aliis ;
ipsa essentia creati, secundum quod est indivisa in se et distinguens ab
aliis, est unitas ejus, et plures unitates constituentes numerum personarum
creatarum, sunt plures essentiae congregatae secundum numerationem, ita quod
nihil est in una quod sit in alia secundum numerum idem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les personnes divines l’unité ou la dualité n’est une partie de
trois que selon la conception de la raison. La raison en est que c’est d’une
manière différente que se présentent le nombre et l’unité dans les personnes
divines et dans les choses créées. En effet, puisque l’un est ce qui est
indivisé en soi et divisé par les autres, toute chose créée se distingue des
autres par son essence ; l’essence même de la chose créée, selon qu’elle
est indivisée en elle-même et se distingue des autres, est son unité ;
et plusieurs unités constituant un nombre de personnes créées sont plusieurs
essences rassemblées selon le nombre, de telle manière que rien de ce qui est
dans l’une n’est numériquement identique à ce qui est dans l’autre. |
Sic ergo numerus in rebus
creatis habet rationem distinctionis et cujusdam coacervationis distinctorum
per essentiam, et ex hoc habet rationem totius integralis. Unitas autem
personalis est ipsa proprietas relativa, distinguens unam personam ab alia,
et non essentiam ipsius personae ; unde tres personae non sunt differentes
per essentiam, cum una numero essentia sit in tribus personis. Et ideo non
potest ibi esse coacervatio, sed tantum distinctio. Et propter hoc numerus
non habet rationem totius integralis, nisi forte secundum quod in intellectu
coadunantur rationes proprietatum personalium. Sed per hoc non erit
integratio alicujus rei, sed in ratione tantum. |
Ainsi donc le nombre dans les
choses créées a raison de distinction et d’une certaine accumulation de
réalités distinctes par l’essence et de ce fait a raison de tout intégral.
Mais l’unité de la personne divine est la propriété relative elle-même,
laquelle distingue une personne d’une autre et non l’essence de la
personne ; c’est pourquoi les trois personnes ne sont pas différentes
par l’essence puisqu’il y a dans les trois personnes une seule essence
numériquement parlant. Et c’est pourquoi il ne peut y avoir là accumulation
mais seulement distinction. Et pour cette raison le nombre n’a pas raison de
tout intégral, si ce n’est peut-être selon que les notions des
propriétés personnelles sont réunies dans l’intelligence. Mais par cela il
n’y aura pas intégration dans une réalité, mais dans la raison seulement. |
[1541] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est falsa: Pater est
aliquid Trinitatis, si intelligatur partitive ; significaretur enim quod
haberet partem essentiae Trinitatis, ex hoc quod aliquid, cum sit neutrum,
essentiam significat. Sed haec est vera: [est aliquis Trinitatis: ex quo non
potest concludi quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem ; quia
scilicet non est tot personae quot est Trinitas: quia Trinitas est tres
personae, et non Pater Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette proposition est fausse : le Père est quelque chose de la
Trinité, si on l’entend à la manière d’un partage ; elle signifierait en
effet que le Père ne possède qu’une partie de l’essence de la Trinité, du
fait que quelque chose signifie l’essence puisqu’il est neutre. Mais cette
proposition est vraie : [le Père est quelqu’un de la Trinité car de là
on ne peut conclure qu’il soit une partie de la Trinité que selon la
raison : c’est-à-dire qu’il n’est pas à lui seul autant de
personnes qu’il y en a dans la Trinité : car la Trinité, c’est les trois
personnes et non pas le Père Éd. de Parme]. |
Éd.
Mandonnet : [quia scilicet non est tot personae quot est Trinitas ;
quia Trinitas et tres personae, et non Pater. Sed ex hoc quod est aliquis
Trinitas non sequitur quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem, ut
dictum est.] |
Éd. Mandonnet : [c’est-à-dire qu’il
n’est pas autant de personnes qu’il y en a dans la Trinité ; car la
Trinité, c’est les trois personnes et non pas le Père. Mais du fait qu’il est
quelqu’un de la Trinité, il ne s’ensuit pas qu’il soit une partie de la
Trinité, si ce n’est selon la raison, comme nous l’avons dit.] |
[1542] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod naturae divinae nihil additur
ad constituendum rem naturae, cum in Deo idem sit quo est et quod est, sive
qui est. Distinctio autem non est ex ratione naturae, sed ex ratione
proprietatis relativae ; quae quidem, secundum quod comparatur ad essentiam,
est ratione tantum et non re ab ipsa differens ; prout autem comparatur ad
correlativum cui opponitur, facit realem distinctionem personae, ut supra
dictum est, dist. 9, quaest. unic. art. 1. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que rien n’est ajouté à la nature divine pour constituer une réalité de
cette nature, puisqu’en Dieu ce par quoi il est et ce qui est ou qui il est,
sont identiques. Mais la distinction ne vient pas de la raison de nature,
mais de la raison de la propriété relative laquelle certes, selon qu’elle se
compare à l’essence, diffère d’elle par la raison et non dans la
réalité ; mais pour autant qu’elle se compare au corrélatif auquel elle
s’oppose, entraîne une distinction réelle de la personne ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. unique, art. 1]. |
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Articulus 2 [1543] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 tit. Utrum in
divinis sit totum universale |
Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ? |
[1544]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in divinis sit
totum universale. Quidquid enim praedicatur de aliquo substantialiter et non
conversim, praedicatur de ipso ut totum universale de parte subjectiva. Sed
essentia divina, vel Deus, hoc modo praedicatur de Patre: Pater enim est
essentia divina, sed non quicumque est essentia divina est Pater. Ergo ibi
est totum universale. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait un
tout universel en Dieu. En effet, tout ce qui s’attribue substantiellement à
un être et non réciproquement, lui est attribué comme un tout universel
s’attribue à la partie subjective. Mais l’essence divine, ou Dieu, s’attribue
au Père de cette manière. Le Père en effet est l’essence divine mais ce n’est
pas toute personne divine ayant l’essence divine qui est le Père. Il y a donc
là un tout universel. |
[1545] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, universale et particulare differunt, sicut
commune et proprium. Sed in divinis invenitur commune et proprium ; quia
essentia est communis, et relatio est propria personae. Ergo est ibi
universale et particulare. |
2. Par ailleurs, l’universel
et le particulier diffèrent comme le commun et le propre. Mais on retrouve le
commun et le propre dans les personnes divines ; car l’essence est
commune tandis que la relation est propre à la personne. Il y a donc là de
l’universel et du particulier. |
[1546]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 3 Item, supra, dist. 5, ex verbis Hilarii
habitum est, quod Filius Dei generis sui potestatem in habitu
assumptae humilitatis [humanitatis Éd. de Parme] exercuit.
Genus autem suum nominat naturam divinam [suam Éd. de Parme].
Ergo videtur quod essentia sit genus et universale respectu personarum. |
3. En outre, nous avons
établi plus haut dans la distinction cinq à partir des paroles de
Saint-Hilaire que le Fils de Dieu a exercé la puissance de son genre
dans la possession de l’humilité [de l’humanité Éd. de Parme] qu’il avait
prise. Il semble donc que l’essence soit le genre et l’universel par
rapport aux personnes. |
[1547] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, scientia est species cognitionis. Sed de
Deo utrumque dicitur, scilicet quod cognoscit et scit. Ergo videtur quod in
divinis sit totum universale. |
4. Par ailleurs, la science
est une espèce de connaissance. Mais les deux se disent de Dieu, à savoir
qu’il connait et qu’il sait. Il semble donc qu’il y ait un tout universel en
Dieu. |
[1548] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est universale et particulare,
particularia sunt potentia in suis universalibus sicut differentiae in
genere. Sed in divinis non est aliquid in potentia. Ergo non est ibi
universale et particulare. |
Cependant : 1. Par contre, partout où il
y a l’universel et le particulier, les particuliers existent en puissance
dans leurs universels, comme les différences dans leur genre. Mais en Dieu il
n’y a rien qui soit en puissance. Il n’y a donc pas là d’universel ni de
particulier. |
[1549] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne superius est pars integralis constituens
definitionem inferioris ; unde dicit Porphyrius, in Praed., cap.
« De diffi., » quod genus se habet ad similitudinem
materiae, et differentia ad similitudinem formae, et species ad similitudinem
compositi. Sed in divinis non est totum integrale et pars. Ergo etiam nec
totum universale et pars sibi respondens. |
2. De plus, tout supérieur
est une partie intégrale constituant la définition de l’inférieur ;
c’est pourquoi Porphyre [Les Prédicables, ch. Sur la
Différence] dit que le genre se présente comme une similitude de la
matière, la différence comme une similitude de la forme et l’espèce comme une
similitude du composé. Mais en Diue il n’y a ni tout, ni partie intégrale. Il
n’y a donc pas non plus un tout universel ni une partie qui lui correspond. |
[1550]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis
non potest esse universale et particulare. Et hujus ratio potest quadruplex
assignari: |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu il ne peut y avoir ni universel ni particulier. Et quatre raisons
peuvent être assignées pour le prouver : |
primo, quia,
secundum Avicennam, (II parte Logicae, cap. II) ubicumque est genus et
species, oportet esse quidditatem differentem a suo esse, ut prius, dist. 8,
quaest. 1, art. 1, dictum est ; et hoc in divinis non competit ; |
Premièrement, parce que, selon Avicenne [Logique,
partie 11, ch. 11], partout où il y a genre et espèce, il faut que la
quiddité soit différente de son existence, ainsi que nous l’avons dit
précédemment [dist. 8, quest. 1, art. 1], ce qui répugne à Dieu. |
secundo, quia essentia universalis
non est eadem numero in suis inferioribus, sed secundum rationem tantum ;
essentia autem divina est eadem numero in pluribus personis ; |
Deuxièmement, parce que l’essence universelle
n’est pas la même numériquement parlant dans ses inférieurs, mais elle est la
même seulement selon la raison ; mais l’essence divine est la même
numériquement parlant dans la pluralité des personnes. |
tertio, quia universale exigit
pluralitatem in his quae sub ipso continentur vel in actu vel in potentia: in
actu sicut est in genere, quod semper habet plures species ; in potentia
sicut in aliquibus speciebus, quarum forma, quantum est de se, possibilis est
inveniri in multis, cum omnis forma sit de se communicabilis ; sed quod
inveniatur tantum in uno, est ex parte materiae debitae illi speciei, quae
tota adunatur in uno individuo, ut patet in sole, qui constat ex tota sua
materia ; et ista pluralitas est secundum numerum, qui numerus simpliciter est
fundatus in substantiali distinctione: tres autem personae non numerantur
tali numero, ut dictum est, art. antec., et ideo essentia non habet rationem
universalis ; |
Troisièmement, parce que l’universel exige
une pluralité, soit en acte, soit en puissance, dans les choses qui sont
contenues en lui : en acte, comme c’est le cas pour le
genre qui possède toujours plusieurs espèces ; en puissance
comme dans certaines espèces, dont la forme qui, quant à ce qu’elle est en
elle-même, peut être retrouvée en plusieurs puisque toute forme, en
elle-même, est communicable ; mais ce qu’on retrouve seulement dans une
chose vient du côté de la matière qui est due à cette espèce et qui est
totalement réunie en un seul individu, comme on le voit pour le soleil qui
subsiste à partir de toute sa matière ; et cette pluralité est selon le
nombre, lequel nombre s’enracine absolument dans la distinction
substantielle : mais les trois personnes ne se nombrent pas par un tel
nombre, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, et c’est
pourquoi dans ce cas l’essence n’a pas raison d’universel. |
quarto, quia particulare semper se habet ex additione ad
universale. In divinis autem, propter summam simplicitatem, non est
possibilis additio, et ideo nec universale nec particulare. |
Quatrièmement, parce que le particulier se
présente toujours à partir d’une addition à l’universel. Mais dans les
personnes divines, à cause de leur parfaite simplicité, aucune addition n’est
possible, et c’est pourquoi ni l’universel, ni le particulier ne peut leur
être ajouté. |
[1551] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod modus praedicandi
proportionatur ipsis rebus de quibus fit praedicatio ; cum, secundum
Hilarium, IV De Trinitate, § 14, col. 107, sermo sit rei subjectus.
Unde sicut nulla res in creaturis invenitur similis ex toto unitati essentiae
in tribus personis, sed secundum aliquid: ita etiam nullus modus praedicandi
in creaturis est similis huic modo praedicandi quo essentia vel Deus de
tribus personis praedicatur. Dico igitur, quod secundum id quod tactum est in
objectione, habet similitudinem cum modo praedicandi totius universalis, sed
differt secundum alia quae supra, in corp. art., dicta sunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le mode d’attribution est proportionné aux choses mêmes
auxquelles il y a attribution, puisque, selon Saint-Hilaire [IV De la
Trinité, & 14, col. 107], le discours est soumis à la chose. C’est
pourquoi, tout comme aucune chose dans les créatures ne se trouve semblable
en totalité à l’unité de l’essence dans les trois personnes, mais seulement
d’une certaine manière, de même encore aucun mode d’attribution dans les
créatures n’est semblable à ce mode d’attribution par lequel l’essence ou
Dieu est attribué aux trois personnes. Je dis donc que ce dernier mode
d’attribution, selon ce qui a été abordé dans l’objection, présente une
similitude avec le mode d’attribution du tout universel, mais il en diffère
sous d’autres rapport dont nous avons parlé plus haut dans le corps de
l’article. |
[1552] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commune, quantum est de se,
non determinat rei communitatem, vel rationis, sicut universale ; et ideo
essentia potest dici communis, non autem universalis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le commun, quant à ce qu’il est en lui-même, ne détermine pas le
caractère commun de la chose en elle-même ou de la raison comme le fait
l’universel ; et c’est pourquoi l’essence peut être dite commune mais
non pas universelle. |
[1553] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Hilarius loquitur ad
similitudinem creaturarum, prout communiter loquendo dicimus, genus hominum
unum genus esse, secundum quod est multitudo aliquorum se habentium ad unum
principium ; ita etiam dicitur genus divinum ipsa pluralitas personarum,
secundum ordinem emanationis ab uno principio, qui est Pater. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que Saint-Hilaire parle de la similitude des créatures, en tant que nous
disons en parlant universellement que le genre humain est un seul genre selon
lequel il y a une multitude d’individus qui se rapportent à un seul
principe ; de même encore on dit la même chose du genre divin à l’égard
de la pluralité des personnes, selon un ordre d’origine à partir d’un seul et
même principe qui est le Père. |
[1554]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in
creaturis quaedam inveniuntur quae tam secundum rationem generis, quam
secundum rationem speciei dicunt aliquid perfectionis. Unde attribuitur Deo
utrumque secundum propriam rationem, sicut patet in cognitione et scientia.
Et haec quidem quamvis in creaturis se habeant sicut genus et species, tamen
in divinis non sic se habent ; quia unum, secundum rem nihil addit super
alterum, sed solum secundum rationem. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que dans les créatures on retrouve certaines
caractéristiques qui disent quelque chose de la perfection, tant sous le
rapport du genre que sous celui de l’espèce. C’est pourquoi on attribute les
deux à Dieu sous le rapport qui lui est propre, ainsi qu’on le voit pour la
connaissance et la science. Et bien que ces caractères se présentent certes
chez les créatures comme un genre et une espèce, cependant ils ne se
présentent pas ainsi dans les personnes divines; car l’un n’ajoute rien à
l’autre dans la réalité, mais seulement selon la raison. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [La vérité] |
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Prooemium |
Prologue |
[1555] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 pr. Circa secundam probationem quaeritur de veritate, et
quaeruntur tria: 1 quid
sit veritas ; 2 utrum
omnia sint vera una veritate, quae est veritas increata, [sive prima ; add. Ed. de Parme] 3 de conditionibus
veritatis, scilicet aeternitate et incommutabilitate ejus. |
Par rapport à l’autre examen
on s’interroge sur la vérité, et on pose trois interrogations : 1. Qu’est-ce que la
vérité ? 2. Est-ce que toutes les
vérités sont vraies par une seule et même vérité qui est une vérité incréée
[ou première ; add. Éd. de Parme] 3. Quelles sont les
conditions de la vérité, à savoir son éternité et son immutabilité ? |
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Articulus 1 [1556] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 tit. Utrum veritas sit
essentia rei |
Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ? |
[1557]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod veritas sit
idem quod essentia rei [rei om.Ed. de Parmei]. Dicit enim
Augustinus, lib. II Soliquiorum, c. V, col. 389, quod
« verum est id quod est », et ab aliis dicitur quod verum est
indivisio esse et ejus quod est. Ergo unumquodque dicitur verum, secundum
quod habet esse. Esse autem est actus essentiae. Ergo cum unumquodque
veritate formaliter sit verum, videtur quod omnino idem sit veritas et
essentia. |
1. Il semble que la vérité
soit identique à l’essence de la chose [chose om. Éd. de Parme].
Saint-Augustin dit en effet [11 Soliloques, ch. V, col. 389] que
¨le vrai est ce qui est ¨ et d’autres disent que le vrai est l’indivision de
l’être et de ce qui est. Donc tout est dit vrai selon qu’il a de
l’être. Mais l’être est l’acte de l’essence. Donc, puisque c’est par la
vérité que tout est formellement vrai, il semble que la vérité et l’essence
soient absolument identiques. |
[1558] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque differunt re vel ratione unum
potest intelligi sine altero, unde etiam secundum Boetium,lib. De
hebdom., col. 1312, potest intelligi Deus, non intellecta ejus
bonitate. Sed essentia rei non potest intelligi sine veritate. Ergo essentia
rei et veritas non differunt neque re neque ratione. |
2. Par ailleurs, pour tout ce
qui diffère réellement ou par la raison, l’un peut être compris sans l’autre
et c’est pourquoi aussi d’après Boèce [Les Semaines, col. 1312], Dieu
peut être compris même si on ne comprend pas sa bonté. Mais l’essence d’une
chose ne peut être comprise sans la vérité. Donc l’essence de la chose et la
vérité ne diffèrent ni réellement ni par la raison. |
[1559] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 3 Item, quidquid differt secundum rationem ab ente, se
habet ex additione ad illud. Sed quod habet se ex additione ad aliquid,
contrahit et determinat illud, sicut se habet homo ad animal. Cum igitur
verum non contrahat ens (quia verum et ens convertuntur), videtur quod
veritas neque re neque ratione ab essentia differat. |
3. En outre, tout ce qui
diffère de l’être par la raison se présente comme une addition à l’être. Mais
ce qui se présente comme une addition à un être le restreint et le détermine,
comme c’est le cas pour l’homme par rapport à l’animal. Donc, puisque le vrai
ne restreint pas l’être (car l’être et le vrai se convertissent), il semble
que la vérité ne diffère de l’essence ni réellement ni par la raison. |
[1560]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, Anselmus, lib. De veritate, cap. XI, col. 480, dicit,
quod veritas est rectitudo sola mente perceptibilis. Constat autem quod
loquitur metaphorice de rectitudine, quia rectitudo proprie dicta est passio
continui. Sed bonitas et justitia secundum propriam rationem habent quod sint
rectitudo sola mente perceptibilis. Ergo videtur quod veritas re et ratione
sit idem quod bonitas et justitia. |
4. Par ailleurs,
Saint-Anselme [De la Vérité, ch. XI, col. 480] dit que la vérité est
une droiture qui n’est perceptible que par l’intelligence. Mais il est clair
qu’il parle ici de la droiture en un sens métaphorique, car la rectitude au
sens propre est une propriété du continu. Mais la bonté et la
justice proprement dites sont une droiture perceptible par l’intelligence
seule. Il semble donc que la vérité soit identique réellement et par la
raison à la bonté et à la justice. |
[1561] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 5 Contra, contingit aliquid verum dicere et de ente et
de non ente. Sed non entia non habent essentiam. Cum ergo omne verum veritate
sit verum, videtur quod veritas non sit idem quod essentia. |
5. Au contraire, il est
possible de dire quelque chose de vrai à la fois de l’être et du non-être.
Mais ce qui n’existe pas n’a pas d’essence. Donc, puisque tout ce qui est
vrai est vrai par la vérité, il semble que la vérité ne soit pas identique à
l’essence. |
[1563] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 7 Item, veritas et falsitas sunt tantum in complexis ;
quia singulum incomplexorum neque verum neque falsum est. Sed essentia est
rerum incomplexarum. Ergo non est idem quod veritas. |
6. Par ailleurs, la vérité et
la fausseté ne se retrouvent que dans ce qui est complexe ; car chacune
des conceptions simples n’est ni vraie ni fausse. Mais l’essence fait partie
des réalités intellectuelles simples. Elle n’est donc pas identique à la
vérité. |
[1564] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 arg. 8 Item, veritati opponitur falsitas. Sed falsitatem
contingit invenire in entibus, sicut dicimus aurum falsum: sed de ente non
dicitur non ens. Ergo falsum non est idem quod non ens ; ergo nec veritas est
idem quod essentia ; quia si contrarium de contrario non praedicatur ut idem,
nec oppositum de opposito. |
7. En outre, la fausseté
s’oppose à la vérité. Mais il est possible de retrouver la fausseté dans des
êtres, par exemple lorsque nous disons que nous sommes en présence d’un faux
or : mais nous ne disons pas de l’être qu’il est du non-être. Donc le
faux n’est pas identique au non-être ; donc la vérité n’est pas
identique à l’essence ; car si le contraire ne s’attribue pas comme
identique au contraire, alors l’opposé ne s’attribuera pas comme identique à
l’opposé. |
[1565]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod eorum quae
significantur nominibus, invenitur triplexdiversitas. Quaedam enim sunt quae
secundum esse totum completum sunt extra animam ; et hujusmodi sunt entia
completa, sicut homo et lapis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que parmi ce qui est signifié par les noms, on retrouve une triple diversité. Il y en a en effet qui
existent en dehors de l’âme selon la totalité complète de leur existence. Et
les êtres complets, comme l’homme et la pierre, sont de cette sorte. |
Quaedam autem sunt quae
nihil habent extra animam, sicut somnia et imaginatio Chimerae. |
Mais il y en a qui ne possèdent
aucune existence en dehors de l’âme, comme les songes et les fables
construites par l’imagination. |
Quaedam
autem sunt quae habent fundamentum in re extra animam, sed complementum
rationis eorum quantum ad id quod est formale, est per operationem animae, ut
patet in universali. Humanitas enim est aliquid in re, non tamen ibi habet
rationem universalis, cum non sit extra animam aliqua humanitas multis
communis ; sed secundum quod accipitur in intellectu, adjungitur ei per
operationem intellectus intentio, secundum quam dicitur species: et similiter
est de tempore, quod habet fundamentum in motu, scilicet prius et posterius
ipsius motus ; sed quantum ad id quod est formale in tempore, scilicet
numeratio, completur per operationem intellectus numerantis. |
Mais
il y en a d’autres qui possèdent un fondement dans la chose en dehors de
l’âme mais ce qui complète leur définition du point de vue formel a lieu par
l’opération de l’âme, comme on le voit pour l’universel. L’humanité en effet
est quelque chose dans la réalité, mais ce n’est pas là qu’elle a raison
d’universel, puisqu’il n’existe pas en dehors de l’âme une humanité commune à
une pluralité d’individus; mais selon qu’elle est recue dans l’intelligence,
une intention lui est ajoutée par l’opération de l’intelligence selon
laquelle elle est appelée espèce: et il en est de même pour le temps qui a un
fondement dans le movement, à savoir qu’il est l’avant et l’après du
movement; mais quant à ce qu’il y a de formel dans le temps, à savoir le fait
de la compter, cela est accompli par l’opération de l’intelligence qui
compte. |
Similiter
dico de veritate, quod habet fundamentum in re, sed ratio ejus completur per
actionem intellectus, quando scilicet apprehenditur eo modo quo est. Unde
dicit philosophus, VI Métaph., text. 8, quod verum et falsum
sunt in anima ; sed bonum et malum in rebus. Cum autem in re sit quidditas
ejus et suum esse, veritas fundatur in esse rei magis quam in quidditate,
sicut et nomen entis ab esse imponitur ; et in ipsa operatione intellectus accipientis
esse rei sicut est per quamdam similationem ad ipsum, completur relatio
adaequationis, in qua consistit ratio veritatis. |
Je
dis qu’il en est de même pour la vérité qui possède un fondement dans la
réalité, mais sa definition est complétée par l’action de l’intelligence, à
savoir quand elle est saisie de la manière par laquelle elle existe. C’est
pourquoi le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 8] dit que le
vrai et le faux existent dans l’âme, mais le bien et le mal dans les choses.
Mais puisque c’est dans la chose qu’existe sa quiddité et et son existence,
la vérité se fonde davantage dans l’existence de la chose que dans sa
quiddité, tout comme le nom d’étant est imposé à partir du terme ¨être¨; et
c’est dans l’opération même de l’intellect qui reçoit l’existence de la chose
en tant qu’elle y existe par une certaine resemblance à ce dernier, qu’est
complétée la relation d’adéquation dans laquelle consiste la notion de
vérité. |
Unde dico, quod ipsum esse
rei est causa veritatis, secundum quod est in cognitione intellectus. Sed
tamen ratio veritatis per prius invenitur in intellectu quam in re: sicut
etiam calidum et frigidum et aliae causae sanitatis sunt causa sanitatis quae
est in animali, et tamen animal per prius dicitur sanum et signa sanitatis et
causa sanitatis dicuntur sana secundum analogiam ad sanum quod de animali
dicitur. Unde dico, quod verum per prius dicitur de veritate intellectus, et
de enuntiatione dicitur inquantum est signum illius veritatis ; de re autem
dicitur, inquantum est causa. |
De là je dis que l’existence
même de la chose est la cause de la vérité selon qu’elle existe dans la
connaissance de l’intelligence. Mais cependant la notion de vérité se
retrouve dans l’intelligence avant de se retrouver dans la chose : tout
comme encore le chaud et le froid et les autres causes de la santé sont cause
de la santé qui est dans l’animal, et cependant c’est l’animal d’abord qui
est dit sain et par la suite les signes de la santé et les causes de la santé
sont dits sains par analogie à la santé qui se dit de l’animal. C’est
pourquoi je dis que le vrai se dit d’abord de la vérité de l’intelligence, et
il se dit ensuite de l’énonciation en tant qu’elle est le signe de cette
vérité, puis enfin de la chose, selon qu’elle en est la cause. |
Unde res dicitur vera quae
nata est de se facere veram apprehensionem quantum ad ea quae apparent
exterius in ipsa ; et similiter dicitur falsa res quae nata est facere,
quantum ad id quod apparet exterius de ipsa, falsam apprehensionem, sicut
aurichalcum dicitur aurum falsum. Et inde est etiam quod homo dicitur falsus,
qui dictis vel factis ostendit de se aliud quam sit ; et per oppositum
intelligitur veritas quae est virtus in dictis et factis consistens, ut dicit
philosophus, V Métaph.,text. 34 (cf. IV Ethic. , c.
XII) |
De là une chose est dite
vraie qui est apte d’elle-même à entraîner une appréhension vraie à partir de
ce qu’elle manifeste à l’extérieur d’elle-même ; et de même une chose
est dite fausse qui est apte d’elle-même, quant à ce qui apparaît à l’extérieur
d’elle-même, à entraîner une appréhension fausse, tout comme on dit du laiton
qu’il est un faux or. Et c’est de là qu’on dit encore qu’est faux l’homme
qui, à partir de ce qu’il dit et ce qu’il fait, se montre autre qu’il est en
réalité ; et c’est par opposition à cela que se comprend la vérité qui
est la vertu qui se maintient dans le dire et le faire, comme le
dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 34 (cf. IV Éthique,
ch. XII)]. |
Utraque autem veritas,
scilicet intellectus et rei, reducitur sicut in primum principium, in ipsum
Deum ; quia suum esse est causa omnis esse, et suum intelligere est causa
omnis cognitionis. Et ideo ipse est prima veritas, sicut et primum ens:
unumquodque enim ita se habet ad veritatem sicut ad esse, ut patet ex dictis. |
Mais les deux vérités, à
savoir celle de l’intelligence et de la chose se ramènent à Dieu comme à un
premier principe ; car son existence est la cause de toute existence, et
l’acte de son intellect est la cause de toute connaissance. Et c’est pourquoi
il est lui-même la première vérité, tout comme il est le premier être :
en effet, toute chose se rapport à la vérité comme elle se rapporte à l’être,
ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit. |
Et inde est quod prima
causa essendi est prima causa veritatis et maxime vera, scilicet Deus, ut
probat philosophus II Metaph., text. 4. Veritas autem
enuntiationis reducitur in prima principia per se nota sicut in primas causas
; et praecipue in hoc principium, quod affirmatio et negatio non sunt simul
vera, ut dicit Avicenna, II parte Logicae, cap. IV. |
Et c’est de là qu’il faut
poser que la cause première de l’être est aussi la cause première de la
vérité et qu’elle est la vérité suprême, à savoir Dieu, comme le prouve le
Philosophe [11 Métaphysique, texte 4]. Mais la vérité de
l’énonciation se ramène aux tout premiers principes connus par eux-mêmes
comme à ses causes premières, et surtout à ce premier principe que
l’affirmation et la négation ne sont pas simultanément vraies, comme le dit
Avicenne [Logique, partie 11, ch. IV]. |
Sic ergo
patet quomodo diversae definitiones de veritate dantur. Quaedam enim
veritatis definitio datur secundum hoc quod veritas completur in
manifestatione intellectus ; sicut dicit Augustinus, lib. de vera
religione, cap. XXXVI, col. 151 : Veritas est qua ostenditur id
quod est ; et Hilarius V De Trinitate, § 14, col.
137 : verum est declarativum aut manifestativum esse. |
Il apparaît donc clairement
comment différentes définitions sont données au sujet de la vérité. En effet,
une définition de la vérité est donnée d’après ceci que la vérité est
complétée dans ce que l’intelligence en manifeste ; comme le dit
Saint-Augustin [De la Vraie Religion, ch. XXXVI, col.
151] : La vérité est la manifestation de ce qui est ;
et Saint-Hilaire dit de même [V De la Trinité, &14, col.
137] : le vrai est la déclaration ou la manifestation de l’être. |
Quaedam autem datur de
veritate secundum quod habet fundamentum in re, sicut illa Augustini,
II Soliloq., cap.V, col. 889 : « Verum est id
quod est ; et alia magistralis: Verum est indivisio esse
et ejus quod est » ; et alia Avicennae, tract. VIII Metaph. :
« Veritas cujusque rei, est proprietas sui esse quod stabilitum ei
est ». |
Mais une autre définition est
donnée au sujet de la vérité d’après ce qu’elle a de fondement dans la
réalité, comme celle-ci qu’en donne Saint-Augustin [11 Soliloques,
ch. V, col. 889] : ¨Le vrai est ce qui est¨ ; et cette autre du
maître : ¨Le vrai est l’indivision de l’être et de ce qui est¨ ; et
cette autre enfin d’Avicenne [Métaphysique,
traité VIII] : ¨La vérité de chaque chose consiste dans la
propriété de son être tel qu’il lui a été attribué¨. |
Quaedam autem datur
secundum commensurationem ejus quod est in intellectu ad id quod est in re,
sicut dicitur: veritas est adaequatio rei ad intellectum ; et Augustinus:
« Verum est quod ita se habet ut cognitori videtur si velit et possit
cognoscere ». |
Mais une autre définition de
la vérité est donnée selon l’égalité de mesure de ce qui est dans
l’intelligence par rapport à ce qui existe dans la chose, comme lorsqu’on dit
que la vérité est l’adéquation de la chose à l’intelligence ; et c’est
là ce que dit Saint-Augustin : ¨Le vrai est ce qui est tel qu’il
apparaît à celui qui connaît si ce dernier veut et peut le connaître¨. |
Quaedam autem datur de
veritate secundum quod appropriatur Filio, cui etiam appropriatur cognitio,
scilicet ab Augustino, lib. De vera relig., cap. XXXVI, col. 151 :
« Veritas est summa similitudo principii quae sine ulla
dissimilitudine est ». |
Mais une autre définition est
données de la vérité selon qu’elle est appropriée au Fils auquel est aussi
appropriée la connaissance par Saint-Augustin [De la Vraie Religion,
ch. XXXVI, col. 151] : ¨La vérité est la parfaite similitude de
chaque chose avec son principe sans nulle dissemblance¨. |
Quaedam autem datur de
veritate, comprehendens omnes veritatis acceptiones, scilicet: veritas est
rectitudo sola mente perceptibilis. In rectitudine tangitur commensuratio ;
et in hoc quod dicitur sola mente perceptibilis, tangitur id quod complet
rationem veritatis. |
Mais il y a une définition de
la vérité qui est donnée et qui comprend toutes les acceptions de la vérité,
à savoir : la vérité est une rectitude qui est perçue par la seule
intelligence. Par le terme de rectitude on touche à l’idée de proportion ou
d’égalité de mesure ; et en ceci qu’on dit qu’elle n’est perçue que par
l’intelligence, on touche ce qui complète la notion de vérité. |
Patet etiam ex dictis, quod
veritas addit supra essentiam secundum rationem, scilicet ordinem ad cognitionem
vel demonstrationem alicujus. |
Il est encore clair à partir
de ce qui a été dit que la vérité ajoute à l’essence selon la raison,
c’est-à-dire le rapport à la connaissance ou à la démonstration d’une vérité. |
[1566] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod esse dicitur dupliciter: uno modo secundum quod ens
significat essentiam rerum prout dividitur per decem genera ; alio modo secundum quod
esse significat compositionem quam anima facit ; et istud ens philosophus,
V Metaph., text. 14, appellat verum. Et similiter Augustinus,
cum dicit quod verum est id quod est ; quasi dicat: verum est quando dicitur
de eo quod est ; et similiter intelligitur quod dicitur: verum est indivisio
esse et ejus quod est. Et si in negativis sit veritas quae non consistit in
compositione, sed in divisione, tamen veritas negative fundatur supra
veritatem affirmative, cujus signum est quod nulla negativa probatur nisi per
aliquam affirmationem. Vel potest dici, quod definitiones istae dantur de
vero non secundum completam sui rationem, sed secundum illud quod fundatur in
re. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’être se dit de deux manières : en un premier sens selon que
l’être signifie l’essence des choses selon qu’elle se divise par les dix
genres ; en un deuxième sens selon que
l’être signifie la composition que l’âme fait ; et cet être, le
Philosophe [V Métaphysique, texte 14] l’appelle le vrai. Et Saint-Augustin fait de
même lorsqu’il dit que le vrai est ce qui est ; c’est comme s’il
disait : il y a vérité quand on dit de la chose qu’elle est et que ce
qu’on dit est entendu semblablement : le vrai est l’indivision de l’être
et de ce qui est. Et si dans les négatives il y a une vériét qui ne consiste
pas en une composition mais en une division, cepenant la vérité qui est sous
une forme négative se fonde sur une vérité affirmative ; le signe en est
qu’aucune négative n’est prouvée si ce n’est par une affirmative. Ou bien on
peut encore dire que ces définitions au sujet de la vérité ne sont pas
données d’après sa notion complète, mais selon qu’elle se fonde sur la
réalité. |
[1567]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut
bonitas dicit rationem per quam essentia ordinatur ad appetitum, ita veritas
dicit rationem per quam essentia ordinatur ad intellectum. Unde sicut nullum esse
appetitur amota ratione boni, ita nullum esse intelligitur amota ratione
veri. Nihilominus tamen alia est ratio veri et alia ratio entis. Dupliciter
enim dicitur aliquid non posse intelligi sine altero. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme le bien dit le rapport par lequel l’essence est ordonnée
à l’appétit, de même la vérité dit le rapport par lequel l’essence est
ordonnée à l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme aucun être n’est désiré
si on enlève la notion de bien, de même aucun être n’est l’objet de l’acte de
l’intelligence si on enlève la notion de vrai. Néanmoins cependant, autre est
la notion du vrai, autre est la notion d’être. En effet, c’est de deux manières
qu’on dit qu’une chose ne peut être comprise sans une autre. |
Aut ita quod unum non
possit intelligi si non ponatur alterum esse ; et sic dicitur quod esse non
potest intelligi sine vero, sicut etiam non potest intelligi sine hoc quod
est esse intelligibile. |
Soit de telle manière que
l’une ne peut être comprise si on ne pose pas que l’autre existe ; et
c’est ainsi qu’on dit que l’être ne peut être compris sans le vrai, tout
comme aussi il ne peut être compris sans que l’être soit intelligible. |
Sive ita quod quandocumque
intelligitur unum, intelligatur alterum ; sicut quicumque intelligit hominem
intelligit animal. Et hoc modo esse potest intelligi sine vero, sed non e
converso: quia verum non est in ratione entis, sed ens in ratione veri ;
sicut potest aliquis intelligere ens, et tamen non intelligit aliquid de
ratione intelligibilitatis ; sed nunquam potest intelligi intelligibile,
secundum hanc rationem, nisi intelligatur ens. Unde etiam patet quod ens est
prima conceptio intellectus. |
Soit de telle manière qu’à
chaque fois que l’un est compris, l’autre est compris ; tout comme
quiconque comprend l’homme comprend l’animal. Et en ce sens l’être peut être
compris sans le vrai, mais non inversement : car le vrai n’est pas
compris dans la notion de l’être, mais l’être est compris dans la notion du
vrai ; par exemple quelqu’un peut concevoir l’être sans cependant
concevoir quelque chose de la notion d’intelligibilité ; mais on ne peut
jamais concevoir l’intelligible, en tant qu’intelligible, sans concevoir
l’être. C’est pourquoi encore il est clair que l’être est la première
conception de l’intelligence. |
[1568] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verum addit supra ens, sicut
et bonum et unum. Nullum tamen eorum addit aliquam differentiam contrahentem
ens, sed rationem quae consequitur omne ens ; sicut unum addit rationem
indivisionis, et bonum rationem finis, et verum rationem ordinis ad
cognitionem ; et ideo haec quatuor convertuntur, ens, bonum, unum et verum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le vrai ajoute à l’être comme c’est le cas pour le bien et pour
l’un. Cependant, aucune de ces notions n’ajoute une différence qui limite
l’être, mais seulement une notion qui découle de l’être ; par exemple
l’un ajoute la notion d’indivision, et le bien la notion de fin, et le vrai
la notion de rapport à la connaissance ; et c’est pourquoi ces quatre
notions, à savoir l’être, le bien, l’uln et le vrai, se convertissent. |
[1569] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rectitudo dicitur de bonitate,
justitia et veritate, metaphorice, secundum diversas rationes. Invenitur enim
in recto quaedam aequalis proportio principii, medii et finis ; unde secundum
hoc quod aliquis in distribuendo vel communicando, mensuram aequalitatis
justitiae servat, vel mensuram praecepti legis, dicitur rectitudo justitiae ;
secundum autem quod aliquid non egreditur commensurationem finis, dicitur
rectitudo bonitatis ; secundum autem quod non egreditur ordinem
commensurationis rei et intellectus, dicitur rectitudo veritatis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la droiture se dit métaphoriquement de la bonté, de la justice et de
la vérité, selon différentes définitions. On retrouve en effet dans le droit
une proportion égale du commencement, du milieu et de la fin ; c’est
pourquoi, suivant ceci qu’on observe la mesure de l’égalité de la justice
dans la distribution et la communication, ou qu’on observe la mesure du
précepte de la loi, on dit de la droiture qu’elle est celle de la justice ;
mais selon que quelque chose n’outrepasse pas l’égalité de mesure de la fin,
on dit de la droiture qu’elle est celle du bien ; mais selon qu’elle
n’outrepasse pas l’ordre de l’égalité de mesure de la chose et de
l’intelligence, on dit de la droiture qu’elle est celle de la vérité. |
[1570] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum Avicennam tract.
II Metaph., cap. 1, de eo quod nullo modo est, non potest
aliquid enuntiari: ad minus enim oportet quod illud de quo aliquid
enuntiatur, sit apprehensum ; et ita habet aliquod esse ad minus in
intellectu apprehendente ; et ita constat quod semper veritati respondet
aliquod esse ; nec oportet quod semper respondeat sibi esse in re extra
animam, cum ratio veritatis compleatur in ratione animae. |
5. Il faut dire en
cinquième lieu que d’après Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1], on ne
peut rien énoncér au sujet de ce qui n’existe d’aucune manière ; il faut
en effet que cela même, au sujet de quoi on énonce quelque chose, soit
appréhendé ; et ainsi cela possède une certaine existence au moins dans
l’intellect de celui qui appréhende ; et ainsi il est clair qu’à la
vérité correspond toujours une certaine forme d’existence et il n’est pas
nécessaire que lui corresponde toujours une existence dans la réalité qui est
en dehors de l’âme, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans le
rapport à l’âme. |
[1571] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis esse sit in rebus
sensibilibus, tamen rationem essendi, vel intentionem entis, sensus non
apprehendit, sicut nec aliquam formam substantialem, nisi per accidens, sed
tantum accidentia sensibilia. Ita etiam quamvis veritas sit in rebus
sensibilibus, prout dicitur esse veritas in rebus, tamen intentio veritatis
solo intellectu percipitur. Vel dicendum, quod quamvis res sensibiles sensu
comprehendantur, tamen earum adaequatio ad intellectum sola mente capitur, et
pro tanto dicitur, quod veritas est sola mente perceptibilis. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que bien qu’il y ait de l’être dans les choses sensibles, cependant le
sens n’appréhende pas la notion d’être ou l’intention de l’être, tout comme
il n’appréhende pas la forme substantielle, si ce n’est pas accident, mais
seulement les accidents sensibles. De même encore, bien que la vérité soit
dans les choses sensibles, pour autant qu’on dise que la vérité est dans les
choses, cependant l’intention de vérité n’est perçue que par l’intelligence.
Ou bien il faut dire que bien que les choses sensibles soient saisies par le
sens, cependant leur adéquation à l’intelligence n’est saisie que par
l’esprit et c’est pour cela qu’on dit que la vérité n’est perceptible que par
l’esprit. |
[1572] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum sit duplex operatio
intellectus: una quarum dicitur a quibusdam imaginatio intellectus, quam
philosophus, III De anima, text. 21, nominat intelligentiam
indivisibilium, quae consistit in apprehensione quidditatis simplicis, quae
alio etiam nomine formatio dicitur ; alia est quam dicunt fidem, quae
consistit in compositione vel divisione propositionis: prima operatio
respicit quidditatem rei ; secunda respicit esse ipsius. |
7. Il faut dire en septième
lieu que puisqu’il y a deux opérations de l’intelligence : donc l’une
est appelée par certains l’imagination de l’intelligence, et que le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 21] appelle l’intelligence des
conceptions indivisibles qui consiste dans l’appréhension de la quiddité
simple qui est aussi appelée du nom de formation ; et l’autre qu’ils
appellent l’opinion, qui consiste en une composition ou une division de la
proposition, il résulte de là que la première opération se rapporte à la
quiddité de la chose alors que la deuxième se rapporte à son existence. |
Et quia ratio
veritatis fundatur in esse, et non in quidditate, ut dictum est, in corp.,
ideo veritas et falsitas proprie invenitur in secunda operatione, et in signo
ejus, quod est enuntiatio, et non in prima, vel signo ejus quod est
definitio, nisi secundum quid ; sicut etiam quidditatis esse est quoddam esse
rationis, et secundum istud esse dicitur veritas in prima operatione
intellectus: per quem etiam modum dicitur definitio vera. Sed huic veritati
non adjungitur falsitas per se, quia intellectus habet verum judicium de
proprio objecto, in quod naturaliter tendit, quod est quidditas rei, sicut et
visus de colore ; sed per accidens admiscetur falsitas, scilicet ratione
affirmationis vel negationis annexae, quod contingit dupliciter: a/ vel ex comparatione
definitionis ad definitum, et tunc dicitur definitio falsa respectu alicujus
et non simpliciter, sicut definitio circuli est falsa de triangulo ; b/ vel in respectu partium
definitionis ad invicem, in quibus implicatur impossibilis affirmatio ; sicut
definitio vacui, quod est locus in quo nullum corpus est ; et haec definitio
dicitur falsa simpliciter, ut in V Metaphys., Metaph., text.
34, dicitur. |
Et parce que la notion de
vérité se fonde dans l’existence et non dans la quiddité, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, c’est pourquoi la vérité et la
fausseté se retrouve proprement dans la deuxième opération et dans son signe
qui est l’énonciation, et non pas dans la première ou dans son signe qui est
la définition, si ce n’est d’une certaine manière ; tout comme encore
l’être de la quiddité est un certain être de raison, et c’est d’après cet
être qu’on dit de la vérité qu’elle est dans la première opération de
l’intelligence : et c’est aussi suivant cette modalité qu’on dit de la définition
qu’elle est vraie. Mais la fausseté ne se s’applique pas essentiellement à
cette vérité, car l’intelligence possède un jugement vrai sur son objet
propre vers lequel il tend naturellement et qui est la quiddité de la chose,
tout comme la vue porte un jugement vrai sur son objet propre qui est la
couleur ; mais c’est par accident que la fausseté se mêle à cette
vérité, c’est-à-dire en raison de l’affirmation ou de la négation qui s’y
rattache, ce qui ce produit de deux manières : a) soit par la comparaison de
la définition au défini, et alors la définition est dite fausse par rapport à
un défini et non fausse absolument, comme la définition du cercle est fausse
si on l’attribue au triangle. b) soit dans le rapport des
parties de la définition entre elles, dans lesquelles est impliquée une
affirmation impossible ; par exemple la définition du vide qui est le
lieu dans lequel n’existe aucun corps ; et on dit de cette définition
qu’elle est fausse absolument, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 34]. |
Sed hoc non contingit nisi
in quidditatibus compositorum: quia in quidditatibus rerum simplicium non
deficit intellectus nisi ex hoc quod omnino nihil intelligit, ut in IX Metaph.,
text. 22, dicitur. Secundae autem operationi admiscetur falsitas etiam per
se: non quidem quantum ad primas affirmationes quas naturaliter intellectus
cognoscit, ut sunt dignitates, sed quantum ad consequentes: quia rationem
inducendo contingit errare per applicationem unius ad aliud. Patet igitur ex
dictis, in corp. art., quod verum proprie loquendo, quod invenitur tantum in
complexis, non impedit conversionem veri et entis: quia quaelibet res
incomplexa habet esse suum, quod non accipitur ab intellectu nisi per modum
complexionis ; et ideo ipsa ratione quam addit verum supra ens, scilicet
ordinem ad intellectum, sequitur ista differentia, quod verum sit
complexorum, et ens dicatur de re extra animam incomplexa. |
Mais cela n’est possible que
pour les quiddités des êtres composés : car pour les quiddités des êtres
simples, l’intelligence n’est fautive que du faut qu’elle n’y comprend
absolument rien comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 22]. Mais c’est aussi par soi que la fausseté se même à la deuxième
opération : non pas certes quant aux premières affirmations que l’intelligence
connaît naturellement, à savoir les dignités, mais quant à ce qui en
découle : car il arrive à la raison de se tromper dans sa conduite en
appliquant les unes aux autres. Il est donc clair à partir de ce qui a été
dit dans le corps de l’article que le vrai à proprement parler qu’on retrouve
seulement dans le complexe n’empêche pas la conversion du vrai et de
l’être : car toute réalité incomplexe possède sa propre existence
qu’elle ne reçoit pas de l’intelligence si ce n’est à la manière d’un ajout ;
et c’est pourquoi, par la notion que le vrai ajoute à l’être, c’est-à-dire
l’ordre à l’intelligence, il s’ensuit cette différence que le vrai appartient
aux réalités complexes, et que l’être se dit de la réalité incomplexe en
dehors de l’âme. |
[1573] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod, sicut dictum est, in corp.
art., ens est prima conceptio intellectus ; unde enti non potest aliquid
opponi per modum contrarietatis vel privationis, sed solum per modum
negationis: quia sicut ipsum non fundatur in aliquo, ita nec oppositum suum:
opposita enim sunt circa idem. |
8. Il faut dire en dernier
lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, l’être est
la première conception de l’intelligence ; c’est pourquoi on ne peut
rien opposer à l’être par mode de contrariété ou de privation, mais seulement
par mode de négation : car tout comme lui-même ne se fonde par sur
quelque chose, il en est de même pour son opposé : les opposés en effet
se rapportent à un même sujet. |
Sed unum, verum et bonum,
secundum proprias intentiones, fundantur supra intentionem entis, et ideo
possunt habere oppositionem contrarietatis vel privationis fundatae super
ens, sicut et ipsa super ens fundantur. Unde patet quod non eodem modo se
habet verum et falsum et malum et bonum sicut ens et non ens, nisi accipiatur
non ens particulariter pro remotione alicujus cui substernitur aliquod ens.
Unde sicut quaelibet privatio entis particularis fundatur in bono, sic et
falsum fundatur in aliquo vero sicut in aliquo esse. Unde sicut illud in quo
est falsitas vel malitia, est aliquod ens, sed non est ens completum ; ita
etiam illud quod est malum vel falsum, est aliquod bonum vel verum
incompletum. |
Mais l’un, le vrai et le bien
, d’après leurs intentions propres, se fondent sur l’intention de l’être et
c’est pourquoi ces intentions peuvent avoir l’opposition de la contrariété ou
de la privation qui se fonde sur l’être, tout comme eux-mêmes se fondent sur
l’être. C’est pourquoi il est clair que le rapport du vrai au faux et du mal
au bien n’est pas le même que le rapport de l’être au non-être, à moins qu’on
ne prenne le non être non pas universellement mais particulièrement, pour
l’enlèvement de quelque chose sous lequel se tenait un être. C’est pourquoi,
tout comme toute privation d’un être particulier se fonde sur le bien, de
même le faux se fonde sur une certaine vérité comme sur un certain être.
C’est pourquoi tout comme ce en quoi se trouve la fausseté ou le mal est un
certain être mais non pas un être complet, de même encore ce qui est mal ou
faux est un certain bien ou une vérité incomplète. |
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Articulus 2 [1574] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 tit. Utrum omnia
sint vera veritate increata. |
Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ? |
[1575]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnia sint
vera una veritate quae est veritas increata. Sicut enim dictum est in
solutione praecedentis articuli, verum dicitur analogice de illis in quibus
est veritas, sicut sanitas de omnibus sanis. Sed una est sanitas numero a qua
denominatur animal sanum, sicut subjectum ejus, et medicina sana sicut causa
ejus, et urina sana sicut signum ejus. Ergo videtur quod
una sit veritas qua omnia dicuntur vera. |
Difficultés : 1. Il semble que tout soit
vrai d’une vérité qui est une vérité incréée. En effet, tout comme nous
l’avons dit dans le corps de l’article précédent, le vrai se dit d’une
manière analogue des choses dans lesquelles se trouve la vérité, tout comme
la santé de dit d’une manière analogue de tout ce qui est dit sain. Mais il
n’y a qu’une seule santé numériquement parlant par laquelle l’animal est dit
sain en tant que sujet de la santé, la médecine en tant que cause de la santé
et l’urine en tant que signe de la santé. Il semble donc qu’il
n’y ait qu’une seule vérité par laquelle toutes les choses sont
dites vraies. |
[1576] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis rectitudo attenditur per aliquam
mensuram. Sed veritas est rectitudo quaedam. Cum igitur videamus, omnibus
temporalibus respondere unum tempus quasi mensuram, videtur etiam quod
omnibus veris respondeat una veritas, secundum quam dicantur vera. |
2. Par ailleurs, toute
droiture se vérifie par une certaine mesure. Mais la vérité est une certaine
droiture. Donc, puisque nous voyons qu’à toutes les choses temporelles
correspond un seul temps comme mesure, il semble aussi qu’à toutes les choses
vraies corresponde une seule vérité d’après laquelle elles sont dites vraie. |
[1577] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut se habet bonitas ad bona, ita se
habet veritas ad vera. Sed omnia sunt bona una bonitate. Unde Augustinus,
lib. VIII de Trinit., c. III, col. 949 : Bonus
est homo, bona est facies,… bonum est hoc et illud. Tolle hoc et illud, et
videbis bonum omnis boni. Unde videtur quod sit una bonitas numero in
omnibus participata, secundum quam dicuntur bona. Ergo videtur quod
similiter omnia dicantur vera una veritate, quae est veritas increata. |
3. En outre, ce que la bonté
est aux choses bonnes, la vérité l’est aux choses vraies. Mais toutes les
choses sont bonnes par une seule et même bonté. C’est pourquoi Saint-Augustin
[ VIII De la Trinité, ch. 111, col. 949] dit : Bon
est l’homme et bon est son sapect, …bon est ceci et bon est cela. Enlève donc
ceci et cela, et tu verras le bien de tout bien. C’est pourquoi il semble
que ce soit par une seule et même bonté numérique participée dans tous les
êtres qu’on dise de ces derniers qu’ils sont bons. Il semble donc de la même
manière que ce soit par une seule et même vérité, qui est une vérité incréée,
que toutes les choses soient dites vaies. |
[1578] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 4 Si dicas quod omnia dicuntur vera
veritate increata exemplariter ; contra. Uniuscujusque formae
exemplar est in Deo, quod est creatrix essentia. Si igitur hoc sufficeret ut
omnia dicerentur vera veritate increata, quia exemplantur ab ipsa, videtur
quod similiter omnia possent dici colorata, quia exemplantur colore, qui est
in Deo exemplariter: quod est inconveniens. |
4. Si tu dis que toutes les
choses sont dites vraies d’une vérité incréée prise comme modèle, je dis par
contre que le modèle de toute forme est en Dieu, lequel est l’essence
créatrice. Si donc cela suffisait, pour dire que toutes les choses sont
vraies d’une vérité incréée, qu’elles soient copiées à partir de la vérité
incréée, il semblerait de la même manière quetoutes les choses pourraient
être dites colorées parce qu’elles sont copiées à partir de cette couleur qui
est en Dieu à titre de modèle : ce qui est faux. |
[1579] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 arg. 5 Contra, mala fieri est verum. Sed nullum
malum est a Deo. Ergo videtur quod non omnia vera sint vera veritate
increata. |
5. Cependant, il est vrai que
des maux se produisent. Mais aucun mal ne vient de Dieu. Il semble donc que
ce ne soient pas toutes les vérités qui soient vraies d’une vérité incréée. |
[1580]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut
dictum est, art. antec., ratio veritatis in duobus consistit: in esse rei, et
in apprehensione virtutis cognoscitivae proportionata ad esse rei. Utrumque autem horum
quamvis, ut dictum est, distin. 8, quaest. 1, art. 1, reducatur in Deum sicut
in causam efficientem et exemplarem ; nihilominus tamen quaelibet res
participat suum esse creatum, quo formaliter est, et unusquisque intellectus
participat lumen per quod recte de re judicat, quod quidem est exemplatum a
lumine increato. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
tout comme nous l’avons dit dans l’article précédent, que la notion de vérité
consiste en deux choses : dans l’existence de la chose, et dans
l’appréhension de la puissance cognitive qui est proportionnée à l’existence
de la chose. Mais bien que ces deux conditions, comme nous l’avons dit plus
tôt [dist. 8, quest. 1, art. 1] se ramènent à Dieu comme à leur cause
efficiente et exemplaire, néanmoins cependant toute chose participe de son
existence créée par laquelle elle existe formellement, et chaque intelligence
participe de la lumière par laquelle elle juge des choses avec rectitude,
laquelle lumière est certes comme une copie qui vient de la lumière incréée. |
Habet etiam intellectus
suam operationem in se, ex qua completur ratio veritatis. Unde dico, quod
sicut est unum esse divinum quo omnia sunt, sicut a principio effectivo
exemplari, nihilominus tamen in rebus diversis est diversum esse, quo
formaliter res est ; ita etiam est una veritas, scilicet divina, qua omnia
vera sunt, sicut principio effectivo exemplari ; nihilominus sunt plures
veritates in rebus creatis, quibus dicuntur verae formaliter. |
L’intelligence possède aussi
en elle-même son opération à partir de laquelle est achevée la notion de
vérité. C’est pourquoi je dis que tout comme il n’y a qu’une seule existence
divine par laquelle toutes les choses existent comme par leur principe
efficient et exemplaire, néanmoins cependant dans les différentes choses il y
a une existence différente par laquelle la chose existe formellement ;
de même encore il existe une vérité unique, à savoir la vérité divine, par
laquelle, comme par leur principe efficient et exemplaire, toutes les choses
sont vraies ; néanmoins il y a plusieurs vérités dans les choses créées
par lesquelles ces choses sont dites vraies formellement. |
[1581] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aliquid dicitur secundum
analogiam tripliciter: a) vel secundum intentionem
tantum, et non secundum esse ; et hoc est quando una intentio refertur ad
plura per prius et posterius, quae tamen non habet esse nisi in uno ; sicut
intentio sanitatis refertur ad animal, urinam et dietam diversimode, secundum
prius et posterius ; non tamen secundum diversum esse, quia esse sanitatis
non est nisi in animali. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on dit d’une attribution qu’elle est analogue de trois
façons : a) soit selon l’intention
seulement et non selon l’existence ; et cela a lieu quand une intention
se rapporte à plusieurs sujets selon l’avant et l’après, laquelle cependant
ne possède d’existence que dans un seul d’entre eux ; par exemple
l’intention de la santé se rapporte de manières différentes à l’animal, à
l’urine et à la diète, selon l’avant et l’après, mais non pas selon une
existence différente car l’existence de la santé ne se retrouve que dans
l’animal. |
b) Vel secundum esse et non
secundum intentionem ; et hoc contingit quando plura parificantur in
intentione alicujus communis, sed illud commune non habet esse unius rationis
in omnibus, sicut omnia corpora parificantur in intentione corporeitatis.
Unde logicus, qui considerat intentiones tantum, dicit, hoc nomen corpus de
omnibus corporibus univoce praedicari: sed esse hujus naturae non est ejusdem
rationis in corporibus corruptibilibus et incorruptibilibus. Unde quantum ad
metaphysicum et naturalem, qui considerant res secundum suum esse, nec hoc
nomen corpus, nec aliquid aliud dicitur univoce de corruptibilibus et
incorruptibilibus, ut patet X Metaphys., text. 5, ex philosopho
et Commentatore. |
b) Soit selon l’existence
mais non selon l’intention ; et cela se produit quand une multiplicité
de choses est rendue égale dans une intention commune, mais cet universel ne
possède pas l’existence d’une même définition dans tous les cas, comme tous
les corps qui sont rendus égaux dans l’intention de la corporéité. C’est
pourquoi le logicien, lequel considère seulement les intentions, dit que le
nom de corps s’attribue de manière univoque à tous les corps : mais
l’existence de cette nature n’appartient pas à une même notion dans les corps
corruptibles et dans ceux qui sont incorruptibles. C’est pourquoi, du point
de vue du métaphysicien et du naturaliste, qui considèrent les choses selon
leur existence, ni ce nom ni aucun autre ne se dit univoquement des corps
corruptibles et de ceux qui sont incorruptibles, ainsi qu’on le voit chez le
Philosophe [X Métaphysique, texte 5] et le Commentateur. |
c).Vel secundum intentionem
et secundum esse ; et hoc est quando neque parificatur in intentione communi,
neque in esse ; sicut ens dicitur de substantia et accidente ; et de talibus
oportet quod natura communis habeat aliquod esse in unoquoque eorum de quibus
dicitur, sed differens secundum rationem majoris vel minoris perfectionis. |
c) soit selon l’intention et
selon l’existence ; et cela a lieu quand il n’y a égalité ni dans une
intention commune, ni dans l’existence ; par exemple l’être se dit de la
substance et de l’accident ; et au sujet de tels sujets il faut que la
nature commune possède une certaine existence dans chacune de ceux auxquels
elle s’attribue, mais différente sous le rapport d’une plus grande ou d’une
plus petite perfection. |
Et similiter dico, quod
veritas et bonitas et omnia hujusmodi dicuntur analogice de Deo et creaturis.
Unde oportet quod secundum suum esse omnia haec in Deo sint, et in creaturis
secundum rationem majoris perfectionis et minoris ; ex quo sequitur, cum non
possint esse secundum unum esse utrobique, quod sint diversae veritates. |
Et de la même manière je dis
que la vérité et la bonté et tous les attributs de cette sorte s’attribuent à
Dieu et aux créatures de manière analogue. C’est pourquoi il faut que tous
ces attributs soient en Dieu selon leur existence, et dans les créatures sous
le rapport d’une plus grande ou plus petite perfection ; d’où il suit,
puisqu’ils ne peuvent exister d’après une seule et même existence dans les
deux cas, qu’ils sont des vérités différentes. |
[1582] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum veritas sit quaedam
rectitudo et commensuratio, oportet quod in ratione veritatis intelligatur
mensura, et sicut dictum est, in corp. art., oportet esse commensurationem
rei ad intellectum, ut compleatur ratio veritatis. Res autem diversimode se
habent ad diversos intellectus: quia intellectus divinus est causa rei ; unde
oportet quod res mensuretur per intellectum divinum, cum unumquodque
mensuretur per suum primum principium ; et ideo dicit Anselmus, De
verit., cap. VII, col. 475) quod res dicitur esse vera quando implet
hoc ad quod est ordinata in intellectu divino. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que puisque la vérité est une certaine droiture et une égalité de
mesure, il faut que dans la notion de vérité on entende une mesure et, comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article, il faut qu’il y ait une égalité
de mesure de la chose à l’intelligence, pour que la notion de vérité trouve
son achèvement. Mais les choses se rapportent différemment à des
intelligences différentes : ca l’intelligence divine est la cause des
choses ; c’est pourquoi il faut que les choses soient mesurées par
l’intelligence divine, puisque toute chose est mesurée par son premier
principe ; et c’est pourquoi Saint-Anselme [De la Vérité,
ch. VII, col. 475] dit qu’on dit de la chose qu’elle est vraie
quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’intelligence divine. |
Sed res se habent ad
intellectum nostrum sicut causa, inquantum scilicet intellectus accipit a
rebus ; et inde est quod scientia nostra non mensurat res, sed mensuratur ab
eis, ut dicitur X Metaphysic., text. 5. Non enim ita ideo est in
re, quia sic videtur nobis: sed magis quia ita est in re, verum est quod
videtur nobis. Sic ergo intellectus divinus est ut mensura prima, non
mensurata ; res autem est mensura secunda, mensurata ; intellectus autem
noster est mensuratus et non mensurans. Dico igitur, quod prima mensura
veritatis est una tantum ; sed mensurae secundae, scilicet ipsae res, sunt
plures ; unde sunt plures veritates. Et si non esset nisi una mensura
veritatis, adhuc non sequeretur quod esset tantum una veritas: quia veritas
non est mensura, sed commensuratio vel adaequatio ; et respectu unius
mensurae possunt esse diversae commensurationes in diversis. Unde non est
simile de tempore, quia tempus est ipsa mensura. |
Mais les choses se présentent
à notre intelligence comme une cause, c’est-à-dire pour autant que notre
intelligence reçoit des choses ; et c’est de là que notre science ne
mesure pas les choses, mais est plutôt mesurée par elles, comme le dit le
Philosophe [X Métaphysique, texte 5]. C’est pourquoi en effet il n’en est pas
ainsi dans les choses parce qu’il nous semble qu’il doive en être
ainsi : mais plutôt, c’est parce qu’il en est ainsi dans la chose que ce
qu’il nous semble est vrai. Ainsi donc l’intelligence divine est comme une
mesure première qui n’est pas mesurée ; mais la chose est comme une
mesure seconde qui est mesurée ; mais notre intelligence est mesurée et
ne mesure pas. Je dis donc qu’il n’y a qu’une seule mesure première de la
vérité ; mais les mesures secondes, c’est-à-dire les choses elles-mêmes,
sont multiples ; et c’est pourquoi il y a plusieurs vérités. Et s’il n’y
avait qu’une seule mesure de la vérité, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il
n’y aurait qu’une seule vérité : car la vérité n’est pas la mesure, mais
l’égalité de mesure ou l’adéquation ; et par rapport à une seule et même
mesure il peut y avoir différentes égalités de mesure dans différentes
choses. Et c’est pourquoi il n’en est pas de même pour le temps car le temps
est la mesure elle-même. |
[1583] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similiter dico de bonitate,
quod est una bonitas, qua sicut principio effectivo exemplari omnia sunt
bona. Sed tamen bonitas qua unumquodque formaliter est bonum, diversa est in
diversis. Sed quia bonitas universalis non invenitur in aliqua creatura, sed
particulata, et secundum aliquid ; ideo dicit Augustinus, quod si removeamus
omnes rationes particulationis ab ipsa bonitate, remanebit in intellectu
bonitas integra et plena, quae est bonitas divina, quae videtur in bonitate creata
sicut exemplar in exemplato. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que je dis la même chose au sujet de la bonté, à savoir qu’il n’y a
qu’une seule bonté par laquelle, comme par un principe efficient et
exemplaire, toutes les choses sont bonnes. Cependant la bonté par laquelle
chaque être est formellement bon, est différente dans différents sujets. Mais
parce que la bonté universelle ne se retrouve pas en tant que telle dans une
créature, mais seulement sous une forme particulière et partiellement, c’est
pourquoi Saint-Augustin dit que si nous enlevions tous les rapports
particuliers de la bonté elle-même, il demeurera dans l’intelligence une
bonté intacte et pleine qui est la bonté divine qui apparaît dans la bonté
créée comme le modèle apparaît dans son exemplaire. |
[1584] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exemplar rerum est in Deo
dupliciter. Vel quantum ad id quod est
in intellectu suo, et sic secundum ideas est exemplar intellectus divinus
omnium quae ab ipso sunt, sicut intellectus artificis per formam artis omnium
artificiatorum. Vel quantum ad id quod est
in natura sua, sicut ratione suae bonitatis qua est bonus, est exemplar omnis
bonitatis ; et similiter est de veritate. Unde patet quod non eodem modo Deus
est exemplar coloris et veritatis, et ideo objectio non procedit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le modèle des choses est en Dieu de deux manières. Soit quant à ce qui est dans
son intelligence et ainsi Dieu est le modèle, au moyen des Idées, de toutes
les choses qui viennent de Lui, comme l’intelligence de l’artiste est le
modèle de toutes les choses artificielles au moyen de la forme de l’art. Soit quant à ce qui est dans
sa nature, comme c’est en raison de sa bonté par laquelle il est bon qu’il
est le modèle de toute bonté ; et il en est de même pour la vérité.
C’est pourquoi il est évident que ce n’est pas de la même manière que Dieu
est le modèle de la couleur et de la vérité, et c’est pourquoi l’objection ne
tient pas. |
[1585] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 2 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod quamvis malum non sit bonum,
nec sit a Deo, nihilominus intelligere malum bonum est, et a Deo est ; et
ideo veritas quae consistit in commensuratione intellectus ad privationem
existentem extra animam, bona est, et a Deo ; et ideo dicit Ambrosius, sup.
XII cap. I ad Cor., V, 3, col. 258) quod omne verum, a
quocumque dicatur, a Spiritu sancto est. |
5. Il faut dire finalement
que bien que le mal ne soit pas le bien et qu’il ne vienne pas de Dieu,
néanmoins, comprendre le mal est un bien et cela vient de Dieu ; et
c’est pourquoi la vérité qui consiste en une égalité de mesure de
l’intelligence à l’égard de la privation qui existe en dehors de l’âme est un
bien et vient de Dieu ; et c’est pourquoi Saint-Ambroise [Sur la Première
Épître aux Corinthiens, ch. XII, v. 3, col. 258] dit que toute vérité,
peu importe qui la dise, vient de l’Esprit-Saint. |
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Articulus 3 [1586] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 tit. Utrum sint plures veritates aeternae |
Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ? |
[1587]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sint plures
veritates aeternae. Sicut enim patet ex dictis, diversarum propositionum
diversae sunt veritates. Sed: Pater est Deus, Filius est Deus, sunt duae
propositiones. Ergo et sunt duae veritates. Sed utrumque istorum ab aeterno
est verum. Ergo plures veritates sunt aeternae. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait
plusieurs vérités éternelles. Ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été
dit, il y a différentes vérités pour différentes propositions. Mais ¨le
Père est Dieu¨ et ¨le Fils est Dieu¨ sont deux propositions. Il s’agit donc
là de deux vérités. Mais chacune d’elles est vraie de toute éternité. Il y a
donc plusieurs vérités éternelles. |
[1588] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnia quaecumque fuerunt, sunt et erunt,
Deus ab aeterno praescivit, quae constat quod plura sunt. Sed Deus non
praescivit nisi verum. Ergo plura vera sunt ab aeterno. |
2. Par ailleurs, toutes les
choses qui ont existé, existent et existeront, Dieu l’a connu à l’avance de
toute éternité, dont il est clair qu’elles sont nombreuses. Mais Dieu ne
prévoit que le vrai. Il y a donc plusieurs vérités qui sont vraies de toute
éternité. |
[1589] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 3 Item, Augustinus, De immort. Animae, cap.
II, col. 1029, probat animam esse immortalem per hoc quod est subjectum
veritatis, quae est aeterna. Sed constat quod veritas quae est in intellectu
nostro sicut in subjecto, non est veritas divina per essentiam. Ergo videtur
quod plures veritates sint aeternae. Quod autem
veritas sit aeterna, sic probatur. Omne illud ad cujus remotionem sequitur
positio ejus, est aeternum. Sed si negatur veritas esse, ponitur
esse. Ergo veritas est aeterna. Probatio mediae. Si veritas non est,
veritatem esse est falsum. Sed si affirmatio est falsa, negatio est vera.
Ergo veritatem non esse erit verum. Sed non est verum nisi aliqua veritate.
Ergo aliqua veritas est. |
3. En outre, Saint-Augustin [De
l’Immortalité de l’Âme, ch. 11, col. 1029] prouve que l’âme est
immortelle par ceci qu’elle est le sujet de la vérité qui est éternelle. Mais
il est clair que la vérité qui est dans notre intelligence comme dans un
sujet n’est pas essentiellement la vérité divine. Il semble donc que
plusieurs vérités soient éternelles. Mais que la vérité soit éternelle, il le
prouve de la manière suivante. Tout ce dont la négation est suivie de sa
position est éternel. Mais si on nie que la vérité existe, on se trouve à poser
qu’elle existe. Donc la vérité est éternelle. Preuve de la mineure.
Si la vérité n’existe pas, il est faux que la vérité existe. Mais si
l’affirmation est fausse, la négation est vraie. Donc, il sera vrai que la
vérité n’existe pas. Mais cela n’est vrai que grâce à une certaine vérité.
Donc il existe certaines vérités. |
[1590] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non potest intelligi non esse,
est aeternum: quia quidquid potest non esse, potest intelligi non esse. Sed
veritas non potest intelligi non esse, quia quidquid intelligitur,
intelligitur per judicium veritatis. Ergo videtur quod veritas quae est in
intellectu, sit aeterna et immutabilis. |
4. De plus, ce dont on ne
peut comprendre qu’il n’existe pas, cela est éternel : car tout ce qui
peut ne pas exister, peut êre conçu comme n’existant pas. Mais la vérité ne
peut être conçue comme n’existant pas car tout ce qui est conçu, est conçu
par un jugement de la vérité. Il semble donc que la vérité qui est dans
l’intelligence soit éternelle et immuable. |
[1591] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, idem videtur de veritate enunciationis. Si
enim veritas enuntiationis mutetur vel destruatur, hoc erit vel per
destructionem signi vel per destructionem rei. Sed neutro modo
destruitur vel mutatur. Ergo veritas enuntiationis est immutabilis et
aeterna. Probatio mediae. Non existente signo, rectum est rem
signari. Sed veritas est rectitudo, et veritas signi est rectitudo
significationis. Ergo si non sit enuntiatio, vel quodcumque signum veritatis,
adhuc remanebit veritas signi. Similiter probatur, quod non mutetur ex
mutatione rei ; quia ut dictum est, art. 1 istius quaest., ad secundum,
unumquodque habet veritatem quando implet id ad quod est ordinatum in mente
divina. Sed cessante cursu Socratis, adhuc ista enuntiatio, Socrates currit,
facit id ad quod ordinata est in mente divina, quia significat Socratem
currere. Ergo videtur quod destructa vel mutata re, non mutatur neque
destruitur veritas signi. |
5. Par ailleurs, il semble en
être de même pour la vérité de l’énonciation. Si en effet la vérité de
l’énonciation était changée ou détruite, cela aurait lieu soit par la
destruction du signe, soit par la destruction de la chose. Mais elle n’est
changée ou détruite d’aucune de ces deux manières. Donc la vérité de
l’énonciation est éternelle et immuable. Preuve de la mineure. Le
signe n’existant pas, la chose est encore signalée directement, en ligne
droite. Mais la vérité est une droiture, et la vérité du signe est une
droiture de la signification. Donc s’il n’y avait pas d’énonciation ou
quelque signe de la vérité, la vérité du signe demeurerait encore. On prouve
également que la vérité de l’énonciation n’est pas changée par un changement
de la chose ; car, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 19,
quest. 5, art. 1, solut. 2], chacun possède la vérité quand il accomplit ce à
quoi il est ordonné dans l’intelligence divine. Mais une fois terminée la
course de Socrate, cette énonciation, à savoir Socrate court, fait encore ce
à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin, car elle signifie encore que
Socrate court. Il semble donc qu’une fois la chose détruite ou changée, la
vérité du signe n’est ni changée ni détruite. |
[1592] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, idem videtur de veritate quae est in re:
quia, ut dicit Augustinus, II Solil., c. XV, col. 898,
pereunte vero, non perit veritas. Sed veritas rei non posset destrui vel
mutari nisi per mutationem rei. Ergo videtur quod nullo modo pereat. |
6. Par ailleurs, il semble en
être de même au sujet de la vérité qui est dans la chose : car, comme le
dit Saint-Augustin [11 Soliloques, ch. XV, col. 898], ce qui est
vrai ayant péri, la vérité ne périt pas. Mais la vérité de la chose ne peut
être détruite ou altérée que par un changement dans la chose. Il semble donc
qu’elle ne puisse périr d’aucune manière. |
[1593] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 arg. 7 Item, Omne totum est majus sua parte, est
quaedam veritas, quae nullo modo videtur mutabilis, et similiter multa
hujusmodi. Ergo videtur quod sint plures veritates aeternae immutabiles. |
7. En outre, Tout
tout est plus grand que sa partieest une certaine vérité qui ne semble
pouvoir changer en aucune manière, et il y en a encore plusieurs de cette
sorte. Il semble donc qu’il y ait plusieurs vérités éternelles immuables. |
[1594] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 s. c. 1 Contra, Augustinus, De natura boni, cap.
1, col. 551s., dicit, quod vera aeternitas et sola immutabilitas in Deo est.
Sed veritas Dei est una tantum, sicut et essentia. Ergo videtur quod sit una
tantum veritas aeterna et immutabilis. |
Cependant : 1. Par contre, Saint-Augustin
[De la Nature du Bien, ch. 1, col. 551s.] dit que la véritable
éternité et l’unique immutabilité n’existent qu’en Dieu. Mais il n’y a qu’une
seule vérité de Dieu, tout comme il n’y a qu’une seule essence de Dieu. Il
semble donc qu’il n’y ait qu’une seule vérité éternelle et immuable. |
[1595]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod est una tantum veritas aeterna, scilicet veritas divina. Cum enim ratio veritatis in
actione compleatur intellectus, et fundamentum habeat ipsum esse rei ;
judicium de veritate sequitur judicium de esse rei et de intellectu. Unde
sicut esse unum tantum est aeternum, scilicet divinum, ita una tantum
veritas. Similiter de mutabilitate veritatis idem dicendum est quod de
mutabilitate essendi ; ut enim supra dictum est, art. antec., simpliciter
immutabile non est nisi esse divinum ; unde simpliciter immutabilis veritas
non est nisi una, scilicet divina. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a qu’une seule vérité éternelle, à savoir la vérité divine. En
effet, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans l’opération de
l’intelligence et qu’elle trouve son fondement dans l’existence même de la
chose, le jugement sur la vérité découle du jugement sur l’existence de la
chose et sur l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme une seule existence
est éternelle, à savoir l’existence divine, de même il n’y a qu’une seule
vérité. Et il faut parler également du changement dans la vérité de la même
manière qu’on parle du changement dans l’existence ; en effet, comme
nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, il n’y a que l’existence
divine qui soit absolument immuable et c’est pourquoi il n’y a qu’une seule
vérité absolument immuable, à savoir la vérité divine. |
Esse autem aliarum
rerum quarumdam dicitur mutabile mutatione variabilitatis, sicut est in
contingentibus ; et horum etiam veritas mutabilis est et contingens.
Quorumdam vero esse est mutabile solum secundum vertibilitatem in nihil, si
sibi relinqueretur ; et horum veritas similiter mutabilis est per
vertibilitatem in nihil, si sibi relinqueretur. |
Mais on dit de l’existence de
certaines autres choses qu’elle peut changer par un changement de variation,
par exemple dans les choses contingentes ; et la vérité de ces choses
est changeante et contingente. Mais l’existence de certains êtres est
changeante seulement par un retour au néant, si elle était abandonnée à
elle-même ; et de la même manière la vérité de ces êtres est changeante
par un retour au néant si elle était abandonnée à elle-même. |
Unde
patet quod nulla veritas est necessaria in creaturis. Similiter etiam si loquaris
de veritate secundum quod ratio ejus completur in ratione intellectus, patet
quod nullus intellectus est aeternus et invariabilis ex natura sua, nisi
intellectus divinus. Ex quo etiam patet quod sola veritas una quae in Deo
est, et quae Deus est, est aeterna et immutabilis. |
D’où il est clair que dans
les créatures aucune vérité n’est nécessaire. De la même manière encore si tu
parles de la vérité selon que sa notion est achevée dans son rapport à
l’intelligence, il est clair qu’aucune intelligence, sauf l’intelligence
divine, n’est éternelle et invariable de par sa nature même. D’où il est
aussi évident que seule la vérité unique qui est en Dieu, et qui est Dieu,
est éternelle et immuable. |
[1596] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut trium personarum una
est essentia, qua quaelibet habet esse, quamvis sint plures proprietates
quibus distinguuntur (quae tamen omnes non differunt secundum rem ab
essentia), ita etiam est una veritas trium personarum ex parte ipsius rei, de
qua fit enuntiatio. Sed quod sint enuntiationes plures verae, est per
intellectum nostrum. Unde veritas quae est in istis enuntiationibus, qua
formaliter verae sunt, vel quae est in intellectu nostro, non est aeterna,
sicut nec propositiones, nec intellectus noster aeternus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que tout comme il n’y a qu’une seule essence pour les trois personnes et
par laquelle chacune possède l’existence, bien qu’il y ait plusieurs
propriétés (et cependant aucune ne diffère réellement de l’essence) par lesquelles
elles se distinguent l’une de l’autre, de même encore il n’y a qu’une vérité
pour les trois personnes, du côté de la réalité elle-même, au sujet de
laquelle il y a énonciation. Mais qu’il y ait plusieurs énonciations qui
soient vraies, cela est le fait de notre intelligence. C’est pourquoi la
vérité qui est dans ces énonciations, par laquelle elles sont formellement
vraies, ou qui est dans notre intelligence, n’est pas éternelle, comme ne le
sont pas non plus nos propositions ni notre intelligence. |
[1597] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationes ideales rerum, quae
sunt in Deo ab aeterno, non sunt aliud secundum rem ab ipso intellectu et
essentia divina. Unde sicut veritas essentiae est una secundum rem, ita etiam
veritas omnium illarum rationum ; et non multiplicatur, nisi secundum
respectum ad diversas res. Unde ex hoc non probatur quod sint plures
veritates ab aeterno, sed solum hoc quod sit una veritas plurium secundum
rationem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les notions idéales des choses, qui sont en Dieu de toute éternité,
ne sont rien d’autre en réalité que l’intelligence même de Dieu et son
essence divine. C’est pourquoi, tout comme il n’y a en réalité qu’une seule
vérité de l’essence, de même encore il n’y a qu’une seule vérité pour toutes
ces notions ; et elle ne se multiplie que par rapport aux choses
différentes. C’est pourquoi à partir de là on ne prouve pas qu’il y ait
plusieurs vérités éternelles, mais seulement qu’il n’y a, selon la raison,
qu’une seule vérité pour plusieurs notions. |
[1598] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si anima non esset, nec
aliquis intellectus creatus, veritas, secundum quod consistit in operatione
animae, non esset. Posset tamen remanere, secundum quod fundamentum habet in
re. Remaneret etiam intentio veritatis intellecta in Deo. Unde cum anima non
sit aeterna, nec aliquis intellectus creatus, antequam haec essent, nulla
veritas creata erat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que si l’âme n’existait pas, ni aucune intelligence créée, la vérité,
selon qu’elle consiste dans l’opération de l’âme, n’existerait pas. Elle
pourrait cependant demeurer selon qu’elle trouve son fondement dans la
réalité. Et l’intention de la vérité comprise en Dieu demeurerait aussi.
C’est pourquoi, puisque l’âme, comme c’est le cas aussi pour toute
intelligence créée, n’est pas éternelle, avant que ces intelligences
existent, aucune vérité créée n’existait. |
Et si objicitur: veritas
non est ; ergo veritatem esse est falsum, quantum ad illud tempus in quo non
erat veritas creata: dico quod non sequitur: quia quando non est veritas, nec
etiam falsitas est. Hoc autem quod non sit veritas vel falsitas, non est ex
defectu veritatis vel falsitatis quantum ad intentiones ipsarum, sed ex
defectu eorum in quibus veritas habet esse. Sicut enim dicimus de
universalibus, quod [quae Éd. de Parme] sunt incorruptibilia et
aeterna, quia non corrumpuntur nisi per accidens, scilicet quantum ad esse
quod habent in alio, quod potest non esse ; ita etiam est de veritate et
falsitate, quod consideratae secundum intentiones suas, non accidit eis
corruptio per se, sed solum secundum esse quod habent in alio: et ex hoc
procedit probatio Augustini ; quia omnis virtus quae apprehendit rationem intentionis
alicujus, oportet quod sit virtus non obligata ad corpus, nec dependens a
corpore, eo quod virtutes apprehensivae quae sunt impressae in organis
corporalibus, ut patet in sensibus, non apprehendunt intentionem rationis, ut
rationem hominis vel coloris, sed tantum apprehendunt hujusmodi, secundum
quod sunt particulata. |
Et si on objecte que la
vérité n’existe pas ; il est donc faux que la vérité existe quant à ce
temps dans lequel la vérité créée n’existait pas ; je dis que cette
conclusion ne suit pas : car quand la vérité n’existe pas, il n’y a pas
non plus de fausseté. Mais qu’il n’y ait pas de vérité ni de fausseté, cela
ne provient pas d’un défaut de vérité ou de fausseté quant à leurs intentions
elles-mêmes, mais d’un défaut de ceux dans lesquels la vérité a l’existence.
En effet, tout comme nous disons au sujet des universels qu’ils [qui Éd.
de Parme] sont incorruptibles et éternels parce qu’ils ne se corrompent
que par accident, c’est-à-dire par rapport à l’existence qu’ils ont dans un
autre, lequel peut ne pas exister ; il en est encore de même pour la
vérité et la fausseté qui, considérées d’après leurs intentions, ne sont pas
atteintes essentiellement par la corruption, mais seulement quant à
l’existence qu’elles ont dans un autre : et c’est de là que procède la
preuve de Saint-Augustin : car toute puissance qui appréhende la notion
d’une intention doit être une puissance qui n’est pas liée au corps et qui ne
dépend pas du corps, du fait que les puissances d’appréhension qui sont
imprimées dans des organes corporels, comme on le voit pour les sens,
n’appréhendent pas l’intention de la notion, comme la notion de l’homme ou
celle de la couleur, mais elles n’appréhendent ces sortes de choses que selon
qu’elles sont particulières. |
Virtus autem quae non
dependet a corpore, est incorruptibilis ; et ita probatur quod anima
intellectiva est immortalis ex eo quod apprehendit veritatem. Virtutes enim
sensitivae quamvis sint verae in suis apprehensionibus, non tamen
apprehendunt rationem suae veritatis, sicut facit intellectus. |
Mais la puissance qui ne
dépend pas du corps est incorruptible ; et c’est ainsi qu’il prouve que
l’âme intellectuelle est immortelle du fait qu’elle appréhende la vérité. Les
puissances sensitives en effet, bien qu’elles soient vraies dans leurs
appréhensions, n’appréhendent cependant pas la notion de leur vérité comme le
fait l’intelligence. |
[1600] Super Sent.,
lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod utroque modo veritas
enuntiationis potest mutari ; si enim nulla enuntiatio esset, veritas
enuntiationis non esset. Et ad id quod objicitur, quod adhuc rectum esset rem
significari, dicimus, quod verum est ; sed tamen illa rectitudo nihil est
aliud quam signabilitas rei ; et hoc non ponit veritatem signi in actu, sed
tantum in potentia. Similiter etiam quando mutatur res, mutatur veritas
enuntiationis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la vérité de l’énonciation peut être changée des deux
manières ; si en effet il n’y avait aucune énonciation, il n’y aurait
pas de vérité de l’énonciation. Et par rapport à ce qui est objecté, à savoir
que la chose serait encore signalée directement, en ligne droite, nous disons
que cela est vrai ; cependant cette droiture n’est rien d’autre que
l’aptitude de la chose à être signifiée ; et cela ne pose pas en acte la
vérité du signe, mais seulement en puissance. De la même manière encore,
quand la chose est changée, la vérité de l’énonciation est changée. |
Unde,
secundum philosophum, in Praed., cap. « De substantia in
sexta proprietate », eadem propositio quandoque potest esse vera et
quandoque falsa. Et ad id, quod ulterius objicitur quod implet illud ad quod
ordinatum est in mente divina dicendum, quod enuntiatio potest dupliciter
considerari: vel ut res quaedam, et sic
est in ipsa veritas rei, sicut in qualibet re, quando implet illud ad quod
ordinata est in mente divina ; et talis veritas manet in ipsa etiam mutata re
; vel ut signum talis rei, et
sic veritas ejus est per adaequationem ad rem illam. Mutata autem re,
tollitur adaequatio signi ad signatum, sine aliqua mutatione ipsius signi ;
quod manifestum est in relationibus posse contingere ; unde veritas
enuntiationis non manet. |
C’est pourquoi d’après le
Philosophe [Les Prédicaments, ch. : ¨De la substance dans la
sixième propriété¨ la même proposition peut parfois être vraie
et parfois fausse. Et à l’égard de ce qui est objecté par la suite, à savoir
que chaque chose possède la vérité quand elle accomplit ce à quoi elle est
ordonnée dans l’intelligence divine, il faut dire que l’énonciation peut être
considérée de deux manières : soit comme une certaine chose, et ainsi il
y a en elle la vérité de la chose, comme en toute chose, quand elle accomplit
ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin ; et une telle vérité
demeure en elle-même une fois que la chose a changé ; soit comme le signe de cette
chose, et ainsi sa vérité existe par l’adéquation à cette chose. Mais la
chose ayant changé, l’adéquation du signe au signifié disparaît sans aucun
changement du signe lui-même ; et il est manifeste que cela peut se
produire dans les relations ; c’est pourquoi la vérité de l’énonciation
ne demeure pas. |
[1601] Super Sent., lib. 1
d. 19 q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pereunte re vera, perit veritas
quantum ad illud esse quod habet in re illa. Sed tamen potest remanere
intentio veritatis secundum esse quod habet in alia re, vel secundum esse
quod habet in anima. Quae omnia si auferantur, non remanebit veritas nisi in
Deo. Nec ille defectus accidit veritati per se, sed per
accidens, ut dictum est, in Resp. ad 3 ; quia, secundum philosophum, in Praed.,
cap. « de
substantia », destructis primis substantiis, impossibile est aliquod
ceterorum remanere ; quamvis universalia sint per se incorruptibilia. |
6. ll faut dire en sixième
lieu que la chose vraie ayant péri, la vérité périt quant à cette existence
qu’elle possède dans cette chose. Cependant l’intention de la vérité peut
demeurer selon l’existence qu’elle possède dans une autre chose ou selon
l’existence qu’elle possède dans l’âme. Mais si on enlève toutes ces
existences, la vérité ne demeurera plus qu’en Dieu. Et ce
défaut ne survient pas à la vérité en elle-même, essentiellement,
mais par accident, ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à la troisième
difficulté ; car, d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. ¨Sur
la Substance¨, une fois détruites les substances premières, il est
impossible que demeure quelque chose d’autre, bien que les universels soient
essentiellement incorruptibles. |
[1602]
Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum similiter, quod
veritas propositorum necessariorum potest deficere per accidens quantum ad
esse quod habet in anima vel in rebus si res illae deficerent: tunc enim non
remanerent istae veritates nisi in Deo, in quo sunt una et eadem veritas. |
7. Il
faut également dire en septième lieu que la vérité des propositions
nécessaires peut s’éteindre accidentellement quant à l’existence qu’elle
possède dans l’âme ou dans les choses si ces choses elles-mêmes s’éteignent:
alors en effet ces vérités ne demeureraient plus qu’en Dieu, en qui elles ne
sont plus qu’une seule et même vérité. |
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Distinctio 20 |
Distinction 20 – [La puissance du Fils] |
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Lib. 1 d. 20 q. 1 pr. Hic quaeruntur tria: 1 an Filius sit
omnipotens ; 2 an sit aequalis
patri in omnipotentia ; 3 utrum sit aliquis ordo inter patrem et Filium. |
On se pose ici trois
questions : 1. Est-ce que le Fils est
tout-puissant ? 2. Est-ce que sa
toute-puissance est égale à celle du Père ? 3. Est-ce qu’il y a un ordre
entre le Père et le Fils ? |
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Quaestio 1 |
Question unique : [La puissance du Fils] |
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Articulus 1 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 tit. Utrum Filius
sit omnipotens. |
Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ? |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod Filius non sit omnipotens. Potentia enim, ut dictum est,
dist. 7, qu. 1, art. 1, dicitur secundum virtutem ad opus. Sed aliqua
operatio est quae pertinet ad omnipotentiam Patris, in quam non potest
Filius, scilicet generatio activa ; non enim Filius potest generare, ut
supra, dist. 7, qu. 2, art. 2,
habitum est. Ergo videtur quod non sit omnipotens. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas tout-puissant. La puissance en effet, ainsi que nous l’avons dit
[dist. 7, quest. 1, art. 1], se dit d’après une capacité à une opération.
Mais il y a une certaine opération qui appartient à la toute-puissance de
Dieu, à savoir la génération active, et pour laquelle le Fils ne possède
aucune capacité ; le Fils en effet ne peut engendrer, comme nous l’avons
établi plus tôt [dist. 7, quest. 2, art. 2]. Il semble donc que le Fils ne
soit pas tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg.2 Praeterea,
Deus dicitur omnipotens, quia omnia potest, quod simpliciter possibile est.
Sed maximum posse Patris ostenditur in generatione Filii ; majus enim est
generare Filium in infinitum quam creare caelum et terram. Cum igitur istud
posse Filio detrahatur, videtur quod non sit omnipotens. |
2. Par ailleurs, Dieu est dit
tout-puissant parce qu’il peut absolument tout ce qui est possible. Mais la
puissance extrême du Père se manifeste dans la génération du fils ; il
est en effet plus grand d’engendrer le Fils à l’infini que de créer le Ciel
et la Terre. Donc, puisque ce pouvoir est absent du Fils, il semble qu’il ne
soit pas tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas,
quod posse generare non est aliquid, sed ad aliquid, et ita quamvis Filius
non possit generare, non tamen sequitur quod non possit omnia ; contra. Cum dico omnia, includo
universaliter omnia entia. Sed relativa continentur in entibus. Ergo videtur quod distributio etiam fiat pro relativis. |
3. Mais si tu dis que
le pouvoir d’engendrer n’est pas un absolu mais un relatif et que bien que le
Fils ne puisse engendrer, cependant il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse pas
tout, par contre, quand je dis tout, j’inclus universellement
tous les êtres. Mais les relatifs sont contenus dans les êtres. Il semble que
la distribution se produit aussi pour les relatifs. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 4 Si dicas,
quod intelligitur respectu omnium creatorum, et non respectu eorum quae in
Deo sunt ; contra. Secundum hoc ratio Augustini in Littera posita
nihil valeret. Arguit enim, quod si Pater non potuit generare Filium aequalem
sibi, non fuit omnipotens. Ergo videtur quod omnipotentia Patris etiam ad
generationem Filii se extendat. Sed Filius non potest generare. Ergo non
habet omnipotentiam. |
4. Si tu dis que
cela s’entend par rappor à toutes les créatures, et non par rapport à ce qui
est en Dieu, je dis par contre ceci : suivant cela,
l’argument de Saint-Augustin présenté dans le document ne
vaudrait rien. Il argumente en effet ainsi : si le Père n’avait pu
engendrer un Fils égal à Lui, il n’aurait pas étét tout-puissant. Il semble
donc que la toute-puissance du Père s’applique aussi à la génération du Fils.
Mais le Fils ne peut engendrer. Il ne possède donc pas la toute-puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium est quod
in symbolo dicitur: Omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens
Spiritus sanctus. |
Cependant : 1. On dit le contraire dans
le Symbole : Père tout-puissant, Fils tout-puissant,
Esprit-Saint tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
sine omni dubio concedendum est, Filium Dei omnipotentem esse, sicut et
Pater: et tamen dicimus quod Filius non potest generare. Unde ad intellectum
hujus videndum est, quod Deus dicitur omnipotens, quia omnia potest, et
quidquid est aliquid vel ens, potest Deus. Sed notandum, quod relatio alio
modo dicitur esse aliquid quam alia entia. In aliis enim entibus unumquodque
dicitur dupliciter esse: et quantum ad esse suum, et quantum ad rationem
quidditatis suae ; sicut sapientia secundum esse suum aliquid ponit in
subjecto, et similiter secundum rationem suam ponit naturam quamdam in genere
qualitatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il faut concéder sans aucun doute que le Fils de Dieu est tout-puissant
comme le Père : et cependant nous disons qu’il ne peut engendrer. C’est
pourquoi, pour comprendre cela, il faut voir qu’on dit de Dieu qu’il est tout-puissant
parce qu’il peut tout, et tout ce qui est quelque chose ou de l’être, Dieu le
peut. Mais il faut remarquer que c’est d’une autre manière que pour les
autres êtres qu’on dit de la relation qu’elle est quelque chose. Pour les
autres êtres en effet on dit de chaque chose qu’elle existe de deux
manières : soit quant à son existence, soit quant à la définition de sa
quiddité ; par exemple la sagesse quant à son existence pose quelque
chose dans un sujet et de la même manière quant à sa définition elle pose une
certaine nature dans le genre de la qualité. |
Sed relatio est aliquid secundum esse suum quod habet
in subjecto ; sed secundum rationem suam non habet quod sit aliquid, sed
solum quod ad aliud referatur ; unde secundum rationem suam non ponit aliquid
in subjecto: propter quod Boetius dicit quod relativa nihil praedicant de eo
de quo dicuntur. Inde etiam est quod invenitur aliquid relatum in quo est
tantum relatio rationis, et non ponitur ibi aliquid secundum rem, sicut cum
scibile refertur ad scientiam. |
Mais la relation est quelque
chose selon l’existence qu’elle possède dans un sujet ; mais quant à sa
définition elle ne tient pas d’être quelque chose mais seulement d’être
rapportée à quelque chose d’autre ; de là, d’après sa définition, elle ne
pose pas quelque chose dans un sujet : c’est pour cette raison que Boèce
dit que les relatifs n’attribuent rien à ce à quoi ils s’attribuent. Il
résulte encore de là qu’il se trouve du relatif dans lesquel il n’y a qu’une
relation de raison et dans lequel rien n’est posé dans la réalité, comme
lorsque l’objet de science est mis en rapport avec la science. |
Et hoc est verum tam in relationibus quae de Deo
dicuntur quam de illis quae in creaturis sunt ; sed diversimode ; quia
relatio quae habet esse in creatura, habet aliud esse quam sit esse sui
subjecti ; unde est aliquid aliud a suo subjecto: sed in Deo nihil est quod
habeat esse aliud ab ipso: esse enim sapientiae est ipsum esse divinum et non
superadditum, et similiter esse paternitatis. Unde relatio, quantum ad esse
suum, secundum quem solum modum debetur ei quod ponat aliquid, est essentia
divina ; sed secundum rationem suam, per quam habet distinguere unam personam
ab alia, non debetur ei quod dicat aliquid, sed potius ad aliquid. Unde
quamvis pater habeat paternitatem quam Filius non habet, et paternitas sit
aliquid, non tamen Pater habet aliquid quod Filius non habeat. |
Et cela est vrai tant pour
les relations qui se disent de Dieu que pour celles qui existent dans les
créatures, mais différemment ; car la relation qui a son existence dans
la créature possède une existence autre que celle de son sujet ; c’est
pourquoi elle est quelque chose d’autre que son sujet. Mais en Dieu il n’y a
rien qui possède une existence qui se distingue de Lui : en effet, en Lui,
l’existence de la sagesse est l’existence même de Dieu et non quelque chose
d’ajouté, et il en est de même de la paternité. C’est pourquoi la relation,
quant à son existence, seule modalité selon laquelle il lui revient de poser
quelque chose, est l’essence divine elle-même ; mais selon sa
définition, par laquelle elle doit distinguer une personne d’une autre, il ne
lui revient pas de dire quelque chose, mais plutôt une relation. C’est
pourquoi, bien que le Père possède la paternité que le Fils ne possède pas et
que la paternité soit quelque chose, cependant le Père ne possède pas quelque
chose que le Fils ne possède pas. |
Sicut: paternitas est essentia ; Filius non habet
paternitatem ; ideo tamen non sequitur quod Pater essentiam aliquam habeat
qua careat Filius. Si autem Pater haberet sapientiam et non Filius, haberet
aliquid Pater quod non haberet Filius ; quia sapientia dicit aliquid in
sapiente etiam secundum rationem suam. Similiter dico, quod cum generare in
divinis sit relatio quaedam, et sit aliquid, quamvis Pater possit generare,
et non Filius, non sequitur quod possit aliquid pater quod non possit Filius
; sed bene sequeretur, si Pater posset intelligere, et non Filius, quod Pater
posset aliquid quod non posset Filius: sicut Pater est Pater, et esse Patrem
est aliquid esse, et tamen cum Filius non sit Pater, nullum esse est Patris,
quod non sit Filii, quia omne esse in divinis est essentiae ; et similiter
omne ad aliquid est ibi secundum rationem essentiae, vel secundum rationem
attributorum. |
Par exemple, la paternité est
l’essence ; le Fils ne possède pas la paternité ; c’est pourquoi
cependant il ne s’ensuit pas que le Père possède une essence dont le Fils
soit privé. Mais si le Père possédait la sagesse et non le Fils, le Père posséderait
quelque chose que le Fils ne posséderait pas ; car la sagesse, même
selon sa définition, dit quelque chose qui est dans le sage. De la même
manière je dis que puisqu’engendrer est en Dieu une certaine relation et que
ce soit là quelque chose, bien que le Père puisse engendrer et non le Fils,
il ne s’ensuit pas que le Père ait un pouvoir que le Fils ne possède
pas ; mais il s’ensuivrait bien, si le Père pouvait comprendre et non le
Fils, que le Père aurait un pouvoir que le Fils n’aurait pas. Ainsi le Père
est le Père, et l’existence du Père est une certaine existence, et cependant
bien que le Fils ne soit pas le Père, il n’y a aucune existence du Père qui
ne soit pas celle du Fils, car toute existence dans les personnes divines est
l’essence ; et de la même manière toute relation se retrouve là sous le
rapport de l’essence ou sous le rapport des attributs. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio significat relationem per
modum operationis, et etiam est operatio aliqua divinae naturae, secundum
Damascenum. Et quamvis generatio non conveniat Filio, non tamen sequitur quod
aliqua operatio conveniat Patri quae non conveniat Filio: una enim et eadem
operatione Pater generat et Filius nascitur ; sed haec operatio est in Patre
et Filio secundum aliam et aliam relationem. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que la generation signifie une relation par
mode d’opération et même elle est une operation de la nature divine, d’après
Damascène. Et bien que la génération ne convienne pas au Fils, il ne s’ensuit
pas cependant qu’il y a une opération qui convient au Père sans convenir au
Fils: en effet, c’est par une seule et même operation que le Père engender et
que le Fils est engendré; mais cette operation est dans le Père selon une
relation et dans le Fils selon une autre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullum posse detrahitur Filio ; sed illo
eodem posse quo Pater generat, Filius generatur, ut supra, in corp. art.,
dictum est. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu qu’aucun pouvoir n’est absent du Fils; mais c’est
un même pouvoir par lequel le Père engendre et le Fils est engendré, ainsi
que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sub omnibus comprehenditur ad aliquid,
quantum ad hoc quod habet esse, sic enim ad aliquid est aliquid de omnibus,
sed non quantum ad rationem ad aliquid, secundum quod ad aliud refertur: sic
enim non habet quod sit aliquid simpliciter. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la relation est comprise dans toutes les
categories de l’être quant à ceci qu’elle possède de l’existence, car c’est
ainsi en effet que la relation est quelque chose qui se dit de tout, mais non
par quant à la definition même de la relation selon laquelle elle se rapporte
à un autre: en ce sens en effet elle ne tient pas d’être quelque chose
absolument. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnipotentia Dei potest comparari ad aliquid
vel sicut ad operatum vel sicut ad operationem. Sicut ad operatum, non
comparatur ad aliquid quod in ipso sit: quia in Deo nihil est factum ; et sic
omnipotentia est respectu creaturarum solum ; sed comparatur sicut ad
operationem ad hoc quod in ipso est, praecipue cum nulla operatio sit ipsius
quae sit extra essentiam ejus. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que la toute-puissance de Dieu peut être comparée
à quelque chose soit comme à une oeuvre, soit comme à une operation. Elle ne
se compare pas à quelque chose comme à une oeuvre qui serait en elle car en
Dieu rien n’est fait; et en ce sens la toute-puissance de Dieu se rapporte
seulement aux creatures; mais elle se compare à quelque chose comme à une
opération qui se rapporte à ce qui est en Lui, surtout puisqu’il n’y a aucune
de ses opérations qui soit extérieure à son essence. |
Unde omnipotentia Patris extenditur et ad generare et
ad intelligere et creare, et breviter ad omnia quae perfectionis sunt ; et
propter hoc patet quod ratio Augustini efficax est. Nec tamen sequitur quod
Filius non sit omnipotens, si non potest generare filium aequalem sibi,
ratione praedicta. Sequeretur tamen in Patre ; quia Patri non deest relatio,
quae significatur in generatione activa. Unde si negaretur ab eo
perfectio generationis, oporteret quod esset defectus in ipsa operatione
inquantum operatio est ; et hoc redundaret in defectum potentiae. Sed a Filio
removetur activa generatio non nisi ratione relationis importatae. Relatio
autem, inquantum hujusmodi, nullum ordinem ad potentiam habet, ut ex dictis,
distinct. 2, quaest. Unic., art. 5,
patet. |
C’est pourquoi la
toute-puissance du Père s’étend à la fois à la génération, à l’intellection,
à la création et en bref à tout ce qui relève d’une perfection ; et
c’est pour cette raison qu’il est clair que l’argument de Saint-Augustin est
efficace. Et cependant il ne s’ensuit pas que le Fils ne soit pas
tout-puissant s’il ne peut engendrer un fils égal à lui, pour la raison que
nous avons dite. C’est ce qui s’ensuivrait cependant pour le Père ; car
la relation qui est signifiée dans la génération active est inséparable du
Père. C’est pourquoi si on niait de lui la perfection de la génération, il
faudrait qu’il y ait un défaut dans l’opération même en tant qu’opération et
cela se réfléterait dans un défaut de puissance. Mais la génération active
n’est refusée au Fils qu’en raison de la relation impliquée. Mais la
relation, en tant que telle, n’a aucun rapport à la puissance ainsi qu’on le
voit à partir de ce qui a été dit [dist. 2, quest. unique, art.
5]. |
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Articulus 2 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 tit. Utrum Filius
sit aequalis patri |
Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ? |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit aequalis
Patri in omnipotentia. Sicut enim infra dicitur, distinct. 31, quaest. unic.,
art. 2, potentia appropriatur Patri, non autem Filio. Ergo videtur quod magis
Patri quam Filio conveniat ; et sic non sunt aequales in potentia. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne
soit pas égal au Père en toute-puissance. En effet, ainsi qu’on le dit plus
loin [dist. 31, quest. unique, art. 2], la puissance est appropriée au Père
et non au Fils. Il semble donc qu’elle convienne davantage au Père qu’au Fils
et par conséquent ils ne sont pas égaux en puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, inter habere
aliquid ab alio personaliter et essentialiter, et non habere aliquid ab alio
nec personaliter nec essentialiter, medium est habere aliquid ab alio
personaliter et non essentialiter. Sed non habere aliquid ab alio nec
personaliter nec essentialiter, quod convenit Patri, dignitatis et
auctoritatis est ; habere autem aliquid ab aliquo personaliter et
essentialiter, quod creaturae competit, minorationem ponit et defectum
creaturae respectu creatoris. Ergo cum medium sapiat naturam extremorum,
videtur quod habere ab alio personaliter et non essentialiter, quod Filio
competit, secundum aliquid sit dignitatis, quod est scilicet non habere ab
alio essentialiter, et secundum aliquid ponat defectum et minorationem, quod
est ab alio habere personaliter ; et sic Filius est minus potens quam pater. |
2. Par ailleurs, posséder
quelque chose d’un autre personnellement et non essentiellement est un
intermédiaire entre posséder quelque chose d’un autre personnellement et
essentiellement et ne pas posséder quelque chose d’un autre, ni
personnellement ni essentiellement. Mais ne pas posséder quelque chose d’un
autre ni personnellement ni essentiellement, ce qui convient au Père, relève
d’une dignité et d’une autorité ; mais tenir quelque chose d’un autre
personnellement et essentiellement, ce qui appartient à la créature, pose une
infériorité et un défaut de la créature par rapport au créateur. Donc,
puisque l’intermédiaire connaît la nature des extrêmes, il semble que tenir
d’un autre personnellement et non essentiellement, ce qui appartient au Fils,
sous un rapport relève d’une dignité, à savoir ne pas posséder quelque chose
d’un autre essentiellement, mais sous un autre rapport pose un défaut et une
infériorité, c’est-à-dire tenir personnellement quelque chose d’un autre ;
et en ce sens le Fils est moins puissant que le Père. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ita videmus in
creaturis quod nihil receptum ab aliquo est aeque potens illi a quo recipitur
; sicut lumen in aere non est aeque potens lumini in sole. Sed potentia est
recepta in Filio a Patre. Ergo videtur quod Filius non sit aequalis Patri in
potentia. |
3. En outre, nous voyons dans
les créatures que rien de ce qui est reçu dans un autre n’est égal en
puissance à celui par lequel il est reçu ; par exemple, la lumière dans
l’air n’est pas égale en puissance à la lumière dans le soleil. Mais la
puissance est reçue du Père dans le Fils. Donc, il semble que le Fils ne soit
pas égal au Père en puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod
agit per alium videtur esse potentius eo per quod agit. Sed Pater agit per
Filium et non e converso. Ergo Pater est potentior Filio. |
4. De plus, ce qui agit par
un autre semble être plus puissant que celui par lequel il agit. Mais le Père
agit par le Fils et non inversement. Donc le Père est plus puissant que le
Fils. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, potentia
radicatur in essentia. Sed est una essentia Patris et Filii numero. Ergo et
una potentia: ergo non est aliqua inaequalitas in potentia, cum omnis
inaequalitas diversitatem ponat ; sicut enim unum in quantitate facit
aequale, ita diversum facit inaequale: quod concedimus. |
Cependant : La puissance s’enracine dans
l’essence. Mais il n’y a qu’une seule essence, numériquement parlant, pour le
Père et le Fils. Il n’y a donc qu’une seule puissance pour les deux : et
il ne peut donc y avoir là une inégalité dans la puissance, puisque toute
inégalité pose une diversité ; en effet, tout comme l’un est la cause de
l’égal dans la quantité, de même le divers est cause d’inégalité : ce
que nous concédons. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod potentia appropriatur Patri, non quia magis sibi conveniat quam Filio,
sed quia majorem similitudinem habet cum proprietate Patris quam cum
proprietate Filii: potentia enim habet rationem principii, et Pater est
principium non de principio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la puissance est appropriée au Père non pas parce qu’elle
lui convient davantage qu’au Fils, mais parce qu’elle possède une plus grande
ressemblance avec la propriété du Père qu’avec la propriété du Fils : la
puissance a en effet raison de principe, et le Père est un principe sans
principe. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
habere essentialiter et personaliter ab alio, importat defectum solum quantum
ad hoc quod est habere ab alio essentialiter, idest in diversitate essentiae
; ex hoc enim causatur inaequalitas magnitudinis et potentialitatis: quia
inaequalitatis causa est diversitas, sicut unitas aequalitatis, ut dictum
est, in argum. sed contra istius artic., et quantum ad hoc Filius non est
medium inter Patrem et creaturam, immo aequali et eadem dignitate convenit
Filio sicut et Patri non habere ab alio essentialiter. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tenir essentiellement et personnellement d’un autre implique un
défaut seulement quant à ce qui est de tenir d’un autre essentiellement,
c’est-à-dire quant à la diversité de l’essence ; c’est à partir de là en
effet qu’est causée une inégalité de grandeur et de potentialité : car
la diversité est la cause de l’inégalité, comme l’unité est celle de
l’égalité, ainsi que nous l’avons dit dans l’argument ¨cependant¨ de cet
article, et quant à cela que le Fils n’est pas un intermédiaire entre le Père
et la créature, mais bien plutôt, c’est par une égale et même dignité qu’il
convient au Fils comme au Père de ne rien tenir d’un autre essentiellement. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
in inferioribus quandoque recipitur aliquid in eadem virtute quae est in eo a
quo recipitur, quando scilicet recipiens est proportionatum ad recipiendum
totam virtutem dantis, sicut patet in omni generatione univoca, ut quando
homo generat hominem, et ignis ignem: quandoque autem non recipitur tota
virtus, et hoc est ex defectu recipientis, quod non est proportionatum ad
recipiendum totum quod agens influere potest, sicut corpora inferiora se
habent ad actionem solis ; vel forte ex defectu agentis, cujus virtus est
deficiens a communicatione suae similitudinis ; sicut parva [una Éd.
de Parme] scintilla non potest calefacere aliquod lignum, etiam multum
dispositum. Sed in divinis non est defectus ex parte dantis neque ex parte
accipientis, cum una et eadem sit virtus utriusque ; et ideo quantam
potentiam Pater habet, tantam accipit Filius ab eo. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que parfois dans êtres inférieurs une chose est reçue avec la même
puissance qui est dans celui duquel elle est reçue, c’est-à-dire quand celui
qui reçoit est proportionnné à recevoir toute la puissance de celui qui
donne, ainsi qu’on le voit dans toute génération univoque, comme lorsque
l’homme engendre un homme et le feu engendre le feu : mais parfois toute
la puissance n’est pas reçue, et cela vient d’un défaut du côté de celui qui
reçoit, lequel n’est pas proportionné à recevoir tout ce que l’agent peut
répandre en lui, ainsi qu’on le voit chez les corps inférieurs par rapport à
l’action du soleil ; ou bien cela vient d’un défaut du côté de l’agent,
dont la puissance fait défaut dans la communication de sa ressemblance ;
par exemple, une [seule Éd. de Parme] petite étincelle ne peut
réchauffer une pièce de bois, même si cette dernière est bien disposée. Mais
dans les personnes divines il n’y a pas de défaut, ni du côté de celui qui
donne, ni du côté de celui qui reçoit, puisqu’il n’y a qu’une seule et même
puissance pour chacun des deux ; et c’est pourquoi le Fils reçoit autant
de puissance que le Père en possède. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
cum dicitur Pater operari per Filium, non ponitur aliquis gradus potestatis,
sed signatur auctoritas in Patre, ut dictum est, dist. 15, quaest. unic.,
art. 4. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que lorsqu’on dit que le Père agit par le Fils, on ne pose pas là un
degré de puissance, mais on signifie une autorité qui est dans le Père, ainsi
que nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. unique, art. 4]. |
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Articulus 3. Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 tit. Utrum in divinis
personis sit ordo |
Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1[16] :
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in divinis personis non sit ordo. Ut enim dicit
Augustinus, XIX de civ ; Dei, cap. XIII, col. 640 :
« Ordo est parium dispariumque sua cuique tribuens loca
dispositio ». Sed in divinis personis non competit aliqua localis
dispositio. Ergo videtur quod nec ordo. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas d’ordre dans les personnes divines. En effet, comme le dit Saint-Augustin
[XIX De la Cité de Dieu, ch. 13, col. 640], ¨L’ordre
est une disposition qui assigne son lieu à chacune des choses égales et
inégales¨. Mais aucune disposition selon le lieu ne convient aux personnes
divines. Il semble donc que l’ordre ne leur convienne pas non plus. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De Trinit., cap.
1, col. 124, dicit:Eos sequitur differentia deitatis qui in
Trinitate gradus constituunt. Sed ubicumque est ordo, est aliquis gradus.
Ergo si in divinis personis est ordo, videtur quod sequatur diversitas
deitatis. Hoc autem est impossibile. Ergo personae divinae non habent
ordinem. |
2. Par ailleurs, Boèce [De
la Trinité, ch. 1, col. 124] dit : La différence à
l’intérieur de la divinité découle de ce qui constitue des degrés dans la
Trinité. Mais partout où il y a ordre, il y a des degrés. Donc, s’il y a
un ordre à l’intérieur des personnes divines, il semble qu’il s’ensuive une
diversité dans la divinité. Mais cela est impossible. Il n’y a donc pas un
ordre dans les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ubi est
eadem aeternitas, simplicitas et dignitas, non videtur esse aliquis ordo:
aeternitas enim aequalis excludit ordinem temporis, simplicitas aequalis
ordinem causae ad causatum et partis ad totum, et aequalis dignitas ordinem
dignitatis. Sed in Patre et Filio est eadem numero aeternitas, simplicitas et
dignitas. Ergo non est aliquis ordo. |
3. En outre, là où
l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques, il ne semble pas
qu’il y ait un ordre : en effet, une éternité égale exclut l’ordre du
temps, une simplicité égale l’ordre de la cause à l’effet et de la partie au
tout, et une dignité égale l’ordre de la dignité. Mais dans le Père et le
Fils, l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques numériquement
parlant. Il n’y a donc pas là un ordre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Item, quidquid est
in divinis, aut significat essentiam aut notionem Sed ordo non pertinet ad
essentiam divinam, in qua nulla est distinctio, nec ad notionem, quia nulla
notio communis est tribus personis, sicut ordo. Ergo videtur quod in divinis
personis non sit ordo. |
4. De plus, tout ce qui est
en Dieu signifie ou bien l’essence, ou bien une notion. Mais l’ordre ne se
rapporte pas à l’essence divine dans laquelle il n’y a aucune distinction, ni
à la notion, car il n’y a aucune notion qui soit commune aux trois personnes,
tout comme l’ordre. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’ordre dans les
personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Contra,
ubicumque est pluralitas sine ordine, ibi est confusio. Sed in divinis
personis est pluralitas et non confusio. Ergo ibi est ordo. |
Cependant : 5. Au contraire, partout où
il y a pluralité sans ordre, il y a confusion. Mais dans les personnes
divines il y a pluralité mais non pas confusion. Il y a donc là un ordre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 6 Hic etiam videtur,
quod Spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate persona ; et hoc dicit
aliquem ordinem. |
6. Il semble aussi ici que
l’Esprit-Saint est appelé la troisième des personnes divines ; et cela
signifie qu’il y a là un ordre. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
–
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur,
an sit ibi ordo naturae: et videtur quod non. Quia omnis ordo importat
aliquam distinctionem. Sed in natura divina nulla est distinctio. Ergo nec
naturae divinae est aliquis ordo ; et ita in divinis personis non est ordo
naturae. |
Difficultés : 1. On cherche par la suite
s’il y a là un ordre de nature : et il semble que ce ne soit pas le cas.
Car tout ordre implique une distinction. Mais il n’y a aucune distinction
dans la nature divine. Il n’y a donc pas un ordre qui appartienne à la nature
divine et ainsi il n’y a pas un ordre de nature dans les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, natura
divina est idem quod essentia. Sed nihil est dictu quod in divinis personis
sit ordo essentiae. Ergo nec naturae. |
2. Par ailleurs, la nature
divine est identique à l’essence divine. Mais il n’y a rien qui dise qu’il y
a un ordre d’essence dans les personnes divines. Il n’y a donc pas un ordre
de nature. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 In contrarium est
quod in littera dicitur. |
Cependant : Ce qu’on dit dans le document
s’oppose à cela. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod
ordo in ratione sua includit tria, scilicet rationem prioris et posterioris ;
unde secundum omnes illos modos potest dici esse ordo aliquorum, secundum
quos aliquis altero prius dicitur et secundum locum et secundum tempus et
secundum omnia hujusmodi. Includit etiam distinctionem, quia non est ordo
aliquorum nisi distinctorum. Sed hoc magis praesupponit nomen ordinis quam
significet. Includit etiam tertio rationem ordinis, ex qua etiam ordo in
speciem trahitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’ordre, dans sa nature même, comprend trois choses : à
savoir un rapport de ce qui est premier à ce qui est second ; c’est
pourquoi on peut dire qu’il y a un ordre entre des êtres de toutes ces
manières selon lesquelles on dit d’un être qu’il est antérieur à un autre
selon le lieu, selon le temps et selon d’autres catérories de cette sorte.
L’ordre comprend aussi une distinction car il n’y a un ordre entre des êtres
que s’ils sont distincts. Mais cela présuppose davantage le nom d’ordre qu’il
ne le signifie. Et l’ordre comprend aussi en troisième lieu la cause de
l’ordre à partir de laquelle l’ordre s’attribue aussi à l’espèce. |
Unde unus est ordo secundum locum, alius secundum
dignitatem, alius secundum originem, et sic de aliis: et ista species
ordinis, scilicet ordo originis, competit divinis personis. Unde dico quod
ordo originis signatur cum dicitur ordo naturae, secundum quod dicitur natura
a philosopho, V Metaphys., text., 5, ex qua pullulat pullulans
primo. |
C’est pourquoi autre est
l’ordre selon le lieu, autre l’ordre selon la dignité et autre celui selon
l’origine et il en est de même du reste : et cette espèce d’ordre, à savoir
l’ordre d’origine, appartient aux personnes divines. C’est pourquoi je dis
que l’ordre d’origine est signifié lorsqu’on dit de l’ordre de nature,
conformément à ce que dit le Philosophe de la nature [V Métaphysique,
texte 5], qu’il est ce à partir de quoi le géniteur engendre. |
Unde nomen naturae importat rationem originis: et sic
ista duo nomina ordo naturae sumuntur in vi unius nominis, ad significandum
speciem ordinis: quae quidem species salvatur in divinis personis quantum ad
rationem differentiae, scilicet originem, et non quantum ad rationem generis,
scilicet prioritatem et posterioritatem, ut in pluribus aliis dictum est. Et
hoc patet ex definitione Augustini quam ponit, II Contra
maximin., cap. XIV, § 8, col. 775, quod ordo naturae est quo aliquis
est ex alio, in quo ponitur differentia originis, et non prior alio, in quo
removetur ratio generis. Unde non est concedendum quod sit ibi ordo
simpliciter, sed ordo naturae. |
C’est pourquoi le nom de
nature implique la notion d’origine : et ainsi ces deux noms, à savoir ¨ordre
de nature¨, sont pris dans la force d’un seul nom pour signifier l’espèce de
l’ordre : et l’espèce est certes conservée dans les personnes
divines quant à la notion de différence, à savoir quant à l’origine, et non
quant à la notion de genre, c’est-à-dire quant à la notion de priorité et de
postériorité, comme cela est dit par plusieurs autres auteurs. Et cela est clair
à partir de la définition que Saint-Augustin [11 Contre Maximin,
ch. XIV, & 8, col. 775] présente, à savoir que l’ordre de nature est
celui par lequel un être vient d’un autre, et non que l’un est antérieur à
l’autre, dans lequel on pose une différence d’origine, et où on écarte la
notion de genre. C’est pourquoi il ne faut pas concéder qu’il y ait là un
ordre pris absolument, mais un ordre de nature. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod illa definitio Augustini datur de ordine secundum locum, qui
divinis personis non competit. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que cette définition donnée par Saint-Augustin se rapporte à l’ordre
selon le lieu, lequel ne convient pas aux personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod gradus dicit quamdam speciem ordinis, scilicet secundum dignitatem vel
perfectionem, vel locum: et nullus horum competit divinis personis ; et ideo
nec gradus. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la notion de degré dit une certaine espèce d’ordre, à savoir l’ordre
selon la dignité, selon la perfection et selon le lieu : et aucune de
ces sortes d’ordres ne convient aux personnes divines, ni par conséquent la
notion de degré ou de rang. |
Super Sent., lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illa ratio procedit de ordine quantum ad rationem
generis, prout ponit prius et posterius, quod nullo modo divinis competit. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cet argument procède de l’ordre sous le rapport de son genre, selon
qu’il pose l’avant et l’après, ce qui ne convient en aucune manière aux
personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod hoc nomen ordo significat notionem, non tamen in speciali, sed in
communi, quae determinatur secundum diversa adjuncta ; ut cum dicitur ordo
Patris ad Filium, significatur notio quae est paternitas ; et cum dicitur
ordo Filii ad Patrem, significatur notio quae est filiatio ; et similiter
patet in aliis ; et similiter etiam est de hoc nomine principium, quod aliam
notionem significat cum dicitur Pater principium Filii, et cum dicitur
principium Spiritus sancti. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le nom d’ordre signifie une notion, non en particulier mais dans
l’universel, qui est spécifiée par différents ajouts ; par exemple,
lorsqu’on parle de l’ordre du Père au Fils, on signifie une notion qui est la
paternité et lorsqu’on parle de l’ordre du Fils au Père, on signifie la
notion qui est la filiation ; et il en est de même pour les autres. Et
il en est encore de même pour le nom de principe, qui signifie une notion
lorsqu’on dit du Père qu’il est le principe du Fils, et une autre notion
lorsqu’on dit qu’Il est le principe de l’Esprit-Saint. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod ordo originis sufficit ut confusio non ponatur, et ad hoc quod Spiritus
sanctus dicatur tertia persona. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que l’ordre d’origine suffit à ne pas poser une confusion et à dire que
l’Esprit-Saint est la troisième personne. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 6. Unde patet
solutio ad sextum. |
6. Et
de là la solution à la sixième difficulté est évidente. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 2 co. [solutio II Éd. Mandonnet] Ad id quod ulterius
quaeritur, dicendum, quod est ibi ordo naturae, non tamen ita quod natura
ordinetur, vel quod Pater naturaliter prior sit Filio ; sed ita quod dicat
rationem ordinis, secundum quod in natura importatur origo. Et quamvis
secundum rem sit idem divina natura quod essentia, tamen ratio originis non
importatur in nomine essentiae sicut in nomine naturae, ratione enim
differunt ; et ideo non potest dici ordo essentiae, sicut ordo naturae. |
Corps
de l’article [corps de l’article 11 Éd.
Mandonnet]: Par
rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite il faut dire qu’il y a là un
ordre de nature, non pas cependant de telle manière que la nature soit
ordonnée ou que le Père soit par nature antérieur au Fils, mais de telle
manière qu’il dise la raison de l’ordre selon laquelle l’origine est
impliquée dans la nature. Et bien qu’en réalité la nature divine est
identique à l’essence, cependant la notion d’origine n’est pas impliquée dans
le nom d’essence comme dans le nom de nature et à cause de cela ils diffèrent
en effet par la raison; et c’est pourquoi on ne peut parler d’un ordre d’essence
comme d’un ordre de nature. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a.
3 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objiciuntur. |
Solution: Et
c’est par cela que la réponse aux difficultés est évidente. |
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Distinctio 21 |
Distinction 21 – [Les noms divins (1)] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du sujet ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo,
utrum dictio exclusiva possit in divinis addi ex parte subjecti. Secundo,
utrum ex parte praedicati. Circa
primum quaeruntur duo: 1 utrum
possit addi ex parte subjecti termino essentiali cum praedicato essentiali
vel personali ; 2 utrum
possit addi termino personali cum praedicato essentiali. |
Deux
interrogations se présentent ici. En premier
lieu, est-ce qu’un mot exclusif peut être ajouté du côté du sujet chez les
personnes divines? En deuxième
lieu, peut-il en être de même du côté du prédicat? Au sujet du
premier point, on soulève deux questions: 1. Est-ce
que le terme exclusif peut être ajouté du côté du sujet à un terme essentiel
avec un prédicat essentiel ou personnel? 2. Peut-il
être ajouté à un terme personnel avec un prédicat essentiel? |
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Articulus 1 [1647] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum ista propositio, solus Deus est
Deus, sit falsa |
Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’, est-elle fausse ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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[1648]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur
quod haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ». Omne enim adjectivum
ponit rem suam circa suum substantivum. Sed « solus » est quoddam
adjectivum. Ergo cum dicitur: « Solus Deus », implicat solitudinem
circa Deum. Sed sicut dicit Hilarius lib. IV de Trinit., §
18, col. 111, et habitum est supra distinctione II, « Nobis neque
solitarius est Deus, neque diversus confitendus ». Ergo videtur quod
haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble que cette
proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. En effet, tout adjectif
pose sa réalité sur son substantif. Mais ¨seul¨ est un certain adjectif.
Donc, lorsqu’on dit ¨seul Dieu¨, cela implique une solitude en Dieu. Mais
comme le dit Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 18, col.
111], et comme cela a été établi plus haut à la distinction 2, ¨Nous
devons confesser qu’il n’y a en Dieu ni solitude ni diversité¨. Il semble
donc que cette proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. |
[1649] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc nomen Deus intantum habet naturam
termini communis, ut quod de Deo dicitur de omnibus personis dicatur, ut cum
dicitur: « Deus creat » ; vel saltem de aliqua, ut cum dicitur:
« Deus generat ». Unde potest fieri descensus sub hoc nomine Deus,
in subjecto posito pro aliqua personarum. Si igitur haec est vera:
« Solus Deus est Deus », aliqua istarum erit vera: « Solus
Pater est Deus », vel « Solus Filius est Deus », vel
« Solus Spiritus sanctus est Deus ». Sed quaelibet harum falsa est.
Ergo et prima. |
2. Par ailleurs le nom ¨Dieu¨
possède possède à ce point la nature d’un terme commun que ce qui se dit de
Dieu se dise de toutes les personnes, comme lorsqu’on dit : ¨Dieu crée¨,
ou même de l’une d’entre elles, comme lorsqu’on dit : ¨Dieu engendre¨.
C’est pourquoi, sous le nom de Dieu, il peut se produire une descente dans un
sujet posé pour une des personnes. Si donc cette proposition est vraie, à
savoir ¨Seul Dieu est Dieu¨, une de celles-là sera vraie, à savoir ¨Seul le
Père est Dieu¨, ou ¨Seul le Fils est Dieu¨, ou encore ¨Seul l’Esprit-Saint
est Dieu¨. Mais chacune de ces dernières propositions est fausse. Donc la
première l’est aussi. |
[1650] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, secundum philosophum VII Metaphys., texte
20, « solum » idem est quod non cum alio. Sed Deo, praecipue post
rerum creationem, nunquam convenit cum alio non esse, quia in participationem
sui esse res creando adduxit. Ergo non potest dici aliquo modo solus Deus. |
3. En outre, d’après le
Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20], le terme ¨seul¨
signifie la même chose que de ne pas être avec un autre. Mais il ne convient
jamais à Dieu, surtout après la création, de ne pas être avec un autre, car
en les créant, il amène les choses à participer de son existence. On ne peut
donc dire en aucune façon ceci : ¨seul Dieu¨. |
[1651] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Contra, proprium est quod convenit
uni soli. Sed esse divinum vel omnipotentem est proprium Deo. Ergo solus Deus
est Deus vel omnipotens. |
Cependant : 4. Ce qui est propre à un
être est ce qui convient à lui seul. Mais l’existence divine ou
toute-puissante est propre à Dieu. Donc, seul Dieu est Dieu ou tout-puissant. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
11-
|
[1652] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur de ista: « Solus Deus
est Pater » ; videtur enim esse falsa. Quia id quod in alio invenitur,
non potest alicui soli inesse. Sed paternitas non tantum est in Deo, sed
etiam in hominibus, et quodammodo in Angelis, ut dicit Dionysius cap.
III, de div. Nomin. § 2, col. 616. Ergo non potest dici,
quod solus Deus est pater. |
Difficulté : 1. Nous nous arrêtons ensuite
à cet énoncé : ¨Seul Dieu est Père¨. Et il semble en effet qu’il soit
faux. Car ce qui se retrouve dans un autre ne peut appartenir à un seul. Mais
la paternité n’est pas seulement en Dieu, mais nous la retrouvons aussi chez
les hommes et d’une certaine manière chez les Anges, ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 111, & 2, col. 616]. On ne peut donc dire que seul
Dieu est père. |
[1653] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Contra, de quocumque praedicatur commune
praecise, praedicatur cum praecisione et proprium, si de ipso praedicetur: si
enim solum corpus est coloratum, sequitur solum corpus esse album, si
supponatur album de corpore praedicari. Sed Deus est sicut commune respectu
trium personarum, ut supra habitum est, dist. 19, quaest. III, art. 2, ex
verbis Damasceni. Ergo sequitur, si solus Deus est Deus, cum Deus sit pater,
quod solus Deus sit pater. |
Cependant : 1. Tout ce à quoi s’attribue
l’universel avec précision, le particulier aussi s’y attribue avec précision
s’il devait s’y attribuer : si en effet seul un corps est coloré, il
s’ensuit que seul un corps est blanc, si on supposait que le blanc s’attribue
au corps. Mais Dieu est comme un universel par rapport aux trois personnes,
ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 19, quest. 3, art. 2] à partir
des dires de Saint-Damascène. Il s’ensuit donc, si seul Dieu est Dieu,
puisque Dieu est père, que seul Dieu est père. |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question
1-
|
[1654]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod,
secundum philosophum, VII Metaphysicor., texte 20, « solum » idem
est quod non cum alio, in quo consortium removetur. Potest igitur haec dictio
solus removere consortium simpliciter, vel respectu alicujus. Et dicitur simpliciter
removere consortium, quando tollitur associatio alterius quod sit ejusdem
naturae et conditionis cum ipso ; sicut dicimus aliquem hominem esse solum in
domo, quamvis ibi sint multa alia animalia: et dicimus aliquem religiosum
incedere solum, cum sine socio sui ordinis vadit, multis etiam ipsum
comitantibus ; et tunc solus idem est quod solitarius ; et est etiam dictio
categorematica implicans solitudinem circa subjectum, sicut et quodlibet
aliud adjectivum ; et ita nullo modo potest accipi in divinis: quia una
persona semper habet consortium societatis alterius personae connaturalis et
similis sibi |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après le Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20],
¨seul¨ s’identifie à ne pas être avec un autre, en quoi la communauté
disparaît. Donc, ce terme ¨seul¨ peut faire disparaître la communauté
soit absolument, soit par rapport à un aspect. Et on dit qu’il
fait disparaître la communauté absolument quand il retire l’association avec
l’autre qui est de même nature et de même condition que lui ; par
exemple, nous disons qu’un homme est seul dans la maison bien qu’il y ait là
plusieurs animaux ; et nous disons qu’un religieux marche seul lorsqu’il
va sans aucun membre de son ordre, même si plusieurs autres personnes
l’accompagnent ; et alors ¨seul¨ signifie la même chose que solitaire,
et il est aussi un terme catégorématique impliquant la solitude sur le sujet
comme le ferait tout autre adjectif ; et en ce sens le terme ¨seul¨ ne
peut être admis pour les personnes divines, car une des personnes possède
toujours une communauté d’association avec les autres qui sont de même nature
et semblables à elle. |
Si autem excludat
consortium respectu alicujus determinati, tunc dictio est syncategorematica,
importans aliquem ordinem vel habitudinem unius ad alterum, ratione
negationis implicitae, magis quam implicans formam aliquam ; et secundum hoc
dico, quod haec est duplex: solus Deus creat ; quia removet consortium
alterius a forma subjecti subintellecta implicatione, quod est, vel qui est ;
et tunc est sensus: « Solus Deus », idest ille qui ita est Deus
quod praeter ipsum nullus alius est Deus, « creat », et sic vera
est. Vel removet consortium in participatione praedicati, et in hoc etiam
sensu vera est: est enim sensus, quod nullus alius praeter Deum creet. Et
idem est judicium de hac: « Solus Pater est Pater » ; vel:
« Solus Pater generat ». Omnes enim hujusmodi in primo sensu sunt
falsae et in duobus aliis verae. |
Mais si le terme ¨seul¨ exclut
la communauté par rapport à quelque chose de déterminé, alors il est
syncatégorématique, impliquant un ordre ou un rapport à un autre, en raison
d’une négation implicite plus qu’en impliquant une forme ; et suivant
cela je dis que cet énoncé : ¨seul Dieu crée¨, est double, car ou bien
il retire la communauté d’un autre de la forme du sujet par une implication
sous-entendue, à savoir ¨ce qui est¨ ou ¨qui est¨ ; et alors la
signification est la suivante : ¨Seul Dieu¨, c’est-à-dire celui qui est
Dieu de telle manière qu’en dehors de Lui aucun autre n’est Dieu, ¨crée¨, et
en ce sens l’énoncé est vrai. Ou bien il retire la communauté dans la
participation du prédicat et en cela aussi la signification est vraie car
alors en effet le sens est qu’aucun autre en dehors de Dieu ne crée. Et on
doit porter le même jugement sur les énoncés suivants, soit : ¨Seul le
Père est Père¨, et ¨Seul le Père engendre¨. En effet, tous ces énoncés sont
faux s’ils sont pris dans la première signification, mais vrais s’ils sont
pris dans les deux autres significations. |
[1655]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ex quo patet responsio ad
primum, quod procedit secundum primum sensum. |
Solutions: 1. De
là apparaît clairement la réponse à la première difficulté qui procède d’après
la première signification. |
[1656]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
sicut dicunt sophistae, dictio exclusiva immobilitat terminum cui adjungitur
ratione negationis implicitae. Unde non sequitur: solus homo est rationalis ; ergo
solus Socrates. Non enim omne quod est aliud a Socrate, est aliud ab homine.
Unde negatio implicita in dictione exclusiva ad plura se extendit quando
adjungitur proprio quam quando adjungitur communi. Sed verum est quod ratione
affirmationis posset fieri descensus. Unde cum ista: « Solus Deus est
Deus », habeat duas expositivas, unam affirmativam: « Deus est
Deus », et alteram negativam, scilicet hanc: « Alius a Deo non est
Deus », sub affirmativa potest fieri descensus, ut dicatur: « Pater
est Deus », et non sub negativa: « Alius a Patre non est
Deus ». |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme le disent les philosophes, le terme exclusif immobilise
(isole) le terme auquel il est ajouté en raison de la négation implicite.
C’est pourquoi il ne s’ensuit pas : seul l’homme est rationnel, donc
seul Socrate est rationnel. En effet, ce n’est pas tout ce qui est autre que
Socrate qui est autre que l’homme. C’est pourquoi la négation implicite dans
le terme exclusif s’étend à plus de choses quand il s’ajoute au propre que
quand il s’ajoute au commun. Mais il est vrai qu’en raison d’une affirmation
il pourrait y avoir une descente. C’est pourquoi puisque cet énoncé, à savoir
¨Seul Dieu est Dieu¨, possède deux explications, dont l’une est affirmative,
soit : ¨Dieu est Dieu¨, et l’autre négative, soit : ¨Un autre que
Dieu n’est pas Dieu¨, il peut y avoir une descente sous l’affirmative de
manière à dire : ¨Le Père est Dieu¨, mais non pas sous la négative de
manière à dire : ¨Un autre que le Père n’est pas Dieu¨. |
[1657] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dictum est, in
corp. art., haec dictio « solus » privat consortium ; et quamvis,
creaturis existentibus, non possit ab eo removeri consortium respectu hujus
quod est esse, tamen potest removeri consortium respectu propriae suae
operationis, quae est creatio, et etiam respectu propriae suae naturae. Unde,
secundum Hilarium IV De Trinitate, remota distinctione
personarum, etiam creaturis existentibus, Deus dicitur solitarius. Quamvis
enim haec non esset vera: « Solus Deus est », haec tamen vera
esset: « Deus est solus », idest solitarius. |
3. Il faut dire en troisième
lieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, que ce terme,
¨seul¨, prive de la communauté ; et bien que, les créatures existant, la
communauté ne puisse lui être retirée par rapport à tout ce qui existe,
cependant la communauté peut lui être enlevée par rapport à son opération
propre, qui est la création, et même par rapport à sa nature propre. C’est
pourquoi, d’après Saint-Hilaire [IV De la Trinité], une fois
enlevée la distinction des personnes, même si les créatures existent, Dieu
est dit solitaire. En effet, bien que cet énoncé ne serait pas vrai, à savoir
¨Seul Dieu existe¨, celle-ci cependant serait vraie : ¨Dieu est seul¨,
c’est-à-dire solitaire. |
[1658]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus, quod
procedit secundum tertium sensum. |
4.
Nous concédons la quatrième difficulté qui procède d’après la troisième
signification du terme ¨seul¨. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
2-
|
[1659]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, an haec
sit vera: « Solus Deus est Pater », dicendum ; quod secundum tres
sensus tripliciter potest judicari. Si enim haec dictio « solus »
implicet solitudinem circa Deum, locutio falsa est. Si autem importat
exclusionem a forma subjecti, vera est, et est sensus ; Deus, praeter quem
non est alius, est Pater. Si autem removeat consortium a participatione
praedicati, dico quod est duplex. Quia in nomine Patris potest intelligi
tantum proprietas paternitatis prout praedicatum formaliter tenetur, et sic
falsa est, quia paternitas non tantum in Deo est sed etiam in hominibus. Vel
ipsa persona subsistens distincta paternitate ; et sic est vera, et hoc modo
probatur et improbatur. |
Corps de l’article : Par rapport à ce qu’on
cherche à savoir par la suite, à savoir s’il est vrai de dire ¨Seul Dieu est
le Père¨, il faut dire qu’on peut en juger de trois manières différentes
d’après les trois significations présentées plus haut. Si en effet ce terme,
à savoir ¨seul¨, implique une solitude au sujet de Dieu, l’expression est
fausse. Mais s’il implique une exclusion de la forme du sujet, elle est vraie
et alors la signification est : Dieu, en dehors de qui il n’y en a aucun
autre, est Père. Mais s’il écarte une communauté de la participation du
prédicat, je dis alors qu’elle est double. Car par le nom de père on peut
seulement entendre la propriété de la paternité selon que le prédicat est
pris formellement et ainsi l’expression est fausse car la paternité ne se
retrouve pas seulement en Dieu mais aussi chez les hommes. Mais on peut aussi
entendre par le nom de ¨père¨ la personne même qui subsiste par une paternité
distincte et ainsi l’énoncé est vrai ; et c’est de cette manière que
l’expression est à la fois approuvée et désapprouvée. |
Tamen sciendum, quod
paternitas non est ejusdem rationis secundum univocationem in Deo et in
creaturis, quamvis sit eadem ratio secundum analogiam, quae quidem aliquid
habet de identitate rationis, et aliquid de diversitate. Unde etiam si
praedicatum sumatur formaliter. Tamen potest aliquo modo vera esse:
« Solus Deus est Pater », et secundum eumdem modum loquendi quo
dicitur Luc. XVIII, 19: « Nemo bonus nisi solus Deus ». |
Il faut cependant savoir que
la paternité n’a pas la même nature en Dieu et dans les créatures suivant une
attribution univoque, bien que la notion soit la même selon l’analogie,
analogie dont la notion est en partie identique, en partie différente. C’est
pourquoi même si le prédicat se prend formellement, cet énoncé peut cependant
être vrai en un sens : Seul Dieu est Père¨, et cela de la même manière
dont on parle lorsqu’on dit [Luc, XVIII, 19] : ¨Personne n’est
bon, que Dieu seul¨. |
|
|
Articulus 2 [1660] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio, « Solus Pater
est Deus », sit vera |
Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul est Dieu », est-elle vraie ? |
[1661]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haec sit vera:
« Solus Pater est Deus », vel, « Solus Filius est Deus ».
Sicut enim esse Deum convenit tribus personis, ita et esse altissimum. Sed de
Filio legitur: « Tu solus altissimus ». Ergo potest
dici: « Solus Filius est Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble que cette
proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie, ou
même encore cette autre : ¨Seul le Fils est Dieu¨. En effet,
tout comme il appartient aux trois personnes d’être Dieu, de même il leur
appartient de posséder l’existence la plus noble. Mais on lit au sujet du
Fils : ¨Toi seul es le Très-Haut¨. On peut donc dire : ¨Seul
le Fils est Dieu¨. |
[1662] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, haec, « Solus Pater est Deus »,
habet duas expositivas: unam indefinitam, vel singularem, quae convertitur
sicut particularis affirmativa, scilicet haec: « Pater est Deus » ;
aliam negativam universalem, scilicet: « Nullus alius a Patre est
Deus » ; et utraque harum convertitur simpliciter. Sed haec est vera in
aliquo sensu: « Solus Deus est Pater ». Ergo a simplici conversa
haec erit vera: « Solus Pater est Deus ». |
2. Par ailleurs, cette
proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, possède deux explications :
la première, qui est indéfinie ou singulière, qui se convertit comme une
particulière affirmative, à savoir celle-ci : ¨Le Père est Dieu¨ ;
la deuxième, qui est une universelle négative, à savoir : ¨Nul autre que
le Père n’est Dieu¨ ; et chacune de ces propositions se convertit
simplement. Mais celle-là, à savoir ¨Seul Dieu est le Père¨, est vraie en un
sens ; donc par une conversion simple celle-ci le sera aussi :
¨Seul le Père est Dieu¨. |
[1663] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si haec est falsa: « Solus Pater est
Deus », hoc non erit nisi quia per dictionem exclusivam excluduntur
aliae personae divinae a participatione praedicati. Sed per dictionem
exclusivam adjunctam Patri non excluduntur Filius et Spiritus sanctus. Ergo
haec est simpliciter vera: « Solus Pater est Deus ». Media probatur
per auctoritatem Augustini in Littera qui dicit: « Si
de solo Patre praedicta dicerentur, non tamen excluderetur Filius nec
Spiritus sanctus, quia hi unum sunt ». Probatur etiam
per rationem sic. Major est unio Filii ad Patrem, quam partis ad totum. Sed dictio exclusiva
adjuncta toti, non excludit partem [ad partem Éd. De Parme]: non
enim sequitur: solus Socrates est albus, ergo pes ejus non est albus. Ergo
cum exclusio fiat ratione diversitatis, videtur quod non excludatur Filius
per dictionem exclusivam adjunctam Patri. |
3. En outre, si cette
proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse, cela ne sera
possible que parce que les autres personnes divines sont exclues de la
participation du prédicat par un terme exclusif. Mais le Fils et
l’Esprit-Saint n’en sont pas exclues par le terme exclusif ajouté au Père.
Donc cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie purement
et simplement. La mineure est prouvée par l’autorité de Saint-Augustin dans
le document lorsqu’il dit : ¨Si ce qui précède ne se disait que du seul
Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’en seraient cependant pas exclus, car ils
ne font qu’un avec Lui¨. La mineure est aussi prouvée par le raisonnement
suivant. L’union du Père au Fils est plus grande que celle d’une partie à son
tout. Mais le terme exclusif ajouté au tout n’exclut pas la partie [à l’égard
de la partie Éd. de Parme] : en effet, si seul Socrate est
blanc, il ne s’ensuit pas que son pied n’est pas blanc. Donc, puisque
l’exclusion a lieu en raison d’une diversité, il semble que le Fils ne soit
pas exclu par un terme exclusif ajouté au Père. |
[1664] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, dictio exclusiva non removet a consortio
nisi hoc quod est separatum ab eo cui adjungitur. Sed Filius est in Patre, ut
supra, distin. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. Ergo cum dicitur :
« Solus Pater », non excluditur Filius. |
4. De plus, le terme exclusif
n’écarte de la communauté que ce qui est séparé de ce à quoi il est ajouté.
Mais le Fils est dans le Père, ainsi que nous l’avons prouvé plus haut [dist.
9, quest. 1, art. 1]. Donc, lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, on n’exclut pas le
Fils. |
[1665] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, dictio exclusiva adjuncta antecedenti, non
excludit consequens ; non enim sequitur: Solus homo currit, ergo animal non
currit, vel: solum animal non currit, ergo homo non currit. Sed Filius
sequitur ad Patrem, quia si Pater est, Filus est [quia…est om. éd. de
Parme] et e converso, ut habitum est ex Ambrosio, dist. IX. Ergo videtur
quod cum dicitur: « Solus Pater », non excludatur Filius nec e
converso ; et ita haec erit vera: « Solus Pater est Deus ». |
5. Par ailleurs, le terme
exclusif ajouté à l’antécédent n’exclut pas le conséquent ; si en effet
on dit que seul l’homme court, il ne s’ensuit pas que l’animal ne court
pas ; ou bien si seul l’animal ne court pas, il ne s’ensuit pas que
l’homme ne court pas. Mais le Fils suit le Père, car si le Père est, le Fils
est [car…est om. Éd. de Parme] et inversement, comme nous l’avons
établi en nous appuyant sur Saint-Ambroise à la distinction 1X. Il semble
donc que lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨, le Fils n’est pas exclu, ni
inversement ; et ainsi cette proposition sera vraie : ¨Seul le Père
est Dieu¨. |
[1666] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qu’on dit dans le document est
contraire à ce qui précède. |
[1667] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hujus propositionis: « Solus Pater
est Deus », una expositiva est: Nullus alius a Patre est Deus. Sed haec
est falsa, quia Filius, qui est alius a Patre, est Deus. Ergo haec est falsa:
« Solus Pater est Deus ». |
2. Par ailleurs, une des
explications de cette proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, est la
suivante : ¨Aucun autre que le Père n’est Dieu¨. Mais cette dernière est
fausse, car le Fils, qui est autre que le Père, est Dieu. Donc la première
proposition, ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse. |
[1668]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum
quosdam dictio exclusiva adjuncta uni relativorum in creaturis non excludit
alterum: non enim sequitur: tantum Pater est, ergo Filius non est ; quia ad
unum relativorum sequitur alterum. Sed hoc videtur esse falsum, quia dictio
exclusiva adjuncta supposito excludit omne aliud suppositum. Unde cum Filius
sit aliud suppositum a Patre, excluditur Filius, cum dicitur: « Solus
Pater. » Nec hoc impeditur per hoc quod unum sine altero esse non
potest: quia generatio etiam non potest esse sine alteratione et loci
transmutatione ; et tamen cum dicitur: sola generatio est, excluditur omnis
alia mutatio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après certains le terme exclusif ajouté à un des relatifs
dans les créatures n’exclut pas l’autre : si en effet on dit que Seul le
Père existe, il ne s’ensuit pas que le Fils n’existe pas, car l’un des
relatifs découle de l’autre. Mais cela semble être faux car le terme exclusif
ajouté au suppôt exclut tout autre suppôt. C’est pourquoi, puisque le Fils
est un autre suppôt que le Père, le Fils est exclu lorsqu’on dit : ¨Seul
le Père¨. Et le fait que l’un ne peut exister sans l’autre n’empêche rien à
cela car même la génération ne peut avoir lieu sans l’altération et le
changement de lieu, et pourtant lorsqu’on dit ¨seule le génération est¨, on
écarte tout autre changement. |
Praeterea, quamvis relativa
consequantur se in esse, non tamen consequuntur se in aliis praedicamentis:
non enim sequitur, si pater est musicus, quod filius est musicus. Et
praeterea, cum solus sit determinatio suppositi, excludit omne aliud
suppositum. Diversitatem autem suppositorum non tollit relativorum
consecutio. Unde non est aliqua ratio quare respectu horum praedicatorum,
unum non excluderetur per exclusionem adjunctam alteri. Et ideo dicendum est,
quod dictio exclusiva adjuncta Patri excludit Filium, quantum pertinet ad
oppositionem relationis. |
Par ailleurs, bien que les
relatifs se suivent dans l’existence, ils ne se suivent cependant pas dans
les autres prédicaments : en effet, si le père est musicien, il ne
s’ensuit pas que le fils soit musicien. Et de plus, puisque le terme seul est
une détermination du suppôt, il exclut tout autre suppôt. Mais la conséquence
des relatifs ne fait pas disparaître la diversité des suppôts. C’est pourquoi
il n’y a pas de raison pour laquelle l’un des relatifs ne serait pas exclu
par l’exclusion ajoutée à l’autre par rapport à ces prédicats. Et c’est
pourquoi il faut dire que le terme exclusif ajouté au Père exclut le Fils
sous le rapport de l’opposition de relation. |
Tamen intelligendum est
quod diversimode se habet in creaturis et in divinis quantum ad duo: primo, quia in creaturis
pater et filius non sunt unum in essentia, unde filius est alius a patre, et
aliud ; quod tamen non est verum in divinis. |
Il faut cependant comprendre
que cela se présente différemment dans les créatures et en Dieu sous deux
aspects : Premièrement parce que dans
les créatures le père et le fils ne sont pas un, numériquement parlant, dans
l’essence ; d’où le fils est autre que le père, et autre chose comme
réalité ; ce qui n’est pas vrai pour les personnes divines. |
Secundo, quia in creaturis
per paternitatem additur novum esse quod est esse accidentale, et non idem,
quod est esse subjecti. In divinis autem paternitas non addit secundum rem
aliud esse quam esse essentiae, in quo Pater et Filius communicant |
Deuxièmement parce que dans
les créatures une nouvelle existence est ajoutée par la paternité, qui est
une existence accidentelle et qui n’est pas identique à l’existence du sujet.
Mais dans les personnes divines la paternité n’ajoute pas une autre existence
en réalité à l’existence de l’essence dans laquelle le Père et le Fils
communiquent. |
Cum ergo loquimur in
humanis, dicentes: « Solus pater », excluditur omnibus modis
filius, quia filius est alius et aliud a patre. Et praeterea, si esset unum
in essentia cum patre, adhuc excluderetur ab illo, inquantum est alius a
patre secundum esse relationis superadditum essentiae ; unde secundum quid
esset aliud a filio, quamvis in essentia convenirent. |
Donc, lorsque nous parlons
des humains en disant : ¨Seul le père¨, cela exclut le fils de toutes
les manières, car le fils est quelqu’un d’autre et quelque chose d’autre que
le père. Et par ailleurs, s’il était un avec son père dans l’essence, il en
serait encore séparé selon qu’il est autre que le père selon l’existence de
la relation ajoutée à l’essence ; c’est pourquoi il serait autre que le
fils sous un rapport, bien qu’il serait un avec lui dans l’essence. |
Sed in divinis Pater et
Filius sunt unum in essentia, et tamen distinguuntur relationibus ; et tamen
illae relationes non addunt aliquid secundum rem ad essentiam. Unde ratione
illius distinctionis nullo modo potest dici Filius aliud a Patre, sed tantum
alius. |
Mais dans les personnes
divines le Père et le Fils sont une seule et même essence, et ils se
distinguent cependant par les relations ; et cependant ces relations
n’ajoute rien en réalité à l’essence. C’est pourquoi on ne peut dire du fils
en raison de cette distinction qu’il est autre chose que le Père,
mais seulement qu’il est un autre. |
Unde cum dicitur:
« Solus Pater », potest intelligi fieri exclusio
« alius » masculine, et sic excluditur Filius: et hoc magis
proprium est considerata consignificatione vocabulorum ; vel
« aliud » neutraliter, et sic non excluditur Filius, quia Filius
non est aliud a Patre, cum essentia divina quae est in Filio sit totum id
quod est Pater, et non aliqua pars ejus. |
C’est pourquoi, lorsqu’on
dit : ¨Seul le Père¨, c’est pour ¨un autre¨ au masculin qu’on peut
entendre qu’il y a exclusion, et ainsi c’est le Fils qui est exclu : et
cela est davantage approprié si on considère la signification des
termes ; ou bien on peut aussi entendre ¨quelque chose d’autre¨ au neutre,
et en ce sens le Fils n’est pas exclu du Père, puisque l’essence divine qui
est dans le Fils est la totalité de ce qu’est le Père et non une partie de ce
qu’Il est. |
Secundum hoc ergo haec est
distinguenda: « Solus Pater est Deus », per tres sensus praedictos.
Quia si « solus » implicet solitudinem circa Patrem, falsa est. Si
autem excludit a forma subjecti, sic vera est ; et est sensus: ille qui est
Pater, praeter quem nullus alius est Pater, est Deus. Si autem fiat exclusio
a participatione praedicati, sic est duplex. Quia cum solus sit idem quod non
cum alio, vel excludit alium masculine ; et sic est falsa, et sic primo negat
eam Augustinus: vel excludit aliud ; et sic est vera, quia sic non excluditur
Filius qui non est aliud a Patre ; et sic potest concedi, ut patet ex dictis
Augustini supra positis. |
Donc suivant cela cette
proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, doit être distinguée d’après
les trois significations précédentes. Car si ¨seul¨ implique une solitude du
côté du Père, elle est fausse. Mais si elle exclut de la forme du sujet,
alors elle est vraie et le sens sera : celui qui est Père, en dehors
duquel nul autre n’est Père, est Dieu. Mais s’il y avait exclusion d’une
participation du prédicat, alors elle serait double. Car puisque seul s’identifie
à ne pas être avec un autre, ou bien il exclut un autre en tant que masculin
et ainsi la proposition est fausse, et c’est ainsi que Saint-Augustin la nie
en premier ; ou bien le terme ¨seul¨ exclut quelque chose d’autre et
alors elle est vraie et ainsi le Fils, qui n’est pas quelque chose d’autre
que le Père, n’est pas exclu. Et c’est en ce sens que la proposition peut
être concédée comme on le voit à partir des paroles de Saint-Augustin
présentées plus haut. |
[1669] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ista: « Solus Filius
est altissimus », est distinguenda, sicut et prima ; et in aliquo sensu
est vera, et in aliquo falsa. Et praeterea hoc quod dicitur: Tu solus
altissimus Jesu Christe, intelligendum est cum toto hoc quod consequitur:
« Cum sancto Spiritu in gloria Dei patris » ; et hoc est
absolute verum, quod solus Filius cum Patre et sancto Spiritu est altissimus. |
Solutions : Il faut donc dire en premier
lieu que cette proposition, à savoir : ¨Seul le Fils est le Très-Haut¨
doit être distinguée, comme c’était le cas pour la première ; et en un
sens elle est vraie, et en un autre elle est fausse. Et par ailleurs, ce qui
est dit, à savoir : Toi seul es le Très-Haut, Jésus-Christ,
cela doit s’entendre avec tout ce qui suit, soit : ¨Avec
l’Esprit-Saint dans la gloire de Dieu le Père¨ ; et cela est
absolument vrai que seul le Fils, avec le Père et l’Esprit-Saint, est le
Très-Haut. |
[1670] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum quod haec: « Solus Deus est
Pater », quantum ad hanc expositivam, « Deus est Pater »,
convertitur simpliciter ; sic: Pater est Deus. Similiter alia: « Nullus
alius a Deo est Pater », convertitur simpliciter ; sed ejus conversa non
est: « Nullus alius a Patre est Deus », cum non sit idem in
subjecto et praedicato, sed magis ista: « Pater non est alius a
Deo », quae quodammodo vera est, ut supra dictum est, in corp. art. ; et
ex hoc non sequitur quod solus Pater sit Deus. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que cette proposition : ¨Seul Dieu est le Père¨, quant à cette
explication, ¨Dieu est le Père¨, se convertit simplement ainsi : le
Père est Dieu. De la même manière, cette autre proposition : ¨Aucun
autre que Dieu n’est Père¨, se convertit simplement, mais sa conversion n’est
pas : ¨Nul autre que le Père n’est Dieu¨, car on n’a pas la même chose
dans le sujet et le prédicat, mais plutôt elle se convertit ainsi : ¨Le
Père n’est pas autre que Dieu¨, laquelle est vraie en un certain sens, comme
nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article ; et de là il ne
s’ensuit pas que seul le Père est Dieu. |
[1671] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur « Solus
Pater », excluditur Filius, si solus dicat idem quod non cum alio
masculine ; si autem dicat idem quod non cum alio neutraliter, non excluditur
; et sic intelligitur dictum Augustini ; quod patet ex hoc quod dicit, quia
hi tres unum sunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, cela exclut le Fils, si ¨seul¨ dit la
même chose que ¨non avec un autre¨ au masculin ; mais s’il dit la même
chose que ¨non avec un autre¨ au neutre, cela n’exclut pas le Fils ; et
c’est ainsi que s’entendent les paroles de Saint-Augustin ; ce qui est
clair à partir de ce qu’il dit car ces trois personnes ne sont qu’une seule
et même chose. |
[1672] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Et ad id quod objicitur de parte et consequente, et de
hoc quod unus est in alio, patet quod non sequitur ; quia pars non est aliud
suppositum quam totum, immo includitur in supposito totius ; similiter hoc
consequens quod est animal, non est aliud secundum suppositum ab homine. Et
ideo quamvis Pater sit in Filio per unitatem essentiae, et quantum ad
intellectum relationis ; tamen relatio, inquantum habet rationem oppositionis,
distinguit Patrem a Filio secundum suppositum. |
4. Et par rapport à ce qui
est objecté au sujet de la partie et du conséquent, et au sujet de ce que
l’un est dans l’autre, il est clair que la conclusion ne suit pas ; car
la partir n’est pas un suppôt autre que le tout, au contraire elle est
comprise dans le suppôt du tout ; et de la même manière ce conséquent
qui est l’animal, en tant que suppôt, n’est pas autre que
l’homme. Et c’est pourquoi, bien que le Père soit dans le Fils par
l’unité de l’essence et quant à l’intelligence de la relation, cependant la
relation, en tant qu’elle a raison d’opposition, distingue le Père du Fils
selon le suppôt. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du prédicat ?] |
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Prooemium |
Prologue |
[1673] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur, quomodo possit addi ex parte praedicati
dictio exclusiva in divinis ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum haec sit
vera, « Trinitas est solus Deus » ; 2 utrum sit haec vera, « Pater
est solus Deus ». |
On se demande ensuite comment
le terme exclusif peut être ajouté du côté du prédicat chez les personnes
divines ; et à ce sujet on présente deux questions : 1. Est-ce que cette
proposition, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, est vraie ? 2. Est-ce que cette
proposition, à savoir : ¨Le Père est le seul Dieu¨, est vraie ? |
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Articulus 1 [1674] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum ista propositio, « Trinitas est
solus Deus », sit vera |
Article 1 – Cette proposition : « La Trinité est le seul Dieu », est-elle vraie ? |
[1675]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit
falsa, « Trinitas est solus Deus ». « Solus » enim est
dispositio subjecti, sicut et « omnis ». Sed
haec dictio « omnis » incongrue additur ad praedicatum. Ergo
videtur quod etiam haec dictio « solus ». |
Difficultés: 1. Il
semble que cette proposition: ¨La Trinité est le seul Dieu¨, soit fausse. En
effet, le terme ¨seul¨ est une disposition du sujet, comme c’est le cas pour
le terme ¨tout¨. Mais il ne convient pas d’ajouter le terme ¨tout¨ au
prédicat. Il semble donc qu’il en soit aussi de même pour le terme ¨seul¨. |
[1676] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum, II Periher., lect.
4, nomina transposita et verba, idem significant. Si ergo haec est vera:
Trinitas est solus Deus, haec etiam erit vera: Trinitas est Deus solus. |
2. Par ailleurs, d’après le
Philosophe [11 Perihermeneias, leçon 4], les noms et les verbes,
une fois transposés, signifient la même chose. Si donc cette proposition est
vraie, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, cette autre proposition
aussi sera vraie : ¨La Trinité est Dieu seul¨. |
[1677] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, haec dictio solus est syncategorematica, et
importat negationem. Sed negatio debet praecedere compositionem vel aliquid
quod negetur. Cum autem dicitur sic : « Pater est solus Deus »
nulla affirmatio [nihil éd. De Parme] sequitur. Ergo videtur quod
locutio sit falsa vel incongrua, et sic idem quod prius. |
3. En outre, ce terme ¨seul¨
est un terme syncatégorématique, et implique une négation. Mais la négation
doit précéder la composition ou quelque chose qui est nié. Mais lorsqu’on
parle ainsi : ¨Le Père est le seul Dieu¨, aucune affirmation [rien Éd.
de Parme] ne suit. Il semble donc que l’expression soit fausse ou ne
convienne pas, et ainsi la conclusion est identique à la précédente. |
[1678]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, termini in praedicato tenentur
formaliter. Sed
solitudo non convenit formae, quia forma, quantum est de se, communicabilis
est. Ergo videtur quod non debeat poni ex parte praedicati ; et sic idem quod
prius. |
4. De plus, les termes
contenus dans le prédicat sont pris formellement. Mais la solitude ne
convient pas à la forme car celle-ci, quant à ce qu’elle est en elle-même,
est communicable. Il semble donc que le terme ¨seul¨ ne doive pas être placé
du côté du prédicat. Et ainsi la conclusion est la même que la précédente. |
[1679] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera. |
Cependant : 1. Ce qui est établi dans le
document est contraire aux conclusions qui précèdent. |
[1680]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod istae dictiones
exclusivae « solus », et « tantum » in hoc differunt,
quod tantum, cum sit adverbium, et similiter solum determinat actum verbi,
quia adverbium est adjectivum verbi ; unde cum verbum ratione compositionis
conjungat praedicatum subjecto, et ad utrumque se habeat, congrue possunt
ista adverbia tam ad subjectum quam ad praedicatum adjungi. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que ces termes exclusifs, à savoir ¨seul¨
et ¨uniquement¨ different en cela que ¨uniquement¨, puisqu’il est un adverbe,
tout comme ¨seulement¨, determine l’acte du verbe, car un adverbe est un
adjectif du verbe; c’est pourquoi, puisque le verbe en raison de la
composition conjugue le prédicat au sujet et se rapporte aux deux, ces
adverbes peuvent convenablement être ajoutés aussi bien au sujet qu’au
prédicat. |
Sed haec dictio
« solus » cum sit nomen privans consortium, est determinatio ejus
cum quo consortium potest haberi. Habetur autem consortium cum eo cui aliquid
convenit, et hoc significatur ut subjectum ; unde proprie est dispositio
subjecti. |
Mais ce terme ¨seul¨,
puisqu’il est un nom qui prive de la communauté, est une détermination de ce
avec quoi il peut y avoir communauté. Mais la communauté est étblie avec ce à
quoi quelque chose convient, et cela est signifié en tant que sujet ;
c’est pourquoi ce terme est proprement une disposition du sujet. |
Secundum haec igitur
dicunt, quod est impropria: « Trinitas est solus Deus », quia si ly
« solus » proprie tenetur, non additur ad praedicatum. Si autem
teneatur pro ly « tantum » superflue additur praedicato essentiali
vel substantiali, ut si diceretur: Socrates est tantum homo ; quia per
dictionem exclusivam non potest excludi nisi natura extranea ab eo cui
adjungitur. |
D’après cela ils disent donc
que l’énoncé suivant est impropre ; ¨La Trinité est le seul Dieu¨ ;
car si le terme ¨seul¨ est pris proprement, il n’est pas ajouté au prédicat.
Mais si à la place on prenait ¨uniquement¨, ce terme s’ajouterait inutilement
au prédicat essentiel ou substantiel, comme si on disait : Socrate est
uniquement un homme ; car au moyen d’un terme exclusif, il n’y a qu’une
nature extérieure qui puisse être exclue de ce à quoi il s’ajoute. |
Et hoc intelligitur etiam
ex ipso praedicato substantiali ; ex hoc enim quod dicitur, Socrates est homo,
intelligitur quod non est asinus vel equus. Et similiter dicunt, quod
superflue additur, cum dicitur, Trinitas est tantum Deus: nisi addatur
« unus », vel aliquis alius terminus accidentalis, qui possit
inesse vel non inesse ; quia sic excluderetur oppositum unitatis quod est
pluralitas. |
Et cela s’entend aussi à
partir du prédicat substantiel lui-même ; en effet, à partir de ce qui
est dit, à savoir Socrate est un homme, on comprend qu’il n’est pas un âme ou
un cheval. Et de la même manière ils disent que le terme exclusif s’ajoute
inutilement lorsqu’on dit que la Trinité est uniquement Dieu, à moins qu’on
ajoute ¨un¨, ou un autre terme accidentel qui pourrait appartenir ou ne pas
appartenir ; car ainsi serait exclu l’opposé de l’unité qui est la pluralité. |
Et dicunt, quod intentio
Augustini non est dicere, quod hoc quod dico « Solus Deus »
praedicetur de Trinitate, ut Magister innuit ; sed cum dicitur « Solus
Deus », supponitur Trinitas, et non Pater vel Filius. Sed hoc non
videtur multum necessarium. |
Et ils disent que l’intention
de Saint-Augustin n’est pas de dire que ce que je dis, à savoir ¨Seul Dieu¨,
s’attribue à la Trinité, comme le Maître l’indiquait ; mais lorsqu’on
dit ¨Seul Dieu¨, c’est la Trinité qui est supposée et non le Père ou la Fils.
Mais cela ne semble pas être grandement nécessaire. |
Quamvis enim ly
« solus » sit dispositio subjecti, non tamen oportet quod addatur
semper ad subjectum ; quia illud etiam quod in praedicato ponitur, potest
significari ut suppositum alicui naturae vel proprietati, ratione cujus
potest ab eo privari consortium, ut si diceretur: Socrates est solus homo
sedens. |
En effet, bien que ce ¨seul¨
soit une disposition du sujet, il n’est cependant pas nécessaire qu’il soit
toujours ajouté au sujet ; car même ce qui est posé dans le prédicat,
peut être signifié comme le suppôt d’une nature ou d’une propriété, en raison
de quoi la communauté peut être retirée de lui, comme si on disait :
Socrate est le seul homme assis. |
Similiter dico in
proposito, quod alio modo praedicatur hoc nomen « Deus » de tribus
personis, et hoc nomen homo de Socrate et Platone. Cum enim non praedicetur
de utroque nisi id quod utrique commune est ; utrique autem non est commune
nisi natura humana, quae in se considerata non est quid subsistens ; constat
quod iste terminus « homo » non praedicat aliquam rem subsistentem,
sed solum naturam inhaerentem, et ut inhaerentem ; et ideo non potest sibi
fieri additio hujus dictionis « solus », quae privat consortium. |
De la même manière je dis
dans notre propos que le nom ¨Dieu¨ s’attribue aux trois personnes d’une
manière autre que le nom ¨homme¨ s’attribue à Socrate ou à Platon. En effet,
puisque ne s’attribue aux deux que ce qui leur est commun et qu’il n’y a que
la nature humaine qui soit commune aux deux, qui en elle-même n’est pas
quelque chose de subsistant, il est clair que ce terme ¨homme¨ n’attribue pas
une réalité subsistante, mais seulement une nature inhérente et en tant
qu’elle est inhérente ; et c’est pourquoi il ne peut y avoir là addition
de ce terme ¨seul¨ qui prive d’une communauté. |
Naturae enim communis non
est ut ipsa habeat consortium, sed in ipsa consortium habeatur. Sed iste
terminus Deus praedicat naturam divinam de tribus personis, quae etiam in se
est habens esse subsistens nulla personarum distinctione intellecta. Unde
quamvis praedicet naturam divinam ut naturam divinam et non ut quid
subsistens, nihilominus tamen hoc quod praedicat, quid subsistens est ; et
ideo habet rationem ut in ipsa sit consortium, prout significatur in quo est,
et ut ipsius sit consortium, secundum aliquid sibi conveniens, prout
significatur ut quid est. |
En effet, il n’appartient pas
à une nature commune de posséder elle-même une communauté, mais qu’en elle
une communauté soit possédée. Mais ce terme ¨Dieu¨ attribue la nature divine
aux trois personnes, laquelle nature, ne comprenant aucune distinction des
personnes divines, possède aussi en elle une existence subsistante. C’est
pourquoi, bien que le terme Dieu attribue la nature divine en tant que nature
divine et non en tant que quelque chose de subsistant, néanmoins cependant ce
qu’il attribue est quelque chose de subsistant ; et c’est pourquoi elle
a raison d’avoir en elle une communauté, selon qu’est signifié ce en quoi
elle est, et que la communauté lui appartienne en tant que quelque chose qui
lui appartient, selon qu’elle est signifiée en tant que nature. |
[1681] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod diversimode haec dictio
« omnis » est dispositio subjecti, et haec dictio solus: quia per
hanc dictionem « omnis », ratione distributionis importatur quaedam
divisio subjecti, et multiplicatio ratione contentorum. Unde incongrue
additur his sub quibus non est accipere aliquam multitudinem suppositorum, ut
terminis singularibus. Et propter hoc etiam ex parte praedicati poni non
potest ; quia praedicatum sumitur formaliter, et in forma communi uniuntur
supposita, non distinguuntur. « Solus » autem non dicit aliquam
divisionem, sed tantum removet consortium respectu alicujus quod convenit rei
subsistenti. Unde si praedicetur aliqua res subsistens, convenienter potest
sibi addi « solus », sicut cum praedicatur hoc nomen
« Deus ». |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est d’une manière différente que les termes
¨tout¨ et ¨seul¨ sont des dispositions du sujet : car au moyen du terme
¨tout¨ une certaine division du sujet est impliquée en raison de la
distribution, tout comme une certaine multiplication en raison de ce qui y
est contenu. C’est pourquoi il ne convient pas de l’ajouter aux termes sous
lesquels il n’y a pas à prendre une certaine multiplicité de suppôts, par
exemple à des termes singuliers. Et c’est pour cette raison aussi qu’il ne
peut être placé du côté du prédicat ; car le prédicat se prend formellement
et les suppôts sont unis et non séparés dans une forme commune. Mais le terme
¨seul¨ ne renvoie pas à une division, mais il enlève seulement une communauté
par rapport à quelque chose qui convient à une réalité subsistante. C’est
pourquoi, si une réalité subsistante est attribuée, on peut convenablement
lui attribuer le terme ¨seul¨, comme lorsqu’on attribue le terme ¨Dieu¨. |
[1682] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum haec dictio
« solus » ex parte praedicati sequitur suum substantivum, semper
implicat solitudinem. Tunc enim excluditur consortium simpliciter, et non
respectu alicujus determinati, cum nihil sequatur. Et ideo quamvis concedatur
haec, « Trinitas est solus Deus », non tamen conceditur, proprie
loquendo, « Trinitas est Deus solus » ; et hoc accidit ratione
negationis importatae. Unde non est idem judicium de hoc homine
« solus », et de hoc nomine « albus » ; differt enim
negatio postposita et praeposita termino. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que lorsque ce terme ¨seul¨ suit son substantif du côté du prédicat, il
implique toujours la solitude. Alors en effet la communauté est exclue
absolument, et non par rapport à quelque chose de déterminé, puisque rien ne
suit. Et c’est pourquoi, bien qu’il faille concéder cette proposition :
¨La Trinité est le seul Dieu¨, on ne concède cependant pas, à proprement
parler, celle-là : ¨La Trinité est Dieu seul¨ ; et cela se produit
en raison de la négation impliquée. C’est pourquoi le jugement au sujet de
cet homme ¨seul¨ n’est pas identique au jugement au sujet de cet homme
¨blanc¨ ; en effet, la négation qui suit le terme diffère de celle qui
le précède. |
[1683] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hac propositione,
« Trinitas est solus Deus vel solus verus Deus », intelligitur
duplex compositio ; una principalis, quae est importata per verbum ; et alia
intelligitur in hoc nomine « Deus », prout significatur habens
deitatem. Unde ratione hujus compositionis potest fieri exclusio, secundum
quod aliquid excluditur a participatione formae praedicati, quae convenit rei
subsistenti praedicatae. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que dans cette proposition, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu
ou le seul vrai Dieu¨, on entend deux compositions : la première et la
principale, qui est impliquée par le verbe ; la deuxième qui est
comprise dans le nom ¨Dieu¨, selon qu’il signifie celui qui possède la
divinité. C’est pourquoi, en raison de cette composition il peut se produire
une exclusion, selon que quelque chose est exclu de la participation à la
forme du prédicat qui convient à la chose subsistante dont on parle. |
[1684] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen « Deus »
non praedicat naturam divinam solum per modum formae, sicut alia praedicata
substantialia, prout significatur natura divina ut quo est, sed ut rem
subsistentem, prout significatur ut quod est ; et secundum hoc potest ei addi
« solus ». Dictum enim est supra, distin. 19, quaest. 4, art. 2, quod
hoc nomen « Deus » partim habet rationem termini communis, et
partim rationem termini singularis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ce nom, ¨Dieu¨, n’attribue pas la nature divine seulement à la
manière d’une forme, comme les autres prédicats substantiels, selon que la
nature divine serait signifiée en tant que ¨ce par quoi¨, mais comme une
réalité subsistante, selon qu’elle est signifiée en tant que ce qui
est ; et en ce sens on peut lui ajouter le terme ¨seul¨. Nous avons dit
en effet plus haut [dist. 19, quest. 4, art. 2] quece nom ¨Dieu¨ a en partie
raison de terme commun et en partie raison de terme singulier. |
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Articulus 2 [1685] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum pater sit
solus Deus |
Article 2 – Le Père est-il le seul Dieu ? |
[1686]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater sit
solus Deus. Omne enim quod praedicatur de tribus personis simul sumptis, est
praedicatum essentiale. Sed hoc quod dico, « solus Deus » est
hujusmodi, dicitur enim: « Trinitas est solus Deus ». Ergo videtur,
cum omne praedicatum essentiale possit dici de patre, quod possit dici:
« Pater est solus Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble que le Père soit
le seul Dieu. En effet, tout ce qui s’attribue aux trois personnes prises simultanément
est un prédicat essentiel. Mais ce que j’appelle ¨seul Dieu¨ est un attribut
de cette sorte, car on dit en effet : ¨la Trinité est le seul Dieu¨. Il
semble donc, puisque tout prédicat essentiel peut se dire du Père, qu’on
puisse aussi dire : ¨Le Père est le seul Dieu¨. |
[1687] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Pater est Deus, et non est aliud quam Deus.
Ergo est solus Deus. |
2. Par ailleurs, le Père est
Dieu et il n’est pas autre chose que Dieu. Donc, il est le seul Dieu. |
[1688] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, constat quod non est nisi unus solus Deus. Sed
ille Deus praeter quem non est alius [praeter… alius om. Ed. de Parme]
Deus, est Pater. Ergo Pater est unus solus Deus. |
3. En outre, il est clair
qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais ce Dieu en dehors duquel il
n’y a pas un autre [en dehors…un autre om. Éd. de Parme] Dieu, est
le Père. Donc le Père est l’unique et seul Dieu. |
[1689] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qu’on dit dans le
document est contraire à ces conclusions. |
[1690]
Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur,
« Pater est solus Deus », haec dictio « solus » quamvis
ex parte praedicati ponatur, tamen potest intelligi ex parte subjecti ; ut
cum dicitur: est homo albus, intelligitur homo est albus ; et tunc erit idem
judicium de hac sicut et de illa quae supra, art. antec., dicta est:
« Solus Pater est Deus ». Si autem intelligatur ex parte praedicati,
tunc uno modo potest intelligi, quod ly « solus » ponatur pro
« tantum », et sic erit vera. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨, ce terme, ¨seul¨, bien
qu’il soit posé du côté du prédicat, peut cependant s’entendre comme étant du
côté du sujet ; comme lorsqu’on dit : il est un homme blanc, on
entend : l’homme est blanc ; et alors le jugement sur cette
proposition sera identique à celui qu’on portait sur la proposition dont on
parlait dans l’article précédent : ¨Seul le Père est Dieu¨. Mais si on
l’entend du côté du prédicat, alors on ne peut l’entendre que d’une seule
manière, à savoir que ce ¨seul¨ est pris pour ¨seulement¨, et ainsi elle sera
vraie. |
Nec erit superflua additio
; quia Filius quamvis sit Deus, non tamen est tantum Deus, quia est etiam
homo, quod de Patre dici non potest, cum tamen Pater humanam naturam assumere
potuerit. Sed sic non accipitur hic. Si autem ly « solus » sumatur
proprie, tunc habet proprietatem ista locutio, secundum quod hoc praedicatum
« Deus » non tantum praedicat naturam deitatis ut formam, sed ut
quid subsistens. |
Et dans ce cas l’addition se
sera pas inutile car le Fils, bien qu’il soit Dieu, n’est cependant pas
seulement Dieu parce qu’il est aussi homme, ce qui ne peut être
dit du Père, bien que le Père aurait cependant pu prendre la nature humaine.
Mais ce n’est pas ainsi qu’on le prend ici. Mais si le ¨seul¨ se prend
proprement, alors cette expression possède la propriété selon laquelle ce
prédicat ¨Dieu¨ n’attribue pas seulement la nature de la divinité en tant que
forme, mais aussi en tant qu’être subsistant. |
Dico igitur, quod cum
dicitur, « Pater est solus Deus », locutio est duplex. Quia ly
« solus » potest excludere omne aliud a Patre a participatione
formae praedicati ; et sic vera est ; sic enim non excluditur Filius neque
Spiritus sanctus ; qui non sunt aliud a supposito Patris. Si autem excludat
alium masculine, tunc est falsa: in quo tamen sensu vera est ista,
« Trinitas est solus Deus » ; quia cum ly « Deus »
praedicet non tantum naturam, sed etiam suppositum, quando praedicatur de
Trinitate praedicat suppositum totius Trinitatis ; et ideo etiam si fiat
exclusio ratione alterius suppositi, vera est: quia nullum aliud suppositum
extra Trinitatem, sicut nec alia natura, Deus est. Sed cum dicitur:
« Pater est Deus », ly « Deus » praedicat suppositum
Patris ; unde si fiat exclusio respectu ejus quod est aliud suppositum a
Patre, est falsa ; et in hoc sensu negatur ; si autem ejus quod est aliud in
natura a Patre, vera est. |
Je dis donc que lorsqu’on
dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨, l’énoncé est double. Car ce ¨seul¨
peut exclure ce qui est d’une toute autre nature que le Père de la
participation de la forme du prédicat ; et ainsi il est vrai ;
ainsi en effet, ni le Fils ni l’Esprit-Saint n’est exclu, lesquels ne sont
pas autre chose que le suppôt du Père. Mais s’il excluait un autre au
masculin, alors il serait faux : c’est cependant en ce sens que cette
proposition est vraie : ¨La Trinité est le seul Dieu¨ ; car lorsque
¨Dieu¨ attribuera non seulement la nature mais aussi le suppôt, quand il est
attribué à la Trinité il attribue le suppôt de toute la Trinité ; et
c’est pourquoi encore s’il se produit une exclusion en raison d’un autre
suppôt, il est vrai : car il n’y a aucun autre suppôt en dehors de la
Trinité, ni aucune autre nature, qui est Dieu. Mais lorsqu’on dit ¨Le Père
est Dieu¨, ce ¨Dieu¨ attribue le suppôt du Père ; et s’il y avait
exclusion par rapport à ce qui est un autre suppôt que le Père, il est faux ;
et en ce sens il est nié ; mais si l’exclusion a lieu par rapport à ce
qui est d’une autre nature que le Père, alors l’énoncé est vrai. |
[1691] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod secundum quod ly
« solus » excludit suppositum extraneum, et non solum extraneam
naturam, ad plura extendit se negatio implicita, cum dicitur: « Pater
est solus Deus », quam cum dicitur: « Trinitas est solus
Deus ». Quia in hac cum dicitur: « Pater est solus Deus »,
excluditur etiam suppositum Filii et Spiritus sancti. Et ideo haec est falsa,
secundum illum intellectum, « Pater est solus Deus » ; quamvis haec
sit vera, « Trinitas est solus Deus ». Nec hoc est ratione
praedicati essentialis, sed ratione negationis excludentis suppositum illud. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que selon que ce ¨seul¨ exclut un suppôt extérieur et non
seulement une nature extérieure, la négation implicite s’étend à un plus
grand nombre lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨ que lorsqu’on dit :
¨La Trinité est le seul Dieu¨. Car dans celle dans laquelle on dit :¨Le
Père est le seul Dieu¨, on exclut aussi le suppôt du Fils et celui de
l’Esprit-Saint. Et c’est pourquoi cet énoncé, à savoir : ¨Le Père est le
seul Dieu¨, est faux suivant cette conception, bien que celle-ci : ¨La
Trinité est le seul Dieu¨, soit vraie. Et cela n’est pas en raison du
prédicat essentiel, mais en raison de la négation qui exclut ce suppôt. |
[1692] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum, dicendum, quod si ly « solus »
proprie sumatur, non est illa expositio ejus, sed magis esset expositio ejus
si « solus » sumeretur pro « tantum », et in hoc sensu
concessa est. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que si ce ¨seul¨ est pris proprement, cette explication ne convient pas
à cet énoncé, mais elle lui conviendrait davantage si ¨seul¨ était pris pour
¨seulement¨, et en ce sens elle est concédée. |
[1693] Super Sent., lib. 1
d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si ly « solus »
proprie sumatur, per illud argumentum non probatur quod sit vera:
« Pater est solus Deus », sed magis quod ista est vera:
« Solus Deus est Pater », et haec secundum aliquem sensum supra
concessa est. Si autem assumatur, Pater est ille Deus, praeter quem non est
alius, haec propositio est multiplex: quia hoc relativum quem potest referre
distinctum suppositum Patris ut sit sensus: praeter Patrem non est alius. Et
si intelligatur: non est alius Deus, verum est, quia Filius non est alius
Deus a Patre ; si autem intelligatur: praeter Patrem non est alius qui sit
Deus, falsa est, quia Filius est alius a Patre, qui tamen est Deus. Si vero
relativum referat suppositum indistincte, secundum quod supponit hoc nomen
Deus cum dicitur: « Deus » est unus, tunc est vera in omni sensu.
Et sic patet quod non concludetur propositum, nisi per modum quo propositio
dicta concessa est in distinctione supra posita. |
3. En troisième lieu il faut
dire que si ce ¨seul¨ est pris proprement, on ne prouve pas par cet argument
que cet énoncé, à savoir ¨Le Père est le seul Dieu¨, est vrai, mais plutôt
que cet autre énoncé est vrai : ¨Le seul Dieu est le Père¨, et celle-ci
en un certain sens a été concédée plus haut. Mais si on assume quele Père est
ce Dieu en dehors duquel il n’y en a pas un autre, cette proposition
peut se prendre de plusieurs manières : car ce relatif,¨duquel¨, peut
renvoyer au suppôt distinct du Père de manière à ce que le sens
soit : en dehors du Père il n’y a pas un autre . Et si on
comprend : il n’y a pas un autre Dieu, elle est vraie, car le Fils n’est
pas un autre Dieu que le Père ; mais si on comprend par là : en
dehors du Père il n’y en a pas un autre qui soit Dieu, alors elle est fausse
car le Fils est autre que le Père et cependant il est Dieu. Mais si le
relatif représente le suppôt d’une manière indistincte, selon que le suppose
ce nom ¨Dieu¨ lorsqu’on dit : ¨Dieu¨ est un, alors la proposition est
vraie dans tous les sens. Et ainsi il est clair que le propos n’est conclu
que de la manière par laquelle la proposition dont on parle a été concédée
dans la distinction présentée plus haut. |
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Distinctio 22 |
Distinction 22 – [Les noms divins – suite] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le nom attribué à Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum Deus sit nominabilis ; 2 an aliquod nomen proprie ei conveniat, vel
omnia nomina de eo transumptive dicantur ; 3 utrum sit nominandus uno tantum nomine,
vel pluribus, vel etiam omnibus ; 4 quaeritur de multiplicatione divinorum
nominum in littera posita. |
La recherche porte ici sur
quatre points : 1. Est-ce qu’un nom peut être
attribué à Dieu ? 2. Est-ce qu’un nom lui
convient proprement ou bien tout nom lui est attribué par métaphore ? 3. Doit-il être nommé d’un
seul nom, de plusieurs ou même de tous ? 4. Pourquoi retrouve-t-on
dans ce document une multitude de noms ? |
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Articulus 1 [1696] Super Sent., lib. 1 d. 22
q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit nominabilis |
Article 1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom ? |
[1697] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit nominabilis, per
id quod dicit Dionysius I cap. De divinis nominibus, col.
586, de Deo loquens: « Omnibus autem universaliter incomprehensibilis
est, et neque sensus ejus est, neque phantasma, neque opinio, neque nomen,
neque sermo, neque tactus, neque scientia ». Hoc etiam videtur per
hoc quod dicit philosophus Lib. De causis proposit. 6:
« Causa prima superior est narratione, et deficiunt linguae a
narratione ejus ». |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
puisse être nommé, d’après ce qu’en dit Denys [Les Noms Divins, ch. 1,
col. 586] lorsqu’il parle de Dieu : ¨ Mais Dieu dépasse
absolument toute compréhension et aucune sensation, aucune image, aucune
opinion, aucun nom, aucun discours, aucun toucher, aucune science ne peuvent
l’atteindre¨. La même conclusion semble découler de ce qu’en dit le
Philosophe [Livre des Causes, proposit. 6] : ¨La cause première
dépasse tout discours et les langues sont impuissantes à le faire connaître¨. |
[1698] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 2 Item, omne nomen est signum alicujus formae existentis in anima,
secundum philosophum in prol. I Periher. Sed, sicut dicit
Augustinus, Deus, qui omnem formam subterfugit, intellectui pervius esse non
potest. Ergo videtur quod nullo nomine possit nominari. |
2. En outre, d’après le
Philosophe [1 Perihermeneias, prologue], tout nom est le signe
d’une forme qui existe dans l’âme. Mais, tout comme le dit Saint-Augustin,
Dieu, qui échappe à toute forme, ne peut être accessible à l’intelligence. Il
semble donc qu’il ne puisse être nommé par aucun nom. |
[1699] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, si nominatur, aut nominatur per nomen, aut per pronomen,
aut per verbum, aut per participium. Sed non potest nominari per nomen, cum
omne nomen significet substantiam cum qualitate ; in Deo autem nulla est
compositio substantiae et qualitatis ; nec per verbum, nec per participium,
quae tempus consignificant, quod a Deo longe est ; nec per pronomen, cum
pronominis significatio determinetur per demonstrationem vel relationem ;
demonstratio autem fit mediantibus accidentibus, quae in Deo non sunt, et
relatio est antedictae rei recordatio, et sic per relationem significari non
potest, nisi aliquid aliud praesupponatur vel praenominetur. Ergo videtur
quod nullo modo possit nominari. |
3. Par ailleurs, s’il est
nommé, ou bien il est nommé par un nom, ou bien par un pronom, ou bien par un
verbe ou un participe. Mais il ne peut être nommé par un nom, puisque tout
nom signifie une substance avec une qualité ; mais en Dieu il n’y a
nulle composition d’une substance avec une qualité ; et il ne peut être
nommé par un verbe ni par un participe car ces derniers consignifient le
temps qui est étranger à Dieu ; et il ne peut non plus être nommé par un
pronom, puisque la signification d’un pronom est déterminée par une
démonstration ou une relation ; mais il n’y a démonstration au moyen
d’accidents, lesquels n’existent pas en Dieu, alors que la relation est un
rappel de la chose dont on vient de parler et ainsi ne peut être signifié par
une relation que quelque chose d’autre qui est présuppposé ou prénommé. Il
semble donc que Dieu ne puisse être nommé d’aucune manière. |
[1700] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1
s. c. 1 Contra, in ps. LXVII, 5, dicitur: Dominus nomen
illi ; et Exod. III, 13: « Si quaesierint nomen meum… »
et cetera. |
Cependant : 1. On dit au contraire [Psaume LXVII,
5] : Le Seigneur est son nom ; et ailleurs on dit encore [Exode 111,
13] : ¨S’ils te demandent mon nom…¨ etc. |
[1701] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 s.
c. 2 Praeterea, omne quod cognoscitur, potest etiam voce significari. Sed nos aliquo modo
cognoscimus Deum vel per fidem vel per naturalem cognitionem. Ergo possumus eum nominare. |
|
[1702] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod cum voces sint signa intellectuum, secundum philosophum, idem
judicium est de cognitione rei et nominatione ejus. Unde sicut Deum
imperfecte cognoscimus, ita etiam imperfecte nominamus, quasi balbutiendo, ut
dicit Gregorius. Ipse autem solus seipsum comprehendit ; et ideo ipse solus
seipsum perfecte nominavit, ut ita dicam, verbum coaequale sibi generando. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque les mots sont les signes des concepts d’après le Philosophe, le
jugement sur le nom d’une réalité est le même que celui qu’on porte sur la
connaissance de la chose. De là, tout comme nous connaissons Dieu d’une
manière imparfaite, de même nous le nommons d’une manière imparfaite, comme
en balbutiant, ainsi que le dit Saint-Grégoire. Mais Dieu seul se comprend
lui-même, et c’est pourquoi il n’y a que Lui qui puisse se nommer
parfaitement et, pour le dire ainsi, au moyen d’un verbe qui lui est égal
quand il l’engendre |
[1703] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod omnes auctoritates quae dicunt Deum esse
innominabilem, intendunt dicere, quod nullum nomen exprimit perfecte ipsum
Deum: quod significatur in verbis philosophi, qui dicit, lib. De
causis, proposit. 6) quod « Linguae deficiunt a narratione ejus ;
et quod alibi dicit, proposit. 22: causa prima superior est omni
narratione, et supra omne id quod nominatur ». |
Solutions ; 1. Il faut donc dire en
premier lieu que tous les témoignages d’autorité qui disent que Dieu ne
peut être nommé cherchent à dire qu’aucun nom n’exprime parfaitement Dieu
lui-même : et c’est là ce qui est signifié par les paroles du Philosophe
qui dit [Des Causes, prop. 6] que ¨Les langues sont impuissates à
le raconter¨ ; et il dit plus loin [De Causis, prop.
22] : ¨La cause première dépasse tout discours et tout ce qui peut
être nommé¨. |
[1704] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod si Augustinus intelligat de forma corporali,
sic planum est quod Deus non habet formam corporalem, nec oportet quod omne
quod nominatur, formam corporalem habeat. Si autem intelligat de forma
absolute, tunc dicitur omnem formam subterfugere, non quia ipse in se non sit
vere forma, cum ipse sit purus actus et simplex et prima forma, secundum
Boetium, lib. De Trinit., cap. II, col. 1250, sed quia
quamcumque formam intellectus concipiat, Deus subterfugiat illam sui
eminentia. Si enim intellectus noster apprehendit sapientiam, ipse Deus in
sapientia sua excedit omnem sapientiam a nobis intellectam. Et ideo concludit
quod non est pervius nostro intellectui, ita quod in ipsum ire perfecte
comprehendendo possit. Propter quod etiam Dionysius dicit, cap. II, Caelest.
Hierar., col. 135), quod quidquid de ipso affirmamus, potest etiam
de ipso negari: quia sibi non competit secundum hoc quod nos intelligimus et
nomine significamus, sed excellentius. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que si Saint-Augustin entendait parler de la forme corporelle, alors il
est clair que Dieu ne possède pas de forme corporelle, et il n’est pas
nécessaire que tout ce qui est nommé possède une forme corporelle. Mais s’il
entend parler de la forme prise absolument, alors on dit de Dieu qu’il
échappe à toute forme, non pas parce que Lui-même n’est pas une véritable
forme, puisque Lui-même est un acte pur et simple et une forme première selon
Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250], mais parce que Dieu, par son
excellence, échappe à toute forme que l’intelligence conçoit. Si en effet
notre intelligence appréhende quelque chose de la sagesse, Dieu lui-même dans
sa sagesse dépasse toute sagesse que nous pouvons saisir. Et c’est pourquoi
Saint-Augustin conclut que Dieu n’est pas accessible à notre intelligence, de
telle manière qu’elle ne puisse aller parfaitement vers Lui d’une
connaissance compréhensive. Et c’est pour cette raison que Denys dit aussi [De
la Hiérarchie Céleste, ch. 11, col. 135] que tout ce que nous pouvons
affirmer de Dieu, nous pouvons aussi le nier : car cela ne lui
appartient pas suivant ce que nous pouvons en comprendre et signifier par un
nom, mais d’une manière plus excellente encore. |
[1705] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod potest significari et nomine et pronomine et
verbo et participio. Cum enim dicitur, quod nomen significat substantiam cum
qualitate, non intelligitur qualitas et substantia proprie, secundum quod logicus
accipit praedicamenta distinguens. Sed grammaticus accipit substantiam
quantum ad modum significandi, et similiter qualitatem ; et ideo, quia illud
quod significatur per nomen significatur ut aliquid subsistens, secundum quod
de eo potest aliquid praedicari, quamvis secundum rem non sit subsistens,
sicut albedo dicit, quod significat substantiam, ad differentiam verbi, quod
non significat ut aliquid subsistens. Et quia in quolibet nomine est
considerare id a quo imponitur nomen, quod est quasi principium innotescendi,
ideo quantum ad hoc habet modum qualitatis, secundum quod qualitas vel forma
est principium cognoscendi rem. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que Dieu peut être signifié à la fois par un nom, un pronom, un verbe et
un participe. En effet, lorsqu’on dit que le nom signifie une substance avec
une qualité, on n’entend pas la substance et la qualité au sens propre, selon
que le logicien les prend en distinguant les prédicaments. Mais le
grammairien prend la substance, comme la qualité, quant au mode de
signifier ; et c’est pourquoi , parce que ce qui est signifié par le nom
est signifié comme quelque chose de subsistant selon qu’on peut lui attribuer
quelque chose, bien qu’en réalité il ne soit pas subsistant comme c’est le
cas pour la blancheur, il signifie à la manière d’une substance à la
différence du verbe qui ne signifie pas comme quelque chose de subsistant. Et
parce que pour tout nom il faut considérer ce à partir de quoi le nom est
imposé et qui est comme le principe qui fait connaître, c’et pourquoi quant à
cela le nom possède le mode de la qualité, selon que la qualité ou la forme
est le principe qui fait connaître la chose. |
Unde, secundum
philosophum, V Metaph.,text. 19, uno modo forma substantialis
qualitas dicitur. Nec refert quantum ad significationem nominis, utrum
principium innotescendi sit idem re cum eo quod nomine significatur, ut in
abstractis, vel diversum, ut in hoc nomine homo. Et quia Deus seipso
cognoscitur, ideo potest significari per nomen quod habeat qualitatem quantum
ad rationem a qua nomen imponitur, et substantiam quantum ad id cui
imponitur. |
C’est
pourquoi, d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 19] en un
sens la forme substantielle est appelée qualité. Et que le príncipe qui fait
connaître soit identique en réalité avec ce qui est signifié par le nom,
comme dans les noms abstraits, ou différent comme dans ce nom ¨homme¨, cela
ne se rapporte pas à la signification du nom. Et parce que Dieu est connu par
Lui-même, c’est pourquoi il peut être signifié par un nom qui a raison de
qualité quant à la raison par laquelle le nom est imposé, et qui a raison de
substance quant à ce à quoi il est imposé. |
Similiter dicendum est de pronomine, quod
etiam per pronomen significari potest, ut habetur Exod. 3, 14: « Ego
sum qui sum ». Et quamvis non possit demonstrari quantum ad sensum,
tamen potest demonstrari quantum ad intellectum, secundum id quod intellectus
de ipso apprehendere potest. Potest etiam significari per pronomen relativum,
cum ponatur ipsum significari per nomen quod relativum referre potest.
Similiter etiam per verbum vel participium potest significari, ut cum
dicitur, quod ipse est intelligens vel potens vel hujusmodi. Et tamen verba
et participia dicta de ipso non significant aliquid temporale in ipso. Sed verum
est quod quantum ad modum significandi quo tempus significant, deficiunt a
repraesentatione ipsius. |
Il faut dire la meme chose du
pronom, à savoir que Dieu peut être nommé aussi par un pronom comme on le dit
dans l’Exode (3, 14) : ¨Je suis celui qui est¨. Et
bien qu’il ne puisse être montré par le sens, cependant il peut être démontré
quant à l’intelligence selon ce que cette dernière peut comprendre de Lui. Il
peut aussi être signifié par un pronom relatif puiqu’on pose qu’il
est signifié par le nom auquel le relatif peut référer. De même encore il
peut être signifié par le verbe ou le participe, comme lorsqu’on dit de Lui
qu’il est intelligent, puissant et d’autres choses de cette sorte. Et
cependant les verbes et les participes dits de Lui ne signifient pas quelque
chose de temporel en Lui. Mais il est vrai que quant au mode de signifier par
lequel ils signifient le temps, ils échouent à le représenter d’une manière
adéquate. |
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Articulus 2 [1706] Super Sent., lib. 1 d. 22
q. 1 a. 2 tit. Utrum aliquod nomen possit dici proprie de Deo |
Article 2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour Dieu ? |
[1707] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nullum nomen de Deo proprie
dici possit. Nihil enim proprie dicitur de aliquo quod verius negetur de ipso
quam affirmetur. Sed, secundum Dionysium, II cap. Caelest.
Hierarch., § 3, col. 139, verius omnia nomina quae de Deo dicuntur,
de ipso negantur quam affirmantur ; unde dicit, quod negationes in divinis
sunt vere affirmationes incompactae. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’aucun nom ne
puisse se dire proprement de Dieu. En effet, rien de ce qu’il est plus vrai
de nier que d’affirmer d’un être ne se dit proprement de lui. Mais d’après
Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, &3, col. 139], tous les
noms qu’on attribue à Dieu sont niés de Lui avec plus de vérité qu’ils en
sont affirmés ; c’est pourquoi il dit que par rapport à Dieu, les
négations sont de vraies mais les affirmations sont inconsistantes. Donc,
aucun nom ne se dit proprement de Dieu. |
[1708] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, Deum non possumus nominare, nisi secundum quod ipsum
cognoscimus. Sed non cognoscimus ipsum nisi ex effectibus suis, vel per viam
causalitatis, vel per viam negationis, vel per viam eminentiae. Ergo non
potest nominari a nobis nisi ex creaturis. Sed quandocumque nomen creaturae
praedicatur de Deo, non est vera praedicatio nisi intelligatur metaphorice
vel transumptive, ut cum dicitur, Deus est leo, vel, Deus est lapis. Ergo
videtur quod nullum nomen proprie dicatur de Deo, sed metaphorice. |
2. Par ailleurs, nous ne
pouvons nommer Dieu que dans la mesure où nous le connaissons. Mais nous ne
pouvons le connaître que par ses effets ou par voie de causalité, ou par voie
de négation, ou par voie d’excellence. Nous ne pouvons donc le nommer qu’à
partir des créatures. Mais à chaque fois qu’on attribue à Dieu un nom de la
créature, ce n’est là une vraie attribution que si on l’entend au sens
métaphorique ou à la manière d’un transfert, comme lorsqu’on dit de Dieu
qu’il est un lion ou une pierre. Il semble donc qu’aucun nom ne se dise
proprement de Dieu, mais seulement en un sens métaphorique. |
[1709] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, magis differt sapientia creata vel esse creatum, a Deo,
quam differat floritio prati a risu hominis. Sed, ratione hujus diversitatis,
pratum non dicitur ridere nisi metaphorice. Ergo videtur quod etiam Deus non
possit dici sapiens, vel aliquid aliud, nisi metaphorice. |
3. De plus, la sagesse créée
ou l’existence créée diffère davantage de Dieu que la prairie en fleur ne
diffère du rire de l’homme. Mais, en raison de cette différence, on ne dit de
la prairie qu’elle rit qu’en un sens métaphorique. Il semble donc aussi qu’on
ne puisse dire de Dieu qu’il est sage, ou qu’il possède tout autre attribut,
qu’en un sens métaphorique. |
[1710] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, quandocumque aliquod nomen importans aliquam corporalem
conditionem Dei dignitati repugnantem, dicitur de Deo, non potest dici nisi
metaphorice ; et eadem ratione quandocumque conditionem Deo non convenientem
importet, non poterit de Deo proprie dici. Sed omne nomen a nobis impositum
importat aliquam conditionem divinae dignitati repugnantem, ut patet in
verbis, quae consignificant tempus, et in nominibus, quae vel in abstracto
dicuntur, ut scientia et humanitas, quae dicunt quid imperfectum et non in se
subsistens, vel in concreto, quae important quamdam compositionem: quorum
neutrum Deo competit. Ergo videtur quod nihil proprie de Deo dicatur. |
|
[1711] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
s. c. 1 Contra, quidquid dicitur de aliquibus per prius et posterius, magis
proprie convenit ei de quo per prius dicitur ; sicut ens per prius convenit substantiae
quam accidenti. Sed quaedam sunt quae per prius dicuntur de Deo quam de
creaturis, sicut paternitas, sicut habetur Ephes. 3, 15: ex quo omnis
paternitas in caelis et in terra nominatur: et eadem ratione bonitas et
cetera. Ergo videtur quod hujusmodi nomina etiam magis proprie dicantur de
ipso quam de creaturis. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce
qu’on dit des choses selon l’avant et l’après appartient plus proprement à la
chose à laquelle il s’attribue en priorité ; par exemple, l’être
s’attribue en priorité à la substance, et comme secondairement à l’accident.
Mais il y a certaines choses qui s’attribuent en priorité à Dieu plutôt
qu’aux créatures, comme la paternité ainsi que l’établit l’Apôtre [Éphésiens,
3, 15] : Il est Celui de qui toute paternité est nommée dans les
cieux et sur la terre. Et la même raison vaut pour la bonté et d’autres
attributs de cette sorte. Il semble donc que de tels noms se disent plus
proprement de Dieu que des créatures. |
[1712] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per Dionysium,
cap. I, De div.
Nom., § 8, col. 598, qui distinguit nomina symbolica, idest
metaphorice dicta, ab aliis divinis nominibus: et ita videtur quod non omnia
dicantur transumptive: quod etiam videtur ex divisione Augustini et Ambrosii
in Littera. |
2. En outre, c’est là ce que
nous fait voir Denys [Les Noms Divins, ch. 1, & 8, col. 598] qui
distingue les noms symbolique, c’est-à-dire métaphoriques, des autres noms
divins : et ainsi il semble que ce ne soient pas tous les noms qui se
disent par mode de transfert : c’est aussi ce qu’on voit à partir de la
division qu’en font Saint-Augustin et Saint-Ambroise dans le document. |
[1713] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quamvis omnis perfectio
quae in creaturis est, exemplariter a Deo descendat, sicut a principio
praehabente in se unice omnium perfectiones ; nulla tamen creatura potest
recipere illam perfectionem secundum illum modum quo in Deo est. Unde secundum modum recipiendi deficit a
perfecta repraesentatione exemplaris. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que bien que toute perfection qu’on retrouve dans les créatures est tirée de
Dieu à la manière d’un modèle et comme du principe qui possède à l’avance en
lui et d’une manière unique les perfections de tous les êtres, cependant
aucune créature ne peut recevoir cette perfection de la manière selon
laquelle elle existe en Dieu. C’est pourquoi, en raison de son mode de
recevoir, elle échoue à représenter parfaitement le modèle. |
Et ex hoc etiam in creaturis est quidam
gradus, secundum quod quaedam quibusdam plures perfectiones et nobiliores a
Deo consequuntur, et plenius participant ; et ex hoc in nominibus est duo
considerare: rem significatam, et modum significandi. |
Et c’est à cause de cela
qu’on retrouve des degrés de perfection dans les créatures selon lesquels
certaines parviennent à des perfections plus nombreuses et plus nobles venant
de Dieu et en participent plus pleinement ; et c’est à partir de là
qu’il y a deux choses à considérer dans les noms : la chose
signifiée et la manière de la signifier. |
Considerandum est igitur, quod cum nomina
sint imposita a nobis, qui Deum non nisi ex creaturis cognoscimus, semper
deficiunt a divina repraesentatione quantum ad modum significandi: quia
significant divinas perfectiones per modum quo participantur in creaturis. |
Il faut donc considérer que
puisque les noms sont imposés par nous qui ne connaissons Dieu qu’à partir
des créatures, ils échouent toujours à représenter Dieu quant au mode de
signifier car ils signifient les perfections divines à la manière selon
laquelle elles sont participées dans les créatures. |
Hoc igitur nomen « sensus » est
impositum ad significandum cognitionem per modum illum quo recipitur
materialiter secundum virtutem conjunctam organo. Sed hoc nomen
« cognitio » non significat aliquem modum participandi in
principali sua significatione. |
|
Unde dicendum est, quod omnia illa
nomina quae imponuntur ad significandum perfectionem aliquam
absolute, proprie dicuntur de Deo, et per prius sunt in ipso quantum ad rem
significatam, licet non quantum ad modum significandi, ut sapientia, bonitas,
essentia et omnia hujusmodi ; et haec sunt de quibus dicit Anselmus, in Monol., cap.
XV, col. 161, quod simpliciter et omnino melius est esse quam non esse. |
C’est pourquoi il faut dire
que tous ces noms qui sont imposés pour signifier une perfection prise
absolument, comme la bonté, la sagesse, l’essence et tous les autres de cette
sorte, s’attribuent proprement à Dieu, et existent en Dieu en priorité quant
à la chose signifiée, bien que non quant au mode de signifier ; et tels
sont les noms au sujet desquels Saint-Anselme [Monol. Ch. XV, col.
161] qu’il est absolument et simplement meilleur qu’ils existent plutôt que
pas. |
Illa autem quae imponuntur ad significandum
perfectionem aliquam exemplatam a Deo, ita quod includant in sua
significatione imperfectum modum participandi, nullo modo dicuntur de Deo
proprie ; sed tamen ratione illius perfectionis possunt dici de Deo
metaphorice, sicut sentire, videre et hujusmodi. Et similiter est de omnibus
aliis formis corporalibus, ut lapis, leo et hujusmodi: omnia enim imponuntur
ad significandum formas corporales secundum modum determinatum participandi
esse vel vivere vel aliquam divinarum perfectionum. |
Mais ces noms qui sont
imposés pour signifier une perfection qui est comme une imitation de Dieu de
telle manière qu’elle inclut dans sa signification un mode
imparfait de participation, ils ne peuvent en aucune manière être attribués
proprement à Dieu ; cependant, en raison de cette imperfection, ils
peuvent se dire de Dieu en un sens métaphorique, comme lorsqu’on dit de Lui
qu’Il sent, qu’Il voit, etc. Et il en est de même pour toutes les autres
formes corporelles comme la pierre, le lion, etc. : tous ces noms en
effet sont imposés pour signifier des formes corporelles d’après un mode
déterminé de participer de l’existence, de la vie ou de toute autre
perfection divine. |
[1714] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum in nomine duo sint, modus
significandi, et res ipsa significata, semper secundum alterum potest
removeri a Deo vel secundum utrumque ; sed non potest dici de Deo nisi
secundum alterum tantum. Et quia ad veritatem et proprietatem affirmationis
requiritur quod totum affirmetur, ad proprietatem autem negationis sufficit
si alterum tantum desit, ideo dicit Dionysius, quod negationes sunt absolute
verae, sed affirmationes non nisi secundum quid: quia quantum ad significatum
tantum, et non quantum ad modum significandi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que puisque dans un nom il y a deux aspects à considérer, à
savoir la manière de signifier et la chose même qui est signifiée, le nom
peut toujours être nié de Dieu selon l’un des aspects ou selon les deux, mais
il ne peut être affirmé de Dieu que selon un des aspects seulement. Et parce
que, pour la vérité et la propriété de l’affirmation il est exigé que la
totalité soit affirmée alors que pour la propriété de la négation il suffit
qu’un seul des aspects manque, c’est pourquio Denys dit que les négations sur
Dieu sont absolument vraies mais que les affirmations ne sont vraies que sous
un rapport : c’est-à-dire que les affirmations ne sont vraies que quant
à ce qui est signifié seulement et non quant au mode de signifier. |
[1715] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non nominemus Deum nisi ex creaturis,
non tamen semper nominamus ipsum ex perfectione quae est propria creaturae,
secundum proprium modum participandi illam ; sed etiam possumus nomen
imponere ipsi perfectioni absolute, non concernendo aliquem modum
significandi in ipso significato, quod est quasi objectum intellectus ;
quamvis oporteat in consignificato semper modum creaturae accipere ex parte
ipsius intellectus, qui natus est ex rebus sensibilibus accipere convenientem
intelligendi modum ; et haec proprie dicuntur de Deo, ut dictum est, in corp.
art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien que nous ne nommions Dieu qu’à partir des créatures, nous ne le
nommons cependant pas toujours à partir d’une perfection qui est propre à la
créature, d’après le mode de participation qui lui est propre ; nous
pouvons encore imposer un nom à la perfection elle-même prise absolument, qui
est l’objet propre de l’intelligence, sans égard pour un mode de signifier
présent dans la chose signifiée, bien qu’il faille toujours prendre dans le
consignifié le mode de la créature du côté de l’intelligence même, laquelle
reçoit naturellement des choses sensibles le mode d’intelligibilité qui
convient ; et ce sont de tels noms qui se disent proprement de Dieu,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[1716] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod sapientia creata magis differt a sapientia
increata quantum ad esse, quod consistit in modo habendi ; quam floritio
prati a risu hominis: sed quantum ad rationem a qua imponitur nomen, magis
conveniunt ; quia illa ratio est una secundum analogiam, per prius in Deo, per
posterius in creaturis existens ; et secundum talem rationem significatam in
nomine, magis attenditur veritas et proprietas locutionis, quam quantum ad
modum significandi, qui datur ex consequenti intelligi per nomen. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la sagesse créée diffère davantage de la sagesse incréée quant à
l’existence, qui consiste dans le mode de possession, que la prairie en fleur
diffère du rire de l’homme ; mais quant à la notion par laquelle le nom
est imposé, elles se ressemblent davantage : car cette notion est une
selon l’analogie, à savoir que la sagesse existe en priorité en Dieu et
secondairement dans les créatures ; et la vérité et le sens propre de
l’expression se vérifie davantage selon une telle notion signifiée dans le
nom que selon le mode de signifier qu’il est donné de comprendre par le nom à
partir du conséquent. |
[1717] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod quandocumque conditio corporalis importatur a
principali significato, non potest nomen dici de Deo nisi metaphorice ; sed
hoc quod in modo significandi importetur aliqua imperfectio, quae Deo non
competit, non facit praedicationem esse falsam vel impropriam, sed
imperfectam ; et propter hoc dictum est, quod nullum nomen perfecte Deum
repraesentat. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’à chaque fois qu’une condition corporelle est impliquée dans le
signifié principal, le nom ne peut se dire de Dieu que
métaphoriquement ; mais du fait qu’une imperfection, qui ne convient pas
à Dieu, est impliquée dans le mode signifier, cela ne rend pas l’attribution
fausse ou impropre, mais seulement imparfaite ; et c’est pour cette
raison qu’on dit qu’aucun nom ne représente Dieu parfaitement. |
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Articulus 3 [1718] Super Sent., lib. 1
d. 22 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus habeat tantum unum nomen |
Article 3 – Dieu a-t-il un seul nom ? |
[1719] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus
non habeat nisi unum nomen. Nomen enim debet respondere rei significatae per
nomen, cum, sicut dicit Hilarius, IV De Trinit., § 14, rei
sit sermo subjectus. Sed
in Deo est summa unitas sine aliqua diversitate. Ergo non nominatur nisi uno
nomine. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
possède qu’un seul nom. Le nom en effet doit correspondre à la chose
signifiée par le nom puisque, comme le dit Saint-Hilaire [IV De la
Trinité, &14], le discours est subordonné à la chose. Mais en Dieu il
y a une unité absolue sans la moindre diversité. Il n’est donc nommé que par
un seul nom. |
[1720] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, non est nisi duplex modus praedicandi in divinis, scilicet
vel substantialiter vel relative. Sed nomina non possunt diversificari nisi
vel quantum ad id quod significatur, vel quantum ad modum significandi. Ergo
videtur quod vel tantum unum debeat esse propter unitatem rei, vel ad plus
duo propter duos modos praedicandi. |
2. Par ailleurs, il n’y a que
deux modalités d’attribution pour Dieu, à savoir celle de la substance et
celle de la relation. Mais les noms ne peuvent se différencier que sous deux
rapports : soit quant à ce qui est signifié, soit quant au mode de
signifier. Il semble donc qu’il ne doive y en avoir qu’un seul à cause de
l’unité de la chose ou tout au plus deux à cause des deux modes d’attribution. |
[1721] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, si dicas, quod pluralitas nominum divinorum est
secundum quod ex diversis creaturis nominatur ; contra. Ipse Deus
est principium a quo effective et exemplariter est omnis creatura. Si ergo secundum diversitatem
creaturarum multiplicantur divina nomina, tunc omnium creaturarum nomina de
ipso dici possent, quod falsum est. Ergo videtur quod ex creaturis non sit diversitas
divinorum nominum. |
3. Par ailleurs, si du dis
que la pluralité des noms divins provient de ce qu’elle est nommée à partir
de créatures différentes, je dis par contre ceci : Dieu lui-même est le
principe efficient et le modèle par lequel toute créature exise. Si donc les
noms divins se multipliaient d’après la diversité des créatures, alors les
noms de toutes les créatures pourraient se dire de Lui, ce qui est faux. Il
semble donc que la diversité des noms divins ne tire pas son origine des
créatures. |
[1722] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
arg. 4 Si dicas, quod multiplicantur secundum rationem tantum
; contra. Diversitas rationis est diversitas secundum
intellectum. Sed diversitas intellectus imponentis nomina, nisi subsit
aliquod diversum in re, non causat multitudinem nominum, nisi secundum quod
nomina synonyma multiplicantur. Ergo secundum hoc omnia nomina divina essent
synonyma, quod Commentator expresse negat in XI Metaphys., texte
39, dicens, quod haec nomina vivens et vita, non differunt in Deo sicut
nomina synonyma, multo minus vivens et sapiens ; et ita videtur quod non
differant divina nomina secundum acceptionem intellectus significantis tantum
; et sic idem quod prius. |
4. Si tu dis que les noms
divins se différencient selon la raison seulement, je dis par contre qu’une
différence de raison est une différence selon l’intelligence. Mais la
différence de l’intelligence qui impose les noms, à moins qu’il ne subsiste
quelque chose de différent dans la chose, ne cause la multiplicité des noms
que selon que des noms synonymes se multiplient. Donc d’après cela tous les
noms divins seraient synonymes, ceqeu le Commentateur nie expressément [XI
Métaphysique, texte 39] en disant que ces noms, vivant et vie, ne diffèrent
pas en Dieu comme des noms synonymes, et encore moins vivant et sage ;
et ainsi il semble que les noms divins ne diffèrent pas uniquement selon
l’acception de l’intelligence qui signifie ; et ainsi la conclusion est
la même que la précédente. |
[1723] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
s. c. 1 Contra est quod in Scriptura inveniuntur de ipso multa nomina divina. |
Cependant : 1. On voit au contraire dans
les Écritures que plusieurs noms divins Lui sont attribués. |
[1724] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullum nomen sufficit ad
exprimendam divinam perfectionem. Sed aliquid perfectionis datur nobis intelligi
per unum nomen quod non datur per aliud. Ergo videtur quod ut magis nobis
divina perfectio innotescat, quod pluribus nominibus a nobis nominandus sit. |
2.
Par ailleurs, aucun nom divin ne suffit à exprimer la perfection divine. Mais
il nous est donné à comprendre quelque chose de la perfection divine qu’un
autre nom ne nous permet pas de comprendre. Il semble donc, pour que la
perfection divine se fasse advantage connaître à nous, que nous devions la
nommer de plusieurs noms. |
[1725] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod multiplicitas nominum potest dupliciter contingere. Vel ex
parte intellectus, quia cum nomina exprimant intellectum, contingit unum et
idem diversis nominibus significari, secundum quod diversimode in intellectu
accipi potest. Et inde est quod Deum possumus nominare et secundum quod in se
est, et secundum id quod est ad creaturas se habens. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la multiplicité des noms peut se produire de deux manières. Soit du côté
de l’intelligence, car puisque les noms expriment les concepts, il arrive
qu’un seul et même concept soit signifié par plusieurs noms, selon que le
même concept soit pris différemment dans l’intelligence. Et c’est de là que
nous pouvons nommer Dieu à la fois selon ce qu’Il est en lui-même et selon
qu’il se rapporte aux créatures. |
Et hoc dupliciter: vel secundum negationes
quibus conditiones creaturarum a Deo removentur ; et inde veniunt nomina
negativa, quae multiplicationem recipiunt ex creaturarum conditionibus quae
de Deo negantur, et praecipue quae consequuntur universaliter omnem
creaturam, ut immensus, increatus etc. ; vel secundum relationem Dei ad
creaturam, quae tamen realiter in Deo non est, sed in creatura ; et inde
veniunt illa nomina divina quae important habitudinem ad creaturam, ut
dominus, rex et hujusmodi. |
Et cela se présente de deux
manières : soit selon les négations par lesquelles les conditions des
créatures sont écartées de Dieu ; et c’est de là que viennent les noms
négatifs, comme infini et incréé, qui reçoivent leur multiplication des
conditions des créatures qui sont niées de Dieu, et surtout celles qui
découlent universellement de toute créature ; soit selon la relation de
Dieu aux créatures que cependant n’existe pas réellement en Dieu mais dans la
créature ; et de là viennent ces noms divins, comme seigneur, roi, et
d’autres termes de la sorte qui impliquent un rapport à la créature. |
Item, multiplicitas nominum potest
contingere ex parte rei secundum quod nomina rem significant ; et inde
veniunt nomina exprimentia id quod in Deo est. In Deo autem non est invenire
aliquam realem distinctionem nisi personarum, quae sunt tres res ; et inde
venit multiplicitas nominum personalium significantium tres res. Sed praeter
hoc est etiam in Deo invenire distinctionem rationum, quae realiter et vere
in ipso sunt, sicut ratio sapientiae et bonitatis et hujusmodi, quae quidem
omnia sunt unum re, et differunt ratione, quae salvatur in proprietate et
veritate, prout dicimus Deum vere esse sapientem et bonum, et non tantum in
intellectu ratiocinantis ; et inde veniunt diversa nomina attributorum ; quae
omnia quamvis significent unam rem, non tamen significant unam secundum unam
rationem ; et ideo non sunt synonyma. |
En outre la multiplicité des
noms peut se produire du côté de la chose selon que les noms signifient la
réalité ; et de là viennent les noms qui expriment ce qui est en Dieu.
Mais en Dieu il n’y a pas d’autre distinction à chercher que celle des
personnes qui sont trois réalités ; et de là vient la multiplicité des
noms personnels signifiant ces trois réalités. Mais en dehors de cela il y a
encore à trouver en Dieu une distinction des notions qui existent
véritablement et réellement en lui, comme la notion de sagesse, de bonté, et
d’autres notions de la sorte qui ne sont certes toutes qu’une seule notion en
réalité et diffèrent par la raison, distinction qui est préservée dans la
propriété et la vérité, et non seulement dans l’intelligence de celui qui
raisonne, selon que nous disons que Dieu est véritablement sage et bon ;
et de là viennent les différents noms des attributs, lesquels, bien qu’ils ne
signifient qu’une seule réalité, ne la signifient cependant pas d’après une
seule et même définition ; et c’est pourquoi ces noms ne sont pas synonymes. |
[1726] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum. Quia quamvis sit unitas in re essentiali,
est tamen pluralitas in re personali, et in rationibus quibus diversimode una
essentia significari potest, et in diversa acceptione intellectus ; secundum
quae omnia divina nomina multiplicantur. |
Solutions : 1. Et par là on voit
clairement la réponse à la première difficulté. Car bien qu’il y ait unité
dans la chose essentielle, il y a cependant pluralité dans la chose personnelle,
dans les notions par lesquelles une seule et même essence peut être signifiée
diversement, et dans les différentes manières pour l’intelligence d’entendre
une même réalité ; et c’est selon ces rapports que les noms divins se
multiplient. |
[1727] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliter dividitur aequivocum, analogum et
univocum. Aequivocum enim dividitur secundum res significatas ; univocum vero
dividitur secundum differentias ; sed analogum dividitur secundum diversos
modos. Unde
cum ens praedicetur analogice de decem generibus, dividitur in ea secundum
diversos modos. |
2. En deuxième lieu il faut
dire que c’est de manières différentes que se divisent l’équivoque,
l’analogue et l’univoque. L’équivoque en effet se divise selon les choses
signifiées ; d’un autre côté l’univoque se divise selon les
différences ; mais l’analogue se divise d’après différentes manières
d’être. C’est pourquoi, puisque l’être s’attribue aux dix genres d’une
manière analogue, il se divise en eux d’après différentes manières d’être. |
Unde unicuique generi debetur proprius modus
praedicandi. Et quia in divinis non salvantur nisi duo genera quantum ad
rationem communem generis, scilicet substantia et ad aliquid ; ideo dicuntur
in divinis duo modi praedicandi. Unumquodque autem genus dividitur univoce in
species contentas sub genere, et ideo speciebus non debetur proprius modus
praedicandi. |
C’est pourquoi un mode propre
d’attribution est dû à chaque genre. Et parce qu’en Dieu il n’y a que deux genres
qui sont conservés quant à la notion commune de genre, à savoir la substance
et la relation, c’est pourquoi on dit qu’il n’y a pour Dieu que deux modes
d’attribution. Mais tout genre se divise univoquement dans les espèces
contenues dans ce genre, et c’est pourquoi un mode propre d’attribution n’est
pas dû aux espèces. |
Et propter hoc quamvis quaedam contenta in
praedicamento qualitatis dicantur de Deo secundum rationem speciei, non tamen
afferunt novum modum praedicandi, etsi afferant novam rationem significandi.
Unde quamvis in Deo non sint nisi duo modi praedicandi, sunt tamen plures
rationes significandi secundum quas divina nomina multiplicari possunt. |
Et pour cette raison, bien
que certains attributs contenus dans le prédicament de la qualité se disent
de Dieu sous le rapport de l’espèce, elles n’apportent cependant pas un
nouveau mode d’attribution, bien qu’elles apportent une nouvelle notion à
signifier. C’est pourquoi, bien qu’en Dieu il n’y ait que deux modes
d’attribution, il y a cependant plusieurs notions à signifier d’après
lesquelles les noms divins peuvent se multiplier. |
[1728] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut patet ex praedictis, in corp. art.,
quaedam nomina dicuntur proprie de Deo, quae quantum ad significata per prius
sunt in Deo quam in creaturis, ut bonitas, sapientia et hujusmodi ; et horum
diversitas non sumitur per respectum ad creaturas, immo potius e converso. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que, comme on le voit à partir de ce qui précède, certains noms
s’attribuent proprement à Dieu, lesquels, quant à ce qui est signifié,
existent en Dieu en priorité et secondairement dans les créatures, comme la
bonté, la sagesse et les perfections de cette sorte ; et la diversité de
ces noms ne se prend pas par rapport aux créatures, mais c’est plutôt
l’inverse qui est vrai. |
Quia ex hoc quod ratio sapientiae et
bonitatis differt in Deo, diversificatur in creaturis bonitas et sapientia
non tantum ratione, sed etiam re. Sed verum est quod diversitas talium
nominum prout praedicantur de Deo, innotescit nobis ex diversitate eorum in
creaturis. Quaedam vero nomina praedicantur de ipso transumptive ; et haec
multiplicantur secundum diversas creaturas, quarum nomina in Deum
transumuntur. |
Car du fait que les notions
de sagesse et de bonté diffèrent en Dieu, elles diffèrent dans les créatures
non seulement par la raison, mais aussi en réalité. Mais il est vrai que la
diversité de tels noms, selon qu’ils s’attribuent à Dieu, se fait connaître à
nous à partir de leur diversité dans les créatures. Mais certains noms
s’attribuent à Lui par transfert ; et ceux-là se multiplient d’après les
différentes créatures, dont les noms sont transférés à Dieu. |
Nec tamen oportet quod ex omnibus nominibus
creaturarum significetur. Quaedam enim sunt quae important deformitatem et
defectum, cujus Deus non est auctor, et praecipue si sit defectus culpae.
Unde non possumus dicere Deum peccatorem vel Diabolum, quod est nomen naturae
depravatae, quamvis transumptive dicatur leo vel agnus vel etiam iratus. |
Et cependant il ne faut pas
qu’il soit signifié à partir de tous les noms des créatures. Il y a certains
noms en effet qui impliquent une infirmité et un défaut dont Dieu n’est pas
l’auteur, surtout s’il s’agit du défaut d’une faute. C’est pourquoi nous ne
pouvons dire de Dieu qu’il est un pécheur ou qu’il est le Diable, qui est le
nom d’une nature déchue, bien que nous pouvons dire de Lui qu’il est un lion,
un agneau, ou même qu’il est en colère. |
[1729] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod differunt nomina attributorum secundum
rationem, non tamen quae sit solum in ratiocinante, sed quae salvatur in ipsa
re secundum veritatem et proprietatem rei. Quod sic patet. Omnia enim
hujusmodi dicuntur de Deo et creaturis non aequivoce, sed secundum unam
rationem analogice. Unde cum in creatura ratio sapientiae non sit ratio
bonitatis, oportet quod etiam hoc in Deo sit verum. Sed in hoc differt quod
in Deo idem sunt re, in creaturis autem differunt re et non ratione ; et
qualiter possit esse, supra, in responsione ad 3, praec. art., dictum est. |
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Articulus 4 [1730] Super Sent., lib. 1 d. 22
q. 1 a. 4 tit. Utrum divisio nominum Dei posita ab Ambrosio sit insufficiens |
Article 4 – La division des noms de Dieu donné par Ambroise est-elle insuffisante[17] ? |
[1731] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod divisio
Ambrosii sit insufficiens. Trinitas enim et persona sunt quaedam divina
nomina, quae nec pertinent ad unitatem majestatis, nec proprie alicui
personae conveniunt, nec translative de Deo dicuntur. Ergo et cetera. |
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[1732] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quaedam nomina sunt quae dicuntur de
Deo negative, ut increatus, immensus. Haec autem cum nihil de Deo praedicent,
nec ad proprietatem personarum pertinere videntur, nec ad majestatem
deitatis. Constat etiam quod nec translative dicuntur, quia non conveniunt
creaturis ut ex eis in divinam praedicationem transumantur. Ergo videtur quod
divisio sit insufficiens. |
2.
Par ailleurs, il y a des noms qui se disent de Dieu négativement, comme
incréé ou immense. Mais ces noms n’attribuent rien à Dieu et ne semble
appartenir ni à la propriété des personnes, ni à la majesté divine et il est
clair aussi qu’ils ne disent rien de Lui par transfert ou métaphore car ils
n’appartiennent pas aux créatures de manière à servir à l’attribution divine.
Il semble donc que cette division soit insatisfaisante. |
[1733] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4
arg. 3 Item, majestas deitatis et proprietas personalis constat quod aeterna
sunt. Sed quaedam dicuntur de Deo ex tempore, ut dominus, et hujusmodi. Ergo videtur quod nec
ad majestatem deitatis pertinent, nec ad proprietatem personalem. Constat etiam quod nec translative dicuntur.
Videtur igitur, quod sub divisione Ambrosii non contineantur. Ergo
insufficiens est. |
3. En outre, il est clair que
la majesté de Dieu et la propriété personnelle sont éternelles. Mais certains
attributs se disent de Dieu dans le temps, comme Seigneur et d’autres du même
genre. Ils semble donc qu’ils n’appartiennent ni à la majesté divine, ni à la
propriété personnelle. Il est clair aussi qu’ils ne se disent pas par
métaphore. Il semble donc qu’ils ne soient pas contenus dans la division de
Saint-Ambroise et que cette dernière ne soit pas satisfaisante. |
[1734] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4
arg. 4 Praeterea, Damascenus ponit aliam divisionem divinorum nominum,
dicens, quod quaedam significant pelagus substantiae infinitum, et non quid
est, ut hoc nomen « qui est » ; quoddam autem est nomen
operationis, ut « Deus » ; quaedam autem significant id quod
assequitur substantiam, ut « justus, bonus » et hujusmodi ; quaedam
vero habitudinem ad ea a quibus distinguitur, scilicet ad creaturas ; quaedam
significant id quod non est, ut « incorporeus, immensus » et
hujusmodi. |
4. De plus, Damascène pose
une autre division des noms divins en disant que certains signifient
l’immensité infinie de la substance et non ce qu’il est, comme ce nom, ¨celui
qui est¨ ; qu’il y en a un qui est le nom de l’opération, comme
¨Dieu¨ ; mais certains signifient ce qui atteint la substance, comme
¨juste, bon¨ et d’autres de la sorte ; d’autres signifient un
rapport aux choses dont il se distingue, c’est-à-dire aux créatures ;
d’autres enfin signifient ce qu’il n’est pas, comme ¨incorporel, immense¨ et
d’autres de la sorte. |
[1735] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4
arg. 5 Item, Dionysius ponit multiplicem divisionem divinorum nominum.
Magister autem in Litterasuper trimembrem divisionem Ambrosii
inducit alias tres differentias divinorum nominum, et efficiuntur in universo
sex. Quaeritur ergo de assignatione harum divisionum. |
5. En outre, Denys pose une
division des noms divins à multiples parties. Et le Maître, dans son Document
ajoute, à la division de Saint-Ambroise à trois parties, trois autres
différences des noms divins, ce qui en donne six en totalité. On s’interroge
donc sur l’assignation de ces divisions. |
[1736] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod prima divisio trimembris, quae in littera ponitur,
sufficienter comprehendit omnia divina nomina, et est trium sanctorum
Augustini, Ambrosii, Dionysii. Ipsemet enim dividit divina nomina in ea quae
translative dicuntur, quae appellat symbolicam theologiam, et in ea quae
proprie dicuntur, quae scilicet per prius in Deo sunt: et hoc dividit in
unitam theologiam, quantum scilicet ad ea quae praedicantur de tribus
personis communiter ; et in discretam theologiam, quantum ad ea quae ad
singulas personas pertinent. Ex quo etiam patet in promptu sufficientia hujus
divisionis. Quia Deus vel nominatur per id quod prius in ipso est et per
posterius in creaturis, vel per similitudinem a creaturis sumptam. Si secundo
modo, sic sunt ea quae translative dicuntur. Si primo modo, hoc erit
dupliciter: illud enim quod per prius in Deo est, vel est commune, et sic
pertinet ad majestatis unitatem ; vel est proprium personae, et sic pertinet
ad distinctionem Trinitatis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la première division à trois parties qui est présentée dans le Document
comprend tous les noms divins d’une manière satisfaisante et elle appartient
aux trois saints dont nous avons parlé, à savoir Saint-Augustin,
Saint-Ambroise et Denys. Ce dernier en effet divise les noms divins en ceux
qui se disent par métaphore et qui sont examinés dans la théologie qu’il
appelle symbolique et en ceux qui se disent proprement de Dieu, c’est-à-dire
ceux qui existent en priorité en Dieu ; et ces derniers noms sont
examinés séparément par deux théologies distinctes, à savoir la théologie
commune quant aux noms qui s’attribuent en commun aux trois personnes, et la
théologie distincte quant aux noms qui appartiennent en propre à chacune des
personnes. Et à partir de là nous avons l’évidence de la suffisance de cette
division. Car Dieu est nommé soit par ce qui existe en priorité en Lui et
secondairement dans les créatures, soit par une ressemblance tirée des
créatures. Si c’est de la deuxième manière, alors il est nommé par des termes
métaphoriques. Si c’est de la première manière, cela sera possible de deux
façons : en effet, ce qui existe en priorité en Dieu est soit commun aux
trois personnes et cela appartient à l’unité de la majesté, soit propre à
chacune des personnes et cela appartient alors à la distinction de la
Trinité. |
[1737] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc nomen Trinitas quamvis non explicite
dicat proprium alicujus personae, tamen implicite includit omnia propria
personarum, inquantum est quasi collectivum personarum. Similiter etiam hoc
nomen persona quamvis non imponatur ab aliqua proprietate personali speciali,
imponitur tamen a personalitate quae dicit proprietatem in communi, et
quodammodo etiam dicit substantiam, ut infra patebit, dist. 26, qu. 1, art.
1. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce nom, ¨Trinité¨, bien qu’il ne dise pas explicitement ce
qui est propre à chacune des personnes, comprend cependant de manière
implicite tout ce qui est propre aux personnes dans la mesure où c’est un
terme qui est comme un collectif des personnes. De la même manière encore ce
terme, ¨personne¨, bien qu’il ne soit pas imposé à partir d’une propriété
personnelle particulière, l’est cependant à partir de la notion de personne
qui dit la propriété dans l’universel, et il dit même la substance d’une
certaine manière, comme nous le verrons par la suite [dist. 26, quest. 1,
art. 1]. |
[1738] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum dicendum, quod negatio quaelibet causatur ex aliqua
affirmatione. Et sic etiam in divinis ratio negativorum nominum fundatur
supra rationem affirmativorum: sicut hoc quod dicitur incorporeus, fundatur
super hoc quod est esse simplex. Unde patet quod nomina negativa
reducuntur ad unitatem essentiae, sicut « increatus et immensus »,
vel ad distinctionem personarum, sicut « ingenitus ». |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que toute négation est causée à partir d’une
affirmation. Et ainsi même chez les personnes divines la notion des noms
négatifs se fonde sur la notion des noms affirmatifs: par exemple, ce qu’on
appellee incorporel se fonde sur ce qui possède une existence simple. C’est
pourquoi il est clair que les noms négatifs se ramènent à l’unité de
l’essence, comme ¨incréé et immense¨, ou à la distinction des personnes,
comme ¨inengendré¨. |
[1739] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis hujusmodi
nomina non ponant aliquid temporaliter in Deo, quia relationes illae
temporales realiter in creaturis sunt, et in Deo solum secundum rationem,
tamen inquantum innascuntur ex operationibus Dei in creaturas, dant
intelligere aliquid quod in Deo est absolute ; sicut relatio dominii dat
intelligere in Deo potestatem qua universam creaturam gubernat. Unde patet
etiam quod ista nomina reducuntur ad illa quae pertinent ad unitatem
majestatis, sicut « creator, dominus » et hujusmodi, vel ad
distinctionem personarum, sicut « missus, incarnatus » et
hujusmodi. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que bien que les noms de cette sorte ne posent
pas quelque chose en Dieu dans le temps, car ces relations temporelles
n’existent en réalité que dans les creatures et en Dieu seulement selon la
raison, cependant, dans la mesure où elles naissent dans les creatures à
partir des operations de Dieu, elles donnent à comprendre quelque chose qui
est en Dieu absolument; par exemple, la relation de ¨seigneur¨ donne à
comprendre qu’il existe en Dieu une puissance par laquelle il gouverne toute
créature. D’où il est encore clair que ces noms se ramènent à ceux qui
appartiennent à l’unité de la majesté, comme ¨créateur, seigneur¨, et les
termes de cette sorte, ou à la distinction des personnes, comme ¨envoyé,
incarné¨ et les termes de cette sorte. |
[1740] Super Sent.,
lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod divisio Damasceni
respicit tantum unum membrum praedictae divisionis: omnia enim quae ponit,
pertinent ad unitatem majestatis. Unitas autem majestatis potest nominari
dupliciter, ut patet ex dictis, art. ant.: vel secundum id quod in Deo est,
vel secundum acceptionem intellectus, qui accipit ipsum secundum aliquam
comparationem ad creaturam. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que la division de Damascène se rapporte
seulement à un member de la division précédente: en effet, toutes les parties
qu’il présentent se rapportent à l’unité de la majesté. Mais l’unité de la
majesté peut être nommée de deux manières, comme on le voit à partir de ce
qui est dit dans l’article précédent: soit selon ce qui est en Dieu, soit
selon l’acception de l’intelligence qui le reçoit selon son rapport à la
créature. |
Si nominetur Deus
quantum ad id quod in ipso est, erit triplex diversitas nominum secundum tria
quae in unaquaque re inveniuntur, scilicet essentia, virtus et operatio ;
quae quidem in aliis realiter differunt, in ipso autem sunt unum re et
distincta ratione. |
Si
Dieu est nommé quant à ce qui est en Lui, il y aura trois sortes de noms
selon trois aspects qu’on retrouve en toute chose, à savoir l’essence, la
puissance et l’opération: lesquels diffèrent certes en réalité chez les
autres êtres, alors qu’en Lui ces aspects n’en sont qu’un en réalité et
different par la raison. |
Et secundum
essentiam accipitur hoc nomen « qui est » ; et secundum virtutem
accipiuntur ea quae se habent per modum assequentium substantiam, ut
« justus, sapiens » et hujusmodi ; et secundum operationem nomina
operationis, ut « Deus ». Si autem nominetur Deus per acceptionem
intellectus in comparatione ad creaturam, et hoc erit dupliciter: vel
inquantum ea quae sunt creaturae, removentur ab ipsa, et sic erunt nomina
negativa ; vel secundum quod importatur in nominibus aliquis respectus
causalitatis ad creaturam, cujus conditiones a Deo removentur ; et sic erunt
illa nomina quae important habitudinem ad alia, a quibus Deus distinguitur
per essentiam. |
Et ce
nom, à savoir ¨celui qui est¨, est reçu selon l’essence; et c’est selon la
puissance qu’on reçoit ceux qui se présentent à la manière de ce qui atteint
la substance, comme ¨juste, sage¨ et les termes de cette sorte; et c’est selon
l’opération qu’on reçoit les noms d’opération, comme ¨Dieu¨. Mais si on
nommait Dieu par l’acception de l’intelligence par rapport à la créature,
cela se ferait de deux manières: soit en tant que ce qui appartient à la
créature est nié de Lui et alors les noms seront négatifs; soit selon que
dans les noms est impliqué un rapport de causalité à la créature dont les
conditions sont niées de Dieu; et ainsi ces noms seront ceux qui impliquent
un rapport aux autres êtres dont Dieu se distingue par l’essence. |
Divisio autem
divinorum nominum quam Dionysius ponit, patet ex praedictis, in corp. art.,
quod est eadem cum divisione Ambrosii, nisi quod Dionysius ulterius nomina
pertinentia ad unitate majestatis multiplicat secundum diversas processiones
in creaturis repertas, quibus nominatur Deus illis perfectionibus per prius
in Deo existentibus, ut « bonus, sapiens, existens » et hujusmodi.
Magister autem in tribus differentiis quas addit, specificat divisionem
Ambrosii quantum ad quosdam speciales modos ; qui tamen possunt reduci ad
divisionem Ambrosii. |
Mais
la division des noms divins que Denys présente, il est clair à partir de ce
qui précède dans le corps de l’article qu’elle est identique à la division
que Saint-Ambroise fait de ces mêmes noms, sauf que Denys multiplie par la
suite les noms qui se rapportent à l’unité de la majesté d’après différentes
processions découvertes dans les créatutres, par lesquelles Dieu est nommé
par ces perfections qui existent en priorité en Dieu, comme ¨ le bien, la
sagesse et l’être¨ et d’autres de cette sorte. Mais dans les trois
differences qu’il ajoute, le Maître spécifie la division de Saint-Ambroise
quant à certaines modalités particulières qui peuvent cependant se ramener à
la division de Saint-Ambroise. |
Quod enim pertinet
ad proprietates deitatis, vel nominat determinate proprium alicujus personae,
ut « Pater et Filius » ; vel colligit omnia [nomina Ed. de
Parme] propria personarum, ut hoc nomen Trinitas, quod significat
proprietatem personae secundum quemdam specialem modum. Similiter etiam quae pertinent ad unitatem
majestatis et proprietatem divinitatis conveniunt Deo vel ab aeterno vel ex
tempore. Si ex tempore, vel dicuntur relative secundum nomen, ut
« dominus » et hujusmodi, vel non referuntur ad aliud secundum
nomen, ut « incarnatus » et hujusmodi. Et sic patet quod ea quae
Magister addit continentur in divisione Ambrosii per reductionem, non tamen
simpliciter, sed secundum quid, ut patet ex dictis, in corp. art. |
En effet, le terme qui
s’applique aux propriétés de la divinité, ou bien il nomme précisément ce qui
est propre à telle personne, comme ¨Père et Fils¨ ; ou bien il rassemble
tous [les noms Éd. de Parme] ce qui est propre aux personnes,
comme ce nom, à savoir Trinité, lequel signifie la propriété de la personne
selon un mode spécial. De même encore les termes qui s’appliquent à l’unité
de la majesté et à la propriété de la divinité appartiennent à Dieu soit de toute
éternité, soit dans le temps. Si c’est dans le temps, ou bien ils se disent
relativement selon le nom, comme ¨seigneur¨ et les autres termes de cette
sorte, ou bien ils ne se rapportent pas à autre chose selon le nom, comme
¨incarné¨ et les termes de cette sorte. Et ainsi il est clair que les
différences que le Maître ajoute sont contenues dans la division de
Saint-Ambroise, non pas absolument, mais sous un certain rapport, comme on le
voit à partir de ce qui a été dit dans le corps de l’article. |
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Distinctio 23 |
Distinction 23 – [Le nom « personne »] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quatuor quaeruntur: 1 de distinctione horum nominum:
« essentia, subsistentia, substantia et persona » ; et de nominibus
eis in Graeco respondentibus, quae sunt « ousia, usiosis, hypostasis,
prosopon » ; 2 utrum nomen personae proprie in divinis
dicatur ; 3 utrum significet substantiam, vel
relationem ; 4 si aliquo modo substantiam significat,
utrum pluraliter praedicetur. |
La recherche porte ici sur
quatre points : 1. Quelle distinction doit-on
faire entre ces noms : ¨essence, subsistance, substance et
personne¨ ? Et qu’en est-il aussi de ces noms qui leur correspondent en
Grec et qui sont ¨ousia, usiosis, hypostasis, prosopon¨ ; 2. Est-ce que le nom de
¨personne¨ se dit proprement de Dieu ? 3. Signifie-t-il la substance
ou la relation ? 4. S’il signifie de quelque
manière la substance, s’attribue-t-il en plusieurs sens ? |
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Articulus 1 Lib 1 d.
23 q. 1 a. 1 tit. Utrum « substantia, subsistentia, essentia, persona » dicta de
Deo sint synonima |
Article 1 – « Substance, subsistance, essence, personne », employés pour Dieu sont-ils des synonymes ? |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod dicta nomina nullam distinctionem habeant,
sed sint quasi synonima. Sicut enim Boetius dicit in Commentariis super
praedicamenta, cap. « de substantia », col. 183,
« ousia » significat substantiam compositam. Sed substantia
composita est individuum subsistens in genere substantiae, quod significatur
nomine substantiae, vel hypostasis, vel personae. Ergo videtur quod
hoc nomen « essentia », vel « ousia », non differat
secundum significationem ab aliis. |
Difficultés : 1. Il semble que ces noms
dont on parle ne présentent aucune différence mais qu’ils soient comme des
synonymes. Comme le dit en effet Boèce [Commentaire sur les Prédicaments,
ch. «De la Substance», col. 183], «ousia» signifie la substance composée.
Mais la substance composée est un individu subsistant dans le genre de la
substance qui est signifié par le nom de substance, d’hypostase ou de
personne. Il semble donc que ce nom, «essentia», ou «ousia» ne diffère pas
des autres par la signification. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, non
subsistit nisi illud quod habet in se esse completum. Sed esse completum non
invenitur nisi in particulari ; quia universalia non habent esse praeter
particularia nisi in anima, quod est esse incompletum. Cum igitur particulare
in genere substantiae dicatur hypostasis, vel substantia prima, videtur quod
subsistentia sit idem quod substantia. |
2. Par ailleurs, l’être qui
subsiste est celui qui possède en lui une existence complète. Mais
l’existence complète ne se retrouve que dans le particulier ; car les
universels ne possède d’existence en dehors des particuliers que dans l’âme,
laquelle exisence est incomplète. Donc, puisque le particulier dans le genre
de la substance s’appelle «hypostasis», ou substance première, il semble que
«subsistentia» soit identique «substantia». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum
utrumque in suo nomine [in…nomine om. Éd. de Parme). importet
positionem alicujus sub aliquo, ergo idem quod prius. |
3. Par ailleurs, puisque les
deux dans leur nom [dans…nom om. Éd. de Parme] impliquent la
position de l’un sous un autre, il semble que ce soient là des termes
synonymes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
1 arg. 4 Item, Boetius, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1343, dicit, quod hoc nomine
« hypostasis » non utuntur Graeci nisi pro individuo rationalis
naturae. Sed individuum rationalis naturae dicitur persona. Ergo videtur quod
« hypostasis » et « prosopon », vel
« substantia » et « persona » sint omnino idem. |
4. En outre, Boèce [Sur
les Deux Natures, ch. 111, col. 1343] dit que les Grecs ne se servent de
ce terme «hypostasis» que pour l’individu de nature rationnelle. Mais
l’individu de nature rationnelle s’appelle personne. Il semble donc que
«hypostase» et «prosopon», ou «substantia» et «persona» soient absolument
identiques. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg.
5 Praeterea, sicut Graeci dicunt tres hypostases, ita nos dicimus tres
substantias. Non autem tres substantias dicimus, sicut ipsi tres
« ousioses ». Ergo videtur quod idem sit subsistentia apud nos,
quod hypostasis apud Graecos ; cujus contrarium Boetius dicit Lib. De duabus naturis. |
5. Par ailleurs, tout comme les
Grecs disent trois «hypostases», de même nous disons trois «substantias».
Cependant nous ne disons pas trois substances comme
eux-mêmes trois «ousioses». Il semble donc que «subsistentia» pour
nous soit la même chose que «hypostasis» pour les Grecs ; et pourtant
Boèce dit le contraire dans son livre, Les deux Natures. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium
est auctoritas Boetii, lib. De duabus nat., in una persona
Christi, ibidem, qui significationes horum nominum distinguit ; et
etiam auctoritas Marci Tullii quam ibi Boetius inducit. |
Cependant : 1. L’autorité de Boèce va en
sens contraire dans son livre Sur les deux natures dans la seule et
même personne du Christ, qui distingue au même endroit les significations
de ces noms ; et l’autorité de Marcus Tullius est identique à celle que
Boèce présente dans cet ouvrage. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quatuor dicta nomina secundum significationem differunt ; sed
horum differentia differenter a diversis assignatur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que ces quatre noms que nous avons mentionnés diffèrent par leur
signification ; mais leur différence est signalée différemment selon les
auteurs. |
Quidam enim sumunt horum differentiam ex hoc
quod in divinis est aliquid commune, et aliquid distinctum. Et commune potest
significari ut quo est, et sic est « essentia », vel ut quod est,
et sic est « subsistentia ». Vel aliter: quia Deus potest
significari inquantum dat omnibus esse, et sic dicitur « essentia »
; vel inquantum habet esse sufficiens nullo indigens, et sic dicitur
« subsistentia ». |
En effet, certains tirent la
différence entre ces noms de ce qu’en Dieu il y a quelque chose de commun, et
quelque chose de distinct. Et le commun peut être signifié comme étant le ¨ce
par quoi¨, et ainsi on parle de «essentia», ou comme étant le ¨ce qui est¨,
et ainsi on parle de «subsistentia». Ou bien autrement : car Dieu peut
être signifié en tant qu’il donne l’existence à tous, et ainsi on l’appelle
«essentia» ; ou bien en tant qu’il possède une existence qui se suffit à
elle-même et qui ne manque de rien et alors on l’appelle «subsistentia». |
Distinctum similiter potest significari vel
in concretione, et sic est nomen « persona » ; vel in abstractione,
et sic est nomen « hypostasis ». Vel aliter: quia potest
significari ut distinguibile, et sic significatur nomine
« hypostasis » ; vel ut distinctum, et significatur nomine
« personae ». |
De la même manière le
distinct peut être signifié soit dans le concret et ainsi le nom est
«persona» ; soit dans l’abstrait et ainsi le nom est «hypostasis». Ou
bien autrement : car il peut être signifié comme pouvant être distingué
et ainsi il est signifié par ce nom, «hypostasis» ; ou bien comme étant
distinct, et alors il est signifié par ce nom de «personae». |
Vel aliter: quia vel significatur ut
distinctum aliqua proprietate determinata ad nobilitatem pertinente, et sic
est nomen « persona » ; vel distinctum absolute quacumque
proprietate, et sic est nomen « hypostasis ». Sed iste modus non
solvit quaestionem: quia etiamsi nulla esset distinctio in divinis, adhuc
ista nomina dicerentur de Deo, et non idem significarent, sicut nomina
synonyma.. |
Ou bien autrement
encore : car soit il est signifié comme distinct par une propriété
déterminée qui se rapporte à une excellence, et ainsi le nom est
«persona» ; soit il est signifié comme distinct absolument par n’importe
quelle propriété et ainsi le nom est «hypostasis». Mais cette manière de
distinguer ne résout pas le problème : car même s’il n’y avait aucune distinction
dans les personnes divines, ces noms se diraient encore de Dieu et ne
signifieraient pas la même chose comme le font les noms synonymes. |
Et praeterea etiam quantum ad quaedam,
falsum est. Non enim dicitur Deus essentia ex eo quod det esse, sicut nec
sapiens ex eo quod det sapientiam ; quinimmo e converso ex eo quod Deus
essentiam habet, esse in creaturas infundit, et sic de aliis ; sicut etiam
ignis ex hoc quod calorem habet calefacit, et non e converso ; quamvis divina
sapientia et essentia per esse et cognoscere creaturae communicatum nobis
innotescat |
Et par ailleurs cette manière
de distinguer est même fausse sous certains rapports. En effet, Dieu n’est
pas appelé essence du fait qu’il donne l’existence, ni même sage du fait
qu’il donne la sagesse ; c’est même plutôt le contraire qui est
vrai : c’est du fait que Dieu possède l’essence qu’il répand l’existence
dans les créatures et il en est de même du reste, tout comme aussi c’est du
fait que le feu possède la chaleur qu’il réchauffe et non l’inverse, bien que
la sagesse et l’essence divines nous soit connues par l’existence et la
connaissance communiquées à la créature. |
Similiter etiam in divinis cum Deus sit
actus purus, non permixtus potentiae, non est aliquid in eo significabile per
modum potentiae non conjunctae actui et per modum actus, ut distinguibile et
distinctum. Nec iterum verum est quod hoc nomen « hypostasis »
significet id quod proprium est in abstractione. Hoc enim modo significatur
nomine proprietatis, sicut nomine paternitatis quae significatur non ut
hypostasis, sed ut in hypostasi ens. |
Il en est aussi de même pour
les personnes divines : puisque Dieu est acte pur, non mélangé à de la
puissance, il n’y a pas en lui quelque chose qui puisse être signifié à la
manière d’une puissance qui n’est pas unie à un acte, ni à la manière d’un
acte, comme pouvant être distingué et comme distinct. Et en outre il n’est
pas vrai que ce nom, «hypostasis», signifie ce qui est propre dans
l’abstrait. Ce qui est signifié de cette manière est signifié par le nom de
propriété, tout comme par le nom de paternité la paternité est signifiée non
pas comme une «hypostasis», mais comme ce qui existe dans une «hypostasis» |
Alii sumunt differentiam horum nominum
secundum distinctionem rationis, quo est, et quod est. Quorum quidam dicunt,
quod tria horum significant quo est, vel substantiam suppositi ; ita quod
« essentia » significat substantiam, sive naturam generis ;
« subsistentia » naturam speciei ; « hypostasis » naturam
individualem ; et quartum, scilicet « persona », sumitur secundum
id quod est, et significat substantiam quae est suppositum. |
D’autres tirent la différence
de ces noms d’après la distinction de raison : ¨ce par quoi¨ et ¨ce qui
est¨. Et parmi eux certains disent que trois de ces noms signifient ¨ce par
quoi¨ ou la substance du suppôt ; de telle manière que «essentia»
signifie la substance ou la nature du genre ; «subsistentia» signifie
quant à elle la nature de l’espèce et «hypostasis» la nature
individuelle ; et enfin le quatrième terme, à savoir «persona», se prend
selon ¨ce qui est¨, et signifie la substance qui est le suppôt. |
Alii dicunt e converso quod unum significat
quo est, scilicet « essentia », et tria significant quod est,
diversimode: quia hoc nomen « substantia » significat quod est per
respectum ad naturam vel essentiam ; hoc nomen « subsistentia »
significat quod est per respectum ad individuationem ; sed hoc nomen
« persona » ponit specialem rationem vel proprietatem pertinentem
ad dignitatem. Sed de primis duobus est e converso, secundum Boetium: haec enim doctrina
sumpta est secundum Augustinum,lib. VII de Trinit.c. IV, col. 939, et
Hieronymum in Exp. symb. Ad Dam.. |
D’autres au contraire disent
que l’un signifie ¨ce par quoi¨, à savoir «essentia», et les trois autres
signifient ¨ce qui est¨, mais différemment : car ce nom «substantia»
signifie ¨ce qui est¨ par rapport à la nature ou l’essence ; ce nom
«subsistentia» signifie ¨ce qui est¨ par rapport à l’individuation ;
mais ce nom, «persona», pose une notion spéciale ou une propriété qui se
rapporte à une dignité. Mais selon Boèce c’est l’inverse qui est vrai au
sujet des deux premiers noms : cette doctrine en effet est tirée de ce
qu’en dit Saint-Augustin [ VII De la Trinité, ch. IV, col. 939]
et Saint-Jérôme dans sa Lettre à Damase. |
Alii dicunt, quod duo significant quo est.
« Essentia » quidem significat quo est, vel naturam communem, prout
non est praedicabilis, ut consideratur cum dicitur, homo est species ; sed
« subsistentia » significat naturam communem ut praedicabilis est,
secundum Boetium ; alia duo significant quod est, et eo modo differunt, sicut
in proximo dictum est. Sed quia quodlibet horum nominum, praeter hoc nomen
persona, invenitur quandoque poni pro quo est, et quandoque poni pro quod est
; ideo non videtur esse essentialis distinctio eorum secundum aliquem
dictorum modorum. |
D’autres disent que deux
termes signifient ¨ce par quoi¨. «Essentia» signifie certes ¨ce par quoi¨, ou
la nature commune en tant qu’elle n’est pas un prédicable tel qu’on le
considère lorsqu’on dit que l’homme est une espèce ; mais «subsistentia»
signifie la nature commune en tant qu’elle est un prédicable, selon
Boèce ; les deux autres signifient ¨ce qui est¨ et diffèrent de la
manière que nous l’avons dite il y a un instant. Mais parce que n’importe
quel de ces noms, sauf le nom «persona», se trouve parfois à être pris dans
le sens de ¨ce par quoi¨, et parfois dans le sens de ¨ce qui est¨, c’est
pourquoi la distinction de ces noms n’apparaît essentielle selon aucune des
modalités que nous venons de présenter. |
Ideo aliter dicendum est, secundum Boetium,
ut sumatur differentia horum nominum, « essentia, subsistentia,
substantia », secundum significationem actuum a quibus imponuntur,
scilicet esse, subsistere, substare. |
C’est pourquoi il faut dire
autrement, conformément à Boèce, que la différence de ces noms, à savoir
«essentia, subsistentia, substantia» se tire de la signification des actes à
partir desquels ils ont été imposés, à savoir «esse, subsistere et substare». |
Patet enim quod esse, commune quoddam est,
et non determinat aliquem modum essendi ; subsistere autem dicit determinatum
modum essendi, prout scilicet aliquid est ens per se, non in alio, sicut
accidens ; substare autem idem est quod sub alio poni. |
Il est clair en effet que
«esse» est une notion commune qui ne détermine aucune modalité
d’existence ; «subsistere» cependant dit une modalité d’existence
déterminée, c’est-à-dire pour autant qu’une chose est un être par soi qui
n’existe pas dans un autre comme c’est le cas pour l’accident ;
«substare» enfin s’identifie à ce qui soutient un autre. |
Inde patet quod esse dicit id quod est
commune omnibus generibus ; sed subsistere et substare id quod est proprium
primo praedicamento secundum duo quae sibi conveniunt ; quod scilicet sit ens
in se completum, et iterum quod omnibus aliis substernatur accidentibus,
scilicet quae in substantia esse habent. |
De là il est clair que «esse»
dit ce qui est commun à tous les genres ; mais
«subsistere» et «substare» disent ce qui est propre au premier
prédicament, la substance, d’après deux aspects qui lui conviennent ; à
savoir qu’elle est de l’être complet en soi, et en outre qu’elle soutient
tous les autres accidents, lesquels possèdent leur existence dans la
substance. |
Unde dico, quod « essentia »
dicitur cujus actus est esse, « subsistentia » cujus actus est
subsistere, substantia cujus actus est substare. Hoc autem dicitur
dupliciter, sicut in singulis patet. Esse enim est actus alicujus ut quod
est, sicut calefacere est actus calefacientis ; et est alicujus ut quo est,
scilicet quo denominatur esse, sicut calefacere est actus caloris. |
C’est pourquoi je dis que
«essentia» se dit de ce dont l’acte est d’exister, «subsistentia» de ce dont
l’acte est de subsister et «substantia» de dit de ce dont l’acte consiste à
soutenir un autre. Mais cela se dit de deux manière comme on le voit par
l’examen des cas particuliers. Exister en effet est l’acte d’un être en tant
que ¨ce qui existe¨, comme réchauffer est l’acte de celui qui
réchauffe ; et il appartient à un être en tant que ¨ce par quoi¨ il
existe, c’est-à-dire ce par quoi il est dénommée, comme réchauffer est l’acte
de la chaleur. |
Sciendum est autem, quod si aliquid
consequitur aliqua plura convenientia ad invicem, non potest denominati
illud, aliquid, per alterum [denominari aliquid secundum alterum éd.
de Parme] illorum, quamvis etiam illud sit principium totius, sed per
totum: verbi gratia, sapor consequitur calidum et humidum, prout aliquo modo
conveniunt: et quamvis calor sit principium saporis sicut effectivum, non
tamen aliquid denominatur sapidum a calore, sed a sapore qui complectitur
simul calidum et humidum aliquo modo convenientia. |
Il faut cependant savoir que
si une chose découle de plusieurs principes qui viennent ensemble, cette chose
ne peut être dénommée telle par l’un [être dénommée telle suivant l’un Éd.
de Parme] d’eux, bien qu’encore ce dernier soit le principe du tout, mais
bien par le tout : en d’autres mots, la saveur découle du chaud et de
l’humide selon qu’ils viennent ensemble : et bien que la chaleur soit le
principe de la saveur en tant que principe efficient, il n’y a rien cependant
qui doit dénommé savoureux à partir de la chaleur, mais à partir de la saveur
qui est obtenue simultanément par une certaine rencontre du chaud et de
l’humide. |
Similiter dico, quod cum esse consequitur
compositionem materiae et formae, quamvis forma sit principium esse, non
tamen denominatur aliquod ens a forma sed a toto ; et ideo essentia non dicit
formam tantum ; sed in compositis ex materia et forma, dicit totum ; et hoc
etiam dicitur quidditas et natura rei ; et ideo dicit Boetius in
Praedicamentis quod « ousia » significat compositum ex materia est
forma. |
De la même manière je dis
que, puisqu’exister découle de la composition de la matière et de la forme,
bien que la forme soit le principe de l’existence, cependant aucun être n’est
dénommé uniquement par la forme, mais plutôt par le tout ; et c’est
pourquoi l’essence ne dit pas seulement la forme, mais dans les composés de
matière et de forme, elle dit le tout ; et cela s’appelle aussi la
quiddité ou la nature de la chose ; et c’est pourquoi Boèce dit
dans Les Prédicaments que «ousia» signifie le composé de
matière et de forme. |
Sed ista natura sic considerata, quamvis
dicat compositum ex materia et forma, non tamen ex hac materia demonstrata
determinatis accidentibus substante, in qua individuatur forma ; quia
hujusmodi compositum dicit hoc nomen « Socrates ». Haec autem
materia demonstrata, est sicut recipiens illam naturam communem. |
Mais cette nature, si on la
considère ainsi, bien qu’elle dise le composé de matière et de forme, elle ne
signifie pas le composé de cette matière qu’on peut montrer, qui soutient des
accidents déterminés, et dans laquelle la forme est individuée ; car
c’est un tel composé que le nom «Socrate» signifie. Mais cette matière qu’on
peut montrer est comme ce qui reçoit cette nature commune. |
Et utroque modo invenitur hoc nomen
« essentia ». Unde quandoque dicimus Socratem esse essentiam
quamdam ; quandoque dicimus, quod essentia Socratis non est
« Socrates »: et sic patet quod essentia quandoque dicit « quo
est », ut significatur nomine « humanitatis » ; et quandoque
« quod est » ut significatur hoc nomine « homo ».
Similiter etiam « subsistere » est actus alicujus ut quod
subsistit, vel ut quo subsistit. Cum autem « subsistere » dicat
esse determinatum, et tota determinatio essendi consequatur formam, quae
terminus est, constat quod aliquid denominatur subsistens per primam formam,
quae est in genere substantiae, sicut album per albedinem, et animatum per
animam: et ideo in Praedicamentis dicit Boetius quod
« ousiosis » vel « subsistentia » est forma accipiens
subsistentiam, pro « quo subsistitur ». |
Et c’est en ces deux sens que
se rencontre ce mot «essentia». C’est pourquoi nous disons parfois que
Socrate est une certaine essence ; mais parfois nous disons que
l’essence de Socrate n’est pas «Socrate» : et ainsi il est clair que
l’essence dit parfois «ce par quoi», comme lorsqu’elle elle est signifiée par
le nom «humanité» ; et parfois elle dit «ce qui est» comme elle est
signifiée par le nom «homme». De la même manière encore «subsistere» est
l’acte d’un être en tant que ¨ce qui¨ subsiste ou en tant que ¨ce par quoi¨
il subsiste. Mais puisque «subsistere» dit un exister déterminé et que toute
la détermination d’exister, qui est le terme, découle de la forme, il est
clair qu’un être est dénommé subsistant par la forme première qui est dans le
genre de la substance, comme le blanc est dénommé par la blancheur, et l’animé
par l’âme : et c’est pourquoi, dans Les Prédicaments, Boèce
dit que «ousiosis» ou «subsistentia» est la forme qui reçoit
la subsistance, en tant qu’elle est «ce par quoi on subsiste». |
Si autem accipiatur
« subsistentia » pro eo « quod subsistit », sic proprie
dicitur illud in quo per prius invenitur talis natura hoc modo essendi. Et
cum per prius inveniatur in substantia, secundum quod substantia est ; et
deinceps in aliis, secundum quod propinquius se habent ad substantiam:
constat quod nomen subsistentiae per prius convenit generibus et speciebus in
genere substantiae, ut dicit Boetius, lib. De duabus nat., cap.
III, col. 1344, et individuis non convenit habere tale esse, nisi inquantum
sunt sub tali natura communi. Quamvis enim genera et species non subsistant
nisi in individuis, quorum est esse, tamen determinatio essendi fit ex natura
vel quidditate superiori. |
Mais si on prend
«subsistentia» pour «ce qui subsiste», alors s’appelle proprement ainsi celui
dans lequel une telle nature se retrouve en priorité de par cette manière
d’exister. Et puisqu’elle se retrouve en priorité dans la substance en tant
qu’elle est substance, et qu’elle se retrouve par la suite dans les autres
prédicaments selon qu’ils sont plus rapprochés de la substance, il est clair
que le nom de subsistance convient en priorité aux genres et aux espèces dans
le genre de la substance, ainsi que le dit Boèce [Des Deux Natures,
ch. 111, col. 1344] et qu’il ne convient aux individus d’avoir une telle
existence que dans la mesure où ils sont dans une telle nature commune. En
effet, bien que les genres et les espèces ne subsistent que dans
les individus auxquels il appartient d’exister, cependant la détermination
d’exister vient d’une nature ou d’une quiddité supérieure. |
Similiter « hypostasis », vel
« substantia », dicitur dupliciter: vel id quo substatur ; et quia
primum principium substandi est materia, ideo dicit Boetius in Praedicamentis,
in princ. Praed. substantia, quod hypostasis est materia, vel quod substat,
et hoc est individuum in genere substantiae per prius. Genera enim et species
non substant accidentibus nisi ratione individuorum ; et ideo nomen
« substantiae » primo et principaliter convenit particularibus
substantiis, secundum philosophum « De substantia », et
secundum Boetium, lib. De duabus naturis, cap. III. |
De la même manière,
«hypostasis», ou «substantia», se dit de deux manières : soit ce par
quoi on est soutenu ; et parce que le premier principe de
soutien est la matière, c’est pourquoi Boèce dit dans Les Prédicaments,
au début de Le Prédicament de la substance, que l’hypostase est
la matière, ou qu’elle soutient, et tel est en priorité l’individu dans le
genre de la substance. En effet, les genres et les espèces ne soutiennent les
accidents qu’en raison des individus ; et c’est pourquoi le
nom de «substance» convient en premier lieu et principalement aux substances
particulières d’après le Philosophe [De la Substance] et d’après Boèce
[Des Deux Natures, ch. 111]. |
Sic ergo patet differentia istorum trium
dupliciter. Quia si accipiatur unumquodque ut quo est, sic essentia
significat quidditatem, ut est forma totius, « ousiosis » formam
partis, « hypostasis » materiam. Si autem sumatur unumquodque ut
quod est, sic unum et idem dicetur « essentia », inquantum habet
esse, « subsistentia », inquantum habet tale esse, scilicet
absolutum ; et hoc per prius convenit generibus et speciebus, quam individuis
; et substantia, secundum quod substat accidentibus ; et hoc per prius
convenit individuis, quam generibus et speciebus. |
Et c’est pourquoi la
différence entre ces trois noms est évidente de trois manières. Car si on
prend n’importe quel d’entre eux en tant que ¨ce par quoi¨, alors «essentia»
signifie la quiddité en tant qu’elle est la forme du tout, «ousiosis»
signifie la forme de la partie, «hypostasis» signifie la matière. Mais si on
prend chacun d’eux en tant que ¨ce qui est¨, alors une seule et même chose
sera appelée «essentia» en tant qu’elle possède l’existence ;
«subsistentia» en tant qu’elle possède telle existence, à savoir une
existence absolue, et cela convient en priorité aux genres et aux espèces
plutôt qu’aux individus ; et enfin «substance» selon
qu’elle soutient les accidents, et cela convient en priorité aux
individus plutôt qu’aux genres et aux espèces. |
Ulterius, hoc nomen « persona »
significat substantiam particularem, prout subjicitur proprietati quae sonat
dignitatem, et similiter « prosopon » apud Graecos ; et ideo
« persona » non est nisi in natura intellectuali |
Par la suite, le nom
«persona» signifie une substance particulière, selon qu’elle est le sujet
d’une propriété qui signifie une dignité, et il en est de même du nom
«prosopon» chez les Grecs ; et c’est pourquoi «persona» ne se retrouve
que dans une nature intellectuelle. |
Et secundum Boetium, de duabus
naturis, cap. III, col. 1343,sumptum est nomen personae a
personando, eo quod in tragoediis et comoediis recitatores sibi ponebant
quamdam Larvam ad repraesentandum illum cujus gesta narrabant decantando. Et
inde est quod tractum est in usu ut quodlibet individuum hominis de quo
potest talis narratio fieri, persona dicatur ; et ex hoc etiam dicitur
prosopon in Graeco a « pros » quod est in ope, et sopos quod est
facies, quia hujusmodi Larvas ante facies ponebant. |
Et selon Boèce [Des Deux
Natures, ch. 111, col. 1343], le nom de «persona» est tiré de
«personando», c’est-à-dire «résonner», du fait que dans les tragédies et les
comédies les auteurs se mettaient un masque pour représenter celui dont ils
racontaient les gestes en le chantant. Et de là on en est venu à la coutume
d’appeler «persona» tout individu humain au sujet de qui un tel récit peut
être rendu; et c’est de là encore qu’en Grec «prosopon» se dit à partir de
«pros» qui signifie ce qui est sur le devant, et «sopos» qui est le visage,
car ils mettaient de tels masques devant le visage. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quia particulare significat compositum ex materia et forma
demonstrata, sed universale in substantiis compositis significat etiam
compositum ex materia et forma, sed non demonstrata, sicut homo ex anima et
carne et osse, non tamen ex his carnibus et ex his ossibus. Unde non oportet
quod « ousia » significet idem quod particularis substantia, immo
se habet ad utrumque. Et ideo omne quod est in genere substantiae potest dici
« ousia », sive sit universalis substantia, sive particularis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu, parce que le particulier signifie un composé de matière et de
forme individuelles et que l’universel dans les substances composées est
aussi un composé de matière et de forme mais non individuelles, comme l’homme
qui est un composé d’âme, de chairs et d’os mais non de ces chairs et des ces
os, c’est pourquoi il ne faut pas que «ousia» signifie la même chose que la
substance particulière, mais plutôt qu’il soit apte à signifier les deux. Et
c’est pourquoi tout ce qui est dans le genre de la substance peut être appelé
«ousia», qu’il soit une substance universelle ou une substance particulière. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod subsistere duo dicit, scilicet esse, et determinatum modum essendi ; et
esse simpliciter non est nisi individuorum ; sed determinatio essendi, est ex
natura vel quidditate generis vel speciei ; et ideo quamvis genera et species
non substent nisi in individuis, tamen eorum proprie subsistere est, et
subsistentiae dicuntur ; quamvis et particulare dicatur, sed per [per om.
Ed de Parme] posterius ; sicut et species substantiae dicuntur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que subsister dit deux choses, à savoir exister, et un mode déterminé
d’existence ; et exister absolument n’appartient qu’aux individus ;
mais la détermination de l’existence vient de la nature ou de la quiddité du
genre ou de l’espèce ; et c’est pourquoi, bien que les genres et les
espèces ne soutiennent que s’ils existent dans les individus, cependant il
leur appartient en propre de subsister et d’être appelés subsistances, bien
que les particuliers aussi soient appelés ainsi, mais par [par om.
Éd. de Parme] après et secondairement, tout comme les espèces sont
appelées substances dans le même sens. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dico,
quod substantia dicitur, inquantum subest accidenti vel naturae communi ;
subsistere vero dicitur aliquid inquantum est sub esse suo, non quod habeat
esse in alio sicut in subjecto. |
3. Je dis en troisième lieu
qu’on appelle substance ce qui soutient un accident ou une nature
commune ; mais on dit d’un être qu’il subsiste en tant qu’il est dans
l’existence qui lui est propre et non pas qu’il possède son existence dans un
autre comme dans un sujet. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod hoc nomen « hypostasis » apud Graecos aliud habet ex
proprietate significationis, et aliud ex usu. Ex proprietate enim
significationis habet quod significet quamlibet substantiam particularem, sed
ex usu accommodatum est nobilioribus substantiis ; et ideo ipsi utuntur eodem
modo hoc nomine « hypostasis » sicut nos utimur hoc nomine
« persona » ; sed talis usus non est apud nos in hoc nomine
« substantia ». |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ce nom, «hypostasis», tient chez les Grecs quelque chose d’autre de
la propriété de sa signification et quelque chose d’autre de son usage. De la
propriété de sa signification en effet il signifie toute substance particulière,
mais de son usage il a été appliqué à des substances nobles ; et c’est
pourquoi les Grescs se servent du nom «hypostasis» de la même manière que
nous usons du nom «persona» ; mais chez nous un tel usage n’a pas lieu
pour le nom «substantia». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod apud nos nomen « substantia » aequivocatur.
Quandoque enim ponitur pro essentia, secundum quod nos dicimus definitionem
significare substantiam rei. Quandoque ponitur pro supposito substantiae,
sicut dicimus Socratem esse substantiam quamdam. Et ideo ut tolleretur malus
intellectus, sancti noluerunt uti hoc nomine substantia pro supposito, sicut
Graeci utuntur ; sed transmutaverunt, et posuerunt
« subsistentiam » respondentem « hypostasi » et
« substantiam » respondentem « ousiosi » ; quamvis sit e
converso, secundum veritatem significationis ; magis enim curaverunt
vitationem errorum quam proprietatem nominum. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que chez nous le nom «substantia» prête à équivoque. Parfois en effet on
s’en sert au lieu du terme «essentia», selon que nous disons que la
définition signifie la substance de la chose. Parfois on l’utilise à la place
du suppôt de la substance, comme lorsque nous disons que Socrate est une
certaine substance. Et c’est pourquoi, pour éviter une mauvaise
interprétation, les écrivains sacrés n’ont pas voulu se servir du nom
substance à la place du suppôt, comme les Grecs le font ; mais au lieu
de faire cela, ils ont effectué un transfert, en posant le terme «subsistantiam»
comme correspondant à «hypostasi» et celui de «substantiam» comme
correspondant à «ousiosi» ; ils ont fait ainsi, bien que ce soit
l’inverse d’après la vérité de la signification ; en effet, ils ont
davantage pris soin d’éviter les erreurs que d’être fidèles aux sens propres
des noms. |
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Articulus 2 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 tit. Utrum
nomen « persona » dicatur proprie de Deo |
Article 2 – Ce nom « personne » est-il employé au sens propre pour Dieu ? |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nomen personae non proprie dicatur in
divinis. « Persona » enim significat hominem larvatum, ut dictum
est, art. antec., cujus figura repraesentatur. Sed hoc non potest Deo
convenire nisi metaphorice ; nec etiam habet figuram quae repraesentari
possit, ut dicitur Isa. XL, 18: Cui similem fecistis Deum ? Ergo
nomen « persona » proprie non convenit Deo. |
Difficultés : 1. Il semble que le nom
¨personne¨ ne se dise pas proprement de Dieu. «Persona» en effet signifie un
homme furieux, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, dont la
figure est représentée. Mais cela ne peut convenir à Dieu que par
métaphore ; et de plus il ne possède pas une figure qui pourrait être
représentée, comme on le dit dans l’Écriture [Isaïe, XL,
18] : À qui comparer Dieu, et quelle image pourriez-vous en
faire ? Donc, le nom «persona» ne convient pas à Dieu. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in
tota natura « persona » videtur dicere maximam compositionem: quia
in individuo hominis concurrunt quasi omnes naturae ad constitutionem ejus,
vel ex parte animae, vel ex parte corporis ; unde etiam cum omnibus commune
habere dicitur. Sed Deus est summe simplex. Ergo videtur quod nomen
« personae » sibi non conveniat. |
2. Par ailleurs, en toute
nature, «persona» semble signifier la composition la plus considérable :
car dans l’individu humain presque toutes les natures concourrent à sa
constitution, que ce soit du côté de l’âme ou du côté du corps ; c’est
pourquoi on dit aussi de lui qu’il a du commun avec tous les autres êtres.
Mais Dieu est suprêmement simple. Il semble donc que le nom «persona» ne Lui
convienne pas. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 3 Item,
« persona » dicitur quae substat alicui proprietati, vel subsistit.
Sed, sicut supra dictum est, dist. 8, ex verbis Augustini, Deus non dicitur
proprie substare alicui quod in ipso est. Ergo non proprie dicitur
« persona ». |
3. En outre, «persona» dit ce
qui soutient la propriété d’un être, ou ce qui subsiste. Mais, comme nous
l’avons dit dans la distinction 8 à partir des paroles de Saint-Augustin, on
ne dit pas proprement de Dieu qu’il soutient quelque chose qui est en lui. Ce
n’est donc pas proprement qu’il est appelé «persona». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg.
4 Praeterea, « persona » dicit substantiam particularem vel singularem. Sed particulare vel singulare Deo non
competit. Ergo videtur quod nec personae nomen. |
4. De plus, «persona» dit une
substance particulière ou individuelle. Mais le particulier et l’individuel
n’appartiennent pas à Dieu. Il semble donc que le nom «persona» ne lui
appartienne pas non plus. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 s.
c. 1 Contra, quia « persona » dicitur quasi per se una. Sed hoc maxime Deo convenit. Ergo videtur
quod et nomen personae. |
Cependant : 1. Par contre, «persona»
signifie pratiquement ce qui est un par soi. Mais c’est à Dieu que cela
convient de la façon la plus parfaite. Il semble donc par conséquent que ce
nom lui convienne aussi le plus parfaitement. |
Item, persona dicit quid completum existens
in natura intellectuali. Sed hoc Deo competit. Ergo videtur quod et nomen
personae. |
2. En outre, «persona» dit un
être dont l’existence est complète dans la nature intellectuelle. Mais cela
appartient à Dieu. Il semble donc qu’il en soit de même pour le nom
«persona». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod nomen « personae » proprie convenit Deo ; tamen non
eodem modo sicut est in creaturis, sed quodam nobiliori modo ; sicut est in
omnibus aliis quae de Deo et creaturis dicuntur. Salvatur enim ratio
« personae » in divinis, secundum quod habet esse per se subsistens
in natura intellectuali. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le nom «persona» convient proprement à Dieu ; cependant, il ne lui
convient pas de la même manière qu’il convient aux créatures, mais d’une
manière plus excellente, comme tous les autres noms qui s’attribuent à la
fois à Dieu et aux créatures. En effet, la notion «persona» est conservée en
Dieu selon qu’il possède une existence qui subsiste par elle-même dans une
nature intellectuelle. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in significatione nominis duo sunt
consideranda: scilicet id a quo imponitur nomen ad significandum, et id ad
quod significandum imponitur. Contingit autem quandoque quod substantia
alicujus rei nominatur ab aliquo accidente quod non consequitur totam naturam
de qua nomen illud dicitur ; sicut lapis dicitur ex eo quod laedit pedem, nec
tamen omne laedens pedem est lapis, vel e converso. Et ideo judicium de nomine non debet esse
secundum hoc a quo imponitur, sed secundum id ad quod significandum
instituitur. Unde quamvis nomen personae sit impositum a dicta
repraesentatione, tamen est impositum ad significandum substantiam completam,
in natura intellectuali subsistentem: et hoc Deo convenit, quamvis non
conveniat sibi illud a quo nomen imponitur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que dans la signification d’un nom il y a deux choses à
considérer : à savoir ce à partir de quoi le nom est imposé pour
signifier, et ce en vue de quoi il imposé pour le signifier. Mais il arrive
parfois que la substance d’une chose soit nommée à partir d’un accident qui
ne découle pas de toute la nature à laquelle ce nom est attribué ; par
exemple, la pierre se dit à partir de ce qui blesse le pied et cependant ce
n’est pas tout ce qui blesse le pied qui est une pierre et inversement. Et
c’est pourquoi le jugement qu’on porte sur le nom ne doit pas se faire
suivant ce à partir de quoi il est imposé, mais plutôt suivant ce en vue de
quoi il est imposé pour le signifier. C’est pourquoi, bien que le non de
personne soit imposé à partir de la représentation dont nous avons parlé,
cependant il est imposé pour signifier une substance complète qui subsiste
dans une nature intellectuelle : et cela Lui convient parfaitement, bien
que ce à partir de quoi le nom est imposé ne Lui convienne pas. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa compositio accidit
« personae » praeter rationem suam. Quia enim « persona »
dicit quid completum in natura intellectuali, et in natura humana non
invenitur complementum nisi per maximam compositionem ; ideo per accidens
significat compositionem in natura. Si autem perfectionem intellectualem
inveniret in corpore simplici, sicut est ignis, diceretur persona ; et ideo
divina simplicitas non repugnat personalitati. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que cette compostion servient à la «personne» en
dehors de sa definition. En effet, parce que «persona» signifie un être
complet dans une nature intellectuelle, et que dans la nature
humaine la complétude ne se retrouve qu’au moyen d’une composition
extrême, c’est pourquoi c’est de manière accidentelle que ce nom signifie une
composition dans une nature. Mais si la perfection intellectuelle se
retrouvait dans un corps simple comme le feu, elle serait appellee personne;
et c’est pourquoi la divine simplicité ne répugne pas au nom de «personne». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Deo secundum rem nihil ponitur sub aliquo
; sed tantum secundum modum intelligendi, prout intelligitur substans
proprietati sive personali, sive essentiali, secundum quod dicitur substantia
; et esse sub, secundum quod dicitur subsistentia: nihilominus tamen, quia
secundum rem nihil ibi est sub alio, ideo Richardus de sancto Victore,
lib. IV De
trinitate, c. XX, col. 943, volens proprie loqui, dicit, quod
personae divinae non subsistunt, sed existunt, inquantum scilicet
distinguuntur proprietatibus originis, secundum quas una est ex alia, quibus
non supponuntur per modum subjecti ; et ideo divinas personas non dicit esse
subsistentias, sed existentias. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’en Dieu rien ne soutient autre chose selon la réalité mais seulement
selon la manière de le comprendre, selon qu’on l’entend comme soutenant une
propriété soit personnelle soit essentielle selon qu’on l’appelle substance,
et comme existant sous, selon qu’on l’appelle substance : néanmoins
cependant, parce qu’en réalité il n’y a rien là qui soit sous un autre, c’est
pourquoi Richard de Saint-Victor [De la Trinité, IV, ch. XX, col. 943],
voulant parler au sens propre, dit que les personnes divines ne subsistent
pas, mais existent, c’est-à-dire selon qu’elles se distinguent par leurs
propriétés d’origine selon lesquelles une personne procède d’une autre, et
sous lesquelles elles ne sont pas placées à la manière d’un sujet ; et
c’est pourquoi il ne dit pas des personnes divines qu’elles sont des
subsistances, mais des existences. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod, proprie loquendo, in divinis non est particulare, quia particulare
dicitur eo quod particulatur in ipso natura communis, cujus partem accipit
secundum virtutem qua potest esse in pluribus, quamvis accipiat totam
rationem ejus. Sed in Patre est natura divina secundum totam virtutem suam:
unde non potest dici particulare ; nisi forte solum secundum rationem
numeralis multitudinis, ut supra dictum est, distin. 19, quaest. 4, art. 2,
et patet ex verbis Damasceni III Fide orth. cap. IV, col.
1002. Similiter etiam, hoc nomen « Deus » non potest esse
particularis vel singulare, cum de pluribus suppositis praedicetur, et
materia careat, quae singularitatis principium est ; unde
« persona » dicetur de Deo non secundum rationem particulationis
vel singularitatis, sed secundum rationem completionis, secundum quod nominat
quid completum subsistens vel existens in natura intellectuali. |
4. En quatrième lieu il faut
dire que, à parler au sens propre, il n’y a rien de particulier en Dieu, car
le particulier se dit de ce qui participe de la nature commune elle-même,
dont il reçoit une partie selon la puissance par laquelle cette nature peut
exister en plusieurs bien, qu’il en reçoive toute la définition. Mais dans le
Père la nature divine existe selon toute sa puissance : c’est pourquoi
on ne peut dire de Lui qu’il est un particulier, si ce n’est peut-être selon
la notion d’une multiplicité numérique seulement, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 19, quest. 4, art. 2] et cela est clair par l’examen des paroles
de Damascène [De la Foi Orthodoxe, 111, ch. IV, col. 1002]. De la même
manière encore, ce nom «Dieu» ne peut être particulier ou singulier puisqu’il
s’attribue à plusieurs suppôts et est privé de matière qui est le principe de
la singularité ; c’est pourquoi «persona» se dira de Dieu non pas
d’après la notion de la particularité ou de la singularité, mais d’après la
notion de la complétude selon laquelle il signifie un être complet qui
subsiste ou existe dans une nature intellectuelle. |
|
|
Articulus 3 Lib
1 d. 23 q. 1 a. 3 tit. Utrum « persona » significet substantiam |
Article 3 –
« Personne » signifie-t-il la substance ? |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
« persona » significet substantiam. Primo per auctoritatem
Augustini in Littera, qui hoc expresse videtur dicere. |
Difficultés : 1. Il semble que «persona»
signifie la substance. Et on peut le voir premièrement par l’autorité de
Saint-Augustin dans le Document, qui semble parler expressément
en ce sens. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, hoc
videtur per definitionem Boetii, De duabus naturis, c. III,
col. 1343 ; dicit enim, quod « Persona est rationalis naturae
individua substantia ». Sed substantia significat quid absolutum et
non relativum. Ergo videtur quod nomen « personae » non significet
relationem. |
2. Par ailleurs, il semble en
être ainsi suivant la définition de Boèce [Des Deux Natures, ch. 111,
col. 1343] ; il dit en effet que «La personne est la substance
individuelle de nature rationnelle». Mais la substance signifie quelque
chose d’absolu et non quelque chose de relatif. Il semble donc que le nom
«persona» ne signifie pas la relation. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 arg. 3 Praeterea, omne relativum, secundum nomen suum ad aliud refertur.
Sed hoc nomen « persona » non refertur ad aliud, secundum
nomen. Ergo non significat
relationem. |
3. Par ailleurs, tout
relatif, conformément à son nom, se rapporte à quelque chose d’autre. Mais ce
nom, «persona», ne se rapporte pas à un autre, si on se fie à son nom. Il ne
signifie donc pas la relation. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 4 Item,
« quid » quaerit de substantia vel essentia. Sed, sicut in Littera dicitur,
haereticis quaerentibus, quid tres sunt ? Respondet Ecclesia : Pater, et
Filius et Spiritus sanctus [Respondetur: Pater et Filius et Spiritus sanctus
; quod est Ed. de Parme] nomen « personae ». Ergo
« persona « significat essentiam. |
4. En outre, la question
«quid» s’enquiert de la substance ou de l’essence. Mais, comme on le dit dans
le Document, aux hérétiques qui demandent : ils sont trois quoi ?
L’Église répond : le Père, le Fils et l’Esprit-Saint [On répond :
le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ; l’essence Éd. de Parme]
ont pour nom «Personne». Donc, «persona» signifie l’essence. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg.
5 Praeterea, « persona » dicitur quasi per se una. Sed unum significat essentiam. Ergo videtur
quod « persona » essentiam significat. |
5. De plus, «persona»
signifie pratiquement ce qui est un par soi. Mais l’un signifie l’essence. Il
semble donc que «persona» signifie l’essence. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra,
Boetius, lib II de Trin., col. 1299 : « Omne
nomen quod ex personis originem capit, certum est ad substantiam non
pertinere ». Sed nullum nomen ita capit originem ex personis sicut
« persona ». Ergo, etc. |
Cependant : 1. Au contraire, on lit dans
Boèce [De la Trinité, 11, col. 1299] : «Tout nom qui prend son
origine des personnes n’appartient certainement pas à la substance». Mais
aucun nom ne prend davantage son origine des personnes que le nom «persona».
Donc ce nom ne se rapporte pas à la substance. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 s. c. 2 Praeterea, in nullo absoluto distinguitur Pater a Filio, sed solum
relatione. Distinguitur autem in persona. Ergo persona non significat aliquid
absolutum, sed relationem. Prima probatur ex simplicitate divina, et
perfectione totius Trinitatis. |
2. En
outre, le Père ne se distingue pas du Fils dans l’absolu mais seulement dans
la relation. Mais il se distingue de Lui dans la personne. Donc «persons» ne
signifie pas quelque chose d’absolu mais la relation. La majeure se prouve
par la simplicité divine et la perfection de toute la Trinité. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 s. c. 3 Item, ad quodcumque genus reducitur inferius, reducitur et suum
superius. Sed sub hoc
communi quod est persona, continetur Pater et Filius et Spiritus sanctus.
Ergo cum Pater significet ad aliquid, et « persona » similiter. |
3. De plus, quel que soit le
genre auquel se ramène l’inférieur, son supérieur s’y ramène aussi. Mais sous
ce supérieur qui est «persona», sont contenus le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint. Donc, puisque le Père signifie la relation, «persona»
signifie aussi la relation. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod de significatione « personae » invenitur multiplex
doctorum sententia. Quidam enim dicunt, quod est nomen aequivocum ; et
quidam, quod est nomen univocum. Aequivocatio autem hujus nominis tripliciter
a diversis assignatur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’au sujet de la signification de «personne», les opinions des docteurs sont
variées. Certains disent en effet que c’est là un nom équivoque et d’autres
que c’est un nom univoque. Mais le caractère équivoque de ce nom est assigné
de trois manières par différents auteurs. |
Quidam enim assignant multiplicitatem
nominis secundum diversitatem temporis: quia ante quaestionem haereticorum
significabat essentiam divinam, prout erat distincta ab aliis essentiis ; sed
post quaestionem haereticorum mutata fuit ejus significatio, ut in singulari
significet essentiam, et in plurali relationem. Sed post tempus Boetii
significat relationem, secundum usum modernorum, et in singulari et in
plurali. Sed hoc non non videtur rationabile omnino [omnino om. Ed. de
Parme] quia plurale non est nisi geminatum singulare: unde eadem est
significatio in singulari et plurali sub diversa consignificatione. Item
constat quod usus variatus istius nominis non est irrationabilis
[rationabilis éd. de Parme) ; unde oportet quod in significatione
ipsius nominis attendatur aliquid secundum quod eo sic vel sic uti possumus. |
Certains en effet assignent
la multiplicité du nom d’après la diversité du temps : car ce nom, avant
les questions des hérétiques, signifiait l’essence divine en tant qu’elle
était distincte des autres essences ; mais après les instances des
hérétiques sa signification fut changée de manière à signifier la substance
au singulier et la relation au pluriel. Mais après l’époque de Boèce ce terme
signifie la relation suivant l’usage des modernes, à la fois au singulier et
au pluriel. Mais cela ne semble absolument [absolument om. Éd. de
Parme] pas rationnel car le pluriel n’est qu’un singulier
multiplié : c’est pourquoi la signification est la même au singulier et
au pluriel sous une consignification différente. En outre il est clair que
l’usage varié de ce nom n’est pas irrationnel [rationnel Éd, de Parme] ;
c’est pourquoi il faut que dans la signification du nom lui-même se vérifie
quelque chose selon quoi nous pouvons nous en servir ainsi ou autrement. |
Alii assignant multiplicitatem hujus nominis
secundum diversa significata, non ex diversitate temporis, sed ex propria
significatione nominis. Dicunt enim simpliciter, quod quandoque significat
essentiam, quandoque hypostasim, quandoque proprietatem, sicut infra, distin.
26, Magister sentire videtur. Sed nullum istorum videtur complete dicere
significationem personae ; immo persona videtur omnia includere ; dicit enim
quid subsistens in natura aliqua, et distinctum aliqua proprietate. |
D’autres assignent la
multiplicité de ce nom d’après différentes choses signifiées, non pas à
partir du temps mais à partir de la signification propre du nom. Ils disent
en effet simplement que parfois il signifie l’essence, parfois l’hypostase,
parfois la propriété, ainsi que semble en juger plus loin le Maître dans la
distinction26. Mais aucun d’eux ne semble dire la signification de «persona»
d’une manière parfaite ; bien plutôt, le terme «persona» semble tout
contenir : il dit en effet quelque chose qui subsiste dans une nature,
et qui est distinct par une propriété. |
Alii assignant multiplicitatem ex adjuncto:
dicunt enim, quod quando per se sumitur, significat substantiam ; sed ex
adjuncto partitivo vel numerali termino trahitur ad significationem
relationis, ut cum dicitur, duae personae, vel, alia persona. Sed hoc non
videtur: quia nomina significantia substantiam absolute, non recipiunt talium
additionem ; non enim dicimus plures deos, vel alium Deum. |
D’autres assignent la
multiplicité des significations de ce nom à partir de ce qui lui est
rattaché : ils disent en effet que quand il se prend par lui-même, il
signifie la substance ; mais si on y ajoute un terme de division ou un
terme numérique, le nom est entraîné à signifier la relation, comme lorsqu’on
dit deux personnes ou une autre personne. Mais cela est
invraisemblable : car les noms signifiant la substance d’une manière absolue
ne reçoivent pas des ajouts de cette sorte ; en effet, nous ne disons
pas plusieurs dieux ou un autre Dieu. |
Item qui dicunt quod est nomen univocum,
similiter variantur. Quidam enim dicunt, quod in sua significatione claudit
unum tantum, scilicet substantiam, et significat substantiam, non quae est
essentia, sed quae dicitur hypostasis vel substantia prima, ut dictum est,
art. 1 istius dist. Sed hoc non videtur sufficere: quia nihil absolutum in
divinis numeratur. Unde si nullo modo relationem importaret, non posset in
plurali praedicari. |
En outre ceux qui disent que
«persona» est un nom univoque ont également des opinions qui varient.
Certains en effet disent que dans sa signification il ne renferme qu’une
seule notion, à savoir la substance, et qu’il signifie la substance, non pas
celle qui est l’essence, mais celle qu’on appelle hypostase ou substance
première, comme nous l’avons dit dans l’article 1 de cette distinction. Mais
il semble que cette opinion n’est pas satisfaisante : car rien de ce qui
est absolu en Dieu n’est compté. C’est pourquoi, si ce terme n’impliquait la
relation d’aucune manière, il ne pourrait être attribué au pluriel. |
Alii dicunt, quod in sua significatione
includit duo, sed unum principaliter et quasi in recto, et aliud secundario et
quasi in obliquo ; et horum est duplex opinio: quidam enim dicunt, quod
significat relationem in recto, et substantiam in obliquo ; et quidam dicunt
e converso. |
D’autres disent que dans sa
signification. «persona» comprend deux choses, mais l’une est comprise
principalement et comme directement, l’autre secondairement et comme
indirectement ; et à ce sujet il y a deux opinions : certains en
effet disent que c’est la relation que ce nom signifie directement et que la
subtance est signifiée indirectement, alors que d’autres disent le contraire. |
Alii dicunt, quod claudit in sua
significatione duo principaliter, scilicet substantiam et proprietatem ; et
isti iterum diversificantur. Quidam enim dicunt, quod proprietas illa ponitur
circa substantiam ut distinguens ipsam ; unde dicunt, quod significat
substantiam proprietate distinctam. |
D’autres disent que ce nom
renferme dans sa signification deux choses principalement, à savoir la
substance et la propriété ; et ceux-là en outre se
différencient. Certains en effet disent que cette propriété se pose sur la
substance pour la distinguer ; c’est pourquoi ils disent qu’elle
signifie une substance distincte par la propriété. |
Sed qualiter aliquod (aliquid om.
Ed. de Parme] absolutum distinguatur in divinis, non facile est videre.
Alii praeterea dicunt, quod significat duo principaliter, et unum illorum non
ponitur circa alterum: quia proprietas quam significat, non distinguit
substantiam. Sed qualiter unum nomen possit plura significare, nisi ex eis
aliquid unum efficiatur aliquo modo, non plene videtur. |
Mais de quelle manière
quelque chose [quelque chose om. Éd. de Parme] d’absolu se
distingue en Dieu, il n’est pas facile de le voir. D’autres par ailleurs
disent que ce mot signifie deux choses principalement, et que l’une d’elles
n’est pas posée sur l’autre : car la propriété qu’il signifie ne
distingue pas la substance. Mais de quelle manière un même nom
peut signifier plusieurs choses à moins qu’à partir d’elles quelque chose
d’un ne soit rendu de quelque manière, on ne le voit pas bien. |
Et ideo ut videatur quid veritatis sit in
singulis opinionibus, et in quo deficiant, videndum est, quod persona, ut
dictum est, ubi supra, significat individuam substantiam. Sed
« individuum » dupliciter potest significari: vel per nomen
secundae intentionis, sicut hoc nomen « individuum » vel
« singulare », quod non significat rem singularem, sed intentionem
singularitatis ; vel per nomen primae intentionis, quod significat rem, cui
convenit intentio particularitatis ; et ita significatur hoc nomine
« persona » ; significat enim rem ipsam, cui accedit intentio
individui. |
Et c’est pourquoi, afin de
voir ce qu’il y a de vrai dans ces opinions individuelles et en quoi elles
sont défectueuses, il faut voir que «persona», comme nous l’avons dit plus
haut, signifie une substance individuelle. Mais «individu» peut être signifié
de deux manières : soit par le nom d’une intention seconde, comme ce nom
«individu» ou «singulier», qui ne signifie pas une chose individuelle, mais
l’intention d’individualité ; soit par le nom d’une intention première
qui signifie une chose à laquelle convient l’intention d’individualité ;
et c’est de cette manière qu’individu est signifié par ce nom,
«persona» ; il signifie en effet la chose elle-même à laquelle survient
l’intention d’individualité. |
Secundum hoc ergo dupliciter possumus
loqui de significatione personae: vel per se, scilicet quid hoc nomen
« persona » secundum se significet ; vel per accidens, secundum
quod accipitur in tali vel in tali natura. Per se quidem significat
substantiam intellectualem individuam, quaecumque sit illa, et qualitercumque
individuetur. Si autem accipiatur persona humana, significat hoc quod est
subsistens in tali natura, et distinctum tali distinctione qualis competit
naturae humanae, scilicet per naturam determinatam. Et sic loquimur hic de
significatione personae, prout dicitur persona divina ; et secundum hoc
significabit hoc quod est distinctum existens in natura divina. |
C’est donc d’après ces
considérations que nous pouvons parler de deux manières de la signification
de «personne» : ou bien par soi, c’est-à-dire ce que ce nom «persona»
signifie en lui-même ; ou bien par accident, selon qu’il se prend dans
telle ou telle autre nature. Par soi ou essentiellement il signifie certes
une substance intellecgtuelle individuelle, quelle qu’elle soit, et quelle
que soit la manière dont elle est individuée. Mais si on prend la personne
humanie, elle signifie ce qui est subsistant dans telle nature et qui est
distinct par une distinction telle qu’elle appartient à la nature humaine,
c’est-à-dire par une nature déterminée. Et c’est ainsi que nous parlons ici
de la signification de «personne», en tant qu’on parle de la personne
divine ; et conformément à cela, ce nom signifiera ce qui existe de
distinct dans la nature divine. |
Ut ergo videamus quid sit ibi distinctum, et
quomodo competat sibi ratio personae, notandum est, quod secundum
necessitatem fidei, quae in Deo tres et unum confitetur, oportet ponere
aliquid commune, secundum quod sunt unum, et aliquid proprium, quod est
distinguens, ex qua distinctione sunt tres. Et illud commune est essentia vel
natura divina, prout significatur nomine divinitatis ; et illud distinguens
est relatio, ut paternitas. |
Donc, afin de voir ce qu’il y
a là de distinct et comment et comment lui revient la notion de personne, il
faut noter, conformément à la nécessité de la foi qui confesse qu’il y a en
Dieu à la fois trinité et unité, il faut poser quelque chose de commun
conformément à son unité, et quelque chose de propre qui soit un principe de
distinction à partir duquel se vérifie la trinité. Et ce caractère commun est
l’essence ou la nature divine, en tant qu’elle est signifiée par le nom de
Dieu ; et ce principe de distinction est la relation, par exemple la
paternité. |
Et quia in divinis non est aliqua
compositio, ideo oportet quod deitas intelligatur secundum rem idem quod
Deus, et paternitas idem quod Pater. Si ergo accipiamus ista quatuor,
scilicet deitatem, Deum, Patrem, paternitatem, constat quod ipsi deitati,
prout sic significatur ut natura quaedam, non convenit ratio personae,
dupliciter: primo, quia non significatur ut per se subsistens ; secundo, quia
est commune pluribus, et persona significat distinctum quid |
Et parce qu’en Dieu il n’y a
pas composition, c’est pourquoi il faut que, en réalité, la divinité
s’entende comme étant identique à Dieu et la paternité comme étant identique
au Père. Si donc nous prenons ces quatre notions, à savoir la divinité, Dieu,
le Père et la paternité, il est clair que la notion de personne ne convient
pas à la divinité signifiée comme une certaine nature, et cela pour deux
raisons : premièrement parce que la divinité n’est pas signifiée comme
subsistant par elle-même ; deuxièmement parce qu’elle est commune
à plusieurs, alors que la personne signifie un être distinct. |
Similiter hoc nomen « Deus » non
habet rationem personae: quia quamvis significetur ut subsistens, non tamen
habet rationem distinctionis: quia sicut Pater et Filius conveniunt in hoc
quod est deitas, ita conveniunt in hoc quod est Deus. Sed verum est quod si
tolleretur pluralitas personarum, et per consequens communitas hujus nominis
« Deus », hoc nomen Deus significaret personam quamdam distinctam
ab omnibus aliis naturis proprietatibus essentialibus. Unde hoc nomen
« Deus » significaretur ut persona quaedam. Similiter etiam
paternitas cum non significetur ut quid subsistens, nec ut distinctum, sed ut
distinguens, non significatur per modum personae. Similiter Pater, quamvis
significetur ut quid distinctum, non tamen significatur ut subsistens in
natura aliqua, sed magis ut subjectum cuidam proprietati. |
De la même manière ce nom
«Dieu» n’a pas raison de personne : car bien qu’il soit signifié comme
subsistant, cependant il n’a pas raison d’être pris comme être
distinct : car tout comme le Père et le Fils ont en commun la divinité,
de même ils ont en commun le fait de subsister comme Dieu. Mais il est vrai
que si la pluralité des personnes disparaissait et par conséquent le
caractère commun de ce nom «Dieu», ce nom «Dieu» signifierait une personne
distincte de toutes les autres natures par ses propriétés essentielles. C’est
pourquoi dans ce cas ce nom «Dieu» signifierait à la manière d’une personne.
De la même manière encore la paternité, puisqu’elle ne signifie ni à la
manière d’un être subsistant ni à la manière d’un être distinct mais comme un
principe de distinction, c’est pourquoi ce nom n’est pas signifié à la
manière d’une personne. De la même manière, le nom Père, bien qu’il soit
signifié comme un être distinct, il n’est cependant pas signifié comme
subsistant dans une certaine nature mais plutôt comme le sujet d’une certaine
propriété. |
Unde sicut album de ratione nominis sui non
est nomen personae, ita nec pater: sed inquantum Pater et Deus sunt idem, non
quidem sicut accidens et subjectum, sed per omnimodam rei indifferentiam ;
sic Pater, inquantum est Pater Deus, habet ut sit persona. Et ideo dico, quod
« persona » in divinis significat relationem per modum
substantiae. Ipsa enim
relatio, quae est distinguens, est distinctum, quia paternitas est Pater. |
C’est pourquoi, tout comme le
blanc en raison de son nom n’est pas un nom de personne, il en est de même du
nom père : mais en tant que le Père et Dieu sont identiques, non pas
certes comme l’accident et le sujet sont identiques, mais par l’absence de
toute différence réelle, ainsi le Père, en tant qu’il est à la fois Père et
Dieu, a raison d’être une personne. Et c’est pourquoi je dis que «persona»
dans les personnes divines signifie la relation à la manière d’une substance.
En effet, la relation elle-même, qui est principe qui distingue, est aussi un
être distinct parce que la paternité est aussi le Père. |
Et quia « persona » significat
quid distinctum existens in natura aliqua, ideo constat quod significat
relationem, inquantum ipsa relatio est ad ipsum relatum, et inquantum ipsum
relatum est subsistens in tali natura. Et ideo patet quod
« persona » significat relationem per modum substantiae, non quae
est essentia, sed quae est suppositum habens essentiam. |
Et parce que «persona»
signifie un être distinct existant dans une certaine nature, c’est pourquoi
il est clair qu’il signifie la relation pour autant que la relation elle-même
se rapporte au relatif lui-même et pour autant que le relatif lui-même est un
être subsistant dans telle nature. Et c’est pourquoi il est évident que
«persona» signifie la relation à la manière d’une substance, non pas celle
qui est l’essence, mais celle qui est le suppôt possédant l’essence. |
. Et ex hoc patet quod omnes opiniones,
secundum aliquid, verum dixerunt. Qui enim dixerunt, quod est aequivocum, et
quandoque significat unum, quandoque aliud, pro tanto verum dixerunt, quod
cum in persona includatur et proprietas et hypostasis et essentia, et haec
non differant realiter in Deo, significat relationem ut hypostasim ;
significat enim essentiam, quae est hypostasis, et significat etiam
proprietatem, quae est ipsum suppositum distinctum ; unde quandoque potest
poni pro uno, quandoque pro alio. |
Et de là on voit que
toutes les opinions ont dit vrai sous un certain rapport. Ceux en effet qui
ont dit que «persona» est un nom équivoque, et qu’il signifie parfois une
chose et parfois une autre, ont d’autant plus dit vrai que puisque dans la
personne sont comprises à la fois la propriété, l’hypostase et l’essence et
que ces notions ne diffèrent pas en réalité en Dieu, ce nom signifie la
relation comme hypostase ; il signifie en effet l’essence, qui est
l’hypostase, et il signifie aussi la propriété qui est le suppôt distinct
lui-même ; c’est pourquoi il peut être posé parfois pour l’un, parfois
pour l’autre. |
Sed hoc accidit
personae ex hoc quod in divinis omnia praedicta unum sunt secundum rem. Similiter qui dixerunt, quod significat
tantum hypostasim, attenderunt modum secundum quem significat nomen, quia
significat per modum subsistens in natura aliqua ; quamvis significet ipsum
distinctum, quod est ipsa relatio distinguens. Similiter qui dixerunt, quod
significat substantiam in recto, attenderunt substantiam quae est hypostasis
distincta proprietate. |
Mais cela peut survenir à ce
terme du fait que dans les personnes divines tout ce qui précède est un en
réalité. De la même manière ceux qui ont dit qu’il signifie seulement
l’hypostase ont considéré le mode suivant lequel le nom signifie, car il
signifie à la manière de ce qui subsiste dans une certaine nature, bien qu’il
signifie l’être distinct lui-même qui est la relation même qui distingue. De
la même manière ceux qui ont dit que ce nom signifie la substance directement
ont considéré la substance qui est l’hypostase distincte par la propriété. |
Qui autem dixerunt e converso, attenderunt
substantiam quae est essentia. Et qui dixerunt, quod significat hypostasim,
et proprietatem ponit circa eam, non acceperunt hypostasim ex parte qua
subsistit naturae divinae, ut significatur hoc nomine « Deus »,
quod indistincte tribus personis convenit ; sed ex parte illa qua hypostasis
est ipsa relatio distinguens hypostasim: quia in Deo idem est distinguens et
distinctum. Et e converso consideraverunt hypostasim vel substantiam, qui
dixerunt, quod proprietas non ponitur circa substantiam ut distinguens ipsam. |
Mais ceux qui ont dit
l’inverse ont considéré la substance qui est l’essence. Et ceux qui ont dit
qu’il signifie l’hypostase et qu’il pose la propriété sur elle, n’ont pas
pris l’hypostase du côté par lequel elle subsiste à la nature divine, comme
elle est signifiée par le nom «Dieu», qui convient indistinctement aux trois
personnes, mais de ce côté par lequel l’hypostase set la relation même qui
distingue l’hypostase : car en Dieu, il y a identité entre ce qui
distingue et ce qui est distingué. Et au contraire, ceux qui ont dit que la
propriété n’est pas posée sur la substance comme ce qui la distingue ont
considéré l’hypostase ou la substance. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Augustinus attendit significationem personae quantum ad modum
significandi, et non quantum ad id quod significatur ; et ideo quamvis
significetur relatio, quia tamen significatur per modum substantiae, ideo
dixit, quod significat substantiam: et quia ulterius substantia in Deo est
idem quod essentia, ideo consequitur ut significet etiam essentiam, secundum
quod Pater est Deus, et etiam ipsa deitas. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Saint-Augustin considère la signification de la personne
quant au mode de signifier et non quant à ce qui est signifié ; et c’est
pourquoi, bien que la relation soit signifiée, cependant parce qu’elle est
signifiée à la manière d’une substance, c’est pourquoi il a dit qu’il
signifie la substance : et parce que par la suite la subsatnce en Dieu
est identique à l’essence, c’est pourquoi il s’ensuit qu’il signifie aussi
l’essence, selon que le Père est Dieu et aussi la divinité elle-même. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum de definitione Boetii. |
2. Et
de là on voit la réponse à la deuxième difficulté sur la definition de Boèce. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 ad 3 Et similiter ad tertium: quia quamvis significet relationem, non tamen
significat per modum relationis ; et ideo non refertur secundum nomen ad
aliud. |
3. Et
il en est de même pour la troisième difficulté: car bien que ce nom signifie
la relation, il ne la signifie cependant pas à la manière d’une relation; et
c’est pourquoi ce nom ne se rapporte pas à un autre selon le nom. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod « quid » quandoque quaerit essentiam, ut cum
quaeritur: quid est homo ? Animal rationale mortale. Quandoque quaerit ipsum
suppositum, ut cum quaeritur, quid natat in mari ? Piscis, respondetur. Et
ita etiam fuit responsum haereticis quaerentibus, quid tres ? Tres personae [
tres om. Ed. de Parme] |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que «quid», c’est-à-dire ¨quoi ?¨, s’enquiert parfois de l’essence,
comme lorsqu’on demande : qu’est-ce que l’homme ?, et qu’on
répond : il est un animal rationnel et mortel. Mais parfois il
s’enquiert du suppôt lui-même, comme lorsqu’on demande : qu’est-ce qui
nage dans la mer ?, on répond : le poisson. Et c’est ainsi qu’on a
aussi répondu aux hérétiques qui demandaient : trois quoi ? Trois
personnes [trois om. Éd. de Parme]. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod cum dicitur persona, quasi per se una, non significatur unitas
essentialis, sed magis unitas personae, quae est ex proprietate ; et ideo
illa ratio non est ad propositum. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que lorsqu’on dit «persona» à la manière de ¨par soi une¨, ce n’est pas
l’unité essentielle qui est signifiée, mais plutôt l’unité de la personne qui
vient de la propriété ; et c’est pourquoi cet argument ne se rapporte
pas au propos. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
3 ad s. c. Et per hoc etiam patet responsio ad ea quae in contrarium objecta
sunt, quae procedunt quantum ad id quod significat hoc nomen
« persona ». Invenimus enim in divinis quatuor modos significandi. Aliquid enim
significat absolutum per modum absoluti, ut Deus ; aliquid relationem
per modum relationis, ut pater ; aliquid, absolutum per modum relationis, ut
potentia generandi ; et aliquid, relatum per modum absoluti, ut
persona ; et hoc accidit inquantum relatio essentialiter est ipsa substantia
divina, et cetera. |
6. Et par là on voit aussi la
réponse à ce qui a été objecté aux difficultés, lesquelles objections
procèdent de ce que ce nom «persona» signifie et non de la manière de
signifier. Nous retrouvons en effet en
Dieu quatre modes de signifier. Le premier en effet signifie
l’absolu par mode d’absolu, comme Dieu. Un autre signifie la relation
par mode de relation, comme père. Un autre encore signifie l’absolu
par mode de relation, comme la puissance d’engendrer. Et enfin le relatif par mode
d’absolu, comme «persona» ; et cela est possible selon que la relation
est essentiellement la substance divine elle-même, etc. |
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Articulus 4 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 tit. Utrum
« persona » praedicetur pluraliter in divinis |
Article 4 – « Personne » est-il prédiqué au pluriel en Dieu ? |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod « persona » non praedicetur
pluraliter. Ut enim ex Littera habetur, esse tres personas, est
esse tria quaedam. Sed non conceditur quod Pater et Filius et Spiritus
sanctus sint tria, sed unum. Ergo videtur quod non possint dici tres
personae. |
Difficultés : 1. Il semble que «persona» ne
s’attribue pas au pluriel. Comme on l’établit en effet dans le Document,
être trois personnes, c’est être trois réalités. Mais on ne concède pas que
le Père, le Fils et l’Esprit-Saint soient trois réalités, mais plutôt une
seule. Il ne semble donc pas qu’on puisse dire d’eux qu’ils sont trois
personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea,
« persona » significat existens substantialiter in natura aliqua.
Sed distinctio proprietatum non diversificat id quod substantialiter est in
natura aliqua. Ergo videtur, cum Pater et Filius et Spiritus sanctus non
distinguantur nisi proprietatibus, quod non possint dici tres personae. |
2. Par ailleurs, «persona»
signifie ce qui existe substantiellement dans une nature. Mais la distinction
des propriétés ne distingue pas ce qui existe substantiellement dans une
nature. Il semble donc, puisque le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ne se
distinguent que par les propriétés, qu’ils ne puissent être appelés trois
personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 3 Item,
proprietates personales non magis substantialiter sunt in Deo quam
proprietates essentiales, ut bonitas, sapientia et hujusmodi. Sed
proprietates essentiales non faciunt personas plures. Ergo nec proprietates
relativae. |
3. En outre, les propriétés
personnelles n’existent pas plus substantiellement en Dieu que les propriétés
essentielles comme la bonté, la sagesse et les propriétés de cette sorte.
Mais les propriétés essentielles ne font pas plusieurs personnes. Donc les
propriétés relatives ne le font pas non plus. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
4 arg. 4 Praeterea, sicut hoc nomen « Deus » significat habens
naturam divinam, sic hoc nomen « persona » significat subsistens in
divina natura. Sed, propter unitatem divinae naturae, non potest dici quod
sint plures dii. Ergo quod nec eadem ratione sint plures personae. |
4. De
plus, tout comme ce nom, «Dieu», signifie ce qui possède la nature divine,
ainsi ce nom, «persona» signifie ce qui subsiste dans la nature divine. Mais
en raison de l’unité de la nature divine, on ne peut dire qu’ils sont
plusieurs dieux. Donc, pour la même raison, on ne peut dire qu’ils sont
plusieurs personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra est
quod in Littera dicitur, et quod communis usus Ecclesiae
habet. |
Cependant : 1. Ce qui est dit dans
le Document et qui fait partie de l’usage commun de l’Église
est contraire aux conclusions qui précèdent. |
Praeterea, hoc videtur per
Richardum, IV De Trinitate, cap.XIX, col. 912, qui dicit:
« Timentes ubi non est timor, recte timerent personas secundum
substantiam dici, si persona tantum esse substantiale significaret, nec
aliquid consignificaret ; ratione cujus dicit, quod multiplicantur
personae. |
2. Par ailleurs, c’est là ce
qui apparaît au moyen des paroles de Richard de Saint-Victor [IV De
la Trinité, ch. XIX, col. 912] :« Si ¨persona¨ signifiait
seulement l’existence substantielle et ne consignifiait rien d’autre, ceux
qui craignent là où il n’y a pas lieu de craindre craindraient avec raison
que les personnes divines soient appelées personnes selon la substance» ;
en raison de quoi il dit qu’il y a une multiplicité de personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut dictum est, « persona » dicit aliquid
distinctum subsistens in natura intellectuali. Unde ubicumque ponuntur aliqui
distincti habentes naturam intellectualem, ponuntur plures personae. Nec interest ad
pluralitatem personarum, utrum habeant eamdem naturam, nec ne. Divisio enim
naturae in pluribus personis in hominibus accidit, tum ex imperfectione
naturae humanae quae non est suum esse, sed accipit ipsum in supposito suo ;
unde in diversis suppositis est secundum diversum esse: tum etiam ex modo
distinctionis, quia personae humanae distinguuntur per materiam, quae est
pars essentiae. Unde oportet personam distinctam unam essentiam non habere:
quorum neutrum est in divinis personis: unde tres personae sunt subsistentes
in una natura. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons dit, que «persona» dit un être
distinct qui existe dans une nature intellectuelle. C’est pourquoi, partout
où on pose plusieurs êtres distincts possédant une nature intellectuelle, on
pose plusieurs personnes. Et il ne change rien à la pluralité des personnes
qu’elles possèdent ou non la même nature. En effet, la division de la nature
en plusieurs personnes se produit chez les hommes tant à cause de
l’imperfection de la nature humaine qui n’est pas sa propre existence mais la
reçoit dans son suppôt, d’où cette nature se retrouve dans différents suppôts
selon une existence différente, qu’à cause aussi du mode de distinction, car
les personnes humaines se distinguent par la matière qui est une partie de
l’essence. C’est pourquoi il faut qu’une personne distincte ne possède pas la
même essence: mais aucune de ces limites ne se retrouve dans les personnes
divines et c’est pourquoi il y a trois personnes qui subsistent dans une
seule et même nature. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus, accipit largo modo tria pro
tres: sicut etiam Hilarius, lib. De Synod., § 29, col. 503,
dicens, quod « per substantiam sunt tria, per consonantiam unum »,
accipiens substantiam pro hypostasi. Vel dicendum, quod non sunt tria simpliciter, sed tria
quaedam, scilicet tria supposita. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Saint-Augustin prend au sens large trois réalités
pour trois : tout comme Saint-Hilaire [Du Synode, & 29, col.
503] qui dit que «par la substance ils sont trois, par la ressemblance ou la
nature ils sont un», prenant substance pour hypostase. Ou bien il faut dire
qu’ils ne sont pas trois absolument, mais trois sous un certain rapport, à
savoir à titre de suppôts. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in creaturis diversitas proprietatum non facit plures
personas, quia proprietas non est persona subsistens ; sed in divinis
proprietates sunt ipsae personae subsistentes: quia et paternitas est ipse
Pater ; et esse Patrem et esse Deum, non est aliud et aliud esse:
non enim est aliud esse Patris, quod non sit esse Filii ; et ideo ad numerum
proprietatum personalium sequitur numerus personarum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les créatures la diversité des propriétés n’entraîne pas une
pluralité de personnes, parce que la propriété n’est pas une personne
subsistante ; mais en Dieu les propriétés sont les personnes
subsistantes elles-mêmes, parce que d’une part la paternité est le Père
lui-même et que d’autre part l’existence du Père n’est pas autre que
l’existence de Dieu : l’existence du Père en effet n’est pas autre à ce
point qu’elle ne soit pas l’existence du Fils ; et c’est pourquoi le
nombre des personnes découle du nombre des propriétés personnelles. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a.
4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprietates essentiales etiam sunt
subsistentes, sed tamen, una non habet rationem quod distinguatur ab alia
secundum rem, sed solum secundum rationem ; sed proprietates relativae habent
hoc ex virtute oppositionis. Unde
sicut Pater est quid subsistens, ita et bonus ; sed Pater et Filius est alius
et alius subsistens ; sed bonus et sapiens est unum et idem subsistens. Unde
de singulis personis omnia ista dicuntur ; et ideo proprietates essentiales
non faciunt numerum personarum ; quia numerus sequitur distinctionem. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les propriétés essentielles aussi sont subsistantes, mais l’une
cependant n’a pas raison d’être distinguée de l’autre réellement mais
seulement selon la raison ; mais les propriétés relatives ont raison
d’être distinguées entre elles réellement en vertu de l’opposition. C’est
pourquoi le bien, tout comme le Père est de l’être subsistant ; mais le
Père, en tant qu’être subsistant, est autre que le Fils alors que le bien et
la sagesse sont un seul et même être subsistant en réalité. Et c’est pourquoi
tous ces propriétés essentiels s’attribuent à chacune des personnes, d’où il
s’ensuit que les propriétés essentielles ne sont pas la cause du nombre des
personnes, car le nombre découle de la distinction. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nomina substantiva non recipiunt pluralitatem nisi ex
multiplicatione formae a qua imponuntur: et quia deitas a qua imponitur hoc
nomen Deus, non multiplicatur ; ideo nec ipsum nomen, quod a tali forma
imponitur: sed nomen personae imponitur a forma personalitatis, quae dicit
rationem subsistendi naturae tali ; et ideo ubi sunt plures subsistentes,
sunt plures personalitates et plures personae. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que les noms substantifs ne reçoivent la pluralité que de la
multiplicité des formes à partir desquelles ils sont imposés : et parce
que la divinité à partir de laquelle le nom «Dieu» est imposé ne se multiplie
pas, c’est pourquoi le nom lui-même qui est imposé à partir de cette forme ne
se multiplie pas non plus. Mais le nom de personne est imposé à partir de la
forme de la personnalité qui renvoie à la notion de ce qui subsiste dans
telle nature ; et c’est pourquoi, là où il y a plusieurs êtres
subsistants, il y a plusieurs personnalités et plusieurs personnes. |
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Distinctio 24 |
Distinction 24 – [L’unité en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’unité en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo: primo de nominibus significantibus unitatem
et pluralitatem in divinis ; secundo de nominibus significantibus ea quae
sunt pluralitati annexa. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum unitas sit in divinis, ut Deus vere
unus dici possit ; 2 utrum sit ibi aliquis numerus ; 3 si utrumque est ibi, utrum nomina
significantia unitatem et pluralitatem praedicent aliquid positive in Deo,
vel tantum removendo, ut in Littera dicitur ; 4 si ponunt aliquid aliquo modo, quid
significent, utrum essentiam vel notionem. |
On s’enquiert ici sur deux
points : Premièrement sur les noms qui
signifient l’unité et la pluralité en Dieu ; Deuxièmement sur les noms qui
signifient ce qui s’ajoute à la pluralité. Au sujet du premier point, on
se pose quatre questions : 1. Est-ce que l’unité est en
Dieu de manière à ce qu’on puisse dire de Dieu qu’il est véritablement
un ? 2. Est-ce que le nombre est
présent en Dieu ? 3. S’il y a là nombre et
unité, est-ce que les noms signifiant l’unité et la pluralité attribuent
positivement quelque chose à Dieu ou seulement par la négation ainsi qu’on le
dit dans le Document ? 4. Et s’ils posent quelque
chose en Dieu d’une certaine manière, que signifient-ils, l’essence ou la notion ? |
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Articulus 1 [1798] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit dici unus |
Article 1 – Peut-on dire que Dieu est un ? |
[1799] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit dici unus. Principium enim determinatum alicujus generis non invenitur nisi in habentibus naturam illius generis, sicut anima non invenitur nisi in rebus viventibus. Sed unitas est in genere quantitatis sicut principium, sicut et punctus. Ergo cum quantitas non sit in Deo, videtur quod nec unitas. |
Difficultés : 1. Il semble qu’on ne puisse
dire de Dieu qu’il est un. Le principe déterminé d’un genre en effet ne se
retrouve que dans ceux qui possèdent la nature de ce genre, tout comme l’âme
ne se retrouve que chez les êtres vivants. Mais l’unité est dans le genre de
la quantité en tant que principe, tout comme le point. C’est pourquoi,
puisque la quantité n’est pas en Dieu, il semble que l’unité n’y soit pas non
plus. |
[1800] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Boetium, in Arith., cap. VII, col. 1085, unitas est potentia omnis numerus, unde omnes passiones numerorum inveniuntur virtute [unitae Ed de Parme) in unitate. Sed in Deo non est aliqua potentia ad multitudinem numeri. Ergo videtur quod non sit ibi unitas. |
2. Par ailleurs, selon Boèce
[L’Arithmétique, ch. VII, col. 1085], l’unité est en puissance
tout nombre, et c’est pourquoi toutes les propriététs des nombres se
retrouvent en puissance [de l’unité Éd. de Parme] dans l’unité.
Mais en Dieu il n’y a aucune puissance à la multiplicité du nombre. Il semble
donc qu’il n’y ait pas là unité. |
[1801] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil potest dici unum nisi quod est in se terminatum et distinctum ab aliis ; unde unitas consequitur actum formae terminantis. Sed Deus non potest dici in se terminatus ; nihil enim est terminatum, nisi cujus essentiam termini circumplectuntur ; quod Deo non competit. Ergo videtur quod non possit dici unus. |
3. En outre, rien ne peut
être appelé un si ce n’est ce qui est limité en soi et distinct des
autres ; c’est pourquoi l’unité découle de l’acte d’une forme limitée.
Mais Dieu ne peut être dit limité en soi ; rien en effet n’est limité,
si ce n’est ce dont des termes entourent l’essence, ce qui est incompatible
avec Dieu. Il semble donc qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est un. |
[1802] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod est unum, est connumerabile alteri. Sed Deus non est connumerabilis alicui creaturae ; tum quia creatura et Deus in nullo conveniunt, quia hoc esset prius utroque ; nec inveniuntur aliqua connumerari, nisi quae in aliquo conveniunt ; sicut dicimus duos homines vel duos equos ; tum quia quod alteri connumeratur, est pars pluralitatis resultantis et exceditur ab ea ; quod Deo non competit. Ergo Deus non potest dici unus. |
4. De plus, tout ce qui est
un peut être compté avec un autre. Mais Dieu ne peut être compté avec aucune
autre créature, tant parce Dieu et la créature ne se ramènent à rien de commun
car cela serait antérieur aux deux et qu’on ne retrouve aucun être qui puisse
être compté avec d’autres êtres sauf ceux qui ont quelque chose en commun,
tout comme nous disons deux hommes ou deux chevaux, que parce que ce qui est
compté parmi d’autres est une partie de la multiplicité résultante et est
dépassé par elle, ce qui est incompatible avec Dieu. On ne peut donc dire de
Dieu qu’il est un. |
[1803] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur Deuter. 6, 4: Audi Israel: Dominus Deus tuus, Deus unus est. |
Cependant : 1. Ce que nous dit l’Écriture
[Deutéronome, 6, 4] : «Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est
le seul Dieu.», est tout à fait contraire à ce qui précède. |
[1804] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, in X Métaphys., text. 7, illud quo mensurantur omnia quae sunt alicujus generis, est unum illius generis. Sed Deus est primum quo mensurantur omnes substantiae, ut dicit Commentator. Ergo videtur quod sit unum in genere substantiae. |
2. En outre, d’après le
Philosophe [X Métaphysique, texte 7] ce par quoi sont mesurées
toutes les choses qui appartiennent à un même genre est ce qui est un dans ce
genre. Mais Dieu est le principe premier par lequel toutes les substances
sont mesurées, comme le dit le Commentateur. Il semble donc que Dieu soit un
dans le genre de la substance. |
[1805] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus summe et verissime unus est. Secundum enim quod aliquid se habet ad indivisionem, ita se habet ad unitatem ; quia, secundum philosophum,V Metaphys., text. 8, 9, 10, 11, 12 ens dicitur unum in eo quod non dividitur. Et ideo illa quae sunt indivisa per se, verius sunt unum quam illa quae sunt indivisa per accidens, sicut albus et Socrates quae sunt unum per accidens ; et inter illa quae sunt unum per se, verius sunt unum quae sunt indivisa simpliciter quam quae sunt indivisa respectu alicujus vel generis vel specie [speciei Éd. de Parme] vel proportionis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que Dieu est suprêmement un et c’est Lui qui l’est le plus véritablement. En
effet, un être se rapporte à l’unité dans la mesure où il est indivisible car
d’après le Philosophe [Métaphysique, texte 8, 9, 10, 11, 12], on dit
de l’être qu’il est un en ceci qu’il n’est pas divisé. Et c’est pourquoi les
réalités qui sont indivisées par elles-mêmes sont plus véritablement unes que
celles qui sont indivisées par accident comme c’est le cas pour le blanc et
Socrate qui sont un par accident ; et parmi les êtres qui sont un par
eux-mêmes, sont plus véritablement un ceux qui sont indivisés absolument que
ceux qui sont indivisés par rapport soit au genre, soit par l’espèce [de
l’espèce Éd. de Parme] ou sous un autre rapport. |
Unde etiam non dicuntur simpliciter unum, sed unum vel in genere vel in specie vel in proportione ; et quod est simpliciter indivisum, dicitur simpliciter unum, quod est unum numero. Sed in istis etiam invenitur aliquis gradus. Aliquid enim est quod quamvis sit indivisum in actu, est tamen divisibile potentia, vel divisione quantitatis, vel divisione essentiali, vel secundum utrumque. Divisione quantitatis, sicut quod est unum continuitate ; divisione essentiali, sicut in compositis ex forma et materia, vel ex esse et quod est ; divisione secundum utrumque, sicut in naturalibus corporibus. |
De là encore on ne dit pas de
ces réalités qu’elles sont une absolument, mais qu’elles sont une soit dans
le genre, soit dans l’espèce, soit dans un autre rapport ; mais ce qui
est indivisé absolument, on dit de lui qu’il est un absolument, c’est-à-dire
un par le nombre. Mais dans ces cas-là aussi on retrouve des degrés. Il y a
des réalités en efet qui, bien qu’elles soient indivisées en acte, sont
cependant divisibles en puissance, soit par une division de la quantité, soit
par une division essentielle, soit selon les deux rapports. Parmi les
réalités qui sont divisibles en puissance par une division de la quantité, il
y a celles qui le sont comme ce qui est un par la continuité ; parmi
celles qui le sont par une division essentielle, il y a les composés de
matière et de forme et les composés d’existence et
d’essence ; parmi ceux qui sont divisibles par une division selon les
deux rapports, il y a les corps naturels. |
Et quod aliqua horum non dividantur in actu, est ex aliquo in eis praeter naturam compositionis vel divisionis, sicut patet in corpore caeli et hujusmodi ; quae quamvis non sint divisibilia actu, sunt tamen divisibilia intellectu. Aliquid vero est quod est indivisibile actu et potentia ; et hoc multiplex est. Quoddam enim habet in sui ratione aliquid praeter rationem indivisibilitatis, ut punctum, quod praeter indivisionem importat situm: aliquid vero est quod nihil aliud importat, sed est ipsa sua indivisibilitas, ut unitas quae est principium numeri ; et tamen inhaeret alicui quod non est ipsamet unitas, scilicet subjecto suo. Unde patet quod illud in quo nulla est compositio partium, nulla dimensionis continuitas, nulla accidentium varietas, nulli inhaerens, summe et vere unum est, ut concludit Boetius de unitate et uno., col. 1075). |
Et que certains d’entre eux
ne soient pas divisés en acte, cela leur vient de ce qu’il y a en eux quelque
chose qui est en dehors de la nature de la composition ou de la division,
comme on le voit pour le corps céleste et les autres réalités de cette sorte,
lesquels, bien qu’ils ne soient pas divisibles en acte, sont cependant
divisibles par l’intelligence. Mais il y a ce qui est
indivisible en acte et en puissance et cela s’observe de plusieurs manières.
Il y a en effet ce qui a quelque chose dans sa définition qui est en dehors
de la notion d’indivisibilité, comme le point qui implique la position en
dehors de la notion d’indivisibilité, et il y a en outre ce qui n’implique
rien d’autre, qui est sa propre indivisibilité, comme l’unité qui est le
principe du nombre, mais qui est cependant rattaché à quelque chose qui n’est
pas l’unité elle-même, à savoir à son sujet. D’où il est clair que ce en quoi
il n’y a aucune composition de parties, aucune continuité de dimensions,
aucun changement d’accidents, aucun rattachement à un sujet, cela est
suprêmement est véritablement un comme le conclut Boèce [De l’Unité et de
l’Un, col. 1075]. |
Et inde est quod sua unitas est principium omnis unitatis et mensura omnis rei. Quia illud quod est maximum, est principium in quolibet genere, sicut maxime calidum omnis calidi, ut dicitur II Metaphysic., text. 4. et illud quod est simplicissimum, est mensura in quolibet genere, ut 10 Metaphysic., text. 3 dicitur. |
Et il suit de là que l’unité
de cet être est le principe de toute unité et la mesure de toute chose. Car
dans tout genre, ce qu’il y a de meilleur est aussi ce qui est principe,
comme ce qui est le plus chaud est le principe de tout ce qui est chaud comme
le dit le Philosophe [11 Métaphysique, texte 4], tout comme dans
tout genre ce qui est le plus simple est la mesure de tout le reste [X Métaphysique,
texte 3]. |
[1806] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unum dupliciter dicitur. Est enim unum quod convertitur cum ente, et est unum quod est principium numeri. Loquendo de uno quod convertitur cum ente, non est determinatum ad genus quantitatis, immo invenitur in omnibus entibus: et ideo sicut Deus est ens non aliquo esse quod non sit ipse, ita etiam est unus non aliqua unitate quae non sit ipse, sed per essentiam suam ; et [ideo add. Ed. de parme) maxime unum est. Loquendo autem de uno quod est principium numeri, non potest transumi in divinam praedicationem quantum ad genus suum quod est quantitas, sed quantum ad differentiam suam quae ad perfectionem pertinet, sicut indivisibilitas et prima ratio mensurandi vel aliquid hujusmodi. |
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[1807] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Avicennam, III Metaph., cap ; 5, unitas et numerus quae considerat arithmeticus non sunt illa unitas et multitudo quae inveniuntur in omnibus entibus ; sed solum secundum quod inveniuntur in rebus materialibus, secundum quod pluralitas causatur ex divisione continui ; ex hoc enim possunt inveniri omnes illae passiones in numeris quas arithmetici demonstrant, sicut multiplicatio et aggregatio, et hujusmodi, quae fundantur supra divisionem infinitam continui. Unde est infinitas in numero, secundum philosophum, III Physic., text. 55, et ideo etiam talis unitas est potentia omnis numerus. Nihilominus tamen intelligendum est quod in Deo est omnis numerus secundum potentiam, non quidem passivam, sed activam, secundum quod ipse, velut omnium causa, praeaccepit in se omnium numerum, secundum Dionysium, VI De divin. Nomin., col 819 : prout omnia in ipso dicuntur esse sicut in principio efficiente et exemplari. Sed sic non procedit objectio. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que d’après Avicenne [111 Métaphysique, ch. 5], l’unité et
le nombre que considère l’arithméticien ne sont pas cette unité et cette
multiplicité qui se retrouvent dans tous les êtres, mais seulement celle
qu’on retrouve dans les choses matérielles, selon que la pluralité est causée
par la division du continu ; c’est à partir de là en
effet qu’on peut retrouver toutes ces propriétés que les
mathématiciens démontrent dans les nombres, comme la multiplication,
l’addition et les autres propriétés de cette sorte qui se fondent sur la
division infinie du continu. C’est de là que vient l’infinité dans le nombre
d’après le Philosophe [111 Physique, texte 55], et c’est pourquoi encore une
telle unité est tout nombre en puissance. Néanmoins cependant il faut
comprendre que tout nombre est en Dieu selon la puissance, non pas certes
selon une puissance passive, mais plutôt selon une puissance active selon que
lui-même, comme cause de tous les êtres, contient à l’avance en lui le nombre
de toutes les choses d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col.
819] : c’est-à-dire dans la mesure où on dit que toutes les choses
existent en Lui comme dans leur principe efficient et exemplaire. Mais ce
n’est pas en ce sens que procède cette difficulté. |
[1808] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus est aliquid determinatum in se, alias non possent de ipso negari conditiones aliorum entium. Nec dicitur determinatum ens quia aliquo termino finitus sit, sed quia per excellentiam sui esse, quod est simplicissimum, additionem non recipiens, ab omnibus aliis distinguitur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que Dieu est quelque chose de déterminé en lui-même, autrement les
conditions des autres êtres ne pourraient être niées de Lui. Mais on ne dit
pas qu’il est un être déterminé parce qu’il est délimité par des termes mais
parce que, ne recevant aucune addition en raison de l’excellence de son
existence qui est la plus simple, Il se distingue de tous les autres êtres. |
[1809] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Deus et creatura non conveniant in aliquo uno secundum aliquem modum convenientiae, tamen est considerare communitatem analogiae inter Deum et creaturam, secundum quod creaturae imitantur ipsum prout possunt. Unde aliquo modo potest connumerari aliis rebus, ut dicatur, quod Deus et Angelus sunt duae res, non tamen simpliciter et proprie, sicut creaturae ad invicem connumerantur, quae univoce in aliquo uno conveniunt. Et ex hoc non sequitur quod Deus sit pars alicujus, vel quod Deus et Angelus sint aliquid majus quam Deus ; sed quod sint plures res. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que Dieu et la créature ne se rencontrent en quelque chose de
commun d’après aucun mode de ressemblance, il faut cependant considérer qu’il
y a entre eux du commun par analogie selon que les créatures cherchent à
imiter Dieu dans la mesure où elles le peuvent. C’est pourquoi en un certain
sens Dieu peut être compté avec les autres choses de manière à dire que Dieu
et l’Ange sont deux réalités ; non pas cependant absolument
et à proprement parler, comme on compte les créatures entre elles, lesquelles
se rencontrent en quelque chose de commun de façon univoque. Et à partir de
là il ne s’ensuit pas que Dieu fasse partie de quelque chose, ou que Dieu et
l’Ange soient quelque chose de plus grand que Dieu, mais seulement qu’ils
soient plusieurs réalités distinctes. |
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[1810] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sit aliquis numerus |
Article 2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ? |
[1811] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit aliquis numerus. Sicut enim dicit Boetius, lib. I de Trinit., cap.II, col. 250) hoc vere unum est, in quo est nullus numerus: et loquitur de Deo qui summe unum est. Ergo videtur quod non sit in eo aliquis numerus. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas de nombre en Dieu. En effet, comme le dit Boèce [1 De la Trinité,
ch. 11, col. 250] est véritablement un ce en quoi il n’y a nul nombre :
et il parle là de Dieu qui est suprêmement un. Il semble donc qu’il n’y ait
aucun nombre en Dieu. |
[1812] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Isidorum, numerus dicitur quasi unius meros, scilicet divisio. Sed in Deo non est divisio. Ergo nec numerus. |
2. Par ailleurs, d’après
Isidore, nombre signifie comme le partage de l’un, c’est-à-dire la division.
Mais en Dieu il n’y a pas de division. Il n’y a donc pas non plus de nombre. |
[1813] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ubi invenitur numerus, et passiones numeri. Sed aggregatio et multitudo et hujusmodi, quae sunt passiones numeri, non inveniuntur in Deo. Ergo nec numerus. |
3. En outre, là où on
retrouve le nombre, on retrouve aussi les propriétés du nombre. Mais
l’addition et la multiplication, qui sont des propriétés du nombre, ne se
retrouvent pas en Dieu. On n’y retrouve donc pas le nombre. |
[1814] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, numerus est multitudo mensurata per unum, ut dicitur X Metaphys., text. 20 et 25. Sed Deus est mensura non mensurata, sed omnia mensurans. Ergo videtur quod numerus in divinis non competat. |
4. De plus, le nombre est une
pluralité mesurée par l’un comme le dit le Philosophe [X Métaphysique,
texte 20 et 25]. Mais Dieu est une mesure qui n’est pas mesurée mais qui
mesure tous les êtres. Il semble donc que le nombre ne convienne pas à Dieu. |
[1815] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod habetur 1 Joan. 5, 7: Tres sunt qui testimonium dant in caelo: Pater, Verbum et Spiritus sanctus, et hi tres unum sunt. Sed tres dicit aliquem numerum. Ergo videtur quod ibi sit numerus. |
Cependant : 1. L’Écriture [1 Jean,
5, 7] nous parle en sens contraire : Il y en a trois à rendre
témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint, et ces
trois ne sont qu’un seul. Mais qui dit trois dit un nombre. Il semble
donc qu’il y ait nombre en Dieu. |
[1816] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est distinctio vel discretio, ibi est aliquis numerus. Sed dicimus divinas personas esse discretas vel distinctas. Ergo in divinis personis est numerus. |
2. En outre, partout où il y
a distinction ou différence, il y a là un nombre. Mais nous disons que les
personnes divines sont distinctes ou différentes. Il y a donc nombre dans les
personnes divines. |
[1817] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut ratio unitatis consistit in indivisione, ita et ratio numeri vel multitudinis consistit in divisione vel distinctione aliqua. Unde ea quae invenimus divisa simpliciter, dicimus esse multa simpliciter ; et quae invenimus divisa secundum quid, dicimus esse multa secundum quid. Divisio autem simpliciter attenditur vel secundum essentiam, sive formam ; vel secundum quantitatem, seu materiam ; unde ea quae differunt secundum essentiam, dicimus esse multa, ut hominem et lapidem ; et similiter duas partes lineae jam divisae dicimus duas lineas. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut
dire que tout comme la définition de l’unité consiste dans
l’indivision, de même la définition du nombre ou de la pluralité consiste
dans une certaine division ou dans une certaine distinction. C’est pourquoi,
les choses que nous retrouvons divisées absolument, nous disons qu’elles sont
multiples absolument ; et celles que nous retrouvons divisées sous un
rapport, nous disons qu’elles sont multiples sous un rapport. Mais la
division absolue ou totale se vérifie soit selon l’essence, ou selon la
forme ; soit selon la quantité, ou selon la matière ; c’est
pourquoi, quant aux choses qui diffèrent selon l’essence, nous disons
qu’elles sont multiples, comme l’homme et la pierre ; et de même nous
disons de deux parties d’une ligne déjà divisée qu’elles sont deux lignes. |
Divisio autem secundum quid est quae attenditur secundum proprietates rei ; sicut dicimus hominem album esse alium et distinctum a se nigro, et adhuc magis secundum quid in illis in quibus attenditur diversitas relationum secundum rationem tantum ; sicut punctus si diceretur multiplex, secundum quod est principium plurium linearum. |
Mais la division sous un
rapport est celle qui se vérifie d’après les propriétés de la chose, tout
comme nous disons que l’homme blanc est autre et distincts de celui qui est
séparé de lui par le noir, et il y a encore davantage division sous un
rapport dans ces choses dans lesquelles se vérifie la diversité des relations
selon la raison seulement, comme on dirait du point qu’il est multiple selon
qu’il est le principe de plusieurs lignes. |
Sciendum est igitur quod in divinis non est numerus simplex, qui est per divisionem essentiae vel quantitatis ; sed est numerus quidam, scilicet numerus relationum, non tamen relationum existentium in Deo secundum rationem tantum, sed realiter in ipso subsistentium. Unde numerus divinarum personarum est medius inter numerum qui est numerus simpliciter, et numerum qui est in ratione tantum, sicut punctus dicitur multiplex secundum rationem tantum. Est enim minus de ratione numeri in numero personarum quam in numero simpliciter, et plus quam in numero qui est secundum rationem tantum. |
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Si autem comparemus numerum personarum ad numerum proprietatum absolutarum qui est in creaturis, habebunt se sicut excedentia et excessa. Si enim attendatur ratio distinctionis, invenitur major distinctio in proprietatibus absolutis creaturarum quam in divinis personis ; quia color et sapor distinguuntur secundum aliud et aliud esse accidentale, sed in divinis personis est unum et idem esse trium personarum. |
Mais si on compare le nombre
des personnes au nombre des propriétés absolues qu’on retrouve dans les
créatures, ils se présenteront comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé. Si
en effet on considère la notion de distinction, on retrouve une plus grande
distinction dans les propriétés absolues des créatures que dans les personnes
divines : car la couleur et la saveur se distinguent d’après des
existences accidentelles différentes alors que dans les personnes divines il
n’y a qu’une seule et même existence pour les trois personnes. |
Si autem consideretur perfectio distinctorum, sic numerus personarum excedit, quia relationes in divinis sunt subsistentes personae. Unde ad numerum relationum sequitur numerus personarum, non autem ad numerum proprietatum in creaturis, quia proprietates in creaturis non sunt subsistentes, sed tantum inhaerentes. |
Mais
si on considère la perfection de ce qui est distingué, alors le nombre des
personnes dépasse parce que les relations elles-mêmes dans les personnes
divines sont des personnes subsistantes. C’est pourquoi dans ce cas le nombre
des personnes découle du nombre des relations alors que dans les creatures le
nombre des personnes ne découle pas du nombre des propriétés parce que dans
les creatures les propriétés ne sont pas subsistantes, mais seulement
inhérentes. |
[1818] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Boetius loquitur de unitate essentiali ; et in essentia nullus numerus cadit, sed tantum in personis, qui etiam non est numerus absolute sed numerus quidam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Boèce parle ici de l’unité essentielle ; et dans
l’essence on ne rencontre aucun nombre, mais seulement dans les personnes et
encore on n’y retrouve pas le nombre pris absolument, mais seulement le
nombre pris en un certain sens. |
[1819] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis divisio non sit proprie in Deo, tamen ibi est personarum distinctio, quae sufficit ad rationem talis numeri qualis in Deo ponitur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que bien qu’il n’y ait pas à proprement parler de division en Dieu, il y
a cependant là une distinction des personnes qui suffit à la notion de ce
nombre qu’on pose en Dieu. |
[1820] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aggregatio et hujusmodi sunt passiones numeri qui consequitur divisionem continui, ut Avicenna dicit, tract. III Metaph. cap. V ; et hunc numerum constat in Deo non esse. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’addition et d’autres caractères de cette sorte sont des propriétés
du nombre qui découlent de la division du continu, ainsi que le dit Avicenne
[111 Métaphysique, ch. V] ; et il est clair que cette sorte
de nombre n’est pas présente en Dieu. |
[1821] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in numero absoluto pluralitas habet quamdam compositionem et aggregationem, quae est minus certa quam unum, quod est principium ipsius ; et ideo non solum quantum ad intellectum, sed etiam quantum ad rem est mensurabilitas multitudinis talis per unitatem. Sed in numero relationum vel personarum non est aliquis ordo certitudinis vel compositionis in re ; et ideo numerus in Deo non est multitudo mensurata, nisi forte secundum acceptionem intellectus tantum, qui componit etiam quae composita non sunt secundum quod diversa ex eis intelligit, secundum quod etiam propositiones affirmativas in divinis format. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la pluralité dans le nombre pris absolument comporte une certaine
composition et une addition qui est moins certaine que l’un qui est son
principe ; et c’est pourquoi la mesurabilité d’une telle multiplicité se
fait au moyen de l’unité non seulement quant à l’intelligence mais aussi
réellement. Mais dans le nombre des relations ou des personnes il n’y a pas
un ordre de certitude ou de composition dans la chose ; et c’est
pourquoi le nombre en Dieu n’est pas une multiplicité mesurée, si ce n’est
peut-être selon l’acception de l’intelligence seulement qui compose même ce
qui n’est pas composé, selon qu’elle tire de ces réalités différentes aspects
et selon qu’elle forme aussi au sujet de Dieu des propositions affirmatives. |
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[1822] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 tit. Utrum unitas et numerus ponant aliquid in divinis vel removeant |
Article 3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque chose en Dieu ou l’excluent-ils ? |
[1823] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod unitas et numerus aliquid ponant in divinis, et non dicantur secundum remotionem tantum. Si enim per unum removetur aliquid, non removetur nisi pluralitas ; et similiter si per pluralitatem removetur aliquid, non removetur nisi unitas. Si ergo utrumque dicatur per remotionem, tunc utrumque non erit nisi remotio remotionis. Sed privatio privationis nihil est nisi secundum intellectum, qui potest sic multiplicari in infinitum, sicut dicit Avicenna III Tract. Metaph., cap. VI. Ergo secundum hoc numerus et unitas non essent realiter in Deo, sed in ratione intelligentis tantum, et sic non possent dici plures personae nisi plures notione [sed plures rationes Ed. de Parme], quod videtur haereticum. |
Difficultés : 1. Il semble que l’unité et
le nombre posent quelque chose en Dieu et ne se disent pas seulement selon la
négation. Si en effet quelque chose est nié par l’un, ce ne peut être que la
multiplicité ; et semblablement si quelque chose est nié par la
multiplicité, ce ne peut être que l’unité. Si donc les deux se disent par la
négation, alors chacun des deux ne sera que la négation d’une négation. Mais
la privation d’une privation n’est rien si ce n’est selon l’intelligence, qui
peut alors être multipliée à l’infini comme le dit Avicenne [111 Métaphysique,
ch. VI]. Donc, d’après cela, l’unité et le nombre n’existeraient
pas réellement en Dieu mais seulement dans la raison de celui qui pose l’acte
de l’intelligence et par conséquent on ne pourrait parler de plusieurs
personnes que par la notion [mais de plusieurs notions Éd. de Parme],
ce qui apparaît comme étant hérétique. |
[1824] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis privatio vel negatio definitur per positionem. Si igitur unitas privat multitudinem vel numerum, in definitione unitatis cadit numerus vel multitudo. |
2. Par ailleurs, toute
privation ou toute négation se définit par l’affirmation. Si donc l’unité nie
la multiplicité ou le nombre, le nombre ou la multiplicité tombe dans la
définition de l’unité. |
[1825] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, cum multitudo dicatur per remotionem unitatis, oportet quod in definitione ejus ponatur unitas, et ita erit circulus in definitione ; quod non potest esse ; quia sic idem erit prius et posterius, notius et minus notum. |
3. En outre, puisque la
multiplicité se dit par la négation de l’unité, il faut que l’unité soit
posée dans sa définition et ainsi il y aura définition circulaire, ce qui est
absurde car alors il y aura identité entre ce qui est antérieur et ce
qui est postérieur, entre ce qui est plus connu et ce qui est moins connu. |
[1826] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si unum dicatur secundum negationem, dicetur per negationem divisionis, ut dicit philosophus, V Metaph.,text. 17, quod unum est quod non dividitur. Sed divisio videtur in intellectu suo habere multitudinem, quia omne divisum est multiplicatum. Ergo in definitione unitatis cadit multitudo, nec unquam potest definiri multitudo, nisi accipiatur in definitione ejus unitas. Ergo videtur quod erit circulus, ut prius. |
4. De plus, si l’un se dit
selon la négation, il se dira par la négation de la division comme le dit le
Philosophe [V Métaphysique, texte 17] en affirmant que l’un est ce qui n’est
pas divisé. Mais la division semble impliquer une multiplicité dans sa notion
car tout ce qui est divisé se trouve à être multiplié. Donc, la multiplicité
tombe dans la définition de l’unité et jamais la multiplicité ne peut être
définie à moins que l’unité ne soit reçue dans sa définition. Il semble donc
qu’on tourne à nouveau en rond. |
[1827] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, privatio nunquam constituit habitum, nec e converso et similiter nec affirmatio negationem, nec unum contrariorum alterum. Sed multitudo constituitur ex unitatibus. Ergo videtur quod unitas non privet multitudinem, nec e converso. |
5. Par ailleurs, la privation
ne constitue jamais un habitus et inversement l’habitus ne constitue jamais
une privation et il en est de même pour l’affirmation à l’égard de la
négation et pour l’un des contraires par rapport à l’autre. Mais la
multiplicité est constituée d’unités. Il semble donc que l’unité ne nie pas
la multiplicité ni inversement. |
[1828] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, quidquid dicitur de Deo et creatura, nobiliori modo est in Deo quam sit in creatura. Sed numerus et unitas in creaturis non sunt per modum remotionis tantum, sed per modum positionis ; cum numerus sit quaedam species quantitatis, et unitas principium illius, et iterum cum se habeant sicut mensura et mensuratum. Ergo cum nobilius sit esse quam non esse, videtur etiam quod in Deo positive aliquid praedicent. |
6. De plus, tout ce qui se
dit à la fois de Dieu et des créatures existe en Dieu d’une manière plus
excellente que dans les créatures. Mais le nombre et l’unité ne sont pas dans
les créatures par mode de négation seulement, mais par mode
d’affirmation ; puisque le nombre est une espèce de la quantité et que
l’unité en est le principe et qu’en plus l’une se rapporte à l’autre comme la
mesure à ce qui est mesuré, alors, comme l’être est plus glorieux que le
non-être, il semble encore que ces termes attribuent positivement quelque
chose à Dieu. |
[1829] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum philosophum,X Metaph.,text. 8, unum opponitur multitudini, sicut privatio habitui. Sed privatio non praedicat aliquid positive. Ergo nec unum. Sed ex unitatibus constituitur numerus. Ergo nec numerus aliquid positive praedicat. |
Cependant : 1. Au contraire, d’après le
Philosophe [X Métaphysique, texte 8], l’un s’oppose au multiple comme la
privation s’oppose à l’habitus. Mais la privation n’attribue pas positivement
quelque chose. Il en est donc de même nour l’un. Mais le nombre est constitué
d’unités. Donc le nombre n’attribue pas non plus quelque chose d’une manière
affirmative. |
[1830] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus V Metaph., text. 8, dicit, quod unum dicitur ex eo quod non dividitur. Sed hoc est negatio tantum. Ergo videtur quod unum nihil positive praedicet, et eadem ratione nec numerus ex unitatibus constitutus. |
2. Par ailleurs, le
Philosophe [V Métaphysique, texte 8] dit que l’un se dit de ce qui n’est pas
divisé. Mais cela est une négation seulement. Il semble donc que l’un
n’attribue rien positivement et qu’il en est de même pour la même raison au
sujet du nombre qui est constitué d’unités. |
[1831] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod de quidditate unitatis invenitur diversitas et inter philosophos et inter magistros. Avicenna enim III tract. Metaph., cap VI, dicit, quod unum quod convertitur cum ente, est idem quod unum quod est principium numeri ; et multitudo quae est numerus, est idem quod multitudo quae dividit ens ; et sic vult quod utrumque aliquid positive addat supra ea quibus adjungitur, eo quod in uno intelligitur esse non solum sicut in subjecto, sed sicut illud quod clauditur in intellectu suo. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’au sujet de la quiddité de l’unité, on retrouve une diversité de positions
à la fois parmi les philosophes et parmi les maîtres. Avicenne [111 Métaphysique,
ch. VI] en effet dit que l’un qui se convertit avec l’être est
identique à l’un qui est principe du nombre et que la multiplicité qui
est le nombre est identique à la multiplicité qui divise l’être ; et il
veut ainsi que chacun des deux ajoute quelque chose positivement à ce à quoi
il se joint du fait qu’il est entendu comme existant dans l’un non seulement
comme dans un sujet, mais aussi comme ce qui est renfermé dans sa définition. |
Unde unum est quoddam esse quod non dividitur. Et istud esse non dicit quod sit esse substantiae: quia sic non inveniretur in accidentibus unitas et numerus. Nec etiam est esse commune ad substantiam et ad accidens, quia sic inveniretur aliquis numerus qui non esset accidens. Sed dicit, quod est esse accidentis, et per illud esse adveniens post esse completum substantiae dicitur substantia una ; sicut per esse albedinis dicitur esse substantia alba ; et inde probat quod numerus est accidens tantum. |
C’est pourquoi l’un est un
certain être qui n’est pas divisé. Et cet être ne dit pas qu’il soit l’être
de la substance car de cette manière on ne retrouverait pas l’un et le
nombre dans les accidents. Et aussi il n’est pas l’être qui est commun à la
substance et à l’accident car ainsi il se trouverait un nombre qui ne serait
pas un accident. Mais il dit qu’il est l’être de l’accident et que c’est au
moyen de cet être qui survient suite à l’existence complète de la substance
qu’on dit de la substance qu’elle est une, tout comme c’est au moyen de
l’existence de la blancheur qu’on dit de la substance qu’elle est blanche ;
et c’est de là qu’il prouve que le nombre est seulement un accident. |
Et secundum hoc unitas dicit intentionem accidentalem, et ex aggregatione talium intentionum efficitur numerus, qui est species quantitatis. Et hanc positionem sequentes quidam theologi, dicunt, quod unitas et numerus transferuntur in divinam praedicationem, non quantum ad esse accidentis vel quantitatis, sed quantum ad rationem propriam unitatis vel numeri: et ita positive aliquid in Deo praedicant, sicut scientia et bonitas, et alia quae sic de Deo dicuntur. |
Et d’après cette position
l’unité dit une intention accidentelle, et c’est à partir de l’addition de
telles intentions qu’est obtenu le nombre qui est une espèce de quantité. Et
certains théologiens, suivant cette position, disent que l’unité et le nombre
sont appliqués à l’attribution divine non pas quant à l’être de l’accident ou
de la quantité, mais quant à la notion propre de l’unité ou du nombre :
et ainsi ils attribuent positivement quelque chose à Dieu, comme le font la science
et la bonté et les autres attributs qui se disent ainsi de Dieu. |
Alii philosophi, scilicet Aristoteles, II Métaph., text. 7 et 8, et Averroes, dicunt, quod unum et multa quae dividunt ens, non sunt idem cum uno quod est species quantitatis. Et hoc rationabile est. Non enim convenit aliquid contentum sub inferiori esse differentiam superioris, sicut rationale non est differentia substantiae. Unde nec multitudo quae est sub quantitate, potest esse differentia entis simpliciter. Dicunt ergo, quod unum quod convertitur cum ente, nihil positive addit ad id cui adjungitur, eo quod res non dicitur esse una per aliquam dispositionem additam: quia sic esset abire in infinitum, si ista etiam dispositio, cum sit una, per aliquam aliam unitatem una esset. |
D’autres philosophes, comme
Aristote [11 Métaphysique, texte 7 et 8], et Averroès, disent que
l’un et le multiple qui divisent l’être ne sont pas identiques à l’un qui est
une espèce de la quantité. Et cela est raisonnable. En effet, il ne convient
pas à ce qui est posé sous un inférieur d’être la différence d’un supérieur,
comme il ne convient pas par exemple à «rationnel» d’être la différence de la
substance. Par conséquent il ne convient pas non plus au multiple qui est
contenu dans la quantité de pouvoir être la différence de l’être pris
absolument. Ils disent donc que l’un qui se convertit avec l’être n’ajoute
rien positivement à ce à quoi il se joint, du fait que ce n’est pas en raison
d’une disposition qui lui est ajoutée qu’on dit de la chose qu’elle est une :
car ce serait ainsi aller à l’infini si cette disposition aussi, puisqu’elle
serait une, serait une elle aussi au moyen d’une autre unité. |
Unde dicunt, quod unum claudit in intellectu suo ens commune, et addit rationem privationis vel negationis cujusdam super ens, idest indivisionis. Unde ens et unum convertuntur, sicut quae sunt idem re, et differunt per rationem tantum, secundum quod unum addit negationem super ens. Unde si consideretur ratio unius quantum ad id quod addit supra ens, non dicit nisi negationem tantum: et eadem ratione multitudo non addit supra res multas nisi rationem quamdam, scilicet divisionis. |
De là ils disent que l’un
renferme dans sa définition l’être commun et ajoute à l’être la notion de
privation ou d’une certaine négation, c’est-à-dire la notion d’indivision. Et
c’est de là que l’être et l’un se convertissent comme ce qui est identique en
réalité et ne diffère que par la raison en tant que l’un ajoute à l’être la
négation. C’est pourquoi, si on considère la notion de l’un quant à ce qu’il
ajoute à l’être, il ne dit que la négation : et pour la même raison le
multiple n’ajoute aux choses multiples qu’une seule notion, à savoir la
division. |
Sicut enim unum dicitur ex eo quod non dividitur, ita multa dicuntur ex eo quod dividuntur ; prima autem ratio divisionis, secundum quam aliquid ab aliquo distinguitur, est in affirmatione et negatione ; et ideo multitudo dicit in ratione sua negationem, secundum scilicet quod multa sunt quorum unum non est alterum: et hujusmodi divisionis hoc modo acceptae in ratione multitudinis, negatio importatur in ratione unius. |
En effet, tout comme
l’un se dit de ce qui n’est pas divisé, de même le multiple se dit de ce qui
est divisé ; mais la première définition de la division, selon laquelle
une chose se distingue d’une autre, se retrouve dans l’affirmation et la
négation ; et c’est pourquoi le multiple dit la négation dans sa
définition, c’est-à-dire selon que sont multiples ceux dont l’un n’est pas
l’autre : et c’est la négation d’une telle division, prise en ce sens
dans la définition du multiple, qui est impliquée dans la définition de l’un. |
Et sic accepta, unum, et multa sunt de primis differentiis entis, secundum quod ens dividitur in unum et multa et in actum et in potentiam. Unde sic accepta non determinantur ad aliquod genus ; et sic haec multitudo sic accepta non est numerus qui est species quantitatis: nec hoc unum sic acceptum, est unum quod est principium numeri. Sed secundum praedictos philosophos, Aristotelem, V Metaphys., text. 12, Averroem et Avicennam, tract. III Métaph., cap. V, unum, secundum quod est principium numeri, ponit aliquid additum ad esse, scilicet esse mensurae, cujus ratio primo invenitur in unitate, et deinde consequenter in aliis numeris et deinceps in quantitatibus continuis ; et deinde translatum est hoc nomen ad alia omnia genera, ut dicit philosophus. |
Et pris en ce sens, l’un et
le multiple font partie des premières différences de l’être, selon que l’un
et le multiple sont les divisions de l’être à la fois en acte et en puissance.
Et c’est pourquoi, pris en ce sens, l’un et le multiple ne sont pas limités à
un genre déterminé et ainsi ce multiple pris en ce sens n’est pas le nombre
qui est une espèce de la quantité et cet un pris en ce sens n’est
pas l’un qui est principe du nombre. Mais selon les philosophes dont on vient
de parler, Aristote [V Métaphysique, texte 12], Averroès et
Avicenne [111 Métaphysique, ch. V], l’un en tant que principe du
nombre pose quelque chose qui est ajouté à l’être, à savoir l’être d’une mesure
dont la définition se retrouve en priorité dans l’unité et ensuite par
conséquent dans les autres nombres et par après dans les quantités
continues ; et par la suite ce nom fut appliqué à tous les autres
genres, comme le dit le Philosophe. |
Quidam vero medium inter utrumque tenent, consentientes Aristoteli in hoc quod unum quod convertitur cum ente, non addit aliquid positive supra id cui adjungitur ; Avicennae vero in hoc quod dicit, unum, secundum quod est principium numeri, et secundum quod convertitur cum ente, esse idem, et non differre nisi ratione ; et sic, secundum eos, addit aliquid positive supra id cui adjungitur. |
Mais certains soutiennent une
thèse qui est intermédiaire entre les deux, s’accordant avec Aristote en ceci
que l’un qui se convertit avec l’être n’ajoute rien positivement à ce à quoi
il se joint, mais aussi avec Avicenne en cela qu’il dit que l’un, en tant que
principe du nombre et l’un, en tant qu’il se convertit avec l’être, sont
identiques en réalité et ne diffèrent que par la raison ; et ainsi,
d’après eux, l’un ajoute quelque chose positivement à ce à quoi il se joint. |
Ratio autem eorum quod unum utroque modo differat tantum ratione, est. Cum enim unum sequatur actum formae distinguentis, ex hoc quod forma dat esse, habet unum quod convertitur cum ente ; sed ex secundo actu formae, qui est distinguere ab aliis, habet quod sit principium numeri, et quod computetur in genere accidentis: quia ista distinctio secundum rationem sequitur esse completum. |
Mais voici le raisonnement de
ceux qui posent que l’un, pris dans un sens, ne diffère de l’autre
que par la raison. En effet, puisque l’un découle de l’acte d’une forme qui
distingue, du fait que la forme donne l’existence, l’un tient sa conversion
avec l’être ; mais c’est du deuxième acte de la forme, qui est de
distinguer des autres, que l’un tient d’être le principe du nombre et d’être
compté dans le genre de l’accident : car cette distinction selon la
raison découle de l’être complet. |
Sed hoc non potest stare: quia si unitas quae est principium numeri, dicatur secundum rationem privationis, tunc non erit aliquid nisi in anima ; ita etiam nec numerus cujus est principium, unde non posset esse species in aliquo genere. Est ergo differentia inter duas opiniones primas, quia prima non distinguit inter unum et multa, prout sunt in genere quantitatis, et prout sunt primae differentiae entis ; secunda autem opinio distinguit, ut dictum est, paulo sup., et hanc credo esse veriorem. |
Mais cette position ne se
tient pas : car si l’unité qui est le principe du nombre se dit selon la
notion de privation, alors il ne sera quelque chose que dans l’âme et il en
sera encore de même pour le nombre dont elle est le principe, d’où elle ne
pourrait être une espèce dans un genre. Il y a donc une différence entre les
deux premières opinions car la première ne distingue pas entre l’un et le
multiple selon qu’ils sont dans le genre de la quantité et selon qu’ils sont
les premières différences de l’être. Mais la deuxième opinion fait cette
différence, ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut, et c’est cette
dernière que je crois être vraie. |
Dico ergo secundum hanc, quod numerus et unitas, secundum quod sunt in genere quantitatis, non inveniuntur nisi in quibus invenitur commensuratio quantitatis: unde inveniuntur tantum in rebus habentibus quantitatem continuam ; unde philosophus dicit, quod numerum cognoscimus divisione continui: et hic tantum numerus est subjectum arithmetici, ut etiam Avicenna, tract. III, Metaphys., cap. V, dicit. |
Je dis donc, conformément à
cette position, que le nombre et l’unité, en tant qu’ils sont dans le genre
de la quantité, ne se retrouvent que dans les choses dans lesquelles se
rencontre une mesure de la quantité : c’est pourquoi ils ne se
retrouvent que dans les choses qui possèdent une quantité continue ;
c’est pourquoi le Philosophe dit que nous connaissons le nombre par la
division du continu : et c’est ce seul nombre qui est le sujet de
l’arithmétique comme le dit aussi Avicenne [111 Métaphysique, ch.
V]. |
Unde iste numerus et unitas non venit in divinam praedicationem ; sed tantum unum et multitudo secundum quod sunt de aliis quae consequuntur universaliter ens: et ita hujusmodi termini nihil addunt in divinis secundum rationem supra id de quo dicuntur, nisi rationem negationis tantum, secundum quod Magister dicit in Littera. |
Et c’est pourquoi ce nombre
et cette unité ne conviennent pas à l’attribution divine, mais seulement l’un
et le multiple qui s’attribuent aux autres choses qui découlent
universellement de l’être : et ainsi, ces termes, attribués à Dieu,
n’ajoutent rien selon la raison à ce à quoi ils s’attribuent, si ce n’est la
notion de négation seulement, conformément à ce que dit le Maître dans
le Document. |
[1832] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in multitudine negatio est, secundum quod una res distinguitur ab alia per negationem ; unde in multitudine est negatio vel privatio realis, secundum quod una res non dicitur esse alia: et hujusmodi distinctionem per negationem negat negatio importata in ratione unitatis. Unde dico, quod negatio ista in qua perficitur ratio unitatis, non est nisi negatio rationis tantum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il y a une négation dans le multiple, selon qu’une chose se
distingue d’une autre par la négation ; c’est pourquoi dans le multiple
il y a une négation ou une privation réelle selon qu’on dit d’une chose
qu’elle n’est pas une autre : et la négation impliquée dans la notion
d’unité nie une telle distinction faite par la négation. D’où je dis que
cette négation dans laquelle la notion d’unité trouve son achèvement n’est
qu’une négation de raison seulement. |
Omnis enim respectus qui est entis ad negationem vel ad non ens, non est nisi rationis. Unde relatio qua refertur ens ad non ens, non est nisi tantum in ratione: et similiter privatio, qua de ente negatur non ens, est in ratione tantum, ut privatio privationis, vel negatio negationis. Et sic patet quod non ponimus distinctionem in divinis personis secundum rationem tantum, quia dicimus quod una persona realiter non est alia. |
En effet, tout rapport qui
est celui de l’être à la négation ou au non-être n’est qu’un rapport de
raison. D’où la relation, par laquelle l’être est mis en rapport avec le
non-être, n’existe que dans la raison : et de la même manière la
privation par laquelle le non-être est nié de l’être existe dans la raison
seulement comme privation de privation ou comme négation de négation. Et
ainsi il est clair que nous ne posons pas dans les personnes divines une distinction
qui ne serait que selon la raison, car nous disons qu’une personne diffère
réellement d’une autre. |
[1833] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut ex praedictis, in corp. art., patet, unum non importat negationem nisi in ratione. Unde secundum rem magis se habet ad positionem quam multitudo, in qua importatur realis negatio, secundum quam res a re distinguitur. Et ideo unum in intellectu est prius quam multitudo, quamvis secundum sensum vel imaginationem sit e converso, ut dicit philosophus, X Metaph., text. 9 ; quia sic composita priora sunt simplicibus et divisa indivisis: et ideo in definitione unius non cadit multitudo, sed illud quod est prius secundum intellectum unitate. Primum enim quod cadit in apprehensione intellectus, est ens et non ens: et ista sufficiunt ad definitionem unius, secundum quod intelligimus unum esse ens, in quo non est distinctio per ens et non ens: et haec, scilicet distincta per ens et non ens, non habent rationem multitudinis, nisi postquam intellectus utrique attribuit intentionem unitatis ; et tunc definit multitudinem id quod est ex unis, quorum unum non est alterum ; et sic in definitione multitudinis cadit unitas, [licet éd. de Parme] non e converso |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, comme on le voit à partir de ce qui précède dans le corps de
l’article, l’un n’implique une négation que dans la raison. C’est pourquoi il
se présente davantage comme une affirmation que le multiple, dans lequel est
impliquée une négation réelle selon laquelle une chose se distingue d’une
autre. Et c’est pourquoi l’un est antérieur au multiple dans l’intelligence,
bien que selon le sens ou l’imagination ce soit l’inverse comme le dit le
Philosophe [X Métaphysique, texte 9], car alors ce qui est
composé est antérieur à ce qui est simple et ce qui est divisé est antérieur
à e qui est indivisé : et c’est pourquoi le multiple ne tombe pas dans
la définition de l’un, mais plutôt ce qui est antérieur à l’unité selon
l’intelligence. En effet, ce qui tombe en premier dans l’appréhension de
l’intelligence, c’est l’être et le non-être : et ces notions suffisent à
la définition de l’un, selon que nous comprenons que l’un est de l’être dans
lequel il n’y a pas de distinction par l’être et le non-être : et
celles-là, c’est-à-dire les choses qui sont distinctes par l’être et le
non-être, n’ont raison de multiplicité qu’après que l’intelligence attribue à
l’une et à l’autre l’intention de l’unité ; et alors elle définit la
multiplicité comme étant ce qui vient des unités dont l’une n’est pas
l’autre ; et c’est ainsi que l’unité tombe dans la définition de la
multiplicité et [bien que Éd. deParme] non inversement. |
[1834] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est vera definitio unius: unum est ens quod non dividitur ; quamvis Avicenna, tract. II, tract. III, Metaphys., c. VI, nitatur eam improbare ratione inducta. Est enim duplex divisio: scilicet divisio secundum quantitatem ; et talis divisio consequitur rationem multitudinis, eo quod rationem multitudinis communiter acceptae sequitur ratio numeri, prout est species quantitatis, secundum quod addit rationem mensurae: unde dicit philosophus, X Metaphys., texte 21,quod numerus est multitudo mensurata per unum ; et rationem numeri sequitur intellectus divisionis continui: ratio enim divisionis et quantitatis et mensurae, secundum Commentatorem, Metaphys., text. 1, prius invenitur in quantitate discreta quam in quantitate continua: et talis divisio non ponitur in definitione unius quod convertitur cum ente. Est etiam quaedam divisio secundum formam vel essentiam, secundum quod una res per formam suam dividitur ab alia: et ista divisio primo invenitur in affirmatione et negatione, quae secundum intellectum praecedit rationem unius, ut dictum est in respons. ad primum. Et sic patet quod non erit circulus in definitione. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette définition de l’un est vraie, à savoir que l’un est l’être qui
n’est pas divisé, bien qu’Avicenne [11 et 111 Métaphysique,
ch. VI] se soit efforcé de la réfuter par le raisonnement
introduit plus haut. Il y a en effet deux sortes de divisions, à savoir la
division selon la quantité et une telle division découle de la notion de
multiplicité du fait que la notion du nombre, en tant qu’il est une espèce de
la quantité selon qu’il ajoute la notion de mesure, découle de la notion de
multiplicité communément admise : c’est pourquoi le Philosophe [X Métaphysique,
texte 21] dit que la multiplicité est mesurée par l’un ; et la
définition de la division du continu découle de la notion de nombre : en
effet, la notion de division, de quantité et de mesure , d’après le
Commentateur [Métaphysique, texte 1] se retrouve en priorité dans la
quantité discrète plutôt que dans la quantité continue : et une telle
division n’est pas placée dans la définition de l’un qui se convertit avec
l’être. Il y a aussi une certaine division selon la forme ou l’essence, selon
qu’une chose se distingue d’une autre par sa forme : et cette division
se retrouve d’abord dans l’affirmation et la négation, qui selon
l’intelligence précède la notion de l’un, comme nous l’avons dit dans la
réponse à la première difficulté. Et ainsi il est clair qu’il n’y aura pas
définition circulaire. |
[1835] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unum dupliciter dicitur, scilicet quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente. Loquendo de uno quod est principium numeri, ut dictum est, in corp. art., ponit aliquid additum supra ens quod dicitur unum, scilicet rationem mensurae: unde hoc unum potest dupliciter considerari: aut secundum id quod est ; aut secundum id quod consequitur ad intellectum ejus, scilicet relationem quamdam. Si secundo modo, sic opponitur multitudini numerali relative, ut [sicut éd. de Parme] principium ad principiatum, sicut punctus ad lineam, et sicut pars ad totum et magis proprie sicut mensura ad mensuratum. Si primo modo, tunc dupliciter: quia vel considerabitur ipsum unum cum praecisione, scilicet quod est tantum unitas ; et sic habebit disparatam oppositionem mensurae ad alios numeros (quilibet enim numerus, secundum quidditatem suae speciei, habet specialem rationem mensurae, sicut species oppositae sunt disparatae) et talis oppositio reducitur ad contrarietatem, sicut principium: quia species disparatae distinguuntur differentiis contrariis, quibus primo dividitur genus, ut probatur X Metaphys., text. 24. Vel sine praecisione, et sic unitas nullam oppositionem habet ad numerum, sed est constituens ipsum. Si autem loquimur de uno quod convertitur cum ente, sic unum habet rationem privationis, ut dictum est, in corp. art., respectu divisionis quae salvatur in multitudine ; et ita opponitur multitudini, sicut privatio habitui, ut dicit philosophus, X Metaphys., text. 9. Unde etiam aequale opponitur magno et parvo, sicut privatio. Nec unum est privatio illius multitudinis quam constituit ; sed multitudinis quae negatur esse in ipso quod dicitur unum. Non enim de ratione sua unum privat omnem divisionem ; sed sufficit ad rationem ejus, quaecumque divisio removeatur. Et inde potest esse quod unum est pars multitudinis, et quod ipsa multitudo dicitur quodammodo unum, prout scilicet aliquid non dividitur, ad minus secundum intellectum aggregantem ; sicut etiam ipsum malum non est omnino expers boni, quia non privatur quodlibet bonum per malum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’un se dit de deux manières, à savoir celui qui est le principe du
nombre, et celui qui se convertit avec l’être. Si on parle de l’un qui est le
principe du nombre, commme nous l’avons dit dans le corps de l’article, il
pose quelque chose qui s’ajoute à l’être qu’on appelle l’un, à savoir la
notion de mesure : d’où cet un peut être considéré de deux
manières : soit selon ce qu’il est, soit selon ce qui découle de sa signification,
à savoir une certaine relation. Si on le considère de la deuxième manière, il
s’oppose alors relativement à la multiplicité numérique, comme [tout
comme Éd. de Parme] le principe s’oppose à ce qui en découle,
comme la partie au tout et plus proprement comme la mesure au mesuré. Si on le considère de la
première manière, alors il y a deux possibilités : car ou bien l’un
lui-même sera considéré comme séparément, c’est-à-dire en tant qu’unité
seulement et ainsi il possédera une opposition séparée de mesure par rapport
aux autres nombres (en effet, n’importe quel nombre, d’après la quiddité de
son espèce, a raison de mesure spécifique, tout comme les espèces opposées
sont séparées) et une telle opposition se ramène à la contrariété comme
principe : car les espèces séparées se distinguent par des différences
contraires par lesquelles le genre est divisé en premier lieu, ainsi que le
Philosophe le prouve [X Métaphysique, texte 24]. Ou bien il sera considéré
sans coupure et ainsi l’unité ne comporte aucune opposition par rapport au
nombre mais bien plutôt il le constitue. Mais si on parle de l’un qui
se convertit avec l’être, alors l’un a raison de privation, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, par rapport à la division qui est
conservée dans la multiplicité ; et en ce sens l’un s’oppose à la
multiplicité comme la privation s’oppose à la possession, ainsi que le dit le
Philosophe [X Métaphysique, texte 9]. C’est pourquoi l’égal
s’oppose aussi au grand et au petit à la manière d’une privation. Et l’un
n’est pas la privation de cette multiplicité qu’il constitue, mais de cette
multiplicité dont on nie qu’elle existe dans cela même qu’on appelle l’un. Il n’entre pas en effet dans
la définition de l’un d’être exempt de toute division ; mais il suffit à
sa définition qu’une divison quelconque soit niée. Et de là il est possible
que l’un soit une partie d’une multiplicité et que la multiplicité elle-même
soit appelée une en un sens, c’est-à-dire dans la mesure où quelque chose
n’est pas divisé, au moins selon l’intelligence qui rassemble la
multiplicité ; il en est de même aussi pour le mal lui-même qui n’est
pas une privation totale du bien car ce n’est pas n’importe quel bien qui est
détruit par le mal. |
[1836] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod multitudo numeralis, quae est species quantitatis, ponit aliquid in creaturis. Haec autem non transfertur in divina, nisi forte secundum rationem distinctionis quam habet ex ratione multitudinis simpliciter. Multitudo vero quae dividit ens, non addit accidens positive supra ens, sed rationem distinctionis tantum, secundum quod una non est altera ; et sic est etiam in divinis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la multiplicité numérique, qui est une espèce de la quantité, pose
quelque chose dans les créatures. Cette multiplicité ne s’applique cependant
pas à Dieu, si ce n’est peut-être d’après la notion de distinction qu’elle
tient de la notion de multiplicité prise absolument. En effet, cette
multiplicité qui divise l’être n’ajoute pas positivement un accident à
l’être, mais seulement la notion de distinction selon laquelle une chose au
sein de cette multiplicité n’est pas une autre, et prise en ce sens la
multiplicité se retrouve même en Dieu. |
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[1837] Articulus 4 : Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 tit. Utrum unum et numerus significent essentiam |
Article 4 – L’un et le nombre signifient-ils l’essence ? |
[1838] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod hujusmodi dictiones significent divinam essentiam. Quidquid enim ad se dicitur in divinis, substantialiter dicitur, et essentiam significat ; sed hujusmodi dictiones secundum suum nomen non referuntur ad aliud, sed ad se dicuntur. Ergo sunt essentialia. |
Difficultés : 1. Il semble que ces termes
signifient l’essence divine. En effet, tout ce qui s’attribue à soi en Dieu
se dit substantiellement et signifie l’essence ; mais ces termes, pris
en eux-mêmes, ne se rapportent pas à quelque chose d’autre mais s’attribuent
à soi. Ils sont donc essentiels. |
[1839] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, secundum Boetium, I de Trinitate,cap. IV, col. 1252, omnia praedicamenta mutantur in substantiam, cum in divinam praedicationem venerint, praeter ad aliquid. Sed numerus et unitas videntur ad quantitatem pertinere. Ergo sunt essentialia. |
2. Par ailleurs, selon Boèce
[1 De la Trinité, ch. IV, col. 1252], tous les prédicaments,
exceptée la relation, se changent en la substance lorsqu’ils viennent à être
attribués à Dieu. Mais le nombre et l’unité semblent appartenir au
prédicament de la quantité. Ils sont donc essentiels. |
[1840] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod significant essentiam quando adjunguntur termino essentiali, ut cum dicitur unus Deus ; et notionem, quando adjunguntur personali, ut cum dicitur unus Pater. Contra. Quaecumque dicuntur non secundum unam rationem, aequivoce dicuntur. Sed non est eadem ratio unitatis personalis et essentialis ; sicut nec est eadem ratio distinctionis essentialis et personalis. Ergo videtur quod aequivoce de eis dicantur. |
3. Si tu dis que ces termes
signifient l’essence quand ils se joignent à un terme essentiel, comme
lorsqu’on dit «un seul Dieu», et qu’ils signifient la notion quand ils se
joignent à un terme personnel, comme lorsqu’on dit «un seul Père», voici ce
que j’objecte. Tout ce qui ne s’attribue pas selon une même définition
s’attribue par homonymie ou de manière équivoque. Mais la définition de
l’unité personnelle n’est pas identique à celle de l’unité essentielle et la
définition de la distinction essentielle n’est pas identique à celle de la
distinction personnelle. Il semble donc que ces termes s’attribuent à Dieu de
manière équivoque. |
[1841] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, unum pertinet ad essentiam ; unde dicimus, quod Pater et Filius sunt unum propter essentiae unitatem. Sed cum multitudo constituatur ex uno, ad quodcumque genus pertinet significatio unius, et significatio multitudinis. Ergo videtur quod etiam omnia nomina significantia distinctionem vel pluralitatem, significent essentiam. |
4. En outre, l’un appartient
à l’essence ; c’est pourquoi nous disons que le Père et le Fils sont un
à cause de l’unité de l’essence. Mais puisque la multiplicité est constituée
de l’un, quelque soit le genre auquel appartient la signification de l’un, la
signification de la multiplicité lui appartient aussi. Il semble donc que ce
soient aussi tous les noms qui signifient la distinction ou la pluralité qui
signifient l’essence. |
[1842] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quidquid essentialiter dicitur, de singulis personis praedicatur. Sed termini numerales non praedicantur de Patre: non enim potest dici, quod Pater sit duo vel tres. Ergo videtur quod non significent essentiam, et ita nec unum, quod est pluralitatis principium. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce qui
s’attribue essentiellement s’attribue à chacune des personnes. Mais les
termes numériques ne s’attribuent pas au Père : on ne peut dire en effet
que le Père est deux ou trois. Il semble donc que ces termes ne signifient
pas l’essence et qu’il en soit de même aussi pour l’un qui est le principe de
la multiplicité. |
[1843] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, ut patet ex dictis, art. antec., in divinis non est aliqua unitas et multitudo, nisi secundum quod unum et multa dividunt ens commune. Et hoc modo, ut dictum est, non addunt aliquid supra ens, de quo dicitur unitas vel multitudo, nisi secundum rationem. Unde sicut ens communiter se habet ad absoluta et relativa, et similiter distinctio et indistinctio, quae secundum rationem adduntur, ita et unum et multa [quae dividunt ens commune add. Ed. de Parme]. Et ideo secundum quod diversis adjunguntur significant essentiam vel notionem. Unitas enim essentialis est ipsa essentia divina secundum quod est indivisa, et unitas personalis Patris est unitas proprietatis secundum quod non est divisa: et similiter multitudo vel pluralitas personarum sunt ipsae personae secundum quod sunt distinctae: et quia non est ibi aliqua distinctio essentiarum, ideo nec aliqua pluralitas essentialis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire,
comme on peut le voir à partir de ce qui a été dit dans l’article précédent,
qu’il n’y a pas en Dieu unité et multiplicité, si ce n’est dans le sens où
l’un et le multiple divisent l’être commun. Et pris en ce sens, ces termes
n’ajoutent rien à l’être auquel s’attribue l’unité ou la multiplicité, si ce
n’est selon la raison. De là, ce que l’être commun est à l’absolu et au
relatif, semblablement la distinction et l’indistinction, qui s’ajoutent
selon la raison, le sont ainsi que l’un et le multiple [qui divisent l’être
commun add. Éd. de Parme]. Et c’est pourquoi, selon qu’ils se
joignent à des termes différents ils signifient l’essence ou la notion. En
effet, l’unité essentielle est l’essence divine elle-même selon qu’elle est
indivisée, et l’unité personnelle du Père est l’unité de la propriété selon
qu’elle n’est pas divisée : et de la même manière la multiplicité ou la
pluralité des personnes sont les personnes elles-mêmes selon qu’elles sont
distinctes : et parce qu’il n’y a là aucune distinction des essences,
c’est pourquoi il n’y a pas pluralité essentielle. |
[1844] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hujusmodi dictiones, secundum rationem quam addunt eis de quibus dicuntur, non ponunt relationem, nec aliquid ; et ideo secundum nomina quae imponuntur ab hujusmodi rationibus, non referuntur ad aliud ; sed quantum ad illud circa quod ponitur ista ratio, possunt importare et absolutum et relatum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que de tels termes, d’après la notion qu’ils ajoutent aux êtres
auxquels ils s’attribuent, ne posent pas une relation ni rien
positivement ; et c’est pourquoi d’après les noms qui sont imposés à
partir de telles notions, ils ne se rapportent pas à quelque chose
d’autre ; mais quant à ce sur quoi se pose cette notion, ils peuvent
impliquer l’absolu et le relatif. |
[1845] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut dictum est, art. 2 hujus quaest., pluralitas non venit in divinam praedicationem ex multitudine quae est species quantitatis ; et ideo ratio non procedit. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu, comme nous l’avons dit dans l’article 2 de cette question, que la
pluralité ne vient pas à être attribuée à Dieu à partir de la multiplicité
qui est une espèce de la quantité ; et c’est pourquoi l’argument n’est
pas pertinent. |
[1846] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio unitatis ponit ens indivisum simpliciter: unde abstrahit a quolibet modo distinctionis: unde secundum unam rationem communem dicitur persona una et essentia una, quamvis sit non una ratio distinctionis in speciali. Unde ex hoc non habetur quod aequivoce praedicetur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la définition de l’unité affirme l’être comme étant indivisé
absolument : de là elle fait abstraction de tout mode de
distinction : de là, c’est d’après une seule et même définition commune
que la personne est dite une et que l’essence est dite une, bien qu’il n’y
ait pas une seule et même définition de la distinction en particulier. C’est
pourquoi à partir de là on n’établit pas qu’il y ait attribution équivoque. |
[1847] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ens absolute dictum intelligitur de substantia, ita unum absolute dictum, prout significatur in neutro genere, quod substantivatur, importat unitatem absolute et significat unitatem substantiae. Sed talis unitas non constituit numerum personarum, sed constitueret numerum essentiarum, si essent ibi. Sed in masculino genere non significat unitatem absolute, sed ponit unitatem circa terminum cui adjungitur, quia adjectivum est ; unde importat unitatem convenientem illi termino. Et ideo cum dicitur unus Deus, importat unitatem essentialem: et cum dicitur unus Pater, importat unitatem personalem: et haec unitas constituit numerum personarum, qui ad relationem pertinet. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tout comme l’être dit absolument s’entend de la substance, de même
l’un dit absolument, selon qu’il est signifié dans le genre neutre, élevé au
rang de substance, implique une unité absolue et signifie l’unité de la
substance. Mais une telle unité ne constitue pas le nombre des personnes,
mais elle constituerait le nombre des essences s’il y en avait là. Mais dans
le genre masculin l’un ne signifie pas l’unité absolue, mais il pose l’unité
sur le terme auquel il s’ajoute parce qu’il est un adjectif ; de là il
implique une unité qui convient à ce terme. Et c’est pourquoi, lorsqu’on dit
«un Dieu» ¨un¨ implique l’unité essentielle ; et lorsqu’on dit «un
Père», ¨un¨ implique l’unité personnelle : et c’est cette unité qui
constitue le nombre des personnes, lequel appartient à la relation. |
[1848] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad s. c. 1 Et per hoc patet responsio ad illud quod in contrarium objiciebatur. |
5. Et
par là la réponse à ce qu’on objectait en sens contraire est évidente. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – La diversité en Dieu |
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Prooemium |
Prologue |
[1849] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 pr. Deinde quaeritur de nominibus quae sunt pluralitati adnexa ; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de his quae se habent ad pluralitatem sicut principium ; 2 de nomine Trinitatis, quod consequitur pluralitatem, quasi collectivum. |
On s’interroge ensuite sur
les noms qui sont annexés à la multiplicité ; et à ce sujet on fait
porter la recherche sur deux points : 1. Sur ceux qui se rapportent
à la pluralité comme principe ; 2. Sur le nom de Trinité, qui
découle de la pluralité comme un collectif. |
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[1850] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 tit. Utrum in Deo sit diversitas |
Article 1 – Y a-t-il de la diversité en Dieu ? |
[1851] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo sit diversitas. Sicut enim unum in substantia facit idem, ita multitudo in substantia facit diversitatem. Sed dicit Hilarius, De Synodis, § 29, quod Pater et Filius et Spiritus sanctus « sunt quidem per substantiam tria, per consonantiam vero unum ». Ergo est ibi diversitas. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait
diversité en Dieu. En effet, tout comme l’un dans la substance fait le même,
de même la multiplicité dans la substance fait la diversité. Mais
Saint-Hilaire [Les Synodes, & 29] dit que le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint «sont certes trois par la substance, mais un par la
concordance». Il y a donc là diversité. |
[1852] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut unum dicitur ex eo quod non dividitur, ita multa vel plura dicuntur ex eo quod dividuntur. Sed Pater et Filius sunt plures. Ergo videtur quod ibi sit divisio. |
2. Par ailleurs, tout comme
l’un se dit de ce qui n’est pas divisé, de même la multiplicité ou la
pluralité se disent de ce qui est divisé ou distingué. Mais le Père et le
Fils sont plusieurs. Il semble donc qu’il y ait là division. |
[1853] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, alienum denominatur ab alio. Sed Filius est alius a Patre. Ergo potest etiam dici alienus. |
3. En outre, ¸«¸alienum»,
c’est-à-dire ¨étranger¨ vient de «alius», c’est-à-dire ¨autre¨. Mais le Fils
est autre que le Père. On peut dont aussi dire de lui qu’il est étranger au
Père. |
[1854] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod possit dici singularis: quia singulare significat aliquid demonstratum, subsistens in natura communi. Sed hoc modo est Pater. Unde supra, dist. 19, dixit Damascenus, de fid.orthod. III, 6, quod se habet sicut individuum. Ergo videtur quod possit dici singularis. |
4. De plus, il semble qu’on
puisse dire de Lui qu’il est un singulier : car un singulier signifie ce
qu’on peut montrer et qui subsiste dans une nature commune. Mais cela
s’applique au Père. D’où Damascène a dit plus haut à la distinction 19
[111, De la Foi Orthodoxe, ch. 6] que le Père se présente comme
un individu. Il semble donc qu’on puisse dire de Lui qu’il est un singulier. |
[1855] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, videtur quod possit dici unicus, per hoc quod cantat Ecclesia: trinum Deum, unicumque cum favore praedicat. |
5. Par ailleurs, il semble
qu’on puisse dire de Lui qu’il est unique si on regarde ce que célèbre
l’Église : elle attribue le Dieu trine à chacun avec affection. |
[1856] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 6 Item videtur quod non possit ibi esse discretio. Discretum est enim quaedam differentia quantitatis. Sed in divinis non est quantitas. Ergo nec discretio. |
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[1857] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 7 Et quaeritur generaliter, quid de hujusmodi possit concedi in divinis. |
7. Et on se demande plus
généralement ce qui pourrait être concédé en Dieu à ce sujet. |
[1858] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa fidem Trinitatis, fuerunt duae haereses: scilicet Arii, qui induxit pluralitatem essentiae ; et Sabellii, qui abstulit pluralitatem personarum ; quorum utrumque concedit fides Catholica ; et ideo ea oportet concedere quae utrique haeresi adversantur, et ea negare quae utrique sunt consona. |
Corps
de l’article: Je
réponds qu’il faut dire que touchant la foie en la Trinité, il y eut deux hérésies:
à savoir celle d’Arius, qui introduisit la pluralité de l’essence, et celle
de Sabellius qui fait disparaître la pluralité des personnes; et la foi
catholique s’oppose à chacune de ces deux erreurs; et c’est pourquoi il faut
conceder ce qui s’oppose à ces deux erreurs et nier ce qui s’accorde avec
elles. |
Unde contra Arium quatuor ponit Ecclesia: scilicet essentiae unitatem, et ex hoc confitetur Deum unum, et negat diversitatem Secundo essentiae divinae simplicitatem ; et ideo confitetur simplicitatem [simplicem Éd. de Parme] et negat multiplicitatem vel divisionem, quae ponit rationem totius et partis, quae simplicitati adversantur, et similiter separationem. Tertio ponit similitudinem in natura deitatis,, prout significatur ut forma quaedam ; et ideo praedicat Filium similem Patri et negat alienum: quia alienum dicitur quod est extraneum a natura alicujus. Quarto ponit indivisam virtutem et magnitudinem trium personarum, et ideo ponit aequalem et negat disparem vel inaequalem. |
C’est pourquoi l’Église
affirme quatre points à l’encontre de la position d’Arius : à savoir
premièrement l’unité de l’essence et à partir de là elle affirme que Dieu est
un et nie la diversité ; deuxièmement elle affirme la simplicité de
l’essence divine ; et c’est pourquoi elle confesse la simplicité
[simple Éd. de Parme] et nie la multiplicité ou la division qui
pose la notion de tout et de partie, laquelle est contraire à la simplicité,
et il en est de même pour la notion de séparation. Troisièmement elle pose la
similitude dans la nature de la divinité selon qu’elle est signifiée par une
certaine forme ; et c’est pourquoi elle proclame que le Fils est
semblable au Père et nie qu’Il Lui soit étranger : car on appelle
«alienum», c’est-à-dire ¨étanger¨, ce qui est extérieur à la nature d’un
autre être. En quatrième lieu elle pose
une puissance et une grandeur indivisées des trois personnes et c’est
pourquoi elle pose l’égalité et nie la disparité ou l’inégalité entre les
personnes. |
Similiter contra Sabellium quatuor ponit. Primo naturae communicationem pluribus suppositis, et ideo praedicat pluralitatem et excludit singularitatem. Secundo ponit quod ista pluralitas non est tantum rationis, sed etiam rei, quia sunt tres res ; et ideo praedicat discretionem, et excludit unicum. Tertio ponit in istis rebus personalibus esse ordinem originis ; et ideo praedicat discretionem quae ordinem quemdam importat, et excludit confusionem. Quarto ponit tres personas unitas societate quadam amoris, qui est Spiritus sanctus, et ideo praedicat consonantiam, ut patet ex Hilario et excludit solitudinem. |
De la même manière l’Église
affirme quatre points à l’encontre de la position de Sabellius. En premier lieu elle pose la
communication de la nature à plusieurs suppôts, et c’est pourquoi elle proclame
la pluralité et exclut l’unité des personnes. En deuxième lieu elle pose
que cette pluralité des suppôts n’est pas seulement une pluralité de raison
mais une pluralité réelle, car ce sont là trois réalités ; et c’est
pourquoi elle proclame la discrétion et exclut l’unicité. En troisième lieu elle pose
qu’il y a un ordre d’origine entre ces trois réalités personnelles ; et
c’est pourquoi elle proclame la discrétion qui implique un certain ordre, et
écarte ainsi la confusion. En quatrième lieu elle pose
qu’il y a trois personnes unies par une certaine communauté d’amour qui est
l’Esprit-Saint, et c’est pourquoi elle proclame l’accord et exclut
la solitude. |
[1859] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod unum in substantia prout significat essentiam, facit idem ; et similiter multitudo in substantia, quae est essentia, facit diversum. Sed cum dicit Hilarius quod sunt per substantiam tria, accipit substantiam pro hypostasi non pro essentia. |
Solutions: 1. Il
faut donc dire en premier lieu que l’un dans la substance, selon qu’elle
signifie l’essence, produit le même; et semblablement la multiplicité dans la
substance qui est l’essence produit le divers. Mais lorsque Saint-Hilaire dit
qu’ils sont trois par la substance, il prend la substance pour l’hypostase,
non pour l’essence. |
[1860] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ubi est numerus simpliciter, ibi est divisio vel per essentiam vel per quantitatem. Sed talis numerus non est in divinis, sed numerus quidam, ut dictum est ; et ad istum numerum sufficit distinctio relationum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que là où il y a le nombre pris absolument, il y a division soit par
l’essence, soit par la quantité. Mais ce n’est pas ce nombre qui est présent
en Dieu, mais seulement le nombre pris sous un certain rapport, ainsi que
nous l’avons dit ; et la distinction des relations correspond à ce
nombre. |
[1861] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Filius dicatur alius a Patre, non tamen dicitur alienus, quia hoc sonat extraneitatem [inextraneitatem Éd. de Parme] naturae ; denominatur enim alienum ab alietate naturae, et non ab alietate suppositi. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien qu’on dise du Fils qu’il est autre que le Père, on ne dit
cependant pas de lui qu’il lui est étranger car cela laisse entendre une
extériorité [inextériorité Éd. de Parme] de nature ;
«alienum», c’est-à-dire étranger tient son origine de «alietate»,
c’est-à-dire d’une altérité de nature, et non d’une altérité de suppôt. |
[1862] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod persona divina non potest dici singularis proprie, quia singulare est cujus essentia est incommunicabilis ; essentia autem Patris non est incommunicabilis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la personne divine ne peut être appelée proprement singulière, car
le singulier est ce dont l’essence est incommunicable ; mais l’essence
du Père n’est pas incommunicable. |
[1863] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratione dicta non potest Deus dici unicus ; et si inveniatur, improprie accipitur unicus pro uno ; et ita glossandae sunt omnes auctoritates tales, in quibus aliquod praedictorum ponitur. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que, pour la raison que nous avons dite, Dieu ne peut être appelé
unique ; et si cela se rencontre, ¨unique¨ est pris improprement pour
¨un¨. Et ainsi, toutes ces autorités, dans lesquelles un de ces termes se
retrouvent, doivent être interprétées avec soin. |
[1864] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod discretio non salvatur in divinis quantum ad rationem quantitatis, sed solum quantum ad rationem ordinis. |
6. Il
faut dire en sixième lieu que la discretion dans les personnes divines n’est
pas conserve quant à la notion de quantité, mais seulement quant à la notion
d’ordre. |
[1865] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 7 Ad quaestionem patet responsio per jam dicta. |
7. La
réponse à cette question est évidente au moyen de ce qui a été dit. |
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[1866] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 tit. Utrum Trinitas sit nomen essentiale |
Article 2 – Trinité est-il un nom essentiel ? |
[1867] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Trinitas sit nomen essentiale. Quidquid enim ad aliud non refertur, est essentiale. Sed Trinitas, secundum nomen suum, est hujusmodi. Ergo et cetera. |
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[1868] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de singulis personis et de omnibus simul singulariter et non pluraliter, est essentiale. Sed hoc nomen Trinitas videtur hujusmodi esse: quia Trinitas dicitur quasi trium unitas, et illa unitas significat divinam essentiam. Unde cum possit dici, Pater est essentia, et unitas essentiae, potest dici quod est unitas trium, et ita quod est Trinitas, et similiter Filius et Spiritus sanctus: et hi tres sunt una Trinitas et non plures Trinitates. Ergo videtur quod sit essentiale. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
s’attribue à des personnes en particulier et à toutes simultanément au
singulier et non au pluriel, est essentiel. Mais «Trinité» semble être un nom
de cette sorte : car la Trinité se dit comme l’unité de trois personnes,
et cette unité signifie l’essence divine. De là, puisqu’on peut dire que le
Père est l’essence et l’unité de l’essence, on peut dire qu’il est l’unité
des trois et ainsi qu’il est la Trinité ; et on peut dire la même chose
du Fils et de l’Esprit-Saint : et ces trois personnes sont une seule
Trinité et non plusieurs Trinités. Il semble donc que ce soit là un nom
essentiel. |
[1869] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 3 Si dicas quod non, quia est collectivum personarum. Contra, secundum Bernardum, lib. V de consider., cap. VIII, inter omnes unitates arcem tenet unitas Trinitatis. Sed inter omnes unitates est minor illa quam importat nomen collectivum. Ergo videtur quod non sit collectivum, et ita nullo modo significat relationem. |
3. Si tu dis que non, parce
que c’est un collectif de personnes, je dis au contraire, conformément à
Saint-Bernard [De la Considération, V, ch. VIII], que parmi toutes
les unités, l’unité de la Trinité tient le sommet. Mais parmi toutes les
unités la plus petite est celle qui est portée par le nom collectif. Il
semble donc que ce nom ne soit pas un collectif et qu’ainsi il ne signifie
nullement la relation. |
[1870] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod dicit Boetius, quod ipsum nomen Trinitatis ad relationem pertinet. Ergo non est essentiale. |
Cependant : 1. Au contraire, Boèce dit
que le nom même de Trinité se rapporte à la relation. Il n’est donc pas un
nom essentiel. |
[1871] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in nomine Trinitatis importatur unitas et numerus quidam ; sed unitas in divinis dicitur dupliciter: scilicet unitas essentialis, et unitas personalis. Unde quidam dicunt quod nomen Trinitatis importat unitatem personalem ; et secundum eos sic exponitur Trinitas quasi ter unitas, quia sunt ibi tres unitates personales ; et secundum hoc absolute relationem significat. Alii dicunt, quod unitas importata, est unitas essentialis ; et sic isti exponunt, Trinitas, idest, trium unitas ; sicut etiam Isidorus in Litteraexponit. Unde et hoc videtur convenientius esse cum nos a Trinitate nominemus Deum trinum ; et non potest dici ter unus: quia cum dicitur Deus unus significatur unitas essentialis ; et secundum hoc Trinitas significat utrumque, scilicet unitatem essentiae, et distinctionem personarum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans le nom de Trinité sont impliqués l’unité et un nombre ; mais
l’unité en Dieu se dit en deux sens : soit comme l’unité essentielle,
soit comme l’unité personnelle. De là certains disent que le
nom de Trinité porte sur l’unité personnelle ; et selon eux le nom
«Trinité» s’explique ainsi comme signifiant trois fois l’unité, car il y a là
trois unités personnelles ; et d’après cela le terme signifie en
totalité la relation. D’autres disent que l’unité
signifiée par le nom est l’unité essentielle ; et c’est ainsi que
ceux-ci expliquent la Trinité, c’est-à-dire comme étant l’unité des trois,
comme Saint-Isidore l’explique aussi dans la Lettre. D’où il
semble être plus convenable que nous nommions le Dieu trine par la Trinité et
il ne peut être appelé trois fois un : car lorsque qu’on dit de Dieu
qu’il est un, c’est l’unité essentielle qui est signifiée ; et d’après
cela la Trinité signifie les deux, c’est-à-dire l’unité de l’essence et la
distinction des personnes. |
[1872] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Trinitas quantum ad id ad quod significandum imponitur, non significat relationem, sed numerum ; unde secundum nomen, ad aliud non refertur, sed quantum ad ea circa quae ponitur numerus iste in divinis significat ipsas relationes, quae solum in divinis numerantur ; et non addit aliquid secundum rem, sed tantum rationem negationis, ut dictum est, in hac dist., q. 1, art. 3 ; et hoc convenit Trinitati, scilicet quod sit ad aliquid, non inquantum est Trinitas, sed inquantum est Trinitas divina ; unde habet relationem implicitam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la Trinité, quant à ce que l’imposition du nom doit
signifier, ne signifie pas la relation, mais le nombre ; c’est pourquoi,
selon le nom, ce mot ne se rapporte pas à autre chose mais quant aux réalités
sur lesquelles ce nombre est posé dans les personnes divines il signifie les
relations elles-mêmes qui sont nombrées seulement en Dieu; et il n’ajoute pas
quelque chose dans la réalité, mais seulement quant à la notion de négation,
ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 3) ;
et cela convient à la Trinité, à savoir d’être un terme relatif, non pas en
tant que Trinité, mais en tant qu’elle est la Trinité divine ; c’est
pourquoi il contient une relation implicite. |
[1873] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod haec est falsa: Pater est Trinitas. Quamvis enim hoc nomen Trinitas propter modum significandi, quia significatur in abstracto, significet unitatem essentiae in recto, et numerum personarum in obliquo quantum ad etymologiam nominis, prout dicitur Trinitas, trium unitas ; tamen quantum ad impositionem nominis est e converso. Impositum est enim nomen ad significandum ab ipso numero qui in nomine importatur. Unde quantum ad veram nominis significationem idem significatur cum dicitur Trinitas, ac si diceretur: tres personae unius essentiae ; sicut Magister exponit. Unde patet quod Pater non potest Trinitas dici. Similiter cum dicitur: Deus est trinus, significatur quod est habens tres personas in una essentia, unde ly Deus supponit tunc vel essentiam vel suppositum indistinctum. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que cette proposition, à savoir : ¨Le Père est Trinité¨, est
fausse. En effet, bien que ce nom de Trinité, en raison du mode de signifier,
car il est signifié dans l’abstrait, signifie directement l’unité de
l’essence, et indirectement le nombre des personnes quant à l’étymologie du
nom, selon que Trinité signifie l’unité des trois personnes, cependant quant
à l’imposition du nom c’est l’inverse. En effet, le nom a été imposé pour
signifier à partir du nombre même qui est impliqué dans le nom. De là, quant à la véritable
signification du nom, on signifie la même chose lorsqu’on dit Trinité et si
on dit : trois personnes d’une même essence, comme le Maître l’explique.
C’est pourquoi il est clair qu’on ne peut dire du Père qu’il est Trinité.
Semblablement lorsqu’on dit : Dieu est trine, on signifie qu’il y a là
trois personnes dans une seule et même essence, d’où Dieu, dans ce cas, est
alors mis à la place soit de l’essence, soit du suppôt indistinct. |
[1874] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen Trinitas habet aliquid simile cum nomine collectivo, non tamen est vere collectivum. In collectivo enim est duo considerare, scilicet multitudinem eorum quae colliguntur, quae simpliciter sunt per essentiam divisa, et id in quo colliguntur, quae est minima unitas. Sed in nomine Trinitatis est e converso quia illud in quo colliguntur tres personae, est maxima unitas scilicet unitas essentiae ; personae autem quae colliguntur, habent minimum de ratione realis multitudinis tamen est aliqua similitudo inquantum est aliquis numerus et aliqua unitas utrobique, unde supra, dist. XIX, dixit Magister, quod est quasi collectivum. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ce nom de Trinité comporte une ressemblance avec le nom collectif,
mais il n’est pas un véritable collectif. Dans le collectif en effet il y a
deux choses à considérer, à savoir la multiplicité des choses qui sont
rassemblées qui sont totalement divisées par l’essence, et ce dans quoi elles
sont rassemblées, qui est l’unité minimale. Mais dans le nom de Trinité c’est
l’inverse car ce dans quoi les trois personnes sont rassemblées est l’unité
la plus grande, à savoir l’unité de l’essence ; mais les personnes qui
sont rassemblées ont le moins raison d’être une multiplicité réelle ; il
y a cependant une similitude dans la mesure où il y a un nombre et une
certaine unité dans les deux cas et c’est pourquoi le Maître a dit plus haut
à la distinction XIX que ce terme est presqu’un collectif. |
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Distinctio 25 |
Distinction 25 – [Parle-t-on de manière univoque de Dieu et des créatures ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur quatuor: 1 de definitione personae ; 2 utrum univoce in Deo et in creaturis inveniatur ; 3 de communitate ipsius respectu personarum divinarum ; 4 utrum tres personae sint tres res vel tres entes. |
La recherche porte ici
sur quatre points : 1. Sur la définition de la
personne. 2. Est-ce que ce nom se
rencontre univoquement en Dieu et dans les créatures ? 3. Sur le caractère commun de
ce terme par rapport aux personnes divines. 4. Est-ce que les trois
personnes sont trois réalités ou trois êtres ? |
Quaestio 1
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Question unique : [La définition de la personne] |
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[1877] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio personae posita a Boetio sit competens |
Article 1 – La définition de la personne donnée par Boèce convient-elle ? |
[1878] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur et ponitur definitio personae a Boetio, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1343 : « Persona est rationalis naturae individua substantia ». Videtur quod haec definitio sit incompetens. Definitio enim debet esse convertibilis cum definito. Sed ratio personae invenitur in Deo et in Angelis et hominibus ; haec autem definitio personae non convenit divinis personis, ut dicit Magister in III, dist. X. Ergo videtur, esse definitio [quod sit, Ed. de Parme] incompetens. |
Difficultés : 1. Voici la définition de la
personne donnée par Boèce [Les Deux Natures, ch. 111, col.
1343] : «La personne est la substance individuelle de nature
raisonnable». Il semble que cette définition ne convienne pas. En effet,
la définition doit être convertible avec le défini. Mais la notion de
personne se rencontre en Dieu, chez les Anges et chez les hommes ; mais
cette définition de la personne ne convient pas aux personnes divines comme
le dit le Maître (111, dist. X). Il semble donc que cette définition [qu’elle
soit, Éd. de Parme] soit irrecevable. |
[1879] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut definitio se habet ad rem, ita partes definitionis ad partes rei. Sed definitio significat rem definitam. Ergo et partes definitionis significant partes rei. Sed in divinis persona est simplex, non habens partes. Ergo talis definitio sibi non competit. |
2. Par ailleurs, les parties
de la définition se rapportent aux parties de la chose comme la définition se
rapporte à la chose. Mais la définition signifie une chose définie. Donc, les
parties de la définition doivent de même signifier les parties de la chose.
Mais en Dieu la personne est simple et ne possède pas de parties. Donc une
telle définition ne convient pas à Dieu. |
[1880] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, quod praedicatur de aliquo in recto, non debet poni in definitione ejus in obliquo. Sed intellectualis natura praedicatur de persona in recto: dicimus enim quod Socrates est quaedam natura intellectualis vel rationalis. Ergo videtur quod male dicitur, « rationalis naturae ». |
3. En outre, ce qui
s’attribue directement à un être ne doit pas être posé indirectement dans sa
définition. Mais la nature intellectuelle s’attribue directement à la
personne : nous disons en effet que Socrate est une certaine nature
intellectuelle ou rationnelle. Il semble donc qu’on parle incorrectement
lorsqu’on dit : «d’une nature rationnelle». |
[1882] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, differentia propria alicujus generis non invenitur extra genus illud. Sed rationale est differentia animalis. Ergo non invenitur nisi in animalibus. Sed persona invenitur in Angelis et Deo qui non continentur in genere animalis. Ergo rationale non debet poni in definitione personae. |
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[1882] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, persona in assignatione Boetii et Tullii coordinatur essentiae, subsistentiae et substantiae. Sed in Deo idem est natura et essentia. Ergo magis debuit dicere rationalis essentiae, quam naturae. |
5. En outre, dans la
distribution de Boèce et de Tullius, la personne est rangée avec l’essence,
la subsistance et la substance. Mais en Dieu la nature et l’essence sont
identiques. Il fallait donc parler d’essence rationnelle plutôt que de nature
rationnelle. |
[1883] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, individuationis principium est materia. Sed in aliquibus invenitur persona in quibus nihil est de materia, ad minus in Deo. Ergo individuum non debet poni in definitione personae. |
6. Par ailleurs, la matière
est le principe de l’individuation. Mais dans certains cas, au moins pour ce
qui est de Dieu, la personne se rencontre chez des êtres dans lesquels il n’y
a aucune matière. Donc, le terme «individu» ne doit pas être placé dans la
définition de la personne. |
[1884] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, substantia in usu Latinorum aequivocatur ad essentiam et hypostasim. Cum ergo dicitur, persona est substantia individua, substantia aut ponitur pro essentia, aut pro hypostasi. Si pro hypostasi ; hypostasis autem est substantia particularis aut individua ; videtur quod superflue additur individua. Si pro essentia ; cum individuatio ponatur circa subjectum, quae individuatio in divinis est per distinctionem proprietatis ; sequeretur quod proprietas distingueret essentiam. Et praeterea, cum multiplicato definito multiplicetur definitio, sicut plures homines sunt plura animalia rationalia etc., sequitur quod plures personae sunt plures essentiae ; quod est [videtur Éd. de Parme] inconveniens. |
7. En outre, le terme
«substance», dans l’usage qu’en font les Latins, se dit de l’essence et de
l’hypostase de manière équivoque. Donc, lorsqu’on dit que la personne est une
substance individuelle, substance se prend soit pour l’essence, soit pour
l’hypostase. Si elle se prend pour l’hypostase, puisque l’hypostase est une
substance particulière ou individuelle, il semble qu’il soit superflu
d’ajouter «individuelle». Si on prend la substance pour l’essence, puisque
l’individuation se pose sur le sujet, laquelle individuation chez les
personnes divines est causée par la distinction de la propriété, il
s’ensuivrait que c’est la propriété qui distinguerait l’essence. Et par
ailleurs, puisque la définition est multipliée une fois que le défini est
multiplié, tout comme plusieurs hommes sont plusieurs animaux raisonnables
etc., il s’ensuit que plusieurs personnes sont plusieurs essences ; ce
qui est [semble Éd. de Parme] absurde. |
[1885] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, « persona » aut est nomen substantiae, vel accidentis. Sed non potest dici quod sit nomen accidentis: quia substantia ponitur in sua definitione in recto ; et hoc etiam patet per Boetium qui separat personam a genere accidentium. Ergo est nomen substantiae. Sed accidentia non ponuntur in definitione substantiae. Cum igitur individuum nominet accidens, quia nominat [dicit Éd. de Parme] intentionem quamdam, sicut et nomen generis et speciei, videtur quod inconvenienter ponitur in definitione personae, quasi differentia substantiae. |
8. De plus, «persona» est le
nom soit d’une substance, soit d’un accident. Mais on ne peut dire qu’il soit
le nom d’un accident car substance est placé directement dans sa
définition ; et cela est encore évident chez Boèce qui sépare la
personne du genre des accidents. Personne est donc le nom d’une substance.
Mais les accidents ne sont pas placés dans la définition de la substance.
Donc, puisque le terme «individuelle» nomme un accident car il nomme
[dit Éd. de Parme] une intention comme c’est le cas pour les noms
de genre et d’espèce, il semble que ce soit à tort qu’il soit placé dans la
définition de la personne comme une différence de la substance. |
[1886] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut supra dictum est, dist. 24, qu. 2, art. 2, hoc nomen « persona » secundum suam communitatem acceptum, non est nomen intentionis, sicut hoc nomen « singulare », vel « generis » et « species » [« genus…species Éd. de Parme] ; sed est nomen rei, cui accidit aliqua intentio, scilicet intentio particularis ; et in natura determinata, scilicet intellectuali vel rationali. Et ideo in definitione personae ponuntur tria: scilicet genus illius rei, quod significatur nomine personae, dum dicitur « substantia » ; et differentia per quam contrahitur ad naturam determinatam, in qua ponitur res, quae est persona, in hoc quod dicitur, « rationalis naturae » ; et ponitur etiam aliquid pertinens ad intentionem illam, sub qua significat nomen personae rem suam ; non enim significat substantiam rationalem absolute, sed secundum quod subintelligitur intentio particularis: et ideo additur « individua ». |
Corps de l’article : Je réponsd qu’il faut dire,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 24, quest. 2, art. 2], que ce nom
«persona», selon son acception commune, n’est pas un nom d’intention comme ce
nom de «singulier», ou de «genre», ou encore d’«espèce» [le
genre…l’espèce Éd. de Parme] ; mais il est plutôt le nom
d’une chose à laquelle survient une intention, à savoir une
intention particulière et dans une nature déterminé, à savoir la
nature intellectuelle ou rationnelle. Et c’est pourquoi dans la définition de
la personne on pose trois choses : à savoir le genre de cette chose qui
est signifiée par le nom de personne lorsqu’on dit «substance» ; la
différence par laquelle le genre se trouve à être restreint à une nature
déterminée dans laquelle cette chose, la personne, est posée, alors même
qu’on dit d’elle qu’elle est «de nature rationnelle» ; et on ajoute
aussi à cette définition quelque chose qui se rapporte à cette intention sous
laquelle le nom de personne signifie ¨sa¨ chose ; ce nom en effet ne
signifie pas la substance rationnelle prise absolument, mais il la signifie
selon qu’une intention particulière y est sous-entendue : et c’est
pourquoi on ajoute «individuelle». |
[1887] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ea quae ponuntur in ista definitione, possunt dupliciter considerari: vel stricte secundum proprietatem vocabulorum, et sic, ut patebit, non convenit divinis personis, ut dicit Magister: vel large, et sic convenit personae in quacumque natura intellectuali ponatur, et ita accipit Boetius: unde etiam ibi inquirit definitionem personae ad ostendendum quomodo in Christo sit una persona, in quo constat non esse nisi personam divinam increatam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce qui est posé dans cette définition peut être considéré de
deux manières : soit au sens strict conformément à la propriété des
termes et ainsi, comme on le verra, il ne convient pas aux personnes divines
ainsi que le dit le Maître ; soit au sens large et ainsi il convient à
la personne, quelle que soit la nature intellectuelle dans laquelle elle est
posée et c’est en ce sens que l’entend Boèce : c’est pourquoi aussi il
recherche là la définition de la personne pour montrer comment il n’y a
qu’une seule personne dans le Christ, dans lequel il est clair qu’il n’y a qu’une
personne divine incréée. |
[1888] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum Avicennam, dupliciter definitio potest considerari: vel secundum id quod significatur per definitionem, vel secundum intentionem definitionis. Si primo modo, tunc idem est significatum per definitum et definitionem: unde dicit philosophus, IV Metaph., text. 28, quod ratio quam significat nomen, est definitio: et sic definitio et definitum sunt idem, et hoc modo ea quae ponuntur in definitione in recto, non sunt partes definitionis, id est rei per definitionem significatae, sicut nec definiti. Si enim cum dicitur animal rationale mortale, animal esset pars hominis, non praedicaretur de toto, cum nulla pars integralis de toto praedicetur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que, conformément à Avicenne, la définition peut être considérée de deux
manières : soit selon ce qui est signifié par la définition, soit selon
l’intention de la définition. Si on la considère de la première manière,
alors ce qui est signifié par le défini et la définition, c’est la même
chose : de là, le Philosophe [IV Métaphysique, texte 28] dit
que la notion que le nom signifie, c’est la définition ; et en ce sens,
la définition et le défini sont identiques, et de cette manière tous les
éléments qui sont placés directement dans la définition ne sont pas des
parties de la définition, c’est-à-dire de la chose même qui est signifiée par
la définition, ni du défini. Si en effet, lorsqu’on dit : ¨animal
rationnel et mortel¨, animal était une partie de l’homme, il ne
s’attribuerait pas au tout, puisqu’aucune partie intégrale ne s’attribue au
tout. |
Unde animal dicit totum et similiter rationale mortale. Et ideo homo non dicitur esse ex animali et rationali et mortali ; sed dicitur esse animal rationale mortale. Sed genus significat totum ut non designatum et differentia ut designans, et definitio ut designatum, sicut et species, quae differunt: verbi gratia, corpus, secundum quod est pars animalis et genus, differt, ut Avicenna dicit, Tract. V, Métaph., cap. V. Cum enim ratio corporis in hoc consistat quod sit talis naturae, ut in ea scilicet [scilicet om. Éd. de Parme] possint designari tres dimensiones ; si nomine corporis significetur res hujusmodi, ut in ea possint signari [designari Éd. de Parme] tres dimensiones sub hac conditione, ut superveniat alia perfectio quae compleat ipsam in ratione nobiliori, sicut est anima ; sic est corpus pars animalis, et sic non praedicatur de animali. |
De là, animal signifie le
tout et il en est de même pour rationnel et mortel. Et c’est pourquoi on ne
dit pas de l’homme qu’il est un composé d’animal, de rationnel et de mortel.
Mais le genre signifie le tout en tant qu’il n’est pas précisé, la différence
en tant qu’elle le précise et la définition en tant qu’il est précisé, tout
comme les espèces qui diffèrent : en d’autres mots, comme le dit
Avicenne [V Métaphysique, ch. V], le corps en tant que partie de
l’animal diffère du corps pris comme genre. En effet, puisque la définition
du corps consiste en ceci qu’il soit d’une telle nature, c’est-à-dire
[c’est-à-dire om. Éd. de Parme] qu’en elle trois dimensions
puissent être montrées, si par le nom de corps on signifiait une chose de
cette sorte, c’est-à-dire de telle manière qu’en elle on puisse identifier
trois dimensions à cette condition que lui survienne une autre perfection,
comme l’âme, qui la complète dans une notion plus noble, alors le corps est
une partie de l’animal et il ne s’attribue pas à l’animal. |
Si vero nomine corporis significetur res habens talem naturam ex quacumque forma ipsam perficiente, ut possint in ea designari tres dimensiones ; tunc corpus est genus, et significat totum: quia quaecumque forma sumatur specialis, non erit extra hoc per quod ratio corporis conditionabatur ; sed tamen indistincte, eo quod non determinetur, utrum ex tali vel tali forma dictam rationem habeat. Sed cum dicitur animatum, designatur forma per quam talem rationem recipit ; quamvis etiam aliquid plus recipiat ab anima quam rationem corporis: et ita differentia est designans, et tunc species erit designatum. |
Mais si par le nom de corps
on signifie une chose possédant telle nature à partir d’une forme qui lui
donne sa perfection, de manière à ce que trois dimensions soient indiquées en
elle, alors corps est un genre et il signifie le tout : car quelque
particulière que se prenne la forme, elle ne sera pas en dehors de ce par
quoi définition du corps était conditionnée ; mais indistinctement
cependant du fait qu’il n’est pas déterminé s’il possède la définition que
nous avons dite à partir de telle ou telle forme. Mais lorsqu’on dit ¨animé¨,
on désigne la forme par laquelle il reçoit telle définition, bien qu’il
reçoive aussi de l’âme quelque chose de plus que la définition du
corps : c’est ainsi que la différence est ce qui détermine et l’espèce
sera e qui est déterminé. |
Sed verum est quod in compositis genus et differentia, quamvis non sint partes, tamen a partibus rei fluunt: quia genus fluit a materia, quamvis non sit materia: et differentia a forma, quamvis forma non sit differentia, sed forma sit principium illius ; et sic definitio composita ostendit realem compositionem. In simplicibus autem, et praecipue in Deo, complexio [compositio Éd. de Parme] quae est in definitione, non reducitur in aliquam compositionem rei: sed solum secundum rationem quae fundatur in veritate rei ; sicut si aliquis definiens Deum diceret, quod est substantia intellectualis divina, vel aliquid hujusmodi. Huiusmodi, unumquodque [Unde quodcumque Éd. de Parme] istorum nominum quod diceret in definitione, haberet veram significationem in Deo: et significatio unius non esset significatio alterius ; et tamen diversitas significationum non fundaretur super aliquam diversitatem rei. |
Mais il est vrai que dans les
composés le genre et la différence, bien qu’ils ne soient pas des parties
dérivent cependant des parties de la chose : car le genre dérive de la
matière bien qu’il ne soit pas matière ; et la différence dérive de la
forme bien que la forme ne soit pas la différence mais qu’elle soit plutôt le
principe de la forme ; et ainsi la composition de la définition
manifeste une composition réelle. Mais dans les réalités qui sont simples et
surtout en Dieu, la complexion [composition Éd. de Parme] ne se
ramène pas à une composition de la chose, mais seulement selon la raison qui
se fonde sur la vérité de la chose ; par exemple si quelqu’un, en
définissant Dieu, disait qu’il est une substance intellectuelle divine, ou
quelque chose de la sorte. De cette manière, n’importe quel [De là, n’importe
quel Éd. de Parme] de ces noms qu’il dirait dans la définition
aurait une véritable signification en Dieu : et la signification de l’un
ne serait pas la signification de l’autre ; et cependant la diversité
des significations ne serait pas fondée sur une diversité de la chose. |
Et inde est quod sicut esse rei simplicis, intellectus enuntiat per compositionem affirmativam plurium nominum, cum tamen in re nulla sit compositio ; ita etiam quidditatem rei simplicis, in qua non est compositio, designat per plura nomina, quibus subest in re pluralitas rationum, et non diversitas rei. Et secundum hoc ea quae ponuntur in definitione personae divinae, non sunt majoris simplicitatis quantum ad rem quam ipsa persona, sed solum secundum rationem. |
Et c’est de là
que tout comme l’intelligence énonce l’existence d’une réalité
simple par la composition affirmative de plusieurs noms, bien qu’il n’y ait
dans la réalité aucune composition, de même aussi elle désigne la quiddité de
la réalité simple, dans laquelle il n’y a aucune composition, au moyen de
plusieurs noms sous lesquels se tient la pluralité des notions et non la
diversité qu’il y aurait dans la chose. Et suivant cela les éléments qui sont
placés dans la définition de la personne divine ne sont pas d’une plus grande
simplicité, quant à la réalité, que la personne divine elle-même, mais
seulement selon la raison. |
Si autem consideretur definitio secundum suam intentionem, sic definitio non est definitum, sed ductivum in cognitionem ejus ; et sic etiam definitio est composita ex pluribus intentionibus, quarum nulla praedicatur de ipsa, nec e converso, quia intentio generis non est intentio definitionis ; sed hoc non est nisi secundum intellectum qui adinvenit has intentiones ; et sic non est inconveniens in divinis ponere totum et partem secundum operationem intellectus, sicut etiam in propositione quae de Deo formatur, subjectum est pars totius propositionis. |
Mais si on considérait la
définition selon son intention logique, ainsi la définition ne serait pas le
défini, mais conduirait à la connaissance du défini ; et ainsi encore la
définition est composée de plusieurs intentions dont aucune ne s’attribue à
elle ni inversement, car l’intention du genre n’est pas celle de la
définition ; et il n’en est ainsi que suivant l’intelligence qui
découvre ces intentions ; et ainsi il n’est pas inconvenant de placer en
Dieu le tout et la partie selon l’opération de l’intelligence, tout comme
dans la proposition qu’on forme aussi au sujet de Dieu, le sujet est une
partie de ce tout qui est la proposition. |
[1889] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut ex praedictis patet, essentia vel natura dupliciter potest significari. Vel ut pars, ut significatur nomine humanitatis, et sic natura vel essentia non potest praedicari de persona in recto, sicut nec humanitas de Socrate. Vel sicut totum, ut significatur nomine hominis, et sic praedicatur de persona. Dicimus enim, quod Socrates est homo. Hic autem accipitur rationalis natura secundum primum modum, prout est principium differentiae et non differentia, sicut rationalitas, quae non posset poni in definitione hominis in recto, sed in obliquo ; ut si diceretur, quod est animal rationalitatem habens vel aliquid hujusmodi ; natura autem signata in rebus compositis etiam realem differentiam habet ad personam, inquantum scilicet naturae fit additio alicujus ut materiae demonstratae, per quam natura communis generis vel differentiae individuatur. Sed in simplicibus, et praecipue in Deo, cum nulla sit additio secundum rem, non est realis differentia naturae, ut sic significatae, ad personam ; sed solum quantum ad modum significandi ; propter quod cadit in definitione divinae personae in obliquo. |
3. Il
faut dire en troisième lieu, comme on le voit à partir de ce qui a été dit,
que l’essence ou la nature peut être signifiée de deux manières. Soit comme
une partie, comme elle est signifiée par le nom d’humanité, et en ce sens la
nature ou l’essence ne peut être attribuée à la personne directement, comme
on ne peut attribuer directement l’humanité à Socrate. Soit comme un tout,
comme elle est signifiée par le nom d’homme et ainsi elle s’attribue à la
personne. Nous disons en effet que Socrate est un homme. Mais ici on prend la
nature rationnelle de la première manière, selon qu’elle est principe de
difference et non selon qu’elle est la difference, par exemple la
rationalité, qui ne pourrait être placée directement dans la definition de
l’homme, mias indirectement; par exemple si on disait qu’il est un animal
possédant la rationnalité ou quelque chose de la sorte; mais la nature qui
est designée dans les choses composes possède aussi une différence réelle
envers la personne, c’est-à-dire pour autant qu’il se produit une addition de
quelque chose à la nature à titre de matière qu’on peut montrer et par
laquelle la nature commune du genre ou de la différence est individuée. Mais
dans les réalités qui sont simples et surtout en Dieu, puisqu’il n’y a aucune
addition possible dans la réalité, il n’y a aucune différence réelle de la
nature ainsi signifiée à l’égard de la personne, mais seulement une
différence quant au mode de signifier; et c’est pour cette raison que le mot
nature tombe indirectement dans la definition de la personne divine. |
[1890] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rationale dupliciter dicitur. Quandoque enim sumitur stricte et proprie, secundum quod ratio dicit quamdam obumbrationem intellectualis naturae, ut dicit Isaac quod ratio oritur in umbra intelligentiae. Quod patet ex hoc quod statim non offertur sibi veritas, sed per inquisitionem discurrendo invenit ; et sic rationale est differentia animalis, et Deo non convenit nec Angelis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ¨rationnel¨ se dit de deux manières. Parfois en effet il se prend au
sens strict et propre, selon que ¨raison¨ dit une certaine obscurité de la
nature intellectuelle, comme Isaac qui dit que la raison naît à l’ombre de
l’intelligence. Ce qu’on peut voir du fait que la vérité ne se montre pas
instantanément à elle, mais elle doit la découvrir au moyen d’une recherche
discursive ; et en ce sens la raison est une différence au sein du genre
animal et ne convient ni à Dieu ni aux Anges. |
Quandoque sumitur communiter pro qualibet conditione [cognitione Éd. de Parme] virtutis non impressae in materia ; et sic convenit communiter Deo, Angelis et hominibus: unde etiam Gregorius Hom. X in die Epiph., col. 1110, nominat Angelum animal rationale, et Dionysius, de cael. Hier., etiam dicit, quod sensibile et rationale sunt in Angelis supereminenter quam in nobis ; et rationem etiam inter divina nomina connumerat ; et sic accipit Boetius. |
Mais parfois elle se prend au
sens large pour une certaine condition [connaissance Éd. de Parme]
d’une puissance qui n’est pas enracinée dans la matière ; et en ce sens
la ¨raison¨ convient en commun à Dieu, aux Anges et aux hommes ; c’est
pourquoi encore Saint-Grégoire [Homélie X pour le Jour de l’Épiphanie,
col. 1110] appelle l’Ange un animal rationnel et que Denys [De la
Hiérarchie Céleste] dit encore que le sensible et le rationnel existent
dans les Anges d’une manière bien plus excellente qu’en nous ; et il
compte aussi la raison parmi les noms divins ; et c’est ainsi que
l’entend Boèce. |
[1891] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum Boetium natura uno modo dicitur unamquamque rem informans specifica differentia ; et ideo nomen naturae non nominat essentiam absolute, sed secundum quod determinatur ad aliquod genus vel ad aliquam speciem: et ideo quia persona non nominat substantiam subsistentem nisi in determinato genere, scilicet intellectualis naturae, ideo potius posuit naturam quam essentiam. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que d’après Boèce nature se dit en un sens de la différence spécifique
qui informe une chose, quelle qu’elle soit ; et c’est pourquoi le nom de
nature ne nomme pas l’essence prise absolument, mais selon qu’elle est
déterminée à un certain genre ou à une certaine espèce ; et c’est
pourquoi, parce que la personne ne nomme une substance subsistante que dans
un genre déterminé, c’est-à-dire celui d’une nature intellectuelle, c’est
pourquoi dans sa définition il a placé ¨nature¨ plutôt que ¨essence¨. |
[1892] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in individuatione, secundum quod est in rebus compositis, est duo considerare ; primum scilicet [id est Éd. de Parme] individuationis causam quae est materia, et secundum hoc in divina non transfertur ; et secundum, scilicet rationem individuationis quae est ratio incommunicabilitatis, prout scilicet aliquid unum et idem in pluribus non dividitur, nec de pluribus praedicatur, nec divisibile est, et sic convenit Deo: unde etiam Richardus, II De Trinit., cap. XII, col. 907, loco individui posuit incommunicabile. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que pour ce qui est de l’individuation, en tant qu’elle se retrouve dans
les réalités composées, il y a deux choses à considérer : à savoir
[c’est-à-dire Éd. de Parme] premièrement la cause de l’individuation qui est
la matière et de ce point de vue elle ne s’applique pas à Dieu ; et
deuxièmement la notion d’individuation qui est la notion d’incommunicabilité,
c’est-à-dire selon qu’une seule et même chose ne se divise par en plusieurs,
ne s’attribue pas à plusieur et n’est pas divisible : et en ce sens
l’individuation convient à Dieu ; et c’est pourquoi aussi Richard
[11 De la Trinité, ch. XII, col. 907], se sert du terme
¨incommunicable¨ au lieu du terme ¨individuel¨. |
[1893] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod substantia dicitur quatuor modis. Uno modo substantia idem est quod essentia ; et sic substantia invenitur in omnibus generibus, sicut et essentia ; et hoc significatur, cum quaeritur: quid est albedo ? Color. Alio modo significat individuum in genere substantiae, quod dicitur substantia prima, vel hypostasis. Tertio modo dicitur substantia secunda. |
7. En
septième lieu il faut dire que ¨substance¨ se dit de quatre manières. En un
premier sens ¨substance¨ s’identifie à ¨essence¨; et ainsi substance se
rencontre dans tous les genres, tout comme l’essence; et c’est en ce sens,
lorsqu’on demande: «qu’est-ce que la blancheur?», qu’on répond: «une
couleur». En un
autre sens ¨substance¨ signifie l’individu dans le genre de la substance,
qu’on appelle aussi substance première ou hypostase. Le
troisième sens de substance est la substance seconde. |
Quarto modo dicitur substantia communiter prout abstrahit a substantia prima et secunda, et sic sumitur hic, et per individuum, quasi per differentiam, trahitur ad standum pro substantia prima ; sicut cum dicitur animal rationale mortale, significat animal naturam animalis prout abstrahitur ab omnibus speciebus, et per differentiam additam trahitur in determinatam speciem. |
En un
quatrième sens ¨substance¨ se dit universellement selon qu’elle fait
abstraction à la fois de la substance première et de la substance seconde, et
c’est ainsi qu’elle se prend ici, et elle est entraînée à tenir lieu de
substance première au moyen du terme ¨indivisible¨ comme au moyen d’une
différence; tout comme lorsqu’on dit «animal rationnel et mortel», le terme
¨animal¨ signifie la nature de l’animal selon qu’elle fait abstraction de
toutes les espèces et qu’elle est amenée à une espèce déterminée au moyen
d’une différence ajoutée. |
Quidam tamen dicunt quod sumitur pro hypostasi substantia, et cum de ratione personae sit triplex incommunicabilitas, scilicet qua privatur communitas universalis, et qua privatur communitas particularis quam habet in definitione [constitutione Éd. de Parme] totius, et qua privatur communitas assumptibilis conjuncti rei digniori, prout dicimus, quod natura humana non est persona in Christo ; per nomen hypostasis tollitur ratio universalis et particularis, et per additionem individui tollitur communicabilitas assumptibilis. |
Mais certains disent
cependant que ¨substance¨ se prend à la place de l’hypostase dans la
définition, et puisqu’il y a trois sortes d’incommunicabilité au
sujet de la notion de personne, à savoir celle par laquelle est exclu le
caractère commun de l’universel, celle par laquelle est exclu le caractère
commun de la partie qu’elle a dans la définition [constitution Éd. de
Parme] du tout, et celle par laquelle est exclue le caractère commun qui
la rend apte à être assumée par une réalité plus digne qui lui serait unie,
en autant que nous disons que dans le Christ la nature humaine n’est pas une
personne ; autrement dit, par le nom d’hypostase, la notion d’universel,
tout comme celle de partie, disparaît, et par l’addition du terme
¨individuel¨, disparaît aussi la notion d’aptitude à être assumé. |
Sed primum melius est, quia hoc non potest trahi de significatione vocabulorum. Et praeterea adhuc remanet objectio, qualiter sumatur substantia in definitione hypostasis, cum dicimus, quod hypostasis est substantia individua. |
Mais la première
interprétation est préférable car celle-là n’est pas entraînée en dehors de
la signification des termes. Et par ailleurs il reste encore à se demander
comment se prend la substance dans la définition de l’hypostase lorsque nous
disons que l’hypostase est une substance individuelle. (Cf. 1a, quest. 29,
ad. 2). |
[1894] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, ut patet ex dictis, in corp. art., persona non nominat intentionem, sed rem cui accidit illa intentio: et ideo non nominat accidens, sed substantiam ; nec hoc quod est individuum, est differentia substantiae, quia particulare non addit aliquam differentiam supra speciem. |
8. Il faut dire en huitième
lieu, comme on l’a vu à partir de ce qui a été dit dans le corps de
l’article, que «persona» ne désigne pas une intention logique, mais la chose
à laquelle survient cette intention : et c’est pourquoi elle ne désigne
pas un accident, mais une substance ; et ce qu’on appelle ici
¨individuel¨ n’est pas une différence de la substance car le particulier
n’ajoute pas une différence à l’espèce. |
Sed tamen particulare efficitur individuum per aliquod principium essentiale, quod quidem in rebus compositis est materia, et in rebus divinis est relatio distinguens ; et quia essentialia principia sunt nobis ignota, frequenter ponimus in definitionibus aliquid accidentale, ad significandum aliquid essentiale ; et sic etiam nomen individui, quod est nomen accidentis, ponitur ad designandum principium substantiale, per quod sit individuatio. Sciendum tamen est, quod de persona dantur aliae definitiones. |
Cependant, le particulier est
rendu individuel par une principe essentiel qui est certes la matière dans
les réalités composées, et la relation qui distingue dans les réalités
divines ; et parce que le principes essentiels nous sont inconnus, nous
plaçons fréquemment dans les définitions quelque chose d’accidentel pour
signifier quelque chose d’essentiel ; et ainsi même le nom d’individu,
qui est le nom d’un accident, est posé pour désigner le principe substantiel
par lequel il y a individuation. Il faut cependant savoir que d’autres
définitions sont données au sujet de la personne. |
Una est Richardi qui corrigens definitionem Boetii secundum illum modum quo persona dicitur in Deo, sic definit personam: Persona est divinae naturae incommunicabilis existentia; quia rationale et individuum et substantia non proprie competunt in divinis quantum ad communem usum nominum. Alia datur a magistris sic: Persona est hypostasis distincta proprietate ad nobilitatem pertinente ; et quasi in idem redit: nisi quod haec sumitur per comparationem ad proprietatem distinguentem et cui substat persona, et illa Boetii per comparationem ad naturam, ad quorum utrumque persona comparationem habet. |
L’une d’elles nous vient de
Richard de Saint-Victor, qui, corrigeant la définition de Boèce d’après cette
manière par laquelle personne se dit de Dieu, définit ainsi la
personne : La Personne est l’existence incommunicable de la
nature divine ; car rationnel, individuel et substance
n’appartiennent pas proprement à Dieu quant à l’usage commun de ces noms. Une autre nous vient des
maîtres de la manière qui suit : La Personne est une hypostase
distincte par une propriété qui concerne une excellence ; et cette
dernière définition revient pratiquement à la première si ce n’est que cette
dernière se prend par rapport à une propriété qui distingue et sous laquelle
la personne se tient, alors que celle de Boèce se prend par rapport à la
nature, la prersonne présentant un rapport à l’égard de chacun de ces deux
aspects. |
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Articulus 2 [1895] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 tit. Utrum persona dicatur univoce de Deo et creaturis |
Article
2 – Parle-t-on de « personne » de manière
univoque à propos de Dieu et des créatures ? |
[1896] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod persona univoce dicatur de Deo et creaturis. Quantumcumque enim aliqua differant, univoce convenire possunt in negatione aliqua ; sicut hoc quod est non esse lapidem, univoce convenit Deo et homini. Sed ratio personae consistit in negatione ; est enim individua substantia. Ergo videtur quod univoce Deo, et creaturis conveniat. |
Difficultés : 1. Il semble que «personne»
se dise univoquement de Dieu et des créatures. En effet, quelque grande que
soit la différence entre des êtres, elles peuvent convenir de manière
univoque dans une certaine négation ; par exemple, cela même qui
consiste à ne pas être une pierre convient univoquement à Dieu et à l’homme.
Mais la notion de personne consiste dans une certaine négation ; la
personne en effet est une substance non-divisée. Il semble donc qu’elle
convienne univoquement à Dieu et aux créatures. |
[1897] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de aliquibus secundum unum nomen et unam rationem, univoce eis convenit. Sed nomen personae et definitio assignata convenit Deo et creaturis, ut patet per Boetium, de duabus naturis, cap. IV, col. 1354. Ergo videtur quod univoce dicatur. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
s’attribue à plusieurs selon un même nom et une même définition leur convient
univoquement. Mais le nom de personne ainsi que la définition assignée à ce
nom convient à Dieu et aux créatures, comme on le voit chez Boèce [Les
Deux Natures, T. 11 ch. IV, col. 1345]. Il semble donc que ce nom se dise
univoquement de Dieu et des créatures. |
[1898] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, si non dicitur univoce, aut dicitur aequivoce aut analogice. Sed non aequivoce, quia omnia quae in definitione ponuntur, non aequivoce dicuntur de Deo et creaturis, ut ex dictis patet, art. praeced., nec etiam analogice, quia nihil analogice dictum de Deo et creaturis, per prius est in creatura quam in Deo ; sicut hoc nomen persona, quod a creaturis translatum est ad divina. Ergo persona univoce dicitur de Deo et creaturis. |
3. En outre, si ce nom ne se
dit pas univoquement, il se dit soit par homonymie, soit par analogie. Mais
il ne se dit pas par homomymie, car tout ce qui est placé dans la définition
ne se dit pas par homonymie de Dieu et des créatures, comme on le voit en
s’appuyant sur ce qui a été dit dans l’article précédent, ni par analogie,
car rien de ce qui se dit par analogie de Dieu et des créatures ne se
retrouve en priorité dans la créature plutôt qu’en Dieu, comme c’est le cas
pour le nom de «personne» qui a été transporté à Dieu à partir des créatures.
Il semble donc que «personne» se dise univoquement de Dieu et des créatures. |
[1899] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 Contra, quaecumque non conveniunt in uno genere generalissimo, non potest de eis aliquid univoce dici. Sed Deus, cum non sit in genere, non convenit cum creatura in genere, nec in specie, nec in accidente, cum subjectum esse non possit, ut Boetius probat, lib. I De Trinit., cap. II, col. 1250, et sic de aliis. Ergo nec persona nec aliquid de Deo univoce et creaturis dicitur. |
Cependant : 4. Au contraire, pour les
choses qui ne se rencontrent pas dans un genre plus universel, rien ne peut
s’attribuer à elles de manière univoque. Mais Dieu, puisqu’il n’est dans
aucun genre, ne peut se rencontrer avec la créature dans aucun genre, dans
aucune espèce, dans aucun accident, puique Lui-même ne peut être un sujet,
ainsi que Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250] le prouve,
et il en est de même pour le reste. Donc le nom de «personne», comme rien
d’autre, ne peut s’attribuer à Dieu et aux créatures de manière univoque. |
[1900] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, persona significat distinctum in natura aliqua. Sed non est eadem ratio distinctionis in divinis, Angelis et hominibus ; quia in divinis est distinctio per solas relationes originis, in Angelis per proprietates absolutas, in hominibus utroque modo, ut dicit Richardus, IV de Trin., c. XIII et XIV, col. 938. Ergo persona aequivoce dicitur de his. |
5. Par ailleurs, «personne»
signifie un être distinct dans une certaine nature. Mais la définition de la
distinction n’est pas la même en Dieu, chez les Anges et chez les
hommes ; car en Dieu la distinction n’a lieu que par les seules
relations d’origine, chez les Anges par les propriétés absolues, et chez les
hommes des deux manières comme le dit Richard de Saint-Victor [IV De
la Trinité, ch. XIII et XIV, col. 938]. Donc, «personne» s’attribue à eux
de manière équivoque. |
[1901] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod persona dicitur de Deo et creaturis, non univoce nec aequivoce, sed secundum analogiam ; et quantum ad rem significatam per prius est in Deo quam in creaturis, sed quantum ad modum significandi est e converso, sicut est etiam de omnibus aliis nominibus quae de Deo et creaturis analogice dicuntur. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire
que «personne» se dit de Dieu et des créatures non de manière univoque ni par
homonymie, mais par analogie ; et quant à la chose signifiée, elle se
retrouve en priorité en Dieu plutôt que dans les créatures, mais quant au
mode de signifier c’est l’inverse, tout comme c’est aussi le cas pour tous
les autres noms qui se disent aussi de Dieu et des créatures par analogie. |
[1902] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod individuum, quamvis secundum rationem nominis importet negationem quamdam, tamen talis negatio fundatur super aliquam rem, scilicet super distinctionem alicujus principii distinguentis, in quo non univocatur Deus et creatura. Et praeterea in definitione personae non tantum ponitur hoc nomen, individuum, sed etiam substantia, et quaedam alia quae Deo et creaturis univoce convenire non possunt: nisi forte diceretur, quod persona est nomen accidentis, scilicet intentionis, et non nomen rei, et quod substantia ponitur in definitione personae sicut subjectum in definitione accidentis, ut cum dicitur: simum est nasus curvus. Sed hoc est contra intentionem Boetii, qui venatur differentiam personae per divisionem substantiae. |
Solutions : |
[1903] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum philosophum, III Metaph., text. 4 quorumdam rationes nihil prohibet non univocas esse: unde sicut nomen personae non univoce dicitur de Deo et creaturis, sed analogice, ita etiam et definitio. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que d’après le Philosophe [111 Métaphysique, texte 4] rien
n’empêche que les définitions de certaines choses ne soient pas
univoques : c’est pourquoi, tout comme le nom de personne ne se dit pas
univoquement de Dieu et des créatures mais par analogie, il en est de même
aussi de la définition. |
[1904] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen persona quantum ad rem significatam, prius et verius est in Deo quam in creaturis, [unde est in illis analogice Éd. de Parme] ; sed quantum ad modum significandi et impositionem nominis familiarius convenit creaturis. |
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[1905] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 4 Quartum concedimus. |
4. La
quatrième argumentation est concédée. |
[1906] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio personae importat distinctionem in communi ; unde abstrahitur a quolibet modo distinctionis ; et ideo potest esse una ratio analogice in his quae diversimode distinguuntur. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la definition de la personne implique une distinction universelle qui fait abstraction de toute modalité de distinction; et c’est pourquoi elle peut être une définition par analogie pour les choses qui se distinguent de plusieurs manières. |
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Articulus 3 [1907] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 tit. Utrum persona sit commune tribus personis |
Article 3 – La personne est-elle commune aux trois personnes ? |
[1908] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod persona non sit commune in Trinitate. Quidquid enim communiter convenit tribus personis, significat essentiam, et singulariter praedicatur, ut sapientia, bonitas et hujusmodi ; nec in ipso personae distinguuntur. Sed persona pluraliter praedicatur in Trinitate, et in persona Pater et Filius distinguuntur. Ergo persona non est commune in Trinitate. |
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[1909] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne commune quod est de ratione alicujus se habet sicut universale. Si igitur persona sit commune Patri et Filio, et non sit extra rationem utriusque, quia alias esset accidens ; videtur quod sit universale. Sed totum universale non est in divinis. Ergo persona non est commune. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est
commun et fait partie de la définition d’une chose se présente comme un
universel. Si donc le nom de personne était commun au Père et au Fils il ne
serait pas extérieur à la définition des deux, autrement il serait un
accident ; il semble donc qu’il soit un universel. Mais en Dieu il n’y a
pas de tout universel. Donc, «personne» n’est pas un nom commun aux trois
personnes. |
[1910] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 3 Si dicas, quod est commune secundum rationem, et non secundum rem ; contra. Quia etiam in universali non est eadem ratio numero, ut eadem humanitas in diversis particularibus ; sed solum eadem secundum rationem. Ergo videtur quod hoc non impediat rationem universalis. |
3. Si tu dis que ce nom est commun
selon la raison et non en réalité, je dis par contre que même dans
l’universel il n’y a pas une seule et même définition par le nombre comme une
même humanité dans différents particuliers, mais seulement selon la raison.
Il semble donc que cela n’empêche pas la définition de l’universel. |
[1911] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod de se habet rationem incommunicabilis, non potest dici commune, quia haec sunt opposita. Sed persona habet rationem incommunicabilis. Ergo non potest dici communis [Ergo… communis Om. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod non possit esse communis. |
4. Par ailleurs, on ne peut dire
qu’est commun ce qui de soi par définition est incommunicable, car ces deux
notions sont opposées. Mais la «personne» est par définition incommunicable.
On ne peut donc dire d’elle qu’elle est commune [donc…commune om. Éd.
de Parme]. Il semble donc que la personne ne puisse être commune. |
[1912] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur ab Augustino. |
Cependant : 1. Ce qui est dit par Saint-Augustin dans
la Lettreest contraire à ce qu’on conclut dans ces arguments. |
[1913] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nihil potest connumerari alicui nisi in eo quod est commune utrique. |
2. Par ailleurs, une réalité ne
peut être comptée avec une autre que par ce qui est commun aux deux. |
[1914] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod est duplex communitas: scilicet rei et rationis. Et dico communitatem rei quando aliquid unum et idem numero convenit pluribus ; et talis communitas naturae non est nisi in divinis personis, nec aliqua talis communitas est in Trinitate, nisi essentiae, et eorum quae ad essentiam pertinent, ut attributorum et operationum et negationum et relationum essentialium. Communitas autem rationis est, secundum quam persona communis dicitur in Trinitate. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il existe
deux sortes de communautés : à savoir celle de la chose et celle de la
raison. Et je dis qu’il y a une communauté de chose quand une seule et même
chose par le nombre convient à plusieurs ; et une telle communauté de
nature n’existe que dans les personnes divines, et cette communauté
n’appartient dans la Trinité qu’à l’essence et à ce qui se rapporte à
l’essence, comme les attributs et les opérations, les négations et les
relations essentielles. Mais la communauté de raison est celle selon laquelle
on dit de la personne qu’elle est commune à la Trinité. |
Hoc autem diversimode assignatur a diversis. Quidam enim dicunt, quod est commune secundum rationem negationis, eo quod in definitione personae cadit individuum, quod dicit negationem. Unde dicunt, quod talis communitas rationis, quae est per negationem tantum, non facit universale. Sed hoc non videtur sufficiens: quia persona de ratione sua non dicit negationem tantum, sed etiam positionem quamdam. |
Mais cela a été attribué
différemment par différents auteurs. Certains disent en effet que la personne
est commune selon la raison de négation, du fait que dans la définition de la
personne on retrouve «individu» qui dit une négation. De là ils disent qu’une
telle communauté de raison, qui se fait seulement par la négation, ne la rend
pas universelle. Mais cela ne semble pas suffisant : car la personne, de
par sa définition, ne dit pas seulement une négation, mais aussi une certaine
affirmation. |
Unde alii dicunt, quod est communitas secundum rationem proportionis, sicut dicimus, quod sicut se habet rector in civitate, ita nauta in navi ; et sic dicunt, quod persona est commune [communis Éd. de Parme] Patri et Filio: quia sicut Pater se habet ut subsistens ad naturam divinam, ita et Filius. |
De là d’autres disent que
«personne» dit une communauté selon un rapport de proportion, comme nous disons
que ce que le gouverneur est à la cité, le capitaine l’est au navire ;
et ils disent ainsi que la personne est quelque chose de commun
[commune Éd. de Parme] au Père et au Fils : car tout comme
le Père se présente comme subsistant par rapport à la nature divine, il en
est de même pour le Fils. |
Alii dicunt, quod est communitas secundum rationem intentionis ; sicut dicitur quod color et animal conveniunt in intentione generis. Sed haec duo dicta in idem referuntur: quia communitas intentionum non est nisi secundum proportionem communis ad proprium, vel e contrario. Et hoc etiam non videtur sufficere: quia persona non tantum nominat intentionem vel habitudinem alicujus subsistentis ad naturam communem, sicut hoc nomen suppositum vel particulare vel aliquid hujusmodi ; sed magis nominat illam rem cui accidit talis intentio: unde communitas personae in divinis non potest esse secundum communitatem talis habitudinis vel intentionis ; sed ista communitas est, qua hoc nomen suppositum commune est tribus personis. |
D’autres disent que «personne» dit
une communauté selon la raison d’intention, tout comme nous disons que la
couleur et l’animal se rencontrent dans l’intention de genre. Mais ces deux
dernières opinions reviennent au même : car la communauté des intentions
n’existe que d’après le rapport du commun au propre ou du propre au commun.
Et cela ne semble pas non plus suffire : car le nom de «personne» ne
nomme pas seulement une intention ou le rapport de ce qui subsiste à l’égard
d’une nature commune, comme le nom de suppôt, de particulier ou quelque chose
de la sorte, mais il nomme plutôt cette chose à laquelle survient cette
intention : c’est pourquoi la communauté de personne ne peut exister
dans les personnes divines selon la communauté d’un tel rapport ou d’une
telle intention ; mais cette communauté est celle par laquelle ce nom
est posé comme étant commun aux trois personnes. |
Et ideo aliter dicendum, quod praeter has communitates [quae aliquo modo includuntur in communitate personae add. Éd. de Parme], est ibi communitas rationis fundata in re ; [sicut dicimus quod ratio animalis est communis homini et asino add. Éd. de Parme]. Sed ratio fundata in re est duplex: quia quaedam est communis, sicut ratio animalis, et quaedam est specialis, sicut ratio hominis. Sic etiam est in divinis, quod cum realiter sit ibi relatio, est ibi communis ratio relationis. |
Et c’est pourquoi il faut plutôt
dire qu’en dehors de ces communautés [qui d’une certaine manière sont inclues
dans la communauté de personne add. Éd. de Parme], il y a là une
communauté de notion fondée dans la réalité ; [tout comme nous disons
que la notion d’animal est commune à l’homme et à l’âne add. Éd. de
Parme]. Mais la notion fondée dans la réalité est double : car l’une
est commune, comme la notion d’animal, et l’autre est particulière, comme la
notion d’homme. Et il en est aussi de même pour les personnes divines à
savoir qu’alors que la relation existe réellement là, la notion de relation y
est commune. |
Item, cum realiter sit ibi paternitas, est ibi specialis ratio paternitatis realiter: unde relatio est communis paternitati et filiationi, sicut ratio communis in rationibus specialibus. Non tamen ex hoc sequitur quod relatio sit universale ad paternitatem et filiationem: quia omne universale est secundum aliud et aliud esse in suis inferioribus, sed in divinis non est nisi unum esse, unde idem esse relationis est in paternitate et filiatione: unde communis ratio in divinis non potest distingui per esse, sed solum per speciales rationes. |
En outre puisqu’il y a réellement
là paternité, il y a là réellement une notion particulière de
paternité : de là il y a une notion commune à la paternité et à la
filiation, tout comme il y a une notion commune dans les notions
particulières. Il ne suit cependant pas de là que la relation à l’égard de la
paternité et de la filiation soit universelle : car tout universel
existe selon des existences différentes dans ses inférieurs alors que dans
les personnes divines il n’y a qu’une seule et même existence et c’est pourquoi
l’existence de la relation est la même dans la paternité et dans la
filiation : c’est pourquoi la notion commune ne peut être distinguée en
Dieu par l’existence, mais uniquement par des notions particulières. |
Et inde est quod nihil unum secundum specialem rationem potest numero multiplicari in divinis. Ita dico de persona quod persona in divinis significat communiter rationem distincti subsistentis in tali natura, et Pater significat relationem distincti speciali ratione subsistentis in natura communi, et similiter Filius: et inde patet quod persona secundum rem non est communis Patri et Filio: quia non est numero una persona utriusque, sicut una numero essentia: sed sicut habens rationem communem est commune habentibus rationes speciales et proprias in quibus distinguuntur, nec tamen est universale: quia non est secundum aliud et aliud esse in patre et filio. |
Et c’est de là que rien de ce qui
est un par une notion particulière ne peut se multiplier par le nombre en
Dieu. Je dis ainsi au sujet de la personne que la personne dans les personnes
divines signifie communément la notion d’un être distinct subsistant dans
telle nature, et que le Père signifie la relation par la notion distincte et
particulière de ce qui subsiste dans une nature commune et qu’il en est de
même du Fils : et il est clair à partir de là que la personne dans la
réalité n’est pas commune au Père et au Fils : car il n’y a pas une
seule et même personne numériquement parlant pour les deux, comme il n’y a
qu’une seule essence numériquement parlant pour les deux : mais la
notion de personne est commune au Père et au Fils comme ce qui a une notion
commune est commun à ceux qui possèdent des notions particulières et propres
dans lesquelles ils se distinguent, et cependant cette notion commune n’est
pas universelle, car elle n’existe pas d’après des existences qui seraient
différentes dans le Père et le Fils. |
[1915] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod persona non est communis communitate rei, sicut essentia: et ideo quamvis secundum rem non differat ab essentia, non tamen significat per modum essentiae ; et similiter cum dicitur quod Pater distinguitur a Filio in persona, non intelligitur quod sit distinctio in ratione communi personae, sed solum in ratione speciali, quae est ratio Patris. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la personne n’est pas commune par une communauté réelle, comme
l’essence ; et c’est pourquoi, bien que selon la réalité elle ne diffère
pas de l’essence, elle ne signifie cependant pas à la manière de
l’essence ; et il en est de même lorsqu’on dit que le Père se distingue
du Fils comme personne, on n’entend pas par là qu’il y a distinction dans la
notion commune de personne, mais seulement dans la notion particulière qui
est la notion de Père. |
[1916] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod persona non est de ratione Patris, si proprie accipiatur: quia in divinis non proprie est definitio, sicut nec genus et species. Si tamen in hoc non fiat vis, tunc dicendum, quod si sit de ratione Patris, non tamen est secundum aliud esse in Patre et Filio: [et ideo non est commune eis per modum universalis, sed secundum rationem tantum. add. Éd. de Parme] |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la personne ne fait pas partie de la définition du Père, si définition se
prend au sens propre : car en Dieu il n’y a pas à proprement parler
définition, tout comme il n’y a ni genre ni espèce. Si cependant il n’y avait
aucune force dans cette raison, alors il faut dire que si personne faisait
partie de la définition du Père, ce ne serait cependant pas d’après une
existence différente dans le Père et le Fils : [et c’est pourquoi la
personne ne leur est pas commune à la manière d’un universel, mais uniquement
selon la raison add. Éd. de Parme]. |
[1917] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. Et par
là la solution à la troisième difficulté est évidente. |
[1918] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis id quod est persona, sit incommunicabile, nihil tamen prohibet intentionem personae esse communem, sicut Socrates est incommunicabilis, et tamen ratio individui vel intentio communis est, sicut e contrario intentio generis designatur ut particularis, quando contrahitur ad hoc genus: similiter etiam ratio personae, inquantum persona est, quamvis non nominet intentionem [particularem add. Éd. de Parme], tamen est communis, eo quod non dicit specialem rationem distinctionis, sed generalem ; sicut etiam individuum vagum, ut aliquis homo, est aliquo modo commune, prout non dicit hanc vel aliam rationem individuationis, sed individuationem tantum in communi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que bien que ce qui est une personne soit incommunicable, rien cependant
n’empêche l’intention de personne d’être commune, tout comme par exemple
Socrate est incommunicable, et cependant la notion d’individu ou l’intention
est commune, tout comme au contraire l’intention de genre est
désignée comme particulière lorsqu’elle est déterminée à tel genre : de
même encore la notion de personne en tant que personne, bien qu’elle ne nomme
pas une intention [particulière add. Éd. de Parme], est cependant commune, du
fait qu’elle ne dit pas une notion particulière de distinction, mais une
notion générale ; tout comme l’individu indéterminé, par exemple un
certain homme, est en un certain sens commun pour autant qu’il ne dit pas
telle ou telle notion de l’individuation, mais seulement l’individuation en
général. |
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Articulus 4 [1919] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 tit. Utrum tres personae possint dici tres res |
Article 4 – Peut-on dire que les trois personnes sont trois choses ? |
[1920] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod tres personae non possint dici tres entes, vel tres res. Quidquid enim absolute praedicatur in divinis, hoc singulariter de tribus praedicatur. Sed ens et res dicuntur absolute. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’on ne puisse dire des
trois personnes qu’elles sont trois étants ou trois réalités. En effet, tout
ce qui s’attribue à Dieu à la manière d’un absolu s’attribue aux trois
personnes au singulier. Mais l’étant et la réalité s’attribuent absolument.
Donc, etc. |
[1921] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut est una deitas Patris et Filii, ita unum esse et una quidditas. Sed una quidditas et unum esse non dicitur nisi unus Deus. Ergo eadem ratione non debent tres personae dici tres entes vel tres res ; cum nomen entis imponatur ab esse, et nomen rei a quidditate, ut dicit Avicenna, tract. IV Métaph., cap. V. |
2. Par ailleurs, tout comme il n’y
a qu’une seule divinité pour le Père et le Fils, de même il n’y a pour eux
qu’une seule existence et une seule quiddité. Mais une seule quiddité et une
seule existence ne se disent que pour un seul Dieu. Donc, pour la même raison
on ne doit pas dire des trois personnes qu’elles sont trois étants ou trois
réalités, puisque le nom d’étant est imposé à partir du terme ¨exister¨ et le
nom de réalité à partir du terme ¨quiddité¨, comme le dit Avicenne [IV Métaphysique,
ch. V] |
[1922] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, Pater et Filius non distinguuntur nisi relationibus. Sed relatio, quantum ad respectum, quo distinguit, non habet quod ponat aliquid. Ergo videtur quod ex hoc quod relationibus distinguuntur, non possunt dici tres entes, vel tres res. |
3. En outre, le Père et le Fils ne
se distinguent que par les relations. Mais la relation, quant au rapport par
lequel elle distingue, n’a pas à poser quelque chose. Il semble donc que du
fait qu’ils se distinguent par les relations, ils ne puissent être appelés
trois étants ou trois réalités. |
[1923] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Damascenus, lib. Fide orth., dicit quod tres personae re non differunt, sed ratione et cognitione distinguuntur. Sed quaecumque distinguuntur sola ratione, non sunt tres res. Ergo et cetera. |
4. Par ailleurs, Damascène, dans
son livre intitulé De la Foi Orthodoxe, dit que les trois
personnes ne diffèrent pas par la réalité, mais qu’elles se distinguent par
la raison ou par la connaissance. Mais tout ce qui ne se distingue que par la
raison ne peut être trois réalités. Donc, etc. |
[1924] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, Augustinus, lib. I De doct. Christ., cap. V, col. 21) dicit: Res quibus fruendum est, sunt Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ergo, et cetera. |
Cependant : 1. Au contraire, Saint-Augustin [1 De
la doctrine Chrétienne, ch. V, col. 21] dit : Les réalités
dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, etc. |
[1925] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quaecumque realiter distinguuntur sunt plures res. Sed Pater et Filius et Spiritus sanctus realiter distinguuntur. Ergo et cetera. Probatio mediae. Sicut ratio sapientiae est in Deo, ita ratio paternitatis realiter. Sed propter realem rationem sapientia dicitur Deus realiter sapiens. Ergo et eadem ratione dicetur realiter pater: ergo realiter relatus: ergo et realiter distinctus: quia haec invicem per se consequuntur. |
2. Par ailleurs, toutes les choses
qui se distinguent réellement sont plusieurs réalités. Mais le Père, le Fils
et l’Esprit-Saint se distinguent réellement. Donc, etc. Preuve de la mineure. Tout comme la notion de sagesse est en
Dieu, de même la notion de paternité y est réellement. Mais à cause de la
notion réelle de sagesse on dit de Dieu qu’il est réellement sage. Donc, pour
la même raison on dira qu’il est réellement père, et donc qu’il est
réellement relatif et par conséquent réellement distinct ; car ces
notions découlent essentiellement les unes des autres. |
[1926] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod secundum Avicennam, ut supra dictum est, dist. 2, qu. 1, art. 3, hoc nomen « ens » et « res » differunt secundum quod est duo considerare in re, scilicet quidditatem et rationem ejus, et esse ipsius ; et a quidditate sumitur hoc nomen « res ». |
Corps de l’article : 1. Je réponds qu’il faut dire que d’après
Avicenne, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. 1, art. 3], ce
nom, à savoir «ens», c’est-à-dire «étant», et «res», c’est-à-dire «chose»,
diffèrent selon qu’il y a deux choses à considérer dans la chose,
c’est-à-dire sa quiddité ou sa définition, et son existence ; et c’est
de «quiddité» que se tire ce nom «res». |
Et quia quidditas potest habere esse, et in singulari quod est extra animam et in anima, secundum quod est apprehensa ab intellectu ; ideo nomen rei ad utrumque se habet: et ad id quod est in anima, prout res dicitur a « reor reris », et ad id quod est extra animam, prout res dicitur quasi aliquid ratum et firmum in natura. |
Et parce que la quiddité peut posséder
l’existence, à la fois dans le singulier qui est en dehors de l’âme et dans
l’âme selon qu’elle est appréhendée par l’intelligence, c’est pourquoi le nom
de «chose» peut se rapporter aux deux formes d’existence : à la fois à
celle qui est dans l’âme, pour autant que que «res» se dit à partir de «reor
reris», c’est-à-dire à partir de «je pense», et à celle qui est en dehors de
l’âme, pour autant que «res» ou «chose» dit ce qui est pensé et possède une
existence ferme dans une nature. |
Sed nomen entis sumitur ab esse rei: et ideo cum unum et idem sit esse trium personarum, si ens sumatur substantive, non potest pluraliter praedicari de tribus personis: quia forma a qua imponitur, scilicet esse, non multiplicatur in eis. Si autem sumatur participialiter et adjective, sic pluraliter praedicari potest: quia hujusmodi recipiunt numerum a suppositis, et non a forma significata, ut dictum est, dist. XXII, qu. 1, art. 1. |
Mais le nom d’étant se tire de
l’existence de la chose : et c’est pourquoi, puisqu’il n’y a qu’une
seule et même existence pour les trois personnes, si étant se prend comme
substantif, il ne peut s’attribuer au pluriel aux trois personnes parce que
la forme à partir de laquelle le nom est imposé, à savoir l’existence, n’est
pas multipliée en elles. Mais si étant se prend comme participe et adjectif,
alors il peut s’attribuer au pluriel car le participe et l’adjectif reçoivent
leur nombre des suppôts et non de la forme signifiée, ainsi que nous l’avons
dit [dist. XXII, quest. 1, art. 1] |
Sed quidditas sive forma, a qua sumitur nomen rei in divinis, consideratur dupliciter. Aut ut forma absoluta, ut essentia vel deitas et hujusmodi, quae non multiplicantur in divinis: unde et nomen rei, quod a tali forma sumitur, pluraliter non praedicatur, sed singulariter ; prout dicitur quod Pater et Filius sunt una res. Est etiam in divinis quaedam forma relativa, ut paternitas, quae secundum rationem non solum in intellectu existentem, sed etiam extra, est alia a filiatione. |
Mais la quiddité ou la forme de
laquelle se tire le nom de réalité en Dieu se considère de deux manières.
Soit comme forme absolue, comme l’essence ou la divinité qui ne sont pas
multipliées en Dieu : de là le nom de réalité aussi, qui se tire d’une
telle forme, ne s’attribue pas au pluriel mais au singulier selon qu’on dit
du Père et du Fils qu’ils sont une seule et même réalité. Mais il y a aussi
en Dieu une forme qui est relative, comme la paternité, qui est autre que la
filiation non seulement selon la définition qui existe dans l’intelligence,
mais aussi en dehors de l’intelligence. |
Unde secundum quod ab hac relatione sumitur nomen rei, res pluraliter praedicatur, ut sint ibi plures tales formae relativae: et secundum hoc dicimus, quod Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt tres res, non tantum in anima, sed etiam extra animam, habentes firmitatem in natura. |
C’est pourquoi, selon que le nom de
réalité se tire de cette relation, réalité s’attribue au pluriel de telle
manière qu’il y a là plusieurs formes relatives de cette sorte : et
c’est d’après cela que nous disons que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint
sont trois réalités non seulement dans l’âme, mais aussi en dehors de l’âme,
jouissant de la fermeté de leur nature. |
[1927] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nomen entis nullo modo sumitur ab aliqua relatione, sed ab esse quod absolutum est simpliciter in divinis: et ideo non praedicatur pluraliter ex forma sua, sed ex supposito, prout est adjectivum vel participium. Sed nomen rei imponitur a quidditate vel forma, quae potest esse et absoluta et relata: et ideo potest pluraliter praedicari, quamvis secundum nomen ad aliud non referatur: quia ad rationem rei accidit absolutum vel relatum, sicut animali accidit quod sit rationale et irrationale. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
le nom «ens», c’est-à-dire «étant» ne se tire aucunement d’une relation mais
de «esse», c’est-à-dire «exister» qui est purement un absolu en Dieu :
et c’est pourquoi il ne s’attribue pas au pluriel à partir de sa forme, mais
à partir du suppôt, pour autant qu’il est un adjectif ou un participe. Mais
le nom de «res», ou de réalité est imposé à partir de la quiddité ou de la
forme qui peut être et absolue et relative : et c’est pourquoi il peut
s’attribuer au pluriel, bien que selon le nom il ne se rapporte pas à quelque
chose d’autre : car à la notion de réalité survient l’absolu ou le
relatif, tout comme il arrive à l’animal d’être rationnel ou irrationnel. |
[1928] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit unum esse sicut et deitas, tamen ens est adjectivum et Deus est substantivum: unde non est eadem ratio. Si autem per quidditatem intelligitur non solum ratio [natura Éd. de Parme] absoluta, sed ratio vel intentio cujuscumque vel substantiae vel accidentis vel relationis ; sic in divinis quamvis sit una quidditas absoluta, tamen sunt plures rationes relationum realium, et ita plures quidditates quodammodo ; quamvis hoc non possit proprie concedi: quia quidditas et essentia et definitio est simpliciter tantum substantiarum, ut probat philosophus, VII Metaph., et inde est quod nomen rei praedicari potest pluraliter et singulariter. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien qu’il n’y ait qu’une seule existence tout comme une seule divinité,
cependant «étant» est un adjectif et Dieu est un substantif :
de là le raisonnement n’est pas le même. Mais si par quiddité on entend non
seulement la notion [nature Éd. de Parme] absolue, mais la notion
ou l’intention de quelque substance, accident ou relation, ainsi en Dieu bien
qu’il n’y ait qu’une seule quiddité absolue, cependant il y a plusieurs notions
de relations réelles et ainsi, en un sens, plusieurs quiddités, bien que cela
ne puisse être concédé à proprement parler parce que la quiddité, l’essence
et la définition n’appartiennent purement et simplement qu’aux seules
substances, comme le prouve le Philosophe [ VII Métaphysique] et
c’est de là que le nom de réalité peut être attribué au pluriel et au
singulier. |
[1929] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relatio quamvis non ponat ex illo respectu aliquid absolutum, tamen ponit relationis rationem realiter in Deo existentem: et ideo ex hoc potest dici res, et ex pluribus relationibus oppositis plures res. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la relation, bien qu’elle ne pose pas sous ce rapport quelque chose
d’absolu, pose cependant la notion de relation qui existe réellement en
Dieu : et c’est pourquoi à partir de là il peut être appelé réalité et
même, à partir de plusieurs relations opposées, plusieurs réalités. |
[1930] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 4 Ad dictum Damasceni responsum est supra, distinct. II, art. 4,[ubi glossatur, ratione, idest relatione ; et dicitur relatio ratio per comparationem ad essentiam. add. Éd. de Parme]. |
4. Par rapport à ce que dit
Damascène on a répondu plus haut (dist. 11, art. 4) [où il est interprété par
la notion, c’est-à-dire par la relation : et la relation est appelée
notion par rapport à l’essence add. Éd. de Parme]. |
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Distinctio 26 |
Distinction 26 – [Les hypostases[18] et les relations] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’hypostase] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo de hypostasi. Secundo de proprietatibus. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum hypostasis sit in divinis, et quid
ibi significet ; 2 utrum abstractis per intellectum
proprietatibus personalibus, remaneant hypostases distinctae. |
On s’interroge ici sur deux
choses : En premier lieu sur l’hypostase. Deuxièmement sur les propriétés. Au sujet du premier point on se demande
deux choses : 1. Y a-t-il hypostase en Dieu ? Et
si c’est le cas, que signifie-t-elle alors ? 2. Est-ce que les hypostases demeurent
distinctes si on abstrait les propriétés personnelles par
l’intelligence ? |
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Articulus 1 [1933] Super Sent. lib. 1 d. 26
q. 1 a. 1 tit. Utrum hypostases proprie dicatur in divinis |
Article 1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement à Dieu ? |
[1934] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod hypostasis non sit in divinis
proprie dicenda. Primo per hoc quod Hieronymus dicit in Littera, quod hoc
nomen non est bonae suspicionis, et quod venenum sub melle latet. |
Difficultés : 1. Il semble que l’hypostase ne
s’attribue pas proprement à Dieu. Et on peut d’abord le voir au moyen de ce
que Saint-Jérôme dit dans la Lettre, à savoir que ce nom n’est pas de bonne
conjecture et qu’il cache du venin sous le miel. |
[1935] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, sicut dicit Boetius, hypostasis nominat substantiam
subjectam accidentibus. Sed Deus non substat alicui accidenti, ut supra,
distinct. 8, quaest. 5, dixit Augustinus. Ergo non proprie potest dici
hypostasis. |
2. Par ailleurs, comme le dit Boèce,
l’hypostase désigne une substance qui est le sujet d’accidents. Mais Dieu ne
se tient sous aucun accident, comme l’a dit Saint-Augustin [dist. 8, quest.
5]. Il ne peut donc être appelé hypostase. |
[1936] Super Sent. lib. d. 26 q. 1 a. arg.3
Item, hypostasis nominat rem naturae, quae alicui naturae supponitur. Sed in
omni re naturae videtur quod natura sit majoris simplicitatis quam ipsa res
naturae, et quod res naturae addit aliquid supra naturam ; alias sicut est
una natura, ita esset una res naturae. Sed ubicumque est additio, ibi est
compositio. Ergo videtur quod omnis hypostasis sit composita. Sed in Deo non
est aliqua compositio. Ergo nec hypostasis. |
3. En outre, l’hypostase nomme une
chose de nature qui est ajoutée à une nature. Mais dans toute chose de nature
il semble que la nature soit d’une plus grande simplicité que la chose de
nature elle-même, et que la chose de nature ajoute quelque chose à la
nature ; autrement, comme il n’y a qu’une seule nature, de même il n’y
aurait qu’une seule chose de nature. Mais partout où il y a addition, il y a
là composition. Il semble donc que toute hypostase soit composée. Mais il n’y
a pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas d’hypostase. |
[1937] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, omnis hypostasis est subsistentia et essentia: quia omne
quod substat, subsistit et est. Si igitur in Deo est hypostasis, illa
hypostasis erit subsistentia et essentia: quod non videtur, quia dicimus tres
hypostases, non autem tres essentias vel subsistentias, secundum Boetium,
ibidem. Ergo videtur quod hypostasis in divinis nihil sit. |
4. Par ailleurs, toute hypostase
est une subsistance et une essence : car tout ce
qui soutient subsiste et existe. Si donc il y a hypostase en Dieu,
cette hypostase sera subsistance et essence : et il ne semble pas qu’il
en soit ainsi, car d’après Boèce au même endroit, nous disons trois
hypostases, mais non pas trois essences ou trois subsistances. Il semble donc
que l’hypostase ne corresponde à rien en Dieu. |
[1938] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 arg. 5 Praeterea, omne quod est in divinis, aut est absolutum aut ad
aliquid. Sed hypostasis non videtur in divinis significare absolutum ; quia
nihil absolutum in divinis distinguitur, secundum Augustinum, De fide
ad Petrum, cap. I, et Boetium, II De Trinit., cap. I ;
hypostasis autem distinguitur. Nec etiam est ad aliquid ; quia relatio in
divinis est distinguens, et hypostasis est distinctum. Ergo videtur quod
hypostasis non sit in divinis. |
5. Par ailleurs, tout ce qu’il y a en
Dieu est ou bien absolu, ou bien relatif. Mais l’hypostase ne semble pas
signifier l’absolu en Dieu ; car rien de ce qui est absolu en Dieu ne
distingue d’après Augustin [De la Foi à Pierre, ch. 1] et Boèce
[11 De la Trinité, ch. 1] ; mais l’hypostase distingue. Et
encore elle n’est pas une relation car la relation en Dieu est ce qui
distingue et l’hypostase est ce qui est distinct. Il semble donc qu’il n’y
ait pas d’hypostase en Dieu. |
[1939] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, omne indeterminatum se habet ad
determinatum sicut possibile et materiale. Sed persona se habet ad hypostasim
sicut determinatum ad indeterminatum, vel sicut distinctum ad distinguibile,
ut quidam dicunt: eo quod persona est hypostasis proprietate distincta ad
dignitatem pertinente. Ergo
cum in divinis nihil sit materiale et potentiale vel incompletum, videtur
quod in divinis non sit hypostasis. |
6. Par ailleurs, tout ce qui est
indéterminé se rapporte à ce qui est déterminé à la manière de ce qui est
possible et matériel. Mais la personne se rapporte à l’hypostase comme le
déterminé à l’indéterminé, ou comme le distinct à ce qui peut être distingué,
comme certains le disent, du fait que la personne est une hypostase distincte
par une propriété qui se rapporte à une dignité. Donc, puisqu’il n’y a rien
en Dieu qui soit matériel, potentiel ou incomplet, il semble qu’il n’y ait
pas d’hypostase en Dieu. |
[1940] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
s. c. 1 Contra, sicut supra dictum est, dist. 25, qu. 1, art. 1, idem dicunt
Graeci hypostasim, quod nos personam. Sed persona proprie dicitur in Deo, et
pluraliter de tribus, et singulariter de singulis. Ergo et similiter
hypostasis. |
Cependant : 1. Au contraire, tout comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 25, quest. 1, art. 1], ce que les Grecs appellent
hypostase est identique à ce que nous voulons signifier par le nom
«personne». Mais «personne» se dit proprement de Dieu, au pluriel des trois
personnes et au singulier pour chacune d’elles. Il en est donc de même pour
l’hypostase. |
[1941] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod, ut ex dictis patet, et ex verbis Boetii, hypostasis apud
Graecos est principaliter individuum substantiae, quod nos substantiam primam
dicimus. Hoc autem est aliquid completum et distinctum et incommunicabile in
natura substantiae. Unde hypostasis divina erit illud quod est per se
subsistens, distinctum et incommunicabile. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire, comme on le
voit à partir de ce qui a été dit, qu’en nous appuyant sur les paroles de
Boèce, l’hypostase chez les Grecs est principalement l’individu d’une
substance que nous appelons substance première. Mais cela est quelque chose
de complet, de distinct et d’incommunicable dans la nature de la substance.
C’est pourquoi l’hypostase divine sera ce qui est par soi subsistant,
distinct et incommunicable. |
Nihil autem absolutum est distinctum in
divinis, sed solum id quod est ad aliquid: et sicut essentia est ipsum quod
est secundum rem, ita realiter relatio distinguens est principium
[principium om. Ed. de Parme] ipsum distinctum ; et cum relatio
sit idem secundum rem quod essentia, ipsum distinctum relatione erit idem
secundum rem quod subsistens in essentia vel natura divina ; et hoc
significat nomen « hypostasis ». |
Mais rien d’absolu en Dieu n’est
distinct, mais seulement ce qui est relatif : et tout comme l’essence
est cela même qui existe en réalité, de même la relation qui distingue est
réellement le principe [principe om. Éd. de Parme] distinct
lui-même ; et puisque la relation est identique en réalité à l’essence,
cela même qui est distinct par la relation sera identique en réalité à ce qui
subsiste dans l’essence ou la nature divine ; et c’est cela que signifie
le nom «hypostase». |
Unde dico, quod nomen
« hypostasis » in divinis significat relationem ut distinctam per
modum subsistentis in natura divina, ut dictum est de nomine personae ; sed
differt, quia hypostasis de ratione sua non includit determinatam rationem
distinctionis, sed nomen personae specialem includit distinctionis rationem
quae ad dignitatem pertinet, prout dicit quid subsistens in natura nobili,
scilicet intellectuali: quamvis hoc idem dicat nomen hypostasis ex usu
Graecorum, ut Boetius dicit, ubi supra. Sed hoc nomen « Pater »
ulterius significat distinctum, exprimendo specialem et determinatam rationem
distinctionis ad nobilitatem pertinentem, scilicet relationem paternitatis. |
De là je dis que le nom «hypostase»
signifie en Dieu signifie la relation en tant que distincte à la manière de
ce qui subsiste dans la nature divine, comme nous l’avons dit au sujet du nom
«personne» ; mais il y a une différence car l’hypostase de par sa
définition n’inclut pas une notion déterminée de distinction, mais c’est
seulement le nom de personne qui inclut une notion spéciale de distinction
qui se rapporte à une dignité, pour autant qu’elle signifie ce qui subsiste
dans une nature supérieure, c’est-à-dire dans une nature intellectuelle, bien
que le nom d’hypostase dise également cela dans l’usage des Grecs, comme
Boèce le dit plus haut. Mais ce nom, à savoir «Père», signifie par le suite
un être distinct en exprimant une notion particulière et déterminée de
distinction se rapportant à une excellence, à savoir la relation de
paternité. |
Ex hoc patet quod ista quatuor se habent
consequenter: « hypostasis » enim dicit subsistens distinctum
quocumque modo. « Hypostasis » divina dicit subsistens distinctum
relatione, quia alia distinctio non potest esse in divinis.
« Persona » dicit distinctum distinctione relationis ad dignitatem
pertinentis. « Pater » in divinis dicit subsistens distinctum
relatione ad nobilitatem pertinente, quae est paternitas. |
Il est clair à partir de là que ces
quatre noms se présentent comme dans une séquence : «hypostase» en effet
signifie ce qui subsiste comme distinct de quelque manière que ce soit.
«L’hypostase» divine signifie ce qui subsiste comme distinct par la relation,
car il ne peut y avoir une autre sorte de distinction en Dieu. «Persona»
signifie ce qui est distinct par la distinction d’une relation qui se
rapporte à une dignité. «Père» signifie en Dieu ce qui subsiste comme
distinct par une relation qui se rapporte à une excellence qui est la
paternité. |
[1942] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nomen respondens
hypostasi in lingua Latina, scilicet substantia, aequivocatur ad substantiam
[substantiam om. Ed. de Parme] essentiam et ad substantiam primam, et ideo ne fieret
occasio deceptionis, noluit Hieronymus uti nomine hypostasis ante notam et
declarativam sive [declarativam sive om. Ed. de Parme)
determinatam ejus significationem ; ne ex distinctione hypostasis,
distinctionem essentiae haeretici, simplices [decipiendo add. Ed. de
Parme], arguerent. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
le nom qui correspond à hypostase dans la langue latine, à savoir le nom de
substance, prête à équivoque, car il peut être interprété à la fois comme
étant la substance [substance om. Éd. de Parme] en tant
qu’essence et comme étant la substance première ; et c’est pourquoi,
afin d’éviter toute occasion de confusion, Saint-Jérôme n’a pas voulu se
servir du nom d’hypostase avant que soit connue, manifestée ou [manifestée
ou om. Éd. de Parme] déterminée sa signification, afin que les
hérétiques n’induisent pas les simples en erreur en les amenant à poser une
distinction dans l’essence en partant d’une distinction dans l’hypostase. |
[1943] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis secundum rem in divinis non sit
aliquid sub alio vel substans alii per modum accidentis ; tamen intelligitur
aliquid substare quantum ad modum significandi, secundum quod etiam dicit
Damascenus, lib. I De fide orth., cap. IX col. 838, quod in
divinis quaedam significant id quod consequitur substantiam, ut bonitas,
sapientia, paternitas et hujusmodi ; et secundum hoc potest dici ibi nomen
hypostasis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien qu’en réalité il n’y ait pas en Dieu quelque chose qui se tient sous
un autre ou qui soutient un autre qui serait comme un accident, cependant on
entend que quelque chose soutient quant au mode de signifier, conformément à
ce que dit aussi Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 1CX, col.
838], à savoir qu’en Dieu il y a des termes qui expriment la substance, comme
la bonté, la sagesse, la paternité et d’autres termes de cette sorte. Et
c’est d’après cela que le nom d’hypostase peut se dire de Dieu. |
[1944] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hypostasis in Deo est
res etiam [etiam om. Éd. de Parme] naturae. Sciendum est enim quod individuum
substantiae dicitur dupliciter: vel ex eo quod substat naturae communi
[communi om. Éd. de Parme], vel ex eo quod substat accidentibus et
proprietatibus ; et quantum ad utrumque potest significari per nomen primae
intentionis, vel per nomen secundae intentionis. Per nomen primae
impositionis significatur ut substat naturae, hoc nomine res naturae ; et per
nomen secundae impositionis, hoc nomine quod est suppositum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’hypostase en Dieu est aussi [aussi om. Éd. de Parme] une
réalité de nature. Il faut en effet savoir que l’individu de la substance se
dit de deux manières : Soit du fait qu’il est le sujet d’une
nature commune [commune om. Éd. de Parme], Soit du fait qu’il est le sujet des
accidents et des propriétés ; et quant aux deux manières, il peut être
signifié par le nom de l’intention première ou par le nom de l’intention
seconde. Par le nom de la première imposition il est signifié comme le sujet
d’une nature par le nom de «res naturae», soit «chose de nature» ; et
par le nom de la seconde imposition il est signifié par ce nom de «suppôt». |
Similiter inquantum substat proprietati,
significatur nomine primae impositionis, quod est nomen hypostasis vel
personae, et nomine secundae impositionis, quod est singulare, ut individuum:
quae proprie non sunt in divinis, quia exprimunt determinatum modum
distinctionis, quod est per materiam ; sed loco horum dicitur ibi
incommunicabile. Nec tamen oportet quod natura sit aliquid simplicius quam
ipsa res naturae: quia in simplicibus, secundum Avicennam, quidditas
simplicis est ipsum simplex ; sed differt tantum quantum ad modum
significandi: quia quidditas significatur ut forma, et ipsa res simplex
significatur ut subsistens ; et distinctio in re naturae non est ex parte
naturae, sed ex parte relationum oppositarum subsistentium in natura illa. |
Et de la même manière, selon qu’il
est le sujet d’une propriété, il est signifié par le nom de la première
imposition qui est le nom d’hypostase ou de personne, et par le nom de la
deuxième imposition qui est le singulier ou l’individu, lesquels ne
conviennent pas à proprement parler à Dieu car ils expriment un mode
déterminé de distinction qui se fait par la matière, et au lieu de ces termes
on dit dans ce cas «incommunicable». Et il n’est pas nécessaire que la nature
soit quelque chose de plus simple que la chose de nature elle-même car dans
les réalités simples, selon Avicenne, la quiddité de la réalité simple est la
réalité simple elle-même ; mais il y a là cependant une différence
uniquement quant au mode de signifier car la quiddité est signifiée en tant
que forme et la réalité simple elle-même est signifiée en tant que
subsistante ; et la distinction dans la chose de nature ne vient pas du
côté de la nature, mais du côté des relations opposées qui subsistent dans
cette nature. |
[1945] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod persona, ut dictum est, dist. 25, qu. 1, art.
4, non distinguitur in divinis ex parte naturae, vel ex parte ipsius esse ;
sed solum ex parte proprietatum ; unde illa nomina quae dicuntur secundum
respectum ad proprietatem, pluraliter praedicantur, sicut
« hypostasis » et « persona » ; quae autem dicuntur per
respectum ad esse, praedicantur singulariter, ut « subsistentia »
et « essentia »: quamvis nomen subsistentiae apud usum sanctorum
sumatur pro hypostasi, ut prius dictum est. Sed quaedam sunt nomina quae
dicunt respectum ad naturam communem, quae etiam pluraliter praedicantur,
« ut res naturae » et « suppositum » ; quia quamvis non
dicant respectum ad proprietatem per modum formae, tamen, inquantum nominant
aliquid distinctum sub natura communi, significant in divinis relationes ut
subsistentes. « Subsistentia » autem et essentia non nominat
distinctum: unde etiam per prius sunt in generibus et speciebus quam in
individuis, secundum Boetium: et ideo si proprie accipiantur, pluraliter non
praedicantur, sicut est apud Graecos. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la personne, comme nous l’avons dit [dist. 25, quest. 1, art. 4] ne se
distingue pas en Dieu du côté de la nature, ou du côté de l’existence
elle-même, mais seulement du côté des propriétés ; c’est pourquoi ces
noms qui se disent d’après le rapport à la propriété s’attribuent au pluriel,
comme «hypostase» et «personne» ; mais ceux qui se disent par rapport à
l’existence s’attribuent au singulier, comme «subsistance» et «essence», bien
que le nom de subsistance se prenne pour hypostase dans l’usage qu’en font
les saints, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Mais il y a certains
noms qui disent une rapport à la nature commune et qui s’attribuent aussi au
pluriel, comme «res naturae», soit «chose de nature», et «suppôt» ; car
bien qu’ils ne disent pas un rapport à la propriété à la manière d’une forme,
cependant, pour autant qu’ils nomment quelque chose de distinct sous une
nature commune, ils signifient en Dieu les relations comme subsistantes. Mais
«subsistantia» et essence ne nomment pas quelque chose de distinct : de
là encore on les retrouve en priorité dans les genres et les espèces plutôt
que dans les individus, selon Boèce : et c’est pourquoi, si on les prend
au sens propre, ces termes ne s’attribuent pas au pluriel, comme c’est le cas
chez les Grecs. |
[1946] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod hypostasis, ut dictum est, in corp. art.,
significat in divinis relationem per modum substantiae: quia sicut propter
simplicitatem, idem est in Deo essentia et ens [esse Éd. de Parme]:
ita etiam idem est in eo relatio distinguens et distinctum relatione ; sed
differunt secundum modum significandi, qui fundatur in re, quia utrumque
nomen habet veram significationem suam in Deo ; et ideo differunt etiam
quantum ad modum supponendi, quia supposito uno non supponitur aliud. Sicut
enim dicimus quod Deus generat et deitas non generat: ita dicimus quod
hypostasis distinguitur et relatio distinguit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que l’hypostase, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, signifie
en Dieu la relation à la manière d’une substance : car tout comme
l’essence et l’étant [l’existence Éd,. de Parme] sont identiques
en Dieu en raison de sa simplicité, de même aussi en Lui la relation qui
distingue est identique à ce qui est distinct par la relation ; mais ils
diffèrent par la manière de signifier qui se fonde dans la réalité, car
chacun des deux noms possède sa véritable signification en Dieu ; et
c’est pourquoi ils diffèrent aussi quant à la manière de poser, car si l’un
est posé, l’autre ne l’est pas. Nous disons par exemple en effet que Dieu
engendre et que la divinité n’engendre pas : de même nous disons que
l’hypostase est quelque chose de distinct et que la relation distingue. |
[1947] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut nomen personae significat quid distinctum
in divinis, ita et nomen hypostasis ; sed nomen personae determinat specialem
modum distinctionis, scilicet per proprietatem nobilem, quod nomen hypostasis
non determinat ; unde se habent quasi sicut superius et inferius ; sicut
aliqua substantia est quodammodo magis communis quam aliquis homo. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
le nom d’hypostase, tout comme le nom de personne, signifie en Dieu un être
distinct ; mais le nom de personne détermine un mode spécial de
distinction, c’est-à-dire par une propriété qui est noble, ce que le nom
d’hypostase ne précise pas ; c’est pourquoi ils se présentent comme le
supérieur à l’égard de l’inférieur, tout comme une certaine substance est en
un sens plus commune qu’un certain homme. |
Sed ista determinatio et indeterminatio
communis et proprii, in rebus compositis reducitur ad materiale et formale
secundum rem, eo quod ratio generis fluit a materia, et ratio differentiae a
forma, ut dictum est: sed in rebus simplicibus non habet aliquid respondens
in re quod sit indeterminatum, quasi materiale, et forma adveniente
determinetur ; sed est solum quantum ad modum significandi, inquantum
utrumque illorum est vere significare in divinis. |
Mais cette détermination et cette
indétermination du commun et du propre se ramène dans les êtres composés au
matériel et au formel selon la chose, du fait que la notion de genre découle
de la matière et que la notion de différence découle de la forme, comme nous
l’avons dit : mais dans les êtres simples, il n’y a rien qui corresponde
dans la réalité à ce qui est indéterminé, qui est comme matériel et qui est
déterminé par une forme qui survient, mais seulement quant au mode de
signifier, pour autant qu’il faille véritablement signifier chacun de ces
deux aspects en Dieu. |
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Articulus 2 [1948] Super Sent., lib. 1 d. 26
q. 1 a. 2 tit. Utrum remotis relationibus per intellectum, hypostases
remaneant distinctae. |
Article 2 – Si on exclut en esprit les relations, les hypostases demeurent-elle distinctes ? |
[1949] Super Sent., lib. 1 d.
26 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod remotis relationibus per intellectum,
remaneant hypostases distinctae. Sicut enim dicit Augustinus, V De
Trinitate, cap. V, col. 913, in omni quod ad alterum dicitur, est
accipere aliquid quod per se dicitur ; quia relatum, non est relatum tantum,
sed etiam est aliquid. Si igitur hypostasis secundum relationem ad aliquid
dicitur, videtur quod praeter intellectum relationis, sit aliquid intelligere
subsistens ; et ita remotis proprietatibus relativis per intellectum, videtur
quod remaneant ipsae hypostases subsistentes. |
Difficultés : 1. Il semble que si on abstrait par
l’intelligence les relations des Personnes, les hypostases demeurent
distinctes. En effet, comme le dit Saint-Augustin [V De la Trinité,
ch. V, col. 913], dans tout ce qui se dit en relation à un autre, il faut
admettre quelque chose qui se dit par soi ; car le relatif n’est pas
seulement du relatif, mais aussi il est quelque chose. Si donc l’hypostase
selon la relation se dit par rapport à quelque chose, il semble qu’en dehors
de la conception de la relation, il y ait quelque chose de subsistant à
concevoir ; et ainsi, une fois abstraites les propriétés relatives par
l’intelligence, il semble que les hypostases elles-mêmes demeurent
subsistantes. |
[1950] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, hypostasis in divinis est perfectior
quam sit in creaturis. Sed in creaturis remoto per intellectum, vel secundum
rem, hoc quod una hypostasis ad aliam dicitur, adhuc remanent ipsae
hypostases, sicut Socrates et Plato. Ergo videtur quod etiam in divinis. |
2. Par ailleurs, l’hypostase en
Dieu est plus parfaite que dans les créatures. Mais dans les créatures, une
fois qu’est abstrait par l’intelligence ce qui est dit par une même hypostase
à l’égard d’une autre, les hypostases elles-mêmes, comme Socrate et Platon,
demeurent encore. |
[1951] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2
arg. 3 Item, omne quod cadit in definitione alicujus, potest intelligi, non
intellecto illo ; sicut remoto per intellectum rationali, per quod homo
constituitur, intelligitur animal, quod in definitione hominis ponitur. Sed
persona est hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo
remota per intellectum proprietate relativa, adhuc remanet hypostasis
distincta. |
3. En outre, tout ce qui tombe dans
la définition d’une chose peut être compris sans comprendre cette
chose ; par exemple, si on fait abstraction par l’intelligence de
rationnel qui entre dans la constitution de l’homme, on peut néanmoins
comprendre «animal» qui est placé dans la définition de l’homme. Mais la
personne est une hypostase distincte par une propriété qui se rapporte à une
dignité. Donc, une fois qu’on fait abstraction par l’intelligence d’une
propriété relative, l’hypostase demeure encore distincte. |
[1952] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, Pater habet quod est quis, et quod est Pater. Aut igitur ab
eodem, aut ab alio. Si ab eodem, tunc cum paternitate sit Pater, paternitate
erit quis. Sed in Filio non est paternitas. Ergo Filius non erit quis: quod
est falsum. Ergo oportet dare alterum, quod non ab eodem habeat. Remoto
igitur a Patre hoc quo Pater dicitur, adhuc remanet quod est quis. Sed
« quis » nominat hypostasim. Ergo remota relatione remanet hypostasis
distincta. |
4. Par ailleurs, c’est soit pour la
même raison, soit pour une autre que le Père est quelqu’un et qu’il est le
Père. Si c’est pour la même raison, alors, puisque c’est par la paternité
qu’il est Père, ce sera par la paternité qu’il est quelqu’un. Mais il n’y a
pas la paternité dans le Fils. Donc, le Fils ne sera pas quelqu’un : ce
qui est faux. Il faut donc accorder l’autre possibilité, à
savoir que ce n’est pas pour la même raison qu’il est Père et
qu’il est quelqu’un. Donc, si on abstrait du Père ce par quoi il est Père, il
reste encore qu’il est quelqu’un. Mais «quis», c’est-à-dire «quelqu’un»
désigne l’hypostase. Donc, si on enlève la relation, l’hypostase demeure
distincte. |
[1953] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2
s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, VI de Trinit., cap. II et
III, col. 925,in omnibus Pater et Filius unum sunt, praeter ea quae ad
aliquid dicuntur. Remoto igitur per intellectum hoc quo Pater ad alterum
dicitur, remanet solum id in quo Pater et Filius uniuntur. Sed hoc non potest
esse distinctum in divinis. Ergo remota relatione per intellectum, non
remanent hypostases distinctae. Hoc idem videtur per Boëtium, I de
Trin. Cap. VI, col. 1254, qui dicit quod in divinis sola relatio
multiplicat Trinitatem. |
Cependant : 1. Au contraire, comme le dit Saint-Augustin [ VI De la Trinité, ch. 11 et 111, col. 925], le Père et le Fils sont un en tout sauf pour ce qui se dit par la relation. Ayant donc enlevé par l’intelligence ce par quoi le Père se dit par rapport à un autre, il ne demeure que ce en quoi le Père et le Fils sont unis. Mais cela ne peut constituer une personne distincte en Dieu. Donc, si on abstrait la relation par l’intelligence, les hypostase ne demeurent pas distinctes. Cela se voit aussi chez Boèce [1 De la Trinité, ch. VI, col. 1254] qui dit qu’en Dieu, il n’y a que la relation qui cause la multiplicité des personnes dans la Trinité. |
[1954] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod duplex est opinio. Quidam dicunt, quod sicut est in creaturis,
quod remotis relationibus et proprietatibus, remanent ipsae hypostases
seipsis distinctae, ita est etiam in divinis ; unde dicunt, quod abstracta
personalitate, idest, relatione constituente personam, remanet hypostasis.
Sed hoc non videtur posse stare secundum fidei suppositum
[suppositionem Éd. de Parme], propter duo. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux
opinions à ce sujet. Certains disent que tout comme dans les créatures, si on
enlève les relations et les propriétés les hypostases elles-mêmes demeurent
distinctes les unes des autres, il en est de même pour les personnes
divines ; c’est pourquoi ils disent que si on fait abstraction de la
personnalité, c’est-à-dire de la relation qui constitue la personne, l’hypostase
demeure. Mais cela ne semble pas pouvoir tenir, pour deux raisons, d’après ce
que l’on pose [la position Éd. de Parme] dans la foi. |
Primo, quia cum pluralitas semper causetur
ex aliqua distinctione, et distinctio omnis sit vel per essentiam vel per
quantitatem vel per relationem, impossibile est in Deo esse aliquam
distinctionem nisi quam causat relatio. Unde remotis relationibus per
intellectum, simul tollitur ipse intellectus distinctionis. |
Premièrement, parce que puisque la
multiplicité est toujours causée à partir d’une certaine distinction, et que
toute distinction a lieu soit par l’essence, soit par la quantité, soit par
la relation, il est impossible qu’il y ait en Dieu une distinction si ce
n’est celle que cause la relation. C’est pourquoi, si on fait abstraction des
relations par l’intelligence, on fait disparaître du même coup la conception
même de la distinction. |
Secundo, quia in divinis nihil praedicatur
sicut accidens, vel sicut forma inhaerens alicui praeexistenti ; unde
quidquid significatur per modum formae, totum est subsistens. Unde sicut
remota essentia per intellectum, non remanet aliquid quasi recipiens illam
essentiam, quia ipsamet essentia est subsistens ; ita etiam remota bonitate
per intellectum, non remanet aliquid quasi recipiens bonitatem, quia ipsa
bonitas est subsistens ; et similiter remota relatione per intellectum, non
relinquitur aliquid quasi substratum illi relationi, sed ipsamet relatio est
res subsistens. |
Deuxièmement, parce qu’en Dieu rien
ne s’attribue à titre d’accident ou à titre de forme inhérente à un être
préexistant ; c’est pourquoi tout ce qui est signifié à la manière d’une
forme est totalement subsistant. De là, tout comme si on fait abstraction de
l’essence par l’intelligence, il ne reste rien qui puisse recevoir cette
essence car c’est l’essence elle-même qui est subsistante, de même encore si
on fait abstraction de la bonté par l’intelligence, il ne reste rien qui
puisse recevoir la bonté car la bonté elle-même est subsistante ; et il
en est de même encore si on fait abstraction de la relation par
l’intelligence, il ne reste rien à titre de substrat de cette relation, car
c’est la relation elle-même qui est une réalité subsistante. |
Unde abstracta relatione, proprie loquendo,
nihil manet, neque absolutum, neque relatum, neque hypostasis, neque
essentia. Sed verum est quod essentia potest intelligi, non intellecta
bonitate, ut dicit Boetius, lib. De hebd., col. 1311, et
similiter potest intelligi essentia, non intellecta paternitate vel
relatione, sicut Judaei intelligunt, sed non per modum abstractionis. Sed non
potest intelligi quod in divinis removeatur relatio et remaneat aliquid
subsistens relationi, quia ipsamet ibi subsistit. |
De là, si on fait abstraction de la
relation, à proprement parler, il ne reste rien, ni l’absolu, ni le relatif,
ni l’hypostase, ni l’essence. Mais il est vrai que l’essence peut être conçue
même si la bonté n’a pas été conçue, comme le dit Boèce [Les Semaines,
col. 1311] et de même l’essence peut être conçue même si la paternité ou la
relation ne l’a pas été, comme c’est le cas pour les Juifs mais non par mode
d’abstraction. Mais on ne peut concevoir, en ce qui concerne Dieu, qu’on
fasse abstraction de la relation et qu’il demeure quelque chose qui subsiste
à la relation, car c’est cette dernière elle-même qui subsiste dans ce cas. |
Et ideo concedimus cum aliis, quod remota
relatione, non manet hypostasis distincta in divinis ; tum quia non manet
distinctio, tum quia non manet subsistens relationi. Sed verum est quod si
nunquam essent relationes quas fides distinguit, Deus esset et substantia et
persona ex hoc quod subsisteret in esse suo, et substaret proprietatibus
essentialibus, quibus ab essentiis aliis distingueretur. |
Et c’est pourquoi nous concédons
avec d’autres que si on enlève la relation, il ne demeure plus en Dieu une
hypostase distincte, tant parce qu’il ne demeure plus de distinction que
parce qu’il ne reste rien qui subsiste à la relation. Mais il est vrai que si
jamais n’avaient existé les relations que la foi distingue, Dieu existerait
encore à la fois comme substance et comme personne du fait qu’il subsisterait
dans sa propre existence et se tiendrait dans ses propriétés essentielles par
lesquelles il se distinguerait des autres essences. |
[1955] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in divinis est accipere et absolutum et
relatum ; sed relatio non advenit absoluto sicut distinguens ipsum, sed per
omnimodam identitatem rei. Sed id quod distinguitur relatione, est ipsa
relatio ; et hoc potest significari per modum subsistentis ; et [sic
significatur nomine personae vel hypostasis Éd. de Parme], ut
patet ex dictis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’en Dieu il faut admettre à la fois l’absolu et le relatif ; mais la relation ne survient pas à l’absolu comme ce qui le distingue, mais par une identité réelle totale. Mais ce qui est distingué par la relation, c’est la relation elle-même et cela peut être signifié à la manière de ce qui subsiste ; et [cela est ainsi signifié par le nom de personne ou d’hypostase Éd. de Parme], c’est ce qu’on voit à partir de ce qui a été dit. |
[1956] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in creaturis hypostases distinguuntur per materiam et
proprietates diversae sunt ostendentes distinctionem ; sed in divinis
hypostases non distinguuntur nisi per relationem: quia non est ibi invenire
aliquam realem alietatem, nisi quae est secundum oppositionem relativam. Unde
sicut in creaturis, subtracta per intellectum divisione materiae et
quantitatis, non remanent hypostases distinctae ; ita etiam in divinis
subtracta oppositione relativa. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans les créatures les hypostases se distinguent
par la matière et les différentes propriétés manifestent cette distinction;
mais en Dieu les hypostases ne se distinguent que par la relation: car il n’y
a à rechercher là une altérité réelle que selon l’opposition de la relation.
De là, tout comme dans les créatures, si on fait abstraction par l’intelligence
de la division de la matière et de la quantité, il ne reste plus d’hypostases
distinctes, de même en Dieu il ne reste plus d’hypostases distinctes si on
fait abstraction de l’opposition relative. |
[1957] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod hypostasis ponitur in definitione personae, quia persona addit aliquid
supra hypostasim: non quidem relationem, quia relatio est de intellectu
hypostasis divinae, sicut de intellectu personae: sed addit determinatam
rationem relationis, scilicet pertinens ad dignitatem: et ideo remota
relatione, neque hypostasis intellectus, neque personae manet in divinis:
quia etiam ex hoc ipso quod ponitur hypostasis divina, ponitur subsistens in
proprietate nobili. Unde ratio nobilitatis quam addit persona, includitur in
hoc quod est divina hypostasis. Unde sicut hypostasis humana nihil minus dicit quam
persona, ita nec hypostasis divina. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’hypostase est placée dans la définition de la personne parce que la
personne ajoute quelque chose à la notion d’hypostase : non pas certes
la relation, car la relation fait partie de l’intelligence de l’hypostase
divine, tout comme elle fait partie de l’intelligence de la personne :
mais elle ajoute un rapport déterminé de relation, à savoir un rapport à une
dignité : et c’est pourquoi, si on enlève la relation, ni l’intelligence
de l’hypostase ni celle de la personne ne demeure en Dieu : car c’est
aussi du fait même qu’on pose l’hypostase divine qu’on pose ce qui subsiste
dans une propriété qui est noble. C’est pourquoi le rapport à la noblesse que
la personne ajoute est inclus dans ceci qu’elle est l’hypostase divine. C’est
pourquoi l’hypostase divine, tout comme l’hypostase humaine, ne dit rien de
moins que la personne. |
[1958] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod paternitate habet
Pater quod est quis, et quod est Pater ; non tamen sequitur quod Filius non
sit quis ; quia hoc quo Pater habet paternitatem, Filius habet filiationem,
quae etiam est relatio. Unde abstracta relatione, neque Pater est quis, neque
Filius est quis ; sed tamen uterque est quis sua relatione, sicut uterque est
persona sua personalitate ; et tamen personalitas unius non est personalitas
alterius: et hoc quomodo sit patet ex praedictis, dist. 25, quaest. 1, art.
3, de communitate personae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que c’est par la paternité que le Père est quelqu’un et qu’il est Père ;
il ne s’ensuit cependant pas que le Fils n’est pas quelqu’un ; car ce
par quoi le Père possède la paternité est ce par quoi le Fils possède la
filiation qui est aussi la même relation. C’est pourquoi, si on fait
abstraction de la relation, ni le Père ni le Fils ne sera quelqu’un ;
mais cependant chacun des deux est quelqu’un par sa relation, tout comme
chacun des deux est une personne par sa «personnalité» ; et cependant la
personnalité de l’un n’est pas la personnalité de l’autre : et c’est à
partir de ce qui précède [dist. 25, quest. 1, art. 3] au sujet de la
communauté de la personne qu’on voit comment il en est ainsi. |
|
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Les propriétés] |
Prooemium |
Prologue |
[1959] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 pr.
Deinde quaeritur de proprietatibus ; et circa hoc quaeruntur tria: 1 an relationes sint
in divinis ; 2 utrum solis relationibus originis personae
distinguantur ; 3 de numero relationum, notionum, et
proprietatum, et qualiter haec differant. |
On s’interroge ensuite sur les
propriétés ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Y a-t-il des relations en Dieu ? 2. Est-ce que les personnes se
distinguent uniquement par les relations d’origine ? 3. Quel est le nombre des relations, des
notions et des propriétés et de quelle manière ces dernières
diffèrent-elles ? |
|
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Articulus 1 [1960] Super Sent., lib. 1 d. 26
q. 2 a. 1 tit. Utrum relationes divinae sint omnino nihil |
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait inexistantes ? |
[1961] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in
divinis relationes omnino nihil sint. Sicut enim dicit Boetius, lib. De
Trinit., cap. IV, col. 1252, cuncta quae in divinam praedicationem
veniunt, mutantur in substantiam ; « ad aliquid » vero omnino non
praedicatur. Sed quidquid
est in Deo, praedicatur de ipso. Ergo relationes non sunt in Deo. |
Difficultés : 1. Il semble qu’en Dieu les relations ne
soient absolument rien. En effet, comme le dit Boèce [De la Trinité,
ch. IV, col. 1252], tout ce qui vient à être attribué à Dieu se change en la
substance ; mais la relation n’est absolument pas attribuée. Mais tout
ce qui se retrouve en Dieu s’attribue à lui. Il n’y a donc pas de relations
en Dieu. |
[1962] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, ipse dicit, quod relationes quibus Pater refertur ad
filium, et Filius ad Patrem, sunt similes relationibus quibus aliquid ad
seipsum refertur, ut cum dicitur idem eidem idem. Sed tales relationes nihil
secundum rem ponunt in eo de quo dicuntur, ut videtur dicere philosophus, in
V Métaph., text. 20, sed sunt solum secundum
intellectum. Ergo videtur quod relationes non sunt realiter in Deo. |
2. Par
ailleurs, il dit lui-même que les relations par lesquelles le Père se
rapporte au Fils et le Fils se rapporte au Père, sont semblables aux
relations par lesquelles une chose se rapporte à elle-même, comme lorsqu’on
dit que le même est identique à soi-même. Mais de telles relations ne posent
rien, en réalité, dans l’être auquel elles s’attribuent, comme semble le dire
le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], mais seulement selon
l’intelligence. Il semble donc que les relations n’existent pas en réalité en
Dieu. |
[1963] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 3 Item omne quod advenit alicui et recedit ex sola habitudine alterius
ad ipsum, sine omni sua mutatione, non ponit aliquid in ipso. Nihil enim potest
advenire alicui de novo sine sui mutatione vel per se vel per accidens. Sed
relationes hoc modo adveniunt et recedunt ; sicut per mutationem alterius
efficitur columna immobilis dextra et sinistra: sicut mortuo Filio aliquis
desinit esse Pater, nulla mutatione circa ipsum facta. Ergo videtur quod
relationes hujusmodi omnino nihil sunt in divinis. |
3. En outre, tout ce qui survient à
un être et s’en retire à partir du seul rapport d’un autre à lui, sans aucun
changement de sa part ne pose rien en lui. En effet, rien de nouveau ne peut
survenir à un être sans changement de sa part, qu’il soit essentiel ou
accidentel. Mais c’est de cette manière que les relations surviennent
surviennent à un être et s’en retirent ; c’est ainsi par exemple que
c’est par le mouvement d’un autre que la colonne immobile devient tantôt à
droite, tantôt à gauche, tout comme un homme cesse d’être père une fois son
fils mort, sans qu’aucun changement n’ait été opéré en lui. Il semble donc
que les relations de cette sorte ne sont absolument rien en Dieu. |
[1964] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 arg. 4. Praeterea, si relatio est in divinis, aut est idem quod
essentia, aut aliud. Si idem quod essentia, tunc cum essentia sit una in
omnibus, et relatio erit una in omnibus ; vel si personae distinguuntur
relationibus, distinguuntur etiam in essentia: quod est haeresis Arii. Si
aliud, ergo facit compositionem cum essentia ; quod non potest esse. Ergo
relatio omnino non est in divinis. |
4.Par ailleurs, s’il y a une
relation en Dieu, ou bien elle est identique à l’essence, ou bien elle est
autre que l’essence. Si elle est identique à l’essence, alors puisqu’il n’y a
qu’une seule et même essence en toutes les personnes, il n’y aura donc qu’une
seule et même relation en elles ; ou encore, si les personnes se
distinguent par les relations, elles se distinguent aussi par
l’essence : ce qui constitue l’hérésie d’Arius. Mais si la relation est
autre que l’essence, elle entre donc en composition avec l’essence, ce qui
est impossible. Il n’y a donc aucune relation en Dieu. |
[1965] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 5 Item, simplicissima seipsis distinguuntur. Sed personae divinae sunt
simplicissimae. Ergo seipsis distinguuntur: ergo videtur quod non
distinguantur aliquibus relationibus. |
5. Les êtres les plus simples se
distinguent par eux-mêmes. Mais les personnes divines sont les êtres les plus
simples. Ils se distinguent donc par eux-mêmes : il semble donc qu’ils
ne se distinguent pas par des relations. |
[1966] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
s. c. 1 Contra, omne quod est in Deo vel est absolutum vel est ad aliquid
[aliquod aliud Éd. de Parme]. Sed personae divinae non
distinguuntur in aliquo absoluto, quia in absolutis tres personae unum sunt.
Ergo vel non distinguuntur, vel relationibus distinguuntur. Si igitur
relationes non sunt realiter in divinis, sed secundum rationem tantum, tunc
Pater et Filius non realiter distinguuntur, et ita sequetur haeresis
Sabellii. Oportet ergo
relationes in divinis ponere. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce qui est en Dieu
est soit absolu, soit en relation [ avec quelque chose d’autre Éd. de
Parme]. Mais les personnes divines ne se distinguent pas par quelque
chose d’absolu, car par rapport à ce qui est absolu, les trois personnes n’en
sont qu’une seule. Donc, ou bien elles ne se distinguent pas, ou bien elles
se distinguent par les relations. Si donc les relations n’existent pas
réellement en Dieu mais seulement selon la raison, alors le Père
et le Fils ne se distinguent pas réellement, et ainsi s’ensuit l’hérésie de
Sabellius. Il faut donc poser des relations en Dieu. |
[1967] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Pater refertur ad Filium et
ad Spiritum sanctum, sed non eodem modo ad utrumque: quia ad unum generando,
ad alium spirando. Ergo videtur quod oporteat in persona significare plures
relationes, quibus ad alteram referatur, sicut in una essentia plures
personas. Ergo sicut in divinis non tantum ponimus essentiam, sed etiam
personas, quia invenimus plures personas in una essentia ; ita oportet ponere
etiam relationes. |
2. Par
ailleurs, le Père se rapporte au Fils et à l’Esprit-Saint, mais ce n’est pas
de la même manière qu’il se rapporte à chacun des deux: car c’est par la
génération qu’il se rapporte au Fils et par la spiration qu’il se rapporte à
l’Esprit-Saint. Il semble donc qu’il faille signifier plusieurs relations
dans la personne par lesquelles elle se rapporte à une autre, tout comme dans
une seule et même essence il y a plusieurs personnes. Donc, tout comme en
Dieu nous ne posons pas seulement l’essence mais aussi les personnes, parce
que nous retrouvons plusieurs personnes dans une même essence, de même encore
il faut y poser plusieurs relations. |
[1968] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod apud omnes Catholicos certum
est relationes esse in divinis. Sed in positione relationum
inveniuntur diversae doctorum sententiae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que pour tous
les Catholiques il est certain qu’il existe des relations en Dieu. Mais il y
a une diversité d’opinions chez les docteurs quant à la manière d’affirmer
ces relations. |
Quidam dixerunt, ut Porretani, quod
relationes in divinis sunt tantum assistentes. Quidam vero dixerunt, quod relationes in
divinis sunt ipsae personae ; et quod aliquando in abstracto significantur,
hoc est solum propter modum loquendi ; sicut dicimus, rogo benignitatem tuam,
idest te benignum ; et similiter resolvendae sunt omnes illae locutiones in
quibus relationes vel proprietates in abstracto dicuntur. Alii dicunt, quod relationes sunt personae
et sunt in personis etiam secundum veritatem rei et non solum quantum ad
modum loquendi: et omnes isti secundum aliquid verum dixerunt. Sed tamen
ultima opinio continet totam veritatem. |
Certains disent, comme les
Porrétains, qu’il n’y a en Dieu des relations qu’à titre d’assistance. Mais
d’autres disent que les relations en Dieu sont les personnes elles-mêmes et
que lorsqu’elles sont signifiées dans l’abstrait, cela ne tient qu’à la
manière de parler ; par exemple, lorsque nous disons : je
fais appel à ta bonté, cela signifie : je te supplie d’être
bon ; et c’est de cette manière que doivent être résolues toutes ces
locutions dans lesquelles les relation ou les propriétés se disent dans
l’abstrait. D’autres disent que les relations sont
les personnes et qu’elles existent dans les personnes réellement et en vérité
et non seulement quant à la manière de parler : et tous ceux-là disent
vrai sous un certain rapport. Mais c’est la dernière opinion qui contient toute
la vérité. |
Et ad hujus intellectum sciendum est, quod,
ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 4, art. 3, in relatione, sicut in
omnibus accidentibus, est duo considerare: scilicet esse suum, secundum quod
ponit aliquid in ipso, prout est accidens ; et rationem suam, secundum quam
ad aliud refertur, ex qua in genere determinato collocatur ; et ex hac
ratione non habet quod ponat aliquid in eo de quo dicitur ; sicut omnes aliae
formae absolutae ex ipsa sua ratione habent quod aliquid in eo de quo
[quod Éd. de Parme] dicuntur, ponant. |
Et pour le comprendre il faut savoir,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], que dans la
relation tout comme dans tous les accidents, il y a deux choses à
considérer : à savoir son existence selon laquelle elle pose quelque
chose dans le sujet en tant qu’elle est un accident, et sa définition selon
laquelle elle se rapporte à quelque chose d’autre et à partir de laquelle
elle se situe dans un genre déterminé ; et de par cette définition, la
relation ne pose pas quelque chose dans l’être auquel elle s’attribue,
contrairement à toutes les autres formes qui, parce qu’elles sont absolues,
de par leur définition, posent quelque chose dans l’être auquel
[qu’elles disent Éd. de Parme] elles s’attribuent. |
Et ideo inveniuntur quaedam relationes
nihil ponentes in eo de quo dicuntur ; et hoc attendentes quidam philosophi
dixerunt, quod relatio non est aliquod unum genus entium, nec est aliquid in
rerum natura ; sed est tantum quidam respectus respersus in omnibus entibus,
et quod relationes sunt de intentionibus secundis quae non habent esse nisi
in anima. Cui etiam Porretanorum opinio consentire videtur. |
Et c’est pourquoi il se trouve
certaines relations qui ne posent rien dans l’être auquel elles
s’attribuent ; et certains philosophes, ayant remarqué cela, ont dit que
la relation n’est pas un genre d’être, ni rien de déterminé dans la nature
des choses, mais qu’elle n’est qu’un certain rapport répandu dans tous les
êtres et que les relations font partie des intentions secondes qui n’ont une
existence que dans l’âme. Et l’opinion des Porrétains semble aussi s’être
rangée à cette position. |
Sed hoc falsum est: quia nihil quod est ens
tantum in anima, in genere determinato collocatur. Unde distinguendum est
inter relationes. Quaedam enim sunt quae habent aliquid in re, supra quod
esse eorum fundatur, sicut aequalitas fundatur supra quantitatem ; et
hujusmodi relationes aliquid realiter in re sunt. |
Mais cela est faux : car rien
de ce qui n’existe que dans l’âme ne se situe dans un genre déterminé. D’où
la nécessité de distinguer parmi les relations. Il y en a en effet qui sont
quelque chose dans une réalité sur laquelle leur existence se fonde, comme
l’égalité qui se fonde sur la quantité ; et de telles relations sont réellement
quelque chose dans une réalité. |
Quaedam vero sunt quae non habent
fundamentum in re de qua dicuntur, sicut dextrum et sinistrum in illis in
quibus non sunt determinatae istae positiones secundum naturam, sicut in
partibus animalis. Ibi enim, scilicet in animali, istae relationes realiter
sunt, quia fundantur in diversis virtutibus determinatarum partium ; sed in
aliis non sunt nisi secundum rationem habitudinis unius ad alterum ; et ideo
dicuntur relationes rationis. |
Mais il y en a d’autres qui n’ont pas
de fondement dans la réalité à laquelle elles s’attribuent, comme la droite
et la gauche dans ces choses dans lesquelles ces positions ne sont
pas déterminées selon la nature contrairement à ce qu’on observe pour les
parties de l’animal. Là en effet, c’est-à-dire dans l’animal, ces relations
existent réellement car elles se fondent sur différentes puissances
appartenant à des parties déterminées ; mais chez d’autres les relations
n’existent que selon la raison du rapport de l’un à l’autre et c’est pourquoi
on les appelle des relations de raison. |
Et hoc contingit quatuor modis, scilicet
quod sint relationes rationis, et non rei. Uno modo, ut dictum est, in hoc art., paulo
sup., quando relatio non habet aliquid in rei natura supra quod fundetur: et
inde est quod quandoque contingit quod relatio realiter est in uno et non in
altero: quia in uno habet motum quemdam supra quem fundatur, quem non habet
in alio ; sicut est in omnibus illis relationibus quibus Deus ad creaturam
refertur, quae quidem realiter sunt in creatura, et non in Deo. |
Et cela, c’est-à-dire se trouver
face à des relations de raison et non des relations réelles, est possible de
quatre manières. Premièrement, ainsi que nous l’avons dit
un peu plus haut dans cet article, quand il n’y a pas quelque chose dans la
nature de la chose sur quoi la relation se fonde : et c’est de là qu’il
arrive parfois que la relation existe réellement dans l’un et non dans
l’autre : car dans l’un il y a un mouvement sur lequel elle se fonde et
qu’elle ne retrouve pas dans l’autre, comme c’est le cas pour toutes ces
relations par lesquelles Dieu se rapporte à la créature et qui existent
certes réellement dans la créature mais non en Dieu. |
Secundo modo quando relatio non habet
aliquam realem diversitatem inter extrema, sicut relatio identitatis ; et
ideo hoc nihil ponit secundum rem, sed solum secundum rationem, ut cum
dicitur idem eidem idem. Tertio modo quando designatur relatio aliqua
entis ad non ens, ut cum dicitur quod nos sumus priores illis qui futuri
sunt: ista enim prioritas non est aliqua relatio secundum rem, sed solum
secundum rationem: quia relatio realis exigit utrumque extremorum in actu. |
Deuxièmement quand la relation ne
possède pas une diversité réelle entre les extrêmes, comme la relation
d’identité ; et c’est pourquoi cela ne pose rien dans la réalité mais
seulement selon la raison, comme lorsque nous disons que le même est
identique au même. Troisièmement quand est désignée une
certaine relation de l’être au non-être, comme lorsque nous disons que nous
sommes antérieurs à ceux qui sont à venir : cette antériorité en effet
n’est pas une relation selon la réalité mais seulement selon la raison, car
la relation réelle existe que chacun des deux extrêmes existe en acte. |
Quarto modo quando
ponitur relatio relationis: ipsa enim relatio per seipsam refertur, non per
aliam relationem. Unde in creaturis paternitas non conjungitur subjecto per
aliquam relationem mediam. |
Quatrièmement
quand on pose une relation de relation: la relation elle-même en effet se rapporte
par elle-même et non par une autre relation. C’est pourquoi dans les
creatures la paternité ne s’unit pas à un sujet au moyen d’une relation
intermédiaire. |
Et hos ultimos duos modos ponit Avicenna,
tract. II metaph., cap. X. Primi duo possunt etiam extrahi
ex verbis philosophi, V Metaph., text. 10. Cum igitur istae
relationes, paternitas et filiatio, habeant fundamentum aliquod in re,
scilicet ipsam naturam, quae communicatur secundum communicationem naturae,
constat quod sunt realiter in Deo ; et propter simplicitatem sunt idem quod
personae in quibus sunt, et propter veritatem relationum oportet quod alio
modo significentur. |
Et Avicenne pose ces deux dernières
modalités [11 Métaphysique, ch. X]. Les deux premières peuvent
aussi être tirées des paroles du Philosophe [V Métaphysique,
texte 10]. Donc puisque ces relations, la paternité et la filiation, ont un
fondement dans la réalité, à savoir la nature elle-même qui est communiquée
d’après une communication de la nature, il est clair qu’elles existent
réellement en Dieu ; et en raison de sa simplicité, elles sont
identiques aux personnes dans lesquelles elles existent et à cause de la
vérité des relations il faut qu’elles soient signifiées d’une autre manière. |
Primi igitur attendentes in relationibus
solum id quod ad alterum est, et non fundamentum quod habent in re, dixerunt,
relationes assistentes esse, quasi ex habitudine alterius advenientes. Secundi attendentes fundamentum rei et
simplicitatem divinam, dixerunt, quod relationes non sunt in personis, sed
sunt ipsae personae. Tertii autem considerantes utrumque,
dixerunt, quod sunt in personis propter veram rationem relationis, et quod
tamen sunt personae propter simplicitatem ; sicut deitas est in Deo, et tamen
est Deus. |
Donc les premiers philosophes, ne
remarquant dans les relations que ce qui se rapporte à l’autre et non pas le
fondement qu’elles ont dans la réalité, ont dit que les relations sont assistantes,
ne survenant qu’à titre de rapport à quelque chose d’extérieur. Les seconds, remarquant le fondement dans
la réalité et la simplicité divine, ont dit que les relations ne sont pas
dans les personnes, mais qu’elles sont les personnes elles-mêmes. Les troisièmes cependant, considérant les
deux aspects, ont dit que les relations sont dans les personnes en raison de
la véritable notion de relation et qu’elles sont cependant les personnes à
cause de la simplicité, tout comme la divinité qui, tout en étant en Dieu,
est cependant Dieu. |
[1969] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod dictum Boetii intelligitur de ad
aliquid, prout ad alterum est: sic enim non praedicat aliquid in re de qua
dicitur, sed ponit aliquid extra ; sed tamen aliquae relationes, quantum ad
esse suum, aliquid in re de qua dicuntur ponunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
les paroles de Boèce s’entendent de la relation en tant qu’elle se rapporte à
un autre, à quelque chose d’extérieur : en ce sens en effet elle
n’attribue pas quelque chose à la chose à laquelle elle s’attribue mais elle
pose quelque chose à l’extérieur ; mais certaines relations, quant à
leur existence, posent quelque chose dans la chose à laquelle elles
s’attribuent. |
[1970] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in relatione identitatis duo est considerare:
scilicet illud respectu cujus dicitur identitas, scilicet ipsa essentia,
sicut aequalitas respectu quantitatis ; et id cujus est identitas, quod
dicitur idem secundum unam essentiam, sicut aequale, quod habet unam
quantitatem. Et quia etiam uno [unum Éd. de Parme] numero est
essentia quam Pater Filio communicat, ideo similitudo est harum relationum
cumrelatione identitatis, quantum ad id cujus respectu dicuntur ; sed non est
quantum ad ea quae invicem referuntur secundum illud. Unde etiam Filius non
dicitur idem Patri masculine, sed neutraliter. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il y a deux choses à considérer dans la relation d’identité :
c’est-à-dire ce par rapport à quoi se dit l’identité, à savoir l’essence
elle-même, tout comme l’égalité se dit par rapport à la quantité ; et ce
à quoi appartient l’identité qui est dit identique d’après une seule et même
essence, tout comme on dit égal ce qui possède une seule et même quantité. Et
parce que l’essence que le Père communique au Fils est une [une Éd.
de Parme] numériquement parlant, c’est pourquoi il y a ressemblance de
ces relations avec la relation d’identité quant à ce par rapport à quoi elles
se disent mais non quant aux choses qui sont rapportées mutuellement sous ce
rapport. C’est pourquoi ce n’est pas au masculin mais au neutre qu’on dit du
Fils qu’il est identique au Père. |
[1971] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod quandocumque aliquid quod est de ratione rei,
tollitur, oportet quod ipsa res auferatur, sicut remoto rationali destruitur
homo. Ad rationem autem relationis quae habet fundamentum in re duo
concurrunt ; scilicet fundamentum rei, quod est quantitas, quae est causa
hujus relationis: est etiam aliud de ratione ejus, scilicet respectus ad
alterum: et utroque modo contingit in realibus relationibus destrui
relationem: vel per destructionem quantitatis, unde ad hanc mutationem
quantitatis sequitur per accidens mutatio relationis: vel etiam secundum quod
cessat respectus ad alterum, remoto illo ad quod referebatur ; et tunc
relatio cessat, nulla mutatione facta in ipsa. Unde in illis in quibus non
est relatio nisi secundum hunc respectum, veniunt et recedunt relationes sine
aliqua mutatione ejus quod refertur. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’il arrive parfois que ce qui fait partie de la définition d’une chose
étant enlevé, il faut que la chose elle-même soit enlevée, tout comme si on
enlève rationnel, l’homme disparaît. Mais deux aspects concourrent à la
définition de la relation qui a un fondement dans la réalité : à savoir
le fondement dans la réalité, qui est la quantité, qui est la cause de cette
relation ; et il y a l’autre aspect qui fait partie de sa définition, à
savoir le rapport à un autre, à quelque chose d’extérieur : et c’est des
deux manières qu’il arrive à une relation d’être détruite dans les relations
réelles : soit par la destruction de la quantité et de ce changement de
quantité découle par accident le changement de relation ; soit encore
selon que le rapport à l’autre cesse lorsque disparaît ce à quoi il se
rapportait ; et c’est alors que la relation cesse, aucun changement ne
s’étant produit dans la chose elle-même. C’est pourquoi, pour les choses dans
lesquelles il n’y a de relation que selon ce rapport à l’autre, à quelque
chose d’extérieur, les relations surviennent et se retirent sans qu’aucun
changement ne se soit produit du côté de la chose à laquelle appartient la
relation. |
[1972] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio realiter est idem quod essentia, sed
differunt solum ratione, sicut etiam bonitas ab essentia ; et ex illa ratione
relatio habet quod distinguat in divinis, quod non convenit essentiae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
relation est réellement identique à l’essence, mais ils diffèrent seulement
par la raison, comme c’est le cas aussi pour la bonté par rapport à
l’essence ; et c’est à partir de cette raison que la relation distingue
les personnes divines, ce qui ne convient pas à l’essence. |
[1973] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam personae divinae seipsis distinguuntur,
inquantum personae secundum rem sunt ipsae relationes. Sed sicut persona,
quantum ad modum significandi, non est idem quod relatio ; ita etiam seipsis
non distinguuntur, sed relationibus ; sicut Deus per seipsum est Deus,
quamvis deitate [deitas Éd. de Parme] sit Deus, quia ipse est sua
deitas. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que même les personnes divines se distinguent par elles-mêmes, selon que les personnes sont en réalité les relations elles-mêmes. Mais tout comme la personne, n’est pas identique à la relation quant au mode de signifier, de même encore les personnes ne se distinguent pas par elles-mêmes, mais par les relations ; tout comme Dieu est Dieu par lui-même, bien qu’il soit Dieu par la divinité [la divinité Éd. de Parme], car il est lui-même sa propre divinité. |
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Articulus 2 [1974] Super Sent., lib. 1 d. 26
q. 2 a. 2 tit. Utrum relationes originis distinguant hypostases |
Article 2 – Les relations d'origine distinguent-elles les hypostases ? |
[1975] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
relationes originis non distinguant hypostases. Quod enim secundum
intellectum sequitur substantiam, non potest esse principium alicujus
distinctionis in substantiis. Sed relatio est de assequentibus substantiam in
Deo, saltem secundum intellectum, sicut bonitas et sapientia, ut dicit
Damascenus. Cum igitur hypostasis sit substantia, videtur quod distinctionem
hypostasum relatio non facit. |
Difficultés: 1. Il semble que
les hypostases ne se distinguent pas par les relations d’origine. En effet,
ce qui découle de la substance selon l’intelligence ne peut être principe
d’une distinction dans les substances. Mais la relation fait partie de ce qui
découle de la substance en Dieu, au moins selon l’intelligence, comme la
bonté et la sagesse, comme le dit Damascène. Donc, puisque l’hypostase est
une substance, il semble que la relation ne puisse causer la distinction des
hypostases. |
[1976] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ordo distinguentium debet
respondere ordini distinctionum. Sed inter omnes distinctiones rerum, prima
est distinctio divinarum personarum, cum sit processio personarum causa
processionis creaturarum, ut supra, dist. 14, quaest. 1, art. 1, habitum est.
Ergo videtur quod cum primum in entibus sit substantia, quod principium
illius distinctionis non sit relatio, sed substantia. |
2. Par
ailleurs, l’ordre dans ce qui distingue doit correspondre à l’ordre des
distinctions. Mais parmi toutes les distinctions des choses, la première est
la distinction des personnes divines, puisque la procession des personnes est
la cause de la procession des creatures, comme nous l’avons établi plus haut
[dist. 14, quest. 1, art. 1]. Il semble donc, puisque la substance est ce qui
est premier dans les êtres, que la relation ne soit pas le principe de cette
distinction, mais plutôt que la substance le soit. |
[1977] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, relatio non habet virtutem distinguendi,
nisi secundum quod habet oppositionis rationem. Sed rationem oppositionis non
habet nisi secundum quod ad alterum est. Ergo non distinguit nisi secundum
quod ad alterum est. Sed secundum quod ad alterum est, non habet relatio quod
sit res aliqua vel substantia vel hypostasis. Ergo relatio non poterit facere distinctionem realem
hypostasum. |
3. En outre, la relation n’a la
puissance de distinguer que selon qu’elle a raison d’opposition. Mais elle
n’a raison d’opposition que selon qu’elle se rapporte à un autre. La relation
ne distingue donc que selon qu’elle se rapporte à un autre, à quelque chose
d’extérieur. Mais selon qu’elle se rapporte à un autre, la relation n’en
devient pas pour autant une chose, une substance ou une hypostase. Donc la
relation ne pourra causer une distinction réelle des hypostases. |
[1978] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea, cum multae sint aliae relationes, quam relationes originis,
quare secundum eas tantum divinae personae distinguuntur ? Quia in divinis
est invenire etiam aequalitatem et similitudinem, et hujusmodi, quae
relationes quaedam sunt. Unde si istae non distinguunt, videtur eadem ratione
quod nec illae. |
4. Par ailleurs, puisqu’il y a
plusieurs autres relations que la relation d’origine, pourquoi faudrait-il
que ce soit d’après cette dernière seulement que les personnes divines se
distinguent ? Car dans les personnnes divines il faut retrouver une
égalité, une ressemblance et d’autres caractères de cette sorte qui sont
certaines relations. C’est pourquoi, si ces dernières relations ne
distinguent pas, pour la même raison les autres, à savoir les relations
d’origine, ne distinguent pas non plus. |
[1979] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
s. c. 1 Contra, minimae distinctioni debet respondere pro principio illud
quod minimum habet de ente, et quod minimam compositionem facit. Sed inter
omnia alia relatio est debilioris esse, ut dicit Commentator, X Metaph., text.
19, adeo quod quidam reputaverunt eam esse de intentionibus secundis, ut
dictum est, artic. antec. Ergo videtur quod maxime competat ad distinctionem
personarum. |
Cependant : 1. Au contraire, à la plus petite
distinction doit correspondre comme principe ce qui possède le moins d’être
et qui produit la plus petite composition. Mais parmi toutes les formes
d’être, la relation est celle qui est la plus faible, comme le dit le
Commentateur [X Métaphysique, texte 19], à ce point que certains
ont cru qu’elle faisait partie des intentions secondes, comme nous l’avons
dit dans l’article précédent. Il semble donc qu’il lui revienne au plus haut
point de distinguer les personnes. |
[1980] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, quod
principium distinctionis hypostasum divinarum non est relatio, immo
hypostases seipsis distinguuntur per solam originem ; relationes autem
manifestant distinctionem ; sicut in creaturis proprietates non faciunt
differre secundum numerum ; immo talis differentia causatur ex divisione
materiae, sed proprietates tantum manifestant eam. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que certains ont dit que le principe de distinction des hypostases divines n’est pas la relation, mais bien plutôt que les hypostases se distinguent par elles-mêmes par leur seule origine, et que les relations ne font que manifester cette distinction, comme dans les créatures les propriétés ne sont pas la cause d’une distinction selon le nombre, mais bien plutôt une telle différence, que les propriétés ne font que manifester, est causée à partir d’une division de la matière. |
Sed hoc non potest esse: quia quae seipsis
distinguuntur, ex seipsis habent aliquam rationem distinctionis, sicut
substantia distinguitur a quantitate per id quod est in intellectu utriusque,
quod est esse subsistens, et esse mensuram et hujusmodi. Si autem
considerentur duae hypostases, hypostasis inquantum hypostasis, non habet in
intellectu suo unde ab alia distinguatur, cum utraque sit hypostasis. |
Mais cela est impossible : car
les êtres qui se distinguent par eux-mêmes ont d’eux-mêmes raison de
distinction, comme la substance se distingue de la quantité au moyen de ce
qui fait partie de la compréhension des deux, à savoir l’être comme
subsistant, l’être comme mesure et des notions de cette sorte. Mais si on
considère deux hypostases en tant qu’hypostases, il n’y a rien dans la
définition de l’une à partir de quoi on puisse la distinguer d’une autre
puisque les deux sont des hypostases. |
Ergo oportet quod hoc habeat inquantum est
hypostasis per aliquam determinationem in ipsa, vel secundum determinatam
materiam, sicut in creaturis, quod non potest esse in Deo, vel secundum
aliquid aliud. Si autem dicatur, quod haec est sola origo per quam
determinate efficitur haec hypostasis, aut per originem intelligitur ipsa
relatio originis, et hoc est quod ponimus ; aut origo significatur per modum
operationis, et sic nullo modo habet quod distinguat hypostases ; immo quod
sit ab hypostasi distincta: quia omnis operatio est individuorum
distinctorum, secundum philosophum, II Metaph., text. in
prolog.. Et ideo dicimus, quod nihil aliud est principium distinctionis in
divinis, nisi relatio. |
Il faut donc qu’une hypostase, en
tant qu’hypostase, possède ce principe de distinction au moyen d’une
détermination en elle, ou selon une matière déterminée comme c’est le cas
pour les créatures mais non en Dieu, soit selon quelque chose d’autre. Si on
dit cependant que cette détermination est la seule origine par laquelle est
déterminément produite cette hypostase, ou que c’est par l’origine que se
comprend la relation d’origine elle-même, et c’est là ce que nous posons, ou
bien l’origine est signifiée à la manière d’une opération et ainsi en aucune
manière elle ne distingue les hypostases mais bien plutôt elle vient d’une
hypostase distincte car toute opération appartient à des individus distincts
selon le Philosophe [11 Métaphysique, texte du prologue]. Et
c’est pourquoi nous disons que le principe de distinction dans les personnes
divines n’est rien d’autre que la relation. |
Cujus ratio est, quia omnis distinctio vel
divisio est vel per quantitatem vel per formam, secundum philosophum, V
Métaph., text. 1. Secundum quantitatem vel materiam, divisio in divinis non
est, cum non sit ibi quantitas et materia. Omnis autem distinctionis formalis
principium est aliqua oppositio, ut largo modo sumatur oppositio, secundum
quod etiam imperfectum et perfectum opponuntur, inquantum in uno est negatio
vel privatio alterius. In omnibus autem oppositionibus alterum est ut
perfectum, alterum ut imperfectum, praeter relationem ; quod patet per se in
affirmatione et negatione et privatione et habitu. Patet etiam in
contrarietate: quia secundum philosophum, I Physic., text. 49, semper alterum contrariorum est sicut
nobilius, et alterum sicut vilius et sicut privatio, ut album et nigrum,
frigidum et calidum et hujusmodi omnia ; et ideo nulla talis distinctio
potest esse in divinis, ubi est omnimoda perfectio. In relativis autem
neutrum est sicut privatio alterius, vel defectum aliquem importans. Cujus
ratio est, quia in relativis non est oppositio secundum id quod relativum in
aliquo est: sed secundum id quod ad aliud dicitur. Unde quamvis una relatio
habeat annexam negationem alterius relationis in eodem supposito, non tamen
ista negatio importat aliquem defectum, quia defectus non est nisi secundum
aliquid quod in aliquo natum est esse: unde cum id quod habet oppositionem
relativam ad ipsum, secundum rationem oppositionis non ponat aliquid, sed ad
aliquid, non sequitur imperfectio vel defectus ; et ideo sola talis oppositio
competit distinctioni personarum. |
La raison en est que toute
distinction est une division soit par la quantité, soit par la forme d’après
les Philosophe [V Métaphysique, texte 1]. Mais il n’y a pas de
division en Dieu selon la quantité ou la matière puisqu’il n’y a pas là de
quantité ou de matière. Mais le principe de toute distionction formelle est
une opposition, prise au sens large du terme, selon que même l’imparfait et
le parfait s’opposent, pour autant qu’on retrouve dans l’un la négation et la
privation de l’autre. Mais dans toutes les oppositions, sauf celle de
relation, l’un est pris comme parfait et l’autre comme imparfait ; ce
que l’on voit essentiellement dans l’affirmation et la négation, dans la
privation et la possession. Cela est évident aussi pour la contrariété car
selon le Philosophe [1 Physique, texte 49], toujours l’un des contraires est
comme ce qui est plus noble alors que l’autre est pris comme ce qui est plus
vulgaire et comme une privation, comme c’est le cas pour le blanc et le noir,
le froid et le chaud et tous les opposés de cette sorte ; et c’est
pourquoi on ne peut retrouver aucune distinction de cette sorte en Dieu où la
perfection est absolue. Mais dans les oppositions de relation, aucun des opposés
n’est comme la privation de l’autre ou n’implique un défaut ou un manque. La
raison en est que dans les relatifs il n’y a pas d’opposition selon que le
relatif est pris comme existant dans un être, mais selon qu’il se dit par
rapport à un autre. C’est pourquoi, bien qu’une seule et même relation dans
un seul et même suppôt contienne, comme rattachée à elle la négation de
l’autre relation, cependant cette négation n’implique pas un manque car le
manque n’existe que d’après ce qui est naturellement apte à exister dans un
être : c’est pourquoi, puisque ce qui a une opposition relative à un
autre, ne pose pas quelque chose d’après cette notion d’opposition mais
plutôt un rapport à un autre, il ne s’ensuit pas une imperfection ou un
défaut ; et c’est pourquoi il n’y a que cette seule opposition qui
convienne à la distinction des personnes. |
[1981] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relatio divina habet aliquid inquantum
est relatio, et aliquid inquantum est divina ; inquantum enim divina, habet
quod sit subsistens hypostasis, quia ibi nihil est accidens, nec aliqua forma
inhaerens non subsistens ; unde quamvis ex hoc quod est relatio, non habeat
quod distinguat hypostasim, quia sic omnis relatio hoc faceret ; tamen habet
hoc inquantum est relatio divina: sic enim non sequitur substantiam, immo est
ipsa substantia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la relation est quelque chose en tant qu’elle est relation et elle est
quelque chose en tant qu’elle est divine ; en tant qu’elle est divine,
elle est une hypostase subsistante car il n’y a là aucun accident ni aucune
forme inhérente qui ne subsiste pas ; de là, bien qu’en tant que
relation elle ne distingue pas l’hypostase car alors toute relation ferait
cela, cependant elle en est capable en tant que relation divine car ainsi en
effet elle ne découle pas de la substance mais elle est bien plutôt la
substance elle-même. |
[1982] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo distinctionis potest dupliciter
considerari: vel quantum ad quantitatem distinctionis, vel quantum ad
dignitatem et causalitatem. Si quantum ad quantitatem distinctionis, sic
distinctio divinarum hypostasum est minima distinctio realis quae possit
esse, ut supra habitum est, in corp. art. Et ideo tali distinctioni competit
ens minimum, scilicet relatio. Sed quantum ad ordinem dignitatis et
causalitatis, illa distinctio excellit omnes distinctiones ; et similiter
relatio quae est principium distinctionis, dignitate excellit omne
distinguens quod est in creaturis: non quidem ex hoc quod est relatio, sed ex
hoc quod est relatio divina. Excellit etiam causalitate, quia ex processione
personarum divinarum distinctarum causatur omnis creaturarum processio et
multiplicatio, ut supra habitum est, dist. 14, quaest. 1, art. 1. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’ordre de distinction peut être considéré de deux manières : soit
quant à la quantité de la distinction, soit quant à la dignité et à la
causalité. Si on le considère quant à la quantité de la distinction, alors la
distinction des hypostases divines est la plus petite distinction réelle qui
puisse exister, ainsi que nous l’avons établi plus haut dans le corps de
l’article. Et c’est pourquoi c’est la forme d’être minimale, c’est-à-dire la
relation, qui convient à une telle distinction. Mais si on considère l’ordre
de distinction sous le rapport de l’ordre de dignité et de causalité, cette
distinction par la relation dans les personnes divines dépasse toutes les
autres sortes de distinctions ; et de même la relation qui est principe
de distinction en elles dépasse par la dignité tout principe de distinction
qu’on retrouve dans les créatures, non pas certes du seul fait qu’elle est
une relation, mais du fait qu’elle est une relation divine. Elle dépasse
aussi par la causalité toute autre sorte de distinction car c’est à partir de
la procession des personnes divines distinctes qu’et causée toute procession
et toute multiplication des créatures, ainsi que nous l’avons établi plus
haut [dist. 14, quest. 1, art. 1]. |
[1983] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, quamvis relationi ex hoc quod ad alterum
dicitur, non debeatur quod sit res quaedam, est tamen res aliqua secundum
quod habet fundamentum in eo quod refertur ; et ex hoc ulterius habet,
inquantum est divina, quod sit hypostasis vel substantia: et ideo facit
realem hypostasum distinctionem ; sicut sapientia ex hoc quod est sapientia,
non habet quod sit substantia ; et tamen quia sapientia divina est substantia,
Deus substantialiter est sapiens. Et ideo considerandum est, quod ubi est
relatio secundum habitudinem tantum et non secundum aliquod esse naturale,
ibi non requiritur distinctio suppositorum secundum rem, sed solum secundum
rationem, ut cum dicitur idem eidem idem. Quando autem est ibi relatio non
solum secundum habitudinem, sed secundum esse naturale, requiritur distinctio
suppositorum etiam realiter, ut aequalis aequali aequalis. Sed ubi ipsa
relatio non tantum est realiter, sed etiam est ipsa substantia relati, ibi
non tantum requirit, sed facit etiam suppositorum distinctionem. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que bien qu’il n’appartienne pas à la relation d’être une
réalité du fait qu’elle se dise par rapport à quelque chose d’autre, elle est
cependant une certaine réalité du fait qu’elle a un fondement dans la chose à
laquelle elle se rapporte ; et c’est de là qu’elle tient par la suite,
en tant qu’elle est divine, d’être une hypostase ou une substance : et
c’est pourquoi elle cause une véritable distinction des hypostases, tout
comme la sagesse, du seul fait qu’elle est sagesse, n’est pas une substance
et cependant parce que la sagesse divine est une substance, Dieu est
substantiellement sage. Et c’est pourquoi il faut considérer que là où il y a
relation selon le rapport seulement et non selon une existence naturelle, là
n’est pas requise une distinction réelle des suppôts, mais une distinction
selon la raison seulement, comme lorsqu’on dit que le même est identique au
même. Mais quand il y a là une relation qui n’est pas seulement selon le
rapport mais selon une existence naturelle, alors est aussi requise une
distinction réelle des suppôts, comme dans le cas où l’égal est égal à
l’égal. Mais là où la relation elle-même non seulement existe réellement,
mais est aussi la substance même du relatif, alors elle n’exisge pas
seulement la distinction des suppôts, mais encore elle la cause. |
[1984] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia relatio non habet esse naturale nisi ex
hoc quod habet fundamentum in re, et ex hoc collocatur in genere ; inde est
quod differentiae relationum essentiales sumuntur secundum differentias
aliorum entium ; ut patet ex philosopho, V metaph., text.
20, ubi dicit, quod quaedam fundantur supra quantitatem, et quaedam supra
actionem, et sic de aliis. Inde est quod secundum ordinem eorum in quibus
fundantur relationes, est etiam ordo relationum. Sicut ergo videmus in his
quae distinguuntur per essentiam, quod principia substantiae sunt distinguentia,
ut materia et forma, et aliae res accidentales sunt signa manifestantia
distinctionem, ita est in his quae distinguuntur per relationem, quod
relationes quae fundantur supra naturam rei, sunt distinguentia, et aliae
relationes sunt signa distinctionis. Relationes autem habentes fundamentum in
natura rei, sunt relationes originis: paternitas enim fundatur in
communicatione naturae ; et ideo sancti ponunt, quod paternitate et
filiatione Pater et Filius distinguuntur: sed aequalitas et similitudo demonstrant
distinctionem. Unde Hilarius supra, dist. 25, per similitudinem divinarum personarum
distinctionem probavit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que parce que la relation ne possède une existence
naturelle que du fait qu’elle possède un fondement dans la
chose et du fait qu’elle est placée dans un genre, c’est de là que
les differences essentielles des relations se tirent d’après les differences
des autres êtres comme on peut le voir chez le Philosophe [V Métaphysique,
texte 20], où il dit que certaines se fondent sur la quantité, d’autres sur
l’action, et de même aussi pour les autres. Et c’est de là encore que l’ordre
des relations existe d’après l’ordre des choses dans lesquelles se fondent
les relations. Donc, tout comme nous voyons dans les choses qui se
distinguent par l’essence que les principes de la substance sont ce qui
distingue, comme la matière et la forme, et que les autres choses
accidentelles sont les signes qui manifestent la distinction, il en est de
même pour les choses qui se distinguent par la relation, à savoir que les
relations qui se fondent sur la nature de la chose sont ce qui distingue et
que les autres relations sont les signes de la distinction. Mais les
relations qui possèdent un fondement dans la nature de la chose sont les
relations d’origine: la paternité en effet se fonde sur une communication de
nature; et c’est pourquoi les saints affirment que c’est par la paternité et
la filiation que le Père et le Fils se distinguent; mais l’égalité et la
similitude manifestent la distinction. C’est pourquoi Saint-Hilaire a prouvé
plus haut (dist. 25) la distinction des personnes divines par la similitude. |
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Articulus 3 1985] Super Sent., lib. 1 d. 26
q. 2 a. 3 tit. Utrum notiones sint tantum quinque |
Article 3 – Les notions sont-elles seulement cinq ? |
[1986] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non
sint tantum quinque notiones. Quod enim innascitur alicui ex sola habitudine
alterius ad ipsum, multiplicatur secundum multitudinem eorum quae ad ipsum
comparantur: quia ad multiplicitatem causae sequitur pluralitas in effectu.
Sed relationes innascuntur ex sola habitudine alterius ad aliquem. Ergo tot
erunt relationes in Deo, quot sunt creaturae quae comparationem ad ipsum
habent. |
Difficultés: 1. Il semble
qu’il n’y ait pas que cinq notions en Dieu. En effet, ce qui naît dans un
être à partir du seul rapport d’un autre à lui se multiplie d’après la
multiplicité des choses qui se rapportent à lui: car la multiplicité de
l’effet suit la multiplicité de la cause. Mais les relations naissent dans un
être à partir du seul rapport d’un autre à lui. Donc il y aura autant de
relations en Dieu qu’il y a de créatures qui ont un rapport à lui. |
[1987] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, in Deo fuerunt ab aeterno, secundum
Augustinum, rationes rerum creandarum, quae non differunt ab invicem nisi
relationibus secundum respectum ad creaturam. Ergo videtur quod quot sunt
creaturae, quarum rationes sunt in Deo, tot sunt ibi etiam relationes. |
2. Par ailleurs,
d’après Saint-Augustin, les notions des choses à créer, qui ne different
entre elles que par les relations selon le rapport à la créature, existent de
toute éternité en Dieu. Il semble donc qu’il y a aussi en
Dieu autant de relations qu’il y a de créatures dont les notions
existent en Dieu. |
[1988] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, divinae personae non tantum comparantur
ad invicem secundum naturam quam una ab alia accipit, sed etiam secundum alia
attributa. Sed in omnibus illis comparationibus intelliguntur aliquae
relationes vel aequalitatis vel similitudinis. Ergo videtur quod tot sint
relationes quot sunt ibi attributa. |
3. En
outre, les personnes divines ne se comparent pas entre elles uniquement selon
la nature que l’une reçoit de l’autre, mais aussi selon les autres attributs.
Mais dans toutes les autres comparaisons on entend certaines relations soit
d’égalité, soit de similitude. Il semble donc qu’il y ait là autant de
relations qu’il y a des attributs. |
[1989] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ex omni operatione innascitur aliqua
operantis relatio ad id circa quod est operatio. Sed in Deo secundum rationem distinguuntur
plures operationes, ut est velle, intelligere et hujusmodi. Ergo sicut operationem
generationis consequuntur secundum intellectum relationes originis, ita et ad
alias operationes consequentur aliae relationes, sicut intelligentis ad
intellectum, et volentis ad volitum: et ita multiplicabuntur relationes
secundum numerum operationum. |
4. Par ailleurs, de toute opération
naît une certaine relation de celui qui opère à l’égard de ce sur quoi porte
l’opération. Mais en Dieu c’est selon la raison que se distinguent les
nombreuses opérations comme vouloir, comprendre, etc. Donc, tout comme les
relations d’origine découlent selon l’intelligence de l’opération de
génération, de même les autres relations, comme celle de celui qui comprend à
ce qui est compris et de celui qui veut à ce qui est voulu, découlent des
autres opérations : et c’est ainsi que les relations se multiplieront
d’après le nombre des opérations. |
[1990] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, sicut Pater et Filius conveniunt in hoc
quod comparantur ad Spiritum sanctum ut principium ; ita Filius et Spiritus
sanctus conveniunt in hoc quod comparantur ad Patrem sicut ad
principium. Sed communis
spiratio est quaedam relatio conveniens Patri et Filio. Ergo esse a Patre
erit alia relatio communis Filio et Spiritui sancto ; et ita sunt plures quam
quinque. |
5. De plus, tout comme le Père et
le Fils ont en commun de se rapporter à l’Esprit-Saint en tant que principes,
de même le Fils et l’Esprit-Saint ont en commun de se rapporter au Père qui
est leur principe. Mais la spiration commune est une certaine relation qui
convient au Père et au Fils. Donc, procéder du Père sera une autre relation
commune au Fils et à l’Esprit-Saint ; et ainsi il y aura plus que cinq
notions. |
[1991] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3
arg. 6 E contra videtur quod sint pauciores: quia, ut dictum est, artic.
praec., proprietates sunt subsistentes personae. Ergo sunt ibi proprietates
tot, quot sunt personae subsistentes. Sed personae subsistentes non sunt nisi
tres. Ergo proprietates non sunt nisi tres. |
6. Au contraire il semble qu’il y
ait moins que cinq notions car, ainsi que nous l’avons dit dans l’article
précédent, les propriétés sont les personnes subsistantes. Il y a donc là
autant de propriétés qu’il y a de personnes subsistantes. Mais il n’y a que
trois personnes subsistantes. Il n’y a donc que trois propriétés. |
[1992] Super Sent.,
lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod notionis, proprietatis et relationis differentia potest
tripliciter assignari. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
différence entre la notion, la propriété et la relation peut être établie de
trois manières. |
Primo quantum ad rationem significationis ;
et sic sciendum est, quod paternitas dicitur relatio, secundum quod ad Filium
refertur ; dicitur autem proprietas, inquantum soli Patri convenit: dicitur
notio, inquantum est principium formale innotescendi Patrem. |
Premièrement quant à la définition
de la signification des termes et en ce sens il faut savoir qu’on attribue la
relation à la paternité selon qu’elle se rapporte au Fils ; on lui attribue
la propriété en autant qu’elle convient seulement au Père ; mais on dit
de la paternité qu’elle est une notion pour autant qu’elle est le principe
formel qui fait connaître le Père. |
Secundo quantum ad ordinem intelligendi ;
quia cum nihil possit esse principium innotescendi aliquid, nisi sit sibi
proprium, intellectum notionis praecedit intellectus proprietatis. Et quia
proprietas non convenit nisi rei distinctae ab aliis, et distinctio in
divinis non est nisi per oppositionem relationis ; intellectum proprietatis
in divinis praecedit intellectus relationis. |
Deuxièmement quant à l’ordre
d’intelligibilité ; car puisque rien ne peut être le principe permettant
de notifier quelque chose, à moins d’être propre à cette chose, la
compréhension ou l’intelligence de la propriété précède l’intelligence de la
notion. Et parce qu’une propriété ne convient qu’à une chose qui est
distincte des autres et qu’il n’y a de distinction en Dieu que par
l’opposition de relation, l’intelligence de la relation précède en Dieu
l’intelligence de la propriété. |
Tertio quantum ad numerum ; quia notiones
sunt quinque, scilicet paternitas, filiatio, processio, innascibilitas,
communis spiratio. Harum autem quatuor tantum sunt proprietates, quae uni
personae tantum conveniunt, scilicet paternitas, innascibilitas, quae
conveniunt tantum Patri ; filiatio, quae convenit tantum Filio ; processio,
quae convenit tantum Spiritui sancto. |
Troisièmement quant au
nombre ; car les notions sont au nombre de cinq, à savoir la paternité,
la filiation, la procession, l’innascibilité, la spiration commune. Mais par
rapport à ces cinq notions il n’y a que quatre propriétés qui ne conviennent
qu’à une seule personne, à savoir la paternité, l’innascibilité qui
conviennent seulement au Père ; la filiation qui convient seulement au
Fils et la procession qui convient seulement à l’Esprit-Saint. |
Communis autem spiratio non potest dici
proprietas simpliciter, quia convenit duabus personis ; sed secundum quid,
secundum quod aliquid dicitur esse proprium ad aliquid ; est enim proprium
Patris et Filii respectu Spiritus sancti. Harum etiam notionum quatuor sunt
tantum relationes, scilicet paternitas, filiatio, processio, communis
spiratio ; innascibilitas enim non proprie dicitur relatio, nisi per
reductionem, secundum quod negatio reducitur ad genus affirmationis, ut non
homo ad genus hominis. |
Mais la spiration commune ne peut
être appelée propriété à parler absolument car elle convient à deux
personnes ; mais sous un certain rapport seulement, selon qu’on dit d’une
chose qu’elle est propre par rapport à quelque chose ; la spiration
commune effet est quelque chose qui est propre au Père et au Fils par rapport
à l’Esprit-Saint. Mais parmi ces notions il n’y a aussi que quatre relations,
à savoir la paternité, la filiation, la procession et la spiration
commune ; l’innascibilité en effet ne peut à proprement parler être
appelée une relation que par réduction, selon que la négation se ramène au
genre de l’affirmation comme le non-homme se ramène au genre de l’homme. |
Harum autem proprietatum vel notionum vel
relationum, tres tantum sunt personales, scilicet constituentes personas:
unde habent quasi actum differentiae constitutivae, scilicet paternitas,
filiatio, processio. Aliae duae sunt proprietates personae, sed non
personales. Harum autem notionum quinque sufficientia sic patet. |
Mais parmi ces propriétés, ces
notions et ces relations, il y a seulement trois notions qui sont
personnelles, qui constituent les personnes, d’où elles sont comme l’acte de
la différence constitutive, à savoir la paternité, la filiation et la
procession. Les deux autres sont des propriétés de la personne mais non des
propriétés personnelles. Par conséquent, la suffisance de ces cinq notions
est ainsi évidente. |
Ad hoc enim quod aliquid dicatur notio
personae, tria requiruntur ; primo quod ad originem pertineat, quia
relationibus originis personae distinguuntur ; secundo quod pertineat ad
dignitatem, quia persona est hypostasis distincta proprietate ad dignitatem
pertinente ; tertio quod dicat aliquid speciale, quia commune non est
sufficiens principium innotescendi. |
En effet, pour qu’on puisse parler
de notion de personne, trois choses sont requises : premièrement qu’elle
renvoie à l’origine car c’est par les relations d’origine que les personnes
se distinguent ; deuxièmement qu’elle renvoie à une dignité, car la
personne est une hypostase distincte par une propriété qui appartient à une
dignité ; troisièmement il faut que la notion dise quelque chose de
particulier car l’universel n’est pas un principe qui suffit à faire
connaître. |
Dico igitur, quod pertinens ad originem
potest significari vel affirmative vel negative. Si affirmative, vel dicetur
secundum rationem principii, ut a quo alius, vel secundum rationem ejus quod
est a principio, ut qui ab alio. Utrumque istorum dicit originem in communi:
unde neutrum potest esse notio. Oportet ergo quod determinetur secundum
specialem modum originis, qui non est nisi dupliciter, ut supra probatum est,
dist. 13, qu. 1, art. 2, scilicet per modum naturae, et per modum amoris ; et
secundum utrumque habemus duas relationes: unam quae designat rationem
principii, et alteram quae designat rationem ejus quod est a principio ; et
sic sunt quatuor rationes, scilicet paternitas et filiatio quantum ad modum originis
naturae ; processio et communis spiratio quantum ad modum originis amoris. |
Je dis donc que ce qui appartient à
l’origine peut être signifié soit affirmativement, soit négativement. Si
c’est de façon affirmative, il se dira soit selon la notion de principe,
comme ce d’où vient un autre, soit selon la notion de terme, comme ce qui
vient d’un autre. Chacun de ces deux cas dit l’origine en général : d’où
aucun des deux ne peut être une notion. Il faut donc que ce qui appartient à
l’origine soit déterminé d’après un mode spécial d’origine, ce qui ne peut se
faire que de deux manières ainsi que nous l’avons prouvé plus haut [dist. 13,
quest. 1, art. 2], c’est-à-dire par mode de nature et par mode d’amour :
et d’après chacune de ces deux modalités nous avons deux relations : une
qui désigne la notion de principe, et l’autre qui désigne la notion de ce qui
vient du principe ; et ainsi nous avons quatre notions, à savoir la
paternité et la filiation quant au mode d’origine qui est celui de la nature ;
la procession et la spiration commune quant au mode d’origine qui est celui
de l’amour. |
Si significatur negative, vel negatur ratio
principii, vel ratio ejus quod est a principio. Si negatur ratio principii,
non est ad dignitatem pertinens, et ideo non potest esse notio Spiritus
sancti, nec esse principium alicujus personae divinae. Si negatur ratio ejus
quod est a principio ; aut in speciali, aut in generali. Si in speciali, non
potest esse notio ; quia quanto affirmatio est magis specialis, tanto negatio
[notio Éd. de Parme] opposita est magis communis, sicut non homo
est magis commune quam non animal ; quia omne non animal est non homo ; sed
non convertitur. |
Si ce qui appartient à l’origine
est signifié négativement, ou bien c’est la notion de principe qui est niée,
ou bien la notion de ce qui vient du principe. Si c’est la notion de principe
qui est niée, elle ne se rapporte pas à une dignité et c’est pourquoi il ne
peut y avoir la notion de l’Esprit-Saint ni principe d’aucune personne
divine. Si c’est la notion de terme qui est niée, ce sera soit en
particulier, soit en général. Si c’est en particulier, il ne peut y avoir de
notion car la négation [notion Éd. de Parme] opposée est d’autant
plus commune que l’affirmation est plus particulière, tout comme non-homme
est plus commun que non-animal, car tout non-animal est non-homme, mais non
inversement. |
Si in generali, sic erit negatio specialis,
et ad dignitatem pertinens ; unde faciet notionem Patris, quae est
innascibilitas quae significat non esse ab alio, secundum quod est proprietas
Patris. Quare autem dicatur innascibilitas per privationem nativitatis,
specialiter infra dicetur, dist. 28, qu. 1, art. 1. |
Si c’est en général, il y aura
ainsi une négation particulière se rapportant à une dignité, d’où elle fera
la notion de Père qui est l’innascibilité qui signifie ¨ne pas procéder d’un
autre¨, selon qu’il s’agit là de la propriété du Père. Mais pourquoi on parle
ici d’innascibilité par privation de la naissance, on le dira plus loin
[dist. 28, quest. 1, art. 1] avec plus de précision. |
[1993] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relationes illae quae significantur in
Deo ex habitudine creaturarum ad ipsum, nihil realiter ponunt in Deo, ut ex
praedictis, hac quaest. art. 1, patet ; et ideo non sequitur quod secundum
hoc in infinitum multiplicentur relationes realiter in Deo existentes. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
ces relations qui sont signifiées en Dieu à partir du rapport que les
créatures entretiennent à son égard ne posent rien en Lui en réalité comme
nous le voyons à partir de ce qui précède [dist. 26, quest. 2, art. 1]. Et
c’est pourquoi il ne s’ensuit pas d’après cela que les relations qui existent
réellement en Dieu se multiplient à l’infini. |
[1994] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes illae secundum quas attenditur
distinctio idearum, non sunt fundatae in esse divino, sed in intellectu ejus
; unde realiter non habent esse in Deo, sed solum sunt intellectae ab ipso,
sicut forma asini, et forma equi et hujusmodi ; et non sicut bonitas et
sapientia in ipso habent esse. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que ces relations d’après lesquelles on considère la distinction des idées ne
se fondent pas dans l’existence divine, mais dans son intelligence ;
d’où elles ne possèdent pas réellement une existence en Dieu, mais elles sont
seulement conçues par Lui, comme la forme de l’âne, du cheval, etc. Ce qui
n’est pas le cas pour la bonté et la sagesse qui possèdent une existence en
Lui. |
[1995] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas et similitudo non addunt aliquam
relationem realem super paternitatem et filiationem ; et ratio hujus infra
dicetur, 31 dist., quaest. 1, art. 1. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’égalité et la similitude n’ajoutent aucune relation réelle à la
paternité et à la filiation ; et nous dirons plus loin [dist. 31, quest.
1, art. 1] la raison de cela. |
[1996] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod relationes quibus non subest aliqua realis
distinctio in re quae refertur, non est relatio realis. Unde quandocumque
aliqua operatio reflectitur in suppositum operans, ex reali operatione non
innascitur aliqua realis relatio, sed rationis tantum ; et ideo cum dicitur,
quod Deus vel anima intelligit se, non importatur ibi aliqua realis relatio,
sed rationis tantum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que les relations sous lesquelles ne se cache pas une distinction réelle dans
la chose à laquelle elles se rapportent, ne sont pas des relations réelles.
C’est pourquoi une opération revient parfois sur le suppôt qui pose
l’opération et que d’une opération réelle ne naît pas du coup une relation
réelle, mais seulement une relation de raison ; et c’est pourquoi,
lorsque nous disons que Dieu et l’âme se comprennent eux-mêmes, cela
n’implique pas une relation réelle, mais seulement une relation de raison. |
[1997] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3
ad 5 Ad quintum dicendum, quod esse ab aliquo non dicit determinatum modum
originis ; et ideo non dicit specialem notionem, sed salvatur in duabus
notionibus, scilicet filiatione et processione, cum quibus non ponit in
numerum, sicut nec aliquod commune cum propriis quae sub eo continentur, sed
communis spiratio dicit determinatum modum originis, secundum quam Pater et
Filius sunt principium Spiritus sancti ; et ideo dicit specialem notionem. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que ¨procéder d’un autre¨ ne dit pas un mode d’origine déterminé ; et
c’est pourquoi cela ne dit pas une notion particulière, mais ce concept est
conservé dans deux notions, à savoir la filiation et la procession avec
lesquelles il ne fait pas nombre, tout comme aucun caractère commun ne fait
nombre avec ce qui est contenu en propre sous lui ; mais la spiration
commune dit un mode d’origine déterminé selon lequel le Père et le Fils sont
le principe de l’Esprit-Saint ; et c’est pourquoi la spiration commune
signifie une notion particulière. |
[1998] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad
6 Ad sextum dicendum, quod quaelibet proprietas in divinis, et quidquid est
ibi, est subsistens ; non tamen oportet quod sint tot res subsistentes quot
sunt proprietates ; sed quot oppositio exigit realiter distinguens. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
toute propriété en Dieu, comme tout ce qui s’y trouve, est subsistant ;
il n’est cependant pas nécessaire qu’il y ait autant de choses subsistantes
qu’il y a de propriétés ; mais autant que l’exite l’opposition qui
distingue réellement. |
Unde sicut in Deo bonitas
et sapientia est subsistens, non tamen alia et alia res est subsistens, quia
non habent oppositionem ; ita etiam communis spiratio est subsistens, non
tamen est alia res subsistens quam paternitas et filiatio, quia non habent
oppositionem ad eam: unde in una re subsistente cum utroque esse potest. Nec
tamen constituit personam in qua est, quia praesupponit secundum ordinem
naturae paternitatem et filiationem, sicut et processio praesupponit
generationem ; et ideo non est personalis notio ; et similiter
innascibilitas, cum non habeat oppositionem ad paternitatem, in eadem re
subsistente esse potest ; et quia negatio importata consequitur secundum
intellectum in ea positionem principii, ideo non constituit personam, sed est
in persona constituta per paternitatem. |
D’où, tout comme en Dieu la bonté
et la sagesse sont subsistantes, elles ne sont cependant pas subsistantes en
tant que choses différentes car elles n’ont pas d’opposition entre
elles ; de même encore la spiration commune est subsistante, mais elle
n’est pas subsistante à la manière d’une réalité différente de la paternité
et de la filiation qui ne présentent aucune opposition à son égard : et
c’est pourquoi la spiration commune peut exister avec les deux autres dans
une seule et même réalité subsistante. Et cependant elle ne constitue pas la
personne dans laquelle elle existe car elle présuppose la paternité et la
filiation conformément à un ordre de nature, tout comme la procession
présuppose la génération ; et c’est pourquoi elle n’est pas une notion
personnelle ; et de la même manière l’innascibilité, puisqu’elle ne
présente aucune opposition à l’égard de la paternité, peut exister dans la
même réalité subsistante ; et parce que la négation impliquée en elle
selon l’intelligence découle de l’affirmation d’un principe, c’est pourquoi
elle ne constitue pas une personne mais plutôt elle existe dans une personne
constituée par la paternité. |
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Distinctio 27 |
Distinction 27 – [Les propriétés et le Verbe] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Les propriétés] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo de ipsis notionibus vel
proprietatibus. Secundo de nominibus personalibus, et
praecipue de verbo. Circa primum duo quaeruntur: 1 qualiter proprietates ad invicem differant
; 2 utrum proprietates vel relationes,
operationes personales secundum intellectum praecedant, vel e converso. |
La recherche porte ici sur deux
points. Premièrement sur les notions elles-mêmes
ou les propriétés. Deuxièmement sur les noms personnels et
surtout sur le Verbe. Au sujet du premier point on cherche à
répondre à deux questions : 1. De quelle manière les propriétés
diffèrent-elles entre elles ? 2. Est-ce que les propriétés ou les
relations précèdent selon l’intelligence les opérations personnelles, ou
inversement ? |
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Articulus 1 lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1
tit. Utrum proprietates ad invicem distinguantur |
Article 1 – Les propriétés se distinguent-elles entre elles ? |
lib. 1 d. 27 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod proprietates ad invicem non
distinguantur. Nulla enim est distinctio in divinis, nisi secundum originem.
Sed una proprietas non oritur ab alia: quia sicut essentia non generat, ita
nec proprietas. Ergo
proprietates ad invicem non distinguuntur. |
Difficultés : 1. Il semble que les propriétés ne se
distinguent pas entre elles. En effet, il n’y a de distinction dans les
personnes divines que selon l’origine. Mais une propriété ne naît pas d’une
autre : car tout comme l’essence, la propriété n’engendre pas. Donc les
propriétés ne se distinguent pas entre elles. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1
Praeterea, relatio est medium inter duo extrema. Sed inter duos terminos est
una via media secundum rem, quamvis differat secundum rationem, sicut est
eadem via a Thebis ad Athenas et e converso, ut dicit philosophus, III Phys.,
text. 21. Ergo videtur quod una relatione referatur Pater ad Filium et Filius
ad patrem ; et ita ad minus paternitas et filiatio sunt una relatio. |
2. Par ailleurs, la relation est un
intermédiaire entre deux extrêmes. Mais entre deux termes il n’y a qu’un seul
chemin intermédiaire en réalité, bien qu’il y ait différence selon la raison,
tout comme le chemin de Thèbes à Athènes et inversement soit le même, comme
le dit le Philosophe [111 Physique, texte 21]. Il semble donc que
ce soit par une seule et même relation que le Père se rapporte au Fils et que
le Fils se rapporte au Père. Et ainsi, il y a au moins la paternité et la
filiation qui soient une seule et même relation. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 3
Item, in divinis nihil invenimus distinctum secundum rem, nisi per
oppositionem relativam. Sed sicut inter attributa essentiae, ut bonitatem et
sapientiam, non invenitur aliqua oppositio, ratione cujus de se invicem
praedicantur, quia bonitas est sapientia, et e converso ; ita etiam proprietates
unius personae non habent aliquam oppositionem ad invicem ; alias non possent
in eodem supposito esse. Ergo
videtur quod non sint plures secundum rem, et quod una praedicetur de alia,
ut dicatur: paternitas est innascibilitas, et e converso. |
3. En outre, nous ne trouvons rien
de distinct en Dieu réellement, si ce n’est par l’opposition de relation.
Mais tout comme entre deux attributs de l’essence, comme la bonté et la
sagesse, on ne retrouve aucune opposition en raison de ce qu’ils s’attribuent
mutuellement l’un à l’autre, car la bonté est la sagesse et
inversement ; de même aussi les propriétés d’une même personne ne
présentent aucune opposition entre elles autrement elles ne pourraient
exister dans un même suppôt. Il semble donc que ces propriétés ne soient pas
multiples en réalité et que l’une s’attribue à l’autre de manière à dire que
la paternité est l’innascibilité et inversement. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, non
magis distat ratio verbi a ratione Filii, quam ratio ingeniti a ratione
Patris. Sed eadem notio designatur nomine verbi et Filii, ut in Littera
dicitur. Ergo videtur quod similiter eadem notio designetur nomine ingeniti
et nomine Patris ; et sic innascibilitas et paternitas est erit una [una et
eadem éd de Parme] notio. |
4. Par ailleurs, la notion de Verbe n’est
pas plus éloignée de la notion de Fils que la notion d’inengendré n’est
éloignée de la notion de Père. Mais la même notion est désignée par le nom de
Verbe et celui de Fils, comme on le dit dans la Lettre. Il semble donc, de la
même manière, que la même notion soit signifiée par le nom d’inengendré et
par le nom de Père ; et ainsi l’innascibilité et la paternité seront une
seule [une seule et même Éd. de Parme] notion. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a.
1 arg. 5 Item, unius personae ad aliam personam in divinis non est nisi una
relatio. Sed nomine Patris, generationis et paternitatis importatur relatio
Patris ad Filium. Ergo videtur quod omnia ista in divinis idem sunt: quod est
contra Magistrum in Littera. |
5. En outre, en
Dieu, d’une seule et même personne à une autre il n’y a qu’une seule
relation. Mais par les noms de Père, de generation et de paternité est
impliquée la relation du Père au Fils. Il semble donc que tous ces noms en
Dieu sont identiques: ce qui est contraire à la position du Maître dans la
Lettre. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis, ut supra dictum est, dist. 26, qu. 1, art. 3, sunt
quinque notiones ; non tamen sunt quinque res, sed solum tres res, scilicet
Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ad cujus intellectum sciendum est, quod
in illo proprie aliqua multiplicantur et non unum sunt, cujus differentiis
propriis distinguuntur, ut dicit philosophus, V Metaph., text. 134 et IV
Phys., text. 20) verbi gratia, isosceles, idest triangulus duorum aequalium
laterum, et isopleuros, idest triangulus aequilaterus, distinguuntur
differentiis trianguli ; et ideo non dicimus quod sunt unus triangulus, sed
plures. Non autem distinguuntur propriis differentiis figurae, immo sub una
figurae differentia incidunt, quod est habere tria latera ; et ideo dicuntur
una figura, quae est triangulus ; et ideo non potest dici quod sunt plures
res, nisi de illis quae per differentiam rei distinguuntur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu,
ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 1, art. 3], il y a
cinq notions ; il n’y a cependant pas cinq réalités, mais seulement
trois, à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et pour le comprendre,
il faut savoir que certaines choses à proprement parler se multiplient et ne
sont pas une en ceci qu’elles se distinguent par des différences propres
comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 134, et
IV Physique, texte 20] ; en d’autres mots, le triangle
isocèle, c’est-à-dire le triangle dont deux côtés sont égaux, et le triangle
équilatéral diffèrent par les différences du triangle ; et c’est
pourquoi nous disons qu’ils ne sont pas un seul et même triangle, mais
plusieurs triangles. Ils ne se distinguent cependant pas par les différences
propres de la figure, mais bien plutôt ils tombent sous une seule et même
différence de la figure, à savoir posséder trois côtés ; et c’est
pourquoi on dit qu’ils sont une même figure qui est le triangle ; et
c’est pourquoi on ne peut dire qu’il y a plusieurs réalités que pour ces
choses qui se distinguent par la différence de la chose en question. |
Differentia autem rei in divinis non est
nisi per oppositionem relationis ; et ideo non poterit dici quod sunt plures
res, nisi secundum quod exigit ista oppositio. Unde paternitas et filiatio
sunt duae res, et similiter Pater et Filius. Sed paternitas et communis
spiratio non sunt duae res, quia non opponuntur relative ; sed tantum duae
relationes, quia distinguuntur differentiis relationis inquantum est relatio. |
Mais ce qui distingue les réalités
dans le cas des personnes divines n’est que l’opposition de relation ;
et c’est pourquoi on ne pourra dire qu’il y a plusieurs réalités dans ce cas
que d’après ce qu’exige cette opposition. C’est pourquoi la paternité et la
filiation sont deux réalités, tout comme le Père et le Fils. Mais la
paternité et la spiration commune ne sont pas deux réalités, car elles ne
s’opposent pas par la relation ; mais elle sont seulement deux
relations, car elles se distinguent par les différences de la relation en
tant que relation. |
Cum enim relatio dicatur secundum respectum
ad alterum, differentiae relationis erunt secundum quod est ad diversa ; et
ideo, quia paternitate Pater refertur ad Filium, et communi spiratione ad
Spiritum sanctum, communis spiratio et paternitas sunt duae relationes, et
similiter duae notiones, inquantum est alia et alia ratio innotescendi patrem
in una et alia. |
En effet, puisque la relation se
dit d’après un rapport à quelque chose d’autre, les différences de la
relation se prendront d’après ses rapports à différentes autres choses
extérieures ; et c’est pourquoi, puisque c’est par la paternité que le
Père se rapporte au Fils et que c’est par la spiration commune qu’il se
rapporte à l’Esprit-Saint, il s’ensuit que la paternité et la spiration
commune sont deux relations distinctes, et de même elles sont deux notions
distinctes selon que dans l’une et dans l’autre il y a différentes raisons
formelles de faire connaître le Père. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod oppositio secundum originem per prius secundum intellectum est
in relationibus originis quam in ipsis personis quae ab invicem oriuntur:
quia personae non opponuntur nisi secundum quod hujusmodi relationes habent ;
et ideo relationes oppositae seipsis distinguuntur, sicut differentiae
constitutivae ; sed personae relationibus, sicut species differentiis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
l’opposition selon l’origine en priorité selon l’intelligence dans les
relations d’origine plutôt que dans les personnes mêmes qui naissent les unes
des autres : car les personnes ne s’opposent que selon qu’elles
possèdent de telles relations ; et c’est pourquoi les relations opposées
se distinguent par elles-mêmes, tout comme les différences
constitutives ; mais les personnes s’opposent par leurs relations tout
comme les espèces par leurs différences. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quidam dixerunt, ut Avicenna, Tract. III Metaph., c. X, dicit,
quod eadem numero relatio est in utroque extremorum ; quod non potest esse,
quia unum accidens non est in duobus subjectis ; et ideo dicendum, quod in
utroque extremorum est una relatio differens ab alia in quibusdam secundum
speciem, sicut in illis quae diversis nominibus utrinque nominantur, ut
paternitas et filiatio ; sed in quibusdam non differunt specie, sed numero
tantum, sicut quando utrumque est unum nomen, ut in similitudine et
aequalitate ; et tunc relatio quae est in uno sicut in subjecto, est in altero
sicut in termino, et e converso ; et ideo relatio secundum esse suum, prout
in re fundamentum habet, non est medium, sed extremum ; sed secundum
respectum est medium ; unde patet quod realiter distinguuntur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que certains ont dit, comme Avicenne [111 Métaphysique, ch. X]
que la même relation, numériquement parlant, est dans chacun des deux
extrêmes ; ce qui est impossible car un même accident n’est pas dans
deux sujets ; et c’est pourquoi il faut dire que dans chacun
des deux extrêmes il y a une seule relation qui diffère de l’autre chez
certains selon l’espèce comme chez ceux qui sont nommés de part et d’autre
par des noms différents, comme la paternité et la filiation ; mais chez
d’autres ils ne diffèrent pas par l’espèce mais par le nombre seulement,
comme lorsqu’il n’y a qu’un seul nom pour les deux, comme la similitude et
l’égalité ; et alors la relation qui est dans l’un comme dans un sujet
est dans l’autre comme dans un terme et inversement ; et c’est pourquoi
la relation selon son existence, pour autant qu’elle a un fondement dans la
réalité, n’est pas un intermédiaire mais un extrême ; mais selon le
rapport elle est un intermédiaire ; c’est pourquoi il est clair que les
relations se distinguent réellement. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod sicut attributa essentialia non sunt plures res, ita nec
proprietates uni personae convenientes ; sed sunt una res, quae est illa
persona ; sed tamen quia relatio manet in divinis etiam secundum communem rationem
generis, manet etiam relationis distinctio, inquantum est relatio ; et ideo
potest dici quod sunt plures relationes, et una relatio de alia non
praedicatur. Non sic autem est in essentialibus, quae non manent ibi secundum
communem rationem generis ; unde non distinguuntur secundum rationem alicujus
communis, cujus ratio in Deo sit, si tamen accipiatur commune reale, ut
significatur nomine primae impositionis ; si Il vero accipiatur commune
rationis, quod significatur nomine secundae impositionis, sic commune est
omnibus quod sint attributa ; et ideo quia dividunt unum commune rationis,
secundum hoc non praedicantur de invicem. Non enim dicimus quod hoc
attributum sit illud attributum ; sed quod est aliud attributum ab illo. Sed
quia non dividunt unum commune reale, ideo ratione divinae simplicitatis
secundum quodcumque nomen primae impositionis de se invicem praedicantur, ut
dicatur: haec res est illa res ; vel etiam propriis nominibus, ut: sapientia
est bonitas. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que les propriétés qui appartiennent à une seule personne,
tout comme les attributs essentiels, ne sont pas plusieurs réalités, mais une
seule réalité qui est telle personne ; cependant, parce que la relation
demeure aussi dans les personnes divine selon la notion commune d’un même
genre, il y demeure aussi, en tant qu’elle est une relation, la distinction
de la relation ; et c’est pourquoi on peut dire qu’il y a plusieurs
relations et qu’une même relation ne s’attribue pas à une autre. Mais il n’en
est pas ainsi pour les attributs essentiels qui ne demeurent pas dans les
personnes divines selon la notion commune d’un même genre ; de là ils ne
se distinguent pas sous le rapport de quelque chose de commun dont la notion
serait en Dieu, si cependant le commun se prenait comme réel, tel qu’il est
signifié par la première imposition ; mais si celui-ci était pris comme
un commun de raison qui est signifié par le nom de la deuxième imposition,
ainsi il est commun à tous ceux qui sont attribués ; et c’est pourquoi,
parce qu’ils divisent un même commun de raison, suivant cela ils ne
s’attribuent pas l’un à l’autre. Nous ne disons pas en effet que cet attribut
soit cet autre attribut, mais qu’il est un attribut autre que celui-là. Mais
parce qu’ils ne divisent pas un commun réel, c’est pourquoi, en raison de la
simplicité divine d’après n’importe quel nom de la première imposition, ils
s’attribuent mutuellement l’un à l’autre, de telle manière qu’on dise :
cette chose-ci est cette chose-là, ou qu’on le dise même par les noms propres,
comme : la sagesse est la bonté. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod verbum et Filius non distinguuntur differentia relationis ;
quia utrumque dicit relationem ejusdem ad idem ; et propter hoc non
importantur nomine verbi et filii duae relationes, sed una ; similiter nomine
doni et amoris ; sed distinguuntur tantum secundum quod habent fundamentum in
re, prout unum fundatur in emanatione naturae, scilicet Filius, et aliud in
emanatione intellectus, scilicet verbum ; quae in Deo non nisi ratione
differunt ; et ideo verbum et Filius differunt solum ratione et non relatione
; sed ingenitus et Pater non respectu ejusdem dicuntur ; et ideo constat quod
non est una relatio, vel notio. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que le Verbe et le Fils ne se distinguent pas par une différence de
relation ; car chacun des deux dit une relation du même au même ;
et pour cette raison, il n’y a a pas deux relations qui sont impliquées par
les noms de Verbe et de Fils, mais une seule ; et il en est de même pour
les noms de don et d’amour, mais ils se distinguent seulement selon qu’ils
ont un fondement dans la réalité, pour autant que l’un se fonde sur une
provenance de la nature, à savoir le Fils, et l’autre sur une provenance de
l’intelligence, à savoir le Verbe : lesquels ne diffèrent en Dieu que
selon la raison ; et c’est pourquoi le Verbe et le Fils ne diffèrent que
par la raison et non par la relation ; mais inengendré et Père ne se
disent pas par rapport à la même chose ; et c’est pourquoi il est clair
qu’il n’y a pas là qu’une seule relation ou une seule notion. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sicut est in essentialibus quod idem est secundum rem divina
operatio et Deus et deitas, sed distinguuntur secundum rationem tantum fundatam
in re ; ita etiam est in personalibus, quod idem est secundum rem operatio
personalis et persona et proprietas constituens personam ; sed differunt
tantum secundum rationem et modum significandi. Unde dico, quod eadem ratio
significatur per haec tria, pater, paternitas, generatio ; sed Pater
significat illam per modum hypostasis vel personae, paternitas per modum
proprietatis, generatio per modum operationis. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que tout comme dans les attributs essentiels
l’opération divine, Dieu et la divinité sont une seule et même chose en
réalité et qu’ils se distinguent seulement selon la raison qui se fonde sur
la réalité, il en est de même encore pour les attributs personnels, à savoir
que l’opération personnelle, la personne et la propriété qui constitue la
personne sont une seule et même chose en réalité et ne different que selon la
raison et le mode de signifier. De là je dis que c’est une même notion qui
est signifiée par ces trois termes, à savoir père, paternité et generation;
mais père signifie cette notion à la manière d’une hypostase ou d’une
personne, paternité à la manière d’une propriété et génération à la manière
d’une opération. |
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Articulus 2 : lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 tit. Utrum operatio
personalis praecedat secundum rationem relationem personae |
Article 2 – L'opération personnelle précède-t-elle en raison la relation de la personne ? |
lib. 1 d. 27 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod operatio personalis
praecedat secundum intellectum relationem personae. Generatio enim, ut dictum
est, dist. 5, qu. 1, art. 1, significat operationem personalem. Sed Magister in Littera dicit, quod ideo est
pater quia genuit. Ergo videtur quod generatio secundum intellectum praecedat
relationem Patris. |
Difficultés : 1. Il semble que l’opération personnelle
précède selon l’intelligence la relation de la personne. La
génération en effet, comme nous l’avons dit [dist. 5, qeust. 1, art. 1],
signifie une opération personnelle. Mais le Maître dit dans la Lettre que la
raison pour laquelle il est Père est qu’il engendre. Il semble donc que la
génération précède la relation de Père selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
relatio paternitatis et operatio generationis se consequuntur. Aut ergo
paternitas est principium hujus operationis quae est generatio, ut scilicet
quia Pater est, ideo generat ; aut consequitur ipsam per modum effectus
relicti ab ipsa, ut scilicet quia generat, est Pater. Sed paternitas non est
principium ipsius operationis ; quia, ut dicit Anselmus, lib. I Monol., cap.
XLI, eo quod est Deus generat, et non eo quod est Pater. Ergo videtur quod
paternitas consequatur generationem secundum intellectum. |
2. Par ailleurs, la relation de
paternité et l’opération de génération se suivent. Donc, ou bien la paternité
est le principe de cette opération qui est la génération, c’est-à-dire de
telle manière que c’est parce qu’il est Père qu’il engendre ; ou bien la
paternité découle de cette opération à la manière d’un effet laissé par elle,
de telle manière que ce serait parce qu’il engendre qu’Il est Père. Mais la
paternité n’est pas le principe de l’opération elle-même car, comme le dit
Saint-Anselme [1 Monol., ch. XL1], c’est du fait qu’Il est Dieu
qu’il engendre et non du fait qu’il est Père. Il semble donc que la paternité
découle de la génération selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis
relatio secundum intellectum consequitur illud in quo fundatur ; sicut
aequalitas consequitur quantitatem. Sed, secundum philosophum, V Metaph.,
text. 20, paternitas et filiatio fundantur in operatione. Ergo paternitas
sequitur operationem generationis secundum intellectum. |
3. En
outre, toute relation découle selon l’intelligence de ce dans quoi elle se
fonde, comme l’égalité qui découle de la quantité. Mais, d’après le
Philosophe [V Métaphysique, texte 20], la paternité et la
filiation se fondent sur l’opération. Donc la paternité découle de
l’opération de génération selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a.
2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet generatio activa ad Patrem, ita se habet
generatio passiva vel nativitas ad Filium. Sed filiatio nullo modo praecedit
nativitatem secundum intellectum, sed semper consequitur. [Ergo nec
paternitas generationem activam, sed consequitur eam add. Éd. de Parme]. Ergo
videtur quod etiam paternitas secundum intellectum generationem activam
sequatur. |
4. Par
ailleurs, ce que la génération active est au Père, la génération passive ou
la naissance l’est au Fils. Mais la filiation ne précède en aucune manière la
naissance selon l’intelligence, mais elle la suit toujours. [Donc, la
paternité ne précède pas la génération active, mais en découle add.
Éd. de Parme]. Il semble donc que la paternité aussi découle de la
génération active selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a.
2 s. c. 1 Contra, operatio, secundum philosophum, I Metaph., in prol., est
individuorum distinctorum, vel singularium. Sed non est distinctum quid in divinis nisi per
relationem. Ergo intellectum operationis personalis praecedit intellectus
relationis. |
Cependant : 1. Au contraire l’opération d’après le
Philosophe [1 Métaphysique, prologue] appartient à des
individus distincts ou à des singuliers. Mais il n’y a aucune réalité
distincte en Dieu si ce n’est par la relation. Donc, l’intelligence de la
relation précède celle de l’opération personnelle. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a.
2 s. c. 2 Praeterea, principium operationis propriae alicujus oportet quod
sit forma propria ejus. Sed generatio est propria operatio Patris. Cum igitur nulla forma Patris potentiae sit
propria nisi paternitas, videtur quod paternitas sit principium generationis
in Patre, et ita praecedit secundum intellectum. |
2. Par ailleurs, le principe de
toute opération propre doit être la forme propre à cette opération. Mais la
génération est l’opération propre du Père. Donc, puisqu’il n’y a aucune forme
qui soit propre à la puissance du Père sauf la paternité, il semble que la
paternité soit le principe de la génération qui est dans le Père, et par
conséquent elle la précède selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod secundum illos qui dicunt, quod relationes non distinguunt nec
constituunt personas, sed tantum manifestant constitutas et distinctas,
relatio consequitur operationem personalem absolute secundum intellectum. Sed
quia non invenitur aliquid distinguens personas et constituens eas nisi
relatio secundum rationem suae oppositionis ; ideo dico, quod relatio,
inquantum est constituens personam, praecedit secundum intellectum
operationem. Secundum hoc ergo dico, quod ipsa relatio potest tripliciter
considerari. Vel inquantum est relatio absolute, et ex
hoc non habet quod praecedat operationem, immo magis quod sequatur, sicut
patet in creaturis [sicut… creaturis om. Éd de Parme]. Vel inquantum est relatio divina quae est
constituens personam et ipsa persona subsistens ; et sic praecedit secundum
intellectum operationem. Vel inquantum est ipsa operatio personalis ;
et sic sunt simul secundum intellectum, et idem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après
ceux qui disent que les relations ne distinguent pas et ne constituent pas
les personnes mais ne font que manifester les personnes constituées et
distinctes, la relation découle absolument de l’opération personnelle selon
l’intelligence. Mais parce qu’il ne se trouve rien qui distingue les
personnes et les constitue si ce n’est la relation en raison de son
opposition, c’est pourquoi je dis que la relation, en tant qu’elle constitue
la personne, précède l’opération selon l’intelligence. Et suite à cela je dis
donc que la relation elle-même peut être considérée de trois manières. Soit en tant que relation prise
absolument et partant de là elle n’a pas à précéder l’opération mais bien
plutôt à en découler, tout comme on le voit dans les créatures [tout comme …
créatures om. Éd. de Parme]. Soit en tant qu’elle est une relation
divine qui constitue la personne et qu’elle est la personne subsistante
elle-même ; et en ce sens elle précède l’opération selon l’intelligence. Soit en tant qu’elle est l’opération
personnelle elle-même et en ce sens elles sont simultanées selon
l’intelligence et identiques. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum igitur
dicendum, quod cum dicit Magister, quod quia genuit est Pater, accipit
generationem non prout significatur per modum operationis, sed prout
significatur per modum proprietatis constituentis personam ; et sic secundum
intellectum praecedit personam constitutam et distinctam. Sic enim
generationem pro paternitate ponunt, sicut etiam supra praecedenti
distinct. Vel dicendum
quod attendit ad relationem secundum quod relatio est, et non secundum quod
est relatio divina constituens personam et distinguens. Vel potest melius
dici, quod in hoc quod dicit, quod est pater quia genuit, non importatur
aliquis ordo per modum causae, sed potius identitas relationis ; unde etiam
ipse dicit, quod ideo est Filius quia genitus, et quia Filius ideo genitus,
ex verbis Augustini, De Trinit., V, c. VII, col. 915. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
lorsque le Maître dit que c’est parce qu’il engendre qu’il est Père, il prend
la génération non pas selon qu’elle est signifiée par mode d’opération, mais
selon qu’elle est signifiée par de mode propriété qui constitue la
personne : et en ce sens elle précède selon l’intelligence la personne
constituée et distincte. C’est en ce sens en effet qu’ils posent la
génération à la place de la paternité comme ils l’ont fait aussi plus haut
dans la distinction précédente. Ou bien il faut dire qu’il considère la
relation en tant qu’elle est relation et non pas en tant qu’elle est une
relation divine qui constitue la personne et la distingue. Ou pour mieux dire
encore, on peut affirmer que dans ce qu’il dit, à savoir qu’il est père parce
qu’il engendre, n’est pas impliqué un ordre par mode de causalité, mais
plutôt une identité de relation ; c’est pour cela que lui-même dit
encore, s’appuyant sur les paroles de Saint-Augustin [V De la Trinité,
ch. VII, col. 915] que la raison pour laquelle il est Fils c’est
qu’il est engendré et que la raison pour laquelle il est engendré, c’est
qu’il est Fils. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod, ut supra dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1, principium
generationis in divinis non potest esse tantum natura, nec iterum tantum
proprietas ; sed natura divina prout est in Patre, talis [vel éd de Parme],
proprietas quae est paternitas. Unde Anselmus non dicit totum
quod exigitur ad principium generationis. Ut enim totum complectamur, oportet dici quod non
tantum quia Deus est, generat, vel quia Pater, sed quia Deus Pater. |
2. Il faut dire en deuxième lieu,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 1], que le principe
de la génération en Dieu ne peut être seulement la nature ni en outre
seulement la propriété, mais la nature divine selon qu’elle est dans le Père,
à savoir cette [ou Éd. de Parme] propriété qui est la paternité.
C’est pourquoi Saint-Anselme ne dit pas tout ce qui est exigé à l’égard du
principe de génération. Pour une compréhension totale de l’énoncé, il faut
dire non seulement que c’est parce qu’il est Dieu ou que c’est parce qu’il
est Père qu’il engendre, mais parce qu’il est Dieu Père. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio illa procedit de relatione secundum rationem relationis
absolute ; sed haec relatio quae est paternitas, habet aliquid ultra: quia
cum sit divina, constituit personam, et est ipsa persona constituta, ratione
cujus praecedit secundum intellectum operationem. |
3. En troisième lieu il faut dire
que ce raisonnement procède de la relation selon la notion de relation prise
absolument ; mais cette relation qui est la paternité possède quelque
chose de plus : car puisqu’elle est divine, elle constitue la personne
et elle est la personne constituée elle-même, en raison de quoi elle précède
l’opération selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non est similis ratio in Patre et Filio: quia forma propria
generati nullo modo est principium generationis activae vel passivae, sed
consequens, et quasi terminus ; et ideo filiatio nullo modo praecedit
intellectum nativitatis ; sed forma generantis propria est principium
generationis activae: et ideo oportet quod praecedat intellectum
generationis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la raison n’et pas semblable pour le Père et pour le Fils : car la
forme propre de l’engendré n’est aucunement principe de génération active ou
passive, mais en découle plutôt et en est comme le terme ; et c’est
pourquoi la filiation ne précède en aucune manière l’intelligence de la
naissance ; mais la forme propre de celui qui engendre est principe de
génération active : et c’est pourquoi il faut qu’elle précède
l’intelligence de la génération. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Le Verbe] |
Prooemium |
Prologue |
lib.
1 d. 27 q. 2 pr. Deinde quaeritur de verbo ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum verbum proprie sit in divinis ; 2
utrum dicatur essentialiter, vel personaliter tantum ; 3 utrum in verbo importetur respectus ad creaturam. |
La recherche porte ensuite sur le
Verbe ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Y a-t-il à proprement parler un Verbe
en Dieu ? 2. Est-ce là un nom essentiel ou
personnel seulement ? 3. Ce nom implique-t-il un rapport à la
créature ? |
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Articulus
1 : lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 tit. Utrum verbum dicatur proprie in divinis |
Article 1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ? |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod verbum non proprie in divinis dicatur. Omne enim
nomen quod significat corporalem operationem, non potest Deo convenire nisi
metaphorice. Sed verbum est hujusmodi: dicitur enim a verberatione aeris ut
dicit Priscianus, lib. I, cap. « de verbo »,. Ergo verbum proprie de Deo
non dicitur. |
Difficultés: 1. Il semble que
ce ne soit pas au sens propre qu’on parle de Verbe en Dieu. En effet, tout
nom qui signifie une opération corporelle ne peut convenir à Dieu qu’en un
sens métaphorique. Mais ¨verbe¨ est un nom de cette sorte; comme
le dit Priscien en effet [ Livre 1, ch. ¨Au sujet du verbe¨], ce nom a
été impose en partant de l’action de frapper l’air. Donc ¨verbe¨ en peut se
dire proprement de Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter omnia quae apud nos sunt, verbum
videtur magis esse transiens, vel de magis transeuntibus, nec est quid
subsistens. Sed quidquid dicitur in divinis, est permanens et subsistens.
Ergo videtur quod verbum de Deo non proprie dicatur. |
2. Par ailleurs, parmi tout ce qui
existe autour de nous, le verbe semble être ce qu’il y a de plus passager ou
se dire de ce qui est le plus éphémère et qui n’est pas susbistant. Mais tout
ce qui se dit de Dieu est permanent et subsistant. Il semble donc que ¨verbe¨
en puisse se dire proprement de Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod de Deo dicitur non verbum vocis, sed
verbum cordis. Contra. Hoc verbum definiens Anselmus, in Monolog., cap.
LXIII, col. 208, dicit, quod dicere summo spiritui nihil est aliud, quam
cogitando intueri. Sed cogitare Deo non convenit, quia cogitatio dicit
quemdam discursum rationis inquirentis et procedentis ex uno in aliud. Ergo videtur quod nec verbum aut dicere Deo
conveniat. |
3. Si tu dis que ce n’est pas le verbe du
son de voix qui s’attribue à Dieu mais le verbe du cœur, je dis au contraire
qu’Anselme [Monologue, ch. LXIII, col. 208], définissant ce verbe,
dit : ¨Dire, pour l’Esprit suprême, n’est rien d’autre que considérer
en réfléchissant¨. Mais réfléchir ne convient pas à Dieu, car la
réflexion dit une certain discours de la raison qui est en recherche et qui
procède d’une chose à une autre. Il semble donc que le verbe ou la parole ne
convienne pas à Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, verbum cordis videtur esse quaedam
conceptio intellectus. Sed nihil concipitur ab intellectu nisi species rei
intelligibilis, quam apud se format. Cum igitur Deus non cognoscat per
speciem aliquam, sed se per essentiam suam videat, et sic cognoscat omnia ;
videtur quod non sit ibi proprie verbum intellectus. |
4. En outre, le verbe du cœur
semble être une conception de l’intelligence. Mais l’intelligence ne conçoit
que l’espèce de la chose intelligible qu’elle forme en elle. Donc, puisque
Dieu ne connaît au moyen d’aucune espèce, mais se voit lui-même par sa propre
essence et connaît ainsi tout chose, il semble qu’on ne puisse retrouver
proprement en Dieu un verbe de l’intelligence. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, Joan. 1, 1: « In principio erat
verbum, et verbum erat apud Deum, et Deus erat verbum ». |
Cependant : 1. L’Écriture [Jean, 1, 1] nous
dit au contraire : ¨Au commencement était le Verbe, et le Verbe était
avec Dieu, et le Verbe était Dieu¨. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil aliud est verbum, ut infra
Augustinus dicit, dist. 18, quam genita sapientia. Sed genita sapientia est
in Deo. Ergo videtur quod et verbum. |
2. Par ailleurs, le verbe n’est
rien d’autre, comme le dit Saint-Augustin à la distinction 18, qu’une sagesse
engendrée. Mais la sagesse engendrée est en Dieu. Il semble donc le verbe
aussi soit en Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 co. Respondeo, absque omni dubio confitendum est, Deum esse
verbum, et proprie verbum dici. Ad cujus intellectum sciendum est, quod in
nobis, ut quaedam Glossa ordinaria super Joan. dicit, invenitur triplex
verbum ; scilicet cordis, et vocis, et quod habet imaginem vocis ; cujus
necessitas est, quod cum locutio nostra sit quaedam corporalis operatio,
oportet quod ad ipsam concurrant ea quae ad omnem motum corporalem exiguntur |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut confesser sans
aucun doute que Dieu est verbe et qu’on doive proprement l’appeler verbe. Et
pour comprendre cela il faut savoir qu’en nous, comme le dit une certaine
interprétation ordinaire de Jean, le terme ¨verbum¨, c’est-à-dire verbe, peut
signifier trois choses : à savoir le verbe de l’intelligence, celui du
son de voix et l’image du son de voix ; et il est nécessaire qu’il en
soit ainsi car puisque l’action de parler est une opération corporelle, il
faut qu’à cette opération concourrent les facteurs qui sont exigés pour tout
mouvement corporel. |
Oportet autem ad hoc quod sit motus corporalis
hominis, ut hominis [ut hominis Ed. De
Parme] qui scilicet est per deliberationem, quod praecedat deliberatio et
judicium in parte intellectiva. Sed quia intellectus est universalium, et
operationes singularium, ideo, ut dicitur III De anima, text. 46, oportet
esse quamdam virtutem particularem quae apprehendit intentionem particularem
rei, circa quam est operatio ; et tertio oportet quod sequatur motus in
corpore per virtutes motivas affixas musculis et nervis ; ut quasi videatur
esse quidam syllogismus, cujus in parte intellectiva habeatur major
universalis, et in parte sensitiva habeatur minor particularis, et demum
sequatur conclusio operationis particularis, per virtutem motivam imperatam ;
ipsa enim operatio se habet in operabilibus sicut conclusio in speculativis,
ut dicitur VII Metaphysic., text. 33. Si
ergo accipiatur locutio secundum quod est in parte intellectiva tantum, sic
est verbum cordis, quod etiam ab aliis dicitur verbum rei, quia est immediata
similitudo ipsius rei ; et a Damasceno, lib. I Fid. Orth., c. XIII, dicitur,
quod est naturalis intellectus motus, velut lux ejus et splendor ; et ab
Augustino, lib. IX de Trinitate, cap. X, col. 969, dicitur verbum animae
impressum. Secundum autem quod est in imaginatione, quando scilicet quis
imaginatur voces quibus intellectus conceptum proferre valeat, sic est verbum
quod habet imaginem vocis, et quod ab aliis dicitur verbum speciei vocis, et
a Damasceno, col. 858, dicitur verbum in corde enuntiatum, et ab Augustino,
dicitur verbum cum syllabis [animi sinu éd. De Parme] cogitatum. Secundum
autem quod jam est in corporali actione per motum linguae et aliorum
instrumentorum corporalium, dicitur verbum vocis ; et a Damasceno verbum quod
est Angelus, scilicet nuntius, intelligentiae, et ab Augustino verbum cum
syllogismis pronuntiatum. |
Mais pour qu’il y ait mouvement corporel
de l’homme, comme il appartient à l’homme de se mouvoir au moyen d’une
délibération, il faut que dans la partie intellectuelle de l’homme une
délibération et un jugement précèdent l’action. Mais parce que l’intelligence
a pour objet les universels et que les opérations portent sur ce qui est
singulier, c’est pourquoi, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme,
texte 46], il faut qu’il y ait une puissance particulière qui appréhende
l’intention particulière de la chose sur laquelle porte l’opération ; et
troisièmement il faut que s’ensuive un mouvement dans le corps au moyen des
puissances motrices fixées aux muscles et aux nerfs ; de telle manière
que la parole ou le langage soit comme un syllogisme dont il y a une majeure
universelle dans la partie intellectuelle, une mineure particulière dans la
partie sensible, et qu’il s’envuive assurément la conclusion d’une opération
particulière par la puissance motrice qui a été commandée ; en effet,
l’opération elle-même se rapporte à la vie active comme la conclusion à la
vie spéculative, ainsi que le dit le Philosophe [ VII Métaphysique,
texte 33]. Si donc on prend la parole selon qu’elle
est dans la partie intellectuelle seulement, ainsi nous sommes en présence du
verbe ou du concept intellectuel, que d’autres appellent aussi le verbe de la
chose car il est une similitude immédiate de la chose elle-même ; et la
parole prise en ce sens, Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch.
XIII] dit à son sujet qu’elle est un mouvement naturel de l’intelligence et
comme sa lumière et sa splendeur ; et Augustin dit [1X De la
Trinité, ch. X, col. 969] que le verbe est l’empreinte de l’âme. Mais
selon que le verbe est dans l’imagination, c’est-à-dire quand on imagine les
mots par lesquels l’intelligence est capable d’exposer le concept, il s’agit
alors du verbe qui possède l’image du mot, que d’autres appellent le verbe de
l’espèce vocale, que Damascène appelle le verbe prononcé dans l’intelligence
et que Saint-Augustin appelle le verbe pensé avec des syllabes [dans le sein
de l’âme Éd. de Parme]. Mais selon que le verbe est déjà dans
l’opération corporelle au moyen du mouvement de la langue et des autres
instruments corporels, on l’appelle le verbe du mot ; et le verbe pris
en ce sens, Damascène dit à son sujet qu’il est comme un Ange, c’est-à-dire
un messager de l’intelligence et Saint-Augustin qu’il est le verbe prononcé
avec les syllogismes. |
Dico
igitur, quod verbum vocis, et quod habet imaginem vocis, non potest dici in
divinis, nisi metaphorice ; sed verbum cordis quod consistit in intellectu
tantum, dicitur etiam per prius de Deo quam de aliis. Sed tamen sciendum est,
quod in operationibus intellectus est quidam gradus. Primo
enim est simplex intuitus intellectus in cognitione intelligibilis, et hoc
nondum habet rationem verbi |
Je dis donc que le verbe, pris en
tant que mot ou son de voix et pris en tant que possédant l’image du mot, ne
peut s’attribuer à Dieu que par métaphore ; mais le verbe intérieur
qu’on ne retrouve que dans l’intelligence se dit aussi de Dieu et s’attribue
même à Lui en priorité par rapport aux autres êtres. Mais il faut cependant
savoir qu’il y a des degrés dans les opérations de l’intelligence. En premier lieu en effet il y
a la simple considération de l’intelligence dans la connaissance
de l’intelligible et cela n’a pas encore raison de verbe. |
Secundo
est ibi ordinatio illius intelligibilis ad manifestationem vel alterius,
secundum quod aliquis alteri loquitur, vel sui ipsius, secundum quod
contingit aliquem etiam sibi ipsi loqui, et haec primo accipit rationem verbi
; unde verbum nihil aliud dicit quam quamdam emanationem ab intellectu per
modum manifestantis. |
En deuxième lieu il y a là une
ordonnance de cet intelligible pour le manifester soit à un autre, selon que
l’on parle à un autre, soit à soi-même, selon qu’il nous arrive de parler
même à nous-mêmes, et c’est cette dernière ordonnance qui reçoit en premier
lieu la notion de verbe ; d’où le verbe ne dit rien d’autre qu’une
certaine émanation de l’intellect par mode de manifestation. |
Et
quia potest esse duplex intuitus, vel veri simpliciter, vel ulterius secundum
quod verum extenditur in bonum et conveniens, et haec est perfecta
apprehensio ; ideo est duplex verbum: scilicet rei prolatae quae placet, quod
spirat amorem, et hoc est verbum perfectum ; et verbum rei quae etiam
displicet ; unde dicit Augustinus quod verbum dicitur animo impressum,
quamvis res ipsa displiceat aut complaceat [non placeat éd. De Parme]. |
Et parce qu’il peut y avoir deux sortes
de considérations, à savoir soit celle du vrai pris absolument, soit selon
que par la suite le vrai est appliqué au bien et à ce qui convient ; et
cette dernière considération est la plus parfaite ; c’est pourquoi il y
a deux sortes de verbes : à savoir celui de la chose présentée qui plaît
et qui inspire l’amour et c’est là le verbe parfait, et le verbe de la chose
qui déplaît ; c’est pourquoi Saint-Augustin affirme qu’on dit du verbe
qu’il est imprimé dans l’âme, que la chose elle-même déplaise [ne plaise pas
Éd. de Parme] ou plaise. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis nomen verbi
impositum sit a motu corporali, quod est ultimum in nostra locutione ; tamen
impositum est ad significandum omne quod dicitur vel exterius vel interius.
Unde quamvis interpretatio nominis non conveniat Deo, convenit tamen res
significata per nomen, sicut frequenter contingit, ut dictum est, dist. 26, qu. 1, art. 1, de hoc nomine
« persona ». |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que le nom de verbe a d’abord été imposé à partir d’un mouvement
corporel qui est dernier dans notre langage, il a cependant été imposé pour
signifier tout ce qui est dit soit extérieurement soit intérieurement. De là,
bien que l’étymologie du nom ne convienne pas à Dieu, cependant la chose
signifiée par le nom Lui convient, tout comme cela arrive fréquemment ainsi
que nous l’avons dit précédemment [dist. 26, quest. 1, art. 1] au sujet du
nom ¨personne¨. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum vocis neque permanet
neque subsistit in nobis, sed verbum cordis nostri permanet, quamvis non
subsistat: et ideo patet quod quamvis verbum non habeat ex ratione verbi quod
permaneat vel subsistat, tamen habet diversas rationes perfectionis, secundum
quod in diversis invenitur ; et ideo verbum divinum, inquantum divinum
[inquantum divinum om. éd. De Parme] habet quod sit permanens et subsistens ;
sicut et de amore supra, dist. 10, qu. 1, art. 1, dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le
verbe pris en tant que mot ne demeure ni ne subsiste en nous, mais le verbe
pris en tant que verbe intérieur demeure en nous bien qu’il ne subsiste
pas : et c’est pourquoi il est clair que bien que le verbe, de par sa
définition même, n’a pas raison de permanence et de subsistance, possède
cependant différentes notions de perfection selon qu’il se retrouve dans
différents êtres ; et c’est pourquoi le verbe divin, en tant qu’il est
divin [en tant que divin om. Éd. de Parme], est permanent et
subsistant, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art.
1] au sujet de l’amour. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sine dubio cogitatio in Deo
proprie non est ; sed Anselmus per similitudinem nomen cogitationis posuit.
Sicut enim in cogitatione est exitus rationis ab uno in aliud per
collectionem, ita etiam ratio verbi, ut dictum est, in corp. art., completur
in quadam emanatione et exitu ab intellectu ; unde addit supra simplicem
intuitum intellectus aliquid cogitationi simile. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que sans aucun doute il n’y a pas à proprement parler de pensée en
Dieu ; mais c’est comme par analogie qu’Anselme a présenté le nom de
«pensée». En effet, tout comme dans la pensée il y a un passage d’une chose à
une autre au moyen d’un rapprochement, de même encore la notion de «verbe»,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, trouve son achèvement
dans une certaine émanation et une sortie de l’intelligence ; c’est pourquoi
il ajoute à la simple considération de l’intelligence quelque chose qui est
semblable à la pensée. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus divinus non
intelligit essentiam suam per aliquam speciem differentem essentialiter aut
realiter ab ipsa essentia ; nihilominus tamen ipse intelligit essentiam suam
per essentiam suam ; unde essentia se habet ut intelligens et ut intellecta
et ut quo intelligitur ; et inquantum se habet ut intelligens, sic vere et
proprie est ibi ratio intellectus ; et inquantum se habet ut id quod
intelligitur, est ibi vere ratio intellecti ; sed inquantum se habet ut quo
intelligitur, sic est ibi ratio verbi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que l’intelligence divine ne saisit pas sont essence au moyen d’une espèce
qui serait essentiellement et réellement distincte de son essence ;
néanmoins cependant il comprend son essence au moyen de son essence ; de
là, dans ce cas, l’essence se présente à la fois comme ce qui pose
l’opération d’intellection, comme ce qui est saisi par cette opération et
comme ce par quoi cette opération est posée ; et en tant que l’essence
se présente comme ce qui pose l’opération, alors l’essence a vraiment et à
proprement parler raison d’intelligence ; en tant qu’elle se présente
comme ce qui est saisi par cette opération, elle a raison de ce qui est vu ou
saisi ; mais en tant qu’elle se présente comme ce par quoi il y a
intellection, alors l’essence a raison de verbe. |
|
|
Articulus
2 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 tit. Utrum verbum dicatur personaliter |
Article 2 – Le verbe est-il dit selon la personne ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
|
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur quod verbum non
dicatur personaliter ; sicut enim dicit Augustinus, lib. IX de Trinit., c. X,
col. 938, verbum quod insinuare intendimus, cum amore notitia est. Sed notitia dicitur essentialiter. Ergo et verbum. |
Difficultés : 1. Il semble que «Le Verbe» ne soit pas
un nom personnel ; en effet, tout comme le dit Saint-Augustin [1X De
la Trinité, ch. X, col. 938], le verbe que nous cherchons à faire
connaître est une connaissance remplie d’amour. Mais c’est essentiellement
que la connaissance se dit de Dieu. Il en est donc de même du verbe. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne illud quod potest intelligi
non intellecta distinctione personarum, est essentiale in divinis. Sed non
intellecta distinctione personarum, adhuc potest intelligi quod intellectus
divinus manifestat se sibi, et manifestat se creaturae. Cum ergo verbum non
addat aliquid supra rationem intellectus nisi ordinem manifestationis,
videtur quod verbum sit essentiale, sicut et intelligere. |
2. Par ailleurs, tout ce qui peut
être compris sans que soit comprise la distinction des personnes est
essentiel en Dieu. Mais si on ne comprend pas la distinction des personnes,
on peut encore comprendre que l’intelligence divine se manifeste à elle-même
et qu’elle se manifeste aussi à la créature. Donc, puisque le verbe n’ajoute
à la notion de l’intelligence que le rapport à sa manifestation, il semble
que le verbe soit essentiel, tout comme l’acte d’intellection. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Item, verbum est terminus hujus actus qui est
dicere ; nihil enim dicitur nisi verbum. Sed quaelibet persona potest dicere
se, et potest dicere essentiam suam. Ergo essentia est verbum, et quaelibet
persona est verbum ; et ita verbum essentialiter dicetur. Nec potest dici,
quod quilibet eorum dicat se verbo Patris ; quia perfectius est dicere verbo
proprio, quam alterius ; et ita, cum unaquaeque persona perfectissime se
dicat, videtur quod quaelibet dicat se verbo proprio ; sed non verbo proprio
quod sit ab ipsa ; quia sic essent plures personae quam tres. Ergo verbo proprio quod est ipsa. |
3. En outre, le verbe est le terme de cet
acte qui consiste à dire ; il n’y a en effet que le terme qui est dit.
Mais toute personne peut se dire et dire son essence. Donc l’essence est
verbe et toute personne est verbe ; et ainsi, le verbe se dira
essentiellement. Et on ne peut dire que chacune des personnes se dise par le
verbe du Père, car il est plus parfait de se dire par son propre verbe que
par le verbe d’un autre ; et ainsi, puisque chacune des personnes se dit
elle-même de la manière la plus parfaite qui soit, il semble que chacune des
personnes se dise par son propre verbe, mais non par un propre verbe qui
viendrait d’elle-même car ainsi il y aurait plus que trois personnes. Mais
plutôt par un verbe propre qui est elle-même. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ut dictum est, artic. antec.,
verbum dicit conceptionem intellectus. Sed conceptus intellectus nullus est
nisi species intelligibilis formata in intellectu. Ergo in Deo non
potest esse verbum nisi illud quod se habet per modum speciei, et quo
intelligitur. Sed hoc est principium intelligendi, in quo aliquid
intelligitur, et quo intelligitur. Ergo videtur quod si Filius diceretur
tantum verbum personaliter, Filius esset principium actus intelligendi in
Patre, quod supra improbatum est, in 5 distinct., ab Augustino. |
4. Par ailleurs, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article précédent, le verbe dit une conception de
l’intelligence. Mais tout concept de l’intelligence n’est que l’espèce
intelligible formée dans l’intelligence. Donc, en Dieu il ne peut y avoir «verbe»
que ce qui se présente à la manière d’une espèce et par quoi il est compris.
Mais cela est le principe d’intellection dans lequel quelque chose est
compris et par quoi il est compris. Il semble donc que si le Fils était
appelé verbe seulement à titre personnel, le Fils serait le principe de
l’acte d’intellection chez le Père, ce qui a été rejeté par Saint-Augustin
dans la distinction 5. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Contra est quod Augustinus, lib. VII De
Trinit., cap. II, dicit, quod eo dicitur verbum in divinis quo Filius et quo
sapientia genita. Sed ista omnia dicuntur personaliter. Ergo videtur quod et
verbum. |
5. Cependant, Augustin [ VII De
la Trinité, ch. 11] dit le contraire en affirmant que cette personne
divine est appelé «Le Verbe» pour la même raison qu’elle est appelée «Le
Fils» et sagesse engendrée. Mais tous ces noms sont des noms personnels. Il
semble donc que «Le Verbe» soit aussi un nom personnel. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus, ibid., c. 1, dicit, quod
quamvis sint tres qui dicant, tamen non est ibi nisi unum verbum. Ergo videtur quod verbum tantum dicatur
personaliter. |
6. De plus, au même endroit (ch. 1),
Saint-Augustin dit que bien qu’il y ait trois personnes qui disent, il n’y a
cependant là qu’un seul «verbe». Il semble donc que «verbe» ne se dise que
personnellement. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 7 Item, verbum, ut dictum est, art. antec.,
dicit ordinem cujusdam exitus, et conceptionem intellectus, et dicitur ad
aliquid, sicut in Littera dicitur. Omnia autem haec videntur ad personas pertinere.
Ergo videtur quod verbum sit personale. |
7. En
outre, «verbe», ainsi que nous l’avons dit, dit dans l’article précédent, dit
à la fois un rapport à une sortie ou une emanation, une conception de l’intelligence
et une relation, comme on le dit dans la Lettre. Mais tous ces rapports
semblent appartenir aux personnes. Il semble donc que «verbe» soit un nom
personnel. |
Quaestiuncula
2 lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc: si verbum
dicatur personaliter, utrum solus Filius dicendus sit verbum. |
Sous-question 2
– [Si on parle personnellement du verbe, est-ce que seul le Fils doit être
appelé verbe ?]
|
1.
Videtur quod non. Quia sicut Filius exit a Patre ut manifestans ipsum, ita et
Spiritus sanctus. Ergo
ratio verbi utrique aequaliter convenit. |
1. Il semble que non. Car l’Esprit-Saint,
tout comme le Fils, sort du Père pour le manifester. Les deux ont donc
également raison de «Verbe». |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea,
intellectus est quasi medium inter naturam quam sequitur, et voluntatem quam
praecedit. Sed medium pertinet ad utrumque extremorum. Cum
ergo verbum dicat processionem intellectus, videtur quod non magis dicatur
Filius verbum, qui procedit per modum naturae, quam Spiritus sanctus, qui
procedit per modum voluntatis. |
2. Par ailleurs, l’Intelligence est
comme un intermédiaire entre la nature qu’elle suit et la volonté qu’elle
précède. Mais l’intermédiaire appartient à chacun des deux extrêmes. Donc,
puisque «le verbe» dit une procession de l’intelligence, il semble qu’il n’y
ait pas de raison pour laquelle le Fils, qui procède par mode de nature,
devrait davantage être appelé «verbe» que le Saint-Esprit qui procède par
mode d’amour. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Item, causa manifestatur per effectum. Sed
intellectus divinus est causa omnium creaturarum, sicut intellectus artificis
causa artificiatorum. Ergo
omnes creaturae possunt dici verbum Dei. |
3. En outre, une cause est manifestée par
son effet. Mais l’intelligence divine est la cause de toutes les créatures,
tout comme l’intelligence de l’artisan est la cause des œuvres d’art. Donc,
toutes les créatures peuvent être appelées «verbes de Dieu». |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra est quod dicit Augustinus, lib. XV De
Trinit., cap. XVII, quod sicut in Trinitate solus Filius dicitur verbum, ita
solus Spiritus sanctus dicitur donum. Ergo sicut donum non convenit Filio,
ita nec verbum Spiritui sancto. |
Cependant : 1. Au contraire, Saint-Augustin [XV De
la Trinité, ch. XVII] dit que tout comme dans la Trinité seul le Fils a
pour nom «Le Verbe», de même seul l’Esprit-Saint a pour nom «Le Don». Donc,
tout comme le nom de don ne convient pas au Fils, de même le nom de verbe ne
convient pas à l’Esprit-Saint. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo
dicendum, quod circa hoc sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod
dicere de Deo dicitur tripliciter: quandoque enim dicere est idem quod
intelligere, et sic est essentiale ; quandoque autem dicere idem est quod
generare, et sic est notionale ; quandoque autem dicere est idem quod creare,
et sic dicere connotat respectum ad creaturam, et est essentiale. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il existe
différentes opinions à ce sujet. Certains en effet disent que par rapport à
Dieu le terme ¨dire¨ se dit de trois manières : parfois en effet ¨dire¨
signifie la même chose que comprendre et en ce sens il est un terme
essentiel ; mais parfois il signifie la même chose qu’engendrer et en ce
sens il est un terme notionnel ; parfois encore ¨dire¨ est synonyme de
créer et en ce sens il implique un rapport à la créature et il est un terme
essentiel. |
Dicunt
igitur quod huic actui non respondet verbum nisi quantum ad secundum modum
dicendi ; et ideo quamvis dicere dicatur essentialiter et personaliter, tamen
verbum non dicitur nisi personaliter. Sed hoc non videtur verum: quia non est
intelligibile quod aliquid dicatur et non sit verbum ; unde oportet quod
quoties intelligere [dicitur éd. De Parme] dicere toties dicatur verbum. Alii
dicunt, quod dicere nihil aliud est in universali quam manifestare
intellectum suum. |
Ils disent donc que le verbe ne
correspond à cet acte que selon le deuxième sens de ¨dire¨ ; et c’est
pourquoi, bien que ¨dire¨ se dise essentiellement et personnellement,
cependant ¨verbe¨ ne se dit que personnellement. Mais cela ne semble pas vrai
car on ne voit pas pourquoi on pourrait attribuer à un être le ¨dire ¨ mais
non le ¨verbe¨ ; d’où il faut que ¨verbe¨ se dise autant de fois qu’on
entend [qu’on dit Éd. de Parme] dire. D’autres disent que ¨dire¨
n’est rien d’autre universellement que de manifester son intelligence. |
Potest
autem homo manifestare intellectum suum vel alteri, sicut verbo vocali, vel
sibi ipsi, sicut verbo cordis. Ita dicunt, quod utroque modo Deus manifestat
intellectum suum, scilicet condendo creaturam, quae est verbum ipsius, quasi
verbum vocale [vocabile éd de Parme], et generando filium, secundum quod
manifestat se apud seipsum, et hoc est idem quod verbum cordis. Unde dicunt,
quod verbum dictum de Deo semper est personale. Sed hoc non videtur verum:
quia si inquiratur quid sit istud verbum quo aliquis sibi loquitur, non
invenitur esse nisi conceptio intellectus. |
Mais l’homme peut manifester son
intelligence soit à un autre, comme par un verbe vocal, soit à soi-même comme
par un verbe intérieur. Ils disent ainsi que c’est suivant ces deux manières
que Dieu manifeste son Intelligence, c’est-à-dire d’une part en établissant
la créature, qui est son verbe, comme par un verbe vocal [vocable Éd.
de Parme] et d’autre part en engendrant son Fils, selon qu’il se
manifeste à Lui-même, et cela est identique au verbe intérieur. D’où ils
disent que le nom de verbe, dit de Dieu, est toujours un nom personnel. Mais
cela n’est pas vrai : car si on cherche à savoir quel est ce verbe par
lequel un être se parle à lui-même, on ne trouve qu’une conception de
l’intelligence. |
Conceptio
autem intellectus est vel operatio ipsa quae est intelligere, vel species
intellecta. Unde oportet quod verbum vel dicatur ipsa operatio intelligendi,
vel ipsa species quae est similitudo rei intellectae ; et sine utroque
istorum non potest quis intelligere: utrumque enim istorum est id quo quis
intelligit formaliter. |
Mais une conception de
l’intelligence est ou bien cette opération elle-même qui est l’intellection,
ou bien l’espèce saisie par cette opération. C’est pourquoi ne peut être
appelée ¨verbe¨ que l’opération même d’intellection ou l’espèce elle-même qui
est la similitude de la chose saisie par cette intellection. Et chacune de
ces conditions est nécessaire à la connaissance intellectuelle : en
effet, ces deux conditions sont ce par quoi un être saisit formellement par
son intelligence. |
Et
ideo impossibile est quod accipiendo hoc modo verbum, aliquis intelligat nisi
verbo intellectus sui, quod sit vel operatio ejus, vel ratio operationis ad
eam, sicut medium cognoscendi se habens, quae est species rei
intellectae. Unde cum Pater intelligat se, si non esset ibi nisi verbum
personale, quod est Filius, oporteret quod Pater intelligeret Filio, quasi
formaliter: et hoc supra improbatum est, dist. 5, quaest. 3, art. 1. |
Et c’est pourquoi il est impossible, en
prenant ¨verbe¨ en ce sens, qu’un être comprenne ou conçoive autrement que
par le verbe de son intelligence qui soit ou bien son opération, ou bien la
cause de l’opération qui y est ordonnée et qui est l’espèce de la chose
conçue. De là, puisque le Père se saisit lui-même, s’il n’y avait là que le
verbe personnel qui est le Fils, il faudrait que le Père se saisisse comme
formellement par le Fils : et cela a été rejeté plus haut [dist. 5,
quest. 3, art. 1] |
Et
ideo dicendum est cum aliis, quod hoc nomen « verbum » ex virtute
vocabuli potest personaliter et essentialiter accipi. Non enim significat
tantum relationem, sicut hoc nomen « Pater », vel
« Filius » sed imponitur ad significandum rem aliquam
absolutam simul cum respectu, sicut hoc nomen « scientia » ; sed in
hoc differt, quia relatio quae importatur hoc nomine « scientia »,
non est relatio originis, secundum quam referatur scientia ad illud a quo est
; sed est relatio secundum quam refertur ad illud ad quod est, scilicet ad
scibile ; sed hoc nomen « verbum » importat relationem secundum
quam refertur ad illud a quo est, scilicet ad dicentem. |
Et c’est pourquoi il faut dire avec
d’autres que ce nom «verbe», de par la seule puissance du terme, peut être
pris personnellement et essentiellement. En effet, il ne signifie pas
seulement la relation comme le terme «Père» ou le terme «Fils» mais il est
imposé pour signifier quelque chose d’absolu avec une relation, tout comme ce
nom «science» ; mais il y a différence en ceci que la relation qui est
impliquée par ce nom «science» n’est pas une relation d’origine selon
laquelle la science se rapporterait à ce par quoi elle existe ; mais
elle est une relation selon laquelle elle se rapporte à ce à quoi elle est
ordonnée, à savoir à l’objet connaissable ; mais ce nom ¨verbe¨ implique
une relation selon laquelle il se rapporte à celui d’où il vient, à savoir à
celui qui dit. |
Hujusmodi
autem relationes in divinis contingit esse dupliciter: quaedam enim sunt
reales, quae requirunt distinctionem realem, sicut paternitas et filiatio,
quia nulla res potest esse pater et filius sibi ipsi [sibi ipsi om. Éd ; de
Parme] respectu ejusdem ; quaedam autem sunt relationes rationis tantum, quae
non requirunt distinctionem realem, sed rationis, sicut relatio quae
importatur in hoc nomine « operatio ». |
Mais les relations de cette sorte
en Dieu peuvent exister de deux manières : certaines en effet sont
réelles et exigent une distinction réelle, comme la paternité et la
filiation, car aucune réalité ne peut être père ou fils de soi-même [de
soi-même om. Éd. de Parme] sous le même rapport ; mais d’autres sont des
relations de raison seulement qui n’exigent pas une distinction réelle, mais
seulement une distinction de raison, tout comme la relation qui est impliquée
dans le nom «opération». |
Habet enim operatio respectum implicitum ad operatorem
a quo est: nec in divinis differunt operans et operatio, nisi ratione tantum.
Si igitur relatio importata hoc nomine verbum, sit relatio rationis tantum,
sic nihil prohibet quin essentialiter dicatur, et videtur sufficere ad
rationem verbi, secundum quod a nobis in Deum transumitur ; quia in nobis, ut
dictum est, art. praec., nihil aliud est verbum nisi species intellecta, vel
forte ipsa operatio intelligentis: et neutrum eorum realiter distinguitur ab
essentia divina. |
L’opération
en effet implique un rapport implicite à l’opérateur d’où elle vient: et en
Dieu il n’y a qu’une difference de raison seulement entre celui qui opère et
son operation. Si donc la relation impliquée par le nom de verbe est
seulement une relation de raison, alors rien n’empêche qu’il se dise
essentiellement, et cela semble suffire à la définition du
verbe selon qu’elle passe de nous à Dieu; car en nous, ainsi que
nous l’avons dit dans l’article precedent, le verbe n’est rien d’autre que
l’espèce conçue ou peut-être l’opération même de celui qui conçoit.: et aucun
d’elles ne se distingue réellement de l’essence divine. |
Si autem importet relationem realem distinctionem
exigentem, oportet quod personaliter dicatur, quia non est distinctio realis
in divinis nisi personarum. Et est simile de amore, qui
secundum eamdem distinctionem essentialiter et personaliter dicitur, ut supra
dictum est, dist. 18,
quaest. 1, art. 1. |
Mais si le nom ¨verbe¨ implique une
relation exigeant une distinction réelle, il faut qu’il se dise personnellement
car en Dieu il n’y a de distinction réelle que celle qui se rapporte aux
personnes. Et il en est de même pour le nom ¨amour¨ qui d’après la même
distinction se dit essentiellement et personnellement, comme nous l’avons dit
plus haut [ dist. 18, quest. 1, art. 1] |
Cum
enim verbum sit similitudo ipsius rei intellectae, prout est concepta in
intellectu, et ordinata ad manifestationem, vel ad se, vel ad alterum ; ista
species in divinis potest accipi dupliciter: vel secundum quod dicit id quo
aliquid formaliter in divinis intelligitur ; et sic, cum ipsa essentia per se
intelligatur et manifestetur, ipsa essentia erit verbum ; et sic verbum et
intellectus et res cujus est verbum, non differunt nisi secundum rationem,
sicut in divinis differunt quo intelligitur et quod intelligitur et quod
intelligit ; vel secundum quod species intellecta nominat aliquid distinctum
realiter ab eo cujus similitudinem gerit ; et sic verbum dicitur
personaliter, et convenit Filio, in quo manifestatur Pater, sicut principium
manifestatur in eo quod est a principio per modum intellectus procedens. |
En effet, puisque le verbe est une
similitude de la chose saisie elle-même selon qu’elle est conçue dans
l’intelligence et que cette similitude est ordonnée à une manifestation
soit à soi-même soit à un autre, cette espèce peut se prendre de deux
manières par rapport à Dieu : soit premièrement selon qu’elle signifie
ce par quoi quelque chose est formellement conçu en Dieu ; et ainsi,
puisque l’essence se conçoit et se manifeste par elle-même, l’essence
elle-même sera verbe ; et ainsi le verbe, l’intelligence et la chose
dont il y a verbe ne diffèrent que selon la raison tout comme en Dieu ne
diffèrent que par la raison ce par quoi il y a conception, ce qui est conçu
et ce qui conçoit ; soit deuxièmement selon que l’espèce conçue signifie
quelque chose de réellement distint de celui dont elle produit une
similitude, et ainsi le verbe se dit personnellement et convient au Fils dans
lequel le Père est manifesté, tout comme le principe est manifesté dans celui
qui vient du principe à la manière de ce qui procède d’une intelligence. |
Sed
tamen in usu sanctorum et communiter loquentium est quod hoc nomen verbum
relationem realiter distinguentem importat, ut dicit Augustinus, VII De
Trinit.,cap. II, col. 936, quod verbum idem est quod sapientia genita ;
et ideo ista quaestio parum valet, quia non est de re, sed de vocis
significatione, quae est ad placitum ; unde in ea plurimum valet usus, quia
nominibus utendum est ut plures, secundum philosophum, lib. II, Top., cap. II
; de rebus autem judicandum secundum sapientes. Cum enim de rebus constat,
frustra in verbis habetur controversia, ut dicit Magister, Lib. 3 [Lib. 2 éd
de Parme], dist. 14. Sed tamen ea quae in divinis dicuntur, non sunt
extendenda nisi quantum sacra Scriptura eis utitur. |
Il est cependant dans l’usage
commun des saints et des prophètes que le nom ¨verbe¨ implique une relation
qui distingue réellement, comme Saint-Augustin [ VII De la Trinité,
ch. 11, col. 936] qui dit que le verbe est identique à la sagesse
engendrée ; et c’est pourquoi cette question est de peu d’importance
parce qu’elle ne porte pas sur la chose, mais sur la signification des mots
qui relève du bon vouloir ; et c’est pourquoi dans ce domaine l’usage du
grand nombre est important car d’après le Philosophe [ 11 Topiques,
ch. 11] il faut user des noms à la manière du grand nombre, mais il faut
juger des choses d’après ce qu’en disent les sages. En effet, puisqu’on
s’arrête aux choses, c’est en vain que la discussion s’établira sur les mots,
ainsi que le dit le Maître à la distinction 14 du libre 3 [livre 2 Éd.
de Parme]. Cependant, en ce qui concerne la signification des mots qu’on
pourra dire au sujet de Dieu, il ne faut pas s’aventurer au-delà de l’usage
qu’en font les Saintes Écritures. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod notitia non
dicit totam rationem verbi: quia notitia et sapientia dicuntur per modum
quiescentis et manentis in eo cujus sunt ; et ideo nunquam dicuntur nisi
essentialiter, quamvis possint esse appropriata: sed
verbum dicit quamdam emanationem intellectus, et exitum in manifestationem
sui ; et ideo, quia exitus iste potest intelligi vel secundum rem distinctam,
prout Filius exit a Patre, vel secundum rationem tantum, prout intelligere
est ab intellectu divino ; ideo verbum quandoque essentialiter et quandoque
personaliter dicitur, sicut et amor. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la connaissance ne dit pas toute la définition du verve : car la
connaissance et la sagesse signifie à la manière de ce qui repose et demeure
dans celui à qui elles appartiennent ; et c’est pourquoi elles ne
signifient que l’essence bien qu’elles puissent être appropriées. Mais le verbe dit une émanation et une
sortie de l’intelligence pour la manifester ; et c’est pourquoi, parce
que cette sortie peut s’entendre soit comme une réalité distincte, comme le
Fils sort du Père, soit selon la raison seulement, comme l’intellection qui
vient de l’intelligence divine, c’est pourquoi le verbe, tout comme l’amour,
se dit parfois essentiellement, parfois personnellement. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non intellecta
distinctione personarum, adhuc intellectus divinus potest manifestare seipsum
et ad se et ad alterum. Ad
alterum, sicut creando creaturam, vel inspirando cognitionem sui
creaturae. Ad seipsum, per modum quo aliquis
convertitur supra id quod intellexit, ut manifestum fiat utrum verum sit vel
non quod intellectu percipit ; hoc enim proprie est loqui in corde. Propter
quod habet aliquid simile cogitationis [cognitioni éd. De Parme] ; non tamen
esset ibi manifestatio principii in aliquo realiter distincto et existente
per modum intellectus in eadem natura, non intellecta distinctione
personarum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que même si la distinction des personnes n’est pas comprise, l’intellect
divin peut encore se manifester à lui-même et à un autre. À un autre, comme
lorsqu’il crée la créature ou qu’il inspire une connaissance à sa
créature ; à lui-même, à la manière par laquelle quelqu’un se retourne
sur ce qu’il a compris pour que devienne manifeste la vérité ou la fausseté
de ce qu’il a perçu par son intelligence : et c’est en cela que consiste
à proprement parler le langage intérieur. Pour cette raison le langage
intérieur a quelque chose de semblable à la pensée [à la connaissance Éd.
de Parme] ; cependant, si la distinction des personnes n’était pas
comprise, il n’y aurait pas là manifestation du principe dans un être
réellement distinct et existant à la manière d’une intelligence dans une même
nature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Tertium
conceditur. |
3. Nous
concédons la troisième difficulté. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nullo modo est concedendum quod Pater intelligat a Filio, vel
quod intelligat in Filio, sicut in objecto vel specie qua cognoscitur: quia
hoc poneret Filium habere aliquam rationem principii ad Patrem. Sed tamen
concedendum est quod Pater intelligit in Filio et seipsum et alia, inquantum
videt Filium esse similitudinem suam et omnium aliorum, sicut principium
videtur in eo cujus est principium, quamvis et in seipso videatur. Possum
enim videre hominem in imagine sua, quamvis ipsum etiam per se videam. Ita
quamvis Pater seipsum videat in se et omnia alia, tamen omnia potest videre
in Filio, et seipsum, sicut et seipsum in creatura videre potest, inquantum
ipsum creatura repraesentat, quamvis imperfecte. |
4. Il faut dire
en quatrième lieu qu’il ne faut concéder en aucune manière que le Père conçoit
par le Fils ou qu’il conçoit dans le Fils comme dans l’objet ou dans l’espèce
par laquelle il est connu: cela reviendrait à poser que le Fils, d’une
certaine manière, a raison de principe à l’égard du Père. Il faut cependant
concéder que le Père, dans le Fils, se conçoit Lui-même et conçoit tous les
autres êtres, selon qu’il voit dans le Fils une resemblance de Lui-même et de
tous les autres êtres, tout comme un principe est vu dans ce dont il est le
principe, bien qu’il se voit aussi en Lui-même. Je peux en effet voir un
homme par son image, bien que je le voie aussi par lui-même. De même, bien
que le Père voit en Lui à la fois Lui-même et tout le reste, cependant il
peut voir dans le Fils à la fois Lui-même et tout le reste, tout comme il
peut aussi se voir dans la créature, pour autant que cette dernière le
représente, bien qu’imparfaitement. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum quod in
contrarium objicitur, dicendum, quod Augustinus accipit verbum prout dicit
realem exitum et distinctionem a dicente, et non secundum quod ad rationem
verbi sufficit distinctio rationis ; et ideo accipit verbum tantum
personaliter. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu, par rapport à ce qui a été présenté comme difficulté
contraire, que Saint-Augustin prend ici le verbe en tant qu’il signifie une
sortie et une distinction réelle par rapport à celui qui dit et non en tant
qu’une distinction de raison suffit à la definition du verbe; et c’est
pourquoi il prend le verbe uniquement en tant que nom personnel. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in divinis non est nisi
tantum unum verbum ; et tamen est ibi verbum personale et essentiale, quia
persona non distinguitur ab essentia ; unde nec excluditur per dictionem
exclusivam. |
6. Il faut dire en sixième lieu
qu’en Dieu il n’y a qu’un seul verbe ; et cependant il y a là un verbe
personnel et essentiel car la personne ne se distingue pas de
l’essence ; c’est pourquoi elle n’en est pas exclue par un terme
exclusif. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omnia illa quae
dicuntur, possunt accipi realiter vel secundum rationem ; et utrumque
sufficit ad rationem verbi ; et ideo potest dici essentialiter et
personaliter. |
7. Il faut dire en septième lieu
que tous ces termes peuvent être pris soit réellement, soit selon la
raison ; et chacun des deux suffit à la définition du verbe ; et
c’est pourquoi le verbe peut se dire soit essentiellement, soit
personnellement. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad
id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod si verbum personaliter sumatur,
soli Filio convenit, et non Spiritui sancto ; quia Spiritus sanctus procedit
per modum voluntatis ; et ideo proprie dicitur amor et donum ; sed procedere
per modum naturae vel intellectus convenit filio ; et ideo ipse proprie et
genitus et verbum dicitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que si le
verbe se prend comme un nom personnel, il convient seulement au Fils et non à
l’Esprit-Saint ; car l’Esprit-Saint procède par mode de volonté et c’est
pourquoi on dit proprement de Lui qu’Il est amour et don ; mais procéder
par mode de nature ou d’intelligence ne convient qu’au Fils et c’est
pourquoi on dit proprement de Lui qu’il est engendré et qu’il est verbe. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo quod objicitur, dicendum, quod ad
rationem verbi non solum exigitur esse manifestativum: quia sic cujuslibet
causae esset verbum suus effectus, quod non potest dici nisi metaphorice ;
sed oportet quod in illo verbo intelligatur processio intellectus, et hoc non
convenit Spiritui sancto. |
Solutions : 1. Par rapport à ce qui a été objecté en
premier lieu il faut dire que pour la définition du verbe il ne suffit pas de
dire qu’il manifeste car alors tout effet précédant d’une cause serait son
verbe, ce qui ne peut être dit que par métaphore ; mais il faut en plus
que dans ce verbe on entende une procession de l’intelligence et cela ne
convient pas à l’Esprit-Saint. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Spiritus sanctus
procedit a duobus ; et ideo sua processio est per modum conformitatis amoris,
quae est ex unione voluntatis in volentibus ; et propter hoc procedit tantum
per modum voluntatis. Sed tam processio intellectus quam processio naturae,
est ab uno tantum ; non autem ab uno secundum quod unitur alteri, si sit
perfectum agens sicut est agens divinum ; et ideo uterque modus processionis
convenit illi personae quae solum ab uno est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’Esprit-Saint procède de deux principes ; et c’est pourquoi sa procession
a lieu par mode de conformité de l’amour qui vient de l’union des
volontés de ceux qui veulent ; et c’est pour cette raison que
l’Esprit-Saint procède seulement par mode de volonté. Mais aussi bien la
procession de l’intelligence que la procession de nature viennent d’un seul
principe et non pas d’un seul principe selon qu’il est uni à un
autre s’il existe un agent parfait comme c’est le cas pour l’agent
divin ; et c’est pourquoi ces deux modes de procession conviennent à
cette seule personne qui vient d’un seul principe. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura non potest
dici proprie verbum, sed magis vox verbi ; sicut enim vox manifestat verbum,
ita et creatura manifestat divinam artem ; et ideo dicunt sancti, quod uno
verbo Deus dixit omnem creaturam ; unde creaturae sunt quasi voces
exprimentes unum verbum divinum ; unde dicit Augustinus, lib. III De
lib. Arbitrio c. XXVIII: « Omnia clamant: Deus fecit » Sed hoc non
dicitur nisi metaphorice. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la créature ne peut être appelée au sens propre ¨verbe¨ mais plutôt ¨mot
du verbe¨ ; en effet, tout comme le mot manifeste le verbe, de même la
créature manifeste l’art divin ; et c’est pourquoi les saints disent que
c’est par un seul verbe que Dieu a dit toutes les créatures ; de là les
créatures sont comme des mots différents qui expriment un seul et même verbe
divin ; c’est pourquoi Saint-Augustin [111 Du Libre Arbitre,
ch. XXVIII] dit : «Toutes les créatures crient : Dieu nous a
faites». Mais cela ne se dit que par métaphore. |
|
|
Articulus
3 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 tit. Utrum verbum dicat semper respectum ad creaturam |
Article 3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la créature ? |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod verbum semper respectum dicat ad creaturam. Sicut
enim dicit Augustinus, I Super Genes. Ad litt., c. II: Dixit et facta sunt,
idest: verbum genuit, in quo erat ut fieret creatura. Sed per hoc ponitur
respectus ad creaturam. Ergo videtur quod verbum dicat respectum ad
creaturam. |
Difficultés: 1. Il semble que
le verbe dise toujours un rapport à la créature. En effet, comme le dit
Saint-Augustin [1 Lettre sur la Genèse, ch. 11]: Il a
dit, et toute chose a été faite; c’est-à-dire: Il a engendré le Verbe, dans
lequel étaient les créatures à venir. Mais en disant cela, il pose un
rapport à la créature. Il semble donc que le verbe dise un rapport à la
créature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus
in principio Joan. dicit, quod verbum est operativa potentia Patris. Sed
operativa potentia dicitur per respectum ad creaturam. Ergo et verbum. |
2. Par ailleurs, au début de l’Évangile
de Jean, Saint-Augustin dit que le verbe est la puissance d’opération du
Père. Mais la puissance d’opération se dit par rapport à la créature. Il en
est donc de même pour le verbe. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, Anselmus,
Monol., cap. XXXIII et XXXIV, col. 187,
dicit, quod Deus dicendo se, dixit omnem creaturam. Sed dicendo genuit verbum
sibi aequale. Ergo videtur quod verbum quod genitum est a Patre, ponat
respectum ad creaturam, secundum quod per verbum creaturae dicuntur a Deo. |
3. En outre, Saint-Anselme [Monologues, ch. XXXIII et XXXIV, col.
187] dit que Dieu, en se disant, dit toute créature. Mais en se disant il
engendre un verbe égal à Lui-même. Il semble donc que le verbe qui est
engendré par le Père pose un rapport à la créature selon que c’est au moyen
du verbe que Dieu dit les créatures. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, artificiata non cognoscuntur ab artifice
nisi secundum quod convertitur ad formam artis quam apud se habet. Ergo
idem est artifici converti ad artem suam et ad artificiata, et intelligere
utrumque. Sed verbum est
ars omnium eorum quae a summo artifice condita sunt. Ergo videtur quod
nunquam fiat conversio intellectus paterni ad artificiata, nisi per hoc quod
ad verbum convertitur ; et e converso quandocumque convertitur ad verbum, ad
artificiata convertitur. Ergo videtur quod verbum semper accipiendum sit cum
respectu ad creaturam. |
4. Par
ailleurs, les oeuvres d’art ne sont connues de l’artisan que selon qu’il se
tourney vers la forme de l’art qu’il possède en lui. C’est donc la même chose
pour l’artisan de se tourner vers son art et vers les oeuvres d’art et de
comprendre les deux. Mais le verbe est l’art de toutes les choses qui ont été
créées par l’artisans supreme. Il semble donc que l’intelligence du Père ne
se tourne vers ses oeuvres que du fait qu’il se tourne vers son verbe et
inversement à chaque fois qu’il se tourne vers son verbe il se tourne vers
ses oeuvres. Il semble donc que le verbe doive toujours se prendre par
rapport à la créature. |
Super Sent., lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 5 Contra,
nihil quod dicit respectum ad creaturam, convenit Deo ab aeterno, ut dominus
et hujusmodi. Sed verbum convenit Deo ab aeterno, quia in principio erat
verbum, Joan. 1, 1. Ergo verbum non dicit respectum ad creaturam. |
5. Au
contraire, rien de ce qui se dit par rapport à la créature, comme ¨seigneur¨
et les termes de cette sorte, ne convient à Dieu de toute éternité. Mais le
Verbe convient à Dieu de toute éternité, car l’Évangile [Jean, 1, 1] nous dit: ¨Au commencement était le Verbe¨. Le Verbe
ne dit donc pas un rapport à la créature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, omne
nomen connotans effectum in creatura, significat divinam essentiam. Sed
verbum est personale, ad minus quandoque. Ergo videtur quod verbum non dicat
respectum ad creaturam. |
6. De plus, tout nom qui renvoie un effet
dans la créature signifie l’essence divine. Mais le Verbe, au moins dans
certains cas, est un nom personnel. Il semble donc que le Verbe ne dise pas
un rapport à la créature. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod verbum non semper dicitur
secundum respectum ad creaturam ; sed quandoque cum respectu, et quandoque
sine respectu ; et hoc sic patet. Verbum enim sive dicatur personaliter, sive
essentialiter, est species concepta, in qua est similitudo ejus quod dicitur,
et dicentis, quando aliquis seipsum dicit. Constat autem quod divina
essentia, sive Pater, praehabet in se similitudinem omnis creaturae, sicut
exemplar. Unde illud quod significatur ut species vel similitudo Patris aut
essentiae divinae, si perfecta similitudo sit, continebit in se similitudinem
omnium rerum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que le verve
ne se dit pas toujours dans un rapport à la créature ; mais il se dit
parfois avec et parfois sans ce rapport ; et voici comment on peut le
voir. Le verbe en effet, qu’il se dise personnellement ou essentiellement,
est une espèce conçue dans laquelle il y a une similitude entre ce qui est
dit et celui qui dit, quand quelqu’un se dit lui-même. Mais il est clair que
l’essence divine, soit le Père, possède à l’avance en elle, à titre de
modèle, la similitude de toute créature. De là, ce qui est signifié comme
espèce ou similitude du Père ou de l’essence divine, si elle est une
similitude parfaite, contiendra en elle la similitude de toutes les choses. |
Sed
quamvis aliquid sit species vel similitudo alterius, non tamen oportet quod
semper quandocumque convertitur in speciem, convertatur in illud cujus est
species vel similitudo ; quia in speciem vel in imaginem contingit fieri
conversionem dupliciter: vel
secundum quod est species talis rei, et tunc est eadem conversio in rem et
speciem rei ; vel in speciem secundum quod est res quaedam ; et sic non
oportet quod eadem conversione convertatur quis per intellectum in speciem
rei et in rem ; sicut quando aliquis considerat imaginem inquantum est corpus
lapideum, et inquantum est similitudo Socratis vel Platonis. |
Mais bien qu’une chose soit l’espèce ou
la similitude d’une autre, il n’est cependant pas nécessaire qu’à toutes les
fois qu’elle est convertie en une espèce, qu’elle soit toujours
convertie en ce dont elle est l’espèce ou la similitude, car il est possible
de tourner son regard sur l’espèce ou l’image de deux manières : Soit selon qu’elle est l’espèce de telle
chose et alors se tourner vers la chose est identique à se tourner vers
l’espèce de la chose. Soit on se tourne vers l’espèce selon
qu’elle est une certaine chose et ainsi il n’est pas nécessaire que ce soit
par le même regard que quelqu’un se tourne par l’intelligence vers l’espèce de
la chose et vers la chose, comme c’est le cas lorsque quelqu’un considère une
image en tant qu’elle est un corps de pierre et en tant qu’elle est la
similitude de Socrate ou de Platon. |
Dico
igitur, quod cum ipse Deus sit similitudo et species omnium rerum, duplex
conversio intellectus potest fieri in ipsum ; vel absolute secundum quod est
res quaedam ; vel inquantum est similitudo omnium rerum ; et utroque modo
seipsum Deus cognoscit, et supra se convertitur ; quamvis non diversa, sed
una operatione. Unde si verbum accipiatur prout consequitur intuitum
intellectus divini, secundum quod absolute seipsum intuetur, sic verbum
absolute dicitur in divinis sine respectu ad creaturam, sive essentialiter
sive personaliter dicatur. |
Je dis donc que puisque Dieu est la
similitude et l’espèce de toutes les choses, il est possible que
l’intelligence se tourne vers lui de deux manières : soit absolument, en
tant qu’il est une certaine réalité ; soit en tant qu’il est la
similitude de toutes les choses ; et des deux manières Dieu se connaît
lui-même et se tourne sur lui-même, bien qu’il ne le fasse par par
différentes opérations, mais par une seule et même opération. De là, si le
verbe se prend suivant le regard de l’intelligence divine, selon qu’il se
considère absolument lui-même, alors le verbe se dit absolument en Dieu sans
rapport à la créature, qu’il se dise essentiellement ou personnellement. |
Si
autem verbum consequatur intuitum intellectus divini prout convertitur supra
se, inquantum est similitudo omnium rerum et exemplar ; tunc etiam in verbo
accipitur respectus ad creaturam ut est respectus artis ad artificiata ; et
sic proprie verbo competit nomen artis. Si tamen verbum accipiatur secundum ordinem
manifestationis ad alterum, sic semper dicit respectum ad creaturam ; quia
talis manifestatio divini intellectus est per eductionem creaturarum. |
Mais si le
verbe suit le regard de l’intelligence divine selon qu’elle se
tourne sur elle-même en tant qu’elle est la similitude de toutes les choses
et leur modèle, alors on entend aussi dans le verbe un rapport à la créature
comparable au rapport de l’art à l’oeuvre d’art; et c’est ainsi qu’au verbe
convient proprement le nom d’art. Si cependant le verbe s’entend d’après un
rapport de manifestation à un autre, alors le verbe dit toujours un rapport à
la créature, car une telle manifestation de l’intelligence divine se réalise
au moyen de la procession des créatures. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod quamvis in verbo sit unde fiat omnis creatura, nihilominus
tamen consideratio verbi et ejus cujus est verbum non dependet a
consideratione creaturae ; et ideo verbum non de necessitate dicit respectum
ad creaturam. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que bien que le verbe soit le principe d’où procède
toute créature, néanmoins cependant la consideration du verve et de ce dont
il est le verbe ne depend pas de la considération de la créature; et c’est
pourquoi le verbe ne dit pas nécessairement un rapport à la créature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod verbum dicitur potentia operativa Patris per modum artis ; unde
inquantum significatur ut ars, significatur per respectum ad creaturam. Sed
non de necessitate sic intelligitur quando significatur ut verbum, sicut
patet de Spiritu sancto, qui ipse est amor quo Pater diligit Filium ; et iste
amor est ratio amoris quem in creaturam habet, quae in sui similitudinem
dilectionis adducit ; et inquantum est amor absolute significatur nomine
amoris, non connotando aliquem respectum ad creaturam ; sed inquantum est
ratio eorum quae liberaliter creaturae conferuntur, significatur nomine doni,
quod respectum ad creaturam importat. Sic est de nomine verbi et nomine artis
; quia verbum potest absolute dici ; sed ars dicit respectum ad artificiata. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que le verbe dit la puissance d’opération du Père par mode d’art ; de
là, en tant qu’il et signifié comme art, il est signifié par rapport à la
créature. Mais ce n’est pas nécessairement de cette manière qu’il est entendu
quant il est signifié comme verbe, tout comme on le voit au sujet de
l’Esprit-Saint qui est lui-même l’amour par lequel le Père aime le
Fils ; et cet amour est la cause de l’amour qu’il porte à la créature
qui conduit à la ressemblance de son amour ; et en tant qu’il est
l’amour signifié absolument par le nom d’amour, il ne signifie pas à un
rapport à la créature ; mais en tant qu’il est la cause des perfections
qui sont libéralement données à la créature, il est signifié par le nom de don
qui implique un rapport à la créature. Et il en est de même pour le nom de
verbe et le nom d’art : car le verbe peut se dire absolument mais le nom
d’art dit un rapport à l’œuvre d’art. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod uno et eodem verbo Pater
dixit se et omnem creaturam ; tamen diversa est consideratio verbi secundum
quod per illud dicitur Pater et creaturae. Deo [ om. Éd. De Parme] non enim
deest cognitio absoluta sui ipsius, nec etiam cognitio absoluta creaturarum,
nec etiam cognitio comparata, secundum quod cognoscit se esse causam illorum
; quamvis istae tres cognitiones non differant realiter in ipso, sed ratione
tantum ; et ideo non exigitur ad intellectum verbi, secundum quod eo
intelligitur Pater dixisse seipsum, respectus ad creaturam ; sed secundum
quod eo intelligitur creaturas dixisse ; et ideo verbum absolute et cum
respectu ad creaturam intelligitur. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que c’est par un seul et même verbe que le Père se dit lui-même et dit toute
créature ; mais la considération du verbe diffère selon qu’il dit le
Père ou qu’il dit la créature. À Dieu [om. Éd. de Parme] en effet ne
manque pas la connaissance absolue de lui-même ni non plus la connaissance
absolue des créatures, ni même la connaissance du rapport entre les deux,
selon qu’il sait qu’il est la cause de ces dernières, bien que ces trois
connaissances ne diffèrent pas réellement en Lui mais seulement selon la
raison. Et c’est pourquoi le rapport à la créature n’est pas nécessaire à
l’intelligence du verbe, selon qu’on entend par là que Dieu se dit
lui-même ; mais seulement si on entend par là que Dieu dit les
créatures. Et c’est pourquoi le verbe peut s’entendre absolument et avec un
rapport à la créature. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod artifex potest converti ad
speciem artis quae apud ipsum est, tripliciter. Vel secundum quod est
similitudo rei per ipsum fiendae ; et sic absolute convertitur in rem
artificiatam, nullam considerationem habens de arte sua. Vel
in ipsam speciem artis, secundum esse quod habet in anima ejus ; et sic est
consideratio absoluta ipsius speciei, inquantum est res quaedam ; nec aliquid
tunc de re artificiata considerat. Vel
comparando unum ad alterum, dum considerat illam speciem quae apud se est,
esse causam eorum quae ab ipso fiunt. Et ita etiam est de intellectu divino,
secundum quod convertitur supra seipsum, vel inquantum est res quaedam, vel
prout est similitudo rerum tantum, vel prout illa res quae est similitudo est
causa eorum quae sibi assimilat ; quamvis istae cognitiones in Deo simul
sint, et realiter non differant. |
4. En quatrième lieu il faut dire
que l’artisan peut se tourner de trois manières vers l’espèce de l’art qui
est en lui. Soit selon qu’elle est une similitude de
la chose à devenir par elle ; et ainsi elle se convertit absolument en
la chose artificielle, sans aucune considération pour son art. Soit il considère l’espèce de l’art selon
l’existence qu’elle possède dans son âme ; et de cette manière il
considère l’espèce elle-même prise absolument en tant qu’elle est une
certaine réalité et alors il ne considère rien au sujet de la chose
artificielle. Ou bien encore il la considère dans le
rapport de l’une à l’autre, alors qu’il considère que l’espèce qui est en lui
est la cause des choses produites par elle. Et il en est encore de même pour
l’intelligence divine selon qu’elle se tourne sur elle-même, soit en tant
qu’elle est une certaine réalité, soit en tant qu’elle est une similitude des
choses seulement, soit en tant que cette réalité qui est une similitude est
la cause des créatures qu’elle s’assimile, bien que ces connaissances en Dieu
soient simultanées et qu’elle ne diffèrent pas réellement. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verbum non dicit respectum
ad creaturam in actu, sed quasi in habitu, sicut donum ; et ideo utrumque
aeternum est. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que le verbe ne dit pas un rapport actuel à la créature, mais plutôt un
rapport habituel, comme le don. Et c’est pourquoi l’un et l’autre sont éternels. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
omnis effectus creaturae est communis totius Trinitatis. Unde quidquid dicit
respectum ad creaturam, ducit in cognitionem essentiae, sicut in effectu suo
causa cognoscitur. Sed quia non tantum essentia habet ordinem ad creaturam,
sed etiam processio personalis, quae est ratio processionis creaturarum ;
ideo potest etiam aliquid personale cum respectu ad creaturam significari ;
et tunc tale nomen principii significabit personam principaliter, sed ex
consequenti ducet in intellectum essentiae ; et sic est in nomine verbi et in
nomine doni. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que tout effet en rapport avec la créature est commun à
toute la Trinité. C’est pourquoi tout ce qui dit un rapport à la créature conduit
à la connaissance de l’essence, tout comme c’est dans son effet que la cause
est connue. Mais parce que ce n’est pas seulement l’essence qui implique un
rapport à la créature, mais aussi la procession personnelle qui est la cause
de la procession des créatures, c’est pourquoi quelque chose de personnel
peut aussi être signifié avec un rapport à la créature; et alors ce nom de
principe signifiera principalement la personne mais conduira par la suite à
l’intelligence de l’essence; et il en est ainsi pour le nom de verbe et le
nom de don. |
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Distinctio 28 |
Distinction 28 – [L’innascibilité et l’image] |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’innascibilité] |
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Prooemium |
Prologue |
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Hic est duplex quaestio. Primo de innascibilitate. Secundo de imagine. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum innascibilitas sit notio vel proprietas Patris
; 2 utrum sit personalis proprietas ejus. Utrum autem
innascibilitas vel ingenitus conveniat Spiritui sancto, habitum est supra, 13
dist., quaest. 1, art. 1. |
Cet examen porte sur deux points. Premièrement sur l’innascibilité. Deuxièmement sur l’image. Par rapport au premier point on pose deux
interrogations : 1. Est-ce que l’innascibilité est une
notion ou une propriété du Père ? 2. Est-ce qu’elle est sa propriété personnelle ?
Mais nous avons établi plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 1] s’il convient à
l’Esprit-Saint d’être innascible ou inengendré. |
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Articulus 1 : Utrum innascibilitas sit proprietas
Patris |
Article 1 – L’innascibilité est-elle la propriété du Père ? |
[2079] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur. Videtur quod innascibilitas non sit notio vel
proprietas Patris. Ut enim in Littera habetur, cum Pater
ingenitus dicitur, non quid sit, sed quid non sit, ostenditur. Sed negatio
non potest esse sufficiens principium notificandi aliquid. Ergo cum notio
dicatur illud quod est principium cognoscendi personam, videtur quod
ingenitum non dicat aliquam notionem Patris. |
Difficultés : 1. Il semble que l’innascibilité ne soit
pas une notion ou une proprité du Père. En effet, comme nous l’avons établi
dans la Lettre, lorsqu’on dit du Père qu’il est inengendré, on ne montre pas
ce qu’il est mais plutôt ce qu’il n’est pas. Mais une négation ne peut être
un principe qui suffit à faire connaître quelque chose. Donc, puisque la
notion signifie ce qui est le principe qui fait connaître la personne, il
semble que le terme ¨inengendré¨ ne signifie pas une notion du Père. |
[2080] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2Praeterea,
si ingenitum sit proprietas Patris ; aut hoc erit secundum quod intelligitur
negative, aut secundum quod intelligitur privative. Sed non secundum quod
intelligitur negative ; quia sic convenit ei quod non generatur ; et sic
convenit essentiae et Spiritui sancto. Similiter nec secundum quod privative
; quia privatio semper ponit imperfectionem in eo cujus est, cum privatio sit
ejus quod natum est haberi et non habetur. Ergo videtur quod ingenitus nullo
modo sit notio vel proprietas Patris. |
2. Par ailleurs, si inengendré
était une propriété du Père, cela sera selon qu’on l’entend ou bien comme une
négation ou bien comme une privation. Mais cela ne peut s’entendre comme une
négation car alors cela conviendrait à tout ce qui n’est pas engendré, par
exemple à l’essence et à l’Esprit-Saint. De même cela ne peut s’entendre non
plus comme une privation car la privation pose toujours une imperfection dans
le sujet dans lequel elle se trouve puisque la privation se rapporte à ce
qu’il est naturel de posséder et qui n’est pas possédé. Il semble donc que
¨inengendré¨ n’est en aucune manière une notion ou une propriété du Père. |
[2081] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3Praeterea,
cum personae divinae non distinguantur nisi per relationes, nihil potest esse
proprietas vel notio divinae personae, quod non est in genere relationis. Sed
ingenitus non est in genere relationis. Ergo non est notio personae
divinae. Probatio mediae. Sicut se habet inferius ad
superius, ita se habet negatio superioris ad negationem inferioris, et e
contra. Quanto enim homo est in paucioribus quam animal, tanto magis negatio
animalis de paucioribus praedicatur quam negatio hominis. Sed generatio prout
significat relationem, est minus commune quam relatio. Ergo negatio
generationis est plus commune quam non relatio, et ita praedicatur de illa ;
et salvatur cum ea, sicut commune cum proprio. Sed quidquid salvatur cum
opposito generis, non est contentum sub genere. Ergo ingenitus cum salvetur
cum eo quod est non relatio, non est in genere relationis. |
3. Par ailleurs, puisque les
personnes divines ne se distinguent que par les relations, rien ne peut être
une notion ou une propriété d’une personne divine sans être dans le genre de
la relation. Mais ¨inengendré¨ n’est pas dans le genre de la relation. Ce
terme ne signifie donc pas une notion d’une personne divine. Preuve de la mineure. En effet, ce que la négation du
supérieur est à la négation de l’inférieur, l’inférieur l’est au supérieur,
et inversement. En effet, la négation de l’animal s’attribue d’autant plus à
plus petit nombre, comparativement à la négation de l’homme que l’homme,
comparativement à l’animal, se retrouve dans un plus petit nombre. Mais la
génération, selon qu’elle signifie la relation, est moins commune que la
relation. Donc la négation de la génération est plus commune que la
non-relation et ainsi elle s’attribue à elle et elle est convervée avec elle,
tout comme le commun est conservé avec le propre. Mais tout ce qui est
conservé avec ce qui est opposé au genre n’est pas contenu dans ce genre.
Donc, puisque ¨inengendré est conservé avec ce qui est du non-relatif n’est
pas dans le genre de la relation. |
[2082] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4Item,
ingenitum convenit Patri, secundum quod est principium. Sed ipse non est
principium solum per generationem, sed etiam per spirationem. Ergo videtur
quod non debeat notificari per negationem generationis, sed per negationem
processionis, quae est commune ad utrumque, ut dicatur improcessibilis ; vel
secundum specialem rationem utriusque processionis, ut sicut dicitur
ingenitus, ita dicatur inspirabilis. |
4. En
outre, ¨inengendré¨ convient au Père selon qu’il est principe. Mais Lui-même
n’est pas principe uniquement par generation mais aussi par spiration. Il
semble donc qu’il ne doive pas être notifié par la négation de la génération,
mais plutôt par la négation de la procession qui est commune à la génération
et à la spiration, de manière à ce qu’on puisse dire de Lui qu’il ne puisse
procéder; ou bien on le qualifiera d’après les notions propres à chacune des
sortes de procession, de telle manière que tout comme on dit de Lui qu’il est
inengendré, de même il est inspirable au sens où il ne peut être spiré comme
c’est le cas pour l’Esprit-Saint. |
[2083] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1Contra est quod in Littera per
Hilarium dicitur. |
Cependant : 1. Ce que dit Saint-Hilaire dans la Lettre est
contraire aux positions qui précèdent. |
[2084] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2Praeterea,
illud quo persona divina distinguitur ab aliis personis, est notio vel
proprietas ejus. Sed ingenitum soli Patri convenit, ut supra, 13 dist. qu. 1,
art. 4, habitum est. Ergo est notio vel proprietas Patris. |
2. Par ailleurs, ce par
quoi la personne divine se distingue des autres personnes, c’est sa notion ou
sa propriété. Mais ¨inengendré¨ convient seulement au Père ainsi que nous
l’avons établi plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 4]. ¨Inengendré¨ est donc
la notion ou la propriété du Père. |
[2085] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod secundum
Augustinum lib. IV De Trinit., cap. XX, § 29, col. 908,
Pater est principium totius divinitatis ; unde etiam Dionysius II de
div. Nom. col. 635, dicit, quod in Patre est fontana deitas
[divinitatis éd. de Parme). Unde si in divinis personis esset
ordo qui poneret prius et posterius, Pater esset primum principium. Sed quia
ibi non est talis ordo, loco ejus quod est primum, dicimus principium non de
principio. Unde Pater potest dupliciter innotescere: vel inquantum est de non
principio, et sic innotescit per notionem innascibilitatis: vel inquantum est
principium ; et sic, quia principium dicitur secundum emanationem quae ab
ipso est, secundum duplicem modum emanationis in divinis, duabus notionibus
innotescit ; scilicet paternitate, inquantum est principium per generationem
; et communi spiratione, inquantum est principium Spiritus sancti per
spirationem amoris ; et sic patet quod in universo sunt tres notiones Patris. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après
Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 29, col. 908], le
Père est le principe de toute la divinité ; c’est pourquoi Denys
[11 Les Noms Divins, col. 635] dit aussi que le Père est la
divinité [la source de la divinité Éd. de Parme] prise comme
source. C’est pourquoi, s’il y avait entre les personnes divines un ordre qui
poserait de l’avant de de l’après, le Père serait le premier principe. Mais
parce qu’il n’y a pas là un tel ordre, au lieu de premier nous parlons d’un
principe qui est sans principe. C’est pourquoi le Père peut être connu de
deux manières : soit en tant qu’il ne vient pas d’un principe et ainsi
il est connu par la notion d’innascibilité, soit en tant qu’il est principe
et ainsi, parce le principe se dit d’après l’émanation qui en procède, c’est
d’après les deux sortes d’émanations qui existent en Dieu, c’est par deux notions
que Dieu sera connu comme principe : à savoir par la paternité, en tant
qu’il est principe par mode de génération, et par la spiration commune, en
tant qu’il est principe de l’Esprit-Saint par la spiration de l’amoiur ;
et ainsi il est clair que ce sont là toutes les notions du Père. |
[2086] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod aliqua dictio dicitur ponere aliquid dupliciter: vel ita quod illud quod ponit sit de intellectu ejus
sicut aliquid essentiae ipsius, ut homo ponit animal ; vel quia praesupponit illud quasi in quo fundatur,
quamvis non sit de essentia ejus ; sicut omne accidens ponit substantiam.
Dico ergo, quod hoc nomen ingenitus non ponit aliquid quod constituat
intellectum ipsius: quia hoc non posset esse nisi poneret aliquam rationem
principii, vel in communi vel in speciali ; quia nihil aliud notionale potest
Patri convenire, et quocumque modo dicatur non ponet in numerum
innascibilitas cum paternitate, quia commune non ponit in numero cum proprio
; sed tamen ponit aliquid quod praesupponit ut id in quo fundatur ; et ex hoc
est quod quidam dixerunt, quod « ingenitus » aliquid ponit, et
quidam quod nihil. Sed quamvis nihil ponat quod sit de intellectu ejus
constitutive, non tamen sequitur quod non possit esse notio ; quia illud
cujus ratio consistit in remotione, optime per negationem certificatur, sicut
caecitas et hujusmodi: et hujusmodi est ratio primi, vel ejus quod est non de
principio esse, quia primum est ante quod nihil. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
c’est de deux manières qu’un terme pose quelque chose : soit
de telle manière que ce qu’il pose fasse partie de sa définition comme un
élément de son essence, comme homme qui pose animal ; Soit parce qu’il suppose cela comme ce
dans quoi il se fonde, bien qu’il ne fasse pas partie de son essence, comme
tout accident suppose une substance. Je dis donc que ce nom, à savoir
¨inengendré¨, ne pose pas quelque chose qui constitue sa compréhension car il
ne pourrait en être ainsi que si le terme posait une notion de principe que
ce soit dans l’universel ou le particulier ; car aucune autre notion ne
peut convenir au Père et quelle que soit la manière dont on la dise, l’innascibilité
ne pose pas en nombre avec la paternité parce que le commun ne pose pas en
nombre avec le propre ; il pose cependant quelque chose qu’il présuppose
comme ce dans quoi il se fonde : et c’est à cause de cela que certains
ont dit que ¨inengendré¨ pose quelque chose et d’autres que ce terme ne pose
rien. Mais bien qu’il ne pose rien qui soit un élément constitutif de sa
définition, il ne s’ensuit pas cependant que ce terme ne puisse être une
notion ; car ce dont la notion consiste en une exclusion est rendu
pleinement connu par la négation, comme la cécité et les notions de cette
sorte : et telle est la notion de premier ou de ce qui est tel qu’il ne
vienne pas d’un principe, car est premier ce qui n’est précédé par rien. |
[2087] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod ingenitus non importat negationem absolutam, sed aliquo modo
privationem. Omnis enim negatio quae est in aliquo subjecto determinato,
potest dici privatio. Unde in VIII Metaph., text. 4, dicitur,
quod privatio est negatio in subjecto vel in substantia. Unde dico, quod haec
negatio quam importat « ingenitus », intelligitur ut fundata in
ratione principii, secundum quod est notio Patris ; et hoc modo non convenit
nec essentiae nec Spiritui sancto, quibus non competit esse principium per
originem alicujus divinae personae: nec iterum Filio, cui convenit affirmatio
opposita. Sed ex hoc non sequitur
quod in Patre sit aliqua imperfectio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que ¨inengendré¨ n’implique pas une négation absolue, mais en un sens une
privation. En effet on peut appeler privation toute négation qui se trouve
dans un sujet déterminé. C’est pourquoi on dit [ VIII Métaphysique,
texte 4] que la privation est une négation dans un sujet ou une substance.
D’où je dis que cette négation qui est impliquée dans
¨inengendré¨ s’entend comme étant fondée sur la notion de principe
en tant qu’elle est la notion du Père ; et prise en ce sens elle ne convient
ni à l’essence ni à l’Esprit-Saint auxquels il n’appartient pas d’être
principes par l’origine d’une personne divine, ni en outre au Fils auquel
l’affirmation opposée convient. Mais à partir de là il ne s’ensuit pas qu’il
y ait la moindre imperfection dans le Père. |
Quamvis enim privatio semper sit ejus quod natum est
haberi ; tamen hoc contingit tripliciter, ut dicit philosophus V Metaph.,
text. 27. |
En effet, bien que la privation
renvoie toujours à ce qu’il est naturel de posséder, cependant cela peut se
présenter de trois manières d’après le Philosophe [V Métaphysique,
texte 27] |
Vel quando aliquid non habet quod natum est haberi a
quocumque, quamvis ipsum non sit natum habere, sicut pes non dicitur habere
visum: vel quando non habet illud quod natum est haberi a suo
genere, quamvis non ab ipso nec ab aliquo suae speciei, sicut talpa non habet
visum: vel quando non habet illud quod natum est habere, et
quando et ubi et secundum alias conditiones ; et sic proprie dicitur
privatio, et imperfectionem importat: et hoc modo nihil privative in Deo
dicitur ; sed aliis primis modis potest dici. |
Soit quand un être ne possède pas
ce qu’il est naturel à un tel de posséder, bien que lui-même ne le possède
pas, comme c’est le cas pour le pied auquel on n’attribue pas la vue. Soit quand un être ne possède pas ce
qu’il est naturel de posséder dans son genre, bien que lui-même ni personne
de son espèce ne le possède, comme la taupe qui ne possède pas la vue. Soit quand un être ne possède pas ce
qu’il est apte par nature à posséder, que ce soit selon le temps, le lieu et
les autres conditions requises ; et c’est en ce sens que
se dit proprement la privation et qu’elle implique une
imperfection : et en ce sens aucune privation ne s’attribue à
Dieu ; mais on peut parler de privation en Dieu d’après les deux autres
modalités. |
Sed quantum ad primum modum potest ingenitum dici de
essentia et de Spiritu sancto, ut supra, dist. 13, accepit Hieronymus (dist.
XIII) ; sed quantum ad secundum modum dicitur tantum de Patre: quia ipse est
principium notionaliter, et non habet generationem passivam quam habet
Filius, qui etiam notionaliter principium est. |
Mais quant à la première modalité,
¨inengendré¨ peut se dire de l’essence et de l’Esprit-Saint ainsi que
l’entendait Saint-Jérôme précédemment à la distinction 13 ; mais quant à
la deuxième modalité, ¨inengendré¨ se dit seulement du Père : car il est
Lui-même principe quant à la notion et ne possède pas la génération passive
que le Fils possède et qui est lui aussi principe quant à la notion. |
[2088] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in genere continetur aliquid dupliciter: vel per se et
proprie, sicut species, et ea quae recipiunt praedicationem generis ; vel per
reductionem, sicut principia generis, ut materia et forma ad substantiam ; et
unitas et punctus ad quantitatem ; quamvis neutrum sit quantitas. Ita etiam
nulla negatio vel privatio est in genere per se: quia non habet aliquam
quidditatem nec esse ; sed reducitur ad genus affirmationis, secundum quod in
non esse intelligitur esse, et in negatione affirmatio, ut dicit philosophus,
in II Elenchus, cap.IV, quia omnis privatio per habitum
cognoscitur, et remotio per positionem ; et sic etiam non relatio est in
genere relationis, quamvis ea de quibus dicitur ista negatio, non sint in
illo genere. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’un être est contenu dans un genre de deux façons : soit
essentiellement et proprement, comme les espèces et tout ce qui reçoit
l’attribution du genre ; soit par réduction, comme les principes du
genre, comme la matière et la forme par rapport à la substance, l’unité et le
point par rapport à la quantité, bien qu’aucun d’eux ne soit une quantité. De
même, aucune négation ou privation n’est dans un genre essentiellement car
elle ne possède ni quiddité ni existence ; mais elle se ramène au genre
de l’affirmation, selon que l’être est compris dans le non-être et que
l’affirmation est comprise dans la négation, comme le dit le Philosophe
[11 Réfutations Sophistiques, ch. IV] car toute privation est
connue par la possession et toute négation par l’affirmation ; et en ce
sens même la non-relation est dans le genre de la relation, bien que les
choses auxquelles s’attribue cette négation ne soient pas dans ce genre. |
[2089] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod in hoc quod dicitur « ingenitus », removetur
a Patre esse ab alio simpliciter, et non solum secundum aliquem determinatum
modum. Quare autem nominetur per negationem specialis processionis, scilicet
generationis, potest assignari triplex causa: una est, quia
processio Spiritus sancti secundum ordinem naturae praesupponit generationem
Filii: et ideo, quia negato priori removetur posterius, ad remotionem
generationis a principio fontali, sequitur processionis remotio per modum
amoris: secunda est, quia
per hoc quod dicitur ingenitus, secundum quod est notio Patris, tollitur
omnis modus consequendi generationem: hoc enim convenit Patri inquantum est
principium generationis, ut nullo modo generationem consequatur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’en disant de Lui qu’il est ¨inengendré¨, c’est
absolument et non pas selon un mode déterminé qu’on nie du Père qu’il vienne
d’un autre. Mais pourquoi il est nommé par la négation d’une procession
spéciale, à savoir la génération, on peut en donner trois causes: La première en
est que la procession de l’Esprit-Saint, d’après l’ordre de nature, presuppose
la generation du Fils: et c’est pourquoi, parce que le premier étant nié le
second se trouve à disparaître, la disparition de la procession par mode
d’amour se trouve à découler de la disparition de la génération par le
principe originel. La deuxième est
que, parce que du fait qu’on dit qu’il est inengendré, selon que c’est là la
notion du Père, on fait disparaître toute manière d’être attaint par la
génération: il convient en effet au Père, en tant qu’il est le principe de la
génération, de n’être en aucune manière le résultat d’une génération. |
Generationem autem
consequitur aliquid secundum intellectum tripliciter: vel sicut genitum,
ut Filius ; vel sicut per
generationem acceptum, ut essentia divina ; vel sicut a generato
procedens, ut Spiritus sanctus. Unde nulli horum
convenit ingenitus secundum praedictum modum. Tertia potest esse ratio, quia
negatio ingeniti fundatur super rationem principii, ut dictum est, in corp.
art. Quamvis autem Pater sit principium utriusque processionis divinae, sola
tamen ratio per quam est principium generationis, est proprietas personalis,
constituens personam Patris, scilicet paternitas ; et ideo etiam per
generationis negationem eadem persona convenientius et magis proprie
notificatur. |
Mais c’est
de trois manières, selon l’intelligence, qu’un être est le résultat d’une
génération: Soit comme étant
engender, comme c’est le cas pour le Fils. Soit comme ce qui
est reçu au moyen de la génération, comme l’essence divine. Soit comme ce qui
procède de ce qui est engender, comme c’est le cas pour l’Esprit-Saint. Il suit de là que
¨inengendré¨, pris selon la modalité qui précède, ne convient à aucune de ces
manières. La troisième
cause peut être que la négation présente dans ¨inengendré¨ se fonde sur la
notion de principe ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.
Mais bien que le Père soit le principe des deux processions divines,
cependant seule la notion par laquelle il est le principe de la génération, à
savoir la paternité, est une propriété personnelle constituant la personne du
Père; et c’est pourquoi la même personne se trouve à se faire connaître plus
convenablement et plus proprement par la négation de la génération. |
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Articulus II Utrum innascibilitas sit proprietas personalis patris |
Article 2 – L’innascibilité est-elle la propriété personnelle du Père ? |
[2091] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
innascibilitas sit proprietas personalis Patris. Sicut enim paternitas
convenit tantum patri, ita et innascibilitas. Sed paternitas est proprietas
personalis ejus. Ergo et innascibilitas. |
Difficultés : 1. Il semble que l’innascibilité soit une
propriété personnelle du Père. En effet, tout comme la paternité,
l’innascibilité convient seulement au Père. Mais la paternité est une
propriété personnelle. Il en est donc de même pour l’innascibilité. |
[2092] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2Praeterea, persona dicit
aliquid distinctum proprietate ad dignitatem pertinente. Sed innascibilitas
magis videtur pertinere ad dignitatem quam paternitas ; quia paternitas
communicatur etiam creaturis, non autem innascibilitas. Ergo innascibilitas
magis est proprietas personalis quam paternitas. |
2. Par
ailleurs, la personne dit un être distinct par une propriété qui appartient à
une dignité. Mais l’innascibilité semble advantage appartenir à une dignité
que la paternité; car la paternité se communique même aux creatures mais non
l’innascibilité. L’innascibilité est donc advantage une propriété personnelle
que la paternité. |
[2093] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3Item, persona non potest
intelligi nisi intelligatur aliquid constituens ipsam in personalitate
sua. Sed, ut in Littera dicitur,
potest intelligi ingenitus, etiam si non intelligatur Pater. Ergo oportet
quod innascibilitas constituat personam Patris ; et ita videtur
quod sit proprietas personalis. |
3. En outre, la personne ne peut
être saisie que si on saisit quelque chose qui la constitue dans sa
personnalité. Mais, comme on le dit dans la Lettre, on peut saisir
¨inengendré¨, même si on ne saisit pas la notion de Père. Il faut donc que
l’innascibilité constitue la personne du Père ; et il semble ainsi
qu’elle soit une propriété personnelle. |
[2094] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4Praeterea,
illud quod est principium personalis operationis, videtur esse proprietas
personalis, quia propria operatio est a propria forma operantis. Sed
innascibilitas est principium generationis in Patre. Dicitur enim, quod Pater
generat, quia est ingenitus ; unde quaerit delicias in consortio Filii. Ergo
videtur quod innascibilitas sit proprietas personalis. |
4. De plus, ce qui est principe de
l’opération personnelle semble être la propriété personnelle car l’opération
propre vient de la forme propre de celui qui pose l’opération. Mais
l’innascibilité est le principe de la génération dans le Père. On dit en
effet que le Père engendre parce qu’il est inengendré ; de là il cherche
ses délices dans la compagnie du Fils. Il semble donc que l’innascibilité
soit une propriété personnelle. |
[2095] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1Contra,
quidquid dicitur per positionem, non constituitur negatione vel privatione
[negative vel privative éd. de Parme] tantum. Sed Pater nominat
aliquid positive. Ergo persona Patris non constituitur per innascibilitatem,
quia nihil ponit in intellectu suo. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce qui se dit par
affirmation n’est pas constitué par la négation ou la privation [négativement
ou privativement Éd. de Parme]. Mais le Père dit quelque chose de
manière positive. Donc la personne du Père n’est pas constituée par
l’innascibilité car cette dernière ne pose rien dans sa compréhension. |
[2096] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod sicut est in
inferioribus, quod quidquid consequitur ad esse perfectum, non est
constitutivum illius rei, ita etiam in divinis quidquid secundum intellectum
praesupponit aliquid quo persona constituitur, non potest esse constitutivum
personae ; et inde est quod communis spiratio non potest esse proprietas
personalis, quia praesupponit in Patre et Filio generationem activam et
passivam, quibus illae personae constituuntur. Similiter innascibilitas, cum
ponat negationem, quae fundatur super rationem principii, ut dictum est, art.
praeced., praesupponit secundum intellectum rationem principii supra quam
fundatur, scilicet paternitatem ; et ideo non potest constituere personam
Patris, nec potest esse personalis proprietas. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que, tout
comme il en est dans les réalités inférieures, tout ce qui découle d’un être
parfait n’entre pas dans la constitution de cette chose, de même aussi dans
les personnes divines tout ce qui présuppose selon l’intelligence quelque
chose dont la personne est constituée, cela ne peut entrer dans la
constitution de la personne ; d’où il résulte que la spiration commune
ne peut être une propriété personnelle car elle présuppose dans le Père et le
Fils la génération active et passive par lesquelles ces personnes sont
constituées. De la même manière l’innascibilité, puisqu’elle présente une
négation qui se fonde sur la notion de principe, ainsi que nous l’avons dit
dans l’article précédent, présuppose selon l’intelligence la notion de
principe sur laquelle elle se fonde, c’est-à-dire la paternité ; et
c’est là la raison pour laquelle elle ne peut constituer la personne du Père
et ne peut être une propriété personnelle. |
[2097] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ex hoc quod convenit soli Patri, potest probari
quod sit proprietas Patris, non autem quod sit proprietas personalis, nisi
constitueret personam Patris ad similitudinem differentiae constitutivae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
du fait qu’elle convient seulement au Père, on peut prouver que
l’innascibilité est une propriété du Père mais non pas qu’elle soit une
propriété personnelle, sauf si elle constituait la personne du Père à la
ressemblance de la différence constitutive. |
[2098] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quidquid habet negatio de dignitate, habet ab
affirmatione supra quam fundatur ; et ideo innascibilitas quae fundatur supra
talem paternitatem, pertinet ad dignitatem sicut talis paternitas ; et sicut
innascibilitas non communicatur creaturae, ita nec talis paternitas, scilicet
quae non est ab alio principio, quamvis communicetur paternitas absolute. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que tout ce que la négation tient sur la dignité, elle le tient de
l’affirmation sur laquelle elle se fonde ; et c’est pourquoi
l’innascibilité qui est fondée sur une telle paternité appartient à la
dignité tout comme cette paternité ; et tout comme l’innascibilité n’est
pas communiquée à la créature, de même cette paternité, à savoir celle qui ne
procède pas d’un autre comme principe, ne lui est pas communiquée non plus,
bien que la paternité prise absolument lui soit communiquée. |
[2099] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod remota paternitate per intellectum, non remanet
hypostasis Patris ; et quod dicitur in Littera, quod remanet
ingenitum, est intelligendum quantum ad communem rationem ingeniti et Patris,
quia separatim inveniuntur in diversis ; non autem secundum quod utrumque
ponitur proprietas Patris. Nihilominus tamen, etiam remota paternitate,
remaneret ingenitum in Deo, non quasi proprietas vel notio alicujus personae
; sed quasi attributum essentiae, ut immensus et increatus. |
3. Il faut dire en troisième lieu que si
on retire par l’intelligence la paternité, l’hypostase du Père ne demeure
pas ; et ce qu’on dit dans la Lettre, à savoir que ¨inengendré¨ demeure,
cela doit s’entendre quant à la notion commune de ¨inengendré¨ et de ¨Père¨,
car on les retrouve séparément dans différents êtres, mais non pas selon que
l’une et l’autre sont posées comme propriété du Père. Néanmoins cependant,
même si on retirait la paternité, ¨inengendré¨ demeurerait en Dieu, non pas
comme la propriété ou la notion d’une personne, mais comme un attribut de
l’essence, comme immense et incréé. |
[2100] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod innascibilitas non est principium generationis in
Patre quasi forma eliciens hanc operationem, sed solum quasi ponens aliquam
conditionem circa generationem. Sicut enim videmus in alterationibus, quod
prima alteratio est quam operatur alterans non alteratum ; et ex hoc quod non
est alteratum, alteratio quam facit, est prima: ita etiam prima generatio est
quae est generantis non generati ;unde conditionem istam, quod sit prima
generatio, habet ex hoc quod generans est ingenitus. Sed principium formale
quasi eliciens generationem, est forma Patris, quae est paternitas, sicut
calor est principium calefactionis in calido. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que l’innascibilité n’est pas dans le Père un principe de génération à titre
de forme qui provoquerait cette opération, mais seulement comme posant une
condition sur la génération. En effet, tout comme nous voyons dans les
altérations que la première altération est celle qu’opère celui qui altère
sans être altéré et que c’est du fait qu’il n’est pas altéré que l’altération
qu’il fait est la première, de même encore la première génération est celle
qui appartient à celui qui engendre sans avoir été engendré ; d’où la
première génération tient cette condition du fait que celui qui engendre
n’est pas engendré. Mais le véritable principe formel qui tend à la
génération est la forme du Père, à savoir la paternité, tout comme la chaleur
est le principe du réchauffement dans ce qui est chaud. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – L’image |
Prooemium |
Prologue |
[2101] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 pr. Deinde
quaeritur de imagine ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 quid sit imago ; 2 utrum imago in divinis dicatur essentialiter vel
personaliter ; 3 si dicatur personaliter, utrum conveniat filio
tantum. |
On s’interroge ensuite sur
l’image ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Qu’est-ce que l’image ? 2. Est-ce que l’image en Dieu se dit
essentiellement ou personnellement ? 3. Si elle se dit personnellement, est-ce
qu’elle convient seulement au Fils ? |
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Articulus 1Utrum definitio imaginis: imago est species
indifferens ejus rei ad quam imaginatur, sit competens |
Article 1 – Est-ce que la définition de l’image : « L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle représente » convient ? |
[2103] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 1Ad primum sic proceditur, et
ponitur definitio Hilarii talis. De synodis, § 13, col.
940: imago est ejus rei ad quam imaginatur, species indifferens.
Videtur autem quod sit incompetens. Imago enim est secundum imitationem in
exterioribus. Sed species non est de
extrinsecis rei ; immo dicit quidditatem intrinsecam. Ergo male ponitur in
definitione imaginis. |
Difficultés : 1. Voici cette définition de l’image
telle que présentée par Saint-Hilaire [Les Synodes, &13, col.
940] : L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle
représente. Mais il semble que cette définition ne soit pas juste.
L’image en effet se dit d’après une imitation dans les choses extérieures.
Mais l’espèce ne se rapporte pas à ce qui est extérieur dans la chose ;
bien plutôt, elle dit la quiddité intrinsèque. C’est donc à tort qu’elle est
posée dans la définition de l’image. |
[2104] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 2Praeterea,
imago proprie dicitur quod est ad imitationem alterius. Sed species
indifferens duorum non est ad imitationem alterius, immo est id in quo
imitatio attenditur. Ergo imago non debet dici species, sed habens speciem. |
2. Par ailleurs, l’image se dit
proprement de ce qui se rapporte à l’imitation d’un autre. Mais l’espèce
précise de deux réalités ne se rapporte pas à l’imitation d’un autre, mais
elle est bien plutôt ce en quoi l’imitation se vérifie. L’image ne doit donc
pas être appelée espèce mais ce qui a une espèce. |
[2105] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 3Item,
eorum quae in infinitum distant, non potest esse indifferentia. Sed creatura
est imago Dei, a quo tamen in infinitum distat. Ergo indifferens male ponitur
in definitione imaginis. |
3. En outre, pour les choses qui
diffèrent à l’infini les unes des autres, il ne peut y avoir identité
d’espèce . Mais la créature est une image de Dieu dont elle diffère cependant
à l’infini. Donc, ¨précise¨ est posé à tort dans la définition de l’image. |
[2106] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 4Praeterea,
in definitionibus non debet esse circulus. Sed ex hac definitione sequitur
circulus ; definit enim imaginem per rem imaginatam, et imaginatum non potest
definiri nisi per imaginem. Ergo videtur quod male definiat. |
4. Par ailleurs, la définition ne
doit pas être circulaire. Mais cette définition est circulaire : elle
définit en effet l’image par la chose imaginée et la chose imaginée ne peut
être définie que par l’image. Il semble donc que cette définition soit
incorrecte. |
[2107] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 5Item,
de ratione imaginis est aequalitas et similitudo, ut patet ex alia ejus
definitione, quod imago est rei, ad rem coaequandam, indiscreta et
unita similitudo. Cum igitur in praedicta definitione nihil ponatur ad
aequalitatem et similitudinem pertinens, videtur quod sit diminuta. |
5. En outre, l’égalité et la
ressemblance font partie de la définition de l’image, comme on le voit à
partir d’une autre définition de l’image, à savoir que l’image est la
similitude indifférenciée et unie à la chose qu’elle doit égaler. Donc,
puisque dans la définition qui précède on ne pose rien qui concerne l’égalité
et la similitude, il semble que ce soit là une définition tronquée. |
[2108] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 co.Respondeo dicendum, quod ratio imaginis
consistit in imitatione ; unde et nomen sumitur. Dicitur enim imago quasi
imitago. De ratione autem imitationis duo consideranda sunt ; scilicet illud
in quo est imitatio, et illa quae se imitantur. Illud autem respectu cujus
est imitatio, est aliqua qualitas, vel forma per modum qualitatis
significata. Unde de ratione imaginis est similitudo. Nec hoc sufficit, sed
oportet quod sit aliqua adaequatio in illa qualitate vel secundum qualitatem
vel secundum proportionem ; ut patet quod in imagine parva, aequalis est
proportio partium ad invicem sicut in re magna cujus est imago ; et ideo
ponitur adaequatio in definitione ejus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la notion
d’image se ramène à celle d’imitation ; c’est de ce nom en effet que se
tire le nom d’image. En effet, qui dit image dit copier. Mais il y a deux
choses à considérer dans la notion de l’imitation, à savoir ce en quoi il y a
imitation et les choses qui s’imitent. Mais ce par rapport à quoi il y a
imitation est une certaine qualité ou une forme signifiée à la manière d’une
qualité. C’est pourquoi la similitude fait partie de la définition de
l’image. Et cela ne suffit pas, mais il faut qu’il y ait une certaine égalité
dans cette qualité, soit selon la qualité soit selon la proportion, comme on
le voit dans une petite image où la proportion des parties entre elles est
égale à celle qu’on retrouve dans la grande chose dont elle est
l’image ; et c’est pourquoi l’égalité est placée dans sa définition. |
Exigitur etiam quod illa qualitas sit expressum et
proximum signum naturae et speciei ipsius ; unde non dicimus quod qui
imitatur aliquem in albedine, sit imago illius ; sed qui imitatur in figura,
quae est proximum signum et expressum speciei et naturae. Videmus enim
diversarum specierum in animalibus diversas esse figuras. |
Il est aussi nécessaire que cette
qualité soit le signe clair et prochain de sa nature et de son espèce ;
c’est pourquoi nous ne disons pas de celui qui imite quelqu’un par la
blancheur qu’il soit son image, mais nous le disons seulement de celui qui
l’imite par la figure, laquelle est le signe clair et prochain de l’espèce et
de la nature. Nous voyons en effet chez les animaux qu’à des espèces différentes
correspondent des figures différentes. |
Ex parte autem imitantium duo sunt consideranda ;
scilicet relatio aequalitatis et similitudinis, quae fundatur in illo uno in
quo se imitantur ; et adhuc ulterius ordo: quia illud quod est posterius ad
similitudinem alterius factum, dicitur imago ; sed illud quod est prius, ad
cujus similitudinem fit alterum, vocatur exemplar, quamvis abusive unum pro
alio ponatur. Et ideo Hilarius ad significandum ordinem et relationem
se imitantium, dixit: « Imago est ejus rei ad quam imaginatur ;
ad designandum vero id in quo est imitatio, dixit: Species
indifferens. |
Mais du côté de ceux qui imitent il
y a deux choses à considérer, à savoir la relation d’égalité et de similitude
qui se fonde sur ce seul rapport dans lequel ils s’imitent ; et par la
suite en plus il y a l’ordre : car ce qui est second et qui est
fait à la ressemblance de l’autre s’appelle image ; mais ce qui est
premier et à la ressemblance duquel l’autre est produit s’appelle modèle,
bien que l’un est abusivement pris pour l’autre. Et c’est pourquoi Saint-Hilaire, pour
signifier l’ordre et la relation des termes entre lesquels il y a imitation,
a dit : «L’image se rapporte à la chose qu’elle représente» ;
et pour signifier ce en quoi il y a imitation, il a dit : «L’image
est l’espèce précise». |
[2109] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod non in imitatione quorumcumque exteriorum est
ratio imaginis ; sed eorum quae sunt signa quodammodo speciei et naturae ; et
ideo posuit speciem potius quam qualitatem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la notion d’image ne se retrouve pas dans l’imitation de tout ce qui est
extérieur mais seulement dans ce qui est le signe d’une certaine manière de
l’espèce et de la nature ; et c’est pourquoi Saint-Hilaire parle
d’espèce plutôt que de qualité dans la définition. |
[2110] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ista definitio data est per causam: non enim illud
quod est imago, est ipsa species in qua fit imitatio, proprie loquendo ; sed
indifferentia speciei est causa quare dicatur imago. Vel dicatur, quod
utrumque potest dici imago ; et illud quod imitatur, et id in quo est
imitatio, quamvis non ita proprie ; et sic definit Hilarius. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que cette définition est donnée par la cause : en effet, ce n’est pas
cela même qui est l’image, à proprement parler, qui est l’espèce même dans
laquelle il y a imitation ; mais la similitude de l’espèce est la cause
pour laquelle on parle d’image. Ou bien on peut encore dire que les deux
peuvent être appelées images, à savoir à la fois ce qui imite et ce en quoi
il y a imitation, bien que dans ce cas il n’y ait pas image à proprement
parler ; et c’est ainsi que Saint-Hilaire définit l’image. |
[2111] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
unumquodque quantum attingit ad rationem imaginis, tantum attingit ad
rationem indifferentiae: secundum enim quod differt, non est imago. Invenitur tamen quidam gradus perfectionis imaginis.
Dicitur enim quandoque imago alterius, in quo invenitur aliquid simile
qualitati alterius, quae designat et exprimit naturam ipsius ; quamvis illa
natura in ea non inveniatur ; sicut lapis dicitur esse imago hominis
inquantum habet similem figuram, cui non subsistit natura illa cujus est
signum ; et sic imago Dei est in creatura, sicut imago regis in denario, ut
dicit Augustinus, lib. (sermo IX) de decem chordis,cap. VIII,
col. 82 ; et sic est imperfectus modus imaginis. Sed perfectior ratio
invenitur quando illi qualitati quae designat naturam similem subest, eadem
natura [natura substantiae, subest natura in specie, éd. de Parme],
sicut est imago hominis patris in filio suo: quia habet similitudinem in
figura, et in natura quam figura significat. Sed perfectissima ratio imaginis
est quando eamdem numero formam et naturam invenimus in imitante cum eo quem
imitatur ; et sic est Filius perfectissima imago Patris: quia omnia attributa
divina, quae sunt per modum qualitatis significata, simul cum ipsa natura
sunt in Filio, non solum secundum speciem, sed secundum unitatem in numero. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que toute chose parvient d’autant plus à la notion d’image qu’elle
parvient à la notion de similitude car en effet, là où il y a différence, il
n’y a pas d’image. On rencontre cependant certains degrés de perfection de
l’image. Parfois en effet l’image se dit de ce dans quoi se
retrouve quelque chose de semblable à la qualité d’un autre qui
désigne et exprime la nature de cet autre, bien que cette nature ne se
retrouve pas en lui ; par exemple on dit de la pierre qu’elle est
l’image de l’homme en tant qu’elle possède une figure semblable, bien qu’on
ne retrouve pas en elle cette nature dont elle est le signe ; et c’est
ainsi que l’image de Dieu est dans la créature, tout comme l’image du roi est
sur le denier, comme le dit Saint-Augustin [Sermon 1X, Sur les dix
cordes, ch. VIII, col. 82] ; et cette sorte d’image est
imparfaite. Mais on retrouve une notion plus parfaite de l’image quand une
même nature [la nature de la substance, se tient la nature dans
l’espèce Éd. de Parme] se tient sous cette qualité qui désigne
une nature semblable, tout comme l’image de l’homme qui est père se retrouve
dans son fils : car ce dernier possède une ressemblance et quant à la
figure et quant à la nature que la figure signifie. Mais la notion la plus
parfaite de l’image est celle où nous retrouvons la même forme et la même
nature, numériquement parlant, dans celui qui imite et dans celui qu’il
imite ; et c’est ainsi que le Fils est l’image la plus parfaite du Père :
car tous les attributs divins, qui sont signifiés par mode de qualités, sont
simultanément présents dans le Fils avec la nature elle-même, non seulement
selon l’espèce, mais selon une unité numérique. |
[2112] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod hoc quod dicit: « Ejus rei ad quam
imaginatur », est circumlocutio exemplaris. Unde ponitur in virtute
unius dictionis, et ponitur convenienter in definitione imaginis, sicut prius
in definitione posterioris, et non e converso. Exemplar enim prius est
imagine ; unde non est ibi circulus. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que ce que dit Saint-Hilaire, à savoir : «De la chose qu’elle
représente», est une circonlocution exemplaire. De là elle est posée à la
place d’un seul terme, et est posée correctement dans la définition de
l’image, tout comme ce qui est premier est posé dans la définition de ce qui
est second, et non inversement. En effet, le modèle est antérieur à l’image ;
c’est pourquoi il n’y a pas là définition circulaire. |
[2113] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod indifferentia speciei intelligitur et similitudo et
aequalitas, qualis ad imaginem requiritur ; unde illae duae definitiones
[quasi add. éd. de Parme] in idem redeunt. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que la ressemblance de l’espèce s’entend à la fois comme similitude et
égalité, laquelle est requise à l’image ; c’est pourquoi ces deux
définitions reviennent [presque add. Éd. de Parme] au même. |
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Articulus 2 Utrum imago dicatur essentialiter |
Article 2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ? |
[2115] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 1Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod imago non
dicatur essentialiter. Ut enim supra, dist. 27, dictum est ab Augustino, lib.
VII De Trinit., c. 1, col. 903, nihil est absurdius quam
imaginem ad se dici. Sed illud quod essentialiter dicitur in divinis, ad se
dicitur. Ergo absurdum est ut essentialiter dicatur. |
Difficultés : 1. Il semble que l’image ne
se dise pas essentiellement. En effet, comme l’a dit plus haut Saint-Augustin
à la distinction 27 [ VII De la Trinité ch. 1, col. 903],
rien n’est plus absurde que de dire que l’image est un terme absolu. Mais ce
qui se dit essentiellement en Dieu se dit absolument. Il est donc absurde de
dire que l’image se dit essentiellement. |
[2116] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 2Praeterea,
imago de ratione sua, ut dictum est, art. praeced., importat ordinem. Sed in
divinis non est nisi ordo originis. Cum igitur nihil importans originem, in
divinis essentialiter dicatur, videtur quod nec imago. |
2. Par ailleurs, l’image, de par sa
définition, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, implique un
ordre. Mais en Dieu il n’y a qu’un ordre d’origine. Donc, puisque rien de ce
qui implique l’origine ne se dit essentiellement en Dieu, il semble qu’il en
soit aussi de même pour l’image. |
[2117] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 3Item,
ex absolutis vel essentialibus non potest probari personarum distinctio: quia
in essentialia Trinitatis potest deducere naturalis ratio ; non autem in
personarum distinctionem. Sed supra, 2 distinct., qu. 1, art. 4, probata est
distinctio personarum ex ratione imaginis. Ergo imago non dicitur
essentialiter. |
3. En outre, à partir des termes
absolus ou essentiels, on ne peut prouver la distinction des personnes :
car la raison naturelle peut conduire aux termes essentiels de la Trinité
mais non à la distionction des personnes. Mais plus haut [dist. 2, quest. 1,
art. 4] la distinction des personnes a été prouvée à partir de la notion
d’image. L’image ne se dit donc pas essentiellement. |
[2118] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 s. c. 1Contra
est quod in littera dicitur per Augustinum et Hilarium. |
Cependant : 1. Saint-Augustin et Saint-Hilaire disent
le contraire dans la lettre. |
[2119] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 co.Respondeo dicendum, quod, sicut
dictum est, art. praeced., imago potest dici dupliciter: vel id quod imitatur
aliquem, vel id in quo est imitatio. Si dicatur imago prout proprie accipitur
id quod imitatur alterum ; sic essentia divina non potest dici imago, sed
exemplar ; cujus imago est creatura: quia imago praesupponit ordinem ad
aliquod principium: essentia autem divina non habet aliquod principium ; sed
tamen sic aliqua persona potest dici imago alterius, inquantum persona
praesupponit sibi secundum ordinem naturae aliam personam. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire, tout comme nous l’avons dit dans l’article precedent, que l’image
peut se dire de deux manières: soit ce qui imite un être, soit ce en quoi il
y a imitation. Si l’image se dit selon qu’on la prend proprement dans ce qui
imite un autre, alors on ne peut dire de l’essence divine qu’elle est une
image, mais un modèle dont l’image est la créature: car l’image presuppose un
rapport à un principe: mais l’essence divine n’a pas de principe; mais de
cette manière cependant on peut dire d’une personne qu’elle est l’image d’une
autre pour autant qu’une personne présuppose à elle-même une autre personne
selon un ordre de nature. |
Unde sic imago, secundum quod proprie de Deo dicitur,
semper est personale. Si autem dicatur imago id in quo est imitatio, sic
natura divina est imago ; quia in ipsa est duplex imitatio. Una personae ad
personam, secundum quod Filius in natura divina quam habet a Patre, imitatur
Patrem. Alia creaturae ad creatorem, inquantum creatura imitatur creatorem,
sed imperfecte, secundum aliquam similitudinem bonitatis ipsius. Et quantum
ad primam imitationem, quae scilicet est personae ad personam, imago in recto
significabit essentiam, sed in obliquo faciet intellectum personarum ; sic
enim idem erit imago quod natura divina personarum in ea se imitantium ; et
sic accepit supra Hilarius. Unde
probavit ex ratione imaginis et unitatem essentiae et distinctionem
personarum. Sed quantum ad secundam imitationem, quae est creaturae ad
creatorem, imago significabit divinam essentiam, et connotabit respectum ad
creaturam quae imitatur ipsam ; et sic accepit ibidem Augustinus ; unde ex
ratione imaginis non probavit nisi unitatem essentiae. |
De là, selon qu’elle se dit
proprement de Dieu, de cette manière l’image est toujours personnelle. Mais
si par image on entend ce en quoi il y a imitation, alors la nature divine
est une image car il y a en elle deux imitations. Celle d’une personne à une
personne selon laquelle le Fils imite le Père dans la nature divine qu’il tient
du Père. L’autre est celle de la créature à l’égard du créateur, en autant
que la créature imite le créateur mais imparfaitement, d’après une certaine
ressemblance de sa bonté. Et quant à la première imitation, c’est-à-dire
celle d’une personne à une autre personne, l’image signifiera directement
l’essence mais indirectement elle produira l’intelligence des
personnes ; en effet, l’image sera identique à la nature divine des
personnes qui s’imitent en elle ; et c’est ainsi que l’entendait Saint-Hilaire
plus haut. De là il prouvait à partir de la définition de l’image à la fois
l’unité de l’essence et la distinction des personnes. Mais quant à la
deuxième imitation qui est celle de la créature à l’égard du créateur,
l’image signifiera l’essence divine et indiquera le rapport à la créature qui
imite cette essence ; et c’est ainsi que l’entendait au même endroit
Saint-Augustin et c’est pourquoi à partir de la définition de l’image il ne
prouvait que l’unité de la substance. |
[2120] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 ad arg.Et per hoc patet solutio ad objecta. |
Solutions : Et par ce développement les solutions aux
difficultés qui précèdent sont évidentes. |
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Articulus 3Utrum spiritus sanctus possit dici imago |
Article 3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image ? |
[2122] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur.
Videtur quod Spiritus sanctus possit dici imago. Primo per Damascenum qui
dicit (I Fidei Ortho., cap. XIII) quod Spiritus sanctus est
imago Filii. |
Difficultés: 1. Il semble
qu’on puisse dire de l’Esprit-Saint qu’il est une image, premièrement par
l’autorité de Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII] qui dit
que l’Esprit-Saint est l’image du Fils. |
[2123] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 2Praeterea, sicut Filius
imitatur Patrem, per omnia consimilis sibi, ita etiam Spiritus sanctus. Sed
hoc est quod requiritur ad perfectam rationem imaginis, ut dictum est, art. 1
hujus quaest. Ergo Spiritus sanctus est imago Patris. |
2. Par
ailleurs, l’Esprit-Saint, tout comme le Fils, imite le Père par tout ce qui
leur est entièrement semblable. Mais c’est cela qui est requis à une parfaite
définition de l’image, ainsi que nous l’avons dit dans l’article 1 de cette
question. Donc l’Esprit-Saint est l’image du Père. |
[2124] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 3Si
dicis, quod Spiritus sanctus non habet hoc quod sit similis Patri per
omnia, ex ratione processionis, sicut Filius hoc habet inquantum procedit ut
genitus ; contra: quia processio Spiritus sancti non tantum est
processio amoris, sed processio amoris divini. Sed processio amoris divini,
inquantum hujusmodi, habet quod sit in plenitudine ejusdem naturae. Ergo
videtur quod Spiritus sanctus ex processione sua habeat quod sit imago. |
3. Si tu dis que l’Esprit-Saint ne
possède pas cette ressemblance totale au Père, en raison de sa procession,
que le Fils possède selon qu’il procède en tant qu’il est engendré, j’objecte
que la procession de l’Esprit-Saint n’est pas seulement une procession de
l’amour mais une procession de l’amour divin. Mais la procession de l’amour
divin, en tant que tel, est en possession de la plénitude d’une même nature.
Il semble donc que l’Esprit-Saint soit une image en raison même de sa
procession. |
[2125] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 4Praeterea,
dicitur absolute, quod Spiritus sanctus est aequalis Patri, et similis, et
connaturalis ; quamvis hoc non habeat ex ratione suae processionis absolute.
Cum igitur similitudo et aequalitas et connaturalitas constituant perfectam
rationem imaginis ; videtur quod Spiritus sanctus absolute dicendus [
dicendus om. Ed. de Parme] sit imago. |
4. Par ailleurs, c’est
absolument qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il est égal au Père, qu’il lui est
semblable et de même nature, bien qu’il ne possède pas cela totalement en
raison de sa procession. Donc, puisque la similitude, l’égalité et l’identité
de nature constituent la définition parfaite de l’image, il semble qu’on
doive dire d’une manière absolue de l’Esprit-Saint qu’il est une image. |
[2126] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 s. c. 1Contra
est quod Hilarius dicit, quod aeternitas est in Patre, et species in imagine,
et usus in munere. Sicut ergo munus vel donum est proprium Spiritus sancti,
ita imago Filii. Hoc idem habetur [videtur éd. de Parme]per
Augustinum, supra, distinct. 27. |
Cependant : 1. Saint-Hilaire dit le contraire, à
savoir que l’éternité est dans le Père, l’espèce est dans l’image et l’usage
est dans le présent. Donc, tout comme le présent ou le don est propre à
l’Esprit-Saint, de même l’image est propre au Fils. C’est également ce qui
est établi par [ce qu’on voit chez Éd. de Parme] Saint-Augustin
plus haut à la distinction 27. |
[2127] Super Sent.,
lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 co.Respondeo dicendum, quod imago, secundum
quod personalis dicitur, convenit tantum Filio, et non Spiritui sancto. Cujus
ratio diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod cum imago ponat
imitationem in exterioribus, et notionalia in divinis sint quasi exteriora,
Filius convenienter dicitur imago Patris, quia imitatur Patrem etiam in
aliqua notione, scilicet in communi spiratione ; non autem Spiritus sanctus,
qui nullam notionem communem cum Patre habet. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que
l’image, selon qu’elle se dit personnellement, convient seulement au
Fils et non à l’Esprit-Saint. Et on peut en donner différentes
raisons. Certains en effet disent que puisque l’image pose une imitation dans
ce qui est extérieur et que les notions en Dieu sont comme extérieures, c’est
avec raison qu’on dit du Fils qu’il est l’image du Père car il imite le Père
même dans une notion, à savoir dans la spiration commune, ce qui n’est pas le
cas pour l’Esprit-Saint qui ne partage aucune notion commune avec le Père. |
Sed hoc non videtur conveniens propter duo : primo, quia notionalia in divinis non se magis habent
per modum exteriorum quam essentialia, praeter illa quae sunt assequentia
substantiam, secundum Damascenum, I Fid. Orthod., cap. IX,
col. 838 ; et ideo imitatio in illis adhuc faceret rationem imaginis. Secundo, quia secundum relationem originis non
attenditur in divinis similitudo aut aequalitas, vel dissimilitudo vel
inaequalitas, ut ex verbis Augustini habitum est supra, 20 distinct. Ad
rationem autem imaginis requiritur similitudo et aequalitas, ut dictum est,
art. 1 hujus quaest. |
Mais cette position semble
insuffisante pour deux raisons : premièrement parce que les termes
notionnels en Dieu, d’après Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch.
1X, col. 838] ne se présentent pas davantage à la manière de ce qui est
extérieur que les termes essentiels, à l’exception de ceux qui découlent de
la substance ; et c’est pourquoi l’imitation en eux entraînerait encore
la définition de l’image. Deuxièmement parce que, à
considérer la relation d’origine, on ne retrouve en Dieu ni similitude ni
égalité, ni dissimilitude ni inégalité, ainsi que nous l’avons établi plus
haut dans la distinction 20 à partir des paroles de Saint-Augustin. Mais
comme nous l’avons dit dans l’article 1 de cette question, la similitude et
l’égalité sont nécessaires à la définition de l’image. |
Et ideo alii dicunt, quod impossibile est unius rei
esse plures imagines immediate ducentes in illam, nisi per materiam divisas ;
nec etiam e contrario est possibile quod idem sit imago plurium ; et ideo,
cum Patris imago sit Filius, non potest etiam esse imago Spiritus sanctus:
quia sic plures essent imagines unius. Nec iterum [item éd. de Parme]
potest esse quod Spiritus sanctus sit imago Patris et Filii: quia sic idem
esset imago immediata plurium |
Et c’est pourquoi d’autres disent
qu’il est impossible qu’il y ait plusieurs images d’une seule et même chose
qui conduisent immédiatement à elle, à l’exception de celles qui
sont divisées par la matière ; et ils disent aussi qu’il n’est pas
possible au contraire que la même chose soit l’image de plusieurs
êtres ; et c’est pourquoi, puisque le Fils est l’image du Père,
l’Esprit-Saint ne peut lui aussi en être l’image car ainsi il y aurait
plusieurs images d’un seul et même être. Et en second lieu
[pareillement Éd. de Parme] il n’est pas possible que
l’Esprit-Saint soit l’image du Père et du Fils car ainsi le même
être serait l’image immédiate de plusieurs autres. |
Istud etiam non videtur conveniens propter duo: primo, quia Spiritus sanctus refertur ad Patrem et
Filium ut ad unum principium ; unde posset esse imago eorum ut sunt unum
principium ejus, sicut homo est imago totius Trinitatis. Secundo, quia non est major ratio quare non possunt
esse unius plures imagines quam unius plures similes vel aequales ; hoc enim
convenit in divinis, scilicet quod plures sint similes vel aequales unius,
non per divisionem materiae, sed per distinctionem relationum. |
Cette position aussi semble
insuffisante pour deux raisons : premièrement parce que l’Esprit-Saint
se rapporte au Père et au Fils comme à un seul et même principe ;
d’où il pourrait être leur image en tant qu’ils sont pour Lui un
seul principe, tout comme l’homme est l’image de toute la Trinité. Deuxièmement parce qu’on ne voit pas
pourquoi il serait plus raisonnable de dire qu’il ne peut y avoir plusieurs
images d’un seul et même être que de dire qu’il peut y avoir plusieurs êtres
semblables et égaux à un seul et même être ; cela en effet convient aux
personnes divines, à savoir que plusieurs soient semblables et égales à une
seule et même autre, non pas par une division de la matière, mais par une
distinction des relations. |
Et ideo dicendum cum aliis, quod quamvis diversitas
rationis attributorum non sufficiat ad distinctionem realem processionum,
tamen sufficit ad diversas notiones eorum, ut supra, 13 dist., quaest. 1,
art. 3, dictum est: et ideo quamvis Spiritus sanctus sua processione accipiat
naturam ; quia tamen sua processio non est per modum naturae, non dicitur nec
est generatio quia generatio est processio per modum naturae ; et per
consequens non dicitur Filius. Ita etiam dico quod Filius ex ratione
processionis suae habet quod sit imago, et inquantum procedit ut Filius, quia
Filius dicitur ex hoc quod habet naturam Patris ; et inquantum procedit ut
verbum, quia verbum, ut dictum est, dist. 27, quaest. 2, art. 1, est quaedam
similitudo in intellectu ipsius rei intellectae. Sed Spiritus sanctus non
habet hoc ex ratione suae processionis, quia procedit ut amor ; et ideo sicut
non dicitur Filius, quamvis accipiat sua processione naturam Patris ; ita nec
imago, quamvis habeat similitudinem ad Patrem. |
Et c’est pourquoi il faut dire avec
d’autres que bien que la différence de raison des attributs ne suffise pas à
une distinction réelle des processions, cependant elle suffit à établir leurs
différentes notions, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 13, quest. 1,
art. 3] : et c’est pourquoi, bien que ce soit par la procession que
l’Esprit-Saint reçoit la nature, cependant parce que sa procession n’est pas
par mode de nature, on ne l’appelle pas génération et elle n’en est pas
une parce que la génération est une procession par mode de
nature ; et c’est pourquoi par conséquent on ne dit pas de
l’Esprit-Saint qu’il est Fils. De même encore je dis que le Fils, en raison
de sa procession, se trouve à être une image, à la fois en tant qu’il procède
comme Fils, car on l’appelle Fils du fait qu’il possède la nature du Père, et
en tant qu’il procède comme Verbe car le verbe, ainsi que nous l’avons dit
[dist. 27, quest. 2, art. 1] est une certaine similitude de la chose
elle-même en tant qu’elle est conçue dans l’intelligence. Mais l’Esprit-Saint
ne possède pas cela en raison de sa procession car il procède en tant
qu’amour ; et c’est pourquoi, tout comme on ne l’appelle pas Fils, bien
qu’il reçoive la nature du Père par sa procession, de même on ne l’appelle
pas image, bien qu’il possède une ressemblance à l’égard du Père. |
[2128] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod Damascenus large accipit imaginem pro quacumque
similitudine. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
Damascène prend ici l’image au sens large pour toute similitude. |
[2129] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus imitetur Patrem, non tamen
habet ex ratione suae processionis ut imago dicatur ; et ideo non dicitur
imago sicut non dicitur Filius. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que l’Esprit-Saint imite le Père, il ne le fait cependant pas en
raison de sa procession de manière à être appelé image ; et c’est
pourquoi on ne dit pas de Lui qu’il est image tout comme on ne l’appelle pas
Fils. |
[2130] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod identitas rei in divinis non praejudicat distinctioni
secundum rationem in veritate attributorum ; et ideo quamvis sapientia,
inquantum est divina, sit essentia, nihilominus manet ibi propria ratio
sapientiae praeter rationem essentiae, et similiter ratio voluntatis praeter
rationem naturae et intellectus ; et propter hoc etiam remanet distinctio in
processionibus quae sunt per modum voluntatis et intellectus et naturae, ad
minus secundum rationem ; et diversitas rationum causat diversitatem nominum
; unde illa nomina nunquam concurrerent in idem, nisi rationes in eadem re
fundarentur ; et quia processio per modum voluntatis et naturae non eidem
competit in divinis, ideo nec nomina se consequuntur quae proprias rationes
processionum demonstrant. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’identité de la chose en Dieu ne nuit pas à la distinction selon la
raison pour la vérité des attributs ; et c’est pourquoi, bien que le
sagesse, en tant qu’elle est divine, s’identifie à l’essence, néanmoins dans
ce cas la notion propre de sagesse demeure distincte de celle de l’essence,
et de la même manière la notion de volonté demeure distincte de celle de
nature et de celle d’intelligence ; et c’est pour cette raison que demeure
aussi la distinction dans les processions par mode de volonté, d’intelligence
et de nature, au moins selon la raison ; et cette diversité des notions
est la cause de la diversité des noms ; de là ces noms ne coïncident
jamais dans la même chose, à moins que les notions se fondent sur la même
chose ; et parce que la procession qui se réalise par mode de volonté
n’appartient pas en Dieu à la même personne que celle qui se réalise par mode
de nature, c’est pourquoi les noms qui signifient les notions propres des
processions ne s’égalent pas. |
[2131] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis nomen imaginis sit impositum ab aequalitate et
similitudine, tamen est impositum ad significandum rem cui ex modo suae
productionis competit similitudo et aequalitas ; et ideo non oportet quod
dicatur absolute similis et aequalis nisi ex modo suae processionis hoc
habeat quod etiam imago proprie et absolute dicatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que bien que le nom d’image soit imposé en partant de l’égalité et de la
similitude, cependant il est imposé pour signifier la chose à la quelle
appartient la similitude et l’égalité à partir du mode de sa
production ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle soit dite
semblable et égale d’une manière absolue, à moins qu’elle ne tienne cela du
mode même de sa procession d’être aussi appelée image au sens propre et
absolument. |
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Distinctio 29 |
Distinction 29 – [Le principe] |
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Quaestio 1 |
Question unique – [Le principe] |
Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum una persona sit principium respectu
alterius: et supposito quod sit ; 2 utrum principium dicatur univoce de Deo
respectu divinae personae, et respectu creaturae ; 3 utrum eadem notione Pater et Filius sint
principium Spiritus sancti ; 4 si possint dici unum principium ipsius. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1. Est-ce qu’une personne est un principe
par rapport à une autre : et en supposant qu’elle le soit ; 2. Est-ce que principe s’attribue à Dieu
de façon univoque par rapport à une personne et par rapport à la
créature ? 3. Est-ce par la même notion que le Père
et le Fils sont principes de l’Esprit-Saint ? 4. Peut-on dire des deux qu’ils sont un
seul et même principe de l’Esprit-Saint ? |
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Articulus 1. lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1
tit. Utrum una persona sit principium alterius. |
Article 1 – Une personne est-elle le principe d’une autre ? |
lib. 1 d. 29 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod una persona non sit principium alterius.
Nomen enim principii imponitur a prioritate sicut et nomen sonat. Sed in
divinis personis non est prius et posterius, ut supra habitum est, dist. 9,
quaest. 2, art. 1. Ergo una persona non est principium alterius. |
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lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2. Praeterea,
quod est principium alicujus, videtur esse causa ejus: quia, sicut dicit
philosophus in V Metaph., text. 1, quot modis dicitur causa, tot modis
dicitur principium vel initium. Sed una persona non est causa alterius, quia
in divinis personis nihil est causatum. Ergo una persona non est principium
alterius. |
2. Par ailleurs, ce qui est le
principe d’une chose semble en être la cause : car, ainsi que le dit le
Philosophe [V Métaphysique, texte 1], principe ou commencement se
dit d’autant de manières que se dit la cause. Mais une personne n’est pas la
cause d’une autre car dans les personnes divines, rien n’est causé. Donc une
personne n’est pas la cause d’une autre. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, una
persona non est principium alterius nisi inquantum dat esse. Sed tale
principium est operativum vel effectivum. Cum igitur una persona non dicatur
factrix vel operatrix alterius, videtur quod una non sit principium alterius. |
3. En outre, une personne n’est le
principe d’une autre que dans la mesure où elle donne l’existence. Mais un
tel principe est opérationnel ou efficient. Donc, puisqu’on ne peut dire
qu’une personne est productrice ou créatrice d’une autre, il semble qu’une
personne ne soit pas le principe d’une autre. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est
quod in Littera dicitur, quod Pater est principium totius deitatis. |
Cependant : 1. Il est dit au contraire dans la Lettre
que le Père est le principe de toute la divinité. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, a quocumque oritur aliquid, est principium illius. Sed ab una persona
oritur alia. Ergo una est principium alterius. |
2. Par
ailleurs, ce d’où procède un être est toujours le principe de cet être. Mais
une personne procède d’une autre. Donc une personne est le principe d’une
autre. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a.
1 co. Respondeo dicendum, quod ad significandum originem divinarum
personarum, utendum est talibus nominibus qualia modo originis competant ;
quia secundum Hilarium, IV de Trinit., § 14, col. 107, sermo debet esse rei
subjectus. Hoc autem invenimus in origine divinarum personarum quod tota
essentia unius accipitur in alia, ita quod una numero est essentia trium, et
idem esse. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que pour signifier l’origine des personnes divines, il faut se
servir de noms tells qu’ils conviennent au mode d’origine, car d’après
Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 14, col. 107], le discours
doit être subordonné à la chose. Mais nous voyons dans l’origine des
personnes divines que toute l’essence de l’une est reçue dans l’autre, ainsi
qu’il n’y a qu’une seule essence pour les trois et que leur existence est la
même. |
Et ideo ad significandum ordinem talis
originis, non competit nomen causae propter duo: |
Et c’est pourquoi, pour signifier
l’ordre d’une telle origine, le nom de cause ne convient pas pour deux
raisons : |
primo, quia omnis causa vel est extra
essentiam rei, sicut efficiens et finis ; vel pars essentiae, sicut materia
et forma. |
Premièrement parce que toute cause
est ou bien extérieure à l’essence de la chose, comme la cause efficiente et
la cause finale ; ou bien elle est une partie de l’essence, comme la
cause matérielle et la cause formelle. |
Secundo, quia omnis causa habet ordinem
principii ad esse sui causati quod per ipsam constituitur. |
Deuxièmement, parce que toute
cause a un ordre de principe par rapport à l’existence de son
effet qui est constitué par elle. |
Pater autem non habet aliquem ordinem
principii ad esse Filii, sicut nec ad esse suum, cum unum et idem sit esse
utriusque: unde Pater non est causa Filii, sed principium ; quia principium
dicit ordinem originis absolute, non determinando aliquem modum qui ab
origine personarum alienus sit. Invenitur enim aliquod principium quod non
est extra essentiam principiati, sicut punctus a quo fluit linea ; et quod
non habet aliquam influentiam ad esse principiati, sicut terminus a quo
dicitur principium motus, et sicut mane dicitur principium diei. |
Mais le Père n’a pas un ordre de
principe par rapport à l’existence du Fils ni par rapport à sa propre
existence puisque l’existence des deux est une seule et même existence :
c’est pourquoi le Père n’est pas la cause du Fils, mais son principe ;
car ¨principe¨ dit un ordre d’origine entendu absolument, sans déterminer un
mode précis qui serait étranger à l’origine des personnes. On retrouve en
effet un principe qui n’est pas extérieur à l’essence de ce qui en procède,
tout comme le terme à partir duquel on parle de principe du mouvement, et
tout comme on dit du matin qu’il est le principe du jour. |
Sed nomen auctoris addit super rationem
principii hoc quod est non esse ab aliquo ; et ideo solus Pater auctor
dicitur, quamvis etiam Filius principium dicatur notionaliter. |
Mais le nom d’auteur ajoute ceci à
la notion de principe qu’il ne procède pas d’un autre ; et c’est
pourquoi, bien que le Fils aussi soit appelé principe notionnellement, seul
le Père est appelé auteur. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod quia nomen principii impositum est secundum quod invenitur in
creaturis, ubi principium est prius aliquo modo principiato, ideo a
prioritate imponitur ; sed tamen imponitur ad significandum illud a quo est
aliquid. Unde quamvis quantum ad modum significandi divinis non competat,
sicut et alia omnia [omnia om. nomina, essentialia add. Éd. de Parme] quae a
nobis imposita sunt: tamen quantum ad rem significatam, propriissime ratio
principii ibi [sibi éd. de Parme] competit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
parce que le nom de principe est imposé selon qu’il se retrouve dans les
créatures, là où le principe est premier en quelque sorte par rapport à ce
qui en procède, c’est pourquoi ce nom est imposé en partant de la
priorité ; mais il est cependant imposé en vue de signifier ce d’où
procède un être. Il résulte de là que bien que sous le rapport de son mode de
signifier il ne convienne pas à Dieu, comme tous [tous om. Éd. de
Parme] les autres noms imposés par nous, cependant quant à la chose
signifiée , la notion de principe convient là [à Lui Éd. de Parme]
le plus proprement. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis Pater dicatur principium Filii, non tamen dicendus est
causa, nisi improprie, sicut Chrysostomus, Hom. II super Joan., col.
244, utitur nomine causae, dicens Patrem causam Filii: principium enim in
plus est quam causa, et causa in plus est quam elementum, sicut dicit
Commentator V Metaph. . Unde omnis causa est principium, sed
non convertitur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien qu’on dise du Père qu’il est le principe du Fils, on ne doit
cependant pas dire qu’il en est la cause, sauf improprement, comme le fait
Saint-Jean Chrysostome [11 Homélie sur l’Évangile de Jean, col.
244] en disant que le Père est la cause du Fils : en effet, principe est
plus commun que cause et cause est plus commun qu’élément, ainsi que le dit
le Commentateur [V Métaphysique]. Il résulte de là que toute cause est un
principe, mais non inversement. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quia factio et operatio semper terminantur ad esse rei, ideo
Filius non potest dici factus nec operatus a Patre, cum quo unum esse habet ;
sed tantum generatus, propter originem personae. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que parce que toute fabrication et toute production aboutit à l’existence
d’une chose, c’est pourquoi on ne peut dire du Fils qu’il est ¨fait¨ ou
produit par le Père avec lequel il possède une seule et même existence ;
mais on peut seulement dire qu’Il est engendré par Lui, à cause de l’origine
de la personne. |
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Articulus 2 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 tit. Utrum principium dicatur univoce de Deo
secundum quod dicitur principium divinae personae et creaturae |
Article 2 – Parle-t-on de manière univoque du principe pour Dieu selon qu’il est dit principe de la personne divine ou de la créature ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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lib. 1 d. 29 q. 1 a.
2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod principium univoce
dicatur secundum quod Deus dicitur principium personae divinae et creaturae.
Sicut enim dicit Basilius, lib. II Contra Eunomium,post mod.,
accipere a Patre Filius habet commune cum omni creatura ; sed habere per
naturam est Filii proprium. Sed ratio principii fundatur supra originem unius
ab alio, ut dictum est, art. praeced. Ergo principium univoce dicitur respectu personae
divinae et respectu creaturae. |
Difficultés : 1. Il semble que principe s’attribue
univoquement quand on dit de Dieu qu’il est principe de la personne divine et
quand on dit de Lui qu’il est principe de la créature. En effet, comme le dit
Saint-Basile [11 Contre Eunomius, peu après le milieu], le Fils a
en commun avec toute créature de recevoir du Père ; mais il est propre
au Fils de le tenir par nature. Mais la notion de principe se fonde sur
l’origine de l’un par rapport à l’autre, comme nous l’avons dit dans
l’article précédent. Donc, la notion de principe se dit univoquement par rapport
à la personne divine et à la créature. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2
Praeterea, Magister utitur tali divisione principii, quod principium est de
non principio, et principium de principio, et principium de utroque
principio. In hac autem divisione oportet quod principium accipiatur et secundum
quod dicit respectum ad creaturam, et secundum quod dicit respectum ad
personam. Cum igitur haec
divisio omnino esset inartificialis si principium aequivoce diceretur,
videtur quod principium univoce dicatur secundum utrumque modum. |
2. Par ailleurs, le Maître se sert
de cette division du principe, à savoir qu’il y a un principe qui est sans
principe, principe qui procède lui-même d’un principe, et principe qui
procède des deux principes précédents. Mais dans cette division il faut que
le principe se prenne à la fois selon qu’il se dit par rapport à la créature
et selon qu’il se dit par rapport à la personne. Donc, puisque cette division
serait absolument sans art si principe était attribué de manière équivoque,
il semble que principe se dise univoquement selon les deux modalités. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Contra,
aeterno et temporali nihil potest esse univocum. Sed principium respectu
creaturae est ex tempore, principium autem respectu divinae personae est ab
aeterno. Ergo principium aequivoce dicitur. |
Cependant : 1. Au contraire, rien ne peut être
univoque par rapport à l’éternel et au temporel. Mais principe, dit par
rapport à la créature, se dit dans le temps ; mais par rapport à la
personne divine, il se dit de toute éternité. Principe s’attribue donc de
manière équivoque dans les deux cas. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2
Praeterea, Pater est principium Filii per generationem, et Spiritus sancti
per spirationem, et creaturae per creationem. Hae autem sunt diversae
rationes originis. Ergo videtur quod principium in istis acceptionibus
aequivoce sumatur. |
2. Par ailleurs, le Père est
principe du Fils par la génération, de l’Esprit-Saint par la spiration et de
la créature par la création. Mais ce sont là des notions d’origine
différentes. Il semble donc que principe, pris selon ces différentes
acceptions, s’attribue à Dieu de manière équivoque. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
–
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lib. 1 d. 29 q. 1 a.
2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, quomodo per prius dicatur. Videtur enim
quod secundum quod dicit respectum ad creaturam. Essentiale enim est prius secundum
intellectum notionali, et commune proprio. Sed esse principium creaturae, est
essentiale et toti Trinitati commune ; esse autem principium divinae
personae, est notionale et proprium. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite de quelle
manière principe s’attribue en priorité. Il semble en effet que ce soit selon
qu’il s’attribue dans son rapport à la créature. En effet, l’essentiel est
antérieur au notionnel selon l’intelligence, tout comme le commun l’est par
rapport au propre. Mais être principe de la créature est essentiel et commun
à toute la Trinité, alors qu’être principe de la personne divine est
notionnel et propre à certaines personnes. Donc, principe s’attribue à Dieu
en priorité dans son rapport à la créature. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1
Contra, aeternum est prius temporali. Sed principium personae dicitur
ab aeterno ; principium autem creaturae a tempore. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Au contraire, l’éternel est antérieur
au temporel. Mais être principe par rapport à la personne s’attribue à Dieu
de toute éternité, alors que principe par rapport à la créature s’attribue à
Dieu dans le temps. Donc, principe s’attribue à Dieu en priorité dans son
rapport à la personne divine. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1
co. Respondeo dicendum,
quod idem judicium est de principio et de origine super quam fundatur ratio
principii. Potest autem origo considerari dupliciter: aut secundum communem rationem originis,
quae est aliquid ab aliquo esse ; et sic una ratio est communis ad originem
personarum et originem creaturarum, non quidem communitate univocationis, sed
analogiae: et similiter etiam nomen principii. Potest etiam considerari secundum
determinatum modum originis ; et sic sunt diversae speciales rationes
originis et principii ; sed hoc non facit aequivocationem: quia sic etiam,
secundum philosophum, I De anima,text. 8, animalis ratio secundum
unumquodque est alia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que le
jugement qu’on porte sur le principe est le même que celui qu’on porte sur
l’origine sur laquelle se fonde la notion de principe. Mais l’origine peut
être considérée de deux manières. Soit d’après la notion commune d’origine
qui consiste pour un être à procéder d’un autre ; et ainsi il y a une
seule notion qui est commune à la fois à l’origine des personnes et à
l’origine des créatures, non pas certes par une communauté d’univocité, mais
par une communauté d’analogie : et il en est de même aussi pour le nom
de principe. Mais l’origine peut aussi être considérée
d’après une sorte déterminée d’origine ; et ainsi il y a différentes
notions particulières de ¨origine¨ et différentes notions particulières de
¨principe¨ ; mais cela n’entraîne pas l’équivoque parce que, ainsi
encore, selon le Philosophe [1 De l’Âme, texte 8], la notion de
l’animal, dans chacun des cas, est différente. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad
primum dicendum, quod principium est commune communitate analogiae, et non
univocationis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que
¨principe¨ est commun par une communauté d’analogie et non par une communauté
d’univocité. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Magister accipit principium in divisione secundum
communem rationem, quae una est, ut dictum est, in corp. art., et non
secundum speciales, quae differunt. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que le Maître entend principe dans sa division selon la notion commune, qui
est une seule et même notion, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article, et non d’après des notions particulières, lesquelles diffèrent. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis aeterno et temporali nihil sit univocum ; est
tamen aliquid commune secundum analogiam, ut saepe dictum est. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que bien qu’il n’y ait rien d’univoque entre le temporel et l’éternel,
cependant il y a du commun selon l’analogie, comme nous l’avons souvent dit. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad speciales rationes
originis quae non faciunt aequivocationem, ut dictum est. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que cet argument procède de la notion de principe quant à des notions
particulières de l’origine qui n’entraînent pas l’équivoque, ainsi que nous
l’avons dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2
co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod processio creaturarum
exemplatur a processione divinarum personarum ; unde, absolute loquendo, per
prius dicitur principium respectu personae quam respectu creaturae. Sed tamen sciendum,
quod in principio, secundum quod dicitur respectu creaturae, est considerare
ipsam habitudinem quae temporalis est, et illud in quo fundatur ista
habitudo, scilicet virtus et operatio divina ; in quibus tamen non est ratio
principii nisi quasi habitualiter ; et sic secundo modo considerando
principium secundum quod dicitur principium creaturae, est prius quam
principium divinae personae quod fundatur in proprietate, per modum quo
essentiale dicitur prius notionali secundum intellectum. Sed hoc non est nisi
secundum quid. |
Corps de l’article : Par rapport à ce qu’on cherche à savoir
par la suite, il faut dire que la procession des créatures se modèle sur la
procession des personnes divines ; d’où il résulte, à parler absolument,
que principe se dit en priorité par rapport à la personne et secondairement
par rapport à la créature. Mais il faut savoir cependant que dans le
principe, selon qu’il se dit par rapport à la créature, il faut considérer la
disposition elle-même qui est temporelle et ce sur quoi se fonde cette
disposition, à savoir la puissance et l’opération divines, dans lesquelles
cependant la notion de principe n’est présente qu’à la manière d’une
disposition ; et en considérant ainsi le principe de la deuxième manière
selon qu’il est dit principe de la créature, il est premier par rapport au
principe de la persone divine, lequel se fonde sur la propriété, à la manière
par laquelle on dit de l’essentiel qu’il est premier par rapport au notionnel
selon l’intelligence. Mais il n’en est ainsi que sous un certain rapport. |
lib. 1 d. 29
q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad utrumque objectum. |
Et au moyen de ce que nous venons de
dire, la réponse la réponse est claire pour chacune des deux difficultés. |
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Articulus 3 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 tit.
Utrum proprietas Patris et Filii, qua dicuntur principium Spiritus sancti,
sit tantum una |
Article 3 – N’y a-t-il qu’une seule propriété du Père et du Fils par laquelle ils sont dits le principe de l’Esprit Saint? |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1
Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod non sit [nisi add. Éd. de Parme] una proprietas Patris et
Filii, secundum quam dicuntur principium Spiritus sancti. Proprietas enim
unitatem et multitudinem trahit a suppositis. Sed Pater et Filius non sunt
unum suppositum. Ergo nec ipsorum est una proprietas. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait pas une
[qu’une seule add. Éd. de Parme] seule propriété du Père et du
Fils selon laquelle ils sont dits le principe de l’Esprit-Saint. La propriété
en effet tient des suppôts son unité et sa multiplicité. Mais le Père et le
Fils ne sont pas un seul et même suppôt. Il n’y a donc pas pour eux une seule
et même propriété. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, nihil idem est uniens principium, et distinguens. Sed notiones in
divinis sunt distinguentes. Ergo videtur quod nulla notio Patrem et Filium
uniat. |
2. Par ailleurs, aucun principe
d’union n’est principe de distinction. Mais notions sont en Dieu ce qui
distingue. Il semble donc qu’aucune notion n’unisse le Père et le Fils. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3 Item,
magis sunt unum quae uniuntur in natura et proprietate, quam quae uniuntur in
natura tantum. Sed Pater et Filius non sunt magis unum quam Pater et Spiritus
sanctus. Cum igitur Pater et Spiritus sanctus non conveniant nisi in natura,
videtur quod Pater et Filius non uniantur in aliqua proprietate una. |
3. En outre, ceux qui sont unis en
nature et en propriété sont davantage un que ceux qui sont unis en nature
seulement. Mais le Père et le Fils ne sont pas davantage un que le Père et
l’Esprit-Saint. Donc, puisque le Père et le Saint-Esprit n’ont en commun que
la nature, il semble que le Père et le Fils ne sont pas unis par une seule et
même propriété. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, propinquius est proprietati illud in quo est, quam illud ad quod
dicitur. Sed proprietates quae sunt in una persona, sunt plures ex hoc quod
ad diversa referuntur ; sicut generatio in Patre ad Filium, et communis
spiratio ad Spiritum sanctum. Ergo multo magis efficientur duae proprietates
ex hoc quod sunt in duabus personis. |
4. De plus, est plus près de la
propriété ce dans quoi est la chose que ce par rapport à quoi elle se dit.
Mais les propriétés qui sont dans une même personne sont plus nombreuses du
fait qu’elles se rapportent à différentes personnes ; par exemple la
génération dans le Père par rapport au Fils et la spiration commune par
rapport à l’Esprit-Saint. Donc, ce seront bien davantage deux propriétés qui
seront produites du fait qu’elles seront dans deux personnes. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra,
secundum Anselmum, de process. Spir. Sancti, II, col. 288,
in omnibus Pater et Filius unum sunt, in quibus non distinguit inter eos
relationis oppositio. Sed in communi spiratione Pater et Filius non
opponuntur. Ergo est una et eadem numero in utroque. |
Cependant : 1. Au contraire, selon Saint-Anselme [De
la Procession de l’Esprit-Saint, 11, col. 288], le Père et le Fils sont
un en tout, en quoi l’opposition de relation ne distingue pas entre eux. Mais
le Père et le Fils ne s’opposent pas par la spiration commune. Donc, cette
propriété dont on parle est une seule et même propriété, numériquement
parlant, dans les deux. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod una numero notio est Patris et Filii, secundum quod principium
spiritus sancti dicuntur, ut dicitur in Littera. Cujus ratio est,
quia distinctionem rerum secundum formam aliquam non invenimus nisi
dupliciter: uno modo secundum quod aliquid commune distinguitur per plures
rationes speciales, sicut ratio generis distinguitur in plures species ; alio
modo secundum quod natura specialis distinguitur in plura secundum numerum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il n’y a
qu’une seule notion, numériquement parlant, pour le Père et le Fils, selon
qu’ils sont dits le principe de l’Esprit-Saint, ainsi qu’on le dit dans la
Lettre. Et la raison en est qu’il n’est possible de trouver une distinction
dans les choses selon la forme que de deux manières : premièrement selon
que quelque chose de commun se distingue au moyen de plusieurs notions
particulières, comme la notion de genre se distingue en plusieurs
espèces ; deuxièmement selon qu’une nature particulière se distingue en
plusieurs individus. |
Hic autem secundus modus non potest esse in
divinis, duplici ratione: primo, quia multiplicatio secundum numerum
unius speciei non est ex aliquo formali adjuncto, sed ex materiali principio
diviso: quia ratio speciei specialissimae constituitur per adventum ultimae
formae constitutivae: materia autem non est in divinis. Secundo, quia natura specialis non
multiplicatur nisi secundum esse quod in diversis habet: quia tota quidditas
completa est in specie. |
Mais cette deuxième modalité ne
peut se retrouver en Dieu pour deux raisons : premièrement parce que la
multiplication d’une même espèce selon le nombre de provient pas de
quelqu’ajout formel, mais de la division du principe matériel car la notion
de l’espèce la plus particulière est constituée par l’arrivée de la forme
constitutive ultime et il n’y a pas de matière en Dieu. Deuxièmement parce que
la nature particulière ne se multiplie que selon l’existence qu’elle revêt
dans différents êtres car la quiddité complète se retrouve en totalité dans
l’espèce. |
In divinis autem non est nisi unum esse ;
unde non potest esse quod aliquid dictum secundum specialem rationem, in
divinis numero multiplicetur. Relinquitur igitur quod quidquid est in
divinis, vel remaneat indistinctum et unum numero, sicut natura communis
tribus personis: vel habeat rationem communem distinguibilem secundum plures
rationes speciales: sicut relatio communis est tribus, non tamen una numero
relatio, sed alia et alia, etiam secundum rationem specialem distincta. Cum igitur communis spiratio nominet
specialem rationem principii secundum specialem modum originis, impossibile
est quod sit nisi una numero in Patre et Filio. |
Mais dans les personnes divines il
n’y a qu’une seule existence ; il résulte de là qu’il n’est pas possible
que ce qui se dit selon une notion particulière se multiplie par le nombre en
Dieu. Il reste donc que tout ce qu’on retrouve
en elles ou bien demeure indistinct et un par le nombre, comme la nature
commune aux trois personnes, ou bien possède une notion commune pouvant être
distinguée d’après plusieurs notions particulières, tout comme la relation
qui est commune aux trois personnes sans être une numériquement parlant mais
plutôt différente dans chacun des cas d’après une notion particulière. Donc, puisque la spiration commune nomme
une notion particulière de principe d’après un mode particulier d’origine, il
est impossible qu’elle existe dans le Père et le Fils à moins d’y être une
numériquement parlant. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod in creaturis supposita distincta sunt per esse ; et
ideo proprietates ipsorum etiam secundum esse distinguuntur. Sed in divinis
suppositis est unum esse ; unde et proprietas non potest multiplicari
secundum esse, sed solum secundum rationem proprietatis specialem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier
lieu que dans les créatures les suppôts se distinguent par l’existence ;
et c’est pourquoi leurs propriétés aussi se distinguent par l’existence. Mais
en Dieu il n’y a qu’une seule existence pour les suppôts, d’où il résulte que
la propriété ne peut être multipliée selon l’existence, mais seulement selon
une notion particulière de propriété. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod secundum idem non potest esse aliquid uniens et
distinguens, et respectu ejusdem ; unde communis spiratio distinguit Patrem a
Spiritu sancto, sed unit Filio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il est impossible qu’un même principe, sous le même rapport, unisse et
distingue ; il résulte de là que la spiration commune distingue le Père
de l’Esprit-Saint, mais l’unit au Fils. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod secundum Augustinum, supra dist. XX, secundum
relationes originis attenditur aequalitas vel inaequalitas ; et ideo ex hoc
quod Pater convenit cum Filio in aliqua notione, non dicitur magis unum esse
cum eo quam cum Spiritu sancto, sed solum in pluribus. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que d’après Saint-Augustin cité plus haut à la
distinction XX, c’est d’après les relations d’origine que se vérifient
l’égalité et l’inégalité; et c’est pourquoi, du fait que le Père partage une
notion avec le Fils, on ne dit pas de Lui qu’il fait plus un avec le Fils
qu’avec le Saint-Esprit, mais seulement qu’il fait un avec le Fils sous de
plus nombreux rapports. |
lib. 1 d. 29
q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas relativa, quantum ad esse
quod habet, proximius se habet ad suum suppositum quam ad id ad quod dicitur
; unde si esset ibi variatio secundum esse, hoc haberet a suppositis. Sed
secundum rationem relationis dicitur ad aliud ; et ideo distinguitur
specialis ratio relationis, secundum quod ad aliud et aliud refertur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la propriété relative, quant à l’existence qu’elle
possède, est plus proche de son suppôt que de l’autre chose à laquelle elle
se rapporte; il résulte de là que s’il y avait là un changement selon
l’existence, elle le tiendrait des suppôts. Mais selon la notion de relation
cette propriété se dit par rapport à quelque chose d’autre; et c’est pourquoi
la notion particulière de relation se distingue selon qu’elle se rapporte à
tel ou tel autre. |
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Articulus 4 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 tit.
Utrum Pater et Filius sint unum principium Spiritus sancti |
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe unique de l’Esprit Saint ? |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1
Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod Pater et Filius non sint unum principium Spiritus sancti. Si enim unum
sunt principium, aut unum quod est Pater, aut unum quod non est Pater. Si
unum quod est Pater, ergo Filius est Pater, quod falsum est. Si unum quod non
est Pater, ergo Pater non est Pater, quod iterum falsum est. Ergo nullo modo sunt
unum principium. |
Difficultés : Il semble que le Père et le Fils ne soient pas
un seul principe de l’Esprit-Saint. Si en effet ils sont un seul
principe, ou bien cet unique principe est le Père ou bien il n’est pas le
Père. Si cet unique principe est le Père, donc le Fils est le Père, ce qui
est faux. Si cet unique principe n’est pas le Père, donc le Père n’est pas le
Père, ce qui est encore faux. Donc le Père et le Fils ne sont aucunement un seul
et même principe de l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, de Patre et Filio et Spiritu sancto, ex eo quod sunt unum
principium creaturae, dicimus, quod sunt unus creator. Sed non dicimus quod
Pater et Filius sunt unus spirator. Ergo non sunt unum principium
Spiritus sancti. |
2. Par ailleurs, au sujet du Père, du
Fils et de l’Esprit-Saint, du faut qu’ils sont un seul principe de la
créature, nous disons qu’ils sont un seul créateur. Mais nous ne disons pas
du Père et du Fils qu’ils sont un seul spirateur. Don, ils ne sont pas un
seul principe de l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 Item,
unitas causa est identitatis. Sed Pater et Filius non dicuntur idem
principium Spiritus sancti. Ergo nec unum. |
3. En outre, l’unité est cause
d’identité. Mais nous ne disons pas que le Père et le Fils sont un principe
identique de l’Esprit-Saint. Ils n’en sont donc pas un principe unique. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra,
sicut supra habitum est, in omnibus Pater et Filius unum sunt, in quibus [non
distinguit relationis oppositio add. Éd de Parme], et in quibus hoc de illo
dicitur. Sed Filius est principium de principio. Ergo Pater et Filius sunt
unum principium. |
Cependant : 1. Au contraire, tout comme nous l’avons
établi plus haut, le Père et le Fils sont un en tout, dans les choses [que la
relation d’opposition ne distingue pas add. Éd. de Parme], et
dans lesquelles cela se dit de celui-ci. Mais le Fils est un principe qui
procède d’un principe. Donc le Père et le Fils sont un seul et même principe. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2
Praeterea, unius rei unum est principium. Sed Spiritus sanctus est unus. Ergo
unum ejus est principium. |
2. Par ailleurs, il n’y a qu’un
seul principe pour une seule et même chose. Mais l’Esprit-Saint est une seule
et même réalité. Il n’y a donc qu’un seul principe de l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod secundum omnes, Pater et Filius sunt unum principium Spiritus
sancti, qui Spiritum sanctum ab utroque confitentur procedere. Sed circa hoc
qualiter dicatur, sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod unum non designat
nisi unitatem proportionis ; quia sicut se habet Pater ad Spiritum sanctum ut
spirans, ita et Filius. Sed istud non sufficit ; quia secundum unitatem proportionis
etiam conveniunt Pater et Filius in ratione suppositi ; et tamen non dicimus
eos esse unum suppositum. Et ideo alii dicunt, quod unum dicit
unitatem naturae: qui videntur inniti auctoritate Anselmi, qui dicit, quod
Pater et Filius spirant Spiritum sanctum De processione Spiritus sancti, cap.
XVIII, inquantum uterque eorum est Deus. Sed nisi aliquid plus dicant, ab
unitate principii notionaliter dicti non excluderetur Spiritus sanctus, qui
non excluditur ab unitate naturae. Et ideo alii dicunt, quod unum dicit
unitatem notionis ; et istud videtur esse conveniens ; quia in substantivis
nominibus unitas et pluralitas attenditur secundum unitatem et pluralitatem
formae significatae ; unde dicimus, unus Deus, propter unitatem divinae
naturae. Forma autem quam significat hoc nomen principium, secundum quod
personaliter sumitur, est ipsa notio vel proprietas, sicut hoc nomen Pater
significat paternitatem. Unde ad unitatem
notionis sequitur unitas principii. Potest nihilominus dici, ut salvetur
dictum Anselmi, quod significat unitatem in potentia spirativa, quae dicit
naturam divinam sub ratione talis proprietatis, quae est principium
operationis personalis, ut supra dictum est, dist. 11, qu. 1, art. 2 et 3. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après tous
ceux qui confessent que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, Le Père et
le Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint. Mais à ce sujet il y
a différentes positions sur la manière de le dire. En effet, certains disent que ¨un¨ ne désigne
que l’unité de proportion ; car le Fils se rapporte à l’Esprit-Saint en
tant qu’agent de spiration de la même manière que le Père. Mais cela est
insuffisant : car d’après l’unité de proportion le Père et le Fils se
rencontrent aussi dans la notion de suppôt et cependant nous ne disons pas
qu’ils sont un seul et même suppôt. Et c’est pourquoi d’autres disent que ¨un¨ dit
l’unité de nature, lesquels semblent s’être appuyés sur l’autorité de
Saint-Anselme [De la Procession de l’Esprit-Saint, ch. XVIII] qui dit que le
Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant que les deux sont un seul
Dieu. Mais l’Esprit-Saint ne serait pas exclu de l’unité du principe dit
notionnellement, Lui qui n’est pas exclu de l’unité de nature, à moins qu’ils
ne disent quelque chose de plus. Et c’est pourquoi d’autres disent que ¨un¨ dit
une unité de notion ; et cette position semble juste car dans les noms
substantifs l’unité et la pluralité se vérifie d’après l’unité et la
pluralité de la forme signifiée ; il résulte de là que nous disons un
seul Dieu en raison de l’unité de la nature divine. Mais la forme que
signifie ce nom ¨principe¨, selon qu’il se prend personnellement, est la
notion elle-même ou la propriété, tout comme ce nom ¨Père¨ signifie la
paternité. D’où il résulte que l’unité du principe
découle de l’unité de la notion. On peut néanmoins dire, pour conserver les
paroles de Saint-Anselme, que le non de principe signifie l’unité dans la
puissance de spiration, unité qui dit la nature divine sous le rapport de telle
propriété qui est le principe de l’opération personnelle, comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 11, quest. 1, art. 2 et 3] |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod ista divisio: aut sunt unum quod est Pater, aut sunt unum quod
non est Pater, non est per contradictoria ; unde utraque falsa est. Sed haec
est vera: non sunt unum quod est Pater tantum ; sed sunt unum quod est Pater
et Filius ; sicut sunt etiam unus Deus, qui est Pater et Filius. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que
cette division : ¨ou bien ils sont le principe unique qui est le Père,
ou bien ils sont le principe unique qui n’est pas le Père¨, ne se fait pas
par la contradiction. Il résulte de là que les deux sont fausses. Mais
celle-ci est vraie : ils ne sont pas ce principe unique qui est le Père
seulement, mais ils sont ce principe unique qui est le Père et le Fils, tout
comme ils sont aussi un seul Dieu qui est le Père et le Fils. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis dicantur unum principium Spiritus sancti, non tamen
dicuntur unus spirans vel unus spirator: quia hujusmodi distinctiones
imponuntur ab actibus, qui semper significant ut adjacenter, et in talibus
non attenditur in consignando pluraliter pluralitas formae significatae, sed
suppositorum, ut supra dictum est, 16 dist., qu. 1, art. 4. Sed de creatione
non est similis ratio ac de spiratione: quia spiratio praeexigit distinctionem in
suppositis ; unde est aliquo modo a pluribus suppositis inquantum distincta
sunt, cum sit operatio personalis ; sed creatio est opus essentiae divinae ; unde est opus suppositi indistincti, prout
essentia significatur id quod est, ut hoc nomine Deus ; et ideo sicut Pater
et Filius dicuntur unum, quod est unus Deus, ita et unus creator ; non tamen
creans unus, quia participium est adjectivum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien qu’on dise d’eux qu’ils sont un seul et même principe de
l’Esprit-Saint, on ne dit cependant pas d’eux qu’ils sont un seul à poser
l’opération de spiration, ou qu’ils sont un seul
spirateur : parce que des distinctions de cette sorte sont
imposées à partir des actes qui signifient toujours à la manière de ce qui
entoure et dans ces cas ce n’est pas la pluralité de la forme signifiée qui
se vérifie en la notant au pluriel, mais la pluralité des suppôts, comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 16, quest. 1, art. 4]. Mais le raisonnement
n’est pas le même pour la création et la spiration : car la spiration
présuppose nécessairement une distinction dans les suppôts ; d’où elle
est opérée en un sens par plusieurs suppôts en tant qu’ils sont distincts,
puisqu’elle est une opération personnelle ; mais la création est une
œuvre de l’essence divine, d’où il résulte qu’elle est l’œuvre d’un suppôt
indistinct, selon que l’essence est signifiée comme ce qui est , comme par le
nom Dieu ; et c’est pourquoi, tout comme on dit que le Père et le Fils
sont un, à savoir un seul Dieu, de même on dit qu’ils sont un seul
créateur ; on ne dit cependant pas qu’ils sont un seul ¨créant¨ car un
participe est un adjectif. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non conceditur communiter, quod sint idem principium ; quia
ratione articulationis includitur unitas suppositi: sicut etiam supra,
Magister dicit, quod Deus non genuit se Deum, nec alium Deum. Quidam tamen
dicunt, quod Filius et Pater sunt idem Deus, et sunt idem principium, eo quod
ly idem est adjectivum, et non ponit identitatem absolutam, sed respectu ejus
cui adjungitur ; et secundum hoc potest concedi, quod sunt idem principium. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’on ne concède pas universellement qu’ils sont un même principe ; car
en raison de l’articulation l’unité du suppôt est incluse : tout comme
aussi le Maître dit aussi que Dieu n’a engendré ni lui-même comme Dieu ni un
autre Dieu. Certains disent cependant que le Fils et le Père sont le même
Dieu et qu’ils sont le même principe du fait que ce ¨même¨ est un adjectif et
qu’il ne pose pas une identité absolue, mais seulement par rapport à ce à
quoi il s’ajoute ; et d’après cela on peut concéder qu’ils sont un même
principe. |
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Distinctio 30 |
Distinction 30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps] |
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Quaestio 1 |
Question unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic tria quaeruntur: 1 utrum aliquid de Deo ex tempore dicatur ; 2 utrum ista
significent essentiam divinam ; 3 utrum illa nomina
relativa ponant aliquam relationem realiter in Deo existentem. |
On cherche ici à répondre à trois
questions : 1. Est-ce qu’on dit quelque chose de Dieu
en la dépendance du temps ? 2. Est-ce que ces noms signifient
l’essence divine ? 3. Est-ce que ces noms relatifs pose une
relation réelle qui existe en Dieu ? |
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Articulus 1 [2181] Super Sent., lib. 1 d. 30
q. 1 a. 1 tit. Utrum aliquid dicatur de Deo ex tempore. |
Article 1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec le temps ? |
[2182] Super Sent., lib. 1 d.
30 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod de Deo nihil ex tempore dicatur. De quo
enim dicitur aliquid ex tempore, quod ante non dicebatur, potest dici esse
factum illud ; sicut homo dicitur esse factus albus, si prius non dicebatur
vere de eo quod esset albus. Sed fieri nullo modo competit Deo, sicut nec mutari,
cum sit primum movens. Ergo
videtur quod nihil in Deo ex tempore dicatur. |
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[2183] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, quod praedicatur de aliquo, aut dicitur de eo per se, aut
per accidens. Sed ista non praedicantur per se ; quia quod per se inest,
semper inest ; haec autem non ab aeterno de Deo dicuntur ; nec etiam per
accidens, quia nullum accidens in Deo est ; et praeterea, cum omne per
accidens reducatur ad aliquod per se, haec dicerentur de aliquo alio per se ;
quod non invenitur: quia nihil aliud quam Deus dicitur creator, vel
universitatis dominus. Ergo videtur quod ista nullo modo de Deo dicantur. |
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[2184] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1
arg. 3 Si dicatur quod est praedicatio per causam ; contra. Ubicumque est
praedicatio per causam, potest resolvi praedicatio talis, et exponi per
propositionem denotantem habitudinem causae ; ut si dicatur, quod Deus est
spes nostra potest exponi quod spes nostra est a Deo. Sed non potest dici
quod creator sit a Deo. Ergo cum dicitur, Deus est creator, non est
praedicatio per causam. |
3. Si on disait qu’il y a
attribution par la cause, il y a un problème. Partout où il y a attribution
par la cause, une telle attribution peut être résolue et expliquée par une
proposition indiquant un rapport de causalité ; par exemple, si on dit
que ¨Dieu est notre espérance¨, cela peut être expliqué par la proposition
suivante : ¨Notre espérance vient de Dieu¨. Mais si on dit que ¨Dieu est
créateur¨, cela ne peut s’expliquer en disant que ¨le créateur vient de
Dieu¨. Donc lorsqu’on dit que ¨Dieu est créateur¨, il n’y a pas attribution
par la cause. |
[2185] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, omne verum aut est necessarium
aut contingens. Si igitur haec praedicantur de Deo vere ; aut praedicantur
necessario, aut contingenter. Sed non praedicantur necessario, quia non
semper ; nec etiam contingenter, quia in Deo nihil est contingens. Ergo
videtur quod non possint de Deo praedicari. |
4. Par ailleurs, tout ce qui est
vrai est soit nécessaire, soit contingent. Si donc ces noms sont attribués à
Dieu en vérité, ils sont attribués soit nécessairement, soit de manière
contingente. Mais ils ne sont attribués à Dieu ni nécessairement parce qu’ils
ne sont pas toujours attribués, ni de manière contingente car il n’y a rien
de contingent en Dieu. Il semble donc que ces noms ne puissent être attribués
à Dieu en aucune manière. |
[2186] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1
s. c. 1 Contra est totum quod in Littera dicitur et ab Augustino et a
Magistro, et usus [usu éd de Parme] loquentium, et secundum fidem, et
secundum philosophiam. |
Cependant : 1. Tout ce qui est dit dans la Lettre,
à la fois par Saint-Augustin et par le Maître, la tradition [par la
tradition Éd. de Parme] des Écrivains sacrés, le contenu de la
foi et de la philosophie, tout s’oppose aux conclusions qui précèdent. |
[2187] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod necesse est quod aliquid de Deo ex tempore dicatur. Cum enim
omne esse cujuslibet rei effluat ab ipso Deo, non solum universi, sed
cujuslibet partis ejus, oportet quod ipse designetur in habitudine principii
ad quodlibet eorum quae sunt ; et cum multa eorum quae sunt non semper
fuerint, etiamsi ponatur universum semper fuisse, quod quidam philosophi
errantes senserunt, ut intelligatur, VIII Physic., text. 41, oportet quod
nomina designantia illam habitudinem non ab aeterno de Deo dicantur, sed ex
tempore ; quia relatio secundum actum, exigit duo extrema in actu existere ;
unde non potest referri ad creaturam ut actuale principium creaturae, nisi
creatura existente in actu ; quod non semper fuit, sed ex tempore. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il est
nécessaire que quelque chose s’attribue à Dieu en la dépendance du temps. En
effet, puisque l’existence de toutes les choses, non seulement dans leur
totalité mais pour chacune de leurs parties, dérive de Dieu lui-même, il faut
que Lui-même soit désigné dans son rapport de principe à chacune des choses
qui existent ; et puisque plusieurs des choses qui existent n’ont pas
toujours existé, même si on posait que l’univers a toujours existé, comme
certains philosophes l’ont cru en s’égarant ainsi que le Philosophe l’a
compris [ VIII Physique, texte 41], il faut que les noms
désignant ce rapport ne se disent pas de Dieu de toute éternité, mais en la
dépendance du temps ; car la relation selon l’acte exige que deux
extrêmes existent en acte ; d’où il résulte de là qu’on ne peut se
rapporter à une créature comme principe actuel de la créature que par une
créature qui existe en acte : ce qui n’a pas toujours existé mais
seulement en la dépendance du temps. |
Hoc autem non contingit de aliis quae
absolute de Deo dicuntur, quod ex tempore dicantur de ipso ; quia ea quae
absolute dicuntur, secundum proprias rationes ponunt in eo aliquid in quo
dicuntur, ut quantitas et qualitas et hujusmodi. Unde nihil horum invenitur
quod non realiter sit in Deo, de quo vere et proprie dicitur ; et propter hoc
non possunt de aliquo ex tempore dici, nisi illud mutetur per susceptionem
ejus quod prius non habuit. |
Mais il n’est pas possible aux autres
termes, à savoir ceux qui se disent de Dieu absolument, de se dire de Lui
dans la dépendance du temps ; car ces termes qui se disent de
Dieu absolument, d’après leurs notions propres, posent quelque chose dans
celui auquel ils s’attribuent, comme la quantité, la qualité, etc. D’où il
résulte que dans ce qu’on attribue à Dieu en vérité et proprement, on ne
retrouve rien de ce qui n’existe pas réellement en Dieu ; et c’est pour
cette raison que ces termes ne peuvent s’attribuer en la dépendance du temps
qu’à ce qui est changé par la réception de ce qu’il ne possédait pas avant. |
Sed relatio secundum rationem suam non habet
quod ponat aliquid in eo de quo dicitur ; sed ponit tantum habitudinem ad
aliud ; unde invenitur aliqua relatio, ut supra, dist. 26, quaest. 2, art. 1,
dictum est, non realiter existens in eo de quo dicitur ; et ideo in talibus
habitudines illae de novo dicuntur de aliquo, non per mutationem ejus, sed
illius ad quod dicitur ; et ita est in omnibus quae de Deo ex tempore
dicuntur. |
Mais la relation, de par sa
définition même, ne pose pas nécessairement quelque chose dans celui auquel
elle s’attribue, mais elle pose seulement un rapport à un autre ; d’où
il résulte qu’il se rencontre certaines relations , comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1] qui n’existe pas
réellement dans celui auquel elles s’attribuent ; et c’est pourquoi,
dans ces cas, ces relations se disent d’une nouvelle manière de celui auquel
elle s’attribuent pas, non pas par un changement en lui, mais dans cet autre
par rapport auquel elles se disent ; et il en est ainsi pour tous les
noms qui se disent de Dieu en la dépendance du temps. |
[2188] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut hujusmodi habitudines non ponuntur
realiter esse in Deo, sed secundum rationem tantum ; ita etiam ex hoc quod de
novo de Deo dicuntur, non sequitur quod in eo sit aliquid fieri secundum rem,
sed secundum rationem tantum, sicut dicitur in Ps. LXXXIX, 1: « Domine
refugium factus es nobis ».Tamen etsi concedatur secundum rationem
aliquid, ut refugium vel hujusmodi, factus ; nullo tamen modo dicendus est
mutatus: quia mutatio imponitur pro remotione ejus a quo est motus, sed fieri
pro adeptione ejus ad quod motus terminatur: a Deo autem nullo modo aliquid
removetur, etsi adveniat habitudo aliqua secundum rationem ; unde etsi dicatur
fieri aliquid, non debet dici mutari in illud. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier
lieu que tout comme les relations de cette sorte ne posent pas
quelque chose qui existe réellement en Dieu, mais posent seulement selon la
raison ; de même encore, du fait que ces noms s’attribuent à nouveau à
Dieu, il ne s’ensuit pas qu’il y ait réellement en Lui un devenir, mais
seulement selon la raison comme le dit le Psalmiste [Psaume LXXXIX,
1] : «Seigneur, tu as été pour nous un refuge». Cependant, bien
qu’on concède qu’il y ait eu un devenir selon la raison, comme le refuge ou
d’autre chose de la sorte, cependant il ne faut dire en aucune manière qu’il
y a eu changement chez Dieu car le terme changement est imposé pour
l’éloignement du terme à partir duquel il y a mouvement, mais le devenir est
imposé pour l’atteinte du terme auquel
se termine le mouvement. Mais rien n’est éloigné de Dieu de quelque manière
que ce soit, bien que lui advienne un rapport selon la raison ; d’où il
résulte que bien qu’il y ait un devenir, on ne doit pas dire qu’il y a un
changement en Lui. |
[2189] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum Magistrum,
ista praedicantur per accidens, non quod in Deo sint, sed quod in creaturis.
Tamen intelligendum est, quod in istis nominibus est duo considerare ;
scilicet habitudines ipsas, et illud supra quod fundatur ratio habitudinis in
Deo ; sicut habitudo creationis habet pro fundamento in Deo virtutem divinam,
cujus est ducere res in esse de nihilo. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que d’après le Maître, ces termes s’attribuent par
accident, non pas qu’il y ait des accidents en Dieu, mais dans les creatures.
Il faut cependant comprendre qu’il y a deux choses à considerer dans ces
noms, à savoir les relations elles-mêmes et ce sur quoi se fonde la notion de
relation en Dieu. Par exemple la relation de creation a pour fondement en
Dieu la puissance divine à laquelle il appartient de faire passer la créature
du néant à l’existence. |
Si igitur
consideratur hoc quod habent pro fundamento in re divina, constat quod per se
dicuntur, et ab aeterno conveniunt quantum ad illud: quia essentia, virtus,
operatio divina ab aeterno est. Si autem consideratur ipsa habitudo, tunc per accidens
de Deo dicuntur quantum ad hoc. Accidens autem dupliciter dicitur: aut
secundum quod nominat naturam accidentis condivisam substantiae ; et sic in
Deo nihil est accidens ; aut secundum quod nominat aliquid per aliud
conveniens ; sicut dicimus, quod album aedificat per accidens, quia
adjungitur ei quod per se est causa aedificationis, scilicet aedificatori ;
et sic per accidens convenit Deo referri ad aliud extra se. |
Si donc on considère ce que ces
relations ont pour fondement dans la réalité divine, il est clair qu’elle
s’attribue essentiellement et qu’elles conviennent à Dieu de toute éternité
sous ce rapport : car l’essence, la puissance et l’opération divines
existent de toute éternité. Mais si on considère la relation elle-même alors
c’est accidentellement que ces noms s’attribuent à Dieu sous ce rapport. Mais
un accident se dit de deux manières : soit selon qu’il signifie la
nature de l’accident condivisée à la substance et ainsi il n’y a en Dieu
aucun accident ; soit selon qu’il signifie quelque chose qui convient au
moyen d’un autre, comme lorsque nous disons que le blanc construit par
accident, parce qu’il s’unit à ce qui est par soi la cause de la
construction, à savoir au constructeur ; et c’est ainsi qu’il convient
accidentellement à Dieu de se rapporter à un autre en dehors de Lui. |
Non enim dicitur relative, nisi quia aliud
refertur ad ipsum ; sicut dicit philosophus, V metaph., text. 20, quia
scibile est relativum, non quia ipsum referatur, sed quia aliud refertur ad
ipsum. Nec tamen sequitur quod illa habitudo quae in Deo designatur, alteri
conveniat per se, sed magis respectus oppositus, quod est esse creaturam, vel
esse servum, vel aliquid hujusmodi. |
Le relatif en effet ne se dit que
parce qu’un autre se rapporte à lui ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 20], parce que l’objet du savoir est relatif non pas parce que lui-même
se rapporte ou est relatif, mais parce qu’un autre se rapporte à lui. Et
cependant il ne s’ensuit pas que cette relation qui est désignée en Dieu
convienne essentiellement à un autre, mais plutôt le rapport opposé, à savoir
celui d’être une créature, d’être un esclave ou quelque rapport de la sorte. |
[2190] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest proprie dici praedicatio per causam
; nisi forte intelligatur quod hujusmodi nomina praedicant habitudinem
alicujus causae. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’on ne peut à proprement parler d’attribution par la cause, à moins
peut-être qu’on entende par là que les noms de cette sorte attribuent la relation
d’une cause. |
[2191] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum patet responsio per id quod ad
secundum dictum est ; quia eodem modo praedicantur necessario quo per se, et
eodem modo contingenter quo per accidens ; non tamen sequitur aliquid contingens
in Deo esse. |
4. La
réponse à la quatrième difficulté est évidente au moyen de ce qui a été dit
dans la solution à la deuxième difficulté; car la raison pour laquelle
l’essentiel s’attribue nécessairement est la même que celle pour laquelle
l’accidentel s’attribue de façon contingente; il ne s’ensuit cependant pas
qu’il existe quelque chose de contingent en Dieu. |
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Articulus 2 [2192] Super Sent., lib. 1 d. 30
q. 1 a. 2 tit. Utrum quae dicuntur de Deo ex tempore, significent divinam
essentiam |
Article 2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le temps signifie-t-il son essence ? |
[2193] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
hujusmodi nomina quae de Deo dicuntur ex tempore, non significent divinam essentiam.
Essentia enim divina est aeterna. Sed haec non dicuntur de Deo ab
aeterno. Ergo non significant divinam essentiam. |
Difficultés : 1. Il semble que de tels noms, ceux qui
s’attribuent à Dieu en la dépendance du temps, ne signifient pas l’essence divine.
L’essence divine en effet est éternelle. Mais ces noms ne se disent pas de
Dieu de toute éternité. Ils ne signifient donc pas l’essence divine. |
[2194] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, Deus dicitur ex tempore patientia nostra et spes nostra, et
hujusmodi. Sed hujusmodi, quia habent imperfectionem annexam, non possunt
convenire divinae essentiae ; sicut dicitur quod divina essentia est caritas,
de cujus intellectu non est aliqua imperfectio. Ergo videtur quod non omnia
quae de Deo dicuntur ex tempore, significent divinam essentiam. |
2. Par ailleurs, on dit de Dieu en
la dépendance du temps qu’il est notre patience et notre espérance. Mais de
tels termes, parce qu’ils contiennent une imperfection qui leur est annexée,
ne peuvent convenir à l’essence divine ; par exemple lorsqu’on dit que
l’essence divine est l’amour, dans la définition de laquelle on ne retrouve
pas une imperfection. Il semble donc que ce ne sont pas tous les noms qui se
disent de Dieu dans la dépendance du temps qui signifient l’essence divine. |
[2195] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, divina essentia est communis tribus personis. Sed quaedam
dicuntur de Deo ex tempore quae non conveniunt tribus personis, ut missus,
donatus, et hujusmodi. Ergo non omnia significant divinam essentiam. |
3. Par ailleurs, l’essence divine est
commune aux trois personnes. Mais certains noms se disent de Dieu dans la
dépendance du temps sans nécessairement convenir aux trois personnes, comme
¨l’envoyé¨, ¨le don¨, et les termes de cette sorte. Donc, ce ne sont pas tous
ces noms qui signifient l’essence divine. |
[2196] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
arg. 4 Item, Deus ex tempore dicitur homo. Sed homo significat humanam
naturam ; quae in incarnatione non est admixta divinae naturae, sed remansit
ab ea distans. Ergo videtur quod ea quae dicuntur ex tempore, non significent
divinam essentiam. |
4. En outre, Dieu est appelé homme
en la dépendance du temps. Mais ¨homme¨ signifie la nature humaine, laquelle
dans l’incarnation n’est pas mélangée à la nature divine mais demeure
distincte d’elle. Il semble donc que les termes qui se disent en la
dépendance du temps ne signifient pas l’essence divine. |
[2197] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
s. c. 1 Contra est quod magistri dicunt, quod omne nomen connotans effectum
in creatura, significat divinam essentiam. Sed ea quae ex tempore de Deo
dicuntur, dicuntur in respectu ad creaturam, ut dictum est. Ergo significant
divinam essentiam. |
Cependant : 1. Ce que les maîtres disent, à savoir que
tout nom qui dénote un effet dans la créature signifie l’essence divine, est
contraire à ces objections. Mais ces noms qui se disent en la
dépendance du temps, ainsi que nous l’avons déjà dit, se disent par rapport à
la créature. Ils signifient donc l’essence divine. |
[2198] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, II cap. de div nom., col. 635, quod omnem
beneficam Dei nominationem, de quacumque divinarum personarum dicatur, in
tota deitate oportet in observantiam accipi. Sed omnia quae dicunt
habitudinem ad creaturam, nominant aliquod beneficium in creaturis. Ergo ad
totam Trinitatem pertinent sine distinctione ; et sic idem quod prius.[19] |
2. Par
ailleurs, Denys [Les Noms Divins, ch. 11, col. 635] dit que toute
dénomination de la bienveillance de Dieu, de quelque personne divine qu’elle
se dise, doit être recue à l’égard de toute la divinité. Mais tous les noms
qui se disent en rapport à la créature nomment un bienfait de Dieu dans la
créature. Ils se rapportent donc à toute la Trinité sans distinction. Et
ainsi la conclusion est la même que précédemment en 1. |
[2199] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 1
istius quaest., nihil ex tempore de Deo dicitur nisi quod importat
habitudinem ad creaturam. Habitudo autem Dei ad creaturam potest designari
dupliciter: vel secundum quod
creatura refertur in ipsum sicut in principium ; vel secundum quod
creatura refertur in ipsum ut in terminum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons
déjà dit dans l’article 1 de cette question, que rien ne se dit de Dieu en la
dépendance du temps, sauf ce qui implique un rapport à la créature. Mais le
rapport de Dieu à la créature peut être désigné de deux manières : Soit selon que la créature se rapporte à lui
comme à son principe. Soit selon que le créature se rapporte à lui
comme à son terme. |
Si primo modo, hoc contingit dupliciter: aut enim propria praedicatione praedicatur
aliquid de Deo ex tempore, quod designat habitudinem principii ad
principiatum ; aut aliquid quod designat ipsum principiatum
a Deo, sicut quando est praedicatio per causam, ut cum dicitur, Deus est spes
nostra. |
Si c’est de la première manière,
cela est possible de deux manières : Ou bien en effet quelque chose s’attribue
à Dieu en la dépendance du temps par une attribution propre qui désigne le
rapport du principe à ce qui procède du principe, ou bien quelque chose qui
désigne cela même qui procède de Dieu comme principe, comme lorsqu’il y a
attribution par la cause, comme lorsqu’on dit que Dieu est notre espérance. |
Si primo modo, hoc contingit dupliciter: aliquando enim nomen imponitur ad
significandum ipsam habitudinem ; sicut hoc nomen dominus, et hujusmodi, quae
sunt relativa secundum esse, et alia dicta de Deo, sunt quidem relativa, quia
etiam significant ex primo suo intellectu habitudinem quae secundum rationem
est in Deo ; sed ex consequenti faciunt intellectum essentiae, secundum quod
talis habitudo fundatur in aliquo essentiali. |
Si c’est de la première manière,
cela est possible de deux manières : Parfois en effet le nom est imposé pour
signifier le rapport lui-même, comme le nom de ¨seigneur¨ et les noms de
cette sorte, qui sont relatifs selon l’existence et les autres qui sont
certes relatifs car ils renvoient eux aussi, de par leur première
signification, à la relation qui est en Dieu selon la raison ; mais par
conséquent ils font connaître l’essence, selon qu’un telle relation se fonde
sur quelque chose d’essentiel. |
Aliquando autem nomen imponitur ad
significandum illud supra quod fundatur habitudo, sicut hoc nomen scientia,
qualitatem, quam consequitur respectus quidam ad scibile. Unde ista talia non
sunt relativa secundum esse ; sed solum secundum dici. Unde ista
principaliter dant intelligere rem alterius praedicamenti, et ex consequenti
important relationem. |
Mais parfois le nom est
imposé pour signifier ce sur quoi se fonde la relation, comme le nom de
science signifie la qualité d’où découle un certain rapport à l’objet
connaissable. C’est pourquoi les noms de cette sorte ne sont pas relatifs
quant à l’existence , mais seulement quant à l’appellation. D’où il résulte que
ceux-là donnent surtout à compredre une réalité appartenant à un autre
prédicament. |
Ita etiam in divinis ; ut patet in hoc
nomine creator, quod imponitur ad significandum divinam actionem, quae est
ipsius essentiae, quam consequitur habitudo quaedam ad creaturam: et ista
principaliter essentiam significant, et ex consequenti important respectum ad
creaturam. Et similis ratio est in illis in quibus est praedicatio per causam
; quia tales locutiones resolvuntur in habitudines causae, ut cum dicitur:
Deus est patientia nostra, idest causa patientiae nostrae ; et in omnibus
istis quae dicuntur de Deo ex tempore, et important habitudinem principii ad
principiatum, verum est quod conveniunt toti Trinitati. Si autem
consideretur relatio creaturae ad creatorem ut ad terminum, possibile est
quod talis relatio creaturae sit ad aliquid essentiale, vel ad aliquid
personale. |
Il en est
ainsi encore pour les personnes divines comme on le voit pour le nom de
¨créateur¨, qui est impose pour signifier l’action divine qui appartient à
son essence d’où découle un rapport à la créature: et ces noms signifient
principalement l’essence et impliquent principalement un rapport à la
créature. Et le raisonnement est le même pour ces noms dans lesquels il y a
attribution par la cause car de tells locutions s’expliquent dans des
relations de causes, comme lorsqu’on dit que Dieu est notre patience,
c’est-à-dire la cause de notre patience; et pour tous ces noms qui
s’attribuent à Dieu en la dépendance du temps et impliquent un rapport du principe
à ce qui en procède, il est vrai qu’ils conviennent à toute la Trinité. Mais
si on considère la relation de la créature au créateur comme à son terme, il
est possible qu’une telle relation de la créature se rapporte à quelque chose
d’essentiel ou à quelque chose de personnel. |
Contingit autem hoc
tripliciter. Aut secundum
operationem, sicut aliquis potest intelligere vel nominare Deum vel
paternitatem. Vel secundum
exemplaritatem, sicut in creatione rerum est terminatio in similitudinem
essentialium attributorum, et in infusione caritatis est terminatio in
similitudinem processionis personalis Spiritus sancti. Vel est terminatio secundum esse ; et iste
modus est singularis in incarnatione, per quam humana natura assumpta est ad
esse et unitatem divinae personae, non autem ad unitatem divinae
naturae. Sed ista relatio qua creatura refertur in Deum ut ad terminum,
includit ex consequenti in se relationem quae est ad Deum ut ad principium. |
Mais cela
est possible de trois manières. Soit selon
l’opération, tout comme quelqu’un peut concevoir ou nommer Dieu ou la
paternité. Soit selon
l’exemplarité, tout comme la création des choses se termine à une
ressemblance des attributs essentiels et que l’infusion de la charité se
termine à une resemblance de la procession personnelle de l’Esprit-Saint. Soit encore la
relation de la créature au créateur comme à son terme se termine à
l’existence; et cette manière est unique dans le cas de l’incarnation par
laquelle la nature humaine est prise en vue de l’existence et de l’unité de
la personne divine, mais non en vue de l’unité de la nature divine. Mais
cette relation par laquelle la créature se rapporte à Dieu comme à son terme
comprend par conséquent en elle-même la relation qui se rapporte à Dieu comme
à son principe. |
Unde in omnibus quae
dicuntur de Deo secundum habitudinem ad creaturam, ex eo quod creatura
refertur in ipsum ut terminum, considerandum est quod quantum ad habitudinem
termini, possunt tantum convenire personae: sed ratio principii, quae ibi
includitur, ex consequenti convenit toti Trinitati. Unde secundum habitudinem
unam possunt facere intellectum personae, et secundum aliam faciunt
intellectum essentiae ; sicut patet, cum dicitur incarnatus, hoc tantum Filio
competit, quia ad solam personam Filii incarnatio terminata est, quam tamen
tota Trinitas fecit. |
Mais pour
ce qui est de tous les noms qui se disent de Dieu selon la relation à la
créature, du fait que la créature se rapporte à lui comme à son terme, il
faut considerer que quant à la relation de terme, ils ne peuvent convenir
qu’à la personne: mais la notion de principe qui y est incluse convient par
conséquent à toute la Trinité. D’où il résulte que selon une relation ils
peuvent faire connaître la personne et que selon une autre ils peuvent faire
connaître l’essence. Nous voyons par exemple, lorsque nous disons que Dieu
s’est incarné, que cela n’appartient qu’au Fils car l’incarnation a pour
terme le seul Fils, même si elle est l’oeuvre de toute la Trinité comme
principe. |
[2200] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hujusmodi nomina conveniunt Deo ex
tempore, ratione habitudinis importatae vel principaliter, ut cum dicitur
Dominus ; vel ex consequenti, [vel principaliter, vel ex consequenti.
principaliter, éd. de Parme] ut cum dicitur creator: et illa habitudo non est
in divina essentia, nec aliqua res in Deo ; sed secundum essentiam, in qua
fundatur talis habitudo, hujusmodi conveniunt Deo ab aeterno, quasi
habitualiter. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que de
tels noms conviennent à Dieu en la dépendance du temps en raison de la
relation impliquée soit à titre de principe, comme lorsqu’on dit Seigneur,
soit à titre de conséquent [soit à titre de principe soit à titre de
conséquent. À titre de principe Éd. de Parme], comme lorsqu’on
dit créateur : et cette relation n’est pas dans l’essence divine, comme
aucune chose n’est en Dieu ; mais c’est selon l’essence sur laquelle se
fonde une telle relation que de tels termes conviennent à Dieu de toute éternité
à la manière d’un habitus. |
[2201] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia Dei non est patientia vel spes ; nec
hoc significatur, cum dicitur, Deus est spes nostra: sed significatur circa
divinam essentiam habitudo causae respectu talis effectus in nobis. Unde simile est de
his, et de aliis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
l’essence de Dieu n’est pas la patience ou l’espérance ; et ce n’est pas
cela qui est signifiéé lorsqu’on dit que Dieu est notre espérance : mais
ce qui est signifié, c’est la relation de cause dans l’essence divine par
rapport à un tel effet qui existe en nous. D’où il résulte qu’il en est de
même pour ces noms et pour les autres. |
[2202] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod missus, incarnatus et hujusmodi important duas
habitudines, scilicet termini et principii: quarum una, scilicet habitudo
principii, convenit toti Trinitati ; unde dicimus, quod tota Trinitas mittit
vel facit incarnationem ; sed altera convenit alicui personae determinatae,
propter quod hujusmodi nomina non de tota Trinitate dicuntur. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que ces noms, à savoir ¨l’envoyé¨, ¨l’incarné¨ et les autres de cette sorte
impliquent deux relations, à savoir celle de terme et celle de
principe : dont la première, à savoir la relation de principe, convient
à toute la Trinité ; c’est pourquoi nous disons que c’est toute la
Trinité qui envoie ou qui produit l’incarnation ; mais la deuxième
relation ne convient qu’à une seule personne déterminée et c’est pour cette
raison que de tels noms ne s’attribuent pas à toute la Trinité. |
[2203] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus dicitur esse homo, inquantum suppositum
divinae naturae, scilicet Filius, subsistit in humana natura per
unionem. Haec autem unio, relatio quaedam est, realiter in creatura assumpta
existens ; quae quidem considerata secundum habitudinem ad terminum, sic
terminatur ad personam Filii, in qua est facta unio ; sed secundum habitudinem
ad principium, sic refertur ad totam Trinitatem, quae unionem fecit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’on dit de Dieu qu’il est homme en tant qu’il est le
suppôt de la nature divine, à savoir lorsqu’on parle du Fils qui subsiste
dans la nature humaine à laquelle il est uni. Mais cette union est une
certaine relation qui existe réellement dans la créature qui a été prise;
mais cette union certes, considérée selon la relation au terme se termine
ainsi à la personne du Fils dans laquelle l’union a été faite; mais selon sa
relation au principe, alors elle se rapporte à toute la Trinité qui a fait
cette union. |
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Utrum habitudines
designatae in nominibus dictis de Deo ex tempore, sint realiter in Deo |
Article 3 – Est-ce que les relations désignées dans les noms attribués à Dieu en la dépendance du temps existent réellement en Dieu ? |
[2205] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1. Ad tertium sic proceditur. Videtur quod habitudines designatae in istis
nominibus, realiter in Deo sint. Nomen enim et ratio cui non subest aliquid
in re, est vana vel falsa. Sed non vane et falso dicimus et cogitamus Deum
dominum et creatorem. Ergo hujusmodi nomina habent relationes quas
significant, respondentes sibi realiter in Deo. |
Difficultés : 1. Il semble que les relations désignées
dans ces noms existent réellement en Dieu. En effet, le nom et la notion à
laquelle rien ne correspond dans la chose sont vains et faux. C’est ce n’est
ni en vain ni faussement que nous disons et pensons que Dieu est seigneur et
créateur. Donc, à ces relations que ces noms signifient correspondent des
relations qui existent réellement en Dieu. |
[2206] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3
arg. 2. Praeterea, illud quod est secundum rationem tantum, cessante
intellectu ratiocinante non remanebit. Sed si nullus esset ratiocinans, adhuc
Deus esset dominus et creator. Ergo hujusmodi nomina significant aliquid
realiter in Deo existens, et non secundum rationem tantum. |
2. Par ailleurs, ce qui n’existe
que selon la raison ne demeurera pas lorsque l’intelligence aura cessé de
raisonner. Mais s’il n’y avait personne pour raisonner, Dieu serait encore
seigneur et créateur. Donc de tels noms signifient quelque chose qui existe
réellement en Dieu et non seulement selon la raison. |
[2207] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3
arg. 3. Item, omni relationi respondet suum correlativum, quod sibi
opponitur. Sed cum dicimus creaturam servire, importatur aliqua relatio in
creatura realiter existens. Ergo oportet oppositam relationem alicubi ponere.
Sed non est in creatura, quia tunc creatura esset domina sui ipsius, et
creator sui ipsius ; et oppositi respectus essent in eodem. Ergo oportet quod in
Deo realiter ponantur oppositi respectus relationibus creaturae ad Deum. |
3. En
outre, à toute relation correspond son corrélatif qui lui est opposé. Mais
lorsque nous disons que la créature est soumise, une relation est impliquée
qui existe réellement dans la créature. Il faut donc poser quelque part une
relation oppose. Mais ce ne peut être dans la créature car alors la créature
serait le maître par rapport à elle-même et créatrice d’elle-même et les
rapports opposés existeraient dans un même sujet. Il faut donc poser
réellement en Dieu les rapports opposés aux relations de la créature à
l’égard de Dieu. |
[2208] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, illa relativa in quibus non est relatio secundum rem,
invenimus esse ad aliquid secundum dici tantum, sicut scibile, de quo dicit
philosophus, V Metaph., text. 20, quod est relatum quia aliud refertur ad
ipsum. Sed de Deo dicuntur quaedam relativa quae sunt ad aliquid et secundum
suum esse, ut dominus, rex, et hujusmodi. Ergo saltem illa aliquam
relationem realem in Deo significant. |
4. Par ailleurs, ces termes relatifs dans
lesquels il n’y a pas une relation réelle, nous trouvons qu’ils sont relatifs
à quelque chose d’après l’appellation seulement, comme l’objet du savoir au
sujet duquel le Philosophe [V Métaphysique, texte 20] dit qu’il
est relatif parce qu’un autre se rapporte à lui. Mais certains termes
relatifs s’attribuent à Dieu qui sont relatifs aussi quant à son existence,
comme les termes ¨seigneur¨, ¨roi¨, et d’autres de la sorte. Donc ces termes
signifient du moins une relation réelle en Dieu. |
[2209] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 s.
c. 1. Contra, in Deo nihil est nisi aeternum ; quia quidquid est in Deo, Deus
est. Sed hujusmodi habitudines non sunt aeternae ; propter quod nec nomina
earum ab aeterno de Deo dicuntur. Ergo non sunt realiter in Deo. |
Cependant : 1. Au contraire, il n’y a rien en Dieu qui ne
soit pas éternel car tout ce qui est en Dieu est Dieu. Mais de telles
relations ne sont pas éternelles et c’est à cause de cela que leurs noms ne
s’attribuent pas à Dieu de toute éternité. Elles n’existent donc pas
réellement en Dieu. |
[2210] Super Sent.,
lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum,
quod secundum theologos et philosophos verum est communiter, quod relationes
quibus Deus ad creaturam refertur, non sunt in Deo secundum rem, sed secundum
rationem tantum ; quia intellectus noster non potest accipere aliquid
relative ad alterum dici, nisi ipsum sub opposita habitudine intelligat. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’auprès des
théologiens et des philosophes, il est communément admis comme vrai que les
relations par lesquelles Dieu se rapporte aux créatures n’existent pas en
Dieu en réalité mais seulement selon la raison ; car notre intelligence
ne peut admettre que quelque chose se dise relativement à l’égard d’un autre
que s’il le comprend lui-même sous une relation opposée. |
Sciendum tamen est, quod ratio in intellectu
rerum tripliciter se habet. Quandoque enim apprehendit aliquid quod est
in re secundum quod apprehenditur, ut quando apprehenditur forma lapidis. Quandoque vero apprehendit aliquid quod nullo
modo in re est, ut quando quis imaginatur Chimaeram, vel aliquid hujusmodi. |
Il faut cependant savoir que la
raison se présente de trois manières dans la compréhension des choses.Parfois
en effet elle appréhende quelque chose qui est dans la réalité selon qu’elle
est appréhendée, comme lorsqu’on appréhende la forme de la pierre. Mais parfois elle appréhende quelque
chose qui n’existe nullement dans la réalité, comme lorsque quelqu’un imagine
une Chimère ou quelque chose de la sorte. |
Aliquando autem apprehendit aliquid cui
subest in re natura quaedam, non tamen secundum rationem qua apprehenditur ;
sicut patet quando apprehendit intentionem generis substantiae, quae in re
est natura quaedam non determinata secundum se ad hanc vel ad illam speciem ;
et huic naturae apprehensae, secundum modum quo est in intellectu
apprehendente, qui ex omnibus accipit unum quid commune in quibus invenitur
natura illa, attribuit rationem generis, quae quidem ratio non est in re. Ita
etiam est in hujusmodi relationibus, quas intellectus noster attribuit Deo.
Invenit enim in ipso virtutem et essentiam et operationem, qua creatura
producitur in ipsum relationem habens ; et ideo essentiae illi vel operationi
habitudinem attribuit, et secundum quod intelligit, nomina relativa imponit. |
Mais parfois la raison appréhende
quelque chose au fond de quoi se cache dans la chose une certaine nature,
mais non pas cependant selon le rapport par lequel elle est
appréhendée ; on le voit par exemple quand la raison appréhende
l’intention du genre de la substance qui dans la chose est une certaine
nature mais qui n’est pas déterminée par elle-même à telle ou telle autre
espèce ; et à cette nature appréhendée selon le mode par lequel elle
existe dans l’intelligence de celui qui appréhende et qui reçoit une même
notion commune à partir de tous ceux dans lesquels se trouve cette nature, la
raison attribue la notion de genre, laquelle notion n’existe certes pas dans
la chose. Il en est encore ainsi dans les relations de cette sorte que notre
intelligence attribue à Dieu. Notre intelligence trouve en effet en Dieu la
puissance, l’essence et l’opération par lesquelles la créature est produite
en ayant une relation à son égard ; et c’est pourquoi il attribue la
relation à cette essence ou à cette opération et leur impose des noms relatif
conformément à ce qu’il y comprend. |
[2211] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3
ad 1 Unde patet responsio ad primum: quia intellectus noster neque cassus
neque vanus est, quia habet aliquid respondens in re, quamvis non secundum
modum quo est in ratione ; sicut etiam intellectus mathematicorum non est
falsus neque vanus est, quamvis nulla linea sit abstracta a materia in re,
sicut ipsi considerant. Unde dicit philosophus, II Physic., text. 18 :
abstrahentium non est mendacium. |
Solutions : 1. Et de là la réponse à la première
difficulté est évidente : car notre intelligence n’est ni creuse ni
vaine, car elle possède quelque chose qui lui correspond dans la chose, bien
que ce ne soit pas selon le mode par lequel cette nature existe dans la
raison, tout comme aussi l’intelligence des mathématiciens n’est pas fausse
ni vaine, bien que dans la réalité il n’existe aucune ligne qui soit
abstraite de la matière, telle qu’eux-mêmes la considèrent néanmoins. C’est
pourquoi le Philosophe dit [11 Physique, texte 18] : Il n’y
a pas de mensonge chez ceux qui font abstraction. |
[2212] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiamsi nullus intellectus esset, adhuc in
Deo esset ; unde vere dominus et dici et intelligi posset, scilicet potentia
coercendi subditos ; sed non diceretur vel intelligeretur dominus secundum
actum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que même
si aucune intelligence n’existait, il y en aurait encore une en Dieu ;
d’où il résulte que Dieu pourrait encore véritablement être compris comme tel
et dénommé seigneur, c’est-à-dire par la puissance de contenir les
sujets ; mais il ne pourrait être compris comme tel et dénommé seigneur
en acte. |
[2213] Super Sent., lib. 1 d.
30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relativorum invenitur triplex
diversitas. Quaedam sunt quorum utrumque importat relationem non in re
existentem sed in ratione tantum ; sicut quando ens refertur ad non ens, vel
relatio ad relationem, vel aliquid hujusmodi, ut supra, dist. 26, qu. 2, art.
1, dictum est. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’on
retrouve trois sortes de relatifs. Il y en a certains dont les deux
impliquent une relation qui n’existe pas dans la chose mais dans la raison
seulement : par exemple quand l’être se rapporte au non-être, ou la
relation à la relation, ou quelque chose d’autre de la sorte comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1]. |
Quaedam vero quorum alterum importat
relationem realem, et alterum relationem rationis tantum, sicut Pater et
Filius [quaedam… Filius om. Ed de Parme], sicut scientia et scibile. Et
hujusmodi diversitatis ratio est, quia illud supra quod fundatur relatio,
quandoque invenitur in altero tantum, et quandoque in utroque ; ut patet quod
relatio scientiae ad scibile fundatur supra apprehensionem secundum esse
spirituale. |
Mais il y en a certains dont les
deux impliquent une relation réelle, comme le Père et le Fils. Il y en a
d’autres enfin dont l’un implique une relation réelle et l’autre une relation
de raison seulement, comme c’est le cas pour la science et l’objet
connaissable. Et la raison d’une telle diversité est que ce sur quoi se fonde
la relation se retrouve parfois dans l’un seulement et parfois dans les deux,
comme on voit que la relation de la science à l’objet connaissable se fonde
sur une appréhension selon l’existence spirituelle. |
Hoc autem esse spirituale in quo fundatur
relatio scientiae, est tantum in sciente et non in scibili, quia ibi est
forma rei secundum esse naturale ; et ideo relatio realis est in scientia,
non est in scibili. E contrario est de amante et amato ; quia relatio amoris
fundatur super appetitum boni ; bonum autem non est aliquid existens tantum
in anima, sed etiam in rebus. |
Mais cette existence spirituelle
sur laquelle se fonde la relation de science n’existe que dans le sujet de la
science et on dans l’objet connaissable dans lequel la forme de la chose
n’existe que selon une existence naturelle ; et c’est pourquoi la
relation réelle est dans la science et non dans l’objet connaissable. Il en
est autrement pour l’amant et l’objet aimé car la relation de l’amour se
fonde sur l’appétit du bien et le bien n’existe pas seulement dans l’âme mais
aussi dans les choses. |
Unde dicit philosophus, VI Metaph., text. 2,
quod bonum et malum sunt in rebus ; verum et falsum in anima ; et ideo dicit
Avicenna, tract. III, Metaph., cap. X, quod in amante et amato, in utroque
relativorum est invenire dispositionem per quam referatur ad alterum ; non in
sciente et scibili ; et ideo utrobique relatio realis est ; sic etiam
aequalitas, quae immediate fundatur supra quantitatem, quae in utroque est. |
Partant de là, le Philosophe [ VI
Métaphysique, texte 2] dit que le bien et le mal sont dans les choses mais
que le vrai et le faux sont dans l’âme ; et c’est pourquoi Avicenne [111
Métaphysique, ch. X] dit que pour l’amant et l’objet aimé, il faut retrouver
dans chacun des relatifs une disposition par laquelle il se rapporte à
l’autre, mais qu’il n’en est pas ainsi pour celui qui sait et l’objet du savoir ;
et c’est pourquoi la relation est réelle de part et d’autre ; et il en
est de même encore pour l’égalité, laquelle se fonde immédiatement sur la
quantité, qu’on retrouve réellement dans chacune des quantités égales. |
Et quia omnes relationes creaturae ad Deum
fundantur supra modum quo accipiunt a Deo, qui in Deo non est, quia non
consequuntur perfectum modum secundum quem Deus in eis operatur ; ideo
relationibus quae sunt in creatura, non respondet aliqua relatio in Deo
realiter ; sed relationi quam Filius accipit a Patre, respondet aliqua
relatio in Patre ; quia secundum unum et eumdem modum et eamdem rationem
Pater dat, et Filius accipit naturam divinam. |
Et parce que toutes les relations
de la créature à Dieu se fondent sur un mode par lequel elles reçoivent de
Dieu, mode qui n’est pas en Dieu, parce qu’elles n’égalent pas le mode
parfait selon lequel Dieu opère en elles, c’est pourquoi aux relations qui
sont dans la créature ne correspond pas une relation réelle en Dieu, mais
c’est seulement à la relation que le Fils reçoit du Père que correspond une
relation dans le Père car c’est d’après un seul et même mode et d’après une
même raison que le Père donne et que le Fils reçoit la nature divine. |
[2214] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud non facit ad propositum ; quia de
utrisque relativis inveniuntur aliqua quae important relationem realem, et
quae important relationem rationis ; sicut idem importat relationem rationis,
quamvis sit relativum secundum esse ; et scientia importat relationem realem,
quamvis sit relativum secundum dici. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que cela ne répond pas au propos ; car c’est pour les deux sortes de
relatifs qu’on en retrouve certains qui impliquent une relation réelle et
d’autres qui impliquent une relation de raison, tout comme ¨le même¨ implique
une relation de raison bien qu’il soit un relatif selon l’existence et ¨la
science¨ implique une relation réelle, bien qu’elle soit un relatif selon
l’appellation. |
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Distinctio 31 |
Distinction 31 – [Egalité et appropriation] |
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Prooemium |
Prologue |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’égalité des Personnes] |
Prooemium |
Prologue |
Hic
quatuor quaeruntur: 1
de aequalitate ; 2
de appropriatione in communi ; 3
de ratione appropriationis Hilarii ; 4
de appropriatione Augustini. |
La recherche porte ici sur quatre
points : 1. Sur l’égalité. 2. Sur l’appropriation en général. 3. Sur la notion d’appropriation de
Saint-Hilaire. 4. Sur l’appropriation de Saint-Augustin. |
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Articulus
1 lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 tit. Utrum aequalitas ponat aliquid in divinis |
Article 1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu ? |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum, suppositis his quae supra de
aequalitate dicta sunt, 19 dist., quaest. 1, art. 1, quaeritur, utrum
aequalitas in divinis aliquid ponat: et videtur quod sic. Quidquid enim est in Deo et in creaturis, nobilius
est in Deo quam in creaturis. Sed aequalitas et similitudo in creatura
aliquid ponunt. Ergo et in Deo. |
Difficultés : 1. Au sujet du premier point, en
supposant ce qui a été dit plus haut [dist. 19, quest. 1, art. 1] sur
l’égalité, on cherche à savoir si l’égalité pose quelque chose en Dieu :
et il semble qu’il en soit ainsi. En effet, tout ce qui existe à la fois en
Dieu et dans la créature, existe en Dieu d’une manière plus excellente que
dans les créatures. Mais l’égalité et la similitude posent quelque chose dans
la créature. Ils posent donc aussi quelque chose en Dieu. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Arius
damnatus est, quia aequalitatem personarum negavit. Non autem fuisset
haereticus, nisi aliquid negasset quod in Deo est. Ergo aequalitas in divinis
aliquid positive praedicat. |
2. Par ailleurs, Arius fut damné parce
qu’il niait l’égalité des personnes. Mais il n’aurait été un hérétique que
s’il avait nié quelque chose qui est en Dieu. Donc l’égalité attribue
positivement quelque chose à Dieu. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, aequalitas videtur esse una essentia in tribus
personis indifferens, ut in Littera dicitur. Sed essentia indifferens,
aliquid positive est in Deo. Ergo
videtur quod et aequalitas. |
3. En outre l’égalité semble être une
seule et même essence commune aux trois personnes, comme le dit la Lettre.
Mais l’essence commune est quelque chose qui existe positivement en Dieu. Il
semble donc qu’il en soit de même pour l’égalité. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, aequalitas est relatio quaedam. Sed
relatio aliquid positive praedicat, et non privative. Ergo videtur quod
aequalitas aliquid positive praedicet. |
4. Par ailleurs, l’égalité est une
certaine relation. Mais la relation attribue positivement quelque chose et
non par la privation. Il semble donc que l’égalité attribue positivement
quelque chose. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod a Magistro in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Le Maître affirme le contraire dans la
Lettre. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
philosophus dicit in V Metaph., text. 26, quod aequale opponitur magno et
parvo sicut duae privationes ; unde etiam per privationem aequale definitur.
Sed privatio nihil positive praedicat. Ergo nec aequalitas. |
2. Par ailleurs, le Philosophe [V Métaphysique,
texte 26] dit que l’égal s’oppose au grand et au petit comme deux
privations ; d’où l’égal se difinit aussi par la privation. Mais la
privation n’attribue rien positivement. Donc l’égal n’attribue rien
positivement. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aequalitas est relatio quaedam
fundata supra unitatem quantitatis ; et in divinis fundata supra unitatem
essentiae, prout significatur nomine quantitatis virtualis, ut cum dicitur
magnitudo, vel aeternitas vel potentia. Unde de aequalitate dupliciter
convenit loqui: aut quantum ad unitatem quantitatis, quae est causa ipsius ;
aut quantum ad relationem consequentem. Si quantum ad unitatem quantitatis,
supra quam fundatur talis relatio, sic ratio ejus consistit in privatione,
sicut et ratio unitatis, ut supra dictum est, dist. 24, quaest. 1, art. 3: et
ideo dicit Philosophus, V Metaph., text. 6) quod aequale opponitur privative
magno et parvo, sicut unum multo ; et idem in Littera innuitur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’égalité
est une relation qui se fonde sur l’unité de la quantité ; et dans les
personnes divines elle se fonde sur l’unité de l’essence pour autant qu’elle
est signifiée par le nom d’une quantité virtuelle, comme lorsqu’elle est
appelée grandeur, éternité ou puissance. D’où il résulte qu’il convient de
parler de l’égalité de deux manières : soit quant à l’unité de la quantité
qui est la cause de l’égalité ; soit quant à la relation qui en découle.
Si on en parle quant à l’unité de la quantité sur laquelle se fonde une telle
relation, ainsi sa définition consiste dans la privation, tout comme la
définition de l’unité comme nous l’avons dit plus haut [dist. 24, quest. 1,
art. 3] : et c’est pourquoi le Philosophe [V Métaphysique,
texte 6] dit que l’égal s’oppose par la privation au grand et au petit tout
comme l’un s’oppose au multiple ; et c’est la même chose qui est
indiquée dans la Lettre. |
Si autem consideretur aequalitas quantum ad
relationem, sic aequalitas in creaturis aliquid realiter ponit in utroque
extremorum ; sed in divinis personis nihil, nisi secundum rationem. Cujus
ratio est, quia si poneret aliquam relationem realem in personis, aut hoc
esset ex parte essentiae quae communis est, aut ex parte relationum, quibus
distinguuntur. Non autem habet ex parte essentiae quod sit relatio realis:
quia essentia est una et eadem numero, et idem ad seipsum non refertur aliqua
relatione reali, ut supra dictum est, dist. 26, quaest. 2, art. 1. Nec etiam
ex parte personarum relationibus constitutarum, quia relatio non refertur per
aliquam relationem realem mediam ; quia sic esset abire in infinitum. |
Mais si on considère l’égalité quant
à la relation, ainsi l’égalité dans les créatures pose réellement
quelque chose dans chacun des deux extrêmes ; mais dans les personnes
divines, elle ne pose rien si ce n’est selon la raison. La raison en est que
si l’égalité posait une relation réelle dans les personnes, cela proviendrait
soit du côté de l’essence qui est commune, soit du côté des relations par
lesquelles elles se distinguent. Mais l’égalité ne peut tenir du côté de
l’essence d’être une relation réelle car l’essence est une et la même par le
nombre et le même ne se rapporte pas à soi-même par une relation réelle,
ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1]. Et
l’égalité ne peut non plus tenir cela du côté des personnes constituées par
les relations car la relation ne se rapporte pas à quelque chose
au moyen d’une relation réelle intermédiaire car il faudrait ainsi procéder à
l’infini. |
Et
ideo dico cum Magistro, quod aequalitas non ponit nisi relationem secundum
nomen vel secundum rationem, cum de Deo dicitur ; sed verum est quod aliquid
ponit, scilicet unitatem essentiae, non quod sit de intellectu ejus, sed quod
praesupponitur ad intellectum ipsius, sicut est in privativis, et in illis
quae dicuntur de Deo ex tempore. |
Et c’est pourquoi je dis avec le
Maître que l’égalité, lorsqu’on parle de Dieu, ne pose une relation que selon
le nom ou selon la raison ; mais il est vrai qu’elle pose quelque chose,
à savoir l’unité de l’essence, non pas que cette dernière fasse partie de sa
définition, mais elle est présupposée à sa définition comme c’est le cas
aussi dans les privatifs et dans les choses qui se disent de Dieu dans la
dépendance du temps. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ex parte unitatis
universaliter sumptae, secundum quod unum convertitur cum ente, nec in Deo
nec in creatura aequalitas aliquid positive praedicat ; sicut nec unitas, ut
supra dictum est, dist. 24,
quaest. 1, art. 3. Sed quia in creaturis supposita aequalitatis sunt
absoluta, ideo referuntur ad invicem per relationem realem mediam: quod in
divinis non competit. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que du côté de l’unité prise universellement, selon que
l’un se convertit avec l’être, l’égalité n’attribue rien positivement, ni en
Dieu ni dans la créature, tout comme l’unité, ainsi que nous l’avons dit plus
haut [dist. 24, quest. 1, art. 3]. Mais parce que dans les creatures les
suppôts de l’égalité sont absolus, c’est pourquoi ils se rapportent l’un à
l’autre par une relation réelle intermédiaire, ce qui n’a pas lieu dans les
personnes divines. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis aequalitas sit secundum rationem, relatio tamen habet aliquid in
re respondens, ratione cujus dicitur haereticus qui aequalitatem negat ;
sicut et qui negaret Deum esse dominum, quamvis illa relatio nihil secundum
rem ponat in Deo. |
2. Il faut dire
en deuxième lieu que bien qu’il y ait égalité selon la raison, la relation a
cependant quelque chose qui lui correspond dans la réalité, en raison de quoi
est appelé hérétique celui qui nie l’égalité, tout comme serait appelé
hérétique celui qui nierait que Dieu est seigneur, bien que cette relation ne
pose rien en Dieu en réalité. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod sicut in creaturis aequalitas non est una quantitas plurium, sed relatio
includens talem unitatem ; ita in divinis aequalitas non est una essentia,
sed relatio secundum intellectum, consequens essentiae unitatem. |
3. Il faut dire
en troisième lieu que tout comme dans les creatures l’égalité n’est pas une
seule et même quantité pour plusieurs, mais plutôt la relation qui inclut une
telle unite, de même dans les personnes divines l’égalité n’est pas une seule
et même essence, mais une relation selon l’intelligence qui découle de
l’unité de l’essence. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa relatio non potest esse
realiter in Deo ; et ideo non sequitur quod aliquid ponat ex hoc quod
relative dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que cette relation ne peut exister réellement en Dieu ; et c’est
pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle pose quelque chose du fait qu’elle se
dise relativement. |
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Articulus
2 lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 tit. Utrum attributa essentialia hujusmodi debeant
appropriari divinis personis |
Article 2 – Les attributs essentiels de ce genre doivent-ils être appropriés aux personnes divines ? |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod hujusmodi essentialia
attributa personis divinis appropriari non debeant. Quod enim pluribus
commune est, nulli eorum debet appropriari. Sed omnia attributa sunt communia
tribus personis. Ergo
et cetera. |
Difficultés : 1. ll semble que de tels attributs
essentiels ne doivent pas être appropriés aux personnes divines. En effet, ce
qui est commun à plusieurs ne doit être approprié à aucun d’entre eux. Mais
tous ces attributs sont communs aux trois personnes. Ils ne doivent donc pas
être appropriés. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed omnia
haec attributa significant essentiam communem. Ergo videtur quod omnia
debeant appropriari, vel nullum ; et quod omnia uni personae approprientur. |
2. Par ailleurs, on doit porter un
même jugement sur des cas semblables. Mais tous ces attributs signifient
l’essence commune. Il semble donc que tous doivent être attribués ou qu’aucun
ne doive l’être, et que tous soient appropriés à une seule et même personne. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, appropriatum
secundum rationem sequitur proprium, quia proprium cadit in ratione
appropriati. Sed attributa essentialia
non sequuntur propria secundum intellectum ; quia possunt intelligi propriis
non intellectis, sicut est apud infideles. Ergo non debent dici appropriata. |
3. En outre, ce qui est approprié selon
la raison découle de ce qui est propre car le propre tombe dans la définition
de l’approprié. Mais les attributs essentiels ne découlent pas du propre
selon l’intelligence car ils peuvent être saisis par l’intelligence même si
les propres ne sont pas saisis par l’intelligence, comme on le voit chez les
infidèles. On ne doit donc pas dire des attributs essentiels qu’ils sont
appropriés. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nihil est faciendum a nobis quod possit
in errorem fidei vergere. Sed si aliquid commune approprietur uni, potest
vergere in errorem fidei, ut credatur aut tantum illi aut magis illi personae
convenire. Ergo non
debemus attributa essentialia personis appropriare. |
4. Par ailleurs, nous ne devons rien
faire qui puisse tendre à nous écarter de la vérité de la foi. Mais si un
attribut commun est approprié à une seule personne, cela pourrait nous
incliner à une erreur touchant la foi, comme de croire que cet attribut
appartiendrait seulement ou danvantage à telle personne. Nous ne devons donc
pas approprier les attributs essentiels aux personnes. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est auctoritas Hilarii et Augustini in
Littera. |
Cependant : 1. Les témoignages de Saint-Hilaire et de
Saint-Augustin dans la Lettre disent le contraire. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, processiones personarum distinguuntur et
nominantur secundum diversas rationes attributorum, inquantum dicimus quod
Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, et Filius per modum
naturae. Ergo unum
attributum, cui competit ratio processionis personae, potest illi personae
appropriari. |
2. Par ailleurs, les processions des
personnes se distinguent et sont dénommées d’après les différentes notions
des attributs, selon que nous disons que l’Esprit-Saint procède par mode de
volonté et que le Fils procède par mode de nature. Donc un même attribut,
auquel convient la notion de la procession d’une personne, peut être
approprié à cette personne. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de appropriatione dupliciter
convenit loqui: aut ex parte nostra, aut ex parte ipsius rei ; et utrobique
invenitur convenientia. Quamvis enim attributa essentialia communia sint
tribus, tamen unum secundum rationem suam magis habet similitudinem ad
proprium unius personae quam alterius, unde illi personae appropriari potest
convenienter. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il convient
de parler de l’appropriation de deux manières : soit de notre côté, soit
du côté de la réalité elle-même ; et de part et d’autre il est possible
d’en parler convenablement. En effet, bien que les attributs essentiels
soient communs aux trois personnes, il est cependant possible que l’un d’eux
ait une plus grande ressemblance selon la raison avec ce qui est propre à une
personne qu’avec ce qui est propre à une autre, d’où il peut convenablement
être approprié à cette personne. |
Verbi
gratia. Potentia habet in ratione sua principium ; et ideo appropriatur
Patri, qui est principium non de principio ; et sapientia Filio, qui procedit
ut verbum ; et bonitas Spiritui sancto, qui procedit ut amor, cujus objectum
est bonum ; et ita similitudo appropriati ad proprium personae, facit
convenientiam appropriationis ex parte rei, quae esset etiam si nos non
essemus ; sed ex parte nostra facit convenientiam utilitas consequens. Invenitur
enim distinctio et ordo in attributis divinis et in personis ; sed
differenter ; quia in personis est distinctio et ordo realis, sed in
attributis secundum rationem. |
En d’autres mots, la puissance a
raison de principe et c’est pourquoi elle est appropriée au Père qui est le
principe sans principe ; et la sagesse est appropriée au Fils qui
procède en tant que verbe ; et la bonté est appropriée à l’Esprit-Saint
qui procède en tant qu’amour dont l’objet est le bien ; et ainsi la
ressemblance de l’approprié à l’égard de ce qui est propre à la personne
produit la convenance de l’appropriation du côté de la chose, laquelle
existerait même si nous n’existions pas. Mais de notre côté c’est l’utilité
qui en découle qui rend l’appropriation convenable. Nous rencontrons en effet
une distinction et un ordre dans les attributs divins et dans les personnes,
mais différemment car dans les personnes il y a distinction et ordre réel
tandis que dans les attributs il y a distinction et ordre selon la raison. |
Unde
quamvis per attributa non possimus sufficienter devenire in propria
personarum, tamen inspicimus in appropriatis aliquam similitudinem
personarum, et ita valet talis appropriatio ad aliquam fidei manifestationem,
quamvis imperfectam ; sicut etiam ex vestigio et imagine sumitur aliqua via
persuasiva ad manifestationem personarum. |
D’où il résulte que bien qu’au
moyen des attributs nous ne puissions suffisamment parvenir à ce qui est
propre aux personnes, cependant nous découvrons dans les appropriations une
ressemblance ou une similitude des personnes et ainsi une telle appropriation
contribue à une certaine manifestion de la foi, bien qu’elle soit imparfaite,
tout comme du vestige et de l’image se tire un moyen persuasif pour
manifester la personne. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ex hoc quod convenit
omnibus aliquod attributum, probatur sufficienter quod non sit proprium unius
personae, non tamen quod non sit personae appropriatum ; quia haec
praepositio ad, quae venit ad compositionem vocabuli, notat accessum cum
quadam distantia ; unde, secundum Augustinum, lib. I Retract. C XXVI,
col. 626, homo qui ita imitatur Deum quod semper invenitur distantia
similitudinis, dicitur imago et ad imaginem ; Filius autem qui imitatur
Patrem sine aliqua dissimilitudine, dicitur imago et non ad imaginem. Et
propter hoc, quia hujusmodi attributa essentialia [om. essentiala Ed. de
Parme] accedunt
per similitudinem ad rationem propriorum, et distant per communitatem, recte
appropriata dicuntur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que du
fait qu’un attribut convient à toutes les personnes, cela prouve suffisamment
qu’il n’est pas propre à une personne mais non pas cependant qu’il ne soit
pas approprié à une personne ; car la préposition ¨à¨, qui vient dans la
composition du terme ¨approprié¨, dénote un accès qui comporte une certaine
distance ; de là, d’après Saint-Augustin [1 Rétractations,
ch. XXVI, col. 626] on dit de l’homme, qui imite Dieu de telle manière qu’il
y a toujours une distance dans la ressemblance, qu’il est l’image et qu’il
est ¨à l’image¨ de Dieu ; mais on dit du Fils qui imite le Père sans
aucune dissemblance qu’Il est l’image et non pas ¨à l’image¨ du Père. Et à
cause de cela, parce que de tels attributs essentiels [essentiels om.
Éd. de Parme] accèdent par ressemblance à la notion des propriétés et en
diffèrent par leur caractère commun, c’est à juste titre qu’on les appelle
appropriés. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnia attributa
essentialia sint unum re, tamen differunt ratione, et secundum rationem suam
habent similitudinem vel ad originem personarum, ut potentia, quae est
principium productionis, vel ad determinatum modum originis, ut bonitas ad
processionem amoris, et ad processionem verbi sapientia ; et ita diversis
personis possunt ista appropriari. Sed essentia de ratione sua neque
originem neque aliquid ad modum originis pertinens dicit ; et ideo non
appropriatur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que tous les attributs essentiels soient un en réalité, cependant
ils diffèrent par la raison et d’après leur notion ils ont une ressemblance
soit par rapport à l’origine des personnes, comme la puissance qui est le
principe de production, soit par rapport à un mode déterminé d’origine, comme
la bonté par rapport à la procession de l’amour et comme la sagesse par
rapport à la procession du verbe ; et c’est ainsi que ces
noms peuvent être appropriés à différentes personnes. Mais l’essence par
définition ne signifie pas l’origine et ne dit rien par rapport à ce qui
appartient à un mode d’origine et c’est la raison pour laquelle elle n’est
pas appropriée. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod appropriatum potest sumi
dupliciter: aut materialiter, idest id quod appropriatum est ; et sic illud
attributum non sequitur rationem proprii ; aut formaliter, idest inquantum
appropriatum est ; et sic in ratione sua propria, proprii rationem includit. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’approprié peut se tirer de deux manières : soit matériellement,
c’est-à-dire la chose même qui est appropriée ; et pris ainsi, cet
attribut ne découle pas de la notion du propre ; soit formellement,
c’est-à-dire en tant qu’approprié et ainsi dans sa définition propre il
inclut la notion de propre. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod appropriando attributa
essentialia determinatis personis, non excludimus alias personas, nec gradum
participationis constituimus ; sed tantum ostendimus similitudinem in ratione
appropriati ad proprium personae, et ex hoc non sequitur error. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’en appropriant des attributs essentiels à des personnes déterminées, nous
n’excluons pas les autres personnes et nous ne constituons pas un degré de
participation ; mais nous ne faisons que montrer une similitude dans la
notion de l’approprié par rapport à ce qui est propre à une personne et à
partir de cela il ne s’ensuit pas une erreur. |
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Quaestio II |
Question 2 – [L’appropriation] |
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Circa
tertium duo quaeruntur : 1.
de ratione approrpiationis Hilarii ; 2.
de expositione Augustini quantum ad hoc quod dicit, quod imago coaequatur ei
cuius est imago, et non e converso : utrum in divinis sit
mutua aequalitas ; sed hoc, sup. XIX dist., habitum est |
Sur le troisième point nous
cherchons à savoir deux choses : 1. La notion d’appropriation
de Saint-Hilaire. 2. L’explication de
Saint-Augustin quant à ce qu’il dit, à savoir que l’image doit se comparer à
la chose dont elle est l’image et non inversement et s’il y a en
Dieu une égalité mutuelle ; mais cela a été établi plus haut à la
distinction XIX. |
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Articulus
primus. lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 tit. Utrum
Hilarius convenienter appropriet aeternitatem Patri, speciem Filio, usum
Spiritui sancto |
Article 1 – Hilaire approprie-t-il convenablement l’éternité au Père, la forme au Fils et l’usage à l’Esprit Saint ? |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod appropriatio Hilarii sit incompetens. Quia,
secundum Augustinum, IV De Trin., cap. X, col. 932, hujusmodi appropriationes
fiunt ad excludendum errorem ; et ideo Patri attribuitur potentia ne infirmus
credatur, sicut patres apud nos propter senectutem. Sed circa aeternitatem
Patris nullus erravit, sicut circa aeternitatem Filii, ut Arius. Ergo aeternitas
magis esset approprianda Filio, quam Patri. |
Difficultés : 1. Il semble que l’appropriation de
Saint-Hilaire ne convienne pas. Car, selon Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. X, col. 932], de
telles appropriations sont faites en vue d’éviter des erreurs ; et c’est
pourquoi il attribua la puissance au Père afin qu’on ne le croit pas faible
tout comme nos pères le deviennent en raison de la vieillesse. Mais sur
l’éternité du Père nul ne se trompa comme le fit Arius au sujet de l’éternité
du Fils. Donc, l’éternité devrait davantage être appropriée au Fils qu’au
Père. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum aequivoca non attenditur aliqua
similitudo. Sed aeternitas privat principium durationis, innascibilitas autem
privat principium originis. Cum igitur appropriationes fiant secundum
similitudinem ad propria, videtur quod Patri non sit attribuenda aeternitas,
quia est innascibilis. |
2. Par ailleurs, aucune similitude
ne se vérifie d’après des termes équivoques. Mais l’éternité est affranchie
du principe de la durée, l’innascibilité est affranchie du principe
d’origine. Donc, puisque les appropriations sont faites d’après une
ressemblance à la propriété, il semble que l’éternité ne doive pas être
attribuée au Père auquel on attribue l’innascibilité. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod aeternitas appropriatur Patri, quia
importat ex consequenti proprietatem Patris, scilicet innascibilitatem,
quamvis principaliter significet divinam essentiam ; contra. Quandocumque
notionale additur essentiali, non potest totum praedicari de persona cui non
convenit illa notio ; sicut Deus genitus non praedicatur de Patre. Si igitur
aeternitas aliquo modo in intellectu suo includeret innascibilitatem, nullo
modo Filio conveniret, quod est Arianae impietatis. |
3. Si tu dis que l’éternité est
appropriée au Père parce qu’elle implique par conséquent une propriété du
Père, à savoir l’innascibilité, bien qu’elle signifie principalement
l’essence divine, je réponds au contraire qu’à chaque fois que le notionnel
s’ajoute à l’essentiel, cette notion ne peut dans sa totalité être attribuée
à la personne à laquelle elle ne convient pas, tout comme le ¨Dieu
engendré¨ ne peut être attribué au Père. Si donc l’éternité incluait d’une
certaine manière l’innascibilité dans sa conception même, elle ne
conviendrait au Fils en aucune manière, ce qui constitue l’impiété d’Arius. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, secundum Dionysium, IV cap. de divinis
nominibus, § 7, col. 702 pulchrum et bonum se consequuntur. Unde videtur quod
omnia pulchrum et bonum appetunt ; unde secundum nomen in Graeco etiam
propinqua sunt, quia bonum dicitur « calos », pulchrum
« callos ». Sed
bonitas non appropriatur Filio, sed Spiritui sancto. Ergo nec species vel
pulchritudo. |
4. En outre, d’après Denys [Les Noms
Divins, ch. IV, & 7, col. 702], le beau et le bien se rejoignent.
D’où il semble que tous désirent le beau et le bon ; d’où il résulte
qu’en Grec leurs noms aussi sont voisins car le bien est signifié par «calos»
et le beau par «callos». Mais la bonté n’est pas appropriée au Fils mais à
l’Esprit-Saint. Donc la forme ou la beauté ne lui est pas appropriée non
plus. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, uti est referre aliquid ad obtinendum hoc
quo fruendum est. Sed Spiritus sanctus est ipsum fruibile, et non refertur ad
aliud sicut ad finem. Ergo
usus non debet sibi appropriari. |
5. De plus, ¨user¨ c’est rapporter un
être à l’obtention de ce dont il doit jouir. Mais l’Esprit-Saint est lui-même
l’objet de la jouissance et il ne se rapporte pas à un autre comme à sa fin.
On ne doit donc pas lui approprier l’usage. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in appropriatione Hilarii,
ponuntur tria propria nomina personarum, scilicet Pater, imago, munus, vel
donum, et hoc patet ex praedictis, dist. 8 qu. 1 art. 1 ; et ponuntur
tria appropriata, scilicet aeternitas, quam dicit esse in Patre sicut
appropriatam sibi ; et species, idest pulchritudo, quam dicit esse in
imagine, idest in Filio, qui proprie imago est, ut supra habitum est, dist.
28, quaest. 2, art. 3 ; et usum, quem dicit esse in munere, scilicet in
spiritu sancto, qui donum est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que dans
l’appropriation de Saint-Hilaire, trois noms de personnes sont posés, à
savoir le Père, l’image et le présent ou le don ; et cela est clair à
partir de ce qui a été dit [dist. 8, quest. 1, art. 1] ; et trois termes
sont appropriés à ces trois noms de personnes, à savoir l’éternité que dit
l’existence du Père comme lui étant appropriée ; et la forme, c’est-à-dire
la beauté que signifie l’existence dans l’image, c’est-à-dire dans le Fils
qui est proprement l’image du Père comme nous l’avons établi plus haut [dist.
28, quest. 2, art. 3] ; et enfin l’usage que signifie l’existence dans
le présent, c’est-à-dire dans l’Esprit-Saint qui est le don. |
Ratio
autem hujusmodi appropriationis haec est. Aeternitas enim in ratione sua
habet duo, scilicet quod sit principium omnis durationis, inquantum est prima
mensura: unde ab ipsa fluit et aevum et tempus ; et sic habet similitudinem
ad propria Patris, quae conveniunt sibi inquantum ipse est principium vel per
generationem vel per spirationem, scilicet ad paternitatem et communem
spirationem. |
Mais voici la raison d’une telle
appropriation. En effet, l’éternité, par définition, contient deux éléments,
à savoir celui d’être le principe de toute durée en tant qu’elle est la
première mesure : d’où il résulte que c’est d’elle que s’écoule l’aevum
et le temps ; et c’est de là qu’elle tient sa ressemblance aux propriétés
du Père, à savoir la paternité et la spiration commune, qui lui conviennent
en tant qu’Il est lui-même principe soit par génération soit par spiration |
Habet
etiam in ratione sua privationem principii, et in hoc convenit cum
proprietate Patris, quae competit sibi secundum quod est auctor, vel non de
principio, scilicet innascibilitate. Ad
rationem autem pulchritudinis duo concurrunt, secundum Dionysium, scilicet
consonantia et claritas. Dicit enim, quod Deus est causa omnis pulchritudinis
inquantum est causa consonantiae et claritatis, sicut dicimus homines
pulchros qui habent membra proportionata et splendentem colorem. His
duobus addit tertium philosophus, IV Ethic., c. VI, ubi dicit, quod
pulchritudo non est nisi in magno corpore ; unde parvi homines possunt dici
commensurati et formosi, sed non pulchri. Et
secundum haec tria, pulchritudo convenit cum propriis Filii: inquantum enim
Filius est imago perfecta Patris, sic est ibi consonantia perfecta ; est enim
aequalis et similis sine inaequalitate et dissimilitudine ; et hoc tangit
Augustinus, liberté. VI De Trinit., cap. X, col. 971, ubi dicit: ubi est
tanta convenientia, id est maxima et prima aequalitas, et prima similitudo. Inquantum
vero est Filius verus, habet perfectam naturam Patris: et ita etiam habet magnitudinem
quae consistit in perfectione divinae naturae, ut supra dictum est, dist. 19,
quaest. 1 art. 2: unde dicit Augustinus quod ibi est perfecta et summa vita.
Sed inquantum est verbum perfectum Patris, habet claritatem quae irradiat
super omnia et in quo omnia resplendent. Unde
dicit Augustinus, quod est tamquam verbum perfectum. Potest etiam totum
accipi ex verbis Augustini secundum rationem consonantiae, quae triplex in eo
considerari potest: id
est consonantia ipsius ad Patrem [cui potentia add. Ed. de Parme] est
aequalis et similis, et hoc tangit Augustinus ubi dicit: « Prima
aequalitas ». Item
consonantia sui ad seipsum, inquantum omnia attributa in eo non differunt,
sed unum sunt ; et hoc tangit ubi dicit: « Cui non est aliud vivere et
aliud esse, sed idem est esse et vivere ». Item
consonantia ad res creatas, quarum rationes in eo sunt, et unum sunt in eo
sicut ipse est unum cum Patre: et hoc tangit ibi: et omnes unum in ea, sicut
ipsa unum de uno cum quo unum. Usus
etiam de ratione sua duo habet. Primo
quod est assumptum in facultatem voluntatis ; et sic convenit Spiritui sancto
inquantum est amor: et hoc tangit Augustinus cum dicit: « Illa ergo
dilectio, delectatio, felicitas vel beatitudo (...) est in Trinitate spiritus
sanctus ». Habet
etiam aliud quod est ordinatum ad alterum: et iste etiam ordo competit
Spiritui sancto, inquantum ipse amor, qui est Spiritus sanctus, non tantum
est in Filio, sed redundat in omnes creaturas, secundum quod competit sibi
nomen doni: et hoc tangit Augustinus cum dicit: « Ingenti largitate
atque ubertate perfundens omnes creaturas pro captu earum ». |
L’éternité tient aussi, par définition,
d’être affranchie de tout principe et elle s’accorde en cela avec la
propriété du Père qui lui appartient selon qu’il est l’auteur, le fondateur,
ou qu’il n’a pas de principe, à savoir l’innascibilité. Mais deux éléments contribuent à la
notion de beauté selon Denys, à savoir l’harmonie et l’éclat. Il dit en effet
que Dieu est cause de toute beaukté en autant qu’il est la cause de
l’harmonie et de l’éclat, tout comme nous disons que sont beaux
les hommes qui possèdent des membres harmonieux et une couleur éclatante. Mais à ces deux éléments le Philosophe
[IV Éthique, ch. VI] en ajoute un troisième, où il dit qu’il n’y a
beauté que là où il y a une certaine grandeur du corps ; d’où il résulte
qu’on peut dire des hommes petits qu’ils sont proportionnés et charmants,
mais non pas beaux. Et d’après ces trois éléments, la beauté
s’accorde avec les propriétés du Fils : en effet, en autant que le Fils
est l’image parfaite du Père, il y a là une harmonie parfaite ; il est
en effet égal et semblable au Père sans aucune inégalité et aucune
dissimilitude ; et c’est ce que touche du doigt Saint-Augustin [
VI De la Trinité, ch. X, col. 971] où il dit : c’est
là que se trouve l’accord le plus important, c’est-à-dire la plus grande et
la première égalité et la première ressemblance. Mais en tant que le Fils est vrai, il
possède la nature parfaite du Père : et c’est ainsi qu’il possède aussi
la grandeur qui consiste dans la perfection de la nature divine, ainsi que
nous l’avons dit plus haut [dis.t 19, quest. 1, art. 2] : d’où
Saint-Augustin dit que c’est là que se trouve la vie parfaite et suprême.
Mais en tant qu’il est le verbe parfait du Père, il possède l’éclat qui
rayonne sur tout et Il est celui en qui tous les êtres resplendissent. C’est pourquoi Saint-Augustin dit que le
Fils est comme un verbe parfait. Cela peut aussi être reçue en totalité à
partir des paroles de Saint-Augustin d’après la notion d’harmonie qui peut
être considérée en lui de trois manières : c’est-à-dire l’harmonie du
Fils à l’égard du Père [dont la puissance add. Éd. de Parme] est
égale et semblable et c’est ce que considère Saint-Augustin lorsqu’il
dit : «La première égalité». Il y a en outre son harmonie par rapport
à lui-même, en autant que tous les attributs ne diffèrent pas en Lui mais
sont un ; et c’est ce qu’Augustin touche en disant : «Celui chez
qui vivre et exister ne diffèrent pas mais sont une seule et même réalité». Il y en outre l’harmonie du Fils à
l’égard des choses créées dont les notions sont en Lui et elles sont une en
Lui tout comme Lui-même est un avec le Père et c’est ce que Saint-Augustin
touche là où il dit : «Et toutes les choses sont une en elle, tout
comme elle-même se dit de l’un avec lequel elle fait un». Mais l’usage aussi par définition
contient deux éléments. Et premièrement il se prend du côté de la
faculté de la volonté ; et ainsi il convient à l’Esprit-Saint en tant
qu’il est amour : et c’est cela que touche Saint-Augustin lorsqu’il
dit : «Donc cet amour, cette joie, cette félicité ou cette béatitude
(…) dans la Trinité, c’est l’Esprit-Saint». L’usage contient aussi cet autre élément
qui est d’être ordonné à quelque chose d’autre : et cet ordre aussi
convient à l’Esprit-Saint en autant que l’amour même, qui est l’Esprit-Saint,
n’est pas seulement dans le Fils, mais rejaillit sur toutes les créatures
selon que lui appartient le nom de ¨don¨ : et c’est là ce que touche
Saint-Augustin lorsqu’il dit : « Comblant par sa libéralité et
son abondance considérables toutes les créatures selon leurs portées». |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod una et principalis
ratio est appropriationis, scilicet similitudo ad proprium, ut dictum est in
corp. art. ; sed possunt esse multae consequentes utilitates ; quarum unam
Augustinus tangit ; unde ex hoc non potest concludi quod aliquid debeat
appropriari Patri vel Filio, nisi adsit ratio principalis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’il n’y a qu’une seule et première raison de l’appropriation, à savoir la
similitude à l’égard de la propriété, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article ; mais plusieurs utilités peuvent en découler et
Saint-Augustin touche l’une d’elles ; d’où on ne peut conclure à partir
de là que quelque chose soit approprié au Père ou au Fils, à moins que ne
soit présente la raison première. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in aequivocis quae per
fortunam sunt et casum, ut canis, non attenditur similitudo aliqua ; sed in
aequivocis quae dicuntur per respectum ad unum principium attenditur aliqua
similitudo analogiae vel proportionis ; et talis est multiplicitas hujus
nominis principium: unde etiam philosophus, V metaph., text. 1, docet reducere omnia hujusmodi ad unum primum
principium. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans
les équivoques qui proviennent de la fortune et du hasard, par exemple ¨le
chien¨, aucune similitude ne se vérifie ; mais dans les équivoques qui
se disent par rapport à un même principe se vérifie la similitude d’analogie
ou de proportion ; et telle est la multiplicité de ce nom, à savoir
¨principe¨ : d’où le Philosophe [V Métaphysique, texte 1]
enseigne aussi qu’il faut ramener tous les noms de cette sorte à un même
premier principe. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa nihil [non éd. de
Parme] valet. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que cet argument vaut [ne Éd. de Parme] rien. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pulchritudo non habet
rationem appetibilis nisi inquantum induit rationem boni: sic enim et verum
appetibile est: sed secundum rationem propriam habet claritatem et ea quae
dicta sunt, quae cum propriis filii similitudinem habent. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la beauté n’a raison d’objet désirable que selon qu’elle revêt la raison
de bien : c’est sous ce rapport en effet que le vrai aussi est
désirable ; mais prise selon sa définition propre, la beauté dénote
l’éclat et les caractères que nous avons dit et qui présentent une similitude
avec ce qui est propre au Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod usus, ut supra dictum est,
dist. 1, quaest. 1, art. 2, sumitur dupliciter. Communiter, prout uti dicitur
assumere aliquid in facultatem voluntatis, et stricte, prout dicit relationem
in finem. Et
primo modo sumitur hic, quo continet in se etiam fruitionem, ut hic dicitur
quod felicitas vel beatitudo ad usum pertinet. Nihilominus tamen competit
proprio [proposito Ed. de Parme], et secundum quod habet rationem ordinis non
quidem in finem, sed in effectum, in quo bonitas divina per Spiritum sanctum
uberrime effunditur. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que l’usage, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 1, quest. 1, art. 2] se
prend de deux manières. Au sens large, selon que ¨user¨ signifie
prendre quelque chose dans la faculté de la volonté ; et au sens strict,
selon qu’il signifie une relation à la fin. Et c’est ici dans le premier sens que se
prend ¨user¨ et en ce sens ¨user¨ contient aussi en lui la jouissance, de
telle manière qu’on puisse ici dire que la félicité ou la béatitude
appartient à l’usage. Néanmoins cependant l’Esprit-Saint se
rapporte au sens propre [au propos Éd. de Parme] du terme, et
selon qu’il a raison d’ordre ou de relation non pas certes à la fin, mais à
l’effet dans lequel la bonté divine se répand avec abondance par
l’Esprit-Saint. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’appropriation, suite] |
Prooemium lib.
1 d. 31 q. 3 pr. Circa quartum duo quaeruntur: 1
de ratione appropriationis Augustini ; 2
de hoc quod dicit quod omnia sunt unum propter Patrem. |
Prologue Au sujet du quatrième point, on
cherche à savoir deux choses : 1. La notion d’appropriation de
Saint-Augustin. 2. Ce qu’il veut dire lorsqu’il dit que
toutes les personnes sont une à cause du Père. |
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Articulus
1 lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 tit. Utrum Augustinus convenienter appropriet unitatem
Patri, aequalitatem Filio, nexum Spiritui sancto |
Article 1 – Augustin approprie-t-il convenablement l’unité au Père, l’égalité au Fils, le lien à l’Esprit Saint ? |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod appropriatio Augustini,
lib. I De doct. christ., cap.V, col. 21 sit incompetens. Supra enim, 10
dist., quaest. 1, art. 3, dictum est, quod spiritus sanctus est unitas
duorum. Ergo videtur
quod unitas non Patri, sed Spiritui sancto approprietur. |
Difficultés : 1. Il semble que l’appropriation de
Saint-Augustin [1 De la Doctrine Chrétienne, ch. V, col. 21] ne
soit pas juste. Nous avons dit en effet plus haut [dist. 10, quest. 1, art.
3] que l’Esprit-Saint est l’unité qu’il y a entre le Père et le Fils. Il
semble donc que l’unité doive être attribuée à l’Esprit-Saint et non au Père. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea,
appropriatio est secundum similitudinem ad proprium. Illi
ergo personae debet appropriari unitas, in qua minus de pluralitate
invenitur. Sed maxima pluralitas notionum invenitur in Patre, qui habet tres
notiones, minima in Spiritu sancto, qui habet unam tantum. Ergo unitas Spiritui sancto et non Patri appropriari
debet. |
2. Par ailleurs, l’appropriation est
faite d’après la ressemblance au propre. Donc, l’unité doit être appropriée à
cette personne dans laquelle se retrouve moins de pluralité. Mais la plus
grande pluralité de notions se retrouve dans le Père, lequel possède trois
notions, et c’est dans l’Esprit-Saint qu’on en retrouve le moins, à savoir
une seule. Donc l’unité doit être appropriée à l’Esprit-Saint et non au Père. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, unitas causa est aequalitatis. Si igitur
unitas Patri appropriatur, et aequalitas sibi appropriari debet, et non
Filio. |
3. En outre, l’unité est cause
d’égalité. Si donc l’unité était appropriée au Père, l’égalité aussi devrait
lui être appropriée et non au Fils. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, secundum
convenientiam in natura vel in forma magis attenditur similitudo quam
aequalitas. Sed Filius inquantum est genitus a
Patre, habet naturam et formam patris: et similiter imago et Verbum habet
similitudinem ejus ad quod dicitur. Ergo magis debet appropriari Filio similitudo quam
aequalitas. |
4. De plus, c’est davantage la similitude
que l’égalité qui se vérifie d’après la ressemblance dans la nature ou dans
la forme. Mais le Fils, selon qu’il est engendré par le Père, possède la
nature et la forme du Père : et de la même manière l’image ou le Verbe
possède la ressemblance de ce à l’égard de quoi il se dit. Donc, c’est
davantage la similitude ou la ressemblance, plutôt que l’égalité, qui doit
être appropriée au Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, nexus proprie dicitur de Spiritu sancto.
Sed aeternitas et aequalitas non proprie dicuntur de Patre et Filio. Ergo videtur quod appropriatio non sit uniformis. |
5. Par ailleurs, le lien se dit
proprement de l’Esprit-Saint. Mais l’éternité et l’égalité ne se disent pas
proprement du Père et du Fils. Il semble donc que l’appropriation ne soit pas
uniforme. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod appropriatio Augustini bona
est, et ratio appropriationis haec est. Unitas enim, quantum ad id quod
positive dicit, habet rationem principii secundum quod est principium numeri:
et ita habet similitudinem cum duabus proprietatibus Patris, scilicet cum
paternitate et communi spiratione quibus dicitur principium Filii et Spiritus
sancti. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que
l’appropriation de Saint-Augustin est bonne et voici la raison de cette
appropriation. En effet, l’unité, quant à ce qu’elle dit positivement, a
raison de principe selon qu’elle est le principe du nombre et ainsi elle a
une similitude avec deux propriétés du Père, c’est-à-dire avec la paternité
et la spiration commune, propriétés par lesquelles on dit de Lui qu’il est le
principe du Fils et de l’Esprit-Saint. |
Secundum
autem quod ratio ejus consistit in negatione, sic negat divisionem, et per
consequens compositionem praeexistentem ; et ita negat rationem principii:
quia ea in quae aliquid dividitur, sunt principia integrantia ipsum ; et ita
unitas habet similitudinem cum innascibilitate, sicut et aeternitas, ut dicit
Magister. Similiter etiam aequalitas secundum proprium modum suae
processionis convenit Filio, ut patet in omnibus nominibus personalibus
ipsius Filii. Ex eo enim dicitur Filius quod recipit aequalem et eamdem naturam
quam habet generans: similiter etiam imago includit in se rationem
aequalitatis ; et similiter verbum perfectum. Ita etiam nexus convenit
Spiritui sancto ex modo suae processionis inquantum est amor Patris et Filii,
quo uniuntur, et etiam est connectens nos Deo, inquantum est donum. |
Mais selon que sa définition
consiste dans la négation, l’unité ainsi nie la division et par conséquent
toute composition préexistante ; et en ce sens elle nie la notion de
principe : car les éléments dans lesquels une chose se divise sont les
principes qui la constituent ; et ainsi l’unité possède une similitude
avec l’innascibilité, tout comme l’éternité comme le dit le Maître. De la
même manière aussi l’égalité convient au Fils selon le mode propre de sa
procession comme on peut le voir dans tous les noms personnels du Fils
lui-même. C’est à partir de là en effet qu’on dit du Fils qu’il reçoit une
nature égale et identique à celle que possède celui qui l’engendre : de
la même manière encore l’image comprend en elle la notion d’égalité, et il en
est de même pour le verve parfait. De même aussi le lieu convient à
l’Esprit-Saint de par le mode même de sa procession en tant qu’il est l’amour
qui a lieu entre le Père et le Fils par lequel Ils sont unis, et aussi du
fait qu’Il est Celui qui nous unit à Dieu en tant qu’Il est don. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod differt unitum et unum
; quia unitum est quod ex pluribus unum effectum est ; unde unio importat
relationem quamdam plurium secundum quod in uno conveniunt ; sed unum
absolute dicitur. Unde dicendum, quod unitas, secundum quod ponitur pro
unione plurium in uno amore, attribuitur Spiritui sancto: secundum autem quod
absolute sumitur inquantum est principium, habet similitudinem ad proprium
Patris: unde appropriatur patri. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
l’uni et l’un diffèrent ; car l’uni est ce qui a été rendu un à partir
de plusieurs ; d’où l’union implique une certaine relation entre
plusieurs selon qu’ils s’accordent en quelque chose d’un. L’un de son côté se
dit absolument. D’où il faut dire que l’unité, selon qu’elle est posée pour
signifier l’union entre plusieurs dans un seul amour, est attribuée à
l’Esprit-Saint ; mais selon qu’elle se prend absolument en tant que
principe, elle a une similitude avec la propriété du Père, d’où il résulte
qu’elle est appropriée au Père. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tres notiones in Patre non
sunt tres res, sed tres rationes innotescendi: unde pluralitas notionum non
impedit quin sibi unitas approprietur ; et praecipue cum ratio unitatis cum
omnibus notionibus ejus similitudinem habeat. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que les trois notions qui sont dans le Père ne sont pas trois réalités, mais
trois raisons qui le font connaître : d’où il résulte que la pluralité
des notions n’empêche pas que l’unité Lui soit appropriée, surtout
lorsqu’on considère que la notion d’unité a une similitude avec toutes ses
notions. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non est unitas,
sed relatio unitatem consequens ; et ideo appropriatur Filio, qui adaequat
Patrem procedens ab eo: quamvis non approprietur sibi unitas. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’égalité n’est pas l’unité, mais plutôt la relation qui découle de
l’unité ; et c’est pourquoi, bien que l’unité ne soit pas appropriée au
Fils, cependant l’égalité Lui est appropriée, Lui qui
est élgal au Père alors même qu’il en procède. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut aequalitas
appropriatur Filio, ita et similitudo: sed Augustinus posuit aequalitatem,
quia in divinis aequalitas includit similitudinem, et non e
converso. Cum enim in divinis non sit quantitas nisi virtutis, quae
fundatur in aliqua forma ; sequitur ut quaecumque conveniunt in quantitate
virtuali, conveniant in forma ; et ita, si sunt aequalia, quod sint similia.
Sed non convertitur: quia aequalitas privat excessum, quem non privat
similitudo ; unde duo quorum alter altero albior est, sunt similes in albedine,
sed non aequales. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la similitude, tout comme l’égalité, est appropriée au Fils : mais
Augustin a posé l’égalité car en Dieu l’égalité comprend la similitude et non
inversement. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a que la quantité virtuelle qui
se fonde sur une forme, il s’ensuit que tout ce qui se rencontre dans une
quantité virtuelle se rencontre dans une forme et par conséquent que s’ils
sont égaux, ils sont aussi semblables. Mais il n’y a pas conversion :
car l’égalité affranchit de l’excès, ce que ne fait pas la similitude ;
d’où il résulte que de deux choses dont l’une est plus blanche que l’autre,
les deux sont semblables mais non égales sous le rapport de la blancheur. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nexus vel connexio amoris
proprium est spiritus sancti. Sed quia quaecumque conveniunt in aliquo uno,
possunt dici connexa in illo ; ideo connexio absolute dicta non importat nisi
convenientiam quamdam ; et sic non est proprium Spiritus sancti, sed
appropriatum. Si tamen sumeretur ut est proprium, non esset magnum
inconveniens, quod assignatio non est uniformis simpliciter: quia hujusmodi
attribuuntur personis inquantum sunt appropriata, et sic accedunt ad rationem
propriorum ; unde proprium et appropriatum inquantum appropriatum, non habent
rationem difformitatis |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que le lien ou l’union d’amour est propre à l’Esprit-Saint. Mais parce qu’on
peut dire de tous les êtres qui s’accordent en une même chose qu’ils sont unis
en cette chose, c’est pourquoi l’union dite absolument n’implique qu’un
certain accord ; et en ce sens une telle union n’est pas propre à
l’Esprit-Saint, mais elle lui est appropriée. Si cependant on prenait l’union
en tant qu’elle lui est propre, cela ne poserait pas une grande difficulté
que l’assignation ne soit pas absolument uniforme car de telles assignations
sont attribuées aux personnes en autant qu’elles sont des appropriations et
ainsi elles s’approchent de la notion des propriétés ; d’où il résulte
que la propriété et l’appropriation en tant qu’appropriation, n’ont pas
raison d’équivocité. |
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Articulus
2 lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 tit. Utrum omnia sint unum propter patrem |
Article 2 – Tout est-il un à cause du Père ? |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur falsum quod dicit Augustinus. Cum enim haec praepositio
propter importet habitudinem alicujus causae ; cum dicitur quod omnia sunt
unum propter patrem, aut importat habitudinem quasi efficientis, aut quasi
formae. Si quasi formae, tunc falsum est ;
quia Filius, formaliter loquendo, non est unus cum Patre, sed essentia
divina, vel proprietate sua, vel seipso. Si quasi efficientis, sic idem erit
dictum propter Patrem, ac si diceretur quod habet unitatem a Patre. Sed sicut habet unitatem a Patre Filius, ita et
aequalitatem. Ergo sicut dicuntur omnia unum propter Patrem, ita dicuntur
omnia aequalia propter Patrem ; et sic distinctio nulla esset. |
Difficultés : 1. Il semble que ce que dit
Saint-Augustin soit faux. En effet, puisque cette préposition ¨à cause de¨
implique un certain rapport de causalité, lorsqu’on dit que toutes les
personnes sont une à cause du Père, cela implique une relation ou bien à
titre de cause efficiente ou bien à titre de cause formelle. Si c’est à titre
de cause formelle, alors l’énoncé est faux ; car le Fils, à parler
formellement, n’est pas un avec le Père, mais il l’est plutôt par l’essence
divine ou par sa propriété ou par lui-même. Si c’est à titre de cause
efficiente, on dira alors qu’il est identique à cause du Père, comme si on
disait qu’il tient l’unité du Père. Mais tout comme le Fils tient l’unité du
Père, il en tient aussi l’égalité. Donc, tout comme on dit que les personnes
sont une à cause du Père, on dit de même qu’elles sont toutes égales à cause
du Père ; et ainsi il n’y a aucune distinction entre elles. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid sit de Patre, constat quod
Filius nullam rationem principii habeat respectu Patris. Si ergo haec
praepositio propter importat habitudinem alicujus principii, videtur omnino
falsum quod dicit, quod omnia sunt aequalia propter Filium. |
2. Par ailleurs, pour tout ce qui
est attribué au Père, il est clair que le Fils n’a aucunement raison de
principe par rapport au Père. Si donc cette préposition ¨à cause de¨ implique
un rapport à un principe, il semble que ce qu’il dit soit absolument faux, à
savoir que toutes sont égales à cause du Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, sicut idem est Deo sapere quod esse ; ita idem
est esse aequalem Deo quod esse. Sed non potest dici quod omnia sint in divinis
propter Filium. Ergo nec quod omnia sint aequalia. |
3. En outre, tout comme en Dieu la
sagesse est identique à l’existence, de même en Dieu être égal est identique
à exister. Mais on ne peut dire que tout existe en Dieu à cause du
Fils. On ne peut donc dire non plus que tout est égal en Dieu. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qui est dit dans la Lettre est
contraire à ces opinions. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod dictum Augustini potest
verificari dupliciter: scilicet quantum ad numerum [proprietatem éd.de Parme]
personarum et quantum ad numerum [propietatem éd. de Parme] ipsarum. Si enim
consideremus numerum, sic unitas statim in Patre invenitur ; et ideo propter
eum, in quo primo unitas invenitur, secundum ordinem naturae, omnia dicuntur
unum. Sed
binarius personarum primo invenitur in Filio, qui procedit alius a Patre, et
similiter aequalitas, quae primo in duobus invenitur: et propter hoc omnia
per Filium aequalia dicuntur, sicut propter eum in quo primo aequalitas
invenitur. Sed in Spiritu sancto primo invenitur ternarius, et similiter
connexio, quae tria requirit, duo connexa et unum connectens ; et propter hoc
omnia dicuntur connexa propter Spiritum sanctum. Si
autem consideremus proprietates personarum, in Patre invenitur ratio
principii quasi primi: et quia in qualibet natura invenitur unum principium
non de principio, a cujus unitate est quod una in omnibus natura propagetur,
omnia dicuntur unum propter patrem: et hoc videtur tangere Hilarius in quadam
notula. Si
consideremus proprium Filii, secundum omnia propria sua convenit sibi quod
adaequet vel coaequet Patrem, et inquantum Filius et inquantum verbum et
inquantum imago. Sicut autem dicimus quod relationes quae sunt ad creaturam,
resultant ex creaturis inquantum referuntur in Deum ; ita etiam relationes
quibus Pater refertur ad filium, suppositis relationibus distinguentibus,
resultant ex hoc quod Filius refertur ad Patrem ; et propter hoc Pater
dicitur aequalis Filio, inquantum Filius coaequat Patrem: et ex hoc etiam
sequitur quod Spiritus sanctus sit aequalis utrique. Nisi
enim Filius qui est principium Spiritus sancti, esset aequalis Patri, nullo
modo aequalem amorem spiraret ; et ita quodammodo ex aequalitate Filii
resultat aequalitas in tota Trinitate. Similiter
etiam proprium est Spiritus sancti quod procedat ut amor, et amor habet
rationem nexus ; et ideo omnia dicuntur propter Spiritum sanctum connexa.
Posset tamen brevius exponi, ut diceretur, quod sunt omnia unum propter
Patrem, id est propter unitatem essentialem quae appropriatur Patri, et sic
de aliis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que les
paroles de Saint-Augustin peuvent se vérifier de deux manières :
c’est-à-dire soit quant au nombre [propriété Éd. de Parme] des
personnes, soit quant au nombre de leurs propriétés. Si en effet nous
considérions le nombre, alors l’unité se retrouve aussitôt dans le
Père ; et c’est pourquoi c’est à cause de lui, dans lequel se retrouve
en premier l’unité selon l’ordre de nature, que toutes les personnes sont
dites une. Mais le nombre deux dans les personnes se
retrouve en premier lieu dans le Fils, lequel procède du Père tout en étant
autre que Lui, et il en est de même pour l’égalité qui se retrouve d’abord
entre deux réalités : et c’est à cause de cela qu’on dit que c’est par
le Fils que toutes les personnes sont égales, tout comme c’est à cause de Lui
que l’égalité se retrouve d’abord en lui. Mais c’est dans l’Esprit-Saint que
se retrouve en premier lieu le nombre trois, tout comme le lien qui exige
trois constituantes, à savoir deux choses qui sont unies et une autre qui les
unit ; et c’est à cause de cela qu’on dit que toutes les personnes sont
unies à cause de l’Esprit-Saint. Mais si nous considérions les propriétés
des personnes, on retrouve dans le Père la notion de principe à titre de ce
qui est premier : et parce que dans toute la nature on retrouve un seul
principe sans principe, par l’unité duquel il se fait qu’une seule nature se
multiplie en tous, on dit de toutes les personnes qu’elles sont une à cause
du Père : et c’est là ce que semble avoir considéré Saint-Hilaire dans
une petite remarque. Si nous considérions les propriétés du
Fils, il lui convient selon toutes ses propriétés d’égaler le Père, à la fois
en tant que Fils, en tant qu’image et en tant que Verbe. Mais tout comme nous
disons que les relations qui se rapportent à la créature résultent des
créatures en tant qu’elles se rapportent à Dieu, de même encore les relations
par lesquelles le Père se rapporte au Fils, étant supposées les relations qui
distinguent, résultent du fait que le Fils se rapporte au Père ; et
c’est à cause de cela qu’on dit du Père qu’il est égal au Fils dans la mesure
où le Fils est égal au Père : et il suit aussi de là que l’Esprit-Saint
soit égal aux deux autres personnes. En effet, si le Fils qui est le principe
de l’Esprit-Saint n’était pas égal au Père, en aucune manière il ne spirerait
un amour égal ; et ainsi, en un sens, c’est de l’égalité du Fils que
résulte l’égalité présente dans toute la Trinité. Semblablement encore il est propre à
l’Esprit-Saint de procéder en tant qu’amour e l’amour a raison de lieu ;
et c’est pourquoi on dit de toutes les personnes qu’elles sont unies à cause
de l’Esprit-Saint. On pourrait cependant l’expliquer plus brièvement pour
dire que toutes les personnes sont une à cause du Père, c’est-à-dire à cause
de l’unité essentielle qui est appropriée au Père, et il en est de même pour
les autres propriétés. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum dicitur quod omnia
sunt unum propter Patrem, ly « propter » non tantum dicit
habitudinem principii per modum efficientis, sed etiam per modum formae,
inquantum unitatem principii sequitur unitas formae, scilicet divina
essentia, qua in divinis omnia unum sunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
lorsqu’on dit que toutes les personnes sont une à cause du Père, ce ¨à cause¨
ne dit pas seulement une relation de principe par mode de cause efficiente,
mais aussi par mode de forme, en autant que l’unité de la forme, c’est-à-dire
l’essence divine par laquelle toutes les personnes en Dieu sont une, découle
de l’unité du principe. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut creaturae non sunt
principium Dei, quamvis dicatur Deus relative, propter hoc quod ad ipsum
creaturae referuntur, quia hujusmodi relationes non sunt realiter in Deo, ita
etiam non sequitur quod Filius sit principium Patris, quia aequalitas non
ponit in Deo relationem realem. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que tout comme les créatures ne sont pas le principe de Dieu bien que Dieu se
dise relativement pour cette raison que les créatures se rapportent à lui,
parce que de telles relations n’existent pas réellement en Dieu, de même
encore il ne s’ensuit pas que le Fils soit le principe du Père parce que
l’égalité ne pose pas en Dieu une relation réelle. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet
responsio ad tertium. Non enim dicuntur omnia
esse aequalia propter Filium quasi [quia éd. de Parme] Filius sit principium
aequalitatis in Patre, sicut [sed ut éd. de Parme] dictum est in corp. art. |
3. Et par là la réponse à la
troisième difficulté est évidente. En effet, on ne dit pas que toutes les
personnes sont égales à cause du Fils comme si [parce que Éd. de
Parme] le Fils était le principe de l’égalité dans le Père, tout comme
[mais comme Éd. de Parme] nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
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Distinctio 32 |
Distinction 32 – [La médiation dans les processions] |
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Prooemium |
PrologueLa question porte ici sur deux
points : premièrement sur ce qui appartient à l’Esprit-Saint ;
deuxièmement sur ce qui appartient au Fils. Au sujet du premier point nous cherchons
à répondre à trois questions : 1. Est-ce que le Père aime le Fils par
l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce que le Père s’aime lui-même par
l’Esprit-Saint ? 3. Est-ce que le Père et le Fils nous
aiment par l’Esprit-Saint ? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le filioque] |
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Articulus 1 [2278] Super Sent., lib. 1 d. 32
q. 1 a. 1 tit. Utrum Pater diligat Filium Spiritu sancto. |
Article 1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ? |
[2279] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater non diligat Filium
Spiritu sancto. Sicut enim idem est Deo esse quod sapere, ita idem est Deo
esse quod diligere. Sed Deus Pater non dicitur esse aliquo modo Spiritu
sancto. Ergo videtur quod nec diligere. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père n’aime pas le
Fils en l’Esprit-Saint. Tout comme pour Dieu la sagesse s’identifie à
l’existence, de même l’existence s’identifie à l’Amour. Mais on ne dit pas
que Dieu le Père existe d’une certaine manière par l’Esprit-Saint. Il semble
donc qu’il n’aime pas par l’Esprit-Saint. |
[2280] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, cum dicitur: « Pater diligit Filium Spiritu
sancto », oportet quod ablativus constituatur in habitudine alicujus
causae, vel quasi efficientis, vel quasi formalis. Sed omnis talis
constructio potest resolvi et exponi per aliquam praepositionem designantem
habitudinem causae. Ergo videtur quod Pater diligat Filium vel a Spiritu
sancto, vel per Spiritum sanctum. Harum autem utraque videtur esse falsa ;
quia Spiritus sanctus non habet aliquam habitudinem principii respectu Patris
; sicut praepositio designat. Ergo videtur quod etiam haec sit falsa: Pater
diligit Filium Spiritu sancto. |
2. Par ailleurs, lorsqu’on
dit : «Le Père aime le Fils en l’Esprit-Saint», il faut que l’ablatif soit
constitué dans la relation d’une cause, qu’il s’agisse comme d’une cause
efficient ou comme d’une cause formelle. Mais toute construction de cette
sorte peut être résolue et expliquée par une préposition désignant une
relation de cause. Il semble donc que le Père aime le Fils soit par
l’Esprit-Saint, soit au moyen de l’Esprit-Saint. Mais il semble que chacune
des ces propositions soit fausse car l’Esprit-Saint ne possède aucune
relation de principe par rapport au Père, tout comme la préposition l’indique.
Il semble donc que cette autre proposition aussi soit fausse, à savoir :
le Père aime le Fils en l’Esprit-Saint. |
[2281] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
arg. 3 Item, hoc verbum diligit aut significat actum essentialem aut
notionalem. Si essentialem, cum idem judicium sit de omnibus essentialibus,
poterit loco ejus poni alius actus essentialis ; ut dicatur Pater vivere
Spiritu sancto, vel intelligere aut velle ; quod falsum est. Si autem dicat
actum notionalem, non dicit aliam notionem quam communem spirationem. Ergo
loco ejus poterit poni hoc verbum « spirat », ut dicatur: Pater
spirat Spiritum sanctum Spiritu sancto ; quod falsum est. Ergo et prima
omnibus modis falsa est. |
3. En outre, ce verbe ¨Il aime¨,
signifie ou bien acte essentiel, ou bien un acte notionnel. Si c’est un acte
essentiel, comme le jugement reste le même pour tous les actes essentiels, on
pourra à sa place mettre un autre acte essentiel, comme lorsqu’on dirait que
le Père vit, conçoit ou veut par l’Esprit-Saint, ce qui est faux. Mais s’il
signifie un acte notionnel, il ne dit pas une autre notion que celle de la
spiration commune. Donc à sa place on pourra mettre ce verbe : ¨Il
spire¨, de manière à dire : le Père spire l’Esprit-Saint en
l’Esprit-Saint, ce qui est faux. Donc la première proposition est fausse de
toutes les manières. |
[2282] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, omnis amor quo aliqui se diligunt, est vinculum vel nexus
uniens eos. Sed Spiritus sanctus non potest unire patrem et Filium ; quia
omne uniens habet aliquem influxum super unita, sicut unionem faciens. Ergo
videtur quod Pater et Filius non diligant se Spiritu sancto. |
4. Par ailleurs, tout amour en
lequel certains s’aiment est une attache ou un lien qui les unit. Mais
l’Esprit-Saint ne peut unir le Père et le Fils car tout ce qui unit possède
une influence sur ce qui est uni en tant qu’il produit cette union. Il semble
donc que le Père et le Fils ne s’aiment pas en l’Esprit-Saint. |
[2283] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
s. c. 1 Contra, sicut amor alicujus hominis procedit ab eo, ita et Spiritus
sanctus procedit a Patre et Filio ut amor. Sed unus homo diligit alium
amore qui ab ipso procedit. Ergo
et Pater diligit Filium Spiritu sancto, qui est amor ab ipso procedens ; et
est ratio Hugonis de sancto Victore, lib. De Trinitate, Erudit didascal., cap. XXIII, col.
837et in Epist ad Bernard. |
Cependant: 1. Au contraire,
tout comme l’amour d’un homme procède de lui, de même l’Esprit-Saint procède
du Père et du Fils en tant qu’amour. Mais un même homme en aime un autre par
l’amour qui procède de lui. Donc de même le Père aime le Fils par
l’Esprit-Saint, lequel est l’amour qui procède du Père; et c’est là le
raisonnement de Hugues de Saint-Victor [De la Trinité, Instruction
didactique, ch. XXIII, col. 837 et dans la Lettre à Bernard] |
[2284] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, omni amore perfecto aliquid diligitur. Si ergo Spiritus
sanctus est amor perfectus, quod utique verum est, videtur quod eo aliquis
diligat, et aliquis diligatur. Sed non nisi Pater et Filius. Ergo Pater et
Filius diligunt se Spiritu sancto. |
2. Par ailleurs, un être est aimé
par tout amour parfait. Si donc l’Esprit-Saint est une amour parfait, ce qui
est absolument vrai, il semble que ce soit par lui que quelqu’un aime et que
quelqu’un est aimé. Mais ce ne peut être que le Père et le Fils. Donc le
Père et le Fils s’aiment dans l’Esprit-Saint. |
[2285] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt plurimae
opiniones. Quidam enim dicunt omnes hujusmodi locutiones esse falsas, et in
suo simili ab Augustino retractatas, ubi retractavit quod prius dixerat,
Patrem sapientia ab eo genita sapientem esse, ut in notula in Littera posita
patet. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’à ce sujet les opinions sont nombreuses. En effet, certains
disent que de telles expressions sont fausses et qu’elles ont été rétractées
par Saint-Augustin dans une proposition semblable venant de lui dans laquelle
il a rétracté ce qu’il avait antérieurement affirmé, à savoir: «le Père est
sage par la Sagesse engendrée», ainsi qu’on le voit dans une remarque placée
dans la Lettre. |
Sed hoc non videtur
conveniens ; quia Augustinus ea quae retractare voluit, specialiter expressit
; et praeterea ipse non retractavit dicta aliorum, sed tantum sua. Unde cum ipse et omnes alii communiter
talibus locutionibus utantur, praesumptuosum videtur eas negare. Ideo alii dicunt, eas quidem veras esse, sed
improprias, et sic exponendas: Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto,
idest amore essentiali, qui Spiritui sancto appropriatur. |
Mais cela ne semble pas
juste ; car ce que Saint-Augustin a voulu rétracter, il l’a
spécifiquement exprimé ; et par ailleurs, il n’a pas rétracté les
paroles des autres mais seulement les siennes. D’où il résulte que puisque
lui-même et tous les autres se sont habituellement servi de telles
expressions, il semble présomptueux de les nier. C’est pourquoi d’autres disent que ces
expressions sont certes vraies mais qu’elles sont impropres et qu’elles
doivent être expliquées comme suit : le Père et le Fils s’aiment par
l’Esprit-Saint, c’est-à-dire par l’amour essentiel qui est approprié à
l’Esprit-Saint. |
Hoc etiam non videtur conveniens ; quia sic
etiam Pater diceretur sapiens Filio, idest sapientia essentiali, quae Filio
appropriatur, et diceretur bonus Spiritu sancto propter eamdem rationem. Ideo
alii dixerunt, quod est vera et propria ; et horum multiplex est opinio. |
Cela non plus ne semble pas juste
car de cette manière on pourrait aussi dire que le Père est sage par le Fils,
c’est-à-dire par la sagesse essentielle qui est appropriée au fils, tout
comme on pourrait aussi dire de Lui qu’il est bon par l’Esprit-Saint pour la
même raison. C’est pourquoi d’autres disent que cette expression est vraie et
qu’elle se dit proprement ; et l’opinion de ces derniers est multiple. |
Quidam enim dicunt, quod ablativus ille
resolvendus est in praepositionem, ut sit sensus: « Pater diligit Filium
Spiritu sancto », idest per Spiritum sanctum ; et tunc quod ly « per »
denotat subauctoritatem in Spiritu sancto, et auctoritatem in Patre et Filio,
sicut cum dicitur quod Pater operatur per Filium. Sed hoc non videtur
conveniens ; quia per praepositionem per designatur habitudo causae in
causali cui adjungitur, quamvis non respectu operantis, sed respectu operati |
En effet, certains disent que cet
ablatif ¨a¨ qui signifie ¨par¨ doit être résolu dans la préposition de
manière à signifier : «Le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint»,
c’est-à-dire au moyen de l’Esprit-Saint ; et alors ce «au moyen de»
indique comme une subordination chez l’Esprit-Saint et une autorité dans le
Père et le Fils, tout comme lorsqu’on dit que le Père opère au moyen du Fils.
Mais cela ne semble pas plus juste car par la préposition «per» ou «au moyen
de» est désignée une relation de cause dans la causalité à laquelle il
s’ajoute, bien que ce ne soit pas par rapport à celui qui opère mais par
rapport à ce qui est opéré. |
Filius enim habet
causalitatem in creatura, quamvis non sit principium operationis in Patre.
Sed cum dicitur: » Pater diligit Filium per Spiritum sanctum », non
denotatur aliquis effectus in creatura, nec aliquid cujus principium Spiritus
sanctus sit ; et ideo non est similis ratio dicendi. |
En effet,
le Fils a une causalité dans la créature, bien qu’il ne soit pas principe
d’opération dans le Père. Mais lorsqu’on dit:«Le Père aime le Fils au moyen
de l’Esprit-Saint», on n’indique pas un effet dans la créature ni quelque
chose dont le principe serait l’Esprit-Saint; et c’est pourquoi la raison de
s’exprimer n’est pas semblable. |
Et ideo quidam
dicunt quod ablativus construitur in habitudine signi, et quasi effectus ;
quia sicut generatio quodammodo terminatur ad Filium, ita spiratio quae
designatur in dilectione, terminatur ad Spiritum sanctum. Unde exponunt sic: « Pater et Filius
diligunt se Spiritu sancto » ; idest, Spiritus sanctus est signum quod
Pater et Filius diligunt se. Sed hoc non videtur conveniens ; quia etiam amor
creatus est signum dilectionis, qua Pater et Filius diligunt se ; et ita per
viam istam diceretur, quod Pater et Filius diligunt se amore creato, quod
falsum est. Praeterea Spiritus sanctus est amor Patris, et amore formaliter
aliquid diligitur ; et ita Spiritu sancto, etiam formaliter loquendo, Pater
diligit. |
Et c’est pourquoi certains disent
que l’ablatif est construit dans une relation de signe et comme un
effet ; car tout comme la génération se termine d’une certaine manière
au Fils, de même la spiration qui est désignée dans l’amour se termine à
l’Esprit-Saint. Partant de là, il expliquent cet énoncé : «Le Père et le
Fils s’aiment par l’Esprit-Saint» de la manière suivante :
l’Esprit-Saint est le signe que le Père et le Fils s’aiment. Mais cette
explication ne semble pas juste car même l’amour créé est le signe de l’amour
par lequel le Père et le Fils s’aiment ; et ainsi par cette approche on
pourrait dire que le Père et le Fils s’aiment par l’amour créé, ce qui est
faux. Par ailleurs, l’Esprit-Saint est l’amour du Père, et c’est formellement
par l’amour qu’un être est aimé ; et ainsi, même à parler formellement,
c’est par l’Esprit-Saint que le Père aime. |
Et ideo alii dixerunt, quod ablativus ille
construitur in habitudine formae ; quia Pater et Filius formaliter amore
diligunt qui est Spiritus sanctus. Sed hoc etiam ex toto non videtur
sufficiens ; quia forma non denominat aliquid nisi inhaereat ; et ita cum
Spiritus sanctus non se habeat ad patrem ut inhaerens, sed ut per se
subsistens, non potest esse quod sit sicut forma eliciens actum dilectionis.
Et praeterea forma habet rationem principii respectu ejus cujus est forma,
quaecumque forma sit, vel quantum ad esse substantiale, vel accidentale, et
operationem consequentem ; et ita Spiritus sanctus esset principium alicujus
in Patre ; quod falsum est. |
Et c’est pourquoi d’autres disent
que cet ablatif est construit dans une relation de forme ; car le Père
et le Fils aiment formellement par l’amour qui est l’Esprit-Saint. Mais cela
non plus ne semble pas totalement suffisant ; car la forme n’indique de
l’être qu’à la manière de ce qui existe dans un autre ; et ainsi,
puisque l’Esprit-Saint ne se rapporte pas au Père à la manière d’un être qui
existerait en Lui, mais à la manière d’un être qui subsiste par lui-même, il
n’est pas possible qu’il soit comme une forme qui suscite un acte d’amour. Et
par ailleurs la forme a raison de principe par rapport à ce dont elle est la
forme, quelle que soit la forme dont il s’agisse, soit quant à l’existence
substantielle ou quant à l’existence accidentelle et découlant de l’opération ;
et en ce sens l’Esprit-Saint serait le principe de quelque chose dans le
Père, ce qui est faux. |
Et ideo alii dixerunt, quorum videtur esse
auctor Hugo de s. Victore ubi supra, quod construitur in habitudine quasi
effectus formalis, ut dicatur effectus largo modo omne id quod a principio
est, quia proprie in divinis non est efficiens et effectum ; et formale
dicatur, quod habet actum formae in denominando. Et est sensus: a Patre et
Filio procedit amor, qui est Spiritus sanctus, quo diligit se. Unde haec
opinio simul concludit duas ultimas praedictarum ; unde perfectius continet
veritatem, et sibi consentiendum videtur. |
Et c’est pourquoi d’autres disent,
dont semble faire partie l’auteur Hugues de Saint-Victor nont nous avons
parlé plus haut, que l’ablatif est construit dans une relation d’effet
formel, comme on appelle effet au sens large tout ce qui vient d’un principe
car à proprement parler en Dieu il n’y a ni cause efficiente ni effet ;
et on appelle formel ce qui dans la dénomination possède l’acte de la forme.
Et le sens est alors : l’amour par lequel ils s’aiment, qui est
l’Esprit-Saint, procède du Père et du Fils. D’où cette opinion conclut
simultanément les deux dernières opinions et par conséquent contient plus
parfaitement la vérité et il semble qu’on doive y donner notre assentiment. |
Tamen ad explanationem ejus sciendum est,
quod secundum diversam naturam generis diversus est modus denominationis.
Quaedam enim genera secundum rationem suam significant ut inhaerens, sicut
qualitas et quantitas, et hujusmodi ; et in talibus non fit denominatio nisi
per formam inhaerentem, quae est secundum aliquod esse vel substantiale vel
accidentale. Quaedam autem significant secundum rationem suam, ut ab alio
ens, et non ut inhaerens, sicut praecipue patet in actione. |
Il faut cependant savoir pour
l’expliquer qu’il y a différentes manières de dénommer d’après des natures de
genres différents. En effet, certains genres de par leur définition
signifient à la manière de ce qui est inhérent, comme la qualité, la quantité
et les attributs de cette sorte ; et dans ces cas il n’y a dénomination
que par une forme inhérente qui se présente sous le rapport d’une existence
soit substantielle, soit accidentelle. Mais d’autres genres signifient
d’après leur définition comme un ce qui existe par un autre et non comme ce
qui est inhérent, tout comme on le voit surtout dans l’action. |
Actio enim, secundum quod est actio,
significatur ut ab agente ; et quod sit in agente, hoc accidit sibi inquantum
est accidens. Unde in genere actionis denominatur accidens per id quod ab eo
est, et non per id quod principium ejus est ; sicut dicitur actione agens ;
nec tamen actio est principium agentis, sed e converso. |
L’action en effet, prise en tant
qu’action, est signifiée comme procédant d’un agent ; et que l’action
soit dans l’agent, cela lui arrive en tant qu’elle est un accident. D’où il
résulte que dans le genre de l’action l’accident est dénommé par ce qui
procède de lui et non par ce qui en est le principe, tout comme l’agent est
dénommé par l’action ; et cependant l’action n’est pas le principe de
l’agent, mais c’est l’inverse qui est vrai. |
Et si per impossibile poneretur esse aliquam
actionem quae non esset accidens, non esset inhaerens, et tamen denominaret
agentem, et tunc agens denominaretur per id quod ab eo est, et in eo non est
ut inhaerens. Sed quia cujuslibet actionis principium est aliqua forma
inhaerens, ideo aliquid potest dici agens duobus modis ; vel ipsa actione, quae denominat agentem et
non est principium ejus ; vel forma, quae est principium actionis in agente,
et secundum quid principium agentis ; sicut dicimus ignem moveri sursum motu
proprio, et levitate. |
Et si par impossible on posait
qu’il existe une action qui n’est pas un accident, ce ne serait pas un accident
inhérent et cependant il dénommerait l’agent et alors l’agent serait dénommé
par ce qui procède de lui et qui n’existe pas en lui comme quelque chose
d’inhérent. Mais parce que le principe de toute action est une forme
inhérente, c’est pourquoi un être peut être appelé agent de deux
manières : soit par l’action elle-même qui dénomme l’agent sans en être
le principe ; soit par la forme qui est le principe de l’action dans
l’agent et sous un rapport le principe de l’agent, tout comme nous disons que
le feu se meut vers le haut par son mouvement propre et sa légèreté. |
His visis, patet de facili qualiter
concedendum sit quod dictum est, et quid est quod dubitationem induxerit.
Diligere enim in divinis potest dici vel essentialiter, secundum quod non importat
nisi processionem secundum rationem ; vel notionaliter, secundum quod
importat processionem realem amoris ab amante: et ab utroque modo invenitur
amor dupliciter dici: scilicet ut qualitas, prout amor significat habitum
amantis in amante ; et ut operatio, prout amor significat actum vel passionem
amantis in amante. Si igitur diligere sumatur essentialiter, cum dicitur,
Pater diligit Filium, dicetur diligere denominative amore qui est actus
essentialis, et sicut principio illius actus, ipsa caritate, quae est
substantia divina. |
Ceci étant vu, on voit facilement
de quelle manière il faut condéder ce qui a été dit et en quoi consiste ce
qui a conduit à la difficulté. En effet, aimer en Dieu peut se dire soit
essentiellement, selon qu’il n’implique qu’une procession selon la raison,
soit notionnellement, selon qu’il implique une procession réelle de l’amour
par l’amant ; et l’amour se dit de deux manières par chacune des deux
modalités : c’est-à-dire en tant que qualité selon que l’amour signifie
l’habitus de l’amant dans l’aimé, et en tant qu’opération, selon que l’amour
signifie l’acte ou la passion de l’amant dans l’aimé. Si donc ¨aimer¨ se
prend essentiellement lorsqu’on dit ¨Le Père aime le Fils¨, aimer se dira
dénominativement par l’amour qui est l’acte essentiel et comme par le
principe de cet acte, par la charité elle-même, qui est la substance divine. |
Si autem sumatur notionaliter, tunc, si amor
significat formam quae est principium hujus actus, dicetur Pater diligere
Filium ipsa proprietate quae est principium processionis Spiritus sancti,
sicut paternitas est principium generationis Filii. Si autem amor nominet
ipsam actionem procedentem, sic Pater dicitur diligere Filium amore qui est
Spiritus sanctus, vel Spiritu sancto ; licet hoc non adeo expressam
contineret veritatem. Et similiter est in aliis nominibus personalibus quae
significant personam per modum operationis, ut « verbum » ; et ideo
dicitur, quod Pater dicit Verbo suo |
Mais si l’amour se prend notionnellement,
alors, si l’amour signifie la forme qui est le principe de cet acte, on dira
que le Père aime le Fils par la propriété même qui est le principe de la
procession de l’Esprit-Saint, tout comme la paternité est le principe de la
génération du Fils. Mais si l’amour nomme l’action même qui procède, ainsi on
dit du Père qu’il aime le Fils par l’amour qui est l’Esprit-Saint ou qu’il
l’aime par l’Esprit-Saint, bien que cela ne se trouverait pas à exprimer la
vérité dans sa totalité. Et il en est de même pour tous les autres noms
personnels qui signifient la personne par mode d’opération, comme c’est le
cas pour le terme «verbe» ; et c’est pourquoi on dit que le Père parle
par son verbe. |
[2286] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod diligere, prout essentialiter sumitur,
est omnibus modis idem quod esse, et quantum ad rem, et quantum ad modum
significandi, qui est significare absolute in divinis. Unde accipiendo hoc
modo diligere, nullo modo Pater diligit Spiritu sancto. Sed diligere
notionaliter sumptum, non idem est Patri quod esse, secundum modum
significandi ; quia diligere dicitur relative, et esse absolute ; et ideo non
sequitur quod Spiritu sancto sit, quamvis Spiritu sancto diligat: sicut
paternitate est Pater, nec tamen paternitate est. Sed sapere in divinis
nunquam dicitur nisi essentialiter ; et ideo nullo modo potest dici quod
Pater sit sapiens sapientia genita. |
Solutions : 1.Il faut donc dire en premier lieu
qu’aimer, selon qu’on le prend essentiellement, est identique à l’existence
de toutes les manières, à la fois quant à la chose signifiée et quant au mode
de signifier qui consiste en Dieu à signifier absolument. D’où il résulte
qu’à prendre aimer en ce sens, c’est-à-dire essentiellement, en aucune
manière le Père n’aime par l’Esprit-Saint. Mais aimer pris notionnellement
n’est pas identique à l’existence chez le Père selon le mode de signifier car
alors aimer se dit relativement tandis qu’exister se dit absolument ; et
c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il existe par l’Esprit-Saint bien qu’il
aime par l’Esprit-Saint, tout comme c’est par la paternité qu’il est Père
mais ce n’est pas par la paternité qu’il existe. Mais la sagesse en Dieu ne
se dit jamais qu’essentiellement et c’est pourquoi on ne peut en aucune
manière dire que le Père est sage par une sagesse engendrée. |
[2287] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. art., amor
personalis non se habet ad Patrem diligentem ut principium dilectionis, sed
magis ut actus denominans: et ideo non construitur in habitudine alicujus
principii, nec in habitudine formae inquantum forma est principium, sed solum
inquantum forma est denominans ; ut cum dicitur: iste est agens actione. Et
ideo, quia propositiones important expresse habitudinem causae, non ita est
propria ista: Pater diligit Filium per Spiritum sanctum, sicut haec: Pater
diligit Spiritu sancto. Quamvis etiam concedi possit, inquantum est
principium denominationis, non simpliciter. Haec autem: Pater diligit a
Spiritu sancto, nullo modo concedenda est: quia dicit principium per modum
efficientis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, que l’amour personnel
ne se rapporte pas au Père aimant comme un principe d’amour, mais plutôt
comme l’acte qui dénomme ; et c’est pourquoi il n’est pas construit dans
une relation de principe ni dans une relation de forme pour autant que la
forme est principe, mais seulement pour autant que la forme est ce qui
dénomme, comme lorsqu’on dit : «celui-ci agit dans l’action». Et c’est
pourquoi, parce que les propositions impliquent distinctement une relation de
causalité, cette proposition-ci : «le Père aime le Fils au moyen de
l’Esprit-Saint», n’est pas aussi propre que celle-là : «Le Père aime en
l’Esprit-Saint». Cette dernière en effet, bien qu’elle puisse être concédée
en tant qu’elle est principe de dénomination, elle ne doit cependant pas
l’être absolument. Mais cette proposition : «Le Père aime par
l’Esprit-Saint», ne doit être concédée en aucune manière car elle dit un
principe par mode de cause efficiente. |
[2288] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicit actum
essentialem, sed notionalem. Sciendum
tamen est, quod in actu notionali, qui est diligere, duo intelliguntur ;
scilicet actus ipse, et exitus actus ab agente: et ipse actus est persona
Spiritus sancti ; sed emanatio actus ab agente est proprie notio, sive
notionalis actus, qui est processio: et ideo etiam persona Spiritus sancti
non significatur per actum designatum verbo, quia verbum significat actum ut
egredientem ab agente, sed significatur per actum designatum nomine quod
significat actum absolute, ut amor et dilectio. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que ¨aimer¨ ne dit pas un acte essentiel, mais un acte notionnel. Il faut
cependant savoir que dans cet acte notionnel, à savoir aimer, on entend deux
choses : c’est-à-dire l’acte lui-même et la sortie de l’acte de
l’agent : et l’acte lui-même est la personne de l’Esprit-Saint ;
mais la sortie de l’acte de l’agent est proprement la notion ou l’acte
notionnel qui est la procession : et c’est pourquoi aussi la personne de
l’Esprit-Saint n’est pas signifiée au moyen d’un acte désigné par un verbe,
car le verbe signifie l’acte comme sortant de l’agent, mais il est signifié par
un acte désigné par un nom qui signifie l’acte absolument, comme l’amour. |
Diligere autem proprie dicit notionem, quia
diligere idem est quod amorem emittere. Unde in verbo diligendi importatur et
ipse actus, qui est persona, ratione cujus secundum illum actum denominatur
Pater diligens amore, qui est persona Spiritus sancti ; et importat
emissionem actus, ratione cujus est notionale. Sed hoc verbum
« spirat » significat ipsam emissionem actus, et non actum emissum:
et ideo Pater non dicitur spirans Spiritu sancto, sed actu, vel proprietate
spirationis. Et simile est de generatione: quia generatio dicit emissionem
geniti ; unde non dicitur quod Pater generat verbo ; sed « dicere »
dicit emissionem verbi, et verbum emissum: et ideo dicitur, quod dicit verbo.
Verbum autem nominat id quod emissum est, et non emissionem ; et ideo verbum
est personale, sicut et amor: et diligere est notionale, sicut dicere. |
Mais aimer dit proprement une
notion car aimer signifie la même chose qu’émettre l’amour. D’où il résulte
que dans le verve ¨aimer¨ est impliqué à la fois l’acte lui-même, qui est la
personne, en raison duquel le Père est dénommé, conformément à cet acte,
comme aimant par l’amour qui est la personne de l’Esprit-Saint ; et il
implique aussi l’émission de l’acte en raison de quoi il est notionnel. Mais
ce verbe, à savoir «il spire», signifie l’émission ou la sortie même de
l’acte et non l’acte émis : et c’est pourquoi on ne dit pas du Père
qu’il spire par l’Esprit-Saint, mais plutôt par l’acte ou par la propriété de
la spiration. Et il en est de même pour la génération : car la
génération dit l’émission de ce qui est engendré ; et de là on ne dit
pas du Père qu’il engendre par le Verbe ; mais dire dit l’émission du
verbe et le verbe émis : et c’est pourquoi on dit du Père qu’il dit par
le verbe. Mais le verbe nomme ce qui est émis et non l’émission ; et
c’est pourquoi le Verbe est personnel, tout comme l’amour, et qu’aimer est
notionnel, tout comme dire. |
[2289] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod haec est vera: Pater et Filius uniuntur
Spiritu sancto, secundum quod Spiritus sanctus est ipsa unio, sicut et amor
quo formaliter uniuntur, ut dictum est, dist. 10, quaest. 1, art. 4, sicut eo
quod ab eis procedit, sicut aliqui uniuntur uno actu. Nec tamen ista
simpliciter concedenda est, quod Spiritus uniat Patrem et Filium ; quia unire
significat per modum unientis effective, quod non convenit Spiritui sancto.
Potest tamen concedi, si intelligatur uniens formaliter, sicut albedo dicitur
facere album. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que cette proposition est vraie : le Père et le Fils sont unis par
l’Esprit-Saint, selon que l’Esprit-Saint est l’union elle-même, tout comme il
est aussi l’amour par lequel ils sont formellement unis, ainsi que nous
l’avons plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 4], tout comme ce par quoi il
procède d’eux, tout comme certains sont uni dans un même acte. Et cependant
il ne faut pas concéder absolument cette proposition, à savoir :
«L’Esprit-Saint unit le Père et le Fils». Car unir signifie par mode de ce
qui unit à la manière d’un agent, ce qui ne convient pas à l’Esprit-Saint. On
peut cependant la concéder, si on entend ¨unit¨ formellement, tout comme on
dit de la blancheur qu’elle rend blanc. |
|
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Articulus 2 [2290] Super Sent., lib. 1 d. 32
q. 1 a. 2 tit. Utrum Pater diligat se Spiritu sancto |
Article 2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ? |
[2291] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater non diligat se Spiritu
sancto. Aut enim diligere importat actum essentialem, aut notionalem. Si
essentialem, communis est toti Trinitati, et significat divinam essentiam.
Ergo non diligit se essentialiter Spiritu sancto. Si autem significat actum
notionalem ; contra: nullus actus notionalis reflectitur super
eum a quo est: non enim Pater generat se. Si igitur diligere sit actus
notionalis, videtur quod haec sit falsa: Pater diligit se Spiritu sancto |
Difficultés : 1. Il semble que le Père ne s’aime pas
par l’Esprit-Saint. Ou bien en effet ¨aimer¨ implique un acte essentiel, ou
bien il implique un acte notionnel. S’il implique un acte essentiel, il est
commun à toute la Trinité et signifie l’essence divine. Dans ce cas, il ne
s’aime pas essentiellement par l’Esprit-Saint. Mais s’il signifie un acte
notionnel, au contraire, aucun acte notionnel ne revient sur celui d’où il
procède : en effet, le Père ne s’engendre pas lui-même. Si donc ¨aimer¨
est un acte notionnel, il semble que la proposition suivante, à savoir «Le
Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint» soit fausse. |
2292] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, processio Spiritus sancti secundum ordinem naturae
praesupponit generationem Filii: quia Spiritus sanctus procedit a Patre et
Filio. Sed quidquid convenit Patri secundum seipsum, potest etiam sibi
convenire, generatione Filii non intellecta. Ergo cum diligere se dicatur de
Patre respectu sui ipsius, videtur quod non diligat se Spiritu sancto: quia
sic Spiritus sanctus intelligeretur procedere a Patre per modum amoris, etiam
Filio non existente. |
2. Par ailleurs, la procession de
l’Esprit-Saint selon l’ordre de nature présuppose la génértion du Fils :
car l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. Mais tout ce qui convient au
Père en Lui-même peut aussi lui convenir même si on fait abstraction de la
génération du Fils. Donc, lorsque ¨aimer¨ se dit du Père par rapport à
lui-même, il semble qu’il ne s’aime pas par l’Esprit-Saint car ainsi
l’Esprit-Saint serait entendu comme procédant du Père par mode d’amour même si
le Fils n’existait pas. |
[2293] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
arg. 3 Item, amor gratuitus semper in alterum tendit, ut dicit
Gregorius, Homil., XVII, in Evang., col.
113 quod caritas minus quam inter duos haberi non potest. Sed caritas creata
est exemplata a caritate increata, quae est Spiritus sanctus. Ergo videtur
quod amor iste quo diligit Pater seipsum, non sit amor personalis, qui est
Spiritus sanctus. |
3. En outre, l’amour gratuit tend
toujours vers un autre, comme le dit Saint-Grégoire [HomélieXVII, dans
l’Évangile, col. 113, t. 11] en affirmant que la charité ne peut se
retrouver entre moins de deux personnes. Mais la charité créée est
comme une copie de la charité incréée qui est l’Esprit-Saint. Il semble donc
que cet amour par lequel le Père s’aime lui-même ne soit pas l’amour
personnel qui est l’Esprit-Saint. |
[2294] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, quocumque amore amat se Pater, amat se Filius et Spiritus
sanctus. Si igitur Pater amat se Spiritu sancto, ergo et Spiritus sanctus
amabit se Spiritu sancto. Sed omnis amor procedit ab amante. Ergo Spiritus
sanctus procedit a seipso, quod est inconveniens. Ergo nec Pater Spiritu
sancto amat se. |
4. Par ailleurs, quel que soit
l’amour par lequel le Père s’aime lui-même, c’est celui par lequel le Fils et
l’Esprit-Saint s’aiment eux-mêmes. Si donc le Père s’aime par l’Esprit-Saint,
l’Esprit-Saint s’aimera par l’Esprit-Saint. Mais tout amour procède d’un
amant. Donc, l’Esprit-Saint procédera de lui-même, ce qui est absurde. Donc,
le Père ne s’aime pas lui-même par l’Esprit-Saint. |
[2295] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
s. c. 1 Contra, Pater eodem amore amat Filium et seipsum. Sed Filium diligit
Spiritu sancto. Ergo et seipsum Spiritu sancto amat. |
Cependant : 1. Au contraire, c’est par le même amour
que le Père aime le Fils et s’aime lui-même. Mais il aime le Fils par
l’Esprit-Saint. Il s’aime donc lui-même par l’Esprit-Saint. |
[2296] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea, sicut amor est proprium Spiritus sancti ; ita et verbum
proprium Filii. Sed, secundum Anselmum, Monol., c. XXXII, et
XXXIII, col. 185, Pater dicit se verbo, scilicet quod est Filius. Ergo et
amat se amore ab ipso procedente, qui est Spiritus sanctus. |
2. Par ailleurs, tout comme l’amour
est le propre de l’Esprit-Saint, de même le verbe est le propre du Fils. Mais
d’après Saint-Anselme [Monologues, ch. XXXII et XXXIII, col. 185] le
Père se dit par le verbe, c’est-à-dire par celui qui est le Fils. Donc, il
s’aime lui-même par l’amour qui procède de Lui et qui est l’Esprit-Saint. |
[2297] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod cum dicitur Pater diligit se Spiritu sancto, potest intelligi
de dilectione essentiali vel notionali. Si de dilectione essentiali, sic,
sicut nec Filium, ita nec seipsum Spiritu sancto diligit ; sed caritate
essentiali et operatione essentiali. Si autem intelligatur de dilectione
notionali, sic, sicut Filium, ita et se Spiritu sancto amat: quia diligere
notionaliter sumptum nihil aliud dicit quam esse principium amoris
personalis, qui est Spiritus sanctus ; quia amor qui significatur per modum
operationis, denominat Patrem a quo est, ut Pater dicatur Spiritu sancto
diligere. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que lorsqu’on
dit que le père s’aime par l’Esprit-Saint, cela peut s’entendre de l’amour
essentiel ou de l’amour notionnel. Si cela s’entend de l’amour essentiel,
alors il n’aime ni lui-même ni le Fils par l’Esprit-Saint mais par la charité
essentielle et par l’opération essentielle. Mais si cela s’entend de l’amour
notionnel, alors il tout comme aime le Fils par l’Esprit-Saint, de même il
s’aime lui-même par l’Esprit-Saint : car ¨aimer¨ pris notionnnellement
ne dit rien d’autre que d’être principe de l’amour personnel qui est l’Esprit-Saint ;
car l’amour qui est signifié par mode d’opération dénomme le Père duquel il
procède, de manière à dire du Père qu’il aime par l’Esprit-Saint. |
Et cum tota ratio dilectionis quae est in
Filio, sit in Patre, et e converso ; ex neutra parte potest impediri quin
Pater Spiritu sancto seipsum diligat, scilicet nec ex parte spirantis amorem,
nec ex parte diligibilis: quia ipse Pater ex una parte sufficiens principium
est Spiritus sancti, et ex alia parte sufficiens ratio diligibilitatis in
ipso est, et etiam in Spiritu sancto. Unde sicut Pater Filium Spiritu sancto
diligit ; ita et seipsum et Spiritum sanctum Spiritu sancto diligit. |
Et puisque toute disposition à
l’amour qui est dans le Fils est aussi dans le Père et inversement, d’aucun
côté il ne peut être empêché que le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint,
à savoir ni du côté de celui qui spire l’amour, ni du côté de celui qui est
aimable : car le Père lui-même d’un côté est un principe suffisant de
l’Esprit-Saint et d’un autre côté il y a en lui et même dans l’Esprit-Saint
une disposition suffisante à l’amabilité. D’où il résulte que tout comme le
Père aime le Fils par l’Esprit-Saint, de même il s’aime lui-même et
l’Esprit-Saint par l’Esprit-Saint. |
[2298] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod intelligitur
de actu notionali. Sed sciendum est, quod cum actus omnis
notionalis importet rationem principii quantum ad originem divinae personae,
hoc contingit dupliciter: quandoque enim designatur ratio principii respectu
ejus in quod terminatur actus notionalis, ut cum dicitur: Pater generat
Filium: generare enim importat habitudinem principii quae est in generante
respectu generati: et in talibus non potest fieri reciprocatio, ut dicatur
quod Pater generat se ; quia nulla persona est principium sui ipsius:
quandoque autem habitudo principii non importatur respectu ejus in quod
transit actus, ut patet cum dicitur: |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’aimer s’entend ici de l’acte notionnel. Mais il faut savoir que puisque tout acte
notionnel a raison de principe quant à l’origine de la personne divine, cela
se produit de deux manières : parfois en effet la raison de principe est
désignée par rapport à ce en quoi se termine acte notionnel, comme lorsqu’on
dit : le Père engendre le Fils ; engendrer en effet implique une
relation de principe qui est dans celui qui engendre par rapport à celui qui
est engendré, et dans ces cas il ne peut y avoir réciprocité de manière à
dire que le Père s’engendre lui-même, car nulle personne n’est le principe de
soi-même ; mais parfois la relation de principe n’est pas impliquée par
rapport à ce en quoi l’acte passe, comme on le voit lorsqu’on dit : |
Pater dat essentiam Filio: non enim
significatur Pater esse principium dati quod est essentia, sed ejus cui datur
; et similiter est in hoc verbo diligere, quod importat habitudinem
principii, non diligentis ad dilectum, sed diligentis ad amorem, qui
importatur in verbo diligit ; et ideo in talibus potest esse reciprocatio: et
hoc contingit, quia verbum diligere non tantum importat emissionem, sed ipsum
amorem emissum ; unde si accipiatur separatim id quod ad originem pertinet
tantum, non erit conversio ; non enim potest dici, quod Pater spiret se. |
Le Père donne l’essence au
Fils : cet énoncé en effet ne signifie pas que le Père est le principe
de ce qui est donné et qui est l’essence, mais plutôt de celui à qui elle est
donnée ; et il en est pareillement pour ce verbe ¨aimer¨, à savoir qu’il
implique une relation de principe non pas de celui qui aime à ce qui est
aimé, mais de celui qui aime à l’amour, laquelle est impliquée dans le verbe
¨il aime¨ ; et c’est pourquoi dans ces cas il peut y avoir
réciprocité : et il en est ainsi parce que le verbe ¨aimer¨ n’implique
pas seulement une émission, mais l’amour même qui est émis ; d’où il
résulte que si on prenait séparément ce qui appartient à l’origine seulement,
il n’y aurait pas conversion : en effet, on ne peut pas dire que le Père
se spire lui-même. |
[2299] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod si generatio Filii non esset, Pater non
diligeret se Spiritu sancto ; quia nec Pater esset, cum persona Patris
paternitate constituatur. Si tamen detur per impossibile quod persona Patris
remaneat, poterit per se amorem spirare personalem. Nec tamen ab hoc
excluditur Filius : quia omnis Patris perfectio est etiam Filii, in qua
secundum relationem originis non opponuntur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que s’il n’y avait pas la génération du Fils, le Père ne s’aimerait pas par
l’Esprit-Saint ; car le Père n’existerait pas non plus puisque la
personne du Père est constituée par la paternité. Si cependant on accordait
par impossible que la personne du Père demeure, il pourrait par lui-même
spirer l’amour personnel. Et cependant le Fils n’est pas écarté pour autant
par cela : car toute perfection du Père appartient aussi au Fils dans
laquelle ils ne s’opposent pas selon la relation d’origine. |
[2300] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod amor gratuitus non est amor privatus, qui in
alterum tendat ; nihilominus tamen et in ipsum amantem reflectitur ; non enim
tantum proximus ex caritate diligendus est ; sed etiam seipsum et quantum ad
animam et quantum ad corpus ex caritate debet homo diligere ; et ita etiam
Pater Spiritu sancto diligit. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’amour gratuit qui tend vers un autre n’est pas l’amour propre ;
néanmoins cependant il revient sur l’amant lui-même ; en effet, ce n’est
pas seulement le prochain qu’il faut aimer par charité, mais aussi lui-même
que l’homme doit aimer de charité à la fois quant à l’âme et quant au
corps ; et c’est de même encore que le Père aime par l’Esprit-Saint. |
[2301] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, Spiritus sanctus diligit se
Spiritu sancto, si intelligatur de dilectione essentiali, expresse verum est
; quia sicut seipso Deus est, ita seipso essentialiter diligens est. Si autem
intelligatur de dilectione notionali, tunc in hoc verbo diligere importatur
quasi duplex actus ; scilicet ipse actus amoris qui significat personam
Spiritus sancti, et emissionem [emissio éd. de Parme] amoris. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint s’aime lui-même par l’Esprit-Saint, si
on l’entend de l’amour essentiel, cela est manifestement vrai ; car tout
comme Dieu existe par lui-même, de même c’est par lui-même qu’il est
essentiellement aimant. Mais si on l’entend de l’amour notionnel, alors dans
ce verbe ¨aimer¨ sont impliqués comme deux actes, à savoir l’acte même de
l’amour [et l’émission Éd. de Parme] qui signifie la personne de
l’Esprit-Saint et l’émission de l’amour. |
Unde diligere notionaliter sumptum, nihil
aliud est quam spirare amorem. Per spirare enim significatur ipsa emissio ;
sed per amorem persona Spiritus sancti ; ac si diceretur generare Filium.
Unde sicut Filio non competit generare Filium, ita nec Spiritui sancto
spirare amorem. Nec ex hoc aliquid imperfectionis in Spiritu sancto vel in
Filio relinquitur, ut ex praedictis patet, dist. 7: et ideo secundum hunc sensum non
conceditur quod Spiritus sanctus notionaliter diligat. Si autem ab intellectu
hujus verbi diligit separetur actus originis per quem efficitur notionale ;
et remaneret tantum id quod personale est, scilicet ipse amor: sic Spiritui
sancto conveniret: quia ipse procedit ut operatio subsistens. |
Il résulte de là que ¨aimer¨ pris
notionnellement n’est rien d’autre que spirer l’amour. Par ¨spirer¨ en effet
on signifie l’émission elle-même ; mais par ¨amour¨ on signifie la
personne de l’Esprit-Saint ; c’est comme si on disait ¨engendrer le
Fils¨. De là, tout comme il ne revient pas au Fils d’engendrer le Fils, de
même il ne revient pas à l’Esprit-Saint de spirer l’amour. Et il ne s’ensuit
pas de là une imperfection dans l’Esprit-Saint ou dans le Fils comme on peut
le voir à partir de ce qui a été dit plus tôt dans la distinction 7 : et
c’est pourquoi on ne concède pas en ce sens que l’Esprit-Saint aime
notionnellement. Mais si on séparait de l’intelligence de ce verbe ¨il aime¨
l’acte d’origine par lequel il est rendu notionnel et qu’il restait seulement
ce qui est personnel, à savoir l’amour lui-même, alors il conviendrait à
l’Esprit-Saint d’aimer notionnellement, à savoir de spirer l’amour car Il
procède Lui-même en tant qu’opération subsistante. |
Unde ipsa operatio est operans ; et secundum
hoc Spiritus sanctus etiam seipso diligeret seipsum vel Patrem ; et tunc
diligere non importaret aliquid notionale, sed tantum personam alio modo
significatam. |
Il résulte de là que l’opération
elle-même est opérante ; et suite à cela l’Esprit-Saint aussi, par
lui-même, aimerait Lui-même ou le Père ; et alors ¨aimer¨
n’impliquerait pas quelque chose de notionnel, mais seulement la personne
signifiée d’une autre manière. |
Unde hoc verbum diligere potest tripliciter
sumi. Aut secundum quod dicit essentiam tantum ;
et tunc dicit exitum secundum rationem operationis essentialis, quae est ipsa
essentia, ab essentia divina ; et sic Pater non diligit Spiritu sancto, et
similiter Filius et Spiritus sanctus. Aut secundum quod nominat tantum personam
Spiritus sancti ; et sic etiam non dicit exitum, nisi secundum rationem ;
unde secundum hoc convenit tantum Spiritui sancto diligere. Sed iste modus
inconsuetus est. Aut dicit exitum realem ; et tunc simul
importat notionem activam, et personam Spiritus sancti ; et tunc non convenit
nisi Patri et Filio. |
D’où il résulte que ce verbe
¨aimer¨ peut se prendre de trois manières. Soit selon qu’il dit l’essence
seulement ; et alors il dit selon la raison une sortie de l’opération
essentielle, qui est l’essence elle-même, de l’essence divine ; et en ce
sens ni le Père, ni le Fils ni l’Esprit-Saint n’aime par l’Esprit-Saint. Soit selon qu’il nomme seulement la
personne de l’Esprit-Saint ; et de la sorte encore il ne dit une sortie
que selon la raison ; d’où il résulte que pris en ce sens, il ne
convient qu’à l’Esprit-Saint d’aimer. Mais ce mode est inhabituel. Ou bien encore ce verbe dit une sortie
réelle ; et alors il implique simultanément la notion active et la
personne de l’Esprit-Saint ; et alors il ne convient qu’au Père et au
Fils. |
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Articulus 3 [2302] Super Sent., lib. 1 d. 32
q. 1 a. 3 tit. Utrum Pater et Filius diligant nos Spiritu sancto |
Article 3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par l’Esprit Saint ? |
[2303] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non diligant
nos Spiritu sancto. Omne enim dictum de Deo connotans effectum in creatura,
est essentiale. Sed cum Deus dicitur creaturam diligere, in dilectione connotatur
effectus in creatura, quem diligendo confert.Ergo oportet quod essentialiter sumatur. Sed dictum
est, art. antec., quod Pater et Filius nullo modo diligunt Spiritu sancto, si
diligere essentialiter sumatur ; quia Spiritus sanctus nullam rationem habet
principii respectu alicujus essentialis, neque per modum denominantis, neque
alio modo. Ergo videtur quod Pater et Filius non diligunt nos Spiritu sancto. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père et le Fils ne nous
aiment pas par l’Esprit-Saint. En effet, tout ce qu’on dit de Dieu et qui
renvoie à un effet dans la créature est essentiel. Mais lorsqu’on dit de Dieu
qu’il aime la créature, cet amour fait connaître un effet dans la créature
qu’il se trouve à donner en aimant. Il faut donc qu’il se prenne
essentiellement. Mais nous avons dit dans l’article précédent que le Père et
le Fils n’aiment aucunement par l’Esprit-Saint si ¨aimer¨ se prend
essentiellement car l’Esprit-Saint n’a aucunement raison de principe par
rapport à quelque chose d’essentiel, ni à la manière de ce qui dénomme, ni
d’aucune autre manière. Il semble donc que le Père et le Fils ne nous aiment
pas par l’Esprit-Saint. |
[2304] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, cum dicitur, Pater diligit Filium Spiritu sancto, ut supra
dictum est, secundum opinionem Hugonis de s. Victore, ubi supra, ablativus
construitur in habitudine effectus quasi formalis. Sed in illa comparatione
qua Deus ad creaturam comparatur, nullo modo se habet Spiritus sanctus ut
effectus, immo magis id quod in creatura efficitur. Ergo videtur quod non
possit salvari haec eadem ratio veritatis. |
2. Par ailleurs, lorsqu’on dit que
le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit plus haut
d’après l’opinion de Hugues de Saint-Victor examinée plus haut, l’ablatif est
construit dans une relation d’effet formel. Mais dans cette comparaison par
laquelle Dieu se compare à la créature, l’Esprit-Saint ne se présente
aucunement comme un effet mais bien plutôt comme ce qui est produit dans la
créature. Il semble donc que cette même raison de vérité ne pourrait être
sauvée. |
[2305] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, sicut dilectio se habet ad Spiritum
sanctum, ita et generatio ad Filium. Sed Pater non generat nos Filio ; immo potius dicitur
nos regenerare Spiritu sancto. Ergo videtur quod nec nos Spiritu sancto
diligat. |
3. En outre, tout comme l’amour se
rapporte à l’Esprit-Saint, de même la génération se rapporte au Fils. Mais le
Père ne nous engendre pas par le Fils ; on dit bien plutôt qu’il nous
regénère par l’Esprit-Saint. Il semble donc qu’il ne nous aime pas par
l’Esprit-Saint. |
[2306] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3
s. c. 1 Contra est quod dicitur Joann. 17, 22: « Ut sint unum in
nobis, sicut et nos unum sumus ». Non enim loquitur ibi de unitate
essentiali tantum ; quia illo modo Deo non unimur ; sed de unitate
consonantiae, vel amoris, quod est Spiritus sanctus. Ergo videtur quod sicut
Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto, ita et nos. |
Cependant : 1. On lit au contraire dans l’Écriture
[Jean, 17, 22] : « Pour qu’ils soient un en nous tout comme nous
sommes un ». En effet, on ne parle pas là de l’unité essentielle
seulement car ce n’est pas de cette manière que nous sommes unis à Dieu, mais
par l’unité d’accord ou d’amour qui est l’Esprit-Saint. Il semble donc que
tout comme le Père et le Fils s’aiment eux-mêmes par l’Esprit-Saint, de même
ils nous aiment par l’Esprit-Saint. |
[2307] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3
s. c. 2 Praeterea, sicut verbum est proprium Filii, ita et amor proprium
Spiritus sancti. Sed Pater dicit omnem creaturam verbo suo ; unde
Augustinus, lib. I Super Gen. Ad litt., cap. II, col. 248 et
lib. II, cap. VIII, col.
269, Dixit, et facta sunt ; idest, verbum genuit in quo erat ut
fierent. Ergo diligit creaturam amore suo, qui est Spiritus sanctus. |
2. Par ailleurs, tout comme le
verbe est propre au Fils, de même l’amour est propre à l’Esprit-Saint. Mais
c’est par son verbe que le Père dit toute créature ; d’où Saint-Augustin
[Sur la Genèse, t. 1, ch. 11, col.
248 et t. 11, ch. VIII, col. 269], en partant de cette
parole : «Il dit et ils furent», dit : «Il engendra son
verbe, dans lequel il était, pour qu’ils viennent à l’existence». |
[2308] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum simpliciter quod Pater et Filius nos diligunt Spiritu sancto, sicut
supra, 10 dist., expresse habetur. Sciendum tamen est ad ejus intellectum,
quod processio divinarum personarum est quaedam origo processionis
creaturarum ; cum omne quod est primum in aliquo genere, sit causa eorum quae
sunt post ; sed tamen efficientia creaturarum essentiae communi attribuitur.
Unde dicendum est, quod cum dicitur, Pater et Filius diligunt nos Spiritu
sancto, hoc verbum diligere potest sumi essentialiter et notionaliter ; et
utroque modo vera est locutio. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut absolument dire que
le Père et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint, tout comme nous l’avons
distinctement établi plus haut à la distinction 10. Il faut cependant savoir
pour comprendre cela que la procession des personnes divines est en quelque
sorte l’origine de la procession des créatures, puisque tout ce qui est
premier dans un genre est cause des choses qui sont secondes ; mais
cependant le pouvoir de produire les créatures est attribué à l’essence
commune. D’où il faut dire que lorsqu’on dit que le Père et le Fils nous
aiment par l’Esprit-Saint, ce verbe ¨aimer¨ peut se prendre soit
essentiellement, soit notionnellement ; et dans les deux sens l’expression
est vraie. |
Si enim sumatur essentialiter, tunc in verbo
dilectionis designabitur efficientia totius Trinitatis, et in ablativo
designante personam Spiritus sancti, designabitur ratio efficientiae, non ex
parte efficientis, sed ex parte effectorum, quorum ratio et origo est
processio Spiritus sancti, sicut et verbum ; quamvis proprie verbum sit ratio
creaturarum, secundum quod exeunt a Deo per modum intellectus. Unde dicitur,
quod Pater dicit omnia verbo, vel arte sua. Sed Spiritus sanctus est ratio
earum, prout exeunt a Deo per libertatem voluntatis ; et ideo dicitur proprie
diligere creaturam Spiritu sancto, et non verbo. |
Si en effet il se prend
essentiellement, alors dans le verbe ¨aimer¨ sera désigné le pouvoir de
produire de toute la Trinité, et dans l’ablatif qui désigne la personne de
l’Esprit-Saint sera désignée la cause du pouvoir de produire, non pas du côté
de la cause efficiente, mais du côté des effets dont la cause et l’origine
est la procession de l’Esprit-Saint, tout comme le verbe, bien qu’à
proprement parler le verbe soit la cause des créatures selon qu’elles sortent
de Dieu par mode d’intelligence, d’où l’on dit que le Père dit toutes les
choses par son verbe ou par son art. Mais l’Esprit-Saint est la cause des
créatures selon qu’elles sortent de Dieu par la liberté de la volonté ;
et c’est pourquoi on dit proprement du Père qu’il aime la créature par
l’Esprit-Saint et non par le verbe. |
Si autem sumatur notionaliter ; tunc est
vera etiam locutio, sed habet aliam rationem veritatis ; quia verbum
dilectionis non importabit ex principali intentione habitudinem efficientiae
respectu creaturae ; sed principaliter denotabit rationem hujus efficientiae
ex parte effectorum, et ex consequenti dabit intelligere habitudinem
efficientiae, ut supra dictum est, 30 dist., quaest. 1, art. 3, et tunc est
sensus: Pater diligit creaturam Spiritu sancto ; idest, spirat amorem
personalem, qui est ratio omnis liberalis collationis factae a Deo creaturae. |
Mais si on prend ce verbe
notionnellement, alors l’expression reste vraie, mais pour une autre
raison ; car le verbe de l’amour n’impliquera pas de par son intention
principale une relation du pouvoir de production par rapport à la créature,
mais elle fera surtout connaître la cause de ce pouvoir du côté des effets,
et par conséquent donnera à connaître le relation du pouvoir de production,
ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 30, quest. 1, art. 3] ; et
alors le sens sera le suivant : le Père aime la créature par
l’Esprit-Saint, c’est-à-dire qu’il spire l’amour personnel qui est la cause
de toute contribution libérale faite par Dieu à la créature. |
[2309] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut dictum est,
in corp. art., utroque modo potest sumi. Si enim sumatur essentialiter, nihil sequitur
inconveniens ; quia Spiritus sanctus non designabit principium diligentium,
sed dilectorum. Unde tunc designabitur habitudo ablativi substantive in ipso
ablativo, ut dicit Praepositivus. Si autem sumatur notionaliter, nominativus
poterit connotare effectum in creatura per modum habitudinis ad terminum,
sicut supra dictum est, 30 dist., art. 2.1. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu,
tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, que le terme ¨aimer¨ peut
se prendre dans les deux sens. Si en effet on le prend essentiellement,
aucune difficulté n’en résulte car l’Esprit-Saint ne désignera pas le
principe de ceux qui aiment, mais celui de ce qui est aimé. D’où il résulte
alors que la relation de l’ablatif sera désignée comme un substantif dans
l’ablatif lui-même, comme le dit le prépositif. Mais si on le prend
notionnellement, le nominatif pourra faire connaître un effet dans la
créature par mode de relation au terme, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist.
30, quest. 1, art. 2] |
[2310] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in egressu artificiatorum ab arte est
considerare duplicem processum ; scilicet ipsius artis ab artifice, quam de
corde suo adinvenit ; et secundo processum artificiatorum ab ipsa arte
inventa ; ita etiam in processu voluntatis est duo considerare ; scilicet
exitum amoris ab amante, et secundo exitum ipsius rei datae per amorem ab
amore. Unde quantum ad primum exitum se habet Spiritus sanctus in comparatione
Dei ad creaturam ut effectus, sive quod est de principio, sicut et verbum ;
sed quantum ad secundum exitum utrumque se habet ut principium, scilicet et
verbum et amor ; sed creatura ut effectus. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que tout comme il y a deux processus à considérer dans la sortie des choses
artificielles de l’art, à savoir celui de l’art lui-même qui sort ou provient
de l’artiste et qu’il découvre de par sa propre intellgence, et deuxièmement
celui des choses artificielles qui procède de l’art qui a été découvert, de
même encore il y a deux choses à considérer dans le processus de la
volonté : à savoir le processus par lequel l’amour sort de l’amant, et
deuxièmement la sortie de la chose donnée elle-même par amour par l’amant. D’où
il résulte, quant à la première sortie, que l’Esprit-Saint se présente, dans
la comparaison de Dieu à la créature, comme un effet ou comme ce qui provient
d’un principe, tout comme le verbe ; mais quant à la deuxième sortie les
deux, à savoir le verbe et l’amour, se présentent comme un principe mais la
créature se présente comme un effet. |
[2311] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc verbum generat importat tantum originem
personae, et non importat personam per modum actus, sicut diligere et dicere
important utrumque ; et ideo Pater non denominatur generans Filio, sed
generatione ; denominatur autem diligens amore qui est Spiritus sanctus.
Generatio autem qua nos regenerat, non est per naturam, sed per voluntatem ;
et ideo ex parte nostra accipiendo, Spiritus sanctus est ratio talis
generationis magis quam Filius, qui procedit per modum naturae. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que ce verbe, à savoir ¨il engendre¨, implique seulement l’origine de la
personne et il n’implique pas la personne par mode d’acte, tout comme ¨aimer¨
et ¨dire¨ impliquent les deux ; et c’est pourquoi le Père n’est pas
dénommé comme engendrant par le Fils mais par la génération ; il est
cependant dénommé comme aimant par l’amour qui est l’Esprit-Saint. Mais la
génération par laquelle il nous regénère n’a cependant pas lieu par la nature
mais par la volonté ; et c’est pourquoi, en le prenant de notre côté,
l’Esprit-Saint est la cause d’une telle génération plutôt que le Fils qui
procède par mode de nature. |
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Question 2 – [Ce qui convient au Fils] |
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Prooemium |
Prologue |
[2312] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 pr.
Deinde quaeritur de his quae pertinent ad Filium ; et circa hoc quaeruntur
duo: 1 utrum Pater sit sapiens Filio, vel
sapientia genita ; 2 utrum ipse Filius
sapientia genita vel ingenita sapiens sit. |
On
s’interroge ensuite sur ce qui se rapporte au Fils et à ce sujet on cherche à
répondre à deux questions: 1. Est-ce que le
Père est sage par le Fils ou par une sagesse engendrée? 2. Est-ce que le
Fils lui-même est sage par une sagesse engendrée ou par une sagesse
inengendrée? |
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Articulus 1 [2313] Super Sent., lib. 1 d. 32
q. 2 a. 1 tit. Utrum Pater sit sapiens sapientia genita |
Article 1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée ? |
[2314] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater sit sapiens sapientia
genita. Omnis enim sapiens sua sapientia sapiens dicitur. Sed Filius est
sapientia Patris, qui est sapientia ingenita. Ergo et
cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père soit sage par
une sagesse engendrée. On appelle sage en effet celui qui est sage par sa
propre sagesse. Mais le Fils est la sagesse du Père qui est une sagesse
inengendrée. Donc, etc. |
[2315] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, omnis sapiens est sapiens illa sapientia sine qua sapiens
non esset. Sed sine Filio Pater sapiens non esset, ut supra dixit Augustinus,
9 dist. Ergo videtur quod Pater sit sapiens Filio, vel sapientia genita. |
2. Par ailleurs, tout sage est sage par
cette sagesse sans laquelle il ne serait pas sage. Mais le Père ne serait pas
sage sans le Fils, comme l’a dit plus haut Saint-Augustin à la distinction
9. Il semble donc que le Père soit sage par le Fills ou par une sagesse
engendrée. |
[2316] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1
arg. 3 Item, illa sapientia quis sapiens dicitur in qua videt ea quae ipse
cognoscit. Sed supra dixit Augustinus, 31 distinct.: « Ibi,
scilicet in verbo, videt omnia Deus ». Ergo et cetera. |
3. En outre, on dit d’un tel qu’il
est sage par cette sagesse dans laquelle il voit les choses que lui-même
connaît. Mais Saint-Augustin a dit plus haut à la distinction 31 : «Là,
c’est-à-dire dans le verbe, Dieu voit tout». Donc, le Père est sage par
une sagesse engendrée. |
[2317] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, Deus sapiens non diceretur nisi seipsum videret. Sed seipsum videt in
Filio, sicut res videtur in sua imagine. Ergo videtur quod sit sapiens Filio, vel sapientia
genita. |
4. De plus, on ne dirait pas de
Dieu qu’il est sage s’il ne se voyait pas lui-même. Mais il se voit lui-même
dans le Fils, tout comme une chose est vue dans son image. Il semble donc
qu’il soit sage par le Fils ou par une sagesse engendrée. |
[2318] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1
s. c. 1 Contra est quod in Littera ab Augustino dicitur. |
Cependant : 1. Ce que dit Saint-Augustin dans la
Lettre est contraire à ce qu’on conclut dans ces difficultés. |
[2319] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quamvis Pater dicat se verbo suo, nullo modo concedendum est
quod sapientia genita sapiens sit ; et hoc propter diversum modum
significandi in utroque. Verbum enim significat per modum operationis, quae
denominat illud a quo progreditur, scilicet operantem ; unde Pater
denominatur dicens verbo genito, sicut et diligens amore procedente. Sed
sapientia significatur per modum formae manentis in eo cujus est ; unde non
potest denominari aliquis sapiens nisi per id quod in ipso est, et non per id
quod ab ipso est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que bien que
le Père se dise par son verbe, il ne faut absolument pas concéder qu’il soit
sage par une sagesse engendrée, et cela à cause de la manière de signifier
qui diffère dans les deux cas. Le verbe en effet signifie par mode
d’opération, laquelle dénomme celui duquel elle sort, à savoir celui qui pose
l’opération ; d’où le Père est dénommé comme celui qui dit par le verbe
engendré, tout comme il est dénommé comme celui qui aime par l’amour qui
procède de lui. Mais la sagesse est signifiée à la manière d’une forme qui
demeure dans celui auquel elle appartient ; il résulte de là qu’un être
ne peut être dénommé sage que par ce qui est en lui et non par ce qui procède
de lui. |
Quidquid autem significatur esse in aliquo
per modum formae vel substantialis vel accidentalis, significatur ut
principium alicujus in ipso ; quia forma substantialis est principium
substantialis esse ; et accidentalis dat aliquod esse, scilicet accidentale ;
et utraque principium est operationis in eo in quo est. Cum autem Filius
nullam rationem principii habeat respectu Patris, non potest dici, quod Pater
Filio, vel sapientia genita, sapiens sit. |
Mais tout ce qui est signifié comme
existant dans un être à la manière d’une forme, qu’elle soit substantielle ou
accidentelle, est signifié comme principe de quelque chose en lui ; car
la forme substantielle est principe de l’existence substantielle tandis que
la forme accidentelle donne une certaine existence, à savoir l’existence
accidentelle ; et l’une et l’autre est principe d’opération dans celui
dans lequel elle est. Mais puisque le Fils n’a aucunement raison de principe
par rapport au Père, on ne peut pas dire que le Père soit sage par le Fils ou
par une sagesse engendrée. |
[2320] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sapientia Patris dicitur dupliciter:
scilicet sapientia quae in ipso est, quae est essentialis sapientia ; et hac
formaliter sapiens est, sicut quilibet sapiens denominatur sapiens sapientia
quae in eo est. Dicitur etiam sapientia Patris quae est a Patre procedens ;
et hac non denominatur sapiens, sicut nec homo sapiens denominatur a
sapientia quam in alterum docendo producit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la sagesse du Père se dit de deux manières : à savoir la sagesse qui est
en lui et qui est la sagesse essentielle ; et par cette sagesse il est
formellement sage, tout comme toute personne sage est appelée sage par la
sagesse qui est en elle. Mais la sagesse du Père se dit aussi de celle qui
procède du Père et ce n’est pas par cette sagesse qu’il est appelé sage, tout
comme ce n’est pas par la sagesse qu’il produit dans un autre par
l’enseignement qu’un homme est appelé sage. |
[2321] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus in illa ratione contra haereticum
accipit sapientiam essentialem, sine qua Pater sapiens non esset, secundum
quod ab apostolo est appropriata Filio, 1 Corinth. 1, 24: « Christum
Dei virtutem, et Dei sapientiam » ; et sapientia in ratione
appropriata non esset, si Filius non esset: unde oportet Filium patri
coaeternum esse, sicut et sapientiam Filio appropriatam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans
ce raisonnement contre l’hérétique Saint-Augustin prend la sagesse
essentiellement sans laquelle le Père ne serait pas sage, selon qu’elle est
appropriée au Fils par l’Apôtre [1 Corinthiens, ch. 1, v.
24] : «Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu» ; et
la sagesse n’aurait pas raison d’être appropriée si le Fils n’existait
pas ; d’où il faut que le Fils soit coéternel au Père tout comme il faut
que la sagesse soit appropriée au Fils. |
[2322] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod videre in aliquo
dicitur dupliciter. Aut cujus cognitionem in eo accipit, sicut intellectus
scientiam in sensibilibus accipit, vel intellectus possibilis in lumine
intellectus agentis, vel discipulus in verbo magistri dicto vel scripto. Aut
rem cognitam in alio repraesentatam intueri ; sicut aedificator videt artem
suam in domo quam facit, vel sicut aliquis videt illud quod scit, in libro
ubi scriptum est. Primo ergo modo Pater nihil videt in Filio, quia non
accipit cognitionem a Filio ; sed secundo modo ; quia rationes ipsas omnium
creaturarum in verbo suo posuit, ipsum generando. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que voir dans un autre se dit en deux sens. Soit de
celui d’où il reçoit la connaissance, tout comme l’intelligence reçoit la
science des choses sensibles, comme l’intellect possible reçoit de la lumière
de l’intellect agent, ou comme le disciple qui reçoit du verbe dit ou écrit
par le maître. Ou bien cela se dit aussi de la considération d’une chose
connue représentée dans une autre, tout comme le constructeur voit son art
dans la maison qu’il fait, ou comme quelqu’un voit ce qu’il sait dans le
livre où cela est écrit. Donc dans le premier sens le Père ne voit rien dans
le Fils car il ne reçoit pas sa connaissance du Fils; mais dans le deuxième
sens il voit quelque chose dans le Fils car c’est dans son verbe qu’il a
placé les raisons mêmes de toutes les créatures en l’engendrant. |
[2323] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod
quamvis Pater videat in verbo creaturam, non tamen ibi videt se. Non tamen
video causam quare sicut per modum praedictum creaturam in verbo videt, quae
ibi relucet, non multo magis seipsum videat, qui perfectissime in verbo
repraesentatur ; et sic etiam non est inconveniens quod per modum istum in
creatura se videat, quae ipsius divinae bonitatis repraesentativa est per
imaginem vel vestigium ; non tamen sequitur quod Pater sapiens sit sapientia
genita. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que certains disent que bien que le Père voit la
créature dans le verbe, ce n’est cependant pas dans le verbe qu’il se voit
lui-même. Mais je ne vois cependant pas la raison pour laquelle, tout comme
de la manière qui précède il voit la créature dans le verbe où elle brille de
sa lumière, le Père ne se verrait pas encore bien davantage lui-même, lui qui
est représenté de la manière la plus parfaite dans le verbe; et de cette
manière il n’y a pas de difficulté à ce que le Père se voit dans la créature,
laquelle représente, à la manière d’une image ou d’un vestige, la bonté
divine elle-même. Il ne s’ensuit cependant pas que le Père soit sage d’une
sagesse engendrée. |
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Articulus 2 [2324] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
tit. Utrum Filius sit sapiens sapientia
genita |
Article 2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
–
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[2325] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit sapiens
sapientia genita. Filius enim non alio est sapiens quam Pater, sicut nec alio
est Deus. Sed Pater est sapiens sapientia essentiali. Ergo et Filius
sapientia essentiali sapiens est. Sed sapientia essentialis non est genita,
sicut nec essentia. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne soit pas sage
d’une sagesse engendrée. Le Fils en effet n’est pas sage par un autre que le
Père, tout comme il n’est pas Dieu par un autre que le Père. Mais le Père est
sage par une sagesse essentielle. Donc le Fils est sage d’une sagesse
essentielle. Maisla sagesse essentielle, tout comme l’essence, n’est pas
engendrée. Donc, le Fils n’est pas sage d’une sagesse engendrée. |
[2326] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, sapientia qua denominatur aliquis sapiens, habet
aliquam rationem principii respectu ipsius sapientis. Sed Filius nullo modo
sui ipsius principium est. Ergo videtur quod non sit sapiens sapientia
genita. |
2. Par ailleurs, la sagesse par
laquelle quelqu’un est appelé sage a raison de principe par rapport à celui
qui est sage. Mais le Fils n’est en aucune manière principe de lui-même. Il
semble donc qu’il ne soit pas sage d’une sagesse engendrée. |
[2327] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 3 Item, sicut supra hac dist. dixit Magister, sapientia genita est
ipsa hypostasis filii ; hypostasis autem non significatur per modum formae. Cum
igitur denominatio fiat a forma, videtur quod non possit dici sapiens
sapientia genita. |
3. De plus, tout comme le Maître l’a dit
plus haut, la sagesse engendrée est l’hypostase même du Fils ; mais
l’hypostase n’est pas signifiée par mode de forme. Donc puisque la
dénomination se tire de la forme, il semble qu’on ne puisse dire que le Fils
soit sage d’une sagesse engendrée. |
[2328] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 4 Contra, omne quod per se non est sapiens, non est sapiens nisi
per accidens. Sed Filius non est sapiens per accidens. Ergo est sapiens per
se. Sed ipse est sapientia genita. Ergo est sapiens sapientia genita. |
4. Au contraire, tout ce qui n’est
pas sage par soi n’est sage que par accident. Mais le Fils n’est pas sage par
accident. Donc il est sage par soi ou essentiellement. Mais lui-même est la
sagesse engendrée. Il est donc sage d’une sagesse engendrée. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
–
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[2329] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit sapiens sapientia ingenita ; et
videtur quod non. Quia sapientia qua aliquis denominatur sapiens,
significatur esse in sapiente per modum formae inhaerentis. Non autem sic
Pater est in Filio, sicut nec e contra. Ergo sicut Pater non dicitur sapiens
sapientia genita, ita nec Filius sapientia ingenita. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite s’il est
sage d’une sagesse inengendrée ; et il semble que non. Car la sagesse
par laquelle quelqu’un est appelé sage est signifiée comme existant par mode
de forme inhérente dans celui qui est sage. Mais ce n’est pas ainsi que le
Père existe dans le Fils ni inversement. Donc, tout comme on ne dit pas du
Père qu’il est sage d’une sagesse engendrée, de même on ne dit pas du Fils
qu’il est sage d’une sagesse inengendrée. |
[2330] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Contra, omnis sapiens, illa sapientia sapiens dicitur a qua
habet quod sit sapiens. Sed Filius a Patre, qui est sapientia ingenita, habet
quod sit sapiens. Ergo Filius est sapiens sapientia ingenita. |
Cependant : Tout sage est appelé sage par cette
sagesse de laquelle il tient d’être sage. Mais c’est du Père, qui est la
sagesse inengendrée, que le Fils tient d’être sage. Donc le Fils est sage
d’une sagesse inengendrée. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[2331] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod istae
praepositiones, « a » et « per », in hoc differunt ; quia
« a » designat tantum habitudinem principii per modum efficientis ;
sed « per » designat habitudinem principii secundum quodlibet genus
causae ; unde omne illud quod est ab aliquo, est per illud ; sed non
convertitur. In divinis
autem non potest esse nisi habitudo secundum duplex genus causae ; quarum una
tantum est habitudo realis, scilicet per modum causae efficientis vel
originantis, sicut Pater dicitur principium Filii ; alia vero habitudo
principii potest designari in divinis secundum rationem tantum et non
realiter, scilicet habitudo formae, ut cum dicimus quod Pater est Deus per
deitatem suam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que ces
prépositions ¨a¨, à savoir ¨par¨ et ¨per¨, à savoir ¨au moyen de¨, diffèrent
en ceci que ¨a¨, à savoir ¨par¨ désigne seulement la relation de principe à
la manière d’une cause efficiente ; mais ¨per¨, à savoir ¨au moyen de¨,
désigne la relation de principe selon tout genre de cause ; d’où il
résulte que tout ce qui existe par un autre existe au moyen de cet autre,
mais non inversement. Mais en Dieu il ne peut y avoir relation que selon deux
genres de causes, dont une seulement est une relation réelle, à savoir à la
manière d’une cause efficiente ou originelle, tout comme on dit du Père qu’il
est le principe du Fils ; mais l’autre relation de principe peut être
désignée en Dieu selon la raison seulement et non réellement, à savoir la
relation de forme, comme lorsque nous disons que le Père est Dieu par sa
divinité. |
Cum ergo dicitur quod Filius est sapiens
sapientia, ablativus iste non potest construi nisi vel in aliqua habitudine
quasi efficientis ; et sic falsa est ; est enim sensus, quod Filius sit
sapiens a sapientia genita, et sit sapiens a seipso, quod falsum est ; quia
sicut esse, ita et sapere habet a Patre, qui sapientia ingenita est. Unde
dicitur per modum istum sapiens a sapientia ingenita, vel per sapientiam
ingenitam, si ly per designat habitudinem principii efficientis ; et
similiter a sapientia ingenita ; non autem a se vel per se vel seipso hoc
modo sapiens est. |
Donc, lorsqu’on dit que le Fils est
sage par la sagesse, cet ablatif ne peut être construit que de deux
manières : soit dans une relation de cause efficiente et alors la
proposition est fausse ; le sens en effet est que le Fils est sage par
une sagesse engendrée et ainsi qu’il est sage par lui-même, ce qui est
faux ; car tout comme son existence, il tient sa sagesse du Père, lequel
est une sagesse inengendrée. D’où l’on dit, suivant cette manière, que le
Fils est sage par une sagesse inengendrée ou au moyen d’une sagesse
inengendrée, si ce ¨per¨, c’est-à-dire ¨au moyen de¨, tout comme ce ¨a¨, à
savoir ¨par¨, désigne la relation d’une cause efficiente ; mais ce n’est
pas par lui-même, ni au moyen de lui-même ni de lui-même que le Fils est sage
d’une sagesse inengendrée. |
Aut construitur in habitudine quasi
principii formalis. Hoc autem contingit dupliciter: quia quod sequitur formam
alicujus rei, potest dici esse per formam illam, sicut homo dicitur
intelligere per animam ; vel per habentem formam ; sicut dicimus quod homo
per se est rationalis, quia per id quod est de essentia sua, scilicet per
animam rationalem ; per se enim, secundum philosophum, significat quod est
per essentiam rei. |
Ou bien encore cet ablatif est
construit dans une relation de principe formel. Mais cela se produit de deux
manières : car on peut dire au sujet de ce qui découle de la forme d’une
chose qu’il existe au moyen de cette
forme, tout comme on dit de l’homme qu’il conçoit au moyen de son âme, ou
bien qu’il existe au moyen de ce qui possède la forme, tout comme nous disons
que l’homme est essentiellement rationnel parce que c’est au moyen de ce qui
fait partie de son essence, c’est-à-dire au moyen de son âme rationnelle,
qu’il est rationnel ; en effet, ¨par soi¨, d’après le Philosophe,
signifie ce qui existe au moyen de l’essence de la chose. |
Si igitur consideretur illud quo Filius
formaliter sapiens est, hoc est sapientia essentialis, quae neque genita
neque ingenita est ; et sic per eam et ea sapiens dicitur ; sed nullo modo ab
ea, quia essentia non generat. Si autem consideretur habens illam formam quae
est ipsa hypostasis Filii, quae etiam sapientia genita dicitur ; sic per
sapientiam genitam vel per se sapiens dicitur, sive sapientia genita vel
seipso. |
Si donc on considère ce par quoi le
Fils est formellement sage, c’est-à-dire la sagesse essentielle, laquelle n’est
ni engendrée ni inengendrée, alors on dit du Fils qu’il est sage de cette
sagesse et au moyen de cette sagesse, mais en aucune manière qu’il est sage
¨par¨ cette sagesse car l’essence, d’elle-même, n’engendre pas. Mais si on
considérait celui-là même qui possède cette forme et qui est l’hypostase même
du Fils et dont on dit aussi qu’elle est la sagesse engendrée, alors on dit
de Lui soit qu’il est sage au moyen de la sagesse engendrée ou qu’il est
essentiellement sage, ou bien qu’il est sage d’une sagesse engendrée ou de
lui-même. |
[2332] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 ad 1
Ad primum igitur dicendum, quod sapientia, secundum quod supponit essentiam,
non potest dici ingenita vel genita ; sed secundum quod supponit hypostasim ;
semper tamen essentiam significat, sicut etiam hoc nomen « Deus ».
Et quare hoc nomen sapientia potius talem suppositionem habere possit quam
hoc nomen essentia, supra, 5 distinct., quaest. 1, art. 2, dictum est. Et
tunc, quamvis sit eadem essentia quae est Pater et Filius, non tamen eadem
hypostasis ; et ita non sequitur quod sapientia genita Pater sapiens sit, sed
tantum Filius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la sagesse, selon qu’elle suppose l’essence, ne peut être
appelée engendrée ou inengendrée ; mais selon qu’elle suppose
l’hypostase, elle signifie cependant toujours l’essence, tout comme aussi ce
nom «Dieu». Et pourquoi ce nom de sagesse peut, de préférence au nom
¨essence¨, avoir une telle supposition, nous l’avons dit plus haut [dist. 5,
quest. 1, art. 2]. Et alors, bien que le Père et le Fils possèdent la même
essence, ils n’ont pas la même hypostase ; et ainsi il ne s’ensuit pas
que le Père soit sage d’une sagesse engendrée, mais seulement le Fils. |
[2333] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illis quae dicuntur per se, est
aliquid de essentia rei accipere quod est principium illius quod per se
praedicatur, sicut rationale de homine ; nec oportet quod ipsum suppositum de
quo per se aliquid dicitur, sit principium illius, nisi sicut habens vel
sicut operans, ut quando aliqua operatio dicitur esse per se alicujus ; ita
etiam non oportet quod ipsa hypostasis Filii sit principium sui ipsius ; sed
ut id quod est essentia ejus, vel de essentia, sit principium formale hujus
quod est sapientem esse ; et hoc competit Filio, quia per essentiam suam,
quam communem cum Patre habet, sapiens est ; et ideo per se sapiens dicitur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que pour les prédicats qui sont attribués essentiellement, il faut prendre
dans l’essence de la chose quelque chose qui soit principe de ce qui est
attribué essentiellement, comme rationnel qui est attribué à l’homme ;
et il n’est nécessaire que le suppôt auquel on attribue essentiellement ce
prédicat soit lui-même le principe de ce prédicat qu’en tant qu’il le possède
ou l’opère, comme lorsqu’on dit qu’une opération appartient essentiellement à
un être ; de même encore il n’est pas nécessaire que l’hypostase
elle-même du Fils soit le principe d’elle-même ; mais comme ce qui est
son essence ou ce qui fait partie de son essence, est le principe formel du
fait qu’il soit sage, et que cela appartient au Fils parce que c’est au moyen
de son essence qu’il a en commun avec son Père qu’il est sage, c’est pourquoi
on dit du Fils qu’il est essentiellement sage. |
[2334] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. Et
par là la réponse à la troisième difficulté est évidente. |
[2335] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 4 Et quartum concedimus. |
4. Nous concédons la
quatrième difficulté. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
|
[2336] Super Sent.,
lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius
est sapiens sapientia ingenita, si ablativus construatur in habitudine
principii quasi efficientis ; non autem si construatur in habitudine
principii quasi formalis ; immo sic sapientia essentiali sapiens est, vel
seipso. |
Corps de l’article : Par rapport à ce qui est
recherché par la suite il faut dire que le Fils est sage d’une sagesse
inengendrée, si l’ablatif est construit dans une relation de principe à la
manière d’une cause efficiente, mais non pas s’il est construit dans une
relation de principe à la manière d’une forme ; bien au contraire alors
il est sage d’une sagesse essentielle ou de lui-même. |
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Distinctio 33 |
Distinction 33 – [Les propriétés et l’essence] |
Quaestio 1 |
Question unique – [Les propriétés et l’essence] |
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Prooemium |
Prologue |
[2338] d. 33 q. 1 pr. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum proprietates sint divina essentia ; 2 utrum sint ipsae personae ; 3 utrum sint in personis et in essentia ; 4 utrum de proprietatibus possint praedicari adjectiva
essentialia et personalia ; 5 utrum de notionibus sine peccato contrariae opiniones
esse possint. |
On cherche ici à répondre à cinq
questions : 1. Est-ce que les propriétés divines sont
l’essence divine ? 2. Est-ce qu’elles sont les personnes
elles-mêmes ? 3. Est-ce qu’elles sont dans les
personnes et dans l’essence ? 4. Est-ce que les adjectifs essentiels et
personnels peuvent être attribués aux propriétés ? 5. Est-ce que les opinions contraires au
sujet des notions peuvent être sans péché ? |
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Articulus 1 [2339] d. 33 q. 1 a. 1 tit. Utrum
relationes divinae sint essentia divina |
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence ? |
[2340] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum igitur sic
proceditur. Videtur quod relationes
ipsae non sint essentia divina. Aut enim quae relative in Deo dicuntur, sunt
relativa secundum esse aut tantum secundum dici. Sed non tantum secundum dici
; quia sic incideret haeresis Sabellii, ut supra, dist. 31, in Expos. text.,
in notula Hilarii habitum est. Ergo sunt relativa secundum esse. Sed talium
relationum, secundum Philosophum, in Praed., cap. « ad aliquid », esse, est ad aliud se habere.
Ergo cum essentiae divinae esse non sit ad aliud se habere, sed sit esse
absolutum, videtur quod non sit idem cum relatione quae secundum esse ad
aliud est. |
Difficultés : 1. Il semble que les relations
elles-mêmes ne soient pas l’essence divine. En effet, les prédicats qu’on
attribue relativement à Dieu sont ou bien des relatifs selon l’existence ou
bien des relatifs selon l’appellation. Mais ils ne sont pas seulement des
relatifs selon l’appellation car on tomberait ainsi dans l’erreur de Sabellius,
comme nous l’avons établi plus haut à la distinction 31. Ils sont donc des
relatifs selon l’existence. Mais pour de tels relatifs, d’après le Philosophe
[Les Prédicaments, ch. Sur la Relation], exister comme relatif, c’est se
rapporter à un autre. Donc, puisque l’existence de l’essence divine ne
consiste pas à se rapporter à un autre mais plutôt à exister absolument, il
semble que l’existence divine ne soit pas la même chose que la relation dont
l’existence consiste à se rapporter à un autre. |
[2341] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque
sunt idem secundum rem, in quocumque est unum, et alterum, nec potest
instantia fieri. Sed non in quocumque est essentia divina, est paternitas ;
quia essentia divina est in Filio, in quo paternitas non est. Ergo essentia
divina non est idem quod paternitas ; et eadem ratione nec idem quod alia
proprietas. |
2. Par ailleurs, pour toutes les
choses qui sont identiques réellement, partout où l’on rencontre l’une chose
on rencontre aussi l’autre il n’y a pas à insister. Mais ce n’est pas partout
où on retrouve l’essence divine qu’il y a la paternité ; car l’essence
divine est dans le Fils où on ne retrouve pas la paternité. L’essence divine
n’est donc pas identique à la paternité et pour la même raison elle n’est pas
identique à une autre propriété. |
[2342] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod
est idem re, sed differt ratione ; contra. Aut ista ratio
est aliquid in re, aut nihil. Si nihil, cum non sit distinctio nisi secundum
relationes, tunc distinctio personarum non erit secundum rem, sed secundum
rationem tantum, vel intellectum. Si autem sit aliquid in re, constat quod
quidquid est realiter in Deo, Deus vel essentia divina habet illud. Sed in
Deo, est idem habens et quod habetur, ut in Littera dicitur.
Ergo essentia divina est ratio paternitatis, sicut et ipsa res quae est
paternitas. Ergo non solum sunt idem re, sed etiam ratione, si re idem
ponantur. |
3. Si tu dis que les deux sont
identiques réellement mais diffèrent selon la raison, je réponds par contre
que cette raison ou cette notion est ou bien quelque chose dans la réalité ou
bien elle n’est rien. Si elle n’est rien, puisqu’il n’y a de distinction
entre les personnes que par les relations, alors la distinction des personnes
ne sera plus selon la réalité mais seulement selon la raison ou selon
l’intelligence. Mais si cette raison est quelque chose dans la réalité, il
est clair que tout ce qui existe réellement en Dieu, Dieu ou l’essence divine
le possède. Mais en Dieu, ce qui possède et ce qui est possédé est identique,
ainsi qu’on le dit dans la Lettre. Donc l’essence divine est la
notion de paternité, tout comme elle est aussi la chose même qui est la
paternité. Les relations sont donc identiques à l’essence non
seulement réellement mais aussi par la raison ou la notion, si on
pose qu’elles sont identiques réellement. |
[2343] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 4 Item,
si sunt idem re, sed differunt ratione solum ; ergo proprietas vel relatio
non addit supra essentiam nisi rationem quamdam. Sed similiter relationes
quae dicuntur ex tempore, ponunt circa essentiam divinam aliquas habitudines
secundum rationem. Ergo videtur quod non magis sunt in Deo istae relationes
quibus distinguuntur personae, quam istae quae dicuntur de Deo ex tempore.
Sed istae sunt tantum assistentes, et non inhaerentes ; alias non possent
advenire sine aliqua mutatione ipsius Dei. Ergo videtur quod istae relationes
quae distinguunt personas, sint etiam assistentes, et non essentia divin |
4. En outre, si elles sont
identiques réellement mais diffèrent par la raison seulement, il s’ensuit que
la propriété ou la relation n’ajoute à l’essence qu’une certaine raison. Mais
de la même manière les relations qui se disent en dépendance du temps posent
sur l’essence divine certaines relations selon la raison. Il semble donc que
ces relations par lesquelles les personnes se distinguent ne sont pas
davantage en Dieu que celles qui se disent de Dieu en la dépendance du temps.
Mais ces dernières sont seulement des relations assistantes et non des
relations inhérentes autrement elles ne pourraient survenir sans quelque
changement en Dieu lui-même. Il semble donc que ces relations qui distinguent
les personnes soient elles aussi assistantes et ne soient pas l’essence
divine. |
[2344] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, sicut est alia
ratio paternitatis et essentiae ; ita est alia ratio essentiae et bonitatis
divinae. Si ergo propter hoc dicit Augustinus, ubi supra, In ps
LXVIIIquod Deus alio est Pater, alio Deus ; eadem ratione deberet dicere,
quod alio est Deus, alio bonus. Hoc autem non dicit, immo contrarium asserit.
Ergo videtur quod cum dicit, quod alio est Pater, alio est Deus, non intendat
distinguere secundum rationem tantum, sed etiam secundum rem ; et ita videtur
quod paternitas qua Pater est non sit essentia divina qua Deus est. |
5. En outre, tout comme la notion de
paternité est autre que celle de l’essence, de même la notion de l’essence
est autre que celle de la bonté divine. Si donc pour cette raison
Saint-Augustin dit plus haut [Dans le Psaume LXVIII] que c’est par
autre chose que Dieu est Père et qu’il est Dieu, pour la même raison il
devrait dire que c’est par autre chose qu’il est Dieu et qu’il est bon. Mais
il ne dit pas cela mais bien plutôt il affirme le contraire. Il semble donc
que lorsqu’on dit que c’est par autre chose que Dieu est Père et que Dieu est
Dieu, on ne cherche pas à distinguer selon la raison seulement, mais aussi
selon la réalité ; et il semble ainsi que la paternité par laquelle Dieu
est Père ne soit pas identique à l’essence divine par laquelle il est Dieu. |
[2345] d. 33 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, nihil est
adorandum adoratione latriae nisi Deus. Sed proprietates personarum
sunt adorandae, ut cantatur in praefatione missae ss. Trinitatis: « Ut
in personis proprietas, et in essentia unitas, et in majestate adoretur
aequalitas ». Ergo videtur quod etiam ipsae proprietates sunt
aliquid in re, aut nihil. Si nihil,
cum personae non distinguantur nisi proprietatibus, tunc personae non
distinguuntur ad invicem secundum rem, quod est haeresis Sabellii. Si autem sunt aliquid in re, illud aliquid quod sunt,
aut est divina essentia, aut aliquid aliud. Si divina essentia habetur
propositum [Si…propositum om. éd. de Parme]. Si aliquid aliud,
illud est in persona in qua est proprietas. Sed in persona etiam est
essentia. Ergo in persona est aliud et aliud. Ergo est composita. Sed nullum
compositum est Deus, ut supra probatum est, dist. 8, quaest. 4, art. 1. Ergo
persona divina non est Deus, et ita Pater non est Deus, nec Filius est Deus:
quod excedit etiam errorem Arii. Ergo oportet quod proprietates sint essentia
divina. |
Cependant : 1. Au contraire, il n’y a que Dieu qui
doive être adoré par un culte de latrie. Mais les propriétés des personnes
doivent être adorées, comme on le chante dans la préface de la messe de la
Sainte Trinité : «Afin que soit adorée la propriété dans les personnes
et l’égalité dans la majesté». Il semble donc que les propriétés elles-mêmes
aussi soient quelque chose dans la réalité ou qu’elles ne soient rien. Si
elles ne sont rien, puisque les personnes ne se distinguent que par les
propriétés, alors les personnes ne se distinguent pas les unes des autres
réellement, ce qui constitue l’hérésie de Sabellius. Mais si les propriétés sont quelque chose
dans la réalité, ce quelque chose qu’elles sont sera ou bien l’essence
divine, ou bien quelque chose d’autre. Si l’essence divine est établie comme
propos [Si … propositum om. Éd. De Parme]. Si les propriétés sont
quelque chose d’autre, cet autre est aussi dans la personne dans laquelle est
la propriété. Mais dans la personne il y a aussi l’essence. Donc dans la
personne il y a ceci mais aussi autre chose. Donc la personne est
composée. Mais nul composé n’est Dieu, comme nous l’avons prouvé plus haut
[dist. 8, quest. 4, art. 1]. Donc la personne divine n’est pas Dieu et ainsi
ni le Père ni le Fils n’est Dieu : ce qui surpasse même l’erreur
d’Arius. Il faut donc que les propriétés soient l’essence divine. |
[2346] d. 33 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
simpliciter confitendum est proprietates esse divinam essentiam. Error enim
iste qui inLittera tangitur, dicitur Porretani fuisse, quem
postmodum in Rhemensi Concilio retractavit. Cum enim, ut supra dictum est,
distinct. 8, qu. 4, art. 3, in relatione sint duo, scilicet relationis
respectus, quo ad alterum refertur, in quo consistit relationis ratio ; et
iterum ipsum esse relationis, quod habet secundum quod in aliqua re fundatur,
vel quantitate, vel essentia, vel aliquo hujusmodi ; consideraverat
relationes divinas secundum respectum in quo relationis ratio consistit, ex
quo non habet quod aliquam rem inhaerentem imponat [importet éd de
Parme]. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il faut
absolument confesser que les propriétés sont l’essence divine. Cette erreur qui
a été effleurée dans la Lettre, on dit qu’elle a été celle de Gilbert de la
Porrée qu’il rétracta par la suite au Concile de Reims. Puisqu’en effet,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], il y a deux
choses à considérer dans la relation, à savoir premièrement l’aspect de la
relation elle-même par lequel elle se rapporte à un autre et en quoi consiste
la raison formelle de la relation ; puis, deuxièmement, l’existence même
de la relation qu’elle possède selon qu’elle se fonde sur une réalité, soit
la quantité, la qualité ou quelque chose de la sorte, il semble qu’il avait
considéré les relations divines selon l’aspect dans lequel consiste la raison
formelle de la relation à partir de quoi elle n’a pas à prescrire
[impliquer Éd. de Parme] une réalité inhérente. |
Unde etiam inveniuntur aliquae relationes nihil
realiter in re ponentes, ut supra dictum est ; propter hoc dixit eas
assistentes, vel exterius affixas. Illae enim proprie relationes dicuntur
exterius affixae et assistentes, quae cum proprie non habeant fundamentum in
re, tantummodo ex habitudine alterius ad rem de qua dicuntur, adveniunt ;
sicut dextrum in columna, quod dicitur de ipsa per hoc quod homo eam ad
sinistram habet ; et hujusmodi etiam sunt relationes quibus Deus ad creaturas
refertur. |
De là il se trouve encore certaines
relations qui ne posent rien réellement dans la chose, comme nous l’avons dit
plus haut ; et c’est à cause de cela qu’il appela ces relations
¨assistantes¨ ou comme fixées de l’extérieur. En effet, on appelle proprement
fixées de l’extérieur ou assistantes ces relations qui, puisqu’elles n’ont
pas à proprement parler un fondement dans la réalité, surviennent seulement à
partir de la relation d’un autre à la chose à laquelle elles s’attribuent ;
par exemple on dit de la colonne qu’elle est à la droite de l’homme du fait
que l’homme est à sa gauche ; et de telles relations sont aussi celles
par lesquelles Dieu se rapporte aux créatures. |
Sed relationes distinguentes personas non possunt esse
hujusmodi, cum fundentur super aliquid quod vere in re est, scilicet in
communicatione naturae ; et ideo sunt reales relationes habentes esse
fundatum in natura rei. Sed haec est natura divinae simplicitatis, ut in ipsa
non nisi unum esse possit esse, nec in ea differat esse et quod est et quo
est. |
Mais les relations qui distinguent
les personnes ne peuvent être de cette sorte, puisqu’elles se fondent sur
quelque chose qui existe véritablement dans la chose dont il est question, à
savoir dans la communication de la nature ; et c’est pourquoi elles sont
des relations réelles ayant une existence fondée dans la nature de la chose.
Mais cette nature est la nature de la simplicité divine qui est telle qu’il
ne puisse y avoir en elle qu’une seule existence et dans laquelle il n’y a
aucune différence entre l’existence, ce qui existe et ce par quoi il y a
existence. |
Istud ergo esse paternitatis non potest esse aliud esse
quam esse essentiae ; et cum esse essentiae sit ipsa essentia, et esse
paternitatis sit ipsa paternitas ; relinquitur de necessitate quod ipsa
paternitas secundum rem est ipsa essentia ; unde non facit compositionem cum
ea. Sed quia manet ibi verus respectus pertinens ad naturam
relationis quae non pertinet ad rationem essentiae, ex illo respectu relatio
[naturam relationes quae non pertinent…ex illo respectu ratio.Éd. de Parme]
potest distinguere, quamvis essentia non distinguatur, de cujus intellectu
non est iste respectus oppositionem habens et per consequens distinctionem
causans. Et ita dicendum, quod proprietates et essentia sunt idem re, sed
differunt ratione. In aliis autem realibus relationibus in creaturis
existentibus est aliud esse relationis, et substantiae quae refertur ; et
ideo dicuntur inesse ; et secundum quod insunt, compositionem faciunt accidentis
ad subjectum ; quod non convenit in divinis relationibus, ut dictum est,
dist. 26, quaest. 2, art. 1. |
Donc, cette existence de la
paternité ne peut être une autre existence que l’existence de
l’essence ; et puisque l’existence de l’essence est l’essence elle-même,
et que l’existence de la paternité est la paernité elle-même, il s’ensuit
nécessairement que la paternité elle-même en réalité est l’essence
elle-même ; il résulte de là que la paternité ne fait aucune composition
avec l’essence. Mais parce qu’il demeure là un véritable
aspect appartenant à la nature de la relation qui n’appartient pas à la
raison formelle de l’essence, à partir de cet aspect de la relation [à la
nature les relations qui n’appartiennent pas…à partir de cet aspect la raison Éd.
de Parme] la raison peut distinguer, bien que l’essence elle-même ne soit
pas distinguée, dans l’intelligence de laquelle on ne retrouve pas ce rapport
qui comporte une opposition et qui cause par conséquent une distinction. Et
de cette manière il faut dire que les propriétés et l’essence sont identiques
dans la réalité, mais diffèrent par la raison. Mais dans les autres relations
réelles qui existent dans les créatures l’existence de la relation diffère de
l’existence de la substance à laquelle elle se rapporte ; et c’est
pourquoi on dit alors de ces relations qu’elles sont inhérentes ; et
selon qu’elles sont inhérentes, elles font une composition de l’accident avec
le sujet ; ce qui est impossible pour les relations divines, ainsi que
nous l’avons dit [dist. 26, quest. 2, art. 1]. |
[2347] d. 33 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod relationes istae non sunt tantum secundum dici ad aliquid, sed etiam
secundum esse. Sed sciendum, quod esse dicitur tripliciter [dupliciter éd.
de Parme]. Uno modo dicitur esse ipsa quidditas vel natura rei,
sicut dicitur quod definitio est oratio significans quid est esse ; definitio
enim quidditatem rei significat. Alio modo dicitur esse ipse actus essentiae ; sicut
vivere, quod est esse viventibus, est animae actus ; non actus secundus, qui
est operatio, sed actus primus. Tertio modo dicitur esse quod significat veritatem
compositionis in propositionibus, secundum quod est dicitur copula: et
secundum hoc est in intellectu componente et dividente quantum ad sui complementum
; sed fundatur in esse rei, quod est actus essentiae, sicut supra de veritate
dictum est, dist. 19, quaest. 5, art. 1. Dico igitur, quod cum dicitur:
« Ad aliquid sunt, quorum esse est ad aliud se habere »,
intelligitur de esse quod est quidditas rei, quae definitione significatur ;
quia ipsa natura relationis per quam constituitur in tali genere, est ad
aliud referri: et non intelligitur de esse quod est actus essentiae ; hoc
enim esse habet relatio [ ?] ex his quae causant ipsam in subjecto secundum
quod esse non refertur ad aliud sed ad subjectum, sicut et quodlibet
accidens. Et sic dico, quod non oportet quod esse essentiae
divinae sit ad aliud se habere ; quia illud esse in quo paternitas et
essentia uniuntur, significatur ut esse quod est actus essentiae ; non autem
uniuntur in esse quod significat definitio rei ; quia alia est ratio
paternitatis, qua ad aliud refertur, et alia ratio essentiae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
ces relations ne sont pas seulement relatives par l’appellation mais aussi
par l’être. Mais il faut savoir que ¨être¨ se dit de trois manières [de deux
manières Éd. de Parme]. En un premier sens on appelle ¨être¨ la
quiddité elle-même ou la nature de la chose, tout comme on dit que la
définition est le discours signifiant ce qui est ; la définition en
effet signifie la quiddité de la chose. En un autre sens on appelle ¨être¨ l’acte
même de l’essence, comme vivre, qui est l’être des vivants, est l’acte de
l’âme ; mais on ne parle pas ici de l’acte second qui est l’opération,
mais de l’acte premier. En un troisième sens on appelle ¨être¨ ce
qui signifie la vérité de la composition dans les propositions, selon que
¨est¨ est appelé copule : et en ce sens l’être est dans l’intelligence
qui compose et divise quant à son complément, mais il se fonde dans l’être de
la chose qui est l’acte de l’essence, comme nous l’avons dit plus haut [dist.
19, quest. 5, art. 1] au sujet de la vérité. Je dis donc que lorsqu’on
dit : «Sont relatifs ceux dont l’être est de se rapporter à un autre»,
cela s’entend de l’être qui est la quiddité de la chose et qui est signifiée
par la définition ; car la nature même de la relation par laquelle elle
est constituée dans tel genre, est de se rapporter à un autre : et cela
ne s’entend pas de l’être qui est l’acte de l’essence ; en effet, la
relation possède cet être à partir de ce qui la cause dans le sujet selon que
l’être ne se rapporte pas à un autre mais à un sujet, comme tout autre
accident. Et je dis ainsi qu’il ne faut pas que
l’être de l’essence divine se rapporte à quelque chose d’autre ; car cet
être dans lequel la paternité et l’essence sont unies est signifié comme
l’être qui est l’acte de l’essence ; elles ne sont cependant pas unies
dans l’être que signifie la définition de la chose ; car autre est la
définition de la paternité par laquelle il y a rapport à un autre et autre
est la définition de l’essence. |
[2348] d. 33 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
si aliqua duo sint idem, secundum id quod idem sunt, in quocumque est unum,
et alterum. Paternitas autem et essentia divina sunt idem secundum esse ; et
ideo sicut in Filio est esse essentiae, ita et in Filio est esse
paternitatis, quia in divinis non est nisi unum esse. Sed paternitas habet aliquid in quo non unitur cum essentia,
scilicet rationem paternitatis, quae est alia a ratione essentiae ; unde
secundum illam rationem respectus potest esse in Patre et non in Filio, sed
[scilicet éd. de Parme] distinguere Patrem a Filio ; unde in
processu incidit fallacia accidentis. Neque oportet in his aliquid simile
inquiri ; quia in nulla re creata invenitur aliquid simile divinae
simplicitati, ut habens sit id quo habetur ; omnia enim similia quae possent
induci vel de punctis vel de differentiis existentibus in genere, plus habent
de dissimilitudine quam de similitudine ; et ideo magis abducunt a veritate
quam in verum intellectum inducant. Sicut enim dicit Boetius,
lib. De Trin., c. II, col. 1250] in his quae sine materia
sunt, oportet non ad imaginationem deduci: quia hoc plurimum officit in
divinis. |
2. Il faut dire
en deuxième lieu que si deux réalités sont identiques, partout où il y a
l’une il y a l’autre sous ce rapport selon lequel elles sont identiques. Mais
la paternité et l’essence divine sont identiques selon l’êre; et c’est
pourquoi tout comme dans le Fils il y a l’être de l’essence, de même dans le
Fils il y a l’être de la paternité car en Dieu il n’y a qu’un seul être. Mais la paternité
contient en elle quelque chose en quoi elle n’est pas unie à l’essence, à
savoir la raison formelle de paternité qui diffère de la raison formelle de
l’essence; d’où il résulte selon ce raisonnement que le rapport peut se
rencontrer dans le Père et non dans le Fils, mais [c’est-à-dire Éd.
de Parme] distinguer le Père du Fils; d’où l’on tombe dans ce processus
dans le sophisme de l’accident. Et il ne faut pas dans ces cas rechercher
quelque chose de semblable car dans aucune créature on ne rencontre quelque
chose de semblable à la simplicité de Dieu de telle manière que celui qui
possède soit ce par quoi il est possédé; en effet, tous les cas semblables
qui pourraient être amenés soit au sujet des points soit au sujet des
differences existant dans le genre contiennent plus de dissemblances que de
ressemblances; et c’est pourquoi ils éloignent advantage de la vérité qu’ils
ne conduisent l’intelligence au vrai. En effet, comme le dit Boèce [De la
Trinité, ch. 11, col. 1250, t. 11], pour les choses qui existent sans
matière, il ne faut pas chercher à les ramener à l’imagination, car cela fait
grandement obstacle dans les sujets qui se rapportent à Dieu. |
[2349] d. 33 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
illa responsio bona est. Sciendum est autem, quod ratio sumitur dupliciter:
quandoque enim ratio dicitur id quod est in ratiocinante, scilicet ipse actus
rationis, vel potentia quae est ratio ; quandoque autem ratio est nomen
intentionis, sive secundum quod significat definitionem rei, prout ratio est
definitio, sive prout ratio dicitur argumentatio. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que cette réponse est bonne. Il faut cependant savoir que le terme ¨raison¨
se prend de deux manières : parfois en effet ¨raison¨ signifie ce qui
est dans celui qui raisonne, à savoir l’acte même de la raison, ou la
puissance qui est la raison ; mais parfois ¨raison¨ est le nom d’une
intention, soit selon qu’elle signifie la définition de la chose, selon que
¨raison¨ s’identifie à définition, soit selon que ¨raison¨ signifie
l’argumentation. |
Dico igitur, quod cum dicitur quod est alia ratio
paternitatis et essentiae in divinis, non accipitur ratio secundum quod est
in ratiocinante tantum, sed secundum quod est nomen intentionis, et
significat definitionem rei: quamvis enim in divinis non possit esse
definitio, nec genus nec differentia nec compositio ; tamen si intelligatur
ibi aliquid definiri, alia erit definitio paternitatis, et alia definitio
essentiae. |
Je dis donc que lorsqu’on dit qu’en
Dieu la ¨raison¨ de la paternité est autre que la ¨raison¨ de l’essence,
¨raison¨ ne se prend pas ici selon qu’elle est seulement dans celui qui
raisonne mais selon qu’elle est le nom d’une intention et qu’elle signifie la
définition de la chose : en effet, bien qu’en Dieu il ne puisse y avoir
ni définition, ni genre, ni différence, ni composition, cependant si on entendait
qu’il y a là quelque chose à définir, autre serait la définition de la
paternité, autre celle de l’essence. |
In omnibus autem intentionibus hoc communiter verum
est, quod intentiones ipsae non sunt in rebus sed in anima tantum, sed habent
aliquid in re respondens, scilicet naturam, cui intellectus hujusmodi
intentiones attribuit ; sicut intentio generis non est in asino, sed natura
animalis, cui per intellectum haec intentio attribuitur: et ita etiam ipsa
ratio quam dicimus aliam et aliam in divinis, non est in re ; sed in ratione
est aliquid respondens ei, et est in re [sed est in re aliquid respondens ei
in éd. de Parme] quo fundatur, scilicet veritas illius rei cui
talis intentio attribuitur: est enim in Deo ; unde possunt rationes diversae
ibi convenire: et ideo non sequitur quod Deus sit rationes illae, sed quod
sit tantum habens eas: hoc enim quod dicitur, quod in Deo est idem habens et
quod habetur, intelligitur de illis quae habentur per modum rerum, non autem
de illis quae habentur per modum intentionum ; sicut non possumus dicere quod
Deus sit nomen, quamvis nomen habeat ; sed quod Deus est bonitas, quia
bonitatem habet ; similiter etiam paternitas, quia paternitatem habet ; sed
non sequitur quod sit ratio quamvis rationem [relatio…relationem Ed
de Parme], habeat. |
Il est cependant universellement
vrai dans toutes les intentions que les intentions elles-mêmes ne sont pas
dans les choses mais dans l’âme seulement, mais qu’il y a quelque chose qui
leur correspond dans les choses, à savoir la nature à laquelle l’intelligence
attribue de telles intentions ; par exemple l’intention de genre n’est
pas dans l’âne mais ce qu’il y a dans l’âne c’est la nature animale à
laquelle cette intention est attribuée par l’intelligence : et de même,
la raison formelle elle-même, dont nous disons qu’elle diffère d’une autre en
Dieu n’existe pas réellement en Dieu ; mais dans la raison il y a
quelque chose qui lui correspond, et il y a dans la chose [mais il y a dans
la chose quelque chose qui lui correspond en Éd. de Parme] ce par
quoi elle est fondée, à savoir la vérité de cette chose à laquelle une telle
intention est attribuée : elle est en effet en Dieu ; d’où il
résulte que différentes ¨raisons¨ peuvent se rencontrer là : et c’et
pourquoi il ne s’ensuit pas que Dieu soit ces ¨raisons¨ mais qu’il soit
seulement celui qui les possède. Ce qu’on dit en effet, à savoir qu’en Dieu
celui qui possède est identique à ce qui est possédé, cela s’entend de ces
¨raisons¨ qui sont possédées par mode de choses et non de celles qui sont possédées
par mode d’intentions ; par exemple, nous ne pouvons dire que Dieu soit
un nom bien qu’il possède un nom ; mais nous pouvons dire que Dieu est
la bonté parce qu’il possède la bonté ; semblablement encore nous
pouvons dire qu’il est la paternité parce qu’il possède la paternité ;
mais il ne s’ensuit pas qu’il soit la raison bien qu’il possède une raison
[qu’il soit la relation bien qu’il possède la relation Éd. de Parme]. |
[2350] d. 33 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
illae rationes relationum quae dicuntur de Deo ex tempore, non habent aliquod
esse in re divina in qua fundentur, sicut habent istae relationes personarum,
et ideo non est simile de utrisque. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que ces ¨raisons¨ des relations qui se disent de Dieu en la dépendance du
temps n’ont pas une existence dans la réalité divine sur laquelle elles se
fondent contrairement à ces relations des personnes et c’est pourquoi il ne
s’agit pas là de cas semblables. |
[2351] d. 33 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
scientia non dividitur contra substantiam nisi ex genere suo, prout est
qualitas ; unde dicitur, quod haec est immediata: nulla qualitas est
substantia ; sed haec est mediata: nulla scientia est substantia ; et sic est
in omnibus aliis generibus. Sed, sicut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 3,
dictum est, nulla ratio communis alicujus praedicamenti manet in divinis nisi
relationis ; et ideo id quod dicitur ad aliquid in divinis, habet aliam
rationem a ratione substantiae, et alium modum praedicandi condivisum contra
substantiam ; sed scientia et bonitas et hujusmodi, quae sunt in aliis
generibus et dicuntur de Deo, non habent rationem communis generis per quam
dividuntur contra substantiam ; immo loco illius rationis communis qualitatis
vel quantitatis, venit ibi ratio substantiae ; unde dicitur alia ratio esse
scientiae, et alia substantiae in divinis, non quasi [non quia quasi
sit éd. de Parme] condivisa contra rationem substantiae ; sed
sicut ratio speciei est alia a ratione generis, inquantum addit rationem
differentiae supra rationem generis ; unde ita in divinis est alia ratio
scientiae et substantiae, sicut in creaturis est alia ratio scientiae et
qualitatis, quod non est simpliciter aliud ; et ideo sicut in creaturis
dicitur, quod eodem est qualis et sciens ; ita in divinis dicitur quod eodem
est substantia et sciens ; non tamen quod eodem sit substantia et Pater ; cum
relatio quae per se substantiae condividitur, secundum rationem generis et
modum significandi in divinis salvetur. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que la science ne se divise contre la substance que par son genre, selon
qu’elle est une qualité ; d’où l’on dit que la proposition suivante est
immédiate : nulle qualité n’est une substance ; mais cette autre
proposition est médiate : nulle science n’est une substance ; et il
en est de même pour tous les autres genres. Mais comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], aucune notion commune appartenant à un
prédicament ne demeure en Dieu si ce n’est celle de la relation ; et
c’est pourquoi ce qui est dit relativement en Dieu possède une autre notion
que la notion de substance et un autre mode d’attribution qui se divise
contre celui de la substance ; mais la science, la bonté et les notions
de cette sorte qui sont dans d’autres genres et qui s’attribuent à Dieu n’ont
pas une notion commune de genre par laquelle elles se diviseraient contre la
substance ; bien au contraire au lieu de cette notion commune de qualité
ou de quantité, c’est la notion de substance qui s’amène là ; d’où l’on
dit que la notion de science est autre que la notion de substance en Dieu,
non pas comme [non pas parce qu’elle serait comme Éd. de Parme]
si elle se divisait contre la notion de substance, mais comme la notion
d’espèce est autre que la notion de genre, en autant qu’elle ajoute à la
notion de genre la notion d’une différence ; d’où il résulte qu’en Dieu
la notion de science est autre que la notion de substance tout comme dans les
créatures la notion de science est autre que la notion de qualité, c’est-à-dire
qu’elles ne sont pas absolument autres. Et c’est pourquoi, tout comme on dit
pour les créatures que c’est par le même genre qu’on a la qualité et la
science, de même on dit qu’en Dieu c’est par la même forme qu’on retrouve la
substance et la science ; ce n’est cependant pas pour la même raison
formelle qu’on retrouve en Dieu substance et Père ; puisque la relation
se distingue essentiellement de la substance, en Dieu elle se conserve selon
la raison formelle de genre et selon le mode de signifier. |
. |
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Articulus 2 [2352] d. 33 q. 1 a. 2 tit. Utrum
proprietates sint personae |
Article 2 – Les propriétés sont-elles les personnes ? |
[2353] d. 33 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod proprietates non sint personae. Quaecumque enim sunt idem re,
multiplicato uno, multiplicatur reliquum. Si igitur proprietates sunt
personae, ergo quot sunt proprietates, tot sunt personae. Sed proprietates
sunt quinque, ut supra dist. 23, quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo et
personae ; quod falsum est. |
Difficultés : 1. Il semble que les propriétés ne soient
pas les personnes. En effet, tout ce qui est identique en réalité, si l’un
est multiplié le reste l’est aussi. Si donc les propriétés sont les
personnes, il y aura donc autant de personnes qu’il y aura de propriétés.
Mais il y a cinq propriétés ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 23,
quest. 1, art. 3]. Il y aura donc cinq personnes, ce qui est faux. |
[2354] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deus dicitur
trinus propter Trinitatem personarum. Si igitur proprietates vel notiones
sunt personae, videtur etiam quod quinus dici debeat propter quinarium
notionum ; et eadem ratione Pater trinus, et Filius binus. |
2. Par ailleurs, on dit de Dieu
qu’il est trine en raison de la Trinité des personnes. Si donc les propriétés
ou les notions sont les personnes, il semble aussi qu’on doive dire d’elles
qu’elles sont au nombre de cinq à cause des cinq notions ; et pour la
même raison le Père sera trois et le Fils deux. |
[2355] d. 33 q. 1 a.
2 arg. 3 Item, secundum Augustinum, lib. V De Trinit., col. 911,
omne quod ad aliquid refertur, est aliquid, excepto hoc quod ad alterum
dicitur ; sicut denarius est aliquid, excepto hoc quod pretium dicitur. Sed
Pater refertur ad alium, quia ad Filium. Ergo praeter relationem est ibi
aliquid invenire quod relationi substat. Hoc
autem est hypostasis, vel persona. Ergo videtur quod proprietates non sunt
personae. |
3. En outre, selon Saint-Augustin
[V De la Trinité, col. 911, t. VIII], tout ce qui a
rapport à la relation est quelque chose en dehors du fait de se rapporter à
un autre ; par exemple le denier est quelque chose en dehors du fait
qu’on dise de lui qu’il est de l’argent. Mais le Père se rapporte à un autre
puisqu’il se rapporte au Fils. Donc en dehors de la relation il y a là
quelque chose à trouver qui se tient sous la relation. Mais cela est
l’hypostase ou la personne. Il semble donc que les propriétés ne soient pas
les personnes. |
[2356] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nihil videtur
esse distinctum [distinctivum éd. de Parme] sui ipsius. Sed
proprietates distinguunt personas, ut dicit Damascenus, lib. I Fid.
Orth.,cap. VIII, Ergo proprietates non sunt personae. |
4. Par ailleurs, rien n’est
distinct [distinctif Éd. de Parme] de soi-même. Mais les
propriétés distinguent les personnes, ainsi que le dit Damascène [1 De
la Foi Orthodoxe, ch. VIII]. Donc les propriétés ne sont pas
les personnes. |
[2357] d. 33
q. 1 a. 2 arg. 5 Item, omne concretum addit aliquid super abstractum, sicut
album super albedinem. Sed personae
divinae significant concretive, ut Pater et Filius ; proprietates autem
significant in abstracto. Ergo proprietates non sunt personae. |
5. De plus, tout ce qui est concret
ajoute à l’abstrait, comme le blanc ajoute à la blancheur. Mais les personnes
divines signifie à la manière de ce qui est concret, comme le Père et le
Fils, alors que les propriétés signifient dans l’abstrait. Donc les
propriétés ne sont pas les personnes. |
[2358] d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit
Hilarius,VII De Trinit., nec quidquam est Filius nisi
Filius. Sed Filius significat relationem. Ergo videtur quod totum hoc quod
est Filius, sit relatio filiationis ; et sic essentia ejus et hypostasis erit
relatio. |
Cependant : 1. Au contraire, comme le dit
Saint-Hilaire [ VII De la Trinité, t. 11], il n’y a que le Fils
qui soit le Fils. Mais le Fils signifie une relation. Il semble donc que le
Fils, dans sa totalité de Fils, soit la relation de filiation ; et ainsi
son essence et son hypostase sera la relation. |
[2359] d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis forma
est principium ejus cujus est forma quantum ad aliquod sui esse. Si igitur
paternitas qua formaliter Pater est Pater, sit aliud ab ipso Patre, erit
aliquid principium Patris et prius eo, quod est inconveniens. Ergo paternitas
non est aliud a Patre, et eadem ratione nec aliqua proprietas aliud a
persona. |
2. Par ailleurs, toute forme est le
principe de ce dont elle est la forme quant à quelque chose de son existence.
Si donc la paternité par laquelle le Père est formellement Père est quelque
chose d’autre que le Père lui-même, elle sera un principe du Père et donc
antérieure à Lui, ce qui pose un problème. Donc la paternité n’est pas autre
que le Père et pour la même raison aucune propriété n’est autre que la
personne. |
[2360] d. 33 q. 1 a.
2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Porretani enim dixerunt, quod proprietates sunt in
personis ut assistentes, et non sunt ipsae personae. Sed hoc non potest esse
; quia aut proprietas aliquid est in re ; et sic si non est persona in qua
est, oportet ibi esse compositionem ; aut nihil est in re ; et sic non erit distinctio
personarum secundum rem. Et ideo alii dicunt, sicut dixit Praepositivus, quod
proprietates sunt ipsae personae secundum rem, nec distinguuntur a personis
etiam secundum rationem, nec aliquo modo. Unde dixit, in divinis tantum esse
essentiam et personas ; et proprietates negavit. Sed cum dicitur paternitas, sumitur abstractum pro
concreto ; sicut dicimus: rogo benignitatem tuam, idest te benignum ; et sic
etiam proprietates adorari dicuntur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet
on rencontre trois opinions. Les disciples de Gilbert de la Porrée ont
dit en effet que les propriétés sont dans les personnes comme des assistants
et ne sont pas les personnes elles-mêmes. Mais il ne peut en être ainsi car
ou bien la propriété est quelque chose dans la réalité et ainsi si elle n’est
pas la personne dans laquelle elle est, il faudra qu’il y ait là
composition ; Ou bien elle n’est rien dans la réalité
et ainsi il n’y aura pas distinction réelle entre les personnes. Et c’est pourquoi d’autres disent, tout
comme l’a dit Prépositif, que les propriétés sont les personnes elles-mêmes
en réalité et qu’elles ne se distinguent pas des personnes selon la raison
non plus, ni d’aucune manière. D’où il a dit qu’en Dieu il n’y a que
l’essence et les personnes et nia les propriétés. Mais lorsqu’on dit ¨paternité¨, on prend
l’abstrait pour le concret, comme lorsque nous disons : ¨je fais appel à
ta bonté¨, nous voulons dire : ¨je te demande d’être bon¨. Et c’est
ainsi qu’on dit aussi des propriétés qu’elles doivent être priées ou adorées. |
Et dicebat quod personae cum sint simplicissimae, se
ipsis distinguuntur. Sed hoc etiam non potest stare, propter duo: primo, quia invenimus in una persona plures
proprietates et relationes, secundum quod ad aliam et ad aliam personam
refertur ; secundo, quia aliquid attribuitur proprietati quod non
attribuitur personae, sicut distinguere, personae autem distingui ; et ideo
oportet quod differant secundum modum significandi proprietates a persona. |
Et il disait que les personnes,
puisqu’elles sont ce qu’il y a de plus simple, se distinguent par
elles-mêmes. Mais cela aussi ne peut tenir, pour deux raisons : Premièrement parce que nous retrouvons
dans une même personne plusieurs propriétés ou relations selon qu’elle se
rapporte à telle ou telle autre personne ; Deuxièmement parce que quelque chose est
attribué à la propriété qui n’est pas attribué à la personne, comme à la
propriété de distinguer et à la personne d’être distinguée ; et c’est
pourquoi il faut que les propriétés diffèrent de la personne selon le mode de
signifier. |
Nec modus significandi diversus veritatem haberet, sed
vanitatem, nisi esset alia ratio proprietatis et personae, cui respondet
aliquid in re, ut dictum est hac dist., quaest. 1, art. 1. Et ideo dicimus, quod proprietates et personae sunt
idem re, sed differunt ratione, sicut et de proprietatibus et de essentia
dictum est. Sed in hoc differt, quod ratio proprietatis et essentiae differt
sicut ratio diversorum generum, ut dictum est ; sed ratio proprietatis et
personae differt sicut ratio abstracti et concreti in eodem genere
acceptorum. |
Et un mode de signifier différent
n’aurait pas la vérité pour lui mais serait vain, à moins qu’il y ait une
autre raison formelle de la propriété et de la personne à laquelle
correspondrait quelque chose dans la réalité, ainsi que nous l’avons dit
[dist. 33, quest. 1, art. 1]. Et c’est pourquoi nous disons que les
propriétés sont identiques à la personne en réalité mais elles diffèrent par
la raison tout comme nous l’avons dit aussi des propriétés et de l’essence.
Mais il y a différence en ceci que les raisons formelles de propriété et
d’essence diffèrent comme les raisons formelles de genres différents comme
nous l’avons dit, alors que les raisons formelles de propriété et de personne
diffèrent comme les raisons formelles de l’abstrait et du concret pris dans
un même genre. |
In concreto autem est duo considerare in rebus creatis
; scilicet compositionem, et perfectionem ; quia quod significatur
concretive, significatur ut per se existens, ut homo vel album. Similiter de
ratione abstracti duo sunt, scilicet simplicitas, et imperfectio ; quia quod
significatur in abstracto, significatur per modum formae, cujus non est
operari vel subsistere in se, sed in alio. Unde patet quod sicut etiam est in
aliis quae de Deo dicuntur, neutra ratio secundum totum divinis competit ; ex
quo probatur, Lib. De causis, propos. 6, quod nihil proprie de
Deo dicitur ; quia nec abstractum propter imperfectionem, nec concretum
propter compositionem. Sed quantum ad aliquid utrumque vere dicitur ; quia et
concretum propter perfectionem, et abstractum propter simplicitatem. |
Mais il y a deux choses à
considérer dans le concret pour les choses créées ; à savoir la
composition et la perfection ; car ce qui est signifié concrètement est
signifié comme existant pas soi, comme homme et blanc. De même il y a deux
choses à considérer au sujet de la raison formelle de l’abstrait, à savoir la
simplicité et l’imperfection ; car ce qui est signifié dans l’abstrait
est signifié à la manière d’une forme à laquelle il n’appartient pas de poser
des opérations et de subsister en soi, mais plutôt d’exister dans un autre.
D’où il est clair que tout comme on le voit aussi pour les autres noms qu’on
attribue à Dieu, aucune raison formelle ne convient totalement à Dieu, à
partir de quoi on prouve [Des Causes, proposition 6] qu’aucune des
deux sortes de termes ne s’attribue proprement à Dieu : ni ceux qui sont
abstraits à cause de leur imperfection, ni ceux qui sont concrets à cause de
leur composition. Mais sous un certain rapport chacun des deux s’attribue en
vérité : les concrets à cause de leur perfection, les abstraits à cause
de leur simplicité. |
[2361] d. 33 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod proprietates sunt idem re cum personis quantum ad esse ; sed secundum
esse personae non distinguuntur ; unde non sequitur quod secundum
multitudinem proprietatum sit multitudo personarum ; quia distinctio
personarum non est nisi secundum oppositionem relativam ; unde secundum quod
potest variari oppositio relativa in proprietatibus, sequitur distinctio in
personis ; et hoc, si diligenter consideretur, non potest venire ad majorem
numerum quam ternarium ; et ideo relationes oppositae sunt personae, et sunt
duae personae, sicut duae relationes ; sed relationes quae sunt in eadem
persona non oppositae, sunt quidem duae relationes vel proprietates, sed non
duae personae, immo una persona. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
les propriétés sont identiques aux personnes dans la réalité quant à
l’existence ; mais ce n’est pas selon l’existence que les personnes se
distinguent ; d’où il ne s’ensuit pas que la multiplicité des
personnes suive la multiplicité des propriétés ; car la distinction des
personnes ne découle que de l’opposition relative ; d’où il résulte que
c’est selon qu’il puisse y avoir variation de l’opposition
relative dans les propriétés qu’il s’ensuit une distinction dans
les personnes ; et si on examine cette question avec attention, on voit
qu’il ne peut résulter un plus grand nombre de personnes que trois ; et
c’est pourquoi les relations opposées sont les personnes, et qu’il y a deux
personnes tout comme il y a deux relations ; mais les relations qui sont
dans la même personne ne sont pas opposées : car il y a certes là deux
relations ou deux propriétés et non pas deux personnes mais bien plutôt une
seule personne. |
[2362] d. 33 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
relationes signantur per modum formarum vel qualitatum in divinis. Numerus
autem proprietatum vel formarum non ponit simpliciter numerum in rebus ipsis
; sed numerus suppositorum ; sicut Socrates non dicitur trinus propter hoc
quod tres proprietates habeat ; et ita etiam Pater non dicitur trinus propter
tres notiones ; sed Deus dicitur trinus propter tres personas vel tria
supposita. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que les relations sont signifiées par mode de formes ou de qualités en Dieu.
Mais le nombre des propriétés ou des formes ne pose pas absolument le nombre
dans les choses elles-mêmes, mais c’est le nombre des suppôts qui le
fait ; par exemple on ne dit pas de Socrate qu’il est trois pour cette
raison qu’il possède trois propriétés ; et de même encore on ne dit pas
du Père qu’il est trois à cause des trois notions ; mais on dit plutôt
de Dieu qu’il est trine ou trois à cause des trois personnes ou des trois
suppôts. |
[2363] d. 33 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
dictum Augustini, ubi sup., veritatem habet in divinis et in creaturis, sed
diversimode ; quia illud quod in creaturis ad aliquid dicitur, substat huic
[huic om. éd. de Parme] relationi, sicut subjectum accidenti ; et
ideo est aliud et aliud: sed illud quod in divinis ad aliquid dicitur, est
ipsa relatio ; quia in Deo non est aliud secundum rem, sed [secundum add.
éd. de Parme] rationem essentiae, et habens essentiam quod est persona,
et ipsa proprietas distinguens personam. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que les paroles de Saint-Augustin présentées plus haut sont dans la vérité au
sujet de Dieu et des créatures, mais de manière différente ; car ce qui
est dit relativement dans les créatures ; car ce qui dans les créatures
reçoit l’attribution du relatif se tient sous cette [cette om. Éd.
de Parme] relation, tout comme le sujet sous l’accident ; et c’est
pourquoi l’un n’est pas l’autre ; mais ce qui en Dieu se dit
relativement est la relation elle-même : car en Dieu, ce qui possède
l’essence et qui est la personne ne diffère pas en réalité mais [selon add.
Éd. de Parme] la raison de la propriété même qui distingue la personne. |
[2364] d. 33 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
proprietas significatur per modum formae, et formae est distinguere ; ideo
proprietates personas distinguunt ; et hoc est quantum ad modum significandi,
qui fundatur in vera ratione proprietatis. Ideo ex hoc non potest concludi
aliqua diversitas secundum rem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la propriété est signifiée à la manière d’une forme et il appartient à la
forme de distinguer ; et c’est pourquoi les propriétés distinguent les
personnes ; et cela est quant au mode de signifier qui se fonde sur la
véritable raison formelle de propriété. Et c’est pourquoi à partir de là
aucune diversité réelle ne peut être conclue. |
[2365] d. 33 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
in divinis abstractum et concretum non differunt secundum rem, sed secundum
rationem, ut dictum est, in corp. art. Unde ita differt proprietas a persona
sicut deitas a Deo, quod est secundum rationem tantum. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
qu’en Dieu l’abstrait et le concret ne diffèrent pas réellement mais selon la
raison, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. D’où il résulte
que la propriété diffère de la personne tout comme la divinité diffère de
Dieu, à savoir selon la raison seulement. |
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Articulus 3 [2366] d. 33 q. 1 a. 3 tit. Utrum
proprietates sint in personis et in essentia |
Article 3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes et dans l’essence ? |
[2367] d. 33 q. 1 a.
3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod proprietates non sint in
essentia, nec in personis. Quaecumque enim sunt idem secundum rem, unum eorum
non potest esse in altero ; quia propositiones sunt transitivae ; unde
secundum Philosophum, IV Phys., text. 26, nihil est in seipso, nisi per accidens.
Sed proprietates sunt idem re cum essentia et personis. Ergo non sunt in
essentia vel in personis. |
Difficultés : 1. Il semble que les propriétés ne soient
ni dans l’essence ni dans les personnes. Pour toutes les choses qui sont
identiques dans la réalité, l’une d’elles ne peut exister dans l’autre car
les propositions sont transitives ; d’où, d’après le Philosophe
[IV Physique, ch. 3, texte 26], rien n’existe en soi-même si ce
n’est par accident. Mais les propriétés sont réellement identiques à
l’essence et aux personnes. Elles ne sont donc ni dans l’essence ni dans les
personnes. |
[2368] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne illud in
quo est relatio, refertur ; et omne quod refertur, in divinis relatione
distinguitur. Cum igitur essentia non distinguatur, videtur quod in essentia
non sit relatio. |
2. Par ailleurs, tout ce en quoi il
y a relation, cela se rapporte à un autre ; et en Dieu, tout ce qui se
rapporte à un autre se distingue par la relation. Donc, puisque l’essence
elle-même ne se distingue pas, il semble que dans l’essence il n’y ait pas
relation. |
[2369] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, cum relationes sint
consequentes motum vel mutationem aliquam, in quo non potest esse motus vel
mutatio, nec relatio esse poterit. Sed in divinis nullus potest esse motus
vel mutatio. Ergo nec relationes, sive in essentia, seu in divinis personis. |
3. En outre, puisque les relations
suivent un mouvement ou un certain changement, là où il ne peut y avoir de
mouvement ou de changement, il ne pourra y avoir de relation. Mais en Dieu il
ne peut y avoir de mouvement ou de changement. Il ne peut donc y avoir de
relations ni dans l’essence ni dans les personnes divines. |
[2370] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod est
in aliquo, secundum aliquem modum in illo est. Sed nullus modorum quo aliquid
in aliquo a Philosopho, IV Phys., text. 23, inesse dicitur
potest convenire ad hoc quod proprietates in personis sint. Ergo videtur quod
nec proprietates sint in essentia, nec in personis. |
4. De plus, tout ce qui existe dans
un autre y existe selon une certaine modalité. Mais aucune des modalités
énumérées par le Philosophe [IV Physique, texte 23], par
lesquelles un être existe dans un autre, ne peut correspondre à la modalité
par laquelle les propriétés existeraient dans les personnes. Il semble donc
que les propriétés n’existent ni dans l’essence ni dans les personnes. |
[2371] d. 33 q. 1 a.
3 s. c. 1 Contra, in praefatione, ut supra, In personis adoretur
proprietas. |
Cependant: 1. On dit au
contraire dans la préface citée plus haut: «Que la propriété soit adorée
dans les Personnes». |
[2372] d. 33 q. 1 a.
3 s. c. 2 Praeterea, quod denominatur ab aliqua forma, oportet quod habeat
illam in se. Sed personae denominantur a proprietatibus ; dicitur enim a
paternitate Pater. Ergo videtur quod
proprietates sint in personis. |
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[2373] d. 33 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
proprietates sunt in essentia et in personis ; sed diversimode: quia in
essentia sunt per identitatem rei, et non sicut in supposito ; sed in
personis sunt sicut in supposito ; sed diversimode, secundum quod aliquid
dicitur suppositum alicujus dupliciter: vel naturae per quam constituitur,
sicut humanitas est in Socrate, et hoc modo proprietates personales sunt in
personis ; vel sicut illud quod advenit post esse constitutum, sicut albedo
est in Socrate ; et ita secundum intellectum proprietates non personales, ut
innascibilitas et communis spiratio, sunt in personis ; non tamen ita quod
suppositum sit aliquid aliud ab eo quod inest secundum rem, sed secundum
rationem tantum concreti et abstracti, ut dictum est, art. praeced. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que les
propriétés sont dans l’essence et dans les personnes, mais
différemment : car elles sont dans l’essence par une identité réelle et
non comme dans un suppôt ; mais elles sont dans les personnes comme dans
un suppôt ; mais différemment selon qu’on dit d’une chose qu’elle est le
suppôt d’une autre de deux manières : soit d’une nature par laquelle
elle est constituée, tout comme l’humanité est dans Socrate et en ce sens les
propriétés personnelles sont dans les personnes ; soit comme ce qui
advient après que l’être soit constitué, comme la blancheur est dans
Socrate : et ainsi, selon l’intelligence, les propriétés non
personnelles, comme l’innascibilité et la spiration commune, sont dans les
personnes ; mais non pas cependant de telle manière que le suppôt soit
quelque chose d’autre que ce qui est en lui en réalité, mais seulement selon
la raison formelle du concret et de l’abstrait, comme nous l’avons dit dans
l’article précédent. |
[2374] d. 33 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio
ad primum ; quia ex hoc quod ratione distinguuntur, et re idem sunt
proprietates cum essentia et personis, unum in altero dicitur esse. |
Solutions : 1. Suite à ce qui précède dans le corps
de l’article, la réponse à la première difficulté est évidente ; car
c’est du fait que les propriétés se distinguent par la raison et qu’elles
soient identiques en réalité à l’essence et aux personnes qu’on dit à leur
sujet qu’elles existent dans l’essence et dans les personnes. |
[2375] d. 33 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
in quocumque est relatio sicut in supposito, illud refertur ; sicut in
quocumque est albedo sicut in supposito, illud est album. In natura autem
divina, vel essentia divina, non est proprietas relativa sicut in supposito,
immo per omnimodam rei identitatem ; unde relatio non potest praedicari concretive
de essentia, ut dicatur, essentia refertur: sed praedicatione designante
identitatem, ut dicatur, essentia est relatio ; et ideo non oportet quod
essentia distinguatur: sicut etiam in creaturis paternitas est in Socrate
sicut in supposito ; unde Socrates pater dicitur ; non autem humanitas ejus
pater dicitur, etiam qua posset dici paternitas esse, non quidem secundum
identitatem rei, sicut est in divinis, sed secundum convenientiam in uno
supposito, quod est Socrates, in quo est humanitas et paternitas. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que partout où il y a relation comme dans un suppôt, il y a là un rapport à
un autre, tout comme partout où se trouve la blancheur comme dans un suppôt,
cela est blanc. Mais dans la nature ou l’essence divine, il n’y a pas de
propriété relative comme dans un suppôt mais bien plutôt par une identité
totalement réelle ; d’où la relation ne peut être attribuée concrètement
à l’essence de manière à dire que l’essence s’y rapporte, mais plutôt par une
attribution désignant l’identité, de manière à dire que l’essence est la
relation ; et c’est pourquoi il ne faut pas que l’essence soit
distinguée : tout comme encore dans les créatures la paternité est dans
Socrate comme dans un suppôt, d’où Socrate est appelé père, cependant son
humanité n’est pas appelée père, humanité dont on pourrait aussi dire que
c’est par elle que la paternité existe, non pas certes d’après une identité
réelle, comme c’est le cas en Dieu, mais d’après une conformité dans un même
suppôt qui est Socrate dans lequel se trouve l’humanité et la paternité. |
[2376] d. 33 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
hoc quod relatio consequitur motum, accidit relationi inquantum non est
aeterna ; unde si aliquae relationes aeternae sunt, non consequuntur motum
aliquem ; sicut si ponatur mundus aeternus, erit designare in caelo aliquod
corpus aequale alteri, vel duplum vel secundum aliam proportionem ; et tamen
istae relationes non consequuntur motum aliquem vel mutationem, quia in caelo
non est motus ad quantitatem: et similiter, cum relationes quibus personae
distinguuntur, sint ab aeterno, non oportet quod motum aliquem consequantur ;
sed loco motus aliquo modo consequuntur communicationem et acceptionem
naturae divinae. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le fait que la relation suive le mouvement, cela arrive à la relation en
autant qu’elle n’est pas éternelle ; d’où il résulte que s’il existe
certaines relation qui sont éternelles, elles ne découlent pas d’un
mouvement ; par exemple, si on posait que le monde est éternel, il
faudra encore désigner dans le ciel un corps qui sera soit égal, soit le
double ou qui aura une autre proportion par rapport à un autre corps ;
et cependant ces relations ne découlent pas d’un mouvement ou d’un changement
car dans le ciel il n’y a pas de mouvement qui tende vers une quantité :
et de la même manière, puisque les relations par lesquelles les personnes se
distinguent existent de toute éternité, il est nécessaire qu’elles ne
découlent pas d’un mouvement ; mais au lieu de découler d’un mouvement,
elles découlent d’une certaine manière de la communication et de la réception
de la nature divine. |
[2377] d. 33 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
secundum Hilarium, De Trinitate, § 19, col. 38) comparatio
terrenorum ad divina nulla est ; unde nullus illorum modorum quem Philosophus
enumerat, sufficit ad explicandum quomodo in divinis aliquid in aliquo esse
dicatur ; et praecipue modus ille quo proprietates in essentia esse dicuntur
; quia non invenitur in creaturis aliqua diversorum generum in identitatem
rei convenire, sicut relatio et substantia in divinis conveniunt, ratione
cujus unum in altero esse dicitur, scilicet paternitas in essentia, sicut in
praeexistente secundum intellectum. Sed modus ille quo proprietates non
personales sunt in personis, habet aliquid simile illi modo quo forma est in
materia, scilicet forma accidentalis in subjecto ; et modus ille quo
proprietates personales sunt in personis, habet aliquid simile cum illo modo
quo differentiae sunt in specie, vel natura communis in inferiori ; quamvis
in his omnibus major dissimilitudo quam similitudo inveniatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que selon Saint-Hilaire [De la Trinité, & 19, col. 38], les choses
terrestres ne se comparent en rien à la réalité divine ; d’où il résulte
qu’aucune des modalités que le Philosophe énumère ne suffit à expliquer
comment on peut dire qu’en Dieu que quelque chose existe dans un autre, et
principalement cette modalité par laquelle on dit que les propriétés existent
dans l’essence ; car il n’arrive pas dans les créatures que certains des
différents genres se rencontrent dans une identité réelle comme c’est le cas
pour la relation et la substance en Dieu et en raison de quoi on peut dire
que l’un est dans l’autre, à savoir que la paternité est dans l’essence comme
dans ce qui préexiste selon l’intelligence. Mais ce mode par lequel les
propriétés non personnelles sont dans les personnes a une certaine
ressemblance avec ce mode par lequel la forme est dans la matière,
c’est-à-dire dans le cas où la forme accidentelle est dans le sujet ; et
ce mode par lequel les propriétés personnelles sont dans les personnes a
quelque similitude avec ce mode par lequel les différences sont dans l’espèce
ou la nature commune est dans l’inférieur, bien que dans tous les cas la
dissimilitude est plus grande que la similitude. |
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Articulus 4 [2378] d. 33 q. 1 a. 4 tit. Utrum
essentialia adjectiva praedicentur de proprietatibus |
Article 4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux propriétés ? |
[2379] d. 33 q. 1 a.
4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod essentialia adjectiva de proprietatibus praedicentur. Quaecumque enim
sunt idem secundum rem, quidquid de uno dicitur, et de altero videtur dici ;
alias affirmatio et negatio de eodem verificaretur ; quia de quo non dicitur
affirmatio, dicitur negatio. Sed proprietates sunt ipse Deus, ut probatum
est, art. 2. Ergo essentialia adjectiva, quae de divina essentia
praedicantur, etiam de proprietatibus praedicari debent. |
Difficultés : 1. Il semble que les adjectifs essentiels
s’attribuent aux propriétés. En effet, pour tout ce qui est identique en
réalité, tout ce qui se dit de l’un se dit aussi de l’autre car autrement
l’affirmation et la négation se vérifieraient par rapport à un même sujet et
à un même prédicat car la négation se dit de ce dont l’affirmation ne se dit
pas. Mais les propriétés sont Dieu lui-même comme nous l’avons prouvé dans
l’article 2. Donc les adjectifs essentiels, qui s’attribuent à l’essence
divine, doivent aussi s’attribuer aux propriétés. |
[2380] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, de similibus
idem est judicium. Sed quaedam adjectiva essentialia de proprietatibus
praedicantur, ut immensus, increatus et caetera. Ergo videtur quod etiam
omnia alia. |
2. Par ailleurs, le jugement qu’on
porte sur les cas semblables doit être le même. Mais certains adjectifs
essentiels s’attribuent aux propriétés, comme immense, incréé et d’autres. Il
semble donc qu’il doive en être de même pour les autres. |
[2381] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, videtur quod etiam
adjectiva notionalia seu personalia, de proprietatibus praedicentur ; quia
major est convenientia personalium adjectivorum cum proprietatibus quam
essentialium. Sed quaedam essentialia praedicantur de proprietatibus, ut
dictum est, dist. 22, quaest. 2, art. 1. Ergo multo magis omnia personalia,
ut dicatur: paternitas est generans vel innascibilis: et sic de aliis. |
3. En outre, il semble que même les
adjectifs notionnels ou personnels s’attribuent aux propriétés ; car la
convenance des adjectifs personnels avec les propriétés est plus grande que
celle des adjectifs essentiels. Mais certains adjectifs essentiels
s’attribuent aux propriétés, comme nous l’avons dit [dist. 22, quest. 2, art.
1]. Donc tous les adjectifs personnels s’attribuent bien davantage aux
propriétés, de manière à dire que la paternité est ce qui engendre ou est
innascible : et il en est de même pour le reste. |
[2382] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, secundum
Boetium, nulla propositio verior illa est in qua idem de se praedicatur. Sed
omnes dicunt quod in Patre idem est paternitas et generare. Ergo potest vere
dici, quod paternitas generet. |
4. Par ailleurs, d’après Boèce,
nulle proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le même s’attribue
au même. Mais tous disent que dans le Père la paternité est identique à
engendrer. On peut donc dire en vérité que la paternité engendre. |
[2383] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 1
Contra, sicut proprietas est idem re cum personis, ita etiam et essentia ;
quamvis utrumque ratione differat. Sed ratione hujus identitatis non sequitur
quod notionalia adjectiva praedicentur de essentia, propter diversum modum
significandi, qui causat diversitatem suppositionis: non enim dicitur quod
essentia sit genita. Ergo videtur quod eadem ratione non debeat dici quod
filiatio sit genita. |
Cependant : 1. Au contraire, tout comme la propriété
est identique en réalité aux personnes, il en est de même aussi pour
l’essence, bien que les deux diffèrent par la raison. Mais en raison de cette
identité il ne s’ensuit pas que les adjectifs notionnels s’attribuent à
l’essence, à cause d’un mode différent de signifier qui cause une diversité
de supposition : on ne dit pas en effet que l’essence soit engendrée. Il
semble donc pour la même raison qu’on ne doive pas dire que la filiation soit
engendrée. |
[2384] d. 33 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod,
sicut dictum est, art. 2, proprietas, persona, et essentia secundum rem non
differunt, sed secundum rationem tantum, et diversum modum significandi: unde
distinguendum est in adjectivis. Quia omnia illa quae praedicant conditionem
rei absolute, praedicantur communiter de proprietate, persona, et essentia,
et hujusmodi ; praecipue si sunt adjectiva negativa, ut increatus et
hujusmodi. Quaecumque vero exprimunt modum significandi in quo ista tria
distinguuntur, non praedicantur de eis communiter. Tamen in his etiam est
diversitas. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire , tout comme
nous l’avons dit dans l’article 2, que la propriété, la personne et l’essence
ne diffèrent pas réellement mais seulement selon la raison et d’après un mode
différent de signifier : d’où la nécessité de distinguer parmi les
adjectifs. Car tous ceux qui attribuent une condition de la chose prise
absolument s’attribuent communément à la propriété, à la personne et à
l’essence, surtout s’il s’agit d’adjectifs négatifs comme ¨incréé¨ et
d’autres de même sorte. Mais tous ceux qui expriment un mode de signifier
dans lequel ces trois dernières se distinguent ne s’attribuent pas en commun
à elles. Et cependant même dans ces derniers il y a diversité. |
Quaedam enim sunt quae important illum modum
significandi in principali significato ; sicut hoc nomen commune importat
significando modum essentiae, et similiter hoc nomen distinctum modum
personae, et hoc nomen distinguens modum proprietatis ; et ideo si istorum
praedicatio permutetur, ut dicatur essentia distincta, vel proprietas
communis, vel aliquid hujusmodi ; erit falsa propositio, et non solum
impropria. |
Il y en a certains en effet qui
impliquent ce mode de signifier dans le signifié principal, tout comme ce nom
¨commun¨ implique en signifiant le mode de l’essence, et semblablement ce nom
¨distinct¨ implique le mode de la personne et ce nom ¨qui distingue¨ le mode
de la propriété ; et c’est pourquoi, s’il y a permutation dans
l’attribution de ces termes, de telle sorte qu’on dirait que l’essence est
distincte ou que la propriété est commune, la proposition ne serait pas
seulement impropre mais fausse. |
Quaedam autem important illum modum non significando
ipsum, sed dant eum intelligere ex suo modo significandi ; sicut illa quae
significant per modum actus, quia actus sunt suppositorum. Unde talia non
proprie possunt attribui nisi personis, quae sunt supposita divinae naturae,
non autem proprietati vel essentiae, quae significantur per modum formae.
Unde non proprie dicitur quod paternitas generat, neque quod paternitas creat
; et similiter etiam illa quae significant concretive, dant intelligere modum
personarum. Unde et haec non est propria: « Paternitas est
sapiens », vel hujusmodi ; et similiter nec haec: « paternitas est
Pater », si ly « Pater » adjective sumatur ; vel:
« paternitas est innascibilis. » |
Il y en a cependant qui impliquent
ce mode no pas en le signifiant, mais donnent à le comprendre à partir de
leur manière de signifier, tout comme ceux qui signifient à la manière d’un
acte car les actes appartiennent aux suppôts. D’où il résulte que de tels
adjectifs ne peuvent être proprement attribués qu’aux personnes qui sont les
suppôts de la nature divine et non pas cependant à la propriété ou à
l’essence qui sont signifiées à la manière d’une forme. D’où il résulte que
ce n’est pas proprement qu’on dit que la paternité engendre ou que la
paternité crée ; et de même aussi ceux qui signifient concrètement
donnent à entendre le mode des personnes. D’où la proposition suivante n’est
pas proprement formulée : «La paternité est sage», tout comme d’autres
de même sorte ; et il en est de même pour la proposition suivante :
«la paternité est le Père», si ce «Père» est pris comme un adjectif ; et
il en est encore de même pour la proposition suivante : «la paternité
est innascible». |
[2385] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod quamvis sint idem secundum rem, tamen secundum
rationem differunt ; et ideo potest aliquid de uno dici quod de altero
proprie non dicitur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que les propriétés et l’essence soient identiques en réalité, elles
diffèrent cependant par la raison ; et c’est pourquoi quelque chose peut
être attribué à l’une et ne pas être attribué proprement à l’autre. |
[2386] d. 33 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
illa adjectiva negativa non dant intelligere aliquem modum determinatum, qui
pertineat proprie ad essentiam vel personam ; sed dicunt conditiones, quae
possunt consequi quidem utrumque quantum ad modum significandi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que ces adjectifs négatifs ne donnent pas à entendre un mode déterminé qui
appartiendrait proprement à l’essence ou à la personne ; mais ils
signifient des conditions qui peuvent certes découler des deux quant au mode
de signifier. |
[2387] d. 33 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
adjectiva personalia non magis conveniunt cum proprietatibus quam
essentialia, quantum ad modum significandi per nomen, quamvis magis
conveniant quantum ad rationem generis ; quia adjectiva personalia et
proprietates significant ad aliquid, et ideo eadem ratione non possunt de
proprietatibus praedicari qua nec essentialia. Tamen de ipsa essentia divina
magis proprie praedicantur essentialia adjectiva, quam personalia de
proprietatibus ; quia proprietas significatur ut ratio quaedam personae ;
unde quantum ad modum significandi magis elongatur a perfectione suppositi
quam essentia, quae dicit totum esse suppositi, licet alio modo significatum.
Sed tamen personalia adjectiva de essentia omnino praedicari non possunt,
propter distinctionem quam significant, quae est opposita modo essentiae. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que les adjectifs personnels ne conviennent pas davantage aux propriétés que
les adjectifs essentiels quant au mode de signifier par le nom, bien qu’ils
conviennent davantage quant à la raison formelle du genre ; car les
adjectifs personnels et les propriétés signifient relativement, et c’est
pourquoi les adjectifs personnels, pour la même raison qui fait que les
adjectifs essentiels ne le peuvent, ne peuvent s’attribuer aux propriétés.
Cependant les adjectifs essentiels s’attribuent plus proprement à l’essence
divine que les adjectifs personnels ne s’attribuent aux propriétés ; car
la propriété est signifiée comme une forme de la personne ; d’où il suit
quant au mode de signifier qu’elle s’éloigne davantage de la perfection du
suppôt que l’essence qui signifie tout l’être du suppôt bien qu’il soit
signifié d’une autre manière. Cependant les adjectifs personnels ne peuvent
absolument pas être attribués à l’essence à cause de la distinction qu’ils
signifient, laquelle est opposée au mode de l’essence. |
[2388] d. 33 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
« generare » significat idem cum paternitate in re, sed differt in
modo significandi ; quia « generare » significat ut egrediens a
supposito ; et quia paternitas non significatur ut suppositum, non potest
generare de ea praedicari. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que ¨engendrer¨ signifie en réalité la même chose que la paternité, mais elle
en diffère par le mode de signifier ; car ¨engendrer¨ signifie à la
manière de ce qui sort d’un suppôt et parce que la paternité n’est pas
signifiée comme un suppôt, ¨engendrer¨ ne peut lui être attribué. |
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Articulus 5 [2389] d. 33 q. 1 a. 5 tit. Utrum
contrariae opiniones de notionibus possint esse sine peccato |
Article 5 – Les opinions contraires concernant les notions peuvent-elles être sans péché ? |
[2390] d. 33 q. 1 a.
5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur
quod contrariae opiniones de notionibus non possint esse sine peccato. Sicut
enim dicit Augustinus, lib. I De Trin.,cap. III, col. 822, nec
periculosius alicubi erratur quam in materia Trinitatis. Sed contrariae
opiniones de notionibus non possunt esse sine errore alicujus. Ergo cum iste error
sit circa materiam Trinitatis, videtur quod sit periculosissimus. |
Difficultés: 1. Il semble que
les opinions contraires au sujet des notions ne peuvent être sans péché. En
effet, comme le dit Saint-Augustin [1 De la Trinité, ch. 111, col. 822]: «Nulle
part l’erreur n’est plus dangereuse qu’en matière trinitaire». Mais les
opinions contraires sur les notions ne peuvent être sans erreur à ce sujet.
Donc puisque cette erreur porte sur la matière de la Trinité, il semble
qu’elle soit la plus dangereuse. |
[2391] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, duorum
contradictoriorum oportet alterum esse falsum. Sed quidam dicunt non esse
proprietates, et quidam esse infinitas, et quidam quinque, et quidam
essentiam, et quidam non ; quae contradictorie opponuntur. Ergo videtur quod
ex altera parte interveniat mendacium. Sed secundum Augustinum, lib. De
mendacio, cap. XXI, omnium mendaciorum gravissimum est quod est
circa divina. Ergo videtur quod ista contrarietas sine peccato non possit
esse. |
2. Par ailleurs, de deux contradictoires,
il faut que l’une soit fausse. Mais certains disent qu’elles ne sont pas les
propriétés, d’autres qu’elles sont infinies, d’autres qu’elles sont au nombre
de cinq, d’autres qu’elles sont l’essence et d’autres encore qu’elles ne sont
pas l’essence ; mais ces opinions s’opposent par la contradiction. Il
semble donc qu’il y ait mensonge d’un côté ou de l’autre. Mais d’après
Saint-Augustin [Sur le Mensonge, ch. XXI], le plus grave de tous les
mensonges est celui qui porte sur Dieu. Il semble donc que cette contrariété
ne puisse être sans mensonge. |
[2392] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 3 Si dicas,
quod excusantur propter hoc quod de notionibus nihil in sacra Scriptura
habetur, et ita licuit unicuique opinari quod voluit ; contra.
Aut enim sacra Scriptura dicitur canon Bibliae, aut dicta sanctorum patrum.
Si canon Bibliae, sicut nec de notionibus, ita etiam nec de personis ibi fit
mentio. Ergo per eamdem rationem liceret negare personas, vel diversificari
circa numerum personarum: quod tamen haereticum judicaretur. Si dicta
sanctorum patrum, contra expresse inveniuntur facere mentionem de
proprietatibus, sicut patet in multis auctoritatibus inductis [dictis éd.
de Parme]. Ergo videtur quod omnino excusari non possint. |
3. Mais si tu dis que
ces erreurs peuvent s’excuser du fait que rien n’est établi dans les Saintes
Écritures au sujet des notions et qu’il est ainsi permis à chacun d’en penser
ce qu’il veut, j’objecte ceci : ou bien en effet par les
Saintes Écritures on veut dire le canon de la Bible ou bien on dit les
paroles des saints pères. Si on veut dire le canon de la Bible, on ne fait là
mention ni des personnes ni des notions. Donc pour la même raison il serait
permis de nier les personnes ou de varier d’opinion sur le nombre des
personnes : ce qui serait considéré comme hérétique. Mais si par là on
parle des paroles des saints pères, on fait là par contre clairement mention
des propriétés, comme on le voit dans de nombreux témoignages qui y sont
introduits [dits Éd. de Parme]. Il semble donc que ces erreurs ne
puissent absolument pas être excusées. |
[2393] d. 33 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, omne peccatum
vel est fidei, vel morum. Sed circa istam contrarietatem non incidit peccatum
morum, quia hoc peccatum est circa actiones ; nec etiam peccatum fidei, quia
nullus articulus fidei negatur. Ergo videtur quod sit sine peccato. |
Cependant : 1. Au contraire, tout péché porte soit
sur un article de foi, soit sur le comportement. Mais par rapport à cette
contrariété le péché ne porte pas sur le comportement car ce dernier péché se
rapporte aux actions ; et il ne s’agit pas non plus d’un péché sur la
foi car aucun article de foi n’y est nié. Il semble donc que les opinions
contraires sur les notions soient sans péché. |
[2394] d. 33 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod
contrarie opinari de aliquo, potest esse dupliciter: vel quod pertineat ad
religionem fidei, vel quod non pertineat. Et si quidem sit de non
pertinentibus ad fidem, quibus positis vel remotis nihil inconveniens fidei
sequatur, nullum peccatum est, nisi forte per accidens, scilicet
praesumptionis in eo qui nimis asserit quod dubium est, vel mendacii, vel
inanis gloriae, vel multorum aliorum: quia causae per accidens sunt
infinitae, secundum Philosophum, II Physic., text. 23 et
II Metaph., text. 6. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’avoir une
opinion contraire sur un sujet peut se présenter de deux manières : soit
l’opinion se rapporte à un article de la foi, soit elle ne s’y rapporte pas.
Et si elle concerne des énoncés qui ne se rapportent pas à la foi et qu’il ne
s’ensuive aucune difficulté pour la foi de les affirmer ou de les nier, il n’y
a aucun péché, sauf accidentellement celui de présomption chez celui qui
affirme avec trop d’insistance ce qui est douteux, ou encore celui de
mensonge, de vaine gloire ou de nombreux autres défauts : car les causes
par accident sont infinies selon le Philosophe [11 Physique,
texte 23 et 11 Métaphysique, texte 6] |
Si autem est contradictio de his quae ad fidem
pertinent, hoc potest esse dupliciter. Vel quia est de illis quae expresse in articulis fidei
continentur, quos scire omnes tenentur ; et circa talia contradictio non est
sine peccato in altero, vel erroris simplicis, vel haeresis si pertinacia
adjungatur. |
Mais s’il se présente une
contradiction dans cette opinion par rapport au contenu de la foi, cela
est possible de deux manières. Soit parce qu’elle porte sur ce qui est
clairement contenu dans les articles de la foi que tous sont tenus de
savoir ; et pour les contradictoires de cette sorte l’une d’elles n’est
pas sans péché, qu’il s’agisse d’un péché d’erreur simple ou d’hérésie s’il
s’y ajoute de l’entêtement. |
Vel est de illis ad quae consequitur aliquid
inconveniens et contrarium fidei, licet in fide expressum non sit nec
determinatum ; et tunc ante pertractationem per quam scitur quod aliquid
inconveniens fidei sequitur, potest utrumque sine peccato opinari, et maxime
si pertinacia non adjungatur. |
Soit parce qu’elle porte sur des
énoncés d’où découlent des difficultés et des contrariétés relativement au
contenu de la foi, bien que ces énoncés eux-mêmes ne soient pas clairement
exprimés et fixés dans la foi ; et alors, avant l’approfondissement qui
permet de savoir qu’un inconvénient s’ensuit pour la foi, les deux
contradictoires peuvent être pensées sans qu’il y ait péché, surtout s’il ne
s’y ajoute pas de l’entêtement. |
Sed pertractata veritate et viso quid sequitur, idem
judicium est de his et de illis quae determinata sunt in fide, quia ad unum
sequitur alterum: sicut si aliquis simplex et Scripturas ignorans, crederet
Jacob patrem Isaac fuisse (ad quod sequitur Scripturam esse falsam, quod est
expresse contra fidem) antequam sequi ostenderetur sibi, posset ejus opinio
sine peccato esse ; sed ostenso quod sequitur Scripturam esse falsam, si
adhuc in opinione pertinaciter persisteret, haereticus judicandus esset. Ita
est etiam de notionibus de quibus nihil est expresse in fide determinatum. |
Mais une fois qu’on a touché la
vérité et vu ce qui s’ensuit, le jugement qu’on doit porter sur ces énoncés
doit aller dans le même sens que celui qu’on porte sur ceux qui ont été fixés
clairement dans le contenu de la foi car ces derniers sont le fondement du
jugement qu’on doit porter sur les premiers : par exemple, si quelqu’un
de simple et ignorant les Écritures croyait que Jacob a été le père d’Isaac
(d’où il s’ensuit que les Écritures sont fausses, ce qui s’oppose
expressément à la foi), avant qu’on lui montre ce qui s’ensuit, son opinion
pourrait être sans péché ; mais lui ayant montré qu’il s’ensuit que les
Écritures sont fausses, s’il persistait encore avec entêtement dans son
opinion, il devrait être jugé comme un hérétique. Et il en est encore de même
pour les notions au sujet desquelles rien n’a été clairement défini dans la
foi. |
Tamen ex errore circa notiones sequitur error circa
personas et circa fidem ; sicut si ponantur relationes esse assistentes tantum,
sequitur vel compositio in Deo, vel distinctio non secundum rem, sed secundum
rationem: quod est Sabellianae impietatis ; et ideo Porretanus, qui primo hoc
posuerat, post, viso hoc [viso quod hinc éd. de Parme] sequitur,
retractavit. |
Cependant, à partir d’une erreur sur les
notions il s’ensuit une erreur sur les personnes et sur la foi ; par
exemple, si on affirmait que les relations sont seulement ¨assistantes¨, il
s’ensuit soit qu’il y a composition en Dieu, soit qu’il y a en Dieu
distinction selon la raison seulement et non une distinction réelle, ce qui
constitue l’impiété de Sabellius ; et c’est pourquoi Gilbert de la
Porrée, qui avait d’abord affirmé cela, ayant vu par la suite ce [ayant vu
que de là Ed. de Parme] qui s’ensuit, se rétracta. |
Similiter etiam qui proprietates negant, non omnino
ponunt eas non esse ; immo implicite ponunt eas in personis et eas esse
personas. Sed si omnino negarentur esse, haereticum esset ; et similiter
pertinaciter defendere quod relationes sunt tantum assistentes, haereticum
esset: et ideo haeretici in Littera appellantur. |
Et de la même manière encore ceux
qui nient les propriétés n’affirment pas de manière absolue qu’elles
n’existent pas ; bien plutôt ils les posent implicitement dans les
personnes et affirment qu’elles sont les personnes. Mais s’ils niaient
absolument qu’elles existent, ils seraient hérétiques ; et de la même
manière, il serait hérétique de soutenir avec entêtement que les relations
sont seulement ¨assistantes¨. Et c’est pourquoi on les appelle hérétiques
dans la Lettre. |
[2395] d. 33 q. 1 a.
5 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objecta sunt. |
Solutions: Et par là on voit
les réponses à ces difficultés. |
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Distinctio 34 |
Distinction 34 – [L’essence et la Personne] |
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Prooemium |
Prologue |
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Distinctio 34 Hic est triplex quaestio. Prima de comparatione essentiae ad personam. Secunda de appropriatione quae in littera ponitur. Tertia de his quae translative de Deo dicuntur. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum essentia sit persona ; 2 utrum possit dici, quod tres personae sint unius
essentiae. |
Distinction 34. L’examen porte ici sur trois points. En premier lieu sur la comparaison de
l’essence à la personne. Deuxièmement sur l’appropriation qu’on
pose dans la Lettre. Troisièmement sur les choses qui se
disent de Dieu par translation. Au sujet du premier point on cherche à
répondre à deux questions : 1. Est-ce que l’essence est la
personne ? 2. Est-ce qu’on peut dire que les trois
personnes appartiennent à une seule et même essence? |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La comparaison de l’essence avec la personne]. |
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Articulus 1 [2398] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1
tit. Utrum persona et essentia in divinis sint idem |
Article 1 – La personne et l’essence sont-elles une même chose en Dieu ? |
[2399] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod persona et essentia in divinis non sunt
idem. Omnis enim persona vel hypostasis in divinis aut est generans, vel
genita, vel procedens. Sed essentia
non est hujusmodi, ut supra, dist. 5, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo et
cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que la personne et l’essence
ne soient pas identiques en Dieu. En effet, toute personne ou toute hypostase
en Dieu est ou bien celui qui engendre, celui est qui est engendré ou celui
qui procède. Mais l’essence n’est rien de tel, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Elles ne sont donc pas identiques. |
[2400] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, affirmatio et negatio nunquam verificantur de eodem. Verificantur
autem de essentia et persona ; quia essentia non est distincta, persona est
distincta. Ergo persona et essentia non sunt idem. |
2. Par ailleurs, l’affirmation et
la négation ne se vérifient jamais simultanément du même. Mais elles se
vérifient de l’essence et de la personne ; car l’essence n’est pas
distincte alors que la personne est distincte. Donc la personne et l’essence
ne sont pas identiques. |
[2401] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
omnis persona vel hypostasis est suppositum alicujus naturae. Sed idem non
potest sibi ipsi supponi. Ergo persona et essentia non sunt idem. |
3. En outre, toute personne ou
toute hypostase est le suppôt de quelque nature. Mais le même ne peut être un
suppôt pour soi-même. Donc la personne et l’essence ne sont pas identiques. |
[2402] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, omne proprium se habet ex additione ad commune. Sed essentia est
communis, persona autem est proprium. Ergo persona se habet ex additione ad
essentiam. Non igitur sunt omnino idem. |
4. Par ailleurs, tout ce qui est
propre se présente comme une addition à ce qui est commun. Mais l’essence est
commune et la personne est propre. Donc la personne se présente comme une
addition à l’essence. Elles ne sont donc pas absolument identiques. |
[2403] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 5 Item,
nulla duo uniuntur in eo quod omnino idem est utrique ; quia jam in nullo
distingui possent. Sed duae personae, ut Pater et Filius, uniuntur in
essentia. Ergo essentia non omnino idem est utrique personae. |
5. De plus, en aucun cas deux
réalités ne peuvent être unies dans ce qui est absolument identique aux
deux car déjà elles ne pourraient être distinguées en rien. Mais deux
personnes, comme le Père et le Fils, sont unies dans l’essence. Donc
l’essence n’est pas absolument identique aux deux personnes. |
[2404] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, per Boetium, De Trinit., cap. II, col. 1250, in
divinis idem est quo est et quod est. Sed essentia significatur ut quo est,
persona ut quod est. Ergo idem est essentia et persona. |
Cependant : 1. Au contraire, selon Boèce [De la
Trinité, ch. 11, col. 1250], ce qui est et ce par quoi il est sont
identiques en Dieu. Mais l’essence est signifiée comme ce par quoi il est et
la personne comme ce qui est. Donc l’essence et la personne sont identiques. |
[2405] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, si persona Patris non est ipsa deitas qua Deus dicitur, Pater
dicetur Deus participatione alicujus naturae. Sed illud cujus participatione
aliquid denominat [denominatur Éd. de Parme), est majus et
perfectius, quantum ad illud genus secundum quod denominatur, quam ipsum
participans, ut supra habitum est, 22 dist., et Dionysius etiam dicit, cap.
XII De div. Nom., quod participationes excedunt ipsa
participantia. Ergo sequeretur quod aliquid quod non est Pater, scilicet ipsa
divinitas, esset majus et perfectius Patre ; quod est inconveniens. Ergo
oportet quod essentia et persona sint omnino idem. |
2. Par ailleurs, si la personne du
Père n’est pas la divinité même par laquelle il est appelé Dieu, le Père sera
appelé Dieu par la participation d’une nature. Mais ce par la participation
de quoi quelque chose dénomme [est dénommé Éd. de Parme] est plus
grand et plus parfait quant à ce genre selon lequel il est dénommé que
celui-là même qui en participe, ainsi que nous l’avons établi plus haut à la
distinction 22 et ainsi que le dit aussi Denys [Les Noms Divins, ch.
XII] lorsqu’il affirme que les participations transcendent ceux-là même qui
en participent. Il s’ensuivrait donc que quelque chose qui n’est pas le Père,
à savoir la divinité elle-même, serait plus grande et plus parfaite que le
Père, ce qui est absurde. Il faut donc que l’essence et la personne soient absolument
identiques. |
[2406] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 3
Praeterea, sequeretur, si essentia esset alia res a tribus personis, quod
essent quatuor res in divinis: quod est haereticum. |
3. Par ailleurs, il s’ensuivrait,
si l’essence était autre en réalité que les trois personnes, qu’il y aurait
quatre réalités en Dieu : ce qui est hérétique. |
[2407] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod persona et essentia omnino re in divinis non distinguuntur. In
illis enim in quibus aliud est essentia quam hypostasis vel suppositum,
oportet quod sit aliquid materiale, per quod natura communis individuetur et
determinetur ad hoc singulare. Unde illam determinationem materiae vel
alicujus quod loco materiae se habet, addit in creaturis hypostasis supra
essentiam et naturam ; unde non omnino ista in creaturis idem sunt. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’en Dieu la personne et l’essence ne diffèrent absolument pas
quant à la réalité. En effet, dans les choses dans lesquelles l’essence est
autre que l’hypostase ou le suppôt, il faut qu’il y ait quelque chose de
materiel par quoi la nature commune puisse être individuée et déterminée à
cet individu. D’où il résulte que dans les créatures l’hypostase ajoute à
l’essence ou à la nature cette determination de la matière ou de quelque
chose qui tient lieu de matière; c’est pourquoi dans les creatures l’essence
et la personne ne sont pas absolument identiques. |
In Deo autem non est natura ipsius subsistens per
aliquod ad quod determinatur sicut per materiam ; sed per seipsam est
subsistens, et ipsum suum esse subsistens est ; unde natura est ipsum quod
subsistit, et esse in quo subsistit: et propter hoc in Deo omnino idem est
quo est et quod est. Unde oportet quod omnino idem sint re essentia et
persona, etiam si poneretur quod proprietates non essent essentia: quia
personae non habent quod sint personae ex hoc quod subsunt proprietatibus,
sed ex hoc quod subsunt essentiae ; quia persona dicit individuum subsistens
in genere substantiae. |
Mais en Dieu sa nature ne subsiste
pas au moyen de quelque chose qui la déterminerait, comme par une matière, à
être quelque chose ; mais bien plutôt c’est par elle-même qu’elle
subsiste et c’est son être même qui est subsistant ; d’où il résulte que
sa nature est cela même qui subsiste et qu’elle est l’être dans laquelle elle
subsiste : et c’est pour cette raison qu’en Dieu ce qui est et ce par
quoi il est sont absolument identiques. D’où il faut que l’essence et la
personne soient absolument identiques dans la réalité, même si on affirmait
que les propriétés ne sont pas l’essence : car les personnes ne tiennent
pas d’être des personnes du fait de se tenir sous les propriétés mais du fait
qu’elles se tiennent sous l’essence ; car la personne dit un individu
qui subsiste dans le genre de la substance. |
Unde magis est inconveniens ponere differentiam
secundum rem inter essentiam et personam, quam inter essentiam et
proprietatem. Nihilominus tamen essentia et persona distinguuntur secundum
rationem, cui tamen ratio veritatis rei pro fundamento substat. Cum enim in
Deo sit summa simplicitas et summa perfectio, utroque modo possumus Deum
significare ; scilicet quantum ad simplicitatem per nomina abstracta, et
quantum ad perfectionem per nomina concreta, quae significant aliquid
subsistens. |
D’où il est plus problématique de
poser une différence réelle entre l’essence et la personne qu’entre l’essence
et la propriété. Néanmoins cependant l’essence et la personne se distinguent
selon la raison, distinction sous laquelle cependant se tient la vérité de la
chose comme fondement. En effet, puisqu’il y a en Dieu la plus grande
simplicité et la plus grande perfection, nous pouvons signifier Dieu de deux
manières, à savoir quant à la simplicité au moyen des noms abstraits, et
quant à la perfection au moyen des noms concrets qui signifient quelque chose
de subsistant. |
Item, in divinis invenimus aliquid commune secundum
rem, et aliquid proprium. Sic ergo ratio personae duo includit in divinis:
nomine enim personae significatur Deus ut subsistens, et ut proprium ; sed
nomine essentiae significatur ut simplex [simpliciter Éd. de Parme],
non autem ut subsistens, et significatur ut commune ; sed nomine paternitatis
non significatur ut subsistens, sed ut proprium, non quidem ut distinctum,
sed ut distinguens. |
En outre nous retrouvons en Dieu
quelque chose de commun selon la réalité et quelque chose de propre. Ainsi
donc la noton de personne inclut deux aspects en Dieu : en effet par le
nom de personne Dieu est signifié comme subsistant et comme propre ;
mais par le nom d’essence il est signifié comme simple [simplement Éd. de
Parme], mais non comme subsistant, et il est signifié comme commun ;
mais par le nom de paternité il n’est pas signifié comme subsistant mais
comme propre, et non pas comme étant distinct, mais comme ce qui distingue. |
Et sic patet quod persona re ab essentia et proprietate
non differt, sed secundum rationem tantum, per quam utrumque significatur ut
formale respectu personae, quantum ad duo quae sunt de intellectu personae:
quia essentia significatur ut forma ejus, inquantum est subsistens ; et
proprietas ut forma ejus, inquantum est proprium vel incommunicabile. |
Et ainsi il est clair que la
personne ne diffère pas en réalité de l’essence et de la propriété, mais
seulement par la raison par laquelle l’une et l’autre est signifiée comme
formellement par rapport à la personne quant à deux aspects qui font partie
de l’intelligibilité de la personne : car l’essence est signifiée comme
sa forme en tant qu’elle est subsistante et la propriété comme sa forme en
tant qu’elle est propre et incommunicable. |
[2408] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod generare et similes actus attribuuntur personae
divinae secundum duplicem modum significandi quo ab essentia distinguitur:
tum quia significant relationes distinguentes personas ; tum quia significant
per modum actus. Actus autem omnis est rei subsistentis et perfectae ; et
ideo non possunt essentiae attribui ex hoc quod attribuuntur hypostasi ; quia
hypostasi attribuuntur secundum id in quo non est idem cum essentia ; et ideo
incidit fallacia accidentis in processu. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ¨engendrer¨ et les actes semblables sont attribués à la
personne divine d’après deux manières de signifier par lesquelles elle se
distingue de l’essence : tant parce qu’ils signifient les relations qui
distinguent les personnes que parce qu’ils signifient à la manière d’un acte.
Mais tout acte appartient à une chose subsistante et parfaite ; et c’est
pourquoi les actes ne peuvent être attribués à l’essence du fait qu’ils sont
attribués à l’hypostase pour cette raison qu’ils s’attribuent à
l’hypostase d’après ce qui la distingue de l’essence ; et c’est pourquoi
on retrouve dans cet argument un sophisme de l’accident. |
[2409] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod de eodem, secundum quod idem est, impossibile est
aliquid idem affirmare et negare ; sed si in aliquo distinguantur
affirmationes et negationes pertinentes ad illam distinctionem, de ipso
verificari poterunt: quia omnis distinctio, sive rei sive rationis, fundatur
in affirmatione et negatione, sicut patet etiam in synonimis ; tunica enim et
vestis eamdem rem significant, tamen nomina sunt diversa ; et similiter
indumentum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que pour un même être, en tant qu’il est le même, il est impossible
d’affirmer et de nier la même chose ; mais si les affirmations et les
négations qui se rapportent à cette distinction diffèrent en quelque chose,
elles pourront se vérifier de lui : car toute distinction, qu’il
s’agisse d’une distinction réelle ou d’une distinction de raison, se fonde
sur l’affirmation et la négation tout comme on le voit aussi dans les
synonymes ; en effet, tunique et vêtement signifient la même chose et
cependant les noms sont différents et il en est de même pour manteau. |
Unde affirmationes et negationes quae pertinent ad rem,
non possunt verificari, ut dicatur: tunica est alba, indumentum non est album
; sed affirmationes et negationes quae pertinent ad ipsa nomina, possunt
verificari, ut dicatur: indumentum est neutri generis, vestis non est neutri
generis. Ita etiam cum persona et essentia sint idem secundum rem, nihil quod
ad naturam rei pertinet, quod praedicatur de essentia, potest negari de
persona, ut dicatur, quod essentia est increata, et persona non est increata
; essentia est Deus, et persona non est Deus ; vel aliquid hujusmodi. |
|
Sed quia ratione distinguuntur, quidquid pertinet ad
rationem illam in qua distinguuntur, quod praedicatur de uno, potest negari
de altero, ut dicatur, quod essentia est communis, persona non est communis ;
persona generat, essentia non generat: et sic de aliis. Unde in omnibus
talibus non idem attribuitur essentiae et personae. |
Mais parce que la personne et
l’essence se distinguent par la raison, tout ce qui se rapporte à cet aspect
sous lequel elles se distinguent et qui s’attribue à l’une peut être nié de
l’autre, comme lorsqu’on dit que l’essence est commune et que la personne
n’est pas commune, que la personne engendre et que l’essence n’engendre
pas : et il en est de même pour d’autres prédicats. D’où il résulte que
dans tous les cas de cette sorte ce n’est pas la même chose qui est attribué
à l’essence et à la personne. |
[2410] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod proprie loquendo, non est in divinis aliquid sub alio
; unde supra, 8 dist., Augustinus non recipit nomen substantiae in divinis ; et
etiam Richardus de s. Victore nomen subsistentiae in nomen existentiae
mutavit. Unde etiam nec proprie ibi suppositum dicitur, ut suppositio ad rem
referatur. Sed utimur talibus nominibus secundum intellectum nostrum, qui
accipit in divinis aliquid respondens illis duobus in creaturis, quorum unum
alteri supponitur, sicut res per se existens supponitur formae communi
simplici ; et intellectus accipit aliquid simpliciter in Deo, quod respondet
formae, et aliquid subsistens, quod idem est re cum simplici ; et ideo rem
subsistentem in divinis nominat suppositum naturae simplicis. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’à
proprement parler, en Dieu rien ne se tient sous quelque chose d’autre ;
d’où, comme nous l’avons vu plus haut à la distinction 8, Augustin n’admet
pas le nom de substance pour Dieu ; et même Richard de Saint-Victor a
changé le nom de subsistance en le nom d’existence pour Dieu. D’où encore
suppôt ne se dit pas là proprement de manière à rapporter la supposition à
une réalité. Mais nous nous servons de tels noms conformément à notre
intelligence qui admet en Dieu quelque chose qui correspond à ces deux
aspects dans les créatures, dont l’une est supposée à l’autre, comme la
réalité qui existe par elle-même est supposée à la forme commune simple ;
et l’intelligence admet en Dieu quelque chose de simple qui correspond à la
forme, et quelque chose de subsistant qui est identique en réalité avec ce
qui est simple ; et c’est pourquoi le suppôt d’une nature simple nomme
une réalité subsistante en Dieu. |
[2411] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod commune est duplex. Quoddam enim commune est secundum rationem ; et istud
per additionem alicujus proprii contrahitur et determinatur ; sicut genus per
additionem differentiae, et species per materiam individuatur. Aliud est commune re, quod quidem manet indivisum ;
unde non oportet quod aliquo addito determinetur ; sicut est essentia in
tribus personis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’il y a deux sortes de commun. Il y a en effet un commun selon la raison
et ce dernier est limité et déterminé par l’addition d’une propriété, tout
comme le genre l’est par l’addition d’une différence et que l’espèce est
individuée par la matière. L’autre est un commun réel qui demeure
certes indivisé ; d’où il ne faut pas qu’il soit déterminé ou limité par
une addition, tout comme c’est le cas pour l’essence dans les trois
personnes. |
Sed verum est quod oportet de intellectu personae esse
aliquam rationem, scilicet relationis, quae non est de intellectu essentiae ;
quae tamen relatio re ab ipsa essentia non differt ; unde nec compositionem
facit, nec in aliquo realiter personam ab essentia distinguit, sed personam a
persona. |
Mais il est vrai qu’il faut qu’il y
ait une notion au sujet de l’intelligibilité de la personne, à savoir celle
de la relation, qui ne fasse pas partie de l’intelligibilité de l’essence. Et
cependant cette relation ne diffère pas en réalité de l’essence
elle-même ; d’où elle ne fait pas composition avec elle et ne distingue
en rien dans la réalité la personne de l’essence, mais seulement une personne
d’une autre. |
[2412] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod tres personae uniuntur in essentia, quae omnino
secundum rem idem est unicuique illarum ; tamen differt secundum rationem ab
unaquaque, prout persona includit in se intellectum relationis ; quae
relatio, quamvis, comparata ad essentiam, ratione tantum differat ab ea,
tamen comparata ad suum relatum cui opponitur, realem distinctionem facit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que les trois personnes sont unies dans l’essence, laquelle en réalité est
absolument identique à chacune d’elles ; cependant elle diffère par la
raison de chacune d’elles, dans la mesure où la personne inclut en elle l’intelligence
de la relation ; mais cette relation, bien que comparée à l’essence elle
en diffère seulement par la raison, cependant, comparée à ce relatif auquel
elle s’oppose elle fait une distinction réelle. |
Non enim relatio distinguit realiter, nisi secundum oppositionem
respectus quam habet. Illa autem oppositio non est ad hoc in quo relatio
habet esse, sed ad hoc ad quod dicitur ; et ideo relatio non distinguitur
realiter ab essentia et persona in qua est, sed a persona alia ad quam
dicitur. |
En effet, la relation ne distingue
réellement que selon l’opposition de la considération qu’elle fait. Mais
cette opposition n’est pas par rapport à ce dans quoi la relation a
l’existence, mais par rapport à ce à l’égard de quoi elle se dit ; et
c’est pourquoi la relation ne se distingue pas réellement de l’essence et de
la personne dans laquelle elle existe, mais de l’autre personne par rapport à
laquelle elle se dit. |
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Articulus 2 [2413] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2
tit. Utrum tres personas esse unius essentiae convenienter dicatur |
Article 2 – Dit-on convenablement que les trois personnes sont d’une seule essence ? |
[2414] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur inconvenienter dici, quod tres personae sint
unius essentiae. Quia secundum grammaticum, obliqui transitivi sunt. Sed
constructio transitiva exigit diversitatem eorum quae construuntur. Cum
igitur essentia non sit diversa a persona, videtur inconvenienter dici, tres
personas esse unius essentiae. |
Difficultés : 1. Il semble que ce ne soit pas avec
raison qu’on dise des trois personnes qu’elles sont d’une seule et même
essence. Car selon le grammairien, les obliques sont transitifs. Mais la
construction transitive exige la diversité de ce qui est construit. Donc, puisque
l’essence n’est pas différente de la personne, il semble qu’on ait tort de
dire que les trois personnes sont d’une seule et même essence. |
[2415] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 2 Si
dicas, quod genitivi illi construuntur intransitive, sicut cum dicitur
donum Spiritus sancti, idest quod est Spiritus sanctus ; contra.Sicut
tres personae sunt una essentia, ita etiam sunt unus Deus. Ergo si illa ratio
sufficit, adhuc videtur quod similiter possit dici, esse tres personas unius
Dei, quod in Littera negatur. |
2. Si tu dis que
ces cas génitifs sont construits d’une manière intransitive, comme lorsqu’on
parle du don de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire de ce don qui est
l’Esprit-Saint ; je réponds par contre que tout comme
les trois personnes sont une seule essence, de même encore elles sont un seul
Dieu. Donc, si cette raison suffit, il semble encore qu’on puisse
semblablement dire que les trois personnes sont d’un seul Dieu, ce qui est
nié dans la Lettre. |
[2416] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 3 Item,
omnis constructio obliqui potest exponi per aliquam praepositionem cum
causali. Sed haec est falsa, quod tres personae sunt ex eadem essentia, vel
de eadem essentia [de eadem essentia om. Éd. de Parme], vel per
eadem. Ergo videtur quod haec etiam sit falsa, quod tres personae sunt unius
essentiae. |
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[2417] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea,
eadem est ratio rei et unius rei, ut dicit Philosophus, IV Metaph.,
text. 3. Si igitur tres personae sunt unius essentiae, convenienter
poterit dici, quod tres personae sunt essentiae, quod nihil dictum videtur
[nihil est dictum Éd. de Parme]. Ergo nec primum. |
4. Par ailleurs la définition d’une
chose et celle d’une même chose sont identiques, comme le dit le Philosophe
[IV Métaphysique, texte 3]. Si donc les trois personnes sont
d’une même essence, on pourra dire avec raison que les trois personnes sont
de l’essence, ce qui ne semble rien [rien n’est dit Éd. de Parme]
dire. On ne peut donc dire la première proposition. |
[2418] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, ut in Littera habetur, ab omnibus Catholicis
consensum et defensum est nomen omoousion. Sed hoc nihil aliud est quam esse
unius essentiae, ut in Littera dicitur. Ergo tres personae
sunt unius essentiae. |
Cependant : 1. Au contraire, comme on l’établit dans
la Lettre, le terme «omoousion» est admis et défendu par tous les Catholiques.
Mais ce terme ne signifie rien d’autre que d’être d’une même essence, comme
on le dit dans la Lettre. Donc, les trois personnes sont d’une même essence. |
[2419] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod ista simpliciter concedenda est: « Tres personae sunt
unius essentiae ». Quamvis enim quatuor sint causae in rebus creatis,
non tamen habitudines omnium causarum in Deo inveniuntur. Habitudo autem
causae materialis non competit Deo nec respectu alicujus quod in ipso est,
nec respectu ejus quod in creaturis est: quia materia imperfecta est et in
potentia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette
proposition doit être concédée absolument : «Les trois personnes sont
d’une même essence». En effet, bien qu’il y ait quatre sortes de causes dans
les choses créées, cependant en Dieu on ne retrouve pas les rapports de
toutes les causes. Mais le rapport de la cause matérielle ne convient à Dieu
ni par rapport à ce qui est en lui ni par rapport à ce qu’il est dans les créatures
car la matière est imparfaite et en puissance. |
Sed habitudo causae finalis est quidem in Deo respectu
creaturarum, cujus bonitatem finem omnis creaturae dicimus, non autem
respectu alicujus quod in ipso est: non enim una persona est finis alterius, quia
ex hoc sequeretur gradus in bonitate. Habitudo autem causae formalis competit
Deo et respectu creaturae cujus exemplar est, et respectu ejus quod in ipso
est ; tamen ista habitudo non fundatur super aliquam relationem realem, sed
secundum modum significandi ; quia aliquid significatur ut forma, sicut
essentia, et aliquid ut subsistens in forma, sicut persona. |
Mais le rapport de la cause finale
est certes en Dieu par rapport aux créatures dont nous disons que sa bonté
est la fin de toute créature mais non pas cependant par rapport à ce qui est
en lui : une personne en effet n’est pas la fin d’une autre car il
s’ensuivrait de là qu’il y aurait un degré dans la bonté divine. Cependant le
rapport de la cause formelle convient à Dieu à la fois par rapport à la
créature dont il est le modèle et par rapport à ce qui est en lui :
néanmoins ce rapport ne se fonde pas sur une relation réelle mais sur le mode
de signifier car quelque chose est signifié en tant que forme, comme
l’essence, et quelque chose est signifié comme subsistant dans la forme, à
savoir la personne. |
Habitudo autem causae efficientis competit Deo et
respectu creaturae et respectu ejus quod in ipso est, non quidem essentiae
[esse Éd. de Parme], ad personam, sed personae ad personam, quae
ab ipsa [ipso Éd. de Parme] est ; nec tamen ista habitudo
fundatur supra acceptionem intellectus, sed supra relationem, quae in re est
; ut tamen efficiens large sumatur, quia in divinis non est aliquid faciens
et factum: sed est ibi origo unius personae ab alia. Et ideo [ita Éd.
de Parme] patet quod omnis constructio in divinis respectu divinorum, vel
est secundum habitudinem causae efficientis, ut cum dicitur Filius Patris ;
vel secundum habitudinem causae formalis, ut cum dicitur: tres personae sunt
unius essentiae. Unde dicendum, quod isti genitivi construuntur in habitudine
causae formalis. |
Mais le rapport de la cause
efficiente convient à Dieu à la fois par rapport à la créature et par rapport
à ce qui est en lui, non pas certes de l’essence [l’être Éd. de Parme]
à la personne, mais de la personne à la personne qui procède d’elle [de
lui Éd. de Parme] ; et cependans ce rapport ne se fonde pas
sur une acception de l’intelligence mais sur une relation qui est dans la
réalité, si on prend cependant la cause efficiente au sens large car en Dieu
il n’y a pas au sens strict de cause productrice et de produit : mais il
y a plutôt là une origine d’une personne par rapport à une autre. Et c’est
pourquoi [ainsi Éd. de Parme] il est clair que toute construction
en Dieu par rapport aux personnes divines se faut soit selon le rapport de la
cause efficiente, comme lorsqu’on dit que le Fils procède du Père, soit selon
le rapport de la cause formelle, comme lorsqu’on dit que les trois personnes
sont d’une même essence. D’où il faut dire que ces génitifs sont construits
dans le rapport de la cause formelle. |
[2420] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod quamvis essentia et persona sint idem re, tamen
differunt ratione, quia unum ut forma alterius significatur ; et talis
diversitas sufficit ad grammaticum, qui modos significandi per nomen
considerat. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que l’essence et la personne soient identiques en réalité, cependant
elles diffèrent par la raison car l’une est signifiée comme la forme de
l’autre ; et une telle diversité suffit au grammairien qui considère les
modes de signifier au moyen du nom. |
[2421] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod non est ibi omnino constructio secundum identitatem,
sed secundum habitudinem formae, ut dictum est, in corp. art. ; et quia Deus
non significatur ut forma trium personarum, ideo non potest dici quod tres
personae sint unius Dei: non enim posset intelligi ista constructio, nisi
possessive: et similiter propter eamdem rationem dicitur, quod est una
essentia trium personarum: non autem quod sit unus Deus trium personarum quia
[non… quia om. Éd. de Parme] et in nomine Dei importatur habitudo
principii creantis et gubernantis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il n’y a pas là construction selon l’identité mais selon le rapport de
forme, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article ; et parce que
Dieu n’est pas signifié comme la forme des trois personnes, c’est pourquoi on
ne peut dire que les trois personnes sont d’un seul Dieu : cette
construction en effet ne peut s’entendre qu’à la manière d’une
possession ; et de la même manière c’est pour la même raison qu’on dit
qu’il y a une seule essence qui appartient aux trois personnes mais non pas
qu’i y a un seul Dieu qui appartient aux trois personnes car [non…car om.
Éd. de Parme] dans le nom de Dieu est impliqué le rapport du principe qui
crée et qui gouverne. |
[2422] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod hae praepositiones ex et de designant habitudinem
alicujus quod se habet ad motum vel operationem sicut initium et non sicut
terminus: et ideo designant habitudinem causae efficientis vel materialis,
non autem formae vel finis, quae sunt potius ut terminus motus ; et ideo
nullo modo potest dici quod tres personae sint ex eadem essentia vel de eadem
essentia ; sed potest dici quod sint in eadem essentia ; quia haec
praepositio in potest denotare habitudinem causae formalis continentis. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ces
prépositions ¨ex¨, c’est-à-dire ¨à partir de¨ et ¨de¨, à savoir ¨de¨,
désignent le rapport de ce qui se présente à l’égard du mouvement ou de
l’opération comme le commencement et non comme le terme : et c’est
pourquoi elles désignent le rapport de la cause efficiente ou de la cause
matérielle, mais non celui de la forme ou de la fin qui sont plutôt comme le
terme du mouvement ; et c’est pourquoi on ne peut dire en aucune manière
que les trois personnes existent à partir d’une même essence ou qu’elles sont
d’une même essence ; mais on peut dire qu’elles sont dans une même
essence car cette préposition ¨in¨, à savoir ¨dans¨ peut dénoter le rapport
de la cause formelle qui contient. |
[2423] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod istae constructiones quae sunt in designatione formae,
requirunt duos genitivos, quorum unus significet ipsam formam, et alius
determinationem formae ; ut cum dicitur columna mirae altitudinis ; vel unum
genitivum habentem vim genitivorum duorum, ut cum dicitur vir sanguinum,
idest vir multi sanguinis effusor: et ideo oportet etiam in proposito esse
duos genitivos, quorum unus significet ipsam divinam essentiam, et alius
designet simplicitatem aut unitatem ejus, vel aliquam aliam essentiae
conditionem. Unde potest dici convenienter: tres personae sunt unius
essentiae, vel ejusdem essentiae, vel increatae essentiae ; non autem quod
sint essentiae simpliciter. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que ces construction qui servent à désigner la forme exigent deux génitifs
dont l’un signifie la forme elle-même et l’autre la détermination de la
forme, comme lorsqu’on dit que la colonne est d’une hauteur admirable ;
ou bien un même génitif qui possède la force de deux génitifs, comme lorsqu’on
parle d’un homme de sangs, c’est-à-dire d’un homme qui répand une grande
quantité de sang : et c’est pourquoi il faut aussi pour le propos qu’il
y ait deux génitifs dont l’un signifie l’essence divine même, et l’autre sa
simplicité ou son unité, ou une autre condition de l’essence. D’où on peut
dire avec raison que les trois personnes sont d’une même essence, ou de la
même essence ou d’essence incréée, et non pas qu’elles sont de l’essence
purement simplement. |
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Question 2 – [L’appropriation qui est placée dans la Lettre]. |
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Articulus 1 [2424] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1
tit. Utrum potentia convenienter attribuatur Patri, sapientia Filio, bonitas
Spiritui sancto |
Article 1 – La puissance est-elle convenablement attribuée au Père, la sagesse au Fils et la bonté à l’Esprit Saint ? |
[2425] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 1
Deinde quaeritur de appropriatione quae in Littera ponitur. Videtur enim quod
sit incompetens. Virtus enim ad potentiam pertinet. Sed virtus appropriatur Filio, 1 Corinth. 1, 24: Christum
Dei virtutem. Ergo potentia non debet appropriari Patri, sed Filio. |
Difficultés : 1. On s’interroge ensuite sur les
appropriations présentées dans la Lettre. Il semble que ces attributions ne
soient pas justes. En effet, la force se rapporte à la puissance. Mais la
force est appropriée au Fils [1 Corinthiens : 1, 24] : Le
Christ, force de Dieu. Donc, la puissance ne doit pas être attribuée au
Père mais au Fils. |
[2426] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, principium enuntiationis vel pronuntiationis verbi, est ipsa
sapientia. Sed dicere verbum, quod est Filius, pertinet ad Patrem, qui est
principium ejus. Ergo sapientia debet appropriari Patri potius quam Filio. |
2. Par ailleurs, le principe de
l’énonciation ou de la prononciation du verbe est la sagesse elle-même. Mais
dire le verbe, lequel est le Fils, appartient au Père qui en est le principe.
Donc la sagesse doit être appropriée au Père davantage qu’au fils. |
[2427] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 3 Item,
sicut Filius procedit per modum intellectus ut verbum, ita etiam per modum
naturae ut Filius. Si ergo sapientia appropriatur Filio, quia procedit per
modum intellectus, eadem ratione debet sibi appropriari natura, quia procedit
per modum naturae. |
3. En outre, tout comme le Fils
procède par mode d’intellect comme verbe, de même encore il procède par mode
de nature comme Fils. Si donc la sagesse est appropriée au Fils car il
procède par mode d’intellect, pour la même raison la nature doit lui être
appropriée car il procède par mode de nature. |
[2428] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Dionysium, ap. IV de div. Nom., col. 694, bonum est
diffusivum sui ipsius, et est quasi principium fontale omnis emanationis
divinae bonitatis. Sed esse fontale principium convenit Patri. Ergo bonitas
debet Patri appropriari. |
4. Par ailleurs, d’après Denys [Les
Noms Divins, ch. IV, col. 694], il est dans la nature du bien de se
répandre, et il est le principe d’où, comme d’une source, procède toute émanation
de la bonté divine. Mais il appartient au Père d’être le principe originel.
Donc la bonté doit être appropriée au Père. |
[2429] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : Ce qu’on dit dans la Lettre est
contraire à ce qu’on conclut dans ces objections. |
[2430] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod nomina personarum dicuntur et de divinis et de rebus creatis,
non quidem univoce, sed per prius et posterius ; unde secundum alium modum
est paternitas et filiatio in creaturis et in divinis, et ideo appropriatio
potest fieri dupliciter: uno modo, considerando rationes nominum secundum quod
de creaturis dicuntur ; et ita appropriatio semper debet fieri per
contrarium, ut modus creaturae a creatore excludatur ; alio modo, considerando rationes nominum secundum quod
in divinis inveniuntur ; et ita debet appropriatio fieri per similitudinem ad
proprium, ut supra, 31 distinct., qu. 2, art. 1, dictum est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que les noms
des personnes se disent à la fois de Dieu et des choses créées, non pas
certes de manière univoque mais par priorité et postériorité ; il
résulte de là que c’est selon des modes différents que la paternité et la
filiation se retrouvent en Dieu et dans les créatures et c’est pourquoi
l’appropriation peut se produire de deux manières : premièrement en
considérant les raisons formelles des noms selon qu’ils se disent des
créatures et de cette manière l’appropriation se produit toujours par le
contraire de telle manière que le mode de la créature soit exclu du
créateur ; deuxièmement en considérant les raisons formelles des noms
selon qu’ils se rencontent dans les personnes divines et de cette
manière l’appropriation se produit toujours par ressemblance à la propriété
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 31, quest. 2, art. 1]. |
Utroque autem modo conveniens est ista appropriatio. Si
enim considerentur rationes horum nominum secundum modum quo inveniuntur in
creaturis, inveniuntur per contrarium facta: quia apud nos invenitur
infirmitas in patribus propter senectutem ; unde Patri caelesti potentia
attribuitur: invenitur imperitia in filiis propter juventutis motus, et
propter inexperientiam ; et ideo Filio Dei sapientia attribuitur. |
Mais cette appropriation est
justifiée pour chacune de ces deux manières. Si en effet les raisons
formelles de ces noms sont considérées selon le mode par lequel ils se
retrouvent dans les créatures, ils se trouvent à avoir été produits par le
contraire : car de notre côté il y a une faiblesse qui se rencontre chez
les pères en raison de la vieillesse, d’où la puissance est attribuée au Père
céleste ; et une ignorance se rencontre chez les fils en raison de
l’agitation et de l’inexpérience de la jeunesse et c’est pourquoi la sagesse
est attribuée au Fils de Dieu. |
Sed nomen spiritus apud nos pertinere solet ad quamdam
rigiditatem et inflationem, vel impetuositatem ; unde dicitur Isai. 2,
22: « Quiescite ab homine cujus spiritus in naribus ejus »
; et ideo spiritui sancto bonitas attribuitur ; et hic modus tangitur
in littera. Si autem accipiantur rationes nominum prout in
divinis sunt, sic etiam poterit fieri per assimilationem ad propria ; ut
Patri qui est fontale principium totius divinitatis, potentia ascribatur,
quae in ratione sua principium includit: est enim potentia principium
transmutationis, ut in V Metaph., text. 17, dicitur: et quia
Filius procedit per modum intellectus, qui sapientia perficitur, attribuitur
sibi sapientia ; et quia Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis,
cujus objectum est bonitas, ideo sibi appropriatur bonitas. |
Mais de notre côté le nom d’esprit ou de
souffle a coutune de se rapporter à une certaine inflexibilité et à un
orgueil ou à une violence, d’où l’Écriture [Isaïe, 2, 22] nous
dit : «Tenez-vous à l’écart de l’homme dont le souffle ne tient qu’à ses
narines» ; et c’est pourquoi la bonté est attribuée à
l’Esprit-Saint ; et tel est le mode qui est considéré dans la Lettre. Mais si on prend les raisons formelles
des noms selon qu’ils se retrouvent en Dieu, ainsi encore l’appropriation
pourra se présenter par une assimilation aux propriétés, de telle manière
qu’au Père, qui est le principe originel de toute divinité, la puissance soit
attribuée, laquelle contient la notion de principe dans sa définition. La
puissance en effet est un principe de changement ainsi qu’on le dit le
Philosophe [V Métaphysique, texte 17] : et parce que le Fils
procède par mode d’intelligence qui trouve sa perfection dans la sagesse,
c’est pourquoi la sagesse lui est attribuée ; et parce que
l’Esprit-Saint procède par mode de volonté dont l’objet est le bien ou la
bonté, c’est pourquoi la bonté lui est attribuée. |
[2431] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod virtus non nominat potentiam absolute, sed
perfectionem potentiae ; unde dicit Philosophus, I caeli et
mundi, text. 32, quod virtus est ultimum in re de potentia. Sic ergo
potest tripliciter virtus considerari: vel secundum quod in potentia radicatur, et sic Patri
potest appropriari, sicut et potentia: vel inquantum est id per quod potentia in actum exit,
et ita Filio appropriatur, per quem Pater operari dicitur ; unde et Filius
brachium Patris dicitur, Job XL, 4: si habes brachium sicut Deus,
ut Gregorius exposuit lib. XXXII, Moral., c. V, § 7. Vel inquantum circa opus bonitatem imponit, unde
dicitur 2 Ethic., cap. V, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus
ejus bonum reddit, et ita appropriatur Spiritui sancto, sicut et bonitas. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la vertu ne signifie pas la puissance absolument mais la perfection de la
puissance, d’où le Philosophe dit [1 Du Ciel et du Monde, texte
32] que la vertu est ce qu’on rencontre en dernier dans la puissance de la
chose. Ainsi donc la vertu peut être considérée de trois manières : soit
selon qu’elle s’enracine dans la puissance et ainsi elle peut être appropriée
au Père tout comme la puissance ; soit selon qu’elle est ce par quoi la
puissance passe à l’acte et ainsi elle est appropriée au Fils dont on dit
qu’il est celui par lequel le Père opère, d’où le Fils est appelé la main du
Père dans les Écritures [Job XL, 4] : si tu as une main, comme Dieu,
comme Saint-Grégoire l’expliqua [XXXII La Morale, ch. V, &
7] ; soit selon que la vertu applique la bonté à l’œuvre, d’où l’on dit
[11 Éthique, ch. V] que la vertu est ce qui rend bon celui qui la
possède et qui rend bonne aussi son œuvre et en ce sens la vertu, tout comme
la bonté, est appropriée à l’Esprit-Saint. |
[2432] Super Sent., lib.
1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia ad verbum potest
comparari tripliciter: vel sicut idem, vel sicut prius, vel sicut posterius,
ita in divinis sicut in humanis. Cum
enim verbum dicat quamdam conceptionem intellectus, ista conceptio apud nos
oportet quod consequatur aliquod lumen intellectuale, et saltem lumen
intellectus agentis, et primorum principiorum ex quibus accipitur conclusio. |
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Unde si consideretur sapientia apud nos secundum quod
consistit in cognitione conclusionis quae mente accipitur, sic est idem quod
verbum mentis ; si autem consideretur sapientia secundum quod consistit in
lumine intellectus agentis et cognitione primorum principiorum, sic praecedit
verbum, quod est conceptio conclusionis ; si autem accipiatur sapientia quae
est adgenerata in mente discipuli per verbum magistri, sic sequitur verbum.
Ita etiam est in divinis: quia ipsa sapientia genita est idem quod verbum, ut
ex praedictis patet, dist. 32, qu. 2, art. 2. |
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Ipse autem intellectus paternus se habet in productione
verbi sicut lumen intellectus agentis, cum principiis in productione
conclusionis ; et sic secundum ordinem naturae, sapientia est principium
verbi, sicut dicimus sapientiam ingenitam esse principium sapientiae genitae.
Ipsa autem sapientia creata sequitur verbum, quasi effecta per ipsum ; unde
Eccli. 1, 5: « Fons sapientiae verbum Dei in excelsis » ; et
ideo sapientia essentialis, quae ingenita est neque generans, Filio
appropriari potest, propter similitudinem ipsius ad proprium Filii, inquantum
est verbum ; quam similitudinem non habet ad aliquod proprium Patris. |
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[2433] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod natura semper habet rationem principii: est enim
principium motus et quietis in eo in quo est, per se, et non secundum
accidens, ut in II Physic., text. 3, dicitur ; et ideo non potest appropriari
Filio, qui est a principio secundum originem naturae, et non principium in
illa origine. Sed sapientia non habet tantum rationem principii, sed etiam
ejus quod est a principio ; et etiam magis, inquantum proprie sapientia et
scientia de conclusionibus est, quamvis etiam sapientia principiorum sit, ut
in VII Ethic., cap. c |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la nature a toujours raison de principe : elle est en effet le
principe, par soi et non par accident, du mouvement et du
repos dans celui dans lequel elle se trouve, comme le dit le
Philosophe [11 Physique, texte 3] ; et c’est pourquoi elle
ne peut être appropriée au Fils qui procède d’un principe selon une origine
de nature et qui n’est pas principe dans cette origine. Mais la sagesse n’a
pas seulement raison de principe mais aussi de ce qui procède d’un principe
et même davantage, pour autant que la sagesse tout comme la science se
rapporte proprement aux conclusions, bien que la sagesse a aussi pour objet
les principes ainsi que le dit le Philosophe [ VII Éthique,
ch. VII] et c’est pourquoi elle peut être appropriée au Fils. |
[2434] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod bonum dicitur diffusivum per modum finis, secundum
quod dicitur quod finis movet efficientem. Non autem sic Pater est principium
divinitatis, sed magis per modum efficientis, ut dictum est, in corp. art. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’on dit qu’il est dans la nature du bien de se répandre à la manière d’une
fin selon qu’on dit que la fin meut l’agent. Mais ce n’est pas de cette
manière que le Père est principe de la divinité, mais plutôt à la manière d’un
agent, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
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Question 3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu]. |
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Quaestio 3 Prooemium |
Prologue |
[2435] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 pr. Deinde
quaeritur de his quae translative de Deo dicuntur ; et circa hoc quaeruntur
duo: 1 utrum aliquid de Deo translative dicendum sit ; 2 a quibus rebus Deus translative nominandus sit. |
On s’interroge ensuite sur les noms
qui s’attribuent à Dieu par métaphore et à ce sujet on pose deux
questions : 1. Faut-il attribuer à Dieu des termes
qui se disent de Lui par métaphore ? 2. À partir de quelles sortes de choses
doit-on attribuer à Dieu des termes par métaphore. |
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Articulus 1 [2436] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1
tit. Utrum aliquid debeat dici translative de Deo |
Article 1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par métaphore ? |
[2437] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod de Deo
nihil translative dici debeat. Sicut enim dicit Boetius, lib. 1 de
Trin., c. II col. 1250 in divinis intellectualiter versari oportet,
neque ad imaginationes deduci. Sed
hujusmodi transumptivae locutiones sunt sumptae ex imaginationibus
sensibilium. Ergo non est eis utendum in divinis. |
Difficultés : 1. Il semble que rien ne doive être
attribué à Dieu par métaphore. En effet, comme le dit Boèce [1 De la
Trinité, ch. 11, col. 1250], c’est par l’intelligence qu’il faut se
tourner vers Dieu et ne pas chercher à le ramener à des images. Mais les
expression métaphoriques de cette sorte sont tirées des images sensibles. Il
ne faut donc pas s’en servir pour chercher à connaître Dieu. |
[2438] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum, VI Top.,cap.
VII, omnes transferentes, secundum aliquam similitudinem transferunt. Sed,
secundum Boetium, lib. III, in Porph., col. 99, cap. « De specie », similitudo est rerum
differentium eadem qualitas. Cum igitur qualitates rerum corporalium non
inveniantur in divinis, videtur quod nulla similitudo vel metaphora possit
sumi ex rebus sensibilibus, ut aliquid de Deo translative dicatur. |
2. Par ailleurs, d’après le Philosophe [
VI Topiques, ch. VII], tous ceux qui font ce genre de transports
les font d’après une ressemblance. Mais d’après Boèce [111 Sur
Porphyre, col. 99, ch. «Sur l’espèce»] la ressemblance est une même
qualité pour les choses qui diffèrent. Donc, puisque les qualités des choses
corporelles ne se retrouvent pas en Dieu, il semble qu’aucune ressemblance ou
aucune métaphore ne puisse être tirée des choses sensibles, de manière à ce
que quelque chose puisse être attribué à Dieu par métaphore |
[2439] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 3 Item,
omnis doctrina est ad manifestationem veritatis ; et praecipue sacra
Scriptura. Sed hujusmodi metaphorae, vel symbolicae locutiones, sunt quasi
quaedam velamina veritatis, ut dicit Dionysius, cap. I, Cael. Hier.,§
3. Ergo eis non videtur utendum in theologia. |
3. En outre, toute doctrine, et
surtout les Saintes Écritures, est en vue de manifester la vérité. Mais de
telles métaphores ou expressions symboliques sont comme des voiles de la
vérité comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 1, & 3].
Il semble donc qu’il ne faille pas s’en servir en théologie. |
[2440] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 4
Praeterea, secundum philosophos, Ex I De anima, text. 26,
scientia fit per assimilationem intellectus ad rem scitam. Intellectus autem
noster, cum sit incorporeus et immaterialis, majorem similitudinem habet cum
rebus divinis quam cum rebus corporalibus, quae materiales sunt. Ergo magis
se habet ad cognoscendum divina quam hujusmodi corporalia ; et ita videtur
quod per similitudinem corporalium nobis divina manifestari non debeant. |
4. Par ailleurs, d’après les
philosophes [1 De l’Âme, texte 26], la science s’acquiert par l’assimilation
de l’intelligence à la chose connue. Mais notre intelligence, puisqu’elle est
incorporelle et immatérielle, a une plus grande ressemblance avec les choses
divines qu’avec les choses corporelles qui sont matérielles. Il lui est donc
plus naturel de connaître les choses divines que les choses
corporelles ; et ainsi il semble que nous ne devons pas manifester les
choses divines au moyen de la ressemblance des choses corporelles. |
[2441] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 s. c. 1
Contra est quod dicit Dionysius, I Caelest. Hier., § 2,:
« Neque possibile est nobis aliter superlucere divinum radium, nisi
varietate similitudinum circumvelatum. Divinus radius autem est veritas
divinorum. Ergo oportet quod sub similitudinibus corporalibus, nobis divinorum
veritas proponatur. |
Cependant : 1. Denys [1 De la Hiérarchie
Céleste & 2] dit le contraire : «Le divin rayon ne peut
luire pour nous que tamisé et diversifié par tous nos saints voiles».
Mais le rayon divin est la vérité des personnes divines. Il faut donc que la
vérité des réalités divines nous soit proposée sous des ressemblances
corporelles. |
[2442] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod convenientissimum est
divina nobis similitudinibus corporalibus designari, cujus ratio potest
assignari quadruplex: prima et principalis
propter materiae altitudinem, quae nostri intellectus capacitatem excedit ;
unde non possumus veritatem divinorum secundum modum suum capere ; et ideo
oportet quod nobis secundum modum nostrum proponatur. Est autem nobis
connaturale a sensibilibus in intelligibilia venire, et a posterioribus in
priora ; et ideo sub figura sensibilium intelligibilia nobis proponuntur, ut
ex his quae novimus ad incognita animus surgat. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que la manière de designer les réalités divines par des similitudes
corporelles nous est la plus convenable, et cela pour quatre raisons: la
première et la principale est le caractère élevé de la matière examinée qui
dépasse les capacités de notre intelligence; d’où il résulte que nous ne
pouvons saisir la vérité des réalités divines de la manière qui leur est
propre et c’est pourquoi la vérité de ces réalités nous est proposée d’après
le mode qui nous est propre. Mais il nous est naturel de parvenir aux vérités
intelligibles au moyen des choses sensibles et de procéder de ce qui est
second pour en arriver à ce qui est premier; et c’est pourquoi les vérités
intelligibles nous sont proposées sous la figure des réalités sensibles afin
que l’âme s’élève jusqu’à l’inconnu à partir de ce que nous avons connu. |
Secunda ratio est,
quia cum in nobis sit duplex pars cognoscitiva, scilicet intellectiva et
sensitiva: providit divina sapientia ut utraque pars, secundum quod possibile
esset, in divina reduceretur ; et ideo figuras corporalium adhibuit, quae
sensitiva parte capi possunt, quia ipsa intellectualia divinorum non poterat
attingere. |
La deuxième
raison est que puisqu’en nous il y a deux parties cognitives, à savoir la
partie intellectuelle et celle qui est sensible, la sagesse divine a prévu
que chacune des parties se rapproche, dans la mesure du possible, des
réalités divines; et c’est pourquoi elle offrit les figures des choses
corporelles qui peuvent être saisies par la partie sensible parce que la partie
intellectuelles ne pouvait parvenir aux vérités intellectuelles des réalités
divines. |
Tertia ratio est, quia de Deo verius cognoscimus quid
non est, quam quid est ; unde Dionysius, cap. II, Cael. Hier.,§
3, col. 142, dicit, quod in divinis affirmationes sunt incompactae,
negationes verae ; et ideo cum de omnibus quae de Deo dicimus, intelligendum
sit quod non eodem modo sibi conveniunt sicut in creaturis inveniuntur, sed
per aliquem modum imitationis et similitudinis ; expressius ostendebatur
hujusmodi eminentia Dei, per ea quae sunt magis manifesta ab ipso removeri.
Haec autem sunt corporalia ; et ideo convenientius fuit speciebus
corporalibus divina significari, ut his assuefactus humanus animus disceret,
nihil eorum quae de Deo praedicat, sibi attribuere nisi per quamdam
similitudinem, secundum quod creatura imitatur creatorem. |
La troisième raison est qu’au sujet
de Dieu nous connaissons plus véritablement ce qu’il n’est pas que ce qu’il
est ; d’où Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 3, col.
142] dit qu’au sujet de Dieu les affirmations sont insuffisantes et les
négations sont vraies ; et c’est pourquoi, puisqu’il faut comprendre que
tout ce que nous attribuons à Dieu ne se retrouve pas là de la même manière
que dans les créatures mais que tout cela se retrouve dans ces dernières à la
manière d’une imitation et d’une ressemblance, l’excellence de Dieu était
manifestée plus clairement de cette manière, c’est-à-dire par les choses dont
il est plus évident qu’elles se nient de lui. Mais ces choses sont les
réalités corporelles ; et c’est pourquoi il était plus convenable de
signifier les réalités divines par des espèces corporelles pour que par elles
l’âme humaine s’accoutume à discerner que rien de ce qu’il attribue à Dieu ne
lui appartient, si ce n’est par une certaine ressemblance, selon que la
créature imite le créateur. |
Quarta ratio est propter occultationem divinae
veritatis: quia profunda fidei occultanda sunt et infidelibus, ne irrideant,
et simplicibus, ne errandi occasionem sumant: et hae omnes causae assignantur
a Dionysio in principio Caelest. Hierar., ubi supra, et in Epistola IX adTitum,
col. 1103 |
La quatrième raison est de cacher
la vérité divine : car les vérités profondes de la foi doivent être
cachées à la fois aux infidèles pour qu’elles échappent à leurs moqueries et
aux simples afin qu’ils ne tirent pas de là une occasion de se tromper :
et toutes ces causes sont assignées par Denys au début de son livre, La
Hiérarchie Céleste, dont nous avons parlé plus haut, et par l’Apôtre dans
l’Épître 1X à Tite, col. 1103. |
[2443] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod in cognitione intellectualium est duo
considerare ; scilicet principium speculationis, et terminum. Principium
quidem est ex sensibilibus ; sed terminus est in intelligibilibus, secundum
quod in cognitione naturali ex speciebus a sensu acceptis intentiones
universales accipimus per lumen intellectus agentis ; et ideo dicendum est,
quod quantum ad terminum oportet in diem intellectualem versari, sed quantum
ad speculationis principium oportet ex aliquibus sensibilibus speciebus in
divina consurgere. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que pour
la connaissance des réalités intellectuelles il y a deux choses à considérer,
à savoir le principe de l’examen spéculatif, puis son terme. Le principe ou
le point de départ en est certes les choses sensibles, mais le terme en est
l’intelligible selon que dans notre connaissance naturelle nous recevons, au
moyen de la lumière de l’intellect agent, les intentions universelles à
partir des espèces reçues par les sens ; et c’est pourquoi il faut dire
que quant au terme il faut se tourner vers la lumière intellectuelle, mais
quant au principe de l’examen spéculatif il faut s’élever vers les réalités
divines à partir des espèces sensibles. |
[2444] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod similitudo est duplex: quaedam enim est per
participationem ejusdem formae ; et talis similitudo non est corporalium ad
divina, ut objectio probat. Est etiam quaedam similitudo proportionalitatis,
quae consistit in eadem habitudine proportionum, ut cum dicitur: sicut se
habet octo ad quatuor, ita sex ad tria ; et sicut se habet consul ad
civitatem, ita se habet gubernator ad navem ; et secundum talem similitudinem
fit transumptio ex corporalibus in divina: ut si Deus dicatur ignis ex hoc
quod sicut se habet ignis ad hoc quod liquefacta effluere facit per suum
calorem, ita Deus per suam bonitatem perfectiones in omnes creaturas
diffundit, vel aliquid hujusmodi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il y a deux sortes de similitudes : certaines en effet se réalisent
par une participation à une même forme ; et il n’existe pas de
similitude de cette sorte chez les réalités corporelles à l’égard des réalités
divines, ainsi que le montre l’objection. Mais il existe aussi une similitude
de proportionnalité qui consiste dans un même rapport de proportion, comme
lorsqu’on dit que six est à trois ce que huit est à quatre ou que le
pilote est au navire ce que le magistrat est à la cité ; et c’est
d’après une telle similitude qu’il y a transport des choses corporelles aux
réalités divines, comme lorsqu’on dit que Dieu est un feu du fait que tout
comme le feu fait couler ce qu’il a liquéfié par sa chaleur, de même Dieu par
sa bonté répand les perfections dans toutes les créatures, ou qu’on dit
d’autres choses de la sorte. |
[2445] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod manifestatio veritatis est facienda secundum
proportionem recipientium ; et quia quibusdam potius manifestatio veritatis
noceret [officeret Éd. de Parme] quam prodesset, dum vel ex
impietate impugnarent, vel ex simplicitate deficerent ; ideo est divinorum
veritas occultanda, ut dicitur Matth. VII, 6: « Nolite sanctum dare
canibus ». |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la manifestation de la vérité doit se faire proportionnellement aux
capacités de ceux qui reçoivent ; et parce que chez certains la
manifestation de la vérité nuirait [ferait obstacle Éd. de Parme]
plutôt que de profiter car alors ils la combattraient par impiété ou la
manqueraient à cause de leur simplicité, c’est pourquoi la vérité des
réalités divines doit être cachée comme le dit l’Écriture [Matthieu VII,
6] : «Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens». |
[2446] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod est quaedam assimilatio secundum convenientiam in
natura ; et sic est major assimilatio intellectus nostri ad divina quam ad
sensibilia ; sed haec non est illa quae requiritur ad scientiam. Est etiam
quaedam assimilatio per informationem, quae requiritur ad cognitionem ; sicut
visus assimilatur colori, cujus specie informatur pupilla. Haec autem
informatio non potest fieri in intellectu nostro [om. Éd. de Parme],
secundum viam naturae, nisi per species abstractas a sensu: quia, sicut dicit
Philosophus, III De anima, text. 18, sicut se habet color ad
visum, ita phantasmata ad intellectum ; et ideo constat quod hoc modo
intellectus magis potest assimilari sensibilibus quam divinis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’il y a une assimilation qui a lieu d’après une convenance dans la
nature ; et en ce sens notre intelligence ressemble davantage aux
réalités divines qu’aux choses sensibles; mais cette ressemblance n’est pas
celle qui est requise à la science. Il y a aussi une ressemblance ou
similitude par mode d’information qui est requise à la connaissance ;
par exemple la vue est rendue semblable à la couleur dont l’espèce informe la
pupille. Mais cette information ne peut se produire dans notre intelligence
suivant un chemin naturel qu’au moyen des espèces sensibles que le sens tire
des choses sensibles : car, comme le dit le Philosophe [111 De
l’Âme, texte 18], les images sont à l’intelligence ce que la couleur est
à la vue ; et c’est pourquoi il est clair que c’est de cette manière que
notre intelligence peut ressembler davantage aux choses sensibles qu’aux
réalités divines. |
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Articulus 2 [2447] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2
tit. Utrum transumptio in divinis debeat fieri ex rebus vilibus |
Article 2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à partir des choses viles ? |
[2448] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ex rebus vilibus non debeat fieri
transumptio in divina. Sicut enim dictum est, art. praeced., omnis
transumptio fit per aliquem modum similitudinis. Sed in rebus vilibus non
inveniuntur conditiones nobiles, ex quibus ad divina possit aliqua similitudo
attendi. Ergo videtur quod ex talibus rebus non debeant transumptiones in divina
fieri. |
Difficultés: 1. Il semble que
le transport des réalités corporelles aux réalités divines ne doit pas se
faire à partir de choses vulgaires. En effet, comme nous l’avons dit dans
l’article precedent, tout transport doit se faire au moyen d’une sorte de
ressemblance. Mais dans les choses vulgaires on ne rencontre pas de
conditions nobles à partir desquelles pourrait se vérifier une certaine
resemblance à l’égard des réalités divines. Il semble donc qu’on ne doive pas
faire d’emprunts à de telles choses pour les transporter par métaphore aux
réalités divines. |
[2449] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 2 Si
dicas, quod in rebus quantumcumque vilibus invenitur aliqua similitudo
divinae bonitatis, inquantum sunt vestigium creatoris ; contra. In
omni creatura invenitur similitudo vestigii vel imaginis. Si igitur hoc
sufficit ad transumptionem faciendam, videtur quod ex omnibus creaturis
possit fieri transumptio in divina: quod non invenitur. |
2. Si tu dis que même dans les
choses les plus viles on retrouve une certaine similitude de la bonté divine
pour autant qu’elles sont un vestige du créateur, je dis cependant que dans
toute créature on retrouve la similitude du vestige ou de l’image. Si donc
cela suffisait à faire un transport métaphorique, il semble qu’il pourrait y
avoir transport aux réalités divines à partir de toutes les créatures, ce
qu’on n’observe pas. |
[2450] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 3
Praeterea, expressior similitudo divinae bonitatis est in rebus incorporeis
quam in rebus sensibilibus. Ergo videtur quod nomina Angelorum magis deberent in
divinam praedicationem transumi. |
3. Par ailleurs, la similitude de la
bonté divine est plus élevée dans les réalités incorporelles que dans les
choses sensibles. Il semble donc que ce sont les noms des Anges qui devraient
davantage être l’objet d’un emprunt pour être attribués à Dieu. |
[2451] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 4 Item,
quae sunt omnino diversa, non debent eisdem figuris exprimi. Sed quaedam
figurae sunt quae inducuntur ad designandum contrarias potestates, et
daemones [et daemones om. Éd. de Parme] sicut nomen serpentis et
leonis. Ergo videtur quod ad minus hujusmodi nomina in divinis transumi non
deberent. |
4. En outre, les choses qui sont
absolument différentes ne doivent pas être exprimées par les même figures.
Mais il y a certaines figures qui sont introduites pour désigner des pouvoirs
contraires et des démons [et des démons om. Éd. de Parme], comme
le nom de serpent et celui de lion. Il semble donc qu’il y a au moins ces
noms qui ne doivent pas être empruntés pour être appliqués aux réalités
divines. |
[2452] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 s. c. 1
Contra est quod in divinis Scripturis frequenter inveniuntur nomina etiam
brutorum animalium in divinam praedicationem transumi, ut dicitur Oseae III,
7: « Ero eis quasi leaena, sicut pardus in via Assyriorum ;
et similiter in pluribus aliis locis. Ergo videtur quod etiam ex vilibus
rebus transumptio ad divina fieri possit. |
Cependant : 1. Au contraire, on observe fréquemment
dans les Saintes Écritures [Osée, 111, 7]qu’on emprunte même les noms
des brutes animales pour les attribuer à Dieu : «Je serai pour vous
comme une lionne, comme un léopard sur le chemin des Assyriens» ; et
des emprunts de cette sorte ont lieu en plusieurs autres endroits dans les
Saintes Écritures. Il semble donc qu’il puisse y avoir des emprunts à des
choses de peu d’importance pour les attribuer à Dieu. |
[2453] Super Sent.,
lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hanc quaestionem
Dionysius, II cap. Caelest. Hierarch., § 2, col. 138, pertractat,
et ostendit quod etiam convenientius significantur nobis divina per creaturas
viliores, quam per nobiliores. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 2, col. 138]
traire de cette question et montre qu’il nous est même plus convenable de
signifier les réalités divines au moyen des créatures plus familières que par
celles qui sont les plus nobles. |
Et primam rationem
assignat, quia his magis occultantur divina, cujus occultationis necessitas
dicta est, art. praec. Secundam assignat,
quia ista magis a Deo removentur et distant: et ideo cum convenientissimus
modus significandi divina sit per negationem, convenientius istis
similitudinibus utimur. Tertiam assignat ex
utilitate nostra ; quia minus datur nobis occasio errandi in figuris rerum
vilium quam in figuris rerum nobilium. Nullus
enim dubitat, Deum secundum proprietatem dici non posse aliquod vile animal ;
et ideo constat quod Scriptura hujusmodi Deo secundum proprietatem non
attribuit. |
Et la première raison qu’il assigne est
que par elles les réalités divines se trouvent à être davantage cachées à
ceux pour lesquels il y a nécessité qu’elles le soient, nécessité dont nous
avons parlé dans l’article précédent. La deuxième raison qu’il assigne est que
ces créatures sont davantage éloignées étrangères à Dieu : et c’est
pourquoi, puisque la manière la plus convenable de signifier les réalités
divines se fait par la négation, il est plus convenable d’user de telles
similitudes. La troisième raison qu’il assigne se tire
de notre utilité ; car il y a pour nous moins d’occasions de se tromper
dans les figures des choses ordinaires que dans celles des choses nobles. En
effet, nul ne doute qu’on ne puisse dire proprement de Dieu qu’il est tel
animal familier ; et c’est pourquoi il est clair que les Écritures
n’attribue pas proprement à Dieu de tels noms. |
Sed apud aliquos simplices, qui vix aliquid praeter
sensibilia suspicari possunt, de facili videretur ea quae sunt nobilissima in
corporibus, proprie Deo convenire, si de ipso dicerentur ; et ideo
similitudines a rebus vilioribus sumptae, ipsa qualitate rerum retrahunt
animum ab errore. Invenitur tamen etiam in nobilioribus [nobilibus Éd.
de Parme], creaturis Deus significari in Scriptura, sicut sole, et
stella, et hujusmodi ; non tamen ita frequenter. |
Mais chez les esprits qui sont
simples et qui peuvent à peine concevoir quelque chose au-delà des choses
sensibles, il leur semblerait aisément que ceux qui sont les plus nobles
parmi les corps conviendraient proprement à Dieu si on les lui
attribuait ; et c’est pourquoi les similitudes tirées des choses les
plus ordinaires, par leur qualité même de choses ordinaires, préviennent
l’âme de l’erreur. Il arrive cependant aussi aux Écritures de signifier Dieu
par de plus nobles [par de nobles Éd. de Parme] créatures, comme
par le soleil et les étoiles et des choses de cette sorte, mais non pas aussi
fréquemment. |
[2454] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, secundum Dionysium, de div. Nom., cap.
IV, §§ 1, 2, et 3, col. 694, quod nihil divinae bonitatis omnino
participatione caret ; et ideo ex rebus quantumcumque vilibus possunt sumi
aliquae convenientes similitudines ad divina. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu,
conformément à ce que dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 2
et 3, col. 694], que rien n’est totalement privé d’une participation de la
bonté divine ; et c’est pourquoi on peut tirer, même des choses les plus
ordinaires, certaines similitudes qui conviennent à Dieu. |
[2455] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quaedam nomina creaturarum sunt quae non nominant
tantum id quod creatum est, sed etiam defectum culpae annexum ; sicut nomen
Diaboli nominat naturam deformatam peccato: et ideo talibus nominibus non
possumus transumptive uti ad significandum [significandum om. Éd. de
Parme] divina. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il y a certains noms des créatures qui ne nomment pas seulement ce qui
appartient à la créature en tant que créature, mais aussi un manque rattaché
à une faute ; par exemple le nom de Diable nomme une nature déformée par
le péché ; et c’est pourquoi nous ne pouvons nous servir de tels noms
par métaphore pour signifier [signifier om. Éd. de Parme] les
réalités divines. |
[2456] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in creaturis spiritualibus possumus duo considerare:
scilicet ipsas perfectiones divinae bonitatis secundum se acceptas ; et his
nominatur Deus, non quidem symbolice, sed proprie ; sicut dicitur sapiens et
intelligens, et hujusmodi ; unde etiam dicitur in Lib. De causis, propos. 6,
quod Deus nominatur nomine primi causati sui, quod est intelligentia. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que nous pouvons considérer deux aspects dans les créatures
spirituelles : à savoir les perfections mêmes de la bonté divine prises
en elles-mêmes ; et Dieu se trouve à être nommé par elles non pas de
manière symbolique, mais proprement, par exemple lorsqu’on dit de Lui qu’il
est sage, intelligent etc ; c’est de là qu’on dit encore dans le livre
intituléDes Causes, à la proposition 6, que Dieu est nommé par le nom
de son premier effet, qui est l’intelligence. |
Vel possumus considerare ipsum modum determinatum
participandi hujusmodi perfectiones, qui modus pertinet ad determinatam
naturam vel ordinem Angelorum. Unde nomina exprimentia istum modum non
possunt proprie de Deo dici, nec etiam metaphorice, quia metaphora sumenda
est ex his quae sunt manifesta secundum sensum: et ideo nunquam invenimus
Deum in Scriptura nominatum Cherubim vel Seraphim vel aliquid hujusmodi,
sicut leonem vel ursum vel aliquid hujusmodi. |
Ou bien nous pouvons considérer le
mode déterminé même de participation de telles perfections, lequel mode
appartient à une nature déterminée ou à un ordre des Anges. D’où les noms qui
expriment ce mode ne peuvent s’attribuer à Dieu proprement ni même de manière
métaphorique car les métaphores doivent se tirer de ce qui est manifeste aux
sens : et c’est pourquoi il n’arrive jamais dans les Écritures que Dieu
soit appelé Chérubin ou Séraphin ou d’un autre nom de cette sorte, comme on
l’appelle lion, ours ou qu’on lui attribue un autre nom de la sorte. |
[2457] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod in una re possunt considerari diversae proprietates ;
et ideo non est inconveniens quod ex eadem re, secundum diversas sui
proprietates, fiat transumptio ad aliqua contraria ; sicut quod Deus dicitur
leo propter liberalitatem, vel fortitudinem, vel aliquid hujusmodi, et
Diabolus dicitur leo propter crudelitatem. Contingit etiam quandoque, ut
dicit Dionysius in Epistolis § 2 [in Epistola ad Titum Éd. de Parme],
quod idem nomen transfertur ad significandum participantem et participationem
et participationis principium ; sicut si ignis dicatur homo habens caritatem,
et ipsa caritas, et Deus caritatem infundens: et secundum omnia diversimode
exponendum est. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que plusieurs propriétés peuvent être considérées dans une seule et même
chose ; et c’est pourquoi il n’y a pas de problème à ce qu’à partir
d’une même chose, d’après des propriétés différentes lui appartenant, il y
ait transport métaphorique à des réalités contraires ; c’est ainsi par
exemple que Dieu est appelé lion à cause de sa générosité ou de sa force, et
que le Diable soit appelé lion à cause de sa cruauté. Il arrive aussi
parfois, comme le dit Denys dans les Épîtres & 2 [dans l’Épître à
Tite Éd. de Parme] que le même nom est transporté par métaphore
pour signifier à la fois le participant, la participation et le principe de
participation ; par exemple lorsqu’on appelle feu à la fois l’homme qui
possède la charité, la charité elle-même et Dieu qui répand la charité :
et à chaque fois la signification doit en être expliquée différemment. |
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Distinctio 35 |
Distinction 35 – [La science de Dieu] |
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Quaestio 1 |
Question unique – [La science convient-elle à Dieu ?] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quinque quaeruntur: 1 utrum in Deo sit scientia ; 2 utrum habeat tantum sui scientiam, vel etiam aliorum
; et si aliorum, quaeritur 3 utrum de eis certam et propriam cognitionem habeat ; 4 utrum scientia sua sit univoca nostrae scientiae ; 5 utrum scientia sua possit dici universalis vel
particularis, vel in potentia vel in habitu, sicut scientia nostra. |
On cherche ici à répondre à cinq
questions : 1. Est-ce qu’il y a science en
Dieu ? 2. Possède-t-il seulement la science qui
lui est propre ou aussi celle des autres ? 3. Possède-t-il une connaissance certaine
et propre à leur sujet ? 4. Est-ce que la science s’attribue
univoquement à Lui et à nous ? 5. Peut-on dire de sa science qu’elle est
universelle ou particulière, qu’elle est en puissance ou en habitus, tout
comme la nôtre ? |
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Articulus 1 [2460] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1
tit. Utrum scientia conveniat Deo |
Article 1 – La science convient-elle à Dieu ? |
[2461] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod scientia Deo non conveniat. Ubi enim non est
intellectus, ibi non potest esse scientia. Sed nomen intellectus proprie Deo
non competit ; immo dicitur in Lib. de causis, prop. 6:
« Cum Deus dicitur intelligens, nominatur nomine creati sui primi »,
quod est intelligentia. Ergo videtur quod scientia proprie Deo non conveniat. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait pas de science
en Dieu. En effet, où il n’y a pas d’intelligence, il ne peut y avoir de
science. Mais le nom d’intelligence ne convient pas proprement à Dieu ;
bien plutôt, on dit de Lui [Livre des Causes, prop. 6] :«Lorsqu’on
dit de Dieu qu’il est intelligent, on le nomme par le nom de son premier
effet», lequel est l’intelligence. Il semble donc que la science ne
convienne pas proprement à Dieu. |
[2462] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, simplicissimo et primo nihil convenit quod sibi aliquid
praesupponat, ad quod ex additione se habet. Sed scientia praesupponit vitam
et essentiam, et habet se ex additione ad illa, ut ex principio libri De
causis patet. Ergo cum Deus sit simplicissimus et primus, sibi scientia
non competit. |
2. Par ailleurs, à ce qui est
suprêmement simple et premier rien ne convient qui lui présupposerait quelque
chose et par rapport à quoi il se présenterait comme une addition. Mais la
science présuppose la vie et l’essence et elle se présente comme une addition
à ces dimensions, ainsi qu’on le voit à partir du début du livre
intitulé Des Causes. Donc, puisque Dieu est ce qui est
suprêmement simple et premier, il ne peut y avoir science en Lui. |
[2463] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil quod pluralitatem requirit
invenitur in eo quod summe est unum. Sed
scientia requirit pluralitatem quamdam, scilicet scientis, scientiae et
scibilis. Ergo Deo qui summe unus est, non convenit. |
3. Par ailleurs, rien de ce qui
exige une pluralité ne se retrouve dans ce qui est suprêmement un. Mais la
science exige une certaine pluralité, à savoir celle du savant, de la science
et de l’objet de science. La science ne convient donc pas à Dieu qui est suprêmement
un. |
[2464] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 4 Si
dicas, quod in Deo idem est scibile et sciens: contra. Nihil
sibi ipsi simile dici potest, ut dicit Hilarius, De Syn., post.
med., nec aliquid seipsum recipit aut capit. Sed secundum philosophos
scientia est assimilatio scientis ad rem scitam: item scientia fit secundum
receptionem scibilis in sciente. Ergo videtur quod non possit idem esse in
Deo sciens et scitum. |
4. Si tu dis qu’en Dieu l’objet du
savoir et celui qui sait sont identiques, je réponds au contraire qu’aucune
chose ne peut être dite semblable à elle-même, comme le dit Saint-Hilaire [Les
Synodes, peu après le milieu] et rien ne se reçoit et ne se prend
soi-même. Mais d’après les philosophes la science est l’assimilation de celui
qui sait à la chose connue : en outre la science a lieu par la réception
de l’objet de science dans celui qui sait. Il semble donc qu’en Dieu celui
qui sait et l’objet connu ne puissent être identiques. |
[2465] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum Philosophum, in VI Ethic, cap.
VI, scientia conclusionum est, et intellectus principiorum. Sed cognitio
conclusionum sequitur inquisitionem rationis. Cum igitur in Deo non sit
cognitio per inquisitionem, videtur quod proprie in Deo scientia esse non
possit. |
5. Par
ailleurs, d’après le Philosophe [ VI Éthique, ch. VI], la science
porte sur les conclusions et l’intelligence sur les principes. Mais la
connaissance des conclusions suit une recherche de la raison. Donc, puisqu’en
Dieu la connaissance n’est pas le fruit d’une recherche, il semble qu’il ne
puisse y avoir proprement de science en Dieu. |
[2466] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur ad Col.
II, 3: in ipso sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi,
et Commentator XI Metaph. dicit, quod vita et scientia proprie esse in Deo
dicuntur. |
Cependant: 1. L’Écriture [Colossiens,
11, 3] affirme le contraire : En Lui se trouvent cachés tous les
trésors de la sagesse et de la connaissance divines; et le Commentateur
[XI Métaphysique] dit qu’on dit de la vie et de la science
qu’elles existent proprement en Dieu. |
[2467] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, nulla perfectio deest ei qui perfectissimus est. Sed scientia est
nobilissima perfectio. Ergo Deo, in quo omnium generum perfectiones
adunantur, ut in V Metaph., text. 21
dicitur, scientia deesse non potest. |
2. Par ailleurs, nulle perfection
ne manque à celui qui est le plus parfait. Mais la science est la perfection
la plus noble. Donc la science, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 21], ne peut être absente de Dieu en qui sont réunies les perfections
de tous les genres. |
[2468] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod secundum Dionysium, in De div nom., cap. VII, § 3, col. 870,
tribus viis ex creaturis in Deum devenimus: scilicet per remotionem, per
causalitatem, per eminentiam, quarum quaelibet nos in Dei scientiam inducit. Prima igitur via, quae est per remotionem, est haec:
cum a Deo omnis potentia et materialitas removeatur, eo quod ipse est actus
primus et purus, oportet essentiam ejus esse denudatam a materia, et esse
formam tantum. Sicut autem particulationis principium est materia, ita formae
debetur intelligibilitas: unde forma principium cognitionis est ; unde
oportet quod omnis forma per se existens separata a materia, sit
intellectualis naturae: et si quidem sit per se subsistens, erit et
intelligens: si autem non sit per se subsistens, sed quasi perfectio alicujus
subsistentis, non erit intelligens [intellectus éd. de Parme],
sed principium intelligendi: quemadmodum omnis forma non in se subsistens non
operatur sed est operationis principium, ut caliditas in igne. Cum igitur
ipse Deus sit immunis ab omni materia, et sit per se subsistens, quia esse
suum ab alio non dependet, oportet quod ipse sit intelligens et sciens. Secunda via, quae est per causalitatem, est haec. Omne
enim agens habet aliquam intentionem et desiderium finis. Omne autem
desiderium finis praecedit aliqua cognitio praestituens finem, et dirigens in
finem ea quae sunt ad finem. Sed in quibusdam ista cognitio non est conjuncta
tendenti in finem ; unde oportet quod dirigatur per aliquod prius agens,
sicut sagitta tendit in determinatum locum per determinationem sagittantis ;
et ita est in omnibus quae agunt per necessitatem naturae ; quia horum operatio
est determinata per intellectum aliquem instituentem naturam ; unde,
Philosophus, II Physic., text. 75, dicit, quod opus naturae
est opus intelligentiae. In aliquibus autem ista cognitio est conjuncta ipsi
agenti, ut patet in animalibus ; unde oportet quod primum non agat per
necessitatem naturae, quia sic non esset primum, sed dirigeretur ab aliquo
priori intelligente. Oportet igitur
quod agat per intellectum et voluntatem ; et ita, quod sit intelligens et
sciens. Tertia via, quae est per eminentiam, est haec. Quod
enim invenitur in pluribus magis ac magis secundum quod plures alicui
appropinquant, oportet ut in illo maxime inveniatur ; sicut calor in igne, ad
quem quanto corpora mixta magis accedunt, calidiora sunt. Invenitur autem
quod quanto aliqua magis accedunt ad primum, nobilius cognitionem participant
; sicut homines plus quam bruta et Angeli magis hominibus ; unde oportet quod
in Deo nobilissima cognitio inveniatur. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après
Denys [Les Noms Divins, ch. VII, & 3, col. 870], c’est par
trois chemins que nous parvenons à Dieu à partir des créatures : à
savoir par la négation, par la causalité et par la voie d’excellence, dont
chacune nous introduit à la science de Dieu. Donc la première voie, qui est celle de
la négation, est la suivante : puisque toute puissance et toute
matérialité est étrangère à Dieu du fait que Lui-même est un acte pur et
premier, il faut que son essence soit dénudée de matière et qu’elle soit
forme seulement. Mais tout comme le principe de l’individualité est la
matière, de même la forme doit être le principe de l’intelligibilité :
il résulte de là que la forme est le principe de la connaissance ; d’où
il faut que toute forme existant par elle-même et séparée de la matière soit
de nature intellectuelle : et s’il y en a une qui subsiste par elle-ême,
elle sera aussi intelligente : mais si elle n’était pas subsistante par
elle-même mais qu’elle était comme une perfection de ce qui subsiste par
soi-même, elle ne sera pas intelligente [une intelligence Éd. de Parme], mais
un principe d’intellection : c’est ainsi que toute forme qui se subsiste
pas en elle-même ne pose pas d’opérations mais est plutôt principe
d’opération, comme la chaleur dans le feu. Donc puisque Dieu lui-même est
exempt de toute matière et qu’il est subsistant par lui-même, car son
existence ne dépend pas d’un autre, il faut que lui-même soit intelligent et
connaissant. La deuxième voie est celle de la
causalité, que voici. Tout agent en effet possède en lui une intention et un
désir de la fin. Mais tout désir de la fin est précédé d’une certaine
connaissance déterminant la fin et dirigeant vers la fin ce qui est ordonné à
la fin. Mais dans certains êtres cette connaissance n’est pas rattachée ou
unie à celui qui tend à la fin ; d’où il faut qu’ils soient dirigés par
un agent qui leur est antérieur, tout comme la flèche tend à un lieu
déterminé fixé à l’avance par l’archer ; et il en est de même pour tous
ceux qui agissent par une nécessité de nature ; car leur opération est
déterminée par une intelligence qui a institué la nature ; d’où le
Philosophe [11 Physique, texte 75] dit que l’œuvre de la nature
est l’œuvre d’une intelligence. Mais dans certains êtres cette connaissance
est unie à l’agent lui-même, comme on le voit chez les animaux ; d’où il
faut que le premier agent n’agisse pas par une nécessité de nature car ainsi
il ne serait pas premier mais il serait dirigé par une intelligence
antérieure. Il faut donc qu’il agisse par intelligence et par volonté et
ainsi qu’il soit intelligent et connaissant. La troisième voie, qui est celle de
l’excellence, est la suivante. En effet, tout ce qui se retrouve dans
plusieurs de plus en plus selon qu’ils se rapprochent d’un être, il faut que
ce soit dans ce dernier qu’on le rencontre au plus haut point, comme c’est le
cas pour la chaleur dans le feu par rapport auquel les corps mixtes sont
d’autant plus chauds qu’ils s’en rapprochent davantage. Mais il se trouve que
des êtres participent de la connaissance à un degré d’autant plus élevé
qu’ils se rapprochent davantage de l’intelligence première, tout comme les
hommes en participent davantage que les brutes et les Anges plus que les
hommes ; d’où il faut qu’en Dieu se trouve la connaissance la plus
élevée. |
[2469] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quandocumque scientia vel intellectus vel aliquid
quod ad perfectionem pertinet a Deo negatur, intelligendum est secundum
excessum, et non secundum defectum ; unde dicit Dionysius, in VII cap. de
div. Nom., col. 865: « Sine mente et insensibile esse,
secundum excessum, et non secundum defectum in Deo est ordinandum ».
Pro tanto ergo negatur nomen intellectus Deo proprie convenire, quia non
secundum modum creaturae intelligit, sed eminentius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’à
chaque fois que la science ou l’intelligence ou quelque chose qui se rapporte
à une perfection est nié de Dieu, il faut l’entendre selon l’excès et non
selon le défaut ; d’où Denys [Les Noms Divins,
ch. VII, col. 865] dit :«Il faut établir qu’en Dieu être
sans esprit et être insensible se dit selon l’excès et non selon le défaut».
Donc on peut d’autant nier que le nom d’intelligence convienne à Dieu que ce
n’est pas selon le mode de la créature qu’il pose son intellection, mais
d’une manière de loin plus excellente. |
[2470] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod circa hujusmodi nomina quae de Deo dicuntur,
invenitur triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod scientia, vita et hujusmodi
significant in Deo aliquas dispositiones additas essentiae. Sed hoc non
potest esse ; quia hoc poneret compositionem in Deo, et possibilitatem in
essentia ipsius respectu hujusmodi dispositionum: quod omnino absurdum est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que pour les noms de cette sorte qui se disent de Dieu, on rencontre trois
opinions. Certains en effet disent, que la science,
la vie et les attributs de cette sorte signifient en Dieu certaines
dispositions ajoutées à l’essence. Mais cela est impossible car cela poserait
une composition en Dieu et dans son essence une puissance par rapport à de
telles dispositions : ce qui est tout à fait absurde |
Ideo alii dixerunt, quod omnia hujusmodi nomina nihil
praedicant in Deo, nisi forte esse ipsius ; unde improprie de Deo dicuntur ;
sed duabus rationibus inveniuntur dicta de Deo. Vel ratione negationis, ut quando dicitur Deus sciens,
intelligitur non esse ignorans, sicut lapis: |
C’est pourquoi d’autres ont dit que
tous les noms de cette sorte n’attribuent rien en Dieu si ce n’est peut-être
son existence ; de là ils se disent improprement de Dieu ; mais ils
se trouvent à être dits de Dieu pour deux raisons. Soit en raison de la négation, comme
lorsqu’on dit que Dieu sait, on entend qu’il n’est pas ignorant comme c’est
le cas pour la pierre. |
vel propter similitudinem operis, ut dicatur Deus
sciens, quia operatur effectum sicut aliquis sciens ; sicut dicitur iratus,
inquantum punit ad similitudinem irati, non quod ira sit in eo ; ita nec
scientia, nec vita, nec aliquid hujusmodi, sed tantum esse. Sed hoc non
videtur sufficiens. |
Soit en raison de la similitude de
l’œuvre, comme lorsqu’on dit que Dieu sait car il opère un effet tout comme
celui qui sait, tout comme on dit de lui qu’il est en colère selon qu’il
punit à la ressemblance de l’homme qui est en colère et non pas parce que la
colère est en lui ; et il en est de même pour la science, la vie et tout
autre attribut de la sorte qui ne sont pas en lui, sauf l’existence. Mais
cette opinion ne semble pas satisfaisante. |
Primo, quia omnis negatio de re aliqua fundatur super
aliquid in re existens, ut cum dicitur, homo non est asinus, veritas
negationis fundatur supra hominis naturam, quae naturam negatam non
compatitur. Unde si de Deo negatur ignorantia, oportet quod hoc sit ratione
alicujus quod in ipso est: et ita oppositum ignorantiae oportet in ipso
ponere. |
Premièrement parce que toute
négation au sujet d’une être se fonde sur quelque chose qui existe dans
l’être en question, comme lorsqu’on dit que l’homme n’est pas un âne, la
vérité de cette négation se fonde sur la nature de l’homme qui n’est pas
compatible avec la nature niée. D’où il résulte que si l’ignorance est niée
de Dieu, il faut que cela soit en raison de quelque chose qui est en
lui : et ainsi il faut poser en lui le contraire de l’ignorance. |
Secundo, quia omnis actus procedit ab agente ratione
alicujus quod in ipso est, sicut calidum calefacit et leve ascendit sursum.
Unde oportet quod in eo qui operatur actum scientiae, sit aliquid ad rationem
scientiae pertinens ; quamvis illud forte non competenter tali nomine
significetur ; sicut punire Dei actus est justitiae ipsius ; nec oportet iram
in eo ponere, quia punire [punire om. Éd. de Parme] non
est per se actus irae. |
En deuxième lieu parce que l’acte
procède de l’agent en raison de quelque chose qui est en lui, tout comme le
chaud réchauffe et le léger s’élève vers le haut. D’où il faut que dans celui
qui opère l’acte de science il y ait quelque chose qui appartienne à la
raison de science, bien que cela ne soit peut-être pas signifié
convenablement par un tel nom, tout comme punir pour Dieu est l’acte de sa
justice et il ne faut pas poser la colère en lui car punir [punir om.
Éd. de Parme] n’est pas essentiellement l’acte de la colère. |
Et ideo dicendum est, quod omnia hujusmodi proprie
dicuntur de Deo quantum ad rem significatam, licet non quantum ad modum
significandi ; et quantum ad id quod est proprium de ratione cujuslibet
horum, licet non quantum ad rationem generis ; ut supra habitum est, (dist.
VIII, qu. 1, art. 1). |
Et c’est pourquoi il faut dire que
tous les attributs de cette sorte se disent proprement de Dieu quant à la
chose signifiée, bien que non quant au mode de signifier, et quant ce qui est
propre à la notion de n’importe quel d’entre eux, bien que non quant à la
notion de genre ainsi que nous l’avons établi plus haut
[dist. VIII, quest. 1, art. 1]. |
Et ideo dicendum, quod omnia ista quae non dicunt aliquam
materialem vel corporalem dispositionem, in Deo vere sunt et verius quam in
aliis, nec aliquam compositionem in ipso inducunt ; immo, sicut ista nomina
proprie conveniunt creaturae propter diversa in ipsa existentia, ita etiam
proprie conveniunt Deo propter unicum et simplex suum esse, quod omnium in se
virtutes uniformiter praeaccipit, ut Dionysius dicit, cap. V de
divin. Nomin. § 8, col. 823, quod patet in simili. |
Et c’est pourquoi il faut dire que
tous ces attributs qui ne signifient pas une disposition matérielle ou
corporelle existent vraiment en Dieu et plus véritablement en Lui que dans
les autres êtres et n’introduisent en Lui aucune composition ; bien au
contraire, tout comme ces noms conviennent à la créature en raison d’une
diversité qui existe en elle, de même encore ils conviennent proprement à
Dieu à cause de son existence unique et simple qui contient à l’avance en
elle les puissances de tous les êtres à la manière d’une forme unique et
simple ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. V, & 8, col.
823], ce que l’on voit dans le semblable. |
Si ponantur tres homines, quorum unusquisque secundum
suum habitum sciat ea quae pertinent ad unam scientiam, unus scilicet
naturalia, alius geometricalia et alius [unus, alius, alius om. Éd.
de Parme], grammaticalia ; et quartus, qui horum omnium per unum habitum
scientiam habeat, de quo constat quod vere poterit dici, quod est grammaticus
vel grammatica est in eo, et similiter geometria, et physica
[philosophia, Éd. de Parme]: et quamvis in eo non sit nisi una
res, secundum quam omnia haec sibi conveniunt, tamen aliud et aliud secundum
rationem nominis unumquodque horum in ipso nominat, eo quod unumquodque eorum
imperfecte exprimit illam rem. Ita etiam est et in Deo. |
Supposons trois hommes, dont chacun
conformément à son habitus connaît les choses qui ont rapport à une seule
science, à savoir que l’un connaît les choses naturelles, l’autre les
matières de la géométrie, l’autre [l’un, l’autre, l’autre om. Éd. de
Parme] la science grammaticale ; et supposons un quatrième homme qui
par un seul habitus posséderait la science de tous ceux-là et au sujet duquel
il serait clair qu’on pourrait vraiment dire qu’il est grammairien ou que la
grammaire est en lui et qu’il en est de même pour la géométrie et la physique
[philosophie, Éd. de Parme] ; et bien qu’en lui il n’y ait qu’une seule
forme d’après laquelle toutes ces sciences lui conviennent, cependant ce
serait cependant d’après une définition différente que chacun de ces
attributs signifierait en lui du fait que chacun d’eux exprime imparfaitement
cette forme. Et il en est de même aussi pour Dieu. |
Cum enim in aliis creaturis inveniatur esse, vivere, et
intelligere, et omnia hujusmodi secundum diversa in eis existentia ; in Deo
tamen unum suum simplex esse habet omnium horum virtutem et perfectionem.
Unde cum Deus nominatur ens, non exprimitur aliquid nisi quod pertinet ad
perfectionem ejus et non tota perfectio ipsius ; et similiter cum dicitur
sciens, et volens, et hujusmodi ; et ita patet quod omnia haec unum sunt in
Deo secundum rem, sed ratione differunt, quae non tantum est in intellectu,
sed fundatur in veritate et perfectione rei: et sicut proprie Deus dicitur
ens, ita proprie dicitur sciens et volens, et hujusmodi: nec est ibi aliqua
pluralitas vel additio vel ordo in re, sed in ratione tantum. |
En effet comme on rencontre dans
les créatures l’existence, la vie, l’intelligence et tous les attributs de
cette sorte selon différentes puissances qui existent en elles et qu’en Dieu
cependant c’est son existence unique et simple qui possède la puissance et la
perfection de tous ces êtres, il résulte de là, puisque Dieu est appelé
l’Être, on n’exprime par là que quelque chose qui appartient à sa perfection
et non pas toute sa perfection ; et il en est de même lorsqu’on dit de
Lui qu’il sait, qu’il veut etc. ; et ainsi il est clair que tous ces
attributs n’en sont qu’un seul en Dieu en réalité et qu’ils diffèrent par la
raison, raison qui n’est pas seulement dans l’intelligence mais qui se fonde
sur la vérité et la perfection de la réalité : et tout comme on dit de
Dieu qu’il est proprement un être, ainsi on dit proprement de lui qu’il sait,
qu’il veut, etc. : et il n’y a là aucune pluralité, aucune addition, ou
aucun ordre dans la réalité, mais seulement dans la raison. |
[2471] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis ad rationem scientiae exigantur scientia,
sciens et scitum ; non tamen exigitur quod haec tria differant secundum rem:
sicut etiam de ratione motus est quod sit movens et motum: sed quod motum sit
aliud a movente, non potest sciri nisi demonstratione, ante cujus inventionem
multi sunt opinati aliquid seipsum movere. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que bien que la notion de science présuppose la science elle-même, celui qui
sait et l’objet connu, cependant il n’est pas nécessaire que ces trois
conditions diffèrent dans la réalité : tout comme aussi la notion de
mouvement exige qu’il y ait un moteur et ce qui est mû : mais que
l’objet mû soit autre que le moteur, cela ne peut être su que par
démonstration et avant qu’on l’ait découvert plusieurs ont cru que quelque
chose se meut soi-même. |
Sciendum est ergo, quod in omni intellectu aliqualiter
est idem intelligens et intellectum, et in quibusdam etiam aliqualiter differt
; in aliquibus vero sunt omnino idem. Intellectus enim humanus, qui aliquando
est in potentia, et aliquando in actu, quando est in potentia intelligens,
non est idem cum intelligibili in potentia, quod est aliqua res existens
extra animam ; sed ad hoc quod sit intelligens in actu, oportet quod
intelligibile in potentia fiat intelligibile in actu per hoc quod species
ejus denudatur ab omnibus appenditiis materiae per virtutem intellectus
agentis ; et oportet quod haec species, quae est intellecta in actu,
perficiat intellectum in potentia: ex quorum conjunctione efficitur unum
perfectum, quod est intellectus in actu, sicut ex anima et corpore efficitur
unum, quod est homo habens operationes humanas. |
Il faut donc savoir que dans toute
intelligence celui qui conçoit et ce qui est conçu sont identiques en quelque
sorte et chez certains aussi ils diffèrent en quelque sorte mais dans
d’autres ils sont absolument identiques. L’intelligence humaine en effet qui
est parfois en puissance et parfois en acte, lorsqu’elle conçoit en puissance
elle n’est pas identique à l’intelligible en puissance qui est une chose
existant en dehors de l’âme ; mais pour qu’elle conçoive en acte, il
faut que l’intelligible en puissance devienne intelligible en acte par le
fait que son espèce soit dépouillée de tout le poids de la matière par la
puissance de l’intellect agent ; et il faut que cette espèce, qui est
conçue en acte, donne sa perfection à l’intellect en puissance : de leur
union résulte une seule perfection qui est l’intellect en acte tout comme de
l’union de l’âme et du corps résulte une seule réalité qui est l’homme
possédant les opérations humaines. |
Unde sicut anima non est aliud ab homine, ita
intellectum in actu non est aliud ab intellectu intelligente actu, sed idem:
non tamen ita quod species illa fiat substantia intellectus, vel pars ejus,
nisi formalis, sicut nec anima fit corpus. |
Il résulte de là que tout comme
l’âme n’est pas autre que l’homme, de même l’intellect en acte n’est pas
autre que l’intelligence qui conçoit en acte, mais il lui est
identique : non pas cependant de telle manière que cette espèce devienne
la substance de l’intelligence ou une partie d’elle, sauf une partie
formelle, tout comme l’âme ne devient pas le corps. |
Si ergo est aliquis intellectus, sicut divinus, qui ad
nihil est in potentia, sed est totum actus, et semper in actu, tunc
intellectum ab intellectu nullo modo differt re in eo, sed consideratione
tantum: quia prout consideratur essentia ejus ut immunis a materia, sic est
intelligens, ut probatum est, in corp. art.: sed prout consideratur essentia
sua secundum quod intellectus accipit eam sine materia, sic est intellectum ;
sed prout consideratur ipsum intellectum, prout non deest sibi intelligenti,
sed est in seipso, quodammodo sic est intelligentia vel scientia: quia
scientia nihil aliud est quam impressio vel conjunctio sciti ad scientem. |
Si donc il existe une intelligence,
comme l’intelligence divine, qui n’est en puissance par rapport à rien et qui
est acte dans sa totalité et qui est toujours en acte, alors en lui l’objet
conçu ne diffère en rien de l’intelligence en réalité mais seulement par la
considération : car selon que son essence est considérée comme
dépouillée de matière, alors elle conçoit ainsi que nous l’avons prouvé dans
le corps de l’article ; mais selon que son essence est considérée en
tant que l’intelligence la reçoit sans matière, alors elle est conçue ;
mais selon que l’objet conçu lui-même est considéré en tant qu’il n’est pas
absent de celui qui conçoit mais qu’il est en lui, c’est ainsi en quelque
sorte qu’il y a intelligence ou science : car la science n’est rien
d’autre que l’application ou l’union de l’objet connu à celui qui connaît. |
[2472] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod omnia ista vocabula, quibus dicimus scientiam esse
assimilationem vel apprehensionem, vel impressionem, vel aliquid hujusmodi,
veniunt ex consideratione intellectus possibilis: qui non cognoscit nisi per
receptionem alicujus speciei, respectu cujus est in potentia, per quam
assimilatur rei extra animam. Unde ubi est intellectus in actu tantum, nihil
horum proprie dicitur, sed secundum modum intelligendi tantum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que tous ces termes, par lesquels nous disons que la science est une
assimilation ou une appréhension ou une application ou quelque chose du
genre, nous viennent de la considération de l’intellect possible, lequel ne
connaît que par la réception d’une espèce par rapport à laquelle il est en
puissance et par laquelle il est assimilé à la chose qui existe en dehors de
l’âme. D’où il résulte que là où il y a une intelligence qui est en acte
seulement, aucun de ces termes ne se dit proprement mais seulement selon le
mode de concevoir. |
[2473] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ea quae dicuntur de Deo, semper intelligenda sunt per
eminentiam ablato omni eo quod imperfectionis esse potest. Unde a scientia,
secundum quod in Deo est, oportet auferre discursum rationis inquirentis, et
retinere rectitudinem circa rem scitam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que ce qu’on dit de Dieu doit toujours s’entendre par mode d’excellence en
faisant abstraction de tout ce qui pourrait impliquer une imperfection. D’où
il faut retirer de la science, selon qu’elle est en Dieu, le discours de la
raison qui cherche à savoir et ne conserver que la justesse par rapport à la
chose connue. |
Sed quia scientia proprie complexorum est, et
intelligere proprie est quidditatis rei ; ideo Deus dicitur sciens, inquantum
cognoscit esse suum ; et dicitur intelligens, inquantum cognoscit naturam
suam, quae tamen non est aliud quam suum esse, nec magis simplex. Et ideo in
Deo non est aliud intelligere quam scire, nisi secundum rationem. Sapientia
vero non ponit in numerum cum scientia et intellectu: quia omnis sapientia
scientia est, sed non convertitur: quia illa scientia solum [sola Éd.
de Parme] sapientia est quae causas altissimas considerat, per quas
ordinantur et cognoscuntur omnia sequentia. Unde proprie Deus sapiens dicitur
inquantum seipsum cognoscit, et intelligens et sciens secundum quod se et
alia cognoscit. |
Mais parce que la science a
proprement pour objet ce qui est complexe et que l’intelligence a proprement
pour objet la quiddité de la chose, c’est pourquoi on dit de Dieu qu’il a la
science pour autant qu’il connaît son existence et qu’il a l’intelligence
pour autant qu’il connaît sa nature qui n’est cependant pas autre chose ni
plus simple que son existence. Et c’est pourquoi en Dieu l’intelligence n’est
pas autre que la science, sauf selon la raison. Mais la sagesse n’ajoute pas
en nombre à la science et à l’intelligence : car toute sagesse est une
science mais non inversement car la seule science à être une sagesse est
celle qui considère les causes les plus élevées par lesquelles sont ordonnées
et connues toutes les autres sciences qui s’ensuivent. D’où on dit que Dieu
est sage à proprement parler selon qu’il se connaît lui-même et qu’il a
l’intelligence et la science selon qu’il se connaît lui-même et les autres
êtres. |
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Articulus 2 [2474] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2
tit. Utrum Deus intelligat alia a se |
Article 2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ? |
[2475] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non intelligat alia a se. Intellectum
enim perfectio est intelligentis, quia facit ipsum esse in actu. Sed omnis
perfectio excedit id quod perficitur. Si ergo aliquid aliud a se
intelligeret, haberet illud majus se: quod est inconveniens. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne connaît pas ce
qui est autre que lui. L’objet connu en effet est la perfection de celui qui
connaît, car il le fait être en acte. Mais toute perfection dépasse ce qui
est rendu parfait par elle. Si donc il connaissait quelque chose qui est
autre que lui, cet autre serait plus grand que lui, ce qui est impossible. |
[2476] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, secundum ordinem nobilitatis objectorum est ordo nobilitatis in
operationibus ; unde dicit Philosophus, X Ethic., cap ; IV, quod
perfecta operatio felicitatis est respectu nobilissimi objecti. Sed quidquid
est aliud a Deo est vilius et imperfectius eo. Si igitur intelligeret aliud a
se, hoc vergeret in imperfectionem et vilitatem operationis ipsius. |
2. Par ailleurs, l’ordre
d’excellence dans les opérations découle de l’ordre d’excellence des
objets ; d’où le Philosophe [X Éthique, ch. IV] dit que l’opération
parfaite de la félicité se rapporte à l’objet le plus excellent. Mais tout ce
qui est autre que Dieu est vulgaire et imparfait comparativement à Lui. Si
donc il connaissait quelque chose d’autre que Lui, cela tendrait vers une
imperfection et avilissement de son opération. |
[2477] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, intellecta se habent ad intellectum sicut picturae ad tabulam ;
unde Philosophus, III De anima, text. 14, comparat
intellectum possibilem, antequam intelligat, tabulae in qua nihil scriptum
est. Sed impossibile est idem corpus figurari diversis figuris simul, et
secundum eamdem partem. Ergo impossibile est eumdem intellectum simul plura
intelligere. Si igitur intellectus divinus intelligit se et multa alia,
oportet quod sit successio in intellectu ipsius, quae lassitudinem sibi
inducat ex hoc quod non habet in actu illud quod quaerit: et hoc est
inconveniens. |
3. Par ailleurs, ce qui est connu
se rapporte à l’intelligence comme les images à la table ; d’où le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 14] compare l’intelligence
possible, avant qu’il connaisse, à la table sur laquelle rien n’est écrit.
Mais il est impossible que le même corps, selon la même partie, soit
représenté simultanément par différentes figures. Il est donc impossible que
la même intelligence connaisse simultanément plusieurs choses. Si donc
l’intelligence divine se connaît elle-même ainsi qu’une multitude d’autres
choses, il faut qu’il y ait dans son intelligence une succession qui
introduit en lui une lassitude du fait qu’il ne possède pas en acte ce qu’il
cherche à savoir : et cela est une impossibilité. |
[2478] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, sicut dicit Philosophus,In III De anima, text.
38, scientiae dividuntur quemadmodum et res. Si ergo Deus intelligat plura,
oportet quod in eo sint scientiae plures: et hoc vergit in pluralitatem
divinae essentiae, si sua scientia est ejus essentia, ut dictum est. |
4. Par ailleurs, tout comme le dit
le Philosophe [111 De l’Âme, texte 38] les sciences se divisent
en quelque sorte suivant la manière dont les choses se divisent. Si donc Dieu
connaît une multitude de chose, il faut qu’il y ait en Lui plusieurs
sciences et cela tend à poser une multiplicité à l’intérieur même de
l’essence divine si sa science est aussi son essence, ainsi que nous l’avons
dit. |
[2479] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contrarium est quod habetur ad Heb. 4, 13: omnia nuda et aperta sunt
oculis ejus. |
Cependant : 1. L’Apôtre [Épître aux Hébreux,
4, 13] dit le contraire : À ses yeux, tout est nu et à découvert. |
[2480] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, sicut dictum est, Deus cognoscit essentiam suam. Sed per essentiam
suam est principium rerum. Ergo ipse cognoscit se esse principium rerum. Sed
impossibile est quod cognoscatur aliquid esse principium, nisi cognoscatur
aliqualiter id cujus est principium ; quia qui novit unum relativorum,
cognoscit et reliquum, ut in Praedicamentis dicitur. Ergo
cognoscit alia a se. |
2. Par ailleurs, ainsi que nous
l’avons dit, Dieu connaît son essence. Mais c’est par son essence qu’Il est
le principe des choses. Lui-même connaît donc qu’il est le principe des
choses. Mais il est impossible de savoir qu’un être est un principe que si
est connu en quelque sorte ce dont il est le principe ; car
qui connaît un des relatifs connaît aussi les autres ainsi qu’on le dit dans Les
Prédicaments. Dieu connaît donc ce qui est autre que Lui. |
[ ] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ex secunda via quae
supra, art. praeced., facta est, potest ostendi quod Deus non solum se, sed
etiam alia cognoscit. Cum enim ea quae agunt ex necessitate naturae,
naturaliter tendant in finem aliquem, oportet quod ab aliquo cognoscente
ordinentur in finem illum. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’à partir de la deuxième voie présentée plus haut dans l’article
precedent, on peut montrer que Dieu ne connaît pas seulement lui-même mais
qu’il connaît aussi ce qui est autre que lui. En effet, puisque les êtres qui
agissent par une nécessité de nature tendent naturellement vers une fin, il
faut qu’ils soient ordonnés à cette fin par un être connaissant. |
Hoc autem est impossibile, nisi ille cognoscens
cognoscat rem illam et operationem ejus, et id [id om. Éd. de Parme]
quod ordinatur ; sicut faber non posset facere securim nisi cognosceret actum
incisionis et ea quae incidenda sunt, ut materiam convenientem inveniat, et
formam imprimat ; et ita oportet quod Deus cognoscat ea quae ad ipsum
ordinantur: quia sicut esse ab ipso habent, ita et ordinem naturalem in
finem. |
Mais cela n’est possible que si cet
être connaissant connaît cette chose, son opération et ce [ce om. Éd. de
Parme] à quoi elle est ordonnée; par exemple, l’artisan ne peut faire
une hache que s’il connaît l’acte de l’incision et les choses qui doivent
être coupées afin de trouver une matière qui convient et lui appliquer la
forme ; et c’est de même que Dieu doit connaître les êtres qui sont
ordonnés à Lui car tout comme c’est de Lui qu’ils tiennent leur existence, de
même c’est de Lui qu’ils tiennent leur ordre naturel vers la fin. |
Unde Rabbi Moyses hanc rationem dicit intendisse David
cum dixit Psal. XCIII, 9: Qui finxit oculum non considerat ? Quasi
diceret: cum Deus oculum faceret, numquid ipse non consideravit actum oculi,
qui est videre, et objectum ejus, quod est visibile particulare ? Sciendum tamen est, quod intellectum dupliciter
dicitur, sicut visum etiam. Est enim primum visum quod est ipsa species rei
visibilis in pupilla [potentia Éd. de Parme] existens,
quae est etiam perfectio videntis, et principium visionis, et medium lumen
respectu visibilis: et est visum secundum, quod est ipsa res extra oculum. |
D’où le Maître Moïse dit que c’est
cette raison que David avait en vue lorsqu’il a dit [Psaume XC111,
9] : Lui qui a façonné l’œil ne serait pas capable de voir ? C’est
comme s’il avait dit : lorsque Dieu a fait l’œil, lui-même n’a jamais
considéré l’acte de l’œil, qui consiste à voir, ainsi que son objet qui est
une chose visible particulière ? Il faut cependant savoir que l’objet de
l’intellection, tout comme l’objet de la vue, se dit de deux manières. Il y a
en effet l’objet premier de la vue qui est l’espèce même de la chose visible,
laquelle espèce existe dans la pupille [puissance Éd. de Parme],
qui est aussi la perfection de celui qui voit, et le principe de la vision,
et la lumière qui est un intermédiaire par rapport au visible : et c’est
là l’objet second de la vue qui est la chose même en dehors de l’œil. |
Similiter intellectum primum est ipsa rei similitudo,
quae est in intellectu ; et est intellectum secundum [quod est add.
Éd. de Parme] ipsa res, quae per similitudinem illam intelligitur. Si
ergo consideretur intellectum primum, nihil aliud intelligit Deus nisi se ;
quia non recipit species rerum, per quas cognoscat ; sed per essentiam suam
cognoscit, quae est similitudo omnium rerum. Sed si accipiatur intellectum
secundum, sic non tantum se intelligit, sed etiam alia. Et secundum primum
modum dicit Philosophus, II Metaph., text. 51, quod Deus
intelligit tantum se. Et per hoc patet de facili responsio ad objecta. |
Semblablement l’objet premier de
l’intelligence est la similitude même de la chose qui est dans
l’intelligence ; et l’objet second de l’intelligence [qui est add.
Éd. de Parme] est la chose elle-même qui est saisie par l’intelligence au
moyen de cette similitude. Si donc par objet de l’intelligence on entend
l’objet premier, Dieu ne connaît rien d’autre que Lui ; car il ne reçoit
pas les espèces des choses au moyen desquelles il les connaîtrait ; mais
il les connaît au moyen de son essence, laquelle est la similitude de tous
les choses. Mais si on entend par là l’objet second de l’intelligence, alors
Dieu ne connaît pas seulement lui-même mais aussi ce qui est autre que lui.
C’est c’est d’après le premier sens du terme ¨objet¨ que le Philosophe
[11 Métaphysique, texte 51] dit que Dieu ne connaît que lui seul.
Et c’est suite à cet exposé qu’on voit facilement les réponses aux
difficultés qui viennent d’être soulevées. |
[2482] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 1 Quod
enim objicitur primo, quod intellectum est perfectio intelligentis, verum est
de intellecto primo, et non de intellecto secundo. Non enim lapis, qui est
extra animam, est perfectio intellectus ; sed similitudo lapidis, quae est in
anima. |
Solutions : 1. L’objection qui est présentée en
premier, à savoir que l’objet de l’intelligence est la perfection de l’être
intelligent, est vraie si on entend par là l’objet premier de l’intelligence,
mais non de l’objet second. En effet, ce n’est pas la pierre qui est en
dehors de l’âme qui est la perfection de l’intelligence, mais la similitude
de la pierre, similitude qui est dans l’âme. |
[2483] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod tripliciter intellectus divinus posset vilificari, si
intelligeret vilia: uno modo si informaretur similitudine illius vilis ; secundo si simul cum illo vili non posset intelligere
nobile ; tertio si alia operatione intelligeret et vilius et
nobilius. Sed haec omnia remota sunt ab ipso ; unde sua operatio
est perfectissima, quae una et eadem existens, talis est quod per eam ipse
seipsum cognoscit et omnia alia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que c’est de trois manières que l’intelligence divine pourrait être avilie si
elle connaissait les choses viles : premièrement si elle était informée
par la similitude de ce qui est vil ; deuxièmement si elle ne pouvait
connaître ce qui est noble en même temps que ce qui est vil ;
troisièmement si elle connaissait ce qui est vil par une autre opération que
celle par laquelle elle connaît ce qui est noble. Mais toutes ces modalités sont étrangères
à Dieu ; d’où il résulte que son opération est la plus parfaite,
laquelle existe en tant qu’une et identique à elle-même, et elle est telle
que par elle Dieu se connaît lui-même et tous les autres êtres. |
/[2484] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod illa ratio tenet in omni intellectu qui cognoscit diversa per
diversas species ; quod remotum est a Deo, qui cognoscendo essentiam suam,
alia cognoscit. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que cet argument vaut pour toute intelligence qui connaît différentes choses
au moyen de différentes espèces, ce qui est étranger à Dieu, lequel connaît
toute chose en connaissant son essence. |
[2485] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quando sunt multa scita quae cognoscuntur secundum
unam rationem medii, genere vel specie, tunc reducuntur in unam scientiam
generalem vel specialem, sicut metaphysica et geometria ; unde si plura scita
reducuntur in unum medium, secundum numerum illorum omnium non erit nisi
scientia una in numero ; et ideo scientia Dei est una numero omnium rerum,
quia per unum medium simplicissimum, quod est sua essentia, omnia cognoscit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que lorsque plusieurs objets de science sont connus d’après une seule raison
formelle de moyen terme, de genre ou d’espèce, alors ils se ramènent tous à
une seule science universelle ou particulière, comme la métaphysique et la
géométrie ; de là, si plusieurs objets de science se ramènent à un seul
moyen terme, il n’y aura qu’un seule science numériquement parlant pour le
nombre de tous ces objets ; et c’est pourquoi il n’y a qu’une seule
science de Dieu, numériquement parlant, pour toutes les choses, car c’est par
le seul et même moyen terme le plus simple, son essence, qu’il connaît toutes
les choses. |
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Articulus 3 [2486] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3
tit. Utrum habeat cognitionem certam et propriam de aliis a se |
Article 3 – A-t-il une connaissance certaine et particulière des autres choses que lui ? |
[2487] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non habeat certam et propriam cognitionem
de aliis a se. Certa enim cognitio non potest de re haberi nisi per rationem
ejus existentem in cognoscente. Sed nihil ejusdem rationis est in Deo et
creaturis. Ergo cum non cognoscat creaturas nisi cognoscendo id quod in ipso
est, videtur quod non habeat propriam et certam cognitionem de eis. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne possède pas une
connaissance certaine et propre au sujet des choses qui sont autres que lui.
En effet la connaissance certaine d’une chose ne peut être acquise qu’au
moyen de son essence qui existe dans celui qui connaît. Mais rien de ce qui
est en Dieu et dans les créatures n’est d’une même essence. Donc, puisque
Dieu ne connaît les créatures qu’en connaissant ce qui est en lui, il semble
qu’il ne possède pas à leur sujet une connaissance propre et certaine. |
[2488] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, per causam primam et remotam non potest haberi certa cognitio de
re. Sed essentia divina est causa prima et remotissima. Ergo cum Deus non
cognoscat res nisi per essentiam suam, videtur quod certam cognitionem de
rebus habere non possit. |
2. Par ailleurs, on ne peut
acquérir une connaissance certaine d’une chose au moyen de sa cause première
et éloignée. Mais l’essence divine est la cause première et la plus éloignée.
Donc, puisque Dieu ne connaît les choses que par son essence, il semble qu’il
ne puisse avoir une connaissance certaine au sujet des choses. |
[2489] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, propria cognitio de re non est nisi per id quod est proprium sibi.
Sed impossibile est idem esse proprium pluribus inquantum plura sunt, etsi
aliquid sit proprium pluribus inquantum unum sunt, sicut risibile omnibus
hominibus. Ergo cum Deus cognoscat omnia per unum et idem, quod est sua
essentia, videtur quod non habeat propriam et certam cognitionem de rebus
singulis. |
3. Par ailleurs, une connaissance
propre d’une chose n’a lieu qu’au moyen de ce qui est propre à cette chose.
Mais il est impossible que le même soit propre à une multitude d’êtres en
tant qu’ils sont multiples bien qu’il soit propre à une multitude d’êtres en
tant qu’ils sont un comme risible est propre à tous les hommes. Donc, puisque
Dieu connaît tous les êtres au moyen de quelque chose qui est un et le même,
à savoir son essence, il semble qu’il ne possède pas une connaissance
certaine et propre des choses singulières. |
[2490] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, illud per quod habetur certa cognitio de re, potest esse medium ad
concludendum [considerandum Éd. de Parme] rem illam. Sed ex
essentia divina non potest concludi esse alicujus rei, cum Deus ab aeterno
fuerit, quando res non erat. Ergo videtur quod Deus per essentiam suam certam
cognitionem de rebus habere non possit. |
4. Par ailleurs, ce au moyen de
quoi est acquise une connaissance certaine au sujet d’une chose peut être le
moyen terme ordonné à la conclusion [la considération Éd. de Parme]
au sujet de cette chose. Mais à partir de l’essence divine on ne peut
conclure l’existence d’une chose car Dieu a existé de toute éternité alors
que la chose n’existait pas encore. Il semble donc que Dieu ne puisse
posséder une connaissance certaine des choses au moyen de son essence. |
[2491] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed
contra illud est quod dicitur in principio Metaphys.: « Scientia
quam Deus habet, dea scientiarum est, et honorabilissima ». Sed Deus
habet scientiam de rebus. Ergo nobilissime cognoscit res, et ita certissima
et propria cognitione. |
Cependant : 1. Mais ce qu’on dit au début de la Métaphysiquecontredit
ces difficultés : «La science que Dieu possède est la déesse des
sciences et la plus honorable». Mais possède la science des choses. Donc,
il connaît les choses de la manière la plus noble et par conséquent par la
connaissance la plus certaine et la plus propre. |
[2492] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 2
Praeterea, quod est primum in quolibet genere est maximum in genere illo, ut
in II Metaph. dicitur ; sicut ignis est calidissimus, in quo
primo invenitur calor. Sed in Deo, primo est scientia. Ergo ipse nobilissime
cognoscit quidquid cognoscit, et ita videtur quod de omnibus rebus cognitis
propriam et certam cognitionem habeat. |
2. Par ailleurs, ce qui est premier
dans tout genre est ce qu’il y a de plus excellent dans ce genre, ainsi qu’on
le dit au livre 11 de la Métaphysique, tout comme le feu est ce
qu’il y a de plus chaud car c’est en lui que se retrouve en premier la
chaleur. Mais c’est en Dieu que se retrouve en premier la science. C’est donc
de la manière la plus noble qu’il connaît tout ce qu’il connaît, et ainsi il
semble qu’il possède une connaissance propre et certaine de toutes les choses
connues. |
[2493] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod Deus certissime proprias naturas rerum cognoscit. Sciendum
tamen, quod Commentator in II Metaph., text. 51 dicit, quod Deus
non habet cognitionem de rebus aliis a se, nisi inquantum sunt entia: quia
enim esse suum est causa essendi omnibus rebus, inquantum cognoscit esse
suum, non ignorat naturam essentiae inventam in rebus omnibus ; sicut qui
cognosceret calorem ignis, non ignoraret naturam caloris existentis in
omnibus calidis: non tamen sciret naturam hujus calidi et illius, inquantum
est hoc et illud. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que Dieu
connaît les natures propres des choses de la manière la plus certaine. Il
faut cependant savoir que le Commentateur [11 Métaphysique, texte
5] dit que Dieu ne possède une connaissance des choses autres que Lui qu’en
tant qu’elles sont des êtres : parce que son être en effet est la cause
de l’existence de toutes les choses, selon qu’il connaît son être, il
n’ignore pas la nature de l’essence rencontrée dans toutes les choses, tout
comme celui qui connaîtrait la chaleur du feu n’ignorerait pas la nature de
la chaleur existant dans tous les corps chauds : il ne connaîtrait
cependant pas la nature de tel ou tel corps chaud en tant qu’il est celui-ci
ou celui-là. |
Ita Deus per hoc quod cognoscit essentiam suam, quamvis
cognoscat esse omnium rerum inquantum sunt entia, non tamen cognoscit res
inquantum est haec et illa. Nec ex hoc sequitur, ut ipse dicit, quod sit
ignorans: quia scientia sua non est de genere scientiae nostrae: inde nec
ignorantia opposita sibi potest convenire ; sicut nec de lapide dicitur quod
sit videns vel caecus. |
Ainsi Dieu, du fait qu’il connaît
son essence, bien qu’il connaisse l’être de toutes les choses en tant
qu’elles sont des êtres, ne les connaît pas en tant qu’elles sont telle ou
telle chose. Et il ne suit pas de là, comme il le dit lui-même, que Dieu soit
ignorant : car sa science n’est pas du même genre que la nôtre :
d’où une ignorance opposée ne peut lui convenir, tout comme on ne peut dire
au sujet de la pierre qu’elle ait la vue ou qu’elle soit aveugle. |
Sed haec positio dupliciter apparet falsa: primo, quia ipse non est causa rerum quantum ad
esse ipsorum solum commune, sed quantum ad omne illud quod in re est. Cum
enim per causas secundas determinetur unaquaeque res ad proprium esse ; omnes
autem causae secundae sunt a prima, oportet quod quidquid est in re, vel
proprium vel commune, reducatur in Deum sicut in causam, cum res a seipsa non
habeat nisi non esse: et ita cognoscet Deus [Deus om. Éd. de Parme]
propriam naturam uniuscujusque rei. |
Mais la fausseté de cette position
apparaît de deux manières : premièrement parce que Dieu n’est pas la
cause des choses quant à leur seul être commun, mais quant à tout ce qui est
dans la chose. En effet, puisque c’est au moyen des causes secondes que
chaque chose est déterminée à son être propre et que toutes les causes
secondes procèdent de la cause première, il faut que tout ce qui est dans la
chose, le propre comme le commun, se ramène à Dieu comme à sa cause, puisque
la chose ne tient d’elle-même que le non-être : et c’est ainsi que Dieu
[Dieu om. Éd. de Parme] connaît la nature propre de chaque chose. |
Secundo improbatur
per illud quod supra, in corp. art. praeced., tactum est, quod impossibile
est quod aliquod agens ordinet effectum suum in finem, nisi cognoscat
proprium opus rei per quod ordinatur in finem. Unde si a Deo ordinatio est
omnium rerum in finem suum, oportet quod cognoscat proprium opus cujuslibet
rei, et propriam naturam quae tali operationi convenit. |
Deuxièmement
cette position se trouve à être réfutée par ce qui a été touché plus haut
dans l’article precedent, à savoir qu’il est impossible à un agent
d’ordonner son effet à une fin sans connaître la function propre de la chose
par laquelle elle est ordonnée à la fin. D’où il résulte que si l’ordonnance
de toutes les choses à leur fin vient de Dieu, il faut qu’il connaisse la
fonction propre de chaque chose ainsi que la nature propre qui convient à une
telle fonction. |
Nec obstat, si etiam ponatur non immediate causare
ordinem in unaquaque re, sicut quidam philosophi posuerunt, dicentes, a Deo
immediate procedere unum primum, quod est intelligentia prima, a quo procedat
secunda intelligentia, et orbis, et anima ejus. Oportet enim secundum hoc,
quod cognoscat ad minus opus sui primi creati, quod est intelligentia ; et
ita cognoscet quae per illud opus produci possunt, et sic deinceps usque ad
ultima rerum ; et sic oportet quod cognoscat omnes proprias naturas et
proprias operationes rerum. |
Et même si on affirmait que Dieu ne
cause pas immédiatement l’ordre dans chaque chose, tout comme certains
philosophes l’ont affirmé en disant que de Dieu procède immédiatement un
premier effet qui est une intelligence première de laquelle procéderait une
intelligence seconde, puis une sphère et son âme, cela ne pose pas de
problème. Il faut en effet, suivant cette position que Dieu connaisse au
moins la fonction de son premier effet créé qui est l’intelligence
première : et ainsi il connaîtra les choses qui peuvent être produites
par cette fonction et ainsi de suite jusqu’à la dernière des choses ; et
ainsi il faut qu’il connaisse toutes les natures propres et toutes les
opérations propres des choses. |
[2494] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod esse divinum non negatur ejusdem rationis esse cum
esse nostro quia deficiat a ratione nostri esse, sed quia excedit. Quanto
autem medium perfectius est, tanto in eo res perfectius cognoscitur: et ideo
quanto esse suum excedit nostrum, tanto scientia sua de esse rei, quod
cognoscit per esse suum, excedit scientiam nostram, quae est de esse rei
accepta ab ipsa re. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’on ne nie pas que l’être divin soit d’une même essence que la nôtre
seulement parce qu’il est dépourvu de notre essence, mais parce qu’il la
dépasse. Mais une chose est connue d’autant plus parfaitement dans un être
que cet être est plus parfait : et c’est pourquoi sa science au sujet de
l’être d’une chose qu’il connaît par son être à Lui dépasse d’autant plus
notre science qui porte sur l’être de la chose qu’elle reçoit de la chose
elle-même, que l’être de Dieu dépasse notre être. |
[2495] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod nullius scientiae certitudo potest esse nisi per
reductionem in prima sui principia. Sed quod primum principium in geometricis
non sufficit ad certam cognitionem eorum quae consequuntur, hoc est, quia
ipsum non est tota causa eorum ; unde oportet quod adjunctis omnibus aliis,
in eorum notitiam veniatur. Sed ipse Deus est perfecta causa omnium quae ab
ipso sunt ; cum nihil possit accipi quod ab ipso non sit: et ideo ipse per
essentiam suam omnia perfecte cognoscit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il ne peut y avoir certitude pour aucune science que s’il y a réduction à
ses premiers principes. Mais que le premier principe en géométrie ne suffit
pas à une connaissance certaine des conclusions qui s’ensuivent, c’est parce
qu’il n’en est pas la seule cause ; d’où il faut qu’ayant ajouté tous
les autres principes, on en vienne à leur connaissance. Mais Dieu lui-même
est la cause parfaite de tout ce qui vient de Lui puisqu’on ne peut rien
admettre qui ne vienne pas de Lui : et c’est pourquoi lui-même connaît
parfaitement toute chose par son essence. |
[2496] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod impossibile est idem esse proprium plurium quae eodem
modo ipsum participent, et secundum totum, et perfecte ; sed bonitatem
divinam quamvis omnes res participent, tamen nulla res creata ipsam perfecte
imitatur, sed in aliquo assimilatur sibi una res in quo non assimilatur sibi
alia ; et ideo ipse est propria similitudo uniuscujusque rei, sicut patet in
exemplo prius inducto, art. 1 hujus quaest. in corp., de illo qui habet
habitum sufficientem ad plura scibilia: est enim habitus ille [illius Éd.
de Parme] unus similitudo uniuscujusque trium habituum, qui in diversis
inveniuntur, etiam secundum id quod unus ab alio distinguitur: convenit enim
cum grammatica in eo quod per ipsum cognoscuntur grammaticalia, et sic de
aliis. Et ita patet quod una res potest esse propria similitudo plurium non
perfecte ipsam imitantium, sicut creaturae non perfecte imitantur divinam
bonitatem. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’il est impossible que le même soit le propre d’une multiplicité d’êtres
qui participeraient de lui de la même manière, en totalité et
parfaitement ; mais bien que toutes les choses participent de la bonté
divine, cependant aucune chose créée ne l’imite parfaitement mais plutôt une
chose lui est assimilée en un aspect sous lequel une autre ne lui est pas
assimilée ; et c’est pourquoi il est lui-même la similitude de chaque
chose, comme on le voit dans l’exemple introduit plus tôt suite au corps de
l’article 1 de cette question, dans la solution à la deuxième difficulté, au
sujet de celui qui possède un habitus qui suffit à connaître plusieurs genres
d’objets de science : en effet, cet [de cet Éd. de Parme]
habitus est une similitude unique de chacun des trois habitus qui se
retrouvent dans différents êtres, même d’après ce qui distingue l’un de
l’autre : il s’accorde en effet avec le grammairien en ceci que par cet
habitus sont connues les choses grammaticales et les choses qui relèvent des
autres sciences. Et ainsi il est clair qu’une seule et même réalité peut être
la similitude propre de plusieurs êtres qui ne l’imitent pas parfaitement,
tout comme les créatures n’imitent pas parfaitement la bonté divine. |
[2497] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod non solum esse divinum est causa essendi res, sed
etiam scientia et voluntas sua: ex quibus optime concluditur esse rei ; quia
illud quod Deus vult esse, cum possit et sciat, virtute essentiae suae in
esse procedit. Haec autem Deo cognita sunt ; et ita certam de rebus
cognitionem habet. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que non seulement l’être divin est la cause qui fait exister les choses, mais
il est aussi la science et la volonté de ces choses à partir desquelles est
conclu l’être de la chose ; car ce que Dieu veut faire exister,
puisqu’il le peut et le sait de science, cela vient à exister par la seule
puissance de son essence. Mais ces choses sont connues de Dieu et ainsi il
possède au sujet des choses une connaissance certaine. |
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Articulus 4 [2498] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4
tit. Utrum scientia Dei sit univoca scientiae nostrae |
Article 4 – La science de Dieu est-elle univoque à la nôtre ? |
[2499] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod
scientia Dei sit univoca scientiae nostrae. Agens enim secundum formam
producit effectum sibi univocum, sicut ignis per calorem inducit calorem
univocum suo calori. Sed sicut dicit Origenes, in XVI Ad Rom., V,
27, col. 1292 et Dionysius, cap. VII de
div. Nom., col. 866, Deus dicitur sapiens, inquantum nos sapientia
implet per suam sapientiam. Ergo videtur quod sapientia sua sit nostrae
univoca. |
Difficultés : 1. Il semble que la science de Dieu soit
univoque à la nôtre. En effet, un agent produit un effet qui lui est univoque
conformément à la forme, tout comme le feu par la chaleur introduit une
chaleur univoque à sa chaleur. Mais tout comme le dit Origène [XVI Aux
Romains, V, 27, col. 1292] et Denys [Les Noms Divins,
ch. VII, col. 866] on dit de Dieu qu’il est sage selon que c’est
par sa sagesse qu’il nous comble de sagesse. Il semble donc que sa sagesse
soit univoque à la nôtre. |
[2500] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, mensura et mensuratum sunt unius rationis ; unde unicuique propria
mensura respondet: non enim eodem mensurantur liquida et arida, ut in III
Metaph. dicitur. Sed scientia Dei mensura est scientiae nostrae ; quae tanto
verior est quanto ad eam magis accedit. Ergo videtur quod sit univoca scientiae
nostrae. |
2. Par ailleurs, la mesure et le
mesuré sont d’un même genre ; d’où à chaque chose correspond une mesure
qui lui est propre : en effet ce n’est pas par la même mesure que les
liquides et les solides sont mesurés comme on le dit au troisième livre de
la Métaphysique. Mais la science de Dieu est la mesure de la
nôtre, laquelle est d’autant plus vraie qu’elle s’approche davantage de la
sienne. Il semble donc que sa science est univoque à la nôtre. |
[2501] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 3 Si
dicas, quod non est univoca ex eo quod scientia Dei nostram excedit
scientiam ; contra. Magis et minus non diversificant speciem. Sed
excessus scientiae attenditur secundum hoc quod est esse magis et minus
scientem. Ergo videtur quod ex hoc univocatio scientiae non tollatur. |
3. Mais si tu dis qu’elle n’est pas
univoque du fait que la science de Dieu dépasse la nôtre, je réponds à cela
que le plus et le moins n’entraînent pas une différence d’espèce. Mais le
dépassement dans la science se vérifie en ceci qu’on est plus ou moins
savant. Il semble donc que l’univocité de la science ne soit pas réfutée à
partir de là. |
[2502] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 4 Si
dicas, ut dicit Commentator in X Metaph., text. comm. 51, quod pro tanto
non est univoca, quia scientia Dei est causa rerum, et nostra scientia est
causata a rebus ; contra. Scientia speculativa in nobis
causata est a rebus ; sed scientia practica est causa rerum ; nec tamen de
utroque nomen scientiae aequivoce praedicatur. Ergo et ratio praedicta
univocationem non tollit. |
4. Mais si tu dis, comme le dit le
Commentateur [X Métaphysique, texte comm. 51], qu’elle n’est
pourtant pas univoque à la nôtre parce que la science de Dieu est la cause
des choses alors que la nôtre est causée par les choses, je réponds par
contre que même si la science spéculative en nous est causée par les choses
mais que la science pratique est la cause des choses, cependant le nom de
science n’est pas attribué par équivoque à ces deux sciences. Donc la raison
qui précède ne fait pas disparaître l’univocité. |
[2503] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 5
Contra, aeterno et corruptibili nihil est commune, nisi secundum nomen, ut in
X Metaphysic., text. comm. 26, a Commentatore dicitur, et etiam a
Philosopho. Sed scientia Dei est aeterna, nostra autem est corruptibilis,
quam contingit per oblivionem amitti, et per doctrinam vel inventionem
acquiri. Ergo scientia aequivoce et nobis et Deo convenit. |
5. Cependant : Rien n’est commun à l’éternel et au
corruptible, si ce n’est selon le nom, ainsi que le dit le Commentateur
[X Métaphysique, texte comm. 26] et même le Philosophe. Mais la
science de Dieu est éternelle et la nôtre, qu’il nous arrive de perdre par
l’oubli et d’acquérir par l’enseignement ou la découverte, est corruptible.
Donc la science s’attribue à Dieu et à nous de manière équivoque. |
[2504] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 6
Praeterea, quaecumque univocantur in aliquo, horum est similitudo aliqua. Sed
omnium similium est aliqua comparatio ; comparatio autem non est nisi
convenientium in natura aliqua. Cum igitur nulla creatura cum Deo conveniat
in aliqua natura communi, quia illa esset utroque prius, videtur quod nihil
univoce de Deo et creatura dicatur. |
6. Par ailleurs il y a similitude
entre tous les êtres qui reçoivent une attribution de manière univoque. Mais
il y a un rapport entre toutes les choses semblables ; mais il n’y a
rapport qu’entre les choses qui s’accordent dans une certaine nature. Donc,
puisque nulle créature ne s’accorde avec Dieu dans une nature commune car
cette dernière serait antérieure à la fois aux créatures et à Dieu, il semble
que rien ne se dise univoquement de Dieu et de la créature. |
[2505] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 7
Praeterea, nihil univoce dictum potest esse in uno substantia et in alio
accidens. Sed scientia in nobis est accidens, in Deo autem substantia. Ergo aequivoce praedicatur. |
7. Par ailleurs, rien de ce qui est
attribué univoquement ne peut être substance dans l’un et accident dans
l’autre. Mais la science en nous est un accident et en Dieu sa substance. La
science s’attribue donc équivoquement de Dieu et de la créature. |
[2506] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod tribus modis contingit aliquid aliquibus commune esse ; vel
univoce, vel aequivoce, vel analogice. Univoce quidem non potest aliquid de Deo et creatura
dici. Hujus ratio est, quia cum in re duo sit considerare: scilicet naturam
vel quidditatem rei, et esse suum, oportet quod in omnibus univocis sit
communitas secundum rationem naturae, et non secundum esse ; quia unum esse
non est nisi in una re ; unde habitus humanitatis non est secundum idem esse
in duobus hominibus: et ideo quandocumque forma significata per nomen est
ipsum esse, non potest univoce convenire, propter quod etiam ens non univoce
praedicatur. Et ideo cum omnium quae dicuntur de Deo natura vel forma sit
ipsum esse, quia suum esse est sua natura, propter quod dicitur a quibusdam
philosophis, quod est ens non in essentia, et sciens non per scientiam, et
sic de aliis, ut intelligatur essentia non esse aliud ab esse, et sic de
aliis: ideo nihil de Deo et creaturis univoce dici potest. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que c’est de
trois manières qu’il arrive à un terme d’être commun à plusieurs
réalités : à savoir soit par univocité, soit par équivocité, soit par
analogie. Rien certes ne peut être attribué à Dieu
et à la créature par univocité. La raison en est que puisque dans une chose
il y a deux aspects à considérer, à savoir la nature ou la quiddité de la
chose d’une part et sont existence d’autre part, il faut que pour tous les
termes univoques il y ait communauté selon la notion de nature et non selon
l’existence ; car une seule et même existence ne se retrouve que dans une
seule et même chose ; d’où la possession de l’humanité ne se retrouve
pas selon la même existence dans deux hommes : et c’est pourquoi à
chaque fois que la forme signifiée par le nom est l’existence même, elle ne
peut s’attribuer univoquement à une multiplicité et c’est aussi la raison
pour laquelle l’étant ne s’attribue pas de manière univoque. Et c’est
pourquoi, puisque la nature ou la forme de tout ce qu’on attribue à Dieu est
son existence même, ce qui fait dire à certains philosophes qu’Il existe mais
non dans une essence, qu’il sait mais non par la science et qu’il en est de
même pour le reste, c’est pourquoi rien ne peut être attribué univoquement à
Dieu et aux créatures. |
Et ideo quidam dicunt, quod quidquid de Deo et creatura
dicitur, per puram aequivocationem dicitur. Sed hoc etiam non potest esse ;
quia in his quae sunt pure aequivoca per casum et fortunam, ex uno non
cognoscitur alterum, ut quando idem nomen duobus hominibus convenit. Cum
igitur per scientiam nostram deveniatur in cognitionem divinae scientiae, non
potest esse quod sit omnino aequivocum. |
Et c’est pourquoi certains disent
que tout ce qu’on peut dire à la fois de Dieu et des créatures se dit par
pure équivocité. Mais cela non plus n’est pas possible ; car pour
les termes qui sont purement équivoques par le hasard ou la fortune, on ne
peut connaître l’autre à partir de l’un, par exemple lorsque le même nom
appartient à deux hommes. Donc, puisqu’au moyen de notre science nous
parvenons à connaître la science divine, il est impossible qu’il y ait ici
une équivocité absolue. |
Et ideo dicendum, quod scientia analogice dicitur de
Deo et creatura, et similiter omnia hujusmodi. Sed duplex est analogia. Quaedam secundum convenientiam in aliquo uno, quod eis
per prius et posterius convenit ; et haec analogia non potest esse inter Deum
et creaturam, sicut nec univocatio. Alia analogia est, secundum quod unum imitatur
aliud quantum potest, nec perfecte ipsum assequitur ; et haec analogia est
creaturae ad Deum. |
Et c’est pourquoi il faut dire que
la science se dit de Dieu et de l’homme par analogie, et il en est de même
pour tous les autres termes de la sorte. Mais il y a deux sortes
d’attribution par analogie. La première a lieu d’après une
ressemblance par rapport à une même chose qui convient à l’un en priorité et
à l’autre secondairement ; et il ne peut y avoir cette sorte d’analogie
entre Dieu et la créature, tout comme il ne peut y avoir univocité. L’autre analogie est celle selon laquelle
l’une imite l’autre autant qu’elle le peut sans toutefois l’atteindre
parfaitement ; et c’est cette sorte d’analogie qui se rapporte à Dieu et
à la créature. |
[2507] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ab agente secundum formam non producitur effectus
univocus nisi quando recipiens est proportionatus ad recipiendum totam
virtutem agentis, vel secundum eamdem rationem ; et sic nulla creatura est
proportionata ad recipiendum scientiam a Deo per modum quo in ipso est ;
sicut nec corpora inferiora possunt recipere calorem univoce a sole, quamvis
per formam suam agat. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’un effet univoque n’est produit par une agent selon la forme que lorsque
celui qui reçoit est proportionné à recevoir la totalité de la puissance de
l’agent ou sous la même nature ; et en ce sens aucune créature n’est
proportionnée à recevoir de Dieu la science telle qu’elle existe en
Lui ; tout comme aucun corps inférieur ne peut recevoir du Soleil la
chaleur de manière univoque, bien qu’il agisse au moyen de sa forme. |
[2508] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod scientia Dei non est mensura coaequata scientiae
nostrae, sed excedens ; et ideo non sequitur quod sit ejusdem rationis
secundum univocationem cum scientia nostra, sed secundum analogiam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la science de Dieu n’est pas une mesure qui est égale à notre science,
mais une mesure qui la dépasse ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas
qu’elle soit de même nature que notre science selon l’univocité, mais selon
l’analogie. |
[2509] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod magis et minus nunquam univocationem vel speciei
unitatem [vel…unitatem om. Éd. de Parme] auferunt ; sed ea ex
quibus magis et minus causatur, possunt differentiam speciei facere, et
univocationem auferre: et hoc contingit quando magis et minus causantur
[causatur Éd. de Parme] non ex diversa participatione unius
naturae, sed ex gradu diversarum naturarum ; sicut Angelus [est Éd.
de Parme] homine intellectualior dicitur [dicitur om. Éd. de
Parme]. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le plus et le moins ne font jamais disparaître l’univocité ou l’unité de
l’espèce [ou…l’unité om. Éd. de Parme] ; mais ce qui cause
le plus et le moins peut faire une différence d’espèce et faire disparaître
l’univocité : et cela est possible quand le plus et le moins sont causés
[est causé Éd. de Parme] non pas à partir d’une participation
d’une seule et même nature, mais à partir de degrés de natures
différentes ; par exemple, on dit [on dit om. Éd. de Parme]
l’Ange [est Éd. de Parme] plus intellectuel que l’homme. |
[2510] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ratio Commentatoris, per se non est sufficiens nisi
secundum quod accipitur in tali materia ; scientia enim quae sic est causa
rerum ut scientia divina, non potest scientiae causatae a rebus univoca esse:
cujus ratio dicta est. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que le raisonnement du Commentateur ne vaut essentiellement que s’il se prend
dans un même genre par rapport à telle ou telle matière déterminée ; en
effet, la science qui est ainsi cause des choses comme l’est la science
divine ne peut être univoque par rapport à la science causée par les choses
pour la raison que nous avons déjà dite. |
[2511] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 5 Et quia
aliae rationes videntur concludere quod omnino aequivoce dicatur, ideo ad eas
respondendum est. Ad quintum ergo dicendum, quod dictum illud est
intelligendum quantum ad esse, et non quantum ad intentionem rei quae
communiter praedicatur ; quia corpus, etiam secundum hoc quod dicitur ibi,
aequivoce de corruptibilibus et incorruptibilibus praedicatur, cujus tamen
ratio eadem est in utroque si secundum intentionem communem consideretur. |
5. Et parce que les autres
arguments semblent conclure que la science se dit de manière purement
équivoque, c’est pourquoi il faut leur répondre. Et il faut dire par rapport
au cinquième que ce qui est dit doit s’entendre quant à
l’existence et non quant à l’intention de la chose qui s’attribue
communément ; car le corps, même selon ce qui est dit là, s’attribue de
manière équivoque à ce qui est corruptible et à ce qui est incorruptible,
dont la nature est cependant la même dans les deux si on la considère selon
l’intention commune. |
[2512] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod inter Deum et creaturam non est similitudo per
convenientiam in aliquo uno communi, sed per imitationem ; unde creatura
similis Deo dicitur, sed non convertitur, ut dicit Dionysius, in lib. De
div. Nom., cap. IX, § 6 col. 914. |
6. Il faut dire en sixième lieu
qu’entre Dieu et la créature il n’y a pas similitude par une convenance en un
même point de référence commun, mais par imitation ; d’où on dit de la
créature qu’elle est semblable à Dieu, mais non l’inverse comme le dit Denys
[Les Noms Divins, ch. 1X, & 6, col. 914]. |
[2513] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod scientia non praedicatur de Deo secundum rationem
generis sui, qualitatis vel [scilicet Éd. de Parme] accidentalis,
sed solum secundum rationem differentiae, quae ad perfectionem pertinet,
secundum quam a natura attenditur per imitationem, ut dictum est. |
7. Il faut dire en septième lieu
que la science ne s’attribue par à Dieu en raison de son genre qui est la
qualité ou [c’est-à-dire Éd. de Parme] à titre d’accident mais seulement en
raison d’une différence qui appartient à une perfection à laquelle la nature
tend par l’imitation, ainsi que nous l’avons dit. |
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Articulus 5 [2514] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5
tit. Utrum scientia Dei sit universalis |
Article 5 – La science de Dieu est-elle universelle ? |
[2515] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei sit universalis. Scientia enim
universalis est quae est per causas universales. Sed Deus scit omnia per
causam universalissimam, scilicet per essentiam suam. Ergo sua scientia est
maxime universalis. |
Difficultés : 1. Il semble que la science de Dieu soit
universelle. En effet, la science universelle est celle qui procède par les
causes universelles. Mais Dieu connaît toute chose par sa cause la plus
universelle, à savoir par son essence. Donc sa science est la plus
universelle. |
[2516] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 2 Item,
videtur quod sit particularis. Cognitio enim particularis est per quam
cognoscitur propria natura rei. Sed proprias naturas omnium rerum Deus
perfecte cognoscit. Ergo sua scientia particularis est. |
2. En outre, il semble qu’elle soit
particulière. La connaissance particulière en effet est celle par laquelle
est connue la nature propre de la chose. Mais Dieu connaît parfaitement les
natures propres de toutes les choses. Sa science est donc particulière. |
[2517] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, videtur quod etiam sit in potentia. Sicut
enim operatio sua extenditur ad ea quae sunt extra ipsum, quae ipsius
operatione causantur, ita et scientia ; cum ea quae extra ipsum sunt, ab eo
cognoscantur. Sed Deus non semper operatus est res in actu, quia ab aeterno
non fuerunt. Ergo videtur quod nec debeat dici semper sciens in actu, sed
quandoque in potentia. |
3. En
outre, il semble même que sa science soit en puissance. En effet, comme son
opération s’applique même à ce qui est en dehors de Lui et qui est causé par
son opération, il en est de même pour sa science, puisque les choses qui sont
en dehors de Lui sont connues par Lui. Mais Dieu n’a pas toujours fait les
choses en acte, car elles n’ont pas existé de toute éternité. Il semble donc
qu’on ne puisse dire non plus qu’il les a toujours connu en acte, mais
parfois en puissance. |
[2518] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 4 Item,
videtur quod etiam sit in habitu. Sicut enim potentia est medium inter
essentiam et operationem, ita habitus est medium inter potentiam et
actum. Sed quamvis in Deo omnia unum sint, tamen designamus essentiam,
operationem, et virtutem. Ergo et
similiter habitum in ipso designare poterimus, ut dicamus Deum esse scientem
in habitu. |
4. En outre, il semble que Dieu
possède aussi la science comme un habitus. En effet, tout comme la puissance
est un intermédiaire entre l’essence et l’opération, de même l’habitus est un
intermédiaire entre la puissance et l’acte. Mais bien qu’en Dieu tout soit
un, cependant nous désignons l’essence, l’opération et la vertu. Nous
pourrions donc de la même manière désigner en Lui un habitus de manière à
dire qu’il y a en Dieu l’habitus de la science. |
[2519] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 5 Item, videtur quod scientia sit in actu. Nihil enim est agens nisi secundum quod est in
actu. Sed Deus agit omnia per sapientiam suam ; unde in Psalm. 103, 24, dicitur: Omnia in sapientia fecisti.
Ergo sua scientia maxime est in actu. |
5. En outre, il semble que Dieu
soit la science en acte. En effet, un agent n’est rien d’autre que ce qui est
en acte. Mais Dieu fait toutes les choses par sa sagesse ; d’où
l’Écriture [Psaume 103, 24] dit : Tu as tout fait
avec sagesse. Donc sa science est suprêmement en acte. |
[2520] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed
contra, ea quae non sunt ejusdem rationis non dividuntur eisdem differentiis:
quia, secundum Philosophum, in Antepraedicam. diversorum
generum diversae sunt species et differentiae. Sed scientia Dei et scientia
nostra non sunt ejusdem rationis. Ergo cum omnia praedicta sint differentiae
nostrae scientiae, videtur quod ad divinam scientiam non sint referenda. |
Cependant : 1. Les choses qui ne sont pas de même
nature ne sont pas divisées par les mêmes différences car, selon le
Philosophe dans les Anteprédicaments, les espèces et les
différences de genres différents sont elles-mêmes différentes. Mais la
science de Dieu et la nôtre ne sont pas de même nature. Donc, puisque toutes
les choses qui ont déjà été dites sont les différences de notre science, il
semble qu’elles ne doivent pas être rapportées à la science divine. |
[2521] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 2
Praeterea, hoc etiam Commentator dicit, in II Metaph., text.
com. 51, quod scientia Dei nec est universalis, nec particularis, nec in potentia. |
2. Par ailleurs, le Commentateur
[11 Métaphysique, texte com. 51] dit encore ceci, à savoir que la
science de Dieu n’est ni universelle, ni particulière, ni en puissance. |
[2522] Super Sent.,
lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod nihil dictorum divinae
scientiae convenit, nisi hoc solum quod est semper in actu esse: cujus ratio
est quia conditiones scientiae praecipue attenduntur secundum rationem medii,
et similiter cujuslibet cognitionis. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que rien de ce qui a été dit de la science divine n’est juste, sauf
cela seul qu’elle est toujours en acte: la raison e nest que les conditions
de la science se vérifient surtout selon la raison de moyen, et qu’il en est
de même pour toute connaissance. |
Id autem quo Deus cognoscit quasi medio, est essentia
sua, quae non potest dici universale, quia omne universale additionem recipit
alicujus per quod determinatur ; et ita est in potentia, et imperfectum in
esse ; similiter non potest dici particularis, quia particularis principium
materia est, vel aliquid loco materiae se habens, quod Deo non convenit.
Similiter etiam ab essentia ipsius omnis potentia passiva vel materialis
remota est, cum sit actus purus ; unde nec etiam ratio habitus sibi competit,
quia habitus non est ultima perfectio, sed magis operatio quae perficit
habitum. Et ideo scientia sua neque universalis neque particularis neque in
potentia neque in habitu dici potest, sed tantum in actu. |
Mais ce par quoi Dieu connaît comme par un moyen, c’est
son essence dont on ne peut dire qu’elle est universelle car tout universel
reçoit l’addition de quelque chose par quoi il se trouve à être
déterminé ; et ainsi il est en puissance quant à cela et imparfait dans
l’existence ; de même on ne peut dire de son essence qu’elle est
particulière car le principe du particulier est la matière ou quelque chose
qui tient lieu de matière et qui ne convient pas à Dieu. De même encore toute
puissance passive ou matérielle est exclue de son essence puisqu’Il est un acte
pur ; d’où il résulte encore que la notion d’habitus ne lui convient pas
car l’habitus n’est pas la perfection ultime mais c’est plutôt l’opération
qui donne sa perfection à l’habitus. Et c’est pourquoi il est impossible de
dire de la science de Dieu qu’elle est universelle, particulière, en
puissance ou en habitus. On doit seulement dire qu’elle est en acte. |
[2523] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis divina essentia sit causa universalis
rerum, non tamen ita quod aliquid sibi sit addibile, per quod propria et
perfecta causa efficiatur ; immo per seipsum est sufficiens et perfecta causa
cujuslibet rei ; et ideo cognitio quae est per talem causam non est scientia
in universali, sed in propria natura cujuslibet rei. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que la science divine soit la cause universelle des choses, ce n’est
cependant pas de telle manière que quelque chose lui soit ajoutable et grâce
à quoi elle deviendrait une cause propre et parfaite ; mais bien plutôt
elle est par elle-même une cause suffisante et parfaite de toutes les
choses ; et c’est pourquoi la connaissance qui a lieu par une telle
cause n’est pas une science dans l’universel mais dans la nature
propre de toute chose. |
[2524] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis Deus cognoscat propriam naturam cujuslibet
rei, non tamen cognoscit per aliquod acceptum a re: quia, ut dicit Dionysius,
VII cap. De div. Nom.,col. 866, divina scientia non immittit se
singulis rebus quae cognoscuntur ; nec est alia scientia qua seipsum
cognoscit et alias res ; et ideo non potest dici particularis: quia proprie
illa scientia est particularis quae est per medium particulare a re acceptum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que Dieu connaisse la nature propre de toute chose, il ne la connaît
cependant pas au moyen de ce qu’il tirerait de la chose : car comme le
dit Denys [Les Noms Divins, ch. VII, col. 866] la science
divine ne se lance pas dans les choses singulières qui sont connues ; et
la science par laquelle il se connaît lui-même n’est pas autre que celle par
laquelle il connaît les autres choses ; et c’est pouruquoi on ne peut
dire de sa science qu’elle est particulière car à proprement parler, la science
particulière est celle qui a lieu par un moyen terme particulier tiré de la
chose. |
[2525] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Deus non agit per operationem mediam: sed sua operatio
est sua essentia: unde sicut scientia semper est in actu et non in potentia,
ita et operatio, quamvis operatum non sit semper: quod contingit propter
ordinem sapientiae disponentis. Et tamen Deus non dicitur fecisse res ab
aeterno, sicut scivit ab aeterno ; quia operatio significatur ut exiens ab
operante in operatum vel factum ; et ideo non potest dici Deus esse faciens
nisi quando aliquid fit. Sed scire, quamvis etiam exteriorum sit, non est
tamen eorum nisi secundum quod sunt in sciente per sui similitudinem ; et
ideo secundum conditionem scientis, et non sciti, dicitur Deus ab aeterno
scivisse etiam quae non ab aeterno fuerunt. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que Dieu n’agit pas par une opération intermédiaire : mais son opération
est son essence ; d’où il suit que tout comme la science est toujours en
acte et non en puissance, il en est de même pour l’opération, bien que
l’œuvre réalisée n’ait pas toujours existé : ce qui est possible à cause
de l’ordre de la sagesse qui ordonne. Et cependant on ne dit pas de Dieu
qu’il a fait les choses de toute éternité tout comme il les connaît de toute
éternité car l’opération est signifiée comme sortant de l’agent vers
l’œuvre ou le produit ; et c’est pourquoi on ne peut dire de Dieu qu’il
est en train d’agir que lorsque quelque chose est en train d’être produit.
Mais bien que son savoir porte aussi sur les choses extérieures, il ne porte
cependant sur elles que selon qu’elles existent dans celui qui sait par sa
similitude, à savoir conformément à sa manière de connaître ; et c’est
pourquoi c’est d’après la condition de celui qui connaît et non de ce qui est
connu qu’on dit de Dieu qu’il connaît de toute éternité même les choses qui
n’ont pas toujours existé |
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[2526] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod virtus nominat principium operationis perfectum ; et
ideo virtutem operativam in Deo significare possumus: sed habitus non est
nisi perfectio alicujus potentiae incompletae ad actum: non tamen ultima
perfectio ; unde ponit duplicem imperfectionem, scilicet et in potentia
perfecta per habitum et in habitu qui per operationem perficitur: et ideo
nomen habitus, proprie loquendo, Deo non competit: et si aliquando dicatur
dominus ab aeterno non in actu sed in habitu, magis est per similitudinem
quam secundum proprietatem dictum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la vertu signifie un principe parfait d’opération ; et c’est
pourquoi nous pouvons signifier en Dieu une vertu d’opération : mais
l’habitus n’est qu’une perfection d’une puissance incomplète à l’égard de
l’acte et elle n’est cependant pas une perfection ultime ; d’où elle
pose une double imperfection, à savoir à la fois dans la puissance qui est
complétée par l’habitus et dans l’habitus qui est complété par
l’opération : et c’est pourquoi, à proprement parler, le nom d’habitus
ne convient pas à Dieu et si on dit parfois que le Seigneur est de toute
éternité non pas en acte mais en habitus, cela se dit davantage par
ressemblance que par une propriété réelle. |
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Distinctio 36 |
Distinction 36 – [La connaissance de Dieu et les idées] |
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Prooemium |
Prologue |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La connaissance de Dieu] |
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Prooemium |
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[2528] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 pr. Hic est
duplex quaestio. Prima de his quae a Deo cognoscuntur. Secunda de ideis,
per quas res cognoscit. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum Deus cognoscat singularia ; 2 utrum cognoscat mala ; 3 qualiter ea quae cognoscit, in ipso esse dicuntur. |
La recherche porte ici sur deux
objets. Le premier se rapporte à ce qui est connu
de Dieu. Le deuxième se rapporte aux idées par lesquelles il connaît les
choses. On cherche à répondre à trois questions
relativement au premier objet : 1. Est-ce que Dieu connaît les
singuliers ? 2. Est-ce qu’il connaît le mal ? 3. En quel sens peut-on dire que ce qu’il
connaît est en Lui ? |
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Articulus 1 [2529] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1
tit. Utrum Deus cognoscat singularia |
Article 1 – Dieu connaît-il les singuliers ? |
[2530] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non cognoscat singularia. Dicit enim
Boetius, quod universale est dum intelligitur, particulare dum sentitur. Sed
in Deo non est potentia sensitiva, cum sit virtus impressa organo corporali,
nisi forte metaphorice sumendo. Ergo videtur quod cognitio singularium Deo
non conveniat. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne connaisse pas
les singuliers. En effet, Boèce dit que l’universel est l’objet de
l’intelligence et le singulier celui du sens. Mais il n’y a pas de puissance
sensitive en Dieu, puisque le sens est une puissance enfoncée dans un organe
corporel, à moins qu’on ne le prenne peut-être par métaphore. Il semble donc
que la connaissance des singuliers ne convienne pas à Dieu. |
[2531] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, nihil cognoscitur ab aliquo nisi secundum quod est in cognoscente.
Sed particulares effectus non sunt in causis universalibus nisi in potentia.
Ergo videtur, cum essentia divina sit universalis causa omnium, in qua omnia
cognoscit, quod singularium propriam cognitionem non habeat. |
2. Par ailleurs, aucune chose n’est
connue par un être que selon qu’elle est dans cet être qui connaît. Mais les
effets particuliers n’existent qu’en puissance dans les causes universelles.
Il semble donc, puisque l’essence divine est la cause universelle de tout
dans laquelle il connaît toute chose, qu’il ne possède pas une connaissance
propre des singuliers. |
[2532] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis cognitio est per
assimilationem cognoscentis ad cognitum. Sed singulare non est singulare nisi
per materiam. Ergo nulla virtus quae abstrahit a materia et ab omnibus
appenditiis ejus, potest cognoscere singulare inquantum est singulare. Sed intellectus divinus est maxime a materia et a
conditionibus materialibus separatus. Ergo Deus singularia non cognoscit. |
3. Par ailleurs, toute connaissance
a lieu par une assimilation de celui qui connaît à l’objet connu. Mais le
singulier n’est singulier que par la matière. Donc, aucune puissance qui fait
abstraction de la matière et de tout ce qui s’y rattache ne peut connaître le
singulier en tant que singulier. Mais l’intelligence divine est suprêmement
séparée de la matière et des conditions matérielles. Dieu ne connaît donc pas
les singuliers. |
[2533] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Dionysius, in II
cap. De div. Nom. § 5, col. 643, eodem modo
creaturae participant, quamvis sint diversae, unam Dei bonitatem, sicut
plures lineae egrediuntur ab uno centro, et sicut plures figurationes fiunt
ab uno sigillo. Sed qui cognoscit
centrum non ex hoc cognoscit lineas productas a centro inquantum est haec et
illa, sed in communi tantum ; et similiter est in alio exemplo inducto. Ergo
videtur quod Deus cognoscendo seipsum, non cognoscat singularia inquantum
hujusmodi. |
4. Par ailleurs, ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 11, & 5, col. 643], les créatures participent de la
même manière, bien que diversement, de la seule et même bonté divine, tout
comme plusieurs lignes procèdent d’un même centre et tout comme plusieurs
figures viennent d’un même sceau. Mais celui qui connaît le centre ne connaît
pas pour autant les lignes produites à partir du centre en tant qu’elles sont
telles et telles ligne singulières, mais seulement dans l’universel ; et
il en est de même pour l’autre exemple présenté. Il semble donc qu’en se
connaissant Dieu ne connaisse pas les singuliers en tant que tels. |
[2534] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, ad Heb. 11, 6, « Credere oportet accedentem ad Deum quia est,
et quod diligentibus se remunerator sit ». Sed non potest
remunerare opera hominum singularium, nisi cognoscat operantes et ipsorum
opera. Ergo oportet credere quod
singularia Deus cognoscat. |
Cependant : 1. L’Apôtre [Épître aux Hébreux, 11, 6]
dit le contraire : «Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il
existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent». Mais Dieu ne peut
récompenser les œuvres des hommes singuliers que s’il connaît ceux qui les
font ainsi que leurs œuvres individuelles. Il faut donc croire que Dieu
connaît les singuliers. |
[2535] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, Deus habet de rebus scientiam practicam, quae est operationis
principium. Sed operatio est circa singularia. Ergo videtur quod sua scientia
sit etiam singularium. |
2. Par ailleurs, Dieu possède une
science pratique au sujet des choses, laquelle est principe d’opération. Mais
l’opération a pour objet les singuliers. Il semble donc que
sa science se rapporte aussi aux singuliers. |
[2536] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod Deus absque dubio omnium, et universalium et singularium,
cognitionem habet. Sciendum tamen, quod circa hanc quaestionem diversi
diversimode processerunt [senserunt Éd de Parme]. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que Dieu
possède sans aucun doute une connaissance à la fois des universels et des
singuliers. Il faut cependant savoir qu’à ce sujet les différents philosophes
ont pensé [jugé Éd. de Parme] différemment. |
Commentator enim in XI Metaph., text. com. 51, videtur
expresse negare Deo particularium cognitionem, nisi inquantum cognoscit
essentiam suam, quae est principium omnis esse. Sed cum Deus non tantum sit
causa esse rerum, sed omnium quae in rebus sunt, oportet ut cognitionem rerum
non tantum in eo quod sunt habeat, sed etiam in eo quod sunt talia vel talia. Et ideo alii dixerunt, scilicet Avicenna tract.
VIII Metaph., cap. VII, et Algazel, (apud Aver., lib. Destructionem, disp.
VI, et sequaces eorum, quod Deus cognoscit singularia universaliter ; quod
sic exponunt per exemplum. |
En effet, le Commentateur [XI Métaphysique,
texte com. 51] semble avoir clairement nié la connaissance des particuliers
en Dieu, sauf en tant qu’il connaît son essence qui est le principe de tout
être. Mais puisque Dieu n’est pas seulement le principe de l’existence des
choses mais aussi de tout ce qu’il y a dans les choses, il faut qu’il possède
une connaissance des choses non seulement en ceci qu’elles existent, mais
aussi en cela qu’elles sont telles et telles choses individuelles. Et c’est pourquoi d’autres ont dit, comme
Avicenne [ VIII Métaphysique, ch. VII], Algazel [Sur
le livre de la Destruction d’Averroès, disp. VI]
et ceux qui les ont suivis, que Dieu connaît les singuliers dans l’universel,
ce qu’ils expliquent de la manière suivante par un exemple. |
Ita etiam dicunt, quod cum omnes causae reducantur in
ipsum Deum sicut in causam, ipse cognoscendo se, cognoscit omnes causas
secundas ; et cognoscendo causas illas, cognoscit omne quod est effectum ex
illis causis, non tamen nisi universaliter. |
Ils disent ainsi encore que puisque
toutes les causes se ramènent à Dieu comme à leur cause, en se connaissant
Lui-même, Dieu connaît du coup toutes les causes secondes ; et en
connaissant ces causes, il ne connaît cependant tout ce qui est produit à
partir des ces causes que dans l’universel. |
Et ideo dicunt, quod Deus non cognoscit particularia
nisi universaliter, ita ut, secundum eos, determinatio accipiatur ex parte
cogniti, et non solum ex parte cognoscentis ; quia si solum ex parte
cognoscentis illa determinatio acciperetur, verum indubitanter esset quod
Deus particularia non particulari scientia cognoscit, ut supra probatum est,
dist. 25, quaest. 1, art. 5. |
Et c’est pourquoi ils disent que
Dieu ne connaît les singuliers que dans l’universel de telle manière que
selon eux la détermination se reçoive du côté de ce qui est connu et non
seulement du côté de celui qui connaît ; car si cette détermination
était reçue seulement du côté de celui qui connaît, il serait vrai sans aucun
doute que Dieu ne connaît pas les particuliers par une science particulière
comme nous l’avons prouvé plus haut [dist. 25, quest. 1, art. 5]. |
Cognoscit tamen particularia secundum particularitatem
ipsorum. Unde dictum illud etiam est insufficiens. Cognoscere enim hoc modo
singulare in universali, non est cognoscere propriam naturam hujus singularis
vel illius ; eo quod quocumque modo universalia aggregentur, nunquam ex eis
fiet singulare, nisi per hoc quod individuantur per materiam. |
Il connaît cependant les
particuliers d’après leurs caractères particuliers. D’où il résulte que cette
opinion aussi est insuffisante. En effet, connaître le singulier de cette
manière, à savoir dans l’universel, ce n’est pas connaître la nature propre
de tel ou de tel autre singulier du fait que quelle que soit la manière
dont les universels s’associent, ils n’engendreront jamais un singulier, sauf
à la condition d’être individués par une matière. |
Et ideo ex hac etiam via sequeretur quod Deus non
perfectam cognitionem de singularibus haberet. Universales enim causae non
ducunt in cognitionem particularium, nisi secundum quod particularia
participant naturam communem ; et sic ex causis universalibus non sciretur de
particulari nisi quod habet talem vel talem naturam communem vel
accidentaliter vel substantialiter. |
Et c’est pourquoi, même à partir de
cette démarche, il s’ensuivrait que Dieu ne possède pas une connaissance
parfaite des singuliers. En effet, les causes universelles ne conduisent à la
connaissance des particuliers que selon que les particuliers participent
d’une nature commune ; et ainsi à partir des causes universelles on ne
connaîtrait le particulier que selon qu’il possède telle ou telle nature
commune, soit accidentellement, soit substantiellement. |
Ideo alii dixerunt, sicut Rabbi Moyses, quod Deus scit
perfectissime singularia ; et omnes rationes, quae in contrarium inducuntur,
solvit per hoc quod dicit, scientiam Dei esse aequivocam scientiae nostrae ;
unde per conditiones scientiae nostrae non possumus aliquid de scientia Dei
arguere: sicut enim esse Dei non comprehenditur a nobis, ita nec sua
scientia. Hoc confirmat per id quod habetur per Isa. 55: Sicut
exaltati sunt caeli a terra, sic exaltatae sunt viae meae a viis vestris. |
C’est pourquoi d’autres disent,
comme le Maître Moïse, que Dieu connaît parfaitement les singuliers ; et
il résout tous les arguments qui tendent à penser le contraire par ceci qu’il
dit que la science de Dieu est équivoque par rapport à la nôtre. D’où il
résulte qu’au moyen des conditions de notre science nous ne pouvons rien
déduire au sujet de la science de Dieu : en effet, tout comme nous ne
pouvons concevoir l’existence de Dieu, de même nous ne pouvons concevoir sa
science. Et il confirme cela au moyen de ce que L’Écriture [Isaïe 55] : Il
y a autant de distance entre mes chemins et les vôtres qu’il y en a entre les
cieux et la terre. |
Sed istud, quamvis sit verum, tamen oportet aliquid
plus dicere: videlicet, quod quamvis scientia Dei sit alterius modi a
scientia nostra, tamen per scientiam nostram aliqualiter devenimus in
scientiam Dei ; et sic scientia nostra non est penitus aequivoca
[univoca Éd de Parme] scientiae Dei, sed potius analogica, ut in
praecedenti distinctione,XXXV, qu. 1, art. 4, dictum est. Et ideo oportet
dicere secundum quid scientia nostra imitatur scientiam Dei, et in quo
deficit et quare ; et ita rationes dissolvere. |
Mais bien que cela soit vrai, il
faut cependant y ajouter ceci, à savoir que bien que la science de Dieu soit
d’un mode plus élevé que la nôtre, cependant nous parvenons en quelque sorte
à la science de Dieu au moyen de notre science ; et ainsi notre science
n’est pas tout à fait équivoque [univoque Éd. de Parme] par rapport à la
science de Dieu, mais plutôt analogique, ainsi que nous l’avons dit
précédemment [dist. XXXV, quest. 1, art. 4]. Et c’est pourquoi il faut dire
d’après quoi notre science imite la science de Dieu et en quoi elle s’en
écarte et pourquoi, et de cette manière résoudre les arguments. |
Unde procedendum est per viam quam docet Dionysius, VII
cap. De div. Nomin., § 2, col. 867. Dicit enim, quod cum
Deus cognoscit res per essentiam suam quae est causa rerum, eodem modo
cognoscit res quo modo esse rebus tradidit ; unde si aliquid est in rebus non
cognitum ab ipso, oportet quod circa illud vacet divina operatio, idest quod
non sit operatum ab ipso ; et ex hoc accidit difficultas philosophis propter
duo: primo, quia quidam ipsorum non ponebant Deum operari
immediate in rebus omnibus, sed ab ipso esse primas res, quibus mediantibus
ab eo aliae producuntur ; et ideo non poterant invenire qualiter cognosceret
res quae sunt hic, nisi in primis causis universalibus: secundo, quia quidam eorum non ponebant materiam esse
factam, sed Deum agere tantum inducendo formam. |
D’où il faut procéder par le chemin
qu’enseigne Denys [Les Noms Divins, ch. VII, & 2, col.
867]. Ce dernier dit en effet que puisque Dieu connaît les choses par son
essence qui est la cause des choses, il connaît les choses de la même manière
qu’il transmet l’existence aux choses ; d’où il faut, si quelque chose
dans les choses n’est pas connu de Lui, qu’à ce sujet l’opération divine ne
s’exerce pas, c’est-à-dire qu’il faut que cela ne soit pas opéré par
Lui ; et à partir de là il s’ensuit pour les philosophes des difficultés
pour deux raisons : premièrement parce que certains parmi eux
n’affirmaient pas que Dieu agit immédiatement dans toutes les choses mais que
de Lui procèdent des réalités premières par l’intermédiaire desquelles les
autres choses sont produites par Lui ; et c’est pourquoi ils ne
pouvaient découvrir de quelle manière Dieu connaît les choses particulières,
sauf dans les causes premières universelles. Deuxièmement, parce que certains parmi
eux n’affirmaient pas que Dieu a fait la matière, mais que Dieu agit
seulement en introduisant des formes. |
Et ideo cum materia sit principium individuationis, non
poterat inveniri apud eos, quomodo Deus singularia, inquantum hujusmodi,
cognoscat. Sed quia nos ponimus Deum immediate operantem in rebus omnibus, et
ab ipso esse non solum principia formalia, sed etiam materiam rei ; ideo per
essentiam suam, sicut per causam, totum quod est in re cognoscit, et formalia
et materialia ; unde non tantum cognoscit res secundum naturas universales,
sed secundum quod sunt individuatae per materiam ; sicut aedificator si per
formam artis conceptam posset producere totam domum, quantum ad materiam et
formam, per formam artis quam habet apud se, cognosceret domum hanc et illam
; sed quia per artem suam non inducit nisi formam, ideo ars sua est solum
similitudo formae domus ; unde non potest per eam cognoscere hanc domum vel
illam, nisi per aliquid acceptum a sensu. |
Et c’est pourquoi, puisque la
matière est le principe de l’individuation, ils ne pouvaient découvrir
comment Dieu connaît les singuliers en tant qu’ils sont des singuliers. Mais
parce que nous posons que Dieu opère immédiatement dans toutes les choses et
que de Lui procèdent non seulement les principes formels mais aussi la
matière de la chose, c’est pourquoi il connaît par son essence comme par leur
cause tout ce qui existe dans les choses, à la fois ce qui est formel et ce
qui est matériel ; d’où il résulte qu’il ne connaît pas les choses
seulement dans leurs natures universelles, mais aussi selon qu’elles sont
individuées par la matière ; ainsi le constructeur, s’il pouvait
produire par la forme qu’il a conçue par son art la totalité de la maison
quant à la matière et à la forme, il connaîtrait telle et telle maison par la
forme de l’art qu’il possède en lui ; mais parce que par son art il
n’introduit que la forme, c’est pourquoi son art est seulement une similitude
de la forme de la maison ; d’où il résulte qu’il ne peut connaître par
son art telle ou telle maison, mais seulement par ce qu’il reçoit du sens. |
[2537] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, forma per quam
intellectus divinus intelligit neque est universalis, quia additiones non
recipit, neque singularis, quia a materia et a dispositionibus ejus immunis
est ; sed tamen est principium et similitudo perfecta totius quod in re est,
et materiae et formae, ut dictum est. Et ideo hoc quod dicitur, quod
universale est dum intelligitur, particulare dum sentitur, referendum est ad
cognitionem nostram, quae in sensu est per formam materialem, et in
intellectu per formam universalem ; et ideo particularia non cognoscimus nisi
per virtutem in qua est aliquid particulariter ; sed Deus particularia
cognoscit neque universaliter neque particulariter ex parte cognoscentis, sed
universaliter et particulariter ex parte rei cognitae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que,
tout comme on peut le voir à partir de ce qui précède, la forme par laquelle
l’intelligence divine connaît n’est ni universelle parce qu’elle ne reçoit
pas d’additions, ni singulière parce qu’elle est étrangère à la matière et
aux dispositions de la matière ; elle est cependant le principe et la
similitude parfaite de tout ce qui existe dans la chose, à la fois de la
matière et de la forme, ainsi que nous l’avons dit. Et c’est pourquoi ce qui
est dit dans la difficulté, à savoir que l’universel est l’objet de
l’intelligence et le particulier celui du sens, doit être rapporté à notre
connaissance qui a lieu dans le sens par une forme matérielle et dans
l’intelligence par une forme universelle ; et c’est pourquoi nous ne
connaissons les particuliers que par une puissance dans laquelle quelque
chose existe sous une forme particulière ; mais Dieu connaît les
particuliers ni d’une manière universelle ni d’une manière particulière du
côté de celui qui connaît, mais universellement et particulièrement du côté
de la chose connue. |
[2538] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in causis universalibus quae non sunt tota causa rei
non potest particulare perfecte sciri. Sed Deus est causa omnium universalis,
ita quod est perfecta causa uniuscujusque ; et ideo se cognoscens, omnia
perfecte cognoscit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que dans les causes universelles qui ne sont pas toute la cause de la chose
le particulier ne peut être connu parfaitement. Mais Dieu est la cause
universelle de tout de telle manière qu’il est la cause parfaite de chaque
chose ; et c’est pourquoi, en se connaissant, il connaît parfaitement
toute chose. |
[2539] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis in Deo non sit aliquid materiale, sed essentia
ejus sit actus tantum, tamen ille actus est causa omnium quae sunt in re et
materialium et formalium ; quem actum imitatur quantum potest omnis res et
quidquid in re est ; et ideo essentia divina est similitudo non tantum
formalium, sed etiam materialium rei ; et ideo per ipsam possunt cognosci
singularia etiam inquantum hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que bien qu’en Dieu il n’y ait rien de matériel et que son essence ne soit
qu’acte, cependant cet acte est la cause de tout ce qui se trouve dans la
chose, à la fois de ce qui est matériel et de ce qui est formel, acte que
toute chose et que tout ce qui s’y trouve cherche à imiter dans la mesure du
possible ; et c’est pourquoi l’essence divine est la similitude non
seulement de ce qui est formel dans la chose, mais aussi de ce qui y est
matériel ; et c’est pourquoi les singuliers peuvent être connus par
elle, même en tant qu’ils sont singuliers. |
[2540] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod omnia exempla quae adducuntur a creaturis in Deum,
deficientia sunt, ut idem Dionysius dicit De div. Nom., cap.
II, col. 635: non enim invenitur in creaturis aliqua causa communis quae sit
causa totius quod in re est ; sicut sigillum est causa figurae in cera et non
ipsius cerae ; et ideo per cognitionem sigilli non potest cognosci figura
impressa inquantum est haec vel illa, quia hoc habet ex materia. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que tous les exemples qui sont tirés des créatures à Dieu sont défectueux
comme le dit aussi Denys [Les Noms Divins, ch. 11, dol. 635] : en
effet, on ne retrouve pas dans les créatures une cause commune qui serait la
cause de tout ce qui se trouve dans la chose ; par exemple le sceau est
la cause de la figure qui est dans la cire et non de la cire elle-même, et
c’est pourquoi, par la connaissance du sceau, on ne peut connaîrte la figure
imprimée en tant qu’elle est telle ou telle autre figure car elle tient cela
de la matière. |
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Articulus 2 [2541] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2
tit. Utrum Deus cognoscat mala |
Article 2 – Dieu connaît-il les maux ? |
[2542] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non cognoscat mala. Sicut enim dicit
Commentator, in III De anima, text. com. 25, si aliquis
intellectus sit semper in actu, non cognoscit privationem omnino. Sed
intellectus divinus semper est in actu. Cum igitur malum sit privatio, ut
Augustinus dicit, in Enchir., cap. XI, col. 236, videtur
quod Deus non cognoscat malum. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne connaisse pas le
mal. En effet, tout comme le dit le Commentateur [111 De l’Âme,
texte com. 25] si une intelligence est toujours en acte, elle ne connaît
absolument pas la privation. Mais l’intelligence divine est toujours en acte.
Donc, puisque le mal est une privation, comme le dit Saint-Augustin
[Enchiridium, ch. XI, col. 236], il semble que Dieu ne connaisse pas le mal. |
[2543] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, omnis scientia vel est causa scitorum, vel causata ab eis. Sed Dei
scientia causata non est. Cum ergo malorum causa non sit, videtur quod Deus
mala nesciat. |
2. Par ailleurs, toute science est
ou bien la cause de ce qui est connu, ou bien elle en est causée. Mais la
science de Dieu n’est pas causée. Donc, puisqu’elle n’est pas la cause du
mal, il semble que Dieu ignore le mal. |
[2544] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, scientia est assimilatio scientis ad rem scitam. Cum igitur malum
inquantum hujusmodi non assimiletur Deo, immo ipse recessus a similitudine
est malum ; videtur quod Deus malum non cognoscat. |
3. Par ailleurs, la science est
l’assimilation de celui qui sait à la chose connue. Donc puisque le mal en
tant que tel n’est pas assimilé à Dieu mais qu’au contraire tout éloignement
d’une similitude de Dieu est le mal, il semble que Dieu ne connaisse pas le
mal. |
[2545] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 4 Si
dicas, quod cognoscit malum per bonum ; contra. Cognoscere
aliquid non per se sed per aliud est imperfectae cognitionis. Nihil autem
imperfectum Deo est attribuendum. Ergo Deus non cognoscit mala per bona. |
4. Si tu dis que Dieu connaît le
mal par le bien, je réponds au contraire que connaître une chose non pas par
elle-même mais par quelque chose d’autre c’est la connaître imparfaitement.
Mais rien d’imparfait ne doit être attribué à Dieu. Donc Dieu ne connaît pas
le mal par le bien. |
[2546] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
contra est quod in Psal. LXVIII, 6, dicitur: Deus, tu scis
insipientiam meam, et delicta mea a te non sunt abscondita. |
Cependant : 1. Mais l’Écriture [Psaume LXVIII,
6] dit : Mais Toi, Dieu, tu connais ma sottise et mes fautes ne te sont
pas cachées. |
[2547] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Philosophus dicit, in I De
anima,text. 105, quod rectum est
judex sui ipsius et obliqui. Cum igitur malum sit obliquatio a rectitudine
boni, videtur quod Deo, qui omnia bona perfecte cognoscit, notitia mali
[boni Éd de Parme] non desit. |
2. Par ailleurs, le Philosophe [1 De
l’Âme, texte 105] dit que le droit ou le juste est juge de soi-même
et de ce qui est tordu. Donc, puisque le mal est une déviation de la
rectitude du bien, il semble donc que Dieu, qui connaît parfaitement tous les
biens, ne soit pas privé de la connaissance du mal [du bien Éd. de
Parme]. |
[2548] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod nescire dicitur dupliciter: uno modo metaphorice ad similitudinem nescientis se
habere ; et sic ipsum reprobare Dei nescire dicitur, quia malos a gloria sua
excludit ; sicut aliquis ignotos a secretis suis excludit: et per oppositum
Deus dicitur scire quae approbat: et sic verum est quod Deus dicitur nescire
mala. Alio modo dicitur nescire proprie notitia rei carere,
et per oppositum scire notitiam rei habere ; et ita Deus novit et bona et
mala cognoscendo essentiam suam, sicut tenebrae cognoscuntur per cognitionem
lucis, ut dicit Dionysius, VII cap. de div. nom.,§ 2, col. 870 |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que le terme
¨ignorer¨ se dit de deux manières : premièrement en un sens métaphorique
à la ressemblance de celui qui ne sait pas qu’il est ; et en ce sens la
condamnation même de Dieu est appelée ignorance car les méchants sont exclus
de sa gloire ; tout comme quelqu’un écarte les inconnus de ses
entretiens secrets et que par opposé on dit de Dieu qu’il connaît ceux qu’il
approuve : et en ce sens il est vrai de dire de Dieu qu’il ignore le
mal. Deuxièmement on dit qu’ignorer consiste à
être privé de la connaissance propre d’une chose et par opposition on dit que
savoir c’est posséder cette connaissance propre de la chose ; et ainsi
Dieu connaît à la fois les biens et les maux en connaissant son essence, tout
comme les ténèbres sont connues par la connaissance de la lumière ainsi que
le dit Denys [Les Noms divins, ch. VII, & 2m cik, 870]. |
Sed sciendum est, quod privatio non cognoscitur nisi
per habitum oppositum: nec habitui opponitur privatio nisi circa idem
subjectum considerata. Cum autem lucem divinae essentiae impossibile sit
deficere, non opponitur sibi privatio aliqua. Unde malum non opponitur bono,
prout in Deo est determinate ; sed forte opponitur sibi secundum communem intentionem
boni. |
Mais il faut savoir que le
privation n’est connue que par l’habitus qui lui est oppposé : et la
privation n’est opposée à l’habitus que si on la considère par rapport au
même sujet. Mais puisqu’il est impossible que la lumière de l’essence divine
soit en défaut, on ne peut lui opposer aucune privation. D’où il résulte que
le mal, en tant qu’il se trouve déterminément en Dieu, ne s’oppose pas au
bien, à moins qu’il lui est opposé d’après l’intention commune de bien. |
Opponitur autem determinate bono quod est
participatum in creaturis cui potest admisceri defectus. Unde per hoc quod
Deus cognoscit essentiam suam cognoscit ea quae ab ipso sunt, et per ea
cognoscit defectus ipsorum. Si autem essentiam suam cognosceret tantum,
nullum malum vel privationem cognosceret nisi in communi. |
Le mal est cependant déterminément
opposé au bien qui est participé dans les créatures auxquelles peut se
mélanger le manque. D’où il résulte que du fait que Dieu connaît son essence
il connaît les êtres qui procèdent de Lui et par eux il connaît leurs
défauts. Mais s’il connaissait seulement son essence, il ne
connaîtrait aucun mal et aucune privation, si ce n’est dans l’universel. |
[2549] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 1 Et ideo
patet responsio ad primum: quia ex hoc quod Commentator ponit, XII Metaph., text.
com. 51, quod nihil nisi essentiam suam cognoscit, sequitur quod mala nescit
; unde ibidem subdit, quod nescit mala esse ; unde eodem modo quo alia a se
cognoscit, et privationes ipsorum novit: non sicut primum cognitum, quia in
intellectu suo non potest esse aliqua privatio ; sed ab eo sunt secunda
intellecta, ut ex praedictis, dist. 25, qu. 1, art. 2, patet. |
Solutions : 1. Et c’est pourquoi la solution à la
première difficulté est évidente : car à partir de ce que pose le
Commentateur [XII Métaphysique, texte com. 51], à savoir que Dieu
ne connaît que son essence, il s’ensuit qu’Il ignore les maux ; d’où il
ajoute au même endroit qu’Il ignore que les maux existent ; d’où il
résulte qu’Il connaît leurs privations de la même manière qu’il connaît les
choses qui sont autres que lui, non pas en tant qu’objet connu premier car
dans son intelligence il ne peut y avoir aucune privation, mais en tant
qu’objets connus seconds par son intelligence, ainsi qu’on peut le voir à
partir de ce qui précède [dist. 25, qu. 1, art. 2]. |
[2550] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod scientia Dei nullo modo a re causata est ; nec tamen
est causa omnium quae cognoscit, sed horum tantum quorum est per se cognitio,
scilicet bonorum. Mala autem cognoscit per bona, ut dictum est, in
corp. art. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la science de Dieu n’est en aucune manière causée
par les choses; et elle n’est cependant pas la cause de tout ce qu’il connaît,
mais seulement de celles dont il y a connaissance par soi, à savoir des
biens. Mais il connaît les maux par les biens ainsi que nous l’avons dit dans
le corps de l’article. |
[2551] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malum non cognoscitur a
Deo per similitudinem suam, sed per similitudinem boni: secundum enim quod
Deus cognoscit essentiam suam cognoscit unamquamque rem quantum de sua
bonitate participat, et in quo deficiat ; et ita cognoscit malum, cum in
defectu ratio mali consistat. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le mal n’est pas connu de Dieu par sa similitude,
mais par la similitude du bien: en effet, selon que Dieu connaît son essence,
il connaît chaque chose en tant qu’elle participe de sa bonté et en tant
qu’elle s’en écarte; et c’est ainsi qu’il connaît le mal, puisque la notion
de mal consiste dans le manque ou le défaut. |
[2552] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognoscere per aliud id
quod per se natum est cognosci est imperfectae cognitionis ; sed malum per se
nec causam nec voluntatem nec cognitionem habet, sed per bonum, ut dicit
Dionysius, IV cap. De div.
nom., §§ 19, 20, 32, col. 715,
etc.: et ideo haec est perfecta cognitio mali, ut per bonum cognoscatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que connaître par un autre ce qui est naturellement apte à être connu par soi
relève d’une connaissance imparfaite ; mais c’est par le bien et non par
lui-même que le mal possède une cause, une volonté et une connaissance comme
le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19, 20, 32, col. 715, etc.]. et
c’est pourquoi cette connaissance du mal par le bien est une connaissance
parfaite du mal. |
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Articulus 3 [2553] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3
tit. Utrum res quae cognoscuntur a Deo sint in Deo |
Article 3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ? |
[2554] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod res
quae a Deo cognoscuntur, in Deo non sint. Omne illud in quo est aliquid
diversum ab eo, compositum est. Cum
igitur Deus sit simplicissimus, videtur quod res quae sunt diversae ab eo, in
ipso non sint. |
Difficultés : 1. Il semble que les choses connues de
Dieu ne soient pas en Lui. Toute réalité dans laquelle il y a une chose
différente d’elle est composée. Donc, puisque Dieu est suprêmement simple, il
semble que les choses qui sont différentes de Lui ne soient pas en Lui. |
[2555] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 2 Si
dicas, quod non sunt in eo per essentiam, sed per sui similitudinem: contra.
Unaquaeque res verius est ubi est per suam essentiam, quam ubi est per suam
similitudinem: quia ibi non videtur esse nisi secundum quid. Si igitur res in
Deo non sunt nisi secundum sui similitudinem, videtur quod verius et melius
sint in seipsis quam in Deo: quod est contra Augustinum, lib. V Sup. Gen.
Ad litt., cap. XV, col. 332, et Anselmum , in Monol., cap. XXXIV, col. 189. |
2. Si tu dis qu’elles ne sont pas en Lui
de par leur essence mais par leur ressemblance, je réponds que chaque chose
existe plus véritablement où elle se trouve de par son essence qu'où elle se
trouve par sa ressemblance car elle ne semble exister là que sous un rapport
partiel. Si donc les choses n’existent en Dieu que par leur ressemblance, il
semble qu’elles existent plus véritablement et mieus en elles-mêmes qu’en
Dieu, ce qui est contraire à ce que dit Saint-Augustin [V Sup. Gen.
Ad litt., ch. XV, col. 332] et Saint-Anselme [Monol. Ch. XXXIV,
col. 189]. |
[2556] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, similitudo respondet ei cujus est similitudo. Sed res omnes non
habent in se lucem et vitam. Cum igitur in Deo sint vita et lux, videtur quod
non sint in Deo per similitudinem. |
3. Par ailleurs, la similitude
correspond à ce dont elle est la similitude. Mais toutes les choses n’ont pas
en elles la lumière et la vie. Donc, puisqu’il y a en Dieu la lumière et la
vie, il semble que certaines choses ne soient pas en Dieu par leur
ressemblance ou similitude. |
[2557] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, ubi est res secundum sui similitudinem, ibi non attribuitur sibi
operatio propria sua: lapis enim in oculo non movetur deorsum. Sed Act.
XVII, 28 dicitur, quod in ipso Deo vivimus, movemur et sumus.
Ergo videtur quod non sumus in Deo per similitudinem tantum. |
4. Par ailleurs,
là où la chose se trouve d’après sa similitude, on ne lui attribue pas là son
opération propre: en effet, ce n’est pas en tant qu’elle existe dans l’oeil
que la pierre se meut vers le bas. Mais l’Écriture [Actes, XVII, 28]
dit: C’est en Dieu lui-même que nous vivons, que nous nous mouvons et
que nous sommes. Il semble donc que nous ne sommes pas en Dieu seulement
par mode de similitude. |
[2558] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, similitudines rerum in Dei scientia
existentes, cum ad scientiam pertineant, Filio appropriantur. Sed in ipso
appropriatur in Littera Spiritui sancto: per ipsum Filio, et
ex ipso Patri. Ergo videtur quod non dicantur res esse in Deo secundum
similitudinem. |
5. Par
ailleurs, les similitudes des choses qui existent dans la science de Dieu,
puisqu’elles se rapportent à la science, sont appropriées au Fils. Mais dans
la Lettre elles lui sont appropriées dans l’Esprit-Saint,
par le Fils et à partir du Père. Il semble donc qu’on ne dise pas des choses
qu’elles existent en Dieu d’après la similitude. |
[2559] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 1, 3: Quod
factum est in ipso vita erat. |
Cependant: 1. Ce n’est pas
là ce que nous dit l’Écriture [Jean, 1, 3]: Ce qui a été fait
avait la vie en Lui. |
[2560] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod haec praepositio
« in » secundum quod diversis adjungitur, diversas habitudines
notat ; ut cum dicitur esse in toto, vel esse in loco, et hujusmodi. Et ideo sciendum, quod aliud est esse in scientia Dei,
et aliud in Deo esse et aliud esse in essentia divina |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette
préposition ¨in¨, à savoir ¨en¨ ou ¨dans¨, selon qu’on la lie à différentes
choses, signifie différents rapports, comme lorsqu’on dit ¨être dans un tout¨
ou ¨être dans un lieu¨, ou des expressions de la sorte. Et c’est pourquoi il
faut savoir que les expressions suivantes, à savoir ¨être dans la science de
Dieu¨, ¨être en Dieu¨ et ¨être dans l’essence divine¨ signifient
différemment. |
Scientia enim nominat cognitionem quamdam. Unde esse in
scientia nihil aliud est quam per scientiam cognosci ; et ideo omnia quae
Deus scit, et bona et mala, in scientia ejus esse dicuntur. Sed essentia
significatur per modum formae vel naturae ; unde esse in essentia divina
nihil aliud est quam subsistere in natura divina, vel esse idem naturae
divinae ; et ideo creaturae non possunt dici in essentia divina esse, sed
tantum personae divinae et proprietates et attributa. |
En effet, la science signifie une
certaine connaissance. C’est pourquoi exister dans la science n’est rien
d’autre que d’être connu par mode de science ; et c’est pourquoi toutes
les choses que Dieu connaît, à la fois les bonnes et les mauvaises, on dit à
leur sujet qu’elles existent dans sa science. Mais l’essence est signifiée
par mode de forme ou de nature ; d’où exister dans l’essence divine
n’est rien d’autre que de subsister dans la nature divine ou d’avoir la même
existence que la nature divine ; et c’est pourquoi on ne peut dire des
créatures qu’elles existent dans la nature divine, mais seulement des
personnes divines, de leurs propriétés et de leurs attributs. |
Sed hoc nomen Deus significat rem subsistentem, cujus
est esse et operari ; unde esse in Deo potest intelligi dupliciter: vel quod est in esse ipsius, et sic creaturae non sunt
in Deo ; vel quod subjacet operi ejus, sicut dicimus opera,
quorum domini sumus in nobis esse ; et per modum illum omnia quae a Deo sunt,
in eo esse dicuntur, non autem mala, quae ab ipso non sunt. |
Mais le nom ¨Dieu¨ signifie la
réalité subsistante, à laquelle il appartient d’exister et d’agir ; d’où
exister en Dieu peut s’entendre de deux manières : soit ce qui est dans
son existence et en ce sens les créatures n’existent pas en Dieu ; soit
ce qui est soumis à son opération, tout comme nous disons que les œuvres dont
nous sommes les maîtres sont en nous ; et de cette manière on dit de
toutes les choses qui viennent de Dieu qu’elles existent en Lui, mais non pas
les maux qui ne viennent pas de Lui. |
Et ita patet quod tria praedicta se habent secundum
quemdam ordinem. Quidquid enim est in essentia divina, est in Deo, quasi
pertinens ad esse ipsius ; sed non convertitur ; sicut ea quae subjacent
operi ejus, in ipso sunt, sed non in essentia ejus ; et similiter quidquid
est in Deo, est in scientia ejus ; sed non convertitur, ut patet de malis. |
Et ainsi il est clair que les trois
expressions qui précèdent se présentent selon un ordre. En effet, tout ce qui
est dans l’essence divine est en Dieu comme appartenant à son existence, mais
non inversement ; par exemple les choses qui sont soumises à son
opération sont en lui mais non dans son essence ; et semblablement tout
ce qui est en Dieu est dans sa science mais non inversement comme on le voit
pour les maux. |
[2561] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in Deo nihil est diversum ab ipso ; unde et
creaturae, secundum hoc quod in Deo sunt, non sunt aliud a Deo: quia
creaturae in Deo sunt causatrix essentia, ut dicit Anselmus ; sunt enim in
Deo per suam similitudinem: ipsa autem essentia divina similitudo est omnium
eorum quae a Deo sunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’en Dieu rien n’est autre que Lui ; d’où il suit que les créatures,
selon qu’elles existent en Dieu, ne sont pas autres que Lui : car les
créatures, selon qu’elles existent en Dieu, sont l’essence causatrice, comme
le dit Saint-Anselme : elles sont en effet en Dieu par mode de
similitude : en effet l’essence divine elle-même est la similitude de
tous les êtres qui viennent de Dieu. |
[2562] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod esse creaturae potest quadrupliciter considerari: primo modo, secundum quod est in propria natura ; secundo modo, prout est in cognitione nostra ; tertio modo, prout est in Deo ; quarto modo communiter, prout abstrahit ab omnibus his. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’existence de la créature peut se considérer de quatre manières :
premièrement selon qu’elle existe dans sa nature propre ; deuxièmement
selon qu’elle existe dans notre connaissance ; troisièmement selon
qu’elle existe en Dieu ; quatrièmement dans l’universel,
selon qu’elle fait abstraction de tous ces cas. |
Cum ergo dicitur quod creatura verius esse habet in Deo
quam in seipsa, comparatur primum et tertium esse respectu quarti: quia omnis
comparatio est respectu alicuius [alicuius Éd. de Parme] communis
; et pro tanto dicitur quod in Deo habet verius esse, quia omne quod est in
aliquo, est in eo per modum ejus in quo est, et non per modum sui ; unde in
Deo est per esse increatum, in se autem est per esse creatum, in quo minus
est de veritate essendi quam in esse increato. |
Donc lorsqu’on dit que la créature
existe plus véritablement en Dieu qu’en elle-même, on compare la première et
la troisième existence par rapport à la quatrième : car toute
comparaison se fait par rapport à quelque [quelque Éd. de Parme]
chose de commun ; et on dit qu’elle possède une existence plus véritable
en Dieu pour autant que tout être qui existe dans un autre existe en lui
selon le mode de celui dans lequel il existe et non a sa manière propre
d’exister ; d’où il existe en Dieu par une existence incréée et en lui
par une existence créée dans laquelle il y a moins de vérité d’existence que
dans l’existence incréée. |
Si autem comparetur esse primum ad secundum respectu
quarti, inveniuntur se habere secundum excedentia et excessa ; esse enim quod
est in propria natura rei, in eo quod est substantiale, excedit esse rei in
anima quod est accidentale ; sed exceditur ab eo, secundum quod hoc est esse
materiale, et illud intellectuale ; et ita patet quod aliquando res verius
esse habet ubi est per suam similitudinem quam in seipsa. |
Mais si on compare la première
existence à la deuxième par rapport à la quatrième, elles se présentent selon
l’excès et le défaut ; en effet, l’existence qui est dans la nature
propre de la chose, en ceci qu’elle est substantielle, dépasse l’existence de
la chose qui est dans l’âme, laquelle est accidentelle ; mais elle est
dépassée par elle selon ceci que la première est matérielle alors que la
deuxième est intellectuelle ; et ainsi il est clair que parfois la chose
possède une existence plus véritable où elle existe par sa ressemblance que là
où elle existe en elle-même. |
[2563] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo rei quae est
in anima, dupliciter consideratur: vel secundum quod est similitudo rei, et sic nihil
attribuitur sibi nisi quod in re invenitur: aut secundum esse quod habet in anima, et sic
attribuitur sibi intelligibilitas vel universalitas ; sicut etiam patet in
imagine corporali, cui convenit esse lapideum ex parte ejus in quo est, et
non ex parte ejus cujus est similitudo. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la similitude de la chose qui est dans l’âme s’entend de deux
manières : soit selon qu’elle est une similitude de la chose et ainsi on
ne lui attribue rien, sauf ce qui se retrouve dans la chose ; soit selon
l’existence qu’elle a dans l’âme et ainsi on lui attribue l’intelligibilité
et l’universalité, tout comme on le voit aussi dans l’image corporelle à
laquelle il convient d’être une pierre du côté de ce en quoi elle existe et
non du côté de ce dont elle est une similitude |
Similiter dico, quod similitudini rerum quae est in
Deo, convenit esse vitam et lucem, non secundum hoc quod similitudo rei est,
sed secundum quod est in Deo ; et dicitur vita inquantum est principium
operationis ad esse rerum ; sicut etiam dicitur a Philosopho, in VIII Physic., text.
1, quod motus caeli est ut vita quaedam natura existentibus omnibus ; sed
inquantum est principium cognitionis rerum, dicitur lux. Vel aliter potest
dici, quod similitudo rei quae in anima est, dicitur vita inquantum est ut
forma quaedam et perfectio intellectus ; et lux, inquantum est principium
intellectualis operationis: et per talem similitudinem dicuntur etiam in Deo
res esse vita et lux: sunt enim in eo sicut artificiata in artifice per suas
similitudines. |
Je dis semblablement qu’à la
similitude des choses qui est en Dieu, il convient d’être vie et lumière, non
pas en tant qu’elle est une similitude de la chose, mais en tant qu’elle
existe en Dieu ; et on dit de cette similitude qu’elle est vie en tant
qu’elle est principe d’opération en vue de l’existence des choses ; tout
comme le Philosophe [ VIII Physique, texte 1] dit encore que la nature du
mouvement du ciel est comme une certaine vie pour tout ce qui existe, mais en
tant qu’il est principe de connaissance, on dit de lui qu’il est une lumière.
Ou bien on pourrait dire autrement que la similitude de la chose qui est dans
l’âme est appelée vie en tant qu’elle est comme une certaine forme et la
perfection de l’intelligence ; et on pourrait aussi dire d’elle qu’elle
est lumière en tant qu’elle est principe de l’opération intellectuelle :
et c’est par une telle similitude qu’on dit aussi des choses qu’elles
existent en Dieu comme vie et lumière : elles existent en effet en lui
comme les œuvres d’art existent dans l’artiste par leurs similitudes. |
[2564] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod esse et vivere et moveri, non attribuuntur rebus in
Deo existentibus secundum esse quod in ipso habent, sed secundum esse quod in
seipsis habent a Deo, ut esse pertineat ad essentiam, vivere ad virtutem, et
moveri ad operationem ; vel vivere ad animam, moveri ad corpus, et esse ad
utrumque: et sic res in propria natura existentes dicuntur esse in Deo,
secundum quod esse earum a Deo continetur ; et sic de aliis, scilicet de motu
et vita. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’exister, vivre et se mouvoir ne s’attribuent pas aux choses qui existent
en Dieu d’après l’existence qu’elles ont en Lui, mais d’après l’existence
qu’elles tiennent de Dieu et qu’elles ont en elles-mêmes, de sorte qu’exister
se rapporte à l’essence, vivre à la puissance et se mouvoir à
l’opération ; ou bien encore de telle sorte que vivre se rapporte à
l’âme, se mouvoir au corps et exister aux deux : et ainsi on peut dire
que les choses existent en Dieu dans leur nature propre selon que leur
existence est contenue en Dieu ; et il en est de même du reste, à savoir
du mouvement et de la vie. |
[2565] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod similitudo rei quae est in Deo non est accepta a re,
sed est causa rei ; unde quidquid est in eo per sui similitudinem, est in eo
sicut in principio operante et conservante. Operatio autem et conservatio
rerum a Deo completur per voluntatem et bonitatem ejus: quia voluntas inter
tria, scilicet scientiam, potentiam, et voluntatem, proximius est ad opus: et
ideo « in ipso » appropriatur Spiritui sancto, qui procedit per
modum voluntatis, et cui bonitas appropriatur ; cum haec praepositio
« in » dicat habitudinem ad continens et conservans. Sed per ipsum
appropriatur Filio ; quia « per » denotat causam formalem ; et ars,
per quam sicut per formam operatur artifex, Filio appropriatur. « Ex ipso » autem propter habitudinem
principii, quam importat haec praepositio « ex », appropriatur
Patri, qui est principium non de principio. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que la similitude de la chose qui est en Dieu n’est pas tirée de la chose
elle-même, mais elle en est plutôt la cause ; d’où tout ce qui existe en
Dieu par sa similitude est en Lui comme dans le principe qui opère et
conserve. Mais l’opération et la conservation des choses par Dieu sont
accomplies par sa volonté et sa bonté : car la volonté, parmi ces trois
dimensions, à savoir la science, la puissance et la volonté, est la plus
proche de l’œuvre : et c’est pourquoi ¨en lui¨ elle est appropriée à
l’Esprit-Saint qui procède par mode de volonté et auquel la bonté est
appropriée, puisque cette préposition ¨in¨, à savoir ¨dans¨ signifie un
rapport à ce qui contient et qui conserve. Mais ¨per ipsum¨, à savoir ¨par
lui¨ est approprié au Fils parce que ¨per¨, à savoir ¨par¨ indique une cause
formelle ; et l’art, par lequel opère l’artiste comme par une forme, est
approprié au Fils. Mais ¨ex ipso¨, à savoir ¨À partir de lui¨ , à cause du
rapport de principe qu’implique cette préposition ¨ex¨, à savoir ¨à partir
de¨, est attribué au Père qui est un principe sans principe. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Les idées de Dieu] |
[2566] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 pr. Deinde
quaeritur de ideis ; et circa hoc tria quaeruntur. Et 1 an ideae sint ; 2 de
pluralitate idearum ; 3 utrum ideae omnium
in Deo sint. |
On porte
ensuite la recherche sur les idées; et à ce sujet on pose trois questions: 1. Les idées
existent-elles? 2. Y a-t-il
plusieurs idées? 3. Y a-t-il en Dieu
les idées de tout ce qui existe? |
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Articulus 1 [2567] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1
tit. Quid nomine ideae importetur |
Article 1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée ? |
[2568] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur ideas non
esse. Sicut enim dicit Philosophus, in I Metaph., text. 32, « dicere ideas exemplaria esse vaniloquium
est, et poeticas metaphoras dicere ». Sed ideas exemplaria rerum
dicimus. Ergo vanum est ideas dicere. |
Difficultés : 1. Il semble que les Idées n’existent
pas. Comme le dit en effet le Philosophe [1 Métaphysique, texte
32] : «Dire que les Idées sont des modèles, c’est du bavardage et
faire des métaphores à la manière des poètes». Mais nous parlons des
Idées à titre de modèles des choses. Il est donc vain de parler d’Idées. |
[2569] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, perfectius est agens quod non eget in sua actione ad exemplar
respicere, quam quod exemplari indiget. Sed Deus est perfectissimum
[perfectum Éd. de Parme] agens. Ergo non est sibi opus ideis, ad
quarum exemplar faciat res ; unde ibidem Philosophus subdit: « Nam quid
est opus ad ideas respicere ? » |
2. Par ailleurs, l’agent qui dans
son action n’a pas besoin de se tourner vers un modèle est plus parfait que
celui qui a besoin d’un modèle. Mais Dieu est l’agent le plus parfait
[parfait Éd. de Parme]. Il n’a donc pas besoin des Idées d’après le modèle
desquelles il ferait les choses ; d’où le Philosophe ajoute au même
endroit : «Car quelle est la nécessité de se tourner vers les
Idées ?». |
[2570] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, melius scitur
res per essentiam suam quam per similitudinem suam. Sed Deus nobilissime cognoscit res. Ergo scit eas per
essentias earum, et non per aliquas similitudines ideales rerum. |
3. Par ailleurs, d’après
Saint-Augustin, la chose est mieux connue par son essence que par sa
similitude. Mais Dieu connaît les choses de la manière la plus élevée. Il les
connaît donc par leurs essences et non par des similitudes idéales des
choses. |
[2571] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, omnis cognitio quae est per medium, videtur esse collativa, et
discursum habere de uno in aliud. Sed Deus cognoscit simplici intuitu sine
discursu et collatione. Ergo videtur quod non cognoscat res mediantibus
ideis. |
4. Par ailleurs, toute connaissance
qui passe par un intermédiaire semble être comparative et tenir un discours
d’un point à un autre. Mais Dieu connaît par une considération simple et sans
discours et comparaison. Il semble donc qu’il ne connaisse pas les choses par
des idées intermédiaires. |
[2572] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra est quod dicit Augustinus, lib. LXXXIII quaest. q.
XLVI : « Qui negat ideas esse, negat Filium esse ». Sed hoc
est haereticum. Ergo et primum. |
Cependant : 1. Saint-Augustin [Livre des
Quatre-vingt-trois Questions, quest. XLVI] : «Qui nie l’existence des
Idées nie que le Fils existe». Mais cela est hérétique. Donc les Idées
existent. |
[2573] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Commentator dicit in XI Metaph.
quod sicut omnes formae sunt in potentia in prima materia, ita sunt in actu
in primo motore. Sed nihil aliud dicimus ideas, nisi formas rerum in Deo
existentes. Ergo verum est ideas
esse. |
2. Par ailleurs, le Commentateur
[XI Métaphysique] dit que comme toutes les formes sont en
puissance dans la matière première, de même elles sont en acte dans le
premier moteur. Mais nous disons que les Idées ne sont rien d’autre que les
formes des choses qui existent en Dieu. Il est donc vrai que les Idées
existent. |
[2574] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut formae
artificiales habent duplex esse, unum in actu secundum quod sunt in materia,
aliud in potentia secundum quod sunt in mente artificis, non quidem in
potentia passiva, sed activa ; ita etiam formae materiales habent duplex
esse, ut dicit Commentator in XI Metaph., text. com. 18 : unum in actu
secundum quod in rebus sunt ; et aliud in potentia activa secundum quod sunt
in motoribus orbium, ut ipse ponit, et praecipue in primo motore, loco cujus
nos in Deo dicimus. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que tout comme les formes articifielles ont deux existences, la
première en acte selon qu’elles existent dans une matière et la deuxième en
puissance selon qu’elles existent dans l’esprit de l’artiste, non pas d’une
puissance passive mais d’une puissance active, de même encore les formes
matérielles ont deux existences comme le dit le Commentateur [XI Métaphysique,
texte com. 18]: une en acte selon qu’elles existent dans les choses et
l’autre en puissance active selon qu’elles existent dans les moteurs de
l’univers, comme lui-même l’affirme, et surtout dans le premier moteur; mais
au lieu de cela nous disons qu’elles sont en Dieu. |
Unde apud omnes
philosophos communiter dicitur quod omnia sunt in mente Dei, sicut
artificiata in mente artificis ; et ideo formas rerum in Deo existentes ideas
dicimus, quae sunt sicut formae operativae. |
Il suit de
là qu’on dit communément chez tous les philosophes que tous les êtres
existent dans l’Esprit de Dieu comme les choses artificielles existent dans
l’intelligence de l’artiste; et c’est pourquoi nous appelons ¨Idées¨ les
formes des choses qui existent en Dieu, lesquelles sont comme les formes qui
servent de modèles à l’opération. |
Unde dicit Dionysius loquens de ideis, in V cap. De
div.nom., § 8, col. 823, « Exemplaria dicimus
substantificas rationes existentium in Deo uniformiter praeexistentes, quas
theologia praedefinitiones vocat, et divinas et bonas voluntates existentium
praedeterminativas et productivas ». Per ideas tamen Deus non tantum
practicam sed speculativam cognitionem de rebus habet, cum non solum
cognoscat res secundum hoc quod ab ipso exeunt, sed etiam secundum quod in
propria natura subsistunt. |
D’où Denys, en parlant des Idées [Les
Noms Divins, ch. V, & 8, col. 823], dit ceci : «Nous appelons
¨modèles¨ les notions formatrices des substances qui préexistent dans la
simplicité de Dieu et que la théologie appelle les prédéterminations et les
bonnes et divines volontés qui produisent et déterminent à l’avance les êtres».
Cependant par les Idées Dieu ne possède pas seulement une connaissance
pratique des choses mais aussi une connaissance spéculative car il en connaît
pas seulement les choses selon qu’elles procèdent de lui mais aussi selon
qu’elles subsistent dans leur nature propre. |
Idea enim dicitur ab eidos, quod est forma ; unde nomen
ideae, quantum ad proprietatem nominis, aequaliter se habet ad practicam et
speculativam cognitionem ; forma enim rei in intellectu existens, utriusque
cognitionis principium est. Quamvis enim secundum usum loquentium idea
sumatur pro forma quae est principium practicae cognitionis, secundum quod
ideas exemplares rerum formas nominamus ; tamen etiam principium speculativae
cognitionis est, secundum quod ideas contemplantes formas rerum nominamus. |
Le terme ¨idée¨ vient en effet du
terme grec ¨eidos¨ qui signifie la forme ; d’où le nom d’idée, quant à
la propriété du nom, se rapporte également à la connaissance pratique et à la
connaissance spéculative ; en effet, la forme de la chose qui existe
dans l’intelligence est le principe des deux sortes de connaissances. En
effet, bien que selon l’usage du langage le terme ¨idée¨ se prend pour la
forme qui est le principe de la connaissance pratique selon que nous appelons
¨idées¨ les formes qui sont les modèles des choses, cependant l’idée est
aussi le principe de la connaissance spéculative selon que nous disons des formes
contemplatives des choses qu’elles sont des idées. |
[2575] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Commentator in XI Metaph., text. com.
4, Plato et alii antiqui philosophi, quasi ab ipsa veritate coacti, tendebant
in illud quod postmodum Aristoteles expressit, quamvis non pervenerint in
ipsum: et ideo Plato ponens ideas, ad hoc tendebat, secundum quod et
Aristoteles posuit, scilicet eas esse in intellectu divino ; unde hoc
improbare Philosophus non intendit ; sed secundum modum quo Plato posuit
formas naturales per se existentes sine materia esse. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
tout comme le dit le Commentateur [XI Métaphysique, texte com. 4], Platon et
les autres anciens philosophes, comme poussés par la vérité elle-même,
tendaient vers ce qu’Aristote a exprimé clairement par la suite, bien qu’ils
n’y parvinrent pas : et c’est pourquoi Platon, en affirmant l’existence
des Idées, tendait vers ce qu’Aristote a établi, à savoir que les Idées
existent dans l’Intellect divin ; d’où le Philosophe ne chercha pas à
réfuter cela, mais seulement la manière par laquelle Platon soutint que les
formes naturelles existent par elles-mêmes et sans matière. |
[2576] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod si Deus indigeret respicere in aliquod exemplar extra
se, esset imperfectum agens ; sed hoc non contingit, si essentia sua exemplar
omnium rerum ponatur: quia sic intuendo essentiam suam, omnia producit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qui si Dieu avait besoin de se rapporter à un modèle en dehors de Lui, il
serait un agent imparfait ; mais cela n’est pas possible si on affirme
que son essence est le modèle de toutes les choses : car de cette
manière, en considérant son essence il produit tous les êtres. |
[2577] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod oportet illud per quod est cognitio rei, esse unitum
cognoscenti ; unde essentia rerum creatarum, cum sit separata a Deo, non
potest esse medium cognoscendi ipsas res a Deo ; sed cognoscit eas nobiliori
medio, scilicet per essentiam suam ; et ideo perfectius cognoscit et
nobiliori modo ; quia sic nihil nisi essentia ejus est principium suae
cognitionis. Oporteret enim quod esset aliud, si per essentiam rerum quasi
per medium cognosceret res, cum medium cognoscendi sit cognitionis
principium. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que cela même par quoi il y a connaissance de la chose soit uni à celui qui
connaît ; d’où il résulte que l’essence des choses créées, puisqu’elle
est séparée de Dieu, ne peut être le moyen par lequel Dieu connaît les choses
elles-mêmes ; mais il les connaît par un moyen plus élevé, à savoir par
son essence ; et c’est pourquoi il les connaît d’une manière plus
parfaite et plus élevée car ainsi il n’y a que son essence qui soit le
principe de sa connaissance. Il faudrait en effet qu’il y ait autre chose
comme principe de sa connaissance s’il connaissait les choses comme au moyen
de l’essence des choses créées car le moyen de connaître est un principe de
connaissance. |
[2578] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod cognitio discursiva est quando ex prius notis in
ignotum devenitur, et non quando per similitudinem rei apprehenditur res
ipsa: quia sic etiam oculus videns lapidem, haberet cognitionem collativam de
ipso: et ideo quamvis Deus sciat res per similitudinem quae in ipso est,
sicut per medium, et quamvis cognoscat etiam ordinem rerum, non tamen habet
discursivam scientiam, quia omnia simul intuetur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’il y a connaissance discursive quand on en vient à ce qu’on ignorait à
partir de ce qu’on connaît avant et non pas quand la chose elle-même est
appréhendée au moyen de la similitude de la chose : car ainsi, en voyant
la pierre, l’œil aurait aussi une connaissance comparative de la
pierre : et c’est pourquoi, bien que Dieu connaisse les choses par la
similitude qui est en Lui comme par un moyen et bien qu’il connaisse aussi
l’ordre des choses, cependant il n’en a pas une connaissance discursive car
il considère toutes les choses simultanément. |
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Articulus 2 [2579] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2
tit. Utrum ideae sint plures |
Article 2 – Y a-t-il plusieurs idées ? |
[2580] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sint plures ideae. Idea enim dicitur
similitudo, per quam cognoscitur res. Sed sicut supra habitum est, Deus
cognoscit omnia per essentiam suam. Cum igitur essentia sua sit
una, videtur quod idea sit tantum una. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait pas plusieurs
Idées. On appelle en effet ¨idée¨ la similitude par laquelle la chose est
connue. Mais comme nous l’avons établi plus haut, Dieu connaît toutes les
choses par son essence. Donc, puisque son essence est une, il semble qu’il ne
doive y avoir qu’une seule idée. |
[2581] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 2 Si
dicas, quod sunt plures propter respectus diversos ad res ; contra. Relationes quae sunt
Dei ad creaturam, sunt realiter in creaturis, et non in Deo. Creaturae autem
non fuerunt ab aeterno: ergo nec relationes Dei ad creaturam. Ergo ideae non fuerunt plures ab aeterno. Sed Deus non
alio modo cognoscit res factas quam antequam faceret, ut habitum est ex
verbis Augustini, lib. V Super Gen. Ad litt., cap. XV ;
col. 332. Ergo modo non cognoscit res per plures ideas, sed per unam tantum. |
2. Si tu dis
qu’il y a plusieurs Idées à cause des différents rapports de l’essence divine
à différentes choses, je réponds au contraire que les relations de Dieu à la
créature existent réellement dans les créatures et non en Dieu. Mais les créatures
n’ont pas existé de toute éternité: il en est donc de même pour les relations
de Dieu à la créature. Donc les Idées n’ont pas été multiples de toute
éternité. Mais Dieu ne connaît pas les choses faites d’une manière qui est
autre qu’avant qu’il les fit ainsi que nous l’avons établi à partir des
paroles de Saint-Augustin [V Super Gen. Ad litt., ch. XV, col.
332]. Donc il ne connaît pas les choses par plusieurs Idées mais par une seule. |
[2582] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut dictum est, idea se habet ad rem
cujus est, sicut forma artis, quae est in mente artificis, ad
artificiatum. Sed diversitas
artificiatorum provenit ex pluralitate formarum quae sunt in mente artificis,
et non e contrario. Ergo videtur quod nec diversitas rerum possit
inducere pluralitatem idearum. |
3. Par
ailleurs, ainsi que nous l’avons dit, l’Idée se rapporte à la chose dont elle
est l’Idée comme la forme de l’art qui est dans l’esprit de l’artiste se
rapporte à l’oeuvre d’art. Mais la diversité des oeuvres d’art provident de
la multiplicité des formes qui existent dans l’esprit de l’artiste et non
inversement. Il semble donc qu’on ne puisse déduire la multiplicité des Idées
de la diversité des choses. |
[2583] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut idea dicitur relative ad
ideatum, ita et scientia dicitur per respectum ad scibile. Sed quamvis sint plura scita a Deo, tamen est una ejus
scientia. Ergo rerum omnium quae ab ipso producuntur, est una tantum idea. |
4. Par
ailleurs, tout comme l’Idée se dit relativement à ce dont elle est l’Idée, de
même la science se dit relativement à l’objet de science. Mais bien qu’il y
ait plusieurs objets connus par Dieu, cependant Il ne possède qu’une seule
science. Il ne possède donc qu’une seule Idée de toutes les choses produites
par Lui. |
[2584] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed
contra, illud in quo non est pluralitas aliqua, non potest pluraliter
consignificari. Sed Augustinus,lib. LXXXXIII Quaestion., quaest.
XLVI, col. 30, pluraliter ideas nominat, dicens, quod ideae sunt rationes
rerum stabiles, in mente divina existentes ; et cum ipsae nec oriantur nec
intereant, secundum eas tamen fit omne quod interit et oritur. Ergo ideae
sunt plures. |
Cependant : Ce en quoi il n’y a aucune pluralité ne
peut être signifié par la pluralité. Mais Saint-Augustin [Livre des
Quatre-vingt-trois Questions, quest. XLVI, col. 30] nomme plusieurs Idées
lorsqu’il dit : «Les Idées sont comme les formes premières et immuables
des choses qui existent dans l’Esprit divin ; et bien qu’elles-mêmes ne
commencent ni ne finissent, c’est d’après elles cependant qu’est formé tout
ce qui commence et finit. Il y a donc une multiplicité d’Idées. |
[2585] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Damascenum, lib. III Fid.
Orth., cap. VIII, col. 1014, differentia est causa numeri. Sed,
secundum Augustinum, lib. LXXXXIII Quaestion.,loc. cit., Deus
alia ratione creavit hominem et equum. Ergo videtur quod sint plures rationes
ideales rerum in Deo. |
2. Par ailleurs, d’après Damascène
[111 De la Foi Orthodoxe, ch. VIII, col. 1014], la
différence est la cause du nombre. Mais d’après Saint-Augustin [Livre des
Quatre-vingt-trois Questions, ibid.], c’est par des formes autres que
Dieu créa l’homme et le cheval. Il semble donc qu’il y ait en Dieu plusieurs
formes idéales des choses. |
[2586] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum Deus de singulis
rebus propriam cognitionem habeat, oportet quod essentia sua sit similitudo
singularium rerum, secundum quod diversae res diversimode et particulariter
ipsam imitantur secundum suam capacitatem, quamvis ipsa se totam imitabilem
praebeat ; sed quod perfecte non imitantur eam creaturae, sed difformiter,
hoc est ex earum diversitate et defectu, ut dicit Dionysius, in II cap. De
div. nom., § 6, col. 643. Unde cum hoc nomen
idea nominet essentiam divinam secundum quod est exemplar imitatum a
creatura, divina essentia erit propria idea istius rei secundum determinatum
imitationis modum. Et quia alio modo imitantur eam diversae creaturae, ideo
dicitur quod est alia idea vel ratio qua creatur homo et equus ; et exinde
sequitur quod secundum respectum ad plures res quae divinam essentiam diversimode
imitantur, sit pluralitas in ideis, quamvis essentia imitata sit una: verbi
gratia, sicut ex praedictis, dist. 2,
quaest. 1, art. 3, patet, quidquid perfectionis in rebus est, hoc totum Deo
secundum unum et idem indivisibile convenit, scilicet esse, vivere et
intelligere et omnia hujusmodi. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que puisque
Dieu possède une connaissance propre des choses, il faut que son essence soit
une similitude des choses singulières selon que les différentes choses
l’imitent différemment et partiellement dans la mesure où elles le peuvent
bien qu’elle-même s’offre comme imitable dans sa totalité ; mais si les
créatures n’imitent pas l’essence de Dieu parfaitement mais partiellement,
cela vient de leur diversité et de leur manque comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 11, & 6, col. 643]. Il résulte de là que puisque le nom
d’Idée signifie l’essence divine selon qu’elle est le modèle imité par la
créature, l’essence divine sera l’Idée propre de cette chose selon un mode
déterminé d’imitation. Et parce que différentes créatures l’imitent d’une
manière différente, c’est pourquoi on dit que l’Idée ou la forme par laquelle
l’homme est créé est autre que celle par laquelle le cheval est créé ;
et il suit de là que d’après le rapport à plusieurs choses qui imitent
différemment l’essence divine, il y ait pluralité d’Idées bien qu’il n’y ait
qu’une seule essence imitée : en d’autres mots, tout comme on le voit
par ce qui précède [dist. 2, quest. 1, art. 3], toutes les perfections qu’on
trouve dans les choses, à savoir l’existence, la vie et l’intelligence, tout
cela se retrouve en totalité en Dieu sous une seule et même forme
indivisible. |
Cum autem omnes creaturae imitentur ipsam essentiam
quantum ad esse, non tamen omnes quantum ad vivere: nec iterum illa quae
imitantur ipsam quantum ad esse, eodem modo esse participant, cum quaedam
aliis nobilius esse possideant: et ex hoc efficitur alius respectus essentiae
divinae ad ea quae habent tantum esse et ad ea quae habent esse et vivere, et
similiter ad ea quae diversimode esse habent ; et ex hoc sunt plures rationes
ideales, secundum quod Deus intelligit essentiam suam ut imitabilem per hunc
vel per illum modum. Ipsae enim rationes imitationis intellectae, seu modi,
sunt ideae ; idea enim, ut ex dictis patet, art. praeced., nominat formam ut
intellectam, et non prout est in natura intelligentis. |
Mais puisque toutes les créatures
imitent l’essence divine quant à l’existence, mais non pas toutes quant à la
vie : et qu’en outre celles qui l’imitent quant à l’existence ne
participent pas de l’existence de la même manière puisque certaines possèdent
une existence plus noble et qu’on obtient de là un rapport de l’essence
divine aux créatures qui possèdent seulement l’existence qui est différent de
celui qu’elle a à l’égard de celles qui possèdent l’existence et la vie, et
qu’il en est de même pour celles qui possèdent différemment l’existence, il
suit de là qu’il existe plusieurs formes idéales selon lesquelles Dieu saisit
son essence comme imitable par telle ou telle autre modalité. En effet, les
formes mêmes d’imitation en tant que conçues, ou leurs modalités, sont les
Idées ; l’Idée en effet, comme on le voit en partant de ce qui a été
dit, nomme une forme en tant que connue par l’intelligence et non en tant
qu’elle existe dans la nature de celui qui pose l’acte d’intellection. |
[2587] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod idea non nominat tantum essentiam, sed essentiam
imitabilem ; unde secundum quod est multiplex imitabilitas in essentia
divina, propter plenitudinem suae perfectionis, est pluralitas idearum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
¨Idée¨ ne signifie pas seulement l’essence, mais l’essence qui est
imitable ; d’où, selon que l’imitabilité est multiple dans l’essence
divine en raison de la plénitude de sa perfection, il y a là une multiplicité
d’Idées. |
[2588] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis relationes quae sunt Dei ad creaturam, realiter
in creatura fundentur, tamen secundum rationem et intellectum in Deo etiam
sunt ; intellectum autem dico non tantum humanum sed etiam angelicum et
divinum ; et ideo quamvis creaturae ab aeterno non fuerint, tamen intellectus
divinus ab aeterno fuit intelligens essentiam suam diversimode a creaturis
imitabilem ; et propter hoc fuit ab aeterno pluralitas idearum in intellectu
divino, non in natura ipsius. Non enim eodem modo est in Deo forma equi et
vita ; quia forma equi non est in Deo nisi sicut ratio intellecta ; sed ratio
vitae in Deo est non tantum sicut intellecta, sed etiam sicut in natura rei
firmata. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que les relations qui vont de Dieu à la créature se fondent
réellement dans la créature, cependant elles sont aussi en Dieu selon la
raison et l’intelligence ; par intelligence je n’entends pas seulement
l’intelligence humaine mais aussi celle des Anges et celle de Dieu ; et
c’est pourquoi, bien que les créatures n’ont pas existé de toute éternité,
cependant l’intelligence divine de toute éternité saisit son essence
diversement imitable par les créatures ; et pour cette raison il y a eu
de toute éternité une pluralité d’Idées dans l’intelligence de Dieu, non dans
sa nature. En effet, la forme du cheval et la vie n’existent pas de la même
manière en Dieu ; car la forme du cheval n’est en Dieu que comme une
notion saisie par l’intelligence ; mais la notion de la vie est en Dieu
non seulement en tant qu’objet saisi par l’intelligence, mais elle y est aussi
comme dans la nature ferme de la chose. |
[2589] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis pluralitas idearum attendatur secundum
respectus ad res ; non tamen pluralitas rerum est causa pluralitatis idearum,
sed e contrario ; non enim quia res diversimode imitatur divinam essentiam,
ideo intellectus ejus intuetur eam diversimode imitabilem, sed potius e
contrario. Intellectus enim divinus est causa rerum ; distinctio autem
idealium rationum est secundum operationem intellectus divini, prout
intelligit essentiam suam diversimode imitabilem a creaturis. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que bien que la pluralité des Idées se vérifie selon le rapport aux choses,
ce n’est cependant pas la pluralité des choses qui est la cause de la pluralité
des Idées, mais c’est l’inverse qui est vrai ; en effet, ce n’est pas
parce que la chose imite différemment l’essence divine que pour cette raison
son intelligence considère son essence comme étant différemment imitable,
mais c’est plutôt le contraire qui est vrai. En effet, l’intelligence divine
est la cause des choses ; mais la distinction des formes idéales a pour
cause l’opération de l’intelligence divine en tant qu’elle saisit son essence
comme étant différemment imitable par les créatures. |
[2590] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod essentia divina una est, et respectus plures ; et ideo
illud quod nominat tantum essentiam, non potest pluraliter significari ;
sicut est scientia, quae tenet se magis ex parte scientis, ut forma ipsius.
Ratio autem se tenet magis ex parte rei, ut consignificari et significari
pluraliter possit ; dicimus enim rationes plures. Idea autem quasi medio modo
se habet ; quia essentiam et rationem imitationis, quae est secundum
respectum, importat ; et ideo etsi inveniatur in nomine ideae consignificata
pluralitas, ut cum pluraliter profertur, raro tamen aut nunquam invenitur
significata per additionem termini numeralis, ut sic dicantur plures ideae ;
pluralitas enim exprimitur magis significando quam consignificando. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
l’essence divine est une et considère une pluralité de rapports ; et
c’est pourquoi ce qui signifie seulement l’essence ne peut être signifié par
la pluralité ; il en est ainsi pour la science, laquelle se tient
davantage du côté de celui qui sait en tant que forme de ce dernier. Mais la
raison se tient davantage du côté de la chose de manière à pouvoir signifier
et être signifié au pluriel ; nous disons en effet qu’il y a plusieurs
raisons. Mais l’Idée se présente comme d’une manière intermédiaire car
elle implique l’essence et la raison de l’imitation qui a lieu selon le
rapport considéré ; et c’est pourquoi, bien qu’on retrouve dans le nom
d’Idée une pluralité qui y est signifiée, comme lorsqu’on parle au
pluriel quand on dit qu’il y a plusieurs Idées, rarement ou jamais cependant
elle se trouve à être signifiée par l’ajout d’un terme numérique ; en
effet, la pluralité est davantage exprimée en signifiant qu’en cosignifiant. |
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Articulus 3 [2591] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3
tit. Utrum in Deo sint ideae omnium quae cognoscit |
Article 3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il connaît ? |
[2592] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnium
quae cognoscit Deus, ideae in ipso sint. Mala enim cognoscit Deus.
Sed mali idea in ipso esse non potest, cum idea imitationem
importet. Unumquodque autem per hoc malum est quod ab imitatione Dei recedit.
Ergo non omnium rerum ideae sunt in Deo, cum plures malae sint. |
Difficultés: 1. Il semble
qu’il n’y ait pas en Dieu des Idées de tout ce qu’il connaît. En effet, Dieu
connaît le mal. Mais l’Idée du mal ne peut être en Lui puisque l’idée
implique une imitation. En effet, une chose est mauvaise du fait qu’elle
s’écarte de l’imitation de Dieu. Il n’y a donc pas en Dieu des Idées de
toutes les choses puisqu’il existe plusieurs maux. |
[2593] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, idea nominat formam ; dicitur enim
ab eidos, quod est forma. Sed materiae primae non est aliqua forma, sicut nec
primus actus, qui est Deus, habet aliquam materiam ; alias neutrum esset
primum. Ergo non omnium est idea in
Deo. |
2. Par ailleurs, l’Idée signifie
une forme ; ce terme en effet vient du terme grec ¨eidos¨ qui veut dire
forme. Mais il n’existe aucune forme de la matière première tout comme l’acte
premier qui est Dieu ne possède aucune matière, autrement aucun des deux ne
serait premier. Il n’y a donc pas en Dieu une Idée de tout. |
[2594] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 3
Praeterea, Deus non tantum cognoscit universalia, sed etiam particularia. Sed
particularium inquantum hujusmodi, non videtur esse idea, cum omnia
singularia unius speciei in forma conveniant. Ergo non omnium cognitorum a
Deo est idea. |
3. Par ailleurs, Dieu connaît non
seulement les universels, mais aussi les particuliers. Mais il ne semble y
avoir aucune Idée des particuliers en tant que tels puisque tous les
singuliers d’une même espèce s’accordent dans une même forme. Il n’y a donc
pas en Dieu une Idée correspondant à chaque chose qu’il connaît. |
[2595] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 4
Praeterea, idea non est nisi alicujus quod eam per imitationem participat.
Sed accidentia cum non sint per se subsistentia, nihil participant ; sed ipsa
sunt participationes quaedam. Ergo cum accidentia sint cognita a Deo sicut
substantiae, videtur quod non omnium cognitorum a Deo sit idea. |
4. Par
ailleurs, il n’y a d’Idée que pour celui qui en participe par imitation. Mais
les accidents, puisqu’ils ne subsistent pas par eux-mêmes, ne participent de
rien mais ils sont eux-mêmes des participations. Donc, puisque les accidents
sont connus de Dieu tout comme les substances, il semble qu’il n’y ait pas
des Idées pour tout ce qui est connu de Dieu. |
[2596] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnis cognitio est per speciem
aliquam cogniti in cognoscente. Sed species rerum in Deo existentes, ideae
dicuntur. Ergo omnium cognitorum a Deo idea in ipso est. |
Cependant: Toute connaissance
est réalisée par l’espèce de ce qui est connu qui est présente dans celui qui
connaît. Mais les espèces des choses qui existent en Dieu s’appellent Idées.
Il y a donc en Dieu une Idée pour chacune des choses qu’il connaît. |
[2597] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut ex auctoritate Dionysii, cap. V De div. nom., §
8, col. 823, inducta patet, idea dicitur similitudo vel ratio rei in Deo
existens, secundum quod est productiva ipsius rei et praedeterminativa
[determinativa Éd. de Parme] ; et ideo unumquodque, secundum quod
se habet ad hoc quod a Deo producatur, ita se habet ad hoc quod ipsius idea
sit in eo. Omne autem quod ab aliquo per se agente producitur, oportet quod
secundum hoc quod ab ipso effectu est, ipsum imitetur ; quia, ut probat
Philosophus, II De anima, text. 34, simile agit sibi
simile, tam in his quae agunt per voluntatem quam in his quae agunt per
necessitatem. Unde secundum id quod aliquid a Deo producitur, secundum hoc
similitudinem in ipso habet, et secundum hoc est idea ipsius in Deo, et
secundum hoc a Deo cognoscitur ; et ideo cum omnis res a Deo producatur,
oportet omnium rerum ideas in ipso esse. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que tout comme on le voit par le témoignage de Denys [Les Noms
Divinsch. V, & 8, col. 823] que nous avons présenté, l’Idée signifie
une similitude ou une notion de la chose qui existe en Dieu selon qu’elle est
productrice de la chose et qu’elle la prédétermine [détermine Éd. de
Parme]; et c’est pourquoi chaque chose, selon qu’elle se présente comme
une production de Dieu, est telle qu’il y ait en Lui une Idée de cette chose.
Mais tout être qui est produit par un agent par soi doit imiter cet agent
dans la mesure où il est un effet qui en procède; car, ainsi que le prouve le
Philosophe [11 De l’Âme, texte 34], le semblable entraîne le
semblable, tant dans les êtres qui agissent par volonté que dans ceux qui
agissent par nécessité. D’où il résulte que, en tant qu’une chose est
produite par Dieu, de ce fait elle a en Lui une similitude et du coup il y a
en Dieu une Idée de cette chose et c’est suivant cela qu’elle est connue de
Dieu; et c’est pourquoi, puisque toute chose est produite par Dieu, il doit y
avoir en Lui les Idées de toutes les choses. |
[2598] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malum, inquantum
malum, nihil est, cum sit privatio quaedam, sicut caecitas ; et ideo rei
malae idea quidem in Deo est, non inquantum mala est, sed inquantum res est ;
et ipsum malum per oppositum bonum cognoscitur a Deo, a quo res privationi
subjecta deficit. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que le mal en tant que mal n’est rien d’autre qu’une
privation, par exemple la cécité; et c’est pourquoi il y a certes en Dieu une
Idée du mal de la chose, non pas en tant qu’elle est mauvaise, mais en tant
qu’elle est une chose; et le mal lui-même est connu de Dieu par le bien
oppose duquel s’écarte la chose sujette à la privation. |
[2599] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum materia prima a
Deo sit, oportet ideam ejus aliqualiter in Deo esse ; et sicut attribuitur
sibi esse, ita attribuitur sibi idea in Deo: quia omne esse, inquantum
perfectum est, exemplariter ductum est ab esse divino. Esse autem perfectum,
materiae non convenit in se, sed solum secundum quod est in composito ; in se
vero habet esse imperfectum secundum ultimum gradum essendi, qui est esse in
potentia ; et ideo perfectam rationem ideae non habet nisi secundum quod est
in composito, quia sic sibi a Deo esse perfectum confertur ; in se vero
considerata, habet in Deo imperfectam rationem ideae ; hoc est dictu, quia
essentia divina est imitabilis a composito secundum esse perfectum, a materia
secundum esse imperfectum, sed a privatione nullo modo. Et ideo compositum,
secundum rationem suae formae, habet perfecte ideam in Deo, materia vero
imperfecte, sed privatio nullo modo. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que puisque la matière première vient de Dieu, il faut
qu’il y en ait en quelque sorte une Idée en Dieu; et tout comme l’existence
lui est attribuée, il lui est ainsi attribuée une Idée en Dieu: car tout
être, en tant qu’il est parfait, est tire de l’existence divine comme d’un
modèle. Mais l’existence parfaite ne convient pas à la matière en elle-même
mais seulement selon qu’elle est dans le composé; en elle-même en effet elle
possède une existence imparfaite selon le dernier degré d’existence qui est
l’être en puissance; et c’est pourquoi la matière première ne possède la
notion parfaite d’Idée que selon qu’elle est dans le compose car c’est ainsi
que lui est conférée par Dieu une existence parfaite; mais considérée en
elle-même, elle a en Dieu la notion imparfaite d’Idée; et on dit cela parce
que l’essence divine est imitable par le compose selon une existence parfait,
par la matière selon une existence imparfaite mais par la privation en aucune
manière. Et c’est pourquoi le composé, sous le rapport de sa forme, possède
parfaitement une Idée en Dieu, la matière la possède imparfaitement et la privation
aucunement. |
[2600] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod particularia habent
proprias ideas in Deo ; unde alia est ratio Petri et Martini in Deo, sicut
alia ratio hominis et equi. Sed tamen diversimode [quia diversitas Éd.
de Parme] hominis et equi est secundum formam, cui perfecte respondet
idea: sed distinctio singularium unius speciei essentialis, est secundum
materiam, quae non perfecte habet ideam ; et ideo perfectior est distinctio
rationum respondentium diversis speciebus quam diversis individuis ; ita
tamen quod imperfectio referatur ad res imitantes, et non ad essentiam
divinam quam imitantur. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que les particuliers ont en Dieu leurs Idées propres.
D’où il suit qu’en Dieu la notion de Pierre est autre que celle de Martin,
tout comme celle de l’homme y est autre que celle du cheval. Mais cela se
présente cependant différemment [parce que la différence Éd. de Parme]
de l’homme et du cheval en est une de forme, à laquelle correspond
parfaitement l’Idée: mais la distinction des singuliers d’une même espèce
essentielle se présente selon la matière à laquelle ne correspond pas
parfaitement l’Idée; et c’est pourquoi la distinction des notions qui
correspondent à des espèces différentes est plus parfaite que celle des
notions qui correspondent à différents individus; de telle manière cependant
que l’imperfection se rapporte aux choses qui imitent et non à l’essence
divine qu’elles imitent. |
[2601] Super Sent.,
lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod accidentia etiam
perfectum esse non habent ; unde deficiunt a perfectione ideae: propter quod
etiam Plato non posuit ideas accidentium, sed substantiarum tantum, ut 1 Metaph. Text. 45, dicitur. Tamen secundum quod esse habent per
imitationem divinae essentiae, sic essentia divina est eorum idea. Et sic
patent omnia objecta, et etiam dicta in Littera. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que les accidents aussi ne possèdent pas une existence parfaite ; d’où
ils s’écartent de la perfection de l’Idée : et c’est pour cette raison
aussi que Platon ne soutint pas l’existence d’Idées pour les accidents, mais
seulement pour les substances comme le dit le Philosophe [1 Métaphysique,
texte 45]. Cependant, selon qu’ils possèdent une existence par
imitation de l’essence divine, en ce sens l’essence divine est leur Idée. Et
c’est ainsi qu’on voit les réponses à toutes les difficultés et même à celles
formulées dans la Lettre. |
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Distinctio 37 |
Distinction 37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et les mouvements des anges] |
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Prooemium |
Prologue |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La présence de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic est duplex quaestio. Primo quomodo Deus in omnibus rebus sit. Secundo quomodo ubique sit. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum Deus sit in
omnibus rebus ; 2 de diversitate modorum quibus in rebus esse dicitur. |
On examine ici deux questions. Et en premier lieu, comment Dieu est
présent dans toutes les choses. Deuxièmement, comment peut-on dire de
Dieu qu’il est partout. Au sujet du premier point on cherche à
répondre à deux questions : 1. Est-ce que Dieu est dans toutes les
choses ? 2. De quelles manières différentes dit-on
de Lui qu’Il est dans les choses ? |
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Articulus 1 [2603] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1
tit. Utrum Deus sit in rebus |
Article 1 – Dieu est-il dans les choses ? |
[2604] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum igitur sic proceditur. Videtur quod Deus in rebus non sit. Inter causas enim
illae solae rei intrinsecae sunt quae partes ejus sunt, ut materia et forma ;
non autem agens et finis. Sed Deus non est causa rerum ut veniens in
constitutionem ipsarum ; quia regit omnes res, praeterquam commisceatur cum
eis, ut dicitur Lib. de Causis, propos. 20. Ergo Deus in rebus
creatis non est. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne soit pas dans
les choses. En effet, parmi les causes d’une chose, seules sont intrinsèques
à la chose celles qui en sont les parties, comme la matière et la forme, ce
qui n’est pas le cas pour l’agent et la fin. Mais Dieu n’est pas la cause des
choses à titre de ce qui entre dans leur constitution ; car il gouverne
toutes les choses sans se mélanger à elles, comme on le dit dans le livre des
Causes, à la proposition 20. Dieu n’est donc pas dans les choses créées. |
[2605] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nobilius agens est hoc quod potest
producere effectum in absentia sua, quam quod non potest hoc facere nisi per
suam praesentiam. Deus autem est
nobilissimum agens. Cum igitur inveniantur quaedam agentia et secundum
voluntatem et secundum naturam, quae in absentia sui producunt effectus ;
sicut sol in caelo existens, efficit calorem in terra per emissionem virtutis
suae, et rex aliquis per imperium suum multa efficit ubi ipse non est
praesens ; videtur quod multo fortius Deus in absentia sui possit effectum
producere ; et ita non oportet quod sit in rebus quas condidit. |
2. Par ailleurs, l’agent qui peut
produire un effet en son absence est plus noble que celui qui ne peut le
produire qu’en sa présence. Mais Dieu est l’agent le plus noble. Donc,
puisqu’on retrouve certains agents qui produisent leurs effets en leur
absence, soit par la volonté soit par la nature, comme le Soleil qui est dans
le ciel produit la chaleur sur la Terre par l’émission de sa puissance et
comme le roi qui par ses ordres produit beaucoup de choses là où il n’est pas
lui-même présent, il semble qu’à plus forte raison Dieu en son absence puisse
produire ses effets ; et ainsi il n’est pas nécessaire qu’il soit dans
les choses qu’il a créées. |
[2606] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, quanto aliquod agens nobilius est, tanto nobiliorem effectum
producere potest. Sed perfectius est quod potest per se conservari in esse
absente sua causa quam quod non potest, sicut figura perfectius est in cera
in qua manet etiam sigillo amoto, quam in aqua ubi non manet in absentia
imprimentis. Cum igitur Deus sit perfectissimus agens, videtur quod rebus
quas condidit, contulerit hoc ut etiam in absentia suae causae conservari possint
in esse ; et ita ad conservationem rerum non exigitur quod Deus in rebus sit. |
3. Par ailleurs, un agent peut produire
un effet d’autant plus noble qu’il est lui-même plus noble. Mais ce qui peut
par soi-même se conserver dans l’existence en l’absence de sa cause est plus
parfait que ce qui ne le peut pas, tout comme la figure qui est dans la cire
dans laquelle elle demeure même une fois qu’on a enlevé le sceau est plus
parfaite que la figure qui est dans l’eau dans laquelle elle ne demeure pas
en l’absence de celui qui la dessinait. Donc, puisque Dieu est l’agent le
plus parfait, il semble qu’il aura donné aux choses qu’il a créées cela pour
qu’elles puissent aussi se conserver dans l’existence en l’absence de leur
cause ; et ainsi il n’est pas nécessaire que Dieu soit dans les choses
pour que celles-ci se conservent. |
[2607] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, impossibile est quod duo agentia immediate operentur eamdem rem,
ita quod utrumque illorum perfecte operetur ; quia ad unum operatum
terminatur una operatio, quae exit ab uno operante. Sed singulae res habent
operationes proprias, ut dicit Damascenus, II de fide orth., cap.
X, col. 907, quibus suos effectus peragunt. Ergo videtur quod
Deus non immediate sit operans quidquid in rebus efficitur ; et ita videtur
quod non in omnibus rebus sit. |
4. Par ailleurs, il est impossible
que deux agents opèrent immédiatement la même chose de telle manière que
chacune d’elles opère parfaitement ; car une même opération se termine à
une seule œuvre qui procède d’un seul et même agent. Mais les choses
singulières possèdent leurs opérations propres comme le dit Damascène
[11 De la Foi Orthodoxe, ch. X, col. 907] par lesquelles elles
achèvent leurs effets. Il semble donc que Dieu n’opère pas immédiatement tout
ce qu’il produit dans les choses et ainsi il semble qu’il ne soit pas dans
toutes les choses. |
[2608] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, daemones res quaedam sunt. Sed absurdissime dicitur Deus in daemonibus esse. Ergo
Deus non est in omnibus rebus. |
5. Par ailleurs, les démons sont
des réalités. Mais il est suprêmement ridicule de dire que Dieu est dans les
démons. Donc Dieu n’est pas dans toutes les choses. |
[2609] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Hierem. XXIII, 24: « Numquid
non caelum et terram ego impleo ? » Sed per caelum et terram
intelligitur omnis creatura, ut patet ex principio Genesis. Ergo Deus in omnibus creaturis est. |
Cependant : 1. L’Écriture [Jérémie, XXIII, 24]
dit au contraire : «Ne savez-vous pas que ma présence remplit le Ciel et
la Terre ?». Mais par ¨Ciel¨ et ¨Terre¨ on entend toute créature comme
on le voit au début de la Genèse. Donc, Dieu est dans toutes les
créatures. |
[2610] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2 Hoc etiam videtur per hoc quod habetur ad
Hebr. 1, 3: « Portans omnia verbo virtutis suae ». Non autem potest conservare res, nisi sit praesens eis.
Ergo videtur quod in omnibus rebus sit. |
2. C’est aussi ce qui semble se
dégager de ce qu’établit l’Apôtre [Épître aux Hébreux, 1, 3] : «Il
soutient toutes les choses par la parole de sa puissance». Mais Dieu ne
peut conserver les choses que s’il leur est présent. Il semble donc que Dieu
soit dans toutes les choses. |
[2611] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod Deus essentialiter in omnibus rebus est, non tamen ita quod
rebus commisceatur, quasi pars alicujus rei. Ad cujus evidentiam oportet tria
praenotare. Primo, quod movens et motum, [agens et patiens add.
Éd. de Parme], et operans et operatum, oportet simul esse, ut in VII
Physic., text. 20, probatur. Sed hoc diversimode contingit in corporalibus et
spiritualibus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que Dieu est
essentiellement dans toutes les choses, mais non pas de telle manière qu’Il
leur serait mélangé comme la partie d’une chose. Et pour le montrer il faut
noter à l’avance trois choses. En premier lieu que le moteur et le
mobile [l’agent et le patient add. Éd. de Parme], et que ce qui
pose l’opération et l’œuvre qui en procède existent simultanément, ainsi que
le prouve le Philosophe [ VII Physique, texte 20]. Mais cela se
produit différemment dans les réalités corporelles et dans celles qui sont
spirituelles. |
Quia enim corpus per essentiam suam, quae
circumlimitata est terminis quantitatis, determinatum est ad situm aliquem,
non potest esse quod corpus movens et motum sint in eodem situ ; unde oportet
quod simul sint per contactum ; et sic virtute sua immutat corpus quia
[quod Éd. de Parme] immediate sibi conjungitur, quod etiam
immutatum aliud immutare potest, usque ad aliquem terminum. ` |
En effet, parce que le corps, de
par son essence même est délimité par les termes de la quantité et qu’il est
borné à occuper un lieu déterminé, il n’est pas possible que le moteur et le
mobile soient dans le même lieu ; d’où il faut qu’ils soient simultanés
par le contact ; et ainsi c’est par sa puissance que le corps change car
[ce qui Éd. de Parme] lui est immédiatement attaché, lequel
encore, une fois changé, peut en changer un autre, jusqu’à un certain terme. |
Spiritualis vero substantia, cujus essentia omnino
absoluta est a quantitate et situ, ac per hoc loco, non est distincta ab eo
quod movet per locum vel situm ; sed ubi est quod movetur, ibi est ipsum
movens ; sicut anima est in corpore, et sicut virtus movens caelum dicitur
esse in dextra parte orbis quem movet ; unde incipit motus, ut habetur in
VIII Physic. |
Mais la substance spirituelle, dont
l’essence est absolument libre de la quantité et d’une situation et par là du
lieu, n’est pas différente de ce qui meut par le lieu ou par la
situation ; mais là où est le mobile, là est le moteur lui-même, tout
comme l’âme est dans le corps et tout comme on dit que la puissance qui meut
le Ciel est à la droite de l’univers qu’elle meut, comme on l’établit au
huitième livre de la Physique. |
Secundum est, quod esse cujuslibet rei et cujuslibet
partis ejus est immediate a Deo, eo quod non ponimus, secundum fidem, aliquem
creare nisi Deum. Creare autem est dare esse. |
Le deuxième point est que l’existence
de toute chose et de chacune de ses parties vient immédiatement de Dieu du
fait que suivant notre foi, nous ne posons que Dieu comme créateur. Mais
créer, c’est donner l’existence. |
Tertium est, quod illud quod est causa esse, non potest
cessare ab operatione qua esse datur, quin ipsa res etiam esse cesset. Sicut
enim dicit Avicenna, lib. I Sufficientiae, cap. XI, haec est
differentia inter agens divinum et agens naturale, quod agens naturale est
tantum causa motus, et agens divinum est causa esse. |
Le troisième point est que ce qui
est cause de l’existence ne peut cesser l’opération par laquelle il donne
l’existence que si la chose elle-même cesse aussi d’exister. En effet, tout
comme le dit Avicenne [1 De la Suffisance, ch. XI], telle est la
différence entre l’agent divin et l’agent naturel que l’agent naturel est
seulement cause du mouvement alors que l’agent divin est cause de
l’existence. |
Unde, justa ipsum, qualibet causa efficiente remota,
removetur effectus suus, sed non esse rei ; et ideo remoto aedificatore, non
tollitur esse domus, cujus causa est gravitas lapidum quae manet ; sed fieri
domus cujus causa erat ; et similiter remota causa essendi, tollitur esse.
Unde dicit Gregorius, lib. XVI, Moral., c. XXXVII, col.
1143, quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus omnipotentis
contineret. |
D’où il résulte que suivant l’agent
naturel, une fois enlevée la cause efficiente, son effet disparaît mais non
l’existence de la chose ; et c’est pourquoi, une fois parti le
constructeur, la maison ne perd pas son existence dont la cause est la
lourdeur des pierres qui demeure, mais c’est seulement le devenir de la
maison dont il était la cause qui cesse ; et de la même manière une fois
que la cause de l’existence se retire, l’existence cesse. D’où Saint-Grégoire
[XVI Les Choses Morales, ch. XXXVII, col. 1143] dit que toutes
les choses retrouneraient au néant si elles n’étaient pas conservées dans la
main du Tout-Puissant. |
Unde oportet quod operatio ipsius, qua dat esse, non
sit intercisa, sed continua ; unde dicitur Joan. 5, 17: Pater meus
usque modo operatur, et ego operor. Ex quibus omnibus aperte colligitur
quod Deus est unicuique intimus, sicut esse proprium rei est intimum ipsi
rei, quae nec incipere nec durare posset, nisi per operationem Dei, per quam
suo operi conjungitur ut in eo sit. |
D’où il faut que son opération, par
laquelle il donne l’existence, ne soit pas entrecoupée mais continue ;
c’est pourquoi l’Écriture [Jean, 5, 17] dit : Mon Père
est continuellement à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre. À partir de
tout cela on comprend clairement que Dieu est intime à chacun, tout comme
l’existence qui est propre à chaque chose est intime à cette chose elle-même,
laquelle ne peut commencer et durer que par l’opération de Dieu, opération
par laquelle il est uni à son œuvre de manière à y être présent. |
[2612] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis essentia divina non sit intrinseca rei
quasi pars veniens in constitutionem ejus ; tamen est intra rem quasi operans
et agens esse uniuscujusque rei ; et hoc oportet in omni agente incorporeo,
ut ex praedictis patet, dist. 8, quaest. 1, art. 2. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que l’essence divine ne soit pas intrinsèque à la chose comme une partie
qui entrerait dans sa constitution, cependant elle est à l’intérieur de la
chose comme ce qui opère et produit l’existence de chaque chose ; et il
faut qu’il en soit ainsi pour tout agent incorporel ainsi qu’on le voit dans
ce qui précède [dist. 8, quest. 1, art. 2]. |
[2613] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod illud quod agit per suam absentiam, non est causa
proxima ejus quod fit, sed remota ; virtus enim solis primo principaliter est
[imprimitur Éd. de Parme] in corpore sibi conjuncto, et sic
deinceps usque ad ultimum ; et haec virtus est lumen ejus per quod agit in
his inferioribus, ut Avicenna, lib. cit., cap. 2, dicit.
Similiter patet quod rex praecipiens est causa prima: sed exequens praeceptum
est causa proxima et conjuncta. Deus autem immediate in omnibus
operatur ; unde oportet quod in omnibus sit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que ce
qui agit par son absence n’est pas la cause prochaine de ce qui devient mais
la cause éloignée ; en effet, la puissance du Soleil est [est
appliquée Éd. de Parme] premièrement et principalement dans le
corps qui lui est rattaché et ainsi de suite jusqu’au dernier ; et cette
puissance est sa lumière par laquelle il agit sur ces corps inférieurs, comme
le dit Avicenne [œuvre citée, ch. 2]. De la même manière il est clair
que le roi qui commande est la cause première mais que le commandement qui en
sort est la cause prochaine et conjointe. Mais Dieu opère immédiatement dans
tous les êtres ; il s’ensuit donc qu’il doit être présent dans tous les
êtres. |
[2614] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod, sicut ex praedictis, in corp. art., patet, esse rei
non potest conservari sine causa essendi, sicut nec motus sine causa movente.
Unde si sine aliquo agente esse rei conservetur, illud agens non erit causa
essendi, sed fiendi [fieri Éd. de Parme] tantum, sicut sigillum
est causa figurae in cera ; unde remoto sigillo remanet figura, sicut etiam
de aedificatore dictum est ; et hoc est agens imperfectum ; unde ratio
procedit ex falsis. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que tout comme on le voit par ce qui précède dans le corps de l’article,
l’existence de la chose ne peut être conservée sans la cause de l’existence,
tout comme le mouvement ne peut être conservé sans la cause du mouvement.
D’où il suit que si l’existence de la chose est conservée sans aucun agent,
cet agent n’est pas la cause de l’existence mais de ce qui devient [du
devenir Éd. de Parme] seulement, tout comme le sceau est la cause
de la figure dans la cire ; et c’est pourquoi la figure demeure une fois
le sceau enlevé, tout comme nous l’avons dit aussi au sujet du
constructeur ; et ce sont là des agents imparfaits, d’où il suit que
l’argument procède de principes faux. |
[2615] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod respectu ejusdem operationis non potest esse duplex
causa proxima eodem modo ; sed diversimode potest ; quod sic patet. Operatio reducitur
sicut in principium in duo ; in ipsum agentem, et in virtutem agentis, qua
mediante exit operatio ab agente. Quanto autem agens est magis proximum et
immediatum, tanto virtus ejus est mediata, et primi agentis virtus est
immediatissima ; quod sic patet in terminis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’il ne peut y avoir, selon la même modalité, deux
causes prochaines par rapport à la même operation, mais cela est possible par
des modalités différentes; ce qui devient clair de la manière suivante.
L’opération se ramène à deux choses comme à son principe, à savoir à l’agent lui-même
et à la puissance de l’agent par l’intermédiaire de laquelle l’opération
procède de l’agent. Mais la puissance de l’agent est d’autant plus médiate
que l’agent est plus prochain et immédiat et que la puissance du premier
agent est la plus immédiate; ce qui devient evident dans les termes qui
suivent. |
Sint A, B, C, tres
causae ordinatae, ita quod C sit ultima, quae exercet operationem ; constat
tunc quod C exercet operationem per virtutem suam ; et quod per virtutem suam
hoc possit, hoc est per virtutem B, et ulterius per virtutem A. Unde si
quaeratur quare C operatur, respondetur per virtutem suam ; et quare per
virtutem suam ; propter virtutem B ; et sic quousque reducatur in virtutem
causae primae in quam docet philosophus quaestiones resolvere in Posterioribus
analyt., lib. II, text. 22 et in
II Physic., text. 38 |
Soit les termes A, B et C qui sont
trois causes qui se suivent de telle manière que C soit la dernière qui
exerce l’opération ; il est clair alors que C exerce l’opération par sa
puissance ; et qu’il le puisse par sa puissance, cela est possible grâce
à la puissance de B et ultimement par la puissance de A. D’où il suit que si
on demande pourquoi C pose son opération, on répond par sa puissance ;
et pourquoi il le peut par sa puissance, on répond à cause de la puissance de
B et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on en vienne à la puissance de la
cause première dans laquelle les questions doivent être résolues comme
l’enseigne le Philosophe [11 Seconds Analytiques, texte 22 et
11 Physique, texte 38]. |
Et ita patet quod cum Deus sit prima causa omnium, sua
virtus est immediatissima omnibus. Sed quia ipsemet est sua virtus, ideo non
tantum est immediatum principium operationis in omnibus, sed immediate in
omnibus operans ; quod in aliis causis non contingit, quamvis singulae res
proprias operationes habeant quibus producunt suos effectus |
Et ainsi il est clair que puisque
Dieu est la cause première de tout ce qui existe, sa puissance est pour
toutes les choses la plus immédiate. Mais parce qu’il est lui-même sa propre
vertu, c’est pourquoi il n’est pas seulement le principe immédiat d’opération
dans toutes les choses, mais il l’est aussi de façon immédiate dans tous les
agents ; ce qui n’est pas possible dans les autres causes, bien que les
choses individuelles possèdent leurs opérations propres par lesquelles elles
produisent leurs effets. |
[2616] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod non est concedendum simpliciter quod Deus sit in
daemone, duabus de causis. Primo, quia daemon non nominat naturam tantum, sed
naturam deformatam ; cujus deformitatis Deus non est operator. Secundo, quia daemon nominat naturam intellectualem ;
unde cum dicitur, Deus est in daemone, intelligitur per modum quo natura
intellectualis ejus est capax, scilicet per gratiam. Unde nec de homine
peccatore simpliciter dicimus, Deus est in isto homine ; nisi addatur,
inquantum est creatura, vel per essentiam et praesentiam et potentiam ; quo
addito, dicitur etiam Deus in daemone esse. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
qu’il ne faut pas concéder absolument que Dieu est dans le démon pour deux
raisons. Premièrement parce que le terme ¨démon¨
ne signifie pas seulement une nature, mais une nature déchue et que Dieu
n’est pas la cause de cette chute. En deuxième lieu parce que ce même terme
signifie une nature intellectuelle ; d’où il suit que lorsqu’on dit que
Dieu est dans le démon, cela s’entend de la manière par laquelle sa nature
intellectuelle est capable, c’est-à-dire par la grâce. D’où on ne peut dire non
plus absolument de l’homme pécheur que Dieu est en lui, à moins d’ajouter
qu’il y est, par son essence, sa présence et sa puissance, en tant qu’il est
une créature. Et ayant fait cet ajout, on peut aussi dire de Dieu qu’il est
dans le démon. |
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Articulus 2 [2617] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2
tit. Utrum Deus sit in omnibus per potentiam, praesentiam et essentiam ; in
sanctis per gratiam, in Christo per esse |
Article 2 – Dieu est-il en tout par puissance, présence et essence, dans les saints par grâce, dans le Christ par l’être ? |
[2618] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignentur modi isti,
quibus Deus in rebus esse dicitur. Cum enim dicimus Deum esse in rebus,
significamus qualiter Deus ad res se habeat. Sed Deus uno modo se habet ad
omnia, quamvis non omnia uno modo ad ipsum se habeant, ut dicit Dionysius,
III cap. de div. nom., § 1, col. 679. Ergo videtur quod non
debeat esse nisi unus modus existendi Deum in rebus. |
Difficultés : 1. Il semble que ces modalités par
lesquelles on dit que Dieu est dans les choses ne soit pas justes. En effet,
lorsqu’on dit que Dieu est dans les choses, nous signifions de quelle manière
Dieu se rapporte aux choses. Mais Dieu se rapporte à tout d’une seule
manière, bien que les choses ne se rapportent pas à Lui d’une seule manière
comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 111, & 1, col. 679]. Il
semble donc que Dieu ne doive exister dans les choses que d’après une seule
modalité. |
[2619] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 2 Si
dicas, quod isti modi diversificantur secundum diversas habitudines
creaturae ad Deum. Contra, quilibet effectus in creatura causat
aliquam habitudinem creaturae ad Deum. Sed quasi infiniti sunt effectus Dei
in creaturis. Ergo infinitis modis dicetur Deus esse in creaturis, et non
quinque tantum. |
2. Si tu dis que ces modalités se
distinguent d’après les différents rapports des créatures à Dieu, je dis par
contre que tout effet dans la créature cause un rapport de la créature à
Dieu. Mais les effets de Dieu dans les créatures sont quasiment infinis. On
dira donc que Dieu est dans les créatures par des modalités infinies et non
pas seulement d’après cinq modalités. |
[2620] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea secundum quae diversimode
creaturae ad Deum referuntur, non inveniuntur in omnibus creaturis. Sed
quidam istorum modorum conveniunt omni creaturae, scilicet per essentiam,
praesentiam et potentiam. Ergo videtur quod modi isti non differant secundum
diversam habitudinem creaturae ad Deum. |
3. Par
ailleurs, ces modalités selon lesquels les créatures se rapportent à Dieu ne
se retrouvent pas dans toutes les creatures. Mais certaines de ces modalités
appartiennent à toute créature, à savoir l’essence, la presence et la
puissance. Il semble donc que ces modalités ne different pas selon les
différents rapports de la créature à Dieu. |
[2621] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 4 Si
dicas, quod distinguuntur secundum diversas rationes attributorum. Contra,
non plus differt potentia ab essentia, quam scientia et voluntas. Sed esse in
rebus per essentiam et potentiam constituit duos modos. Ergo et similiter
diversificabuntur secundum omnia attributa. |
4. Si tu dis qu’elles se
distinguent selon les différentes notions des attributs, je réponds par
contre que la puissance ne diffère pas davantage de l’essence que la science
diffère de la volonté. Mais l’existence dans les choses par l’essence et la
puissance constitue deux modalités. Donc de la même manière les modalités
seront diversifiées selon tous les attributs. |
[2622] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 s. c. 1 In
contrarium est quod in Littera dicitur, et auctoritatibus
confirmatur. |
Cependant : 1. Ce qu’on dit dans la Lettre, et qui
est confirmé par ceux qui font autorité, est contraire à ces positions. |
[2623] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod distinctio istorum modorum partim sumitur ex parte creaturae,
partim ex parte Dei. Ex parte creaturae, inquantum diverso modo ordinatur in
Deum et conjungitur ei, non diversitate rationis tantum, sed realiter. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
distinction de ces modalités se tire en partie du côté de la créature et en
partie du côté de Dieu : du côté de la créature selon qu’elle est
ordonnée à Dieu et qu’elle Lui est unie d’une manière qui diffère, non pas
par une différence de raison seulement, mais par une différence réelle. |
Cum enim Deus in rebus esse dicatur secundum quod eis
aliquo modo applicatur, oportet ut ubi est diversus conjunctionis vel
applicationis modus, ibi sit diversus modus essendi. Conjungitur autem
creatura Deo tripliciter. |
En effet, puisqu’on dit que Dieu
est dans les choses selon qu’il s’attache à elles d’une certaine manière, il
faut que là où il y a une différente modalité d’union ou d’application, il
doit y avoir là une différente modalité d’existence. Mais la créature est
unie à Dieu de trois manières. |
Primo modo secundum similitudinem tantum, inquantum
invenitur in creatura aliqua similitudo divinae bonitatis, non quod attingat
ipsum Deum secundum substantiam: et ista conjunctio invenitur in omnibus
creaturis [divinam bonitatem assimilantibus: et sic erit modus communis quo
Deus est in omnibus creaturis add. Éd. de Parme] per essentiam,
praesentiam et potentiam. |
Premièrement par la similitude
seulement, selon que l’on retrouve dans la créature une similitude de la
bonté divine, non pas cependant au point de parvenir à Dieu quant à la
substance : et cette sorte d’union se retrouve dans toutes les créatures
[qui ressemblent à la bonté divine : et ainsi il y aura une modalité
commune par laquelle Dieu est dans toutes les créatures add. Éd. de
Parme] par l’essence, la présence et la puissance. |
Secundo creatura attingit ad ipsum Deum secundum substantiam
suam consideratum, et non secundum similitudinem tantum ; et hoc est per
operationem ; scilicet quando aliquis fide adhaeret ipsi primae veritati, et
caritate ipsi summae bonitati: et sic est alius modus quo Deus specialiter
est in sanctis per gratiam. |
En deuxième lieu la créature
parvient à Dieu lui-même considéré selon sa substance et non seulement selon
sa similitude ou sa ressemblance ; et cela a lieu au moyen d’une
opération, à savoir quand quelqu’un adhère par la foi à la vérité première,
et par l’amour à la bonté suprême elle-même ; et cela donne lieu à une
autre modalité par laquelle Dieu est dans les saints d’une manière spéciale
par la grâce. |
Tertio creatura attingit ad ipsum Deum non solum
secundum operationem, sed etiam secundum esse: non quidem prout esse est
actus essentiae, quia creatura non potest transire in naturam divinam: sed
secundum quod est actus hypostasis vel personae, in cujus unionem creatura
assumpta est: et sic est ultimus modus quo Deus est in Christo per unionem.
Ex parte autem Dei non invenitur diversitas in re, sed ratione tantum,
secundum quod distinguitur in ipso essentia, virtus et operatio. Essentia
autem ejus cum sit absoluta ab omni creatura, non est in creatura nisi
inquantum applicatur sibi per operationem: et secundum hoc quod operatur in
re, dicitur esse in re per praesentiam, secundum quod oportet operans operato
aliquo modo praesens esse ; et quia operatio non deserit virtutem divinam a
qua exit, ideo dicitur esse in re per potentiam ; et quia virtus est ipsa
essentia, ideo consequitur ut in re etiam per essentiam sit. |
Troisièmement la créature parvient
à Dieu lui-même non seulement au moyen d’une opération mais aussi selon
l’existence, non pas certes en tant que l’existence est l’acte de l’essence
car la créature ne peut passer à la nature divine, mais selon que l’existence
est l’acte de l’hypostase ou de la personne dans l’union de laquelle la
créature est prise : et cela donne lieu à la dernière modalité par
laquelle Dieu est dans le Christ par l’union. Mais du côté de Dieu on ne retrouve
aucune différence réelle mais seulement des différences de raison selon que
se distinguent en Lui l’essence, la puissance et l’opération. Mais puisque
son essence est libre de toute créature, elle n’est dans la créature que
selon qu’elle s’y applique par l’opération : et selon qu’elle opère dans
la chose, on dit de l’essence qu’elle est dans la chose par la présence selon
qu’il faut que ce qui opère soit en quelque sorte présent à ce qui est opéré
dans la chose ; et parce que l’opération ne fait jamais défaut à la
puissance divine d’où elle procède, c’est pourquoi on dit de Dieu qu’il est
dans la chose ou la créature par la puissance ; et parce que sa
puissance est son essence même, c’est pourquoi il s’ensuit qu’il est aussi
dans la chose par son essence. |
[2624] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod si loquamur de unitate et diversitate secundum
rem, sic Deus uno modo se habet ad res: sed quia res diversimode se habent ad
ipsum, contingit Deum significari in diversa habitudine ad res, inquantum
relationes fundatae in creaturis reliquerunt diversas habitudines secundum
rationem in Deo. Si autem consideretur unitas et distinctio secundum rationem
tantum, sic Deus pluribus modis se habet ad res, ut sciens, ut potens, et sic
de aliis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
si on parle d’unité ou de diversité d’après la chose, ainsi Dieu se rapporte
aux choses d’une seule manière ; mais parce que les choses se rapportent
à Lui différemment, il est possible que Dieu soit signifié dans une relation
différente aux choses, selon que les relations fondées dans les créatures
laisseront en Dieu différentes relations selon la raison. Mais si l’unité et
la distinction sont considérées selon la raison seulement, ainsi Dieu se
rapporte aux choses d’après plusieurs modalités, à savoir comme celui qui
sait, celui qui peut, et il en est de même pour les autres rapports. |
[2625] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod divisio essentialis semper est per differentias quae
per se dividunt aliquod commune ; sicut habens pedes, per se dividitur per
bipes et quadrupes ; non autem per album et nigrum. Similiter dico, quod Deum
esse in creaturis per se dividitur secundum diversos modos quibus creaturae
attingunt Deum: et haec est divisio essentialis et formalis. Sed si
accipiantur diversi effectus in creaturis per se, in quibus est Deus per
naturales effectus tantum, non invenietur nisi unus modus attingendi in
[in om. Éd. de Parme] Deum quo est communiter in omnibus
creaturis [quo est…creaturis om. Éd. de Parme] ; et ideo non est
divisio nisi per accidens et materialis, quae ab omni arte praetermittitur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la division essentielle a toujours lieu par des différences qui divisent
essentiellement un universel ; par exemple, avoir des pieds se divise
essentiellement en bipède et quadrupède et non en blance et noir. De même je
dis que l’existence de Dieu dans les créatures se divise essentiellement selon
les différentes modalités par lesquelles les créatures parviennent à
Dieu : et c’est là une division essentielle et formelle. Mais si les
différents effets dans les créatures sont pris en eux-mêmes, selon que Dieu
est présent en elles par les effets naturels seulement, on ne retrouvera
qu’une seule modalité d’atteindre à [à om. Éd. de Parme] Dieu par
laquelle Dieu est communément dans toutes les créatures [par
laquelle…créatures om. Éd. de Parme] ; et c’est pourquoi il
n’y a là qu’une division accidentelle et matérielle qui est écartée dans tout
art ou toute science. |
[2626] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illi tres modi non sumuntur ex diversitate creaturae,
sed ex parte ipsius Dei operantis in rebus: et ideo omnem creaturam
consequuntur, et praesupponuntur etiam in aliis modis. In quo enim est Deus
per unionem, etiam est per gratiam ; et in quo est per gratiam, est per
essentiam, praesentiam et potentiam. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que ces trois modalités ne se tirent pas de la diversité des créatures, mais
elles se tirent du côté de Dieu qui opère dans les choses : et c’est
pourquoi elles s’appliquent à toute créature et elles sont présupposées même
dans les autres modalités. En effet, celui en qui Dieu se trouve par l’union,
il s’y trouve aussi par la grâce ; et celui dans lequel il se trouve par
la grâce, il s’y trouve aussi par l’essence, par la présence et par la
puissance. |
[2627] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod divina attributa non considerantur nisi secundum
triplicem ordinem ad res: vel secundum operationem, vel secundum virtutem,
vel secundum essentiam ; et ideo non sunt nisi tres modi essendi Deum [
Deum om. Éd. de Parme] in rebus, qui sumuntur secundum diversum
ordinem comparationis Dei ad res. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que les attributs divins ne sont considérés que sous trois rapports à l’égard
des choses : soit selon l’opération, soit selon la puissance, soit selon
l’essence ; et c’est pourquoi il n’y a que trois modalités d’existence
de Dieu [Dieu om. Éd. de Parme] dans les choses qui se tirent
d’après un rapport différent de comparaison de Dieu aux choses. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’ubiquité de Dieu] |
Prooemium [2628] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 pr. Deinde
quaeritur, quomodo Deus ubique esse dicatur: et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum Deus sit ubique ; 2 utrum hoc sibi soli conveniat ; 3 utrum conveniat sibi ab aeterno. |
Prologue On cherche ensuite à savoir comment
on peut dire de Dieu qu’il est partout : et à ce sujet on pose trois
questions : 1. Est-ce que Dieu est partout ? 2. Est-ce que l’ubiquité ne convient qu’à
Dieu seul ? 3. Est-ce que l’ubiquité lui appartient
de toute éternité ? |
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Articulus 1 [2629] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1
tit. Utrum Deus sit ubique |
Article 1 – Dieu est-il partout ? |
[2630] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit ubique. Esse enim ubique
significat in omni loco esse. Sed, sicut dicit Anselmus, Monolog., cap.
XXII, col. 176, si usus admitteret, magis dicendus esset Deus cum omni loco
quam in omni loco. Ergo videtur quod Deus non proprie dicatur ubique esse. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne soit
pas partout. En effet, être partout signifie être en tout lieu. Mais comme le
dit Saint-Anselme [Monologues, ch. XXII, col. 176], si l’usage
l’admettait, on devrait davantage dire que Dieu est avec tout lieu que Dieu
est dans tout lieu. Il semble donc qu’on ne dise pas proprement de Dieu qu’il
est en tout lieu. |
[2631] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, sicut tempus nominat mensuram quamdam, sic et locus. Sed secundum
Philosophum,in IV Physic., text. 161, esse in tempore est
quadam parte temporis mensurari. Ergo esse in loco significat loco mensurari.
Sed Deus est immensus. Ergo non est in loco. |
2. Par ailleurs, tout comme le temps
signifie une mesure, il en est de même pour le lieu. Mais d’après le
Philosophe [IV Physique, texte 161], exister dans le temps, c’est être mesuré
par une partie du temps. Donc, exister dans le lieu signifie être mesuré par
le lieu. Mais Dieu est immense, il ne peut être mesuré. Il n’est donc pas
dans le lieu. |
[2632] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 3 Item,
potest objici ex auctoritate Anselmi qui dicit, quod omne quod est in loco et
tempore, sequitur leges loci et temporis. |
3. En outre, on peut s’objecter à
cela par l’autorité de Saint-Anselme qui dit que tout ce qui existe dans le
lieu et le temps obéit aux lois du lieu et du temps. |
[2633] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, sicut se habent successiva ad tempus, ita se habent permanentia ad
locum. Sed in successivis unum indivisibile et una indivisibilis operatio non
potest esse diversis temporibus. Ergo nec unum indivisibile permanens potest
esse in diversis locis. Sed Deus est indivisibilis: ergo non est ubique. |
4. Par ailleurs, ce que le
successif est au temps, le permanent l’est au lieu. Mais dans le successif un
même moment indivisible et une même opération indivisible ne peut être en
divers temps. Donc un même indivisible dans le genre du permanent ne peut
être dans divers lieux. Mais Dieu est indivisible : il ne peut donc pas
être partout. |
[2634] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 5
Praeterea, nulla conditio corporalis Deo potest convenire nisi metaphorice.
Sed esse in loco est conditio corporis naturalis, adeo quod etiam corporibus
mathematicis [metaphoricis Éd. de Parme] non datur locus nisi
similitudinarie, ut dicit Philosophus ut I de generatione, text.
44. Ergo multo fortius Deo non convenit nisi metaphorice in loco esse vel
ubique. |
5. Par ailleurs, nulle condition
corporelle ne peut convenir à Dieu, sauf par métaphore. Mais exister dans un
lieu est une condition de la nature corporelle à tel point que même aux corps
mathématiques [métaphoriques Éd. de Parme] on ne donne le lieu
que par manière de similitude, comme le dit le Philosophe [1 De la
Génération, texte 44]. Donc, à plus forte raison, exister dans le lieu ou
partout ne convient à Dieu que par métaphore. |
[2635] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, Deus est in omnibus rebus, ut supra, art. praeced., dictum est. Sed
locus quilibet res aliqua est. Ergo Deus in omni loco est: ergo ubique. |
Cependant : 1. Au contraire, Dieu est dans toutes les
choses ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Mais toute chose
occupe un lieu. Donc Dieu est dans tout lieu, c’est-à-dire partout. |
[2636] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod esse in aliquo diversimode convenit spiritualibus et
corporalibus: quia corpus est in aliquo ut contentum, sicut vinum est in vase
; sed spiritualis substantia est in aliquo ut continens et conservans. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’exister en
quelque chose convient différemment aux êtres spirituels et aux êtres
corporels : car un corps est dans un autre comme dans son contenu, comme
le vin est dans l’outre ; mais la substance spirituelle est dans un
autre comme ce qui le contient et le conserve. |
Cujus ratio est, quia corporale per essentiam suam,
quae circumlimitata est quantitatis terminis, determinatum est ad locum, et
per consequens virtus et operatio ejus in loco est ; sed spiritualis
substantia quae omnino absoluta a situ et quantitate est, habet essentiam non
omnino circumlimitatam loco. |
La raison en est que la nature
corporelle par son essence, laquelle est délimitée par les termes de la
quantité, est déterminée à un lieu, et par conséquent sa puissance et son
opération se déroulent dans un lieu ; mais la substance spirituelle, qui
est totalement dégagée de l’espace et de la quantité, possède une
essence qui n’est pas absolument délimitée par le lieu. |
Unde non est in loco nisi per operationem ; et per
consequens virtus et essentia ejus in loco est. Dicendum est ergo, quod si
esse in hoc loco sumatur secundum quod corpus in loco esse dicitur ; sic non
convenit Deo esse ubique nisi metaphorice ; quia implet locum sicut corpus
locatum, non quidem distantia dimensionum, sed causalitate effectuum. |
Il résulte de là qu’elle n’est dans
le lieu que par l’opération et c’est par voie de conséquence que sa puissance
et son essence dont dans le lieu. Il faut donc dire que si ¨exister en ce
lieu¨ se prend selon qu’on dit que le corps est dans le lieu, alors en ce
sens il ne convient que métaphoriquement à Dieu d’être partout ; car il
remplit le lieu tout comme le corps placé dans un lieu, non pas certes par la
distance des dimensions, mais par la causalité de ses effets. |
Si autem accipiatur esse in loco per modum quo
substantia spiritualis in aliquo esse dicitur ; sic propriissime Deo in loco
esse convenit, et ubique: et non quidem ut mensuratum loco, sed ut dans loco
naturam locandi et continendi ; sicut dicitur esse in homine inquantum dat
homini naturam humanitatis: et in qualibet re esse dicitur inquantum dat
rebus proprium esse et naturam. |
Mais si on prend l’expression
¨exister dans un lieu¨ de la manière par laquelle on dit de la substance
spirituelle qu’elle est en quelque chose, alors il convient le plus
proprement à Dieu d’être dans le lieu et d’être partout : non pas certes
de telle manière qu’il serait mesuré par le lieu, mais de telle manière qu’Il
donne au lieu son aptitude naturelle à recevoir et à contenir ce qui s’y
loge, tout comme on dit qu’Il existe dans l’homme selon qu’il donne à l’homme
la nature de l’humanité et qu’il est dans toute chose selon qu’il donne aux
choses leur existence propre et leur nature. |
[2637] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 ad 1 Et per
hoc patet responsio ad duo prima et ad auctoritatem Anselmi, et etiam ad
quintum, quae procedunt secundum modum quo corpus in loco esse dicitur. |
Solutions : 1. Et de ce que nous venons de dire
découle la réponse aux deux premières difficultés et à la position de
Saint-Anselme, et même à la cinquième, lesquelles procèdent d’arguments qui
se tirent de la modalité par laquelle le corps est dans le lieu. |
[2638] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod indivisibile secundum successionem dicitur dupliciter. Vel illud quod omnino absolutum est a successione, ut
indivisibile negative sumatur, sicut aeternitas: et tale indivisibile potest
esse in diversis temporibus, immo in omni tempore ; quia nunc aeternitatis
invariatum adest omnibus partibus temporis. Vel illud quod est successionis terminus, ut instans
temporis, et quidquid per illud instans mensuratur ; et hoc non potest esse
in pluribus temporibus. Similiter indivisibile secundum dimensionem dicitur
dupliciter. Vel illud quod omnino absolutum est a dimensione, sicut
substantia spiritualis ; et hoc non est inconveniens in omnibus vel pluribus
locis esse. Vel quod est terminus dimensionis, ut punctus: et hoc,
quia determinatum est ad situm, non potest in pluribus locis esse ; et ideo,
relicta imaginatione, indivisibilitas substantiae incorporeae, ut Dei vel
Angeli vel animae, vel etiam materiae, sicut indivisibilitas puncti non
cogitetur: quia, ut dicit Boetius, lib. I De Trin.,c. II, col.
1250, oportet in intellectualibus non deduci ad imaginationem. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’indivisible selon la succession se dit de deux manières. Soit comme ce qui est
absolument dégagé de la succession, de telle manière que l’indivisible se
prenne négativement, tout comme l’éternité : et un tel indivisible peut
être dans divers temps et encore bien davantage dans tout temps car le
maintenant de l’éternité est présent inchangé à toutes les parties du temps. Soit comme ce qui est le
terme de la succession, comme l’instant du temps et tout ce qui est mesuré
par cet instant ; et cet indivisible ne peut être dans plusieurs temps.
Et de la même manière l’invidisible selon la dimension se dit de deux
manières. Soit comme ce qui est
totalement dégagé de la dimension, comme la substance spirituelle et il n’y a
pas de difficulté à ce que cet indivisible existe en plusieurs lieu ou même
en tous les lieux. Soit comme ce qui est le
terme de la dimension, comme le point : et cet indivisible, parce qu’il
est déterminé à une position, ne peut être en plusieurs lieux ; et c’est
pourquoi, mettant de côté l’imagination, l’indivisibilité de la substance
incorporelle, comme celle de Dieu, de l’Ange ou de l’âme, ou même de la
matière, ne doit pas être pensée comme l’indivisibilité du point : car
comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250], dans les
questions intellectuelles il ne faut pas se laisser conduire par
l’imagination. |
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Articulus 2 : Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2
tit. Utrum esse ubique soli Deo conveniat |
Article 2 – Être partout convient-il à Dieu seul ? |
[2640] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod esse ubique non soli Deo conveniat. Ponere
enim materiam primam esse Deum, vel etiam ens universale, ut quidam
posuerunt, est haereticum. Sed universale est ubique et semper, secundum
Philosophum, et similiter materia prima, quae est in omni corpore, quo omnis
locus impletur, cum nihil sit vacuum, ut philosophi probant, IV Physic., text.
65. Ergo esse ubique non tantum Deo convenit. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il ne convienne pas qu’à
Dieu seul d’être partout. En effet, soutenir que la matière première est Dieu
ou même qu’Il est l’être universel, comme certains l’ont fait, est hérétique.
Mais l’universel est partout et toujours, d’après le Philosophe, et de la
même manière la matière première, qui est dans tout corps par lequel tout
lieu est rempli puisqu’il n’y a aucun vide, ainsi que les philosophes le
prouvent [IV Physique, texte 65]. Donc, être partout ne convient
pas uniquement à Dieu. |
[2641] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 2
Praeterea, in omnibus numeratis est aliquis numerus. Sed omnes partes
universi sunt numeratae. Ergo numerus collectus est in toto universo, et ita
est ubique. |
2. Par ailleurs, il y a un nombre
dans toutes les choses nombrées. Mais toutes les parties de l’univers sont
nombrées. Il y a donc un certain nombre qui est étendu à tout l’univers et
qui est ainsi partout. |
[2642] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 3
Praeterea, secundum Augustinum, De immort. Animae, cap. XIV,
col. 1034) anima tota est in singulis partibus. Sed potuisset Deus tantum
creare unum corpus animatum. Ergo anima ejus ubique esset. Sed quod soli Deo
convenit, nulli creaturae communicatur. Ergo esse ubique non convenit soli
Deo. |
3. Par ailleurs, d’après
Saint-Augustin [De l’Immortalité de l’Âme, ch. XIV, col. 1034] dit que
l’âme est en totalité dans chacune des parties du corps. Mais Dieu aurait pu
créer un seul corps animé. Donc son âme serait partout. Mais ce qui ne
convient qu’à Dieu seul n’est communiqué à aucune créature. Donc, être partout
ne convient pas à Dieu seul. |
[2643] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed
contra, Ambrosius in Littera probat Spiritum sanctum esse
Deum quia ubique est. Sed probatio nihil valeret, nisi esse ubique soli Deo
conveniret. Ergo esse ubique soli Deo convenit. |
Cependant : 1. Au contraire, Saint-Ambroise dans la
Lettre prouve que l’Esprit-Saint est Dieu parce qu’il est partout. Mais la
preuve ne vaudrait rien s’il ne convenait pas à Dieu seul d’être partout.
Donc il convient à Dieu seul d’être partout. |
[2644] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod esse ubique si per se sumatur, soli Deo convenit nec alicui
creaturae communicabile est ; sed per accidens potest alicui convenire. Hoc
autem accidens potest dupliciter considerari: vel ex parte ejus quod in loco
est ; vel ex parte loci. Si ex parte ejus quod in loco est, sic cum per
accidens vel per posterius conveniat toti quod attribuitur sibi ratione suae
partis, constat quod illud quod secundum diversas suas partes est in diversis
locis, non primo et per se est in illis ; immo est in uno loco tantum. Unde
si esset unum corpus infinitum, illud esset ubique per accidens, secundum
quod diceretur esse ubi sunt suae partes ; et non per se, quia ipsum non
esset per se ubi est sua pars. Si ex parte loci, tunc accidit alicui ubique
esse, eo quod non est alius locus quam ille in quo est ; sed si fuerint multa
alia loca, non esset ubique ; sicut si ponatur unus tantum locus in quo unus
homo est. Deo autem per se convenit ubique esse: quia ipse totus est in
quolibet loco ; et infinitis aliis locis existentibus, in omnibus esset ; et
hoc non est communicabile alicui creaturae nisi communicaretur sibi esse
virtutis infinitae. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que si
l’expression ¨être partout¨ se prend essentiellement, elle ne convient qu’à
Dieu seul et n’est communicable à aucune créature ; mais elle peut
convenir accidentellement à un autre être. Et cet accident peut être
considéré de deux manières : soit du côté de ce qui est dans le lieu,
soit du côté du lieu lui-même. Si on le considère du côté de ce qui est
dans le lieu alors puisque c’est par accident ou comme secondairement que
convient au tout ce qui lui est attribué en raison de sa partie, il est clair
que ce qui est dans divers lieux selon ses différentes parties n’est pas dans
ses lieux à titre premier et essentiellement mais bien plutôt il est dans un
seul lieu seulement. D’où il résulte que s’il existait un seul corps infini,
ce corps serait partout par accident selon qu’on dirait de lui qu’il est où
sont ses parties ; mais il ne serait pas partout essentiellement car
lui-même ne serait pas essentiellement là où est sa partie. Si on considère cet accident du côté du
lieu lui-même, alors il arrive à un être d’être partout du fait qu’il
n’existe pas un lieu autre que celui dans lequel il existe ; mais s’il y
avait plusieurs autres lieux, il ne serait pas partout : par exemple si
on posait un seul lieu dans lequel il n’y aurait qu’un seul homme. Mais pour
ce qui est de Dieu, il lui appartient essentiellement d’être partout :
car il est lui-même en tout lieu en totalité ; et s’il existait une
infinité d’autres lieux, il serait présent en tous ces lieux ; et cela
n’est communicable à aucune créature, sauf si une puissance infinie lui était
communiquée. |
[2645] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 ad 1 Et per
hoc patet responsio ad ea quae objecta sunt ; quia omnibus illis convenit
esse ubique per accidens, vel quia secundum diversas partes sunt, vel quia
plura loca non sunt, vel quia secundum unum esse non sunt in pluribus, sicut
universale et praeterea illa quae secundum aliud et aliud esse sunt in
diversis. Numerus vero per se non est in loco ; et tamen secundum quod in
loco est, non est totus in uno loco, sed in diversis secundum diversas
partes. |
Solutions : 1. C’est ainsi que les réponses aux
difficultés sont évidentes car dans tous les cas ¨être partout¨ est pris
accidentellement, soit parce que les réalités sont partout d’après
différentes parties, soit parce qu’il n’y a pas plusieurs lieux, soit parce
qu’elles ne sont pas en plusieurs lieu d’après une seule existence, tout
comme l’universel et en outre les choses qui sont en divers lieux selon des
existences différentes. Mais le nombre n’est pas essentiellement dans le lieu ;
et cependant, selon qu’il est dans le lieu, il n’est pas en totalité en un
seul lieu, mais en différents lieux d’après ses différentes parties. |
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Articulus 3 [2646] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3
tit. Utrum esse ubique conveniat Deo ab aeterno |
Article 3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement ? |
[2647] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod esse ubique ab aeterno Deo conveniat.
Primo per hoc quod in littera dicitur ab Ambrosio, quia in omnibus et ubique
semper est, quod est divinitatis proprium. Sed quod est semper, est aeternum.
Ergo esse ubique Deo ab aeterno convenit. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il convienne à Dieu de
toute éternité d’être partout. On le voit premièrement par ce qu’en dit
Saint-Ambroise dans la Lettre, car c’est le propre de la divinité
d’être en tous à la fois partout et toujours. Mais ce qui est toujours est
éternel. Il convient donc à Dieu de toute éternité d’être partout. |
[2648] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 2
Praeterea, sicut ubique est distributivum loci, ita semper est distributivum
temporis. Sed Deus ab aeterno est semper, etiam temporibus non existentibus.
Ergo et ab aeterno est ubique, etiam locis non existentibus. |
2. Par ailleurs, tout comme ¨partout¨
est un distributif du lieu, de même ¨toujours¨ est un distributif du temps.
Mais Dieu existe toujours de toute éternité, alors même que les temps
n’existaient pas. Il est donc partout de toute éternité, alors même que les
lieux n’existaient pas. |
[2649] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 3
Praeterea, esse Deum in rebus coordinatur hic a Magistro ei quod est esse res
in Deo. Sed res ab aeterno fuerunt in Deo, qui aeternam scientiam de rebus
habet. Ergo et Deus ab aeterno est in rebus, et ubique. |
3. Par ailleurs, le Maître coordonne ici
l’existence de Dieu dans les choses à l’existence des choses en Dieu. Mais
les choses furent en Dieu de toute éternité, Lui qui possède une science
éternelle des choses. Donc, Dieu est aussi dans les choses de toute éternité
et il est partout. |
[2650] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed
contra, in quocumque est aliquid, illud oportet esse ; quia in nihilo nihil
omnino est. Sed neque locus neque aliqua res ab aeterno fuerunt. Ergo neque
Deo ab aeterno convenit ubique, vel in rebus, esse. |
Cependant : 1. Au contraire, en tout lieu où il y a
un être, ce lieu doit exister car dans le néant il n’y a absolument rien.
Mais aucun lieu ni aucune chose n’a existé de toute éternité. Il ne convient
donc pas à Dieu de toute éternité d’être partout ou d’exister dans les
choses. |
[2651] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur, Deus est
ubique, importatur quaedam relatio Dei ad creaturam, fundata super aliquam
operationem, per quam Deus in rebus dicitur esse. Omnis autem relatio quae
fundatur super aliquam operationem in creaturas procedentem, non dicitur de
Deo nisi ex tempore, sicut dominus et creator et hujusmodi ; quia hujusmodi
relationes actuales sunt, et exigunt actu esse utrumque extremorum. Sicut
ergo non dicitur operari in rebus ab aeterno, ita nec esse in rebus, quia hoc
operationem ipsius designat. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que lorsqu’on dit que Dieu est partout, cela implique une relation
de Dieu à la créature fondée sur une opération par laquelle on dit de Dieu
qu’il est dans les choses. Mais toute relation qui se fonde sur une opération
qui procède dans les creatures ne se dit de Dieu qu’à partir du temps, tout
comme ¨seigneur¨, ¨créateur¨ et les relations de cette sorte; car les
relations de cette sorte sont actuelles et exigent que chacun des extrêmes
soit en acte. Donc, tout comme on ne dit pas que Dieu a agi de toute éternité
dans les choses, de même on ne dit pas qu’il est dans les choses de toute éternité
car cela désigne son operation. |
[2652] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ambrosius accipit
semper Deum esse ubique, creaturis existentibus ; illud enim quod ex parte
Dei est, semper est, in quo nihil est novum ; sed defectus est ex parte
creaturae, quae non semper fuit ; unde non potest significari in habitudine
ad creaturam ab aeterno, ut operans circa eam. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que Saint-Ambroise admet que Dieu a toujours été partout
une fois que les creatures ont existé; en effet, ce qui se tient du côté de
Dieu existe toujours, en qui il n’y a rien de nouveau; mais le défaut vient
du côté de la créature qui n’a pas toujours existé; d’où il résulte que Dieu
ne peut être signifié de toute éternité dans une relation à la créature, en
tant qu’il pose sur elle son opération. |
[2653] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod « semper »
de virtute vocabuli importat indeficientiam quamdam, quam aeternitas totam
simul habet, sed tempus per successionem diversorum eam sortitur ; et ideo
« semper » potest importare indeficientiam quae est per
successionem continuam ; et sic est distributivum temporum, nec ab aeterno
convenit: quia successio et tempus ab aeterno non fuit. Vel potest dicere indeficientiam aeternitatis ; et sic
ab aeterno convenit. Sed « ubique » in ratione sua includit locum ;
et ideo similis ratio non est utrobique: ubi enim est in loco esse, et ubique
in omni loco. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que ¨toujours¨, de par la puissance du terme, implique une certaine
perpétuité que l’éternité possède simultanément en totalité mais que le temps
partage par la succession d’une diversité ; et c’est pourquoi ¨toujours¨
peut impliquer une perpétuité qui a lieu par succession continue ; et en
ce sens ce terme est un distributif du temps et ne convient pas de toute
éternité car la succession et le temps n’ont pas existé de toute
éternité. Ou bien encore on peut parler de la perptuité de l’éternité et ainsi
cette perpétuité convient à Dieu de toute éternité. Mais ¨partout¨ inclut le
lieu dans sa définition ; et c’est pourquoi la raison n’est pas
semblable dans les deux cas : en effet, ¨où¨ désigne ce qui est dans le
lieu, et ¨partout¨ signifie ce qui est dans tout lieu. |
[2654] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod sicut motus rationem ex termino accipit, ita et
relatio. Cum autem dicitur Deus esse in rebus, importatur relatio Dei ad
creaturas secundum egressum divinae operationis in eas, quia aeternae non
sunt, nec esse in eis aeternum esse potest. Sed cum dicitur res esse in Deo,
importatur relatio creaturae ad Deum, non secundum exitum ab ipso, sed magis
secundum adunationem creaturarum ad principium ; et quia principium est
aeternum, ideo etiam et scire aeternum, et res ab aeterno in Deo. Deus enim
est in rebus temporaliter per modum rerum, sed res ab aeterno in Deo per
modum Dei ; quia omne quod in altero est, est in eo per modum ejus in quo
est, et non per modum sui. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que tout comme le mouvement reçoit sa raison d’être de son terme, il en est
de même pour la relation. Mais lorsqu’on dit que Dieu est dans les choses,
cela implique la relation de Dieu aux créatures selon que l’opération divine
procède en elles car elles ne sont pas éternelles et l’existence en elles ne
peut être éternelle. Mais lorsqu’on dit que les choses sont en Dieu, cela
implique la relation de la créature à Dieu non pas en tant qu’elle procède de
Lui, mais plutôt d’après une union des créatures à leur principe ; et
parce que le principe est éternel, c’est pourquoi aussi son savoir est
éternel et que les choses sont en Dieu de toute éternité. Dieu en effet est
dans les choses d’une manière temporelle à la manière des choses, mais les
choses sont en Dieu de toute éternité à la manière de Dieu ; car tout ce
qui est dans un autre est en lui à la manière de celui dans lequel il est et
non pas à la manière qui lui est propre. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Le lieu des anges] |
Prooemium |
Prologue |
Hic etiam duplex est quaestio. Prima de loco Angeli. Secunda de motu ipsius ; quia de immutabilitate
Dei, et qualiter ipse ubique est, supra, quaest. 2, art. 1, hujus dist.,
expeditum est ; de motu autem et loco corporum non pertinet ad theologum
tractare sed ad naturalem. Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum Angelus sit in loco ; 2 utrum unus Angelus possit esse in pluribus locis
simul ; 3 utrum plures Angeli possint esse in uno loco. |
On considère ici deux questions. La première porte sur le lieu de l’Ange. ; La deuxième porte sur son
mouvement ; car nous avons traité plus haut [dist. 37, quest. 2, art. 1]
de l’immutabilité de Dieu et de la manière dont Lui-même est partout ;
mais il n’appartient pas au théologien mais au naturaliste de traiter du mouvement
et du lieu des corps. Et au sujet du premier point on pose
trois questions : 1. Est-ce que l’Ange est dans un
lieu ? 2. Est-ce que l’Ange peut simultanément
être en plusieurs lieux ? 3. Est-ce que plusieurs Anges peuvent
être en un seul et même lieu? |
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Articulus 1q [2657] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1
tit. Utrum Angelus sit in loco |
Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ? |
[2658] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus
non sit in loco. Dicit enim Boetius, in lib. De hebdom., col.
1311: communis est animi conceptio apud omnes sapientes incorporalia
in loco non esse. Sed Angeli sunt incorporei et immateriales, ut
Dionysius dicit, cap. VII Caeles. Hier. , col. 206. Ergo
Angeli non sunt in loco. |
Difficultés: 1. Il semble que
l’Ange ne soit pas dans un lieu. Boèce [Sur les Semaines, col.
1311]: Tous les sages pensent communément que les réalités
incorporelles ne sont pas dans un lieu. Mais les Anges sont incorporels
et immatériels, comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste,
ch. VII, col. 206]. Donc les Anges ne sont pas dans le lieu. |
[2659] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 2
Praeterea, ei quod omnino absolutum est a situ et dimensione, non debetur
locus nisi per accidens, sicut patet de materia prima. Sed essentia Angeli
omnino est absoluta a situ et dimensione, sicut omnes ponunt, qui eos
incorporeos dicunt. Ergo non debetur sibi locus nisi per accidens. Sed per
accidens non est in loco, nisi assumpto corpore. Ergo videtur quod quando non
assumit corpus, non sit in loco. |
2. Par ailleurs, le lieu ne doit
être attribué que par accident à ce qui est absolument dégagé d’une position
et d’une dimension, comme c’est le cas pour la matière première. Mais
l’essence de l’Ange est absolument dégagée de la position et de la dimension,
comme le soutiennent ceux qui disent qu’ils sont incorporels. On ne doit donc
leur attribuer le lieu que par accident. Mais il ne peut être dans le lieu
par accident que s’il prend un corps. Il semble donc que lorsqu’il ne prend
pas un corps, l’Ange n’est pas dans un lieu. |
[2660] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 3 Si
dicas, quod est in loco per operationem suam. Contra,
quidquid convenit alicui per aliquid oportet illi convenire per quod convenit
; ut si animal est in loco per corpus, oportet corpus in loco esse. Sed operationi
nunquam per se attribuitur esse in loco. Ergo Angelus per operationem in loco
esse non potest. |
3. Si
tu dis qu’il est dans un lieu par son operation, je réponds que tout ce qui
convient à un être au moyen d’une chose doit aussi convenir à cette chose par
laquelle cela lui convient; par exemple, si l’animal est dans un lieu par son
corps, il faut que le corps soit dans le lieu. Mais ce n’est jamais
essentiellement qu’on attribue à l’opération d’être dans un lieu. Donc l’Ange
ne peut être dans un lieu par son opération. |
[2661] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, si per operationem conveniat sibi
esse in loco, non nisi inquantum operatur circa locum aliquem. Sed Angeli non operantur semper circa corporalia. Ergo
aliquando non alicubi essent. Nec ubique sunt, quia hoc Dei proprium est.
Ergo nusquam sunt: quod videtur absurdum. |
4. Par ailleurs, si c’est par son
opération qu’il lui convient d’être dans un lieu, cela ne peut être que dans
la mesure où il opère dans un lieu. Mais les Anges ne posent pas toujours
leurs opération sur les choses corporelles. Donc parfois ils ne seraient pas
quelque part. Et ils ne sont pas partout puisque cela est le propre de Dieu.
Ils sont donc nulle part, ce qui est ridicule. |
[2662] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, si Angelus est in loco per
operationem suam, ergo et definitive est in loco ; quia operatio sua ad locum
definitur ; et determinatur. Sed similiter aliqua operatio Dei definitur ad
locum aliquem, extra quem illam operationem non exercet, ut patet in
suscitatione alicujus mortui. Ergo
videtur quod etiam Deus definitive esset in loco. |
5. Par ailleurs, si l’Ange est dans
un lieu par son opération, il sera donc clairement aussi dans un lieu car son
opération se termine à un lieu et se définit par lui. Mais semblablement
une opértion de Dieu se termine à un lieu déterminé en dehors duquel il
n’exerce pas cette opération, comme on le voit pour la résurrection d’un
mort. Il semble donc que même Dieu serait clairement dans un lieu. |
[2663] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 6
Praeterea, philosophi etiam posuerunt operationes intelligentiarum esse circa
ea quae sunt hic ; nec tamen dixerunt intelligentiam in aliquo loco esse ;
immo Plato posuit ideas nec infra caelum nec extra caelum esse, quia in loco
non sunt, ut in III Physic., texte 19, dicitur. Ergo nec per
operationem Angeli in loco esse dicuntur. |
6. Par ailleurs, les philosophes
aussi ont soutenu que les opérations des intelligences portent sur ce qui est
présent ici, et cependant ils n’ont pas dit que l’intelligence est dans un
lieu ; bien au contraire, Platon a soutenu que les Idées ne sont ni
au-dessous ni en dehors du Ciel, car elles ne sont pas dans le lieu comme le
dit le Philosophe [111 Physique, texte 19]. Donc les Anges ne sont pas dans
le lieu par l’opération. |
[2664] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed
contra est quod in Collecta dicitur: Angeli sancti
tui habitent in ea, qui nos in pace custodiant. Damascenus etiam dicit
lib. I, Orthod fid.,cap. XIII, col. 851, quod ubi operantur ibi
sunt ; et multis aliis auctoritatibus facile est probare. |
Cependant : 1. L’Église dit au contraire dans
une Collecte : «Que vos saints Anges qui habitent dans
cette maison nous conservent dans la paix». Damascène [1 De la
Foi Orthodoxe, ch. XIII, col. 851] dit aussi que les Anges sont là où ils
opèrent ; et il est facile de le manifester par plusieurs autres
autorités. |
[2665] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc triplex est
opinio. Una opinio est
philosophorum, quod intelligentiae vel Angeli nullo modo sunt in loco ;
ponunt enim quod intelligentia est quaedam essentia denudata a materia et ab
omnibus conditionibus materialibus, et quod intelligentia movet orbem per
animam conjunctam ipsi orbi, sicut desideratum ab ipsa ; et ideo nullam
applicationem ad corpus vel ad locum habet, quia non immediate operatur circa
aliquod corpus. Haec autem opinio
haeretica est ; quia secundum fidem nostram, ponimus Angelos immediate circa
nos operari. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet
il y a trois opinions. La première opinion est celle des
philosophes qui disent que les intelligences ou les Anges ne sont
aucunement dans le lieu ; ils soutiennent en effet que l’intelligence
est une certaine essence privée de la matière et de toutes les conditions
liées à la matière, et que l’intelligence meut l’univers au moyen de l’âme
unie à l’univers lui-même en tant que désiré par elle ; et c’est
pourquoi elle n’a aucune application ou aucun attachement au corps ou au lieu
car elle n’opère pas immédiatement sur un corps. Mais cette opinion est
hérétique car conformément à notre foi, nous affirmons que les Anges
agissent immédiatement sur nous. |
Et ideo alii dicunt, quod ipsi Angelo, etiam quantum ad
essentiam suam, debetur locus a Deo ; et quod non est intelligibile Angelum
esse, nisi locus esset: dicunt tamen, quod Angelus non est in loco
circumscriptive, sed definitive, quia determinatur ad locum aliquem sic quod
est in hoc loco ita quod non in alio ; cum enim essentia ejus finita sit eo
quod creatura est, oportet intelligere quod sit determinata ad locum aliquem. |
Et c’est pourquoi d’autres disent
qu’à l’Ange lui-même, même quant à son essence, un lieu était réservé par
Dieu, et qu’il n’est intelligible que l’Ange existe que si le lieu
existe : ils disent cependant que l’Ange n’est pas dans un lieu entendu
à la manière d’un espace mesuré, mais dans un lieu précis car il est déterminé
à un certain lieu de telle sorte qu’il est dans ce lieu de telle manière
qu’il n’est pas dans un autre ; en effet, puisque son essence est finie
du fait qu’il est une créature, il faut entendre qu’elle soit déterminée à un
certain lieu. |
Sed ista est valde rudis probatio, quia procedit ex
aequivocatione finis. Cum enim dicitur essentia Angeli finita, accipitur
finis pro fine essentiae et virtutis, secundum quod etiam definitio terminus
dicitur ; et non pro fine dimensionis. Locus autem dicitur finiens vel
finitus secundum terminos quantitatis dimensivae. |
Mais cette argumentation manifeste
une grande ignorance car elle procède d’une équivoque sur la fin. En effet,
lorsqu’on dit que l’essence de l’Ange est finie, fin est pris pour la fin de
l’essence et de la puissance, selon que même la définition est appelée fin,
et non pour la fin de la dimension. Mais on dit du lieu qu’il finit ou qu’il
est fini d’après les termes de la quantité dimensive. |
Finis autem secundum utramque acceptionem, nullam
commensurationem et proportionem habet ; unde non oportet ut quod est finitum
in essentia, ad terminos loci finiatur. Et praeterea quod aliquid
determinetur ad locum aliquem, hoc non est nisi inquantum per aliquem modum
applicatur ad locum illum, et non ad alium. Haec autem applicatio vel
intelligitur secundum situm aut contactum, vel secundum formam, vel secundum
operationem aliquam. |
Mais la fin, d’après chacune des
acceptions, n’a aucune commune mesure et aucune proportion ; d’où il
n’est pas nécessaire que ce qui est fini par l’essence soit fini par les
termes du lieu. Et par ailleurs, qu’un être soit déterminé à un certain lieu,
cela n’a lieu que selon qu’il est appliqué d’une certaine manière à ce lieu
et non à un autre. Mais cette application s’entend soit selon la position ou
le contact, soit selon la forme, soit selon une certaine opération. |
Secundum formam, sicut anima est in corpore ; quo modo
Angelus in re locali esse non potest, cum non sit actus corporis. Secundum
determinatum situm, sicut punctus in linea quam determinat ; quo modo Angelus
in loco non est, quia essentia ejus omnino a situ absoluta est. Secundum
contactum, sicut in loco est corpus. Contactus autem dicitur dupliciter:
proprie et metaphorice. Proprie tangere est, habere ultima simul ; et patet
quod hoc Angelo convenire non potest. Tactus autem metaphoricus est per
actionem, sicut dicitur contristans tangere ; et iste tactus Angelo potest
convenire. |
Selon la forme, comme l’âme est
dans le corps ; et l’Ange ne peut être dans une chose corporelle de
cette manière puisqu’il n’est pas l’acte d’un corps. Selon une position
déterminée, comme le point sur la ligne qu’il détermine : et l’Ange
n’est pas dans le lieu de cette manière car son essence est totalement
dégagée de la position. Selon le contact comme un corps est dans le lieu.
Mais le contact se dit de deux manières : proprement et par
métaphore. Toucher, à proprement parler, c’est posséder
simultanément les extrémités ; et il est clair que cela ne
peut convenir à l’Ange. Mais le toucher pris par métaphore a lieu par
l’action, tout comme on dit de celui qui est attristé qu’il touche ; et
ce toucher peut convenir à l’Ange. |
Relinquitur ergo quod Angelus definiri vel determinari
non potest ad locum aliquem, nisi per actionem et operationem. Dico autem
operationem communiter secundum quod angelus se habet ad corpus contentum in
loco per modum praesidentis vel ministrantis, aut aliquo modo agentis, vel
patientis [Dico autem… vel patientis om. Éd. de Parme]. |
Il reste donc que l’Ange ne peut
être limité ou déterminé à un certain lieu que par l’action ou l’opération.
Mais je parle de l’opération entendue communément selon que l’Ange se
rapporte au corps contenu dans le lieu à la manière de celui qui préside ou
qui sert, ou à la manière d’un agent ou d’un patient [Mais je dis…ou d’un
patient om. Éd. de Parme]. |
Et ista est tertia opinio, quae ponit Angelum esse in
loco inquantum alicui loco per operationem applicatur. Et hoc confirmatur
auctoritate Gregorii Nysseni [Nazianzeni Éd. de Parme], qui hoc
expresse dicit ; unde etiam subjungit, quod cum deberemus dicere, hic
operatur, abusive dicimus, hic est. |
Et c’est là la troisième opinion,
laquelle affirme que l’Ange est dans le lieu selon qu’il est appliqué à un
lieu par une opération. Et cela est confirmé par l'autorité de Saint-Grégoire
de Nysse [de Naziance Éd. de Parme] qui le dit clairement ;
d’où il ajoute encore qu’alors que nous devrions dire qu’il opère ici, nous
disons abusivement qu’il est ici. |
Et ideo hanc opinionem sequendo, quae rationabilior
videtur, dico, quod Angelus et quaelibet substantia incorporea non potest
esse in corpore vel in loco nisi per operationem, quae effectum aliquem in eo
causat. Hoc autem contingit multipliciter. |
Et c’est pourquoi, en suivant cette
opinion qui semble plus raisonnable, je dis que l’Ange, ainsi que toute
substance incorporelle, ne peut êre dans un corps ou dans un lieu que par
l’opération qui cause un certain effet en lui. Mais cela est possible de
plusieurs manières. |
Substantia enim spiritualis potest alicui conferre non
quidem esse, sed aliquid ad esse superadditum ; et sic Angelus est in loco,
inquantum operatur circa aliquod corpus locatum, vel motum vel lumen
corporale [corporale om. Éd. de Parme], vel aliud hujusmodi ; cui
tamen esse non confert. Aliquando vero substantia spiritualis dat per
operationem corpori esse ; non tamen suum esse, sed aliud ; et hoc modo Deus
est in omnibus creaturis quibus dat esse, sed non suum. |
La substance spirituelle peut
conférer à un être non pas certes l’existence mais quelque chose qui s’ajoute
à l’existence ; et ainsi l’Ange est dans le lieu selon qu’il opère sur
un corps situé dans un lieu ou en mouvement, ou sur la lumière corporelle
[corporelle om. Éd. de Parme] ou sur quelque chose d’autre de la
sorte ; mais il ne lui confère cependant pas l’existence. Mais parfois
la substance spirituelle donne l’existence au corps par l’opération, non pas
la sienne mais une autre ; et c’est de cette manière que Dieu est dans
toutes les créatures auxquelles il donne l’existence mais non la sienne. |
Aliquando autem dat corpori ipsum suum esse ; sed hoc
contingit dupliciter: quia esse et est actus formae, et est actus hypostasis.
Unde substantia spiritualis potest conferre rei corporali esse suum inquantum
est actus formae, ut sic forma ipsius efficiatur ; et hoc modo anima est in
corpore: aut secundum quod est actus hypostasis et non formae ; et hoc modo
humana natura in Christo assumpta est ad esse divinae personae, quia facta
est unio in hypostasi et non confusio in natura. |
Mais parfois il donne au corps son
existence même ; mais cela se produit de deux manières : car
l’existence est l’acte de la forme et l’acte de l’hypostase. D’où la
substance spirituelle peut conférer à la chose corporelle son existence soit
selon qu’elle est l’acte d’une forme de telle manière que sa forme soit
produite ; et c’est de cette manière que l’âme est dans le corps ;
soit selon qu’elle est l’acte de l’hypostase et non de la forme ; et
c’est de cette manière que la nature humaine est prise dans le Christ pour
l’existence de la personne divine car une union a été produite en hypostase
sans confusion de nature. |
[2666] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locus est nomen
mensurae ; unde esse in loco proprie significatur ut esse in mensura ; et sic
nulli rei incorporeae convenit in loco esse, scilicet ut in loco: sed tamen
alicui rei incorporeae convenit esse in loco, non ut in loco, sed sicut
operans in operato, vel sicut forma in materia. Unde etiam Angelus non localis dicitur [Angelus localis
dicitur Éd. de Parme] non nisi secundum quid, inquantum scilicet
habet aliquid simile rei locali, ut scilicet determinetur ad hunc locum
potius quam ad illum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire premièrement que le
lieu est le nom d’une mesure ; d’où il résulte qu’être en un lieu est
proprement signifié comme étant dans une mesure ; et en ce sens il ne
convient à aucune réalité incorporelle d’être dans un lieu, c’est-à-dire
comme étant dans un lieu : il convient cependant à une réalité incorporelle
d’être dans un lieu, non pas comme étant elle-même dans un lieu, mais comme
posant une opération sur un ouvrage ou comme une forme dans la matière. D’où
il résulte qu’on dit même de l’Ange qu’il n’est pas dans le lieu [on dit même
de l’Ange qu’il n’est dans le lieu Éd. de Parme] que sous un
rapport, c’est-à-dire pour autant qu’il possède quelque chose de semblable à
la chose qui est dans le lieu, à savoir de manière à être déterminé à tel
lieu plutôt qu’à tel autre. |
[2667] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod esse in loco ut in loco, non convenit Angelo nisi per
accidens, inquantum scilicet corpus assumptum, vel corpus cui per operationem
applicatur, in loco est ; sed esse in loco ut operans in operato, convenit Angelo
etiam per se, secundum quod per se in loco operatur ; sicut etiam materia
prima per se est in loco aut in locato ut pars ; et sicut punctus per se est
in loco ut terminus, non ut locatum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’exister dans le lieu en tant que tel ne convient à l’Ange que par
accident, c’est-à-dire pour autant que le corps qui est pris ou le corps
auquel il est appliqué par l’opération est lui-même dans le lieu ; mais
être dans le lieu en tant que posant une opération sur un ouvrage, cela
convient à l’Ange même essentiellement selon que son opération porte
essentiellement sur un lieu, tout comme la matière première est
essentiellement dans le lieu ou dans ce qui est placé dans le lieu en tant
que partie, et tout comme le point est essentiellement dans le lieu en tant
que terme et non en tant qu’il est lui-même placé dans le lieu. |
[2668] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod operatio etiam Angeli non est in loco ut locatum, sed
ut perfectio locati: quia operatio agentis semper est perfectio patientis,
inquantum hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que même l’opération de l’Ange n’est pas dans le lieu en tant qu’étant
elle-même placée dans un lieu, mais en tant que perfection de ce qui est
placé dans le lieu : car l’opération de l’agent est toujours une
perfection du patient en tant que tel. |
[2669] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod hoc non reputo inconveniens quod Angelus sine loco
possit esse et non in loco, quando nullam operationem circa locum habet: nec
est inconveniens ut tunc nusquam vel in nullo loco esse dicatur ; sicut etiam
non est inconveniens quod nullo colore coloratus dicatur. Sed hoc tamen non
est imaginabile, quia imaginatio continuum non transcendit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que je ne crois pas qu’il y ait un inconvénient à ce que l’Ange puisse
exister sans le lieu et comme n’étant pas dans le lieu quand il ne pose
aucune opération sur le lieu : et il n’y a pas de problème à ce qu’on
dise alors qu’il n’est nulle part ou dans aucun lieu, tout comme aussi il n’y
a pas de problème à ce qu’on dise qu’il n’est coloré par aucune couleur. Mais
cela cependant n’est pas imaginable parce que l’imagination ne peut
transcender le continu. |
[2670] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Angelus definitive in loco est per operationem suam,
Deus autem non ; quia operatio ipsius Dei, etsi determinata sit ad locum
inquantum transit super operatum, non tamen inquantum exit ab operante, quia
ita operatur hic quod etiam alibi ; sed Angeli operatio definita est ad locum
utroque modo, quia ipse non operatur alibi quam hic, ut infra, art. seq.,
dicetur. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
l’Ange est précisément dans un lieu par son opération, mais non pas
Dieu ; car l’opération de Dieu, bien qu’elle soit déterminée à un lieu
en tant qu’elle passe sur son ouvrage, n’est pas déterminée à un lieu en tant
qu’elle sort de l’agent, car Dieu opère ici de la même manière qu’il opère
ailleurs ; mais l’opération de l’Ange est limitée au lieu des deux
manières, car lui-même n’opère pas de la même manière ailleurs qu’il opère
ici, comme on le dira dans l’article qui suit. |
[2671] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod operans non oportet esse
in operato, vel applicari sibi, nisi circa quod immediate operatur.
Philosophi autem ponebant, quod operatio intelligentiae non pervenit ad ea
quae sunt hic nisi mediante motu orbium, et ad orbem non nisi mediante anima
ejus, quam in orbe esse dicebant. Et
ideo sequitur intelligentiam omnino absolutam a corpore et a loco esse. |
6. Il faut dire en sixième lieu
qu’il n’est pas nécessaire que celui qui opère soit dans l’ouvrage ou qu’il
lui soit appliqué, sauf sur ce qu’il opère immédiatement. Mais les
philosophes soutenaient que l’opération de l’intelligence ne parvient aux
choses qui sont ici que par l’intermédiaire du mouvement de l’univers, et
qu’elle ne parvient à l’univers que par l’intermédiaire de son âme dont ils
disaient qu’elle est dans l’univers. D’où il s’ensuit que l’intelligence est
totalement dégagée du corps et du lieu. |
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Articulus 2 [2672] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2
tit. Utrum Angelus possit esse in pluribus locis |
Article 2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ? |
[2673] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
Angelus possit simul in pluribus locis esse. Quodlibet enim corpus est magis
determinatum ad locum quam Angelus. Sed aliquod corpus est simul in pluribus
locis, sicut corpus Christiin pluribus altaribus. Ergo multo fortius Angelus simul in pluribus locis esse
potest. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Ange puisse être
simultanément en plusieurs lieux. Tout corps en effet est davantage déterminé
à un lieu que l’Ange. Mais certain corps est simultanément en plusieurs
lieux, comme le corps du Christ est simultanément sur plusieurs autels. Donc
l’Ange peut bien davantage être simultanément en plusieurs lieux. |
[2674] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 2
Praeterea, quando Angelus assumit corpus, constat quod immediate movet
quamlibet partem ejus: alias motus inordinatus fieret, et dissimilis motui
animalis. Sed Angelus est ubicumque immediate operatur. Ergo Angelus est in
singulis partibus illius corporis: et ita videtur quod sit simul in pluribus
locis. |
2. Par ailleurs, quand l’Ange prend
un corps, il est clair qu’il en meut immédiatement toutes les parties,
autrement le mouvement deviendrait désordonné et ne ressemblerait pas au
mouvement de l’animal. Mais l’Ange est partout où il opère immédiatement.
Donc l’Ange est dans chacune des parties de ce corps et ainsi il semble qu’il
soit simultanément en plusieurs lieux. |
[2675] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 3
Praeterea, caelum Empyreum debetur Angelis secundum opus contemplationis. Sed
quando operantur hic circa nos, non desinunt contemplari. Ergo simul sunt hic
et in caelo Empyreo ; et ita in pluribus locis. |
3. Par ailleurs, le ciel de
l’Empyrée est dû aux Anges pour l’œuvre de la contemplation. Mais quand ils opèrent
sur nous, ils ne cessent pas de contempler. Ils sont donc simultanément ici
et dans le ciel de l’Empyrée, et par conséquent ils sont simultanément en
plusieurs lieux. |
[2676] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne agens cujus virtus excedit
illud in quod operatur, potest etiam circa aliud operari. Sed virtus Angeli
excedit hoc corpus circa quod operatur. Ergo potest etiam in alio operari: et
ita potest in pluribus locis esse ; sed ubi operatur, ibi est. |
4. Par
ailleurs, tout agent dont la puissance dépasse ce sur quoi il opère peut
aussi faire porter son opération sur autre chose. Mais la puissance de l’Ange
dépasse ce corps sur lequel il pose son operation. Il peut donc aussi poser
son opération sur autre chose, et par consequent il peut être en plusieurs
lieux; mais là où il pose son opération, c’est là qu’il est. |
[2677] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Damascenus dicit,II Fidei
orth., cap. III, col. 870, quod dum sunt in caelo, non sunt in terra
; et ita videtur quod non sint simul in pluribus locis. |
Cependant: 1. Damascène
[11 De la Foi Orthodoxe, ch. 111, col. 870] dit que tant qu’ils
sont dans le Ciel, ils ne sont pas sur la Terre; et ainsi il semble qu’ils ne
soient pas simultanément en plusieurs lieux. |
[2678] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in Littera ponitur
et probatur Angelus definitive in loco esse. Sed quod est in pluribus locis,
ad nullum locum est definitum vel determinatum. Ergo Angelus non est in pluribus locis. |
2. Par Ailleurs, on affirme et on prouve
dans la Lettre que l’Ange est précisément dans un lieu. Mais on n’établit et
on ne détermine à aucun endroit qu’il soit en plusieurs lieux. Donc l’Ange
n’est pas en plusieurs lieux. |
[2679] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt diversae
opiniones. Quidam enim
dixerunt, quod Angelus potest esse in pluribus locis simul, sed non ubique,
sicut Deus ; corpus autem in uno loco tantum est. Sed hoc reputatum est pro
errore a magistris: quia sequeretur quod Angelus nec definitive nec
circumscriptive in loco esset. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’il existe différentes opinions à ce sujet. En effet,
certains ont dit que l’Ange peut être simultanément en plusieurs lieux mais non
partout comme c’est le cas pour Dieu; mais un corps ne se trouve qu’en un
seul lieu. Mais cela a été considéré comme une erreur par les maîtres, car il
découlerait de cette position que l’Ange ne serait dans le lieu ni
précisément ni circonscriptivement. |
Unde alii dicunt, quod Angelus est in loco
indivisibili: quia ponunt quod essentiae Angeli secundum se debetur locus ;
unde, quia essentia ejus indivisibilis est, oportet quod locus ejus sit
indivisibilis. Sed iste error contingit eis, quia non possunt imaginationem
transcendere, ut intelligant aliquid indivisibile, nisi sicut habens situm in
continuo. |
C’est pourquoi d’autres
disent que l’Ange est dans un lieu indivisible car ils soutiennent qu’un lieu
doit être attribué à l’essence de l’Ange en elle-même ; d’où il résulte
que parce que son essence est indivisible, il faut que son lieu soit
indivisible. Mais ils tombent dans cette erreur parce qu’ils ne peuvent
dépasser l’imagination de telle manière qu’ils n’entendent l’indivisible que
comme ce qui possède une position dans le continu. |
Et ideo dicendum est, quod Angelus est in uno loco
tantum ; sed ille locus potest esse divisibilis vel indivisibilis, aut magnus
vel parvus, secundum quod operatio ejus immediate ad magnum vel parvum
terminatur. Unde si immediate operetur circa totam domum, tota domus
respondet sibi sicut unus locus, ita quod in qualibet parte erit ; sicut
etiam dicimus quod anima est in qualibet parte corporis. |
Et c’est pourquoi il faut dire que
l’Ange est dans un seul lieu, mais ce lieu peut être divisible ou
indivisible, grand ou petit, selon que son opération se termine immédiatement
à quelque chose de grand ou de petit. D’où il résulte que si son opération
porte immédiatement sur toute la maison, toute la maison lui correspondra comme
un seul lieu de telle manière qu’il sera dans chacune de ses parties, tout
comme nous disons aussi que l’âme est dans chacune des parties du corps. |
Et dico immediate, quia si Angelus moveret lapidem ex
cujus motu multa alia moverentur, non oporteret quod esset nisi ubi est
primum motum ; sicut patet etiam in motore corporali, quem necesse est
tangere solum id quod movetur ab eo. Ideo autem dico quod non potest esse in
pluribus locis simul, quia est naturae finitae, et per consequens virtutis
finitae. Impossibile est autem quod ab una virtute finita procedat nisi una
operatio. |
Et je dis ¨immédiatement¨, parce
que si l’Ange mouvait la pierre de telle manière qu’à partir de son mouvement
d’autres choses seraient mises en mouvement, il ne lui serait nécessaire
d’être que là où est le premier mouvement, tout comme on voit encore qu’il
est nécessaire au moteur corporel de toucher seulement ce qui est mû par lui.
Et c’est pourquoi je dis au sujet de l’Ange qu’il ne peut être simultanément
en plusieurs lieux parce que sa nature est finie et que par conséquent sa
puissance aussi est finie. Mais d’une puissance finie ne peut procéder qu’une
seule opération. |
Operatio autem una
est quae terminatur ad unum operatum: et ideo oportet quod operatum Angeli
sit unum, circa quod immediate operatur. Unde
sicut anima non est simul in pluribus corporibus, ita nec Angelus in pluribus
locis. Deo autem soli convenit in pluribus et in omnibus locis esse, quia
ipse virtutis infinitae est ; et quamvis operatio ejus sit una secundum quod
est in ipso, quae est ipsemet ; tamen effectus operationis sunt infiniti,
inquantum ipse est principium dans esse, et per consequens creans omnia alia
quae ad esse sunt superaddita. Unde est in omnibus non solum sicut in uno
operato, sed sicut in pluribus, quia etiam ea per quae distinguuntur res in
quibus operatur, ab ipso sunt. |
Mais une
seule et même opération est celle qui se termine à un seul ouvrage: et c’est
pourquoi l’ouvrage de l’Ange sur lequel il opère immédiatement soit unique.
D’où il résulte que tout comme l’âme n’est pas simultanément en plusieurs
corps, de même l’Ange ne peut être en plusieurs lieux. C’est à Dieu seul
cependant qu’il convient d’être en plusieurs lieux et d’être dans tous les
lieux parce que Lui-même est d’une puissance infinite; et bien qu’il ne pose
qu’une seule opération selon qu’elle est en Lui, cette opération étant
Lui-même, cependant les effets de cette opération sont infinis selon qu’Il
est Lui-même le principe qui donne l’existence et qui crée par consequent
tout ce qui s’ajoute à l’existence. D’où il résulte qu’il est dans tous les
êtres non seulement comme dans un seul ouvrage mais comme dans plusieurs car
vient de Lui même ce par quoi se distinguent les choses dans lesquelles il
opère. |
[2680] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod corpus Christi non habet, inquantum est corpus,
nec inquantum divinitati unitum, quod sit in pluribus locis: sed habet hoc
ratione consecrationis et transubstantiationis, inquantum diversi panes qui
in ipsum transubstantiantur sunt in diversi locis: et quia substantia panis
transit in corpus Christi manentibus accidentibus, ideo manet quantitas
utriusque panis, et per consequens locus utriusque: et idem contingeret in
quidquid aliud panis divina virtute transubstantiaretur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que ce
n’est pas en tant qu’il est un corps ni même en tant qu’il est uni à la
divinité que le corps du Christ tient sa capacité à être en plusieurs lieux,
mais il le tient en raison de la consécration et de la transubstantiation, en
tant que divers pains qui sont transubstantiés en Lui sont en divers
lieux : et parce que la substance du pain passe au corps du Christ alors
que les accidents demeurent, c’est pourquoi la quantité de l’un et l’autre
pain demeure, et par conséquent le lieu de chacun d’eux : et la même
chose se produirait en toute autre chose que le pain qui serait
transubstantié par la puissance divine. |
[2681] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod totum illud corpus
assumptum comparatur ad Angelum sicut unum indivisibile ubi, prout circa
ipsum est una operatio. Unde quamvis
sit in qualibet parte ipsius assumpti corporis, non oportet quod sit in
pluribus locis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la totalité du corps qui est pris par l’Ange se compare à l’Ange comme un
seul lieu indivisible, selon qu’il n’y a qu’une seule opération qui porte sur
lui. D’où il résulte que bien qu’il soit dans chacune des parties de ce corps
qui est pris par lui, il ne s’ensuit pas qu’il soit en plusieurs lieux. |
[2682] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio est quasi
medium inter operans et operatum: unde potest considerari vel secundum quod
exit ab operante, vel secundum quod terminatur ad operatum. Operationi autem Angeli non debetur locus secundum quod
exit ab essentia ejus quae secundum se absoluta est, sed secundum objectum ad
quod terminatur: et ideo operationi contemplativae Angeli non debetur aliquis
locus corporeus, cum objectum contemplationis spirituale sit: et ideo caelum
Empyreum non est de necessitate contemplationis ; sed assignatur
contemplationi per congruentiam, inquantum locus ille sanctificatus est ad
gloriam beatorum, sicut contemplantis [etiam contemplationis Éd. de Parme]
dicitur magis esse locus Ecclesia, quam forum. Unde non oportet quod
quandocumque contemplatur, sit in caelo Empyreo. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’opération est comme un intermédiaire en celui qui opère et son
ouvrage ; d’où il suit qu’elle peut être considérée soit comme ce qui
sort de ceui qui opère, soit comme ce qui se termine à
l’ouvrage. Mais le lieu ne doit pas être attribué à l’opération de
l’Ange selon qu’elle sort de son essence qui en elle-même est parfaitement
libre de toute matière, mais selon l’objet auquel elle se termine ; et
c’est pourquoi il ne faut pas attribuer un lieu corporel à l’opération de
contemplation de l’Ange puisque l’objet de la contemplation est
spirituel ; et c’est pourquoi le ciel de l’Empyrée n’est pas nécessaire
à la contemplation, mais il est assigné à la contemplation par convenance ou
proportion, selon que ce lieu a été sanctifié pour la gloire des bienheureux,
tout comme on dit de l’Église qu’elle est davantage que le forum le lieu de
celui qui contemple [aussi le lieu de la contemplation Éd. de Parme].
D’où il n’est pas nécessaire qu’à chaque fois qu’il contemple, il soit dans
le ciel de l’Empyrée. |
[2683] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod virtus Angeli quamvis excedat hoc operatum excessu
quasi quantitatis continuae, eo quod posset circa aliquod majus operari ; non
tamen excedit excessu quantitatis discretae, quia non potest nisi circa unum
operari, sive illud sit magnum sive parvum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
puissance de l’Ange, bien qu’elle dépasse cet ouvrage comme par un excès de
la quantité continue du fait qu’elle pourrait opérer sur quelque chose de
plus grand, elle ne le dépasse cependant pas par un excès de la quantité
discrète car elle ne peut opérer que sur un seul objet, que cet objet soit
grand ou petit. |
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Articulus 3 [2684] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3
tit. Utrum plures Angeli possint esse in uno loco |
Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul et même lieu ? |
[2685] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod plures Angeli possint simul esse in uno
loco. Magis enim est repletivum loci corpus quam spiritus. Sed ubi est
corpus, potest esse Angelus. Ergo multo magis non impeditur quin possit esse
ubi est alius Angelus. |
Difficultés : 1. Il semble que plusieurs Anges peuvent
être simultanément dans un seul et même lieu. En effet, un corps, plus qu’un
esprit, est apte à remplir un lieu. Mais où est un corps, un Ange peut y
être. Donc, à plus forte raison rien n’empêche qu’un Ange puisse être là où
il y a un autre Ange. |
[2686] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, Contra
epistolam fudamenti, cap. XVI,
col. 184 et De imm. Animae, cap. XVI, col. 1034, anima est in
qualibet parte corporis. Sed daemones et Angeli, quamvis non illabantur
mentibus, illabuntur tamen corporibus, ut sancti dicunt. Ergo videtur quod
Angelus et anima possint esse in eodem loco, et eadem ratione videtur quod
Angelus et Angelus. |
2. Par ailleurs, selon
Saint-Augustin [Contre la Lettre du Fondement, ch. XVI, col. 184
et De l’Immortalité de l’Âme, ch. XVI, col. 1034], l’âme est dans
chacune des parties du corps. Mais les Démons et les Anges, bien qu’ils ne
pénètrent pas les esprits, pénètrent cependant les corps, ainsi que le disent
les saints. Il semble donc que l’Ange et l’âme peuvent être dans un même
lieu, et pour le même raison il semble qu’il en soit de même pour plusieurs
Anges. |
[2687] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 3 Si
dicas, quod hoc non potest esse ne sequatur confusio. Contra,
majori distinctioni magis repugnat confusio. Sed magis distinguitur spiritus
creatus a spiritu increato, quam spiritus creatus a spiritu creato. Cum
igitur sine aliqua confusione sint ubi ipse Deus est, intra quem currunt
ubicumque mittantur, ut in Littera dicitur, videtur etiam quod duo Angeli
simul esse possint. |
3. Si tu dis que cela n’est pas possible
afin qu’il ne s’ensuive pas une confusion, je réponds par contre que la
confusion répugne à une plus grande distinction. Mais un esprit créé diffère
davantage d’un esprit incréé qu’un esprit créé diffère d’un autre esprit
créé. Donc, puisque deux esprits créés sont sans confusion là où Dieu
lui-même est et à l’intérieur duquel ils courent partout où ils sont envoyés,
comme on le dit dans la Lettre, il semble aussi que deux Anges puissent y
être simultanément. |
[2688] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 4
Praeterea, sicut Angelus operatur circa corpus, ita etiam operatur circa
Angelum ; quia superiores inferiores illuminant, ut dicit Dionysius, c.
VIII cael. Hier., col. 238. Sed per hoc quod operatur circa
locum, dicitur esse in loco: ergo per hoc quod operatur circa Angelum,
dicitur esse in Angelo ; et ita videtur quod duo Angeli in uno loco esse
possint. |
4. Par ailleurs, tout comme l’Ange
opère sur un corps, de même encore il opère sur un autre Ange ; car les
Anges supérieurs éclairent ceux qui sont inférieurs, comme le dit Denys [De
la Hiérarchie Céleste, ch. VIII, col. 238]. Mais du fait qu’il
opère sur un lieu, on dit qu’il est dans le lieu : donc du fait qu’il
opère sur un Ange, on dit qu’il est dans un Ange ; et ainsi il semble
que deux Anges peuvent être dans un même lieu. |
[2689] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed
contra, sicut se habet corpus ad esse circumscriptive in loco, ita et Angeli
ad esse definitive. Sed duo corpora non circumscribuntur eodem loco.
Ergo nec duo Angeli definiuntur ad unum locum. |
Cependant: 1. Au contraire,
ce que le corps est à une existence circonscrite dans le lieu, l’Ange l’est à
une existence délimitée dans le lieu. Mais deux corps ne sont pas
circonscrits par le même lieu. Donc de même deux Anges ne sont pas délimités
par un seul lieu. |
[2690] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea,
unius corporis non sunt duae animae ; et tamen anima substantia spiritualis
est, sicut et Angelus. Ergo videtur quod nec duo Angeli in uno et eodem loco
esse possint. |
2. Par ailleurs, il n’y a pas deux
âme pour un même corps et cependant l’âme est une substance spirituelle, tout
comme l’Ange. Il semble donc que deux Anges ne peuvent être dans un seul et
même lieu. |
[2691] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod locus potest sumi proprie et metaphorice. Locus metaphorice
dicitur locus spiritualis Angeli, scilicet ipse Deus qui ad similitudinem
loci continet ; et sic omnes Angeli, immo omnia entia, sunt in uno loco,
scilicet in Deo, quia [Éd. de Parme] qui omnia continet. Sed sic non
loquimur de loco, sed de loco proprie dicto, qui est locus corporalis. |
Corps de l’article : Je réponds que le lieu peut être entendu
soit proprement soit par métaphore. On appelle lieu métaphorique le lieu
spirituel de l’Ange, à savoir Dieu lui-même qui contient à la ressemblance
d’un lieu ; et en ce sens tous les Anges, bien plus tous les êtres, sont
en un seul lieu, à savoir en Dieu parce qu’Il [qui Éd. de Parme]
les contient tous. Mais ce n’est pas de ce lieu dont nous parlons,
mais du lieu proprement dit qui est le lieu local. |
Et sic dico, secundum communem opinionem, quod plures
Angeli non possunt simul in uno loco esse. Cujus ratio accipienda est ex
parte operationis secundum quam Angelus in loco esse dicitur: quia, secundum
Philosophum,in IV Physic., text. 31, tunc pulcherrime
unumquodque definitur, quando per definitionem manifestatur natura rei, et
demonstrantur omnes proprietates consequentes, et solvuntur omnes
dubitationes incidentes. |
Et en ce sens je dis, conformément
à l’opinion générale, que plusieurs Anges ne peuvent simultanément être en un
seul et même lieu. Et la raison de cela doit se prendre du côté de
l’opération selon laquelle on dit de l’Ange qu’il est dans un lieu : car
d’après le Philosophe [IV Physique, texte 31], chaque chose est
définie de la plus belle manière quand la nature de la chose est manifestée
par la définition, que par elle sont démontrées toutes les propriétés qui
découlent de sa nature et que sont résolues toutes les difficultés qui
pouvaient se présenter à son sujet. |
Secundum hoc ergo dicendum est quod impossibile est
idem secundum idem pati et moveri a diversis agentibus vel moventibus, si
utrumque sit perfectae virtutis ad inducendum effectum illum. Sed hoc
contingit quando plures movent in virtute unius moventis, quorum quilibet est
imperfectum movens, sicut patet in trahentibus navim ; et hoc ideo quia ab
agente perfecto patiens ducitur in actum perfectum, quo habito, non remanet
in potentia ad suscipiendum aliquid plus. |
D’après cela il faut donc dire
qu’il est impossible au même être et sous le même rapport de subir une action
et d’être mû par des agents ou des moteurs différents si les deux sont d’une
puissance parfaite à introduire cet effet. Mais cela est possible quand
plusieurs agents meuvent sous la puissance d’un même moteur, dont chacun est un
moteur imparfait, tout comme on le voit chez ceux qui tirent un navire ;
et il en est ainsi parce que par un agent parfait un patient est conduit à un
acte parfait et une fois qu’il le possède, il ne demeure plus en puissance à
recevoir quelque chose de plus. |
Cum igitur unus Angelus agens in virtute imperii divini
sit sufficientis virtutis ad educendum in actum totum illud quod virtute
divina operandum est circa aliquod corpus supra actus corporales
[naturales Éd. de Parme], ad quorum operationes non mittuntur
Angeli, non potest esse quod circa idem operatum conveniant immediate
operationes duorum Angelorum ; et ideo non possunt esse in eodem loco: quia
alter eorum superflueret. Unde etiam philosophi ex Aristoteles, XII Metaph, text.
48, uni orbi non attribuerunt nisi unum motorem. |
Donc puisqu’un même Ange, agissant
sous la puissance du commandement divin, est d’une puissance suffisante pour
conduire à l’acte tout ce qui, par la puissance divine, doit être opéré sur
un corps au-delà des actes corporels [naturels Éd. de Parme] pour lesquels
les Anges ne sont pas envoyés, il n’est pas possible que sur un même ouvrage
les opérations de deux Anges se rencontrent immédiatement ; et c’est
pourquoi ils ne peuvent être dans un même lieu car l’un des deux serait inutile.
D’où même les philosophes à partir d’Aristote [XII Métaphysique,
texte 48] n’ont attribué qu’un seul moteur à un seul et même univers. |
[2692] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod non impedit repletio loci quin plures Angeli simul
in uno loco esse possint ; sed confusio operationum, quae quodammodo
redundaret in confusionem virtutis et essentiae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
l’occupation du lieu n’empêche pas que plusieurs Anges puissent simultanément
être dans un même lieu ; mais ce qui l’empêcherait, c’est la confusion
des opérations qui d’une certaine manière retomberait sur la confusion de la
puissance et de l’essence. |
[2693] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod anima est in corpore ut forma dans esse, et operans
operationes naturales ; sed Angelus est in corpore ut operans operationes
supernaturales ; et ideo nulla confusio operationum fit ; quia non est unius
rationis operatio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’âme est dans le corps comme une forme qui donne l’existence et qui
exécute les opérations naturelles ; mais l’Ange est dans le corps pour
exécuter des opérations surnaturelles et c’est pourquoi il ne se présente
aucune confusion car il n’y a pas qu’un seul genre d’opération. |
[2694] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 3 Et per
hoc etiam patet responsio ad tertium ; quia Deus est in rebus ut dans omnibus
esse, et operans in qualibet virtute operante ; et ideo alterius rationis est
operatio ipsius et Angeli operatio [et… operatio om. Éd. de Parme]
; unde non sequitur confusio. |
3. Et par là on voit aussi la
réponse à la troisième difficulté car Dieu est dans les choses en tant qu’il
donne l’existence à tous les êtres et en tant qu’il opère dans toute
puissance d’opération ; et c’est pourquoi son opération et celle de
l’Ange ne sont pas du même genre [et…opération om. Éd. de Parme] ;
d’où il ne s’ensuit aucune confusion. |
[2695] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod, sicut communiter dicitur, Angelus illuminans non
operatur intra essentiam Angeli, quia non est causa esse ejus ; et lumen
receptum in esse ejus non recipitur ; et ideo dicitur quasi exterius operari
per modum suggerentis. Et similiter, quamvis effectus Angeli non recipiatur
intra esse corporis cujus non est causa, recipitur tamen intra dimensiones
ejus, ratione cujus Angelus intrinsecus corpori dici potest ; non autem
animae nec Angelo ; unde non sequitur quod sit in Angelo vel cum Angelo in
uno loco. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que, comme on le dit généralement, l’Ange qui illumine ou
éclaire n’opère pas à l’intérieur même de l’Ange car il n’est pas la cause de
son existence ; et la lumière reçue n’est pas reçue dans son
existence ; et c’est pourquoi on dit de lui qu’il opère de l’extérieur à
la manière de celui qui suggère. Et de la même manière, bien que l’effet de
l’Ange ne soit pas reçu dans l’existence du corps dont il n’est pas la cause,
il est reçu cependant dans ses dimensions, en raison de quoi on peut dire de
l’Ange qu’il est intérieur au corps mais non pas à l’âme ni à l’Ange ;
il résulte de là qu’il ne s’ensuit pas qu’il soit dans l’Ange ou avec l’Ange
dans un seul et même lieu. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [Le mouvement des anges] |
Prooemium |
Prologue |
[2696] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 pr. Deinde
quaeritur de motu Angeli ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum Angelus
moveatur ; 2 utrum pertranseat
medium motu suo ; 3 utrum motus ejus
sit in tempore, vel in nunc. |
On s’interroge ensuite sur le mouvement
des Anges et à ce sujet on pose trois questions : 1. Est-ce que l’Ange est capable de
mouvement local? 2. Est-ce qu’il traverse un milieu
intermédiaire en passant d’un lieu à un autre ? 3. Est-ce que son mouvement est dans le
temps ? |
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Articulus 1 [2697] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1
tit. Utrum Angelus moveatur |
Article 1 – L’ange se meut-il localement ? |
[2698] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus non moveatur. Quia, secundum Philosophum,
III Physic., text. 9, motus est actus imperfecti ; quia est
actus existentis in potentia, inquantum hujusmodi. Sed Angelus est perfectus,
et praecipue beatus. Ergo non movetur. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Ange ne soit pas
capable de mouvement local. Car, d’après le Philosophe [111 Physique,
texte 9] le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait car il l’acte de ce
qui est en puissance en tant que tel. Mais l’Ange est parfait et surtout
bienheureux. Il ne se meut donc pas. |
[2699] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid movetur, aliqua specie
motus movetur. Sed enumeratis omnibus
speciebus motus et mutationis, patet quod nulla convenit Angelo, nisi forte
alteratio et loci mutatio [loci et mutatio Éd. de Parme] ; non enim
augetur vel diminuitur, cum non sit quantus ; nec iterum generatur et
corrumpitur, cum in ipso non sit contrarietas ut per se corrumpatur (quia
nihil per se corrumpitur nisi ratione contrarietatis) et sit per se
subsistens, ut non corrumpatur per accidens ; quia aliquid corrumpitur per
accidens [id quod corrumpitur…corrumpitur Éd. de Parme] ad
corruptionem id quod ad corruptionem ejus in quo est sicut in subjecto. |
2. Par ailleurs, tout ce qui se
meut se meut d’une certaine espèce de mouvement. Mais si on énumère toutes
les espèces de mouvement et de changement, il est clair qu’aucune ne convient
à l’Ange, si ce n’est peut-être l’altération et le changement de lieu [de
lieu et le changement Éd. de Parme] ; en effet, il n’est pas
le sujet de la croissance et de la décroissance puisqu’il ne possède pas de
quantité ; et en outre il n’est ni engendré ni corrompu puisqu’il n’y a
pas en lui de contrariété de manière à être corrompu par soi (car rien ne se
corrompt par soi si ce n’est en raison de la contrariété) et il est par soi
subsistant de manière à ne pas être corrompu par accident car quelque chose
est corrompu par accident [ce qui est corrompu… est corrompu Éd. de
Parme] ce qui est corrompu par rapport à la corruption de ce dans quoi il
se trouve comme dans un sujet. |
Sed non movetur
alteratione, vel loci mutatione. Ergo nullo modo movetur. Quod autem non [nullo modo Éd. de Parme]
alteretur, sic probatur. Sicut enim probat Philosophus, in VII Physic., text.
20, alteratio non est nisi circa qualitates sensibiles, et circa sensibilem
partem animae. Sed haec ab Angelo remota sunt. Ergo Angelus non alteratur.
Similiter videtur quod non movetur secundum locum. Quia omnis motus localis
videtur esse propter aliquam indigentiam. Sed Angelus, praecipue beatus, nullius
est indigens. Ergo localiter non movetur. |
Mais il ne se meut pas par
altération ou par un changement de lieu. Donc il ne se meut d’aucune manière.
Mais qu’il ne [d’aucune manière Éd. de Parme] se meuve pas par
altération, il le prouve de la manière suivante. En effet, tout comme le
Philosophe [ VII Physique, texte 20] prouve qu’il n’y a
altération que sur les qualités sensibles et dans la partie sensible de
l’âme. Mais tout cela est étranger à l’Ange. Il n’y a donc pas altération
dans l’Ange. De la même manière il semble qu’il ne se meuve pas selon le lieu
car il semble que tout mouvement local ait pour cause un besoin. Mais l’Ange,
surtout le bienheureux, n’a besoin de rien. Il ne se meut donc pas
localement. |
[2700] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, si movetur secundum locum, moveatur
ergo de A in B ; et sit B illud in quod primo mutatur. Ergo cum movetur, aut
est in A, aut in B, aut est in utroque. Sed in A non movetur, quia ibi
incipit moveri, et principium motus non est motus ; nec iterum in B movetur,
quia ibi mutatum est. Nihil autem simul movetur et mutatum est. Ergo oportet
quod dum movetur, sit simul in utroque. Sed non potest esse simul in duobus
locis totus, ut probatum est, art. 2, quaest. praeced. Ergo oportet quod sit partim in A et partim in B. Ergo
est divisibilis ; quod est inconveniens. |
3. Par ailleurs, s’il se meut selon
le lieu, il se meut donc de A à B ; et soit B ce en quoi il y a
changement en premier. Donc, lorsqu’il se meut, ou bien il est en A, ou bien
il est en B, ou bien il est dans les deux. Mais il ne se meut pas en A, car
c’est là le point de départ du mouvement et le principe du mouvement n’est
pas le mouvement ; et il ne se meut pas davantage en B car c’est là le
terme du mouvement. Il faut donc qu’aussi longtemps qu’il se meut, il soit
simultanément dans les deux. Mais il ne peut être simultanément dans les deux
en son entier, ainsi que nous l’avons prouvé à l’article 2 de la question
précédente. Il faut donc qu’il soit en partie en A et en partie en B. Il est
donc divisible, ce qui n’est pas juste. |
[2701] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 4Si dicas, quod non movetur per se in
loco, sed secundum accidens. Contra, quidquid movetur per
accidens in loco, movetur ad ejus motum in quo est. Sed Angelus est in eo in
quo operatur. Ergo movetur per accidens ad motum ejus. Sed sicut illud in quo
est Angelus, movetur, ita illud in quo est Deus. Ergo et Deus movebitur
secundum locum ; quod est inconveniens: quia Deus nec per se nec per accidens
movetur, ut in VIII Physic. probatur. Ergo
et eadem ratione Angelus nec per se nec per accidens movebitur. |
4. Si tu dis que ce n’est pas par
lui-même qu’il se meut dans le lieu mais par accident, je réponds par contre
que tout ce qui se meut par accident dans le lieu se meut par rapport au
mouvement de celui dans lequel il se trouve. Mais l’Ange est dans celui dans
lequel il pose son opération. Il se meut donc par accident par rapport à son
mouvement. Mais tout comme celui dans lequel l’Ange se trouve se meut, il en
est de même pour celui dans lequel Dieu se trouve. Donc, d’après cette
position, Dieu aussi sera mû selon le lieu, ce qui est absurde car Dieu ne se
meut ni par soi ni par accident comme on le prouve [ VIII Physique].
Donc, pour la même raison, l’Ange non plus ne se meut ni par soi ni par
accident. |
[2702] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 5
Praeterea, ea quae de Deo vel de Angelis metaphorice a sanctis exponuntur,
non sunt eis simpliciter attribuenda. Sed Dionysius, XV cap. Cael.
Hier., col. 327, exponit ascensum et descensum Angelorum inter
metaphorica. Ergo videtur quod motus localis non sit simpliciter Angelo
attribuendus. |
5. Par ailleurs, les choses qui
sont exposées par les saints de manière métaphorique sur Dieu et sur les
Anges ne doivent par leur être attribuées purement et simplement. Mais Denys
[De la Hiérarchie Céleste, ch. XV col. 327] présente la montée et la
descente des Anges parmi les expressions métaphoriques. Il semble donc que le
mouvement local ne doive pas être attribué aux Anges d’une manière
absolue. |
[2703] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, quod est proprium alicui, sibi soli convenit. Sed immutabilitas, ut
supra, distinct. 8, quaest. 3, art. 1, dictum est, Dei proprium est. Ergo
Angelo non convenit. Potest ergo moveri. |
Cependant : 1. Au contraire, ce qui est propre à un
être n’appartient qu’à lui seul. Mais l’immutabilité, ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. 8, quest. 3, art. 1], est propre à Dieu. Elle ne
convient donc pas à l’Ange. Il peut donc se mouvoir. |
[2704] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 s. c. 2
Praeterea, omne quod est hic et ibi, et non simul, movetur secundum locum.
Sed Angelus simul non est in duobus locis, ut habitum est. Cum igitur unus et
idem Angelus inveniatur in Scripturis operari in diversis locis, et ita esse
in eisdem [in eisdem om. Éd. de Parme] (quia ubi operatur ibi
est), sicut de Gabriele legitur Luc. 1, qui annuntiavit Zachariae in templo,
et Mariae in Nazareth, videtur quod Angelus secundum locum moveatur. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui est ici et là non simultanément se meut selon le lieu.
Mais l’Ange n’est pas simultanément en deux lieux, comme nous l’avons établi.
Donc puisqu’on trouve dans les Écritures un seul et même Ange qui pose une
opération en divers lieux et qu’il se trouve ainsi à être en ces mêmes lieux
[en ces mêmes om. Éd. de Parme] (car il est là où il opère), tout
comme on lit au sujet de Gabriel (Luc, 1) qu’il annonça à Zacharie dans le
temple et à Marie à Nazareth, il semble que l’Ange se meuve localement. |
[2705] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod triplex motus Angeli invenitur a sanctis traditus. Primus
motus est secundum illuminationes a Deo in mentem Angeli descendentes, qui
quidem metaphorice motus dicitur ; et hunc tradit Dionysius in 4 cap. de Div.
Nomin. § 8, col. 703, et distinguit eum per tres species, scilicet in motum
circularem, rectum et obliquum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il y a
trois sortes de mouvement de l’Ange qui nous sont transmis par les saints. La
première sorte est selon les illuminations qui viennent de Dieu et qui
descendent dans l’esprit de l’Ange, et qu’on appelle certes un mouvement au
sens métaphorique ; et Denys [Les Noms Divins, ch. 4, & 8,
col. 703] nous enseigne cette sorte de mouvement qu’il distingue en trois
espèces, à savoir le mouvement circulaire, le mouvement rectiligne et le
mouvement oblique. |
Motus autem circularis Angeli dicitur secundum quod
lumen intellectuale descendit originaliter a Deo in intellectum Angeli ; et
per illud lumen intellectus Angeli ascendit in contemplationem Dei: et sic
est motus ab eodem in idem, et est uniformis, inquantum lumen illud non
egreditur intellectus simplicitatem. Motus autem rectus dicitur quando Angelus lumen a Deo
receptum inferioribus tradit quasi secundum rectam lineam. |
Mais on dit du mouvement de l’Ange
qu’il est circulaire selon que la lumière intellectuelle descend dans
l’intelligence de l’Ange en partant de Dieu comme de son origine ; et
par cette lumière l’intelligence de l’Ange s’élève à la contemplation de
Dieu : et ainsi le mouvement a lieu du même vers le même et il est
uniforme en tant que cette lumière ne quitte pas la simplicité de
l’intelligence. Mais on dit que son mouvement est
rectiligne quand l’Ange transmet aux anges inférieurs, comme en suivant une
ligne droite, la lumière qu’il a reçue de Dieu |
Sed motus obliquus dicitur prout consideratur exitus
luminis a Deo in mentem Angeli, et deinde reflectitur lumen illud ad
inferiora, quibus lumen suum tradit, per quod lumen inferiora [lumen
inferiora Éd. de Parme] non reducuntur in Angelum sicut in finem,
sed in Deum: et talis motus est quasi compositus ex recto et circulari, sicut
motus qui esset per chordam et arcum ab eodem in idem. |
Mais on dit que son mouvement est
oblique pour autant qu’on considère la sortie de la lumière qui va
de Dieu vers l’esprit de l’Ange et que cette lumière se réfléchit ensuite sur
les anges inférieurs auxquels il transmet sa lumière, et par cette lumière
les anges inférieurs ne sont pas ramenés à l’Ange, mais à Dieu comme à leur
fin : et un tel mouvement est comme composé du mouvement rectiligne et
du mouvement circulaire, tout comme le mouvement qui a lieu par la corde et
l’arc procède du même et retourne au même. |
Obliquatur enim motus iste prout recedit ab
uniformitate recepti luminis, quod non similter [similiter non Éd. de
Parme] est in secundis Angelis sicut in primis. Secundus motus est per
tempus ; quem assignat ei Augustinus, ut habetur in Littera ; et
quia tempus, est mensura successivorum, ideo omnem successionem nominat motum
per tempus. Invenitur autem successio in intellectu Angeli: quod sic patet. |
Ce mouvement est oblique en effet selon
qu’il s’écarte de l’uniformité de la lumière de celui qui reçoit, laquelle ne
se retrouve pas semblablement [qui semblablement n’est pas Éd. de
Parme] dans les seconds Anges comme dans les premiers. Le deuxième
mouvement a lieu dans le temps, lequel lui est assigné par Saint-Augustin
comme on l’établit dans la Lettre ; et parce que le temps est la mesure
de ce qui est successif, c’est pourquoi il appelle toute succession un
mouvement dans le temps. Mais on retrouve une succession dans l’intelligence
de l’Ange et c’est ce qu’on peut voir de la manière qui suit. |
Omnis intellectus qui cognoscit diversa per diversas
species, non potest simul actu illa cognoscere, ut ex praedeterminatis patet,
dist. 25, quaest. 1, art. 2. Intellectus autem Angeli potest cognoscere res
dupliciter, sive duplici specie: scilicet vel in consideratione
verbi, quod est una similitudo omnium rerum ; et sic simul potest multa
videre: vel per species innatas vel concreatas rerum, quae sibi
inditae sunt, quae plures plurium sunt ; unde oportet quod secundum illas
species non cognoscat plura simul. |
Toute intelligence qui connaît
différentes choses au moyen de différentes espèces ne peut simultanément
connaître ces choses en acte, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été
établi précédemment [dist. 25, quest. 1, art. 2]. Mais l’intelligence de
l’Ange peut connaître les choses de deux manières, c’est-à-dire par deux
sortes d’espèce. Soit par la considération du Verbe, qui
est une similitude unique de toutes les choses et en ce sens il peut voir
simultanément plusieurs choses. Soit au moyen des espèces qui sont dans
les choses et qui ont été créées avec les choses dans leur intimité et qui
sont différentes pour différentes choses ; d’où il faut que l’Ange,
d’après ces espèces, ne connaisse pas simultanément plusieurs choses. |
Unde secundum hoc est successio in intellectu Angeli ;
et ista successio largo modo dicitur motus. Differt tamen a motu proprie
dicto in duobus ad minus |
D’où il résulte que sous ce rapport
il y a succession dans l’intelligence de l’Ange ; et cette succession
s’appelle mouvement au sens large. Et ce mouvement diffère cependant du
mouvement proprement dit au moins sur deux points. |
Primo, quia non est de potentia in actum, sed de actu
in actum. Secundo quia non est continuus: continuus enim motus
est ex continuitate ejus super quod est motus, ut in lib. V Physic.,
texte 34, probatur. Sed inter duas species intellectas non est aliqua
[aliqua om. Éd. de Parme] continuatio, sed successio tantum ; et
haec eadem successio motus dicitur ; et similis ratio est de successione
affectionum. |
Premièrement parce qu’il ne procède
pas d’une puissance à un acte, mais d’un acte à un autre. Deuxièmement parce qu’il n’est pas
continu : le mouvement en effet tient sa continuité de la continuité de
ce sur quoi s’exerce le mouvement comme le prouve le Philosophe [V Physique,
texte 34]. Mais entre deux espèces saisies par l’intelligence il n’y a pas
une [une om. Éd. de Parme] continuité mais seulement
succession ; et cette même succession est appelée mouvement ; et la
même raison vaut pour la succession des affections. |
Tertius motus est secundum locum, qui etiam in Littera attribuitur
eis auctoritate Ambrosii et Bedae. Et quia moveri in loco sequitur ad esse in loco, ideo
eodem modo convenit Angelo moveri in loco sicut esse in loco: et utrumque est
aequivoce respectu corporalium. Dicitur enim Angelus esse in loco inquantum
applicatur loco per operationem ; et quia non simul est in diversis locis,
ideo successio talium operationum per quas in diversis locis esse dicitur,
motus ejus vocatur. Unde sicut conceptiones intellectus consequenter se
habent sine continuatione, ita et operationes ejus ; unde motus localis
Angeli non est continuus ; sed ipsae operationes ejus consequenter se
habentes circa diversa loca, secundum quas in illis esse dicitur, localis
motus ejus vocantur [successivae dicuntur Éd. de Parme]. |
Le troisième mouvement est le mouvement
local qui leur est aussi attribué dans la Lettre par le témoignage de
Saint-Ambroise et de Bède. Et parce que se mouvoir dans le lieu
résulte de l’existence dans le lieu, c’est pourquoi il convient à l’Ange de
se mouvoir dans le lieu de la même manière qu’il existe dans le lieu :
et les deux modalités sont équivoques par rapport aux réalités corporelles.
On dit en effet de l’Ange qu’il est dans le lieu en tant qu’il est appliqué à
un lieu par son opération ; et parce qu’il n’est pas simultanément en
plusieurs lieux, c’est pourquoi la succession de telles opérations par
lesquelles on dit qu’il est en divers lieux s’appelle pour lui mouvement.
D’où il résulte que tout comme les conceptions de l’intelligence se
présentent consécutivement sans continuité, il en est de même pour ses
opérations ; d’où il suit que le mouvement local de l’Ange n’est pas
continu ; mais on dit des opérations elles-mêmes de l’Ange qui se
présentent consécutivement sur divers lieux, et selon lesquelles on dit de
l’Ange qu’il est dans ces lieux, qu’elles sont néanmoins son mouvement local
[sont appelées successives Éd. de Parme]. |
[2706] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod motus, proprie sumendo, semper est existentis in
potentia ; sed aliquando improprie ipsa operatio rei dicitur motus ejus, ut
intelligere et sentire ; et tunc motus est actus perfecti, ut in III De
anima cap. XXVIII dicitur. Quod autem operatio a motu differat,
patet ex X Ethic., cap.IV: et sic sumitur motus a Dionysio, cap.
IV de div. nom., scilicet pro operatione quantum ad primum
modum, qui tripartitus est, secundum eum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
le mouvement, pris au sens propre, appartient toujours à ce qui existe en
puissance ; mais parfois on dit improprement de l’opération même de la
chose qu’elle est son mouvement, comme c’est le cas pour sentir et
connaître ; et alors le mouvement est l’acte de ce qui est parfait comme
le dit le Philosophe [111 De l’Âme, ch. XXVIII]. Mais que
l’opération diffère du mouvement, on le voit aussi à partir de ce qu’il dit
ailleurs [X Éthique, ch. IV]. et c’est ainsi que Denys [Les
Noms Divins, ch. IV] prend le mouvement, à savoir pour l’opération quant
à la première modalité qui d’après lui se divise en trois parties. |
Sed duo alii modi
motus ponunt aliquam imperfectionem in Angelo, quae tamen non repugnat
beatitudini. Imperfectio autem potest
attendi si comparetur ad Deum, qui uno et eodem, scilicet essentia sua, simul
omnia videt et simul ubique est ; in quo Angelus deficit a perfectione ejus ;
et ideo de loco in locum transit quantum ad tertium modum motus ejus, et de
intellectu ad intellectum quantum ad secundum. |
Mais les deux autres
modalités du mouvement posent une imperfection dans l’Ange, laquelle
cependant ne répugne pas à la béatitude. Mais l’imperfection peut ici se
vérifier si l’Ange est comparé à Dieu qui d’une seule et même manière, à
savoir par son essence, voit tout et est simultanément partout, en quoi
l’Ange est loin de sa perfection ; et c’est pourq[uoi il passe d’un lieu
à un autre quant à la troisième modalité de son mouvement et d’une conception
à une autre quant à la deuxième. |
[2707] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod primus modus motus Angeli non reducitur in aliquam
speciem motus ; est enim metaphorice dictus, quia non est transitus de uno in
aliud, cum Angelus semper in receptione divini luminis permaneat ; sed
secundus modus habet aliquam similitudinem cum motu alterationis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la première sorte de mouvement chez l’Ange ne se ramène pas à une espèce
de mouvement ; elle se dit en effet par métaphore car elle n’est pas un
passage d’un point à un autre puisque l’Ange demeure toujours dans la
réception de la lumière divine ; mais la deuxième sorte a une certaine
ressemblance avec le mouvement d’altération. |
Et quia [quod Éd. de Parme] objicitur, quod
alteratio est secundum sensibiles qualitates ; dicendum, quod verum est quando
passio, quae in intellectu alterationis includitur, proprie sumitur prout
dicit transmutationem materiae [materialem Éd. de Parme] abjicientem a
substantia ; sed secundum quod passio large sumitur pro qualibet receptione,
prout etiam intelligere pati quoddam est, ut in III De animadicitur,
sic etiam alteratio est in intellectualibus operationibus, secundum quod
dicitur in III Deanima quod exire de otio in actum est novum
genus alterationis. Sed tertius modus habet similitudinem cum motu locali. |
Et parce que [ce qui Éd. de
Parme] ce qui est objecté, à savoir que l’altération a lieu d’après des
qualités sensibles, il faut dire que cela est vrai quand la passion, qui est
comprise dans la définition de l’altération, est prise proprement en tant
qu’elle signifie une transmutation de la matière [matérielle Éd. de
Parme] rejetée de la substance ; mais selon que la passion se prend
au sens large pour toute réception, au sens où même l’intellection est une
certaine passion, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme], en
ce sens aussi l’altération est dans les opérations intellectuelles selon
qu’on dit au troisième livre du traité De l’Âme que passer
de l’oisiveté à l’acte est un nouveau genre d’altération. Mais la troisième
sorte a une ressemblance avec le mouvement local. |
Nec oportet quod sit propter indigentiam suam, sed
propter indigentiam nostram ; non dico sicut propter finem ultimum, sicut
etiam est de motu caeli, cujus finis ultimus non est generatio inferiorum
corporum secundum philosophos [philosophum Éd. de Parme], cum
nihil sit propter vilius se ; sed ultimum intentum est assimilatio ad Deum,
cujus similitudinem consequitur in hoc quod suo modo causa inferiorum
efficitur ; sicut etiam ultimus Angeli finis circa nos operantis est ut
divinam similitudinem consequatur, Deo cooperando in reductione inferiorum in
Deum, ut Dionysius dicit, cap. III Cael. Hier., col. 163. |
Et il n’est pas nécessaire que ce
mouvement soit dû à son indigence mais à la nôtre ; et je ne dis pas
cela comme à cause de la fin ultime comme il en est pour le mouvement du Ciel
dont la fin ultime n’est pas la génération des corps inférieurs selon les
philosophes [le philosophe Éd. de Parme], car rien n’existe en
vue de ce qui est inférieur à soi ; mais l’intention dernière est
l’assimilation à Dieu dont il poursuit la similitude en cela qu’à sa manière
la cause des êtres inférieurs est produite, tout comme aussi la fin ultime de
l’Ange qui opère sur nous est que, en coopérant avec Dieu pour ramener les
êtres inférieurs à Dieu comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste,
ch. 111, col. 163], la similitude ou la ressemblance à Dieu soit atteinte. |
[2708] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illa ratio concluderet, si motus Angeli poneretur
continuus sicut motus corporis ; quia oporteret quamlibet partem motus esse
motum, et ita oporteret quod hoc quod est in aliquo ubi signato [aliquo
signo Éd. de Parme], non esset pars motus, sed pars motus esset
in dimittendo unum locum et intercipiendo alium conjunctum continue ; unde
oporteret quod partim esset in uno et partim in alio, et sic moveretur. Sed
quia motus Angeli localis non est positus esse continuus, ideo non oportet
quod pars illius motus sit motus ; et ideo nec in A movetur, nec in B
movetur, licet A et B sint partes ejus ; sed successio horum quod est esse in
A et esse in B, motus ejus vocatur ; sicut plane patet, si attendatur motus
ejus vel secundum intellectum vel secundum affectum ; quia ipsa successio
affectionum motus ejus dicitur. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que cet argument serait concluant si on posait que le mouvement de l’Ange est
continu comme l’est le mouvement corporel, car il faudrait alors que toute
partie du mouvement soit un mouvement, et ainsi il faudrait que ce qui est
dans quelque lieu désigné [dans quelque lieu bien marqué Éd. de Parme],
ne serait pas une partie du mouvement, mais la partie du mouvement
consisterait à délaisser un lieu et à en prendre un autre qui lui serait uni
de façon continue ; d’où il faudrait qu’il soit en partie dans un lieu
et en partie dans un autre et c’est ainsi qu’il serait en mouvement. Mais
parce que le mouvement local de l’Ange n’est pas posé comme étant continu,
c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’une partie de ce mouvement soit un
mouvement ; et c’est pourquoi il ne se meut ni en A ni en B, bien que A
et B soient des parties de son mouvement ; mais la succesion qui
consiste à être en A puis en B, c’est cela qui s’appelle pour lui mouvement
tout comme on le voit clairement si son mouvement se vérifie soit selon
l’intelligence soit selon l’affectivité car la succession même de ses
affections, c’est cela qu’on appelle son mouvement. |
[2709] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod praedicto modo movetur Angelus per se secundum locum,
secundum quod etiam per se in loco [per se est in loco Éd. de Parme]
operando. Sed si accipiatur motus in loco per modum corporalis motus, sic non
movetur in loco nisi per accidens ad motum corporis assumpti. Nec tamen
oportet quod Deus per accidens in loco moveatur ; quia nihil movetur per
accidens moto eo in quo est, nisi definitive sit in eo, ita quod non in alio
; sicut anima movetur per accidens moto toto corpore, et non mota manu
tantum. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que c’est de la manière dont nous venons de parler que
l’Ange se meut par soi selon le lieu selon qu’il opère aussi par soi dans le
lieu [qu’il est par soi dans le lieu Éd. De Parme]. Mais si on prend le
mouvement dans le lieu à la manière du mouvement local, alors l’Ange ne se
meut dans le lieu que par accident par rapport au movement du corps qu’il
prend. Et cependant il n’est pas necessaire que Dieu se meuve dans le lieu
par accident, car rien ne se meut par accident dans le corps en mouvement
dans lequel il est, à moins qu’il y soit d’une manière délimitée de telle
manière qu’il ne soit pas dans un autre, tout comme l’âme se meut par
accident lorsque tout le corps se meut et non seulement la main. |
[2710] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 5 Et per
hoc etiam patet solutio ad quintum ; quia motus localis, secundum quod est
corporum, non convenit Angelo nisi metaphorice ; sed aequivoce loquendo de
motu, convenit ei proprie, ut dictum est. |
5. Et par là on voit aussi la
solution à la cinquième difficulté car le mouvement local, selon qu’il
appartient aux corps, ne convient à l’Ange que par métaphore ; mais si
on parle du mouvement de manière équivoque dans le sens où nous l’avons fait,
alors le mouvement local lui convient proprement. |
|
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Articulus 2 [2711] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2
tit. Utrum Angelus in suo motu de necessitate transeat medium |
Article 2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il nécessairement un espace intermédiaire ? |
[2712] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
Angelus de necessitate transeat medium in suo motu. Quia, sicut dicitur in V
Physic., text. 22, medium est in quod prius venit quod mutatur quam in quod
mutatur ultimum. Si ergo Angelus movetur de A in C, et B sit medium, oportet
quod prius veniat in B quam in C, et ita oportet quod medium transeat. |
Difficultés: 1. Il semble que
l’Ange traverse nécessaiement un espace intermédiaire dans son movement. Car,
comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 22]: L’espace
intermédiaire est l’espace que traverse ce qui se meut, avant d’arriver au
terme. Si donc l’Ange se meut de A à C, et que B est l’espace
intermédiaire, il faut d’abord qu’il passe par B avant d’en arriver à C et en
ce sens il faut qu’il passe par une espace intermédiaire. |
[2713] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, moveatur Angelus de A in C, et B sit
medium ; cum est in C, mutatum est. Sed ante omne mutatum praecedit moveri,
ut in VI Physic., text. 61,
probatur. Ergo prius movebatur quam veniret in C. Sed in A non movebatur,
quia erat locus indivisibilis Angeli ; et in indivisibili non est
motus. Ergo oportet quod moveatur in B, et ita oportet quod transeat medium. |
2. Par ailleurs, supposons que l’Ange se
meuve de A à C et que B soit l’espace intermédiaire ; lorsqu’il est
rendu à C, son mouvement est terminé. Mais le mouvement précède tout
mouvement terminé, ainsi qu’il est prouvé [ VI Physique, texte
61]. Il était donc en mouvement avant d’arriver à C. Mais il n’était pas en
mouvement en A car c’était là le lieu indivisible de l’Ange et le mouvement
n’a pas lieu dans l’indivisible. Il faut donc qu’il se meuve en B et il faut
donc qu’il traverse un espace intermédiaire. |
[2714] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 3
Praeterea, Angelus cum est in A, non est in C. Oportet ergo, si postmodum sit
in C, quod vel essentia sua de novo creetur ibi et hic corrumpatur, vel quod
per medium transeat. Sed primum est impossibile. Ergo oportet quod per
medium transeat. |
3. Par
ailleurs, lorsque l’Ange est en A il n’est pas en C. Il faut donc, pour qu’il
soit par la suite en C, soit que son essence y soit créée à nouveau et
qu’elle soit corrompue en A, soit qu’il traverse un espace intermédiaire.
Mais la première hypothèse est une impossibilité. Il faut donc qu’il traverse
un espace intermédiaire. |
[2715] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 4Si dicas, quod cum Angelus sit naturae
intellectivae, potest transire de uno in aliud sine hoc quod pertranseat
medium, sicut et cogitatio ; contra. Successio cogitationum est per species, quae aequaliter
sunt ipsi intellectui praesentes et propinquae, et non magis species loci
medii quam extremi. Sed Angelus in uno loco existens non habet omnia loca
praesentia ; sed propinquior est sibi unus locus quam alius. Ergo videtur
quod oporteat quod prius veniat ad medium quam ad extremum. |
4. Si tu dis que puisque l’Ange est
une nature intellectuelle, il peut passer d’un lieu à un autre sans traverser
un espace intermédiaire, tout comme le fait la pensée, je réponds par contre
que la succession des pensées se fait au moyen d’espèces qui sont également
présentes et prochaines à l’intelligence elle-même, et celles d’un lieu
intermédiaire ne sont pas plus présentes que celles d’un lieu éloigné. Mais
tous les lieux ne sont pas également présents à l’Ange qui existe dans un
lieu, mais il est plus proche d’un lieu que d’un autre. Il semble donc qu’il
faille qu’il en vienne d’abord à un lieu intermédiaire avant de parvenir à un
lieu extrême. |
[2716] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 5 Sed contra, ut VI Physic.,
text. 13 dicitur, et per se patet,
omne quod movetur, prius pertransit locum aequalem quam majorem. Sed Angelo
indivisibili non est locus aequalis nisi indivisibilis et punctalis. Ergo si
movetur, oportet quod transeat punctum antequam lineam. Sed inter quaelibet
duo puncta sunt infinita puncta ; infinita autem non contingit transire. Ergo
si oportet Angelum motum media pertransire, nunquam veniet de principio unius
lineae, quantumcumque parvae, in finem ejus. |
Cependant : 5. Mais le Philosophe [ VI Physique,
texte 13] dit au contraire, et cela est évident de soi, que tout ce qui se
meut traverse d’abord un lieu qui est égal à soi-même avant d’en traverser un
plus grand. Mais il n’y a pas de lieu égal à l’Ange qui est indivisible, si
ce n’est un lieu indivisible qui serait de la nature du point. Si donc l’Ange
se meut, il faut qu’il traverse le point avant de traverser la ligne. Mais
entre deux points, quels qu’ils soient, il y a une infinité de points. Mais
il n’est pas possible de traverser l’infini. Si donc il faut que le mouvement
de l’Ange traverse des espaces intermédiaires, jamais il ne parviendra, en
partant du début d’une seule et même ligne, au terme de cette ligne, si
petite qu’elle soit. |
[2717] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 6 Praeterea,
eadem ratio est de uno medio et de omnibus. Sed omnia non potest pertransire,
quia sunt infinita, ut probatum est, art. 1, quaest. 2 hujus dist. Ergo nec
aliqua ; et ita videtur quod semper veniat de loco in locum, non
pertranseundo medium. |
6. Par ailleurs, la même raison
vaut pour un seul espace intermédiaire et pour tous. Mais l’Ange ne peut
traverser tous les espaces intermédiaires parce qu’ils sont infinis, ainsi
que nous l’avons prouvé [dist. 37, quest. 2, art. 1]. Il ne peut donc en traverser
aucun ; et il semble ainsi il passe toujours d’un lieu à un autre sans
traverser un espace intermédiaire. |
[2718] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae
opiniones. Quidam enim dicunt, quod Angelus transit de loco in locum non
pertranseundo medium ; alii dicunt, quod pertransit medium in suo motu ; et
utrique, ut credo, verum dicunt secundum aliquid. Dico enim,
quod Angelus potest transire de loco in locum ita quod transeat omnia media ;
et potest esse quod transeat de loco ad locum sine hoc quod sit in aliquo
mediorum ; et potest esse quod sit in aliquibus, et aliquibus non ; cujus
ratio ex praedictis, hac dist., quaest. 3, art. 2, sumitur. Dico enim, quod
essentia Angeli secundum se absoluta est ab omni loco, et non definitur ad
locum nisi per operationem ; non autem per operationem secundum quod exit ab
essentia, sed secundum quod terminatur ad operatum in loco. Unde quando
operatur circa hunc locum, ab essentia sua (cum non sit ex se determinata vel
obligata ad locum illum, sed indifferenter se habens ad omnia, inquantum in
se est), potest egredi operatio statim ad locum proximum vel remotum ; nec
operatio ad distans dependet ab operatione ad propinquum. Unde secundum quod
habet aliquid operari vel in omnibus mediis locis vel in aliquibus vel in
nullo, secundum hoc potest pertransire omnia media vel quaedam vel nullum. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’à ce sujet deux opinions se présentent. En effet, certains
disent que l’Ange passe d’un lieu à un autre sans traverser un espace
intermédiaire; d’autres disent qu’il traverse un espace intermédiaire dans
son mouvement et les deux, comme je le crois, disent vrai sous un certain
rapport. Je dis en effet
que l’Ange peut passer d’un lieu à un autre de manière à traverser tous les
espaces intermédiaires; et il lui est possible de passer d’un lieu à un autre
sans traverser aucun intermédiaire et il lui est même possible d’en traverser
certains mais pas d’autres; et la raison de cela se tire de ce que nous
venons tout juste de dire [dist. 37, quest. 3, art. 2]. Je dis en effet
que l’essence de l’Ange est en elle-même libre de tout lieu et ne se définit
par rapport au lieu que par son operation; non pas cependant de l’opération
selon qu’elle sort de son essence, mais selon qu’elle se termine son effet
qui est dans le lieu. D’où il suit que lorsqu’il opère sur ce lieu,
l’opération peut immédiatement sortir de son essence (puisqu’il n’est pas de
lui-même déterminé ou forcé à ce lieu, mais il se présente de lui-même
indifféremment à tous les lieux) à un lieu prochain ou éloigné; et son
opération à l’égard de ce qui est éloigné ne dépend pas de l’opération qu’il
pose sur ce qui est rapproché. D’où il résulte que c’est d’après les
opérations qu’il a à poser soit dans tous les intermédiaires, soit dans
certains, soit dans aucun, c’est d’après cela qu’il pourra traverser tous les
intermédiaires, seulement certains ou aucun. |
[2719] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio nulla est,
si addatur quod philosophusmet addit. Dicit
enim, quod medium est in quod primo venit continue mutatum. Angeli autem
motus non est continuus, ut dictum est, art. 1, hujus quaest. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
l’objection est nulle si on ajoute ce que le Philosophe lui-même ajoute. Il
dit en effet que l’espace intermédiaire est ce que traverse en premier ce qui
se meut de façon continue. Mais le mouvement de l’Ange n’est pas continu,
ainsi que nous l’avons dit dans l’article 1 de cette question. |
[2720] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ante quodlibet mutatum, est moveri ; sed tamen
diversimode est in motu Angeli et in motu corporis. Quia in motu corporis
mutatum esse non est pars moveri, sed terminus ejus ; unde totum moveri
praecedit mutatum esse ; et ideo oportet praesupponere ante id in quod
dicitur mutatum esse, aliquid in quo moveatur. Sed in motu Angeli qui non est
continuus, mutatum esse est una pars motus, ultima scilicet ; et prima pars
est unde incipit moveri ; et neutra pars est motus, sed successio
utriusque. Unde moveri praecedit mutatum esse, sicut totum in discretis partem. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’antérieurement à tout mouvement achevé, il y a
movement; mais il en va différemment pour le mouvement de l’Ange et pour
celui d’un corps. Car pour ce qui est du movement d’un corps, le mouvement
achevé ne fait pas partie du mouvement comme tel mais il en est le terme;
d’où il suit que la totalité du mouvement est antérieure au mouvement achevé;
et c’est pourquoi il est necessaire de présupposer, avant ce qu’on appelle le
movement achevé, un espace dans lequel il y a movement. Mais dans le
mouvement de l’Ange qui n’est pas continu, le mouvement achevé est une partie
du mouvement, à savoir la dernière; et dans ce cas la première partie du
mouvement est le point de départ du mouvement; et aucune de ces parties n’est
un mouvement, mais c’est la succession des deux qui en est un. D’où il suit
que le mouvement précède le mouvement achevé comme le tout précède la partie
dans les quantités discrètes. |
[2721] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet
in illis quae per essentiam suam sunt determinata ad ubi: quod non contingit
in Angelo: unde motus ejus est secundum operationes tantum, quae sunt hic et
ibi successive. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cet argument vaudrait pour les êtres qui sont
déterminés par le lieu: ce qui n’est pas possible pour les Anges dont le
mouvement découle seulement de ses opérations qui ont lieu ici et là d’une
manière successive. |
[2722] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod dictum illud non est usquequaque sufficiens ; quia per
hoc quod Angelus intelligit hoc et illud, non dicitur esse hic et ibi ; quia
existens in uno loco, potest intelligere id quod est in alio loco. Sed accedit ad
veritatem, inquantum successio operationum sequitur successionem quae est in
intellectu. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ce qu’on dit dans cet argument n’est pas à ce
point suffisant; car du fait que l’Ange conçoit ceci et cela, il ne s’ensuit
pas qu’on doive dire qu’il est ici et là car étant dans un lieu, il peut
concevoir ce qui est dans un autre lieu. Mais il parvient à la vérité pour
autant que la succession des opérations suit la succession qui est dans
l’intelligence. |
[2723] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Angelus potest pertransire per omnia media ; non tamen
oportet quod numeret infinita puncta existentia in linea: quia locus in quo
est Angelus, non semper est indivisibilis, sed quandoque divisibilis, ut
dictum est, in corp. art.: et cum nullum spatium finitum dividatur in
infinita divisibilia actu accepta, constat quod omnia media pertransire
potest. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que l’Ange peut traverser plusieurs espaces intermédiaires sans qu’il faille
cependant compter une infinité de points existant sur la ligne car le lieu
dans lequel se trouve l’Ange n’est pas toujours indivisible, mais il est
parfois divisible comme nous l’avons dit dans le corps de l’article : et
comme aucun espace fini ne se divise en une infinité d’espaces divisibles
pris en acte, il est clair que l’Ange peut traverser tous les espaces
intermédiaires. |
[2724] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod non est eadem ratio de omnibus mediis ; quia media
possunt accipi divisibilia, et haec finita sunt ; vel indivisibilia quae
infinita sunt, et pertransiri, si actu numerentur, non possunt. Et praeterea
in uno mediorum locorum habet aliquid operari, et non in alio. Unde sequitur
quod per aliquod medium transeat, et non per aliud. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
le même raisonnement ne vaut pas pour tous les espaces intermédiaires ;
car ces derniers peuvent être pris comme étant divisibles et alors ils sont
finis ; ou bien ils sont pris comme étant indivisibles et alors ils sont
infinis et ne peuvent être traversés si on les compte en acte. Et par
ailleurs, c’est dans un seul des lieux intermédiaires que l’Ange doit poser
une opération et non dans un autre. D’où il suit qu’il peut traverser un
espace intermédiaire et non un autre. |
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Articulus 3 [2725] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3
tit. Utrum Angelus moveatur in instanti |
Article 3 – L’ange se meut-il dans l’instant ? |
[2726] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angelus
moveatur in instanti. Mutatio enim Angeli secundum locum, est simplicior
qualibet mutatione corporali. Sed aliquae mutationes corporales sunt in
instanti, ut in VI Physic., text. com. 68, Commentator dicit,
sicut illuminatio, generatio, corruptio, et hujusmodi. Multo ergo fortius mutatio Angeli. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Ange se meuve dans
l’instant. En effet, le changement de lieu chez l’Ange est plus simple que
tout changement corporel. Mais certains changements corporels ont lieu dans
l’instant, ainsi que le Commentateur [ VI Physique, texte com. 68] le dit, à
savoir par exemple l’illumination, la génération, la corruption et les
changements de cette sorte. Donc, à plus forte raison, le changement chez
l’Ange a lieu dans l’instant. |
[2727] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, mutetur Angelus de A in B, sicut in
quod primo mutatum est (dicitur autem in [in om. Éd. de Parme]
illud primum mutatum esse quod est locus contiguus [continuus Éd. de
Parme] loco in quo prius erat) ; et si mutatur in tempore, sit tempus in
quo mutatur C. Si ergo istud tempus mensurat illum motum, oportet quod in
ultimo nunc temporis sit in termino motus secundum quod est in B. |
2. Par ailleurs, l’Ange se meut de
A à B comme à ce dans quoi il est mû en premier (mais on dit que ce en
[en om. Éd. de Parme] quoi il est mû en premier est ce lieu qui
est contigu [continu Éd. de Parme] au lieu dans lequel il était
antérieurement ; et s’il se meut dans le temps, C est le temps dans
lequel il se meut. Si donc ce temps mesure ce mouvement, il faut que dans le
dernier instant du temps il soit dans le terme du mouvement en tant qu’il est
en B. |
Relinquitur ergo quod in toto tempore praecedente
ultimum nunc aut est tantum in A, aut est partim in A et partim in B. Sed non
partim in utroque, quia indivisibilis est. Ergo in tempore illo erit totus in
A. Sed cum omne tempus sit divisibile, in quolibet tempore est accipere prius
et posterius. |
Il reste donc que dans la totalité
du temps qui précède le dernier instant, ou bien il est seulement en A, ou
bien il est en partie en A et en partie en B. Mais il n’est pas en partie
dans les deux car il est indivisible. Donc dans ce temps il sera tout entier
en A. Mais comme tout temps est divisible, il faut admettre un avant et un
après dans tout temps. |
Ergo in priori et posteriori parte illius temporis
Angelus erit in A: ergo quiescit in A: quia potest de eo dici, quod in A est
nunc et prius ; quod est quiescere. Motus ergo Angeli pars erit quies ejus ;
quod est inconveniens. Et, quod plus est, sequitur quod tempus illud in quo
positus est in moveri non mensurat motum ejus, sed quietem. Ergo videtur quod
nullo modo in tempore moveatur. |
Donc dans la partie antérieure et
postérieure de ce temps l’Ange sera en A : donc il se repose en A car on
peut dire de lui qu’il est en A maintenant et avant, et c’est là se reposer.
Donc, une partie du mouvement de l’Ange sera son repos, ce qui est absurde.
Et, qui plus est, il s’ensuit que ce temps dans lequel il est placé dans le
mouvement ne mesure pas son mouvement mais son repos. Il semble donc que
l’Ange ne se meut aucunement dans le temps. |
2728] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 3
Praeterea, si movetur in tempore, moveatur, ut dictum est, art. praec., de A
in B, in tempore C. Ponatur ergo quod per idem spatium moveatur quoddam
corpus, scilicet F, quod movebitur in majori tempore, scilicet D: quia
Angelus est majoris virtutis quam corpus, et secundum quod additur ad
virtutem moventis sic oportet quod diminuatur de tempore motus: quia major
virtus in minori tempore movet, ut in VI Physic., text. 13,
dicitur. Sed cum omne tempus finitum proportionem habeat ad quodlibet tempus finitum,
accipiatur proportio duorum temporum, scilicet temporis C, in quo movetur
Angelus, et temporis D, in quo movetur corpus, sicut proportio tripli ad
subtriplum ; quia non differt, quaecumque sit. Accipiatur etiam aliud corpus
quod excedat ipsum, scilicet secundum virtutem in tripla proportione, et sit
G. Inde sic. Secundum excessum
virtutis moventis est diminutio in tempore motus. Sed G excedit D in tripla
proportione. |
3. Par ailleurs, s’il se meut dans
le temps, supposons, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, qu’il
se meuve de A à B dans le temps C. On pose donc qu’à travers le même espace,
à savoir F, un corps se meut qui sera mû dans un temps plus grand, à savoir
D : car la puissance de l’Ange est plus grande que celle du corps, et
suivant ce qu’on ajoute à la puissance du moteur, le temps du mouvement
diminue proportionnellement parce qu’une puissance plus grande se meut
dans un temps plus petit comme le dit le Philosophe [ VI Physique,
texte 13]. Mais parce que tout temps fini est proportionné à n’importe quel
temps fini, on admet une proportion entre deux temps, à savoir entre le temps
c, dans lequel se meut l’Ange, et le temps D, dans lequel se meut le corps,
tout comme la proportion du triple au sous-triple, car cela ne change rien,
quelle qu’elle soit. On pose aussi un autre corps qui le dépasse dans la
puissance dans la proportion du triple, soit G. D’où il s’ensuit ceci. C’est
d’après l’excès ou le dépassement de la puissance motrice qu’il y a
diminution dans le temps du mouvement. Mais G dépasse D dans la proportion du
triple. |
Ergo et tempus in
quo movetur G per idem spatium, erit minus quam D in tripla proportione. Sed
hoc est tempus C, in quo movebatur Angelus. Ergo in eodem tempore et aequali
movebitur virtus corporalis et virtus Angeli, etiam si ponatur Angelus moveri
velociter quantumcumque potest. Et
similis ratio potest accipi ex parte mobilium, secundum quorum etiam
proportionem diminuitur et augetur tempus motus, ut habetur ex IV Physic.,
text. 11. Ergo cum hoc sit impossibile, videtur quod Angelus in tempore non
moveatur. |
Donc le temps dans lequel se meut G
à travers le même espace sera plus petit dans la proportion du triple que le
temps du mouvement de D dans le même espace. Mais cela est le temps C dans
lequel l’Ange était en mouvement. Donc, la puissance corporelle et la
puissance de l’Ange seront en mouvement dans un temps identique et égal, même
si on pose que l’Ange se meut le plus rapidement qu’il le peut. Et le même
raisonnement peut être admis du côté des mobiles dont le temps du mouvement
diminue ou augmente aussi d’après leur proportion ainsi que l’établit le
Philosophe [IV Physique, texte 11]. Donc, puisque cela est une
impossibilité, il semble que l’Ange ne se meut pas dans le temps. |
[2729] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 4
Praeterea, omne tempus est divisibile. Si igitur moveatur Angelus de A in B
in aliquo tempore, in medio illius temporis alicubi erit. Sed non est in A,
quia ibi erat in principio temporis ; nec in B, quia ibi erat in fine temporis
; et dum movetur ; in duobus instantibus non est in eodem ubi, ut probatur in
VI Physic, text. 32. Unde cum in uno instanti sit in A vel in B, in alio
instanti non potest esse in eodem. Ergo in instanti quod est medium temporis,
erit in medio spatii. Sed non necessario transit medium, ut supra dictum
est, art. praeced. Ergo motus ejus
non est semper [semper om. Éd. de Parme] in tempore. |
4. Par ailleurs, tout temps est
divisible. Si donc l’Ange se meut dans le temps de A à B, il sera quelque
part au milieu de ce temps. Mais il n’est pas en A car il était là au début
du temps ; et il n’est pas non plus en B car c’était là le terme du
temps ; et tant et aussi longtemps qu’il se meut, il n’est pas dans le
même lieu lors de deux instants différents, comme le prouve le Philosophe [
VI Physique, texte 32]. Donc, puisque dans un même instant il
soit en A soit en B, dans un autre instant il ne peut être dans le même lieu.
Donc dans l’instant qui est dans le milieu du temps, il sera dans le milieu
de l’espace. Mais il ne traverse pas nécessairement l’espace intermédiaire,
comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent. Donc son mouvement
n’est pas toujours [toujours om. Éd. de Parme] dans le temps. |
[2730] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 5 Sed
contra, omnis motus et mutatio habet prius et posterius: quia habet duos
terminos, quorum unus consequitur aliud. Sed numerus prioris et posterioris
in motu est tempus, ut habetur in IV Physic., text. 11. Ergo
omnis motus mensuratur tempore: ergo et motus Angeli. |
Cependant : 5. Tout mouvement et tout changement
implique un avant et un après car il possède deux termes dont l’un suit
l’autre. Mais le temps est le nombre de l’avant et de l’après dans le
mouvement ainsi que le dit le Philosophe [IV Physique, texte 11].
Donc tout mouvement se mesure par le temps : il en est donc de même pour
le mouvement de l’Ange. |
[2731] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 6
Praeterea, moveatur Angelus de A in B. Aut in eodem instanti est in A et in
B, aut in diversis. Si in eodem, tunc erit simul in duobus locis, quod est
improbatum ; et praeterea tunc non moveretur ad B, quia nihil movetur ad id
in quo est. Si autem in diversis, ergo est designare duo instantia, in quorum
uno est in A, et sit C: et in altero in B, et sit illud D. Inde sic. Motus
Angeli est inter D et C. Sed inter quaelibet duo instantia est tempus medium,
ut probatur in IVPhysic. Text. 26, 53 et 55, Ergo motus Angeli
erit in tempore. |
6. Par ailleurs, supposons que
l’Ange se meut de A à B. Ou bien il est en A et B dans le même instant, ou
bien il y est dans des instants différents. S’il y est dans le même instant,
il sera simultanément dans deux lieux différents, ce qui est incorrect ;
et par ailleurs alors il ne serait pas en mouvement vers B car nul ne se meut
là où il est déjà. Mais s’il est dans les deux lieux dans des instants
différents, alors il faut désigner deux instants, par l’un desquels il est en
A, soit C ; et par l’autre il est en B, soit D. D’où il suit ceci :
le mouvement de l’Ange est entre les instants D et C. Mais toujours entre
deux instants il y a un temps intermédiaire comme le prouve le Philosophe
[IV Physique, texte 26, 53 et 55]. Donc le mouvement de l’Ange
sera dans le temps. |
[2732] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 7 Si
dicas, quod illa duo nunc succedunt numero [numero om. Éd.
de Parme] sibi sine aliquo medio, sicut dictum est de
operationibus. Contra, moveatur Angelus de A in B, ita quod in
hoc instanti quod est C, sit in A, et in hoc instanti quod est D, sit in B.
Item ponatur quod aliquod corpus sit G, et moveatur similiter de A in B, et
incipiat simul moveri cum Angelo, scilicet in C. Inde sic. Angelus citius
pervenit ad B, quam corpus G. Ergo in instanti D corpus nondum pervenit ad G
; sed erit citra B. Et sit ille locus R. Inde sic. G movetur de A in R, et in
tempore CD. Sed spatium AR est divisibile. Dividatur ergo in puncto H. Inde
sic. Corpus illud, scilicet G, in instanti C est in A et in instanti D est in
R. Ergo H erit in aliquo alio instanti medio inter illa duo, et sit illud N.
In N ergo Angelus vel erit in A vel in B, vel in medio. Sed non in A, quia
sic in duobus instantibus esset in eodem ubi ; et eadem ratione non est in B.
Ergo oportet quod in instanti N sit in medio: et sic semper procedendo,
invenitur inter quaelibet duo instantia instans et tempus. Ergo oportet quod
motus Angeli sit in tempore continuo. |
7. Si tu dis que ces deux instants
se succèdent numériquement [numériquement om. Éd. de Parme] l’un
à l’autre sans aucun instant intermédiaire ainsi que nous l’avons dit au
sujet des opérations, je réponds par contre que l’Ange se meut de A à B de
telle manière que dans cet instant qui est C il est en A et que dans cet
instant qui est D il est en B. En outre on pose qu’il y a un corps, à savoir
G, et qu’il se meut semblablement de A à B, et qu’il commence à se mouvoir
simultanément avec l’Ange, c’est-à-dire en C. D’où il suit ceci. L’Ange
parvient à B plus rapidement que le corps G. Donc en cet instant D le corps G
n’est pas encore parvenu à B mais il sera en avant de B, soit dans ce lieu R.
D’où ce qui suit. G se meut de A à R et dans le temps CD. Mais l’espace AR
est divisible. On le divise donc au point H. D’où il suit ceci. Ce corps, à
savoir G, dans l’instant C est en A et dans l’instant D il est en R. Donc, le
point H sera dans un autre instant, soit N, intermédiaire celui-là entre les
instants CD. Donc dans l’instant N l’Ange sera soit en A, soit en B, soit en
un lieu intermédiaire. Mais il n’est pas en A car alors en deux instants dans
le même lieu ; et pour la même raison il n’est pas en B. Il faut donc
qu’à l’instant N il soit dans un lieu intermédiaire : et en procédant
toujours de cette manière, on retrouve entre deux instants, quels qu’ils
soient, l’instant et le temps. Il faut donc que le mouvement de l’Ange se
réalise dans un temps continu. |
[2733] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 8 Si
dicatur, quod in motu Angeli non est assignare ultimum instans in quo sit in
A, quia in A est in toto tempore, et in B est in termino temporis. Inter
tempus autem et terminum temporis non est assignare medium, sicut etiam dicit
Philosophus, in VIII Physic., text. 11, in mutationibus
naturalibus, ut quando aliquis movetur de albedine in nigredinem, est
designare duo tempora, in quorum primo est album, et in secundo est nigrum,
et instans quod contingit duo tempora, tenet se cum sequenti tempore ; unde
in eo est nigrum ; unde non fuit invenire ultimum nunc, in quo esset album,
sed ultimum tempus in cujus termino erit non album. |
8. Supposons qu’on dise que dans le
mouvement de l’Ange il n’y a pas à désigner un instant ultime dans lequel il
est en A, car en A il est dans tout un temps et en B il est au terme du
temps. Mais entre le temps et le terme du temps il n’y a pas à désigner un
temps intermédiaire, puisque le Philosophe [ VIII Physique, texte
11] dit encore que dans les changements naturels, comme lorsqu’un corps se
meut de la blancheur à la noirceur, il faut désigner deux temps, dont le
premier est le blanc et le second est le noir, et l’instant qui rencontre deux
temps se tient avec le temps suivant ; d’où il y a en lui le noir ;
d’où il n’y avait pas à trouver un dernier instant dans lequel il serait
blanc mais un dernier temps dans le terme duquel il sera non-blanc. |
Si inquam sic dicatur, contra, omnis motus qui non est
semper, medius est inter duas quietes, quarum una est in termino a quo est
motus, altera in termino ad quem est motus. Sed sicut instans ad quod
terminatur motus tenet se cum quiete sequente ; ita instans A quo incipit
motus, tenet se cum quiete praecedente, ut patet quando aliquid movetur de
albedine in nigredinem ; quia sicut in fine temporis quod mensurat motum est
nigrum, ita in principio temporis est album. Ergo ex hoc patet quod omnis
quies trahit ad se et nunc praecedens, et nunc sequens. Inde sic arguo.
Angelus qui movetur de A in B, ut tu [tu om. Éd. de Parme] dicis,
in tempore CD, est in A. Ergo quiescit ibi: quia, ut probatur in VI Physic.,
quidquid est in tempore in aliquo uno ubi, quiescit ibi. Sed ubi est aliquid
quiescens in tempore, est et in termino temporis. Ergo in D, quod est nunc
ultimum temporis, erit Angelus adhuc in A, et non in B, ut ponebatur. |
Si, dira-t-on, qu’on dise par
contre que tout mouvement qui ne dure pas toujours est intermédiaire entre
deux repos, dont l’un est dans le terme d’où part le mouvement et
l’autre dans le terme d’arrivée du mouvement. Mais tout comme
l’instant auquel se termine le mouvement se tient avec le repos suivant, de
même l’instant A par lequel commence le mouvement se tient avec le repos qui
précède, ainsi qu’on le voit quand quelque chose se meut de la blancheur à la
noirceur ; car tout commeà la fin du temps qui mesure le mouvement il y
a le noir, de même au début du temps il y a le blanc. Il est donc clair à
partir de cela que tout repos tire à lui à la fois l’instant qui précède et
l’instant qui suit. Il suit de là que je forme l’argumentation suivante.
L’Ange qui se meut de A à B, comme tu [tu om. Éd. de Parme] dis,
dans le temps CD, est en A. Il s’y repose donc, car comme le Philosophe le
prouve au sixième livre de la Physique, tout ce qui est dans le
temps est dans un seul lieu et s’y repose. Mais là où il y a quelque chose
qui se repose dans le temps, il se trouve aussi à être dans le terme du
temps. Donc à l’instant D, qui est le dernier instant du temps, l’Ange sera
encore en A et non en B, ainsi qu’on le soutenait. |
[2734] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 9
Praeterea, omne tempus causatur a motu, ut patet ex IV Physic.,
text. 128 et sq., Sed Angelus in A non movetur, nec iterum habet ordinem ad
aliquem motum priorem, per cujus tempus sua quies mensuretur. Ergo nihil est
dictu, quod Angelus sit in A in tempore. |
9. Par ailleurs, tout temps est
causé par un mouvement, ainsi que le manifeste le Philosophe [IV Physique,
texte 128 et suivants]. Mais l’Ange, en A, ne se meut pas ; et en outre
il ne se rapporte pas à un mouvement antérieur dont le temps mesurerait son
repos. Il n’y a donc rien dans cette afffirmation qui soutient qu’en A l’Ange
est dans le temps. |
[2735] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod cum omnis mutatio habeat duos terminos qui non possunt esse
simul quia omnis mutatio est in incontingens, ut dicitur in 1 Physic.,
text. 44, oportet cuilibet motui vel mutationi adesse successionem ex hoc
quod non possunt duo termini esse simul ; et ita tempus, quod est numerus
prioris et posterioris, in quibus consistit tota successionis ratio. Sed hoc
diversimode in diversis contingit. Quandoque enim terminus motus est mediatus
principio motus, vel secundum medium quantitatis dimensivae, sicut est in
motu locali corporum et in motu augmenti et diminutionis, vel secundum medium
quantitatis virtualis cujus divisio attenditur secundum intensionem et
remissionem alicujus formae, sicut in alteratione qualitatum sensibilium: et
tunc tempus per se ipsum motum mensurat: quia ad terminum successive
pervenitur, eo quod divisibilis est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que puisque
tout changement a deux termes qui ne peuvent être simultanés car tout changement
a lieu entre deux points qui ne se touchent pas ainsi que le dit le
Philosophe [1 Physique, texte 44], il faut que tout mouvement comporte une
succession du fait que les deux termes ne peuvent être simultanés ; et
il en est de même pour le temps, qui est le nombre de l’avant et de l’après
en quoi consiste toute la définition de la succession. Mais cela se produit
différemment dans différents êtres. Parfois en effet le terme du
mouvement est médiat au principe du mouvement, ou bien selon le milieu de la
quantité de la dimension, tout comme dans le mouvement local des corps et
dans le mouvement de croissance et de décroissance, soit d’après le milieu de
la quantité virtuelle dont la division se vérifie d’après l’application ou le
relâchement d’une forme, comme dans l’altération des qualités
sensibles : et alors le temps mesure par soi le mouvement lui-même car
c’est dans la succession qu’il parvient au terme du fait qu’il est divisible. |
Quandoque vero terminus ad quem, non est mediatus
termino a quo, sicut est in illis mutationibus in quibus est mutatio de
privatione in formam, vel e converso, ut in generatione et corruptione, et
illuminatione, et in omnibus hujusmodi: et in istis etiam mutationibus
oportet annexum esse tempus, cum constet materiam non simul esse sub forma et
privatione, nec aerem esse simul sub luce et tenebris. |
Mais parfois le terme auquel se
termine le mouvement n’est pas médiat au terme d’où le mouvement procède
comme c’est le cas pour ces changements dans lesquels il y a un changement
d’une privation à une forme ou inversement comme dans la génération et la
corruption, dans l’illumination et dans tous les changements de cette
sorte : et il faut qu’un temps soit rattaché même à ces changements,
puisqu’il est clair que la matière n’est simultanément la même sous la forme
et la privation et que l’air n’est pas simultanément le même dans la lumière
et dans l’obscurité. |
Non autem ita quod exitus vel transitus de uno extremo
in aliud fiat in tempore ; sed alterum extremorum, scilicet primum quod in
mutatione abjicitur, est conjunctum cuidam motui vel alterationi (sicut in
generatione et corruptione), vel motui locali solis (sicut in illuminatione),
et in termino illius motus est etiam terminus mutationis. |
Non pas cependant de telle manière
que la sortie ou le passage d’un extrême à l’autre se fasse dans le temps,
mais l’un des extrêmes, à savoir le premier qui est rejeté dans le
changement, est rattaché à un mouvement ou à une altération (comme dans la
génération et la corruption), ou au mouvement local du soleil (comme dans
l’illumination), et c’est dans le terme de ce mouvement que se trouve aussi
le terme du changement. |
Et pro tanto mutatio illa dicitur esse subito, vel in
instanti, quia in ultimo instanti temporis, quod mensurabat motum
praecedentem, acquiritur illa forma vel privatio, cujus nihil prius inerat.
Et in illo instanti dicitur generatum esse, non autem proprie generari: quia
omne quod generatur, generabatur, ut in VI Physic. probatur. Unde
omnes tales mutationes instantaneae sunt termini cujusdam motus ; ut in
VI Physic., Commentator dicit. Motus autem Angeli non potest esse
terminus alterius motus. |
Et pourtant on dit de ce changement qu’il
est subit ou qu’il est dans l’instant car dans le dernier instant du temps
qui mesurait le mouvement précédent est acquise cette forme ou cette
privation qui n’y était en rien antérieurement. Et c’est dans cet instant
qu’on dit qu’il y a eu génération mais non cependant qu’il y a génération à
proprement parler car tout ce qui est engendré était engendré comme on le
prouve au sixième livre de la Physique. D’où il résulte que tous
ces changements instantanés sont les termes d’un mouvement comme le dit le
Commentateur [ VI Physique]. Mais le mouvement de l’Ange ne peut
être le terme d’un autre mouvement. |
Unde oportet quod sit in tempore, et non in instanti.
Sed dico, quod tempus istud est aliud a tempore quo mensuratur motus caeli et
aliorum corporalium: quod sic probatur. Nullus motus mensuratur per motum
caeli, nisi qui est ordinatus ad ipsum. Unde etiam probant philosophi, quod
si essent plures mundi, oporteret esse plures primos motus, et plura tempora. |
D’où il faut qu’il soit dans le
temps et non dans l’instant. Mais je dis que ce temps est autre que le temps
par lequel se mesure le mouvement du ciel et celui des autres corps, ce qui
se prouve de la manière qui suit. Tout mouvement qui est mesuré par le
mouvement du ciel est un mouvement qui y est ordonné. D’où les philosophes
prouvent aussi que s’il y avait plusieurs mondes, il faudrait qu’il y ait
plusieurs mouvements premiers, et par conséquent plusieurs temps. |
Unde cum motus Angeli nullum ordinem habeat ad motum
caeli, et praecipue si motus ejus dicatur processio operationum, ut dictum
est, art. 1 istius quaest., oportet quod non mensuretur tempore quod est
mensura primi mobilis, sed alio tempore, cujus temporis naturam ex natura
motus accipere oportet. In tempore enim est aliquid quasi formale, quod tenet
se ex parte quantitatis discretae, scilicet numerus prioris et posterioris ;
et aliquid materiale, per quod est continuum, quia continuitatem habet ex
motu in quo est sicut in subjecto et primo mensurato, scilicet motu caeli, ut
dicitur 4 Phys. Motus autem ille habet continuitatem ex magnitudine. |
D’où il suit que puisque le mouvement
de l’Ange ne se rapporte aucunement au mouvement du Ciel, et surtout si on
dit que son mouvement est une procession des opérations comme nous l’avons
déjà dit dans l’article 1 de cette question, il faut qu’il ne soit pas mesuré
par le temps qui est la mesure du premier mobile mais par un autre temps dont
il faut prendre la nature à partir de la nature du mouvement. Dans le temps
en effet il y a quelque chose qui est comme formel et qui se tient du côté de
la quantité discrète, à savoir le nombre de l’avant et de l’après ; et
il y a aussi quelque chose de matériel et par quoi il est continu, car le
temps tient sa continuité du mouvement dans lequel il est comme dans un sujet
et dans ce qui est mesuré en premier, à savoir le mouvement du Ciel, comme on
le dit au quatrième livre de la Physique. Mais ce mouvement tient
sa continuité de l’étendue. |
Unde cum motus Angeli non sit continuus (quia non est
secundum necessitatem conditiones habens magnitudinis per quam transit, sicut
est in illis quae sunt sic nata in loco esse ut eorum substantia sit
commensurata terminis loci, scilicet corporibus), sed per successionem
operationum, in quibus nulla est ratio continuitatis ; ideo tempus illud non
est continuum, sed est compositum ex nunc succedentibus sibi ut numerus
ipsarum operationum succedentium sibi tempus vocetur, sicut ipsa successio
operationum dicitur motus: et quot sunt operationes ex quibus componitur
motus secundum diversa loca, tot erunt nunc, ex quibus componitur tempus. |
D’où il résulte que puisque le mouvement
de l’Ange n’est pas continu (parce qu’il n’est pas soumis à la nécessité de
ce qui a en soi les conditions de l’étendue par laquelle il passe, comme
c’est le cas pour les êtres pour lesquels il est naturel d’être dans le lieu
de telle manière que leur substance soit mesurée par les termes du lieu, à
savoir les corps), mais que son mouvement se limite à la succession de ses
opérations qui n’ont aucunement raison de continuité, c’est pourquoi ce temps
de l’Ange n’est pas continu, mais il est composé d’instants qui se succèdent
comme le nombre de ses opérations elles-mêmes qui se succèdent s’appelle le
temps, tout comme la succession même des opérations l’appelle le mouvement.
Et il y aura autant d’instants à partir desquels le temps est composé qu’il y
aura d’opérations à partir desquelles est composé le mouvement selon les
divers lieux. |
Et hoc etiam consonat ei quod philosophus dicit in VI
Physic., quod ejusdem rationis est indivisibile moveri, et tempus componi ex
nunc, et motum ex momentis, et lineam ex punctis: quia quamvis linea sit
continua, per quam Angelus transit, non tamen est continuitas secundum quod
refertur ad motum Angeli, qui diversa ubi non continuatim pertransit. |
Et cela s’accorde avec ce que le
Philosophe dit au sixième livre de la Physique, à savoir que c’est pour la
même raison que l’indivisible se meut, que le temps est composé d’instants,
le mouvement de moments et la ligne de points : car bien que la ligne
par laquelle l’Ange passe soit continue, cependant elle n’est pas continue
selon qu’elle se rapporte au mouvement de l’Ange, lequel ne traverse pas les
différents lieux de façon continue. |
[2736] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod omnes illae mutationes quae instantaneae dicuntur,
sunt termini motus ; quod non contingit in motu Angeli, ut dictum est, in
corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
tous ces changements dont on dit qu’ils sont instantanés sont les termes d’un
mouvement ; ce qui n’est pas possible pour le mouvement de l’Ange, comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[2737] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod tempus illud in quo movetur de A in B, compositum est
ex duobus instantibus ; et in uno instanti est in A, et in alio in B. Unde
non oportet quod in altero eorum quiescat ; quod oporteret de necessitate, si
tempus esset continuum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que ce temps dans lequel l’Ange se meut de A à B est composé de deux
instants ; et dans un instant il est en A et dans l’autre il est en B.
D’où il n’est pas nécessaire qu’il se repose en l’un d’eux ; mais il
faudrait nécessairement qu’il en soit ainsi si son temps était continu. |
[2738] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod non potest accipi aliqua proportio temporis in quo
movetur corpus, ad tempus in quo movetur Angelus ; quia tempus quo movetur
Angelus, non est divisibile divisione continui, sed discreti in plura
instantia finita ; in tempore autem quo movetur corpus, sunt infinita
instantia in potentia ; et ita nulla est proportio, sicut nec infiniti ad
finitum. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le temps dans lequel se meut un corps n’est en rien proportionné au temps
dans lequel l’Ange se meut. La raison en est que le temps par lequel l’Ange
se meut n’est pas divisible par une division continu, mais par une division
discrète en plusieurs instants finis ; mais dans le temps par lequel le
corps se meut, il y a une infinité d’instants en puissance ; et c’est
pourquoi il n’y a aucune proportion entre ces temps, tout comme il n’y en a
pas entre l’infini et le fini. |
[2739] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod tempus istud quo Angelus movetur, divisibile est in
duo, quae non copulantur ad unum communem terminum, cum hoc tempus non sit
continuum. Unde non sequitur quod in medio instanti sit in medio spatii: quia non
est necessarium accipere medium instans. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ce temps par lequel l’Ange se meut est divisible
en deux termes qui ne se réunissent pas en un terme commun puisque ce temps
n’est pas continu. D’où il ne s’ensuit pas que dans un espace intermédiaire
il soit dans un instant intermédiaire car il n’est pas nécessaire d’admettre
un instant intermédiaire. |
[2740] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 5 Sed quia ex aliis rationibus videtur concludi,
quod motus ejus sit in tempore continuo, ideo ad eas respondendum est.
Dicendum ergo ad quintum, quod omnis motus habet prius et posterius ; sed
diversimode: quia in motu continuo accipitur prius et posterius vel respectu
duorum temporum copulatorum ad unum nunc, vel respectu duorum nunc
includentium unum tempus ; in mutationibus autem instantaneis est prius ipsum
tempus mensurans motum praecedentem, cui adjungitur alterum extremorum, et
posterius ipsum nunc, quod mensurat terminum motus ; et ideo inter duo
extrema non cadit medium, sicut nec inter tempus et nunc. In motu autem Angeli prius et posterius sunt duo nunc
succedentia, inter quae nullum est medium tempus continuans. |
5. Mais parce qu’à partir des
autres raisonnements on semble conclure que le mouvement de l’Ange est dans
un temps continu, c’est pourquoi il faut leur répondre. Il faut donc dire en
réponse à la cinquième difficulté que tout mouvement comporte un avant et un
après, mais différemment selon les différentes sortes de mouvement : car
dans le mouvement continu on prend l’avant et l’après soit par rapport à deux
temps réunis en un seul instant, soit par rapport à deux instants incluant un
seul temps ; mais dans les changements instantanés, le temps même qui
mesure le mouvement qui précède est premier, auquel s’ajoute l’autre extrême,
et l’instant même qui mesure le terme du mouvement est second ; et c’est
pourquoi entre les deux extrêmes il ne tombe aucun intermédiaire, tout comme
il n’en tombe aucun entre le temps et l’instant. Mais dans le mouvement de
l’Ange l’avant et l’après sont deux instants qui se succèdent et entre
lesquels il n’y a aucun intermédiaire pour continuer le temps. |
[2741] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod hoc quod inter duo nunc sit tempus medium, consequitur
tempus ratione continuitatis ; quia haec est passio communis omni continuo.
Continuitatem autem habet ex motu. Unde cum motus Angeli non sit continuus,
ratio non sequitur. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
cet énoncé, à savoir qu’entre deux instants il y a un temps intermédiaire,
cela découle du temps en raison de la continuité ; car c’est là la
propriété commune à tout ce qui est continu. Mais sa continuité, le temps la
tient du mouvement. D’où il résulte que puisque le mouvement de l’Ange n’est
pas continu, le raisonnement n’est pas concluant. |
[2742] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod si ponatur motus Angeli et corporis simul incipere,
quando Angelus erit in alio termino secundum aliud instans sui temporis,
corpus etiam erit in alio termino secundum aliud instans sui temporis. Inter
duo autem instantia temporis istius corporis est tempus medium in eo quod motus
ejus est continuus ; unde est ibi signare medium instans. Sed inter duo instantia Angeli non est tempus medium.
Unde nec medium instans oportet ibi signari ; sed contingit signari, si in
tribus locis successive sit ; quia ita etiam tempus ex tribus nunc componetur
; unde unum erit medium ; et illa duo instantia possunt includere omnia
instantia temporis, cum etiam unum nunc et instans [aevi instans Éd.
de Parme] includat omne tempus: et ita non est inconveniens quod dum
motus Angeli est in duobus tantum instantibus, motus corporis sit in
infinitis ; quamvis quantumcumque duret motus corporis, tantumdem etiam duret
motus Angeli, et quamvis utrumque non sit indivisibile. Et praeterea
contingit quod quando corpus est in medio instanti, Angelus in nullo loco sit,
cum non sit necessarium eum semper esse in loco, ut dictum est, quaest. 3,
art. 1 ; et ita secundum coordinationem illius temporis nullum nunc Angelo
respondeat, sed tantum aevum. |
7. Il faut dire en septième lieu
que si on pose que le mouvement de l’Ange et celui du corps commencent
simultanément, lorsque l’Ange sera dans un autre terme selon un autre instant
de son temps, le corps aussi sera sera dans un autre terme selon un autre
instant de son temps. Mais entre les deux instants du temps de ce corps il y
a un temps intermédiaire en ceci que son mouvement est continu ; d’où il
faut désigner là un instant intermédiaire. Mais entre les deux instants de l’Ange il
n’y a pas un temps intermédiaire. D’où il n’y a pas à signaler là un instant
intermédiaire, mais il y a lieu d’en signaler un si l’Ange est successivement
en trois lieux car même ainsi le temps sera composé de trois instants d’où il
suit que l’un d’eux sera intermédiaire ; et ces deux instants peuvent
inclure tous les instants du temps puisque même un seul instant et l’instant
[l’instant de l’aevum Éd. de Parme] inclut en lui tout
temps : et de cette manière il n’y a pas de difficulté à ce que, tandis
que le mouvement de l’Ange est seulement dans deux instants, le mouvement du
corps soit dans une infinité d’instants, bien que le mouvement de l’Ange dure
aussi longtemps que dure le mouvement du corps et bien que les deux ne soient
pas indivisibles. Et par ailleurs il est possible que lorsque le corps est
dans un instant intermédiaire, l’Ange ne soit en aucun lieu, puisqu’il ne lui
est pas nécessaire d’être toujours en un lieu, ainsi que nous l’avons déjà
dit [quest. 3, art. 1] ; et ainsi on ne retrouve chez l’Ange aucun
instant qui corresponde à la disposition de ce temps, mais seulement l’éternité. |
[2743] Super Sent.,
lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 8 Alia concedimus. |
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Distinctio 38 |
Distinction 38 – [La science de Dieu] |
Quaestio 1 |
Question unique – [L’universalité de la science de Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quinque quaeruntur: 1 utrum scientia Dei sit causa rerum ; 2 utrum omnia
uniformiter cognoscat ; 3 utrum sit
enuntiabilium ; 4 utrum eorum quae
non sunt ; 5 utrum sit
contingentium. |
On cherche
ici à répondre à cinq questions: 1. Est-ce que la
science de Dieu est la cause des choses? 2. Est-ce que
Dieu connaît tous les êtres suivant une seule et même forme? 3. Est-ce que sa
science porte sur ce qui peut être énoncé? 4. Est-ce que sa
science porte sur ce qui n’existe pas? 5. Est-ce que sa
science porte sur le contingent? |
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Articulus 1 [2746] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1
tit. Utrum scientia Dei sit causa rerum |
Article 1 – La science de Dieu est-elle la cause des choses ? |
[2747] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei sit causa rerum. Scientia
enim Dei tam a sanctis quam a prophetis scientiae artificis comparatur. Sed scientia
artificis causa est scitorum per artem producendorum. Ergo videtur quod scientia Dei sit causa rerum. |
Difficultés : 1. Il semble que la science de Dieu soit
la cause des choses. En effet, aussi bien les saints que les prophètes
comparent la science de Dieu à la science de l’artiste. Mais la science de
l’artiste est la cause des choses qu’il sait devoir être produites par son
art. Il semble donc que la science de Dieu soit la cause des choses. |
[2748] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, cum similitudo sit quaedam unitas in forma, oportet quod in omni
assimilatione vel unum similium sit causa alterius, vel utrumque ab una causa
deducatur ; quia unitas in effectu designat unitatem causae. Sed scientia est
assimilatio quaedam. Ergo oportet semper quod scientia sit causa sciti, sicut
est in scientia practica ; vel scitum causa scientiae, sicut est in nostra
scientia speculativa ; vel utriusque sit causa una, sicut est in cognitione
quam Angeli de rebus habent ; quia ab eodem, scilicet Deo, imprimuntur
species rerum in mente Angeli ad cognoscendum, et in materia ad essendum. Sed
scientiae Dei, quae est ipse Deus, nihil est causa, neque scitum, neque
aliquid. Relinquitur ergo quod ipsa scientia Dei sit causa sciti. |
2. Par ailleurs, comme la
similitude ou la ressemblance est une certaine unité dans la forme, il faut
que dans toute assimilation ou bien qu’un des semblables soit la cause de
l’autre, ou bien que les deux se tirent d’une même cause ; car l’unité
dans les effets est le signe de l’unité de la cause. Mais la science est une
certaine assimilation. Il faut donc toujours que la science soit la cause de
ce qui est su, tout comme dans la science pratique, ou bien que ce qui est su
soit la cause de la science, comme c’est le cas dans notre science
spéculative, ou bien que pour les deux il n’y ait qu’une seule cause, comme
c’est le cas pour la connaissance que les Anges ont des choses ; car c’est
du même principe, à savoir Dieu, que les espèces des choses sont imprimées
dans l’esprit de l’Ange pour qu’elles soient connues et dans la matière pour
qu’elles existent. Mais de la science de Dieu, qui est Dieu lui-même, rien
n’est la cause, ni ce qui est su, ni quelque chose d’autre. Il reste donc que
la science même de Dieu soit la cause de ce qui est su. |
[2749] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, mensura semper habet rationem principii respectu mensurati, ut
patet ex X Metaph., text. 3 Quantitas enim mensuratur per principium
quantitatis, ut substantiae omnes per principium substantiae. Sed scientia
Dei mensura est rerum ; unde dicit Anselmus, lib. De ver., c. VII, col. 475,
quod unaquaeque res veritatem habet quando implet illud ad quod in mente
divina ordinata est. Ergo scientia Dei est causa scitorum. |
3. Par ailleurs, la mesure a toujours
raison de principe par rapport à ce qui est mesuré, comme on le voit chez le
Philosophe [X Métaphysique, texte 3]. En effet la quantité est
mesurée par le principe de la quantité, comme toutes les substances sont
mesurées par le principe de la substance. Mais la science de Dieu est la
mesure des choses ; d’où Saint-Anselme [De la Vérité,
ch. VII, col. 475] dit que chaque chose est dans la vérité quand
elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin. Donc la
science de Dieu est la cause de ce qu’il sait. |
[2750] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, sicut voluntas Dei est ipse Deus, ita et scientia ejus. Sed
voluntas Dei absolute dicitur causa omnium volitorum, et bonitas omnium
bonorum. Ergo scientia ejus debet dici causa omnium scitorum. |
4. Par ailleurs, la science de
Dieu, tout comme sa volonté, est Dieu lui-même. Mais on dit de la volonté de
Dieu qu’elle est la cause de tout ce qu’il veut, et sa bonté la cause de tous
les biens. On doit donc dire que sa science est la cause de tout ce qu’il
sait |
[2751] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 5 Sed
contra, cujuscumque causa est Dei scientia, causa est Deus. Sed non omnium
scitorum a Deo, causa est Deus ; quia mala, quae sunt a Deo scita, non sunt
ab ipso. Ergo nec scientia Dei causa est omnium scitorum. |
Cependant : 5. De toute chose dont la cause est la
science de Dieu, la cause est Dieu. Mais ce n’est pas de tout ce qui est su
de Dieu que Dieu est la cause ; car les maux, que Dieu sait exister, ne
viennent pas de Lui. Donc la science de Dieu n’est pas la cause de tout ce
qu’il sait. |
[2752] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 6
Praeterea, posita causa ponitur effectus. Sed scientia Dei fuit ab aeterno ;
res autem ab aeterno non fuerunt. Ergo scientia Dei non est causa rerum. |
6. Par ailleurs, du fait que la cause est
posée, l’effet aussi est posé. Mais la science de Dieu a toujours existé
alors que les choses n’ont pas toujours existé. Donc la science de Dieu n’est
pas la cause des choses. |
[2753] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum quod loquendo de attributis divinis, attendenda est attributorum
ratio quae, quia diversa est diversorum, ideo aliquid attribuitur uni quod
non attribuitur alteri, quamvis omnia sint una res ; et inde est quod bonitas
divina dicitur causa bonorum, et vita causa viventium ; et sic de aliis. Si
ergo accipiamus diversas attributorum rationes, inveniuntur aliqua habere
comparationem non tantum ad habentem, sed etiam ad aliquid sicut ad objectum,
ut potentia, et voluntas, et scientia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’en parlant
des attributs divins, il faut considérer la raison des attributs qui, parce
qu’elle est différente pour chacun, c’est pourquoi quelque chose est attribué
à l’un qui n’est pas attribué à l’autre, bien que tous ne soient qu’une seule
et même chose ; et c’est de là que vient que l’on dit que la bonté
divine est la cause des biens et que sa vie est la cause des vivants, et
qu’il en est de même du reste. Si donc nous considérons les raisons diverses
des attributs, on en trouve certains qui se comparent non seulement à celui
qui les possède, mais qui se comparent aussi à quelque chose comme à un
objet, comme c’est le cas pour la puissance, la volonté et la science. |
Quaedam autem ad habentem tantum, ut vita, bonitas, et
hujusmodi. Et haec omnia habent unum modum causalitatis, scilicet per modum
communem efficientis exemplaris, ut dicimus, quod a primo bono sunt omnia
bona, et a primo vivente omnia viventia. Sed illa quae dicuntur per
comparationem ad objectum, habent etiam alium modum causalitatis, respectu
scilicet objectorum, ut voluntas respectu volitorum ; et sic quaeritur hic de
causalitate scientiae. |
Mais d’autres attributs se
comparent seulement à celui qui les possède, comme la vie, la bonté, etc. Et
tous ceux-là possèdent un seul mode de causalité, à savoir celui qui se
présente par le mode commun de l’agent exemplaire, comme lorsque nous disons
que c’est du premier bien que viennent tous les biens, et du premier vivant
que viennent tous les vivants. Mais ceux qui se disent par comparaison à un
objet ont aussi un autre mode de causalité, c’est-à-dire par rapport aux
objets, comme la volonté par rapport à ce qui est voulu ; et c’est en ce
sens qu’on s’interroge ici sur la causalité de la science. |
Constat enim quod scientia sua est causa per modum
efficientis et exemplaris omnium scientiarum ; sed dubium est, utrum sit
causa scitorum. Quae sunt objecta scientiae [quae sunt …scientiae om.
Éd. de Parme]. Sciendum est ergo, quod scientia secundum rationem
scientiae non dicit aliquam causalitatem, alias omnis scientia causa esset:
sed inquantum est scientia artificis operantis res, sic habet rationem causae
respectu rei operatae per artem. Unde sicut est causalitas artificis per
artem suam, ita consideranda est causalitas divinae scientiae. |
Il est clair en effet que sa
science est cause par mode de cause efficiente et exemplaire de toutes les
sciences mais le problème est de savoir si elle est la cause des choses qui
sont connues. Lesquelles sont les objets de la science [lesquelles sont …de
la science om. Éd. de Parme]. Il faut donc savoir que
la science, entendue en tant que science, ne signifie pas une causalité,
autrement toute science serait cause ; mais pour autant qu’elle est la
science de l’artiste qui produit les choses, alors elle a raison de cause par
rapport à la chose produite par l’art. D’où il résulte que tout comme il y a
causalité de l’artiste par son art, c’est ainsi qu’il faut considérer la
causalité de la science divine. |
Est ergo iste processus in productione artificiati. Primo scientia artificis [artificialis Éd. de
Parme] ostendit finem ; secundo voluntas ejus intendit finem illum ; tertio
voluntas imperat actum per quem educatur opus, circa quod opus scientia
artificis ponit formam conceptam. Unde scientia se habet ut ostendens finem, et voluntas
ut dirigens actum et informans opus operatum ; et ideo constat quod quidquid
accidit in effectu per defectum a forma artis, vel a fine, non reducitur in
scientiam artificis sicut in causam. |
Voici donc quel est le processus
dans la production de l’œuvre d’art. En premier lieu la science de l’artiste
[artificielle Éd. de Parme] montre la fin ; En deuxième lieu sa volonté tend vers
cette fin ; Troisièmement la volonté commande l’acte
par lequel l’œuvre est produite et sur laquelle la science de l’artiste pose
la forme qui a été conçue. D’où la science se présente comme montrant
la fin et la volonté comme dirigeant l’acte et informant l’œuvre
produite ; et c’est pourquoi il est clair que tout ce qui apparaît dans
l’effet par un défaut de la forme de l’art ou de la fin ne se ramène par à la
science de l’artiste comme à sa cause. |
Patet etiam quod principalitas causalitatis consistit
penes voluntatem quae imperat actum. Unde patet quod malum, quod est deviatio a forma et a
fine, non causatur per scientiam [a scientia Éd. de Parme] Dei ;
sed tantum causalitatem habet respectu bonorum, secundum quod consequuntur
formam divinae artis et finem ; non tamen ita [ita om. Éd. de Parme]
quod respectu horum dicat perfectam rationem causalitatis, nisi secundum quod
adjungitur voluntati ; et ideo in Littera dicitur, quod
scientia beneplaciti est causa rerum. |
Il est clair aussi que la primauté de la
causalité se tient surtout dans la volonté qui commande l’acte. D’où il est clair que le mal, qui est une
déviation de la forme et de la fin, n’est pas causé au moyen de la science
[par la science Éd. de Parme] de Dieu ; mais la science de
Dieu a seulement une causalité par rapport aux biens, selon que ceux-ci
découlent de la forme et de la fin de l’art divin : non pas cependant de
telle manière [de telle manière om. Éd. de Parme] que par rapport
à eux elle signifie la notion parfaite de causalité, sauf selon qu’elle
s’ajoute à la volonté ; et c’est pourquoi on dit dans la Lettre que la
science du bien-aimé est la cause des choses. |
Et propter hoc etiam Avicenna, X lib. De
intellig., cap.I, dicit, quod inquantum Deus cognoscit essentiam
suam, et amat vel vult eam, secundum quod est principium rerum, quarum vult
se esse principium, fluunt res ab eo. |
Et c’est à cause de cela aussi
qu’Avicenne [X De l’Intelligence, ch. 1] dit qu’en tant que Dieu
connaît son essence, qu’Il l’aime et la désire, selon qu’il est le principe
des choses dont il veut être le principe, les choses coulent de Lui. |
[2754] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod scientia artificis non est causa defectus qui
contingit in artificiato, quamvis etiam esset praescitus ab eo ; nec etiam
est completa causa artificiati, nisi addatur voluntas, ut dicit philosophus
in IX Metaphysic., text. 3, et similiter est etiam de scientia
Dei. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la science de l’artiste n’est pas la cause du défaut qui peut se produire
dans l’œuvre d’art, quand bien même il serait connu à l’avance de
l’artiste ; et cette science n’est pas la cause complète de l’œuvre, à
moins qu’on y ajoute la volonté comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 3] et il en est de même aussi au sujet de la science de Dieu. |
[2755] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mala non cognoscuntur
a Deo per similitudinem suam, sed per similitudinem bonorum ; ut prius dictum
est, dist. 36, quaest. 1, art. 2 ; et
ideo non sequitur quod sit causa nisi bonorum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que les
maux ne sont pas connus de Dieu par sa similitude mais par la similitude des
biens ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 36, quest. 1, art.
2] ; et c’est pourquoi il s’ensuit qu’il n’est cause que des biens. |
[2756] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod inquantum scientia Dei est sicut exemplar per modum artis
rerum, sic dicitur mensura earum ; unde mala sicut deficiunt a participatione
formae artis, ita deficiunt a rectitudine mensurae ; et propter hoc etiam
malum definitur ab Augustino, lib. De natura boni, cap.
IV, et sq., col.553, quod est « privatio modi », inquantum
deficit a mensura ; speciei, inquantum deficit ab imitatione
exemplaris ; ordinis, inquantum deficit a fine. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
pour autant que le science de Dieu est comme un modèle des choses à la
manière d’un art, en ce sens on peut dire d’elle qu’elle en est la
mesure ; d’où il suit que les maux, tout comme ils s’écartent de la
participation de la forme de l’art, de même ils s’écartent de la rectitude de
la mesure ; et c’est pour cette raison encore que le mal est défini par
Saint-Augustin [De la Nature du Bien, ch. IV et suivants, col. 553]
comme étant la ¨privation du mode¨ en tant qu’il s’écarte de la
mesure, la ¨privation de l’espèce¨ en tant qu’il s’écarte de
l’imitation du modèle et la ¨privation de l’ordre¨ en tant qu’il
s’écarte de la fin. |
[2757] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod voluntas habet completam rationem causae, inquantum
objectum ejus est finis secundum rationem boni, qui est causa causarum ; unde
et imperium super alias vires habet ; et ideo absolute voluntas Dei causa
rerum dicitur. De scientia autem non similiter se habet sicut de voluntate,
ut dictum est, in corp. art. ; nec etiam ita comparatur scientia ad scitum
sicut vita ad viventem. Non enim scitum dicitur quod habet scientiam sicut
dicitur vivum quod habet vitam [non enim scitum…vitam om. Éd. de
Parme]. Unde patet quod ratio non concludit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
volonté a complètement raison de cause, pour autant que son objet est la fin
selon la raison de bien, laquelle est la cause des causes ; et c’est de
là qu’elle tire sa primauté sur les autres puissances ; et c’est
pourquoi on dit de la volonté de Dieu qu’elle est la cause absolue des
choses. Mais il n’en est pas semblablement de la science comme il en est de
la volonté comme nous l’avons dit dans le corps de l’article ; et de
plus la science ne se compare pas à l’objet de science comme la vie se
compare au vivant. Nous ne disons pas en effet que l’objet de science possède
la science comme nous disons que le vivant possède la vie [nous ne disons pas
en effet de l’objet de science…la vie om. Éd. de Parme]. D’où il
est clair que le raisonnement n’est pas concluant. |
[2758] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons
le cinquième argument. |
[2759] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut creaturae non
exeunt a Deo per necessitatem naturae, vel potentiae naturalis, ita nec per
necessitatem scientiae ; sed per libertatem voluntatis in qua completur ratio
causalitatis ; et ideo non quandocumque scivit creavit, sed quandocumque
voluit. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que tout comme les créatures ne procèdent pas de Dieu
par une nécessité de nature ou par la nécessité d’une puissance naturelle,
elles n’en procèdent pas non plus par une nécessité de science mais par la
liberté de la volonté dans laquelle s’accomplit la notion de causalité; et
c’est pourquoi ce n’est pas toutes les fois qu’il sait qu’il crée, mais
toutes les fois qu’il veut. |
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Articulus 2 [2760] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2
tit. Utrum scientia Dei sit uniformiter de rebus scitis |
Article 2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière uniforme les choses connues ? |
[2761] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non uniformiter sit de rebus
scitis. Omnis enim scientia quae est de rebus aliter quam sint, est falsa.
Sed scientia Dei verissima est. Cum igitur omnes res non habeant unum modum,
videtur quod non uniformiter sit de omnibus. |
Difficultés : 1. Il semble que la science de Dieu ne se
rapporte pas de manière uniforme aux choses connues. En effet, toute science
est fausse qui se rapporte aux choses autrement qu’elles ne sont. Mais la
science de Dieu est la plus vraie. Donc, puisque toutes les choses ne
possèdent pas la même sorte d’existence, il semble que la science de Dieu ne
se rapporte pas aux choses de manière uniforme. |
[2762] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, Epist. CXLII, cap. XVI, etc., col. 613, alius modus
cognitionis est cognoscere rem per sui essentiam, et alius [alius om. Éd.
de Parme] per sui similitudinem. Sed Deus seipsum per
essentiam suam cognoscit, creaturas vero per similitudines earum in ipso
existentes. Ergo non uniformiter seipsum et creaturas cognoscit. |
2. Par ailleurs, d’après
Saint-Augustin, [Lettre CXL11, ch. XVI, etc., col. 613] autre est la manière
de connaître la chose par son essence, autre [autre om. Éd. de Parme]
est celle de la connaître par sa similitude. Mais Dieu se connaît lui-même
par son essence et il connaît les créatures par leurs similitudes qui
existent en Lui. Donc il ne se connaît pas lui-même et les créatures d’une
manière uniforme. |
[2763] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, ut supra habitum est, dist. 16, quaest. 1, art. 2, Deus bona
cognoscit per se, mala autem per aliud. Sed hoc facit diversum modum
cognitionis. Ergo non uniformiter omnia cognoscit. |
3. D’ailleurs, comme nous l’avons
établi plus haut [dist. 16, quest. 1, art. 2], Dieu connaît le bien par
lui-même et le mal par quelque chose d’autre. Mais cela entraîne une
diversité dans la manière de connaître. Dieu ne connaît donc pas toutes les
choses d’une manière uniforme. |
[2764] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, secundum Dionysium, in VII De divinis nominibus, §
2, col. 867, Deus eodem modo cognoscit res quo rebus esse
tradidit. Sed secundum Augustinum, lib. LXXXIII quaest., qu.
XLVI, col. 30, alia ratione creavit hominem et equum. Ergo alia ratione
cognoscit ; et ita non uniformiter de omnibus est. |
4. En outre, selon Denys [Les
Noms Divins, ch. VII, & 2, col. 867], Dieu connaît les
choses de la même manière qu’il leur transmet l’existence. Mais d’après
Saint-Augustin [Les Quatre-vingt-trois questions, quest. XLVI, col.
30], ce n’est pas pour la même raison que Dieu créa l’homme et le cheval. Il
connaît donc pour des raisons différentes et ainsi il ne connaît donc pas
tous les êtres d’une manière uniforme. |
[2765] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
contra, Dionysius in eodem capitulo dicit, quod materialia immaterialiter
cognoscit, et multa unite, et sic de aliis. Ergo videtur quod sit uniformiter
scientia Dei [scientia Dei om. Éd. de Parme] de omnibus. |
Cependant : 1. Denys dit par contre dans le même
chapitre que Dieu connaît d’une manière immatérielle ce qui est matériel,
dans l’unité ce qui est multiple, et qu’il en est de même pour le reste.
Il semble donc que la science de Dieu [science de Dieu om. Éd. de
Parme] soit uniforme pour tous les êtres. |
[2766] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, modus cognitionis praecipue attenditur penes rationem medii, ex
cujus diversitate de eodem potest haberi opinio et scientia. Sed Deus eodem
medio omnia cognoscit, scilicet per essentiam suam, ut in eodem capitulo
Dionysius dicit. Ergo de omnibus est uniformiter. |
2. Par ailleurs, le mode de
connaître se vérifie surtout dans la notion de moyen terme par la diversité
duquel sur la même chose on peut posséder une opinion ou la science. Mais
Dieu connaît tous les êtres par le même moyen terme, à savoir par son
essence, comme le dit Denys dans le même chapitre. La science de Dieu est
donc uniforme pour tous les êtres. |
[2767] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in qualibet cognitione potest considerari duplex modus:
scilicet modus rei cognitae et modus cognoscentis. Modus quidem rei cognitae
non est modus cognitionis, sed modus cognoscentis, ut dicit Boetius V De
consol. Philos., prop. IV, col. 848. Quod patet ex hoc quod ejusdem rei
cognitio est in sensu cum conditionibus materialibus, quia sensus est
potentia in materia ; in intellectu autem, quia immaterialis est, ejusdem
cognitio est sine appenditiis materiae. Cujus ratio est, quia cognitio non
fit nisi secundum quod cognitum est in cognoscente. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que dans toute
connaissance on peut considérer deux modes : à savoir le mode de la
chose connue et le mode de celui qui connaît. Certes ce n’est pas le mode de
la chose connue mais le mode de celui qui connaît qui est le mode de la
connaissance comme le dit Boèce [V De la Consolation de la Philosophie, prop.
IV, col. 848]. Ce qui devient évident à partir de ceci que pour la même chose
il y a la connaissance qui est dans le sens avec les conditions matérielles
car le sens est une puissance établie dans la matière ; mais il y a
aussi pour la même chose une autre connaissance dans l’intelligence car elle
est immatérielle et dégagée des conditions matérielles. Et la raison en est
que la connaissance n’a lieu qu’en tant que le connu est dans celui qui
connaît. |
Unumquodque autem est in aliquo per modum ipsius, et
non per modum sui, ut patet ex libro De causis, propos.10 :
et ideo oportet quod cognitio fiat secundum modum cognoscentis. Quia ergo in
intellectu divino est summa unitas, ideo ejus cognitio est uniformis de
omnibus ; omnia enim in eo unum sunt. Cum ergo quaeritur, utrum Deus omnia
uniformiter cognoscat, distinguendum est ; quia adverbium potest dicere modum
actus cognitionis, et sic verum est ; vel modum objecti, et sic falsum est ;
quia Deus non tantum scit rem, sed proprium modum rei ; unde scit diversis
diversos modos inesse ; et similiter dicendum est ad omnes similes
quaestiones. |
Mais toute chose est dans une autre par
le mode de cet autre et non par le mode qui lui est propre comme on le voit
dans le livre Des Causes, à la proposition 10 : et
c’est pourquoi il faut que la connaissance s’effectue d’après le mode de
celui qui connaît. Donc parce que dans l’intelligence divine il y a une unité
parfaite, c’est pourquoi sa connaissance est uniforme à l’égard de tous les
êtres ; en Lui en effet tous les êtres sont un. Donc, lorsqu’on demande
si Dieu connaît tous les êtres uniformément, il faut distinguer ; car
cet adverbe peut signifier le mode de l’acte de connaissance, et ainsi
l’énoncé est vrai ; ou bien il signifie le mode de l’objet et alors il
est faux ; car non seulement Dieu connaît la chose mais il en connaît
aussi le mode propre ; d’où il sait que différents modes appartiennent à
différents êtres ; et il faut parler semblablement à l’égard de toutes
les questions semblables. |
[2768] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod cum dicitur, scientia quae est de re aliter quam
sit, est falsa, et hoc dupliciter [falsa, est duplex Éd. de Parme].
Quia adverbium ‘aliter’ potest designare modum ipsius scientiae, et sic
falsum est ; quia scientia vera [vera om. Éd. de Parme] est
immaterialis de rebus materialibus. Vel potest designare modum scitorum, et
sic verum est ; unde ad propositum non [non om. Éd. de Parme]
concludit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
lorsqu’on dit que la science est fausse lorsqu’elle se rapporte à la chose
autrement qu’elle n’est, cet énoncé peut s’entendre de deux manières [la
fausseté peut être de deux sortes Éd. de Parme]. Car l’adverbe
¨autrement¨ peut désigner le mode de la science elle-même et ainsi l’énoncé
est faux car la vraie science sur les choses matérielles est elle-même
immatérielle. Mais il peut désigner aussi le mode des objets à connaître et
alors l’énoncé est vrai ; il résulte de là que l’argument n’est pas
[n’est pas om. Éd. de Parme] concluant par rapport au propos. |
[2769] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia Dei per quam seipsum cognoscit Deus, est
etiam similitudo per quam cognoscit omnia creata ; et ita per idem medium se
et alia cognoscit. Unde ex parte cognoscentis invenitur unitas, sed ex parte
cognitorum diversitas, quia aliquod eorum, scilicet ipse Deus, se habet per
identitatem ad medium illud ; alia per imitationem, scilicet ipsae creaturae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’essence de Dieu par laquelle Dieu se connaît lui-même est aussi la
similitude par laquelle il connaît toutes les créatures ; et ainsi c’est
par le même moyen terme qu’il se connaît et qu’il connaît tout le reste. D’où
il résulte que du côté de celui qui connaît on retrouve une unité, mais une
diversité du côté des objets à connaître car l’un d’eux, à savoir Dieu
lui-même, se présente comme étant identique à ce moyen terme alors que les
autres, à savoir les créatures, se présentent comme des imitations. |
[2770] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum similiter, quod Deus eodem medio, scilicet essentia sua,
cognoscit et bona et mala ; sed ad hoc medium diversimode comparantur bona
quae ipsum imitantur, et mala quae ab ipso discedunt. |
3. Il faut dire semblablement en
troisième lieu que Dieu, par le même moyen terme, à savoir son essence,
connaît à la fois le bien et le mal ; mais c’est d’une manière
différente que se comparent à ce moyen terme les biens qui l’imitent et les
maux qui s’en écartent. |
[2771] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod una essentia divina est per quam esse omnibus
tradidit, et per quam omnia cognoscit, ut idem Dionysius dicit. Alietas autem
rationum est ex diversitate respectuum, qui attenduntur secundum diversitatem
rerum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que c’est par une seule et même essence divine que Dieu donne l’existence à
tous les êtres et qu’il les connaît tous comme le dit aussi Denys. Mais la
différence des raisons tient à la diversité des rapports qui se considèrent
selon la diversité des choses. |
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Articulus 3 [2772] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3
tit. Utrum scientia Dei sit enuntiabilium |
Article 3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui peut être énoncé ? |
[2773] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non sit enuntiabilium.
Scientia enim Dei est de rebus per ideas earum. Sed idea est similitudo rei
incomplexae. Ergo videtur quod
complexorum vel enuntiabilium Deus scientiam non habeat. |
Difficultés : 1. Il semble que la science de Dieu ne
porte pas sur ce qui peut être énoncé. En effet, la science de Dieu porte sur
les choses au moyen de leurs idées. Mais l’idée est une similitude d’une
chose incomplexe. Il semble donc que Dieu ne possède pas la science de ce qui
est complexe ou de ce que l’on peut énoncer. |
[2774] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, ut dicitur in III De anima, text. 24, quando
intellectus intelligit affirmationem et negationem, fit quaedam compositio
intellectuum [intellectuum om. Éd. de Parme]. Sed in divino
intellectu nulla est compositio. Ergo enuntiabilia non cognoscit. |
2. Par ailleurs, comme le dit le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 24] quand l’intelligence saisit
l’affirmation et la négation, il y a une certaine composition des concepts
[concepts om. Éd. de Parme]. Mais il n’y a nulle composition dans
l’intelligence divine. Il ne connaît donc pas ce qui peut être énoncé. |
[2775] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, sicut ibidem dicitur, operationi qua intellectus affirmat aliquid
aut negat, admiscetur tempus ; unde omnis enuntiatio cum tempore significat.
Sed intellectus divinus omnino absolutus est a tempore. Ergo non est
enuntiabilium. |
3. En outre, tout comme on le dit
au même endroit, le temps se mêle à l’opération par laquelle l’intelligence
affirme ou nie quelque chose ; d’où il suit que toute énonciation
signifie avec le temps. Mais l’intelligence divine est absolument dégagée du
temps. Sa science ne porte donc pas sur les énonciations. |
[2776] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, intellectus divinus est verissimus, cui nulla falsitas admisceri
potest. Sed duarum operationum intellectus uni admiscetur falsitas, scilicet
ei qua affirmat aliquid aut negat ; alteri vero non, qua scilicet intuetur
quidditatem rei, ut in III De anima, text. 21, dicitur. Ergo
videtur quod ista tantum operatio sit Deo attribuenda, et non prima, qua
enuntiabilia cognoscuntur. |
4. De plus, l’intelligence divine
est suprêmement vraie puisqu’aucune fausseté ne peut l’atteindre. Mais la
fausseté se mêle à l’une des deux opérations de l’intelligence, à savoir à
celle par laquelle on affirme ou nie quelque chose, mais non à l’autre,
c’est-à-dire à celle par laquelle on considère la quiddité de la chose comme
le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 21]. Il semble donc que
cette dernière opération soit la seule qu’on doive attribuer à Dieu et non la
première par laquelle les énonciations sont connues. |
[2777] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed
contra, nostra scientia non tantum est de rebus, sed etiam de
enuntiationibus. Si ergo scientia [essentia Éd. de Parme] Dei non
esset de enuntiationibus, esset imperfectior quam nostra. |
Cependant : 1. Notre science ne porte pas seulement
sur les choses mais aussi sur les énonciations. Si donc la science
[l’essence Éd. de Parme] de Dieu ne portait pas sur les
énonciations, elle serait plus imparfaite que la nôtre. |
[2778] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 2
Praeterea, quidquid praedicit Deus, scit. Sed multa enuntiabilia per prophetas
praedixit, sicut virginem parituram, Isa. 7. Ergo enuntiabilia scit. |
2. Par ailleurs, tout ce que Dieu
prédit, il le fait. Mais Dieu a prédit de nombreuses énonciations par les
prophètes, comme la conception virginale dans Isaïe 7. Il a donc la science
des énonciations. |
[2779] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod secundum opinionem Avicennae et ex dictis Algazelis videtur
sequi quod Deus enuntiabilia nesciat, et praecipue in rebus singularibus ;
quia ponunt quod scit singularia tantum universaliter, idest secundum quod
sunt in causis universalibus, et non particulariter, idest in natura
particularitatis suae. Unde concedunt quod scit hoc individuum et illud ; sed
non scit hoc individuum nunc esse et postmodum non esse ; sicut si aliquis
sciret eclypsim quae futura est cras in suis causis universalibus ; non tamen
sciret an modo esset vel non esset, nisi sensibiliter videret. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après
l’opinion d’Avicenne et les paroles d’Algazel, il semble s’ensuivre que Dieu
ne connaît pas les énonciations, et surtout en ce qui concerne les
singuliers ; car ils posent que Dieu connaît les singuliers seulement
dans l’universel, c’est-à-dire selon qu’ils existent dans les causes universelles
et non selon ce qui leur est propre, c’est-à-dire dans leur nature
particulière. D’où ils concèdent que Dieu connaît tel et tel individu, mais
il ne sait pas que tel individu existe maintenant et qu’il n’existe pas par
la suite, comme si quelqu’un savait par les causes de l’éclypse qu’elle doit
apparaître demain sans cependant savoir de quelle manière elle sera ou ne
sera pas, à moins de la voir de manière sensible. |
Sed quia supra ostensum est quod Deus non solum habet
hujusmodi cognitionem de particularibus, sed perfectam, inquantum cognoscit
ea in sua particularitate secundum omnes conditiones individuales quae in eis
sunt ; ideo dicendum est, quod Deus non solum cognoscit ipsas res, sed etiam
enuntiabilia et complexa ; tamen simplici cognitione per modum suum ; quod
sic patet. Cum in re duo sint, quidditas rei, et esse ejus, his duobus
respondet duplex operatio intellectus. |
Mais parce que nous avons montré
plus haut que Dieu ne possède pas seulement une connaissance de cette sorte
mais une connaissance parfaite en tant qu’il connaît les singuliers dans
leurs caractères particuliers selon toutes les conditions individuelles qui
sont en eux, c’est pourquoi il faut dire que Dieu ne connaît pas seulement
les choses elles-mêmes, mais il connaît aussi ce qui peut s’énoncer et ce qui
est complexe, mais à sa manière cependant et par une connaissance qui est
simple ; ce qui apparaît clairement de la manière qui suit. Puisque dans
la chose il y a deux aspects à considérer, à savoir la quiddité de la chose et
son existence, il y a une opération de l’intelligence qui correspond à chacun
de ces aspects. |
Una quae dicitur a philosophis formatio, qua
apprehendit quidditates rerum, quae etiam a Philosopho, in III De anima [a
philosopho … anima, om. Éd. de Parme] dicitur indivisibilium intelligentia. Alia autem comprehendit esse rei, componendo
affirmationem, quia etiam esse rei ex materia et forma compositae, a qua
cognitionem accipit, consistit in quadam compositione formae ad materiam, vel
accidentis ad subjectum. Similiter etiam in ipso Deo est considerare naturam
ipsius, et esse ejus ; et sicut natura sua est causa et exemplar omnis
naturae, ita etiam esse suum est causa et exemplar omnis esse. Unde sicut
cognoscendo essentiam suam, cognoscit omnem rem ; ita cognoscendo esse suum,
cognoscit esse cujuslibet rei ; et sic cognoscit omnia enuntiabilia, quibus
esse significatur ; non tamen diversa operatione nec compositione, sed
simpliciter ; quia esse suum non est aliud ab essentia, nec est compositum
consequens ; et sicut per idem cognoscit bonum et malum, ita per idem
cognoscit affirmationes et negationes. |
La première est celle que les
philosophes appellent ¨formation¨ et par laquelle il appréhende les quiddités
des choses et que le Philosophe [le Philosophe …l’âme om. Éd. de
Parme] dans le troisième livre du traité De l’Âme appelle
aussi l’intelligence des indivisibles. Mais la deuxième embrasse l’existence de
la chose en composant une affirmation car même l’existence de la chose
composée de matière et de forme de laquelle il reçoit la connaissance,
consiste dans une certaine composition d’une forme à une matière ou
d’accidents à un sujet. De la même manière il faut aussi considérer en Dieu
lui-même sa nature et son existence : et tout comme sa nature est la
cause et le modèle de toute nature, de même encore son existence est la cause
et le modèle de toute existence. D’où il résulte que tout comme en
connaissant son essence il connaît toute chose, de même en connaissant son
existence il connaît l’existence de toute chose ; et ainsi il connaît
toutes les énonciations par lesquelles l’existence est signifiée, non pas
cependant par une opération différente ni par une composition, mais
simplement car son existence n’est pas autre que son essence et il ne
s’ensuit en Lui aucune composition ; et tout comme c’est par la même
chose qu’il connaît le bien et le mal, de même c’est par la même chose qu’il
connaît les affirmations et les négations. |
[2780] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod aliud est de forma existente in mente artificis et
de idea rei quae est in mente divina: quia forma quae est in mente artificis,
non est causa totius quod est in artificiato, sed tantum formae ; et ideo
esse hanc domum, et cetera quae consequuntur naturam per formam artis, nescit
artifex [artifex om. Éd. de Parme] nisi sensibiliter accipiat:
sed idea quae est in mente divina, est causa omnis ejus quod in re est ; unde
per ideam non tantum cognoscit naturam rei, sed etiam hanc rem esse in tali
tempore, et omnes conditiones quae consequuntur rem vel ex parte materiae vel
ex parte formae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’il en va autrement de la forme qui existe dans l’esprit de l’artiste et de
l’idée de la chose qui est dans l’esprit divin ; car la forme qui est
dans l’intelligence de l’artiste n’est pas la cause de tout dans l’œuvre
d’art, mais seulement de la forme ; et c’est pourquoi l’artiste
[l’artiste om. Éd. de Parme] ignore que telle maison existe, tout
comme il ignore l’existence de toutes les autres choses qui parviennent à une
nature par la forme de l’art, à moins de la reconnaître par les sens ;
mais l’idée qui est dans l’esprit divin est la cause de toute ce qu’il y a
dans la chose ; d’où il suit que par l’idée Dieu ne connaît pas
seulement la nature de la chose, mais aussi que telle chose existe en ce
temps particulier, ainsi que toutes les conditions qui atteignent la chose
soit du côté de sa matière, soit du côté de sa forme. |
[2781] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ipsum esse divinum quod est simplex, est exemplar
omnis esse compositi quod in creatura est ; et ideo per esse suum simplex
cognoscit sine compositione intellectuum vel divisione omne esse vel non esse
quod rei convenit. Sed intellectus noster, cujus cognitio a rebus oritur,
quae esse compositum habent, non apprehendit illud esse nisi componendo et
dividendo ; et de tali intellectu philosophus loquitur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’existence divine elle-même qui est simple est le modèle de toute
existence composée présente dans la créature ; et c’est pourquoi il
connaît par son existence simple, sans compostion ou division des concepts,
toute existence ou non-existence qui appartient à la chose. Mais notre
intelligence, dont la connaissance se forme à partir des choses qui ont une
existence composée, n’appréhende cette existence qu’en composant et
divisant ; et c’est de cette intelligence dont le Philosophe parle. |
[2782] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod operationi intellectus nostri componentis et
dividentis admiscetur tempus duplici de causa ; tum ex parte sua, quia
accipit scientiam a continuo et tempore, scilicet a sensu et imaginatione ;
tum ex parte intellectorum, quae in tempore sunt. In operatione autem divini
intellectus advenit tempus tantum ex parte intellectorum, quia sicut alias
res determinate cognoscit, ita et tempus ; unde cognoscit hanc rem esse in
tali vel in tali tempore: sed ex parte ipsius intellectus nullum tempus vel
aliqua successio advenit ; quia temporalia intemporaliter cognoscit. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le temps se même à cette opération de notre intelligence qui compose et
divise pour deux raisons ; tant du côté de l’opération elle-même qui
reçoit la science de ce qui est continu et temporel, à savoir du sens et de
l’imagination, que du côté des objets connus par l’intelligence qui existent
dans le temps. Mais dans l’opération de l’intelligence divine le temps ne
survient que du côté des objets connus par l’intelligence, car tout comme il
connaît précisément les autres choses, il connaît aussi le temps ; d’où
il sait que telle chose est dans tel ou tel autre temps : mais du côté
de son intelligence il ne survient aucun temps ni aucune succession car il
connaît les réalités temporelles d’une manière qui est intemporelle. |
[2783] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut operationi intellectus nostri qua inspicit
quidditates rerum, non admiscetur falsitas nisi per accidens, inquantum cognitio
quidditatis dependet a cognitione affirmationis, quod contingit in
quidditatibus compositis, et non in simplicibus, ut dicitur in IX Metaph.,
text. 22: ita operationi intellectus divini non potest advenire falsitas nec
in comprehendendo naturas rerum nec in comprehendendo enuntiabilia ; quia
utrumque eadem operatione cognoscit, et per unum idem simplex, ut ex dictis,
in corp. art., patet. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la fausseté ne se mêle que par accident à l’opération de notre
intelligence par laquelle elle considère les quiddités des choses, à savoir
pour autant que la connaissance de la quiddité dépend de la connaissance de
l’affirmation, ce qui se produit pour les quiddités composées et non pour
celles qui sont simples comme le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 22] le dit, de même la fausseté ne peut survenir dans l’opération de
l’intelligence divine ni dans la saisie de la nature des choses ni dans la
saisie des énonciations car il connaît les deux par la même opération qui est
la seule et même opération simple comme on le voit à partir de ce qui a été
dit dans le corps de l’article. |
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Articulus 4 [2784] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 tit. Utrum
scientia Dei sit non entium |
Article 4 – Dieu a-t-il la science du non-être ? |
[2785] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non possit esse non entium.
Scientia enim importat respectum ad scibile. Sed ea quae dicunt respectum ad
creaturam, non dicuntur de Deo nisi creaturis existentibus, ut Dominus, et
Creator, et hujusmodi. Ergo videtur quod non possit Deus dici scire res
aliquas, nisi quando sunt. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne puisse avoir la
science du non-être. La science en effet implique un rapport à l’objet de
science. Mais les attributs qui signifient un rapport à la créature ne se
disent de Dieu que par rapport aux créatures qui existent, comme Seigneur,
Créateur et les termes de cette sorte. Il semble donc qu’on ne puisse dire de
Dieu qu’il connaît des choses que dans la mesure où elles existent. |
[2786] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, scientia non est nisi verorum, ut in Posterioribus, lib.
1, text. 5, dicitur. Sed verum et ens convertuntur. Ergo non est nisi entium. |
2. Par ailleurs, il n’y a science que de
ce qui est vrai, comme le dit le Philosophe [Seconds Analytiques, L.
1, texte 5]. Mais le vrai et l’être se convertissent. Donc la science de Dieu
ne porte que sur l’être. |
[2787] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, scientia Dei est mensura scitorum. Sed ea quae non sunt non
commensurantur alicui. Ergo eorum non est scientia Dei. |
3. En outre, la science de Dieu est
la mesure de ce qui est connu. Mais ce qui n’existe pas ne peut avoir de
mesure. La science de Dieu ne porte donc pas sur ce qui n’existe pas. |
[2788] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, primum cadens in apprehensione intellectus est ens, ut Avicenna,
tract. I Metaph., cap. VI, dicit. Sed nulla virtus
cognocitiva [potest cognoscere Éd. de Parme] aliquid nisi
praesupposita ratione primi objecti, sicut visus nihil videt sine lumine.
Ergo nec aliquis intellectus potest cognoscere nisi entia. |
4. De plus, ce qui entre en premier
dans l’appréhension de l’intelligence est l’être comme le dit Avicenne [1 Métaphysique,
ch. VI]. Mais aucune puissance cognitive [ne peut connaître Éd.
de Parme] quelque chose à moins que ne soit présupposé son rapport au
premier objet, tout comme la vue ne voit rien sans la lumière. Donc une
intelligence ne peut connaître que des êtres. |
[2789] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed
contra, quidquid eligitur sine errore, hoc scitur. Sed secundum
Augustinum, Sermo XXVI, § 4, col 173, eliguntur quae non
sunt ; nec tamen errat qui eligit, scilicet Deus. Ergo videtur quod eorum
quae non sunt, notitiam habeat. |
Cependant : 1. Il y a connaissance de science pour
tout ce qui est choisi sans erreur. Mais selon Saint-Augustin [Sermon XXVI,
& 4, col. 173], sont choisies des choses qui n’existent pas celui qui
choisit, à savoir Dieu, ne se trompe pas. Il semble donc que Dieu ait une
connaissance de ce qui n’existe pas. |
[2790] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 2
Praeterea, sicut se habet scibile ad scientiam nostram ut prius, ita se habet
scientia Dei ad scibilia ut prior eis. Sed quaedam scibilia sunt quorum non
habemus scientiam, ut Philosophus I Poster., text. 24
tradidit. Ergo et scientia Dei potest esse eorum quae non sunt. |
2. Par ailleurs, tout comme l’objet
de science se rapporte à notre science en tant que premier, de même la
science de Dieu se rapporte aux objets de science comme leur étant première.
Mais il y a des objets de science dont nous n’avons pas la science comme
l’enseigne le Philosophe [Premiers Analytiques, texte 24]. Donc la
science de Dieu peut porter même sur ce qui n’existe pas. |
[2791] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quidquid cognoscitur,
aliquo modo oportet esse, ad minus in ipso cognoscente ; unde et Avicenna,
tract. VII Metaph., cap. 1, dicit, quod de eo quod omnino
est non ens, nihil potest enuntiari. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que tout ce qui est connu doit exister en quelque sorte, au moins
dans celui-là même qui connaît; d’où Avicenne [ VII Métaphysique,
ch. 1] dit que rien ne peut être énoncé au sujet de ce qui n’existe
absolument pas. |
Unde secundum quod aliqua se habent ad esse, ita se
habent ad divinam cognitionem. Esse autem rei potest tripliciter considerari:
vel prout est in propria sua natura ex suis principiis educta, vel prout est
in potentia alicujus causae, vel prout est in apprehensione alicujus
cognoscentis. |
D’où les choses se rapportent à la
connaissance divine selon qu’elles se rapportent à l’être. Mais l’être ou
l’existence d’une chose peut se considérer de trois manières : soit
selon qu’elle est conduite de ses principes à la nature qui lui est propre,
soit selon qu’elle existe dans la puissance d’une cause, soit selon qu’elle
est dans l’appréhension d’un sujet connaissant. |
Omnia ergo illa quae habent esse in sua natura secundum
quodcumque tempus, Deus ab aeterno scivit, et apprehendendo naturam ipsorum,
et videndo ea esse, non tantum in cognitione sua, vel potentia alicujus
causae, sed etiam in esse naturae ; quod patet, quia constat quod re
existente cognoscit Deus ipsum esse quod habet in propria natura. |
Donc toutes les choses qui
possèdent l’existence dans leur nature selon le temps, Dieu les connaît de
toute éternité, à la fois en saisissant leur nature et en voyant leur
existence non seulement dans sa connaissance ou dans la puissance d’une cause
mais aussi dans leur existence de nature ; ce qui est évident car il est
clair qu’une fois que la chose existe, Dieu connaît l’existence même qu’elle
possède dans sa nature propre. |
Si autem ab aeterno non cognovisset nisi esse ejus quod
est in cognitione, vel in potentia causae, cognitio sua proficeret per
temporum successiones ; et talia dicitur Deus scire scientia visionis. Res
autem illas quarum esse in nullo tempore est in propria natura, cognoscit
esse in potentia causae vel creaturae deficientis, sicut mala, vel in
potentia operativa sua, sicut bona. |
Mais si Dieu n’avait connu de toute
éternité que son existence qui est dans la connaissance ou dans la puissance
d’une cause, sa connaissance progresserait par les successions des
temps ; et on dit de Dieu qu’il connaît cela par une science de vision.
Mais ces choses dont l’existence n’est en aucun temps dans leur nature
propre, il sait qu’elles existent dans la puissance d’une cause ou d’une
créature déchue, comme les maux, ou dans sa puissance d’opération, comme les
biens. |
[2792] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnes relationes
quae fundantur super aliquam operationem actualem procedentem in creaturas,
non possunt convenire Deo, nisi ex tempore creaturis existentibus ; sed
relatio importata in scientia, potentia et voluntate non fundatur super
aliquam operationem actualiter in creaturam procedentem ; et ideo non est
simile. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que toutes les relations qui se fondent sur une
opération actuelle qui procède dans les créatures ne peuvent convenir à Dieu
qu’à partir du temps une fois que les créatures existent; mais la relation
impliquée dans la science, la puissance et la volonté ne se fonde pas sur une
opération qui procède actuellement dans la créature; et c’est pourquoi le
rapport n’est pas semblable. |
[2793] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum quod non
entia habent veritatem, sic ea Deus scit: quae enim erunt post mille annos
non scit ea Deus esse nunc ; quoniam non est verum ea esse nunc ; sed scit ea
futura esse tunc quando verum erit ea esse: similiter illa quae nec sunt nec
erunt nec fuerunt, scit ea esse in cognitione sua, et in potentia causarum
suarum, prout est verum ea sic esse. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que selon que les choses qui n’existent pas détiennent
de la vérité, Dieu les connaît: en effet, celles qui ne doivent exister que
dans mille ans, Dieu ne peut savoir à leur sujet qu’elles existent maintement
puisqu’il n’est pas vrai qu’elles existent maintenant; mais Il sait qu’elles
existeront alors qu’il sera vrai qu’elles existent: semblablement, celles qui
n’existent pas, qui n’existeront pas et qui n’ont pas existé, il sait qu’elles
existent dans sa connaissance et dans la puissance de leurs causes en tant
qu’il est vrai qu’elles existent de cette manière. |
[2794] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod non est non
scitur a Deo ut commensuratum actu scientiae suae, sed ut commensurabile: et
hoc sufficit ad scientiae veritatem. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que ce qui n’existe pas n’est pas connu de Dieu en
tant que proportionné en acte à sa science mais comme pouvant l’être et cela
suffit à la vérité de la science. |
[2795] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidquid cognoscitur,
cognoscitur ut ens, vel in propria natura, vel in causa sua, vel in
cognitione aliqua: et sic etiam sunt entia omnia quae Deus cognoscit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que tout ce qui est connu est connu en tant qu’être,
soit dans sa nature propre, soit dans sa cause, soit dans une connaissance:
et c’est ainsi qu’existent aussi tous les êtres que Dieu connaît. |
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Articulus 5 [2796] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 tit. Utrum
scientia Dei sit contingentium |
Article 5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs contingents ? |
[2797] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non sit contingentium.
Scientia enim Dei est causa omnium scitorum bonorum. Sed omnis causa
necessaria inducit necessaris effectum [necessarios effectus Éd. de
Parme]: posita enim causa, necessario ponitur effectus, nisi causa sit
deficiens in minori parte, sicut causa naturalis. Cum ergo scientia Dei non
sit deficiens, videtur quod id cujus est, sit necessarium, et ita non sit
contingentium. |
Difficultés : 1. Il semble que la science de Dieu ne
porte pas sur ce qui est contingent. La science de Dieu en effet est la cause
de tous les biens qu’il connaît. Mais toute cause nécessaire conduit
nécessairement à son effet [à des effets nécessaires Éd. de Parme] :
en effet, une fois la cause posée, nécessairement l’effet est posé, à moins
que la cause ne soit déficiente dans ne faible proportion, comme c’est le cas
pour la cause naturelle. Donc puisque la science de Dieu n’est nullement en
défaut, il semble que ce dont il a la science soit nécessaire et qu’ainsi sa
science ne porte pas sur le contingent. |
[2798] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 2
Praeterea, scientia non est nisi verorum. Sed in futuris contingentibus non
est alterum determinate verum, ut philosophus probat I Periher., cap.
ult.. Ergo videtur quod non possit esse eorum scientia divina. |
2. Par ailleurs, il n’y a de
science que sur ce qui est vrai. Mais parmi les futurs contingents, il n’y en
a pas un qui soit déterminément vrai comme le Philosophe [1 Peri
Hermeneias, ch. dernier] le prouve. Il semble donc qu’ils ne soient pas
l’objet de la science de Dieu. |
[2799] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 3
Praeterea, si sit contingentium, ponatur quod Deus sciat Socratem currere ;
inde sic. Aut est possibile Socratem non currere, aut impossibile. Si enim
est impossibile ipsum non currere, ergo ab aequipollenti necesse est ipsum
currere, et sic haberetur propositum, quod illud cujus est scientia Dei, sit
necessarium. Si autem possibile est ipsum non currere, ponatur ergo.
Possibile enim est, secundum Philosophum, I Priorum., cap.
XII, quo posito, non sequitur inconveniens. Sed positum erat quod Deus sciret
Socratem currere. Ergo scit esse quod non est. Omnis autem talis scientia
falsa est. Ergo scientia Dei erit falsa, quod est impossibile. Relinquitur
ergo quod Socratem non currere, non fuit possibile sed necessarium. |
3. En outre, si sa science avait
pour objet ce qui est contingent, supposons que Dieu sache que Socrate
court ; d’où il suit ceci. Ou bien il est possible que Socrate ne courre
pas, ou bien cela est impossible. Si en effet il est impossible qu’il ne
courre pas, il est donc nécessaire par équivalence qu’il courre et ainsi on
obtiendra le propos que ce dont il y a science en Dieu est nécessaire. On
pose donc s’il est possible qu’il ne courre pas. En effet, selon le
Philosophe [1 Premiers Analytiques, ch. XII], le possible est ce
qui, étant posé, aucune difficulté ne suit. Mais on posait que Dieu sait que
Socrate court. Il sait donc que ce qui n’existe pas existe. Mais une science
de cette sorte est fausse. Donc la science de Dieu sera fausse, ce qui est
impossible. Il reste donc qu’il n’était pas possible mais nécessaire que
Socrate ne courre pas. |
[2800] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 4 Si
dicatur, quod est necessarium necessitate consequentiae et non
necessitate consequentis ; sive necessitate conditionata, hac scilicet
conditione si est praescitum, et non necessitate absoluta: contra,
in omni vera conditionali si antecedens est necessarium absolute, et
consequens est necessarium absolute: quia ad antecedens semper sequitur consequens,
et ad necessarium nunquam sequitur nisi necessarium sicut ad verum nunquam
sequitur [nisi necessarium…nunquam sequitur om. Éd. de Parme]
falsum, quamvis e converso, ut probatur in 1 Posterior., text.
13. Sed hujus conditionalis, Socrates currit si est praescitum a Deo,
antecedens est necessarium absolute: tum quia omne praeteritum est
necessarium, tum quia omne aeternum est necessarium. Ergo et Socratem currere
est necessarium absolute: ergo videtur quod scientia non est nisi de
necessariis. |
4. Mais si on dit que cela est
nécessaire par une nécessité de conséquence et non par une nécessité du
conséquent, ou par une nécessité conditionnelle, c’est-à-dire à cette
condition que cela soit déjà connu, et non par une nécessité absolue, je
réponds par contre que dans toute vraie conditionnelle si l’antécédent est un
nécessaire absolu, le conséquent aussi sera un nécessaire absolu : car
le conséquent suit toujours l’antécédent, et d’un antécédent nécessaire ne
découle jamais qu’un conséquent nécessaire, tout comme du vrai ne découle
jamais [que le nécessaire…ne suit jamais om. Éd. de Parme] le
faux, bien que l’inverse soit possible comme le prouve le Philosophe [1 Seconds
Analytiques, texte 13]. Mais l’antécédent de cette conditionnelle, à
savoir ¨Socrate court si cela est déjà connu de Dieu¨, est
absolument nécessaire : tant parce que tout ce qui est passé est
nécessaire que parce que tout ce qui est éternel est nécessaire. Donc le
conséquent, à savoir que Socrate court, cela est absolument nécessaire. Il
semble donc que la science de Dieu ne porte que sur le nécessaire. |
[2801] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in Lib. Priorum, cap.
IX, ex majori de necessitate, et minori de inesse, sequitur conclusio de
necessitate. Inde sic. Omne scitum a Deo necesse est esse verum. Sed hoc est
scitum a Deo. Ergo necesse est esse verum ; et sic idem quod prius. |
5. Par ailleurs, d’après le
Philosophe [Premiers Analytiques, ch. 1X], d’une majeure nécessaire et
d’une mineure affirmative, la conclusion suit nécessairement. D’où ce qui
suit. Tout ce qui est connu de Dieu est nécessairement vrai. Mais telle chose
est connue de Dieu. Elle est donc nécessairement vraie ; et par
conséquent la conclusion doit être la même que précédemment. |
[2802] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 6 Si
dicas, quod ista est duplex: scitum a Deo necesse est esse verum: quia
potest esse de dicto ; et sic est composita et vera: vel potest esse de re ;
et sic est divisa et falsa: hoc enim dictum est necessarium, scilicet scitum
a Deo est verum ; sed hanc rem quae ponitur sciri a Deo non necesse est
fieri, quia contingenter fit: contra, ista distinctio tenet
tantum sine [in Éd. de Parme] formis separabilibus, in quibus
subjectum esse potest, non autem in formis inseparabilibus a subjecto. Unde
istam nullus distinguit: cygnum album possibile est esse nigrum: quia albedo
a cygno non separatur nisi secundum rationem et intellectum ; unde quod non
potest simul esse cum albo, non potest simul esse cum cygno. Sed in hoc quod
dicitur scitum, importatur quiddam semper concomitans subjectum: quia quod
semel est scitum a Deo, non potest non esse scitum ab eo. Ergo videtur quod
distinctio illa nihil ad propositum valeat. |
6. Si tu dis que
cette proposition, à savoir : ¨il est nécessaire que ce qui est connu de
Dieu soit vrai¨, est double : car elle peut être au sujet de l’énoncé
lui-même et ainsi elle est composée et vraie ; ou bien elle
peut être au sujet de la chose et ainsi elle est prise séparément et
fausse : en effet, cette énoncé est nécessaire, à savoir que ce qui est
connu de Dieu est vrai ; mais cette chose dont on affirme qu’elle est
connue de Dieu, il n’est pas nécessaire qu’elle vienne à exister, car elle
est produite de manière contingente ; à cela je réponds au contraire que
cette distinction tient seulement sans [dans Éd. de Parme] les
formes séparables dans lesquelles le sujet peut exister, mais non dans les
formes qui sont inséparables du sujet. D’où personne ne distingue la forme
dans cet exemple : ¨il est possible que le cygne blanc soit noir¨, car
la blancheur ne se sépare du cygne que selon la raison et
l’intelligence ; d’où il suit que ce qui ne peut exister simultanément
avec le blanc ne peut exister simultanément avec le cygne. Mais dans la chose
dont on dit qu’elle est connue est toujours impliqué un sujet qui
accompagne : car ce qui est une fois connu de Dieu ne peut pas ne pas
être connu de Lui. Il semble donc que cette distinction ne vaut rien par
rapport au propos. |
[2803] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 7 Si
dicas quod contingens quando futurum est, potest non esse ; sed non
ex quo ponitur praesens vel praeteritum ; et sic Deus, cognitionem ejus
habet: contra, omnis scientia quae est de aliquo praesente, de
quo non erat quando futurum erat, recipit additionem secundum temporum
successionem. Sed scientia Dei nihil accipit additionis a rebus, nec est in
ea aliqua successio secundum tempora. Ergo si futura contingentia non
cognoscit, ut futura sunt, nullo modo est contingentium, ut sunt praesentia
vel praeterita. |
7. Si tu dis que le contingent,
quand il est futur, peut ne pas exister, mais non pas celui à partir duquel
on pose le présent ou le passé, et que c’est ainsi que Dieu en a la
connaissance, je réponds par contre que toute science qui porte sur un
présent, sur lequel elle ne portait pas quand il était futur, reçoit une
addition d’après la succession des temps. Mais la science de Dieu ne reçoit
rien des choses par addition et elle ne suit pas la succession selon le
temps. Donc, s’il ne connaît pas les futurs contingents en tant qu’ils sont
futurs, sa science ne porte en aucune manière sur les contingents en tant
qu’ils sont présents ou passés. |
[2804] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, ea quae subsunt libero arbitrio
sunt maxime contingentia. Sed horum
cognitionem Deus habet: alias non redderet unicuique secundum opera sua. Ergo
sua scientia est contingentium. |
Cependant : 1. Par contre, les choses qui sont
soumises au libre arbitre sont contingentes au plus haut point. Mais Dieu a
la connaissance de ces choses, autrement il ne rendrait pas à chacun selon
ses œuvres. Donc sa science porte sur le contingent. |
[2805] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 2
Praeterea, supra habitum est quod scientia Dei est omnium. Sed non omnia ex
necessitate contingunt, ut ad ipsum sensum patet, et a philosophis probatum
est, VI Metaph., text. 6, et in fide suppositum est. Ergo scientia Dei
non tantum est necessariorum, sed etiam contingentium. |
2. Par
ailleurs, nous avons établi plus haut que Dieu a la science de tout ce qui
existe. Mais ce n’est pas tout ce qui existe qui se produit nécessairement
ainsi que cela est évident aux sens, prouvé par les philosophes [ VI Métaphysique,
texte 6], et supposé par notre foi. Donc la science de Dieu ne porte pas
seulement sur le necessaire mais aussi sur le contingent. |
[2806] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod propter hujusmodi difficultates, quidam philosophi, ut
Averroes, XII Metaph., text. 10 et 51, negaverunt, Deum de
particularibus contingentibus cognitionem habere, cogitantes intellectum
divinum ad modum intellectus nostri ; et ideo erraverunt. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’en raison
de ces difficultés, certains philosophes, comme Averroès [XII Métaphysique,
texte 10 et 51], concevant l’intelligence divine à la manière de notre
intelligence, ont nié que Dieu a la connaissance des particuliers
contingents ; et c’est pourquoi ils se sont trompés. |
Quod autem intellectus divinus non impediatur a
cognitione particularium ratione particulationis quae est ex materia, sicut
intellectus noster impeditur, in 36 distin., quaest. 1, art. 1, ostensum est
; et ideo nunc restat inquirere utrum impediatur ratione contingentiae:
contingentia enim videtur duplici ratione effugere divinam cognitionem. |
Mais que l’intelligence divine ne
soit pas privée de la connaissance des particuliers en raison de
l’individuation qui vient de la matière comme c’est le cas pour notre
intelligence ainsi que nous l’avons montré plus haut [dist. 36, quest. 1,
art. 1], c’est pourquoi il nous reste maintenant à savoir s’il en est empêché
en raison de la contingence : la contingence en effet semble échapper à
la connaissance divine pour deux raisons. |
Primo propter
ordinem causae ad causatum. Quia
causae necessariae et immutabilis videtur esse effectus necessarius ; unde
cum scientia Dei sit causa rerum, et sit immutabilis, videtur quod [non add.
Éd. de Parme] possit esse contingentium. |
Premièrement à cause du rapport de
la cause au causé. Car il semble que l’effet d’une cause nécessaire et
immuable soit nécessaire ; d’où il suit que puisque la science de Dieu
est la cause des choses et qu’elle est immuable, il semble qu’elle [ne add.
Éd. de Parme] puisse porter sur le contingent. |
Secundo propter ordinem scientiae ad scitum ; quia cum
scientia sit certa cognitio, ex ipsa ratione certitudinis etiam exclusa
causalitate, requirit certitudinem et determinationem in scito, quam
contingentia excludit, et quod scientia ex ratione certitudinis suae requirat
determinationem in scito [et quod scientia… in scito om. Éd. de Parme]
ut patet in scientia nostra, quae non est causa rerum, et in scientia Dei
respectu malorum. |
Deuxièmement à cause du rapport de
la science à l’objet de science ; car puisque la science est une
connaissance certaine, la causalité aussi étant écartée de la notion même de
certitude, elle exige une certitude et une détermination dans l’objet de
science que la contingence n’admet pas, et que la science en raison de sa certitude
exige une détermination dans l’objet de science [et que la science … dans
l’objet de science om. Éd. de Parme], comme on le voit pour notre
science qui n’est pas la cause des choses et pour la science de Dieu par
rapport aux maux. |
Sed neutrum horum removet
scientiam contingentium a Deo. Et de
primo quidem satis manifeste potest accipi. Quandoque enim sunt causae multae
ordinatae, effectus ultimus non sequitur causam primam in necessitate et
contingentia, sed causam proximam ; quia virtus causae primae recipitur in
causa secunda secundum modum causae secundae. |
Mais aucune de ces raisons
n’empêche Dieu d’avoir la science des contingents. Et on peut l’admettre
assez manifestement au sujet de la première raison. En effet, lorsqu’il y a
plusieurs causes ordonnées les unes aux autres, l’effet dernier ne suit pas
la cause première dans la nécessité et la contingence, mais il suit la cause
prochaine ; car la puissance de la cause première est reçue dans la
cause seconde à la manière de la cause seconde. |
Effectus enim ille non procedit a causa prima nisi
secundum quod virtus causae primae recipitur in secunda causa: ut patet in
floritione arboris cujus causa remota est motus solis, proxima autem virtus
generativa plantae. Floritio autem potest impediri per impedimentum virtutis
generativae, quamvis motus solis invariabilis sit. Similiter etiam scientia
Dei est invariabilis causa omnium ; sed effectus producuntur ab ipso per
operationes secundarum causarum ; et ideo mediantibus causis secundis
necessariis, producit effectus necessarios, ut motum solis et hujusmodi ; sed
mediantibus causis secundis contingentibus producit effectus contingentes. |
En effet, cet effet ne procède de la
cause première que selon que la puissance de la cause première est reçue dans
la cause seconde comme on le voit dans la floraison de l’arbre dont la cause
éloignée est le mouvement du soleil et la cause prochaine est la puissance
générative de la plante. Mais la floraison peut être empêchée par une
obstacle de la puissance générative bien que le mouvement du soleil soit
invariable. Semblablement aussi la science de Dieu est la cause invariable de
tous les êtres mais les effets sont produits par lui à travers les opérations
des causes secondes ; et c’est pourquoi il produit des effets nécessaires,
comme le mouvement du soleil et des choses de la sorte, au moyen de causes
secondes nécessaires ; mais au moyen de causes secondes contingentes il
produit des effets contingents. |
Sed adhuc manet dubitatio major de secundo
[secunda Éd. de Parme]: quia causa prima necessaria potest simul
esse cum defectu causae secundae, sicut motus solis cum sterilitate arboris ;
sed scientia Dei non potest simul stare cum defectu causae secundae. |
Mais il reste une difficulté
majeure au sujet de la deuxième [seconde Éd. de Parme]
raison : car la cause première nécessaire peut simultanément s’exercer
avec un défaut de la cause seconde, tout comme le mouvement du soleil avec la
stérilité de l’arbre ; mais la science de Dieu ne peut se trouver
simultanément avec un défaut de la cause seconde. |
Non enim potest esse quod Deus sciat simul hunc
cursurum, et iste deficiat a cursu ; et hoc est propter certitudinem
scientiae et non propter causalitatem ejus. Oportet enim invenire ad hoc quod
sit certa scientia, aliqua [aliquam Éd. de Parme] certitudinem in
scito. Sciendum est igitur, quod antequam res sit non habet
esse nisi in causis suis. Sed causae quaedam sunt ex quibus necessario
sequitur effectus, quae impediri non possunt, et in istis causis habet
causatum esse certum et determinatum, adeo quod potest ibi demonstrative
sciri, sicut est ortus solis, et eclypsis, et hujusmodi. Quaedam autem sunt
causae ex quibus consequuntur effectus ut in majori parte, sed tamen
deficiunt in minori parte ; unde in istis causis effectus futuri non habent
certitudinem absolutam, sed quamdam, inquantum sunt magis determinatae causae
ad unum quam ad aliud ; et ideo per istas causas potest accipi scientia
conjecturalis de futuris, quae tanto magis erit certa, quanto causae sunt
magis determinatae ad unum ; sicut est cognitio medici de sanitate et morte
futura, et judicium astrologi de ventis et pluviis futuris. |
Il n’est pas possible en effet
simultanément que Dieu sache que celui-ci court et que ce dernier soit en
défaut par rapport à la course ; et il en est ainsi à cause de la
certitude de la science et non en raison de sa causalité. En effet, pour
qu’il y ait la certitude la science, il faut qu’il y ait une [certaine Éd.
de Parme] certitude dans l’objet connu de science. Il faut donc savoir qu’avant que la chose
existe, elle n’a d’existence que dans ses causes. Mais il y a des causes à
partir desquelles l’effet suit nécessairement, lesquelles ne peuvent être
empêchées, et dans ces causes le causé possède une existence certaine et
déterminée à ce point qu’on puisse en avoir là une connaissance démonstrative
comme c’est le cas pour le lever du soleil, l’apparition de l’éclypse, etc.
Mais il y a des causes à partir desquelles les effets découlent dans la
plupart des cas mais font défaut à l’occasion ; d’où il résulte que pour
ces sortes de causes les effets futurs ne possèdent pas une certitude absolue
mais relative, pour autant que ces causes sont davantage déterminées à un
effet qu’à un autre ; et c’est pourquoi, au moyen de ces causes, on peut
admettre une science conjecturale des événements futurs, laquelle sera
d’autant plus certaine que les causes seront davantage déterminées à un seul
effet, comme c’est le cas pour la connaissance du médecin au sujet de la
santé et de la mort à venir et pour le jugement de l’astronome sur les vents
et les pluies à venir. |
Sed quaedam causae sunt quae se habent ad utrumque: et
in istis causis effectus de futuro nullam habent certitudinem vel
determinationem ; et ideo contingentia ad utrumlibet in causis suis nullo
modo cognosci possunt. Sed quando jam efficiuntur in rerum natura, tunc
habent in seipsis esse determinatum ; et ideo quando sunt in actu,
certitudinaliter cognoscuntur, ut patet in eo qui videt Socratem currere, dum
currit, quia Socratem currere dum currit, necessarium est ; et certam
cognitionem habere potest. Dico igitur, quod intellectus divinus intuetur ab
aeterno unumquodque contingentium non solum prout est in causis suis, sed
prout est in esse suo determinato. |
Mais il y a des causes qui ne sont pas
davantage déterminées à un effet qu’à un autre : et dans ces causes les
effets à venir ne possèdent aucune certitude ou aucune détermination ;
et c’est pourquoi les effets contingents dans un sens ou dans l’autre ne
peuvent aucunement être connus dans leurs causes. Mais lorsqu’ils sont déjà
produits dans la nature des choses, alors ils possèdent en eux-mêmes une
existence déterminée ; et c’est pourquoi, lorsqu’ils existent en acte,
ils sont connus avec certitude comme on le voit chez celui qui voit Socrate
courir alors même qu’il court car il est nécessaire que Socrate, aussi
longtemps qu’il court, courre ; et c’est ainsi que celui qui voit cela
peut en avoir une connaissance certaine. Je dis donc que l’intelligence divine
saisit de toute éternité chacun des contingents non seulement en tant qu’il
existe dans ses causes, mais en tant qu’il est dans son existence déterminée. |
Nisi enim hoc esset [nisi… esset om. Éd. de
Parme], cum re existente ipsam rem videat prout in esse suo determinato
est, aliter cognosceret rem postquam est quam antequam fiat ; et sic ex
eventibus rerum aliquid ejus accresceret cognitioni. Patet etiam quod Deus ab
aeterno non solum vidit ordinem sui ad rem, ex cujus potestate res erat
futura, sed ipsum esse rei intuebatur. |
Si cela n’était pas [si … n’était
pas om. Éd. de Parme], alors qu’il verrait la chose elle-même
selon qu’elle est dans son existence déterminée une fois que la chose aurait
existé, il connaîtrait la chose après son existence autrement qu’avant
qu’elle soit produite et ainsi quelque chose s’ajouterait à sa connaissance à
partir de ce qui se déroule dans les choses. Il est donc clair que Dieu de
toute éternité voit non seulement son rapport à la chose par la puissance
duquel la chose était appelée à exister, mais il saisit aussi l’existence
même de la chose. |
Quod qualiter sit, evidenter docet Boetius in
fine De consol.,lib. V, prosa ult., col. 808. Omnis enim
cognitio est secundum modum cognoscentis, ut dictum est. Cum igitur Deus sit
aeternus, oportet quod cognitio ejus modum aeternitatis habeat, qui est esse
totum simul sine successione. |
Et de quelle manière il en est
ainsi, Boèce l’enseigne avec évidence [V De la Consolation de la
Philosophie, prose dernière, col. 808]. En effet, toute connaissance a
lieu d’après le mode de celui qui connaît, ainsi que nous l’avons dit. Donc
puisque Dieu est éternel, il faut que sa connaissance corresponde au mode de
l’éternité dans lequel tout est présent simultanément sans la moindre
succession. |
Unde sicut quamvis tempus sit successivum, tamen
aeternitas ejus est praesens omnibus temporibus una et eadem et indivisibilis
ut nunc instans [stans Éd. de Parme] ; ita et cognitio sua
intuetur omnia temporalia, quamvis sibi succedentia, ut praesentia sibi, nec
aliquid eorum est futurum respectu ipsius, sed unum respectu alterius. Unde
secundum Boetium, col. 860, melius dicitur providentia quam praevidentia:
quia non quasi futurum, sed omnia ut praesentia uno intuitu procul videt,
quasi ab aeternitatis specula. |
D’où il résulte que bien que le
temps soit successif, cependant l’éternité de Dieu, laquelle est une,
identique à elle-même et indivisible, est présente à tous les temps comme
l’instant [qui se tient Éd. de Parme] présent ; et c’est
ainsi que sa connaissance considère tous les événements temporels, bien
qu’ils soient successifs, comme lui étant présents et il n’y a aucun d’eux
qui soit futur par rapport à lui, mais ils sont tous, l’un par rapport à
l’autre, comme un seul événement. D’où, selon Boèce (col. 860), il est
préférable de parler de providence plutôt que de prévoyance : car il
voit toutes les choses non pas comme étant futures, mais par une seule
considération il les voit toutes comme présentes simultanément à ses côtés,
comme sur la montagne de l’éternité. |
Sed tamen potest dici praescientia, inquantum cognoscit
id quod futurum est nobis, non sibi. Quod ut melius pateat, exemplis
ostendatur. Sint quinque homines qui successive in quinque horis quinque
contingentia facta videant. Possum ergo dicere, quod isti quinque vident haec
contingentia succedentia praesentialiter. Si autem poneretur quod isti
quinque actus cognoscentium essent actus unus, posset dici quod una cognitio
esset praesentialiter de omnibus illis cognitis successivis. |
Mais on peut cependant parler de
préscience, pour autant qu’il connaît ce qui est futur pour nous mais pas
pour lui. Ce qui serait davantage évident si on le montrait par des exemples.
Supposons cinq hommes qui voient successivement cinq énénements contingents à
cinq moments différents. Je peux donc dire que ces cinq hommes voient
présentement ces événements contingents qui se succèdent. Mais si on posait
que ces cinq actes de connaissance n’étaient qu’un seul acte, on pourrait
dire qu’il n’y a présentement qu’une seule connaissance actuelle pour tous
ces événements successifs connus. |
Cum ergo Deus uno aeterno intuitu, non successivo,
omnia tempora videat, omnia contingentia in temporibus diversis ab aeterno
praesentialiter videt non tantum ut habentia esse in cognitione sua. Non enim
Deus ab aeterno cognovit in rebus tantum se cognoscere ea, quod est esse in
cognitione sua ; sed etiam ab aeterno vidit uno intuitu et videbit singula
tempora, et rem talem esse in hoc tempore, et in hoc deficere. |
Donc puisque Dieu voit tous les
temps par une seule saisie éternelle et non successivement, il voit de toute
éternité comme présents tous les contingents dans leurs temps différents et
non seulement comme possédant l’existence dans sa connaissance. En effet,
Dieu connaît de toute éternité dans les choses non seulement qu’il les
connaît, ce qui constitue leur existence dans sa connaissance ; mais
aussi il les voit par un seul regard dans l’éternité et il voit aussi les
temps singuliers et telle chose exister dans tel temps et faillir en telle ou
telle chose. |
Nec tantum videt hanc rem respectu praecedentis
temporis esse futuram, et respectu futuri praeteritam: sed videt istud tempus
in quo est praesens, et rem esse praesentem in hoc tempore, quod tamen in
intellectu nostro non potest accidere, cujus actus est successivus secundum
diversa tempora: et ita patet quod nihil prohibet contingentium ad utrumlibet
certam scientiam Deum habere, cum intuitus ejus ad rem contingentem referatur
secundum hoc quod praesentialiter in actu est quando jam ejus esse
determinatum est, et certitudinaliter cognosci potest. |
Et il ne voit pas seulement que
telle chose est future par rapport à un temps précédent et qu’elle est passée
par rapport à un temps futur : mais il voit ce temps dans lequel elle
est présente et que la chose est présente en ce temps, ce qui n’est cependat
pas possible à notre intelligence dont l’acte est successif suivant
différents temps : et ainsi il est clair que rien n’empêche Dieu d’avoir
une science certaine des contingents qui vont dans un sens ou dans l’autre,
puisque son regard se rapporte à la chose contingente selon ceci qu’elle
existe présentement en acte quand son existence est déjà déterminée et peut
être connue avec certitude. |
[2807] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod a causa prima non
trahit effectus necessitatem, sed solum a causa proxima, ut dictum est, in
corp. art. ; et ideo ratio non procedit. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que l’effet ne tire pas sa nécessité de la cause
première, mais seulement de la cause prochaine, comme nous l’avons dit dans
le corps de l’article; et c’est pourquoi le raisonnement n’est pas valide. |
[2808] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod futurum contingens non
est determinate verum antequam fiat, quia non habet causam determinatam ; et
ideo ejus certa cognitio haberi non potest ab intellectu nostro, cujus
cognitio est in tempore determinato et successive. Sed dum est in actu, determinate verum est ; et ideo a
cognitione quae est praesens illi actui, potest certitudinaliter cognosci ;
sicut patet etiam de visu corporali: et quia cognitio divina aeternitate
mensuratur, quae eadem manens omni tempori praesens est, ideo [ideo om.
Éd. de Parme] unumquodque contingentium videt prout est in suo actu. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que le futur contingent n’est pas déterminément vrai avant qu’il se réalise
car il n’a pas encore une cause déterminée ; et c’est pourquoi on ne
peut en avoir une connaissance certaine par notre intelligence dont la connaissance
est successive et dans un temps déterminé. Mais alors qu’il vient à exister
en acte, il est déterminément vrai ; et c’est pourquoi il peut alors
être connu avec certitude par une connaissance qui est présente à cet acte,
tout comme on le voit aussi pour la vision corporelle ; et parce que la
connaissance divine est mesurée par l’éternité qui est présente à tout temps
en demeurant la même, c’est pourquoi [c’est pourquoi om. Éd. de Parme]
elle voit chacun des contingents en tant qu’il est dans son acte. |
[2809] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod actus divinae cognitionis transit supra contingens,
etiam si futurum sit nobis [nunc Éd. de Parme], sicut transit
visus noster supra ipsum dum est ; et quia esse quod est, quando est, necesse
est ; quod tamen absolute non est necessarium ; ideo dicitur, quod in se
consideratum est contingens, sed relatum ad Dei cognitionem est necessarium ;
quia ad ipsam non refertur nisi secundum quod est in esse actuali ; et ideo
simile est sicut si ego videam Socratem praesentialiter currere ; quod quidem
in se est contingens, sed relatum ad visum meum, est necessarium. Unde bona
est distinctio, quod est necessarium necessitate consequentiae et non
consequentis, vel necessitate conditionata, non absoluta. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’acte de la connaissance divine passe sur le contingent, même s’il est
futur pour nous [maintenant Éd. de Parme] tout comme notre vue
passe sur lui alors qu’il existe ; et parce que l’être qui existe, quand
il existe, est nécessaire, lequel cependant n’est pas nécessaire absolument,
c’est pourquoi on dit que c’est considéré en lui-même ou absolument qu’il est
contingent mais par rapport à la connaissance de Dieu il est nécessaire car
il ne se rapporte à elle que selon qu’il est dans son existence
actuelle ; et c’est pourquoi cela est semblable au cas où je vois
Socrate courir présentement car ce fait pris en lui-même ou absolument est
contingent mais par rapport à ma vue il est nécessaire. Et c’est pourquoi
cette distinction est bonne, à savoir qu’il est nécessaire par une nécessité
de conséquence et non par une nécessité du conséquent, ou par une nécessité
conditionnelle et non par une nécessité absolue. |
[2810] Super Sent.,
lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum quod ad hoc argumentum
multipliciter respondetur. Quidam enim dicunt,
quod hoc antecedens, scilicet hoc esse praescitum a Deo, non est necessarium.
Et si objiciatur, quod est dictum de praeterito, ergo est necessarium ;
respondent, quod hoc habet instantiam in praeteritis quae dicunt respectum ad
futurum ; unde cum dicitur hoc fuisse futurum, quamvis sit dictum de
praeterito ; tamen quia dependet a futuro, non est necessarium ; quia quod
fuit quandoque futurum, potest non esse futurum ; quia futurus quis incedere
non incedet, ut dicitur in 2 de Generat., text. 64. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on
répond de plusieurs manières à l’argumentation sous ce rapport. En effet, certains disent que cet
antécédent, à savoir que cela est déjà connu de Dieu, n’est pas nécessaire.
Et si on objecte que c’est un énoncé qui porte sur le passé, et qu’il est
donc nécessaire, alors ils répondent que cela présente une difficulté pour
les événements qui disent un rapport au futur ; d’où il suit que lorsqu’on
dit que cela a été dans le futur, bien que l’énoncé soit attribué au passé,
cependant parce qu’il dépend du futur, il n’est pas nécessaire ; car ce
qui a été une fois dans le futur peut ne pas être dans le futur ; car il
arrive à tel futur ne ne pas survenir ainsi que le dit le Philosophe [2 De
la Génération, texte 64]. |
Sed ista instantia nulla est ; quia quamvis quod
fuit futurum, possit non esse futurum impeditis causis quae erant
determinatae ad effectum ut in majori parte, non tamen potest non fuisse
futurum ; semper enim verum erit dicere: hoc quandoque fuit futurum.
Similiter non est ad propositum ; quia cum dicitur praescitum, non importatur
tantum ordo ad futurum, sed etiam actus quidam, qui significatur ut
praeteritus. Et ideo alii dicunt, sicut videtur Magister dicere
in Littera, quod hoc antecedens non est necessarium ; quia
praescitum, quamvis secundum vocem consignificet tempus praeteritum, tamen
significat actum divinum, cui non accidit praeteritum: et ideo sicut Deus
potest non praescire, ita potest non praescisse. Sed istud etiam non solvit ;
quia quamvis actus divinus non habeat necessitatem coactionis, habet tamen
necessitatem immobilitatis, loquendo de actibus intrinsecis, ut velle,
intelligere, et hujusmodi ; unde non est contingens non esse, si ponatur
esse. |
Mais cette objection ne vaut rien car
bien qu’il était dans le futur il pouvait ne pas être dans le futur, les
causes qui étaient déterminées à cet effet dans la plupart des cas ayant été
empêchées, cependant il ne peut pas ne pas avoir été dans le futur ; en
effet, il sera toujours vrai de dire : cela fut une fois dans le futur.
De la même manière cette difficulté ne se rapporte pas au propos ; car
lorsqu’on dit que cela est déjà connu, ce n’est pas seulement un rapport au
futur qui est impliqué mais aussi un acte qui est signifié comme étant passé. Et c’est pourquoi d’autres disent, comme
semble le faire le Maître dans la Lettre, que cet antécédent n’est pas
nécessaire ; car l’expression ¨connu d’avance¨ ou ¨prévu¨, bien que
selon le mot elle signifie aussi le temps passé, elle signifie
cependant l’acte divin qui n’est pas atteint par le passé : et c’est
pourquoi, tout comme Dieu peut ne pas prévoir, de même il peut ne pas avoir
prévu. Mais cela non plus ne résout pas le problème, car bien que l’acte
divin n’ait pas une nécessité d’obligation, cependant il a une nécessité
d’immobilité si on parle des actes intrinsèques comme celui de vouloir, de
concevoir et les autres de même sorte, d’où il ne peut lui arriver de ne pas
être si on pose qu’il est. |
Et quia consequens non potest poni non esse, quin etiam
antecedens ponatur non esse, consequens non poterit poni non esse. Sed hoc
certum est quod antecedens potest poni esse ; verum enim est determinate Deum
aliquid futurum nunc scire ; et ita sequitur quod consequens non possit poni
non esse, etiam absolute sumptum ; et multo minus quod possit contingere non
esse. Et ideo alii dicunt, quod istud antecedens est
contingens, quia designantur ibi duo, scilicet actus divinus qui immutabilis
est, et ordo ad futurum, qui mutabilis est mutabilitate rei ; et ideo totum
judicandum est contingens propter alterum tantum. Istum enim esse hominem
album, contingens est, quamvis esse hominem sit necessarium. |
Et parce que le conséquent ne peut
être posé comme n’étant pas que si l’antécédent aussi est posé comme n’étant
pas, le conséquent ne pourra être posé comme n’étant pas. Mais cela est
certain que l’antécédent peut être posé comme étant ; en effet, il est
déterminément vrai que Dieu sait maintenant ce qui doit arriver dans le
futur ; et ainsi il s’ensuit que le conséquent, même s’il est pris
absolument, ne peut être posé comme n’étant pas, et encore moins qu’il
pourrait lui arriver de ne pas exister. Et c’est pourquoi d’autres disent que cet
antécédent est contingent, car il y a là deux choses qui sont signifiées, à
savoir l’acte divin qui est immuable, et le rapport au futur qui est
changeant par un changement dans la chose ; et c’est pourquoi l’ensemble
de l’énoncé, antécédent et conséquent, doit être jugé comme contingent à
cause d’une seule des parties. En effet, il est contingent que celui-ci soit
un homme blanc, bien qu’il soit nécessaire qu’il soit un homme. |
Sed istud etiam non videtur dubitationem solvere. Cum
enim dicitur Deus praescivisse aliquid, ordo ille ad futurum designatur ibi
ut objectum super quod transit actus. Est enim sensus: praescivit,
idest scivit hoc esse futurum. |
Mais même ce raisonnement ne semble pas
résoudre la difficulté. En effet, lorsqu’on dit que Dieu a déjà prévu quelque
chose, ce rapport au futur est désigné là comme un objet sur lequel passe
l’acte. En effet, la signification est celle-ci : Dieu a su à l’avance,
c’est-à-dire qu’il savait que cela allait arriver dans le futur. |
Quando autem aliquod dictum ponitur ut materia alicujus
actus, ut dictum, oportet quod materialiter sumatur, et non secundum quod ad
significationem rei refertur ; ut cum dicitur: scio istum currere: ea autem
quae sic sumuntur, nullam differentiam contingentiae vel necessitatis in
propositione faciunt ; tum quia veritas et necessitas propositionis ex
principali verbo pendet, in quo intelligitur compositio: tum etiam quia
dictum hoc modo positum non sumitur ut verum et falsum, vel ut necessarium
vel contingens, sed ut dictum quoddam tantum. |
Mais lorsqu’un énoncé est posé
comme la matière d’un acte, en tant qu’énoncé, il faut qu’il soit pris
matériellement et non selon qu’il se rapporte à la signification de la chose,
comme lorsqu’on dit : je sais que celui-ci court ; mais les choses
qui sont prises de cette manière ne font aucune différence quant à la contingence
ou à la nécessité dans la proposition, tant parce que la vérité et la
nécessité de la proposition dépendent de l’expression principale dans
laquelle se comprend la composition, que parce que l’énoncé posé de cette
manière n’est pas pris comme vrai ou faux, comme nécessaire ou contingent,
mais seulement comme un énoncé. |
Unde aequalis necessitas vel contingentia est harum
duarum propositionum: dico Socratem currere, et dico solem moveri ; etiam
posito quod ipsum dicere sit necessarium ; et ita posito etiam quod ordo ille
importatus ad futurum sit mutabilis, nihil impeditur de necessitate
antecedentis. |
D’où il suit que la nécessité ou la
contingence de ces deux propositions est égale : ¨je dis que Socrate
court¨ et ¨je dis que le soleil est en mouvement¨, même en posant que
l’énoncé lui-même est nécessaire ; et ainsi, même en posant que cet
ordre qui se rapporte au futur est changeant, rien ne fait obstacle à la
nécessité de l’antécédent. |
Unde alii dicunt, hoc antecedens esse necessarium ; nec
tamen consequens est necessarium ; quia illa maxima intelligitur tantum in
illis conditionalibus [conditionibus Éd. de Parme] in quibus
antecedens est causa proxima consequentis. Sed hoc etiam non plene solvit,
quia regula illa non probatur a Philosopho, I Posterior., text.
17, ratione causalitatis, sed ratione consequentiae, secundum
quam ex necessario sequitur necessarium, sive sit causa, sive sit effectus. |
C’est
pourquoi d’autres disent que cet antécédent est nécessaire et cependant que
le conséquent n’est pas nécessaire, car cette maxime s’entend seulement pour
ces conditionnelles [conditions Éd. de Parme] dans lesquelles
l’antécédent est la cause prochaine du consequent. Mais cela non plus ne
résout pas pleinement la difficulté car cette règle n’est pas prouvée par le
Philosophe [1 Seconds Analytiques,texte 17] en raison de la
causalité mais en raison de la consequence d’après laquelle le necessaire
découle du necessaire, qu’il s’agisse de la cause ou de l’effet. |
Et ideo aliter dicendum est, quod antecedens est
necessarium absolute, tum ex immobilitate actus tum etiam ex ordine ad scitum
; quia ista res non ponitur subjacere scientiae divinae nisi dum est in actu,
secundum quod determinationem et certitudinem habet. Ipsum enim necesse est
esse dum est ; et ideo similis necessitas est inserenda in consequente, ut
scilicet accipiatur ipsum quod est Socratem currere, secundum quod est in
actu ; et sic terminationem et necessitatem habet. |
Et c’est pourquoi il faut
s’exprimer autrement en disant que l’antécédent est nécessaire absolument,
tant à cause de l’immobilité de l’acte qu’à cause aussi du rapport à l’objet
connu ; car on ne pose que cette chose est soumise à la science de Dieu
qu’en tant qu’il est en acte, selon qu’il possède une détermination et une
certitude. En effet, il est nécessaire que Lui-même soit pendant qu’Il
existe ; et c’est pourquoi il faut insérer une nécessité semblable dans
le conséquent de manière à admettre cela même que Socrate court selon qu’il
est en acte et c’est ainsi qu’il possède une définition et une nécessité. |
Unde patet quod si sumatur Socratem currere secundum
hoc quod ex antecedente sequitur, necessitatem habet: non enim sequitur ex
antecedente nisi secundum quod substat divinae scientiae, cui subjicitur
prout consideratur praesentialiter in suo esse actuali ; unde etiam sic
sumendum est consequens, quomodo patet quod consequens necessarium est:
necesse enim est Socratem currere dum currit. |
D’où il est clair que si on prend
la course de Socrate selon qu’elle découle de l’antécédent, elle est
nécessaire : en effet, elle ne découle de l’antécédent que selon qu’elle
est assujettie à la science de Dieu à laquelle elle est soumise selon qu’elle
est considérée présentement dans son existence actuelle ; d’où il suit
que c’est aussi de cette manière que doit se prendre le conséquent, manière
par laquelle il est clair que le conséquent est nécessaire : il est
nécessaire en effet que Socrate courre alors même qu’il court. |
[2811] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ista ; omne scitum a Deo necesse est esse, est duplex,
eo quod potest esse de dicto, vel de re : et si sit de dicto vera est,
et si sit de re, falsa est : et similiter conclusio duplex est. Et hujus
distinctionis ratio est, quia potest istud sumi secundum conditionem qua
subjacet divinae scientiae ; et hoc est secundum quod habet esse determinatum
in actu, et sic necessitatem habet, vel potest ista res sumi sine aliqua
conditione ; et sic non est necessaria: quia potest sic considerari ut est in
causis suis antequam sit in actu, et ibi non habet necessitatem, nec ibi est
scita a Deo futura esse ; non enim scit Deus effectum contingentem esse
determinatum in causa sua: quia esset falsa scientia, cum in causa sua
determinatum non sit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que cette proposition, à savoir: ¨tout ce que Dieu sait existe
nécessairement¨, peut s’entendre de deux manières du fait qu’elle peut se
dire soit de l’énoncé, soit de la chose ; si elle se dit de l’énoncé,
elle est vraie mais si elle se dit de la chose, elle est fausse ; et
semblablement il y a deux conclusions. Et la raison de cette distinction est
que cette proposition peut se prendre d’après la condition par laquelle la
chose est soumise à la science de Dieu, selon qu’elle possède une existence
déterminée en acte et par conséquent une nécessité, ou bien cette même chose
peut être prise sans aucune condition et ainsi elle n’est pas
nécessaire : car elle peut être considérée de telle manière qu’elle
existe dans ses causes avant d’exister en acte et dans ce cas elle ne possède
aucune nécessité et n’est pas connue de Dieu comme devant exister dans le
futur ; Dieu en effet ne peut connaître qu’un effet contingent soit
déterminé dans sa cause car ce serait là une science fausse puisque qu’un
effet, alors même qu’il existe dans sa cause, n’est pas déterminé. |
[2812] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod quamvis iste respectus ad rem sit inseparabilis secundum
quod attingit eam ; non tamen attingit eam nisi prout est in esse actuali
praesentialiter considerata ; et ideo potest fieri distinctio secundum quod
res illa consideratur ut cadens sub respectu illo vel ut non cadens. Verbi
gratia, cursus Socratis subjacet certitudini divinae scientiae, prout est in
actu ; et hoc non habuit semper, quia quandoque erat in potentia tantum, et
secundum quod sic tantum erat, non erat subjicibilis certitudini divinae
scientiae: si enim Deus vidisset ipsam causam, ut Socratem, et non vidisset
immediate effectum in esse suo sicut nos futura cognoscimus, nunquam
potuisset istud scire ; et ideo patet quod distinctio illa, scilicet quod
possit esse de re, vel de dicto, bona est. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
bien que ce rapport à la chose soit inséparable selon qu’il l’atteint,
cependant il ne l’atteint que selon qu’elle est considérée présentement dans
son existence actuelle ; et c’est pourquoi il peut se produire une
distinction selon que cette chose est considérée comme tombant ou non sous ce
rapport. En d’autres mots, la course de Socrate est soumise à la certitude de
la science de Dieu en tant qu’elle existe en acte ; et il n’a pas
toujours eu cette certitude parce qu’une fois elle existait en puissance
seulement et selon qu’elle existait seulement de cette manière, elle ne
pouvait pas être assujettie à la certitude de la science divine : si en
effet Dieu avait vu la cause elle-même, par exemple Socrate, et n’avait pas
vu immédiatement l’effet dans son existence tout comme nous connaissons les
événements futurs, jamais il n’aurait pu savoir cela ; et c’est pourquoi
il est clair que cette distinction, à savoir que la proposition peut porter
sur la chose ou sur l’énoncé, est bonne. |
[2813] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deus non tantum cognoscit ea quae sunt nobis
praesentia, sed quae sunt nobis praeterita et futura, supra quae tamen omnia
intuitus divinus cadit, secundum quod suis temporibus praesentia sunt. Unde
non sequitur quod aliquam rem Deus quandoque sciat quam aliquando nescivit. |
7. Il faut dire en septième lieu
que Dieu ne connaît pas seulement les choses qui nous sont présentes, mais
aussi celles qui sont passées et futures pour nous ; et cependant le
regard divin tombe sur toutes ces choses selon qu’elles sont présentes en
leurs temps. D’où il résulte qu’il ne s’ensuit pas que Dieu connaît parfois
une chose qu’il ignorait autrefois. |
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Distinctio 39 |
Distinction 39 – [Science de Dieu et providence] |
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Prooemium |
Prologue |
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Hic est duplex quaestio : prima de invariabilite
scientiae divinae ; Secunda de
universlitate providentiae eijusdem. |
La
recherche porte ici sur deux points: premièrement sur l’invariabilité de la
science divine. Deuxièmement sur
l’universalité de sa providence. |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [l’invariabilité de la science divine] |
Prooemium |
Prologue |
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Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum Deus possit non scire illud quod scit ; 2 utrum possit aliquid scire quod non scit, vel plura
quam scit ; 3 utrum Deus sciat infinita. |
On cherche à répondre à trois
interrogations par rapport au premier point. 1. Est-ce que Dieu peut ne pas savoir ce
qu’il sait ? 2. Est-ce que Dieu peut en arriver à
savoir ce qu’il ne sait pas ou plus de chose que ce qu’il sait ? 3. Est-ce que Dieu connaît un nombre
infini d’objets ? |
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Articulus 1 [2816] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1
tit. Utrum Deus possit non scire illud quod est scitum ab eo |
Article 1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est connu par lui ? |
[2817] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit non scire illud quod
scitum est ab eo ; quia, secundum Augustinum, lib. XXVI Contra
Faustum, cap. IV, col. 481, Hieronymum, Ad Eustoch., epist., XXII, de
custo. Virginitatis, § 5, col. 397, et Philosophum, in
VI Ethic, cap. II, Deus non potest facere ut id quod est
praeteritum, non fuerit. Sed cum dicitur: hoc est scitum a Deo, significatur
ut praeteritum. Ergo non potest non esse scitum ab eo. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne puisse pas ne
pas connaître ce qu’il connaît ; car, selon Saint-Augustin [XXVI, Contre
Faustus, ch. IV, col. 481], Saint-Jérôme [Lettre à Eustochium,
XXII, Sur la Conservation de la Virginité, & 5, col. 397] et
le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11], Dieu ne peut faire en sorte que ce qui
est passé n’a pas été. Mais lorsqu’on dit : ¨cela est connu de Dieu¨,
cela est signifié comme étant passé. Donc cela ne peut pas ne pas être connu
de Dieu. |
[2818] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 2 Si
dicas, quod est praeteritum dependens a futuro, hoc nihil est, ut prius
dictum est, dist.XXXVII, quaest. 1, art. 3, quia non importatur in participio tantum
ordo ad futurum, ut in hoc participio futurum ; sed etiam actus quidam. |
2. Si
tu dis que c’est là un passé qui depend du futur, cela ne vaut rien
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 37, quest. 1, art. 3] car le
participe n’implique pas seulement un rapport au futur comme le futur est
impliqué dans ce participe, mais aussi un certain acte. |
[2819] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, omne quod est, necesse est esse dum est, ut dicit Philosophus,
I Perih., cap. ult.. Sed scire Dei non est nisi ut ens actu,
cum mensuretur aeternitate, in qua nihil praeterit vel succedit. Ergo videtur
quod non possit non esse ; et ita Deus non possit non scire illud quod scit. |
3. Par ailleurs, tout ce qui est,
il est nécessaire qu’il soit tant qu’il est, comme le dit le Philosophe
[1 Peri Hermeneias, ch. dernier]. Mais le savoir de Dieu n’existe
que comme un être en acte puisqu’il est mesuré par l’éternité dans laquelle
rien ne passe et rien ne fait suite. Il semble donc qu’il ne puisse pas ne
pas être. Par conséquent Dieu ne peut pas ne pas savoir ce qu’il sait. |
[2820] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Philosophum, in II de
generat., text. 68, omne aeternum est necessarium. Sed quodlibet scire Dei est aeternum. Ergo est
necessarium ; ergo ab aequipollenti non potest non esse. |
4. En outre, d’après le Philosophe
[11 De la Génération, texte 68], tout ce qui est éternel est
nécessaire. Mais tout savoir de Dieu est éternel. Tout savoir de Dieu est
donc nécessaire et donc par équivalence il ne peut pas ne pas être. |
[2821] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 5 Scire
ipsius est ipsum esse ejus. Sed ipse non potest non esse. Ergo non potest non
scire quod scit. |
5. Le savoir de Dieu est son être
même. Mais Lui-même ne peut pas ne pas être. Donc, il ne peut pas ne pas
savoir ce qu’il sait. |
[2822] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid Deus scit, operando
operatur. Sed potest non operari quod operatur. Ergo potest non scire illud
quod scit. |
Cependant : Tout ce que Dieu sait, il le sait par son
opération. Mais il peut ne pas poser l’opération qu’il pose. Il peut donc ne
pas savoir ce qu’il sait. |
[2823] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod sicut attributa divina differunt secundum proprias rationes,
et sunt tamen una res ; ita etiam actus attributorum sequuntur rationes eorum
; et ideo alicui actui attribuitur quod alteri non convenit. Dicimus enim
Deum scire quod non vult, vel quod non facit. Est ergo haec ratio voluntatis
ut libere actum suum producat ; quod enim fit voluntate, non fit necessitate,
ut dicit Augustinus ; unde potest velle et non velle. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout comme
les attributs divins diffèrent d’après les définitions qui leur sont propres
et qu’ils ne sont cependant qu’une seule réalité, de même aussi les actes des
attributs découlent de leurs définitions ; et c’est pourquoi on attribue
à un acte ce qui ne convient pas à un autre. Nous disons en effet que Dieu
sait ce qu’il ne veut pas ou ce qu’il ne fait pas. Telle est donc la
définition de la volonté qu’elle produit librement son acte ; en effet,
ce qui est fait pas la volonté n’est pas fait par nécessité, comme le dit
Saint-Augustin ; d’où il suit qu’elle peut vouloir et ne pas vouloir. |
Sed hoc intelligendum est, dum actus est in egrediendo
a voluntate ; quia postquam transit, non subjacet facultati ejus ; non enim
potest non voluisse quod voluit. Similiter non subjacet facultati ejus ut
utrumque simul producat ; non enim potest simul velle et non velle. Et hoc
non tantum intelligendum est de actu ipsius voluntatis immediato ; sed de
omnibus actibus imperatis a voluntate, sicut cogitare, loqui, et hujusmodi. |
Mais cela soit s’entendre en tant
que l’acte est sur le point de sortir de la volonté car après que l’acte est
passé, il n’est plus soumis à sa faculté ; en effet, la volonté ne peut
pas ne pas avoir voulu ce qu’elle a voulu. Semblablement il n’est plus en son
pouvoir de produire simultanément les deux actes : en effet, elle ne
peut simultanément vouloir et ne pas vouloir. Et cela ne doit pas s’entendre
seulement de l’acte immédiat de la volonté, mais de tous les actes commandés
par la volonté, comme penser, parler et les actes de cette sorte. |
Cum igitur actus divinae voluntatis semper sit in actu,
et non pertransiens in futurum, semper est quasi in egrediendo a voluntate ;
et ideo manet libertas divinae voluntatis respectu ipsius. Unde potest dici,
quod Deus potest non velle hoc ; non tamen potest ut simul velit et non
velit, vel ut nunc velit et postmodum non velit, accipiendo
« post » et « nunc » ex parte voluntatis, quia
[quae Éd. de Parme] mutabilis esse non potest. |
Donc, puisque l’acte de la volonté
divine est toujours en acte sans passer vers un futur, il est comme toujours
en train de sortir de la volonté ; et c’est pourquoi la liberté de la
volonté divine demeure par rapport à lui. D’où l’on peut dire que Dieu peut
ne pas vouloir cela mais il ne le peut cependant pas de manière à vouloir et
ne pas vouloir simultanément, ou de manière à le vouloir maintenant et à ne
pas le vouloir après, en prenant ¨après¨ et ¨maintenant¨ du côté de la
volonté, parce [laquelle Éd. de Parme] qu’elle ne peut changer. |
Et quia dictum est supra, dist. VIII, quaest. 3,
art. 1, de actu divinae scientiae, secundum quod est causa operis ejus ut
informans ipsum, quod est imperatus a voluntate ; ideo potest concedi quod
Deus hoc modo potest non praescire. Non tamen potest esse ut simul praesciat
et non praesciat, vel quod nunc praesciat et postmodum non praesciat,
loquendo de praescientia ex parte scientiae tantum ; ita quod non fiat vis de
ratione futuri ; quia quod modo est futurum, postea erit praesens ; et tunc
non erit [est Éd. de Parme] praescitum, sed scitum est. |
Et parce que nous avons dit plus
haut [dist. VIII, quest. 3, art. 1] au sujet de l’acte de la
science divine, selon qu’il est la cause de son œuvre en tant qu’il
l’informe, qu’il est commandé par la volonté, c’est pourquoi on peut concéder
que Dieu peut, de cette manière, ne pas savoir à l’avance. Cependant il n’est
pas possible qu’il sache et qu’il ne sache pas à l’avance simultanément, ou
qu’il sache à l’avance maintenant et qu’il ne sache pas à l’avance par la
suite, en parlant de la préscience du côté de la science seulement de telle
manière que la notion du futur n’en reçoive aucune force car ce qui par sa
manière d’être est futur sera présent par la suite et alors il ne sera
[est Éd. de Parme] plus connu à l’avance mais connu. |
Et ideo dicendum est secundum distinctionem Magistri,
quod si accipiatur conjunctim, Deus non potest non scire quod scitum est ab
eo: si autem accipiatur divisim, sic est in potestate sua scire et non scire
; et haec libertas demonstratur cum dicitur quod Deus potest hoc non scire. |
Et c’est pourquoi il faut dire
conformément à la distinction du Maître que si on prend l’énoncé en ensemble
tout à la fois, Dieu ne peut pas ne pas savoir ce qui est su de Lui ;
mais si on le prend séparément, alors il est en son pouvoir de savoir et de
ne pas savoir ; et cette liberté est manifestée lorsqu’on dit que Dieu
peut ne pas savoir cela. |
[2824] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus scientiae
divinae nunquam transit in praeteritum, sed semper est in actu: et ideo
semper manet in libertate voluntatis. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que l’acte de la science divine ne passe jamais dans le
passé, mais il est toujours en acte: et c’est pourquoi il demeure toujours
dans la liberté de la volonté. |
[2825] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod illa solutio nihil valet. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que cette solution ne vaut rien. |
[2826] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illud quod est, necesse est esse dum est ; absolute
tamen loquendo, non necesse est esse. Ita et Deo scire necesse est dum scit ;
non tamen necesse est eum scire nisi necessitate immobilitatis, quae
voluntatis libertatem non excludit ; et haec libertas significatur cum
dicitur, quod Deus potest hoc non scire vel non velle. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que ce qui est, il est nécessaire qu’il soit tant qu’il est ; à parler
absolument cependant, il n’est pas nécessaire qu’il soit. De même il est
nécessaire à Dieu de savoir dès lors qu’il sait ; cependant il ne lui
est nécessaire de savoir que par une nécessité d’immobilité, laquelle
n’exclut pas la liberté de la volonté ; et cette liberté est signifiée
lorsqu’on dit que Dieu peut ne pas savoir ou ne pas vouloir cela. |
[2827] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod omne aeternum est necessarium necessitate
immobilitatis, quae libertatem voluntatis non excludit, ut dictum est, dist.
VIII, quaest. 3, art. 1. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que tout ce qui est éternel est nécessaire par une nécessité d’immobilité qui
n’exclut pas la liberté de la volonté, comme nous l’avons déjà dit
[dist. VIII, quest. 3, art. 1]. |
[2828] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod licet esse et scire sint idem secundum rem, tamen
scire sequitur voluntatem ut imperatum ab ipsa, esse autem non ; et ideo esse
suum non subjacet libertati voluntatis, sicut scire operativum creaturae. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que bien que l’être et le savoir sont identiques selon la chose ou en
réalité, cependant le savoir suit la volonté en tant qu’il est commandé par
elle contrairement à l’être ; et c’est pourquoi son être
n’est pas soumis à la liberté de la volonté tout comme le savoir qui produit
les créatures. |
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Articulus 2 [2829] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2
tit. Utrum Deus possit scire aliquid quod nescit |
Article 2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ? |
[2830] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit scire aliquid quod nescit.
Nihil enim existentium cognoscit Deus nisi per ideam. Sed non potest aliqua
idea in ipso esse quae non sit: quia cum idea sit forma rei in Deo existens,
non potest intelligi quod aliqua forma adveniat Deo sine mutatione ejus. Ergo
non potest scire ea quae non scit. |
Il semble que Dieu ne puisse pas savoir
quelque chose qu’il ne sait pas. En effet, tout ce que Dieu connaît des
choses, c’est par l’idée. Mais il ne peut y avoir en Lui une idée qui
n’existe pas, car puisque l’idée est une forme de la chose qui existe en
Dieu, on ne peut comprendre qu’une idée lui advienne sans qu’il y ait un
changement en Lui. Il ne peut donc savoir ce qu’il ne sait pas. |
[2831] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, scientia realiter refertur ad
scibile, et dependet ad ipsum. Sed mutato eo quod ad aliquid dependet, etiam
ipsum mutatur. Ergo videtur quod si
aliquid posset esse scitum a Deo quod non est modo scitum ab eo, scientia
ejus possit mutari. |
2. Par ailleurs, la science se
rapporte réellement à l’objet de science et en dépend. Mais une fois changé
ce dont il dépend, lui-même aussi est changé. Il semble donc que si quelque
chose peut être connu de Dieu qui n’est pas connu de Lui
maintenant, sa science pourra changer. |
[2832] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, quantitas scientiae attenditur secundum quantitatem scibilium,
sicut quantitas virtutis secundum quantitatem objectorum. Ergo ad
pluralitatem scibilium sequitur augmentum scientiae. Sed si posset scire
aliquid quod non scit, posset plura scire quam sciat. Ergo posset augeri ejus
scientia ; quod est impossibile. Ergo et primum. |
3. En outre, la quantité de la
science se vérifie d’après la quantité des objets de science, tout comme la
quantité de la vertu se vérifie d’après la quantité des ses objets. La
croissance de la science découle donc de la multiplicité des objets de
science. Mais s’il pouvait arriver à connaître quelque chose qu’il ne sait
pas, il pourrait connaître plus de choses qu’il n’en connaît et donc sa
science pourrait augmenter, ce qui est impossible. Il ne peut donc savoir ce
qu’il ne sait pas. |
[2833] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, supra dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 4, quod Deus non
tantum scit ea quae sunt, sed et ea quae non sunt. Ab his autem nihil potest
aliud esse, cum nihil sit medium inter ens et non ens. Ergo non potest
aliquid aliud scire ab illis quae scit. |
4. De plus, ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 4], Dieu sait non seulement les
choses qui sont mais aussi celles qui ne sont pas. Et en dehors de ces
choses, il n’y en a pas d’autres, puisqu’il n’y a aucun intermédiaire entre
l’être et le non-être. Il ne peut donc savoir autre chose que les choses
qu’il sait. |
[2834] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deus potest operari quod non
operatur. Sed quidquid operatur, operatur per suam scientiam. Ergo potest scire aliquid aliud ab his quae scit. |
Cependant : 1. Dieu peut opérer ce qu’Il n’opère pas.
Mais tout ce qu’il opère, Il l’opère par sa science. Il peut donc savoir
quelque chose d’autre que ce qu’Il sait. |
[2835] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod Deus dicitur scire aliquid dupliciter ; a/ vel scientia visionis, secundum quod videt res quae
sunt vel erunt vel fuerunt non solum in potentia causarum suarum, sed etiam
in esse proprio ; vel scientia simplicis intelligentiae, secundum quod
scit ea quae nullo tempore sunt, esse in potentia causarum suarum. De hac igitur loquendo, Deus non potest scire aliquid
aliud ab his quae scit ; quia nihil potest esse aliud ab his quae sunt et
quae possunt esse. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’on peut
dire qu’il y a deux manières pour Dieu de savoir quelque chose. Soit par la science de vision selon
laquelle il voit les choses qui sont, qui seront et qui ont été non seulement
dans la puissance de leurs causes mais aussi dans leur existence propre. Soit pas la science de simple
intelligence selon laquelle il sait que les choses qui n’existent en aucun
temps existent dans la puissance de leurs causes. Donc, si on parle de cette dernière
connaissance, Dieu ne peut savoir quelque chose d’autre que ce qu’il sait,
car il ne peut y avoir rien d’autre que ce qui existe et ce qui peut exister. |
Loquendo autem de scientia visionis de qua hic Magister
loquitur, sic potest aliquid aliud videre ab his quae videt, secundum quod
potest ei quod habet esse in potentia sua tantum, dare esse in propria
natura. Si tamen hoc in esse produceret, ab aeterno ab eo esset praescitum ;
et ideo distinguendum est hoc etiam sicut et supra, art. praeced. Si enim
intelligatur conjunctim, sic Deus non potest scire quod non scit: quia ista
duo sunt incompossibilia, quod Deus sciat aliquid quod ab aeterno nescivit.
Si autem intelligatur divisim, sic est verum, et designatur potestas libertatis,
ut supra dictum est, art. antec., et non mutabilitas scientiae vel
voluntatis. |
Mais si on parle de la science de
vision dont le Maître parle ici, alors Dieu peut voir autre chose que ce
qu’il voit selon qu’il peut donner, à ce qui ne possède l’existence qu’en
puissance, une existence dans sa nature propre. Si cependant il amenait cette
chose à exister, elle serait connue à l’avance de lui de toute
éternité ; et c’est pourquoi cela aussi doit être distingué comme nous
l’avons fait plus haut dans l’article précédent : si en effet l’énoncé
s’entend tout à la fois, alors Dieu ne peut savoir ce qu’il ne sait pas car
ces deux énoncés sont inconciliables, à savoir que Dieu sache ce qu’il a
ignoré de toute éternité. Mais si on l’entend séparément, alors il est vrai
et c’est la puissance de la liberté qui est ainsi désignée, comme nous
l’avons dit plus haut dans l’article précédent, et non un changement dans la
science ou la volonté. |
[2836] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod idea secundum essentiam est una, et non
distinguitur nisi per respectum ad diversa. Unde si poneretur aliqua alia
res, non fieret additio alicujus formae, sed respectus tantum. Vel dicendum
melius, quod sicut ipsum scire est subjectum libertati voluntatis, ita et
idea, secundum quod ad ipsam terminatur actus divinae scientiae, sicut
scientia artificis ad formam artificiati quam excogitat: et ideo similis est
ratio de idea et de actu sciendi. Sicut enim non potest poni quod actus
sciendi sit in eo, et quod non fuerit ; ita non potest designari quod idea
sit in eo et non fuerit ; tamen respectu utriusque potest designari libertas
voluntatis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
l’idée, dans son essence, est une et ne se distingue que dans son rapport à
différents objets. D’où il suit qui si on pose une autre chose, cela
n’entraîne pas l’addition d’une forme, mais seulement un rapport. Ou, pour
mieux dire, que tout comme le savoir est assujetti à la liberté de la
volonté, il en est de même pour l’idée selon qu’elle est le terme de l’acte
de la science divine, tout comme la science de l’artiste se termine à la
forme de l’œuvre qu’il a conçue : et c’est pourquoi il ne est de même
pour l’idée et pour l’acte de savoir. En effet, tout comme on ne peut
soutenir que l’acte de savoir est en lui et qu’il n’y était pas, de même on
ne peut pas signifier que l’idée est en lui et qu’elle n’y était pas ;
cependant, la liberté de la volonté peut être signifiée par rapport aux deux. |
[2837] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod scientia nostra dependet a scibili ; sed scibile
dependet a scientia Dei ; unde sicut scientia nostra variatur, scibili
immobili permanente ; ita scibile mutatur, scientia Dei non mutata. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que notre science dépend de l’objet de science, mais que l’objet de science
dépend de Dieu ; d’où il résulte que tout comme notre science change
alors que l’objet de science demeure immobile, de même l’objet de science
change alors que la science de Dieu ne change pas. |
[2838] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis aliquo modo concedatur quod Deus potest scire
aliquid aliud ab his quae scit ; non tamen videtur posse concedi quod possit
scire plura quam scit ; quia cum dicitur, plura, designatur comparatio ad
aliquid praeexistens, cum quo hoc non erat ; et hoc non potest esse, ut ista
duo sint simul vera: prius nescivit, et modo scit : nec hoc ipse
potest : et ita patet quod cum dicitur, potest plura scire, aliquo modo
pertinet ad sensum compositum. Unde Magister non simpliciter concedit, sed
opinionem narrat ; et similiter non debet concedi quod scientiae ejus aliquid
addatur, nec aliquid hujusmodi, quod facit intellectum sensus compositi. Si
tamen concederetur, non ideo sequeretur scientiam posse augeri ; quia ipse
per unum et idem scit multa et pauca, quod est primum et per se objectum
scientiae ejus, scilicet essentiam suam quae est similitudo rerum [ejus Éd.
de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que bien qu’on concède d’une certaine manière que Dieu peut savoir quelque
chose d’autre que ce qu’il sait, cependant il ne semble pas qu’on puisse
concéder qu’il puisse connaître plus de choses que ce qu’il sait car
lorsqu’on dit ¨plus de choses¨, cela implique une comparaison à une situation
préexistante par rapport à laquelle cela cela n’existait pas ; et il est
impossible que ces deux énoncés soient simultanément vrais, à savoir qu’avant
il ne savait pas et maintenant il sait ; et lui-même ne peut faire
cela : et ainsi il est clair que lorsqu’on dit que Dieu peut savoir plus
de choses, cela se rapporte en un sens au sens composé. D’où il suit que le
Maître ne concède pas absolument cet énoncé, mais il rapporte une
opinion ; et semblablement on ne doit pas concéder que quelque chose
s’ajoute à sa science ni rien d’autre de la sorte qui ferait entendre
l’énoncé en son sens composé. Si cependant on le concédait, il ne
s’ensuivrait pas que sa science puisse augmenter car c’est toujours par une
seule et même chose que Lui-même connaît plusieurs ou peu de choses, à savoir
par son essence qui est la [sa Éd. de Parme] similitude des choses. |
[2839] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ea quae non sunt, Deus non scit scientia visionis ; et
de hac tantum hic loquimur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que les choses qui n’existent pas, Dieu ne les connaît pas par une science de
vision et c’est seulement de cette dernière dont nous parlons ici. |
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[2840] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 tit. Utrum
Deus sciat infinita |
Article 3 – Dieu connaît-il l’infini ? |
[2841] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus sciat infinita. Scientia enim
numeratur secundum scita. Sed in Psal. CXLVI, 5, dicitur, quod Sapientiae
ejus non est numerus. Ergo scita ejus sunt infinita. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu connaisse un nombre
infini d’objets. En effet, la science se nombre d’après les objets connus.
Mais on lit dans les Écritures [Psaume CXLVI, 5] : Sa
sagesse est sans limite. Donc Dieu connaît un nombre infini d’objets. |
[2842] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, Deus non alio modo scit quasdam species numerorum quam alias. Sed
quasdam scit actu et determinata scientia quascumque aliquis homo scit. Cum
igitur species numerorum sint infinitae, videtur quod ipse sciat infinita
determinate. |
2. Par ailleurs, Dieu ne connaît
pas certaines espèces de nombres autrement que d’autres. Mais toutes les
espèces de nombre qu’un homme connaît, Dieu en connaît certaines en acte et
par une science déterminée. Donc, puisque les espèces de nombre sont
infinies, il semble que Dieu connaisse déterminément une infinité d’objets. |
[2843] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, particularia sunt infinita. Sed Deus scit particularia, ut supra,
dist. XXXVI, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo scit infinita. |
3. En outre, les particuliers sont
infinis. Mais Dieu connaît les particuliers, ainsi que nous l’avons dit plus
haut [dist. XXXVI, quest. 1, art. 1]. Donc, il connaît une infinité d’objets. |
[2844] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, potentia sua est [dicitur Éd. de Parme] infinita, et
dicitur infinitorum simpliciter. Sed nihil potest facere nisi per scientiam.
Ergo videtur quod scientia ejus sit infinitorum simpliciter. |
4. De plus, sa puissance est [dite Éd.
de Parme] infinie et on dit qu’elle est capable d’une infinité de choses.
Mais tout ce qu’il fait, Il ne le fait que par sa science. Il semble donc que
sa science ait une infinité d’objets purement et simplement. |
[2845] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed
contra, quidquid scitur, perfecte scientia comprehenditur. Sed quidquid
comprehenditur, intellectus comprehensione finitur, ut dicit Augustinus in
Lib. De videndo Deum, Epist.,CXLVI, cap. IX, col.
606, et Philosophus in II Metaph., text. 19. Cum igitur infinitum
non possit finiri, videtur quod a nullo intellectu possit perfecte sciri. |
Cependant : 5. Tout objet de connaissance est
parfaitement saisi par la science. Mais tout ce qui est saisi ou compris se
termine à la compréhension de l’intelligence, comme le disent Saint-Augustin
[Pour Voir Dieu, Lettre CXLVI, ch. 1X, col. 606] et
le Philosophe [11 Métaphysique, texte 19]. Donc, puisque l’infini
ne peut avoir de terme, il semble qu’il ne puisse être parfaitement connu
d’aucune intelligence. |
[2846] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 6 Si
dicamus, quod quamvis sit infinitum in se, tamen comparatum
[comparatur Éd. de Parme] ad intellectum divinum, finitum [infinitum om.
Éd. de Parme] est, contra ; quod dicitur de aliquo
diversimode respectu diversorum, est in genere relationis ; ex hoc enim
probat Philosophus, in Praed., cap. « De
quantit. », magnum et parvum relativa esse. Ergo quidquid praedicatur de
aliquo absolute, cuicumque comparetur, conveniet sibi. Sed esse infinitum est
praedicatum absolutum. Ergo quod in se est infinitum, respectu nullius potest
dici finitum. |
6. Si nous disons que bien qu’il soit
infini en lui-même, cependant comparé [il est comparé Éd. de Parme]
à l’intelligence divine, l’infini [l’infini om. Éd. de Parme] est
fini, je réponds par contre que ce qui s’attribue différemment par rapport à
plusieurs est dans le genre de la relation ; c’est à partir de là en
effet que le Philosophe [Les Prédicaments, ch. «De la Quantité»]
prouve que le grand et le petit sont des relatifs. Donc, tout ce qui
s’attribue à un être absolument conviendra aussi à tous ceux auxquels il se
comparera. Mais être infini est un prédicat absolu. Donc ce qui est infini en
soi ne peut être attribué à rien en tant que fini. |
[2847] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 7
Praeterea, infinitum finito infinitum est ; quia non potest pertransiri ab
eo. Sed sicut infinitum non pertransitur a finito, ita non transitur ab infinito,
ut probatur in IV Physic., text. 19. Ergo infinitum neque
respectu finiti neque respectu infiniti finitum est. |
7. De plus, l’infini est infini par
rapport au fini parce qu’il ne peut être traversé par lui. Mais tout comme
l’infini n’est pas traversé par le fini, de même il n’est pas traversé par
l’infini comme le prouve le Philosophe [IV Physique, texte 19].
Donc l’infini n’est fini ni par rapport au fini, ni par rapport à l’infini. |
[2848] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 8
Praeterea, quidquid scitur in actu, actu est in sciente. Sed infinita non
possunt esse in actu. Ergo infinita sciri non possunt. |
8. Par ailleurs, tout ce qui est
connu en acte est présent en acte dans celui qui sait. Mais l’infini ne peut
être en acte. Donc Dieu ne peut connaître une infinité d’objets. |
[2849] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod infinitum potest accipi dupliciter. Vel intensive ad modum
quantitatis continuae ; et sic Deus non scit infinitum in actu: quia
quantitas infinita continua neque est neque esse potest ; nisi dicatur scire
infinitum, inquantum seipsum scit, qui infinitus est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’infini
peut s’entendre de deux manières. Soit quant à l’étendue, à la manière d’une
quantité continue ; et en ce sens Dieu ne connaît pas l’infini en acte
car la quantité continue infinie n’existe pas et ne peut exister, à moins
qu’on veuille dire qu’il connaît l’infini en tant qu’Il se connaît lui-même,
Lui qui est infini. |
Alio modo potest sumi infinitum secundum quantitatem
discretam ; et sic dicendum est, quod scientia simplicis intelligentiae Deus
scit infinita quae sunt in potentia ipsius, non tantum secundum individua,
sed etiam secundum species. Posset enim infinitas alias species procreare, et
scit se posse illas. |
En un autre sens l’infini peut se
prendre d’après la quantité discrète et en ce sens il faut dire que Dieu, par
la science de l’intelligence simple connaît les infinis qui sont dans sa
puissance, non seulement quant aux individus, mais aussi quant aux espèces.
En effet, il peut créer une infinité d’autres espèces et il sait qu’il peut
les créer. |
Unde si poneretur mundus semper fuisse et nunquam
deficere, sicut philosophi posuerunt, ex VIII Physic., text.
13, scientia sua esset infinitorum, etiam videndo singula in proprio esse:
quod scientiae nostrae non potest convenire, quia non potest singula proprie
cognoscere nisi per diversas formas ab eis acceptas ; unde oportet quod unum
post aliud intelligat, ut ex praedictis, dist. XXXV, quaest. 1, art. 1, patet
; et ita si intelligeret infinita, sequeretur quod infinita numeraret ; quod
est impossibile. Sed tamen intellectus noster potest quodammodo intelligere
infinita, inquantum intelligit formam universalem, quae est in potentia ad infinita
singularia. |
D’où il suit que si on pose que le
monde a toujours existé et qu’il ne cessera jamais d’exister tout comme
certains philosophes [ VIII Physique, texte 13] l’ont pensé, sa
science aurait des objets infinis, même en voyant les individus dans leur
existence propre, ce qui ne peut se produire dans notre science car elle ne
peut proprement connaître les singuliers que par les différentes formes
qu’ils reçoivent ; d’où il faut qu’elle saisisse l’une par l’autre,
comme on le voit en partant de ce qui précède [dist. XXXV, quest. 1, art. 1].
Et par conséquent, si notre intelligence saisissait une infinité d’objets, il
s’ensuivrait qu’elle pourrait nombrer l’infini, ce qui est impossible. Mais
cependant notre intelligence peut en un sens saisir l’infini en tant qu’elle
saisit la forme universelle qui est en puissance à une infinité de
singuliers. |
Unde etiam a philosophis probatur intellectus
immaterialis esse, quia quodammodo est virtutis infinitae ; quod nullo modo
virtuti in materia existenti convenire potest. Intellectus autem divinus,
uno, quod est essentia sua, omnia quae sunt vel possunt esse intelligit, non
tantum universali cognitione, sed etiam propria et determinata, ut ex
praedictis, dist. 35, quaest. 1, art. 3, patet ; unde non oportet quod
cognoscat res diversas aliquo transitu, sed uno intuitu omnia videt ; et
propter hoc non prohibetur esse infinitorum. |
C’est pourquoi aussi des
philosophes prouvent que l’intelligence est immatérielle car elle est d’une
certaine manière d’une puissance infinie, ce qui en aucune manière ne peut
convenir à une puissance qui existe dans la matière. Mais l’intelligence
divine, de par son unité qui est son essence, embrasse tout ce qui existe et
tout ce qui peut exister, non seulement par une connaissance universelle,
mais aussi par une connaissance propre et déterminée comme nous l’avons vu
[dist. 35, quest. 1, art. 3] ; d’où il ne lui est pas nécessaire de
connaître les différentes choses comme par un passage, mais plutôt il voit
tous les êtres comme par un seul regard ; et à cause de cela il n’est
pas empêché de connaître une infinité d’objets. |
[2850] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod scientiae Dei dicitur non esse numerus propter
infinitam virtutem ejus in comprehendendo, et non propter infinitatem
scitorum scientia visionis determinata, per quam res in propria natura
cognoscuntur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’on dit de Dieu qu’il n’y a pas de mesure à son savoir à cause de sa
puissance infinie à saisir et non à cause d’une infinité d’objets connus par
une science déterminée de vision par laquelle les choses sont connues dans
leur nature propre. |
[2851] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod aliquas species numerorum scit Deus etiam scientia
visionis, sed non omnes ; quia posito initio et fine mundi, est aliqua
species numeri quam res in successione temporum existentes non
praetergrediuntur ; omnes tamen scit scientia simplicis intelligentiae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que Dieu connaît certaines espèces de nombres même par sa science de vision,
mais pas toutes ; car si on pose le commencement et la fin du monde, il
y a une espèce de nombre que les choses qui existent dans la succession des
temps ne dépassent pas ; Dieu cependant connaît toutes les espèces de
nombre par sa science de simple intelligence. |
[2852] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod numerus particularium non est infinitus simpliciter
nisi supposita aeternitate mundi, quod est contra fidem. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le nombre des particuliers n’est infini absolument que si on pose
l’éternité du monde, ce qui est contraire à la foi. |
[2853] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod potentia respicit sicut objectum ens possibile, cujus
ratio non dependet ab esse in actu ; unde si nunquam ponantur infinita reduci
in actum successione temporis, dicitur tamen potentia simpliciter
infinitorum. Scientiae autem objectum est verum, quod cum ente convertitur ;
unde non potest dici scientia simpliciter eorum quae non habent esse in actu
secundum aliquod tempus, sed secundum quid tantum, sicut etiam secundum quid
esse dicuntur in potentia causae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la puissance se tourne vers l’être possible comme objet et c’est pour
cette raison qu’elle ne dépend pas de l’être en acte ; il résulte de là
que si on posait que l’infini ne sera jamais conduit à l’acte dans la
succession du temps, on peut cependant dire que la puissance se rapporte
absolument à l’infini. Mais l’objet de la science est le vrai qui se
convertit avec l’être ; il suit de là qu’on ne peut dire absolument,
mais seulement sous un certain rapport, que la science a pour objet les
choses qui n’ont pas d’existence en acte selon la succesion des temps, tout
comme on dit aussi de ces mêmes choses qu’elles existent sous un certain
rapport dans la puissance de la cause. |
[2854] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod intellectus discurrens per rem, non potest
comprehendere rem infinitam, quia finiret eam numerando partes ejus ; sed
scientia Dei sine discursu uniformiter est unius et multorum, finitorum et
infinitorum. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que l’intelligence qui discourt en passant d’une chose à une autre ne peut
saisir une chose infinie car elle finirait par nombrer ses parties ;
mais la science de Dieu saisit tout avec la même simplicité et sans aucun
discours l’un comme le multiple, le fini comme l’infini. |
[2855] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 6 Sextum concedimus. |
6. Nous
concédons la sixième difficulté. |
[2856] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod intellectus divinus
non intelligit res pertranseundo ; unde objectio non procedit. |
7. Il faut dire
en septième lieu que Dieu ne connaît pas les choses en les traversant et
c’est pourquoi l’objection ne tient pas. |
[2857] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnia quae Deus scit,
sunt in ipso unum, et non distinguuntur nisi per diversos respectus. Non est autem inconveniens relationes quae sequuntur
operationem intellectus, esse infinitas, ut dicit Avicenna, tract. III Metaph., cap.
X. |
8. Il faut dire en huitième lieu
que toutes les choses que Dieu connaît ne sont qu’une seule chose en Lui et
ne se distinguent que par des rapports différents. Il n’y a cependant pas de
difficulté à ce que les relations qui découlent de l’opération de
l’intelligence soient infinies, comme le dit Avicenne [111 Métaphysique,
ch. X.] |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [l’universalité de la providence divine] |
Prooemium |
Prologue |
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[2858] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 pr. Deinde
quaeritur de divina providentia ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 quid sit ; 2 utrum sit omnium. |
On s’interroge ici sur la divine
providence et à ce sujet on pose deux questions : 1. Quelle est-elle ? 2. Est-ce qu’elle porte sur tout ? |
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Articulus 1 [2859] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1
tit. Utrum providentia pertineat ad scientiam |
Article 1 – La providence appartient-t-elle à la science ? |
[2860] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
providentia pertineat ad scientiam. Sicut enim dicit Boetius, in V De
consolatione, pros. VI, col. 858, providentia Dei dicitur, quia
porro videt quasi a specula aeternitatis. Sed videre pertinet ad scientiam.
Ergo videtur quod et providentia. |
Difficultés: 1. Il semble que
la providence appartienne à la science. En effet, comme le dit Boèce [V De
la Consolation, pros. VI, col. 858], on l’appelle providence
parce qu’elle voit loin comme de la montagne de l’éternité. Mais voir
appartient à la science. Il semble donc qu’il en soit aussi de même pour la
providence. |
[2861] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, videtur quod ad omnipotentiam. Dicitur
enim Sapient. 14, 3: Tu autem pater gubernas omnia providentia.
Sed gubernatio pertinet ad potentiam, ut habetur ad Hebr. 1, 3: Portansque
omnia verbo virtutis suae. Videtur
ergo quod et providentia. |
2. En outre, il semble qu’elle relève
de la toute-puissance. L’Écriture [Sagesse, 14, 3]dit en effet :
Mais toi, Père, c’est par ta providence que tu gouvernes toute chose. Mais
gouverner est un acte qui se rapporte à la puissance, comme l’Écriture [Épître
aux Hébreux, 1, 3] : Il soutient l’univers par la parole
de sa puissance. Il semble donc qu’il ne soit de même pour la providence. |
[2862] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod ad voluntatem. Sicut enim
dicit Damascenus, II Fid. Orthod., cap. XXIX, col. 963,
providentia est divina voluntas secundum quam omnia in finem convenientem
deductionem accipiunt ; et ita videtur expresse quod ad voluntatem pertineat. |
3. En
outre, il semble qu’elle se rapporte à la volonté. En effet, tout comme le
dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXIX, col. 963], la
providence est la volonté divine d’après laquelle tous les êtres sont
reçoivent leur direction vers la fin qui leur convient; et ainsi il semble
qu’elle se rapporte clairement à la volonté. |
[2863] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod sit idem quod dispositio.
Sicut enim dicit Boetius, in IV De consol., pros. VI, col.
814,providentia est ratio in summo omnium principe constituta, per quam
cuncta disponit. Sed disponere est dispositionis. Ergo videtur quod
dispositio divina et providentia idem sint. |
4. En
outre, il semble que la providence soit la même chose que la disposition. En
effet, tout comme le dit Boèce [IV De la Consolation,
pros. VI, col. 814], la providence est la raison qui est constituée
dans le chef le plus élevé et par laquelle il dispose tout le people. Mais
l’acte de disposer se rapporte à la disposition. Il semble donc que la
disposition divine et la providence ne soient qu’une seule et même chose. |
[2864] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit idem quod fatum.
Comparatio enim alicujus ad diversa non diversificat ejus essentiam. Sed
fatum et providentia non differunt nisi secundum comparationem ad diversa:
sicut enim dicit Boetius, modus quo res geruntur, cum ad divinam cognitionem
refertur, providentia dicitur: cum vero ad res ipsas quae geruntur, fatum
vocatur. Ergo videtur quod
providentia et fatum non differant per essentiam. |
5. De plus, il semble qu’elle s’identifie
à la prédiction. En effet, le rapport d’un être à différentes choses n’en
change pas l’essence. Mais la prédiction et la providence ne diffèrent que
selon le rapport à différentes choses. : en effet, tout comme le dit
Boèce, la manière par laquelle les choses sont dirigées, puisqu’elle se rapporte
à la connaissance divine, s’appelle providence : mais lorsqu’elle
s’applique aux choses même qui sont dirigées, elle s’appelle prédiction. Il
semble donc que la providence et la prédiction ne diffèrent pas par
l’essence. |
[2865] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista tria, dispositio,
scientia et providentia, se habent per additionem unius ad alterum. Cum enim
Deus de rebus creatis scientiam quasi practicam habeat, ad modum scientiae
artificis ejus scientia consideranda est. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que ces trois notions, à savoir la disposition, la science et la
providence, se présentent par addition l’une par rapport à l’autre. En effet,
puisque Dieu possède une science des choses créées qui est comme pratique, il
faut la considérer sa science selon le mode de la science de l’artiste. |
Sciendum est ergo,
quod artifex praeconcipiendo artificiatum suum considerat finem primo ; et deinde considerat
ordinem rei quam facere intendit, ad finem illum, et ordinem etiam partium ad
invicem, sicut quod fundamentum sit sub pariete, et paries sub tecto ; et
iste ordo partium ad invicem ordinatur ulterius ad finem domus. |
Il faut
donc savoir que l’artiste ou l’artisan, en concevant à l’avance son oeuvre,
considère premièrement la fin; et ensuite il considère l’ordre de la chose
qu’il cherche à faire par rapport à cette fin, et aussi l’ordre des parties
entre elles, par exemple que les fondations sont sous les murs et les murs
sous le toit; et cet ordre des parties entre elles est finalement ordonné à
la fin de la maison. |
Tertio oportet quod
consideret ea quibus promoveatur ad consecutionem finis, et ut tollantur ea
quae possunt impedire finem ; unde excogitat sustentamenta domus per aliquas
appendicias et fenestras et hujusmodi, quibus domus sit apta ad
habitationem. Ista ergo excogitatio
nominatur nomine scientiae, ratione solius cognitionis et non ratione
alicujus operationis. Unde est et finis, et eorum quae sunt ad finem. Sed
ratione ordinis excogitati in re operanda, vocatur nomine dispositionis: quia
dispositio ordinem quemdam significat ; unde dispositio dicitur generationis
ordinatio. Sed ratione eorum quae promovent in finem, dicitur providentia:
providus enim dicitur qui bene conjectat de conferentibus in finem, et de his
quae impedire possunt. Unde etiam in Deo scientia dicitur, secundum quod
habet cognitionem et sui ipsius, et eorum quae facit. |
Troisièmement il faut qu’il
considère les choses par lesquelles il progresse dans la poursuite de la fin
et qu’il fasse disparaître celles qui empêchent de la réaliser ; d’où il
imagine des compléments de la maison par certains appendices et
fenêtres par lesquels la maison est apte à être habitée. Nous appelons donc
cette réflexion du nom de science en raison de la seule connaissance et non
en raison d’une opération. Et cette réflexion se rapporte à la fin
et aux choses qui sont ordonnées à la fin. Mais en raison de l’ordre de ce
qui est imaginé par rapport à la chose qui doit être faite, elle est appelée
du nom de disposition : car la disposition signifie un certain
ordre ; d’où l’on dit que la disposition est une mise en ordre de la
génération. Mais en raison des choses qui favorisent la fin, elle est appelée
providence : on appelle prévoyant en effet celui qui conjecture avec
justesse les choses qui contribuent à la fin et celles qui peuvent
l’empêcher. D’où elle est aussi appelée science du côté de Dieu selon qu’il
possède la connaissance à la fois de Lui-même et des choses qu’il fait. |
Sed dispositio dicitur ratione duplicis ordinis quem
ponit in rebus ; scilicet rei ad rem, secundum quod juvant se invicem ad
consequendum finem ultimum ; et iterum totius universi ad ipsum Deum: sicut
etiam Philosophus ponit, in XI Metaph., text. 52, ubi etiam
ponit exemplum de ordine partium exercitus ad invicem, et ad bonum ducis.
Providentia autem dicitur secundum quod rebus ita ordinatis attribuit ea quae
ordinem conservant et propellit omnium inordinationem. |
Mais la providence est appelée
disposition en raison de deux ordres qu’elle place dans les choses, à savoir
celui qu’il y a d’une chose à une autre, selon qu’elles s’aident mutuellement
dans la poursuite de la fin ultime ; et il y a en outre celui de tout
l’univers par rapport à Dieu, comme l’affirme aussi le Philosophe [XI Métaphysique,
texte 52] où il présente aussi l’exemple de l’ordre des parties de l’armée
entre elles et l’ordre de l’armée par rapport au bien du chef qui est la
victoire. Mais on l’appelle providence selon qu’elle attribue aux êtres ainsi
ordonnés les choses qui conservent l’ordre et qu’elle repousse le désordre de
tous les êtres. |
[2866] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod providentia et dispositio diversimode consideratae
pertinent ad scientiam voluntatem et potentiam: quod sic patet ex simili
inducto. Potest enim aliquis artifex cognitionem habere de artificiatis
speculative tantum, sine hoc quod operari intendat: et sic providentia et
dispositio ejus pertinet tantum ad scientiam. Secundum autem quod ulterius
ordinat in opus cum proposito exequendi, pertinet ad scientiam et voluntatem.
Secundum autem quod exequitur in opere, sic pertinet ad scientiam, voluntatem
et potentiam per quam operatur. Ita etiam in Deo est. Patet etiam quod primis
duobus modis accepta sunt aeterna, sed tertio modo sunt ex tempore. Et ipsa
executio providentiae, gubernatio dicitur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
c’est sous une considération différente que la providence et la disposition
appartiennent à la science, à la volonté et à la puissance : ce qui
devient évident à partir de la similitude présentée. En effet, un artiste
peut n’avoir qu’une connaissance spéculative des œuvres d’art sans chercher à
les réaliser et ainsi sa providence et sa disposition se rapportent seulement
à la science. Mais selon que par la suite il ordonne une œuvre avec le propos
de la réaliser, alors sa providence et sa disposition se rapportent à la
science et à la volonté. Mais selon qu’il exécute ou achève l’œuvre, alors sa
providence et sa disposition se rapportent à la science, à la volonté et à la
puissance par laquelle il opère. Il en est aussi de même pour Dieu. Et il est
clair aussi que prises d’après les deux premières modalités elles sont
éternelles mais que d’après la troisième, elles sont dans le temps. Et
l’exécution même de la providence s’appelle proprement gouvernement. |
[2867] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 ad 2 Unde
patet solutio ad secundum et tertium et similiter ad quartum: quia
providentia includit dispositionem et addit: et propter hoc etiam per
providentiam disponere dicitur. |
2. Nous voyons à partir de là la
solution à la deuxième et à la troisième et aussi à la
quatrième difficulté : car la providence inclut la
disposition et y ajoute et c’est pour cette raison qu’on dit aussi de la
providence qu’elle dispose. |
[2868] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod providentia et fatum differunt per essentiam: sicut
enim forma domus est aliud per essentiam, secundum quod est in mente
artificis ubi nomen artis habet, et secundum quod est in lapidibus et lignis
ubi artificium dicitur ; ita etiam ratio gubernationis rerum aliud esse habet
in mente divina, ubi providentia dicitur, et aliud in causis secundis, quarum
officio gubernatio divina expletur: ex quibus fatum dicitur a for faris ; vel
quia est quoddam effatum divinae ordinationis, sicut verbum vocale est
quoddam effatum interioris conceptus: vel ex eo quod ex harum consideratione
causarum fari solebant antiquitus de rebus futuris, sicut ex consideratione
motus caeli praecipue. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que la providence et la prédiction diffèrent essentiellement : en effet,
tout comme la forme de la maison est autre par l’essence selon qu’elle est
dans l’intelligence de l’artiste où elle a pour nom ¨l’art¨, et selon qu’elle
existe dans les pierres et les pièces de bois où elle a pour nom ¨œuvre
d’art¨, de même aussi la notion de gouvernement des choses possède une autre
existence dans l’esprit divin où on l’appelle providence que celle qu’elle
possède dans les causes secondes par la fonction desquelles le gouvernement
divin est complété : et c’est à partir d’elles qu’on parle de ¨fatum¨, à
savoir de prédiction, qui vient de ¨for faris¨ qui veut dire prendre la
parole dans le sens de prophétiser ; soit parce qu’elle est une certaine
expression de l’arrangement divin, tout comme le verbe vocal est une certaine
expression d’un concept intérieur, soit parce que c’est à partir de la
considération de ces causes que les anciens avaient coutume de faire des
prédictions au sujet des événements futurs, par exemple surtout à partir de
la considération du mouvement du ciel. |
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Articulus 2 [2869] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2
tit. Utrum providentia sit omnium |
Article 2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui existe ? |
[2870] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non
omnium sit providentia. Ad providentiam enim pertinet remotio eorum quae
impediunt a fine. Sed malum dicitur per deordinationem a fine. Cum igitur
multa mala sint in universo, videtur quod non omnia providentiae divinae
subjaceant. |
Difficultés: 1.
Il semble que toutes les choses ne soient pas soumises à la providence
divine. Il appartient en effet à la providence d’écarter les choses qui
éloignent de la fin. Mais le mal dit un désordre par rapport à la fin. Donc,
puisqu’il existe de nombreux maux dans l’univers, il semble que ce ne soient
pas toutes les choses qui sont soumises à la providence divine. |
[2871] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, nihil quod casu fit, est provisum:
quia casus dicitur inopinatus rei eventus, et secundum Philosophum, in
III Metaph., text. 62, est in his quae aguntur propter aliquid,
cum aliud contingat praeter id quod intendebatur. Sed multa fiunt casu in
mundo, ut probat philosophus in VI Metaph., text. 6 ; alias
omnia ex necessitate contingerent, nisi causae aliquae deficerent ut in
minori parte, quod casum inducit. Ergo non omnia sunt provisa a Deo. |
2. Par
ailleurs, rien de ce qui arrive par hazard n’est prévu, car qui dit ¨hasard¨
dit un événement inattendu d’une chose, et selon le Philosophe [111 Métaphysique,
texte 62], le hasard se présente dans les choses qui sont faites en vue d’une
fin, lorsque quelque chose d’autre se produit que ce à quoi on s’attendait.
Mais dans l’univers de nombreuses choses se produisent par hasard, comme le
prouve le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 6]; autrement, tout
se produirait par nécessité si certaines causes ne se trouvaient pas rarement
en défaut, ce qui ouvre la porte au hasard. Donc, tout n’est pas prévu par
Dieu. |
[2872] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, omne quod est provisum, est
ordinatum in unum. Sed liberum arbitrium non est ordinatum in unum, sed se
habet ad utrumlibet. Ergo ea quae sunt a libero arbitrio, providentiae
divinae non subjacent. |
3. Par
ailleurs, tout ce qui est prévu est ordonné à un seul et unique effet. Mais
le libre arbitre n’est pas ordonné à un seul effet mais à de nombreux
possibles. Donc, les actes qui proviennent du libre arbitre ne sont pas
soumis à la providence divine. |
[2873] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne quod est provisum, consequitur
finem ut in pluribus, nisi sit providentia errans. Sed malum invenitur ut in pluribus, quod est secundum
exitum a fine. Ergo universum providentia non regitur. |
4. En outre, tout ce qui est prévu
parvient à sa fin dans la plupart des cas, à moins que la providence ne
s’égare. Mais le mal se rencontre le plus souvent selon qu’on s’écarte de la
fin. Donc, l’univers n’est pas gouverné par la providence. |
[2874] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, providentiae proprium est ordinare.
Sed multa inordinate contingunt in universo tam in rebus naturalibus, sicut
quod aestates sunt pluviosae et hiemes siccae, quam etiam in hominibus, ut
quod justi ab impiis puniuntur, qui prosperitatibus affluunt et multa
hujusmodi. Ergo videtur quod
universum providentia non regatur. |
5. De plus, c’est le propre de la
providence d’ordonner. Mais de nombreux événement se produisent de manière
désordonnée dans l’univers, tant dans les choses naturelles, comme par
exemple des étés pluvieux et des hivers secs, que chez les hommes, comme les
justes qui sont punis par des criminels, lesquels possèdent des biens en
abondance, et beaucoup d’autres choses de cette sorte. Il semble donc que
l’univers n’est pas conduit par une providence. |
[2875] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, Habac. 1, 14, dicitur: Numquidfacies homines ut pisces maris
? Et hoc dicit admirando ea quae videntur inordinate in hominibus
contingere. Ergo videtur quod ad bruta non se extendat Dei providentia. |
6. Par ailleurs, l’Écriture [Habac.
1, 14] nous dit : Pourquoi as-tu fait les humains comme les
poissons de la mer ? Et le prophète dit cela à cause de l’étonnement
qu’il ressent à voir le désordre répandu chez les humains. Il semble donc que
la providence divine ne s’étende pas aux brutes animales. |
[2876] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed
contra est quod habetur Sap. XII, 13 quod cura ei est
de omnibus. Sed nomine curae vel solicitudinis, providentia signatur.
Ergo providentia ejus ad omnia se extendit. |
Cependant : 1. L’Écriture [Sagesse, XII, 13]
nous dit le contraire : Il n’y a personne qui prenne soin de
tout comme toi. Mais par le nom de soin ou de sollicitude, c’est la
providence qui est signifiée. Donc, la providence divine s’applique ou
s’étend à tous les êtres. |
[2877] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod haec quaestio fere ab omnibus sapientibus ventilata est, et
ideo oportet diversorum positiones videre, ut erroribus evitatis, viam
veritatis teneamus. Sciendum est ergo primo, quod quidam posuerunt, nullius
rei esse providentiam, sed omnia casu contingere: et ista fuit positio
Democriti, et quasi omnium antiquorum naturalium [om. Éd. de Parme],
qui negaverunt causam agentem et posuerunt tantum causam materialem. Sed haec
positio satis efficaciter in philosophia improbata est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette
question a été agitée par presque tous les sages, et c’est pourquoi il faut
examiner ces différentes positions afin d’en éviter les erreurs et de
demeurer sur le chemin de la vérité. Il faut donc savoir en premier lieu que
certains ont soutenu qu’aucune chose n’est soumise à une providence et que
tout est le résultat du hasard. Et telle fut la position de Démocrite et de
presque tous les anciens naturalistes [naturalistes om. Éd. de Parme],
qui ont nié la cause efficiente et n’ont posé que la cause matérielle. Mais
cette position a été réfutée avec suffisamment de force en philosophie. |
Alii posuerunt providentiam esse quarumdam rerum et non
omnium, et hi dividuntur in duas vias. |
D’autres ont soutenu qu’il y a
providence pour certaines choses mais non pour toutes, et ceux-là se divisent
en deux branches distinctes. |
Quaedam enim positio est, quod providentia Dei non se
extendit nisi ad species, et non ad individua, nisi quae necessaria sunt ; eo
quod ponebant, illud quod exit cursum suum, providentiae legibus non
subjacere ; et ideo ea quae frequenter deficiunt a cursu ordinato, non sunt
provisa, sicut particularia corruptibilia et generabilia ; et ista opinio
imponitur Aristoteli: quamvis ex verbis suis expresse haberi non possit, sed
Commentator suus expresse ponit eam in XI Metaph., text. 52. Dicit enim, quod
non est fas divinae bonitati habere sollicitudinem de singularibus nisi
secundum quod habent communicationem in natura communi, sicut quod aranea
sciat facere telam, et hujusmodi. Sed haec opinio expresse tollit judicium
Dei de operibus hominum. |
L’une d’elles en effet soutient que
la providence divine ne s’applique qu’aux espèces et non aux individus, à
moins qu’ils ne soient nécessaires, du fait qu’ils affirmaient que ce qui
sort de son cours n’est pas soumis aux lois de la providence ; et c’est
pourquoi les choses qui s’écarte souvent d’une marche réglée ne sont pas
prévues, comme c’est le cas pour les particuliers corruptibles et ceux qui
peuvent être engendrés ; et cette position est attribuée à Aristote,
bien qu’elle ne puisse être établie clairement à partir de ses paroles, mais
son Commentateur [XI Métaphysique, texte 52] l’affirme
explicitement. Il dit en effet qu’il n’est permis à la bonté divine d’avoir
de la sollicitude pour les singuliers que selon qu’ils communiquent dans une
nature commune, tout comme l’araignée qui sait faire une toile et des choses
de la sorte. Mais cette opinion supprime totalement le jugement de Dieu sur
les œuvres des hommes. |
Et ideo alia positio fuit, quod Deus providentiam habet
de omnibus quae dicta sunt, et ulterius de individuis hominum, non tantum
secundum quod communicant in specie, sed etiam secundum particulares actus
eorum ; et hanc ponit Rabbi Moyses, lib. III, cap. XVIII, et rationem assignat
ex eo quod in homine etiam particulari invenitur natura intellectualis, per
quam comprehendit intellectu suo formam speciei, inquantum est species: quia
intellectus attribuit intentionem universalitatis naturae apprehensae, quam
non habet in rebus extra animam ; et ideo individuum hominis etiam non
deseritur a providentia quae est specierum, et praecipue quia communicat cum
substantiis perpetuis, quarum etiam est per se providentia et secundum
individua, et hoc quantum ad nobiliorem partem ejus, quae est intellectus. |
Et c’est pourquoi il y eut aussi l’autre
position qui soutient que Dieu exerce sa providence sur tous les êtres dont
nous avons parlé et en plus sur les êtres humains, et non seulement en tant
qu’ils communiquent dans une même espèce, mais même en tant qu’ils posent des
actes particuliers ; et c’est cette position que présente Rabbi Moïse [Doct.
Perplex. 111, ch. XVII], et il en donne la raison du fait que dans
l’homme particulier aussi se rencontre la nature intellectuelle par laquelle
il comprend par son intelligence la forme de l’espèce en tant qu’elle est une
espèce : car c’est à l’intelligence qu’il attribuait l’intention
d’universalité de la nature appréhendée qu’elle ne possède pas dans les
choses en dehors de l’âme ; et c’est pourquoi l’individu humain aussi
n’est pas abandonné par la providence qui porte sur les espèces, et surtout
parce qu’il communique avec les substances éternelles sur lesquelles porte
aussi la providence en tant qu’individus et cela quant à leur partie la plus
noble qui est l’intelligence. |
Sed quia divina cognitio aequaliter est singularium et
universalium, ut supra habitum est ; et ejus qui summe bonus est, est
ordinare omnia ad finem, secundum quod nata sunt: non videtur conveniens non
omnium etiam singularium providentiam esse. Et praeterea hoc est expresse
contra sententiam domini, Matth. X, dicentis, quod unus ex passeribus non
cadit in terram sine patre caelesti, idest sine providentia ejus. |
Mais parce que la connaissance
divine porte également sur les singuliers et les universels, ainsi que nous
l’avons établi plus haut, il qu’il appartient à celui qui est suprêmement bon
d’ordonner tous les êtres à leur fin selon leurs capacités, il ne semble pas
convenable que la providence ne porte pas sur tout, même sur les singuliers.
Et par ailleurs cette position est clairement opposée à la pensée du Seigneur
[Matthieu X, 29] qui dit qu’aucun moineau ne tombe à terre sans que le Père
céleste, à savoir la providence, le sache. |
Aliorum positio est, quod Deus omnium providentiam
habeat. Sed horum quidam dicunt omnium providentiam aequaliter esse ; et hos
necesse est incidere in tres errores. |
Mais il y a aussi l’autre position
de ceux qu soutiennent que Dieu fait porter sa providence sur tous les êtres.
Mais parmi eux certains disent que la providence se porte également sur tous
les êtres ; et cela conduit nécessairement à trois erreurs. |
Quidam enim aestimantes simul esse providentiam bonorum
et malorum, cum haec duo non possint esse intenta ab uno agente, coacti sunt
ponere duos deos, quorum unus providet bona, alius mala, secundum haeresim
Manichaeorum. Et haec positio sufficienter a sanctis et philosophis improbata
est: quia malum non habet causam efficientem, nec potest esse intentum. |
Certains en effet, croyant qu’il y
a simultanément providence pour pour ce qu’il y a de bien et de mal, comme
ces deux sortes de choses ne peuvent pas être voulues par le même agent, ont
été forcés à poser deux dieux dont l’un fournit les biens et l’autre les
maux, d’après l’hérésie des Manichéens. Et cette position a été amplement
réfutée par les saints et les philosophes : car le mal n’a pas de cause
efficiente et ne peut faire l’objet d’une intention. |
Alii aestimantes, quod similiter sit providentia
contingentium et necessariorum, coacti sunt liberum arbitrium et
contingentiam negare, asserentes cuncta quae providentiae subjacent, ex
necessitate evenire, quod ad sensum patet esse falsum. Alii aestimantes similiter esse providentiam
rationabilium et irrationabilium, coacti sunt ponere quod nihil mali etiam
brutis contingit quod non sit in poenam eis provisum, vel in occasionem
majoris praemii ; unde ponunt quod peccatum est occidere brutum, sicut et
hominem: quod quidam haeretici nostri temporis sentire videntur. |
D’autres, croyant qu’il y a semblablement
providence pour le contingent et le nécessaire, ont été poussés à nier le
libre arbitre et la contingence, affirmant que toutes les choses qui sont
soumises à la providence se produisent nécessairement, ce qui est
manifestement faux et contraire aux sens. D’autres, croyant que la providence
s’applique semblablement aux êtres rationnels et à ceux qui sont
irrationnels, ont été poussés à soutenir qu’aucun mal ne se produit aussi
chez les brutes animales sans que ne leur soit prévue une peine ou au moment
favorable une plus grande récompense ; d’où ils affirment que le péché
tombe sur la brute animale comme sur l’homme, ce que certains hérétiques de
notre époque semblent penser. |
Sed quia haec omnia a fide aliena sunt, ideo
simpliciter dicendum est, quod omnia providentiae subjacent, sed non eodem
modo: et qualiter hoc sit, videndum est. Dictum est enim, quod providentia
dispositionem supponit, quae ordinem in rebus determinat in diversarum
naturarum gradu salvatum. |
Mais parce que toutes ces opinions
sont étrangères à la foi, c’est pourquoi il faut absolument dire que tous les
êtres sont soumis à la providence mais non de la même manière : et il
faut voir de quelle manière il en est ainsi. Nous avons dit en effet que la
providence suppose la disposition qui détermine un ordre dans les choses,
ordre qui est conservé dans les degrés des différentes natures. |
Cum igitur providentiae non sit destruere ordinem
rerum, expletur effectus providentiae in rebus secundum convenientiam rei
prout nata est consequi finem. Sicut enim dicit Dionysius, IV cap. de
div. nom., § 33, col. 732, non est providentia naturas rei
destruere, sed salvare ; et ideo quasdam res sic instituit ut secundum suam
conditionem consequantur finem per principium quod est natura tantum, sicut
in omnibus irrationabilibus [tantum …irrationabilibus om. Éd. de
Parme] ; in aliquibus super hoc principium addit aliud, quod est
voluntas. |
Donc puisque la providence ne doit
pas détruire l’ordre des choses, l’effet de la providence est accompli dans les
choses proportionnellement aux capacités naturelles de la chose à atteindre
la fin. En effet, comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, &
33, col. 732], il appartient à la providence non pas de détruire la nature de
la chose mais de la conserver ; et c’est pourquoi elle a établi
certaines choses de telle manière qu’elles parviennent à la fin selon leur
condition au moyen d’un principe qui est la nature seulement, comme c’est le
cas pour tous les êtres irrationnels [seulement … irrationnels om.
Éd. de Parme] ; et à certains elle a ajouté à ce principe un autre
principe qui est la volonté. |
In his autem quae consequuntur finem per principium
quod est natura, invenitur quidam gradus ; eo quod quarumdam rerum natura
impediri non potest a consecutione effectus sui ; et iste est gradus altior,
sicut est in corporibus caelestibus: unde in his nihil contingit non intentum
a Deo ex defectu ipsorum ; et propter hoc Avicenna dicit, tract. VIII Metaph., cap.
VI, quod supra orbem lunae non est malum, loquens de malo naturae [loquens
… om. Éd. de Parme]. |
Mais pour ces êtres qui poursuivent
leur fin au moyen du principe qui est la nature, on retrouve une gradation,
du fait que la nature de certaines choses ne peut être empêchée de parvenir à
son effet et ce degré est le plus élevé comme c’est le cas pour les corps
célestes : d’où il suit que dans ces choses il ne se produit rien qui ne
soit pas recherché par Dieu en raison d’un défaut qui se tiendrait de leur
côté ; et c’est pour cette raison qu’Avicenne [ VIII Métaphysique,
ch. VI] dit qu’au-dessus du monde de la Lune on ne retrouve pas le
mal, parlant alors du mal de la nature [parlant…om. Éd. de Parme]. |
Alius autem gradus naturae est quae impediri potest et
deficere, sicut natura generabilium et corruptibilium: et quamvis ista natura
sit inferior in bonitate, tamen etiam bona est ; et melius est quod utraque
sit simul, quam quod altera tantum. Si autem Deus contulisset huic naturae
quod nunquam deficeret, jam non esset haec natura, sed alia ; et sic non
esset utraque natura, in quo universi perfectioni derogaretur. |
Mais il y a un autre degré de
nature qui peut être empêché de parvenir à la fin et faire défaut, comme
c’est le cas pour la nature des êtres peuvent être engendrés et
corrompus : et bien que cette nature soit inférieure en bonté, cependant
elle aussi est bonne ; et il est préférable que les deux existent
ensemble plutôt qu’une seule existe. Mais si Dieu avait donné à cette nature
de ne jamais faire défaut, elle ne serait plus telle nature mais une autre et
ainsi les deux natures ne se trouveraient pas à être retranchées de la
perfection universelle. |
Unde hanc naturam condidit praesciens defectum
contingentem, qui est malum naturae ; sed non intendens. Sed ita providit ut
si malum contingeret ex defectu alicujus naturae, ordinaretur in bonum ;
sicut videmus quod corruptio unius est generatio alterius ; et iste modus
providentiae extendit se etiam usque ad bruta animalia, quae potius aguntur
instinctu naturae quam electione voluntatis. Et ideo malum quod accidit in
eis, recompensatur per bonum naturae, non per bonum praemii, sicut quod mors
muscae est victus araneae. |
D’où il suit que Dieu créa cette
nature en sachant à l’avance mais sans le rechercher, qu’elle pourrait faire
défaut, ce qui est un mal de nature. Mais il veilla à ce que, si le mal
devait se produire en raison d’un défaut d’une nature, il soit ordonné au
bien ; c’est ainsi que nous voyons que la corruption de l’un est
ordonnée à la génération de l’autre ; et cette forme de providence s’applique
aussi jusqu’aux brutes animales qui agissent par un instinct de nature plutôt
que par un choix de la volonté. Et c’est pourquoi le mal qui se produit en
elles est compensé par un bien de nature et non par un bien de récompense,
tout comme la mort de la mouche est la nourriture de l’araignée. |
Sed in nobilioribus creaturis invenitur aliud
principium praeter naturam, quod est voluntas ; quod quanto vicinius est Deo,
tanto a necessitate naturalium causarum magis est liberum, ut dicit Boetius,
V De consol., prosa II, col. 834 ; et ideo ex conditione sua
sequitur quod rectum ordinem tenere possit tendendo in finem, et etiam
deficere. |
Mais chez les créatures plus nobles
on retrouve, à côté de la nature, un autre principe, à savoir la volonté,
lequel est d’autant plus libéré de la nécessité des causes naturelles, comme
le dit Boèce [V De la Consolation, prose 11, col. 834], qu’il est
plus proche de Dieu ; et c’est pourquoi il découle de sa condition qu’il
puisse garder un ordre sans détour en tendant vers la fin et qu’il puisse
aussi faire défaut. |
Si autem inevitabiliter in finem tenderet, per divinam
providentiam tolleretur sibi conditio suae naturae, ut dicit Dionysius, ubi
supra ; et ideo taliter a Deo instituta est ut etiam deficere posset ; ita
tamen quod in potestate ejus esset deficere vel non deficere ; hoc autem non
contingebat quod non erat in defectu naturalis principii. |
Mais si la volonté tendait
inévitablement vers la fin, la condition de sa nature lui serait retirée par
la divine providence comme le dit Denys plus haut ; et c’est pourquoi
elle fut établie par Dieu de telle manière qu’elle puisse aussi faire défaut,
de telle manière cependant qu’il soit en son pouvoir de faire défaut ou de ne
pas faire défaut ; mais il n’était pas possible qu’elle ne soit pas en
défaut d’un principe naturel. |
Et istos defectus voluntatum contingentes praeter
intentionem providentiae praescivit Deus et ordinavit eos in bonum non tantum
naturae, sed etiam similis generis [singularis gratiae Éd. de Parme],
sicut in bonum justitiae (quod ostenditur cum culpa per poenam ordinatur), et
in bonum voluntatis aliorum, qui per eorum nequitiam vel corriguntur de
peccatis, vel in meritis et gloria crescunt ; et in multa alia: quae humana
ratio non sufficit explicare. |
Et Dieu a connu à l’avance ces
défauts des volontés se produisant en dehors de l’intention de la providence
et il les a ordonnés non seulement au bien de la nature, mais aussi à celui
d’un genre semblable [singulier de la grâce Éd. de Parme], comme
au bien de la justice (lequel est manifesté lorsque la faute est réglée par
la peine), et au bien de la volonté des autres, lesquels à travers leurs
injustices ou bien se corrigent de leurs fautes ou bien croissent en mérites
et en gloire ; et il les a ordonnés aussi à de nombreux autres biens que
la raison humaine est impuissante à expliquer de manière satisfaisante. |
Unde patet quod bonum et malum subjacent divinae
providentiae, sed malum tamquam praescitum et ordinatum, sed non ut intentum
a Deo ; bonum vero quasi intentum ; sed necessarium ita quod deficere non
possit, et contingens ita quod deficere possit ; et voluntarium ita quod
poenam vel praemium habeat, aut in praemium vel in poenam alicujus ordinetur
; naturale autem ita quod consequatur finem naturalem, si bonum est, et cedat
in bonum alterius naturae, si malum est. |
D’où il est clair que le bien et le
mal sont soumis à la providence divine, mais le mal en tant que connu à
l’avance et ordonné au bien et non en tant que voulu par Dieu, alors que le
bien lui est soumis en tant qu’il est voulu par Dieu ; et le nécessaire
est soumis à la providence de telle manière qu’il ne puisse faire défaut et
le contingent en tant qu’il puisse faire défaut ; mais le volontaire lui
est soumis de telle manière qu’il reçoive une peine ou une récompense ou
qu’il soit ordonné par la récompense ou la peine de quelque chose, mais le
naturel de telle manière qu’il parvienne à sa fin naturelle si elle est
bonne, et qu’il passe au bien d’une autre nature s’il est mauvais. |
[2878] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum est, quod providentiae est dirigere unumquodque in
finem, et subtrahere impedimenta, salvata tamen natura in finem directa, ex
cujus conditione defectibili mala contingunt, et non ex divina intentione,
quae ipsa mala in bonum ordinat. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu qu’il
appartient à la providence de conduire chaque chose à sa fin et de retirer
les obstacles, tout en conservant cependant la nature qui est dirigée vers sa
fin de telle manière que des maux peuvent se produire en raison de la
condition possiblement défaillante de cette nature et non en raison de la
volonté divine qui ordonne au bien les maux eux-mêmes. |
[2879] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod effectus consequitur conditionem causae suae proximae
; et ideo quamvis sit aliquid a Deo provisum, dicitur casu fieri, si accidat
praeter intentionem naturae operantis ; vel fortuna, si accidit praeter
intentionem agentis a proposito. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’effet découle de la condition de sa cause prochaine ; et c’est
pourquoi, bien qu’il soit quelque chose de prévu par Dieu, on dit qu’il est
produit par hasard s’il se produit en dehors de l’intention de la nature qui
opère ; ou par la fortune s’il se produit en dehors de l’intention
que l’agent se proposait. |
[2880] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod liberum arbitrium per
se ordinatum est ad unum, scilicet ad bonum, ita quod ab eo deficere possit,
et quod in ipso sit. Si enim
inevitabiliter in unum tenderet, tolleretur ratio voluntatis in tali natura. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le libre arbitre est essentiellement ordonné à un seul effet,
c’est-à-dire au bien, mais de telle manière cependant qu’il puisse s’en
écarter et qu’il puisse se tenir en lui. Si en effet le libre arbitre tendait
inévitablement vers un seul effet, la notion de volonté serait supprimée dans
une telle nature. |
[2881] Super Sent.,
lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod malum potest accipi vel
in rebus naturalibus, vel in voluntariis. Et si accipiatur in naturalibus, constat quod malum est ut in
paucioribus, tum secundum supposita, quia malum naturae non
contingit nisi in sphaera generabilium et corruptibilium, quae est parvae
quantitatis respectu corporum caelestium in quibus malum esse non potest,
quia incorruptibilia sunt, et motus eorum inordinationem habere non possunt,
cum semper eodem modo sint ; tum etiam considerando in eodem, quia causae naturales
consequuntur effectus suos in majori parte, et deficiunt in minori, et ex hoc
malum incidit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que le mal peut s’entendre soit dans les choses natuelles, soit dans les
actes volontaires. Et si on l’entend dans les choses naturelles, il est clair
que le mal se produit dans peu de cas, tant selon les suppôts, car le mal de
nature ne se produit que dans la sphère des êtres qui peuvent être engendrés
et corrompus, laquelle est de faible quantité par rapport aux corps célestes
dans lesquels le mal ne peut exister puisqu’ils sont incorruptibles et que
leurs mouvements ne sont pas susceptibles de désordres puisqu’ils
s’effectuent toujours de la même manière, qu’en les considérant aussi dans un
même sujet car les causes naturelles atteignent leurs effets dans la plupart
des cas et s’en écartent rarement : et c’est de là que s’ensuit le mal. |
Sicut enim in
naturalibus invenitur triplex gradus ; aliquid enim est quod habet esse tantum in actu ; et
huic nullus defectus essendi advenire potest: sicut corpora caelestia [sicut…
caelestia iom. Éd. de Parme]. aliquid autem est quod est tantum in potentia, sicut
materia prima ; et hoc semper habet defectum, nisi removeatur per aliquod
agens reducens eam in actum: est etiam aliquid quod habet actum admixtum privationi
; et hoc propter actum dirigentem in opere recte operatur ut in majori parte,
deficit autem in minori, sicut patet in natura generabilium et corruptibilium
; ita etiam est in intellectualibus. Est enim aliqua intellectualis natura
quae est actus completus sine admixtione alicujus privationis vel potentiae ;
et ex hac non potest aliquid non rectum procedere, sicut patet de Deo. |
En effet, on retrouve dans les
choses naturelles trois degrés ; il y a en effet des êtres qui ne
possèdent l’existence qu’en acte ; et à ce degré d’être il ne peut
survenir aucun défaut d’existence, comme c’est le cas pour les corps célestes
[tout comme … célestes om. Éd. de Parme]. Mais il y a de l’être qui est seulement
en puissance, comme la matière première ; et cette forme d’être est
toujours en défaut, à moins qu’elle ne s’écarte de ce défaut au moyen d’un
agent qui la conduise à l’acte. Mais il y a aussi de l’être qui consiste
en la composition d’un acte et d’une privation ; et il en est ainsi
parce que l’acte qui dirige dans la réalisation de l’œuvre opère correctement
dans la plupart des cas et fait défaut dans peu de cas ainsi qu’on le voit
dans la nature des êtres pouvant être engendrés et corrompus ; il en est
de même aussi pour les êtres intellectuels. Il existe en effet une nature
intellectuelle qui est un acte complet sans aucun mélange de privation ou de
puissance ; et de cet acte rien ne peut procéder incorrectement, comme
on le voit pour Dieu. |
Est etiam quaedam natura cui admiscetur potentia, sed
tamen in ipsa sua natura habet aliquem actum dirigentem in operatione, sicut
est in Angelis ; et ideo talis natura deficit a rectitudine ut in minori
parte. |
Mais il y a aussi une nature
intellectuelle à laquelle se mélange de la puissance, mais elle possède
cependant dans sa nature un acte qui dirige dans l’opération, comme c’est le
cas pour les Anges ; et c’est pourquoi une telle nature s’écarte de la
rectitude dans peu de cas. |
Sed in natura humana perfectiones secundae, quibus
diriguntur opera, non sunt innatae, sed vel acquisitae vel infusae. Unde
Commentator in III de anima, text. 14, comparat intellectum
potentialem humanum materiae primae, et philosophus tabulae in qua nihil
scriptum est ; et ideo ipsa natura humana in se considerata aequaliter se
habet indifferenter ad omnia vel intelligenda vel facienda ; et quia malum
contingit multifariam secundum Dionysium, IV cap. De div. nom., §
30, col. 730, et bonum uno modo ; ideo ut in pluribus flectitur in malum. |
Mais dans la nature humaine les
perfections secondes par lesquelles les œuvres sont conduites ne sont pas
innées mais acquises ou infuses. D’où le Commentateur [111 De l’Âme,
texte 14] compare l’intellect possible des humains à la matière première et
le Philosophe le compare à la tablette sur laquelle rien n’est écrit ;
et c’est pourquoi la nature humaine, considérée en elle-même se présente
également et indifféremment à l’égard de tout ce qui doit être connu ou
fait ; et parce que le mal se présente sous des formes diverses d’après
Denys [IV Les Noms Divins, & 30, col. 730] et le bien sous
une seule forme, c’est pourquoi elle se tourne vers le mal dans la plupart
des cas. |
Sic enim considerata natura humana, nondum est ut agens
perfectum, nisi respectu naturalium operationum ; sed tunc est agens
perfectum quantum ad omnes suas operationes, quando jam perfecta est
perfectionibus secundis, quae sunt virtutes ; et ideo quando determinatur per
perfectionem secundam vel infusam vel acquisitam, tunc determinatur ad unum,
vel ad quod tendat ut in majori parte, sicut in statu viae, vel ut semper,
sicut in statu patriae. |
En effet, la nature humaine
considérée de cette manière n’existe pas encore en tant qu’agent parfait, si
ce n’est par rapport aux opérations naturelles ; mais elle est un agent
parfait quant à toutes ses opérations quant elle a déjà été achevée par les
perfections secondes qui sont les vertus ; et c’est pourquoi, quand la
nature humaine se trouve à être réglée par la perfection seconde, qu’elle
soit infuse ou acquise, alors elle est ordonnée à un seul effet, soit à celui
vers lequel elle tend le plus souvent comme c’est le cas pour la
vie ici-bas, soit à celui vers lequel elle tend toujours, comme c’est le cas
dans la patrie céleste. |
Et ideo Tullius, Lib. II de inventione, §
159,comparat virtutem naturae, dicens quod est habitus voluntarius in modum
naturae rationi consentaneus ; et ideo voluntas perfecta virtute justitiae se
habet ad opera justa, sicut ignis ad motum sursum. Et per hoc etiam
patet quod magis servatur ordo providentiae in bonis quam in malis. |
Et c’est
pourquoi Tullius [11 De l’Invention, & 159] compare la vertu
à la nature en disant qu’elle est l’habitus volontaire qui consent à la
raison à la manière de la nature; et c’est pourquoi la volonté, par la vertu
parfaite de la justice se rapporte aux oeuvres justes de la même manière que
le feu se rapporte au mouvement vers le haut. Et c’est par là aussi qu’on
voit que l’ordre de la providence est davantage observé dans les biens que
dans les maux. |
[2882] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod quidquid est in mundo, totum ordinatum est ; quamvis
ratio ordinis nobis non appareat in quibusdam, et praecipue in voluntariis,
cum malis quandoque bona quandoque mala eveniant, et similiter bonis. Sed
ratio ordinis hujus scitur a Deo ; sicut medicus scit quare quibusdam aegris
quandoque det calida et quandoque frigida, et similiter sanis ; quod tamen
ignorans artem admiratur, ut dicit Boetius, IV de consol., prosa
VI, col. 818. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que tout ce qui est dans l’univers est ordonné dans sa totalité, bien que le
rapport de l’ordre ne nous apparaisse pas dans certaines choses, et surtout
dans les actes volontaires, puisqu’à des maux ce sont parfois des biens et
parfois des maux qui surviennent, et qu’il en est de même pour les biens.
Mais le rapport de cet ordre est connu de Dieu, tout comme le médecin sait
pourquoi il donne parfois de la chaleur et parfois du froid à certains
malades, et qu’il fait semblablement pour ceux qui sont sains, alors que
celui qui ignore cet art s’en étonne comme le dit Boèce [IV De la
Consolation, prose VI, col. 818]. |
Ista tamen inordinatio si diligenter advertitur,
invenitur non in his ad quae per se ordinatur humana opera, et quae per se
sunt tantum bona vel mala. Habet enim bonum opus semper sibi adjunctum
bonitatis praemium in perfectione virtutis, quae est bonum humanum, et in
consecutione beatitudinis, ad quam opera humana ordinantur ; et e contrario
est de malis. Sed ista permixtio videtur accidere in his bonis quae
extra hominem sunt, vel quae non sunt bona ejus inquantum est homo, sicut in
bonis corporalibus et in bonis naturae [fortunae Éd. de Parme] ;
cum tamen ista permixtio semper ordinetur ad id quod est per se hominis
bonum, scilicta gratiae [vel gratiae Éd. de Parme], vel gloriae,
secundum apostolum Rom. 8, 28: Diligentibus Deum omnia cooperantur in
bonum, vel in justitiae divinae manifestationem ; frequenter enim impii
prosperantur in hac vita, ut manifestior appareat in judicio eorum
animadversio. |
Mais si on examine avec attention ce
désordre ou ce mélange, il se trouve non pas dans les choses vers lesquelles
les opérations humaines sont essentiellement ordonnées et qui sont
essentiellement seulement bonnes ou mauvaises. L’œuvre bonne en effet se
trouve toujours à être unie à la récompense de la bonté dans la perfection de
la vertu qui est le bien humain et dans la poursuite du bonheur auquel les
opérations humaines sont ordonnées ; et c’est le contraire pour les
maux. Mais ce mélange semble se produire dans
ces biens qui sont à l’extérieur de l’homme ou qui ne sont pas ses biens en
tant qu’il est homme, comme c’est le cas pour les biens corporels ou pour les
biens de la nature [de la fortune Éd. de Parme] ; puisque
cependant ce mélange est toujours ordonné à ce qui est le bien essentiel de
l’home, à savoir celui de la grâce [ou de la grâce Éd. de Parme]
ou de la gloire selon l’Apôtre [Romains 8, 28] : Toutes
choses contribuent au bien de ceux qui aiment Dieu, ou dans la
manifestation de la justice divine ; souvent en effet les criminels
trouvent la prospérité en cette vie afin que leur châtiment apparaisse plus
manifestement dans le jugement. |
[2883] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod ex illa auctoritate innuitur quod non est similiter
providentia de brutis et de hominibus ; et hoc verum est, ut ex praedictis,
in corp. art., patet. |
6. Il faut dire en sixième lieu
qu’à partir de cette autorité il est indiqué que la providence ne se présente
pas semblablement à l’égard des brutes animales et des hommes ; et cela
est vrai, ainsi qu’on le voit dans le corps de l’article. |
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Distinctio 40 |
Distinction 40 – [La prédestination] |
Prooemium |
Prologue |
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature de la prédestination] |
Prooemium |
Prologue |
[2884] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 pr. Hic est
duplex quaestio. Prima est de praedestinatione. Secunda de reprobatione. Circa primum quaeruntur tria. Primo quid sit
praedestinatio. Secundo, quorum sit. Tertio, de certitudine ejus. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum
praedestinatio sit in creatura, vel tantum in Deo ; 2 quid in Deo nominet. |
On cherche à répondre ici à deux
questions. La première porte sur la prédestination. La deuxième porte sur la réprobation. Au sujet du premier point on cherche à répondre
à trois interrogations : 1. Qu’est-ce que la prédestination ? 2. À quelle sorte d’êtres se
rapporte-t-elle ? 3. La prédestination est-elle
certaine ? Concernant la première interrogation, on
cherche à résoudre deux difficultés : 1. Est-ce que la prédestination est dans
la créature ou seulement en Dieu ? 2. Qu’est-ce que la prédestination
signifie en Dieu ? |
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Articulus 1 [2885] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1
tit. Utrum praedestinatio sit aliquid in praedestinato |
Article 1 – La prédestination est-elle quelque chose dans le prédestiné ? |
[2886] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod praedestinatio sit aliquid in re
praedestinata. Omnis enim actio infert ex se passionem. Sed cum dicitur, Deus
praedestinat, significatur in verbo actus divinus. Ergo videtur quod
respondeat sibi aliqua passio in creatura, quae sit praedestinatio passive
dicta, sicut etiam de creatione est ; invenitur enim creatio actio, et
creatio passio. |
Difficultés : 1. Il semble que la prédestination soit
quelque chose dans l’être qui est prédestiné. En effet, toute action cause
d’elle-même une passion. Mais lorsqu’on dit que Dieu prédestine, l’acte divin
est signifié dans un verbe. Il semble donc que lui corresponde une passion
dans la créature qui soit la prédestination prise passivement, tout comme il
en est aussi de même pour la création ; il y a en effet la création
comme action et la création comme passion. |
[2887] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis denominatio fit secundum
aliquam formam inhaerentem, sicut secundum qualitatem dicimur quales. Sed
praedestinatione aliquid denominatur, cum praedestinatus dicitur. Ergo
videtur quod praedestinatio sit aliquid in ipso. |
2. Par ailleurs, toute dénomination est
faite d’après une forme inhérente, tout comme nous disons ¨quel¨ d’après la
forme de la qualité. Mais c’est d’après la prédestination qu’un être est
dénommé lorsqu’on dit de lui qu’il est prédestiné. Il semble donc que la
prédestination soit quelque chose dans le prédestiné. |
[2888] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, comparatio est eorum quae sunt unius generis. Sed in Glossa Joan.
1, dicitur, quod « melius erat Nathanaeli duas naturas in Christo
cognoscere quam praedestinatum esse ». Cum igitur cognitio
naturarum, cui comparatur praedestinatio, in ipso aliquid ponat, videtur quod
praedestinatio sit aliquid in praedestinato. |
3. En outre, il y a comparaison
pour les choses qui sont du même genre. Mais il est dit dans la Glose de Jean
1 : «Il était préférable à Nathanaël de connaître les deux natures
dans le Christ que d’être prédestiné». Donc, puisque la connaissance des
natures, à laquelle se compare la prédestination, pose quelque chose en lui,
il semble que la prédestination soit quelque chose dans le prédestiné. |
[2889] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nullum aeternum definitur per
temporale. Sed praedestinatio
definitur per temporale: quia dicitur, quod est praeparatio gratiae in
praesenti et gloriae in futuro. Ergo non est aeterna. Sed omnis actio quae
temporaliter de Deo dicitur, ponit actu [actu om. Éd. de Parme]
aliquem effectum in creatura, sicut regere, gubernare, et hujusmodi. Ergo
videtur quod praedestinatio sit aliquid etiam in praedestinato. |
4. De plus, rien d’éternel ne se
définit par le temporel. Mais la prédestination se définit par le temporel
car on dit qu’elle est une préparation de la grâce dans le présent et de la
gloire dans le futur. Elle n’est donc pas éternelle. Mais toute action qui se
dit temporellement de Dieu pose en acte [acte om. Éd. de Parme] un effet dans
la créature, comme par exemple diriger, gouverner, etc. Il semble donc que la
prédestination soit aussi quelque chose dans le prédestiné. |
[2890] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, non eliguntur nisi praedestinati. Sed eliguntur qui non sunt, ut
dicit Augustinus, De verbo Apost., sermo XXVI, § 4, col.
170, olim Lib. de Praedest. Sanct., cap. 17. Ergo videtur quod
praedestinatio sit non entium. Sed in non ente non potest aliquid esse. Ergo
praedestinatio non est aliquid in praedestinato. |
Cependant : 1. Il n’y a que les prédestinés qui sont
élus. Mais il y a des élus qui n’existent pas, comme le dit Saint-Augustin [Du
Verbe Apost., sermon XXVI, & 4, col. 170, autrefois le Livre
de la Prédestination des Saints, ch. 17]. Il semble donc que la
prédestination se rapporte à ce qui n’existe pas. Mais il ne peut y avoir de
l’être dans le non-être. Donc la prédestination ne peut être quelque chose
dans le prédestiné. |
[2891] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, ut supra, dist. 38, dixit Magister, praedestinatio est quaedam
species scientiae divinae. Sed scientia nihil est in scito, sed tantum in
sciente. Ergo videtur quod
praedestinatio non ponat aliquid in praedestinato. |
2. En outre, comme l’a dit le
Maître dans la distinction 38, la prédestination est une sorte de science
divine. Mais la science n’est en rien dans l’objet de science mais plutôt
dans celui qui sait. Il semble donc que la prédestination ne pose rien dans
le prédestiné. |
[2892] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ponere aliquid in alio
potest intelligi dupliciter. Aut quod ipsum
significatum per nomen in aliquo esse dicatur, sicut albedo ponit aliquid in
albo: et sic dico, quod praedestinatio non ponit aliquid in praedestinato,
sed in praedestinante tantum. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que poser quelque chose dans un autre peut s’entendre de deux
manières. Soit qu’on dise
que ce qui est signifié par le nom existe dans un être, tout comme la
blancheur pose quelque chose dans ce qui est blanc: et en ce sens je dis que
la prédestination ne pose pas quelque chose dans le prédestiné, mais
seulement dans celui qui predestine. |
Aut ita quod ad
significatum quod est in uno, sequitur aliquid esse in alio ; sicut
paternitas ponit aliquid in filio, cum tamen ipsa secundum suum esse in patre
tantum sit, sed dicitur ponere aliquid in filio, inquantum ad paternitatem
sequitur aliquid esse in filio. Sed
hoc contingit dupliciter. Vel quia relinquatur illud esse in alio simul, sicut
paternitas relinquit filiationem: aut non necessario simul, sed vel prius vel posterius,
sicut auditus ponit percussionem sonantem simul aut prius ; et hoc modo dico,
quod praedestinatio ponit aliquid in praedestinato: quia ad operationem hanc
Dei sequitur effectus praedestinationis in esse [inesse Éd. de Parme]
praedestinato non semper quandocumque est praedestinatio, sed quandoque ; et
hic effectus est gratia et gloria. |
Soit de telle manière que du
signifié qui est dans l’un il s’ensuive que quelque chose existe dans un
autre, tout comme la paternité qui pose quelque chose dans le fils, bien que
cependant la paternité elle-même selon son existence ne soit que dans le
père ; mais on dit qu’elle pose quelque chose dans le fils pour autant
que de cette paternité il s’ensuit quelque chose qui existe dans le fils.
Mais cela est possible de deux manières. Ou bien parce que cette existence est
laissée dans l’autre simultanément, comme la paternité laisse la
filiation ; ou bien elle n’est pas nécessairement laissée simultanément,
mais avant ou après, tout comme l’audition pose un choc qui résonne
simultanément ou avant ; et c’est en ce sens que je dis que la
prédestination pose quelque chose dans le prédestiné : car un effet de
la prédestination suit cette opération de Dieu dans l’être [est dans l’être
Éd. de Parme] prédestiné non pas toujours tant qu’il y a prédestination mais
parfois ; et cet effet est la grâce et la gloire. |
[2893] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, ut Philosophus,
IX Metaph., text. 16 tradit actionum quaedam transeunt in
exteriorem materiam circa quam aliquem effectum operantur, ut patet in
actionibus naturalibus sicut ignis calefacit lignum, et in artificialibus,
sicut aedificator facit domum ex materia ; et in talibus actio est recepta in
eo quod fit, per modum passionis, secundum quod motus est in moto ut in
subjecto: et ideo in talibus est invenire actionem in re agente, et passionem
in re patiente. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que, comme le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 16] l’enseigne, certaines actions passent dans une matière extérieure
sur laquelle elles opèrent un effet, comme on le voit dans les actions
naturelles comme le feu qui réchauffe le bois, et dans les opérations
artificielles, comme le constructeur qui fait la maison à partir d’une
matière; et dans ces cas l’action est reçue par mode de passion dans ce qui
est produit selon que le mouvement est dans le mobile comme dans un sujet: et
c’est pourquoi dans ces cas on retrouve une action dans la chose qui agit et
une passion dans la chose qui subit. |
Quaedam vero sunt
quae in exteriorem materiam non transeunt ut effectum aliquem circa ipsam
producant, ut patet in visione, quae cum sit actio videntis, nullum effectum
in re visa efficit ; et tales actiones, quae proprie operationes dicuntur, in
ipsis operantibus tantum sunt. Unde non potest fieri conversio passionis ad
actionem acceptam a re exteriori, secundum quod in se est, sed solum secundum
quod in operante est: etsi enim oculus videt lapidem, lapis tamen non videtur
nisi secundum quod est in oculo per sui similitudinem. |
Mais il y a
des actions qui ne passent pas dans une matière extérieure de manière à
produire sur elle un effet, comme cela est manifeste pour la vision, qui bien
qu’elle soit l’action de celui qui voit, ne produit aucun effet sur la chose
vue; et de telles actions, qu’on appelle proprement opérations, n’existent
que dans ceux-là même qui opèrent. D’où il résulte qu’il ne peut y avoir
conversion de la passion à l’action prise d’une chose extérieure selon
qu’elle existe en elle-même, mais seulement selon qu’elle existe dans celui
qui opère: en effet, bien que l’oeil voit la pierre, cependant la pierre
n’est vue que selon qu’elle existe dans l’oeil par sa similitude. |
Secundum hoc ergo
dico, quod creatio est talis actio quae effectum exteriorem relinquit ; unde
oportet passive sumptam creationem aliquid in re creata esse, sicut
calefactionem in calefacto. Praedestinatio vero cum nominet operationem
voluntatis et intellectus existentem solum in ipso operante, sicut visio in
vidente et speculatio in speculante, si passive accipiatur, non erit aliquid
in praedestinato, secundum quod in se consideratur, sed solum secundum quod
in praedestinante est secundum suam similitudinem per quam ibi cognoscitur,
sicut et scitum in sciente: ex quo etiam patet quod praedestinatio non
nominatur per aliquam passionem in ipso existentem, sed per operationem
ipsius praedestinantis, sicut et res denominatur visa per operationem
videntis ; et per hoc patet solutio ad secundum [et per hoc …secundum om. Éd. de Parme]. |
Conformément à cela je dis donc que
la création est une action telle qu’elle laisse un effet extérieur ;
d’où il faut que la création prise passivement soit quelque chose dans la
chose créée, tout comme le réchauffement soit quelque chose dans ce qui est
réchauffé. Mais la prédestination, puisqu’elle signifie une opération de la
volonté et de l’intelligence qui existe seulement dans celui-là même qui
opère comme c’est le cas pour la vision dans celui qui voit et l’intellection
dans celui qui possède l’intelligence, si on l’entend passivement, elle ne
sera pas quelque chose dans le prédestiné selon qu’il est considéré en
lui-même, mais seulement selon qu’il existe dans celui qui prédestine selon
sa similitude par laquelle il y est connu, tout comme l’objet de science est
dans celui qui sait ; d’où il est clair aussi que la prédestination
n’est pas nommée par une passion existant dans le prédestiné, mais par une
opération existant dans celui qui prédestine, tout comme on dit de la chose
qu’elle est vue par l’opération de celui qui voit ; et c’est au moyen de
cela que la solution à la deuxième difficulté est évidente [et c’est au moyen
de cela … est évidente om. Éd. de Parme]. |
Vel aliter dicitur, quod praedestinatio, proprie
loquendo de actione, secundum quod in naturalibus sumitur, non est actio, sed
operatio. Operatio enim agentis quaedam est ut transiens in effectum, et haec
proprie actio vel passio dicitur : et tali actioni semper respondet e
converso passio ; unde invenitur calefactio actio et calefactio passio, et
similiter creatio actio et creatio passio. Quaedam vero operatio est quae non
significatur ut procedens in aliquem effectum, sed magis secundum quod est
aliquid in ipso ; et si quidem haec recipiatur in ipso, illa receptio dicetur
passio ; et actio consequens conjunctum ex recepto et recipiente dicetur
operatio: quia operatio semper est perfecti, ut patet in sensu: sentire enim
est quaedam operatio sentientis, nec procedens in effectum aliquem circa
sensibile, sed magis secundum quod species sensibilis in ipso est ; unde
sentire quantum ad ipsam receptionem speciei sensibilis nominat passionem,
similiter et intelligere quod etiam pati quoddam est, ut in III De
anim., text. 2, dicitur: sed quantum ad actum consequentem ipsum
sensum perfectum per speciem nominat operationem, quae dicitur motus sensus,
de quo dicit Philosophus, in III De anim., text. 11, quod est actus perfecti. |
Ou bien on peut encore dire que la
prédestination, en parlant proprement de l’action selon qu’elle se prend dans
les choses naturelles, n’est pas une action mais une opération. Il y a en
effet une opération de l’agent qui passe dans un effet, et c’est elle qui
s’appelle proprement action ou passion : et à une telle action
correspond toujours à l’inverse une passion ; d’où on rencontre alors un
réchauffement comme action et un réchauffement comme passion, et de même une
création comme action et une création comme passion. Mais il y a une opération qui n’est pas
signifiée comme procédant dans un effet mais plutôt comme étant quelque chose
qui est dans l’agent ; et si certes cette opération est reçue en lui,
cette réception s’appelle passion ; et l’action qui suit la réunion de
ce qui est reçu et de celui qui reçoit sera appelée opération : car
l’opération appartient toujours à celui qui est parfait comme on le voit pour
le sens : sentir en effet est une opération de celui qui sent et elle ne
procède à aucun effet sur le sensible, mais plutôt en tant que l’espèce
sensible est en lui ; d’où il résulte que ¨sentir¨, quant à la réception
de l’espèce sensible, nomme une passion, tout comme l’acte d’intellection qui
est aussi une certaine passion comme le dit le Philosophe [111 De
l’Âme, texte 2] ; mais quant à l’acte qui découle du sens rendu
parfait par l’espèce, il nomme une opération qu’on appelle le mouvement du
sens au sujet duquel le Philosophe [111 De l’Âme, texte 11] dit
qu’il est l’acte de ce qui est parfait. |
Sed in Deo est
similitudo rei cognitae, non per receptionem sed per essentiam suam ; unde
suum intelligere nullo modo dicit passionem, sed operationem tantum. Omnes
igitur tales operationes non habent passiones respondentes nisi per modum
significandi tantum ; sicut cum dicitur aliquid sciri, non ponitur aliqua
passio secundum rem in scito, sed solum quidam respectus ad scientem secundum
rationem, qui per modum passionis significatur a grammatico, sicut et
operatio per modum actionis ; unde dicit quod scire est activum, et sciri
passivum. |
Mais en
Dieu il y a une similitude de la chose connue, non pas par une reception mais
par son essence; d’où son acte d’intellection ne dit en aucune manière une
passion, mais une opération seulement. Donc toutes les operations de cette
sorte ne possèdent pas de passions correspondantes, si ce n’est quant au mode
de signifier seulement; par exemple lorsqu’on dit qu’une chose est connue, on
ne pose aucune passion en réalité dans ce qui est connu, mais seulement un
rapport selon la raison à celui qui connaît, rapport qui est signifié par le
grammairien à la manière d’une passion, tout comme l’opération est signifiée
à la manière d’une action; et c’est pourquoi il dit que connaître est actif
et être connu est passif. |
Unde dico quod praedestinatio est quaedam operatio
divina, et praedestinari non ponit aliquam passionem in praedestinato, sed
solum respectum quemdam secundum modum intelligendi, qui respectus
relinquitur ex assimilatione sciti quae est in sciente. |
Il résulte de là que je dis que la
prédestination est une certaine opération divine et qu’être prédestiné ne
pose pas une passion dans le prédestiné, mais seulement un certain rapport
qui suit le mode de concevoir, lequel rapport est laissé à cause de la
similitude de l’objet connu qui est dans celui qui connaît. |
[2894] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in omnibus absolutis denominatur aliquid per id quod
sibi inest: sed in relativis quandoque denominatur aliquid per id quod in
ipso est, sicut pater paternitate, quae realiter in ipso est: quandoque autem
denominatur eo quod solum in altero est ; sicut in illis in quorum alio est
relatio secundum rem, et in alio secundum rationem tantum. Unde dicit
Philosophus, Metaph., text. 20, quod scibile dicitur relativum,
non quia ipsum referatur, sed quia aliud refertur ad ipsum: et ita patet quod
praedestinatio secundum rem nihil est nisi in intellectu divino. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans
tous les absolus on dénomme quelque chose par ce qui lui appartient :
mais dans les relatifs quelque chose est parfois dénommé par ce qui est en
lui, comme le père par la paternité, laquelle est réellement en lui ;
mais parfois il est dénommé par ce qui est seulement dans l’autre, comme dans
ces cas pour lesquels il y a relation réelle dans l’un mais dans l’autre
seulement relation selon la raison. D’où le Philosophe [V Métaphysique,
texte 20] dit que l’objet de science est dit relatif non pas parce que
lui-même se rapporte ou est relatif à celui qui sait, mais parce que l’autre,
celui qui sait, se rapporte ou est relatif à lui ; et c’est ainsi qu’il
est clair que la prédestination n’est rien en réalité si ce n’est dans
l’intelligence divine. |
[2895] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod comparatio illa non
attenditur absolute cognitionis duarum naturarum in Christo ad
praedestinationem, sed cognitionis talis [talis om. Éd. de Parme]
simul cum praedestinatione ad praedestinationem simul cum statu veteris legis:
praedestinatio enim stat cum utroque. Unde dicit, quod « Melius est
Nathanaeli cognoscere duas naturas in Christo quam esse praedestinatum, et
manere sub umbra legis et mortis » ; ac si diceret : melius est
esse praedestinatum et habere gratiam Novi Testamenti, quam esse
praedestinatum et non habere gratiam Novi Testamenti: quia praedestinatio
currit cum utroque testamento. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cette comparaison ne se vérifie pas absolument de
la connaissance des deux natures dans le Christ par rapport à la
prédestination, mais de cette [cette om. Éd. de Parme]
connaissance prise simultanément avec la predestination par rapport à la
predestination prise simultanément avec la position de la loi ancienne: la
predestination en effet se conserve dans les deux cas. D’où il dit que «Il
est préférable à Nathanaël de connaître les deux natures dans le Christ que
d’être prédestiné, et de demeurer sous l’ombre de la loi et de la mort»;
c’est comme s’il disait: il est préférable d’être prédestiné et de posséder
la grâce du Nouveau Testament que d’être prédestiné et ne pas posséder la
grâce du Nouveau Testament: car la prédestination poursuit son cours dans les
deux testaments. |
[2896] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod temporale non ponitur
in definitione aeterni in recto, quasi denotans substantiam aeterni ; sed in
obliquo nihil prohibet poni, ut significetur respectus aeterni ad temporale:
et sic gratia et gloria in definitione praedestinationis ponitur. |
4. Il faut dire
en quatrième lieu que le temporel n’est pas posé directement dans la
définition de l’éternel, comme s’il indiquait la substance de l’éternel; mais
rien n’empêche qu’il y soit pose indirectement de manière à signifier le
rapport de l’éternel au temporel; et c’est ainsi que la grâce et la gloire
sont posées dans la définition de la prédestination. |
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Articulus 2 [2897] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2
tit. Utrum praedestinatio pertineat ad scientiam |
Article 2 – La prédestination appartient-elle à la science ? |
[2898] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
praedestinatio ad scientiam pertineat. Quia, ut dicitur in Littera, praedestinatio
sine praescientia non potest esse. Praescientia autem scientiam nominat cum
ordine ad futura. Ergo praedestinatio
ad scientiam pertinet. |
Difficultés : 1. Il semble que la prédestination
appartienne à la science. Car, ainsi qu’on le dit dans la Lettre, la
prédestination ne peut exister sans la préscience. Mais la préscience nomme
la science avec un rapport au futur. Donc la prédestination appartient à la
science. |
[2899] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, videtur quod ad voluntatem. Dicit enim Augustinus, De predestinatione
sanctorum, quod praedestinatio est propositum miserendi. Proponere autem est
actus voluntatis, quia videtur idem esse quod finem determinare. Ergo videtur
quod praedestinatio ad voluntatem pertineat. |
2. En
outre, il semble que la predestination se rapporte à la volonté.
Saint-Augustin [De la Prédestination des Saints] dit en effet que la
predestination est le propos de secourir. Mais le propos est un acte de la
volonté car il semble s’identifier à la determination de la fin. Il semble
donc que la predestination appartienne à la volonté. |
[2900] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod ad potentiam. Quia praeparare est actus potentiae. Sed praedestinatio
est praeparatio beneficiorum Dei, ut in Littera dicitur.
Ergo et cetera. |
3. De plus, il semble que la
prédestination appartienne à la puissance. Car la préparation est un acte de
la puissance. Mais la prédestination la préparation des bienfaits de Dieu
comme on le dit dans la Lettre. Donc, etc. |
[2901] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 4 Item,
videtur quod sit idem quod providentia vel dispositio. Quia praedestinatio
dicitur alicujus in finem directio. Sed ordo in finem pertinet ad
providentiam vel dispositionem. Ergo videtur quod et praedestinatio. |
4. En
outre, il semble qu’elle s’identifie à la providence ou à la disposition. Car
la predestination dit la direction de quelqu’un vers sa fin. Mais l’ordre
vers la fin appartient à la providence ou à la disposition. Il semble qu’il
en soit aussi de même pour la predestination. |
[2902] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit idem quod liber vitae.
Vita enim animae est per gratiam et gloriam. Sed praedestinatio est
praeparatio gratiae in praesenti et gloriae in futuro, secundum magistralem
definitionem. Ergo ad librum vitae
pertinet. |
5. Par ailleurs, il semble que la
prédestination soit la même chose que l’arbre de vie. En effet, la vie de
l’âme s’accomplit par la grâce et la gloire. Mais la prédestination est la
préparation de la grâce pour le présent et de la gloire pour le futur, selon
la définition du maître. La prédestination appartient donc au livre de vie. |
[2903] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio includit
in intellectu suo providentiam, et aliquid addit. Addit autem ad minus tria: |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que la predestination inclut dans sa definition la providence et y
ajoute quelque chose. Mais elle ajoute au moins trois choses: |
unum ex parte
ipsorum praedestinatorum: quia cum providentia Dei sit respectu omnium, et
specialiter quodammodo sit respectu habentium voluntatem, praedestinatio
includit in se providentiam secundum illum specialem modum quo est hominum,
et habentium voluntatem. |
Elle en
ajoute une du côté des prédestinés eux-mêmes car puisque la providence de Dieu
se rapporte à tous les êtres, et qu’elle se rapporte spécialement d’une
certaine manière à ceux qui possèdent la volonté, la prédestination inclut en
elle la providence d’après ce mode spécial par lequel elle se rapporte aux
hommes et à ceux qui possèdent la volonté. |
Secundum addit ex
parte ipsius finis et eorum quae habentur ut promoventia ad finem ; cum enim
providentia respiciat ordinem uniuscujusque boni ad quemlibet finem,
praedestinatio est tantum respectu eorum quae sunt elevata supra facultatem naturae,
ut gloriae, quae est in perfecta Dei fruitione, et gratiae promoventis in
ipsam ; unde dicit Damascenus, quod praedestinatio est eorum quae non sunt in
nobis. |
Elle en
ajoute une deuxième du côté de la fin elle-même et de ce qui est possédé pour
progresser vers la fin; en effet, puisque la providence se rapporte à l’ordre
de chaque bien vers la fin, la prédestination se rapporte seulement à ce qui
est élevé au-dessus des capacités naturelles, comme c’est le cas pour la
gloire qui consiste dans la parfaite jouissance de Dieu, et pour la grâce qui
contribue à progresser vers elle; c’est pourquoi Damascène dit que la
prédestination se rapporte à ce qui n’est pas en nous. |
Tertium addit ex parte ipsius praedestinantis, ex cujus
parte videtur duo addere: primo, quia providentia est quaedam [idem quod Éd.
de Parme] ars gubernationis rerum, quae secundum rationem sui nominis
potest salvari in speculatione tantum ; sed praedestinatio importat
providentiam, secundum quod est ordinata ad executionem operis per voluntatem
; et ideo definitur per propositum et per praeparationem: secundo addit praescientiam exitus ex parte ejus quod
providetur ; unde potest aliquid ab ordine providentiae quantum ad id quod
intentum est, exire ; sicut Deus vult omnes homines salvos fieri, licet non
omnes salventur: non autem ab ordine praedestinationis. Dicit enim
praedestinatio intentionem divinam de salute istius cum praescientia ejus
quod salvabitur ; et ideo dicitur, quod est praescientia et praeparatio. |
Elle ajoute une troisième chose du
côté de celui-là même qui prédestine et cela de deux manières :
premièrement, parce que la providence est [identique à Éd. de Parme]
un certain art de gouverner les choses, qui d’après la signification de son
nom peut être conservé dans une considération purement spéculative, mais que
la prédestination implique la providence en tant qu’elle est ordonnée à
l’exécution de l’œuvre par la volonté, c’est pourquoi elle se définit par le
propos et par la préparation ; deuxièmement, elle ajoute la préscience
du résultat du côté de celui qui est pourvu ; d’où quelque chose peut
résulter de l’ordre de la providence quant à ce qui est recherché : par
exemple, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, bien que tous ne le
soient pas mais non en raison de l’ordre de la prédestination. En effet, la
prédestination dit l’intention de Dieu au sujet du salut de celui-ci avec la
préscience de celui qui sera sauvé ; et c’est pourquoi d’elle qu’elle
est une préscience et une préparation. |
[2904] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1 Unde patet solutio ad primum ; quia non tantum
ponitur praescientia in ejus definitione. |
Solutions: 1. Et de là
résulte la solution à la première difficulté car ce n’est pas seulement la
prescience qui est posée dans sa definition. |
[2905] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod propositum non
simpliciter nominat actum voluntatis, sed praesupponit actum cognitionis
ostendentis finem in quem voluntas tendit. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le propos ne nomme pas purement et simplement un
acte de la volonté, mais il presuppose l’acte de la connaissance qui
manifeste la fin vers laquelle la volonté tend. |
[2906] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeparatio quae
ponitur in definitione praedestinationis, non est secundum executionem in
opus, sed intelligitur secundum propositum divinae voluntatis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la preparation qui est placée dans la definition
de la predestination n’est pas prise en tant qu’elle entre dans l’exécution
de l’oeuvre mais elle s’entend selon le propos de la volonté divine. |
[2907] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedestinatio est
quidam modus providentiae ; sed addit aliqua specialia super eam, ut dictum
est, in corp. art. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la prédestination est une certaine sorte de
providence, mais elle y ajoute certaines notions particulières, ainsi que
nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[2908] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod liber vitae metaphorice
dicitur. Sicut enim in libro aliquid scribitur, ex quo in eo veritas rei
intelligitur ; ita etiam in intellectu describuntur similitudines rerum, per
quas res cognoscuntur ; unde intellectus possibilis ante intelligere
comparatur tabulae in qua nihil est scriptum, in III de anima, text. 14. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
c’est par métaphore qu’on parle du livre de vie. En effet, tout comme dans un
livre quelque chose est écrit à partir de quoi on conçoit la vérité de la
chose, de même aussi dans l’intelligence sont représentées les similitudes
des choses par lesquelles les choses sont connues ; c’est pourquoi
l’intellect possible, avant l’acte d’intellection, est comparé à la tablette
sur laquelle rien n’est écrit comme le dit le Philosophe [111 De
l’Âme, texte 14]. |
Cum ergo dicitur liber vitae in Deo, potest sumi vita
vel ex parte Dei intelligentis ; et sic praescientia creaturarum dicitur
liber vitae, quia Quod factum est in ipso vita erat ; Joan.
1, 3: vel ex parte rei scitae ; et sic dicitur liber vitae praescientia vitae
quae est in conformitate ad Deum. |
Donc, lorsqu’on parle du livre de
vie en Dieu, on peut le prendre soit du côté de Dieu qui conçoit ; et en
ce sens la préscience des créatures est appelée le livre de vie car
l’Écriture [Jean, 1, 3] dit : Ce qui a été fait avait la vie ne Lui ;
soit du côté de la chose connue et en ce sens on appelle livre de vie la
préscience de la vie qui est conforme à Dieu. |
Haec autem est duplex ; scilicet vita gratiae, et vita
gloriae, quae ad perfectam conformitatem accedit. Unde cujus talis vita
repraesentatur in libro divinae praescientiae, dicitur simpliciter scribi in
libro vitae ; secundum quid autem, scilicet quantum ad praesentem justitiam,
dicitur ibi scribi, cujus vita gratiae tantum ibi cognoscitur. Et etiam
quodammodo dicuntur ibi scribi opposita horum, scilicet gloriae et gratiae
inquantum per hoc cognoscuntur. |
Mais cette dernière est de deux
sortes : à savoir la vie de la grâce, et la vie de la gloire qui
parvient à une parfaite conformité à Dieu. D’où il suit qu’on dit de celui
dont une telle vie est représentée dans le livre de la préscience divine
qu’il est purement et simplement écrit dans le livre de vie ; mais on
dit qu’y est écrit seulement sous un certain rapport, c’est-à-dire quant à la
justice présente, celui dont la vie de la grâce seulement y est connue. Et on
dit même en un certain sens qu’y sont écrits leurs opposés, c’est-à-dire ceux
de la gloire et de la grâce dans la mesure où ces dernières sont connues par
eux. |
Sic ergo patet quod liber vitae est medium inter
praescientiam communiter sumptam et praedestinationem: quia praescientia est
communiter omnium, sed liber vitae est tantum cognitio gratiae vel gloriae ;
sed praedestinatio est non tantum gratiae, sed gratiae simul et gloriae. Unde
nullus dicitur esse praedestinatus quantum ad praesentem justitiam, sicut
dicitur scriptus in libro vitae ; et super hoc addit praedestinatio
propositum voluntatis. |
Ainsi donc il est clair que le
livre de vie est un intermédiaire entre la préscience prise universellement
et la prédestination : car la préscience se rapporte communément à tous
mais le livre de vie est seulement la connaissance de la grâce ou de la gloire ;
mais la prédestination est non seulement la connaissance de la grâce, mais
simultanément celle de la grâce et de la gloire. D’où il résulte qu’on ne
dira de personne qu’il est prédestiné quant à la justice présente comme le
dit ce qui est écrit dans le livre de vie car la prédestination ajoute à cela
le propos de la volonté. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’objet de la prédestination] |
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[2909] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 tit. Quorum
sit praedestinatio |
Article 1 – Qui est concerné par la prédestination ? |
[2910] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 1
Deinde quaeritur, quorum sit praedestinatio. Et videtur quod sit tantum eorum
qui sunt. Praedestinatio enim significat missionem quamdam. Sed nihil
mittitur nisi quod est. Ergo praedestinatio est tantum entis. |
Difficultés : 1. Il semble que la prédestination ne
concerne que ceux qui existent. La prédestination en effet signifie une
certaine mission. Mais toute mission s’addresse à ceux qui existent. La
prédestination ne s’addresse donc qu’à ceux qui existent. |
[2911] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, quod non est, non potest ad aliquid praeparari. Sed praedestinatio
est praeparatio quaedam. Ergo videtur quod non sit non entium. |
2. Par ailleur, ce qui n’existe pas
ne peut être préparé pour quelque chose. Mais la prédestination est une
certaine préparation. Il semble donc qu’elle ne concerne pas ceux qui
n’existent pas. |
[2912] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 3 Item,
videtur quod non sit Angelorum. Quia, secundum Augustinum, praedestinatio est
propositum miserendi. Sed Angeli nunquam fuerunt miseri. Cum igitur
misericordia, ut dicit Bernardus, [ut …Bernardus om. Éd.
de Parme] miseriam respiciat, videtur quod eis praedestinari non
competit. |
3. En outre, il semble qu’elle ne
concerne pas les Anges. Car selon Saint-Augustin, la prédestination est le
propos de secourir. Mais les Anges ne furent jamais dans la misère. Donc,
puisque la miséricorde, comme le dit Saint-Bernard [comme … Bernard om.
Éd. de Parme] se rapporte à la misère, il semble qu’il ne convienne pas
aux Anges d’être prédestinés. |
[2913] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 4 Item,
videtur quod nec beatis, qui sunt in gloria. Quia quod est in fine ultimo,
non potest dirigi in aliud [illud Éd. de Parme]. Sed beati sunt in
suo fine ultimo. Ergo eis non competit praedestinari. |
4. De plus,
il semble que la predestination ne s’applique pas non plus aux bienheureux
qui sont dans la gloire. Car ce qui est parvenu à la fin ultime n’a plus
besoin d’être dirigé vers autre chose [vers elle Éd. de Parme].
Mais les bienheureux sont parvenus à leur fin ultime. Il ne leur appartient
donc plus d’être prédestinés. |
[2914] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod nec Filio Dei. Quia
praedestinatio importat antecessionem quamdam, sicut et praescientia. Sed respectu Filii Dei, cum sit aeternus, non potest
designari aliqua antecessio. Ergo filio Dei praedestinari non competit. |
5. En outre, il semble qu’elle ne
s’applique pas au Fils de Dieu. Car la prédestination implique un certain
antécédent, tout comme la préscience. Mais aucun antécédent ne peut être
identifié par rapport au Fils de Dieu puisqu’il est éternel. Il ne convient
donc pas au fils de Dieu d’être prédestiné. |
[2915] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 6 Sed e contrario videtur quod praedestinatio sit
omnium hominum. Quia Deus, secundum
Dionysium, cap. IV, De div. nom., col. 694, aequaliter se
habet ad omnia. Ergo si aliquibus ipse praeparat gratiam, et omnibus. Sed
praedestinatio est gratiae praeparatio. Ergo si aliquos praedestinat, et
omnes praedestinat. |
6. Mais au contraire il semble que
la prédestination s’applique à tous les hommes. Car Dieu, d’après Denys [Les
Noms Divins, ch. IV, col. 694], se présente de la même manière à l’égard
de tous. Si donc Dieu prépare la grâce pour certains, il la prépare aussi
pour tous. Mais la prédestination est la préparation de la grâce. Donc, si
Dieu prédestine certains, il les prédestine tous. |
[2916] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 7
Praeterea, sicut dirigimur in bona gratiae a Deo, ita et in bona naturae ;
quia omne bonum nostrum ab ipso est. Sed bona naturae omnibus largitur, bonis
et malis, ut habetur Matth. 5. Cum ergo praedestinatio sit
directio in finem (finis autem est bonum) videtur quod praedestinatio sit
omnium. |
7. Par ailleurs, tout comme nous
sommes conduits par Dieu vers les biens de la grâce, de même nous sommes
conduits par Lui vers les biens de la nature car tous nos biens nous viennent
de Lui. Mais il distribue à tous les biens de la nature, aux bons comme aux
méchants, comme le dit l’Écriture [Matthieu, 5]. Donc, puisque la
prédestination est une direction vers la fin (et que la fin est le bien), il
semble que la prédestination s’adresse à tous. |
[2917] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio dicitur
esse aliquorum dupliciter: vel sicut finis et conferentium ad finem ; et sic
dicitur esse gratiae et gloriae ; vel eorum qui finem consequuntur ; et sic
est omnium qui gloriam per Dei gratiam adipiscuntur. Utrumque autem ex nomine praedestinationis accipi
potest, in quo conjungitur actus destinationis cum hac praepositione prae per
compositionem advenientem |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
prédestination concerne certaines choses de deux manières : soit en tant
que fin et en tant que ce qui contribue à progresser vers la fin et en ce
sens on dit de la prédestination qu’elle concerne la grâce et la
gloire ; soit en tant qu’elles découlent de la fin et en ce sens elle
concerne tous ceux qui ont atteint la gloire par la grâce de Dieu. Mais on
peut entendre l’une et l’autre à partir du nom de prédestination, dans lequel
est uni l’acte de destination à la préposition ¨pré¨ par la composition qui
lui advient. |
Destinare autem significat
directionem alicujus in aliquid, sicut nuntii. Dicitur etiam alio modo
destinare, ut habetur II Machab., VI, 20: Eleazarus destinavit non
admittere illicita propter vitae amorem. Sed haec significatio videtur
deducta ex prima ; quod enim proponitur, dirigitur in executionem
operis. Illud autem proprie dicitur
dirigi in aliquid quod non habet in se unde in illud vadat: et ideo proprie
in illa dicitur praedestinatio quae homo ex naturalibus suis consequi non
potest, scilicet gratiam et gloriam. |
Mais destiner signifie la direction
d’un être vers quelque chose, comme celle du messager. Mais ¨destiner¨ se dit
aussi en un autre sens, comme le dit l’Écriture [11 Maccabés, VI,
20] : Éléazar se proposa de n’admettre aucune chose illicite par
amour de la vie. Mais cette signification semble découler de la
première ; en effet, ce qu’on se propose, on le conduit à l’exécution
d’une œuvre. Mais on dit à proprement parler qu’est dirigé vers quelque chose
ce qui ne possède pas en soi ce qui lui faut pour marcher vers ce quelque
chose : et c’est pourquoi on dit que la prédestination concerne
proprement les réalités auxquelles l’homme ne peut parvenir à partir de ses
capacités naturelles, à savoir la grâce et la gloire. |
Et ideo dicit Damascenus, ubi supra, quod praedestinatio
est eorum quae non sunt in nobis. Et ideo quidquid non potest consequi
gratiam et gloriam, illud non praedestinatur ; sed illi tantum praedestinari
dicuntur qui consecuturi sunt gloriam per gratiam. Sed haec praepositio prae
importat antecessionem, quae diversimode diversis convenit. Invenitur enim in
praedestinatione hominis antecessio aeternitatis ad naturam, et naturae ad
gratiam, et gratiae ad gloriam. |
Et c’est pourquoi Damascène dit, où
nous l’avons cité plus haut, que la prédestination se rapporte à ce qui n’est
pas en notre pouvoir. Et c’est pourquoi ce qui ne peut rechercher la grâce et
la gloire n’est pas prédestiné, mais seuls peuvent être appelés prédestinés
ceux qui peuvent poursuivre la gloire par la grâce. Mais cette préposition
¨pré¨ implique une antécédence qui convient différemment à différents êtres.
On retrouve en effet dans la prédestination de l’homme une antécédence de
l’éternité à la nature, de la nature à la grâce et de la grâce à la gloire. |
In Angelo autem invenitur antecessio aeternitatis ad
naturam, et naturae ad gratiam, secundum eos qui ponunt Angelos tantum in
naturalibus creatos, sed secundum eos, [secundum eos, om. Éd. de
Parme] non gratiae ad gloriam duratione. Secundum autem alios, qui ponunt
Angelos in gratia creatos, non invenitur antecessio naturae ad gratiam
secundum durationem, sed gratiae ad gloriam. In Christo autem non invenitur
antecessio aeternitatis ad personam, sed tantum ad alteram naturarum
[naturam Éd. de Parme] ; nec naturae ad gratiam, nec gratiae ad
gloriam, quantum ad fruitionem, sed solum quantum ad impassibilitatem animae
et dotes corporis ; et sic diversimode praedestinatio diversis convenit. |
Mais chez
l’Ange on retrouve une antériorité de l’éternité à la nature et de la nature
à la grâce chez ceux qui posent l’Ange seulement dans les créatures
naturelles, mais non de la grâce à la gloire par la durée d’après eux
[d’après eux om. Éd. de Parme]. Mais selon d’autres qui posent
que les Anges sont créés dans la grâce, on ne retrouve pas chez eux une
antériorité de la nature à la grâce selon la durée, mais de la grâce à la
gloire. Mais chez le Christ on ne retrouve pas une antériorité de l’éternité
a la personne, mais seulement à l’autre des natures [à l’autre nature Éd.
de Parme], ni de la nature à la grâce, ni de la grâce à la gloire, quant
à la jouissance, mais seulement quant à l’impassibilité de l’âme et aux
qualités corporelles; et c’est ainsi que la prédestination convient
différemment à différents êtres. |
[2918] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod illi qui non sunt nec erunt, non praedestinantur ;
sed illi qui erunt, quamvis non sint, quos Deus scientia visionis cognoscit ;
et quamvis ipsi non dirigantur actu in aliquid, ut in propria natura
existentes, tamen praediriguntur in finem, prout sunt in Dei praescientia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
ceux qui n’existent pas et n’existeront pas ne sont pas prédestinés ;
mais ceux qui existeront, bien qu’ils n’existent pas encore, Dieu les connaît
par sa science de vision ; et bien qu’eux-mêmes ne soient pas dirigés en
acte vers leur fin en tant qu’existant dans leur nature propre, cependant ils
sont comme prédirigés vers leur fin selon qu’ils existent dans la préscience
de Dieu. |
[2919] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod est duplex praeparatio. Quaedam materiae, secundum
quod disponitur ad recipiendum formam ; et sic non praeparatur nisi quod est.
Quaedam autem est praeparatio agentis, ut sit agens ; et ista sicut est in
naturalibus, inquantum agens acquirit dispositionem per quam agat, ita est in
artifice, secundum quod concipit formam artificiati, et proponit eam exequi
in opere ; et talis praeparatio est in Deo etiam respectu futurorum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’il y a deux sortes de préparation. Il y en a une qui est matérielle, selon
laquelle la matière est disposée à recevoir la forme ; et en ce sens il
n’y a que ce qui existe qui puisse être préparé. Mais il y a aussi une
préparation de l’agent en tant qu’agent ; et cette préparation, tout
comme on la trouve dans les êtres naturels dans la mesure où l’agent acquiert
la disposition par laquelle il agit, de même on la trouve aussi chez
l’artisan, selon qu’il conçoit la forme de l’œuvre et qu’il se propose de
l’exécuter dans une œuvre extérieure ; et une telle préparation existe
aussi en Dieu par rapport aux êtres futurs. |
[2920] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illa definitio data est de praedestinatione inquantum respicit
statum praesentis miseriae, et non de ipsa absolute. Vel potest dici, quod
misereri sumitur hic non pro amotione miseriae prius habitae, sed pro
collatione eorum sine quibus miseria esset, et praecipue quae sola gratuita
voluntate conferuntur. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que cette définition a été donnée au sujet de la prédestination selon qu’elle
se rapporte à la condition de la misère présente et non au sujet de la
prédestination prise absolument. Ou bien on pourrait encore dire qu’être l’objet
de la miséricorde ne se prend pas ici dans le sens d’être retiré d’une misère
dont on a été atteint antérieurement, mais pour la réunion de tous les dons
sans lesquels il y aurait misère, et surtout de ceux qui sont attribués par
la seule volonté gratuite. |
[2921] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod praedestinatus potest accipi dupliciter. Vel
participialiter secundum quod consignificat tempus praeteritum ; et sic
existentes in patria sunt praedestinati ; quia quod semel est praeteritum,
semper erit praeteritum. Vel alio modo potest sumi naturaliter
[neutraliter Éd. de Parme] ; et sic non proprie possunt dici
praedestinati nisi secundum quod diriguntur in continuitatem beatitudinis ;
quod tamen non proprie dicitur ; quia beatitudo [beatitudo om. Éd. de
Parme]extensionem successionis non habet. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
¨prédestiné¨ peut se prendre en deux sens. Soit en tant que participe selon
qu’il consignifie le temps passé ; et en ce sens ceux qui existent dans
la patrie sont prédestinés car ce qui une fois a été passé sera toujours
passé. Ou bien en un autre sens il peut se prendre en tant que nom [au
neutre Éd. de Parme], et en ce sens ne peuvent être appelés
proprement prédestinés que ceux qui sont dirigés dans la continuité de la
béatitude ; cependant cela ne se dit pas proprement parce que la
béatitude [béatitude om. Éd. de Parme] ne comporte pas une
extension de la succession. |
[2922] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis non possit
designari aliqua antecessio ad personam Filii Dei absolute, potest tamen
designari ad naturam humanam, vel ad personam, secundum quod in tali natura
subsistit. Sed hoc habet quaeri magis in III dist. II, art. 3. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que bien qu’on ne puisse désigner une antériorité
absolue à l’égard de la personne du Fils de Dieu, cependant on peut en
désigner une à l’égard de la nature humaine ou à l’égard de la personne selon
qu’il subsiste dans une telle nature. Mais cela doit davantage faire l’objet
d’une recherche [L. 111, dist. 11, art. 3]. |
[2923] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod quamvis Deus, quantum in se est, aequaliter se habeat
ad omnes, non tamen aequaliter se habent omnes ad ipsum ; et ideo non
aequaliter omnibus gratia praeparatur. |
6. Il faut dire en sixième lieu que bien
que Dieu, quant à lui, se présente d’une manière égale à l’égard de tous les
êtres, mais eux ne se présentent pas également à son égard ; et c’est
pourquoi la grâce n’est pas préparée de manière égale pour tous. |
[2924] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod praedestinatio est proprie eorum quae sunt elevata
super facultatem naturae, ut dictum est, in corp. art.: et ideo non oportet
quod omnium sit praedestinatio qui a Deo bona naturalia percipiunt, sed eorum
quibus gratia et gloria praeparatur. |
7. Il faut dire en septième lieu
que la prédestination se rapporte proprement à ceux qui sont élevés au-dessus
des facultés naturelles, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article : et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que la prédestination
s’adresse à tous ceux qui reçoivent de Dieu les biens naturels, mais
seulement à ceux pour qui la grâce et la gloire sont préparés. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La certitude de la prédestination] |
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[2925] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 tit.
Utrum praedestinatio sit certa |
Article 1 – La prédestination est-elle certaine ? |
[2926] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 1
Deinde quaeritur de certitudine praedestinationis. Et videtur quod non sit
certa. Dicitur enim Apoc. III, 2: Tene quod habes, ne alius accipiat
coronam tuam. Aut hoc intelligitur de corona praesentis justitiae, aut de
corona gloriae. Sed non de corona praesentis justitiae ; quia gratia quam
quis habet, eo peccante destruitur, nec de subjecto in subjectum mutatur.
Ergo intelligitur de corona gloriae. Sed gloria non est alicujus in statu
viae nisi quia est sibi praedestinata. Ergo videtur quod unus possit accipere
hoc quod alii praedestinatum est ; et ita praedestinatio certitudinem non
habet. |
Difficultés : 1. Il semble que la
prédestination ne soit pas certaine. L’Écriture [Apocalypse, 111,
2] : Tiens fermement ce que tu possèdes afin qu’un autre ne
prenne pas ta couronne. Ou bien cela s’entend de la couronne de la
justice présente ou bien de la couronne de gloire. Mais cela ne s’entend pas
de la couronne de la justice présente ; car la grâce que quelqu’un
possède est détruite s’il vient à pécher et ne passe pas d’un sujet à un
autre. Cela s’entend donc de la couronne de gloire. Mais la gloire
n’appartient à quelqu’un dans la condition de cette vie que parce qu’elle lui
est prédestinée. Il semble donc que l’un puisse recevoir cela même qui est
prédestiné à un autre ; et ainsi la prédestination n’a pas de certitude. |
[2927] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius in Moralibus, lib.
XXV, c. VIII, dicit, quod aliis cadentibus, in eorum locum alii succedunt.
Sed locus gloriae non potest dici eorum, nisi quia est eis
praedestinatus. Ergo idem quod prius. |
2. Par ailleurs, Saint-Grégoire [Des
Questions Morales, livre XXV, ch. VIII] dit que les uns ayant
tombé, d’autres leur succèdent en leurs lieux. Mais on ne peut dire que le
lieu de gloire est à eux que parce qu’il leur est prédestiné. Il faut donc
conclure comme nous l’avons fait précédemment. |
[2928] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Psal. LXVIII, 12, dicitur: Deleantur de libro
viventium. Sed non potest deleri de libro quod ibi scriptum non est. Cum
ergo praedestinatio sit liber vitae, ut dictum est, videtur quod aliquid a
praedestinatione possit deficere: et ita non erit certa. |
3. En outre, l’Écriture [Psaume LXVIII,
12] dit : Qu’ils soient effacés du livre des vivants. Mais
ce qui n’est pas écrit dans un livre ne peut en être effacé. Donc, puisque la
prédestination est le livre de vie, comme nous l’avons dit, il semble que
quelque chose puisse échapper à la prédestination et ainsi elle n’est pas
certaine. |
[2929] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 4
Praeterea, eorum quae non sunt determinata nec in se nec in causis suis, non
potest esse certitudo. Sed motus liberi arbitrii, quod est causa ad
utrumlibet, non sunt determinati nec in se nec in suis causis, antequam sint.
Ergo cum effectus praedestinationis expleatur motibus liberi arbitrii, quae
sunt opera meritoria, videtur quod praedestinatio nullam certitudinem habeat. |
4. De plus, il ne peut y avoir
certitude pour ce qui n’est déterminé ni en soi-même ni dans ses causes. Mais
les mouvements du libre arbitre, lequel est une cause dans un sens ou dans un
autre, ne sont déterminés ni en eux-mêmes ni en leurs causes avant d’exister.
Donc, puisque les effets de la prédestination s’accomplissent par les
mouvements du libre arbitre que sont les œuvres méritoires, il semble que la
prédestination ne possède aucune certitude. |
[2930] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 5
Praeterea, omnis certa cognitio posita de necessitate concludit cognitum. Sed
illud quod est aeternum, cum sit in omni tempore, potest in quocumque tempore
poni. Cum igitur praedestinatio sit aeterna, potest poni aliquis
praedestinatus antequam salvetur. Ergo potest concludi, iste salvabitur,
sicut verum. Sed si futurum contingens esset verum, tunc accideret de necessitate,
ut probat Philosophus, I Periher, cap. ult.. Ergo sequeretur
quod iste ex necessitate salvaretur, et quod non posset non salvari ; et sic
liberum arbitrium periret, quod est impossibile: et impossibile non sequitur
nisi ex impossibili. Ergo videtur quod impossibile sit praedestinationem
certitudinem habere ; quia alia probata sunt possibilia esse. |
5. Par ailleurs, de toute
connaissance certaine est nécessairement conclu un connu. Mais ce qui est
éternel, puisqu’il contient tout temps, peut être posé en tout temps. Donc,
puisque la prédestination est éternelle, on peut poser que quelqu’un est
prédestiné avant d’être sauvé. On peut donc conclure comme vrai que celui-ci
sera sauvé. Mais si un futur contingent était vrai, alors il se produirait
nécessairement comme le prouve le Philosophe [1 Peri Hermeneias,
ch. dernier]. Il s’enssuivrait donc que celui-ci serait nécessairement sauvé
et qu’il ne pourrait pas ne pas être sauvé ; en conséquence, le libre
arbitre serait détruit, ce qui est impossible, et l’impossible ne peut
découler que de l’impossible. Il semble donc impossible que la prédestination
possède une certitude parce qu’on a prouvé que d’autres choses sont
possibles. |
[2931] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, praedestinatio in sui ratione includit praescientiam. Sed ipse Deus
habet certam cognitionem de omnibus quae cognoscit, ut supra, dist. XXXVI,
quaest. 1, art. 3, habitum est. Ergo videtur quod praedestinatio sit certa. |
Cependant : 1. La prédestination inclut la préscience
dans sa définition. Mais Dieu lui-même possède une connaissance certaine de
tout ce qu’il connaît comme nous l’avons établi plus haut [dist. XXXVI,
quest. 1, art. 3]. Il semble donc que la prédestination soit certaine. |
[2932] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quidam dixerunt quod Deus non cognoscit futura contingentia
nisi secundum quod sunt, scilicet sciens ea esse contingentia, sicut
necessaria esse necessaria. Sed hoc improbat Boetius, De consol.,
lib. V, prosa ult., col. 858 : quia secundum hoc sequeretur quod Deus
non plus cognosceret de salute hominum futura quam homo, qui scit etiam eam
contingentem. Unde alii dixerunt, quod praedestinatio habet certitudinem, ita
quod numerus salvandorum apud Deum est certus, accipiendo numerum quo
numeramus, scilicet quod salvabuntur centum vel mille, et sic de aliis. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que certains
ont dit que Dieu ne connaît les futurs contingents que selon ce qu’ils sont,
c’est-à-dire en sachant qu’ils sont contingents, tout comme il sait que ce
qui est nécessaire est nécessaire. Mais Boèce [De la Consolation,
livre V, prose dernière, col. 858] a réfuté cela parce que suivant cela il
s’ensuivrait que Dieu n’en connaîtrait pas plus que l’homme au sujet du salut
futur des hommes, l’homme sachant lui aussi que ce salut est contingent.
C’est pourquoi d’autres ont dit que la prédestination possède une certitude
de telle manière que le nombre des sauvés auprès de Dieu est certain, en
entendant par ¨nombre¨ celui par lequel nous comptons, à savoir qu’il y en
aura cent ou mille à être sauvés. |
Non autem certus est numerus materialiter sumptus,
scilicet quo ad supposita ; quia isti homines possunt et salvari et non
salvari. Sed hoc est attribuere Deo imperfectam cognitionem. Si enim
cognoscit quod tot salvabuntur, et non quod isti ; imperfecta est ejus
cognitio, et in universali tantum. Si autem cognoscit quod etiam isti,
oportet hoc certum esse ; quia cognitio ejus incerta esse non potest, sicut
nec falli [falsa Éd. de Parme]. |
Mais le nombre pris matériellement,
c’est-à-dire celui par lequel il n’est appliqué qu’au nombre de suppôts,
n’est pas certain ; car ces hommes-ci peuvent à la fois être sauvés et
ne pas être sauvés. Mais dire cela, c’est attribuer à Dieu une connaissance
imparfaite. Si en effet il connaît que tant d’hommes seront sauvés mais non
pas si tel ou tel autre le sera, il ne connaît que dans l’universel. Mais
s’il connaît aussi que tels serons sauvés, il faut que cela soit
certain ; car sa connaissance ne peut être incertaine, tout comme elle
ne peut faillir [être fausse, Éd. de Parme]. |
Et ideo dicendum est, quod numerus praedestinatorum
utroque modo acceptus, scilicet et formaliter et materialiter, certus est
Deo, sed incertus est nobis. Nec tamen ista certitudo necessitatem salvandis
imponit ; quod patet ex his quae dicta sunt. Praedestinatio enim includit in
suo intellectu praescientiam, et providentiam salutis omnium. Providentia
autem, ut dictum est, quamvis sit omnium, non tamen omnia necessario contingunt,
sed secundum conditionem causarum proximarum, quarum naturas et ordinem
providentia et praedestinatio salvat. |
Et c’est pourquoi il faut dire que
le nombre des prédestinés, pris dans les deux sens, à savoir formellement et
matériellement, est connu de Dieu avec certitude, mais d’une manière
incertaine de nous. Et cependant cette certitude de Dieu n’impose aucune
nécessité à ceux qui doivent être sauvés, ce qui est évident en partant de ce
que nous avons dit. La prédestination en effet inclut dans sa définition la
préscience et la providence du salut de tous. Mais, comme nous l’avons dit,
bien que la providence s’adresse à toutes les choses, ce ne sont cependant
pas toutes les choses qui se produisent nécessairement, mais elles se
produisent suivant les conditions des causes prochaines dont la providence et
la prédestination conservent les natures et l’ordre. |
Praescientia etiam non imponit necessitatem rebus nec
inquantum est causa, cum sit causa prima, cujus conditionem effectus non
habet, sed causae proximae ; nec ratione adaequationis ad rem scitam quae ad
rationem veritatis et certitudinis scientiae exigitur, quia adaequatio ista
attenditur scientiae Dei ad rem non secundum quod est in causis suis, in
quibus est ut possibile futurum tantum, sed ad ipsam rem, secundum quod habet
esse determinatum, prout est praesens, et non futurum: et hoc supra, dist.
XXXVIII, quaest. 1, art. 5, expositum est ; et ita patet quod certitudo
praedestinationis nullam necessitatem salvandis imponit. |
La préscience non plus n’impose pas
une nécessité aux choses, ni en tant que cause car elle est la cause première
dont l’effet ne prend pas la condition mais l’effet prend plutôt celle de la
cause seconde ; ni en raison de l’adéquation à la chose connue qui est
exigée à cause de la vérité et de la certitude de la science, parce que cette
adéquation se vérifie de la science de Dieu à la chose non pas selon qu’elle
existe dans ses causes dans lesquelles elle existe comme un futur possible
seulement, mais à la chose elle-même selon qu’elle possède une existence
déterminée en tant que présente et non en tant que future : et cela a
été expliqué plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 5] ; et ainsi il
est clair que la prédestination n’impose aucune nécessité à ceux qui doivent
être sauvés. |
[2933] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod utroque modo potest exponi. Si enim intelligatur
de corona praesentis justitiae, dicitur coronam ejus alius accipere, dum
opera ipsius in caritate facta, quae sibi et aliis proderant, secundum quod
Spiritus caritatis facit communia merita sanctorum, ipso peccante sibi
prodesse desinunt ad meritum vitae aeternae ; eorum tamen fructus in illis
manet qui in gratia perseverant ; non autem ita quod eadem numero gratia quae
est in uno, ipso peccante, in altero fiat. Et similiter exponitur, si
intelligitur de corona futurae gloriae ; quia sancti in patria existentes
gaudent de omnibus meritis sanctorum qui in mundo sunt. Unde aliquo peccante,
cujus multa merita praecesserunt, gaudium illorum meritorum in aeternum
manebit in beatis, quod ipse peccando amisit ; non ita quod gloria quae
praedestinata est uni, alteri detur. Dicitur tamen: Ne alius
accipiat coronam tuam, non ad excludendum praedestinationis certitudinem,
sed ad ostendendam arbitrii libertatem. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que le terme ¨couronne¨ peut être expliqué dans les deux
sens. S’il s’entend en effet de la couronne de la justice présente, on dit
qu’un autre en reçoit la couronne, aussi longtemps que ses oeuvres sont
faites dans la charité, lesquelles étaient utiles à lui et aux autres selon
que l’Esprit d’amour rend communs les mérites des saints; mais à celui-là
même qui a péché elles cessent d’être utiles au mérite de la vie éternelle;
cependant leurs fruits demeurent chez ceux qui persévèrent dans la grâce, non
pas cependant de telle manière que ce soit la même grâce numériquement
parlant qui est dans l’un, lorsqu’il commet le péché, qui passe dans un
autre. Et il s’explique semblablement si on entend ce terme de la couronne de
gloire; car les saints qui existent dans la patrie se réjouissent de tous les
mérites des saints qui sont dans le monde. D’où il suit qu’un tel ayant péché
dont les mérites passés sont nombreux, la joie de ces mérites, que ce dernier
a perdus en péchant, demeurera éternellement chez les bienheureux; non pas
cependant de telle manière que la gloire qui était destinée à l’un soit
donnée à l’autre. Cependant lorsqu’on dit: Afin qu’un autre ne prenne
pas ta couronne, ce n’est pas pour exclure la certitude de la
prédestination, mais pour manifester la liberté de jugement ou de décision. |
[2934] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dictum Gregorii non
intelligitur de loco qui sanctis praedestinatus est, sed de loco quem tenent
in Ecclesia per statum praesentis justitiae ; quia Ecclesia nunquam
destituitur existentibus in gratia ; unde peccantibus quibusdam, alii in
gratiam a Domino advocantur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que les paroles de Saint-Grégoire ne s’entendent pas du
lieu qui est prédestiné aux saints, mais du lieu qu’ils tiennent dans
l’Église par la condition de la justice présente, car l’Église n’est jamais
abandonnée par ceux qui existent dans la grâce; d’où il suit que, certains
ayant péché, d’autres sont appelés à la grâce par le Seigneur. |
[2935] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praedestinatio est
liber vitae secundum quod dicitur in eo aliquid scribi non solum quantum ad
praesentem justitiam, sed etiam quantum ad futuram gloriam ; et sic nullo
modo potest dici aliquis deleri de libro vitae ; sed illud quod est ibi
scriptum quantum ad praesentem justitiam tantum, dicitur deleri, non
mutatione facta ex parte libri, ut aliquid in eo fuerit, quod postmodum non
sit ; sed ex parte illius qui in libro scriptus dicitur, inquantum scilicet
ipse mutatur a statu praesentis justitiae ; et sic vita ejus non
repraesentatur ut praesens, sed ut praeterita. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la prédestination est le livre de vie selon qu’on
dit qu’en lui quelque chose est écrit non seulement quant à la justice
présente, mais aussi quant à la gloire future; et en ce sens en aucune
manière on ne peut dire que quelqu’un soit effacé du livre de vie; mais on dit
qu’est effacé ce qui y est écrit quant à la justice présente seulement, non
pas en raison d’un changement fait du côté du livre de telle manière qu’il y
avait quelque chose avant qui ne s’y trouve plus par la suite, mais en raison
d’un changement du côté de celui dont on dit qu’il est écrit dans le livre,
c’est-à-dire pour autant que lui-même s’est écarté de la condition de la
justice présente; et ainsi sa vie ne s’y trouve plus représentée en tant que
présente mais en tant que passé. |
[2936] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod contingens futurum, ut motus liberi arbitrii, quamvis
non sit determinatum in causa sua, est tamen determinatum in esse suo
secundum quod est actu ; et sic subjacet certitudini praescientiae, sicut supra
dictum est de futuris contingentibus, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 5. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que le futur contingent, comme le mouvement du libre arbitre, bien qu’il ne
soit pas déterminé dans sa cause, est cependant déterminé dans son existence
selon qu’il est en acte ; et en ce sens il est soumis à la certitude de
la préscience comme nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art.
5] au sujet des futurs contingents. |
[2937] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod illud quod mensuratur aeternitate, est simul cum omni
tempore, ita tamen quod nullo eorum mensuratur ; et ideo actus divinae
praescientiae non potest poni ita esse nunc, quasi mensuretur per praesens
tempus, ut ordinem praesentis ad futurum ad suum scitum habeat ; sed ad omne
tempus et ad omne scitum habet ordinem praesentis ad praesens. Unde cum
dicitur, Deus praescit hoc, non intelligitur quod hoc sit futurum respectu
divinae scientiae, sed respectu hujus temporis in quo profertur: et ideo oportet
hujusmodi verba et participia dicta de Deo a determinatione temporis
absolvere, ut consignificent nunc aeternitatis, et non temporis ; alias
inevitabiliter sequitur error. |
5. En cinquième lieu il faut dire
que tous ceux qui sont mesurés par l’éternité sont simultanés à tout temps de
telle manière cependant qu’aucun d’eux ne soit mesuré par lui ; et c’est
pourquoi on ne peut affirmer que l’acte de la préscience divine soit dans le
moment présent de telle manière que, comme mesuré par le temps présent, il
présente un ordre du présent au futur à l’égard de l’objet connu ; mais
par rapport à tout temps et à tout objet connu il présente l’ordre du présent
au présent. D’où il suit que lorsqu’on dit que Dieu a la préscience de telle
chose, on n’entend pas que cela soit futur par rapport à la science divine,
mais seulement futur par rapport à ce temps dans lequel cet énoncé est
exprimé : et c’est pourquoi il faut se défier de tels verbes et de tels
participes lorsqu’ils sont dits de Dieu dans la détermination du temps,
puisqu’ils consignifient l’instant de l’éternité et non celui du temps ;
autrement, il s’ensuit nécessairement une erreur. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [La réprobation] |
Prooemium |
Prologue |
[2938] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 pr. Deinde
quaeritur de reprobatione ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 quid sit ; 2 utrum Deus sit causa obdurationis et excaecationis,
quae reprobationi quodammodo respondet. |
On s’interroge ensuite sur la
réprobation ; et à ce sujet on pose deux questions : 1. Qu’est-ce que la réprobation ? 2. Est-ce que Dieu est la cause de
l’endurcissement et de l’aveuglement qui correspond d’une certaine manière à
la réprobation ? |
Articulus 1 [2939] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1
tit. Utrum reprobatio addat aliquid supra praescientiam |
Article 1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à la prescience ? |
[2940] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
reprobatio nihil addat supra praescientiam. Reprobatio enim malorum est. Sed
horum non habet Deus nisi scientiam simplicis notitiae, ut supra, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 1, habitum est. Ergo
reprobatio supra praescientiam nihil addit. |
Difficultés : 1. Il semble que la réprobation n’ajoute
rien à la préscience. La réprobation en effet se rapporte aux méchants. Mais
Dieu n’a à leur sujet qu’une science de simple connaissance, comme nous
l’avons établi plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 1]. Donc la
réprobation n’ajoute rien à la préscience. |
[2941] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 2
Praeterea, illud quod addit aliquid supra commune, non appropriat sibi nomen
communis, sicut convertibile quod non indicat substantiam rei appropriat sibi
nomen proprii: quia non addit aliquid, sicut definitio addit. Sed reprobatio
appropriat sibi nomen praescientiae: dicimus enim communiter malos
praescitos, et bonos praedestinatos. Ergo videtur quod reprobatio nihil supra
praescientiam addat. |
2. Par ailleurs, ce qui ajoute
quelque chose à du commun ne s’approprie pas le nom du commun, tout comme le
convertible qui n’indique pas la substance de la chose s’approprie le nom du
propre : car il n’ajoute pas quelque chose comme la définition ajoute.
Mais la réprobation s’approprie le nom de la préscience : nous disons en
effet en commun que Dieu a la préscience des méchants et que les bons sont
prédestinés de Dieu. Il semble donc que la réprobation n’ajoute rien à la
préscience. |
[2942] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 3
Praeterea, Magister supra, XXVIII dist., posuit rationes eorum quae aliquid supra
praescientiam et scientiam addunt, ut dispositionis, providentiae et cetera.
Ergo cum non fecerit ibi de reprobatione mentionem, videtur quod nihil supra
praescientiam addat. |
3. En outre, le Maître [dist.
XXXVIII] a présenté plus haut les définitions des notions qui ajoutent
quelque chose à la préscience et à la science, comme celle de la disposition,
de la providence, etc. Donc, puisqu’il n’a pas fait là mention de la
réprobation, il semble que la réprobation n’ajoute rien à la préscience. |
[2943] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, praescientia est omnium tam bonorum quam malorum. Sed reprobatio non
est nisi damnandorum. Ergo aliquid supra rationem praescientiae addit. |
Cependant : 1. La préscience s’adresse à tous, aussi
bien aux bons qu’aux méchants. Mais la réprobation ne s’adresse qu’aux
méchants. Elle ajoute donc quelque chose à la notion de préscience. |
[2944] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 s. c. 2
Praeterea, reprobatio opponitur approbationi. Sed approbatio dicit aliquid in
voluntate. Cum ergo opposita sint ejusdem, videtur quod reprobatio ponat
aliquid in voluntate et non in praescientia tantum. |
2. En outre, la réprobation
s’oppose à l’approbation. Mais l’approbation dit quelque chose dans la
volonté. Donc, puisque les opposés se rapportent au même genre, il semble que
la réprobation aussi pose quelque chose dans la volonté et non seulement dans
la préscience. |
[2945] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod reprobatio addit supra
praescientiam rationem providentiae. Cum enim providentia divina sit
communiter omnium, tamen quodam speciali modo et privilegiato est eorum in
quibus invenitur voluntas, per quam aeternae gloriae capaces sunt ; unde
specialis quidam modus providentiae divinae attenditur, secundum ordinem
talis naturae in finem gloriae, et secundum collationem eorum quae in finem
illum [illum om. Éd.
de Parme] promovent. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
réprobation ajoute à la préscience la notion de providence. Puisqu’en effet
la providence divine est commune à tous, cependant d’une manière spéciale et
privilégiée elle s’adresse à ceux dans lesquels se retrouve la volonté par
laquelle ils sont capables de la gloire éternelle ; d’où un certain mode
spécial de la providence divine se vérifie d’après l’ordre d’une nature de
cette sorte par rapport à la finalité de la gloire et selon la réunion des
choses qui contribuent à cette [cette om. Éd. de Parme] fin. |
Et quia ex conditione talis naturae est ut a
consecutione finis deficere possit, ideo per providentiam divinam ordinatum
est ut talis defectus in bonum justitiae cedat, dum culpae poena adhibetur:
et ideo sicut providentia divina respectu ipsius boni, quod est per
consecutionem gratiae et gloriae, cum praescientia eventus, dicitur
praedestinatio ; ita providentia divina respectu mali oppositi cum
praescientia defectus, dicitur reprobatio. Et quia bonum subjacet
providentiae ut causatum et ordinatum, ideo dicitur, quod praedestinatio est
causa gratiae et gloriae ad quam ordinatur. |
Et parce qu’il est de la condition
d’une telle nature de pouvoir faire défaut quant à l’obtention de la fin,
c’est pourquoi il a été ordonné par la providence divine qu’un tel défaut se
rende au bien de la justice aussi longtemps que la peine de la faute est
appliquée : et c’est pourquoi, tout comme la providence divine par
rapport au bien qui est atteint par l’obtention de la grâce et de la gloire
avec la préscience du résultat s’appelle prédestination, de même la
providence divine par rapport au mal opposé avec la préscience du manque ou
du défaut s’appelle réprobation. Et parce que le bien est soumis à la
providence comme un effet ordonné par elle, c’est pourquoi on dit que la
prédestination est la cause de la grâce et de la gloire à laquelle cette
nature est ordonnée. |
Sed quia malum non subjacet providentiae ut intentum
vel causatum, sed solum ut praescitum et ordinatum, ideo reprobatio est
tantum praescientia culpae, et non causa ; sed poenae, per quam culpa
ordinatur est praescientia et causa. |
Mais parce que le mal n’est pas
soumis à la providence en tant que recherché par elle ou en tant qu’effet
mais seulement en tant que prévu et réglé, c’est pourquoi la réprobation est
seulement la préscience de la faute et non pas sa cause, mais elle est la
préscience et la cause de la peine par laquelle la faute est réglée. |
[2946] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod malorum ut fiant, Deus habet scientiam simplicis
notitiae ; sed ut ordinentur, habet etiam horum scientiam approbationis ; et
hoc importat reprobationis nomen. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
Dieu a la science de la simple connaissance par rapport aux maux à venir mais
pour qu’ils soient réglés il en a aussi une science d’approbation qui porte
avec elle le nom de réprobation. |
[2947] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod reprobatio non addit aliquid [aliquid om. Éd.
de Parme] ex parte reprobati supra praescientiam, quia nihil
causatur in ipso per quod malus fiat ; et ideo appropriat sibi nomen commune:
addit tamen aliquid ex parte Dei reprobantis ; scilicet voluntatem ordinis
poenae ad culpam. Unde etiam in abstracto non ita appropriat sibi nomen
commune sicut in concreto ; unde magis dicitur reprobatus praescitus quam
praescientia reprobatio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la réprobation n’ajoute pas quelque chose [quelque chose om. Éd.
de Parme] à la préscience du côté du réprouvé, car rien n’est causé en
lui par quoi le mal serait produit ; et c’est pourquoi la réprobation
s’approprie le nom commun ; elle ajoute cependant quelque chose du côté
de Dieu qui réprouve, à savoir la volonté d’ordonner la faute à la peine.
D’où il suit encore qu’il n’y a pas appropriation dans l’abstrait aussi bien
que dans le concret et c’est pourquoi il est préférable de dire que le
réprouvé est connu d’avance plutôt que la réprobation est une préscience. |
[2948] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod reprobatio opponitur praedestinationi ; et ideo per
oppositum datur intelligi posita praedestinatione. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
réprobation s’oppose à la prédestination, et c’est pourquoi elle donne à
entendre la prédestination qu’on a posée. |
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Articulus 2 [2949] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2
tit. Utrum Deus sit causa obdurationis |
Article 2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ? |
[2950] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
obdurationis et excaecationis causa sit Deus per id quod habetur II Corinth.
4, 4: Deus hujus saeculi excaecavit mentes infidelium, et una
Glossa (ordinaria) exponit de Deo vero. Ergo
videtur quod ipse sit causa obdurationis et excaecationis. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu soit cause
d’endurcissement et l’aveuglement si on en croit ce que dit l’Écriture [11
Corinthiens, 4, 4] : Le dieu de ce monde a aveuglé les esprits des
infidèles, et une glose (ordinaire) l’explique au sujet du vrai Dieu. Il
semble donc que Dieu lui-même soit la cause de l’endurcissement et de
l’aveuglement. |
[2951] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 2
Praeterea, excaecatio et obduratio sunt quaedam poenae. Sed omnis poena justa
est et a Deo est. Ergo excaecatio et obduratio a Deo sunt. |
2. Par ailleurs, l’endurcissement et
l’aveuglement sont des peines. Mais toute peine juste vient de Dieu. Donc,
l’endurcissement et l’aveuglement viennent de Dieu. |
[2952] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Philosophum inPosterioribus,
lib. 1, text. 30, si
affirmatio est causa affirmationis, et negatio est causa negationis. Sed
velle divinum est causa quod iste habeat gratiam, quia scilicet ipse vult.
Ergo videtur quod non velle Dei sit causa quare iste gratiam non habeat. Sed
hoc est obduratio. Ergo ex parte Dei accipienda est causa obdurationis. |
3. Par ailleurs, d’après le
Philosophe [Seconds Analytiques, 1, texte 30] si l’affirmation est la
cause de l’affirmation, la négation est la cause de la négation. Mais le
vouloir divin est la cause que celui-ci possède la grâce, à savoir parce que
lui-même le veut. Il semble donc que le non-vouloir de Dieu soit la cause
pour laquelle celui-là ne possède pas la grâce. Mais cela même est
l’endurcissement. Il faut donc prendre la cause de l’endurcissement du côté
de Dieu. |
[2953] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Philosophus in II Physic.,
text. 30, id quod per sui praesentiam est causa salutis navis, scilicet
gubernator, per sui absentiam est causa periculi. Sed Deus per sui
praesentiam in anima est causa gratiae. Ergo
per sui absentiam est causa obdurationis. |
4. Comme le dit le Philosophe
[11 Physique, texte 30], celui qui par sa présence est la cause
du salut du navire, à savoir le pilote, est cause de sa perte par son
absence. Mais Dieu, par sa présence dans l’âme, est cause de la grâce. Donc,
par son absence, il est cause d’endurcissement. |
[2954] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed
contra est quod dicunt sancti communiter, Dionysius, cap. IV de
divin. Nomin., col. 694, Augustinus,In Personne. XXXV, V,
4, col. 343, Anselmus lib. De concord. Gratiae et lib. Arb. Ante
med., scilicet quod causa quare iste non habet gratiam, est quia ipse noluit
accipere, et non quia Deus noluit dare: quia lumen suum omnibus offert quod
tamen ab omnibus non percipitur, sicut nec lumen solis a caeco. Sed obduratio
est ipsa carentia gratiae. Ergo obdurationis causa non est ex parte Dei. |
Cependant : 1. Les saints, comme Denys [Les Noms
Divins, ch. IV, col. 694], Saint-Augustin [En la Personne, XXXV,
V, 4, col. 343] et Saint-Anselme [De l’Accord qu’il y a entre la Grâce et
le Libre Arbitre] disent universellement le contraire, à savoir que la
cause pour laquelle celui-ci ne possède pas la grâce est que lui-même ne veut
pas la recevoir et non pas que Dieu refuse de la lui donner : car sa
lumière s’offre à tous, laquelle n’est cependant pas perçue par tous comme la
lumière du soleil n’est pas parçue par l’aveugle. Mais l’endurcissement est
la privation même de la grâce. Donc la cause de l’endurcissement ne se tient
pas du côté de Dieu. |
[2955] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 s. c. 2
Praeterea, nullus culpatur vel punitur de eo cujus causa in ipso non
est. Sed homo punitur et culpatur pro obduratione, vel pro carentia
gratiae. Ergo hujusmodi causa est
ipse. |
2. En outre, nul n’est coupable ou
n’est puni de ce dont la cause ne se trouve pas en lui. Mais l’homme est puni
et il est coupable pour son endurcissement ou pour l’absence de la grâce. Il
en est donc lui-même la cause. |
[2956] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod obduratio dicitur quandoque actus voluntatis obstinatae in
malum, cui pertinaciter adhaeret ; et sic constat quod obdurationis causa non
est Deus, sed homo ; sicut nec alicujus actus peccati, inquantum deformis
est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que
l’endurcissement se dit parfois de l’acte de la volonté qui persévère dans le
mal auquel elle adhère avec opiniâtreté ; et en ce sens il est clair que
la cause de l’endurcissement, comme de tout acte mauvais en tant que laid ou
difforme, n’est pas Dieu mais l’homme. |
Quandoque vero obduratio dicitur ipsa privatio gratiae,
quae etiam excaecatio dicitur: quia gratia est quoddam lumen animae, et
perfectio quaedam habilitans ipsam ad bonum. Istum autem carere gratia, ex duobus contingit: tum quia ipse non vult recipere: tum quia Deus non sibi infundit, vel non vult sibi
infundere. Horum autem duorum talis est ordo, ut secundum non sit nisi ex
suppositione primi. |
Mais parfois l’endurcissement
signifie seulement la privation même de la grâce : car la grâce est pour
l’âme comme une lumière et une perfection qui la rend apte au bien. Mais cette privation de la grâce est
possible pour deux raisons : Tant parce que l’homme lui-même ne veut
pas la recevoir que parce que Dieu ne la répand pas ou ne veut pas la
répandre en lui. Mais parmi ces deux causes il y a cet ordre que la deuxième
raison n’existe que si on suppose la première. |
Cum enim Deus non velit nisi bonum, non vult istum
carere gratia nisi secundum quod bonum est. Sed quod iste careat gratia, non
est bonum simpliciter ; unde hoc absolute consideratum, non est volitum a
Deo. Est tamen bonum ut careat gratia si eam habere non vult, vel si ad eam
habendam negligenter se praeparat, quia justum est, et hoc modo est volitum a
Deo. |
En effet, puisque Dieu ne veut que
le bien, il ne veut pas, en tant qu’il est bon, que celui-ci soit privé de la
grâce. Mais que celui-ci soit privé de la grâce, cela n’est pas bon
absolument ; d’où il suit que cela, considéré absolument, n’est pas
voulu par Dieu. Il est cependant bon qu’il soit privé de la grâce s’il refuse
de la recevoir ou s’il se prépare négligemment à la recevoir car cela est
juste et en ce sens cela est voulu par Dieu. |
Patet ergo quod hujus defectus absolute causa prima est
ex parte hominis qui gratia caret ; sed ex parte Dei non est causa hujus
defectus, nisi ex suppositione illius quod est causa ex parte hominis. Et per
hunc modum invenitur dici Deus quandoque causa excaecationis vel
obdurationis, non quidem immittendo malitiam sed non impartiendo gratiam,
quod in ipso est. Si enim non necessario impartitur gratiam, in ipso est et
non impartiri ; unde ejus quod est non impartiri, aliquo modo causa est. Iste autem defectus potest dupliciter considerari,
sicut etiam quilibet alius. |
Il est donc clair que la cause première
de ce défaut se tient absolument du côté de l’homme qui est privé de la
grâce ; mais la cause de ce défaut ne se tient du côté de Dieu qu’en
supposant que la cause première de ce défaut se tient du côté de l’homme. Et
c’est de cette manière qu’on se trouve à dire parfois que Dieu est la cause
de l’aveuglement et de l’endurcissement, non pas certes en introduisant en
l’homme la méchanceté mais en ne communiquant pas la grâce, ce qui est en son
pouvoir. Si en effet ce n’est pas nécessairement qu’il communique la grâce,
il est en son pouvoir de ne pas la communiquer ; d’où il suit que celui
à qui il appartient de ne pas communiquer est en quelque sorte la cause. Mais ce défaut, comme tout autre aussi,
peut être considéré de deux manières. |
Cum enim defectus incidat ex defectu causae secundae et
non ex defectu causae primae ; quem tamen defectum Deus non impedit, tamen
impedire posset, ne impedimentum naturae cedat ; si iste defectus gratiae
comparetur ad voluntatem, quae est sicut causa proxima, invenitur voluntas
habere causalitatem ad ipsum, quae bonum propositum non accipit, cum accipere
possit ; et ex hoc est culpabilis et vituperabilis: quia malum, cujus
principium est voluntas, est hujusmodi. |
Comme en effet le défaut survient
non pas en raison du défaut de la cause première mais en raison du défaut de
la cause seconde, défaut que Dieu cependant pourrait empêcher mais n’empêche
pas afin que l’obstacle de la nature ne disparaisse pas, si ce défaut de la
grâce se compare à la volonté qui en est comme la cause prochaine, la volonté
se trouve à avoir une causalité à son égard, laquelle n’accueille pas la
bonne résolution alors qu’elle pourrait l’accueillir et c’est de là qu’elle
tient d’être coupable et digne de blâme : car le mal, dont le principe
est la volonté, est de ce genre. |
Si autem comparetur
ad ipsum Deum, non invenitur causatus ab ipso, sed tantum permissus et
ordinatus, ut scilicet sit in poenam ipsius voluntatis deficere ; unde dicit
Augustinus in I Confessionum., cap. XII, col. 670 : Jussisti domine, et
sic est, ut omnis inordinatus animus sibi ipsi sit poena ; et talis
ordinatio a Deo est. Unde respectu ipsius defectus nullam causalitatem habet,
sed respectu ordinationis tantum: et hoc significatur cum obdurare dicitur. |
Mais si on compare ce défaut de la grâce
à Dieu lui-même, il ne se trouve pas à être causé par Lui, mais seulement
permis et réglé, c’est-à-dire de telle manière qu’il appartienne à la volonté
de se terminer dans la peine ; et c’est pourquoi Saint-Augustin [Confessions,
ch. XII, col. 670] dit : Tu l’as ordonné, Seigneur, et il en est
ainsi, afin que toute âme déréglée soit à elle-même une châtiment ;
et une telle disposition vient de Dieu. D’où il suit que Dieu ne détient
aucune causalité à l’égard du défaut lui-même, mais seulement par rapport à
la disposition : et c’est cela qui est signifié lorsqu’on parle
d’endurcissement. |
[2957] Super Sent.,
lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum. Quidam tamen dicunt, quod Deus est causa obdurationis
sicut natura causa quietis: quod expresse falsum est ; quia quies naturalis
est finis motus naturalis, et per se intenta a natura, quod hic dici non
potest ; et ideo dicendum, quod Deus dicitur excaecare permittendo defectum
et ordinando. |
Solutions : 1. Et suite à cela la réponse à la
première difficulté est évidente. Certains disent cependant que Dieu est la
cause de l’endurcissement comme la nature est cause de repos : ce qui
est manifestement faux ; car le repos naturel est la fin du mouvement
naturel et il est recherché par soi par la nature, ce qu’on ne peut dire dans
le cas qui nous occupe ; et c’est pourquoi il faut dire qu’on dit de
Dieu qu’Il aveugle en permettant le défaut et en le réglant. |
[2958] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod obdurari dicitur poena prout dicit defectum jam
ordinatum ; et sic reducitur in divinam causalitatem non ratione defectus sed
ratione ordinis qui est [a Deo add. Éd. de Parme] |
2. Il faut dire en deuxième lieu
qu’on dit de l’endurcissement qu’il est une peine selon qu’il signifie un
défaut déjà réglé ; et en ce sens il se ramène à la causalité divine non
pas en raison du défaut mais en raison de l’ordre qui y est [de Dieu, add.
Éd. de Parme]. |
[2959] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod effectus non consequitur nisi concurrentibus omnibus
causis ; sed ex defectu unius consequitur negatio effectus. Dico ergo, quod
causa gratiae sicut agens est ipse Deus, et sicut recipiens est ipsa anima
per modum subjecti et materiae ; et ideo, quia formae inductae non est causa
materia neque subjectum, nisi tale subjectum [subjectum om. Éd. de
Parme] ex cujus principiis fluit accidens, quale accidens non est gratia
; ideo non dicitur simpliciter anima causa gratiae, sed recipiens tantum ;
Deus autem causa. Nec oportet quod omnis defectus incidat ex parte agentis ;
sed potest incidere ex parte recipientis: et ita est in proposito. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que l’effet ne suit que si toutes les causes y contribuent ; mais si une
seule fait défaut, il s’ensuit la négation de l’effet. Je dis donc que la
cause de la grâce en tant qu’agent est Dieu lui-même et que la cause de la
grâce en tant que récepteur est l’âme elle-même à la manière d’un sujet et
d’une matière ; et c’est pourquoi ; et c’est pourquoi, parce que ni
la matière ni le sujet n’est la cause de la forme introduite, si ce n’est ce
sujet [sujet om. Éd. de Parme] par les principes duquel découle
cet accident qui n’est pas la grâce, c’est pourquoi on ne dit pas absolument
que l’âme est la cause de la grâce mais plutôt qu’elle en est le récepteur
seulement, et que Dieu en est la cause. Et il n’est pas nécessaire que tout
défaut survienne du côté de l’agent mais il peut survenir du côté du
récepteur et c’est le cas pour le propos qui nous intéresse. |
[2960] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Deus quantum est in se, nulli est absens ; sed homo a
Deo praesente se absentat, sicut a praesente lumine qui claudit oculos ; et
ideo non est simile quod pro simili inducitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu,
quant à ce qu’il est en lui-même, n’est loin de personne ; mais l’homme
s’éloigne ou s’absente de la présence de Dieu, tout comme celui qui ferme les
yeux à la lumière présente ; et c’est pourquoi la similitude qui est
présentée n’en est pas une. |
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Distinctio 41 |
Distinction 41 – [L’élection en Dieu] |
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Quaestio 1 |
Question unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?] |
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Prooemium |
Prologue |
[2962] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 pr.
Hic quaeruntur quinque: 1 utrum electio Deo ab aeterno conveniat ; 2 de ordine praedestinationis ad electionem
; 3 utrum praescientia meritorum sit causa
praedestinationis et reprobationis ; 4 utrum praedestinatio juvetur meritis et
orationibus sanctorum ; 5 utrum Deus sciat nunc omne quod olim
scivit. |
On cherche ici à répondre à cinq
questions : 1. Est-ce que l’élection convient à Dieu
de toute éternité ? 2. Y a-t-il un ordre de la prédestination
à l’élection ? 3. Est-ce que la préscience des mérites
est la cause de la prédestination et de la réprobation ? 4. Est-ce que la prédestination peut être
aidée par les mérites et les prières des saints ? 5. Est-ce que Dieu sait maintenant tout
ce qu’il a su autrefois ? |
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Articulus 1 [2963] Super Sent., lib. 1 d. 41
q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit electio |
Article 1 – Y a-t-il en Dieu une élection ? |
[2964] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod electio
nullo modo in Deo sit ab aeterno [ab aeterno om. Éd. de Parme].
Electio enim, secundum Philosophum, in III Ethic., cap. VII,
sequitur consilium sicut conclusio ejus. Consilium autem, ut ibidem dicit,
est quaestio quaedam.Cum igitur
Deo non competat inquisitiva cognitio, videtur quod Deo non competat electio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’élection ne soit
aucunement en Dieu de toute éternité [de toute éternité om. Éd. de
Parme]. En effet, d’après le Philosophe [111 Éthique,
ch. VII], l’élection suit le conseil comme s’il en était la
conclusion. Mais le conseil, comme il le dit au même endroit, est une
certaine enquête. Donc, puisque la connaissance par mode recherche ou
d’enquête n’appartient pas à Dieu, il semble que l’élection ne lui convienne
pas. |
[2965] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, electio ponit discretionem quamdam. Sed Deus aequaliter se
habet ad omnes, quia Dionysius in IV cap., De divinis
nominibus, col. 694 sicut [sicut om. Éd. de Parme]
dicit: « Sicut enim sol non ratiocinans neque praeeligens radios suos diffundit
in omnia corpora, ita et divina bonitas in omnes creaturas ». Ergo
videtur quod Deo eligere non competat. |
2. Par ailleurs, l’élection pose
une certaine distinction ou séparation. Mais Dieu se présente à tous d’une
manière égale car tout comme [tout comme om. Éd. de Parme] Denys
[Les Noms Divins, ch. IV, col. 694] le dit : «Tout comme le
Soleil répand ses rayons sur tous les corps sans discourir ni choisir entre
eux, la bonté divine fait de même pour toutes les créatures». Il semble
donc qu’il ne convienne pas à Dieu de choisir. |
[2966] Super Sent.,
Lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, electio requirit multitudinem in eis
quorum est electio. Sed ab aeterno omnia non fuerunt nisi unum in Deo. Ergo videtur quod electio non sit aeterna.
Sed quidquid est in Deo, est aeternum. Ergo electio nihil ponit in
Deo. |
2. Par ailleurs, l’élection
exige une multiplicité dans ceux-là même parmi lesquels il y a élection. Mais
tous les êtres n’ont pas existé de toute éternité, sauf dans l’unité en Dieu.
Il semble donc que l’élection ne soit pas éternelle. Mais tout ce qui est en
Dieu est éternel. L’élection ne pose donc rien en Dieu. |
[2967] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, operationi eligentis aliquid
intelligitur praeexistere in re quae eligitur. Sed operationi divinae nihil
praeexistit in creatura. Ergo
videtur quod electio Deo non competat. |
4. En outre, on comprend que dans
la chose qui est choisie il y a quelque chose qui préexiste à l’opération de
celui qui choisit. Mais dans la créature, rien ne préexiste à l’opération
divine. Il semble donc que l’élection ne convienne pas à Dieu. |
[2968] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ad Ephes. 1, 4, dicitur: Elegit nos in ipso
ante mundi constitutionem, ut essemus sancti. Ergo videtur quod Deo
conveniat electio. |
Cependant : 1. L’Apôtre [Lettre aux Éphésiens,
1, 4] dit au contraire : Dieu nous avait déjà choisis en Lui
avant même la création du monde pour que nous soyons saints. Il semble
donc que l’élection convienne à Dieu. |
[2969] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod electio importat
segregationem quamdam. Haec autem segregatio non potest esse nisi aliquorum
quae habent aliquam permixtionem vel convenientiam ; ideo illius quod in se
determinatum est et discretum, non potest esse electio. Et ideo electio, ut dicitur in III Ethic.,
cap. VI, non est finis ultimi, qui unicuique naturaliter est determinatus,
sed tantum eorum quae sunt ad finem, ad quem per plura media diversimode
[diversimode om. Éd. de Parme]deveniri potest ; licet quaedam
sint convenetia [convenientiora Éd. de Parme] quae
eliguntur. Haec autem segregatio potest esse tantum in conceptione alicujus
operantis, vel etiam in executione operis. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que l’élection implique une certaine séparation. Mais cette
séparation ne peut exister que pour ceux qui se mélangent et ont une certaine
convenance; c’est pourquoi il ne peut y avoir élection pour ce qui est
déterminé et séparé. Et c’est pourquoi l’élection, comme le dit le Philosophe
[111 Éthique, ch. VI] l’élection ou le choix ne porte
pas sur la fin ultime, laquelle est déjà naturellement déterminée pour
chacun, mais seulement sur les choses qui sont ordonnées à la fin à laquelle
on peut parvenir diversement [diversement om. Éd. de Parme] par
de nombreux moyens, bien que certains de ceux qui sont choisis soient
advantage convenables [plus convenables Éd. de Parme]. Mais cette
separation peut exister seulement dans la conception de celui qui opère ou
aussi dans l’exécution de l’oeuvre. |
Ex his tria possumus
accipere circa electionem de Deo dictam: primo, quod electio
non convenit Deo respectu sui ipsius ; non enim est electio finis, sed eorum
quae sunt ad finem: secundo potest
accipi ex quibus eliguntur, electi a Deo [electi… Deo Éd. de Parme] quia scilicet
ab his qui nati sunt participare eumdem finem ; unde non dicitur quod homines
qui eliguntur ad gloriam, eligantur ab irrationabilibus, sed ab hominibus,
qui nati sunt gloriam assequi: tertio potest accipi
quod electio uno modo est aeterna, alio modo temporalis. Si enim accipiatur
secundum quod est in proposito ipsius Dei, sic aeterna est ; quia ab aeterno
voluit bonos a malis segregare in gloriam. Si autem sumatur
secundum quod est in executione operis, sic est temporalis ; sicut quando
aliquis segregatur a culpa originali vel actuali in gratiam, vel a communi
statu in praelationis officium, et sic de aliis quae divino munere aliquibus
specialiter conferuntur. |
À partir de
là nous pouvons admettre trois choses au sujet de l’élection qu’on attribue à
Dieu. Premièrement que
l’élection ne convient pas à Dieu par rapport à lui-même; en effet,
l’élection ne porte pas sur la fin mais sur les moyens ordonnés à la fin. Deuxièmement,
l’élection peut être admise à partir de ceux-là même parmi lesquels les élus
de Dieu sont choisis, à savoir de ceux qui sont aptes à participer de la même
fin; d’où l’on ne dit pas que les hommes qui sont choisis pour la gloire sont
choisis ou séparés des êtres irrationnels, mais des hommes qui ont une
aptitude à parvenir à la gloire. Troisièmement on
peut admettre que l’élection est en un sens éternelle, en un autre sens
temporelle. Si en effet elle est entendue comme existant dans l’intention de
Dieu, alors elle est éternelle car c’est de toute éternité que Dieu a voulu
séparer les bons des méchants pour les accueillir dans la gloire. Mais si
l’élection s’entend selon qu’elle est dans l’exécution de l’oeuvre, en ce
sens elle est temporelle, tout comme lorsque quelqu’un se sépare de la faute
originelle ou actuelle pour en venir à la grâce, ou de la condition commune
pour en venir à la fonction de prélat, et il en est de même pour les autres
choses qui sont spécialement conférées à certains par la faveur divine. |
[2970] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidit electioni
quod sequatur inquisitionem, ex eo scilicet quod est in tali natura quae
eorum quae sunt ad finem, sine inquisitione cognitionem non habet, sicut est
in nobis ; quod omnino Deo non competit, qui omnium certam cognitionem habet. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu qu’il arrive à l’élection de suivre une enquête,
c’est-à-dire du fait qu’elle se trouve dans une nature qui ne peut posséder
sans recherche la connaissance des choses qui sont en vue de la fin, comme
c’est le cas pour nous; mais cela ne convient aucunement à Dieu qui possède
une connaissance certaine de tout. |
[2971] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ipse, quantum
in se est, aequaliter se habeat ad omnia, non tamen omnia eamdem idoneitatem
habent ad recipiendum largitionem bonitatis ejus: et hujus diversitatis
cognitionem et ordinationem habet, et ideo convenit sibi electio. Quod autem dicit Dionysius de comparatione
divinae bonitatis ad solem, intelligendum est esse simile quantum ad
universalitatem communicationis, et non quantum ad privationem electionis.
Sicut enim sol nulli radios suos subtrahit, ita nec Deus munera bonitatis
suae ; quae tamen non eodem modo in omnibus reperiuntur [recipiuntur Éd.
de Parme] ; et hujus diversitatis Deus est cognitor et ordinator, quod
soli corporali non competit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que Dieu, quant à ce qu’il est en lui-même, se présente de la même
manière par rapport à tous les êtres, cependant tous les êtres ne présentent
pas une capacité égale à recevoir les largesses de sa bonté : et Dieu
possède la connaissance et l’ordonnance de cette diversité, et c’est pourquoi
il lui convient de choisir. Mais ce que dit Denys au sujet de la comparaison
de la bonté divine au soleil, il faut l’entendre comme similitude par rapport
à l’universalité de la communication et non quant à la privation de
l’élection. En effet, tout comme le Soleil ne retire aucun de ses rayons, de
même Dieu ne retire par les bienfaits de sa bonté, lesquels cependant ne sont
pas obtenus [reçus Éd. de Parme] par tous de la même
manière ; et Dieu est celui qui connaît et ordonne cette diversité, ce
qui n’appartient pas au Soleil corporel que nous voyons. |
[2972] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus ab aeterno non tantum cognovit de rebus
illud esse quod tunc in ipso habebant, sed esse quod in propria natura
habiturae erant, secundum quod esse unitatem non habent, sed magnam distantiam
ad participandam divinam bonitatem: et ita convenit sibi ab aeterno electio. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que Dieu de toute éternité connaît non seulement au sujet des choses cette
existence qu’elles possèdent maintenant en Lui, mais aussi l’existence
qu’elle sont appelées à posséder dans leur nature propre, existence selon
laquelle elles ne possèdent pas l’unité mais sont fort éloignées de
participer de la bonté divine : et c’est ainsi que l’élection appartient
à Dieu de toute éternité. |
[2973] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod operationi creationis non praeexistit aliquid
in re ; et ideo non proprie dicuntur eligi ea quae terminantur ad esse ; sed
operationi divinae qua justificat et glorificat, praeexistit natura vel in
proprio esse vel in divina cognitione. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’à l’opération de la création, rien ne préexiste dans la chose ; et
c’est pourquoi on ne dit pas proprement des choses qui en viennent à se fixer
dans l’existence qu’elles sont choisies ; mais à l’opération divine par
laquelle Dieu justifie et glorifie préexiste une nature soit dans l’existence
propre, soit dans la connaissance divine. |
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Articulus 2 [2974] Super Sent., lib. 1 d. 41
q. 1 a. 2 tit. Utrum electio praecedat secundum rationem praedestinationem |
Article 2 – L’élection précède-t-elle la prédestination en raison ? |
[2975] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
electio praedestinationem non praecedat secundum rationem. Electio enim addit
aliquid supra praescientiam, alias etiam esset malorum. Addit autem actum
voluntatis, ut patet ex Philosopho, III Ethic., cap. V et
Lib. VI, c. II. Cum ergo praedestinatio nihil addat supra praescientiam nisi
voluntatem salutis quorumdam, videtur quod electio praedestinationem non
praecedat secundum rationem, sed sit idem sibi. |
Difficultés: 1. Il semble que
l’élection ne précède pas la prédestination selon la raison. L’élection en
effet ajoute quelque chose à la prescience autrement elle se rapporterait
elle aussi aux maux. Mais elle ajoute l’acte de la volonté comme on le voit
chez le Philosophe [111 Éthique, ch. V et livre VI,
ch. 11]. Donc, puisque la prédestination n’ajoute à la prescience que la
volonté du salut de certains, il semble que l’élection ne précède pas la
prédestination selon la raison mais qu’elle lui soit identique. |
[2976] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, electio praesupponit diversitatem in
eis inter quae est electio. Sed diversitas quae est in hominibus ad
consecutionem finis, est per effectum praedestinationis, idest per
gratiam. Ergo videtur quod
electio etiam praedestinationem sequatur secundum rationem. |
2. En outre, l’élection présuppose la
diversité chez ceux parmi lesquels il y a élection. Mais la diversité qu’il y
a chez les hommes par rapport à l’atteinte de la fin a lieu par un effet de
la prédestination, à savoir par la grâce. Il semble donc que l’élection aussi
suive la prédestination selon la raison. |
[2977] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, vocatio sequitur praedestinationem,
ut habetur Rom. VIII,
30: Quos praedestinavit, hos et vocavit. Sed vocatio videtur idem
esse electioni ; quia quod eligitur ad aliquid, videtur quodammodo vocari in
illud. Ergo videtur quod electio praedestinationem sequatur. |
3. Par ailleurs, la vocation suit la
prédestination comme le dit l’Écriture [Épître aux Romains, VIII,
30] : Ceux que Dieu a prédestinés, il les a aussi appelés.
Mais la vocation ou l’appel semble être identique à l’élection ; car ce
qui est choisi en vue d’une fin semble en un sens être appelé à cette fin. Il
semble donc que l’élection suive la prédestination. |
[2978] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra, dilectio praesupponit electionem, sicut ipsum nomen
ostendit. Sed praedestinatio sequitur dilectionem ; quia non praeparantur
bona nisi eis qui diliguntur. Ergo videtur quod praedestinatio electionem
sequatur. |
Cependant : 1. Au contraire, l’amour présuppose
l’élection ainsi que le nom lui-même (dilectio) le montre en latin. Mais la
prédestination suit l’amour car les biens ne sont préparés que pour ceux qui
sont aimés. Il semble donc que la prédestination suive l’élection. |
[2979] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio et electio
addunt aliquid supra praescientiam, sicut dispositio et providentia, ut
intelligatur quod sicut dispositio et providentia se habent respectu omnium
communiter, ita electio et praedestinatio respectu hominum ; unde sicut
providentia addit supra dispositionem, ita praedestinatio supra
electionem. Quod satis
patet ex his quae supra dicta sunt, dist. XL, quaest. 1, art. 2. Dictum est
enim, quod dispositio divina attenditur in ordinatione partium universi ad
invicem et ad finem, secundum quod una natura alii praefertur ex ordine
divinae sapientiae. Similiter est in electione. Ipsa enim divina
ordinatio qua quidam aliis praeferuntur ad consequendam beatitudinem, electio
dicitur. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que la prédestination et l’élection ajoutent quelque chose à la
prescience,tout comme la disposition et la providence de telle sorte
qu’on entende que tout comme la disposition et la providence se rapportent à
tous universellement, ainsi l’élection et la predestination se rapportent aux
hommes; il résulte de là que tout comme la providence ajoute à la
disposition, de même la prédestination ajoute à l’élection. Ce qui apparaît
d’une manière suffisamment claire suite à ce qui a été dit plus haut [dist.
XL, quest. 1, art. 2]. Nous avons dit en effet que la disposition divine se
vérifie dans l’organisation des parties de l’univers entre elles et dans leur
ordonnance par rapport à la fin selon qu’une nature est préférée à une autre
en raison de l’ordonnance de la sagesse divine. Il en est de même pour
l’élection. En effet, l’ordonnance divine elle-même par laquelle certains
sont préférés à d’autres pour l’atteinte de la beatitude, cela s’appelle
élection. |
Providentia autem
attenditur in collatione eorum per quae res attingunt finem ; et in
applicatione ad finem. Similiter praedestinatio attenditur in hoc quod
electis praeparantur bona gratiae et bona gloriae, quibus applicantur ad
finem ; et hoc patet etiam ex modo loquendi consueto. Sicut enim dicimus
disponi res, provideri autem tam res ipsas quam etiam ea quae rebus
conferuntur in finem ordinantia, ita etiam electio proprie est hominum, sed
praedestinatio tam hominum quam etiam eorum quae eis conferuntur: non enim
dicitur, quod gratia eligatur homini ; dicitur tamen, quod gratia praedestinatur
homini. |
Mais la
providence se vérifie dans la réunion des moyens par lesquels les choses
atteignent leur fin et dans l’application à la fin. Semblablement la
prédestination se vérifie en ceci que les biens de la grâce et les biens de
la gloire, par lesquels les élus s’appliquent à la fin, sont préparés pour
les élus; et cela est clair si on est attentif à la manière habituelle de
parler. En effet, tout comme nous disons que les choses sont disposées et que
sont objets de providence aussi bien les choses elles-mêmes que les moyens
qui sont fournis aux choses pour les ordonner à la fin, de même encore
l’élection se dit proprement des hommes mais la predestination se dit aussi
bien des hommes que des moyens qui leur sont conférés: on ne dit pas en effet
que la grâce est choisie pour l’homme mais on dit cependant que la grâce est
prédestinée à l’homme. |
[2980] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod electio non est
actus voluntatis absolute, sed in ordine ad intellectum ordinantem, sicut
Philosophus ibidem innuit. Praedestinatio
autem dicit actum voluntatis absolute, qui consequitur ordinem istum. Electio
enim divina est qua aliqui ex ordine suae sapientiae ordinantur ad finem
beatitudinis ; sed praedestinatio est secundum quod praeparantur eis ea quae
perducunt in finem: et ideo sicut voluntas ordinans in finem praecedit actum
voluntatis praeparantis ea quae ducunt in finem ; ita electio
praedestinationem praecedit. |
Solutions : 1. Il faut dire que l’élection ou le
choix n’est pas l’acte de la volonté d’une manière absolue, mais en rapport
avec l’intelligence qui ordonne comme l’indique le Philosophe au même
endroit. Mais la prédestination signifie l’acte de la volonté d’une manière
absolue, lequel découle de cet ordre. En effet, l’élection divine est celle
par laquelle certains sont ordonnés à la fin de la béatitude à partir de
l’ordre de sa sagesse ; mais la prédestination est l’acte de la volonté
selon lequel lui sont préparées les choses qui conduisent à la fin : et
c’est pourquoi, tout comme la volonté qui ordonne à la fin précède l’acte de
volonté qui prépare les choses qui conduisent à la fin, de même l’élection
précède la prédestination. |
[2981] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod electio divina non praeexigit diversitatem
gratiae, quia hoc electionem consequitur ; sed praeexigit diversitatem
naturae in divina cognitione, et facit diversitatem gratiae, sicut dispositio
diversitatem naturae facit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’élection divine n’a pas pour prérequis la diversité de la grâce car
cela suit l’élection ; mais elle a pour prérequis la diversité de nature
dans la connaissance divine et elle fait la diversité de la grâce, tout comme
la disposition fait la diversité de nature. |
[2982] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod vocatio semper est temporalis, quia ponit
adductionem quamdam ad aliquid. Et ideo est quaedam vocatio ad esse per
creationem, cui, ut dictum est, dist. XXXIX, quaest. II, art. 1, non
respondet aeterna electio ; unde dicitur Rom. 4, 17: Qui vocat ea
quae non sunt tamquam ea quae sunt. Et est quaedam vocatio temporalis ad
gratiam, cui respondet et electio temporalis et aeterna. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la vocation est toujours temporelle car elle pose comme un certain
accompagnement vers un but. Et c’est pourquoi il y a une certaine vocation à
exister par la création à laquelle ne correspond pas une élection éternelle
ainsi que nous l’avons dit [dist. XXXIX, quest. 11, art. 1] ; d’où
l’Écriture [Épître aux Romains, 4, 17] nous dit : Le Dieu qui
appelle à l’existence ceux qui n’existent pas. Et il y a une certaine
vocation temporelle à la grâce à laquelle correspond à la fois une élection
temporelle et une élection éternelle. |
Haec autem vocatio
est vel interior per infusionem gratiae, vel exterior per vocem
praedicatoris. Interior autem vocatio et temporalis electio ad gratiam,
semper sunt simul ; sed differunt secundum rationem ; quia electio inquantum
dicit segregationem, respicit terminum a quo, vocatio autem terminum ad quem
magis ; sed differt a justificatione secundum rationem ; quia vocatio
pertinet ad motum naturae proficiscentis in gratiam ; sed justificatio
respicit esse consequens terminum motus, secundum quod gratia facit justum
esse. De dilectione autem
quomodo se habeat ad electionem et praedestinationem, pertinet ad 3 librum,
ubi agitur de dilectione qua Deus diligit creaturam, XXXII dist., quaest. 1,
art. 2. |
Mais cette vocation ou cet appel
est ou bien intérieur par l’infusion de la grâce, ou bien extérieur par la
voix du prédicateur. Mais l’appel intérieur et l’élection temporelle à la
grâce sont toujours simultanés mais diffèrent selon la raison ; car
l’élection, en tant qu’elle signifie une séparation, se rapporte au terme de
départ alors que l’appel se rapporte plutôt au terme de la destination ;
mais l’appel ou la vocation diffère de la justification selon la raison car
la vocation appartient au mouvement de la nature qui progresse vers la grâce
alors que la justification se rapporte à l’existence qui suit le terme du
mouvement selon que la grâce rend juste. Mais au sujet de l’amour et de la
manière dont il se rapporte à l’élection et à la prédestination, cela relève
du livre 3 [dist. XXXII, quest. 1, art. 2] où on traite de l’amour par lequel
Dieu aime la créature |
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Articulus 3 [2983] Super Sent., lib. 1 d. 41
q. 1 a. 3 tit. Utrum praescientia meritorum sit causa praedestinationis |
Article 3 – La préscience des mérites est-elle la cause de la prédestination ? |
[2984] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
arg. 1 Deinde quaeritur, utrum praescientia meritorum sit causa
praedestinationis. Et videtur quod sic. Primo per Glossam Ambrosii quae
habetur super epistolam ad Rom., cap. 9, ubi haec verba ex persona Dei
proponit: dabo illi gratiam quem scio ad me toto corde post errorem
reversurum. Sed propositum dandi gratiam dicitur praedestinatio. Ergo
videtur quod praescientiam meritorum praesupponat. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il en soit ainsi. On le voit
d’abord dans la glose de Saint-Ambroise qui porte sur la Lettre aux Romains
au chapitre 9 où il présente ces paroles venant de la personne de
Dieu : Je donnerai la grâce de la miséricorde à celui que je
sais d’avance devoir revenir à moi de tout son cœur après s’être détourné de
son erreur. Mais l’intention de donner la grâce s’appelle prédestination.
Il semble donc que la prédestination présuppose la préscience des mérites. |
[2985] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, voluntas Dei praedestinantis, injusta esse non potest. Sed
ad justitiam distributivam pertinet ut inaequalia non nisi inaequalibus
tribuantur. Cum ergo homines non sint inaequales ad perceptionem gratiae nisi
per aliqua opera ipsorum vel aliorum, cum ex natura omnes habeant capacitatem
gratiae, videtur quod praescientia operum sit causa praedestinationis. |
2. En outre la volonté de Dieu qui
prédestine ne peut être injuste. Mais il appartient à la justice distributive
de n’attribuer des choses inégales qu’à des êtres inégaux. Donc, puisque les
hommes ne sont inégaux à recevoir la grâce que par certaines de leurs œuvres
propres ou par celles des autres puisque tous possèdent de par leur nature
une aptitude à la grâce, il semble que la préscience des œuvres soit la cause
de la prédestination. |
[2986] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, in praescientia operum duo sunt ; unum aeternum, scilicet
Dei scientia ; et unum temporale, scilicet opera praescita. Similiter in
praedestinatione duo sunt: unum aeternum, scilicet voluntas divina ; et
alterum temporale, scilicet collatio gratiae. Sed aeternum quod est in praescientia, est
prius ratione, et quodammodo causa ejus aeterni [aeterni om. Éd. de
Parme] quod est in praedestinatione ; quia voluntas scientiam
[praescientiam Éd. de Parme] praesupponit. Similiter temporale
est aliquo modo causa temporalis, quia opus quo iste se praeparavit ad
gratiam, est aliqua causa, ad minus sicut dispositio materialis, ad
acceptionem gratiae ; et opus informatum gratia, est causa meritoria gloriae.
Ergo videtur quod praescientia operum sit causa praedestinationis. |
Par ailleurs, il y a deux choses
dans la préscience des œuvres : l’une est éternelle, à savoir la science
de Dieu, et l’autre est temporelle, à savoir les œuvres connues d’avance. De la même manière il y a deux choses
dans la prédestination : l’une qui est éternelle, à savoir la volonté
divine, et l’autre qui est temporelle, à savoir la communication de la grâce. Mais la part éternelle qui est dans la
préscience est première par la raison et elle est en quelque sorte cause de
l’éternel [éternel om. Éd. de Parme] qui est dans la
prédestination car la volonté présuppose la science [la préscience Éd.
de Parme]. Semblablement le temporel est en quelque sorte la cause du
temporel car l’œuvre par laquelle celui-ci se prépare à la grâce est une
certaine cause, au moins en tant que disposition matérielle, de la réception
de la grâce ; et l’œuvre informée par la grâce est une cause méritoire
de la gloire. Il semble donc que la préscience des œuvres soit la cause de la
prédestination. |
[2987] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, praedestinatio praesupponit
electionem. Sed electio alicujus ab aliquo non est nisi propter aliquam
idoneitatem majorem ad consecutionem finis. Hoc autem non potest esse nisi
per majorem praeparationem ad gratiam, quae per opera fit. Ergo videtur quod praedestinatio
praesupponat praescientiam operum. |
4. Par ailleurs, la prédestination
présuppose l’élection. Mais l’élection d’un tel par un autre n’a lieu
qu’à cause d’une certaine aptitude plus grande à atteindre la fin. Mais cela
ne peut avoir lieu qu’au moyen d’une plus grande préparation à la grâce
laquelle préparation n’est possible que par les œuvres. Il semble donc que la
prédestination présuppose la préscience des œuvres. |
[2988] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, praedestinatio est voluntas salutis hominis, non tantum ut
intelligatur de voluntate antecedente (quia hac voluntate vult omnes homines
salvos facere, ut dicit Damascenus, II Fid. Orthod., cap.
ult., col. 970), sed de voluntate consequente. Cum igitur voluntas consequens
respiciat merita, videtur quod praescientia meritorum sit causa
praedestinationis. |
5. De plus, la prédestination est
la volonté du salut de l’homme, entendue non seulement en tant que volonté
première (car par cette volonté il veut rendre tous les hommes sauvés comme
le dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. dernier, col. 970]
mais aussi entendue comme volonté seconde. Donc puisque la volonté seconde se
rapporte aux mérites, il semble que la préscience des mérites soit la cause
de la prédestination. |
[2989] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra, omne illud quod respicit meritum est aliquo modo debitum,
et non omnino gratuitum. Sed praedestinatio est ex gratuita voluntate, quam
nulla merita advocant, ut dicit Augustinus, in Epistola CXCIV, ad
Sixtum, col. 874. Ergo videtur quod praescientia meritorum non sit
causa praedestinationis. |
Cependant : 1. Tout ce qui se rapporte aux mérites est
en quelque sorte dû ou obligé et non totalement gratuit. Mais la
prédestination vient d’une volonté gratuite qu’aucun mérite ne peut appeler
comme le dit Saint-Augustin dans la Lettre CXCIV à
Sixte, col. 874]. Il semble donc que la préscience des mérites ne soit
pas la cause de la prédestination. |
[2990] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ad idem est totum quod in Littera
adducitur. |
2. En
outre, tout ce qui est amené dans la Lettre conduit à la même conclusion. |
[2991] Super Sent., lib.
1 d. 41 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praescientia meritorum vel
aliquorum operum, nullo modo est causa praedestinationis divinae ; quod
patet, si consideretur totum id quod in praedestinatione est de essentia
ipsius. Sed nihil
prohibet, illud quod est effectus praedestinationis, scilicet gratia et
gloria, quae oblique ponuntur in ejus definitione, habere aliquam causam ex
parte nostrarum operum [operationum Éd. de Parme]. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
préscience des mérites ou de certaines œuvres n’est en aucune manière la
cause de la prédestination divine ; et cela est clair si on considère
tout ce qui dans la prédestination se rapporte à son essence. Mais rien
n’empêche que ce qui est les effets de la prédestination, à savoir la grâce
et la gloire, qui sont placées indirectement dans sa définition, soient
causés en quelque sorte par nos œuvres [opérations Éd. de Parme]. |
De essentia autem [enim Éd. de Parme]
praedestinationis est praescientia et voluntas salutis aliquorum. Scientia
autem de salute eorum non causatur a scientia operum aliquorum ; quia ipse
non venit in cognitionem effectus per causam, sed per seipsum. Unde non
potest dici in eo, quod ipse scit hoc, quia scit causam hujus ; sed inquantum
intuetur essentiam suam, quae est omnium similitudo, videt unumquodque in se,
tam causam quam causatum. |
Mais [en effet Éd. de Parme]
la préscience et la volonté du salut de certains hommes font partie de
l’essence de la prédestination. Mais la science de leur salut n’est pas
causée par la science de certaines œuvres ; car Lui-même n’en vient pas
à la connaissance de l’effet par la cause mais par Lui-même. D’où l’on ne
peut dire que Lui-même sait cela parce qu’il en sait la cause ; mais
plutôt, en tant qu’il saisit son essence qui est une similitude de tout ce
qui existe, il voit chaque chose en elle-même, aussi bien la cause que
l’effet. |
Similiter etiam voluntas sua cum sit libera,
magis etiam quam aliqua voluntas ; non habet causam nisi finem voluntatis
suae. Finis autem voluntatis suae est sua bonitas, quae est ipsemet: unde
dicitur communiter quod Deus vult hoc propter bonitatem suam, non quia scivit
[scit Éd. de Parme] hoc, vel quia hoc factum est. Sed tamen
effectus voluntatis ejus, scilicet ipsum volitum ordinatum ad bonitatem suam,
potest procedere ex aliqua causa quam Deus praescivit ab aeterno ; et istum
ordinem causae ad causatum Deus vult, et vult quod effectus sit quia causa
est ; non autem ita quod causalitas referatur ad voluntatem, sed ad volitum:
et ista causa voliti, non volendi, dicitur ratio quaedam voluntatis ex parte
effectus. Sed haec causa in quibusdam habet completam
rationem causae, [et sufficienter inducit effectum add. Éd. de Parme],
quandoque vero est tantum dispositio. Ita etiam ad duplicem effectum
praedestinationis diversimode se habet nostra opera [operatio Éd. de
Parme] ; quia opus meritorium informatum gratia, est causa meritoria
gloriae ; sed opus bonum praecedens gratiam, non est causa meritoria ejus,
sed solum dispositio quaedam. Unde patet quod praedestinatio causam non
habet, sed habet rationem ex parte effectus, secundum quam rationabilis
[rationalis Éd. de Parme] et justa dicitur. |
De la même manière aussi puisque sa
volonté est libre et bien davantage que toute autre volonté, elle n’a pas de
cause si ce n’est la fin de sa volonté. Mais la fin de sa volonté est sa
bonté, à savoir Lui-même : d’où l’on dit généralement que Dieu veut ceci
à cause de sa bonté et non parce qu’il a connu [connaît Éd. de Parme]
ceci ou parce que cela a été fait. Mais cependant l’effet de sa volonté, à
savoir cela même qui voulu et qui est ordonné à sa bonté, peut procéder d’une
cause que Dieu a connu d’avance de toute éternité ; et Dieu veut cet
ordre ou ce rapport de la cause à l’effet et il veut que l’effet existe parce
que la cause existe mais non pas cependant de telle manière que la causalité
s’adresse à la volonté mais à l’objet voulu : et cette cause de l’objet
voulu qui n’est pas la cause du vouloir, on l’appelle une certaine cause de
la volonté du côté de l’effet. Mais cette cause chez certains a
complètement raison de cause [et conduit suffisamment à l’effet add.
Éd. de Parme], mais parfois elle est seulement une disposition. De même
encore nos euvres [nos opérations Éd. de Parme] se présentent
différemment par rapport à deux effets de la prédestination ; car
l’œuvre méritoire informée par la grâce est une cause qui est méritoire de la
gloire ; mais l’œuvre bonne qui précède la grâce n’est pas une cause qui
mérite la grâce, mais seulement une certaine disposition à son égard. D’où il
est clair que la prédestination n’a pas de cause mais elle a une raison du
côté de l’effet, raison selon laquelle on dit de la prédestination qu’elle
est raisonnable [rationnelle Éd. de Parme] et juste. |
[2992] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in illis verbis Ambrosii non designatur
quod opus nostrum sit causa voluntatis divinae, neque etiam quod sit causa
ipsius dationis gratiae, sed solum dispositio quaedam ; ut hoc intelligatur
non de opere sequente gratiam, quod virtutem merendi habet a gratia, et neque
causa ejus est, neque dispositio ad ipsam ; sed de opere praecedente, quod
est dispositio ad gratiam. Illi enim Deus proponit gratiam infundere
quem praescit se ad gratiam praeparaturum ; non tamen propter praeparationem,
quae non est sufficiens causa gratiae, nec finis voluntatis ejus, sed propter
bonitatem suam. Vult tamen quod iste habeat gratiam, quia praeparavit se,
secundum modum loquendi quo dicitur, quod dat sibi gratiam quia praeparavit
se ; ut conjunctio denotet dispositionem et non causam. Sed respectu actus
volendi non potest designare neque dispositionem neque causam ; non enim ideo
voluit quia iste praeparavit se, sed solum quia bonus [bonum Éd. de
Parme] est. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
par ces paroles Saint-Ambroise ne veut pas signifier que notre œuvre soit la
cause de la volonté divine, ni même qu’elle soit la cause du don même de la
grâce, mais seulement une certaine disposition, de telle manière que cela
s’entende non pas de l’œuvre qui suit la grâce qui tient son pouvoir de
mérite de la grâce et qui n’en est ni une cause ni même une disposition, mais
de l’œuvre qui précède la grâce et qui dispose à la recevoir. En effet, Dieu se propose de répandre la
grâce en celui dont il sait à l’avance qu’il est préparé à la recevoir mais
il ne le fait cependant pas à cause de la préparation, laquelle n’est pas une
cause suffisante de la grâce ni même la fin de sa volonté, mais à cause de sa
seule bonté. Il veut cependant que celui-ci possède la grâce car il s’est
préparé, suivant en cela la manière de parler par laquelle on dit qu’il donne
à un tel la grâce parce qu’il s’est préparé, de telle manière que la
conjonction indique une disposition et non une cause. Mais par rapport à
l’acte de vouloir elle ne peut désigner ni une cause ni même une
disposition ; en effet, ce n’est pas parce que celui-ci s’est préparé
que Dieu a voulu lui donner la grâce, mais seulement parce qu’il est bon [la
bonté Éd. de Parme]. |
[2993] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam in justo homine causa eliciens actum
volendi est finis voluntatis ; sed ex parte effectus accipit causam ex opere
hominum, quod discretionem in eis facit ; ut si quaereretur a justo judice:
quare vis huic plus dare quam illi ? Si vellet reddere causam
voluntatis, diceret: propter bonum justitiae, quod in hoc opere
relucet. Si autem vellet
assignare causam operis, diceret: eo quod iste magis dignus est. Sed tamen
sciendum, quod praedestinatio, respectu ultimi effectus, habet rationem
justitiae distributivae, scilicet respectu gloriae: et ideo possumus dicere
quod Deus dat isti gloriam et non illi, quia iste meretur, et non ille ; et
similiter vult quod iste habeat et non ille, quia iste dignus est et non
ille. Sed respectu primi effectus, scilicet gratiae, habet rationem magis
liberalitatis quam justitiae ; quia gratia datur gratis, et non redditur
meritis. Unde ex parte recipientis non est assignare causam quare dignus sit
gratia, sed solum dispositionem quamdam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que même chez l’homme juste la cause qui provoque l’acte de vouloir est la
fin de la volonté ; mais du côté de l’effet l’acte de vouloir reçoit sa
cause de l’œuvre des hommes qui produit chez eux une séparation ; c’est
comme si un juge juste demandait : pourquoi veux-tu donner plus à tel
homme qu’à tel autre ? S’il voulait donner la cause de la
volonté, il dirait : à cause du bien de la justice qui transparaît dans
cette œuvre. Mais s’il voulait désigner la cause de l’œuvre, il dirait :
du fait que celui-ci est plus digne. Il faut cependant savoir que la
prédestination, par rapport à l’effet ultime, à savoir la gloire, a raison de
justice distributive : et c’est pourquoi nous pouvons dire que Dieu
donne à un tel la gloire et non à tel autre parce que celui-ci la mérite et
non tel autre ; et semblablement il veut que celui-ci la possède et non
tel autre parce que celui-ci est digne et non tel autre. Mais par rapport au
premier effet, à savoir la grâce, il a davantage raison de libéralité que de
justice car la grâce est donnée gratuitement et n’est pas rendue en fonction
des mérites. D’où il suit que du côté de celui qui reçoit il n’y a pas à
identifier la cause pour laquelle il serait digne de la grâce, mais on ne
peut trouver là qu’une certaine disposition. |
[2994] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod praescientia non est causa voluntatis, quia
voluntas libera est. Possum enim illud quod scio, non velle: et ideo ratio
non procedit ; quia causa eliciens actum voluntatis non est nisi finis ejus. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la préscience n’est pas la cause de la volonté puisque la volonté est
libre. Ce que je sais en effet, je peux ne pas le vouloir et c’est là la
raison pour laquelle l’argument ne tient pas car la cause qui provoque l’acte
de la volonté n’est rien d’autre que sa fin. |
[2995] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod electio divina requirit
diversitatem in electis, non tamen quae sit causa voluntatis eligentis, immo
potius e converso: sic enim dispositio ejus causat rerum diversitatem in
naturis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’élection divine exige une différence chez les
élus, non pas une différence qui serait cause de la volonté qui choisit mais
bien plutôt celle qui serait dans un rapport inverse: c’est ainsi en effet
que sa disposition cause la diversité ou la différence des choses dans leurs
natures. |
[2996] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectu
praedestinationis includitur voluntas consequens quae respicit opera non
quasi causam voluntatis, sed sicut causam meritoriam gloriae, et sicut
praeparationem ad gratiam. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que dans la définition de la prédestination est
comprise la volonté qui suit, laquelle se rapporte aux oeuvres non pas en
tant qu’elles sont comme la cause de la volonté mais en tant qu’elles sont
comme la cause méritoire de la gloire et comme une préparation à la grâce. |
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Articulus 4 [2997] Super Sent., lib. 1 d. 41
q. 1 a. 4 tit. Utrum praedestinatio juvetur aliquo opere humano |
Article 4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre de l’homme ? |
[2998] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
arg. 1 Quarto quaeritur, utrum praedestinatio juvetur aliquo opere humano. Et
videtur quod non. Causa enim quae per se inducit effectum sine adjutorio
alterius perfectior est quam quae adjuvatur ad effectum inducendum. Sed
praedestinatio est causa perfectissima. Ergo non juvatur aliquo ad effectum
suum. |
Difficultés : 1. Il semble que non. En effet, la cause
qui conduit par elle-même à un effet sans l’aide d’un autre est plus parfaite
que celle qui est aidée pour produire son effet. Mais la prédestination est
la cause la plus parfaite. Elle n’est donc pas aidée dans la production de
son effet. |
[2999] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
arg. 2 Praeterea, illud quo posito vel remoto, nihilominus manet effectus,
non videtur juvare ad consecutionem effectus. Sed ex quo praedestinatio
ponitur esse alicujus, sive aliquis oret pro eo sive non oret, salvabitur:
quia praedestinatio irrita esse non potest. Ergo videtur quod omnino nihil
juvet ad salutem ejus. |
2. Par ailleurs, ce qui,
étant enlevé ou posé, l’effet demeure néanmoins, cela ne semble pas aider à
atteindre l’effet. Mais du fait que la prédestination est posée, l’existence
d’un être, que quelqu’un prie pour lui ou non, sera sauvée : car la
prédestination ne peut être contrariée. Il semble donc qu’absolument rien
n’aide à son salut. |
[3000] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
arg. 3 Praeterea, effectus praedestinationis est gratia et gloria, quorum
utrumque a solo Deo est. Ergo nihil aliud juvat ad praedestinationis
effectum. |
3. En outre, l’effet de la
prédestination est la grâce et la gloire, et les deux ne viennent que de
Dieu. Donc, rien d’autre ne peut contribuer à produire l’effet de la
prédestination. |
[3001] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit in Dial., liv. 1, cap. VIII, quod
praedestinatio orationibus sanctorum juvatur ; quod probat per id quod
habetur Genes. 25, quod Isaac oravit pro uxore sua Rebecca, eo quod sterilis
esset ; et dominus dedit ei conceptum ; et tamen Jacob qui de illo conceptu
natus est, praedestinatus erat ad vitam. |
Cependant : 1. Saint-Grégoire [Dial. 1,
ch. VIII] dit le contraire, à savoir que la prédestinatio est
aidée par les prières des saints ; et il le manifeste au moyen de
l’Écriture [Genèse 25], là où Isaac a prié pour son épouse
Rébecca du fait qu’elle était stérile et le Seigneur lui a donné de concevoir
et cependant Jacob, qui est né de cette conception, était prédestiné à la
vie. |
[3002] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
s. c. 2 Praeterea, si praedestinatio non juvatur ex operibus nostris, ergo non
oportet orare pro aliquo ut salvetur, et eadem ratione neque pro seipso ;
neque aliquod opus bonum operari: et ita lex divina vana est, quae ad bonum
operandum nos inducit. |
2. De plus, si la prédestination
n’est pas aidée par nos œuvres, il n’est donc pas nécessaire de prier pour le
salut d’un tel ni pour soi-même pour la même raison, et il n’est pas même
nécessaire de faire des bonnes œuvres et ainsi la loi divine est inutile,
laquelle nous amène à poser de bonnes opérations. |
[3003] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
s. c. 3 Potentiae etiam [Praeterea, potentiae Éd. de Parme]
naturales et habitus gratuiti in vanum erunt, ex quo non oportet nos operari
ad consecutionem finis ; quae omnia inconvenientia sunt. Ergo praedestinatio
orationibus sanctorum juvatur. |
3. Les puissances [Par ailleurs, les
puissances Éd. de Parme] naturelles et les habitus gratuits
seront vains, du fait qu’il ne nous est pas nécessaire de travailler à la
poursuite de la fin ; et toutes ces conséquences sont absurdes. La
prédestination est donc aidée par les prières des saints. |
[3004] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod ista quaestio dependet a
praedicta, artic. antec.: eo enim modo praedestinatio juvatur quo causam
habet. Unde sicut dictum
est quod praedestinatio, inquantum est actus divinus, qui est velle vel
scire, non habet aliquam causam ex parte nostra ; ita etiam nec ex parte ista
adjutorium habet ; quia hunc actum qui est velle, Deus nulla creatura
cooperante operatur. Sed effectus praedestinationis hoc modo habet adjutorium
quo [quod Éd. de Parme] et causam habet. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que cette
question dépend de celle qui précède dans l’article précédent : en
effet, la prédestination est aidée de la manière par laquelle elle a une
cause. Partant de là, tout comme nous avons dit que la prédestination, en
tant qu’elle est un acte divin qui est le vouloir et le savoir, n’a aucune
cause qui viendrait de nous, de même encore de ce côté elle n’a besoin
d’aucune aide ; car cet acte qui est le vouloir, Dieu le pose sans
aucune contribution de la part de la créature. Mais l’effet de la
prédestination implique une aide de la manière par laquelle [qu’il Éd.
de Parme] il a une cause. |
Unde secundum hoc omnis causa cujus
operatione interveniente completur effectus praedestinationis, dicitur
praedestinationem juvare, vel per modum causae meritoriae, vel ex condigno,
sicut aliquis habens gratiam meretur suo actu vitam aeternam ; vel ex
congruo, sicut aliquis orando pro aliquo alio meretur ei primam gratiam, vel
etiam persuadendo ad bonum ; unde 1 Corinth., 3, 9,
dicitur: Dei enim adjutores sumus ; vel per modum
dispositionis, sicut quando quis praeparat se ad habendam gratiam ; vel etiam
naturali operatione, sicut motus caeli et omnes causae naturales juvant
praedestinationem, inquantum eorum officio perficitur generatio et
sustentatio electorum. |
D’où il s’ensuit conformément à
cela qu’on dit de toute cause, par l’opération de laquelle est complété
l’effet de la prédestination, qu’elle aide la prédestination, soit à la
manière d’une cause méritoire, soit d’une manière tout à fait digne, tout
comme celui qui possède la grâce mérite par son acte la vie éternelle ;
soit à partir de ce qui convient, comme celui qui en priant pour quelqu’un
d’autre lui mérite la première grâce, soit encore en le persuadant de faire
le bien ; d’où l’Écriture [1 Corinthiens, 3, 9]
dit : Nous sommes en effet des collaborateurs de Dieu ;
soit à la manière d’une disposition, comme lorsque quelqu’un se prépare à
recevoir la grâce ; ou encore par une opération naturelle, comme le
mouvement du ciel et toutes les causes naturelles aident la prédestination
dans la mesure où par leurs fonctions la génération et la conservation des
élus est accomplie. |
[3005] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod adjutorium istud non est propter
indigentiam praedestinationis, sed ut salvetur ordo quem in rebus divina
sapientia constituit, ut scilicet effectus procedat a causa prima mediantibus
causis secundis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
cette aide a lieu non pas à cause d’un manque ou d’un défaut du côté de la
prédestination mais pour que soit conservé l’ordre que la sagesse divine a
établi dans les choses, c’est-à-dire de telle manière que l’effet procède de
la cause première par l’intermédiaire des causes secondes. |
[3006] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in argumento
supponitur falsum. Si enim
Stephanus pro persecutoribus non orasset, forte Paulus salvus non fuisset:
sicut si aliquis non faceret opera meritoria, non acciperet coronam quae
praedestinata est sibi. Nec tamen praedestinatio frustrari potest: quia
praescitum est a Deo quod iste tali causa et tali ordine salvabitur. Unde
sicut est incompossibile praedestinationi quod iste non salvetur, ita est
etiam sibi incompossibile quod non fuerit oratum pro eo, quamvis utrumque in
se sit possibile non esse. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que cet argument suppose un principe qui est faux. Si en effet Stéphane
n’avait pas prié pour ses bourreaux, peut-être que Paul n’aurait pas été
sauvé, tout comme si quelqu’un ne faisait pas les œuvres méritoires, il ne
recevrait pas la couronne qui lui est destinée. Et cependant la
prédestination ne peut être contrariée car il est connu d’avance de Dieu que
celui-ci sera sauvé par telle cause et par tel ordre. D’où il suit que tout
comme il est impossible à la prédestination que celui-ci ne soit pas sauvé,
de même il lui est aussi impossible qu’on ne priera pas pour lui, bien qu’il
soit possible à chacun des deux pris en eux-mêmes de ne pas exister. |
[3007] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium dicendum, quod causa infundens gratiam est solus Deus ; sed
dispositio ad gratiam potest esse ex ipso eodem qui gratiam recipit ; sed
meritum gratiae ex congruo potest esse etiam alterius justi ; sed ex condigno
est etiam ipsius hominis Christi, cujus merita efficaciam habuerunt in totam
humanam naturam, quia ipse caput Ecclesiae est. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la cause qui répand la grâce est Dieu seul ; mais la disposition à
la grâce peut venir de celui-là même qui reçoit la grâce ; mais le
mérite de la grâce à partir du convenable peut aussi appartenir à un autre
juste ; mais à partir d’une manière tout à fait digne elle appartient
aussi à l’homme même du Christ, dont les mérites ont obtenu une efficacité
dans toute la nature humaine car il est lui-même la tête de l’Église. |
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Articulus 5 [3008] Super Sent., lib. 1 d. 41
q. 1 a. 5 tit. Utrum quidquid olim Deus scivit, modo sciat |
Article 5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le connaît-il maintenant ? |
[3009] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
arg. 1 Quinto quaeritur, utrum quidquid Deus sciverit olim, modo sciat. Et
videtur quod sic. Scientia enim Dei, ut supra habitum est, est invariabilis.
Sed omnis scientia quae desinit esse alicujus cujus prius fuerat, variatur.
Ergo videtur quod quidquid Deus olim scivit, modo sciat. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu sache maintenant ce
qu’il a connu autrefois. La science de Dieu en effet, comme nous l’avons
établi plus haut, est invariable. Mais toute science qui cesse d’exister sur
un objet sur lequel elle portait avant est une science variable. Il semble
donc que ce que Dieu a connu autrefois, il le connaît maintenant. |
.[3010] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
arg. 2 Praeterea, omne scitum a Deo, aut accipitur ut res quaedam, aut ut
enuntiabile significans esse rem. Sed quamcumque rem Deus scivit modo scit ;
quia una et eadem res est quae modo est praesens et prius fuit futura et cras
erit praeterita ; et similiter videtur esse una veritas enuntiabilis
[enunciabilis Éd. de Parme], quia veritas enuntiabilis reducitur
ad veritatem rei sicut ad causam. Ergo videtur quod quidquid Deus olim
scivit, modo sciat, sive sit res, sive enuntiabile. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est
connu de Dieu est reçu soit comme une chose soit comme une énonciation
signifiant que la chose existe. Mais toute chose que Dieu a connue il la
connaît maintenant car c’est une seule et même chose qui est présente
maintenant, qui avant était à venir et qui demain sera passée ; et
semblablement il semble qu’il n’y ait qu’une seule et même vérité exprimée
dans l’énonciation [qui puisse être énoncée Éd. de Parme] car la
vérité de l’énonciation se ramène à la vérité de la chose comme à sa cause.
Il semble donc que tout ce que Dieu a connu, il le sait maintenant, soit en
tant que chose soit en tant qu’énonciation. |
[3011] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
arg. 3 Praeterea, consignificatio se habet propinquius [propinquis Éd.
de Parme] ad dictionem quam ad orationem. Sed diversus modus significandi
non impedit unitatem nominis ; unde dicitur a grammaticis: albus, alba, album
esse unum nomen, et sic de aliis. Cum ergo haec enuntiabilia, Socratem
currere et cucurrisse, ad unum instans relata, in diversis temporibus
prolata, non differant nisi per diversam consignificationem temporis, videtur
quod sit unum enuntiabile ; et sic idem quod prius. |
3. En outre la cosignification est
plus proche [est proche Éd. de Parme] du mot que du discours.
Mais une manière différente de signifier n’empêche pas l’unité du nom ;
d’où les grammairiens disent que blanc et blanche, c’est un seul et même nom
et qu’il en est de même pour d’autres cas semblables. Donc, puisque ces
énonciations, à savoir Socrate court et Socrate a couru, relatifs à un seul
et même instant, mais prononcés à des moments différents, ne diffèrent que
par une cosignification différente du temps, il semble qu’en réalité ces deux
énoncés n’en soient qu’un seul et alors il faut conclure de la même manière
que précédemment. |
[3012] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea, aut unitas temporis pertinet ad unitatem enuntiabilis, aut
non. Si pertinet ad unitatem enuntiabilis, ergo cum dicta enuntiabilia
referantur ad unum tempus, videtur quod sit unum enuntiabile. Si autem non
pertinet, ergo cum dicta enuntiabilia non distinguantur nisi per diversam
consignificationem temporis, videtur quod sint unum enuntiabile. |
4. De plus, ou bien l’unité du
temps appartient à l’unité de l’énonciation, ou bien ce n’est pas le cas. Si
elle appartient à l’unité de l’énonciation, donc puisque les énonciations qui
sont dites se rapportent à un seul temps, il semble qu’il y ait une seule
énonciation. Mais si elle ne lui appartient pas, alors, puisque les
énonciations qui sont dites ne se distinguent que par une cosignification
différente du temps, il semble qu’il n’y ait qu’une seule énonciation. |
[3013] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
arg. 5 Praeterea, enuntiabile etiam res quaedam est rationis. Sed quamcumque
rem Deus scivit, scit. Ergo ex hoc etiam videtur sequi quod quodcumque
enuntiabile Deus scivit, scit. |
5. Par ailleurs, l’énonciation est
elle aussi une certaine chose, à savoir un être de raison. Mais toute chose
que Dieu a connue, il la connaît. Il semble donc aussi découler de là que
toute énonciation que Dieu a connue, il la connaît. |
[3014] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
s. c. 1 Sed contra, omne verum est scitum a Deo [omne scitum a Deo est verum Éd.
de Parme]. Sed quondam verum erat Christum esse moriturum. Ergo fuit
scitum a Deo. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce qui est vrai est
connu de Dieu [tout ce qui est connu de Dieu est vrai Éd. de Parme].
Mais il était vrai autrefois que le Christ allait mourir. Donc cela était
connu de Dieu. |
[3015] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
s. c. 2 Item, quidquid est scitum a Deo est verum. Ergo cum modo non sit
verum Christum esse moriturum, non est scitum a Deo. Non ergo quidquid Deus
scivit, scit. |
2. En outre, tout ce qui est connu
de Dieu est vrai. Donc, puisque maintenant il n’est pas vrai que le Christ va
mourir, cela n’est pas connu de Dieu. Donc, tout ce que Dieu a connu, il ne
le connaît pas. |
[3016] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
s. c. 3 Si dicas, quod in processu est figura dictionis, quia
mutatur « quid » in « quando », contra: ista
solutione posita, remanet eadem difficultas: quia mutabitur propositio et
dicetur: non quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit, ut conclusum est. Sed
enuntiabile est aliquod scitum. Ergo non quidquid Deus scivit, scit. |
3. Si tu dis qu’il y a
un changement dans la configuration du mot parce que «quid», à savoir «quoi»
est changé en «quando», à savoir en «quand», je réponds par contre qu’une
fois posée cette solution, la difficulté demeure la même car la proposition
sera changée et on dira : ce n’est pas tout énoncé que Dieu a connu, il
connaît, qui est conclu. Mais une énonciation est queque chose de connu. Donc
ce n’est pas tout ce que Dieu a connu qu’il connaît. |
[3017] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 3,
scientia Dei non tantum est rerum, sed etiam enuntiabilium. Si ergo scientia
Dei referatur ad res, sic nulli dubium est quin omnem rem quam Deus scivit,
sciat ; et sic optime procedit solutio Magistri in Littera. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire, comme nous
l’avons souligné plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 3] que la science
de Dieu ne se rapporte pas seulement aux choses, mais aussi aux énonciations.
Si donc la science de Dieu se rapporte aux choses, ainsi il n’est douteux à
personne que toute chose que Dieu a connue, il la connaît ; et en ce
sens la solution du Maître procède d’une manière excellente dans la Lettre. |
Una enim et eadem res est quae significatur
cum diversis temporibus profertur: Socrates currit et cucurrit ; scilicet
cursus Socratis. Si autem referatur ad enuntiabilia, tunc super hoc fuit
duplex opinio. |
En effet, c’est une seule et même
chose qui est signifiée lorsqu’elle est prononcée en différents temps :
en effet, qu’on dise Socrate court ou Socrate a couru, il s’agit toujours de
la même course de Socrate. Mais si on se rapporte aux énonciations, alors à
ce sujet il y a deux opinions. |
Quidam enim dixerunt, quod ad unitatem rei
significatae sequitur unitas enuntiabilis, quamvis etiam cum diversa
consignificatione temporis proferatur ; et secundum hoc sequitur quod
enuntiabile quod semel est verum, semper fuit et est verum ; et ita quod
semel est scitum a Deo, semper erit scitum ab eo. |
Certains en effet ont dit
que l’unité de l’énonciation suit l’unité de la chose signifiée, bien
qu’encore elle soit prononcée avec une cosignification du temps qui est
différente ; et d’après cette opinion il s’ensuit que l’énonciation qui
a une fois été vraie le fut toujours et l’est encore ; et c’est ainsi
que ce qui a été une fois connu de Dieu sera toujours connu de Lui. |
Sed ista positio expresse contrariatur
dictis Philosophi in Praedicamentis cap. « De
substantiis » qui dicit, quod eadem propositio, scilicet
Socrates sedet, quae prius erat vera, Socrate sedente, eodem surgente
efficitur falsa. Et praeterea si ab unitate rei enuntiabile haberet unitatem,
eadem ratione ex diversitate haberet diversitatem ; et ita hoc enuntiabile,
Socratem currere, diversis temporibus prolatum, non esset unum, nec aliquod
nomen significans diversas res unum esset ; et sic periret tam aequivocatio
quam univocatio, quarum utraque requirit unitatem nominis quod pluribus convenit.
Unde ab omnibus modernis conceditur, quod sunt duo diversa enuntiabilia,
Socratem currere et cucurrisse, etiam si ad eumdem cursum referantur. Et
secundum hoc distinguendum est de enuntiabili. |
Mais cette position est
clairement contredite par les paroles du Philosophe [Les Prédicaments,
ch. «Des substances»] qui dit que la même proposition, à savoir Socrate est
assis, laquelle était vraie lorsque Socrate était assis, est fausse lorsqu’il
se lève. Et par ailleurs, si l’énonciation tenait son unité de l’unité de la
chose, pour la même raison elle tiendrait sa diversité de la diversité de la
chose ; et ainsi cette énonciation, à savoir Socrate court ne serait
plus une si elle était prononcée en des temps différents et aucun nom
signifiant différentes choses ne serait un seul et même nom ; et c’est
ainsi que disparaîtrait aussi bien l’équivoque que l’univoque, puisque les
deux exigent qu’un même nom s’applique à plusieurs choses différentes. C’est
pourquoi tous les modernes concèdent que les énoncés suivants, à savoir
Socrate court et Socrate a couru, sont deux énoncés différents même s’ils se
rapportent à la même course. Et c’est conformément à cela qu’il faut faire
une distinction au sujet de l’énonciation. |
Quia vel potest sumi inquantum est res quaedam
rationis quasi materialiter ; et sic quodcumque enuntiabile scivit, scit:
semper enim scit hoc enuntiabile, Socratem currere, habere talem naturam et
tales partes. Vel potest sumi significative, prout per ipsum designatur esse
rei cum suis conditionibus quae dantur intelligi ex consignificatione verbi ;
et sic non quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit. Scivit enim hoc
enuntiabile esse verum, Christum crucifigi, cum crucifigebatur ; sed non scit
modo esse verum, sed fuisse verum. |
En effet, elle peut s’entendre
comme matériellement comme un certain être de raison ; et en ce sens,
tout énoncé que Dieu a connu, il le connaît : en effet, il sait toujours
que cet énoncé, à savoir Socrate court, possède telle nature et telles
parties. Mais elle peut aussi s’entendre dans sa signification selon que par
elle est désigné l’être de la chose avec ses conditions qui sont données à
être comprises à partir de la cosignification du verbe ; et en ce sens
ce n’est pas toute énonciation que Dieu a connue qu’il connaît. Il a su en
effet que cet énoncé était vrai, à savoir que le Christ a été crucifié,
lorsqu’il était crucifié ; mais il ne sait pas maintenant que cela est
vrai, mais plutôt que cela a été vrai. |
[3018] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc non contingit ex aliqua mutatione
facta circa scientiam Dei, sed circa rem ipsam. Sicut enim cum dicimus, Deus
praescivit Christum moriturum, designatur respectus ad futurum, unde quando
desinit esse futurum, Deus jam non praescit illud, nulla tamen mutatione in
ejus praescientia facta ; ita etiam cum dicitur, Deus scivit Christum
moriturum, designatur respectus futuri in participio. Unde re in praeteritum
transeunte, non manet idem respectus, quo remoto, Deus nescit rem sub tali
respectu esse. Unde non variatur ejus scientia qui uno intuitu omnia
conspicit, sed variatur respectus et [in Éd. de Parme] natura
rei. Contingit enim, ut supra dictum est, dist. XXXXVI qu. 1, art. 3, quod in
relativis praedicationibus fiat mutatio reliquo [altero Éd. de Parme]
extremorum mutato, altero invariabili manente. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
cela ne se produit pas à partir d’un changement qui a lieu sur la science de
Dieu mais sur la chose elle-même. En effet, tout comme nous disons que Dieu a
connu d’avance que le Christ allait mourir, cet énoncé désigne un rapport au
futur, d’où il suit que lorsque cet événement cesse d’être futur, Dieu déjà
ne connaît plus cela à l’avance, non pas cependant à cause d’un changement
survenu dans sa préscience ; de même encore lorsque nous disons que Dieu
a su que le Christ allait mourir, un rapport au futur est désigné dans le
participe. C’est pourquoi, l’événement s’étant écoulé dans le passé, le
rapport ne demeure plus le même et ce rapport ayant disparu, Dieu ne sait pas
que la chose existe sous ce rapport. D’où il suit que sa science ne varie
pas, laquelle saisit toutes les choses par une seule considération, mais
c’est le rapport qui varie et [dans Éd. de Parme] la nature de la
chose. Il est possible en effet, comme nous l’avons dit plus loin [dist.
XXXXVI, quest. 1, art. 3] que dans les attributions relatives il y ait un
changement alors que l’un [l’autre Éd. de Parme] des extrêmes est
changé et que l’autre demeure inchangé. |
[3019] Super Sent.,
lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis veritas
enuntiabilis causetur ab esse rei, non tamen oportet quod propter unitatem
rei enuntiabile unitatem habeat, sed veritatem. Unitatem autem habet et diversitatem ex his ex quibus
essentialiter constituitur, scilicet ex partibus suis ; unde cum diversae
sint partes horum enuntiabilium, Socratem currere et cucurrisse, diversa sunt
enuntiabilia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que la vérité de l’énonciation soit causée par l’existence de la
chose, il n’est cependant pas nécessaire que l’énonciation tienne son unité
de l’unité de la chose, mais seulement la vérité. Mais l’énonciation tient
plutôt son unité et sa diversité des éléments à partir desquels elle est
constituée, à savoir de ses parties ; et c’est pourquoi, puisque les
parties de ces énonciations sont différentes, à savoir Socrate court et
Socrate a couru, nous avons là des énonciations différentes. |
[3020] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
ad 3 Ad tertium dicendum, quod diversus modus significandi facit etiam
diversum nomen ; sed quod dicatur idem nomen a grammatico, hoc non est quia
simpliciter sit unum, cum sint plures voces, albus, alba, album, et
multiplicato genere, quod est vox, necesse sit multiplicari speciem, quod est
nomen ; unde ubi multae voces et multa nomina ; sed dicuntur unum nomen quia
pertinent ad idem condeclinium. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’un mode différent de signifier entraîne aussi un nom différent ; mais
ce qui est appelé un même nom par le grammairien, ce n’est pas pour cette
raison que ce nom est absolument un puisqu’il y a plusieurs mots, à savoir
albus, alba, album qui en latin veulent dire blanc, blanche, etc., et si on
multiplie le genre qui est le mot, il est nécessaire qu’on multiplie l’espèce
qui est le nom ; d’où il suit que là où il y a plusieurs mots, il y a
plusieurs noms ; mais ces termes sont appelés un seul nom parce qu’ils
appartiennent à la même codéclinaison. |
[3021] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus significatum est extra essentiam
enuntiabilis ; et ideo ab eo enuntiabile non concipit unitatem vel
diversitatem sed a tempore consignificato: quia propter diversam
consignificationem temporis sunt diversae terminationes verborum et diversae
voces ; unde et diversa enuntiabilia. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que le temps qui est signifié est extérieur à l’essence de
l’énonciation ; et c’est pourquoi ce n’est pas de lui que l’énonciation
contient l’unité ou la diversité mais du temps cosignifié : car c’est à
cause d’une cosignification différente du temps qu’il y a différentes
terminaisons des verbes et différents mots ; et c’est pourquoi il y a
différentes énonciations. |
[3022] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5
ad 5 Ad quintum dicendum, quod accipiendo enuntiabile ut est res quaedam, sic
procedit argumentatio ; sed sic non est ad propositum. |
5.Il faut dire en cinquième lieu
que l’argument procède en prenant l’énonciation en tant que chose ; mais
en procédant de la sorte, il ne se rapporte pas au propos. |
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Distinctio 42 |
Distinction 42[20] -- [La condition de la toute puissance de Dieu[21]] |
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Prooemium |
Prologue[22] |
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lib. 1 d. 42 q. 1 pr. Determinato de
scientia Dei, hic Magister secundo determinat de potentia ejus ; et dividitur
in partes duas : in prima Magister ostendit universalitatem potentiae ipsius,
secundum quam omnipotens dicitur ; in secunda excludit quorumdam errorem,
potentiam Dei limitantium, 43 dist. : quidam
tamen de suo sensu gloriantes, Dei potentiam sub mensura coarctare conati
sunt. |
Ayant traité de la science de Dieu, le Maître traite ici en deuxième lieu de sa puissance et cette section se divise en deux parties : dans la première le Maître manifeste l’universalité de sa puissance selon laquelle on dit de Dieu qu’il est tout-puissant ; dans la deuxième il écarte une erreur de certains qui limitent, à la distinction 43, la puissance de Dieu : certains cependant, se glorifiant de leur jugement, se sont efforcés de réduire la puissance de Dieu à une mesure. |
Prima in duas : in prima inquirit, quare
Deus omnipotens dicatur ; in secunda quaestionem determinat, ibi : quod enim Deus omnia possit, pluribus auctoritatibus
comprobatur [1] Et dividitur in duas : in prima determinat
quaestionem tenendo alteram partem ; in secunda solvit ea quae pro parte
reliqua inducuntur, ibi : ex quibusdam autem
auctoritatibus traditur, ideo vere dici omnipotentem, quia quidquid vult
potest. [4] |
La première partie se divise elle-même en deux : dans la première il se demande pourquoi on dit de Dieu qu’il est tout-puissant ; dans la deuxième il répond à la question, là où il dit : que Dieu soit tout-puissant, cela est confirmé par de nombreuses autorités [1]. Et cette dernière se divise en deux parties : dans la première il répond à la question en prenant une des parties ; dans la deuxième il résout les difficultés qui sont introduites en faveur de la partie qui reste, là où il dit : cependant certaines autorités enseignent qu’il est véritablement tout-puissant pour cette raison qu’il peut tout ce qu’il veut. [4] |
Circa primum tria facit : primo ostendit
veritatem, scilicet quod Deus omnia possit ; secundo excludit quasdam
instantias, tres scilicet, quarum prima est de actibus corporalibus, secunda
de peccatis, tertia de passionibus, ibi : sed
quaeritur quomodo omnia posse dicatur, cum nos quaedam possimus quae ipse non
potest [2] ; tertio ex dictis concludit perfectam
omnipotentiae rationem, ibi : hic ergo
diligenter considerantibus omnipotentia ejus secundum duo apparet…[3] Ex quibusdam tamen auctoritatibus traditur, ideo
vere dici omnipotentem, quia quidquid vult potest [4]. |
Au sujet du premier point il
fait trois choses : en premier lieu il manifeste la vérité, à savoir que
Dieu peut tout ; en deuxième lieu il écarte certaines objections qui
sont au nombre de trois, dont la première porte sur les actes corporels, la
deuxième sur les péchés et la troisième sur les passions, là où il
dit : mais on se demande comment on peut dire de lui qu’il peut
tout puisque nous sommes capables de certaines choses dont Lui-même n’est pas
capable [2] ; en troisième lieu, en partant de ce qui a été
dit, il termine avec une définition parfaite de la toute-puissance, là où il
dit : ici donc, pour ceux qui examinent la question avec soin,
la toute-puissance de Dieu apparaît d’après deux… [3] Cependant
certaines autorités enseignent que la raison pour laquelle on dit
de Dieu qu’il est tout-puissant, c’est qu’il peut tout ce qu’il veut [4]. |
Hic inducit ea quae ad alteram partem
quaestionis facere videntur, quod scilicet dicatur omnipotens, quia omnia
potest facere quae vult ; et dividitur in partes tres : in prima inducit
auctoritates ad partem illam ; in secunda solvit eas, ibi : sed ad hoc potest dici [5] ; in tertia
assignat relationis multiplicitatem, ut videatur qualiter hoc etiam Deo sit
proprium, ibi : sed cave quomodo intelligas,
potest quidquid vult [6]. |
Il introduit ici les
difficultés qui semblent jouer en faveur de l’autre partie de la question, à
savoir qu’on dit de Lui qu’il est tout-puissant parce qu’il peut faire tout
ce qu’il veut ; et cette section se divise en trois parties : dans
la première partie il introduit les autorités en faveur de cette
partie ; dans la deuxième il les résout, là où il dit : mais
on peut répondre à cela [5] ; dans la troisième il assigne la
multiplicité de la relation afin de voir de quelle manière cela aussi est
propre à Dieu, là où il dit : mais prends garde à la manière
dont tu entends qu’il peut tout ce qu’il veut [6]. |
Hic est duplex quaestio. Prima est de
potentia Dei secundum se. Secunda de his quae suae potentiae subjacent. Circa
primum quaeruntur duo : 1 utrum potentia Deo conveniat ; 2 utrum in eo sit
una potentia, vel plures. |
On examine donc ici deux
questions. La première porte sur la puissance de Dieu en elle-même. La
deuxième porte sur les choses qui sont soumises à sa puissance. Au sujet de
la première on pose deux questions : 1. Est-ce que la puissance
convient à Dieu ? 2. Y a-t-il en Lui une seule
puissance ou plusieurs ? |
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Question 1 – [La puissance de Dieu en soi] |
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lib. 1 d. 42 q. 1 a.
1 tit. Utrum in Deo sit potentia. |
Article 1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ? |
lib. 1 d. 42 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod potentia Deo non conveniat. Sicut enim
potentia se habet ad actum, ita habet se primus actus ad potentiam. Sed
primae potentiae, quae est materia, non est aliquis actus qui sit de essentia
ejus. Ergo nec primi actus, qui est Deus, est aliqua potentia. |
Difficultés : 1. Il semble que la puissance
ne convienne pas à Dieu. En effet, la puissance est à l’acte ce que l’acte
premier est à la puissance. Mais pour la puissance première qui est la
matière, il n’y a pas d’acte qui fasse partie de son essence. Donc, il n’y a
pas non plus de puissance qui appartienne à l’acte premier qui est Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea,
omne quod agit per essentiam suam, [non[23]]agit
mediante aliqua potentia ; quia potentia est medium inter essentiam et
operationem. Sed Deus cum sit primum agens, non participatione alicujus, sed
per essentiam suam agit, ut Dionysius dicit, et Avicenna probat. Ergo non
convenit sibi aliqua potentia per quam agat. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
agit par son essence n’agit pas par l’intermédiaire d’une puissance car la
puissance est un intermédiaire entre l’essence et l’opération. Mais il ne
convient pas à Dieu, puisqu’il est l’agent premier et qu’il agit par son
essence et non en participant d’un autre être comme le dit Denys et le prouve
Avicenne, d’agir au moyen d’une puissance. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
omnis potentia vel est activa vel passiva, secundum philosophum. Sed Deo non
convenit potentia passiva, quia nihil potest pati, ut in littera dicitur :
nec iterum activa, quia, sicut ibidem dicitur a philosopho, potentia activa
est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud ; Deus autem
in agendo non requirit materiam in quam agat. Ergo videtur quod nullo modo
sibi potentia conveniat |
3. Par ailleurs, toute
puissance est ou bien active, ou bien passive, d’après le Philosophe [VMétaphysique,
texte 17]. Mais la puissance passive ne convient pas à Dieu puisqu’Il ne peut
rien pâtir, comme on le dit dans la Lettre ; et la puissance active non
plus ne peut lui convenir car, comme le dit au même endroit le Philosophe, la
puissance active est un principe de changement dans un autre en tant
qu’autre ; mais Dieu, lorsqu’il agit, n’exige pas une matière sur
laquelle il agit. Il semble donc que la puissance ne lui convienne d’aucune
manière. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea,
omnis potentia est principium alicujus operationis. Sed Deo non convenit
operatio, nisi quae sit sua essentia. Cum ergo suae essentiae nihil sit
principium, quia essentia neque est genita neque procedens, videtur quod
potentia sibi non conveniat. |
4. En outre, toute puissance
est le principe d’une opération. Mais en Dieu il n’y a d’opération que celle
qui est son essence. Donc, puisque rien n’est le principe de son essence car
son essence n’est pas engendrée et ne procède de rien, il semble que la
puissance ne lui convienne pas. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, Dei
potentia aut est semper conjuncta actui, aut non. Si primo modo, omnis autem
potentia conjuncta actui inducit effectum quandocumque ipsa est ; potentia
autem Dei ab aeterno fuit ; ergo et effectus ejus, scilicet creaturae, ab
aeterno sunt : quod haereticum est. Si secundo modo, omnis autem potentia non
conjuncta actui, et conjungibilis, est imperfecta, et perficitur per actum ;
ergo aliquid imperfectum erit in Deo : quod cum sit inconveniens, videtur
potentia omnino in Deo non esse. |
5. De plus, la puissance de
Dieu dans tous les cas est unie ou non à un acte. Si elle l’est, toute
puissance unie à un acte est conduit cependant à son effet tant qu’elle-même
existe ; cependant la puissance de Dieu a existé de toute
éternité ; donc son effet aussi, à savoir les créatures, ont existé de
toute éternité, ce qui est hérétique. Si elle ne l’est pas, toute puissance
qui n’est pas unie à un acte et peut lui être unie est cependant imparfaite
et trouve son achèvement par l’acte : il y aura donc quelque chose
d’imparfait en Dieu ; et puisque cela est contradictoire, il semble que
la puissance n’existe absolument pas en Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra
est quod habetur Luc. 1, 49
: fecit mihi magna qui potens est.
Et in Psalm. 88, 10 : potens es, domine, et veritas tua in circuitu tuo. |
Cependant : 1. Au contraire l’Écriture [Luc,
1, 49] nous dit : Dieu, le Tout-Puissant, a fait pour moi de
grandes choses. Et on y [Psaume 88, 10] lit
aussi : Tu es puissant, Seigneur, et ta vérité t’environne. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis
effectus producitur per potentiam causae efficientis. Sed Deus est causa
efficiens rerum. Ergo in ipso oportet potentiam ponere. |
2. En outre, tout effet est
produit par la puissance d’une cause efficiente. Mais Dieu est la cause
efficiente des choses. Il faut donc soutenir qu’il y a de la puissance en
Lui. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod nomen potentiae primo impositum fuit ad significandum
potestatem hominis, prout dicimus aliquos homines esse potentes, ut Avicenna
dicit, et deinde etiam translatum fuit ad res naturales. Videtur autem in
hominibus esse potens qui potest facere quod vult de aliis sine impedimento ;
et secundum quod impediri potest, sic minuitur potentia ejus. Impeditur autem
potentia alicujus vel naturalis agentis vel etiam voluntarii, inquantum
potest pati ab aliquo. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le nom de puissance fut imposé en premier lieu pour signifier la
puissance de l’homme, selon que nous disons que certains hommes sont
puissants, comme Avicenne le dit, et ce mot fut ensuite transféré aux choses
naturelles. Il semble cependant que celui qui est puissant chez les hommes
est celui qui peut faire ce qu’il veut des autres sans en être empêché ;
et c’est selon qu’il peut en être empêché que sa puissance se trouve à être
diminuée. Mais la puissance d’une être, qu’il s’agisse d’un agent naturel ou
d’un agent volontaire, est empêchée selon qu’il peut subir ou pâtir quelque
chose de la part d’un autre. |
Unde de ratione potentiae, quantum ad primam
impositionem sui, est non posse pati. Unde etiam illud quod non potest pati,
etsi nihil possit agere, dicimus potens ; sicut dicitur durum quod habet
potentiam ut non secetur. Et ex hoc concluditur perfecta ratio potentiae in
Deo : tum quia omnia agit, quod convenit sibi inquantum est actus primus et
perfectus (nihil enim agit nisi secundum quod est actu ens) tum quia nihil
patitur, quod convenit sibi inquantum est actus purus sine permixtione
alicujus materiae : unumquodque enim patitur ratione alicujus materialis in
ipso. |
D’où il suit que, quant à sa
première imposition, ne pouvoir pâtir fait partie de la définition de la
puissance. D’où il suit aussi que nous appelons puissant l’être qui ne peut
pâtir, même s’il ne peut rien faire ou agir ; par exemple nous appelons
dur ce qui n’a aucune puissance à être coupé. Et c’est à partir de là qu’est
conclue la définition parfaite de la puissance en Dieu : tant parce
qu’il fait tout, ce qui lui convient en tant qu’il est l’acte premier et
parfait (en effet, tout agent agit selon qu’il est un être en acte) que parce
qu’il ne pâtit ou ne subit rien, ce qui lui convient en tant qu’il est un
acte pur qui n’est mélangé à aucune matière : en effet, tout être pâtit
en raison de ce qu’il y a de matériel en lui. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod esse primam potentiam non convenit materiae secundum
principalem significationem potentiae : quia, ut dictum est, in corp. art.,
potentia primo imposita est ad significandum principium actionis ; sed secundo
translatum est ad hoc ut illud etiam quod recipit actionem agentis, potentiam
habere dicatur ; et haec est potentia passiva ; ut sicut potentiae activae
respondet operatio vel actio, in qua completur potentia activa ; ita etiam
illud quod respondet potentiae passivae, quasi perfectio et complementum,
actus dicatur. Et propter hoc omnis forma actus dicitur, etiam ipsae formae
separatae ; et illud quod est principium perfectionis totius, quod est Deus,
vocatur actus primus et purus, cui maxime illa potentia convenit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’être la première puissance ne covient pas à la matière selon
la signification première de la puissance car, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article, le nom de puissance a été imposé en premier lieu
pour signifier le principe de l’action ; mais il a été en deuxième lieu
transféré à autre chose de telle manière qu’on dise aussi de ce qui reçoit
l’action de l’agent qu’il possède de la puissance, laquelle puissance dans ce
cas est la puissance passive ; de la sorte, tout comme à la puissance
active correspond l’opération ou l’action dans laquelle la puissance active
trouve son achèvement, de même aussi ce qui correspond à la puissance passive
en tant que perfection et achèvement s’appelle acte. Et c’est pour cette
raison que toute forme s’appelle acte, même les formes séparées ; et ce
qui est le principe de toute perfection, à savoir Dieu, est appelé acte
premier et pur, et la puissance lui convient au plus haut point. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a.
1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentia importat, [ut dictum est, in Resp.
ad primum, Éd. Parme] rationem
principii actionis ; unde quidquid sit illud quod est principium agendi,
potentia dicitur, sicut calor et frigus, et hujusmodi ; et sic etiam ipsa
essentia divina, secundum hoc quod est principium operationis, potentia
vocatur, non quod potentia sit aliud ab essentia in Deo. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que la puissance implique [comme nous l’avons dit
dans la réponse à la première difficulté Éd. De Parme] la notion
de principe d’action; il suit de là que tout ce qui est principe d’action est
appelé puissance, comme la chaleur, le froid et les choses de la sorte; et en
ce sens, l’essence divine elle-même, en tant qu’elle est principe d’opération,
est appelée puissance, mais non pas dans le sens où la puissance serait autre
chose que l’essence en Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad
3 Ad tertium dicendum, quod Deo nullo modo potentia passiva convenit, sed
activa tantum. Potentiae autem activae accidit quod requirat subjectam
materiam in quam agat, inquantum est imperfecta, non potens in totam rei
substantiam : quae imperfectio a divina potentia removetur. Vel dicendum,
quod secundum Avicennam, agens aliter dicitur in naturalibus et in divinis :
agens enim naturale agit per motum : et quia omnis motus est actus existentis
in potentia, ideo requiritur materia, quae motui substernatur : divinum autem
agens agit in eo quod dat esse non per motum ; unde potentia activa est
principium operationis in aliud sicut in effectum productum, non sicut in
materiam transmutatam. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la puissance passive ne convient aucunement à
Dieu, mais seulement la puissance active. Mais il arrive à la puissance
active, en tant qu’elle est imparfaite et impuissante à agir sur toute la
substance de la chose, d’exiger comme sujet une matière sur laquelle elle
agit; mais cette imperfection doit être exclue de la puissance divine. Ou
bien il faut dire que selon Avicenne, l’agent se dit autrement pour les
choses naturelles et pour Dieu: l’agent naturel en effet agit au moyen du
mouvement et parce que tout mouvement est l’acte de ce qui est en puissance,
c’est pourquoi un tel agent exige la matière qui est comme le fondement du
mouvement; mais l’agent divin agit en ceci qu’il donne l’existence sans
recourir au mouvement; d’où il suit que la puissance active est le príncipe
d’opération dans un autre comme dans un effet produit et non comme dans une
matière transformée. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod Deus non agit operatione media, quae sit aliud ab
essentia sua ; sed suum esse est suum operari, et suum operari est sua
essentia : nihilominus tamen essentia significatur ut principium essendi ; et
eadem ratione potest significari potentia ut principium operandi, et praeter
hoc ut principium operati. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que Dieu n’agit pas par une opération intermédiaire
qui serait autre que son essence; mais son existence même est son opération
et son opération est son essence: néanmoins cependant l’essence est signifiée
comme príncipe d’existence; et pour la même raison la puissance peut être
signifiée comme príncipe d’opération et en outre comme príncipe de l’oeuvre
en tant qu’effet de l’opération. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad
5 Ad quintum dicendum, quod operatio sua est idem quod potentia sua secundum
rem ; et ideo non potest operationi suae potentia non esse conjuncta. Nec
tamen semper consequitur effectus quandocumque operatio est, quia operatio
quodammodo regulatur voluntate et sapientia ordinante ; unde effectus non
sequitur nisi ad nutum voluntatis divinae, secundum cujus dispositionem ex
operatione aeterna sequitur effectus temporalis. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que son opération, en réalité, est identique à sa puissance;
et c’est pourquoi il n’est pas possible à son opération de ne pas être unie à
sa puissance. Et cependant l’effet ne suit pas toujours à chaque fois qu’il y
a opération parce que l’opération est en quelque sorte réglée par la volonté
et par la sagesse qui ordonne; d’où il suit que l’effet ne s’ensuit qu’au gré
de la volonté divine et c’est suivant la disposition de cette dernière qu’à
partir d’une opération éternelle s’ensuit un effet temporel. |
|
|
Articulus 2 : Utrum in Deo sit tantum una
potentia. lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 tit. |
Y a-t-il en Dieu une seule puissance ? |
lib. 1 d. 42 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit tantum una potentia in Deo. Non
enim potest esse unum et idem proprium uni, et pluribus commune. Sed potentia
creandi communis est tribus personis ; posse autem generare proprium est
patri. Ergo est alia et alia potentia. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas qu’une seule puissance en Dieu. Il est impossible en effet qu’une seule
et même chose soit propre à l’un et commune à plusieurs. Mais la puissance de
créer est commune aux trois personnes ; cependant la puissance
d’engendrer est propre au Père. Ce sont donc là deux puissances différentes. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in
nobis inveniuntur quidam actus naturales, ut generare, et hujusmodi ; et
quidam voluntarii, ut aedificare domos, et hujusmodi ; et quidam animales, ut
intelligere, scire, et hujusmodi. Sed hujusmodi actus reducuntur
in nobis in diversas potentias. Cum igitur singulis praedictorum actuum
respondeat similis actus in Deo, quia dicimus ipsum scientem, creantem, et
generantem : videtur quod sit plures potentias in eo ponere, ad quas isti
actus reducuntur. |
2.
Par ailleurs, on retrouve en nous certains actes qui sont naturels, comme
engendrer et les actes de cette sorte, et d’autres qui sont volontaires,
comme construire des maisons et des actes de cette sorte, et enfin d’autres
qui sont des actes de l’âme, comme comprendre, savoir, etc. Mais de tels
actes se ramènent en nous à des puissances différentes. Donc, puisqu’à chacun
de ces actes correspond un acte semblable en Dieu, car nous disons de lui
qu’il sait, qu’il crée et qu’il engendre, il semble qu’il faille poser
plusieurs puissances en Lui auxquelles se ramènent ces actes. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a.
2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophos[24], substantiae separatae dividuntur in intellectum et
voluntatem. Non autem sicut in diversas naturas. Ergo sicut in
diversas potentias. Ergo in Deo ad minus sunt duae potentiae. |
3. En
outre, d’après les philosophes, les substances séparées se distinguent en
intelligence et en volonté, mais non pas en tant que natures différentes. Il
faut donc que ce soit en tant que puissances différentes. Donc, il y a au
moins deux puissances en Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a.
2 arg. 4 Praeterea, ratio potentiae consistit in hoc quod est esse principium
operationis. Sed quodlibet attributum divinum, [secundum propriam rationem [add. Éd. Parme] est principium operationis : quia ex
bonitate ejus fluit omnis bonitas, et ex vita ejus fluit omnis vita, et sic
de aliis, ut Dionysius tradit. Ergo sicut dicimus plura attributa, sic
debemus dicere plures potentias. |
4. De plus, la notion de
puissance consiste en ceci qu’elle est un principe d’opération. Mais tout
attribut divin [d’après la notion qui lui est propre add. Éd. de Parme] est
principe d’opération : car c’est de sa bonté que découle toute bonté, et
c’est de sa vie que découle toute vie et il en est de même pour le reste
ainsi que l’enseigne Denys. Donc, tout comme nous disons plusieurs attributs,
de même nous devons dire plusieurs puissances. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra,
secundum Augustinum, quidquid in divinis absolute dicitur, singulariter et
non pluraliter praedicatur. Sed potentia inter absoluta continetur. Ergo non sunt
plures potentiae in Deo, sed una tantum. |
Cependant : 1. Selon Saint-Augustin au
contraire, tout ce qui est attribué en Dieu d’une manière absolue, s’attribue
au singulier et non au pluriel. Mais la puissance fait partie des attributs
absolus. Il n’y a donc pas plusieurs puissances en Dieu mais une seule. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea,
secundum philosophum in Lib. de causis, omnis virtus unita plus est infinita
quam multiplicata. Sed virtus divina est maxime infinita. Ergo videtur quod
sit maxime una, nullam multitudinem [multiplicationem Éd. Parme] habens. |
2. Par ailleurs, selon le
Philosophe dans son Livre sur les Causes, toute puissance qui est
une est plus infinie que si elle est multipliée. Mais la puissance divine est
suprêmement infinie. Il semble donc qu’elle soit suprêmement une et qu’elle
ne possède aucune multiplicité [multiplication Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in Deo simpliciter et absolute dicendum est unam tantum
potentiam esse. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a en Dieu, simplement et absolument, qu'une seule puissance. |
Cum[25] enim
potentia secundum modum intelligendi sit medium inter essentiam et
operationem, ex utraque parte potest ejus unitas et diversitas pensari. Sed
tamen simpliciter unitatem et multiplicationem habet ex parte essentiae : non
quae est subjectum ejus, quia contingit in una essentia plures esse virtutes
vel potentias ; sed ex parte essentiae quae est immediatum principium actus :
sicut in igne alia est potentia qua fertur sursum, scilicet levitas, alia qua
dissolvit vel urit, scilicet caliditas ; et ex parte autem operationis
non dicitur una vel plures simpliciter, sed secundum quid : quia tunc magis
dicitur esse una potentia plurium, quam plures potentiae. Et ita cum immediatum
principium cujuslibet suae operationis sit sua essentia, quae simpliciter una
est ; ideo et potentia una est. Sed inquantum est principium operationum
distinctarum secundum rationem, accipit aliam et aliam rationem potentiae,
sicut et essentia habet plures rationes attributorum. Nec tamen ex hoc est
quod sint plures, sed tantum una potentia. |
En effet, comme la puissance
selon la manière de la comprendre est intermédiaire entre l'essence et
l'opération, son unité et sa diversité peuvent être considérées des deux
côtés. Mais cependant c’est d’une manière absolue qu’elle possède l'unité et
la multiplicité du côté de l'essence, non pas de celle qui est
son substrat, parce qu'il arrive que dans une seule essence il y ait
plusieurs pouvoirs ou puissances, mais du côté de l'essence qui est le
principe immédiat de l'acte, comme dans le feu il y a une puissance par
lequel il est porté vers le haut, c'est-à-dire la légéreté, et une autre qui
dissout ou brûle, c'est-à-dire la chaleur. Mais du côté de
l'opération la puissance ne possède pas l’unité ou la
multiplicité absolument, mais sous un certain rapport, parce qu'alors on dit
davantage qu'il y a une seule puissance pour plusieurs [opérations] que
plusieurs puissances. Et ainsi comme le principe immédiat de chacune de ses
opérations est son essence, qui est absolument une, c’est pourquoi il n’y a
aussi qu’une seule puissance. Mais en tant qu'elle est principe d'opérations
distinctes selon la raison, elle reçoit à chaque fois une définition
différente de la puissance, tout comme l'essence qui a plusieurs natures
d'attributs. Et cependant de ce fait, il n’y en a pas plusieurs, mais
seulement une. |
Potentia enim activa, quae sola in Deo
invenitur, potest dupliciter considerari : vel quantum ad essentiam
potentiae, vel quantum ad actiones quae a potentia procedunt. |
En effet, la puissance
active, qui seule se trouve en Dieu, peut être considérée de deux manières :
soit quant à l’essence de la puissance, soit quant aux actions qui procèdent
de la puissance. |
Dico autem essentiam potentiae illud quod
est immediate principium actus, in quocumque genere sit, sicut calor
principium calefactionis. Principium autem omnium divinarum operationum est
sua essentia, quia per essentiam suam agit. Unde sicut essentia sua est una
re, pluralitatem quamdam rationum habens secundum diversa attributa, ut supra
dictum est, dist. 2, qu. Unic. art. 2, ita etiam potentia Dei re est una, sed
secundum diversas rationes attributorum pluralitatem rationum accipit :
cuilibet enim attributo convenit ratio potentiae, secundum quod competit esse
principium operationis. Et quia operatio Dei est ejus essentia, ideo etiam
ipsa est una secundum rem, diversimode significata secundum diversas rationes
diversorum attributorum, et secundum diversitatem effectuum, qui simpliciter
plures sunt. |
J'appelle cependant essence
de la puissance ce qui est immédiatement principe de l’acte, en quelque genre
que ce soit, comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Mais le
principe de toutes les opérations divines est son essence, parce que c’est
par elle que Dieu agit. C’est pourquoi, de même que son essence est une en
réalité, avec une certaine pluralité de raisons selon les différents
attributs, comme on l’a dit plus haut (dist.2, quest. unique, art.2),
de même la puissance de Dieu est une en réalité, mais selon les diverses
raisons des attributs[26], elle reçoit une pluralité de
raisons ; car à chaque attribut convient la raison de puissance selon qu’il
lui convient d’être un principe d’opération. Et parce que l’opération de Dieu
est son essence, c’est pourquoi elle-même est une en réalité, mais signifiée
de différentes manières, selon les différentes raisons des différents
attributs, et selon la diversité des effets qui sont absolument multiples. |
Patet ergo quod
potentia, sive secundum essentiam suam consideretur, sive etiam per
comparationem ad divinam operationem, secundum quod in operante est, unitatem
habet ; sed multitudo realis est tantum in effectibus qui ex operatione
divina causantur. Et ideo
patet quod absolute dicendum est, potentiam divinam esse unam ; sed tamen
quod est plurium ; quia judicium de unitate rei absolute sumendum est
secundum essentiam ejus, et non secundum id quod extra est. |
Il est donc clair que la
puissance, qu’elle soit considérée selon son essence ou même par rapport à
l’opération divine, selon qu’elle est dans celui qui opère, possède l’unité :
mais la multiplicité réelle n’existe que dans les effets qui sont causés par
l’opération divine. Et c’est pourquoi il est clair qu’il faut absolument dire
que la puissance divine est une, mais cependant qu'elle se rapporte à
plusieurs opérations, parce que le jugement sur l’unité de la chose doit
absolument être tiré de son essence et non de ce qui lui est extérieur. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod potentia generativa nominat essentiale conjunctum notionali,
sicut cum dicitur, Deus generat. Unde illud quod est essentiale pertinens ad
rationem potentiae commune est tribus, sicut est potentia essendi : eadem
enim potentia pater generat, et filius nascitur, sed notio remanet propria
patri et hoc plenius patet ex dictis supra, distinct. 26, quaest. 2, art. 3. |
Solutions : 1. La puissance générative désigne ce qui concerne l'essentiel[27] joint à la notion[28], comme quand on dit que Dieu engendre. D’où il suit que ce qui est l’essentiel et appartient à la notion de puissance est commun aux trois personnes, comme la puissance d’exister : en effet, c’est par la même puissance que le Père engendre et que le Fils naît, mais la notion demeure propre au Père, et cela apparaît plus pleinement à partir de ce qui a été dit plus haut (dist.26, qu.2, art.3[29]). |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Deo idem est principium essendi et operandi ; unde sicut Deus
eodem est unus, ens, justus, et sic de aliis ; ita ipse eodem operatur actus
diversarum rationum, nos autem diversis. |
2. Il faut donc dire en
deuxième lieu qu’en Dieu le principe d’être et celui d’opérer est le même[30] ; c’est pourquoi, tout comme
c’est par le même principe que Dieu est un, qu’il existe, qu’il est juste
etc., de même c’est par le même principe que lui-même opère des actes de
natures différentes que nous opérons par des principes différents. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in omnibus aliis substantiis separatis non videtur omnino idem
esse re voluntas et intellectus ; sed quod in aliis est secundum diversitatem
realem, est in Deo secundum unitatem rei et distinctionem rationis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que dans toutes les autres substances séparées, la volonté et
l’intelligence ne semblent pas être absolument identiques en réalité, mais ce
qui dans les autres existe selon une diversité réelle existe en Dieu selon
l'unité réelle et la distinction de raison. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod attributa in Deo sunt unum re, et distinguuntur tantum ratione
et ideo nomen potentiae, et quidquid alius est nomen rei, si sit nomen primae
impositionis non potest pluraliter praedicari, ut dicantur plura attributa
esse plures potentiae, vel plures bonitates, vel aliquid hujusmodi ; sed
nomina secundae impositionis, ut attributum et hujusmodi, pluraliter
praedicantur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que les attributs en Dieu sont un en réalité et ne se distinguent que
par la raison, et c’est pourquoi le nom de puissance et tout autre nom qui
est un nom de chose, s'il est le nom de la première imposition, ne peut pas
être attribué au pluriel, pour dire que plusieurs attributs sont plusieurs
puissances, ou plusieurs bontés, ou quelque chose de la sorte ; mais les
noms de la seconde imposition, comme le terme ¨attribut¨ et les noms de cette
sorte sont attribués au pluriel. |
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Question 2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu] |
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Quaestio 2. Prooemium. lib. 1 d. 42 q. 2 pr. Deinde quaeritur de
his quae subjecta sunt divinae potentiae ; et circa hoc quaeruntur tria : 1
utrum Deus possit quidquid est alteri possibile ; 2 utrum possit facere
impossibilia ; 3 utrum sit aliquid judicandum simpliciter possibile vel
impossibile, secundum causas superiores vel inferiores. |
PrologueEnsuite on cherche ce que sont les sujets de la puissance divine, et à ce propos on cherche trois choses. 1. Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ? 2. Peut-il faire l'impossible ? 3. Faut-il juger quelque chose comme absolument possible ou impossible selon les causes supérieures ou les causes inférieures ? |
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lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 tit. Articulus 1 : Utrum Deus possit quidquid est alteri possibile. |
Article 1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ? |
lib. 1 d. 42 q. 2 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus possit quidquid alteri possibile est.
Omnis enim potentia creata est exemplata a potentia ipsius, sicut omne bonum
a bonitate ejus. Sed quidquid est in exemplato, verius et perfectius
invenitur in primo exemplari. Ergo potentia Dei se extendit ad omnia in quacumque
creata potentia potest. |
Difficultés :[31]. 1. Il semble que Dieu puisse tout ce qui est possible à un autre. Car toute puissance créée est l'image de sa puissance, comme tout bien est l'image de sa bonté. Mais tout ce qui est dans l'image se retrouve avec plus de vérité et de perfection dans le premier exemplaire ou dans son modèle. Donc la puissance de Dieu s'étend à tout ce à quoi la puissance créée peut s’appliquer. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea,
philosophus dicit, quod Deus, et etiam studiosus potest prava agere. Sed
nihil ita elongatur a potentia ejus sicut malum. Ergo videtur quod ipse omnia
possit quae creatura potest. |
2. Par ailleurs, le
philosophe dit (IV Topiques, ch. 111, 5, 126 a 37-39[32]) que Dieu, même appliqué, peut
aussi faire de mauvaises choses. Mais rien n'est si éloigné de sa puissance
que le mal. Donc il semble qu'il peut tout ce que peut la créature. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a.
1 arg. 3 Praeterea, de ratione voluntatis est, ut libertatem ad utrumlibet
habeat. Sed in Deo verissime invenitur voluntas. Ergo potest utrumlibet, et bonum et malum. |
3. En outre, il est dans la
nature de la volonté d’avoir la liberté de choisir l’une ou l’autre des
possibilités qui s’offrent à elle. Mais la volonté se trouve très
véritablement en Dieu. Donc il peut l'un et l'autre, le bien et le mal. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea,
nihil quod est laudabilitatis, ei subtrahendum est qui magnus est et
laudabilis nimis. Sed posse facere malum et non facere est laudabilitatis :
sicut dicitur Eccli. 31, 10, in laudem unius viri justi : qui potuit
transgredi, et non est transgressus ; facere mala, et non fecit. Ergo Deo
convenit. Et sic idem quod prius. |
4. De plus, rien de ce qui
est digne de louange ne doit lui être retiré à lui qui est grand et tout à
fait digne de louange. Mais pouvoir faire le mal ou ne pas le faire est digne
de louange, comme le dit l'Écriture [Ecclésiate, 31, 10], en
louange à un homme juste : «Il a pu pécher et ne l'a pas fait, faire
le mal et il ne l'a pas fait. » Donc cela convient à Dieu. Et ainsi
il faut conclure comme nous l’avons fait plus haut. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra,
sicut Deus non potest non esse Deus, ita non potest esse imperfectus. Sed
quaedam dicitur creatura posse sua infirmitate vel imperfectione sicut pati,
mori, et hujusmodi. Ergo videtur quod Deus non omnia possit quae creatura
potest. |
Cependant : 1. Au contraire, tout comme
Dieu ne peut pas ne pas être Dieu, de même il ne peut pas être imparfait.
Mais on dit qu’une créature peut certaines choses par sa faiblesse ou son
imperfection, comme pâtir, mourir, etc. Donc il semble que Dieu ne peut pas
faire tout ce que la créature peut faire. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
summum bonum non potest esse causa alicujus mali, sicut nec summe calidum
causa alicujus frigoris. Sed Deus est summe bonus. Ergo nullum malum facere
potest. Creatura autem hoc potest. Non ergo quidquid creatura potest, et ipse
Deus potest. |
2. Le bien suprême ne peut
pas être la cause d'aucun mal, tout comme ce qui est suprêmement chaud ne
peut pas être cause du froid. Mais Dieu est suprêmement bon. Donc il ne peut
faire aucun mal. Mais la créature le peut. Donc Dieu n’est pas capable de
tout ce dont la créature est capable. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quidquid perfectionis in creatura est, totum est exemplariter
eductum ex perfectione creatoris ; ita tamen quod illam perfectionem
imperfectius creatura habet quam in Deo sit[33]. Et ideo potentia creaturae
inquantum deficit a repraesentatione divinae potentiae, deficit a perfecto
posse. Unde quod attribuitur sibi secundum quod est in tali gradu
participata, non oportet quod divinae potentiae attribuatur. Sicut etiam
dicimus essentiam lapidis exemplatam a divina essentia, nec tamen dicimus
Deum esse lapidem ; ita etiam non dicimus Dei potentiam esse potentiam
ambulandi vel patiendi, quasi proximum principium ambulationis et passionis,
ita quod ipse ambulet vel patiatur. |
Corps de l’article : Je réponds que tout ce qu’il y a de perfection dans la créature, procède entièrement de la perfection du créateur comme d’un modèle, de telle manière cependant que la créature possède cette perfection de façon moins parfaite qu'elle n'est en Dieu. Et ainsi la puissance de la créature, en tant qu'elle est une faible représentation de la puissance divine, est loin d’être une puissance parfaite. C'est pourquoi ce qui lui est attribué selon qu’elle est participée en un tel degré, ne doit pas être attribué à la puissance divine. Tout comme nous disons que l'essence de la pierre est image de l'essence divine et que nous ne disons pas pour autant que Dieu est une pierre, de même aussi nous ne disons pas que la puissance de Dieu est la puissance de marcher ou de pâtir comme principe prochain de la marche ou de la passion, de telle manière que lui-même marcheait ou pâtirait. |
Sciendum tamen, quod gradus potentiarum,
sicut et naturarum, divina dispositione ordinati sunt secundum quod una plus
vel minus deficit a perfectione divinae potentiae. Et ideo videndum est quod
quamvis nullus actus proprius harum potentiarum secundum gradus determinatos
conveniat potentiae divinae sicut principio proximo, tamen omnes actus
proprii harum potentiarum egredientes ab eis secundum rationem ordinis in quo
constitutae sunt reducuntur in Deum sicut in causam primam. Unde quamvis non
dicamus quod Deus possit ambulare vel pati, dicimus tamen quod creat
ambulationem et passionem in aliis. Sed actus qui egrediuntur a determinatis
potentiis praeter dictam rationem ordinis nullo modo in causalitatem divinae
potentiae reducuntur ; non enim dicimus quod possit peccare, nec in aliis peccatum
facere. |
Il faut savoir cependant que
les degrés dans les puissances, comme ceux des natures, ont été ordonnés par
la disposition divine, selon que l’une est plus ou moins déficiente par
rapport à la perfection de la puissance divine. Et c’est pourquoi il faut
voir que bien qu’aucun acte plus propre de ces puissances, selon les degrés
déterminés, ne convienne à la puissance divine comme à son principe le plus
proche, cependant tous les actes propres de ces puissances, qui sortent
d’elles selon la raison de l’ordre dans lequel elles ont été constituées, se
ramènent à Dieu comme à leur cause première. D’où il suit que bien que nous
ne disions pas que Dieu peut marcher ou pâtir, nous disons cependant qu'il
crée la marche ou la passion dans les autres. Mais les actes qui sortent de
puissances déterminées en dehors de la raison de l'ordre dont nous venons de
parler ne se ramènent en aucune manière à la causalité de la puissance divine
; nous ne disons pas en effet qu'il puisse pécher, ni qu’il puisse provoquer
un péché dans les autres. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a.
1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, secundum quosdam, quod ly prava accipiendum est materialiter, ut
sit sensus : Deus potest facere prava, idest quae modo prava sunt, quae tamen
si ipse faceret, prava non essent. Vel dicendum quod loquitur
conditionaliter, ut intelligatur, si vellet ; cujus conditionalis et
antecedens est impossibile, et consequens ; et hoc non est inconveniens,
sicut haec : si centum sunt minus quam quinque, sunt minus quam decem. |
Solutions : 1. Et par là apparaît la
réponse à la première difficulté. 2. Il faut dire en deuxième
lieu que selon certains, l’expression ¨mauvaises choses¨ doit s’entendre
matériellement de manière à signifier : Dieu peut faire de mauvaises choses,
c'est-à-dire des choses qui sont maintenant mauvaises, de telle manière
cependant que s'il les faisait lui-même, elles ne seraient plus mauvaises. Ou
bien encore il faut dire que le Philosophe parle ici d’une manière
conditionnelle de manière à ce qu’on entende : ¨s'il le voulait¨. Et à
la fois l’antécédent et le conséquent de cette conditionnelle sont
impossibles et cela ne pose pas de difficulté, comme dans le cas
suivant : si cent était un nombre plus petit que cinq, il serait aussi
plus petit que dix. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod posse peccare, secundum Anselmum et Boetium, non pertinet ad
libertatem voluntatis ; sed magis est conditio voluntatis deficientis
inquantum est ex nihilo. Sed in hoc attenditur ratio libertatis, quod possit
hoc facere vel non facere, aut hoc vel aliud facere. |
3. Pouvoir pécher, selon
Saint-Anselme [Du Libre Arbitre, ch. 1, col. 489] et Boèce [V De
la Consolation, prose II, col. 836, t. 1], ne convient pas à la liberté
de la volonté, mais est plutôt la condition d’une volonté déficiente en tant
qu'elle vient du néant. Mais la notion de liberté se vérifie en ceci qu'il
est possible de faire ceci ou ne pas le faire, ou faire ceci ou autre chose. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod aliquid est laudabile inferiori naturae, quod in superiori
vituperabile esset ; sicut esse ferox in cane et leone est laudabile, sed in
homine vituperabile : ita et non peccare cum possit, est laus hominis, sed
blasphemia Dei, si de ipso dicatur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que quelque chose est louable dans une nature inférieure qui
est condamnable dans une nature supérieure ; en effet, tout comme il est
louable pour le chien ou le lion mais condamnable pour l’homme d’être cruel,
de même il est louable pour l’homme de ne pas pécher alors qu’il le peut,
mais dire cela de Dieu est blasphématoire. |
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Articulus 2 : Utrum Deus possit quae sunt
impossibilia naturae. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 tit. |
Article 2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la nature ? |
lib. 1 d. 42 q. 2 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ea quae naturae sunt impossibilia, Deus
non possit. Sicut enim dicit Commentator, in 8 Metaph., omnis alteratio est
ab aliquo agente corporali. Sed Deus est agens incorporale. Ergo videtur quod
nulla alteratio a Deo possit fieri in creatura inferiori, nisi mediante motu
superioris corporis, quod est primum alterans non alteratum. Sed mediante
illo motu nihil impossibile naturae fieri potest. Ergo Deus nihil naturae
impossibile facere potest. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne peut
pas faire ce qui est impossible à la nature. Car, comme le dit le
Commentateur[34], [VIII Métaphysique,
texte com. 4] tout changement vient d'un agent corporel. Mais Dieu est un
agent incorporel. Donc il semble qu'aucun changement ne peut venir de Dieu
dans une créature inférieure, si ce n’est par l'intermédiaire du mouvement du
corps supérieur qui est le premier moteur non mû. Mais par
l'intermédiaire de ce mouvement il ne peut rien faire qui soit impossible à
la nature. Donc Dieu ne peut rien faire d'impossible à la nature. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea,
omnis impossibilitas vel necessitas quae est in propositionibus, reducitur ad
hoc primum principium, quod est impossibile simul affirmare et negare,
secundum philosophum. Sed hoc dicitur Deus non posse quod affirmatio et
negatio sint simul vera. Ergo nullum impossibile naturae facere potest. |
2. Par ailleurs, toute
impossibilité ou nécessité qui est dans les propositions se ramène à ce
premier principe, à savoir qu'il est impossible d'affirmer et de nier en même
temps, selon le Philosophe [V Métaphysique, texte 9]. Mais cela
veut dire que Dieu ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient
simultanément vraies. Donc il ne peut faire aucune chose qui est impossible à
la nature. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea,
magis est impossibile quod est impossibile per se, quam quod est impossibile
per accidens. Sed impossibile per accidens Deus facere non potest. Ergo nihil
eorum quae per se sunt impossibilia. Probatio mediae. Deus non potest facere
quod illud quod est praeteritum non fuerit, ut probatur auctoritate Hieronymi
qui dicit, quod cum cetera Deus possit non potest de corrupta facere virginem
; et per Augustinum, et per philosophum ubi Agathonem commendat dicentem :
hoc solo privatur Deus ingenita facere quae facta sunt. |
3. En outre, ce qui est
impossible par soi est plus impossible que ce qui est impossible par
accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident. Il
ne peut donc rien faire de ce qui est impossible par soi. Preuve de la
mineure : Dieu ne peut pas faire que ce qui est passé n'ait
pas existé, comme le prouve l'autorité de Saint-Jérôme [Lettre XXII, Sur
la Conservation de la Virginité à Eustache, & 5, col. 397,
t. 1] qui dit que « Dieu, qui peut tout, ne peut pas faire d’une
femme séduite une femme qui ne l’a pas été.» et par celle de
Saint-Augustin [XXVI, Contre Faust, ch. V, col. 481,
t. VIII et par le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11] où
Agathon confie que : « Il y a une seule chose qui soit impossible à
Dieu : faire que ce qui a été fait n’ait pas été fait. ». |
Sed praeteritum non fuisse, non est
impossibile nisi per accidens, quia hoc ipsum quod praeteritum est, prius
quam fieret, contingens erat non esse, ut Socratem currere. Ergo non potest
facere illud quod est impossibile per accidens. |
Mais que le passé n'ait pas
existé, cela n'est impossible que par accident, parce que cela même qui est
passé, avant de se produire, pouvait ne pas exister, comme le fait pour
Socrate de courir. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par
accident. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea,
secundum Augustinum, Deus non potest facere aliquid contra rationes quas
primitus indidit ; et in quadam Glossa ad Rom. 11 dicitur, quod Deus cum sit
auctor naturae, nihil contra naturam facit. Sed ea quae sunt naturae impossibilia,
videntur contra naturam esse. Ergo nihil horum Deus facere potest. |
4. Selon Augustin (La
Genèse au sens littéral, VI, 14) Dieu ne peut pas faire
quelque chose contre les raisons qu'il a d'abord induites, et dans une
certaine glose à Rm. 11[35] il est dit : que, comme Dieu
est l'auteur de la nature, il ne fait rien contre elle. Mais ce qui est
impossible à la nature, semble être contre elle. Donc Dieu ne peut rien faire
de cela. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 5 Sed contra,
qui omnia dicit, nihil excludit. Sed in littera dicitur et probatur, quod
Deus omnia potest. Ergo ab ejus omnipotentia impossibilia non excluduntur. |
Cependant : 5. Qui dit tout n'exclut
rien. Mais dans La Lettre il est dit et prouvé que Dieu peut
tout. Donc l’impossible n'est pas exclu de sa toute-puissance. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea,
Hilarius dicit, quod plus potest Deus facere quam nos possumus dicere, ut
habitum est supra, 19 dist. : quod probatur etiam ex hoc quod habetur Luc. 1,
37 : non erit impossibile apud Deum omne verbum. Sed nihil ita est
impossibile quin nos dicere possimus, etiam contingere simul affirmare et
negare ; quod quidam philosophi dixerunt. Ergo videtur quod omnia hujusmodi
Deus possit facere. |
6. En outre, Saint-Hilaire
dit que Dieu peut faire davantage que ce nous pouvons dire, comme nous
l’avons établi plus haut à la distinction 19. ; ce qui est prouvé aussi
à partir de ce que nous en dit l’Écriture [Luc 1, 37] : «Aucune
parole ne sera impossible à Dieu». Mais rien n'est impossible à ce point
que nous ne puissions pas le dire, et même qu’il est possible d’affirmer et
de nier simultanément, ce que certains philosophes ont soutenu. Il semble
donc que Dieu puisse faire toutes les choses de cette sorte. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea,
magis distat Deus et homo, quam duo contraria. Sed Deus univit humanam
naturam divinae. Ergo multo magis potest facere quod duo contraria sint simul
in eodem ; ex quo sequitur quod affirmatio et negatio sint simul vera ; et si
hoc potest, omnia potest. |
7. De plus, il y a plus de
distance entre Dieu et l'homme qu’entre deux contraires. Mais Dieu a uni la
nature humaine à la nature divine. Il peut donc bien davantage faire que deux
contraires existent simultanément dans un même être; d’où il s’ensuit que
l'affirmation et la négation sont simultanément vraies. Et s'il peut cela, il
peut tout. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea,
sicut caecitas est contraria dispositio visioni, ita virginitas conceptui.
Sed Deus fecit ut virgo manens virgo conciperet, et mater esset. Ergo potest
facere ut caecus manens caecus visum habeat : et sic idem quod prius. |
8. Par ailleurs, tout comme
la cécité est une disposition contraire à la vision, de même la virginité est
contraire à la conception. Mais Dieu a fait qu'une vierge demeure vierge
après avoir conçu et être devenue mère. Il peut donc faire que l'aveugle
demeure aveugle après avoir retrouvé la vue : la conclusion sera donc la
même que la précédente. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod posse importat respectum medium inter potentem et possibile,
sicut scire inter scientem et scibile : et ideo aliquid posse potest negari
ex parte potentis, et aliquid ex parte possibilis. Nullum autem posse quod
sine imperfectione est, negatur de Deo ex parte ipsius Dei potentis, sed
negatur ab eo ex parte ejus posse defectivum, quod non est pure posse, sed
admixtum cum non posse ; quia potentia ejus defectum habere non potest. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que le pouvoir établit un rapport intermédiaire entre celui qui peut et le possible, tout comme le fait le savoir entre celui qui sait et l’objet de science; et c'est pourquoi un pouvoir peut être nié du côté de celui qui peut tout comme il peut être nié aussi du côté du possible. Mais aucun pouvoir qui est sans imperfection n’est nié de Dieu du côté de sa puissance même, mais il est nié de Lui que de son côté son pouvoir serait défaillant, lequel ne serait pas un pur pouvoir, mais un pouvoir mélangé à du non-pouvoir ; car la puissance de Dieu ne peut être défaillante. |
Unde non conceditur quod ipse possit
peccare, vel aliquid hujusmodi. Negatur etiam quandoque Deus aliquid posse ex
parte ipsius possibilis, quod nullo modo rationem possibilis habere potest :
et hoc dicimus impossibile esse per se. Et cujusmodi sit hoc, investigandum
est. |
C'est pourquoi on ne concède
pas qu'il puisse pécher, ou autres choses de ce genre. On nie aussi parfois
que Dieu puisse quelque chose du côté du possible qui ne peut en aucune
manière avoir raison de possible, et nous disons de cela que c’est de
l’impossible par soi. Et il faut chercher à savoir de quelle sorte est cet
impossible. |
Sciendum igitur, quod omnis potentia vel est
ad esse vel ad non esse, sicut potentia quae est ad corrumpendum. Unde
quidquid non potest habere rationem entis vel non entis, illud non potest
esse possibile : et ideo hoc quod est idem simul esse et non esse, est in se
impossibile : quia quod est ens et non ens, neque est ens neque non ens. Et
ideo dicitur Deus hoc facere non posse, non propter defectum potentiae ejus,
sed quia hoc deficit a ratione possibilis ; sicut dicitur non scire falsum
quia [Éd. Parme quod] a ratione scibilis deficit, et per consequens dicitur
non posse facere omne illud in quo contradictio implicatur : et propter hoc
non potest facere quod illud quod praeteritum est non fuerit ; quia quod est,
necesse est esse dum est, et impossibile est non esse tunc dum est, et cum
ista necessitate et impossibilitate in praeteritum transit ; et hoc est quod
Augustinus dicit : « si quis dicit : Deus, quia omnipotens est, faciat
ut quae facta sunt, non fuerint ; non videt se hoc dicere : faciat ut quod
verum est, eo ipso quod verum est, non sit ». |
Il faut donc savoir que toute
puissance est ordonnée soit à de l'être soit à du non-être, comme c’est le
cas pour la puissance qui est ordonnée à corrompre. D’où il suit que tout ce
qui ne peut avoir raison d'étant ou de non-étant ne peut pas être possible :
et c’est pourquoi la même chose qui serait simultanément de l’être et du non
être serait en elle-même impossible, parce que ce qui est étant et non-étant,
n'est ni étant ni non-étant. Et c’est pourquoi on dit que Dieu ne peut pas
faire cela, non pas à cause d’un défaut de sa puissance, mais parce que cela
est contraire à la nature du possible ; de même on dit qu’il ne connaît pas
le faux, parce qu’il [lequel Éd. de Parme] est dépourvu de la
nature de l’objet connaissable[36], et par conséquent on dit de Lui
qu'il ne peut pas faire tout ce en quoi est impliquée une
contradiction : et c’est pour cette raison qu’il ne peut pas faire que
ce qui est passé n'ait pas existé, parce qu’il est nécessaire que ce qui
existe existe, tant qu'il existe et il lui est impossible de ne pas exister
tant qu'il existe, et c’est avec cette nécessité et cette impossibilité qu’il
passe dans le passé. Et c'est ce que dit Augustin (Contre Fauste,
XXVI, ch. 5, col. 481, t. VIII) : « Si quelqu'un dit :
parce que Dieu est tout puissant, qu'il fasse que ce qui a été fait n'ait pas
été, il ne voit pas qu’il dit ceci: qu'il fasse que ce qui est vrai, du
fait même que cela est vrai, ne le soit pas ». |
Et ex hoc sequitur ulterius quod nullum
eorum possit in quibus contrarium praedicati est in definitione subjecti, ut
quod faciat hoc, scilicet hominem non esse rationalem, vel triangulum non
habere tres lineas. In hoc ipso enim quod ponitur triangulus, ponitur tres
lineas habere : unde hoc est simul habere tres et non habere. |
Et il suit de là par
conséquent qu’il ne peut aucune des choses dans lesquelles le contraire du
prédicat propre à un sujet se retrouverait dans la définition du sujet, de
telle manière qu’il ferait par exemple que l'homme ne serait pas raisonnable,
ou que le triangle n'aurait pas trois côtés. Car du fait même qu’on pose
l’existence d’un triangle, on pose qu'il a trois côtés. Et c'est pourquoi
faire cela reviendrait à dire que le triangle, simultanément, possède trois
côtés et ne possède pas trois côtés. |
Et ex hoc ulterius sequitur quod non possit
facere esse aliqua opposita simul in eodem ; quia in definitione unius
contrarii est privatio alterius, et in definitione privationis est negatio,
sicut prius est in posteriori. Sed quidquid in se non repugnat rationi entis
vel rationi non entis, hoc Deus potest facere ; sicut caelum non esse, vel
esse alium mundum, vel inducere visum prius caeco, et hujusmodi. Haec enim
non sunt in se impossibilia, sed alicui. |
Il en découle ensuite que
Dieu ne peut pas faire que des opposés existent simultanément dans un même
sujet, parce que dans la définition d'un contraire il y a la privation de
l'autre et dans la définition de la privation il y a la négation, tout comme
l’antérieur est dans le postérieur. Mais Dieu peut faire tout ce qui ne
s'oppose pas en soi à la nature de l'être ou à celle du non-être ; par
exemple il peut faire que le ciel n'existe pas, ou qu’il existe un autre
monde ou il peut donner la vue à celui qui était aveugle, etc. Ces choses en
effet ne sont pas impossibles en soi, mais à certains seulement. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod posset exponi, quod hoc non potest fieri secundum ordinem
naturalis operationis, quamvis possit esse per actionem agentis supra
naturam, nisi esset contra intentionem ejus qui haec expresse de Deo inducit
: et ideo in hoc erravit, nec ejus auctoritas recipienda est : quia hujus
contrarium etiam philosophi tradunt. Dicit enim Avicenna, quod materia magis
obedit principiis separatis et conceptionibus eorum, quam contrariis
agentibus in natura. Sed quidquid sit de aliis, hoc de Deo firmissime
tenendum est, qui virtutem suam caelo non alligavit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on pourrait expliquer que cela ne peut pas se produire selon l'ordre de l'opération naturelle, quoique cela soit possible par l'action d’un agent surnaturel, à moins que ce soit contre l'intention de celui qui l'a introduite expressément de Dieu ; et c'est pourquoi le Commentateur s'est trompé à ce sujet et on ne doit pas accepter son autorité, car même les philosophes ont enseigné le contraire de ce qu’il dit. Avicenne [Métaphysique II, 3] dit en effet que la matière obéit plus aux principes séparés et à leurs conceptions, qu'aux agents contraires présents dans la nature. Mais pour tout ce qui est du reste, il faut s’en tenir très fermement à cela au sujet de Dieu qui n’a pas lié sa puissance au ciel. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod secundum hoc quod aliquid est impossibile, reducitur in illud
principium : unde quod est impossibile per se, includit illud [om. Illud Éd.
Parme] principium in se : et tale impossibile non potest ipse Deus facere, ut
ex dictis, in corp. art., patet ; et quod est impossibile alicui, includit
dictum principium in ordine sui ad illud, sicut patet cum dicitur, quod
impossibile est mortuum reviviscere ; vivere enim per se possibile est, sed
in corpore mortuo non est potentia ad hunc effectum inducendum, et ex hoc est
impossibile. Unde si poneretur posse vivere ex sua virtute, simul poneretur
ejusdem rei habere potentiam et impotentiam ; nec hoc facit Deus quando
mortuum resuscitat, ut corpus per propriam potentiam vivendi vivat, sed per
potentiam quam sibi confert. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que d’après cela, l’impossibilité d’une chose se ramène à ce principe[37] : c'est pourquoi ce qui est impossible par soi inclut en soi ce [ce om. Éd. de Parme] principe, et Dieu lui-même ne peut pas faire un tel impossible, comme on le voit à partir ce qui a été dit dans le corps de l'article ; et ce qui est impossible à quelqu'un inclut ce principe dont on a parlé dans son rapport à lui, comme on le voit quand on dit qu'il est impossible à un mort de revivre ; car vivre en effet est possible par soi, mais dans le corps qui est mort il n'y a pas la puissance de le conduire à cet effet, et de ce fait il lui est impossible de vivre. Et il suit de là que si on pensait qu'il puisse vivre par sa propre puissance, on soutiendrait simultanément qu'il appartient à la même chose d’avoir la puissance et l'impuissance à l’égard d’un même effet ; et cela Dieu ne le fait pas quand il ressuscite un mort, c’est-à-dire de telle manière qu’il fait que le corps vive par sa propre puissance de vivre, mais par la puissance qu'il lui confère. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod praeterita non fuisse, potest accipi ut impossibile per
accidens, et ut impossibile per se. Si enim accipiatur ipsa res quae dicitur
praeterita, ut cursus Socratis, non habet impossibilitatem nisi per accidens
suum, quod est extra rationem ejus, scilicet praeteritionem : et ipsa res in
se considerata non dicitur Deo impossibilis. Potest enim hanc rem facere,
scilicet quod Socrates non currat. Si autem accipiatur secundum quod stat sub
hoc accidente quod est praeteritio, sic est impossibile per se : et hoc
dicitur Deus facere non posse ; et simile est de hoc quod dicitur : Socratem
non currere dum currit est impossibile : quia ratione adjuncti habet
impossibilitatem per se. |
3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que le passé n'a pas existé, cela peut être pris soit comme impossible par accident, soit comme impossible par soi. Car si on prend la chose même dont on dit qu’elle est passée, par exemple la course de Socrate, elle n'a d'impossibilité que par son accident qui est en dehors de sa nature, à savoir le fait d’être passée; et on ne dit pas que la chose même, considérée en elle-même, est impossible à Dieu. Car Dieu peut faire cette chose, à savoir que Socrate ne coure pas. Mais si on considère cette chose selon qu’elle se tient sous cet accident qui est le passé, elle est alors impossible par soi ; et on dit alors que Dieu ne peut pas faire cela ; et il en est de même pour ce qu’on dit ici : il est impossible à Socrate de ne pas courir alors même qu’il court, parce qu'en raison de ce qui est ajouté il a une impossibilité par soi. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Deus materiae primae indidit duplices rationes, scilicet
causales, vel obedientiales, per quas omnes natae sunt obedire Deo, ut fiat
ex eis quidquid ei placuerit. Indidit etiam rationes seminales, scilicet
principia activa, per quae effectus naturales exercentur ; et contra has
aliquando dicitur facere in miraculis quae facit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que Dieu a introduit deux raisons dans la matière première ; à savoir
les raisons causales ou obédientielles, par lesquelles toutes sont destinées
à obéir à Dieu, pour qu'il en fasse ce qui lui aura plu. Il a induit aussi
des raisons séminales, à savoir des principes actifs, par lequels les effets
naturels sont exercés, et contre lesquels on dit parfois qu'il agit dans les
miracles qu'il fait. |
Sed proprie loquendo tunc etiam contra eas
non facit, sed praeter eas, vel super eas. Super eas, quando inducit effectum
in quem natura nullo modo attingere potest, sicut forma gloriae corporibus gloriosis.
Praeter eas facit, quando effectum quem natura inducere potest, sine officio
causarum naturalium producit, ut quando aquam in vinum convertit, Joan. 2. |
Mais à proprement parler,
même alors il ne le fait pas contre elles, mais à côté d'elles, ou au-dessus
d'elles. Au-dessus, quand il produit un effet que la nature ne peut atteindre
en aucune manière, comme la forme de la gloire pour les corps glorieux. Il
les fait à côté d'elles, quand il produit un effet que la nature peut
produire, et qu’il le produit sans l'aide des causes naturelles, comme quant
il a changé l'eau en vin (Jn 2). |
Sed contra eas non facit ; quia non facit[38] ut causa naturalis activa manens eadem
secundum speciem, effectum essentialem alium habeat, ut quod ignis manens
ignis infrigidet[39] ; sicut non potest esse quod
simul sit eadem et alia. Sed bene potest destruere unam naturam, et facere
aliam ; abjicere unam formam a materia, et inducere aliam : sic enim et
contra naturam aeris facit ignis, quando ipsum corrumpit. |
Mais il ne le fait pas contre
elles, parce qu'il ne fait pas [ni ne peut faire add. Éd. de Parme]
que la cause naturelle active demeurant la même selon l’espèce, produise un
effet essentiellement différent, par exemple que le feu, tout en demeurant
feu, refroidisse, tout comme il est impossible que cette cause soit
simultanément la même et une autre. Mais il peut bien détruire une nature et
en faire une autre, rejeter une forme de la matière et y en introduire une
autre : en ce sens en effet il fait le feu contre la nature de l’air
lorsqu’il le corrompt. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sub distributione omnium non potest accipi nisi ens vel non
ens. Sed ea quae diximus Deum non posse, neque sunt entia simpliciter, neque
non entia. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’il n’y a que l’étant et le non-étant qui puissent diviser tout ce qui
existe. Mais ce que nous avons dit que Dieu ne peut pas, ce ne sont pas des
étants purement et simplement, ni des non-étants. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod dicta impossibilia quamvis ore proferri possint, tamen corde
concipi non possunt, ut probat philosophus in 5 Metaph. ; unde non proprie et
perfecte sunt verba. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que bien que ce que nous avons dit être impossible puissent être
prononcé extérieurement par la bouche, cela ne peut cependant être conçu
intérieurement par l’esprit, comme le Philosophe [Métaphysique, V,
texte 16] le prouve; et c'est pourquoi, à parler proprement et parfaitement,
ce ne sont pas là des paroles. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod Deus non conjunxit humanam naturam divinae, ita quod esset
eadem natura, vel quod una persona secundum idem esset Deus et homo, sed
secundum aliud et aliud ; et sic non est dubium quod contraria in eodem
conjungere potest ; quia et natura hoc facit. |
7. Il faut dire en septième
lieu que Dieu n'a pas joint la nature humaine à la nature divine, de telle
manière qu'elle serait une même nature, ou qu'une seule et même personne
serait Dieu et homme sous le même rapport, mais selon des rapports différents
; et en ce sens il n'y a pas de doute qu’il peut unir les contraires dans un
même être, parce que la nature elle-même le fait. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum
dicendum, quod non est simile. Quia caecitas est privatio ipsius visus, unde
includit in se negationem ejus : unde non potest facere Deus quod simul sit
caecus et videns. Sed in ratione virginitatis non includitur negatio
maternitatis, sed negatio conjunctionis ad virum ; et ideo ratio non
procedit. |
8. Il faut dire en huitième
lieu que l’analogie soulevée ici ne s’applique pas . Parce que la cécité est
la privation de la vue elle-même, elle inclut en elle sa négation :
c'est pourquoi Dieu ne peut pas faire qu'il soit simultanément aveugle et
voyant. Mais la négation de la maternité n'est pas incluse dans la notion de
virginité, mais cette dernière est la négation de l’union à un homme ;
et c’est pourquoi l’argument ne tient pas. |
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Articulus 3 : Utrum aliquid
sit judicandum impossibile, secundum causas inferiores lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3
tit. |
Article 3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes inférieures ? |
lib. 1 d. 42 q. 2 a.
3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod aliquid non sit judicandum impossibile
simpliciter secundum causas inferiores. Super illud 1 ad Corinth. 1, 20 :
stultam fecit Deus sapientiam hujus mundi, ita dicit Glossa : sapientiam
hujus mundi, Deus stultitiam fecit, ostendens possibile quod ipsa impossibile
judicabat. Sed sapientia hujus mundi judicat aliquid impossibile esse
secundum causas inferiores. Ergo videtur quod hoc stultum sit dicere. |
Difficultés : 1. Il semble que quelque chose ne doive pas être jugé impossible simplement selon les causes inférieures ; A ce sujet, l’Écriture [I Corinthiens,1, 20 : « Dieu a rendu folle la sagesse de ce monde ». La glose dit : «La sagesse de ce monde, Dieu l’a rendue folle, en manifestant comme possible ce qu’elle jugeait impossible. ». Mais c’est d’après les causes inférieures que la sagesse de ce monde juge que quelque chose est impossible. Donc il semble qu’il soit fou de le dire. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 2. Praeterea,
constat quod causa inferior impium justificare non potest. Sed tamen non
dicimus hoc esse impossibile, et similiter nec mundum fore antequam esset,
quem natura facere non potest. Ergo videtur quod non sit aliquid dicendum
impossibile ex eo quod causae inferiori est impossibile. |
2. Par ailleurs, il est clair
qu'une cause inférieure ne peut pas justifier l'impie. Mais cependant nous ne
disons pas que cela est impossible, et de la même manière le monde ne sera
pas avant d'être, lui que la nature ne peut pas faire[40]. Il semble donc qu’il ne faut pas
dire d’une chose qu’elle est impossible du fait qu’elle est impossible pour
la cause inférieure. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea,
constat quod illuminare caecum et dare virgini conceptum, naturae est
impossibile ; et tamen ista fieri potuerunt, et facta sunt. Ergo videtur quod
secundum causas inferiores aliquid impossibile judicandum non sit. |
3. En outre, il est clair que
rendre la vue à un aveugle et donner à une vierge de concevoir est impossible
à la nature, et cependant cela a pu être fait et a été fait. Il semble donc
que ce n’est aps d’après les causes inférieures que quelque chose doit être
jugé impossible. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra,
nihil Deo est impossibile, ut dicitur Luc. 1. Si ergo secundum causam
superiorem tantum aliquid impossibile diceretur et possibile, nihil impossibile
foret. Ergo videtur quod sit judicandum de impossibilitate secundum causas
inferiores. |
Cependant : 1. Rien n'est impossible à
Dieu, comme le dit l’Écriture [Luc 1]. Si donc on disait que
quelque chose est impossible et possible uniquement selon la cause supériere,
il n'y aurait rien d'impossible. Donc il semble qu'il faut juger de
l'impossibilité d'après les causes inférieures. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea,
necessarium et impossibile sunt contraria. Sed aliquid non dicitur
necessarium propter necessitatem causae primae, ut supra dictum est, dist.
38, quaest. Unic., art. 5, quia sic omnia essent necessaria. Ergo nec
possibile et impossibile judicandum est secundum superiores causas. |
2. De plus nécessaire et
impossible sont des contraires. Mais on ne dit pas que quelque chose est
nécessaire en raison de la nécessité de la cause première, comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 38, quest. unique, art. 5], parce qu'ainsi tout serait
nécessaire. Donc il ne faut pas juger du possible et de l'impossible selon
les causes supérieures. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod impossibile est dupliciter. Aliquid enim est ex se
impossibile, sicut dictum est, art. antec., de his quae contradictionem
includunt ; et haec judicantur impossibilia absolute, non per respectum ad
causas superiores vel inferiores. |
Corps de l’article : Il y a deux sortes d'impossibilité. Certaines choses en effet sont impossibles de soi, comme nous l’avons dit dans l'article précédent pour celles qui contiennent une contradiction et ce sont celles qu’on juge être impossibles absolument, et non par rapport aux causes supérieures ou inférieures. |
Aliquid autem est impossibile, quod quantum
in se est non habet rationem impossibilis, sed in ordine ad aliquid ; et in
istis distinguendum est ; quia possibile potest dici secundum potentiam
activam et passivam ; et utroque modo dicitur aliquid possibile et
impossibile simpliciter per comparationem ad suam causam proximam activam vel
materialem, cujus conditiones effectus sequitur, ut prius dictum est. |
Mais d’autres choses sont
impossibles qui n’ont pas de soi raison d’impossibilité, mais qui sont
impossibles seulement par rapport à quelque chose, et parmi elles il faut
distinguer : car le possible peut se dire selon la puissance active et la
puissance passive ; et c’est des deux manières qu’une chose est dite possible
ou impossible simplement par rapport à sa cause prochaine active ou
matérielle, dont l'effet suit les conditions, comme nous l’avons dit
précédemment. |
Verbi gratia : materia statuae remota, est
terra et aqua : materia proxima cuprum et lignum. Dicimus autem ex cupro
posse fieri statuam, non autem ex terra : hoc enim solum dicimus esse in
potentia in aliquo absolute, quod potest educi de materia uno motore, ut in 9
Metaph. dicitur. |
En d’autres mots, la matière
éloignée de la statue est la terre et l'eau, alors que la matière prochaine
en est le cuivre et le bois. Mais nous disons que c’est à partir du cuivre
que la statue peut être produite et non à partir de la terre ; en
effet, nous disons qu’est en puissance absolument à l’égard de
quelque chose cela seul qui peut être tiré de la matière par un seul moteur,
comme le dit le Philosophe [Métaphysique, IX, texte 16]. |
Dicendum est ergo, quod omnes effectus qui
sunt immediate ipsius Dei, non per causam secundam mediam, ut creatio mundi,
creatio animae, et glorificatio animae, et hujusmodi, judicandi sunt
possibiles vel impossibiles secundum causam superiorem divinam. |
Il faut donc dire que tous
les effets qui procèdent immédiatement de Dieu lui-même, et non
par l’intermédiaire d’une cause seconde, comme la création du monde, celle de
l'âme, sa glorification, etc., doivent être jugées possibles ou
impossibles d’après la cause divine supérieure. |
Possunt nihilominus aliqui eorum judicari
possibiles secundum causas passivas inferiores ; quia causae receptivae se
habent in inferioribus sicut anima se habet ad corpus praeparatum per
operationem naturae, et ad gratiam per liberum arbitrium. Sed illi effectus
qui nati sunt ex causis esse inferioribus proximis activis et passivis,
judicandi sunt possibiles vel impossibiles secundum causas inferiores : sicut
in visione caeci et in resurrectione mortui, et hujusmodi : vita enim et
visio sunt effectus immediati causarum inferiorum, scilicet formarum unitarum
corpori. |
Certains d’entre eux peuvent
néanmoins être jugés possibles d’après les causes passives inférieures ; car
les causes réceptives se présentent dans les êtres inférieurs de la même
manière que l'âme par rapport au corps préparé par l'opération de la nature
et par raport à la grâce par le libre arbitre. Mais ces effets qui sont
destinés à exister à partir des causes inférieures prochaines actives ou
passives, doivent être jugés possibles ou impossibles d’après les causes inférieures,
comme dans la vision de l'aveugle, la résurrection des morts et les cas de
cette sorte : en effet, la vie et la vision sont des effets immédiats
des causes inférieures, à savoir des formes unies à un corps. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod sapientia mundi in hoc stulta reputata est, quia judicavit
haec impossibilia naturae, ita esse impossibilia, quod etiam Deus ea facere
non posset. Aliquid tamen potest dici simpliciter impossibile quod alicui est
possibile ; sicut aliquid dicitur simpliciter album, quod secundum aliquid
sui non est album. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la sagesse du monde est réputée folle en ceci qu'elle a jugé
que ces choses impossibles à la nature étaient impossibles à ce point que
même Dieu ne pouvait pas les faire. Cependant on peut dire d’une chose
qu’elle est purement et simplement impossible même si elle est possible à
quelqu'un, tout comme on dit que quelque chose est purement et simplement
blanc même si elle n’est pas blanche quant à une de ses parties. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a.
3 ad 2 Et per hoc patet responsio ad alia. Expositio textus. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 expos. Potuit Deus
simul cuncta facere. [2] Non solum ita quod conderet omnes species, sed etiam
omnia individua specierum, quae in toto tempore fiunt ; sed ratio prohibuit,
non quidem per contrarietatem, sed per incompossibilitatem ; non enim potest
esse quod Deus aliquid faciat, et illud rationale non sit ; unde ratio se
habet sicut determinans opus, et potentia sicut exequens. |
2. Et cela éclaire les réponses aux autres difficultés. Exposition du texte de Pierre Lombard. «Dieu a pu faire tout en même temps. » Non seulement de manière à établir toutes les espèces, mais aussi tous les individus des espèces qui apparaissent dans la totalité du temps ; mais la raison l’a empêché, non pas par contrariété, mais par « incompossibilité » ; en effet, il n'est pas possible que Dieu fasse quelque chose et que cela ne soit pas rationnel ; c'est pourquoi la raison se présente comme déterminant l’oeuvre et la puissance comme l’exécutant. |
Quia non esset hoc potentiae, sed
infirmitatis [4]. Et hoc etiam dicit Dionysius, et ponit exemplum, sicut cum
aliquid dicitur esse non ens : hoc enim ipsum esse est non esse ; ita et
posse deficere ab eo quod est perfecte possibile, non est posse simpliciter. |
«Parce que cela ne
relèverait pas d’une puissance, mais d’une infirmité. » Et cela,
Denys le dit aussi, et il en donne un exemple, comme lorsqu’on dit qu’une
chose est du non-être : en effet, cet être même est du non-être, de
telle sorte que le pouvoir de s’écarter de ce qui est possible parfaitement,
cela n'est pas un pouvoir pris absolument. |
Homo autem vel Angelus, quantumcumque beatus
est, non est potens ex se vel per se [7]. Sciendum quod homo ex se vel a se,
nihil boni potest facere : quia istae praepositiones de, et ab denotant
causam efficientem : unde dicitur homo posse facere aliquid ab eo a quo
potentiam habet ; constat enim quod quidquid boni habet, ab alio habet. Sed
per denotat causam formalem ; unde quaedam potest facere per se, scilicet
quae complentur principiis naturalibus, quaedam autem non per se, sicut ea
quae fiunt per virtutem divinam, ut miracula, et hujusmodi : et inde etiam
est quod filius dicitur omnia agere per se, sed non a se. |
«Mais l'homme ou l'ange,
quelque bienheureux qu’il soit, n'est pas puissant de lui-même ou par
lui-même. » Il faut savoir que l'homme de lui-même ou par lui-même
ne peut rien faire de bien, parce que ces prépositions de et ab [de
et par] désignent une cause efficiente : c'est pourquoi c’est de
celui-là même duquel il tient une puissance qu’on dit de l'homme qu’il peut
faire quelque chose ; car il est clair en effet que tout ce qu'il a de
bon, c’est d’un autre qu’il le tient. Mais per [par, au moyen
de] signale la cause formelle, c'est pourquoi il peut faire certaines choses
par lui-même, à savoir celles qui sont achevées par les principes naturels,
mais il y a certaines choses qu’il ne peut pas faire par lui-même, comme
celles qui sont produites par la puissance divine, comme les miracles,
etc. : et c'est de là qu'on dit que le Fils fait tout par lui-même mais
non de lui-même. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42 |
Cap. 184 (1).
De omnipotentia Dei : quare dicatur omnipotens, cum nos multa possimus quae
ipse non possit. Nunc de omnipotentia Dei agendum est : ubi prima
consideratio occurrit : quo modo vere Deus dicatur omnipotens : an quia omnia
possit, an tantum quia ea possit quae vult. |
1. De la toute-puissance de Dieu
: pour quelle raison dit-on dit-on de Lui qu’il est tout-puissant, alors que
nous pouvons beaucoup de choses qu’il ne peut pas faire ? Maintenant il nous
faut traiter de la toute-puissance de Dieu alors que notre première
considération va porter sur la vraie manière dont on dit que Dieu
est tout-puissant : est-ce parce qu’il peut tout, ou seulement parce
qu’il peut ce qu’il veut ? |
Quod enim Deus omnia
possit, pluribus auctoritatibus comprobatur [1] ; Ait enim Augustinus in
libro Quaestionum veteris ac
novae legis : « Omnia quidem potest Deus : sed non facit nisi quod
convenit veritati eius, et justitiae. » Idem in eodem : « Potuit Deus cuncta facere simul : sed ratio prohibuit,
id est, voluntas. » Rationem nempe ibi voluntatem Dei appellavit, quia Dei
voluntas rationabilis est et aequissima. Fatendum est ergo Deum omnia posse. |
En effet, que Dieu puisse
tout est corroboré par de nombreuses autorités ; en effet Augustin [ Des
questions de l’ancienne et de la nouvelle Loi, quest. 97, col. 2291,
t. 111] « Dieu peut tout, mais il ne fait que ce qui convient à sa
vérité et à sa justice. » Et dans le même livre (quest. 106) : « Dieu
a pu tout faire en même temps, mais la raison, c'est-à-dire sa volonté, l’a
interdit. » La volonté de Dieu, il l’a sans doute appelée
raison parce que la volonté de Dieu est rationnelle et elle
est la plus juste. Il faut donc reconnaître que Dieu peut tout. |
Cap. 185 (2). Quomodo
dicatur Deus omnia posse. Sed quaeritur quo modo
omnia posse dicatur, cum nos quaedam possimus, quae ipse non potest [2]. Non
potest enim ambulare, loqui, et huiusmodi, quae a natura divinitatis sunt
penitus aliena, cum horum instrumenta nullatenus habere queat incorporea et
simplex substantia. |
2. Mais en quel sens dit-on que
Dieu peut tout ?Mais on cherche de quelle manière on dit qu’il
peut tout, alors que nous pouvons certaines choses qu'il ne peut pas lui-même
faire. En effet il ne peut pas marcher, parler, etc., choses qui sont tout à
faire étrangères à la nature de la divinité, puisque la substance simple et
incorporelle ne possède en aucune manière les outils nécessaires à poser de
telles opérations. |
Quibus id respondendum arbitror, quod huiusmodi
actiones, ambulatio scilicet et locutio, et huiusmodi, a Dei potentia alienae
non sunt, sed ad ipsam pertinentes. Licet enim huiusmodo actiones in se Deus
habere non possit, non enim potest ambulare, vel loqui, et huiusmodi, eas
tamen in creaturis potest operari : facit enim ut homo ambulet, et loquatur
et huiusmodi. Non ergo per istas actiones divinae potentiae detrahitur
aliquis, quia et hoc potest facere omnipotens. |
A cela je crois qu’il faut
répondre que les actions de ce genre, à savoir marcher, parler etc., ne sont
pas étrangères à la puissance de Dieu mais lui appartiennent. En effet, bien
que Dieu ne puisse pas avoir en lui des actions de cette sorte, car il ne
peut ni marcher, ni parler etc., il peut cependant opérer ces opérations dans
les créatures : c’est lui en effet qui fait que l’homme marche, parle, etc.
Donc par ces actions, personne n’enlève quelque chose à la puissance divine,
parce que le tout puissant peut lui aussi les poser. |
Sed sunt alia quaedam quae
Deus nullatenus facere potest, ut peccata : non enim potest mentiri, non
potest peccare. Sed non ideo omnipentiae Dei in aliquo detrahitur vel
derogatur, si peccare non posse dicitur, quia non est hoc potentiae, sed
infirmitatis. Si enim hoc posset, omnipotens non esset. Non ergo impotentiae
sed potentiae imputandum est, quod ista non potest. Unde Augustinus, in XV
lib. De Trinit., cap. XV : « Magna, inquit, Dei potentia est, non posse mentiri.
Sunt enim quaedam quae in aliis rebus potentiae deputanda sunt, in aliis vero
minime, et quae in aliis laudabilia sunt, in aliis vero reprehensibilia sunt.
Non ergo ideo Deus minus potens est qui peccare non potest, cum omnipotens
nullatenus possit esse qui hoc potest. » |
Mais il y a d’autres choses
que Dieu ne peut faire en aucune manière, comme les péchés : en effet,
il ne peut pas mentir, il ne peut pas pécher. Mais si on dit que Dieu ne peut
pas pécher, on n’enlève ou on ne retire rien pour cette raison à sa toute
puissance, parce que cela ne relève pas d’une puissance mais plutôt d’une
infirmité. Car, s’il était capable de pécher, il ne serait pas tout-puissant.
Ce n’est donc pas à une impuissance mais à une puissance qu’il faut imputer
qu’il ne puisse faire de telles choses. C’est pourquoi Augustin [De la
Trinité, XV, ch. XV, col. 1078, t. VIII] dit : « Grande, dit-il,
est la puissance de Dieu, de ne pas pouvoir mentir. Il y a en effet certaines
activités chez certains qui doivent être attribuées à la puissance, mais pas
du tout chez d’autres ; et les choses qui sont louables chez les uns sont
repréhensibles chez les autres. Donc ce n’est pas parce qu’il ne peut pas
pécher que pour cette raison Dieu serait moins puissant puisque celui qui le
peut ne pourrait en aucune manière être tout-puissant. » |
Sunt
etiam et alia quaedam quae Deus non potest ; unde videtur non omnia posse.
Non enim potest mori vel falli. Unde Augustinus in I lib. De symbolo ad catech., cap.
1, (col. 627) : « Deus omnipotens non potest falli, non potest miser
fieri, nec potest vinci. Haec utique et hujusmodo absit ut possit omnipotens.
Si enim passionibus atque defectibus subjici posset, omnipotens minime foret.
Et inde monstratur omnipotens, quia ei haec propinquari non valent. Potest
tamen haec in aliis operari. » |
Il y a encore d’autres choses
que Dieu ne peut pas faire : c'est pourquoi il semble qu’il ne puisse pas
tout faire. En effet, il ne peut ni mourir ni se tromper. C'est pourquoi
Augustin [ I Du Symbole pour les Catéchètes, ch. 1, col.
627, t. VI] dit : « Dieu le tout-puissant ne peut pas se
tromper, il ne peut pas devenir malheureux, il ne peut pas être vaincu.
Puisse le tout puissant ne pas pouvoir cela et d’autres choses. Car s’il
pouvait être soumis aux passions et aux défaillances de ce genre, il ne
serait pas tout-puissant. Et ainsi il se montre tout-puissant, parce que ces
passions ne peuvent pas l’atteindre. Cela peut cependant être opéré chez
d’autres. » |
Cap. 186 (3). Quod omnipotentia Dei secundum duo consideretur. Hic ergo diligenter considerantibus omnipotentia eius secundum duo
apparet [3] : scilicet qui omnia facit quae vult et nihil omnino
patitur. Secundum utrumque Deus omnipotens verissime praedicatur : quia nec
aliquid est quod ei ad patiendum corruptionem inferre valeat, nec aliquid ad
faciendum impedimentum afferre. Manifestum est itaque Deum omnino nihil posse
pati, et omnia facere posse praeter ea sola quibus eius dignitas laederetur
eiusque excellentiae derogaretur, in quo tamen non est minus omnipotens : hoc
enim posse, non esset posse, sed non posse. Nemo ergo Deum impotentem in
aliquo dicere praesumat, qui omnia potest quae posse potentiae est, et inde
vere dicitur omnipotens. |
3. La toute-puissance de Dieu
est considérée sous deux aspects. Ici donc, à ceux qui la
considèrent avec attention, sa toute-puissance apparaît sous deux aspects : à
savoir qu’il fait tout ce qu'il veut et qu’il ne subit absolument rien. Selon
l’un et l’autre aspect, Dieu est considéré très véritablement comme
tout-puissant : parce qu’il n’y a rien qui puisse lui faire subir la
corruption et il n’y a rien qui puisse apporter un empêchement à
son action. C'est pourquoi il est clair que Dieu ne peut absolument rien subir,
et qu’il peut tout faire à l’exception de ce qui blesserait sa dignité et qui
amoindrirait son excellence, ce en quoi il n’est cependant pas moins
tout-puissant. Car pouvoir cela ne serait pas une puissance mais une
impuissance. Donc que personne n’ose dire que Dieu est impuissant en quelque
chose, parce qu’il peut tout ce qui est un pouvoir de puissance, et c’est de
là qu’on dit de Lui qu’il est vraiment tout-puissant. |
Ex quibusdam tamen
auctoritatibus traditur ideo vere dici omnipotens, quia quidquid vult potest
[4] Unde Augustinus in Enchir., cap. XCVI : « Non ob aliud veraciter vocatur omnipotens nisi quoniam
quidquid vult potest, nec voluntate cuiuspiam creaturae voluntatis impeditur
effectus.
» Idem in lib. De
spir. et lit. : « Non
potest Deus facere injusta, quia ipse est summa justitia et bonitas.
Omnipotens vero est, non quod possit omnia facere, sed quia potest efficere
quidquid vult, ita ut nihil valeat eius voluntati resistere quin compleatur,
aut aliquo modo impedire eamdem. » |
Cependant certaines autorités
enseignent qu'on le dit vraiment tout-puissant, parce qu'il peut tout ce
qu'il veut. C'est pourquoi Augustin [Enchir., ch. 96,
col. 276, t. VI] dit : « Il n'est appelé vraiment
tout-puissant que parce qu'il peut tout ce qu'il veut et que l'effet de sa
volonté n’est empêché par la volonté d’aucune créature.». De même, il dit
encore [L’Esprit et la Lettre, ch. XXXI, col. 234, t. X] : « Dieu
ne peut pas commettre d’injustice, parce qu’il est la justice et la bonté
suprêmes. Mais il est tout-puissant, non pas parce qu’il pourrait tout faire,
mais parce qu’il peut réaliser tout ce qu’il veut, de sorte que rien n’a le
pouvoir de résister à sa volonté de telle manière qu’elle ne serait pas
acccomplie ou qu’elle serait empêchée de quelque manière. » |
Joannes Chrysostomus, in
homil. quadam de
expositione symboli, homil. II, ait : « Omnipotens dicitur Deus, quia posse illius non
potest invenire non posse, dicente Propheta, Ps CXIII, 2 : « Omnia quaecumque voluit fecit. » Ipse est ergo
omnipotens, ut totum quod vult possit. Unde Apostolus, Rom. IX, 19 : Ejus, inquit, voluntati quis resistit ? » His auctoritatibus videtur
ostendi quod Deus ex eo tantum dicatur omnipotens, quid omnia potest quae
vult, non quia omnia possit. |
Saint-Jean Chrysostome, dans
une homélie, [Homélie sur l’explication du Symbole, homélie
11] dit : « On dit de Dieu qu’il est tout-puissant, parce qu’il est
impossible que son pouvoir devienne un non-pouvoir, car le prophète dit [Psaume. CXIII,
2] « Tout ce qu'il a voulu, il l’a fait. » Donc il est
tout-puissant de telle manière qu’il peut tout ce qu’il veut. C’est pourquoi
l’Apôtre [Romains, 1X, 19) dit : « Qui, dit-il, résiste
à sa volonté ? ». Ces autorités semblent donc montrer qu’on dit que
Dieu est tout-puissant, seulement parce qu’il peut tout ce qu’il veut, non
pas parce qu’il peut absolument tout. |
Sed ad hoc potest dici, [5] quod Augustinus ubi dicit, lib. I De
symb.,
cap. 1 : « Omnipotens non
dicitur quod omnia possit, » etc., tam ample et generaliter accipit
« omnia », ut etiam mala includeret quae Deus non potest nec vult.
Non ergo negavit eum posse omnia quae convenit ei posse. |
Mais on peut répondre à cela
qu’Augustin, là [1 Sur le Symbole, ch. 1] où il dit « On
ne le dit pas tout puissant parce qu’il peut tout »,
etc., entend « tout » si totalement et généralement
qu’il incluerait aussi les maux que Dieu ne peut pas et ne veut pas. Donc il
n’a pas nié qu’il peut tout ce qui convient à son pouvoir. |
Similiter cum dicit,
in Enchirid, : Non ob aliud
veraciter dicitur omonipotens nisi quoniam quidquid vult potest », non negat eum
posse etiam ea quae non vult ; sed adversus illos qui dicebant Deum multa
velle quae non poterat, affirmat eum posse quidquid vult, et ex eo vere dici
omnipotentem, non ob aliud, quam quia potest quidquid vult. Sed cave quodmodo
intelligas, potest quidquid vult – [6] an quidquid vult se posse, an quidquid
vult facere, an quidquid vult fieri. Si enim dicas, ideo omnipotentem vocari
quid potest quidquid vult se posse ; ergo et Petrus similiter omnipotens dici
potest, vel quilibet sanctorum beatorum quia potest quidquid vult se posse et
potest facere quidquid vult facere. |
De la même façon, lorsqu’il
dit [Enchir., XXIV, 96) : « Ce n’est pas pour autre chose
qu’on le dit tout puissant, sinon qu’il peut vraiment tout ce qu’il veut ».
Il ne nie pas non plus qu’il peut aussi ce qu’il ne veut pas ; mais contre
ceux qui disaient que Dieu veut beaucoup de choses qu’il ne pouvait pas, il
affirme qu’il peut tout ce qu’il veut, et c’est à cause de cela qu’on le dit
vraiment tout-puissant, et non pas pour une raison autre que parce qu’il peut
tout ce qu’il veut. Mais prends garde à la manière dont tu entends cette
expression : 'Il peut tout ce qu’il veut' : Veut-il tout ce qu’il peut,
veut-il tout faire ou veut-il que tout soit fait ? Car si tu dis qu’il est
appelé tout puissant parce qu’il veut tout ce qu’il peut, on peut donc dire
de la même manière que Pierre, ou n’importe lequel des saints bienheureux,
est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu'il veut pouvoir et peut faire tout
ce qu’il veut faire. |
Non enim vult facere nisi quod facit, nec posse nisi
quod potest. Sed non potest facere quidquid vult fieri : vult enim salvos
fieri qui salvandi sunt ; verumtamen eos salvare non valet. Deus autem
quidquid vult fieri potest facere. Si enim vult aliquid fieri per se, potest
illud facere per se, et per se fecit, sicut cælum et terram per se fecit,
quid voluit ; si autem fieri per creaturam, et per eam operatur, sicut per
homines facit domos, et huiusmodi artificialia. Et Deus quidem ex se et per
se potest : homo autem vel angelus, quantumcumque beatus est, non est potens
ex se, vel per se. |
En effet, il ne veut faire
que ce qu’il fait et ne pouvoir que ce qu’il peut. Mais il ne peut pas faire
tout ce qu’il veut qu’il soit fait ; car il veut que soient sauvés ceux qui
doivent l’être ; mais pourtant il ne peut pas les sauver. Mais Dieu peut
faire tout ce qu’il veut qu’il soit fait. Car s’il veut que quelque chose
soit fait par lui, il peut le faire par lui-même, et il l’a fait par lui-même
comme il a fait par lui-même le ciel et la terre, ce qu’il a voulu ; mais
s’il a voulu que ce soit fait par une créature, il opère par son
intermédiaire, comme il fait faire par les hommes des maisons et d’autres
œuvres artificielles de cette sorte. Et Dieu le peut de lui-même et par
lui-même : mais l’homme ou l’ange, tout autant qu’il soit bienheureux,
quelque heureux qu’il soit, n’est pas puissant de lui-même ou par lui-même. |
Sed forte dicent : « Nec Dei Filius potest a se, nec Spiritus sanctus, sed
solus Pater. Ille enim potest a se qui est a se ; Filius autem, quia non est
a se, sed a Patre, non potest a se, sed a Patre et Spiritus sanctus ab
utroque. » |
Mais ils diront peut-être :
« Et le Fils de Dieu ne peut pas de lui-même, ni l’Esprit Saint, mais
le Père seulement. En effet, celui qui peut de lui-même est celui
qui existe de lui-même ; mais le Fils, parce qu’il n’existe pas de lui-même
mais du Père, ne peut pas de lui-même, mais du Père alors que l’Esprit-Saint
peut de l’un et de l’autre ». |
Ad quod dicimus, quia
licet Filius non possit a se nec operatur a se, potest tamen et operatur per
se ; sic et Spiritus sanctus. Unde Hilarius in XI lib. de Trinit., post med., : « Naturae, inquit, cui
contradicis, haeretice, haec unitas est, ut ita per se agat Filius nec a se
agat ; et ita non a se agit ut per se agat. » Per se autem dicitur agere et
potens esse, quia naturalem habet potentiam eamdem quam et Pater, qui potens
est et operatur : sed quia illam habet a Patre, non a se ; ideo a Patre non a
se dicitur posse et agere. Homo autem vel angelus gratuitam habet potentiam
qua potens est. |
A cela nous disons que, bien
que le Fils ne puisse pas de lui-même et n’opère pas de lui-même, il peut
cependant et il opère par lui-même, tout comme l’Esprit Saint. C’est pourquoi
Saint-Hilaire (XI De la Trinité, 48, PL 319 C après le milieu) : « Cette
unité de nature, dit-il, que tu contredis, ô hérétique, c’est pour que le
Fils agisse par lui-même et non de lui-meme ; et ainsi il n’agit pas de
lui-même, pour agir par lui-même.» Mais on dit qu’il peut agir et
exister par lui-même parce qu’il possède la même puissance naturelle que le
Père, lequel est puissant et agit ; mais parce qu’il l’a du Père, non de
lui-même, c’est pourquoi on dit que sa puissance et son action procède non
pas de lui mais du Père. Mais l’homme ou l’Ange a une puissance gratuite par
laquelle il est puissant. |
Ideo ergo vere ac proprie Deus Trinitas omnipotens dicitur quia per se, id est naturali potentia, potest quidquid vult fieri quod non possit facere per se vel per creaturas ; et nihil vult se posse quod non possit, et omne quod vult fieri vult se posse, sed non omne quod vult se posse, vult fieri. Si enim vellet fieret, quia voluntati eius nihil resistere potest. |
Donc c'est pourquoi on dit
que vraiment et à proprement parler le Dieu Trinité est tout puissant, parce
que par lui-même, c'est-à-dire par une puissance naturelle, il peut tout ce
qu’il veut être fait, qu’il ne pourrait faire par lui-même ou par les
créatures : et il ne veut pas pouvoir ce qu’il ne pourrait pas et tout ce
qu’il veut qui soit fait il veut le pouvoir, mais ce n’est pas tout ce qu’il
veut pouvoir qu’il veut être fait. Si en effet il le voulait, cela serait
fait parce que rien ne peut résister à sa volonté. |
Tunc non latebit quod nunc latet. Nec utique
injuste Deus noluit salvos fieri, cum possint salvi esse, si vellent. Tunc in
clarissima sapientiae luce videbitur quod nunc piorum fides habet, antequam
manifesta cognitione videatur, quam certa et immutabilis et efficacissima sit
voluntas Dei, quae multa possit et non velit ; nihil autem quod non possit
velit. Idem in lib. De natura et gratia, cap. VII : « Dominus Lazarum
suscitavit in corpore. Numquid dicendum est : Non potuit Judam suscitare in
mente ? Potuit quidem, sed noluit. » His auctoritatibus aliisque multis
aperte docetur quod Deus multa possit facere quae non vult : |
Alors ce qui est maintenant
caché ne le sera pas. Et de toute façon, ce n’est pas injustement que Dieu
n'a pas voulu qu'ils soient sauvés, puisqu'ils pouvaient l'être, s'ils le
voulaient. Alors, dans la lumière la plus brillante de la sagesse, on verra
ce que possède maintenant la foi des hommes pieux, avant qu'elle paraisse
dans une connaissance manifeste, combien la volonté de Dieu est certaine,
immuable et très efficace, elle qui pourrait beaucoup et ne veut pas ; mais
il ne voudrait rien de qu'il ne pourrait pas. De même on lit [La nature et
la grâce, ch. VII] : « Le Seigneur a ressuscité Lazare
dans son corps» . Ne faut-il pas dire : « Il n'a pas pu
ressusciter Juda en esprit » Il a pu le faire certes, mais il n'a
pas voulu. ». Par ces autorités et de nombreuses autres, il est montré
ouvertement que Dieu pourrait faire beaucoup de choses qu'il ne veut pas : |
10. Quod sine mutabilitate potentiae vel
voluntatis potest Deus et alia velle et alia facere quam vult vel facit *.
quod etiam ratione probari potest. Non enim vult Deus omnes homines
justificare, et tamen quis dubitat eum posse ? Potest ergo Deus aliud facere
quam facit, et tamen si aliud faceret, alius ipse non esset. Et potest aliud
velle quam vult, et tamen eius voluntas nec alia, nec nova, nec mutabilis
aliquo modo potest esse. Quod etsi possit velle quod numquam voluit, nec
tamen noviter nec nova voluntate, sed sempiterna tantum voluntate velle potest
; potest enim velle quod ab aeterno potest voluisse ; habet enim potentiam
volendi et nunc et ab aeterno, quod tamen nec modo vult, nec ab aeterno. |
10. Que Dieu peut, sans changement de la puissance et de la volonté, vouloir d’autres choses et en faire d’autres que celles qu’il veut ou qu’il fait, cela aussi peut être manifesté par la raison. Car Dieu ne veut pas justifier tous les hommes, et cependant qui doute qu'il le peut ? Donc il peut faire autre chose que ce qu'il fait, et cependant s'il faisait autre chose, il ne serait pas lui-même un autre. Et il peut vouloir autre chose que ce qu'il veut, et cependant sa volonté ne peut et cependant sa volonté ne serait pas autre ni nouvelle et elle ne peut être changeante de quelque manière. Et quoiqu’il puisse vouloir ce qu'il n'a jamais voulu, ce ne sera cependant ni à nouveau ni par une nouvelle volonté, mais il peut seulement le vouloir par une volonté éternelle ; il peut en effet vouloir ce qu’il peut avoir voulu de toute éternité ; il possède en effet la puissance de vouloir à la fois maintenant et de toute éternité ce que cependant il ne veut ni maintenant ni de toute éternité. |
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Distinctio 43 |
Distinction 43 – [La puissance de Dieu, suite] |
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Prooemium |
Prologue 43 |
Circa primum quaeruntur
duo : 1. Utrum potentia Dei sit
infinita ? 2. Utrum omnipotentia sua,
quae convenit sibi secundum infinitatem potentiae, sit creaturae
communicabilis ? Deinde quaeritur de
necessitate divinae operationis ; et circa hoc quaeruntur duo : 1. Utrum operetur ex
necessitate naturae ? 2. Utrum operetur ex
necessitate suae justitiae ? |
Au sujet du premier point on
cherche à répondre à deux questions : 1. La puissance de Dieu
est-elle infinie ? 2. Est-ce que la toute
puissance de Dieu, en tant qu’elle est infinie, peut être communiquée aux
créatures ? On s’interroge ensuite sur la
nécessité de l’opération divine et à ce sujet on pose deux questions : 1. Dieu opère-t-il par une
nécessité de nature ? 2. Est-ce qu’il opère par la
nécessité de sa justice ? |
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La puissance de Dieu est-elle
infinie ? |
43 q. 1 pr. Hic Magister excludit errorem
quorumdam contra praedeterminata, qui Dei potentiam limitabant, dicentes, non
simpliciter omnium esse Dei potentiam : et dividitur in partes duas : in
prima improbat errorem eorum, inquantum limitabant Dei potentiam, ad res quae
fiunt ; in secunda inquantum limitabant ad qualitatem earum ; dicebant enim,
nec alia nec meliora posse Deum facere quam quae facit, 44 dist., ibi : nunc
illud restat discutiendum, utrum melius aliquid possit facere quam facit.
[d. 44, 1] |
Le Maître écarte ici l’erreur
de certains contre ce qui a été établi précédemment, lesquels limitaient la
puissance de Dieu, en disant qu'elle ne s’applique pas absolument à toutes
[les personnes[41]] et cette section se divise en
deux parties : dans la première il réfute leur ereur en tant qu’ils
limitaient la puissance de Dieu, au devenir des choses ; deuxièmement en tant
qu’ils limitaient sa puissance quant à la qualité des choses car ils disaient
que Dieu ne peut faire des choses autres et meilleures que celles qu’il fait
(d. 44, quest. 1), là où il dit : maintenant il reste à discuter
ceci, à savoir s’il pourrait faire quelque chose de meilleur que ce qu’il
fait . |
Prima in tres : in prima narrat eorum
positionem ; in secunda ponit probationes eorum, et solvit eas, ibi : istamque
primam suam opinionem verisimilibus argumentis, causisque commentitiis, nec
non et sacrarum auctoritatum testimoniis munire conantur ; in tertia
inducit auctoritates ad veritatem probandam, ibi : fateamur ergo Deum
plura posse facere quae non vult, et posse dimittere quae facit. Istamque
suam primam opinionem verisimilibus argumentis (...) munire conantur. |
La première partie se divise
en trois : dans la première il rapporte leur position ; dans la seconde
il donne leurs preuves et les résoud : « Ils s’efforcent de
construire leur première opinion par des arguments vraisemblables et des
causes inventées et aussi par les témoignages des saintes autorités » ;
dans la troisième il présente des autorités pour prouver la vérité, là où il
dit : «Avouons donc que Dieu peut faire plus de choses qu’il ne veut
cependant pas faire, et qu’il peut renoncer à plusieurs choses qu'il fait.
» Cette première opinion qui est la leur, par des arguments vraisemblables
(…) ils s’efforcent de l’assurer. |
Hic ponit probationes eorum ; et dividitur
in partes tres : in prima ponit quaedam probabilia argumenta quae habebant ;
in secunda ponit quasdam causas quas adinveniebant, ibi : addunt
quoque et alia ; in tertia ponit quasdam auctoritates quas
inducebant ad suae opinionis confirmationem, ibi : his autem illi
scrutatores qui defecerunt scrutantes scrutinia, sanctorum annectunt testimonia.
Probationes autem et responsiones patent in littera. |
Il présente ici leurs preuves
; et il divise cela en trois parties : dans la première il présente certains
arguments probables auxquels ils tenaient ; dans la deuxième il présente
quelques causes qu’ils inventaient, là où il dit : ils en ajoutent
aussi d’autres ; dans la troisième il présente certaines autorités
qu’ils avançaient pour confirmer leur opinion, là où il dit : mais ces
fouineurs qui se sont trompés en dans leurs recherches ajoutent les témoignages
des saints. Mais les preuves et les réponses sont claires dans La
Lettre. |
Circa hanc opinionem
oportet duo quaerere, secundum quod duo ponebant. Primo ponebant, quod non potest facere
aliquid eorum quae non facit : et in hoc negabant infinitatem divinae
potentiae. Unde prima quaestio sit de infinitate divinae potentiae. Secundo
ponebant Deum non posse non facere ea quae facit ; et in hoc inducebant Deum
agere ex necessitate ; et ideo secunda quaestio erit, utrum Deus agat ex
necessitate. Circa primum quaeruntur duo : 1 utrum potentia Dei sit infinita
; 2 utrum omnipotentia sua, quae convenit sibi secundum infinitatem
potentiae, sit creaturae communicabilis. |
Et au sujet de cette opinion
il faut soulever deux questions par rapport à deux de leurs affirmations.
Premièrement, ils soutenaient que ce que Dieu ne fait pas, il ne peut pas le
faire. selon qu’ils en présentaient deux: et en cela ils
niaient l’infinité de la puissance divine. D’où la première question porte
sur l’infinité de la puissance divine. Deuxièmement ils soutenaient que Dieu
ne peut pas ne pas faire ce qu’il fait ; et en cela ils étaient amenés à
penser que Dieu agit par nécessité ; et c'est pourquoi la seconde question
sera : Dieu agit-il par nécessité ? Et au sujet du premier point on
cherche à répondre à deux questions : 1. Est-ce que la puissance de
Dieu est infinie ? 2. Est-ce que sa toute-puissance, qui lui convient
selon l’infinité de la puissance, est communicable à la créature ? |
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Question 1 – [Les limites de la puissance de Dieu] |
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Quaestio 1, articulus 1 : Utrum potentia Dei
sit infinita. d. 43 q. 1 a. 1 tit. |
Article 1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ? |
d. 43 q. 1 a. 1 arg.
1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod potentia Dei non sit infinita. Sicut enim dicit philosophus, infinitum
habet rationem partis et materiae, et ita imperfecti. Sed potentia Dei est
perfectissima. Ergo non debet dici infinita. |
Difficultés :[42]. Il semble que la puissance Dieu ne soit pas infinie. En effet, comme le Philosophe le dit [111 Physique, texte 37], l'infini a raison de partie et de matière et ainsi d'imparfait. Mais la puissance de Dieu est absolument parfaite. Donc on ne doit pas dire qu'elle est infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum
philosophum, finitum et infinitum congruunt quantitati. Sed omne quantum est
divisibile. Cum igitur potentia divina sit simplex, videtur quod neque finita
neque infinita dicenda sit. |
2. Par ailleurs, selon le
Philosophe, [1 Physiquetexte 15] le fini et l'infini se
rencontrent dans la quantité ; mais toute quantité est divisible. Donc comme
la puissance de Dieu est simple, il semble qu’on ne doive pas dire qu’elle
est finie ou infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum
philosophos, si esset aliqua potentia activa cui non responderet aliqua
potentia passiva in natura, illa esset frustra. Sed nulla potentia passiva
est ad recipiendum effectum infinitum. Cum ergo potentia activa Dei non sit
frustra, videtur quod non sit infinita. |
3. En outre, selon les
philosophes, si on on se fie à Aristote [V Métaphysique, texte
17] s'il y avait une puissance active à laquelle ne corresponde pas une
puissance passive dans la nature, elle serait vaine. Mais il n’existe aucune
puissance passive pour recevoir un effet infini. Donc comme la puissance
active de Dieu ne peut être vaine, il semble qu'elle ne soit pas infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nullum
infinitum comprehendi potest : quia, secundum Augustinum in Lib. de
videndo Deum, illud comprehenditur cujus fines circumspiciuntur. Sed
intellectus divinus comprehendit potentiam suam, cum totam potentiam suam
Deus cognoscat. Ergo sua potentia non est infinita. |
4. Par ailleurs, rien d’infini
n’est intelligible, parce que, selon Saint-Augustin [De la vision de Dieu, Epître CXLVII, à
Pauline, ch. IX, col. 606] on n’appréhende que ce dont les limites sont
définies. Mais l'esprit divin appréhende sa puissance, puisque Dieu connaît
toute sa puissance. Donc sa puissance n'est pas infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 5
Praeterea, omnis potentia potest reduci in actum. Si ergo potentia Dei sit
infinita, poterit actu infinita facere. Sed si actu infinita fecisset, aut aliquid posset
facere amplius, et sic infinito esset aliquid majus. Vel nihil amplius facere
posset, et sic impotens ex his quae faceret redderetur, et sua potentia ad
opera ejus finiretur, et infinita non esset : quae omnia impossibilia sunt.
Ergo Dei potentia non est infinita. |
5. De plus, toute puissance peut être conduite à son acte. Si donc la puissance de Dieu était infinie, il aurait pu la rendre infinie en acte. Mais s'il l’avait rendue infinie en acte, ou bien il pourrait faire quelque chose de plus grand, et ainsi il y aurait quelque chose de plus grand que l'infini ; ou bien il ne pourrait rien faire de plus grand et ainsi il serait rendu impuissant par ce qu'il ferait, et sa puissance se limiterait à ses œuvres, et ne serait pas infinie : choses qui sont toutes impossibles. Donc la puissance de Dieu n'est pas infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, in
magnitudine infinita semper est virtus infinita, sicut philosophi probant,
sive ponatur magnitudo molis, quam tamen impossibile est esse infinitam, sive
magnitudo virtutis. Sed in Psalm. 144, 3, dicitur,
quod magnitudinis ejus non est finis. Ergo virtus vel potentia
ejus est infinita. |
Cependant : Dans une grandeur infinie, il
y a toujours une puissance infinie, ainsi que le prouvent les philosophes [
VIII Physique, texte 58], qu’il s’agisse de la grandeur d'une
masse, laquelle ne peut cependant pas être infinie, ou de la grandeur d’une
puissance. Mais l’Écriture [Psaume 144, 3] dit qu’Il n'y a pas de fin à sa
grandeur. Donc son pouvoir et sa puissance sont infinis[43]. |
d. 43 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
infinitum potest dupliciter sumi : privative, et sic Deo non convenit : nihil
enim, proprie loquendo, privative de ipso dici potest, ut supra dictum est,
dist. 7, qu. 2, art. 2 : vel negative, et sic Deus dicitur infinitus,
secundum Damascenum, quia nullo modo finitur. Quod qualiter sit,
investigandum est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux manières de considérer l’infini. Soit par la privation, et en
ce sens il ne convient pas à Dieu car rien, à proprement parler, ne peut être
attribué à Dieu de manière privative comme nous l'avons dit plus haut
[dist.7, quest.2, art.2] ; soit par la négation et en ce sens l’infini
s’attribue à Dieu, selon Jean Damascène [1 De La foi orthodoxe, ch.
2, col. 791 et ch. 4, col. 798], parce qu'il n'est fini en aucune manière. Il
faut donc chercher à savoir comment il l’est. |
Quidam enim accipientes finitum et infinitum
solum secundum quod sunt passiones quantitatis, non poterant in Deo invenire
infinitatem, nisi secundum quod inveniebant in eo rationem quantitatis
virtualis ; unde dicebant Deum esse infinitum, quia virtus ejus est infinita.
Ideo accidit quod quidam negaverunt essentiam Dei esse infinitam in ratione
essentiae consideratam ; et sic a sanctis eam videri asserebant. Sed istud
erroneum est. Et ideo aliter dicendum, quod secundum philosophum, finis vel
terminus multipliciter dicitur. Uno modo terminus quantitatis, sicut punctus
lineae ; et hoc modo dicitur a positione et a privatione talis finis, finitum
et infinitum, secundum quod est passio quantitatis ; et sic non sunt in
incorporeis. |
Car certains qui n’entendent
le fini et l'infini qu’en tant qu’ils sont des propriétés de la quantité ne
pouvaient trouver l'infini en Dieu, que selon qu'ils trouvaient en lui la
nature de la quantité de la puissance ; c'est pourquoi ils disaient que Dieu
est infini, parce que sa puissance est infinie. C’est pourquoi il est arrivé
que certains ont nié que l'essence de Dieu, considérée en tant qu’essence,
est infinie ; et ils se réclamaient des saints pour la voir ainsi. Mais cela
est faux. Et c'est pourquoi il faut plutôt dire que d’après le Philosophe, le
mot ¨fin¨ ou ¨terme¨ se dit en plusieurs sens. On le dit en un sens du terme
de la quantité, comme le point de la ligne, et en ce sens on parle du fini et
de l’infini par la position et la privation de telle fin, selon qu’elle est
une propriété de la quantité. Et en ce sens le fini et l’infini ne sont pas
dans les êtres incorporels. |
Dicitur alio modo finis quantum ad essentiam
rei, sicut ultima differentia constitutiva est ad quam finitur essentia
speciei. Unde illud quod significat essentiam rei, vocatur definitio vel
terminus ; et sic dicitur unumquodque finiri per illud quod determinat vel
contrahit essentiam suam ; sicut natura generis, quae de se est indifferens
ad multa, finitur per unam differentiam ; et materia prima, quae de se est
indifferens ad omnes formas (unde et infinita dicitur) finitur per formam ;
et similiter forma, quae, quantum in se est, potest perficere diversas partes
materiae, finitur per materiam in qua recipitur. Et a negatione talis finis
essentia divina infinita dicitur. Omnis enim forma in propria ratione si
abstracte consideretur, infinitatem habet ; sicut in albedine abstracte
intellecta, ratio albedinis non est finita ad aliquid ; sed tamen ratio
coloris et ratio essendi determinatur in ea, et contrahitur ad determinatam
speciem. |
En un autre sens la fin se
dit de l'essence de la chose, comme la différence constitutive ultime est
pour celle à laquelle se termine l'essence de l'espèce. C'est pourquoi ce qui
signifie l'essence de la chose s’appelle sa définition ou son terme. Et c’est
en ce sens qu’on dit que chaque chose se termine à ce qui détermine ou limite
son essence ; tout comme la nature du genre, qui est d’elle-même
indifférenciée à l’égard d’une multiplicité, est limitée par une seule
différence et que la matière première, qui d’elle-même est indifférenciée par
rapport à toutes les formes, (et c'est pourquoi on dit d’elle qu’elle est
infinie) est limitée par la forme, et que de la même manière la forme, en ce
qui la concerne, peut achever les diverses parties de la matière, et elle est
limitée par la matière en laquelle elle est reçue. Et nier une telle fin
revient à dire que l’essence divine est infinie. Toute forme en effet, si on
la considère séparément dans sa notion propre, a raison d’infini, tout comme
dans la blancheur entendue séparément, la notion de blancheur n’est pas
limitée à une chose déterminée; mais cependant la nature de la couleur et
celle de l’être s’y trouve déterminée et limitée à une espèce déterminée. |
Et ideo illud quod habet esse absolutum et
nullo modo receptum in aliquo, immo ipsemet est suum esse, illud est
infinitum simpliciter ; et ideo essentia ejus infinita est, et bonitas ejus,
et quidquid aliud de eo dicitur ; quia nihil eorum limitatur ad aliquid,
sicut quod recipitur in aliquo, limitatur ad capacitatem ejus. Et ex hoc quod
essentia est infinita, sequitur quod potentia ejus infinita sit ; et hoc
expresse dicitur in Lib. de causis, quod ens primum habet
virtutem simpliciter infinitam, quia ipsummet est sua virtus. |
Et c'est pourquoi celui qui
possède une existence absolue qui n’est reçue en rien en aucune manière, et
qui à cause de cela est bien lui-même sa propre existence, cet être est
absolument infini ; et c’est pourquoi son essence est infinie, tout
comme sa bonté et toute autre chose qu'on lui attribue, parce qu’aucun de ces
attributs n'est limité, contrairement à ce qui est reçu dans quelque chose et
qui se trouve ainsi à être limité par la capacité de ce qui le reçoit. Et du
fait que l'essence est infinie, il en découle que sa puissance est infinie,
et cela est dit clairement dans le Livre des Causes, (prop. 16),
à savoir que l'étant premier a une puissance absolument infinie, parce qu'il
est lui-même sa propre puissance. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illa objectio procedit de infinito quod privative dicitur,
quod scilicet natum est habere finem, et non habet ; et sic ratio ejus
consistit in materia cum privatione ; et hoc Deo non competit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cette objection procède de cet infini qui se dit par la
privation, à savoir de ce qui est destiné à avoir une fin et n'en a pas, et
ainsi sa raison consiste dans une matière qui s’accompagne d’une privation,
et cela ne convient pas à Dieu. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod objectio illa procedit de infinito secundum quod dicitur a privatione
finis, qui est terminus quantitatis. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que cette difficulté procède de l'infini selon qu'il se dit par
privation de la fin qui est le terme de la quantité. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod potentia Dei activa non est propter finem, sed est finis omnium : et
ideo quamvis nulla potentia passiva adaequet eam, non est frustra ; quia
frustra est, quod est ad finem quem non inducit ; aliae tamen potentiae activae
et passivae accedunt ad eam quantum possunt. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la puissance active de Dieu n'est pas en vue d’une fin, mais elle
est elle-même la fin de tout : et c'est pourquoi, quoique nulle
puissance passive ne l'égale, elle n'est pas vaine pour autant, parce qu’est
vain ce qui est en vue d’une fin qu'il ne peut atteindre ; cependant les
autres puissances actives et passives y parviennent autant qu'elles le
peuvent. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod de ratione comprehensionis sunt duo. Unum est quod fines ejus rei
apprehendantur vel contineantur ; et sic infinitum nullo modo comprehenditur
neque a finito neque ab infinito : nec sic Deus seipsum comprehendit, quia
fines non habet. Aliud est ratione ejus, scilicet nihil comprehensi esse
extra comprehensorem ; et [sic infinitum seipsum conprehendit (om. É.
Parme)] et sic etiam intellectus divinus essentiam suam et potentiam
comprehendit, cum nihil extra ipsum sit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’il y a deux choses qui font partie de la nature de l'appréhension :
la première est que les termes de cette chose soient appréhendée ou saisis ;
et en ce sens l'infini n'est nullement appréhendé, ni par le fini ni par
l'infini : et en ce sens Dieu ne s'appréhende pas parce qu'il n'a pas de
terme ou de limite. La deuxième chose qui fait partie de la nature de
l’appréhension est que rien de ce qui est appréhendé n'est en dehors de celui
qui l'appréhende ; et [en ce sens l’infini se comprend lui-même om.
Éd. de Parme] en ce sens aussi l'esprit divin appréhende son essence et
il appréhende sa puissance, puisqu'il n'y a rien en dehors de lui. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod nullus effectus producitur per aliquam potentiam per modum qui est
contra rationem ipsius, sicut potentia motiva non facit omnes partes motus
esse simul : jam enim non esset motus, cum de ratione motus sit successis :
et talis actus est in infinitum, secundum philosophum in 3 Physic., qui
scilicet semper est permixtus potentiae ; et ideo non reducitur in actum nisi
successive ; et ideo non sequitur quod Deus possit facere esse in actu omnia
infinita quae potest, quia jam infinita essent finita. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’aucun effet n'est produit par une puissance d’une manière qui serait contraire
à sa nature ; par exemple la puissance de mouvoir ne fait pas toutes les
parties du mouvement en même temps, car alors il n'y aurait pas de mouvement,
puisque la succession est de la nature du mouvement. Et selon le Philosophe
[111 Physique, texte 60] c’est l’acte qui est toujours mêlé à de
la puissance qui est dans l’infini et c'est pourquoi il ne se ramène à l'acte
que successivement ; et c'est pourquoi aussi il ne s’ensuit pas que Dieu
puisse faire exister en acte l’infinité des choses qu’il peut faire, parce
qu’alors l'infini serait fini. |
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d. 43 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnipotentia Dei possit communicari creaturae |
Article 2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être communiquée aux créatures ? |
d. 43 q. 1 a. 2 arg.
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod omnipotentia Dei creaturae communicari possit. Omnipotentia enim Dei non
est dignior quam sua bonitas. Sed bonitas ejus communicatur creaturis. Ergo
et omnipotentia. |
Difficultés :[44] Il semble que la
toute-puissance de Dieu puisse être communiquée aux créatures. La
toute-puissance de Dieu en effet n'est pas plus digne que sa bonté. Mais
celle dernière est communiquée aux créatures. Il en est donc de même pour sa
toute puissance. |
d. 43 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut
habere omnem potentiam est de perfectione divina, ita et habere omnium
scientiam ; et etiam scientia ad plura se extendit, quia ad bona et mala. Sed
habere omnium scientiam communicatum est animae Christi. Ergo et habere
omnipotentiam : et sic omnipotentia videtur creaturae communicabilis. |
2. Par ailleurs, tout comme
la possession de toute puissance fait partie de la perfection de Dieu, il en
est de même pour la possession de la science de tout ; et même la science
s'étend à plus de choses parce qu'elle s'applique au bien et au mal. Mais
avoir la science de tout a été communiqué à l'âme du Christ. Donc la
possession de la toute-puissance aussi lui a été communiquée et par conséquent
la toute-puissance semble être communicable à la créature. |
d. 43 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, fides
facit omnia possibilia : quia nihil impossibile est credenti, sicut
habetur Matth. 17. Sed fides creaturae infunditur. Ergo et
omnipotentia communicatur. |
3. En outre, la foi rend tout
possible ; parce que rien n'est impossible à celui qui croit comme l’établit
l’Écriture [Matthieu, 17, 19]. Mais la foi est répandue dans la
créature. Donc la toute-puissance aussi lui est communiquée. |
d. 43 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut
probatum est a philosophis, omnis virtus separata a materia est infinita,
quia non est accipere proportionem virtutis materialis ad virtutem
substantiae separatae. Sed Angeli, qui sunt creaturae, sunt substantiae a
materia separatae, secundum Dionysium. Cum ergo Deus dicatur omnipotens propter infinitatem
suae potentiae, videtur quod omnipotentia aliquibus creaturis communicari
possit. |
4. De plus, comme cela a été
prouvé par les philosophes [Le Livre des Causes, prop. 6], toute puissance
séparée de la matière est infinie, parce qu’elle n’a pas à admettre un
rapport à une puissance matérielle à l’égard de la puissance d’une substance
séparée. Mais les Anges, qui sont des créatures, sont des substances séparées
de la matière selon Denys [1 De la Hiérarchie Céleste, ch. VII,
col. 206]. Donc, puisqu’on dit de Dieu qu’il est tout-puissant à cause de
l'infini de sa puissance, il semble que la toute puissance puisse être
communiquée à certaines créatures. |
d. 43 q. 1 a. 2 s.
c. 1 Sed contra, creatio uniuscuiusque pertinet ad Dei potentiam. Sed nulli rei conferri potest ut sibimet
creando esse conferat. Ergo nulli rei creatae omnipotentia conferri potest. |
Cependant : 1. La création de tout être relève de la puissance de Dieu. Mais en créant elle ne peut communiquer l’être à aucune chose de manière à se communiquer lui-même. Donc la toute-puissance ne peut être conférée à aucun être créé. |
q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quidquid alicui
creaturae communicabile est de perfectionibus divinis, totum animae Christi
communicatum est. Sed sibi non est communicata omnipotentia, ut in 3 hujus
dicitur. Ergo nulli creaturae communicabilis est. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est communicable à une créature et qui fait partie des perfections de Dieu, a
été entièrement communiqué à l'âme du Christ. Mais la toute puissance ne lui
a pas été communiquée, comme il est dit dans les troisième livre des
Sentences [dist. 14, quest. 1, art. 4]. Donc, la toute-puissance n'est
communicable à aucune créature. |
d. 43 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
virtus vel potentia semper consequitur essentiam ; unde impossibile est, ut
essentiae finitae sit virtus infinita. Impossibile est autem aliquam
essentiam creatam esse infinitam, eo quod esse suum non est absolutum et
subsistens, sed receptum in aliquo. Si enim esset esse absolutum, non
differret ab esse divino. Non enim potest esse pluralitas alicujus naturae,
sicut albedinis vel vitae, nisi hoc modo quod unum sit absolutum, et aliud
alteri conjunctum, vel utrumque in diversis receptum ; eo quod substantia
uniuscujusque rei est simul, ut ex 5 Metaph., patet. Unde sicut
nulli creaturae potest communicari quod sit Deus, ita non potest sibi
communicari quod sit infinitae essentiae et infinitae potentiae, et quod
omnipotentiam habeat. |
Réponse : Je réponds qu’il faut dire que le pouvoir ou la puissance découle toujours de l'essence ; d’où il est impossible qu’une puissance infinie vienne d'une essence finie. Mais il est aussi impossible qu'une essence créée soit infinie, du fait que son être n'est ni absolu, ni subsistant, mais reçu en quelque chose. Car s'il était absolu, il ne différerait pas de l'être divin. En effet, il ne peut pas y avoir pluralité d'une nature, comme celle de la blancheur ou de la vie, que de cette manière selon laquelle l'un soit absolu, et l'autre joint à un autre, ou que les deux soient reçus dans quelque chose de différent, du fait que la substance de toute chose existe simultanément comme nous le montre le Philosophe [V Métaphysique texte 15]. D’où il suit que tout comme il est impossible que soit communiqué à la créature qu’elle soit Dieu, de même il ne peut lui être communiqué qu’elle soit d’une essence infinie, d’une puissance infinie et qu’elle possède la toute-puissance. |
d. 43 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quidquid perfectionis est in creatura, totum est exemplatum a
perfectione divina, tamen perfectius est in Deo quam in creatura, nec
secundum illum modum in creatura esse potest quo in Deo est : ideo omne nomen
quod designat perfectionem divinam absolute, non concernendo aliquem modum,
communicabile est creaturae, ut potentia, sapientia, bonitas, et hujusmodi.
Omne autem nomen concernens modum quo illa perfectio est in Deo, creaturae
incommunicabile est, ut est summum bonum esse, omnipotentem et hujusmodi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que tout ce qu'il y a de perfection dans la créature est en
totalité l'image de la perfection divine, perfection qui existe cependant
plus parfaitement en Dieu que dans la créature, et qui ne peut exister dans
la créature de la manière qu’elle existe en Dieu : c'est pourquoi tout nom
qui désigne la perfection divine de façon absolue, indépendamment d’une
modalité, est communicable à la créature, comme la puissance, la sagesse, la
bonté, etc. Mais tout nom qui concerne la modalité ou la manière par laquelle
cette perfection est en Dieu est incommunicable à la créature, en tant qu’il
est l'être suprêmement bon, tout puissant, etc. |
2 Ad secundum dicendum, quod potentia
significatur per egressum ab essentia ; unde ei quod habet essentiam finitam,
potentia infinita communicari non potest. Sed scientia animae est in
recipiendo ; unde potest secundum quod unitur alicui infinito ut objecto,
omnem scientiam habere ; et sic anima Christi in verbo omnia videt. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la puissance est signifiée par une sortie de l'essence ; c'est
pourquoi une puissance infinie ne peut pas être communiquée à ce qui a une
essence finie. Mais la science de l'âme consiste à recevoir ; c'est pourquoi
elle peut, selon qu'elle est unie à quelque chose d'infini en tant qu’objet,
posséder toute science ; et ainsi l'âme du Christ voit tout dans le Verbe. |
d. 43 q. 1 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod ibi est accommoda distributio. Non enim virtus fidei
absolute ad omnia se extendit, sicut ad creationem caeli, et hujusmodi ; sed
tantum ad ea quae faciunt ad confirmationem fidei, ut suscitare mortuos,
sanare infirmos, et hujusmodi. Nec ista etiam efficiuntur aliqua virtute
creata quae sit in credente, sed virtute increata ad preces fidelis : et ideo
dictum est supra, in corp. art., quod homo nec per se nec a se ista facit.
Hoc autem attribuitur potius fidei quam alii virtuti, inquantum ea quae
creduntur, quodammodo miraculis probantur, ut habetur Marc. ult.,
20 : domino cooperante, et sermonem confirmante, sequentibus signis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il y a là une distribution convenable. En effet, la
puissance de la foi ne s'applique pas absolument à tout, comme à
la création du ciel, etc. ; mais seulement aux choses qui contribuent à la
confirmation de la foi, comme la résurrection des morts, la guérison des
malades, etc. Et ces choses aussi ne sont pas produites par une puissance
créée qui est dans le croyant, mais par une puissance incréée à la prière du
fidèle : et c'est pourquoi nous avons dit plus haut dans le corps de
l'article que l'homme ne fait ces choses ni par lui-même ni de lui-même, mais
cela est plutôt attribué à la foi qu'à une autre puissance, dans la mesure où
ce qui l’on croit est en quelque sorte prouvé par les miracles comme le dit
l’Écriture [Marc, 16, 20]: « Le Seigneur agissait avec eux,
confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient. » |
d. 43 q. 1 a. 2 ad 4. Ad quartum dicendum,
quod ibi et in Lib. de causis, dicitur, quod virtus
intelligentiae creatae non est infinita simpliciter : et probatur per hoc
quod ipsa virtus intelligentiae non est per se subsistens, sed est recepta in
aliquo subsistente. Nulla enim intelligentia est sua virtus, sicut nec aliqua
creatura. Dicitur tamen ibi, quod est infinita inferius, et non superius ;
quod sic exponitur ibidem : quia si comparetur virtus intelligentiae ad
superius suum, scilicet Deum, manifestatur finita, inquantum non recipit
divinam virtutem in se, secundum suam totam infinitatem, sed per modum
possibilem sibi ; sed in comparatione ad ea quae sub ipsa sunt, dicitur
infinita, inquantum in infinitum potest movere, et infinitos effectus
producere per motum, secundum positionem philosophorum qui ponunt
intelligentias movere orbes ; sicut etiam virtus solis potest dici infinita
inferius, inquantum scilicet per eam possent infinita generari, si mundus
semper maneret. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’ici et dans Le livre des causes (prop. 16), il est
dit que la puissance de l'intelligence créée n'est absolument pas
infinie : et cela est prouvé du fait que la puissance même de
l'intelligence n'est pas subsistante par elle-même, mais est reçue dans
quelque chose de subsistant[45]. En effet, aucune intelligence
n'est sa propre puissance, tout comme aucune créature non plus. On y dit
cependant qu’elle est infinie par le bas et non par le haut, ce qu’on
explique au même endroit : parce que si on compare le pouvoir de
l'intelligence à ce qui lui est supérieur, à savoir Dieu, elle se montre
comme étant finie en tant qu'elle ne reçoit pas la puissance divine en elle
selon son infinité totale, mais d’une manière qui lui est possible ;
mais par rapport aux choses qui lui sont inférieures, on la dit infinie en
tant qu'elle peut mouvoir à l'infini et produire par le mouvement des effets
infinis, si on se rapporte à l’opinion des philosophes [XII Métaphysique,
texte 47] qui soutiennent que ce sont des intelligences qui meuvent les orbes
du ciel, tout comme on peut dire que la puissance du soleil est infinie par
le bas en tant que par elle une infinité de choses pourrait être engendrée si
le monde demeurait toujours. |
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Question 2 – [La nécessité de l'opération divine] |
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Quaestio 2, Prooemium. d. 43 q 2 pr. Deinde quaeritur de
necessitate divinae operationis ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 utrum
operetur ex necessitate naturae ; 2 utrum operetur ex necessitate suae
justitiae. |
PrologueOn s’interroge ensuite sur la
nécessité de l'opération divine, et à ce sujet on soulève deux questions : 1. Dieu opère-t-il par une
nécessité de nature ? 2. Opère-t-il par la nécessité de sa justice ? |
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Articulus 1d. 43 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deus operetur
de necessitate naturae. |
Article 1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ? |
d. 43 q. 2 a. 1 arg.
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus operetur per necessitatem
naturae. Dicit enim Dionysius : sicut noster sol non ratiocinans, non
eligens, radios suos diffundit in omnia corpora ; ita et divina bonitas in
omnia entia. Sed operari sine ratiocinatione et electione, est operari
per necessitatem naturae. Ergo Deus per necessitatem naturae operatur. |
Difficultés :[46] 1. Il semble que Dieu opère par une nécessité de nature.
Denys [Les Noms divins, ch. IV, col. 694] dit en effet : «De même
que notre soleil répand ses rayons sur tous les corps sans réfléchir et sans
choisir, de même la divine bonté répand sa bonté sur tous les êtres.»
Mais opérer sans réfléchir et sans choisir, c'est opérer par une nécessité de
nature. Donc Dieu opère par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne agens
per essentiam suam agit per necessitatem naturae : quia quod consequitur ad
essentiam alicujus rei inquantum est essentia, necessario ab ipso
consequitur, si esse ponatur. Sed Deus agit per essentiam suam, cum sit
primum agens, ut ibidem etiam Dionysius dicit. Ergo videtur agere ex
necessitate naturae. |
2. En outre, tout agent qui
agit par son essence agit par une nécessité de nature, car ce qui découle de
l'essence d’un être en tant qu’essence, découle nécessairement de lui si on
pose qu’il existe. Mais Dieu agit par son essence, puisqu'il est le premier
agent, comme Denys le dit aussi au même endroit. Donc Dieu semble agir par
une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut Deus
per se est bonus, ita etiam est ens per se necessarium, cum omnia ab ipso
necessitatem habeant ; et omne quod est per aliud, reducitur ad id quod est
per se. Sed in per se bono nihil est nisi bonum. Ergo etiam in Deo per se
necessario, nihil est nisi necessarium ; et ita operatio ejus necessaria est,
et ex necessitate operatur. |
3. Par ailleurs, de même que
Dieu est bon par soi, de même encore il est l’être qui est nécessaire par
soi, puisque tous les êtres tirent leur nécessité de lui et que tout ce qui
existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi. Mais dans le bien par
soi il n’y a que le bien. Donc de même en Dieu qui est nécessaire par soi, il
n'y a que le nécessaire, et par conséquent son opération est nécessaire et il
opère par nécessité. |
d. 43 q. 2 a. 1 arg.
4 Praeterea, impossibile est causam necessarii non esse necessariam. Sed
omnia entia creantur per operationem divinam. Si igitur non esset necessaria,
nihil in mundo esset necessarium, sed totum contingens. Hoc autem est falsum, et contra sensum et
omnem scientiam. Ergo videtur quod Deus ex necessitate operetur. |
4. De plus, il est impossible
que la cause de ce qui est nécessaire ne soit pas nécessaire. Mais tous les
êtres sont créés par l'opération divine. Si donc son opération n'était pas
nécessaire il n'y aurait rien de nécessaire dans l’univers, mais tout serait
contingent. Mais cela est faux, et à la fois contraire au bon sens et à toute
science. Il semble donc que Dieu opère par nécessité. |
d. 43 q. 2 a. 1 s. c. 1
Sed contra, ab uno secundum necessitatem naturae operante, non est nisi unum
: quia, secundum philosophum, De gener. II, text. 56 idem
semper facit idem. Ergo si Deus esset agens per necessitatem naturae, ab ipso
non esset nisi unum immediate, et ab ipso uno esset aliud vel alia, et sic
deinceps. Hoc autem est falsum et contra fidem, quae Deum omnium entium
creatorem confitetur, et nullum alium creatorem esse.Ergo non agit ex necessitate naturae. |
Cependant : 1. Au contraire, d’un même
agent qui opère par une nécessité de nature ne procède qu’un seul
effet : car, selon le Philosophe [11 De la génération, texte
56] la même cause produit toujours le même effet. Si donc Dieu agissait par
une nécessité de nature, de lui ne procéderait qu’un seul effet immédiat et
de ce même effet il en procéderait un autre ou des autres et
ainsi de suite ; mais cela est faux et contraire à la foi, qui confesse que
le Dieu est le créateur de tous les êtres et qu'il n'y a aucun autre
créateur. Dieu n'agit donc pas par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 s.
c. 2 Praeterea, omnis agens per necessitatem naturae producit effectum
coaevum sibi nisi impediatur. Sed
virtus Dei, quae infinita est, impediri non potest. Si ergo res ex
necessitate naturae ageret, mundum sibi coaeternum creasset : quod etiam
contra fidem est. Non ergo agit per necessitatem naturae. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
agit par une nécessité de nature produit un effet qui lui est contemporain, à
moins qu'il soit empêché. Mais la puissance de Dieu, qui est infinie, ne peut
pas être empêchée. Si donc il faisait les choses par une nécessité de nature,
il aurait créé un monde qui lui serait coéternel, ce qui est aussi contraire
à la foi. Dieu n'agit donc pas par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
omne quod est ex necessitate naturae, vel est intentum vel ordinatum ad
finem, vel non. Et si quidem non est intentum vel ordinatum ad finem, erit
casu ; quia casus nihil aliud est quam natura agens praeter intentionem, ut
in 2 Physic. dicitur ; et sic monstra in natura fiunt ex
necessitate naturae et sic etiam corruptio animalis ex necessitate naturae
particularis hujus individui, quamvis sit [sint Éd. Parme]
ordinata in finem a natura universali, ut corruptio unius sit generatio
alterius. Sic autem non potest esse quod Deus agat ex necessitate naturae ;
quia sequeretur quod omnia casu contingerent, quasi ea quae accidunt ex
necessitate materiae, et quod nulla natura intenderet finem ; quod est contra
philosophum. Non enim intendit natura creata finem, nisi inquantum a sua
causa est ordinata. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que toute chose qui existe à partir d’une nécessité de nature, ou bien est
dirigée ou ordonnée à sa fin, ou bien elle ne l’est pas. Et si elle ne l'est
pas, elle existera par hasard, parce que le hasard n'est rien d'autre que la
nature qui agit en dehors de l'intention, comme le Philosophe le dit
[11 Physique texte 61] ; et c’est ainsi que des monstres
sont produits dans la nature par une nécessité de nature et c’est ainsi aussi
que la corruption animale est produite par une nécessité de la nature
particulière de cet individu, bien qu’elle soit [qu’elles soient Éd.
de Parme] ordonnée à une fin par la nature universelle, de manière à ce
que la corruption de l'un soit la génération de l'autre. Mais il n'est pas
possible que Dieu agisse ainsi par une nécessité de nature car il
s’ensuivrait que tout arriverait par hasard, comme les choses qui arrivent
par la nécessité de la matière, et que qu’aucune nature ne tendrait vers une
fin, ce qui est contraire à la pensée du Philosophe [11 Physique, texte
49]. En effet, la nature créée ne tend à une fin que dans la mesure où elle y
est ordonnée par sa cause. |
Si autem est ordinatum ad finem ; oportet
quod hoc sit vel ab alio ordinante separato, vel ab ordinante conjuncto. Ab
ordinante separato, operationes naturae quae sunt ad finem, certitudinaliter
tendunt in finem illum ex provisione et ordinatione alicujus causae sic
ordinantis. Unde Themistius dicit, quod natura agit quasi esset mota ex
causis superioribus, idest inquantum est in ea quidam instinctus ab
ordinatione substantiarum separatarum. Sic etiam non potest esse quod illud
quod est a Deo, sit hoc modo ordinatum in finem : quia sic oporteret aliquid
prius Deo esse, ex cujus directione et ordinatione suum opus intenderet et
consequeretur finem. |
Mais si elle est ordonnée à
une fin, il faut qu’elle y soit ordonnée ou bien quelque chose d’autre et de
séparé de ce qui l’y ordonne, ou bien par quelque chose qui lui est uni. Si
ce qui l’y ordonne est un agent séparé, les opérations de la nature qui sont
en vue d’une fin y tendent avec certitude par la prévoyance et l’ordonnance
de la cause qui ordonne de cette manière. C'est pourquoi Thémestius [11 Physique,
ch. IV] dit que la nature agit comme si elle était mue à partir de causes
supérieures, c'est-à-dire en tant qu'il y a en elle un certain instinct dû à
l’ordonnance des substances séparées. Et en ce sens aussi il n'est pas
possible que ce qui vient de Dieu soit ordonné à une fin de cette manière car
il faudrait alors que quelque chose soit antérieur à Dieu, par la direction
et l’ordonnance duquel son œuvre tendrait et parviendrait à sa fin. |
Relinquitur ergo quod ea quae aguntur
virtute naturae suae, sint ordinata in finem ab ordinante conjuncto ipsi
agenti, quod est sapientia ejus ; et ita ea quae aguntur ab ipso procedunt ex
ordine sapientiae ejus et per consequens ex voluntate ipsius, qui amat hunc
ordinem, et non ex necessitate naturae ; et hoc praecipue apparet in
dispositione caelorum, in quibus multa sunt, ut numerus stellarum, et distantia
earum, et quantitas orbium, et hujusmodi, de quibus nulla potest ratio
assignari nisi ex ordine sapientiae conditoris ; quamvis forte alicujus
diversitatis quae est in generabilibus et corruptibilibus possit ratio
assignari ex diversitate materiae ; et propter hoc dominus frequenter in
Scripturis in ostensionem divinitatis suae remittit ad considerationem
caelorum, ut Isai. 40, 26 : levate in caelum oculos
vestros, et videte quis creavit eos. |
Il reste donc que ce qui est
fait par la puissance de sa nature est ordonné à la fin par ce qui ordonne en
tant qu’il est uni à l'agent, et qui est sa sagesse ; et ainsi les choses qui
sont faites par lui procèdent de l'ordre de sa sagesse et par conséquent de
sa volonté qui aime cet ordre, et non pas d’une nécessité de nature ; et
cela apparaît surtout dans la disposition des cieux, où il y a beaucoup de
choses, comme le nombre des étoiles, leur distance, la quantité des orbes, et
les choses de cette sorte, auxquelles on ne peut assigner de raison si ce n’est
celle de l'ordre de la sagesse du créateur, bien que peut-être la raison
d’une certaine diversité qu’on retrouve dans les êtres qui sont sujets à la
génération et à la corruption puisse être attribuée à une diversité de la
matière ; et c'est pour cette raison que le Seigneur dans les Écritures
[Isaïe, 40, 26] nous renvoie fréquemment à la considération des cieux
pour manifester sa divinité: « Levez vos yeux vers le ciel, et voyez
qui les a créés. » |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Dionysius non intendit assignare convenientiam bonitatis
divinae ad solem visibilem quantum ad necessitatem agendi, sed quantum ad
universalitatem causandi : quod patet ex hoc quod continuo ostendit radios
divinae bonitatis usque ad ultima entium diffundi. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que Denys ne cherche pas à indiquer la ressemblance de la bonté divine
au soleil visible sous le rapport de la nécessité de l’action, mais sous le
rapport de l’universalité de la causalité ; ce qui apparaît du fait qu’il
montre immédiatement après que les rayons de la bonté divine se répandent
jusqu'au dernier des êtres. |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod sicut voluntas et essentia et sapientia in Deo idem sunt re, sed ratione
distinguuntur ; ita etiam distinguuntur et operationes secundum rationes
diversorum attributorum, quamvis sit una tantum ipsius operatio, quae est sua
essentia. Et ideo, quia creatio rerum quamvis sit operatio essentiae ejus,
non tamen inquantum solum est essentia, sed etiam inquantum est sapientia et
voluntas ; ideo sequitur conditionem scientiae et voluntatis ; et quia
voluntas libera est, ideo dicitur Deus ex libertate voluntatis res facere, et
non ex naturae necessitate. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que tout comme la volonté, l'essence et la sagesse en Dieu sont
identiques en réalité mais diffèrent par la raison, de même encore les
opérations diffèrent selon les raisons des différents attributs, bien qu’il
n’y ait qu’une seule opération qui lui appartienne, laquelle est son essence.
Et c’est pourquoi, parce que la création des choses, bien qu’elle soit
l'opération de son essence, ne l’est cependant pas seulement en tant qu’elle
est l’essence, mais aussi en tant qu'elle est sagesse et volonté, c'est
pourquoi il s’en suit une création de la science et de la volonté ; et parce
que la volonté est libre, on dit que Dieu fait les choses par la liberté de
la volonté et non par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quidquid in Deo est, est sua essentia : et ideo totum est aeternum et
increatum, et necessarium ; sed tamen effectus qui ex ejus operatione
procedit, non necessario procedit : quia procedit ab operatione secundum quod
est a voluntate ; et ideo producit effectum secundum libertatem voluntatis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que tout ce qui est en Dieu est son essence ; et c’est pourquoi il est
en totalité éternel, incréé et nécessaire ; mais cependant les effets qui
procèdent de son opération, n’en procèdent pas nécessairement, parce qu'ils
procèdent d’une opération qui naît elle-même de sa volonté ; et c’est
pourquoi il produit un effet selon la liberté de la volonté. |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod non est dicendum voluntatem Dei esse contingentem, aut operationem
ipsius, quia contingentia mutabilitatem importat, quae in Deo proprie nulla
est ; sed tamen est libertas voluntatis et operationis, prout exit a
voluntate. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’il ne faut pas dire que la volonté de Dieu, ou son opération, est
contingente parce que la contingence implique la mutabilité, laquelle à
proprement parler n’a aucune place en Dieu ; mais il y a en Dieu la liberté
de la volonté et de l’opération en tant que cette dernière procède de la
volonté. |
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Articulus 2 d. 43 q. 2 a. 2 tit. Utrum Deus
agat de necessitate justitiae |
Article 2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ? |
d. 43 q. 2 a. 2 arg.
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod Deus agat de necessitate justitiae. Sicut enim dicit Glossa super illud
2 ad Timoth. 2, 13 : seipsum negare non potest,
seipsum negaret, si justitiam suam dimitteret, quae est ipse. Cum igitur
necessarium sit Deum seipsum non negare, videtur quod ex necessitate
justitiae agat. |
Difficultés:[47] : 1. Il semble que Dieu agit
par une nécessité de justice. En effet, comme le dit la Glose sur ce verset
[2 Épître à Timothée, 2, 13] : «Il ne peut pas se nier
lui-même.», il se nierait lui-même s'il abandonnait sa justice, qui est
lui-même. Donc puisqu’il est nécessaire que Dieu ne se nie pas lui-même, il
semble qu'il agit par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid
non est justum, si fiat, injuste et contra justitiam fit. Sed Deus nihil
potest facere injuste et contra justitiam, quia sic posset peccare. Ergo
videtur quod de necessitate justitiae agat. |
2. En outre, tout ce qui se
produit et qui n'est pas juste, si cela vient à exister, cela est
produit injustement et contre la justice. Mais Dieu ne peut rien d’injuste et
de contraire à la justice, parce qu'alors il pourrait pécher. Il semble donc
qu'il agisse par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg.
3 Praeterea, causae naturales dicuntur agere per necessitatem naturae, eo
quod determinatae sunt ad unum. Sed voluntas Dei immutabiliter determinata est ad
justitiam. Ergo videtur quod agat de necessitate justitiae. |
3. Par ailleurs, on dit des
causes naturelles qu’elles agissent par une nécessité de nature, du fait
qu’elles sont ordonnées à un seul effet determiné. Mais la volonté de Dieu
est immuablement déterminée à la justice. Il semble donc qu'il agisse par une
nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 4 Sed contra, Jonae 2,
dicitur in Glossa : Deus misericors paratus salvare per misericordiam
quos non potest per justitiam ; et ita videtur quod non de
necessitate justitiae agat. |
Cependant : 4. Au contraire, on dit dans
la Glose au sujet de Jonas 2: «Le Dieu miséricordieux est prêt à sauver
par miséricorde, ceux qu'il ne peut sauver par la justice[48] » et ainsi il semble qu'il
n'agisse pas par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, constat
quod salvare illos qui sunt in Inferno, non est justitiae, sed magis contra
justitiam videtur. Sed, sicut legitur, ad preces beati Gregorii dominus
Trajanum imperatorem idolatram et ob hoc in Inferno damnatum, ab Inferis
revocavit, et vitae restituit. Ergo videtur quod non agat de necessitate justitiae. |
5. Par ailleurs, il est clair
que sauver ceux qui sont en Enfer ne relève pas de la justice, mais semble
plutôt contraire à la justice. Mais, comme on le lit, aux prières du
bienheureux Grégoire[49], le Seigneur rappela des enfers
l'empereur Trajan l’idolâtre, qui pour cette raison d’idolâtrie avait été
condamné à l’Enfer, et il lui rendit la vie. Il semble donc que Dieu n'agisse
pas par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, si non
potest agere nisi secundum justitiam, aut hoc intelligitur de justitia
creata, aut de justitia increata. Sed non de justitia creata, quia ea
operatio Dei [qua res illa quae est Éd. Parme], non regulatur ; nec etiam de
justitia increata, quia illa potentiae non contrariatur nec voluntati. Ergo
videtur quod non agat de necessitate justitiae. |
6. De plus, s'il ne peut agir
que selon la justice, ou bien cela s’entend de la justice créée, ou bien de
la justice incréée. Mais cela ne s’entend pas de la justice créée, parce que
l’opération de Dieu [par laquelle cette chose qui existe Éd. de Parme]
n'est pas réglée par elle, ni non plus de la justice incréée parce
qu'elle n'est pas contraire à la puissance ni à la volonté. Il semble donc
qu'il n'agisse pas par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
Deum agere de necessitate justitiae, potest intelligi dupliciter. Aut ita
quod nihil possit agi ab eo quod si fieret, justum non esset ; et sic verum
est ; sicut enim non potest facere aliquid quod si fieret, non esset volitum
ab eo, et quod non esset scitum ab eo : ita est de justo. Nihil enim potest
facere quod si fieret, non esset justum. Aut potest intelligi quod ex
justitia sua determinetur ad aliquod unum faciendum, ita quod aliud facere
non possit : et sic falsum est. Et hujus ratio est, quia quandocumque tota
determinatio operis est ex parte operantis, in operante est determinare ad
hunc modum hoc vel illud. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on peut entendre de deux manières que Dieu agit par une nécessité de
justice. Soit de telle manière que rien ne peut être fait par lui de telle
manière que s'il le faisait, cela ne serait pas juste ; et en ce sens cela
est vrai ; en effet, tout comme il ne peut rien faire de tel que s’il le
faisait, cela ne serait pas voulu par lui et ne serait pas connu de lui, il
en est de même pour ce qui est du juste. En effet, il ne peut rien faire de tel
que cela ne serait pas juste. Car il ne peut pas faire que ce qu'il ferait ne
soit pas juste. Soit on l’entend de telle manière que Dieu se détermine de
par sa justice à faire une seule chose de telle manière qu’il ne puisse pas
en faire une autre : et en ce sens l’énoncé est faux. La raison en est
qu’à chaque fois que la détermination totale de l'œuvre se tient du côté de
celui qui opère, c'est à lui qu’il revient de la déterminer de telle ou telle
autre manière. |
Quando autem ipsum opus ex se determinatum
est, non est ulterius in operante. Verbi gratia, in operibus humanis aliquid,
quantum est de sui natura, est indifferens, ut sedere vel non sedere ; et
utrumque determinatur ad hoc quod est esse virtuosum, ex parte hominis, qui
adhibet debitas circumstantias. Unde ex necessitate justitiae ad neutrum
cogitur ; sed quodcumque faciat, justum erit debitis circumstantiis adhibitis
ex ordine rationis. Aliquid autem est ex sua forma determinatum ad unum,
sicut mentiri, quod in se malum est, vel servare aequalitatem justitiae, quod
in se bonum est ; quorum nec unum praeterire, nec alterum facere sine
injustitia possumus. |
Quand l'œuvre elle-même est
déterminée d’elle-même, sa détermination n’est plus dans celui qui opère. En
d’autres mots, il y a dans les opérations humaines des choses qui,
quant à leur nature, sont indifférentes, comme s'asseoir ou ne pas s'asseoir,
et c’est du côté de l’homme qui applique les circonstances appropriées que
chacune des deux est déterminée à être vertueuse. C'est pourquoi il n'est
forcé à aucune des deux possibilités par une nécessité de justice, mais
quoiqu'il fasse, l’œuvre sera juste par les circonstances appropriées
appliquées par l'ordre de la raison. Mais il y a des choses qui de par leur
forme sont déjà tournées dans un sens déterminé, comme mentir qui est un mal
en soi, ou servir l’égalité de justice qui est un bien en soi ; et parmi
ces choses, nous ne pouvons omettre l’une et faire l’autre sans qu’il y ait
injustice. |
Dico ergo, quod quidquid est ordinatum,
justum vel bonum in rebus creatis, totum est ex ipsa voluntate Dei ordinante
; et ideo ex necessitate justitiae non facit hoc, quin aliud etiam facere
posset : quia modum ordinis quem circa hoc ponit, etiam circa aliud ponere
posset : sicut enim scientia sua est causa verorum creatorum, e contrario
scientiae nostrae ; ita et justa voluntas sua est causa justorum. Unde si
aliud faceret, illud justum faceret et injustus ipse non esset. |
Je dis donc que tout ce qui
est ordonné comme étant juste et bon dans les créatures, vient entièrement de
la volonté même de Dieu qui l'ordonne, et c'est pourquoi il ne fait pas cela
par une nécessité de justice de telle manière qu’il ne pourrait pas aussi
faire autre chose ; parce que la sorte d'ordre qu'il pose sur ceci, il
pourrait le poser aussi sur autre chose : en effet, tout comme sa science est
la cause des vérités créées, contrairement à notre science, de même sa
volonté juste est cause de ce qui est juste. D’où il suit que s'il faisait
une autre chose, il la ferait juste et lui-même ne serait pas injuste. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 1
Ad primum ergo dicendum, quod justitia potest accipi dupliciter. Vel ipsa
ordinatio divinae voluntatis quae in Deo est ; et sic non potest facere
praeter justitiam, sicut non potest facere praeter scientiam. Aut potest
accipi secundum quod ex ordine voluntatis suae determinatur justitia in
aliquo opere causato ; et praeter illam justitiam facere potest, nec seipsum
negaret : quia in hoc etiam quod faceret, ordo suae justitiae appareret ; et
ideo nec contra justitiam faceret, nec injuste. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la justice peut être prise en deux sens. Ou bien l'ordonnance même de la volonté divine qui est en Dieu, et en ce sens il ne peut pas agir contre la justice, tout comme il ne peut pas agir contre la science. Ou bien elle peut aussi se prendre selon que la justice est déterminée dans toute œuvre causée à partir de l’ordre de sa volonté ; et il peut agir au-delà ou en dehors de cette justice, et il ne se nierait pas lui-même en le faisant, parce que l’ordre de sa justice apparaîtrait en cela aussi qu’il ferait ; et c’est pourquoi il n’agirait pas contre la justice et ne serait pas injuste. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 2
Et per hoc patet responsio ad secundum. |
2. Et par cela apparaît la
réponse à la deuxième difficulté. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas Dei sit immutabiliter determinata
ad justitiam, tamen ordo justitiae non est determinatus ad hanc rem vel ad
illam. Unde non sequitur
quod ex necessitate justitiae hoc vel illud faciat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que la volonté de Dieu soit immuablement déterminée à la
justice, cependant l'ordre de la justice n'est pas déterminé à cette chose ou
à une autre. D’où il ne s’ensuit pas qu'il fasse ceci ou cela par une
nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod justitia dicitur dupliciter de Deo. Uno modo retributio pro meritis : et
hoc respondet justitiae cuilibet [de alio judice Éd. Parme]
specialiter dictae ; et quia hoc attendit aequalitatem et ordinem ex parte
ipsarum rerum, ideo Deus hanc justitiam quandoque praetermittit ; et secundum
misericordiam procedit opus ejus. Alio modo dicitur justitia decentia divinae
bonitatis, cui respondet in politicis justitia communiter dicta quae est
communis virtus, secundum philosophum : et quia hoc respicit ordinem ex parte
ipsius Dei, ideo praeter hanc Deus nunquam facit nec facere potest ; nihil
enim potest facere quod ipsum non deceat : et huic justitiae non repugnat
liberalitas qua alicui confertur id quod sibi debitum non est, et hoc est Dei
misericordia, qua etiam peccatoribus dignis morte gratiam infundit, ut digni
sint vita ; et sic ponit alium ordinem in re ipsa, ut scilicet quod ex culpa
ordinabatur ad poenam, ex gratia ordinetur ad gloriam. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la justice s’attribue à Dieu en deux sens. En un premier sens à
titre de rétribution pour les mérites et cela correspond à toute justice [de
l’autre juge add. Éd. de Parme] dite particulièrement ; et parce que
cela concerne l'égalité et l'ordre du côté des choses elles-mêmes, c’est
pourquoi Dieu omet quelquefois cette justice et son œuvre procède selon la
miséricorde. En un autre sens on appelle justice la convenance de la bonté
divine, à laquelle correspond en politique la justice dite communément,
laquelle est une puissance commune selon le Philosophe [V Éthique,
ch. 111] : et parce que cela concerne l'ordre du côté de Dieu lui-même, c’est
pourquoi Dieu n'agit jamais et ne peut jamais agir contre cette justice ;
en effet il ne peut rien faire qui ne lui convienne pas. Et la libéralité,
par laquelle ce qui ne lui est pas dû est conféré à quelqu'un, ne répugne pas
à cette justice et c'est là la miséricorde de Dieu, par laquelle il répand la
grâce même aux pécheurs dignes de mort, pour qu'ils soient dignes de la
vie ; et ainsi il pose un autre ordre dans la chose elle-même, à savoir
de telle manière que ce qui était ordonné au châtiment par la faute est
ordonné à la gloire par la grâce. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod idem est de Trajano qui forte post quingentos annos suscitatus est, et
de aliis qui post unum diem suscitati sunt ; de omnibus enim dicendum est,
quod non finaliter damnati erant : praesciebat enim Deus eos sanctorum
precibus a poenis liberandos, et vitae restituendos ; et sic ex liberalitate
bonitatis suae eis veniam contulit, quamvis aeternam poenam meruissent. Non
enim est simile de ipso in quem solum peccatur, et de alio judice. Unde et
Deus libere remittere potest sine ullius offensa ; de alio judice [non
alius judex Éd. de Parme] qui punire habet culpam in alium, vel in
rempublicam, vel in Deum commissam ; unde et poenam licite remittere non
potest. |
5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il en est de même
pour Trajan qui fut ressuscité après peut-être cinq cents ans, et pour
d’autres qui l'ont été après un seul jour ; car il faut dire de tous que
finalement ils n'avaient pas été condamnés ; car Dieu prévoyait qu'ils
seraient libérés du châtiment par les prières des saints, et ramenés à la
vie ; et ainsi par la libéralité de sa bonté il leur a confèré la grâce,
bien qu’ils avaient mérité une peine éternelle. Il n’en est pas de même en
effet pour lui contre qui seul il a péché, et pour un autre juge.
C'est pourquoi Dieu peut remettre librement les fautes sans offenser
personne, mais pour un autre juge [mais non un autre juge Éd. de
Parme] qui doit punir une faute contre un autre, contre l'état, ou
commise contre Dieu, il ne peut légalement remettre la peine pour cette
raison. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextu m dicendum,
quod dicitur Deus non posse injuste facere, non propter justitiae suae
contrarietatem ad suam potentiam, sed propter justitiae incompossibilitatem.
Haec enim duo sunt incompossibilia, quod Deus aliquid faciat, et illud justum
non sit. |
6. Il faut dire en sixième
lieu qu’on dit que Dieu ne peut pas agir injustement, non à cause de
l'opposition de sa justice à l’égard de sa puissance, mais à cause de
l'imcompossibilité de sa justice. Ces deux choses en effet sont incompossibles,
à savoir que Dieu fasse quelque chose et que cela ne soit pas juste. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43 |
D 43 q. 2, a. 2 expos. His autem respondemus
duplicem verborum intelligentiam aperientes. Solutio magistri in hoc
consistit, quod cum dicitur, Deus non potest facere nisi quod justum est, hoc
quod dico justum potest intelligi prius conjungi cum hoc verbo est a quo
restringitur ad standum pro praesentibus, quam cum hoc verbo potest ; et sic
falsa est. Est enim sensus : Deus non potest facere nisi id quod modo justum
est : quod falsum est. Potest enim facere quaedam quae modo nihil sunt. Vel
potest prius intelligi conjungi cum hoc verbo, potest, habente vim ampliandi,
quam cum hoc verbo est ; et in hoc sensu est vera : quia sic hoc nomen
justum, supponit pro praesenti confuso non secundum aliquod determinatum
tempus. Et est sensus : Deus non potest facere aliquid quod non est justum,
in quocumque tempore ponatur ab eo factum ; et per modum istum procederunt
[solvuntur Éd. Parme] omnes objectiones. |
« Nous répondons à cela
en ouvrant la double intelligibilité des paroles. » La solution du Maître
consiste en ceci que, quand on dit que Dieu ne peut faire que ce qui est
juste, ce que j’appelle juste peut d’abord s’entendre comme étant
uni à ce verbe ¨est¨ par lequel il est limité à devoir
tenir lieu des choses présentes, avant d’être uni à ce verbe : ¨il
peut¨ ; et en ce sens l’énoncé est faux. En effet, le sens est alors
celui-ci : Dieu ne peut faire que ce qui est juste maintenant ; ce
qui est faux. Il peut en effet faire des choses qui ne sont rien maintenant.
Ou bien on peut d’abord entendre ¨juste¨ comme étant uni à ce verbe :
¨il peut¨, possédant ainsi une plus grande puissance de multiplication
qu’avec ce verbe ¨est¨ ; et en ce sens l’énoncé est vrai car alors ce
nom ¨juste¨ suppose en guise de temps présent un temps confus qui n’est pas
un temps déterminé. Et le sens devient alors : Dieu ne peut rien faire qui ne
soit pas juste, quelque soit le temps dans lequel il le fasse et de cette
manière toutes les difficultés sont franchies [résolues Éd. de Parme]. |
Cap. 188 (1) An Deus possit facere aliquid
melius quam facit vel alio vel meliori modo. Nunc illud resta discutiendum
utrum melius aliquid possit facere quam facit. |
1. Dieu peut-il faire quelque
chose de meilleur que ce qu’il fait ou d’une autre manière qui serait
meilleure ? Maintenant il reste à discuter si Dieu pourrait faire mieux
que ce qu'il fait. |
2. Illi dicunt non posse. Solent
enim illi scrutatores dicere, quod ea quae facit Deus, non potest meliora
facere ; quia si posset facere et non faceret, invidus esset, et non summe
bonus. Et hoc ex simili astruere conantur. Ait enim Augustinus in lib.
LXXXIII Quaest.qu. L, col. 31 : « Deus quem genuit, quoniam
meliorem se generare non potuit, nihil enim Deo melius, generare debuit
aequalem. Si enim voluit et non potuit, infirmus est. Si potuit et noluit,
invidus.» Ex quo confirmatur aequalem genuisse Filium. A simili volunt dicere
quod si potest Deus rem meliorem facere quam facit, invidus est. Sed non
valet hujus similitudinis inductio, quia Filium genuit de substantia sua :
ideoque si posset gignere aequalem et non gigneret, invidus esset ; alia vero
quae non de substantia sua facit, meliora facere potest. |
1. Ceux-ci disent
qu’il ne le peut pas. Car ces chercheurs ont l’habitude de dire que
les choses que Dieu fait, il ne peut pas les faire meilleures ; car s'il le
pouvait et ne les faisait pas, il serait jaloux, et non suprêmement bon. Et
ils essayent de le démontrer à partir d’une similitude. En effet,
Saint-Augustin [Les Quatre-vingt-trois questions, quest. L, col. 31]
dit : « Celui que Dieu a engendré, puisqu’il n'a pas pu l’engendrer
meilleur que lui, car rien en effet n'est meilleur que Dieu, il a dû
l’engendrer égal à Lui. Si en effet il a voulu le faire et n’a pas pu le
faire, il est faible. S'il a pu le faire et ne l'a pas voulu, il est jaloux ».
Et à partir de là il est confirmé que le fils a été engendré égal à Dieu.
C’est par une similitude qu’ils veulent dire que si Dieu peut
faire une chose meilleure que celle qu’il fait, il est jaloux. Mais la
présentation de cette similitude ne tient pas car c’est de sa substance même
que Dieu a engendré le Fils : D'une manière semblable, ils veulent
dire que si Dieu peut faire une chose meilleure qu'il ne fait, il est jaloux.
Mais la présentation de cette similitude ne tient pas parce que Dieu a
engendré le Fils à partir de sa propre substance : c'est pourquoi il
faut plutôt dire que s’il avait pu engendrer son égal et ne l’avait pas fait,
il aurait été jaloux ; mais c’est les autres choses, à savoir celles
qu’il ne fait pas à partir de sa substance même, qu’il peut faire meilleures. |
3. Quaestio qua
illi arctantur. Verum hic ab eis responderi deposco. Cur dicunt rem
aliquam, sive etiam rerum universitatem, in qua major consummatio expressa
est, non posse esse meliorem quam est ? Sive ideo quia summe bona est, ita ut
nulla omnino boni perfectio ei desit ; sive ideo quia majus bonum quod ei
deest capere ipsa non valeat. Sed si illa summe bona dicitur ut nulla ei
perfectio boni desit, jam creatura Creatori aequatur. Si vero jam non potest
melior esse, quia bonum amplius quod ei deest, capere ipsa non valet, iam hoc
ipsum non posse, defectionis est, non consummationis : et potest esse melior,
si fiat capax melioris boni : quod ipse potest qui eam fecit. Potest ergo
Deus meliorem rem facere quam facit. Unde Augustinus, Super Genes. Ad
litteram, lib. XI, cap. VII, col 433) : Talem potuit Deus hominem
fecisse qui nec peccare posset nec vellet : et si talem fecisset, quis
dubitat eum meliorem fuisse ? Ex
praedictis constat quod potest Deus et alia facere quam facit, et quae facit,
meliora ea facere quam facit. |
3. La question qui
les presse. Mais je réclame ici qu’ils me disent la vérité. Pourquoi
disent-ils qu’une chose ou bien même la totalité des choses, dans laquelle
s'exprime un plus grand accomplissement, ne peut pas être meilleure qu'elle
n’est ? Ou bien, parce qu’elle est suprêmement bonne, de telle manière
qu'absolument aucune perfection du bien ne lui manque, ou bien parce
qu'elle-même ne peut pas saisir un bien plus grand qui lui manque. Mais si on
dit d’elle qu’elle est suprêment bonne, de sorte qu'aucune perfection dans le
bien ne lui manque, alors la créature est égale au Créateur. Mais si elle ne
peut pas être meilleure, parce qu'elle est incapable de saisir un bien plus
grand qui lui manque, déjà cette impuissance relève d’un manque et non d’un
accomplissement et elle ne peut être meilleure que si elle devient capable d'un
bien meilleur : ce que peut faire celui-là même qui l’a faite. Donc Dieu
peut faire une chose meilleure qu'il ne la fait. C'est pourquoi
Saint-Augustin [ Sur La Genèse au sens littéral, liv. XI, ch. 7,
col. 433[50]] dit : « Dieu
aurait pu aussi faire l'homme tel qu'il ne puisse ni ne veuille pécher, et
s'il l'avait fait tel, qui doute qu'il aurait été meilleur ? De ce qui
précède, il est clair que Dieu peut faire d'autres choses que ce qu'il fait,
et ce qu'il fait, il peut le faire meilleur qu'il ne le fait. |
4. Utrum alio vel
maiori modo possit facere quam facit. Post haec considerandum est
utrum alio modo, vel meliori quam facit, possit ea facere quae facit. Si
modus operationis ad sapientiam opificis referatur, nec alius nec melior
modus esse potest. Non enim potest facere aliquid aliter vel melius quam
facit, id est alia sapientia, vel majori sapientia : nihil enim sapientius
potest facere quam facit. Si
vero referatur modus ad rem ipsam quam facit Deus, dicimus, quia et alius et
melior potest esse modus. Et secundum hoc concedi potest, quia ea quae facit
potest facere melius, et aliter quam facit ; quia potest quibusdam meliorem
modum existendi praestare, et quibus alium. Unde Augustinus, in XIII
lib. de Trinit., c. X, col. 1024, dicit, quod fuit et alius
modus nostrae liberationis possibilis Deo, qui omnia potest ; sed nullus
alius nostrae miseriae sanandae fuit convenientior. Potest ergo Deus
eorum quae fecit quaedam etiam minus bono facere quam facit : ut tamen modus
referatur ad qualitatem operis, id est creaturae, non ad sapientiam
Creatoris. |
4. Peut-il faire les
choses d’une manière autre ou meilleure que celle par laquelle il les fait
? Suite à cela il faut considérer s’il peut faire les choses qu’il
fait d’une manière autre ou meilleure que celle par laquelle il
les fait. Si le mode d'opération se rapporte à la sagesse de celui qui fait
l’oeuvre, il ne peut y avoir une modalité autre ou meilleure. Il ne peut pas
en effet faire une chose autre ou meilleure que celle qu’il fait,
c'est-à-dire par une sagesse autre ou meilleure : en effet, il ne peut
rien faire d’autre avec plus de sagesse que ce qu'il fait. Mais si la manière
d’opérer se rapporte à la chose même que Dieu fait, nous disons alors que la
manière peut être autre et meilleure. Et suite à cela, on peut concéder que
ce qu'il fait, il peut le faire mieux et autrement qu'il ne le fait parce
qu'il peut offrir à certains un mode d'existence meilleur et à d’autres une
autre manière d’exister. C'est pourquoi Saint-Augustin [XIII De La
Trinité, ch. X, col. 1024], dit qu'il était possible à Dieu, Lui qui peut
tout, de nous libérer d’une autre manière ; mais aucune autre manière ne
convenait davantage à la guérison de notre misère. Dieu peut donc, parmi les
choses qu’il a faites, en faire aussi certaines d’une moins bonne manière
qu’il les a faites, à condition cependant que la manière d’opérer se rapporte
à la qualité de l'œuvre, c'est-à-dire à la créature, et non à la sagesse du
Créateur. |
Cap. 189 (2). 1. Utrum Deus semper
possit omne quod potuit ? |
1. Dieu peut-il toujours
faire tout ce qu'il a pu faire autrefois ? |
Praeterea quaeri solet utrum Deus semper
possit omne quod olim potuit. Quod quibusdam non videtur, dicentibus : Potuit
Deus incarnari, et potuit mori et resurgere, et alia huiusmodi quae modo non
potest. Potuit ergo quae modo non potest, et ita habuit potentiam quam modo
non habet ; unde videtur potentia eius imminuta. |
Ensuite on a l’habitude de se
demander si Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu autrefois. Certains ne
semblent pas le penser, qui disent : Dieu a pu s'incarner, il a pu mourir et
resssusciter et il a pu faire d’autres choses de ce genre, qu'il ne peut plus
maintenant. Donc il a pu ce qu'il ne peut pas maintenant ; et ainsi il a eu
une puissance qu'il n'a plus maintenant ; c'est pourquoi sa puissance semble
diminuée. |
2. Ad quod dicimus, quia sicut omnia semper
scit quae aliquando scivit, et semper vult quae aliquando voluit, nec unquam
aliquam scientiam amittit, nec voluntatem mutat quam habuit, ita omnia semper
potest quae aliquando potuit, nec unquam aliqua potentia sua privatur. Non
est ergo privatus potentia incarnandi vel resurgendi, licet non possit modo
incarnari vel resurgere. Sicut enim potuit olim incarnari, ita et potest modo
incarnatus esse : in quo eiusdem rei potentia monstratur. |
2. À cela nous disons, que de
même qu'il sait toujours tout ce qu'il a su une fois, et qu'il veut toujours
ce qu'il a voulu une fois, et qu’il n’a jamais perdu la moindre science, et
que la volonté qu’il avait ne change pas, de même il peut toujours ce qu’il a
pu autrefois et jamais il n’est privé de sa puissance. Il n'est donc pas
privé de la puissance de s'incarner ou de ressusciter, bien qu'il ne puisse
maintenant s'incarner et ressusciter. Tout comme il a pu autrefois
s'incarner, de même il peut maintenant avoir été incarné, ce en quoi se
manifeste sa puissance pour une même chose. |
3. Ut enim olim scivit se resurrecturum et
modo scit se resurrexisse, nec est alia scientia, illud olim scivisse, et hoc
modo scire, sed eadem omnino ; et sicut voluit olim resurgere et modo
resurrexisse, in quo unius rei voluntas exprimitur : ita potuit olim nasci et
resurgere, et modo ipse potest natus fuisse et resurrexisse et est ejusdem
rei potentia. |
3. En effet, de même
qu'autrefois il a su qu'il ressusciterait et que maintenant il sait qu'il est
ressuscité, ce n’est pas par une autre science qu’il l'a su autrefois et
qu’il le sait maintenant, mais c'est tout à fait par la même science ; et
tout comme il a voulu autrefois ressusciter et qu’il veut maintenant avoir
ressuscité, en quoi s'exprime la volonté à l’égard d’une même chose, de même
il a pu autrefois naître et ressusciter, et maintenant il peut être né et
avoir ressuscité, et c'est là la puissance à l’égard d’une seule et même
chose. |
Si enim posset modo nasci et resurgere, non
esset idem posse. Verba enim diversorum temporum diversis prolata temporibus
et diversis adjuncta adverbiis, eumdem faciunt sensum : ut modo loquentes
dicimus : « Iste potest legere hodie » ; cras autem dicemus :
« Iste potest legisse, vel potuit legere heri » ubique unius rei
monstratur potentia. Si autem diversis temporibus loquentes ejusdem temporibus
verbis et adverbis utamur, dicentes hodie : iste potest legere hodie, et
dicentes cras : iste potest hodie legere, non idem sed diversa dicimus eum
posse. |
S'il pouvait en effet naître et ressusciter maintenant, ce ne serait pas la même puissance. En effet les paroles prononcées en des temps différents transportés à des temps différents et ajoutées à des adverbes[51] différents, rendent la même signification, de telle manière que nous disons maintenant : « Celui-ci peut lire aujourd'hui » ; demain nous dirons aussi : « Celui-ci peut avoir lu ou il a pu lire hier » ; et dans les deux cas se manifeste une puissance à l’égard d’une même chose. Mais si parlant en des temps différents nous nous servons des temps, des mots et des adverbes du même temps en disant aujourd’hui : celui-là peut lire aujourd'hui, et en disant demain : il peut lire aujourd'hui, nous ne disons pas qu’il peut la même chose, mais des choses différentes. |
4. Fateamur ergo Deum semper posse quidquid
semel potuit. Id est, habere omnem illam potentiam quam semel habuit, et
illius omnis rei potentiam cujus semel habuit : sed non semper facere omne
illud quod aliquando potuit facere. Potest quidem facere aut fecisse aliquando
quod potuit : similiter quidquid voluit, et vult, id est omnem quam habuit
voluntatem, et modo habet ; et cujuscumque rei voluntatem habuit, et modo
habet : non tamen vult esse vel fieri omne quod aliquando voluit esse, vel
fieri, sed vult fuisse vel factum esse. Ita et de scientia Dei dicendum est. |
4. Avouons donc que Dieu peut
toujours tout ce qu'il a pu une fois. C'est-à-dire, avoir toute cette
puissance qu'il a eue une fois et la puissance de tout ce qu'il a eu une
fois, mais il ne peut pas toujours faire ce qu'il a pu faire à certains
moments. Il peut certes faire ou avoir fait à un certain moment ce qu'il a pu
faire ; de même tout ce qu'il a voulu, et veut, c'est-à-dire toute volonté
qu'il a eue, il l'a maintenant ; et la volonté qu’il a eu pour chaque chose,
il l'a maintenant ; cependant il ne veut pas qu'existe et soit fait tout ce
qu'il a voulu quelquefois, ou que ce soit fait, mais il veut que cela ait
existé ou ait été fait. Et c'est ainsi qu'il faut parler de la science de
Dieu[52]. |
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Distinctio 40 |
Distinction 44 – [La puissance de Dieu dans sa création] |
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Quaestio 1 |
Question unique – [La puissance de Dieu relativement à la création] |
1. Utrum Deus unamquamque
rem potuerit meliorem facere quam fecit ? 2. Utrum potuerit melius
facere ipsum universum ? 3. De quibusdam
excellentissimis creaturis utrum Deus eas facere potuerit meliores ? 4. Utrum quidquid olim Deus
potuit facere, et modo possit. ? |
Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure que celle qu'il a faite ? Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ? Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l'humanité du Christ meilleure qu'elle ne l'est ? Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu faire autrefois ? |
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Prooemium |
Prologue |
d. 44 q. 1 pr. Hic excludit praedictorum
errorem quantum ad hoc quod ponebant potentiam Dei limitari ad qualitatem
rerum ; et dividitur in partes duas : in prima excludit errorem ;
in secunda determinat quamdam quaestionem per quam videbatur in divina
potentia diminutio poni, ibi : praeterea quaeri solet, utrum Deus
semper possit omne quod olim potuit |
Il écarte ici l'erreur de
certains quant à ceci qu’ils soutenaient que la puissance de Dieu était
limitée par rapport à la qualité des choses, et cette section se divise en
deux parties : dans la première, il écarte l'erreur ; dans la seconde il
répond à une question par laquelle on semblait poser une diminution dans la
puissance divine : «Par ailleurs on a coutume de se demander si Dieu peut
toujours tout ce qu'il a pu autrefois.» |
Prima in duas : in prima inquirit, utrum Dei
potentia limitetur ad rerum bonitatem ; in secunda inquirit, utrum limitetur
ad rerum modum, ibi : post haec considerandum est utrum alio modo vel meliori
quam facit, possit ea facere quae facit. |
La première partie se divise
en deux : Dans la première on cherche à savoir si la puissance de Dieu est
limitée quant à la bonté des choses ; dans la deuxième, si elle est
limitée quant à la manière de les faire, là où il dit : suite à
cela il faut considérer s’il peut faire les choses qu'il fait d'une autre
manière ou d'une meilleure manière. |
Circa primum duo facit. Primo excludit
rationem eorum qui ponebant Deum non posse res meliores facere quam faciat ;
secundo per rationem destruit eorum positionem, ibi : verum hic ab eis
responderi deposco [1]. Sententia in littera plana est. |
Au sujet du premier point il
fait deux choses. Dans la première il rejette le raisonnement de ceux qui
soutenaient que Dieu ne peut pas faire des choses meilleures que celles qu’il
fait ; dans la deuxième, il réfute leur position par un raisonnement, là
où il dit : Mais je réclame qu'ils me répondent la vérité. La
phrase est claire dans La Lettre. |
Hic quatuor quaeruntur : 1 utrum Deus
unamquamque rem potuerit meliorem facere quam fecit ; 2 utrum potuerit melius
facere ipsum universum ; 3 de quibusdam excellentissimis creaturis utrum Deus
eas facere potuerit meliores ; 4 utrum quidquid olim Deus potuit facere, et
modo possit. |
Ici on pose quatre questions
: 1. Dieu aurait-il pu faire chaque chose meilleure qu'il ne l’a faite? 2.
Aurait-il pu faire l'univers meilleur ? 3. Au sujet des créatures les
plus élevées, Dieu aurait-il pu les faire meilleures ? 4. Est-ce que tout ce que
Dieu a pu faire autrefois, il peut le faire maintenant ? |
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Articulus 1 d. 44 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus potuerit
facere aliquam creaturam meliorem quam fecerit |
Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure qu'il ne l’a faite ? |
d. 44 q. 1 a. 1 arg.
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus nullam creaturam meliorem
facere potuerit quam sit : quia secundum Dionysium, et Platonem, optimi est
optima adducere. Sed optimo nihil
melius potest esse. Ergo his quae Deus fecit qui optimus est, nihil melius
esse potest. |
Difficultés :[53] 1. Il semble que Dieu n'a pu faire aucune créature meilleure qu'elle n'est, car selon Denys [Les noms divins, ch. IV, col. 694 et Platon (Le banquet, ch. IV], il appartient au meilleur de produire ce qu’il y a de meilleur. Mais rien ne peut être meilleur que celui qui est suprêmement excellent. Donc, rien ne peut être meilleur que ce que Dieu fait, lui est suprêmement excellent. |
44 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, secundum Basilium, accipere a patre, filio cum omni creatura
commune est. Sed in his
quae sunt unius rationis, tenet idem modus arguendi. Ergo cum Augustinus,
arguat ex hoc quod in Deo invidia esse non potest, quod filium meliorem quam
genuit, generare nequiverit, videtur etiam quod res creatas meliores quam
sint, facere non potuerit. |
2. Par ailleurs, selon
Saint-Basile [11 Contre Eunomius], il est commun au
Fils et à toute créature de recevoir du Père. Mais la même manière de
raisonner vaut pour les choses qui sont de même nature. Donc puisqu’Augustin
[Les Quatre-vingt-trois Questions, qu. 50, col. 31[54] et 11 Contre Maximin, ch.
18, col. 785] conclut, à partir de ceci qu'il ne peut pas y avoir de jalousie
en Dieu, qu’il n'a pas pu engendrer un Fils meilleur que Celui qu’il a
engendré, il semble aussi qu'il n'a pas pu faire les choses créées meilleures
qu'elles ne sont. |
d. 44 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, effectus
qui producitur a causa secundum totam suam potentiam, non potest ab ipsa
melior fieri. Sed quamlibet creaturam Deus operatur tota sua potentia, quia
per essentiam suam, quae indivisibilis est. Ergo nullam rem meliorem potest
facere quam sit [fit Éd. Parme]. |
3. En outre, l’effet qui est
produit par une cause selon toute sa puissance de cette cause ne peut pas
être produit par elle meilleur qu’il n’est. Mais Dieu produit toute créature
par toute sa puissance, parce qu'il la produit par son essence qui est
indivisible. Donc Dieu ne peut faire aucun être meilleur qu’il n’est [n’a été
produit Éd. de Parme]. |
d. 44 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, una res non deficit a bonitate alterius, nisi per hoc quod deficit
a participatione divinae bonitatis. Iste autem defectus non ex parte Dei est,
qui aequaliter se habet ad omnes creaturas, secundum Dionysium, sed ex parte
ipsius rei, quae magis vel minus bonitatis divinae capax est. Ergo videtur
quod Deus unamquamque rem meliorem non possit facere quam sit [fit Éd. Parme]. |
4. De plus, une même chose ne
s’écarte de la bonté d’une autre que parce qu’elle s’écarte de la
participation de la bonté divine. Mais ce défaut ne vient pas de Dieu, lequel
se présente à toutes les créatures d’une manière égale selon Denys [Les
noms divins, ch. II, § 5 et 6 col. 643], mais de la chose elle-même,
qui est plus ou moins susceptible de recevoir la bonté de Dieu. Il semble
donc que Dieu ne puisse faire aucune chose meilleure qu’elle n’est. |
d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, cuilibet
finito possibilis est additio. Sed cujuslibet creaturae bonitas finita est.
Ergo potest sibi fieri additio. Sed quidquid potest fieri, Deus, qui
omnipotens est, facere potest. Ergo videtur quod quamlibet rem meliorem
facere possit. |
Cependant : 1. Il est possible d’ajouter
à tout ce qui est fini. Mais la bonté de toute créature est finie. Il est
donc possible de l’augmenter. Mais tout ce qui peut être fait, Dieu, qui est
tout-puissant peut le faire. Il semble donc qu’il puisse faire tout chose
meilleure qu’elle n’est. |
d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, quidquid
natura facit, et Deus facere potest. Sed operatione naturae mutantur
res in melius, ut homo de pueritia in juventutem. Ergo et Deus res meliores potest facere quam
sunt. |
2. Par ailleurs, tout ce que
la nature fait, Dieu peut aussi le faire. Mais par l’opération de la nature
les choses sont changées pour le mieux, comme l’homme qui passe de l’enfance
à l’adolescence. Donc Dieu aussi peut faire les choses meilleures qu’elles ne
sont. |
d. 44 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
uniuscujusque rei in se consideratae est duplex bonitas, sicut et duplex
esse, cum ens et bonum convertantur ; scilicet bonitas essentialis, ut homini
esse vivum et rationale ; et bonitas accidentalis, ut sanitas, scientia et
hujusmodi. Loquendo de bonitate accidentali, unicuique rei majorem bonitatem
Deus conferre potuisset. Loquendo autem de bonitate essentiali, qualibet re
creata meliorem aliam rem facere potuisset, non tamen potuit hanc rem facere
esse majoris bonitatis : quia si adderetur ad bonitatem essentialem aliquid,
non esset eadem res, sed alia : quia, secundum philosophum in [om. Éd. Parme]
8 Metaph., sicut numeris [numeris om. Éd. Parme] unitas addita vel subtracta
semper variat speciem ; ita in definitionibus differentia addita vel
subtracta ; verbi gratia, si definitioni bovis addatur rationale, jam non
erit bos, sed alia species, scilicet homo ; si subtrahatur sensibile,
remanebit vivens vita arborum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux sortes de bonté pour chaque chose considérée en elle-même,
tout comme il y a aussi deux sortes d’existence, puisque l’être et le bien se
convertissent : à savoir la bonté essentielle, comme pour l’homme d’être
vivant et doué de raison, et la bonté accidentelle, comme la santé, la
science, etc. Si on parle de la bonté accidentelle, Dieu aurait pu conférer à
chaque chose une plus grande bonté. Mais si on parle de la bonté essentielle,
il aurait pu faire une autre chose meilleure que de n’importe quelle chose
créée, mais il n’aurait cependant pas pu faire que cette chose soit d’une
plus grande bonté, parce que s’il ajoutait quelque chose à la bonté
essentielle d’une chose, ce ne serait plus la même chose, mais une
autre ; car, selon le Philosophe [ VIII Métaphysique, texte
10], de même que l’unité ajoutée ou soustraite à un nombre fait varier
l’espèce, de même la différence ajoutée ou soustraite de la définition fait
aussi changer l’espèce ; par exemple, si à la définition du bœuf on ajoutait
“rationnel”, ce ne sera plus un bœuf, mais une autre espèce, à savoir l’homme
; mais si on enlevait ¨sensible¨ l’être à définir demeurerait vivant mais de
la vie des arbres. |
Unde sicut Deus non potest facere quod
ternarius manens ternarius habeat quatuor unitates, quamvis quolibet numero
majorem numerum facere possit ; ita non potest facere quod haec res maneat
eadem, et majorem bonitatem essentialem habeat vel minorem. Ex omnibus enim
his sequeretur quod affirmatio et negatio essent simul vera : quod Deus non
potest facere, ut dictum est, dist. 42, quaest. 2, art. 2. |
D’où il suit que tout comme
Dieu ne peut pas faire que trois demeure trois tout en ayant quatre unités,
bien qu’il puisse faire de tout nombre un nombre plus grand, de même il ne
peut pas faire que cette chose demeure la même tout en ayant une plus grande
ou une plus petite bonté essentielle. Autrement en effet il s’ensuivrait de
tout cela que l'affirmation et la négation seraient simultanément vraies, ce
que Dieu ne peut pas faire ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 42,
qu. 2, a. 2]. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quaelibet res in se considerata, non est optima, nisi forte
inquantum attingit omnem bonitatem suam essentialem ; sicut si diceretur
ternarius esse maximus, quia attingit quantitatem suae speciei ; sed in
ordine ad universum est optima, sicut Augustinus dicit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que toute chose considérée en elle-même n’est parfaite qu’en
tant qu’elle atteint toute sa bonté essentielle, tout comme on dirait que
trois est parfait parce qu’il atteint la quantité qui est propre à son espèce
; mais dans son rapport à l’univers, la bonté est parfaite comme le dit
Saint-Augustin [Enchir. ch. 10, col. 236[55]]. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis accipere a patre sit commune filio cum omni creatura communitate
analogiae ; tamen habere per naturam est sibi proprium, sicut ipsemet
Basilius [Basilius om. Éd. Parme) dicit ; et ideo aequalitas paterna debetur
sibi per naturam. Unde si non aequalem genuisset, cum potuisset, Deus pater
invidus esset : quia subtraxisset dignitatem filio, quam deberet et posset
habere. Sed creatura nunquam potest pertingere ad aequalitatem Dei, nec alia
mensura bonitatis sibi debetur, quam secundum determinationem divinae
voluntatis : et ideo nulla invidia in Deo resultat si rem meliorem facere
potuit quam fecerit. Et
hoc est quod Hilarius dicit, quod omnibus creaturis substantiam Dei voluntas
attulit, sed filio natura dedit. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que quoique recevoir du Père soit commun au Fils et à toute créature par
une communauté d’analogie, cependant il est propre au Fils de le posséder par
nature comme Saint-Basile [Saint-Basile om. Éd. de Parme] le dit
lui-même ; et c’est pourquoi l’égalité au Père lui est due par nature. D’où
il suit que si Dieu le Père, ainsi qu’il le pouvait, n’avait pas engendré un
Fils égal à lui, le Père aurait été jaloux, parce il aurait
retiré à son Fils la dignité qu'il devait et pouvait avoir. Mais jamais la
créature ne peut atteindre l'égalité avec Dieu, et aucune autre mesure de
bonté ne lui est due que celle qu’il possède conformément à la détermination
de la volonté divine ; et c'est pourquoi, si Dieu a pu faire une chose
meilleure qu'il ne l'a faite, il n’en résulte aucune jalousie en Lui. Et
c’est ce que Saint-Hilaire [Les Synodes,§ 58, col. 520] dit, à savoir
que la volonté de Dieu a apporté la substance à toutes les créatures, il a
donné la nature au Fils. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quamvis Deus producat unumquodque creatum tota sua potentia infinita,
non tamen sequitur quantitas bonitatis in effectu, nisi secundum voluntatem
opificis, quae se habet ut imperans [ad add. Éd. Parme] opus, quod potentia
exequendo educit. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que bien que Dieu produise toute créature par toute sa puissance
infinie, cependant la grandeur de sa bonté ne découle dans l’effet que selon
la volonté de l’artiste qui est comme le maître de son œuvre, ce que la
puissance amène à l’existence en l’exécutant. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod diversus gradus in entibus non tantum est ex parte rerum, quarum
capacitates ab invicem distant, sed etiam ex ordine sapientiae disponentis,
quae diversas capacitates rebus tribuit, quibus postmodum secundum
providentiam suam dona sua largitur, quae pro diversitate capacitatum a Deo
ordinatarum, diversimode a diversis participantur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que les degrés différent qu’on retrouve parmi les êtres ne viennent pas
seulement des choses, elles dont les capacités diffèrent entre elles, mais
aussi de l’ordre de la sagesse de celui qui les dispose, sagesse qui a
attribué des capacités différentes aux choses auxquelles par la suite selon
sa providence il a distribué ses dons, lesquels sont participés différemment
par les différents êtres en raison de la diversité des capacités ordonnées
par Dieu. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad
s. c. Ad alia patet responsio per ea quae dicta sunt, in corp. Art. |
Solution aux ¨cependant¨ : La réponse à ces
difficultés est claire au moyen ce qui a été dit dans le corps de l’article. |
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Articulus 2d. 44 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus
potuerit facere universum melius. |
Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ? |
d. 44 q. 1 a. 2 arg.
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod universum Deus melius facere non
potuerit : quia, secundum Augustinum, sunt bona quae condidit Deus etiam
singula ; simul autem omnia valde bona. Sed eo quod est superlative bonum, nihil melius esse
potest. Ergo universo nihil melius esse potest. |
Difficultés : Il semble que Dieu aurait pu
faire un univers meilleur, parce que, selon Saint-Augustin (Enchir.ch.
10, col. 236[56]], les choses que Dieu a créées,
même prises séparément, sont bonnes, mais prises ensemble
elles sont suprêmement bonnes. Mais rien ne peut être meilleur que ce qui est
suprêmement bon. Donc rien ne peut être meilleur que l’univers. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, universum
includit omne bonum. Sed nihil potest esse omni bono melius. Ergo Deus non
potuit universum melius facere. |
2. Par ailleurs, l’univers
inclut tout bien. Mais rien ne peut être meilleur que tout bien. Donc Dieu
n’a pas pu faire un univers meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum
Dionysium, bonum et melius inveniuntur in rebus, secundum quod quaedam
participant plures de bonitatibus divinis quam aliae, sicut ea quae vivunt
praeferuntur existentibus tantum, et sic deinceps. Sed omnes perfectiones
divinae creaturae communicabiles, creaturis aliquibus communicatae sunt. Ergo
videtur quod universum melius esse non possit. |
3. Selon Denys [les noms
divins, ch. 4, col. 694], le bien et le meilleur se retrouvent dans
les choses, selon que certaines participent de bontés divines plus nombreuses
que d’autres, tout comme celles qui possèdent la vie sont meilleurs que
celles qui ne possèdent que l’existence et il en est ainsi pour le reste.
Mais toutes les perfections divines communicables à la créature ont été
communiquées à certaines créatures, Donc il semble que l’univers ne puisse
pas être meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quanto
aliquid magis est ordinatum, melius est : unde et malum definitur ab
Augustino per privationem ordinis. Sed in universo nihil est inordinatum, cum
et ipsum malum ordinatum sit a Deo, ut supra dictum est, dist. 36, quaest. 1,
art. 2. Ergo videtur quod universum melius esse non possit. |
4. En outre, une chose est
d’autant meilleure qu’elle est davantage ordonnée : c'est pourquoi le mal est
défini par Saint-Augustin [De la Nature du Bien, ch. IV, col.
553] comme étant la privation de l’ordre. Mais dans l’univers rien n’est sans
ordre, puisque le mal lui-même est ordonné au bien par Dieu, comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 36, quest. 1, art. 2.]. Donc il semble que
l’univers ne puisse pas être meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 5 Sed contra, secundum
philosophum, albius est quod est nigro impermixtius. Ergo etiam melius est
quod est impermixtius malo. Sed Deus potuit facere universum in quo nihil
mali esset. Ergo cum in hoc universo multa sint mala, videtur quod Deus
universum melius facere potuerit. |
Cependant : 5. Au contraire, selon le
Philosophe [111 Topiques], est plus blanc ce qui n’est pas
mélangé au noir. Donc est aussi meilleur ce qui n’est pas mélangé au mal.
Mais Dieu a pu faire un univers dans lequel il n’y aurait rien de mauvais.
Donc comme dans cet univers-ci il y a beaucoup de maux, il semble que Dieu
aurait pu faire un univers meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, si majori
aequale addatur, totum fiet majus. Ergo et si meliori melius addatur, totum
fiet melius. Sed Angelus est melior quam lapis. Ergo duo Angeli sunt aliquid
melius quam Angelus et lapis. Ergo et si quaelibet pars universi esset
Angelus, universum multo melius esset. Hoc autem Deus potuit facere. Ergo et
cetera. |
6. En outre, si on ajoute de
l’égal à du plus grand, le tout devient plus grand. Donc si on ajoute du
meilleur à du mieux, le tout devient meilleur. Mais l’ange est meilleur que
la pierre. Donc deux anges sont quelque chose de meilleur que l’ange et la
pierre. Donc si toute partie de l’univers était de nature angélique,
l’univers serait bien meilleur. Cela Dieu a pu faire cela. Donc, etc. |
d. 44 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum,
quod, secundum philosophum in XI Metaph., bonum universi consistit in duplici
ordine ; scilicet in ordine partium universi ad invicem, et in ordine totius
universi ad finem, qui est ipse Deus ; sicut etiam est in exercitu ordo
partium exercitus ad invicem, secundum diversa officia, et est ordo ad bonum
ducis, quod est victoria ; et hic ordo est praecipuus, propter quem est
primus ordo. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que selon le Philosophe
[XI Métaphysique , texte 52], le bien de l'univers consiste
en deux sortes d’ordre : à savoir l’ordre de ses parties entre elles, et
l’ordre de l’univers entier à l’égard de sa fin, qui est Dieu lui-même, tout
comme il y a dans l’armée l’ordre de ses parties entre elles, selon les
différentes charges, et aussi l’ordre ou le rapport de l’armée à l’égard du
bien du chef, lequel bien est la victoire ; et ce dernier ordre est
principal puisqu’il est celui en vue duquel existe le premier ordre. |
Accipiendo ergo bonum ordinis qui est in
partibus universi ad invicem, potest considerari vel quantum ad partes ipsas
ordinatas, vel quantum ad ordinem partium. Si quantum ad partes ipsas, tunc
potest intelligi universum fieri melius, vel per additionem plurium partium,
ut scilicet crearentur multae aliae species, et implerentur multi gradus
bonitatis qui possunt esse, cum etiam inter summam creaturam et Deum infinita
distantia sit ; et sic Deus melius universum facere potuisset et posset : sed
illud universum se haberet ad hoc sicut totum ad partem ; et sic nec penitus
esset idem, nec penitus diversum ; et haec additio bonitatis esset per modum
quantitatis discretae. Vel potest intelligi fieri melius quasi intensive,
quasi mutatis omnibus partibus ejus in melius, quia si aliquae partes
meliorarentur aliis non melioratis, non esset tanta bonitas ordinis ; sicut
patet in cithara, cujus si omnes chordae meliorantur, fit dulcior harmonia ;
sed quibusdam tantum melioratis, fit dissonantia. |
Donc si on prend le bien de
l’ordre qui se tient du côté des parties de l’univers entre elles, il peut
être considéré soit quant aux parties elles-mêmes qui sont ordonnées, soit
quant à l’ordre des parties. Si on le considère quant aux parties
elles-mêmes, alors l’univers peut être pensé comme pouvant devenir meilleur,
ou bien par l’addition de plusieurs parties, c’est-à-dire selon
que plusieurs autres espèces seraient créées, et que soient ainsi
comblés de nombreux degrés de bonté qui peuvent exister, puisqu’il y a une
distance infinie entre la créature la plus élevée et Dieu, et c’est ainsi que
Dieu aurait pu faire un univers meilleur et il le pourrait : mais cet
univers serait à cet univers qui est le nôtre comme le tout à la partie et
ainsi il ne serait plus tout à fait le même, ni tout à fait différent ; et
cette addition de bonté se ferait à la manière d’une quantité discrète. Ou
bien on peut entendre qu’il deviendrait meilleur en intensité pour ainsi
dire, comme si toutes ses parties étaient changées pour le mieux, parce que
si certaines parties étaient meilleures alors que d’autres ne l’étaient pas,
il n’y aurait pas une aussi grande bonté de l’ordre, comme on le voit pour la
cithare : en effet, si toutes ses cordes sont accordées, l’harmonie
devient plus douce, mais si certaines seulement le sont, il se produit une
dissonance. |
Haec autem melioratio omnium partium vel
potest intelligi secundum bonitatem accidentalem, et sic posset esse talis
melioratio a Deo manentibus eisdem partibus et eodem universo ; vel secundum
bonitatem essentialem, et sic etiam esset Deo possibilis, qui infinitas alias
species condere potest. Sed sic non essent eaedem partes, et per consequens
nec idem universum, ut ex praedictis patet. Si autem accipiatur ipse ordo
partium, sic non potest esse melior per modum quantitatis discretae, nisi
fieret additio in partibus universi ; quia in universo nihil est inordinatum
: sed intensive posset esse melior manentibus eisdem partibus quantum ad
ordinem qui sequitur bonitatem accidentalem : quanto enim aliquid in majus
bonum redundat, tanto ordo melior est. Sed ordo qui sequitur bonitatem
essentialem, non posset esse melior, nisi fierent aliae partes et aliud
universum. |
Mais cette amélioration de
toutes les parties peut s’entendre soit selon une bonté accidentelle et
ainsi, l’univers lui-même et ses parties demeurant les mêmes, il pourrait y
avoir une telle amélioration venant de Dieu; soit selon une bonté
essentielle, et cela serait encore possible à Dieu qui peut créer une
infinité d’autres espèces. Mais alors les parties ne seraient plus les mêmes
et par conséquent l’univers lui-même ne serait plus le même comme on le voit
en partant de ce qui a été dit. Mais si on considère l’ordre même
des parties, alors l’univers ne peut être meilleur à la manière d’une
quantité discrète que si une addition est faite dans les parties de
l’univers, parce qu’en lui rien n’est sans ordre, mais il peut être meilleur
en intensité si les parties demeurent les mêmes quant à l’ordre qui découle
de la bonté accidentelle : l’ordre est d’autant meilleur en effet que
quelque chose rejaillit en un bien plus grand. Mais l’ordre qui découle de la
bonté essentielle, ne pourrait être meilleur que si d’autres parties étaient
produites ainsi qu’un autre univers. |
Similiter ordo qui est ad finem, potest
considerari vel ex parte ipsius finis ; et sic non posset esse melior, ut
scilicet in meliorem finem universum ordinaretur, sicut Deo nihil melius esse
potest : vel quantum ad ipsum ordinem ; et sic secundum quod cresceret
bonitas partium universi et ordo earum ad invicem, posset meliorari ordo in
finem, ex eo quod propinquius ad finem se haberent, quanto similitudinem divinae
bonitati magis consequerentur, quae est omnium finis. |
De la même manière l’ordre
qui est en vue de la fin peut être considéré soit du côté de la fin même et
ainsi il ne pourrait pas être meilleur, c’est-à-dire de telle manière que
l’univers serait ordonné à une fin meilleure puisque rien ne peut être
meilleur que Dieu ; soit quant à l’ordre lui-même ; et ainsi selon que
la bonté des parties de l’univers croîtrait ainsi que leur ordre entre elles,
l’ordre en vue de la fin pourrait être amélioré du fait qu’elles se
trouveraient plus proches de la fin, d’autant plus qu’elles parviendraient
davantage à ressembler à la bonté divine qui est la fin de tout. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Augustinus loquitur de ordine universi, supposita natura eadem
talium partium ; quia sic melior ordo esse non potuit, ut dictum est, in
corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que Saint-Augustin parle de l’ordre de l’univers, en supposant que la nature de telles parties reste la même, parce qu’ainsi l’ordre n’a pas pu être meilleur, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non loquimur de universo quantum ad hoc nomen, sed quantum ad
hanc rem, quae modo universum dicitur : in quo quamvis omne quod actu bonum
est, contineatur, non tamen omne bonum quod Deus potest facere. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que nous ne parlons pas de l’univers quant à ce nom, mais quant à cette
réalité qu’on appelle aujourd’hui l’univers : dans lequel, bien que tout
ce qui est bon en acte y soit contenu, on ne retrouve pas tout bien que Dieu
peut faire. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod participandi eamdem perfectionem divinam sunt multi modi ;
sicut sapientiae divinae participatio est in intellectualibus substantiis
aliter, et aliter in rationalibus, scilicet hominibus, et etiam usque ad
bruta se extendit, quae sensitivam cognitionem habent. Quamvis ergo omnes
perfectiones forte creaturae communicabiles, sint creaturae communicatae, non
tamen secundum omnem modum quo possunt a creatura participari. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’il y a plusieurs manières de participer de la même perfection divine,
tout comme la participation de la sagesse divine est autre dans les
substances intellectuelles, autre dans les substances rationnelles, à savoir
les hommes, et elle va même jusqu’à s’appliquer aux brutes animales qui ont
une connaissance sensible. Donc, quoique toutes les perfections communicables
aux créatures leur soient de fait communiquées, les créatures n’en
participent cependant pas selon toutes les manières. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis ordo universi non possit esse melior ex hoc quod
plures partes hujus universi sint ordinatae, posset tamen esse melior, si ad
melius bonum, sicut ad finem proximum, ordinaretur : quod contingeret, si
meliores partes universi fierent, ut dictum est. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que bien que l’ordre de l’univers ne puisse être meilleur du
fait que plusieurs de ses parties sont ordonnées, il pourrait cependant être
meilleur, s’il était ordonné à un bien meilleur, comme s’il était ordonné à
sa fin prochaine, ce qui serait possible si les meilleures parties de
l’univers étaient produites, ainsi que nous l’avons dit. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod universum in quo nihil mali esset, non esset tantae bonitatis
quantae hoc universum : quia non essent tot bonae naturae in illo sicut in
isto, in quo sunt quaedam naturae bonae quibus non adjungitur malum, et
quaedam quibus adjungitur : et est melius utrasque naturas esse, quam alteras
tantum. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu qu’un univers dans lequel il n’y aurait aucun mal ne serait pas d’une si
grande bonté que cet univers-ci, parce qu’il n’y aurait pas en lui autant de
bonnes natures qu’en celui-ci, dans lequel il y a certaines natures bonnes
auxquelles le mal n’est pas rattaché, et certaines auxquelles il l’est :
et il est meilleur que les deux natures existent plutôt qu’une seule. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod quamvis Angelus absolute sit melior quam lapis, tamen utraque
natura est melior quam altera tantum : et ideo melius est universum in quo
sunt Angeli et aliae res, quam ubi essent Angeli tantum : quia perfectio
universi attenditur essentialiter secundum diversitatem naturarum, quibus
implentur diversi gradus bonitatis, et non secundum multiplicationem
individuorum in una natura. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que quoique l’Ange soit absolument meilleur que la pierre, cependant les
deux natures sont meilleures qu’une seule : et c'est pourquoi l’univers
dans lequel il y a les anges et les autres choses est meilleur que
celui où il n’y aurait que les Anges seulement, parce que la perfection de
l’univers se vérifie essentiellement d’après la diversité des natures par
lesquelles les différents degrés de bonté sont comblés, et non d’après la
multiplication des individus dans une seule et même nature. |
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d. 44 q. 1 a. 3 tit. Articulus 3. Utrum Deus
potuerit facere humanitatem Christi meliorem quam sit. |
Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est ? |
d. 44 q. 1 a. 3 arg.
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod humanitatem Christi Deus meliorem facere non potuerit quam sit. Tanto
enim unumquodque melius est, quanto Deo propinquius. Sed nullum creatum
potest esse Deo propinquius quam quod unitur sibi in unitate personae, sicut
humana natura in Christo. Ergo videtur quod nihil ea melius facere potuerit
Deus. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu
n’aurait pas pu faire l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est. En
effet, un être est d’autant meilleur qu’il est plus proche de Dieu. Mais rien
de créé ne peut être plus proche de Dieu que ce qui lui est uni dans l’unité
de la personne, comme la nature humaine dans le Christ. Il semble donc que
Dieu n’aurait rien pu faire de meilleur qu’elle. |
d. 44 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, infinito
non potest esse aliquid majus. Sed bonitas animae Christi est infinita : quia
datus est ei spiritus non ad mensuram, Joan. 3. Ergo nihil ea melius fieri
potest. |
2. Par ailleurs, rien ne peut
être plus grand que l’infini. Mais la bonté de l’âme du Christ est infinie,
parce que l’Esprit lui a été donné sans mesure [Jean, 3.].
Donc rien de meilleur n’aurait pu être fait. |
44 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod nec
beata virgine : quia secundum Anselmum, decuit ut virgo quam Deus unigenito
filio suo praeparavit in matrem, ea puritate niteret, qua major sub Deo
nequit intelligi. Sed nihil potest Deus facere quod sibi in bonitate vel
puritate aequetur. Ergo videtur quod nihil melius beata virgine facere
possit. |
3. En outre, il semble que la
bienheureuse Vierge n’aurait pa pu être meilleure parce que d’après
Saint-Anselme [De la conception de la Vierge ch. 18, col. 451] il
convenait que la Vierge que Dieu avait préparée comme mère pour son Fils
unique, brille de cette pureté qui est telle qu’on ne puisse en concevoir une
plus grande à l’exception de Dieu. Mais Dieu ne peut rien faire qui lui soit
égal en bonté ou en pureté. Donc il semble qu'il n'a pu rien faire de
meilleur que la bienheureuse Vierge. |
d. 44 q. 1 a. 3 arg.
4 Praeterea, secundum Augustinum in Lib. Conf., Angelus factus est prope Deum. Sed beata virgo
exaltata est etiam super choros Angelorum, sicut Augustinus [Hieronymus Éd.
De Parme], tradit, et Ecclesia de ipsa cantat. Ergo nihil ea Deo proximius
esse potest, et ita nec melius. |
4. De plus, selon
Saint-Augustin [XII Les Confession, ch. 7, col. 828], l’Ange a
été fait proche de Dieu. Mais la bienheureuse Vierge a été élevée même
au-dessus du chœur des Anges, tout comme Saint-Augustin [Saint-Jérôme Éd.
de Parme] [Sermon sur l’Assomption] l’enseigne, et comme l’Église
elle-même le célèbre. Donc rien ne peut être plus proche de Dieu qu’elle, ni ainsi
être meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 3 arg.
5 Item, videtur quod nec beatitudine creata. Quia secundum Boetium, beatitudo
est status omnium bonorum congregatione [aggregatione Éd. De Parme] perfectus. Sed omni bono nihil
potest esse melius. Ergo nec beatitudine creata. |
5. Par ailleurs, il semble
que la béatitude créée ne peuvait pas non plus être meilleure qu’elle n’est,
parce que selon Boèce [111 De la Consolation,prose
II, col. 724], la béatitude est l'état qui est parfait par la réunion
[l’accumulation Éd. de Parme]de tous les biens. Mais rien ne peut
être meilleur que la totalité des biens. Donc rien ne peut être meilleur que
la béatitude créée. |
d. 44 q. 1 a. 3 s.
c. 1 Sed contra, bonum increatum, omne creatum bonum in infinitum
excellit. Sed inter infinite distantia possunt esse multa media. Ergo quolibet bono
creato potest Deus multa meliora facere. |
Cependant : Au contraire, le bien incréé
dépasse à l'infini tout bien créé. Mais il peut y avoir de nombreux
intermédiaires entre ce qui est infiniment différent. Donc Dieu peut faire
une multitude de choses meilleures que tout bien créé. |
d. 44 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
sicut quolibet bono creato, eo quod finitum est, potest aliquid melius esse ;
ita bono increato, eo quod infinitum est, nihil melius esse potest. Et ideo
bonitas creaturae dupliciter considerari potest. Aut quae est ipsius in se
absolute, et sic qualibet creatura potest esse aliquid melius : aut per
comparationem ad bonum increatum ; et sic dignitas creaturae recipit quamdam
infinitatem ex infinito cui comparatur, sicut humana natura inquantum est
unita Deo, et beata virgo inquantum est mater Dei, et gratia inquantum
conjungit Deo ; et universum inquantum est ordinatum in Deum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que de même qu’il peut y avoir
quelque chose de meilleur que n'importe quel bien créé, parce qu'il est fini,
de même il ne peut y avoir rien de meilleur qu’un bien incréé, parce qu'il
est infini,. Et c’est pourquoi la bonté de la créature peut être considérée de
deux manières. Soit en tant qu’elle est celle qui lui appartient en elle-même
absolument et en ce sens toute créature peut être quelque chose de
meilleur ; soit en tant qu’on la compare au bien incréé ; et en ce sens
la dignité de la créature reçoit une certaine infinité de l'infini auquel
elle se compare, tout comme la nature humaine en tant qu'elle est unie à Dieu
et la Bienheureuse Vierge en tant qu’elle est mère de Dieu, et la grâce en
tant qu’elle unit à Dieu, et même l'univers en tant qu’il est ordonné à Dieu. |
Sed tamen in istis comparationibus est etiam
ordo duplex : primo, quia quanto nobiliori comparatione in Deum refertur,
nobilius est ; et sic humana natura in Christo nobilissima est ; quia per
unionem comparatur ad Deum, et post beata virgo, de cujus utero caro
divinitati unita, assumpta est, et sic deinceps : secundo, quia quaedam
istarum comparationum est secundum respectum tantum, sicut universi ad finem,
et matris ad filium : et ideo ex dignitate comparationis non potest sumi
judicium de re absolute, ut dicatur, quod beata virgine non potest aliquid
melius esse ; sed secundum quid, ut dicatur, quod non potest esse melioris
mater, nec ad majus bonum ordinatum universum. |
Mais cependant il y a aussi
deux sortes d’ordre dans ces comparaisons : premièrement parce qu'il est
d’autant plus noble qu’il se rapporte à Dieu par une comparaison plus noble;
et en ce sens la nature humaine dans le Christ est la plus noble parce
qu'elle se compare à Dieu par mode d’union et par la suite vient la
Bienheureuse Vierge, dont la chair par son sein est unie à la divinité, a été
élevée à Dieu, et ainsi de suite. Deuxièmement parce qu’il y a une de ces
comparaisons qui a lieu selon le rapport seulement, comme celui de l'univers
à sa fin, et de la mère à son fils. Et c'est pourquoi on ne peut tirer un
jugement absolu sur la chose à partir de la dignité de la comparaison de
manière à dire que rien ne puisse être meilleur que la bienheureuse Vierge,
mais seulement sous un certain rapport, de manière à dire qu’il ne peut y
avoir une meilleure mère, et non pas que l’univers est ordonné à un plus
grand bien. |
Sed quaedam [alia, Éd. Parme] comparatio,
scilicet per unionem, est etiam secundum esse : et ideo judicium simpliciter
de natura unita, est secundum comparationis bonitatem, ut dicatur, quod
Christo homine nihil melius esse potest : sed judicium quod est praeter hanc
comparationem, est secundum quid tantum, ut cum dicitur, quod humana natura
in Christo, inquantum est creata, potest aliquid esse melius ; et hoc ideo, quia
natura considerata praeter esse suum, est secundum rationis acceptionem
tantum. |
Mais il y a une [autre Éd.
de Parme] comparaison, à savoir celle qui a lieu par mode d’union, qui se
présente aussi sous le rapport de l’existence ; c'est pourquoi le jugement
absolu sur la nature unie se fait d’après la bonté de la comparaison de sorte
qu’on dise qu’il ne peut y avoir rien de mieux que le Christ-Homme : mais le
jugement qui est en dehors de cette sorte de comparaison est relatif
seulement, comme lorsqu’on dit qu’il peut y avoir quelque chose de meilleur
que la nature humaine dans le Christ, en tant qu'elle est créée. Et il en est
ainsi parce que la nature considérée en dehors de son existence se présente
seulement comme une conception de la raison. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis humana natura sit divinitati unita in persona, tamen
naturae remanent distantes in infinitum ; et ex hac parte potest esse aliquid
melius humana natura in Christo, non ex parte qua unita est. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la
nature humaine soit unie à la divinité dans la personne[57], cependant les natures demeurent
infiniment éloignées, et de ce côté, et non pas du côté par lequel elle est
unie, il peut y avoir quelque chose de meilleur que la nature humaine dans le
Christ. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod gratia habitualis animae Christi infusa, non est simpliciter et per se
infinita, sed secundum quid, sicut dictum est supra, dist. 43, quaest. Unic.,
art. 2, quod virtus intelligentiae est infinita inferioris [in fieri Éd.
Parme], inquantum potest in infinitos effectus ; ita et gratia Christi
dicitur infinita secundum quid, inquantum potest in omnes effectus gratiae,
et per accidens, inquantum concurrit ad ipsam unionem infiniti boni, ut
medium congruitatis, et ad operationem Christi, quae est infiniti valoris,
inquantum est operatio divinae personae. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la grâce habituelle infusée dans l’âme du Christ n’est pas
absolument infinie par elle-même, mais selon un rapport seulement, tout comme
nous avons dit plus haut [dist. 43, quest. unique, art. 2], que la puissance
d’une intelligence inférieure est infinie [dans le devenir Éd. de
Parme], en tant qu’elle peut agir dans des effets infinis ; de même on
dit de la grâce du Christ qu’elle est infinie relativement, en tant qu'elle
peut opérer dans tous les effets de la grâce, et par accident, en tant
qu’elle contribue à l’union même au bien infini, en tant qu’intermédiaire de
la conformité, et à l’opération du Christ qui est d’une valeur infinie, en
tant qu’elle est l’opération d’une personne divine. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod puritas intenditur per recessum a contrario : et ideo potest aliquid
creatum inveniri quo nihil purius esse potest in rebus creatis, si nulla
contagione peccati inquinatum sit ; et talis fuit puritas beatae virginis,
quae a peccato originali et actuali immunis fuit. Fuit tamen sub Deo,
inquantum erat in ea potentia ad peccandum. Sed bonitas intenditur per
accessum ad terminum quod in infinitum distat, scilicet summum bonum. Unde quolibet finito bono potest aliquid
melius fieri. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la pureté se vérifie par le retrait du contraire et c'est pourquoi
on peut trouver quelque chose de créé dont rien ne soit plus pur parmi les
choses créées, s'il n'est souillé par aucune participation au péché ; et
telle fut la pureté de la Bienheureuse Vierge qui fut exempte du péché
originel et actuel. Cependant elle fut inférieure à Dieu en tant qu'il y
avait en elle une puissance à pécher[58]. Mais la bonté se vérifie par la
proximité du terme qui est infiniment éloigné, à savoir le bien suprême.
C'est pourquoi il peut y avoir quelque chose de meilleur que n'importe quel
bien fini. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod inter Angelos et Deum est infinita distantia ; unde posset Deus facere
multos intermedios gradus bonitatis : et ideo quamvis beata virgo sit
exaltata super Angelos, quia tamen non usque ad aequalitatem Dei, manet adhuc
infinita distantia ; et potest adhuc aliquid melius esse. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’entre les Anges et Dieu, la distance est infinie ; c'est pourquoi
Dieu pourrait faire de nombreux degrés intermédiaires de bonté ; et c'est
pourquoi, bien que la bienheureuse Vierge soit élevée au-dessus des Anges,
mais non pas cependant au point d’être l’égale de Dieu qui en demeure encore
infiniment éloigné, il peut encore y avoir quelque chose de meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod beatitudo creata habet quamdam infinitatem ex eo quod conjungit infinito
bono : in se enim considerata comprehendit omnia bona participabilia homini.
Unde si naturae capacitas major esset, major esset participatio, et
perfectior beatitudo ; sicut beatitudo unius sancti praeponitur beatitudini
alterius. Tamen sciendum, quod Boetius vult, quod haec definitio
essentialiter beatitudini increatae conveniat ; aliis autem per
participationem. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que la béatitude créée comporte une certaine infinité du fait qu'elle
est unie à un bien infini : considérée en elle-même en effet,
elle comprend tous les biens auxquels l'homme peut participer. C'est
pourquoi, si la capacité de la nature était plus grande, la participation
serait plus grande et la béatitude plus parfaite, tout comme la béatitude
d'un saint est plus parfaite que celle d'un autre. Il faut cependant savoir
que Boèce veut que cette définition convienne essentiellement à la béatitude
incrée et aux autres par participation. |
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Articulus 4. d. 44 q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus
possit facere omne quod olim potuit |
Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu autrefois ? |
d. 44 q. 1 a. 4 arg.
1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod Deus non possit facere omne quod olim potuit. Potentia enim Dei non se
extendit tantum ad species, sed etiam ad individua : quia ipse facit et
formam et materiam. Sed antequam Socrates esset, potuit Socratem facere. Ergo
et Socrate existente potest Socratem facere. Hoc autem falsum est, quia sic
substantia rei esset bis, quod est impossibile. Ergo non quidquid potuit,
potest. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne peut
pas faire tout qu'il a pu faire autrefois. Sa puissance en effet ne
s'applique pas seulement aux espèces, mais aussi aux individus, parce que
c’est lui qui fait la forme et la matière. Mais avant que Socrate existe,
Dieu pouvait faire Socrate. Donc même si Socrate existe, il peut faire
Socrate. Mais cela est faux, parce qu'alors la substance de la chose
existerait deux fois, ce qui est impossible. Donc ce n’est pas tout ce qu’il
a pu faire qu’il peut encore faire. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, olim
potuit Deus non incarnari. Sed modo non posset non incarnatus esse, sicut nec
aliquod praeteritum non fuisse. Ergo non quidquid olim potuit, modo potest. |
2. Par ailleurs, Dieu pouvait
autrefois ne pas s'incarner. Mais maintenant il ne pourrait pas ne pas avoir
été incarné, tout comme rien de passé ne peut ne pas avoir existé. Ce n’est
donc pas tout ce qu’il a pu faire autrefois qu’il peut faire maintenant. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod sicut
potuit olim facere aliquid, ita potest modo fecisse illud, et hoc est unum et
idem posse, contra : quia similiter ille qui excaecatus est, potest modo
vidisse, cum prius videre potuerit ; et tamen non dicimus, quod quidquid
potuerit, possit. Ergo videtur quod nec de Deo dicendum sit. |
3. Mais si tu dis que tout
comme il a pu autrefois faire quelque chose, de même il peut maintenant
l’avoir fait et que les deux sont une seule et même puissance, je réponds au
contraire de la même manière que celui qui a été aveugle peut maintenant
avoir vu un jour alors qu’il pouvait voir, nous ne disons pas pour autant
qu’il peut faire tout ce qu’il a pu faire. Donc il semble qu'il ne faille pas
le dire de Dieu non plus. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Deus ab
aeterno potuit non praedestinare Petrum, quem voluntarie praedestinavit. Sed
modo non potest eum non praedestinare : quia non potest esse quod aliquis sit
prius praedestinatus et postea non praedestinatus. Ergo non quidquid potuit,
potest. |
4. En outre, Dieu pouvait de
toute éternité ne pas prédestiner Pierre qu'il a volontairement prédestiné.
Mais maintenant il ne peut pas ne pas le prédestiner, parce qu'il n'est pas
possible que quelqu'un soit d'abord prédestiné et non par la suite. Donc il
ne peut pas tout ce qu'il a pu. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 5 Sed contra, quantitas
potentiae attenditur secundum multitudinem objectorum : quia virtualis
quantitas dividitur secundum objecta. Sed potentia Dei diminui non potest.
Ergo videtur quod quidquid Deus olim potuit, et modo possit. |
Cependant : 5. Au contraire, la quantité
de la puissance se vérifie d'après la multiplicité des objets, parce que la
quantité virtuelle se divise selon les objets. Mais la puissance de Dieu ne
peut être diminuée. Donc il semble que tout ce que Dieu a pu faire autrefois,
il le pourrait maintenant. |
d. 44 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
hoc quod negetur aliquem posse aliquid, potest contingere ex duobus : vel ex
defectu potentiae, sicut qui non habet potentiam visivam, dicitur non posse
videre ; aut ex parte objecti quod non habet rationem possibilis, sicut
habens visum dicitur non posse videre sonum, qui non est visibilis. Et primo
modo nihil dicitur Deus non posse, cum sua potentia sit perfectissima ; sed
secundo modo dicitur non posse quaedam, sicut quod idem simul sit et non sit.
Unde magis proprie diceretur ista non posse fieri quam Deum ista facere non
posse. Similiter dicendum est, quod hoc quod aliquis non possit quidquid
potuit, potest contingere ex duobus : vel quia amittit aliquam potentiam quam
habebat ; et sic Deo non competit, immo hoc modo procedit solutio Magistri in
littera ; vel ex mutatione objecti, quod amittit rationem possibilis, quam
prius habebat ; potentia enim activa est respectu alicujus operandi
[operabilis alicujus, Éd. de Parme] Unde quando aliquid est jam determinatum
ut sit praesens in actu, vel in praeteritum transiit, possibilis rationem
amittit ; et ideo dicitur, quod Deus illud facere non potest : quod quidem
est eadem res, sed diversis enuntiabilibus [enuntiationibus Éd. de Parme]
significata propter temporum diversitatem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que nier que quelqu'un puisse
faire quelque chose, cela est possible de deux manières : soit à partir d’un
défaut de la puissance, tout comme on dit de celui qui n'a pas la puissance
de la vue qu’il ne peut voir ; soit du côté de l'objet qui n'a pas la nature
d’un possible, tout comme on dit de celui qui a la vue qu’il ne peut voir un
son, lequel n'est pas visible. Et suivant la première manière, rien n’est
impossible à Dieu puisque sa puissance est la plus parfaite ; mais de la
deuxième manière, certaines choses lui sont impossibles, comme de faire que
la même chose soit et ne soit pas simultanément. C'est pourquoi il faut plus
proprement dire que ce sont ces choses qui ne sont pas possibles, plutôt que
de dire que Dieu ne peut pas les faire. De la même manière il faut dire que
cet énoncé, à savoir que quelqu'un ne pourrait pas faire tout ce qu'il a pu
faire, cela peut arriver de deux manières : soit parce qu'il a perdu la
puissance qu'il avait et cette manière ne convient pas à Dieu mais bien
plutôt c’est d’après cette modalité que procède la solution du Maître
dans La Lettre ; soit par un changement dans l’objet qui a
perdu la nature du possible qu'il avait avant ; la puissance active en effet
se rapporte à ce qui doit être opéré [à quelque chose d’opérable Éd.
de Parme]. D’où il suit que quand quelque chose est déjà déterminé en
tant que présent en acte ou s’écoule dans le passé, il perd la nature du
possible, et c'est pourquoi on dit que Dieu ne peut pas le faire : ce
qui est certes la même chose mais signifiée par des énoncés
[énonciations Éd. de Parme] différents, à cause de la différence
des temps. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod quando jam est existens actu, amittit rationem possibilis fieri. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que quand quelque
chose qui existe déjà en acte, il perd la nature d’un possible à devenir. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 2 Et similiter dicendum
est ad secundum, quod procedebat de praeterito. |
2. Et de la même manière il
faut dire en deuxième lieu que l’argumentation de la deuxième difficulté
procédait du passé. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod cum dicitur, aliquis potest fecisse hoc vel illud, potest dupliciter
intelligi : vel ita quod praeteritum se teneat ex parte possibilis, et sic
nihil est dictu ; quia quod praeteritum est, possibilis rationem amittit :
vel quod intelligatur circa exitum possibilis a potentia ; et sic dicitur,
Deus potest fecisse hoc vel illud, quia habet potentiam qua hoc fecit. Sed
hoc caeco non convenit : non enim habet potentiam qua quandoque vidit ; unde
nullo modo verum est quod caecus possit vidisse. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que lorsqu’on dit que quelqu'un peut avoir fait ceci ou cela, on peut
l’entendre de deux manières : soit de telle manière que le passé se tienne du
côté du possible, et ainsi il ne dit rien parce que ce qui est passé a perdu
sa nature de possible ; soit ce qui est entendu comme possible sorti
d’une puissance et en ce sens on dit que Dieu peut avoir fait ceci ou cela
parce qu'il possède la puissance par laquelle il a fait cela. Mais cela ne
convient pas à un aveugle : en effet il ne possède plus la puissance par
laquelle il voyait autrefois ; c'est pourquoi il n'est vrai en aucune manière
que l'aveugle puisse avoir vu. |
44 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
actus praedestinationis aeternitate mensuratur, et non in praeteritum transit
: et ideo semper eodem modo possibilis rationem habet, inquantum est ex
liberalitate voluntatis divinae ; sed ex parte effectus in praeteritum
transit, et secundum hoc possibilis rationem amittit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l'acte de prédestination est mesuré par l'éternité et ne s’écoule
pas dans le passé ; et c'est pourquoi il possède toujours de la même manière
la nature du possible, en tant qu'il procède de la liberalité de la volonté
divine ; mais du côté de l'effet il s’écoule dans le passé, et suivant cela
il perd sa nature de possible. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 5
Ad quintum etiam patet responsio ex dictis, in corp. art. |
5. La réponse à la cinquième
difficulté est aussi évidente à partir de ce qui a été dit dans le corps de
l’article. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44 |
Expositio textus d. 44 q. 1 a. 4 expos. Licet non possit modo
incarnari. Videtur hoc esse falsum : quia sicut filius carnem assumpsit, ita
et pater potuit et potest carnem assumere, ut in 3, dist. 1, quaest. 2, art.
3, dicitur. Ergo videtur quod etiam possit nunc incarnari. Ad quod dicendum,
quod Magister intelligit de eadem numero incarnatione quae olim facta est. Si
enim modo incarnaretur, non esset idem incarnari numero, sed alia incarnatio. |
« Bien qu'il ne puisse maintenant être incarné ».
Cela paraît faux parce que de même que le Fils a pris chair, de même le Père
a pu et il peut prendre chair, comme on le dit au livre 3 [dist. 1, quest. 2,
art. 3][59]. Il semble donc qu'il puisse
encore être incarné maintenant. Il faut répondre à cela que le Maître
l’entend de la même incarnation, numériquement parlant, qui a été faite
autrefois. S'il s'incarnait maintenant en effet, ce ne serait plus la même
incarnation, numériquement parlant, mais une autre incarnation. |
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Distinctio 45 |
Distinctio 45 – [La volonté en Dieu] |
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Prooemium |
Prologue |
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Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum in Deo sit voluntas ; 2 utrum voluntas sit suiipsius ipsius sicut [sui…
sicut om. Éd. de Parme] tantum objecti vel etiam aliorum ; 3 utrum voluntas sua sit causa eorum quae fiunt ; 4 de divisione voluntatis ejus in voluntatem signi et
beneplaciti. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1. Y a-t-il en Dieu une volonté ? 2. Est-ce que sa volonté ne se rapporte
qu’à lui comme [à lui…comme om. Éd. de Parme] à son seul objet ou
aussi aux autres êtres ? 3. Est-ce que sa volonté est la cause des
choses qui sont produites ? 4. Est-ce que sa volonté se distingue en
volonté de signe et en volonté de bon plaisir ? |
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Articulus 1 [3201] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1
tit. Utrum in Deo sit voluntas |
Article 1 – La volonté existe-t-elle en Dieu ? |
[3202] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas Deo non conveniat. Voluntas enim
appetitus quidam est. Sed omnis appetitus est imperfecti ; unde etiam 1
Physic., text. 8 dicitur, quod materia appetit formam. Ergo cum in Deo nulla
sit imperfectio, videtur quod nec voluntas. |
[60] Difficultés : 1. Il semble que la volonté ne convienne
pas à Dieu. En effet, la volonté est un appétit. Mais tout appétit appartient
à ce qui est imparfait ; c’est pourquoi aussi le Philosophe [1 Physique,
texte 8] dit que la matière désire la forme. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a
aucune imperfection, il semble qu’il n’y ait aussi aucune volonté. |
[3203] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, actus voluntatis est tendere in finem, qui est ejus objectum. Sed
ei quod est finis ultimus, non competit tendere in finem. Ergo cum Deus sit
finis omnium, videtur quod sibi voluntas non competat. |
2. Par ailleurs, l’acte de la
volonté consiste à tendre vers la fin qui est son objet. Mais il n’appartient
pas à la fin ultime de tendre vers une fin. Donc puisque Dieu qui est la fin
de tout, il ne lui convient pas d’avoir une volonté. |
[3204] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, secundum Philosophum in III De anima, text. 50,
voluntas est movens motum, quia movetur a volito. Sed secundum Boetium, III
lib. De consolat. Metr. IX, col. 758, Deus immobilis manens
dat cuncta moveri ; unde etiam in IX Metaph., text. 37, dicitur quod
movet sicut desideratum. Desideratum autem non motum movet desiderium. Ergo videtur quod voluntas sibi non competat. |
3. En outre, d’après le Philosophe
[111 De l’Âme, texte 50], la volonté est un moteur qui est mû car
elle est mue par ce qui est voulu comme bien. Mais d’après Boèce [111 De
la Consolation, metr. 1X, col. 758], Dieu qui demeure immobile donne à
tous les êtres d’être mus ; d’où le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 37] dit aussi de Dieu qu’il meut à titre de bien désiré. Mais le bien
désiré meut le désir sans être mû. Il semble donc que la volonté ne convienne
pas à Dieu. |
[3205] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, secundum Philosophum, in III Deanima, text. 50, et
etiam secundum Damascenum, II Fid. Orth., cap. XXII, col.
943, voluntas est in ratione. Sed ratio nominat obumbratam cognitionem, quia
oritur in umbra intelligentiae, ut dicit Isaac in libro Definitionum, qualis
cognitio Deo non competit. Ergo
videtur quod nec voluntas. |
4. Par ailleurs, selon le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 50] et aussi selon Damascène
[11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXII, col. 943], la volonté est dans
la raison. Mais la raison nomme une connaissance obscure car elle naît dans
l’ombre de l’intelligence comme le dit Isaac dans le livre des Définitions,
connaissance qui est étrangère à Dieu. Il semble donc que la volonté non plus
ne lui convienne pas. |
[3206] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 1 In
contrarium sunt plurimae auctoritates canonis et sanctorum, quae etiam
in Litterainducuntur. |
Cependant : 1. Il y a plusieurs autorités du canon et
des saints, qui sont aussi présentées dans la Lettre, qui
soutiennent le contraire. |
[3207] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, secundum illud supremum quod est in nobis maxime Deo conformamur.
Sed supremum in nobis videtur voluntas esse quae est motor aliarum virtutum,
secundum Anselmum, lib. De peccato orig., c.ap. IV, col.
436et etiam est liberrimum in natura nostra. Ergo videtur quod voluntas
maxime Deo sit attribuenda. |
2. Par ailleurs, c’est d’après ce
qu’il y a de plus élevé en nous que nous nous conformons à Dieu. Mais il
semble que ce qu’il y a de plus élevé en nous soit la volonté, laquelle est
le moteur de toutes les autres puissances d’après Saint-Anselme [De la
Faute Originelle, ch. IV, col. 436], tout en étant ce qu’il y a de plus
libre dans notre nature. Il semble qu’on doive suprêmement attribuer la
volonté à Dieu. |
[3208] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 3
Praeterea, omnes qui Deum confitentur, eum felicissimum ponunt. Sed felicitas
sine delectatione esse non potest, ut in 1 Ethic. dicitur. Ergo
in Deo est summa delectatio. Sed delectatio non potest esse sine
concupiscentia vel voluntate: quia delectatio consistit in quadam voluntatis
complacentia. Ergo videtur quod voluntas in Deo sit. |
3. De plus, tous ceux qui confessent
l’existence de Dieu soutiennent qu’il est suprêmement heureux. Mais la
félicité ne peut exiter sans la délectation ainsi que le dit le Philosophe
[1 Éthique]. Il y a donc en Dieu la délectation la
plus élevée. Mais la délectation ne peut exister sans la concupiscence ou la
volonté, car la délectation consiste dans une certaine complaisance de la
volonté. Il semble donc qu’il y ait volonté en Dieu. |
3209] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in omni natura ubi invenitur cognitio, invenitur etiam
voluntas et delectatio. Cujus ratio est, quia omne quod habet virtutem
cognoscitivam, potest dijudicare conveniens et repugnans ; et quod
apprehenditur ut conveniens oportet esse volitum vel appetitum. Et ideo in
nobis secundum duplicem cognitionem sensus et intellectus est duplex
appetitiva ; una quae sequitur apprehensionem intellectus, quae voluntas
dicitur ; alia quae sequitur apprehensionem sensus ; quae dividitur in
irascibilem et concupiscibilem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que dans toute
nature où on retrouve une connaissance on retrouve aussi une volonté et une
délectation. Et la raison en est que tout ce qui possède une puissance
cognitive peut discerner ce qui convient de ce qui est contraire, et que tout
ce qui appréhendé comme étant convenant doit être voulu ou désiré. Et c’est
pourquoi il y a en nous deux appétits qui correspondent à deux sortes de
connaissance, à savoir celle du sens et celle de l’intelligence ; et la
puissance appétitive qui découle de l’appréhension de l’intelligence
s’appelle volonté alors que la puissance appétitive qui découle de
l’appréhension du sens se divise en irascible et en concupiscible. |
Unde cum in Deo, ut supra ostensum est, dist. XXXV,
quaest. unica, art. 1, sit intellectualis cognitio, oportet quod in eo etiam
sit voluntas et delectatio, secundum quod una et simplici operatione Deus
gaudet, ut in VII Ethic., cap. XIV, dicit philosophus. In omni enim natura
cognoscente operatio perfecta et naturalis delectabilis est. |
D’où il suit que puisqu’en Dieu,
ainsi que nous l’avons dit [dist. XXXV, quest. unique, art. 1], il y a la
connaissance intellectuelle, il faut qu’il y ait aussi en Lui la volonté et
la délectation, selon que Dieu se réjouit par une seule et simple opération
comme le dit le Philosophe [ VII Éthique, ch. XIV]. En effet,
dans toute nature qui connaît, l’opération parfaite et naturelle est
délectable. |
[3210] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis in Deo dicatur esse voluntas, non tamen
conceditur ibi esse appetitus: quia secundum Augustinum,in psalm. CXVIII,
conc. VIII, § 4, col. 1521, appetitus proprie est rei non habitae. Deus autem
totum suum bonum in se habet. Unde nec etiam in nobis proprie voluntas
appetitus est quando volito conjuncta est. Sed amor est rei jam habitae,
secundum Augustinum ibid. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien qu’on dise qu’il y a volonté en Dieu, on ne doit cependant pas concéder
qu’il y a là appétit : car d’après Saint-Augustin [Psaume CXVIII,
conc. VIII, & 4, col. 1521] l’appétit se rapporte proprement à
une chose qui n’est pas possédé. Mais Dieu possède ne Lui tout son bien.
C’est pourquoi même en nous la volonté n’est pas proprement un appétit quand
elle est unie au bien qu’elle voulait. Mais selon Saint-Augustin au même
endroit, il y a amour pour la chose déjà possédée. |
[3211] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 2 Et per hoc patet etiam responsio ad
secundum. Quia tendere in finem
accidit voluntati secundum quod est distans a fine ; sed operationem habere
circa finem, hoc est voluntati essentiale ; et haec praecipue Deo convenit,
qui se amat, et in se delectatur. |
2. Et par là on voit aussi la
réponse à la deuxième difficulté. Car tendre vers une fin est possible pour
la volonté selon qu’elle est encore éloignée de la fin mais il est essentiel
à la volonté que son opération porte sur la fin ; et cela convient
surtout à Dieu qui s’aime et trouve sa délectation en Lui-même. |
[3212] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod voluntas non movetur nisi a fine: finis autem
voluntatis divinae est ipsa sua bonitas quae est idem quod voluntas secundum
rem ; et ideo non sequitur quod Deus sit movens motum, proprie loquendo, quia
omne movens est aliud a moto. Sed forte propter hoc Plato posuit quod primum
movens seipsum movet, inquantum cognoscit se et amat se, ut in VIII Physic.,
text., com. 51, dicit Commentator ; et hoc non nisi metaphorice dicitur,
sicut etiam dicitur, quod finis movet. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la volonté n’est mue que par la fin : mais la fin de la volonté
divine est sa propre bonté qui est identique en réalité à sa volonté ;
et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas à proprement parler que Dieu soit un
moteur qui est mû car tout moteur est autre que ce qui est mû. Et c’est
peut-être pour cette raison que Platon a soutenu que le premier moteur se
meut lui-même en tant qu’il se connaît et s’aime lui-même ainsi que le dit le
Commentateur [ VIII Physique, texte com. 51]` ; et cela ne
se dit que par métaphore, tout comme on dit aussi que la fin meut. |
[3213] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod secundum gradum cognitionis etiam est gradus virtutis
appetitivae ; quantum enim ratio superat sensum, tantum voluntas rationis
superat appetitum sensus ; et quanto intellectus divinus superat rationem
nostram, tanto voluntas ejus superat voluntatem nostram ; et hoc per rationem
concludebatur, scilicet quod Deo non conveniat voluntas ad modum voluntatis
nostrae ; et tamen sicut ratio nostra vocatur intellectus, et intellectus
divinus vocatur ratio, ut patet in VII cap. De divin. Nomin., §
4, col. 871, propter convenientiam in immaterialitate ; ita et voluntas
communi nomine utrobique dicitur. |
4.[61] Il faut dire en quatrième
lieu que les degrés de la puissance appétitive découlent des degrés de la
connaissance ; en effet, la volonté de la raison commande d’autant plus
à l’appétit du sens que la raison commande au sens ; et la volonté de
Dieu commande d’autant plus à notre volonté que son Intelligence commande à
notre raison ; et par ce raisonnement on concluait ceci, à savoir que la
volonté ne convient pas à Dieu de la même manière que la volonté nous
convient ; et cependant tout comme notre raison est appelée intelligence
et que l’intelligence divine est appelée aussi raison comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. VII, & 4, col. 871] à cause de leur
ressemblance dans l’immatérialité, de même on se sert aussi du nom commun de
volonté dans les deux cas. |
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Articulus 2 [3214] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2
tit. Utrum voluntas Dei sit tantum sui ipsius |
Article 2 – La volonté de Dieu ne se rapporte-t-elle qu’à lui seul ? |
[3215] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
voluntas Dei non sit nisi sui ipsius. Quia, secundum Philosophum, voluntas
est finis ; electio autem eorum quae sunt ad finem, ut dicitur in III Ethic.,
cap. V, Sed nihil aliud est finis
suae operationis nisi ipse. Ergo voluntas sua est tantum sui ipsius. |
[62] Difficultés : 1. Il semble que la volonté de Dieu ne
veuille pas autre chose que lui-même. En effet, selon le Philosophe, la
volonté se rapporte à la fin alors que la délibération et le choix se
rapportent aux moyens ordonnés à la fin comme le dit le Philosophe [111 Éthique,
ch. V]. Mais la fin de l’opération de Dieu n’est rien d’autre que Lui-même.
Sa volonté ne se rapporte donc qu’à lui-même. |
[3216] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, voluntas movetur a volito. Sed nihil
potest esse movens voluntatem divinam nisi ipse. Ergo voluntas sua est tantum
sui ipsius. |
2. Par ailleurs, la volonté est mue par
le bien voulu. Mais rien d’autre que Lui-même ne peut mouvoir la volonté
divine. Donc sa volonté ne se rapporte qu’à Lui-même. |
[3217] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, cujuslibet voluntas est ejus quod est bonum sibi. Sed omne quod
est bonum alicui differt ad eum, utrum illud sit, vel non sit. Cum igitur de
nullo creato differat ad ipsum, utrum sit, vel non sit ; eo quod bonorum
nostrorum non eget, sed totum bonum in se habet ; videtur quod voluntas sua
ad ea quae sunt extra eum, non se extendat. |
3. En outre, la volonté de
tout être se rapporte à ce qui est son bien. Mais cela fait une différence
pour un être que tout ce qui est un bien pour lui existe ou n’existe pas.
Donc, puisque cela ne fait aucune différence pour Dieu que les êtres créés
existent ou n’existent pas du fait qu’il n’a pas besoin de nos biens mais
qu’il possède tout bien en Lui, il semble que sa volonté ne s’étende pas aux
choses qui sont en dehors de lui. |
[3218] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, ea quae sunt ad finem, non quaeruntur nisi
propter finem. Ergo habito fine non est ulterius voluntas eorum quae sunt ad
finem. Sed omnium creaturarum finis est divina bonitas, quae in ipso Deo ab
aeterno est. Ergo videtur quod ad ea quae sunt extra ipsum voluntas ejus non
se extendat. |
4.
De plus, les choses qui sont ordonnées à la fin ne sont recherchées qu’à
cause de la fin. Donc, une fois la fin possédée, il n’y a plus lieu pour la
volonté de se rapporter aux choses qui sont ordonnées à la fin. Mais la fin
de toutes les creatures est la bonté divine qui est en Dieu lui-même de toute
éternité. Il semble donc que la volonté de Dieu ne s’applique pas aux choses
qui sont en dehors de Lui. |
[3219] Super
Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, amor consistit in actu
voluntatis. Sed de Deo dicitur, Sap. XI, 35 quod diligit omnia quae
sunt, et nihil odit eorum quae fecit. Ergo voluntas ejus est etiam creatorum ab eo. |
Cependant : 1. Au contraire, l’amour consiste dans un
acte de la volonté. Mais l’Écriture [Sagesse, XI, 24] dit au sujet de
Dieu qu’il aime tout ce qui existe et qu’il n’a de dégoût pour rien
de ce qu’il a fait. Sa volonté se rapporte donc aussi aux créatures qui
viennent de Lui. |
[3220] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, sicut se habet scientia Dei ad verum, ita se habet voluntas ejus
ad bonum. Sed scientia ejus est omnium verorum. Ergo et voluntas ejus est
omnium bonorum. |
2. En outre, tout comme la science
de Dieu se rapporte au vrai, de même sa volonté se rapporte au bien. Mais sa
science porte sur toutes les vérités. Donc sa volonté porte sur tous les
biens. |
[3221] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut Deus cognoscendo
essentiam suam cognoscit omnia quae sunt ab eo, inquantum sunt similitudo
quaedam veritatis ejus ; ita etiam volendo vel amando essentiam suam, vult
omnia quae sunt ab eo, inquantum habent similitudinem bonitatis ejus. Unde id quod est volitum primo ab eo, est bonitas sua
tantum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout comme
c’est en connaissant son essence que Dieu connaît tout les êtres qui viennent
de Lui en tant qu’il sont une certaine similitude de sa vérité, de même
encore c’est en voulant ou en aimant son essence qu’il veut tous les êtres
qui viennent de Lui en tant qu’ils possèdent une ressemblance de sa bonté.
D’où il suit que ce qui est premièrement voulu par Lui, c’est sa bonté
seulement. |
Alia vero vult in ordine ad bonitatem suam: non autem
hoc modo ut per ea aliquid bonitatis acquirat, sicut nos facimus circa alios
bene operando, sed ita quod eis de bonitate sua aliquid largiatur: et ideo
liberalitas est quasi proprium ipsius, secundum Avicennam, trac. XI, Metaph. :
quia ex operatione sua non intendit aliquod sibi commodum provenire: sed vult
bonitatem suam in alios diffundere ; et ideo Augustinus, I De
doctr. Christ., cap. XXXII, col. 32, dicit, quod ipse utitur nobis ad bonitatem
suam et utilitatem nostram. |
Mais il
veut les autres êtres par rapport à sa bonté mais non pas cependant de telle
manière que par eux il acquière quelque chose de la bonté comme nous le
faisons par rapport aux autres en agissant bien, mais de telle manière qu’Il
leur accorde quelque chose de sa bonté: et c’est pourquoi sa libéralité est
comme ce qui lui est proper d’après Avicenne [XI Métaphysique]:
car il ne cherche pas à tirer pour lui-même un avantage de son operation mais
il veut plutôt répandre sa bonté dans les autres; et c’est pourquoi
Saint-Augustin [1 De la Doctrine Chrétienne, ch. XXXII, col. 32,
t. 111] dit que Lui-même se sert de nous pour nous attirer à sa bonté et pour
notre avantage. |
[3222] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in objecto alicujus
potentiae est duo considerare: scilicet illud quod est materiale, et illud
quod formaliter complet rationem objecti ; sicut patet in visu: quia color
est visibile in potentia, et non efficitur visibile in actu nisi per actum
lucis. Similiter dico, quod illud
quod formaliter complet rationem voliti, est finis, ex quo est ratio boni ;
et hoc intelligit Philosophus cum dicit, III Ethic., cap. V, quod voluntas est
finis ; sed ea quae sunt ad finem, se habent materialiter ad objectum
voluntatis, ut scilicet sint volita per ordinem finis, sicut color videtur
per actum lucis. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu qu’il y a deux choses à considerer dans l’objet de cette
puissance: à savoir ce qui est materiel et ce qui achève
formellement la notion d’objet, comme on le voit pour la vue: car la couleur
est visible en puissance et elle ne devient visible en acte que par l’acte de
la lumière. De la même manière je dis que ce qui achève formellement la notion
d’objet voulu, c’est la fin d’où vient la notion de bien; et c’est là ce
qu’entend le Philosophe [111 Éthique, ch. V] lorsqu’il dit que
l’objet de la volonté, c’est la fin; mais les choses qui sont ordonnées à la
fin se présentent comme matériellement par rapport à l’objet de la volonté,
c’est-à-dire de telle manière qu’elles sont voulues par rapport à la fin,
tout comme la couleur est vue par l’acte de la lumière. |
[3223] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est volitum
sicut finis, est movens voluntatem, et perficiens eam: et sic nihil movet
voluntatem divinam nisi Deus: sed illud quod est ordinatum ad finem est
volitum ab eo sicut effectum a voluntate, et motum ab ea ; sicut patet in
voluntate artificis quae est principium operationum ordinatarum in finem. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que ce qui est voulu comme une fin, c’est cela qui meut
la volonté et qui lui donne sa perfection: et en ce sens il n’y a rien qui
meut la volonté divine si ce n’est Dieu lui-même; mais ce qui est ordonné à
la fin est voulu par Lui comme un effet produit par la volonté et mû par
elle, tout comme on le voit pour la volonté de l’artiste qui est le principe
des opérations ordonnées à la fin. |
[3224] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas Dei non est
nisi ejus quod est suum bonum ; sed tamen non eodem modo sicut in voluntate
nostra, quae vult bonum suum, quo scilicet perficitur sicut fine, vel per
quod finem consequitur ; sed voluntas divina vult bonum suum quod est ipsa et
quod ab ea est, et non per quod juvatur ; et ideo non refertur [refert ad
ipsius Éd. de Parme] perfectionem, utrum volitum ab eo sit vel
non sit. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la volonté de Dieu ne se rapporte qu’à ce qui est
son bien, mais d’une manière qui n’est pas la même que celle qu’on retrouve
dans notre volonté qui veut son bien, c’est-à-dire celui par lequel en tant
que fin elle trouve son achèvement ou celui par lequel elle parvient à la
fin; mais la volonté divine veut son bien qui n’est rien d’autre qu’elle-même
et qui vient d’elle et non pas celui par lequel elle est aidée; et c’est
pourquoi il est sans conséquence pour sa perfection que ce qu’il veut existe
ou n’existe pas. |
[3225] Super Sent.,
lib. 1, d. 45, q. 1, a. 2, ad 4. Ad quartum dicendum,
quod Deus non ordinat creaturas in finem bonitatis suae, quasi per eas
bonitatem suam assequatur, sed ut ipsae creaturae divina operatione
similitudinem aliquam divinae bonitatis acquirant, quod esse non posset, nisi
eo volente et faciente. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que Dieu n’ordonne pas les creatures à la fin de sa bonté
comme si par elles il poursuivait sa bonté mais pour que les créatures
elles-mêmes par son opération acquièrent une certaine ressemblance de la bonté
divine, ce qui ne serait pas possible s’il ne le voulait et ne le faisait
pas. |
Articulus 3 [3226] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3
tit. Utrum voluntas Dei sit causa rerum |
Article 3 – La volonté de Dieu est-elle la cause des choses ? |
[3227] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod voluntati divinae non sit adscribenda
rerum causalitas. Voluntas enim Dei est tantum bonorum. Sed omnium bonorum
sufficiens causa est scientia ipsius. Ergo non oportet voluntatem Dei causam
rerum ponere. |
[63] Difficultés : 1. Il semble que ce ne soit pas
à la volonté divine qu’il faille imputer la causalité des choses. La volonté
de Dieu en effet ne se rapporte qu’aux biens. Mais la cause suffisante de
tous les biens est sa science. Il ne faut donc pas soutenir que la volonté de
Dieu est la cause des choses. |
[3228] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Deus non est causa rerum nisi per
suam operationem. Sed esse principium operationis pertinet ad causam ratione
potentiae. Ergo potentia potius
dicenda est causa rerum quam voluntas. |
2. Par ailleurs, Dieu n’est la
cause des choses que par son opération. Mais être principe d’opération relève
de la cause en raison de la puissance. Donc, c’est plutôt à la puissance qu’à
la volonté qu’on doit attribuer la causalité des choses. |
[3229] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, a causa contingente nunquam potest esse effectus necessarius. Sed
voluntas est causa contingens: quia ad utrumlibet se habet. Ergo non potest
esse causa necessariorum. Cum igitur in mundo sint multa necessaria, ut omnia
incorruptibilia, videtur quod non omnium causa sit voluntas. |
3. En outre, jamais un effet
nécessaire ne peut procéder d’une cause contingente. Mais la volonté est une
cause contingente car elle peut se déterminer d’un côté ou de l’autre. Elle
ne peut donc être la cause des effets nécessaires. Donc, puisque dans
l’univers il y a de nombreux effets nécessaires, comme tous les êtres
incorruptibles, il semble que la volonté ne soit pas la cause de tous ces
effets. |
[3230] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, posita causa sufficiente alicujus rei, superflue adduntur ad
eamdem rem aliae causae. Si ergo voluntas Dei sufficiens causa rerum est
(insufficiens enim non potest esse), videtur quod omnes causae naturales
superfluant, et omnes potentiae animae et omnes habitus infusi: quod frivolum
est. |
4. De plus, une fois posée la cause
suffisante d’une chose, il est inutile d’ajouter d’autres causes à cette même
chose. Si donc la volonté de Dieu est la cause suffisante des choses, car
elle ne peut en effet être une cause insuffisante, il semble alors que toutes
les causes naturelles sont inutiles, tout comme toutes les puissances de
l’âme et tous les habitus infus ; mais il est futile de dire cela. Donc,
la volonté divine n’est pas la cause des choses. |
[3231] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 5
Praeterea, ex causa sufficienti potest aliquid demonstrari. Si ergo voluntas
Dei sufficiens est causa omnium, videtur quod haec sit sufficiens
demonstratio ad omnia: quare hoc est? Quia Deus voluit ; et sic facile esset
omnia scire, et supervacua essent sanctorum et philosophorum studia qui ad
assignandas divinarum operationum rationes multipliciter laboraverunt: quod
stultum est dicere. |
5. Par ailleurs, à partir d’une
cause suffisante il est possible de démontrer quelque chose. Si donc la
volonté de Dieu est la cause suffisante de tous les êtres, il semble que
celle-ci soit une démonstration suffisante par rapport à eux tous :
pourquoi cela existe-t-il ? Parce que Dieu l’a voulu ; et ainsi il
serait facile de tout savoir et par conséquent les études et les doctrines
des saints et des philosophes qui ont travaillé de plusieurs manières à
assigner les raisons des opérations divines seraient superflues : or,
soutenir cela est une sottise. Donc, etc. |
[3232] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed
contra, secundum Philosophum, VI Metaph., text. 1, omnium
artificiatorum principium est voluntas artificis. Sed ea quae sunt procedunt
a Deo sicut artificiata ab artifice, ut a sanctis et philosophis traditur.
Ergo omnium quae sunt, causa est Dei voluntas. |
Cependant : 1. Au contraire, d’après le Philosophe [
VI Métaphysique, texte 1], le principe de toutes les œuvres d’art
est la volonté de l’artiste. Mais tous les êtres qui existent procèdent de
Dieu comme les œuvres d’art procèdent de l’artiste ainsi que l’enseignent les
saints et les philosophes. Donc, la volonté de Dieu est la cause de tout ce
qui existe. |
[3233] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit in IV cap. De
div.nomin., § 13 : « Amor trahit superiora in
provisionem minus habentium ». Sed omnia quae sunt, provisione divina in
esse prodierunt. Cum igitur amor in actu voluntatis consistat, videtur quod
principium omnium rerum sit divina voluntas. |
2. Par
ailleurs, Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 13] dit: «L’amour
meut les êtres supérieurs à pourvoir aux besoins de ceux qui possèdent moins».
Mais tout ce qui existe est venu à l’existence par les soins de Dieu. Donc,
puisque l’amour consiste en un acte de la volonté, il semble que le principe
de toutes les choses soit la volonté divine. |
[3234] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod opus determinatum non
progreditur nisi a determinato agente ; et inde est quod illud quod est
tantum in potentia, non agit, quia se habet indeterminatae ad multa ; sed
forma quae est terminans potentiam materiae, principium actionis dicitur ; et
ideo in omnibus quorum potentia activa determinata est ad unum effectum,
nihil requiritur ex parte agentis ad agendum supra potentiam completam,
dummodo non sit impedimentum ex defectu recipientis ad hoc quod sequatur
effectus: sicut patet in omnibus agentibus ex necessitate naturae. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire qu’une oeuvre déterminée ne vient que d’un agent determine; et
c’est à cause de cela que ce qui n’existe qu’en puissance n’agit pas car il
se présente comme indéterminément par rapport à une multiplicité de
possibles; mais c’est la forme, qui determine la puissance de la matière, qui
est appelée principe d’action; et c’est pourquoi, chez tous les êtres dont la
puissance active est déterminée à produire un seul effet, rien d’autre en
dehors de la puissance complète n’est requis du côté de l’agent pour agir
afin que l’effet s’ensuive, aussi longtemps qu’il n’y a pas un empêchement en
raison d’un défaut du côté de celui qui reçoit. |
Potentia autem Dei
cum sit infinita, non magis determinatur ad hoc quam ad illud: nec ex parte
operis [materiae opus Éd. de Parme] ejus determinationem recipere
potest, quia ipse etiam materiam et formam producit. Unde oportet quod supra
rationem potentiae sit aliquid aliud per quod opus determinetur. Hoc autem
fit per scientiam, quae propriam rationem rei cognoscit. Sed quia scientia se habet ad opposita, est enim et
bonorum et malorum, ideo oportet aliquid adhuc addere in quo perficiatur
ratio causae ; et hoc est voluntas quae determinate accipit unum ex duobus
quae scit vel quae potest. Unde perfecta ratio causalitatis in his quae non
agunt ex necessitate naturae, invenitur primo in voluntate, ut dicit
Philosophus, in IX Metaph., text. 1 : et hoc convenit
voluntati, inquantum objectum ejus est finis, qui est causa causarum, et a
quo sumitur determinatio operis, ut patet ex II Physic.: et ideo voluntati
divinae ascribitur causalitas rerum. |
Mais la puissance de Dieu,
puisqu’elle est infinie, n’est pas davantage déterminée à cet effet plutôt
qu’à tel autre : et cette puissance ne peut recevoir sa détermination du
côté de l’œuvre [de la matière de l’œuvre Éd. de Parme] parce que
Lui-même produit à la fois la matière et la forme. C’est pourquoi il faut qu’outre
la notion de puissance il y ait quelque chose d’autre au moyen de quoi
l’œuvre soit déterminée. Mais cela a lieu au moyen de la science qui connaît
la nature propre de la chose. Mais parce que la science est tournée vers les
opposés car elle s’intéresse à la fois aux biens et aux maux, c’est pourquoi
il faut encore ajouter quelque chose en quoi la notion de cause trouve son
achèvement ; et cela est la volonté qui, à partir de deux choses qu’elle
sait ou qu’elle peut, en reçoit déterminément une seule. Et c’est de là que
la notion parfaite de causalité, chez les êtres qui n’agissent pas par une
nécessité de nature, se retrouve premièrement dans la volonté ainsi que le
dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 1] : et cela
convient à la volonté, selon que son objet est la fin, laquelle est la cause
des causes d’où se tire la détermination de l’œuvre comme on le voit chez le
Philosophe [11 Physique, texte 31] ; et c’est pourquoi la
causalité des choses est attribuée à la volonté divine. |
[3235] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in scientia non perficitur ratio causalitatis, ut
dictum est, in corp. art., nisi adjuncta voluntate: ideo voluntas potius
dicitur causa quam scientia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la notion de causalité ne trouve pas son achèvement dans la science, ainsi
que nous l’avons dit dans le corps de l’article, à moins qu’on y ajoute la
volonté : et c’est pourquoi c’est davantage la volonté que la science
qui est appelée cause des choses. |
[3236] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod voluntas est principium operationis, ut primum
imperans opus ; sed potentia in his quae agunt per voluntatem, est principium
operis ut exequens: et in hoc consistit ratio potentiae ut sit proximum
principium operis, et non primum: et sic voluntas Dei potius dicitur causa
rerum quam potentia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la volonté est principe d’opération pour autant que c’est elle en premier
qui commande l’œuvre ; mais la puissance, chez ceux qui agissent par
volonté, est principe de l’œuvre en tant qu’exécutrice de l’oeuvre : et
c’est en cela que consiste la notion de puissance en tant qu’elle est le
principe prochain de l’œuvre et non en tant que premier principe : et
c’est en ce sens qu’on dit que la volonté de Dieu, plutôt que sa puissance,
est la cause des choses. |
[3237] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod voluntas divina libertatem habet, et ex hoc convenit
sibi quod sit ad utrumlibet ; sed super hoc habet immutabilitatem, ut ei quod
vult, immobiliter adhaereat, ex quo illud velle ponitur: et hanc
immobilitatem imitantur ea quae sunt necessaria in entibus, quamvis non ipsam
adaequent: et propter hoc non est dicendum, quod sit causa contingens: quia
contingentia mutabilitatem important. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la volonté divine possède la liberté et c’est de là qu’il lui appartient
de se tourner d’un côté comme de l’autre ; mais en plus de cela elle
possède l’immutabilité de telle manière qu’elle adhère immuablement à ce
qu’elle veut, d’où on pose qu’elle veut cela : et ceux qui sont
nécessaires parmi les êtres imitent cette immobilité bien qu’ils ne l’égalent
pas. Et c’est pour cette raison qu’il ne faut pas dire que la volonté divine
est une cause contingente car la contingence implique mutabilité. |
[3238] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod causalitas divinae voluntatis non excludit omnes
causas proximas rerum ; nec hoc est ex insufficientia voluntatis, sed ex
ordine sapientiae ejus quae effectus mediantibus aliis causis provenire
disposuit, ut sic etiam causandi dignitas creaturis communicaretur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la causalité de la volonté divine n’exclut pas toutes les causes
prochaines des choses ; et cela ne vient pas d’une insuffisance de la
part de cette volonté, mais de l’ordre de sa sagesse qui a décidé que les
effets allaient provenir d’autres causes intermédiaires, de manière à
communiquer ainsi aux créatures aussi le mérite d’être causes. |
[3239] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod demonstratio quae facit scientiam de re, sumitur ex
causis proximis rei ; et ideo oportet ad scientiam de rebus habendam nobis
alias rationes quaerere post voluntatem ejus, quae est causa prima rerum et
communis ; et praecipue cum voluntatem ejus non plene cognoscamus, ut in ea
propriam rei rationem videamus, sicut ipse videt qui in se omnia cognoscit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que la démonstration, qui produit la science au sujet d’une chose, se tire
des causes prochaines de la chose ; et c’est pourquoi il nous faut, pour
en arriver à la possession de la science des choses, rechercher d’autres
causes que la volonté divine, laquelle est la cause première et commune des
choses, et surtout puisque nous ne connaissons pas pleinement sa volonté de
manière à voir en elle la raison propre de la chose, contrairement à Dieu
qui, se voyant lui-même, connaît tout en Lui. |
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Articulus 4 [3240] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4
tit. Utrum voluntas Dei distinguatur in voluntatem beneplaciti et
voluntatem signi |
Article 4 – La volonté de Dieu se distingue-t-elle en volonté de bon plaisir et volonté de signe[64] ? |
[3241] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod
distinctio voluntatis in Littera posita, sit incompetens.
Sicut enim voluntas Dei se habet ad plura, ita et scientia ejus. Sed scientiae non assignantur diversa signa. Ergo
videtur quod nec voluntati assignari debeant ; cum etiam utrumque occultum
sit aequaliter. |
Difficultés :[65] 1. Il semble que la distinction de la
volonté présentée dans la Lettre ne convienne pas. En effet
la science de Dieu, tout comme sa volonté, se rapporte à une multiplicité.
Mais on n’assigne pas à la science une diversité de signes. Il semble donc
qu’on ne doive pas non plus assigner à la volonté une diversité de signes
puisque l’un et l’autre aussi sont également cachés. |
[3242] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, omne signum cui non respondet signatum, est signum falsum. Sed
istis signis voluntatis quae in Littera ponuntur, quandoque
non respondet signatum: quia permittit mala quae non vult, et praecipit etiam
bona quae non vult fieri, ut in Littera dicitur. Ergo
videtur quod sint falsa signa, et ita pro signis assignari non debeant. |
[66] Par ailleurs, tout signe
auquel ne correspond pas à une chose signifiée est un signe qui est faux.
Mais à ces signes de la volonté qui sont présentés dans la Lettre il ne
correspond parfois aucun signifié : car il permet des maux
qu’il ne veut pas et commande même des biens qu’il ne veut pas, comme on le
dit dans la Lettre. Il semble donc que ce soient là des signes
qui sont faux et ils ne doivent donc pas être donnés comme signes. |
[3243] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, sicut invenitur bonum et melius, ita invenitur malum et pejus, ut
veniale et mortale. Sed respectu horum duorum fiendorum est tantum unum
signum, scilicet prohibitio. Ergo videtur quod etiam bonorum esse debeat unum
tantum signum et non duo, scilicet praeceptum et consilium. |
3. Par ailleurs, tout comme on
retrouve du bien et du mieux, de même on retrouve du mal et du pire, comme le
véniel et le mortel. Mais par rapport à ces deux choses à devenir il n’y a
qu’un seul signe, à savoir l’interdiction. Il semble donc que même pour les
biens il ne doit y avoir qu’un seul signe et non deux, c’est-à-dire le
commandement et le conseil. |
[3244] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, objectum voluntatis est bonum. Sed malum fieri non est bonum, ut
infra dicetur, dist. seq., quaest. unica, art. 4. Ergo respectu hujus mali
respectu [respectu huius Éd. de Parme] nullum signum voluntatis
divinae debet esse: et ita permissio superfluit. |
4. En outre, l’objet de la volonté
est le bien. Mais l’apparition du mal n’est pas un bien comme nous le dirons
plus loin [dist. suivante, quest. unique, art. 4]. Donc par rapport au mal [à
cela Éd. de Parme] il ne doit y avoir aucun signe de la volonté
divine : et ainsi la permission est inutile. |
[3245] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 5
Praeterea, sicut signa voluntatis respiciunt diversa, ita et voluntas
beneplaciti est diversorum. Si ergo assignantur diversa signa voluntatis
propter diversitatem eorum, videtur quod etiam voluntas beneplaciti
multiplicari debeat ; aut si non hoc, nec illud. |
5. De plus, tout comme les signes
de la volonté se rapportent à différentes choses, de même la volonté de bon
plaisir se rapporte à différentes choses. Si donc différents signes de la
volonté sont assignés à cause de leur diversité, il semble que même la
volonté de bon plaisir doive être multipliée, ou bien si cette dernière ne
l’est pas, l’autre ne doit pas l’être non plus. |
[3246] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 co.Respondeo
dicendum, quod de Deo quaedam dicuntur proprie, quaedam metaphorice. Ea quae
proprie de ipso dicuntur, vere in eo sunt ; sed ea quae metaphorice, dicuntur
de eo per similitudinem proportionabilitatis ad effectum aliquem, sicut
dicitur ignis Deuter. 4, eo quod sicut ignis se habet ad consumptionem
contrarii, ita Deus ad consumendum nequitiam. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que certaines choses se disent de Dieu proprement et
d’autres par métaphore. Les choses qui se disent de Lui proprement
existent véritablement en Lui; mais les choses qui se disent de Lui par
métaphore se disent de Lui par une similitude de proportionnalité par rapport
à un effet, tout comme l’Écriture le dit au sujet du feu [Deutér. 4]
du fait que le feu est à la destruction du contraire ce que Dieu est à la
destruction de la méchanceté. |
Unde ipsum esse
destruentem nequitiam, est ipsum esse ignem, et ipsa consumptio activa est
igneitas ejus ; et per modum istum ipsa punitio dicitur ira ejus: et quia
effectus est signum causae, ideo ea secundum quae attenditur similitudo vel
irae vel alicujus alterius dicuntur esse signa: unde punitio dicitur signum
irae ejus. |
D’où l’être même
qui détruit la méchanceté est l’être même du feu et la destruction active
elle-même est son embrasement; et de cette manière la punition elle-même est
appellee sa colère: et parce que l’effet est le signe de la cause, c’est
pourquoi on dit de ces choses, d’après lesquelles se vérifie la similitude
soit de la colère soit de quelque chose d’autre, qu’elles sont des signes:
c’est pourquoi on dit de la punition qu’elle est le signe de sa colère. |
Sed dico, quod Deus potest dici velle aliquid
dupliciter. Vel proprie, et sic dicitur velle illud cujus voluntas vere in eo
est, et quod sibi complacet ; et haec est voluntas beneplaciti. Dicitur etiam
aliquid velle metaphorice, eo quod ad modum volentis se habet, inquantum
praecipit vel consulit vel aliquid hujusmodi facit. Unde ea in quibus attenditur
similitudo istius rei ad voluntatem Dei, voluntates ejus metaphorice
dicuntur: et quia talia sunt effectus, dicuntur signa. |
Mais je dis
qu’on peut dire de Dieu qu’il veut quelque chose de deux manières. Soit
proprement et en ce sens on dit qu’il veut ce dont la volonté est
véritablement en Lui et qui Lui plait: et telle est la volonté de bon
Plaisir. Mais on dit aussi de Lui qu’il veut quelque chose par métaphore du
fait qu’il se présente à la manière de celui qui veut selon qu’il commande,
qu’il conseille ou qu’il fait quelque chose de la sorte. D’où il suit que les
choses dans lesquelles se vérifie la ressemblance de cette chose à l’égard de
la volonté de Dieu s’appellent métaphoriquement ses volontés: et parce que
les effets sont tells, ils sont appelés des signes. |
Horum autem signorum
diversitatis ratio haec est. Assignantur enim haec signa voluntati divinae
secundum quod est rerum humanarum, quibus speciali modo providet. Potest ergo signum voluntatis accipi aut secundum
ordinationem hominum in finem aeternae salutis, aut secundum executionem
ordinis. |
Mais voici quelle est la
raison de la diversité de ces signes. Ces signes en effet sont assignés à la
volonté divine selon qu’elle porte sur les choses humaines auxquelles elle
pourvoit d’une manière spéciale. Le signe de la volonté peut donc se prendre
soit selon l’ordonnance de l’homme par rapport à la fin du salut éternel,
soit selon l’exécution de l’ordre. |
Ad finem autem consequendum providentiae est duo
largiri ; ea scilicet quibus res promoveatur in finem, et ea quibus ab
impedientibus liberetur. Sicut autem res naturales tendunt in fines suos
naturales per virtutes activas ex providentia divina eis collatas, ita et
humana voluntas per consilia et praecepta ordinatur in finem, et a peccatis
quae impediunt consecutionem finis, retrahitur prohibitionibus ; sicut etiam
animalibus divina providentia contulit cornua et ungues, et hujusmodi, quibus
se juvent contra impugnantia. Si autem pertinet ad executionem ordinis, hoc potest
esse dupliciter. Aut secundum quod tendit in id ad quod ordinatum est,
bonum faciendo: et respectu hujus est hoc signum quod est operatio: quia Deus
in nobis omnia bona operatur. Aut etiam exeundo ab illo ordine, mala
faciendo, qui etiam exitus providentiae subjacet non ut provisus sed ut
ordinatus: et respectu hujus est permissio. Vel potest sumi melius sic: quia vel signum voluntatis
est respectu praesentium ; et sic respectu bonorum est operatio, respectu
malorum permissio: vel est futurorum: et sic respectu malorum est prohibitio
; respectu boni ad quod omnes tenentur, praeceptum ; sed respectu
perfectioris boni quod non omnes attingunt, est consilium: et continentur hoc
versu: « Praecipit, ac prohibet, permittit, consulit,
implet ». |
Mais il y a deux choses à prodiguer
par la providence pour la poursuite de la fin ; à savoir les choses par
lesquelles l’être progresse vers la fin et celles par lesquelles il est
libéré de ce qui l’empêche d’y parvenir. Mais tout comme les choses
naturelles tendent vers leurs fins naturelles au moyen des vertus actives qui
leur sont accordées par la providence divine, de même la volonté humaine est
ordonnée à la fin par les conseils et les préceptes, et par les interdictions
elle est retirée des péchés qui sont des obstacles à l’atteinte de la
fin ; tout comme aussi la providence divine accorde aux animaux des
cornes, des griffes et des outils de la sorte par lesquels ils se défendent
contre leurs agresseurs. Mais si le signe de la volonté se prend
selon l’exécution de l’ordre, cela est possible de deux manières. Soit selon qu’il tend vers ce à quoi il
est ordonné en faisant le bien : et par rapport à cela il y a ce signe
qui est l’opération : car Dieu opère en nous tous les biens. Soit aussi
en sortant de cet ordre en faisant le mal, laquelle sortie est aussi soumise
à la providence non pas ne tant que voulue ou cautionnée mais en tant
qu’ordonné : et par rapport à cela il y a la permission. Soit on peut le prendre encore mieux de
la manière suivante : car soit le signe de la volonté se rapporte à ce
qui est présent et alors par rapport aux biens il y a l’opération et par
rapport aux maux la permission ; soit à ce qui est à venir et ainsi par
rapport aux maux il y a l’interdiction et par rapport au bien auquel tous
sont tenus, il y a le précepte ; mais par rapport à un bien plus parfait
que tous n’atteignent pas, il y a le conseil : et tout cela est contenu
dans ce verset : «Il commande et interdit, il permet, il conseille et
il accomplit son opération». |
[3247] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod scientia Dei vere et perfecte est omnium, sed non
voluntas: et ideo quaedam metaphorice dicitur velle quae simpliciter non
vult, propter quod voluntas signi assignatur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la science de Dieu porte vraiment et parfaitement sur tout, mais non la
volonté : et c’est pourquoi on dit de Dieu par métaphore qu’il veut
certaines choses qu’il ne veut pas absolument, à cause de quoi on lui
attribue la volonté de signe. |
[3248] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod effectus qui est signum alicujus secundum
proprietatem in uno, est signum ejusdem secundum similitudinem in altero, in
omnibus quae metaphorice dicuntur ; sicut punitio est signum irae in homine,
et in Deo est signum voluntatis puniendi, quae per similitudinem ira dicitur.
Et similiter dico, quod istis signis respondet aliquid in Deo, quod per
similitudinem dicitur voluntas hujus rei, ut praecepto voluntas praecipiendi,
et ordinandi naturam rationalem in finem, et sic de aliis. Unde patet quod
haec signa non sunt falsa. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que l’effet qui est le signe de quelque chose selon une propriété dans l’un
est le signe de la même chose selon une similitude dans un autre pour tout ce
qui se dit par métaphore ; tout comme la punition est le signe de la
colère dans l’homme, de même en Dieu elle est le signe de la volonté de
punir, laquelle est appelée colère par similitude. Et je dis de même qu’à ces
signes correspond quelque chose en Dieu qu’on appelle par similitude volonté
de telle chose, comme au précepte correspond la volonté de commander et
d’ordonner la nature rationnelle à la fin, et il en est de même pour les
autres signes. C’est pourquoi il est clair que ces signes ne sont pas faux. |
[3249] Super Sent.,
lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in dispositione
naturarum dantur a Deo diversae virtutes, quarum una est nobilior altera, ut
sic una res perfectius consequatur finem quam alia ; ita etiam in dispositione
hominum sunt diversa ordinantia in finem ; unum communiter omnium, scilicet
praeceptum ; et alterum perfectorum, scilicet consilium. Sed omne peccatum est in exeundo ab ordine finis ; et
ideo cuilibet peccatum quodlibet vitandum est. Nec in hoc diversus gradus
hominum attenditur ; et propter hoc unum signum tantum datur de hoc, scilicet
prohibitio. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que tout comme dans la disposition des natures différentes puissances sont
données par Dieu dont l’une est plus noble que l’autre de telle manière
qu’une chose atteigne plus parfaitement la fin qu’une autre, de même encore
dans la disposition des hommes il y a différentes ordonnances vers la
fin : il y en a une qui est commune à tous, à savoir le précepte ;
et il y en a une autre qui se rapporte aux parfaits, à savoir le conseil.
Mais tout péché consiste à sortir de l’ordre de la fin et c’est pourquoi tout
homme est tenu d’éviter le péché. Et en cela ne se vérifient pas différents
degrés chez les hommes ; et c’est pour cette raison qu’un seul signe est
donné par rapport à cela, lequel est l’interdiction. |
[3250] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Deus non vult mala proprie fieri ; sed vult aliquid
eis conjunctum, ut infra dicetur, dist. seq., quaest. Unic., art. 4 ; ex quo
sequitur quod permittat: et ideo permissio ipsa effectus est alicujus
voluntatis, et metaphorice voluntas dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que Dieu ne veut pas à proprement parler que les maux arrivent mais il veut
que quelque chose leur soit uni comme on le dira plus loin [dist. Suivante,
quest. unique, art. 4] ; d’où il s’ensuit qu’il permet les maux :
et c’est pourquoi la permission elle-même est un effet d’une volonté et
s’appelle volonté par métaphore. |
[3251] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod voluntas divina, quamvis sit plurium volitorum, non
tamen est nisi una: quia omnia illa vult in uno per se volito, scilicet sua
bonitate ; sicut omnia etiam cognoscit cognoscendo essentiam suam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que la volonté divine, ;bien qu’elle porte sur de nombreux objets
voulus, n’en est pas moins une seule volonté : car toutes les choses
qu’elle veut, elle les veut toutes dans une seule réalité voulue par elle-même,
à savoir sa bonté, tout comme aussi en connaissant son essence elle connaît
toute chose. |
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Distinction 46 – (2) La volonté de Dieu |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum Deus omnes homines salvos fieri velit; 2 utrum mala fieri sit bonum; 3 utrum malum sit de perfectione universi; ` 4 utrum Deus mala fieri velit. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1. Est-ce que Dieu a voulu que tous les
hommes soient sauvés ? 2. Est-il bon que du mal arrive? 3. Est-ce que le mal fait partie de la
perfection de l’univers ? 4. Est-ce que Dieu veut que le mal
arrive ? |
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Articulus 1 [3254] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1
tit. Utrum Deus velit omnes homines salvos fieri |
Article 1 : Dieu veut-il que tous les hommes soient sauvés ? |
[3255] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus omnes homines salvos fieri velit. Primo
per auctoritatem apostoli, quae etiam in Litterainducitur, quae
est 1 Tim. 2, 4: Omnes homines vult salvos fieri. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu a voulu que tous
les hommes soient sauvés. On le voit d’abord par l’autorité de l’Apôtre
[1 Timothée, 2, 4] qui est présentée dans la Lettre et
que voici : Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés. |
[3256] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 2 Si
dicas quod vult voluntate conditionata, et non absoluta. Contra,
voluntas conditionata est voluntas imperfecta. Sed nihil imperfectum Deo est
attribuendum. Ergo etc. |
2. Si tu dis qu’Il
le veut d’une volonté conditionnée et non d’une volonté absolue, je
réponds à cela que la volonté conditionnée est une volonté
imparfaite. Mais rien d’imparfait ne doit être attribué à Dieu. Donc, etc. |
[3257] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, voluntas habentis caritatem imitatur
voluntatem divinam. Sed habens caritatem, cujuslibet salutem optat. Ergo
videtur quod et Deus omnium salutem velit. |
3. Par
ailleurs, la volonté de celui qui possède la charité imite la volonté divine.
Mais en possédant la charité, il choisit le salut de tous. Il semble donc que
Dieu aussi veut le salut de tous. |
[3258] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne agens per intentionem, vult
quod opus suum finem consequatur. Sed
finis hominis est salus aeterna, ad quam Deus eum creavit. Ergo vult omnes
homines salvos fieri. |
4. En outre, tout ce qui agit par
intention veut que son œuvre parvienne à sa fin. Mais la fin de l’homme est
le salut éternel pour lequel Dieu l’a créé. Il veut donc que tous les hommes
soient sauvés. |
[3259] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 5
Praeterea, nullus potest salvari nisi Deus eum velit salvare. Si ergo Deus
omnem hominem salvare vult, non est in potestate cujuslibet hominis ut
salvetur. Sed pro eo quod non est in potestate nostra, non meremur poenam vel
vituperium. Ergo non est imputandum eis
qui non salvantur: quod falsum est. Ergo videtur quod Deus omnes homines
salvare velit. |
5. De plus, nul ne peut être sauvé
que si Dieu veut qu’il soit sauvé. Si donc Dieu veut sauver tout homme, il
n’est pas dans le pouvoir de tout homme d’être sauvé. Mais pour ce qui n’est
pas en notre pouvoir, nous ne méritons pas le châtiment ou le blâme. Il ne
faut donc pas les attribuer à ceux qui ne sont pas sauvés : ce qui est
faux. Il semble donc que Dieu a voulu sauver tous les hommes. |
[3260] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, praedestinatio est propositum miserendi, secundum Augustinum. Si
igitur Deus vellet omnes salvari, omnes essent praedestinati. Sed hoc falsum
est: quia cum non omnes salventur, aliquis esset praedestinatus qui non
salvaretur. Ergo non vult Deus omnes homines salvos fieri. |
Cependant : 1. Au contraire, la prédestination est la
volonté de la miséricorde selon Saint-Augustin. Si donc Dieu voulait sauver
tous les hommes, tous seraient prédestinés au salut. Mais cela est faux, car
puisque ce ne sont pas tous les hommes qui sont sauvés, il y aurait des
prédestinés qui ne seraient pas sauvés. Dieu ne veut donc pas que tous les
hommes soient sauvés. |
[3261] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, voluntas Dei est prima et summa causa rerum, ut supra dictum est,
dist. 45, quaest. 1, art. 3. Sed posita causa, ponitur effectus. Sed non
omnes salvantur. Ergo videtur quod nec voluntas Dei sit de omnium salute. |
2. Par ailleurs, la volonté de Dieu
est la cause première et souveraine des choses comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 45, quest. 1, art. 3]. Mais une fois la cause posée, l’effet
l’est aussi. Mais ce ne sont pas tous les hommes qui sont sauvés. Il semble
donc que la volonté de Dieu ne vise pas le salut de tous. |
3262] Super Sent., lib.
1 d. 46 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, secundum Damascenum, II
Fid. Orth., cap. XXIX, col.
970, quod voluntas est duplex; scilicet antecedens, et
consequens: et hoc contingit non ex aliqua diversitate voluntatis divinae,
sed propter diversas conditiones ipsius voliti. Potest enim in unoquoque
homine considerari natura ejus et aliae circumstantiae ipsius, ut quod est
volens et praeparans se ad salutem suam, vel etiam repugnans et contrarie
agens. Si ergo in homine tantum natura ipsius consideretur, aequaliter bonum
est omnem hominem salvari: quia omnes conveniunt in natura humana. Et cum
omne bonum sit volitum a Deo, hoc etiam Deus vult, et hoc vocatur voluntas
antecedens, qua omnes homines salvos fieri vult, secundum Damascenum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que selon
Saint-Jean Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXIX, col. 970], il y a
deux sortes de volonté : à savoir celle qui précède et celle qui suit,
et cela n’est pas dû à une diversité du côté de la volonté divine mais à des
conditions diverses du côté de ce qui est voulu. Il est possible en effet de
considérer en tout homme sa nature d’une part et les autres circonstances
d’autre part, à savoir s’il veut son salut et s’y prépare, ou s’il y répugne
et agit en s’y opposant. Si donc dans l’homme on considère seulement sa
nature, il est également bon que tout homme soit sauvé : car tous
partagent la même nature humaine. Et puisque tout bien est voulu de Dieu,
Dieu veut aussi cela et cela s’appelle la volonté qui précède ou antécédente
par laquelle Dieu veut que tous les hommes soient sauvés selon Damascène. |
Et hujus voluntatis effectus est ipse ordo naturae in
finem salutis, et promoventia in finem omnibus communiter proposita, tam
naturalia quam gratuita, sicut potentiae naturales, et praecepta legis, et
hujusmodi. Consideratis autem omnibus circumstantiis personae, sic non
invenitur de omnibus bonum esse quod salventur; bonum enim est eum qui se
praeparat et consentit salvari per largitatem gratiae divinae; nolentem vero
et resistentem non est bonum salvari, quia injustum est. Et quia hoc modo se
habet aliquid ad hoc quod sit volitum a Deo, sicut se habet ad hoc quod sit
bonum; ideo istum hominem sub illis conditionibus consideratum, non vult Deus
salvari, sed tantum istum qui est volens et consentiens; et hoc dicitur
voluntas consequens, eo quod praesupponit praescientiam operum non tamquam
causam voluntatis, sed quasi rationem voliti, ut supra dictum est, dist. 45,
quaest. unica, art. 3. |
Et l’effet de cette volonté est
l’ordre même de la nature en vue de la fin du salut et les dispositions en
vue de la fin qui sont universellement proposées à tous, aussi bien celles
qui sont naturelles que celles qui sont gratuites comme les puissances
naturelles et les préceptes de la loi, etc. Mais si on considère toutes les
circonstances de la personne, alors on ne trouve pas qu’il soit bon pour tous
qu’ils soient sauvés ; il est bon en effet que soit sauvé celui qui se
prépare au salut et y consent par le don de la grâce divine ; mais il
n’est pas bon que soit sauvé celui qui refuse le salut et y résiste car cela
est injuste. Et parce que les choses se présentent par rapport à ce qui est
voulu de Dieu de la même manière qu’elles se présentent par rapport à leur
bonté, c’est pourquoi Dieu ne veut pas que cet homme, considéré sous ces
conditions, soit sauvé ; mais il veut que soit sauvé seulement celui qui
le veut et y consent et cela s’appelle la volonté qui suit ou conséquente du
fait qu’elle présuppose la préscience des œuvres non pas en tant que cause de
la volonté mais comme raison de ce qui est voulu comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 45, quest. unique, art. 3]. |
[3263] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod, secundum Damascenum, verbum apostoli intelligitur de
voluntate antecedente, et non de consequente. Sed secundum Augustinum,
in Enchir., cap. CIII, col. 280, intelligitur de
consequente. Unde exponit eam dupliciter. Uno modo ut sit distributio
accommoda pro omnibus qui salvantur, ut in Littera dicitur.
Alio modo ut sit distributio pro generibus singulorum, quia de qualibet
conditione hominum aliquos praedestinavit ad vitam; et non pro singulis
generum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
d’après Damascène, la parole de l’Apôtre s’entend de la volonté qui précède
et non de celle qui suit. Mais d’après Saint-Augustin [Enchir. ch.
C111, col. 280], elle s’entend de la volonté qui suit. Et c’est pourquoi il l’explique
de deux manières. Premièrement de manière à être une distribution appliquée à
tous ceux qui sont sauvés, comme on le dit dans la Lettre. Deuxièmement de
manière à être une distribution pour des genres d’individus, et non pour des
individus de certains genres, parce qu’il a prédestiné à la vie certains des
hommes de toute condition. |
[3264] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod voluntas antecedens potest dici conditionata, nec
tamen est imperfectio ex parte voluntatis divinae, sed ex parte voliti, quod
non accipitur cum omnibus circumstantiis quae exiguntur ad rectum ordinem in
salutem. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que la volonté qui précède peut être appelée conditionnée sans
être cependant une imperfection du côté de la volonté divine mais plutôt du
côté de ce qui est voulu, lequel n’est pas compris avec toutes les
circonstances qui sont exigées pour un ordre qui convient au salut. |
[3265] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod habens caritatem, optat omnibus salutem aeternam absolute, eo
quod cognitioni suae non subjacent conditiones quibus a salute aliquis
deordinatur, quae divinae cognitioni subjacent; et ideo non est idem judicium
de voluntate habentis caritatem, et de voluntate consequente ipsius Dei. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que celui qui possède la charité choisit absolument pour tous le salut
éternel du fait que les conditions par lesquelles quelqu’un s’écarte du salut
ne sont pas exposées à sa connaissance tandis qu’elles le sont à la
connaissance divine ; et c’est pourquoi il ne faut pas juger de la
volonté de celui qui possède la charité de la même manière qu’on juge de la
volonté conséquente de Dieu. |
[3266] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sapiens artifex non vult quod opus suum finem attingat nisi
secundum rationem finis: si enim aliquam habeat contrariam dispositionem ad
formam quam inducere intendit, non inducit in eo formam, nisi forte illa
indispositione remota; sicut aedificator non vult quod lapides conveniant ad
constitutionem domus ruditate in eis manente; et ita etiam est de Deo. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que l’artiste qui est sage ne veut que son œuvre atteigne sa fin que selon la
raison de fin : si en effet elle contient une disposition contraire à la
forme qu’il cherche à amener, il n’amène en elle la forme que si cette
indisposition est enlevée, tout comme le constructeur ne veut pas que les
pierres entrent dans la constitution de la maison à cause de la grossièreté
qui demeure en elles ; et il en est encore de même pour Dieu à notre
égard. |
[3267] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod istae conditiones quibus homo efficitur deordinatus a
consecutione finis, sub quibus existentem Deus eum salvum esse non vult, sunt
ex ipso homine: et ideo totum quod sequitur, sibi imputatur ad culpam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que ces conditions par lesquelles l’homme est rendu déréglé par rapport à
l’atteinte de la fin, et au sujet duquel Dieu ne veut pas qu’il soit sauvé
tant qu’il existe dans ces conditions, ces conditions viennent de l’homme
lui-même : et c’est pourquoi tout ce qui s’ensuit lui est imputé pour le
châtiment. |
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Articulus 2 [3268] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 tit. Utrum sit
bonum fieri mala |
Article 2 : Est-il bon que des choses mauvaises soient faites? |
[3269] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod mala fieri sit bonum. Verum enim et bonum
convertuntur. Sed mala fieri est verum. Ergo est bonum. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il soit bon
qu’il y ait des maux. Le vrai et le bien se convertissent en effet. Mais il
est vrai que des maux se produisent. Cela est donc bon. |
[3270] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
quidquid est volitum, est bonum: quia malum est praeter voluntatem, ut dicit
Dionysius, IV cap. De div. Nom.,§ 32. Sed mala fieri est volitum
a faciente malum voluntarie. Ergo mala fieri est bonum. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est
voulu est bon : car le mal est contraire à la volonté comme le dit Denys
[Les Noms Divins, ch. IV, & 32]. Mais celui qui fait le mal
volontairement veut que le mal se produise. Il est donc bon que des maux se
produisent. |
[3271] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea,
illud quod est causa boni, videtur esse bonum, et non malum; sicut frigidum
non est causa calidi. Sed hoc quod est mala fieri, est causa boni; sicut ex
actione mala causatur bona passio, et multa hujusmodi, quae ex hoc quod mala
fiunt, eliciuntur. Ergo mala fieri est bonum. |
3. En outre, ce qui est cause du
bien semble être un bien et non un mal, tout comme le froid n’est pas la
cause du chaud. Mais la production même des maux est la cause du bien, tout
comme à partir d’une action mauvaise se trouve à être causée une bonne
passion et de nombreuses choses de ce genre qui découlent de l’apparition de
maux. Il est donc bon que des maux se produisent. |
[3272] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, omne justum est bonum. Sed mala fieri est justum. Ergo, et
cetera. Probatio mediae. Omnis poena a Deo est et justa est. Sed
unum peccatum est poena alterius, ut Gregorius dicit, lib. XXV Moral., cap.
IX, col. 23, et probatur ex hoc quod habetur ad Rom. 1, 24: Propter
quod tradidit illos Deus in desideria cordis eorum, in immunditiam; et
in Apoc. ult. 2: Qui in sordibus est sordescat adhuc. Ergo mala
fieri est justum: ergo est bonum. |
4. De plus, tout ce qui est juste
est bon. Mais il est juste que des maux arrivent. Donc, etc. Preuve
de la mineure. Tout châtiment vient de Dieu et est juste. Mais un seul
péché est la punition d’un autre comme le dit Saint-Grégoire [XXV Moral.
ch. 1X, col. 23] et comme cela est prouvé à partir des paroles de l’Apôtre
[1 Romains 1, 24] : C’est pourquoi Dieu les a
livrés, selon les convoitises de leur cœur, à l’impureté , et de
celles de Saint-Jean [Apoc. 22, 11] : Celui qui est dans
les souillures, il se souille encore. Il est donc juste que le mal arrive
et cela est donc bon. |
[3273] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
contra, quaedam mala sunt, sicut actus peccati, quorum esse est in fieri. Si
igitur eorum fieri est bonum, et ipsa sunt bona [esse est bonum Éd.
de Parme]; quod a nulla opinione conceditur. |
Cependant : 1. Au contraire, il y a des maux, comme
les actes de péché, dont l’existence est en devenir. Si donc leur devenir est
bon, eux-mêmes aussi sont bons [l’être est un bien Éd. de Parme] ;
mais aucune opinion ne concède cela. |
[3274] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, motus, secundum Philosophum, in
V Physic., text. 5, recipit speciem a termino. Sed quodlibet
fieri terminatur ad esse hoc ejus quod fit. Ergo cum malum non sit bonum,
videtur quod nec malum fieri, bonum sit. |
2. Par
ailleurs le mouvement d’après le Philosophe [V Physique, texte 5]
reçoit son espèce de son terme. Mais tout devenir se termine à l’existence de
cela même qui devient. Donc, puisque le mal n’est pas un bien, il semble que
le devenir du mal ne soit pas non plus un bien. |
[3275] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod super hoc sumuntur duae
opiniones in Littera, quae in quodam concordant, in hoc scilicet
quod est, mala non esse bona; in quodam vero discordant, eo quod una ponit
mala fieri vel esse, bonum esse; alia vero hoc negat: et haec videtur verior,
sicut et Magister dicit. |
Corps de l’article: Je
réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet on tire deux opinions de la Lettre,
lesquelles s’accordent sur un point, à savoir en ceci que les maux ne sont
pas des biens, mais diffèrent en cela que l’une affirme qu’il est bon que des
maux arrivent ou existent alors que l’autre le nie: et cette dernière opinion
semble plus juste, tout comme le Maître le dit aussi. |
Omnibus enim constat quod malum, per se loquendo, bonum
non est; sed per accidens potest esse bonum, inquantum scilicet conjungitur
in universo alicui bono, ad quod per accidens ordinem habet; sicut
aedificator dicitur albus per accidens, inquantum scilicet ars aedificativa
et albedo in eodem subjecto conveniunt: et quia esse vel fieri ponit quemdam
ordinem, secundum quod includit compositionem quamdam; ideo prima opinio
dicebat, quod esse mala vel fieri bonum est. |
Il est clair en effet pour tous que
le mal, à parler essentiellement, n’est pas un bien ; mais il peut être
un bien par accident, c’est-à-dire en tant qu’il est uni à quelque chose dans
un tout qui est bon auquel il est ordonné par accident, tout comme on dit du
constructeur qu’il est blanc par accident, c’est-à-dire selon que l’art de la
construction et la blancheur se rencontrent dans un même sujet : et
parce que l’être ou le devenir pose un certain ordre, selon qu’il contient
une certaine composition, c’est pourquoi la première opinion disait que
l’existence ou le devenir du mal est un bien. |
Sed hoc non sufficit: [quia sicut malum per se non est bonum, ita etiam ordo
mali non est bonum secundum se, cum magis malum, inquantum hujusmodi, sit
inordinatum; et ipsa inordinatio est ordo ejus, sicut ipsum privari est esse
ejus, et ipsa negatio est ejus positio, sicut est in ceteris privationibus.
Et ideo mala fieri vel esse, malum est, et non bonum:] quia cum dicitur mala esse absolute, nullo addito, ly esse
designat compositionem hujus privationis ad subjectum, in qua compositione
non consistit ratio bonitatis; sicut etiam cum dicimus albedinem esse
abstractum, significamus ordinem ejus ad subjectum, quia accidentis esse est
inesse. Sed comparatio mali ad bonum quod ex Deo elicitur, significat ly esse
positum in hoc dicto, mala esse occasiones bonorum. Et ideo hoc bonum est, mala
esse occasiones bonorum; sed mala esse simpliciter, non est bonum. |
Mais cela ne suffit pas : [car tout comme le mal pris en lui-même
non pas un bien, de même aussi l’ordre du mal, pris en lui-même, n’est pas un
bien puisque le mal, en tant que tel, est plutôt un désordre ; et c’est
ce désordre même qui est son ordre, tout comme c’est la privation même qui
est son être et que son affirmation est la négation même, comme c’est le cas
aussi pour les autres privations. Et c’est pourquoi c’est un mal et non un
bien que les maux se produisent ou existent :] Car lorsqu’on dit purement et simplement
que les maux existent, sans ajouter aucune explication, ce ¨existent¨ désigne
la composition de cette privation avec le sujet, la notion de bonté ne
consistant pas dans une telle composition, tout comme aussi lorsque nous
disons abstraitement que la blancheur existe, nous signifions son rapport à
un sujet, car l’être même d’un accident consiste à exister dans un sujet.
Mais pour ce qui est du rapport du mal au bien qui est choisi de Dieu, ce
¨exister¨ qui est placé dans cet énoncé signifie que les maux sont des
occasions des biens. Et c’est pourquoi cela est bien, à savoir que les maux
soient des occasions du bien ; mais il n’est pas bien que les maux
existent absolument ou purement et simplement. |
[3276] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum
est, dist. XIX, quaest., V, art. 2, veritas est de his quorum ratio completur
per operationem animae et fundamentum habent in re. Non est autem inconveniens quod de re mala sit operatio
animae bona, et quod rei malae ratio sit in anima bona; sicut etiam non ens
in re dicitur ens in anima ratiocinante, ut negationes et privationes, sicut
patet ex 4 Metaphys., secundum Commentatorem. Unde si procedatur
a bonitate veritatis secundum quod completur in operatione animae, ad
bonitatem ejus quod est in re, erit fallacia accidentis: hoc enim quod est
mala esse, accidit huic quod est in re, in quo consistit ratio veri, ut
scilicet significetur vel intelligatur aliquid sicut est in re. Unde nihil
prohibet dicere, quod mala esse est verum; sed haec veritas, qua vere dicitur
vel significatur mala esse, est bonum, quamvis mala esse sit malum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que,
tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. XIX, quest. V, art. 2], la
vérité porte sur ce dont la notion est achevée par l’opération de l’âme et
qui a un fondement dans la réalité. Mais il n’y a pas de difficulté à ce que l’opération
de l’âme soit bonne par rapport à une chose mauvaise et que la notion d’une
chose mauvaise soit bonne dans l’âme, tout comme aussi un non-être dans la
chose est appelé être dans l’âme qui raisonne, comme les négations et les
privations, tout comme on l’observe chez les Commentateur [IV Métaphysique]. C’est pourquoi, si on
procède de la bonté de la vérité selon qu’elle est achevée dans l’opération
de l’âme à la bonté de ce qui est dans la réalité, il y aura sophisme de
l’accident : cela même en effet que des maux existent, cela survient à
ce qui existe dans la réalité et en quoi consiste la notion du vrai,
c’est-à-dire de telle manière qu’on signifie ou qu’on entend quelque chose
comme existant dans la réalité. D’où il suit que rien n’empêche de dire qu’il
est vrai que des maux existent ; mais cette vérité, à savoir celle par
laquelle il est vrai de dire ou de signifier que des maux existent, est
bonne, bien qu’il soit mal que des maux existent. |
[3277] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod mala fieri non est volitum per se, sed per accidens
tantum, inquantum est bonum aestimatum ratione alicujus boni annexi: quia
nihil est pure malum, secundum Dionysium, cap. IV De div. nom., §
32, etc., col. 734. Ideo omnis malus quodammodo est ignorans, secundum Philosophum,
III Ethic., cap. III, inquantum decipitur in eligendo. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que le devenir du mal n’est pas voulu par soi mais seulement
par accident, dans la mesure où quelque chose est jugé bon en raison d’un
bien qui y est rattaché : car rien n’est absolument mal selon Denys [Les
Noms Divins, ch. IV, &32, etc., col. 734]. C’est pourquoi tout
méchant en un sens est un ignorant d’après le Philosophe [111 Éthique,
ch. 111], en tant qu’il se trompe en choisissant. |
[3278] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod mala fieri non est causa boni, nisi occasionaliter et per
accidens. Est enim quaedam causa per accidens quae nihil operatur ad effectum,
sicut musica aedificatoris ad domum. Est etiam quaedam causa per accidens,
cujus operatio attingit usque ad effectum, quem tamen praeter intentionem
inducit : et talis causa per accidens est casus vel fortuna; sicut
fodiens sepulcrum ad sepeliendum, invenit thesaurum praeter intentionem.
Quaedam vero causa per accidens est quae aliquid operatur, non tamen
pertingit ejus operatio usque ad effectum, sed ad aliquid effectui [sed
…effectui om. Éd. de
Parme]conjunctum; et sic mala fieri est
per accidens causa boni; sicut patet quod persecutio tyranni non attingit
[tangit Éd. de Parme] patientiam martyris, sed cruciatum corporis
qui est materia patientiae; et talis causa dicitur proprie occasio. Unde non
sequitur quod mala fieri sit bonum; quia unum contrariorum potest esse per
accidens causa alterius, sicut frigidum per accidens calefacit, ut in VIII,
Physic., text. 32, dicitur. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le devenir du mal n’est la cause du bien que d’une manière occasionnelle
et accidentelle. Il y a en effet une cause par accident qui n’a aucune
efficacité à l’égard de l’effet, comme la musique du constructeur à l’égard
de la maison. Mais il y a aussi une cause par accident dont l’opération
parvient jusqu’à l’effet qu’il produit cependant hors de l’intention :
et une telle cause par accident est le hasard ou la fortune, tout comme celui
qui creuse une fosse pour inhumer trouve un trésor inattendu. Mais il y a une
cause par accident qui opère quelque chose sans que son opération cependant
parvienne jusqu’à l’effet mais à quelque chose qui est rattaché à l’effet [mais…à
l’effet om. Éd. de Parme] ; et c’est ainsi que le devenir du
mal est la cause du bien par accident, tout comme on voit que la persécution
du tyran n’atteint [ne touche Éd. de Parme] par la résistance du
martyr mais le supplice du corps qui est la matière de la résistance ;
et c’est une telle cause qu’on appelle proprement occasion. D’où il ne
s’ensuit pas que le devenir du mal soit un bien car un des contraires peut
accidentellement être la cause d’un autre, tout comme le froid qui réchauffe
par accident, comme le dit le Philosophe [ VIII Physique, texte
32]. |
[3279] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod peccatum per se non est poena, sed per accidens tantum,
scilicet ratione antecedentis et consequentis eam. Si enim consideretur actio
peccati secundum quod egreditur ab agente voluntario, sic habet rationem
culpae et injustitiae; sed antecedens hanc actionem, scilicet desertio a Deo
propter meritum praecedentis culpae, inquantum est ex ordinatione divina,
rationem poenae habet, et justa est. Unde non sequitur quod mala fieri sit
bonum. Similiter etiam defectus qui consequitur ipsum actum peccati in eo
quod dum inordinate persequitur parvum bonum, deficit a magno bono, poena est
ex justa Dei ordinatione proveniens; ut cum aliquis quaerit delectationem
corporis, et amittit delectationem Dei; et propter hoc dicit Augustinus,
I Conf.,cap. XII, col. 670, quod omnis inordinatus animus sibi
ipsi est poena. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que le péché n’est pas essentiellement le châtiment, mais seulement
accidentellement, c’est-à-dire en raison de ce qui le précède ou de ce qui le
suit. Si en effet on considère l’action du péché selon qu’elle sort d’un
agent volontaire, en ce sens elle a raison de châtiment et d’injustice ;
mais ce qui précède cette action, à savoir l’abandon de Dieu à cause de la
peine du châtiment qui précède, selon qu’il vient de l’ordonnance divine, a
raison de châtiment et est juste. D’où il ne s’ensuit pas qu’il soit bon que
des maux se produisent. De même encore le défaut qui suit l’acte même du
péché en ceci qu’alors même qu’on poursuit dans le dérèglement un petit bien,
on s’éloigne d’un grand bien, c’est là un châtiment qui provient d’une juste
ordonnance de Dieu, comme lorsque quelqu’un recherche les plaisirs sensibles
et se prive de la joie de la présence de Dieu ; et c’est pour cette
raison que Saint-Augustin [1 Les Confessions, ch. XII, col. 670]
dit que toute âme déréglée est à elle-même un châtiment. |
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Articulus 3 [3280] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 tit. Utrum
malum sit de perfectione universi |
Article 3 : Le mal contribue-t-il à la perfection de l’univers ? |
[3281] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod malum sit de perfectione universi. Dicit enim
Dionysius, in IV cap. De divin. Nom., § 19, col. 718 :
« Erit malum ad omnis, idest universi, perfectionem conferens, et toti
secundum seipsum non imperfectum esse largiens ». |
Difficultés : 1. Il semble que le mal fasse partie de
la perfection de l’univers. Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19,
col. 718] dit en effet : «Le mal concourt à la perfection de tout,
c’est-à-dire de l’univers et selon qu’il donne à chacun il n’est pas
imparfait». |
[3282] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, bonum universi est bonum ordinis. Sed in universo malum est
ordinatum: unde dicitur in Littera, quod malum bene ordinatum et
suo loco positum, eminentius commendat bona. Ergo malum est de perfectione
universi. |
2. Par ailleurs, le bien de
l’univers est le bien de l’ordre. Mais dans l’univers le mal est
ordonné : d’où on dit dans la Lettre que le mal, ramené
à l’ordre et mis à sa juste place, fait ressortir supérieurement les biens.
Le mal fait donc partie de la perfection de l’univers. |
[3283] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, illud sine quo multae perfectiones
universo deessent, ad perfectionem universi confert. Sed malum est hujusmodi: si enim corruptio elementorum non
esset, non esset forma mixti, neque anima in corpore mixto sicut forma [sicut
forma om. Éd. de Parme] ; et si non esset persecutio,
non esset patientia martyrum; et si non esset miseria, non esset
misericordia. Ergo et cetera. |
3. En outre, ce sans quoi de
nombreuses perfections sont absentes de l’univers, cela même contribue à la
perfection de l’univers. Mais le mal est quelque chose de la sorte : si
en effet il n’y avait pas la corruption des éléments, il n’y aurait pas la
forme du composé, ni l’âme dans le corps composé en tant que forme [en tant
que forme om. Éd. de Parme] ; et s’il n’y avait pas de
persécutions, il n’y aurait pas la patience des martyrs ; et s’il n’y
avait pas la misère ou le malheur, il n’y aurait pas la miséricorde. Donc,
etc. |
[3284] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, omnis ratio bonitatis confert ad universi perfectionem. Sed si
malum non esset, aliqua ratio bonitatis universo deesset, scilicet bonitas
comparationis, qua bonum commendatur per comparationem ad malum. Ergo malum
est de perfectione universi. |
4. De plus, toute cause de bonté
contribue à la perfection de l’univers. Mais si le mal n’existait pas, une
cause de bonté serait absente de l’univers, à savoir la bonté de comparaison
par laquelle le bien resssort par comparaison au mal. Donc le mal fait partie
de la perfection de l’univers. |
[3285] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed
contra, quidquid est de perfectione universi, est vel existens, sicut
substantia, vel in existentibus, sicut accidentia. Sed malum non est
hujusmodi, ut Dionysius, ubi supra, probat. Ergo non est de perfectione
universi. |
Cependant : 5. Tout ce qui fait partie de la
perfection de l’univers est soit un être, comme la substance, soit ce qui
existe dans un être, comme les accidents. Mais le mal n’est rien de ce genre,
comme Denys le prouve plus haut. Le mal ne fait donc pas partie de la
perfection de l’univers. |
[3286] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 6
Praeterea, illud sine quo universum melius esset, non confert ad perfectionem
universi. Sed si malum non esset, universum melius esset: quia malum plus
tollit uni quam addat alteri, quia ei cujus est, tollit bonitatem absolutam,
alteri autem addit bonitatem comparationis. Ergo etc. |
6. Par ailleurs, ce sans quoi
l’univers serait meilleur ne contribue pas à la perfection de l’univers. Mais
si le mal n’existait pas, l’univers serait meilleur : car le mal enlève
plus d’un côté que ce qu’il ajoute de l’autre car à celui auquel
il s’attache, il enlève d’un côté une bonté absolue alors qu’il ajoute de
l’autre une bonté de comparaison. Donc, le mal ne contribue pas à la
perfection de l’univers. |
[3287] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod malum per se ad universi
perfectionem non confert: illud enim per se confert ad perfectionem alicujus
totius quod est pars constituens ipsum, vel causa per se alicujus
perfectionis in ipso. Sed malum non est pars universi, quia neque habet
naturam substantiae neque accidentis, sed privationis tantum, ut Dionysius
dicit; nec iterum per se aliquod bonum causat. Sed per accidens confert ad universi perfectionem,
inquantum conjungitur alicui quod est de perfectione universi. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que
le mal ne contribue pas essentiellement à la perfection de l’univers :
en effet, ce qui contribue essentiellement à la perfection d’un tout est une
partie qui le constitue ou une cause essentielle d’une perfection en lui.
Mais le mal n’est pas une partie de l’univers car il ne possède pas la nature
d’une substance ou d’un accident, mais seulement celle d’une privation comme
le dit Denys ; et en outre il n’est pas la cause essentielle d’un bien.
Mais c’est par accident qu’il contribue à la perfection de l’univers selon
qu’il est rattaché à quelque chose qui fait partie de la perfection de
l’univers. |
Hoc autem potest esse vel per antecedens malum, vel
consequens. Antecedens, sicut natura quae quandoque deficit, et quandoque
non, ut liberum arbitrium hominis; et sine tali natura, ex cujus defectu
incidit malum, non esset universum perfectum in omnibus gradibus bonitatis.
Consequens autem est illud bonum quod occasionatur ex malo, quod est decor
resultans in bonum ex comparatione mali, vel aliqua perfectio, ad quam
materialiter malum se habet, sicut persecutio ad patientiam, vel aliis
infinitis modis: quia causae per accidens infinitae sunt, secundum
Philosophum, in II Physic., text. 1. |
Mais cela est possible soit par ce
qui précède le mal, soit par ce qui le suit. Par ce qui précède, comme une
nature qui parfois fait défaut et parfois non, comme le libre arbitre de
l’homme ; et sans une telle nature, par le défaut de laquelle le mal
arrive, l’univers ne serait pas parfait dans tous les degrés de bonté. Mais
ce qui suit le mal est ce bien qui est occasionné à partir du mal, qui est
une convenance qui rejaillit sur le bien à partir de sa comparaison au mal,
ou une certaine perfection à l’égard de laquelle le mal se présente
matériellement, comme la persécution par rapport à la patience du martyr, ou
d’une infinité d’autre manières, car les causes par accident sont infinies
selon le Philosophe [11 Physique, texte 1]. |
[3288] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Dionysius concludit hoc ducendo ad impossibile: et ideo
relinquit hoc quasi pro inconvenienti, quod malum per se sit de perfectione
universi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
Denys présente cela comme une conclusion qui résulte d’un argument qui
conduit à l’impossible : et c’est pourquoi il abandonne cet énoncé comme
une difficulté qui découle du principe que le mal ferait essentiellement
partie de la perfection de l’univers. |
[3289] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod illud bonum ordinis, quo malum ordinatum est, non est
in eo in quo est malum, sed in altero; sicut saevitia tyranni ordinatur per
patientiam, quae est in martyre; vel in eodem jam altero, sicut humilitas
[habitualis Éd. de Parme], quae resultat ex praecedente peccato
in eo qui per poenitentiam jam alter effectus est: quia justus ordinat
peccatum praecedens in eodem. Unde malum non confert ad perfectionem universi,
nisi per accidens. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que ce bien de l’ordre par lequel le mal est ordonné ne
se trouve pas dans celui dans lequel est le mal, mais dans un autre, tout
comme la méchanceté qui est dans le tyran est ordonnée par la
patience qui est dans le martyr, ou dans le même qui est déjà
devenu autre, tout comme l’humilité [habituelle Éd. de Parme] qui
résulte du péché qui précède chez celui qui par la pénitence ou la réparation
est déjà rendu autre: car le juste ordonne, dans la même personne, le péché
qui précède à ce qui est juste. |
[3290] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illas perfectiones non
per se adducit malum, sed consequuntur illud per accidens; et ideo ratio non
procedit. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le mal n’apporte pas de lui-même ces perfections,
mais elles le suivent par accident; et c’est pourquoi l’argument ne tient
pas. |
[3291] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 4 Et
similiter dicendum ad quartum. Sciendum tamen, quod etsi nullum malum esset,
adhuc posset esse bonitas comparationis magis boni ad minus bonum: quamvis
enim minus bonum careat aliqua perfectione quae est in magis bono, non tamen
oportet quod sit malum: quia malum consistit in privatione ejus quod est
debitum et natum haberi, sicut est caecitas. |
4. Et il faut dire de même en
quatrième lieu. Il faut cependant savoir que même s’il n’y avait aucun mal,
il pourrait encore y avoir une bonté de comparaison d’un plus grand bien à un
moins grand bien : en effet, bien que le moins grand bien manque d’une
perfection qui est dans le plus grand bien, il ne s’ensuit pas cependant
qu’il soit un mal : car le mal consiste dans la privation de ce qui est
attendu et qui est naturellement apte à être possédé, comme c’est le cas pour
la cécité par rapport à la vue. |
[3292] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod intentio Dionysii, est dicere, quod malum non sit aliquid
positive, neque ut per se subsistens, neque ut in alio ens; et ex hoc potest
ostendi quod non pertineat per se ad perfectionem universi; sed per accidens
pertinere, nihil prohibet. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que l’intention de Denys est de dire que le mal n’est pas quelque chose qui
existe positivement, ni en tant que subsistant par lui-même, ni en tant
qu’existant dans un autre ; et c’est à partir de là qu’on peut montrer
que le mal n’appartient pas essentiellement à la perfection de l’univers,
mais rien n’empêche qu’il lui appartienne accidentellement. |
[3293] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod de omnibus malis universaliter verum est quod si non
permitterentur esse, universum imperfectius esset; quia non essent naturae
illae ex quorum conditione est ut deficere possint; quibus subtractis
universum imperfectius esset, non impletis omnibus gradibus bonitatis. Sed aliqua mala sunt quae si non essent, universum esset
imperfectius; illa scilicet ad quae consequitur major perfectio quam illud
quod privatur; sicut est corruptio elementorum, ad quam sequitur mixtio, et
formae mixtorum nobiliores formis elementorum. Quaedam vero mala sunt quae si non essent, universum
perfectius esset; illa scilicet quibus majores perfectiones privantur quam in
alio acquirantur, sicut praecipue est in malis culpae, quae ab uno privant
gratiam et gloriam, et alteri conferunt bonum comparationis, vel aliquam
rationem perfectionis, qua etiam non habita, posset perfectio ultima haberi;
sicut sine patientiae actu in persecutionibus illatis potest aliquis ad vitam
aeternam pervenire. Unde si nullus homo peccasset, universum genus humanum
melius foret; quia etiam etsi directe salus unius occasionetur ex culpa
alterius, tamen sine illa culpa salutem consequi posset; nec tamen haec mala
neque illa per se ad perfectionem faciunt universi: quia perfectionum non
sunt causae, sed occasiones. |
6. Il faut dire en sixième lieu
qu’il est universellement vrai pour tous les maux que s’il n’était pas permis
qu’ils existent, l’univers serait plus imparfait car n’existeraient pas ces
natures dont la condition est qu’elles puissent faire défaut ; une
fois enlevées, l’univers serait plus imparfait puisque tous les degrés de
bonté ne seraient pas comblés. Mais il y a des maux qui, s’ils
n’existaient pas, l’univers serait plus imparfait, à savoir ceux-là même d’où
découle une plus grande perfection que ce qui en était privé, comme c’est le
cas pour la corruption des éléments d’où découle la composition et les formes
des corps mixtes, lesquelles sont plus nobles que les formes des éléments. Mais il existe des maux qui, s’ils
n’existaient pas, l’univers serait plus parfait, à savoir ceux qui privent de
plus grandes perfections que celles qui sont acquises d’un autre côté, comme
c’est le cas surtout dans les maux du châtiment qui d’un côté privent de la
grâce et de la gloire et de l’autre confèrent le bien de comparaison ou
quelque cause de perfection qui, même si elle n’était pas possédée, la
perfection ultime pourrait l’être, tout comme quelqu’un pourrait parvenir à
la vie éternelle sans l’acte de la patience dans les persécutions endurées. D’où il suit que si aucun homme n’avait
péché la totalité du genre humain s’en porterait mieux ; car même si le
salut de l’un était directement occasionné à partir de la faute d’un autre,
il pourrait cependant parvenir au salut sans cette faute ; et cependant
ni ces maux-ci ni ces maux-là ne contribuent essentiellement à la perfection
de l’univers car ils ne sont pas des causes des perfections mais seulement
des occasions. |
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Articulus 4 [3294] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus
velit mala fieri |
Article 4 : Dieu veut-il que de mauvaises choses soient faites ? |
[3295] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus
velit mala fieri. Quia, secundum Senecam, Ad Lucillum, epist.
LXXI, sapientis non est turbari, sed magis gaudere in infortuniis, in quibus
bonum virtutis suae praecipue apparet; quod etiam Philosophus, in Ethic., cap. XCVI, de felice innuit. Sed Deus est sapientissimus et
felicissimus. Cum ergo decor justitiae et sapientiae suae appareat in malis
quae fiunt, videtur quod Deus velit mala fieri. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu veuille
que les maux se produisent. Car d’après Sénèque [À Lucillus, Lettre
LXXI] il n’appartient pas au sage de s’attrister, mais de se réjouir dans
l’infortune dans laquelle surtout apparaît le bien de sa vertu ; et
c’est ce qu’indique aussi le Philosophe [1 Éthique, ch. XC VI] au
sujet de l’homme heureux. Mais Dieu est l’être le plus sage et le plus
heureux. Donc, puisque la beauté de sa justice et de sa sagesse apparaît dans
les maux qui se produisent, il semble que Dieu veuille que les maux arrivent. |
[3296] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, mala fieri et non fieri sunt opposita secundum affirmationem et
negationem. Sed inter talia opposita non cadit medium. Cum igitur haec sit
falsa, Deus vult mala non fieri, ut communiter conceditur, videtur quod haec
sit vera, Deus vult mala fieri. |
2. Par ailleurs, que des maux se produisent
et que des maux ne se produisent pas, ce sont là deux énoncés selon
l’affirmation et la négation. Mais entre de tels opposés il ne peut tomber
aucun intermédiaire. Donc puisque cet énoncé est faux, à savoir que Dieu veut
que des maux ne se produisent pas, ainsi qu’on le concède en général, il
semble que cet énoncé soit vrai, à savoir que Dieu veut que des maux se
produisent. |
[3297] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, nullius sapientis voluntas est impossibilium. Sed impossibile est
quin remoto hoc quod est mala non fieri, sequatur mala fieri. Cum igitur a
voluntate Dei removeatur hoc quod est mala non fieri, quia Deus non vult mala
non fieri, videtur quod necessario velit mala fieri. |
3. En outre, la volonté d’aucun
sage ne se porte vers ce qui est impossible. Mais il est impossible, si on
exclut que des maux ne se produisent pas, qu’il ne s’ensuive pas que des maux
se produisent. Donc, puisqu’on exclut de la volonté de Dieu que des maux ne
se produisent pas, car Dieu ne veut pas que des maux ne se produisent pas, il
semble qu’Il veuille nécessairement que des maux se produisent. |
[3298] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, sicut Deus est auctor gratiae, ita est et auctor naturae; et sicut
culpa est privatio boni gratiae, ita et poena est privatio boni naturae,
secundum Augustinum. Cum igitur Deus velit poenas Inferni, videtur quod eadem
ratione velit mala culpae fieri. |
4. De plus, tout comme Dieu est
l’auteur de la grâce, de même il est aussi l’auteur de la nature ; et
tout comme la faute est la privation du bien de la grâce, de même aussi la
peine est la privation du bien de la nature selon Saint-Augustin. Donc,
puisque Dieu a voulu les peines de l’Enfer, il semble pour la même raison
qu’il a voulu que les maux de la faute se produisent. |
[3299] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed
contra, voluntas non nisi finis est, et eorum quae ordinantur in finem. Sed
mala non fiunt nisi per deordinationem a fine. Ergo Deus non vult mala fieri. |
Cependant : 1. La volonté ne se rapporte qu’à
la fin et à ce qui est ordonné à la fin. Mais les maux ne se produisent que
par un désordre à l’égard de la fin. Donc Dieu ne veut pas que les maux se
produisent. |
[3300] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 s. c. 2
Praeterea, quicumque conformat voluntatem suam voluntati Dei, non peccat. Sed
quilibet peccator eo ipso peccat quod vult a se mala fieri. Ergo in hoc
voluntatem suam divinae non conformat: ergo Deus non vult mala fieri. |
2. Par ailleurs, aucun de ceux qui
conforment leur volonté à la volonté de Dieu ne commet le péché. Mais tout
pécheur commet le péché par cela même qu’il veut faire le mal. C’est donc en
cela qu’il ne conforme pas sa volonté à la volonté divine : donc, Dieu
ne veut pas que le mal se produise. |
[3301] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum voluntas Dei sit
causa bonorum omnium, et omnium suorum volitorum; hoc modo se habet aliquid
ad hoc quod sit volitum a Deo, sicut se habet ad hoc quod sit bonum. Unde cum malum fieri secundum se non sit bonum, ut dictum
est, art. antec., non erit per se volitum a Deo. Sed utrumque bonum sibi
conjunctum est bonum et a Deo volitum, scilicet et antecedens, quod est
conditio naturae potentis deficere, quam Deus in tali conditione instituit et
conservat; unde dicitur, quod non vult mala fieri, sed vult permittere mala
fieri. Vult etiam bonum consequens, ex quo malum ordinatur: ex quo sequitur
quod velit mala facta ordinare, non autem quod velit ea fieri. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que puisque la
volonté de Dieu est la cause de tous les biens et de tout ce qu’il veut,
toute chose se rapporte à ce qui est voulu de Dieu de la même manière qu’elle
se rapporte à ce qui est bien. D’où il suit que puisque la production du mal
en lui-même n’est pas un bien comme nous l’avons dit dans l’article
précédent, elle ne sera pas voulue par Dieu. Mais chacun des biens qui lui
est uni est un bien et est voulu de Dieu, à savoir celui qui précède, qui est
la condition de la nature pouvant défaillir que Dieu a établie et qu’il
conserve dans cette condition : et c’est à partir de là qu’on dit que
Dieu ne veut pas que le mal arrive mais veut permettre qu’il arrive. Il veut
aussi le bien qui suit et à partir duquel le mal est ordonné : d’où il
suit qu’il veut ordonner le mal qui a été fait mais qu’Il ne veut pas qu’il
arrive. |
[3302] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod decor divinae sapientiae apparet in permissione malorum,
et ordinatione, quorum utrumque vult Deus, sed non malum fieri, quod secundum
se dicit recessum a decore speciei exemplaris primi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la beauté de la sagesse divine apparaît en ceci que Dieu permet les maux et
qu’Il les ordonne et Dieu veut ces deux derniers actes mais non que le mal,
qui implique en lui-même un éloignement de la beauté de l’espèce
exemplaire première, arrive. |
[3303] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis fieri et non fieri mala, sint opposita per
affirmationem et per negationem; non tamen haec duo, velle fieri et velle non
fieri, contradictorie opponuntur: quia utrumque est affirmativum, actu
voluntatis in utroque affirmato. Unde neutra concedenda est, neque ipsum
velle mala fieri, neque velle non fieri; sed non velle fieri, quod est
negativum; non autem velle fieri; quia hic remanet actus voluntatis
affirmatus; et negatio fertur ad volitum, sicut et in toto condeclinio ejus.
Unde idem est nolle fieri, et velle non fieri. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que les maux arrivent et que les maux n’arrivent pas sont des
opposés par l’affirmation et la négation, cependant les deux énonciations
suivantes, à savoir vouloir que les maux arrivent et vouloir que les maux
n’arrivent pas, ce sont pas des énonciations qui s’opposent par la
contradiction car chacune d’elles est affirmative par un acte de la volonté
qui est affirmatif dans les deux cas. D’où il suit qu’aucune des deux ne doit
être concédée, à savoir ni qu’Il veuille que le mal arrive, ni qu’Il veuille
qu’il n’arrive pas, mais plutôt qu’il ne veuille pas qu’il arrive, lequel
énoncé est négatif ; non pas cependant qu’Il veuille qu’il arrive car
ici l’acte de la volonté demeure affirmatif ; et la négation se porte
sur ce qui est voulu, comme dans toute sa déclinaison. D’où il suit que ne
pas vouloir qu’il arrive et vouloir qu’il n’arrive pas, c’est la même chose. |
[3304] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod mala culpae non fieri vult Deus voluntate antecedente, non
autem voluntate consequente, nisi de illis quos scit mala non velle facere:
quia voluntas consequens recipit conditionem creaturae. Nec tamen sequitur
quod voluntate consequente velit mala fieri, sed vult permittere mala fieri.
Nec tamen impossibile vult: quia non vult ut simul mala fiant et non fiant,
vel quod neutrum eorum sit unum, sicut objectio procedebat. Fieri enim mala,
et mala non fieri, sunt contradictorie opposita; et ideo inter ea non potest
esse medium; sed velle mala fieri, et velle non fieri, non sunt
contradictoria; et ideo non est necesse alterum esse verum. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que c’est par une volonté antécédente ou qui précède que Dieu
veut que les maux de la faute ne se produisent pas, et non par une volonté
qui suit ou conséquente, sauf pour ceux dont il sait qu’ils ne veulent pas
faire le mal : car la volonté conséquente admet la condition de la
créature. Il ne s’ensuit cependant pas que par la volonté conséquente il veut
que le mal arrive, mais il veut permettre que le mal arrive. Et cependant il
ne veut pas l’impossible car il ne veut pas que le mal arrive et qu’il
n’arrive pas simultanément ni que les deux soient une seule et même chose
comme l’objection le supposait. En effet, le mal arrive et le mal n’arrive
pas sont des énoncés qui s’opposent par la contradiction et c’est pourquoi
entre eux il ne peut y avoir un intermédiaire ; mais vouloir que le mal
arrive et vouloir qu’il n’arrive pas ne sont pas des
contradictoires ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que l’une
soit vraie. |
[3305] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut malum oppositum
gratiae non est volitum a Deo; ita nec malum oppositum naturae; sed tamen
ordinem unius ad alterum vult. Hic autem ordo importatur in ratione poenae:
et ideo poenam vult inferri, sed culpam non vult fieri: quia in culpa
significatur malum, secundum quod exit a causa deficiente, et non secundum
quod ordinatur a Deo ordinante. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que tout comme le mal opposé à la grâce n’est pas
voulu de Dieu, de même le mal opposé à la nature n’est pas voulu de Dieu;
mais Il veut cependant l’ordre de l’un à l’autre. Mais cet ordre est impliqué
dans la notion de peine: et c’est pourquoi il veut que la peine soit portée,
mais il ne veut pas que la faute arrive car dans la faute ou le péché le mal
est signifié selon qu’il sort d’une cause déficiente et non selon qu’il
procède de l’ordre de Dieu. |
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Distinctio 47 |
Distinction 47 – (3) La volonté de Dieu - Son efficacité |
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Prooemium |
Prologue |
[3307] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 pr. |
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Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum voluntas beneplaciti semper efficaciter
impleatur; 2 utrum praeter voluntatem ejus aliquid fiat; 3 utrum illud quod fit praeter ejus voluntatem,
voluntati ipsius obsequatur; 4 utrum illud quod est praeter ejus voluntatem, possit
praecepto ejus subjacere. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1. Est-ce que la volonté de bon plaisir
est toujours accomplie efficacement ? 2. Y a-t-il des choses qui se produisent
en dehors de sa volonté ? 3. Est-ce que ce qui se produit en dehors
de sa volonté s’accorde avec sa volonté ? 4. Est-ce que ce qui se produit en dehors
de sa volonté peut être soumis à son commandement ? |
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Articulus 1 [3308] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 tit. Utrum
voluntas divina semper efficaciter impleatur |
Article 1 : La volonté divine s’accomplit-elle toujours efficacement ? |
[3309] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas divina non semper efficaciter
impleatur. Causa enim quae ad utrumlibet se habet, non est efficax in
productione effectus. Sed divina voluntas est ad utrumlibet: quia quod potest
velle, potest non velle. Ergo, etc. |
Difficultés : 1. Il semble que la volonté divine se
soit pas toujours accomplie efficacement. En effet, une cause qui peut aller
dans un sens comme dans l’autre n’est pas efficace dans la production d’un
effet. Mais la volonté divine peut aller dans un sens comme dans l’autre car
ce qu’elle peut vouloir, elle peut ne pas le vouloir. Donc, etc. |
[3310] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, omnis causae cujus effectus impediri non potest, effectus est
necessarius. Si ergo voluntas divina adeo est efficax quod impediri non
possit, effectus ejus erit necessarius. Sed omnium causa est voluntas divina,
ut supra habitum est, dist. 45, quaest. unica, art. 3. Ergo omnia ex
necessitate contingunt: quod est impossibile: ergo et primum. |
2. Par ailleurs, pour toute cause
dont l’effet ne peut être empêché, l’effet est nécessaire. Si donc la volonté
divine est à ce point efficace qu’elle ne peut être empêchée, son
effet sera nécessaire. Mais la volonté divine est la cause de tout ce qui
existe, comme nous l’avons établi plus haut [dist. 45, quest. unique, art. 3].
Donc, tous ses effets se produisent nécessairement, ce qui est impossible.
Donc, la volonté divine ne s’accomplit pas toujours efficacement. |
[3311] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, omnis causa prima quae producit effectum mediante causa secunda
quae impediri potest, non producit efficaciter effectum suum; sicut motus
solis est causa pullulationis arborum, mediante virtute generativa arboris
quae deficere potest: unde effectus efficaciter non producitur, nec
demonstrari potest ex causa prima. Sed voluntas Dei est causa prima, non
excludens causas secundas, quae deficere possunt. Ergo videtur quod non
efficaciter producat effectum. |
3. Par ailleurs, toute cause
première qui produit un effet par l’intermédiaire d’une cause seconde qui peut
être empêchée ne produit pas efficacement son effet, tout comme le mouvement
du soleil est la cause de la multiplication des arbres par l’intermédiaire de
la puissance générative de l’arbre qui peut être empêchée : d’où il suit
que l’effet n’est pas produit efficacement et ne peut être démontré à partir
de la cause première. Mais la volonté de Dieu est la cause première, laquelle
n’exclut pas les causes secondes qui peuvent défaillir. Il semble donc que la
volonté divine ne produise pas efficacement son effet. |
[3312] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quidquid modo vult Deus, ab aeterno
voluit. Sed ab aeterno non voluit facere nisi quod facit. Ergo cum non possit
facere nisi quod vult (alias voluntas sua non esset efficax), videtur sequi
quod non possit facere nisi quod facit: quod falsum est: ergo et primum, ex
quo sequitur. |
4. En
outre, tout ce que Dieu veut maintenant, il l’a voulu de toute éternité. Mais
de toute éternité il n’a voulu faire que ce qu’il fait. Donc, puisqu’il ne peut
faire que ce qu’il veut (autrement sa volonté ne serait pas efficace), il
semble s’ensuivre qu’il ne puisse faire que ce qu’il fait: ce qui est faux.
Il s’ensuit donc de là que la volonté divine ne s’accomplit pas toujours
efficacement. |
[3313] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nulla causa impeditur nisi ab
aliquo fortiori agente. Sed nihil est fortius divina voluntate. Ergo impediri non potest. |
Cependant : 1. Aucune cause n’est empêchée, si ce
n’est par un agent plus puissant. Mais rien n’est plus puissant que la
volonté divine. Elle ne peut donc être empêchée. |
[3314] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, ex hoc quod voluntas non consequitur volitum, sequitur diminutio
gaudii. Sed Deus est felicissimus, cujus gaudium est perfectissimum. Ergo
nunquam volitum ejus deficit quin sit. |
2. Par ailleurs, du fait que la
volonté ne parvient pas à ce qu’elle veut, il s’ensuit une diminution de la
joie. Mais Dieu est suprêmement heureux, dont la Joie est la plus parfaite.
Il n’arrive donc jamais que ce qu’il veut lui fasse défaut. |
[3315] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 co.Respondeo
dicendum, quod quidquid vult Deus voluntate consequente, totum fit; non autem
quidquid vult voluntate antecedente; quia hoc non simpliciter vult et
perfecte, sed secundum quid tantum; nec ista imperfectio est ex parte
voluntatis, sed ex conditione voliti. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout ce
que Dieu par la volonté conséquente s’accomplit totalement, mais non tout ce
qu’il veut par la volonté antécédente car il ne veut pas cela absolument
et parfaitement, mais seulement relativement et cette imperfection ne se
tient pas du côté de sa volonté mais est due à la condition de ce qui est
voulu. |
Est enim e contrario de voluntate et cognitione
speculativa: cognitio enim speculativa perficitur in abstractione a
singularibus; sed voluntas, et quidquid aliud est ordinatum ad opus,
perficitur in particulari, circa quod est operatio. Illud ergo est
simpliciter et perfecte volitum quod subjacet voluntati secundum omnes
particulares conditiones circumstantes ipsum particulare: et hoc pertinet ad
voluntatem consequentem, quae respicit opera et dispositiones, quibus aliquis
sufficienter ordinatur ad hoc quod est sibi conveniens et debitum: et hoc est
quod dicitur Deus velle simpliciter, ut salutem, vel aliquid hujusmodi: et
ideo talis voluntas non potest impediri, sicut nec praescientia, cui
subjicitur res secundum illas conditiones quibus in actu consistit. |
En effet, la volonté et la connaissance
spéculative procèdent d’une manière qui est opposée : la connaissance
spéculative trouve en effet son achèvement du fait qu’elle fait abstraction
des singuliers ; mais la volonté et toute autre faculté qui est ordonnée
à une œuvre trouve son achèvement dans le particulier sur lequel porte
l’opération. Donc, ce qui est absolument et parfaitement voulu, c’est ce qui
est soumis à la volonté selon toutes les conditions particulières qui
entourent le particulier lui-même : et cela appartient à la volonté
conséquente qui se rapporte aux œuvres et aux dispositions par lesquelles
quelqu’un est suffisamment ordonné à ce qui lui convient et qui lui est
destiné : et c’est là ce que Dieu veut absolument, comme le salut ou ce
qui est de cette nature : et c’est pourquoi une telle volonté ne peut
être empêchée, tout comme sa préscience à laquelle est soumise la chose selon
ces conditions par lesquelles elle se maintient en acte. |
Illud autem quod est rectum et bonum secundum aliquam
conditionem rei universalem consideratam, non habet rationem voliti
simpliciter, sed secundum quid tantum; sicut istum hominem, inquantum est
homo, non est nisi bonum salvari, eo quod natura sua ad hoc est ordinata, et
hoc Deus vult voluntate antecedente, secundum quam non dicitur aliquid velle
simpliciter: et ideo talis voluntas potest non impleri. |
Mais ce qui est droit et bien selon
une condition considérée universellement dans la chose ne possède pas
absolument mais seulement relativement la notion d’objet voulu, tout comme
cet homme, en tant qu’il est homme, ne peut être que bon à être sauvé du fait
que sa nature est ordonnée à cela et que Dieu veut cela par une volonté
antécédente selon laquelle on ne dit pas de Lui qu’il veut quelque chose
absolument : et c’est pourquoi une telle volonté peut ne pas être
accomplie. |
[3316] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod voluntas Dei se habet ad utrumlibet, non per modum
mutabilitatis, ut possit aliquid prius velle et postmodum nolle; sed potius
per modum liberalitatis: quia actus voluntatis suae semper est in potestate
ejus: et ideo ista duo sunt incompossibilia, ut prius velit aliquid et
postmodum nolit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la volonté de Dieu peut se porter dans un sens comme dans l’autre non pas par
mode de changement, de telle manière qu’il pourrait d’abord vouloir quelque
chose et par la suite ne plus le vouloir, mais plutôt par mode de
libéralité : car l’acte de sa volonté est toujours en son pouvoir :
et c’est pourquoi ces deux possibilités, à savoir vouloir d’abord une
chose et ensuite ne plus la vouloir, Lui sont incompatibles. |
[3317] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis voluntas Dei sit immutabilis et invincibilis,
non tamen sequitur quod omnis effectus ejus sit necessarius necessitate
absoluta quam habet res a causa sua proxima, sed solum necessitate
conditionata, sicut et de praescientia dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1,
art. 2. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que bien que la volonté de Dieu soit immuable et invincible, il ne s’ensuit
pas cependant que tout effet venant de lui soit nécessaire d’une nécessité
absolue que la chose tient de sa cause prochaine, mais seulement d’une
nécessité conditionnée, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII,
quest. 1, art. 2] au sujet de la préscience. |
[3318] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod voluntati divinae non solum subjacet expletio
effectus, sed etiam omnium causarum praecedentium ordo, secundum illas
conditiones quibus determinantur ad effectum sine defectu, ut quod talis
volens et merens salutem salvetur: voluntati enim consequenti subjicitur
effectus cum omnibus causis suis, secundum quod sunt non impeditae. |
3. Il faut dire en troisième lieu
non seulement l’accomplissement de l’effet est soumis à la volonté divine,
mais aussi l’ordre de toutes les causes qui précèdent selon ces conditions
par lesquelles elles sont déterminées à produire l’effet sans défaut, de
telle manière que celui qui veut et mérite le salut soit sauvé : c’est à
la volonté conséquente en effet qu’est soumis l’effet avec toutes ses causes,
d’où il suit qu’ils ne sont pas empêchés. |
[3319] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Deus nihil potest facere quod non esset volitum ab eo,
si fieret; tamen in potestate sua multa sunt quae modo nec volita sunt, nec
bona sunt; quia non sunt, nec unquam erunt. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que Dieu ne peut rien faire qui ne soit pas voulu de Lui, si cela venait à
arriver ; cependant il y a beaucoup de choses en son pouvoir qui ne sont
pas voulues maintenant et qui ne sont pas bonnes parce qu’elles ne sont pas
et qu’elles ne seront jamais. |
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Articulus 2 [3320] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 tit. Utrum nihil fiat
praeter Dei voluntatem |
Article 2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de la volonté de Dieu ? |
[3321] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nihil fiat praeter Dei voluntatem. Dicit
enim dominus Matth. XII, 30: Qui non est mecum, contra me est. Ergo quod est
praeter voluntatem Dei, est contra ipsam. Sed nihil fit contra Dei
voluntatem; alias voluntas Dei vinceretur. Ergo et praeter eam nihil fit. |
Difficultés : 1. Il semble que rien ne se produise en
dehors de la volonté de Dieu. Le Seigneur [Matthieu XII, 30] dit
en effet : Qui n’est pas avec moi est contre moi. Donc, ce
qui est en dehors de la volonté de Dieu s’oppose à elle. Mais rien n’arrive
qui s’oppose à la volonté de Dieu, car alors la volonté divine serait
vaincue. Par conséquent, rien ne se produit en dehors de la volonté divine. |
[3322] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, potentius est illud contra quod et praeter quod nihil potest
fieri, quam illud praeter quod aliquid fieri potest. Sed voluntas Dei est
potentissima. Ergo praeter eam nihil fit. |
2. Par ailleurs, celui contre
lequel et en dehors duquel rien ne peut se produire est plus puissant que
celui en dehors duquel quelque chose peut se produire. Mais la volonté de
Dieu est la plus puissante. Donc, rien ne peut se produire en dehors d’elle. |
[3323] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, permissio minimum habet de ratione voluntatis. Sed praeter ejus
permissionem nihil fit, ut in Littera dicitur. Ergo multo minus praeter
voluntatem beneplaciti, vel praeter alia signa voluntatis. |
3. En
outre, la permission a très peu raison de volonté. Mais rien ne se produit en
dehors de sa permission, comme la Lettre le dit. Il est donc
encore beaucoup moins possible qu’il se produise quelque chose en dehors de
la volonté de bon plaisir ou en dehors des autres signes de la volonté. |
[3324] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit, in lib. XIX De civit. Dei, cap. XVI, col. 644, quod ad
innocentis officium pertinet non solum nemini mala facere, sed et peccata
prohibere. Sed praeter ejus voluntatem qui omnia bona vult, nihil potest
fieri nisi peccatum. Cum ergo Deus sit innocentissimus, videtur quod ad ipsum
pertineat non permittere, sed impedire omne quod est praeter ejus voluntatem. |
4. De plus, Saint-Augustin
[XIX De la Cité de Dieu, ch. XVI, col. 644] dit qu’il est du
devoir de l’innocent non seulement de ne faire du mal à personne, mais aussi
d’interdire les fautes. Mais en dehors de sa volonté qui veut tous les biens,
il n’y a que le péché qui peut se produire. Donc, puisque Dieu est
suprêmement innocent, il semble qu’il lui appartienne de ne pas permettre,
mais d’empêcher tout ce qui est contraire à sa volonté. |
[3325] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qui est dit dans la Lettre est
contraire à ce qu’on pose dans ces difficultés. |
[3326] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, videmus multa fieri quae non vult fieri, ut supra habitum est,
dist. XLVI, quaest. unic., art. 4. Ergo fiunt multa praeter ejus voluntatem. |
2. Par
ailleurs, nous voyons de nombreuses choses se produire qu’Il ne veut pas,
ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. XLVI, quest. unique, art. 4].
Donc, de nombreuses choses se produisent en dehors de sa volonté. |
[3327] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod fieri aliquid praeter
voluntatem est dupliciter. Aut quod voluntas
sit de opposito; et hoc est non tantum praeter voluntatem, sed etiam contra
voluntatem: aut ita quod voluntas nec sit de hoc, nec de opposito;
et hoc est praeter voluntatem, sed non contra. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux
manières pour une chose de se produire en dehors de la volonté. Soit de telle manière qu’une volonté
porte sur l’opposé et cela est non seulement en dehors de la volonté mais
aussi contraire à la volonté. Soit de telle manière que la volonté ne
porte ni sur cela ni sur le contraire et cela est en dehors de la volonté
mais non pas contraire à la volonté. |
Possumus ergo loqui de voluntate vel beneplaciti, vel
signi; et de voluntate beneplaciti vel consequente, vel antecedente. Loquendo
ergo de voluntate beneplaciti consequente, aliquid fit praeter eam, sed non
contra eam: quia totum impletur quod voluntate consequente vult, ut dictum
est; sed oppositum ejus quod vult voluntate antecedente, fieri potest, cum
non semper impleatur: et ideo et praeter eam et contra eam fieri potest.
Signa autem voluntatis quaedam respondent voluntati antecedenti, ut
praeceptum, consilium et prohibitio, quibus omnibus ordinatur rationalis
natura in salutem, quod est voluntatis antecedentis. |
Nous pouvons donc parler de la
volonté soit en tant que volonté de bon plaisir, soit en tant que volonté de
signe ; et si on parle de la volonté de bon plaisir, on peut en parler
soit en tant que conséquente, soit en tant qu’antécédente. Si on parle donc
de la volonté de bon plaisir qui est conséquente, quelque chose se produit en
dehors d’elle mais non contre elle : car ce qu’il veut par la volonté
conséquente est accompli en totalité, comme nous l’avons dit ; mais
l’opposé de ce qu’il veut par une volonté antécédente peut se produire parce
qu’elle n’est pas toujours accomplie ou réalisée : et c’est pourquoi il
peut se produire quelque chose en dehors et contre elle. Mais certains signes
de la volonté correspondent à la volonté antécédente, comme le précepte, le
conseil et l’interdiction, et c’est par eux tous que la nature rationnelle
est ordonnée au salut qui relève de la volonté antécédente. |
Unde et praeter eam et contra eam fieri potest. Sed
alia duo signa, scilicet permissio et operatio, respondent voluntati
consequenti, sed diversimode: quia operatio pertinet ad ipsum effectum, de
quo est voluntas consequens; et ideo sicut non potest aliquid fieri contra
voluntatem consequentem, sed praeter eam, ita nec contra operationem, sed
praeter eam. Non enim potest esse oppositum ejus quod Deus operatur: quia sic
opposita simul essent; sed multa fiunt quae Deus non operatur. Sed permissio
pertinet ad causam, quae voluntati consequenti subjicitur, ut sit potens
deficere et non deficere; cujus tamen effectus, scilicet deficere, non
pertinet ad voluntatem consequentem neque antecedentem; sed tamen pertinet ad
causam illam cujus est permissio facultatem respiciens. |
D’où il
suit que quelque chose peut se produire en dehors et contre elle. Mais les
deux autres signes, à savoir la permission et l’opération, correspondent à la
volonté conséquente, mais différemment: car l’opération concerne l’effet
lui-même sur lequel porte la volonté conséquente; et c’est pourquoi, tout
comme quelque chose ne peut se produire contre la volonté conséquente mais
seulement en dehors d’elle, de même rien ne peut se produire contre
l’opération mais seulement en dehors d’elle. Rien en effet ne peut être
l’opposé de ce que Dieu opère car alors les opposés existeraient
simultanément; mais de nombreuses choses se produisent que Dieu n’opère pas.
Mais la permission concerne la cause, laquelle est soumise à la
volonté conséquente, de telle manière qu’elle ait le pouvoir défaillir ou ne
pas défaillir, dont l’effet cependant, à savoir faillir, n’appartient ni à la
volonté conséquente ni à la volonté antécédente, mais il appartient cependant
à cette cause de laquelle la permission s’intéresse à la faculté. |
Unde praeter
permissionem non fit quod fit praeter voluntatem consequentem: unde praeter
permissionem nihil potest fieri, nec contra eam; tamen potest fieri oppositum
ejus quod permissum est: quod tamen fit secundum permissionem; quia permissio
respicit potentiam causae ad utrumque oppositorum se habentem: unde neutrum
oppositorum contra permissionem est, sed utrumque est secundum eam. |
D’où il
suit qu’il ne se produit pas en dehors de la permission ce qui se produit en
dehors de la volonté conséquente: c’est pourquoi rien ne peut se produire en
dehors de la permission, ni contre elle; il peut cependant
se produire l’opposé de ce qui est permis, ce qui se produit
cependant conformément à la permission car la permission s’intéresse à la
puissance de la cause qui se rapporte à chacun des opposés: d’où il suit
qu’aucun des opposés n’est contre la permission mais chacun d’eux y est
conforme. |
[3328] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illi qui non sunt
cum Deo, quantum in eis est, contra Deum sunt inquantum contrariantur
voluntati antecedenti divinae; nihil tamen contra voluntatem consequentem
faciunt, sed praeter eam; non tamen praeter permissionem. |
Solutions: 1. Il faut donc
dire en premier lieu que ceux qui ne sont pas avec Dieu, selon que cela leur
est possible, sont contre Dieu dans la mesure où ils s’opposent à la volonté
divine antécédente; ils ne font cependant rien contre la volonté conséquente,
mais seulement en dehors d’elle, et non pas cependant en dehors de la
permission. |
[3329] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est ex impotentia
divinae voluntatis, quod aliquid praeter eam fiat; sed ex ordine sapientiae
ejus, quae rebus potentiam ad utrumlibet contulit: et hoc est bonum, et Deus
vult voluntate consequente. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que ce n’est pas à cause de l’impuissance de la volonté
divine que quelque chose se produit en dehors d’elle, mais c’est à cause de
l’ordre de sa sagesse qui accorde aux choses la puissance de se porter dans
les deux sens: et cela est bien et Dieu le veut par sa volonté conséquente |
[3330] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod permissio respicit
potentiam causae, quae se habet ad utrumque; et ideo quidquid fiat, non fit
praeter eam. Unde hoc non contingit ex proximitate ad voluntatem beneplaciti,
ut objectio innuebat. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la permission s’intéresse à la puissance de la
cause qui peut se porter dans les deux sens; et c’est pourquoi, quoiqu’il se
produise, cela ne se produit pas en dehors d’elle. D’où il suit que cela ne
se produit pas en raison d’une proximité par rapport à la volonté de bon
plaisir comme l’objection l’indiquait. |
[3331] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod officium innocentis non
est prohibere peccata, nisi secundum conditionem aliorum : non enim
debet ligare homines ne peccent, sed per admonitionem prohibere: ita et Deus,
salvata conditione humanae libertatis, peccata prohibet suis legibus. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le devoir de l’innocent n’est pas d’interdire les
péchés, si ce n’est suivant la condition des autres: en effet, il ne doit pas
attacher les hommes afin qu’ils ne commettent pas le péché mais plutôt les en
empêcher par des avertissements: de même Dieu, conservant la condition de la
liberté humaine, interdit les péchés par ses lois. |
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Articulus 3 [3332] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 tit. Utrum
id quod est contra voluntatem Dei, non obsequatur voluntati ejus |
Article 3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté de Dieu n’obéit pas à sa volonté ? |
[3333] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod illud
quod est contra Dei voluntatem non obsequatur voluntati ejus. Voluntas enim
consequens non contrariatur voluntati antecedenti. Sed malum quod est praeter
voluntatem divinam, est contra voluntatem antecedentem. Ergo voluntati consequenti non obsequitur. |
Difficultés : 1. Il semble que ce qui est contre la
volonté de Dieu n’obéisse pas à sa volonté. En effet, la volonté conséquente
n’est pas contraire à la volonté antécédente. Mais le mal qui est en dehors
de la volonté divine est contre la volonté antécédente : il n’obéit donc
pas à la volonté conséquente. |
[3334] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne quod obsequitur divinae
voluntati, quae semper vult bonum, consistit in ordine ad bonum. Sed malum
quod fit praeter Dei voluntatem, secundum se est inordinatum. Ergo voluntati
divinae non obsequitur. |
2. Par ailleurs, tout ce qui obéit à la
volonté divine, laquelle veut toujours le bien, consiste à être ordonné au
bien. Mais le mal qui se produit en dehors de la volonté de Dieu est
désordonné en lui-même. Il n’obéit donc pas à la volonté divine. |
[3335] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, boni merentur in hoc quod divinae voluntati obsequuntur, et ex hoc eis praemium debetur. Si ergo mali in hoc quod peccando praeter Dei voluntatem faciunt, ejus voluntati obsequuntur, ex peccato eis debetur praemium: et hoc est contra apostolum, Rom. 3, 8: « Faciamus mala, ut veniant bona ». Ergo et primum falsum esse videtur. |
3. En outre, les bons sont
méritoires en ceci qu’ils obéissent à la volonté divine, et c’est de là
qu’une récompense leur est due. Si donc les méchants, en cela qu’ils
commettent le péché et agissent en dehors de la volonté divine se trouvent à
obéir à sa volonté, c’est en raison du péché qu’une récompense leur est
due : et cela est contraire à ce que dit l’Apôtre [Romains 3,
8] : «Devrions-nous faire le mal pour qu’en sorte le bien ?».
Donc, le principe qui prétend que ceux qui agissent en dehors de la volonté
divine obéissent à sa volonté est faux. |
[3336] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, malum est praeter intentionem omnis agentis: nihil enim ad malum respiciens operatur, ut dicit Dionysius, in IV cap. De div. nom., § 19, col. 715. Sed illud quod est praeter intentionem voluntatis, non obsequitur voluntati ejus quae est de fine intento. Ergo mala quae fiunt praeter voluntatem ejus, non obsequuntur voluntati ipsius. |
4. De plus,
le mal est en dehors de l’intention de tout agent: en effet, personne n’agit
en ayant le regard tourné vers le mal comme le dit Denys [Les Noms Divins,
ch. IV, & 19, col. 715]. Mais ce qui est en dehors de l’intention de la
volonté n’obéit pas à sa volonté qui porte sur la fin recherché. Donc les
maux qui se produisent en dehors de sa volonté n’obéissent pas à sa volonté. |
[3337] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in Littera a Gregorio dicitur. |
Cependant : 1. Mais ce que dit Saint-Grégoire dans
la Lettre est contraire à ce que concluent ces objections. |
[3338] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, voluntas divina est causa
potentissima. Sed ad potentiam alicujus pertinet ut etiam quod contra ipsum
quis facere nititur, in ipsius obsequium cedat. Ergo ita est de voluntate divina. |
2. Par ailleurs, la volonté divine
est la cause la plus puissante. Mais il appartient aussi à la puissance d’un
être que celui qui s’efforce d’agir contre lui en vienne à lui obéir. Il en
est donc ainsi pour la volonté divine. |
[3339] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omnia quae fiunt praeter
voluntatem divinam, etiam contra voluntatem antecedentem, obsequuntur
quodammodo voluntati consequenti. Voluntas autem consequens dupliciter potest
accipi. Aut secundum
quod sequitur conceptionem finis tantum; et sic voluntas est de fine in
communi sine aliqua determinatione ejus quod est ad finem. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il
faut dire que tout ce qui se produit en dehors de la volonté divine, même
contre la volonté antécédente, obéit en quelque sorte à la volonté conséquente.
Mais la volonté conséquente peut se prendre de deux manières. Soit selon
qu’elle suit la conception de la fin seulement et de cette manière la volonté
porte sur la fin en general sans aucune determination de ce qui est en vue de
la fin. |
Aut secundum quod sequitur conceptionem ejus quod est
ad finem, et conditionem ejus; et sic voluntas consequens est de consecutione
finis secundum aliquem determinatum modum. Verbi gratia, aedificator in
constitutione domus habet duos motus voluntatis. Unum quo vult formam domus
inducere in materiam sine hoc quod aliquid consideret determinate de partibus
domus. Alium motum habet quo, considerato quod lapis iste est aptus ad
fundamentum, vult ipsum in fundamento collocare. |
Soit selon
qu’elle suit la conception de ce qui est en vue de la fin ainsi que sa
condition et de cette manière la volonté conséquente porte sur la poursuite
de la fin selon une modalité déterminée. En d’autres mots, le constructeur
possède deux mouvements de volonté par rapport à la constitution de la
maison. Un premier movement par lequel il veut introduire la forme de la
maison dans la matière sans une consideration déterminée sur les parties de
la maison. Mais il possède un deuxième movement par lequel, ayant considéré
que cette pierre est propre aux fondations, il veut l’intégrer dans les
fondations. |
Utroque autem modo
accipiendo voluntatem consequentem in Deo, mala quae fiunt obsequuntur
sibi. Si enim accipiatur voluntas
prout est de ordine universi in communi, constat quod malum quod exit ab
ordine praecepti, in contrarium ordinem relabitur, ut dicit Boetius, De
consol., prose VI, col. 820, scilicet in ordinem poenae ad culpam: velut
lapis mollis et levis, qui non est aptus ad fundamentum, in supremo parietis
ponitur. Similiter etiam patet quod obsequitur voluntati
consequenti secundo modo acceptae, quae est quod iste praevisus peccator
puniatur: nisi enim ista conditio in eo per actum peccati fieret, voluntas
divina de poena ejus non impleretur; sicut ipsa gravitas lapidis obsequitur
voluntati artificis, qua vult eum sic ordinari ut in fundamento ponatur. |
Mais c’est en prenant la volonté
conséquente en Dieu d’après ces deux manières que les maux qui se produisent
lui obéissent. Si en effet on prend la volonté selon qu’elle porte sur
l’ordre de l’univers en général, il est clair que le mal qui sort de l’ordre
du commandement entre dans un ordre contraire comme le dit Boèce [De la
Consolation, prose VI, col. 820], c’est-à-dire dans l’ordre du
châtiment à l’égard de la faute, de la même manière que la pierre souple et
légère, qui n’est pas apte à entrer dans les fondations, est placée dans la
partie supérieure du mur. De la même manière encore il est clair
que le mal qui se produit obéit à la volonté conséquente prise de la deuxième
manière et qui est que ce pécheur que Dieu a prévu soit puni : en effet,
la volonté divine sur son châtiment n’est accomplie que si cette condition en
lui se produit par l’acte du péché, tout comme la lourdeur de la pierre obéit
à la volonté de l’artiste, puisque c’est à cause de cette lourdeur qu’il veut
que cette pierre soit posée dans les fondations. |
[3340] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod voluntas antecedens et consequens non
contrariantur, quia utraque est de bono: sed hoc quod aliquid est contra unam
quod non est contra aliam, sed obsequitur sibi, est ex parte voliti, cujus
conditiones diversimode considerantur, ut dictum est, in corp. articuli. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
la volonté antécédente et la volonté conséquente ne s’opposent pas, car les
deux ont pour objet le bien : mais le fait que quelque chose soit
contraire à l’une et non contraire à l’autre mais lui obéit, cela vient du
côté de ce qui est voulu, dont les conditions sont considérées différemment,
comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[3341] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod sicut malum non est per se ordinatum, ita non
obsequitur per se divinae voluntati, sed per accidens, quia praeter
intentionem facientis malum. Non enim peccator intendit peccando puniri a
Deo, in quo voluntas Dei completur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que tout comme le mal n’est pas ordonné par lui-même, de même il n’obéit pas
par lui-même à la volonté divine, mais par accident parce qu’il est en dehors
de l’intention de celui qui fait le mal. En effet, le pécheur, en commettant
le péché, ne cherche pas à être puni par Dieu, ce en quoi la volonté de Dieu
est accomplie. |
[3342] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in actu malo et bono duo est considerare; scilicet
unum, secundum quod egreditur ab agente; et alium, secundum quod ab eo in
finem ordinatur. Actus ergo bonus quantum ad utrumque obsequitur divinae
voluntati: quia et ipse agens in bonum eum ordinat secundum beneplacitum
divinae voluntatis, et Deus ordinat ipsum per bonum consequens, scilicet
praemium, quod meritis reddit: et ideo, quia ipse homo est causa hujus
obsequii, in hoc meretur. Sed actus malus secundum id quod est ab agente,
inordinatus est; sed tamen ordinatur a Deo per poenam advenientem, vel per
aliquod bonum quod ex eo elicitur: et ideo malus se habet tantum passive ad
hoc obsequium, et non active; sicut in Littera dicitur, quod impletur de eo
voluntas Dei, quam ipse non implet: et ideo non meretur sic obsequendo:
meretur enim quis secundum actum cujus causa est. |
3. Il faut dire en troisième lieu
qu’il y a deux choses à considérer dans l’acte mauvais et dans l’acte
bon ; à savoir premièrement selon qu’il sort de l’agent et l’autre selon
que par lui il est ordonné à la fin. Donc l’acte bon obéit à la volonté
divine sous les deux rapports car l’agent lui-même ordonne l’acte à la fin
selon le bon plaisir de la volonté divine et Dieu l’ordonne par le bien qui suit,
à savoir la récompense qu’Il rend aux mérites : et c’est pourquoi, parce
que l’homme lui-même est la cause de cette obéissance, c’est en cela qu’il
est méritoire. Mais l’acte mauvais, selon qu’il vient de l’agent, est
désordonné ; cependant, il est ordonné par Dieu au moyen du châtiment
qui survient ou par quelque bien qu’il fait sortir de lui : et c’est
pourquoi le mal se présente seulement d’une manière passive à l’égard de
cette obéissance et non pas activement, tout comme on dit dans la Lettre que la
volonté de Dieu est accomplie au sujet du mal sans que le mal ne
l’accomplisse : et c’est pourquoi il n’acquiert aucun mérite en
obéissant de cette manière : l’homme en effet n’est digne de mérite que
selon l’acte dont il est la cause. |
[3343] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis malum sit praeter intentionem Dei, tamen
ordinatio mali est intenta a Deo; et huic intentioni operans malum praeter
intentionem obsequitur, faciens id quod est praeter Dei intentionem, scilicet
peccatum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que bien que le mal soit en dehors de l’intention de Dieu, cependant
l’ordonnance du mal est intentionnelle de la part de Dieu ; et celui qui
fait le mal, en faisant ce qui est en dehors de l’intention de Dieu, à savoir
le péché, obéit à cette intention sans en avoir l’intention,. |
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Articulus 4 [3344] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 tit. Utrum
id quod est praeter voluntatem Dei praecepto non subjaceat ? |
Article 4 : Ce qui est en dehors de la volonté de Dieu n’est-il pas soumis au précepte ? |
[3345] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod id quod est praeter Dei voluntatem,
praecepto non subjaceat, et praecipue peccatum. Praeceptum enim est
indicativum divinae voluntatis. Sed quicumque ostendit se velle quod non
vult, fictor est: quod longe est a Deo. Ergo videtur quod nihil quod
fit contra voluntatem ejus, vel praeter eam, praecipiat. |
Difficultés: 1. Il semble que
ce qui est en dehors de la volonté de Dieu, et surtout le péché, n’est pas
soumis au précepte. Le précepte en effet indique quelle est la volonté
divine. Mais quiconque manifeste qu’il veut ce qu’il ne veut pas est un
artisan de mensonges, ce qui est fort éloigné de Dieu. Il semble donc que
Dieu ne commande rien de ce qui se produit contre ou en dehors de sa volonté. |
[3346] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, cum praeceptum respondeat voluntati
antecedenti, ad quam pertinet ordinatio naturae in bonum, nihil potest
praecipi quod est contra hunc ordinem. Sed
omne peccatum est hujusmodi: quia est contra legem naturae. Ergo videtur quod
praecepto non subjaceat. |
2. Par ailleurs, comme le précepte
correspond à la volonté antécédente, à laquelle appartient l’ordonnance de la
nature au bien, rien ne peut être commandé qui serait contre cet ordre. Mais
tout péché est contre cet ordre car il est contre la loi de la nature. Il
semble donc qu’il ne soit pas soumis au précepte. |
[3347] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, nullus obediens divinis praeceptis male facit. Sed quaedam sunt
quae nunquam possunt nisi male fieri, cum sint conjuncta malo fini, ut
invidia, et hujusmodi, secundum philosophum in II Ethic., cap. IV. Ergo
videtur quod ista a Deo praecipi non possint. |
3. En outre, rien de ce qui obéit
aux préceptes divins ne fait le mal. Mais il y a des choses qui ne peuvent se
produire que dans le mal puisqu’elles sont unies à une fin mauvaise, comme
l’envie et les choses de cette sorte, ainsi que le dit le Philosophe [11 Éthique,
ch. IV]. Il semble donc que ces choses ne puissent être commandées par Dieu. |
[3348] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed omnia peccata similia sunt
in hoc quod lege divina prohibentur. Cum igitur quaedam nullo modo sub
praecepto cadant, ut desperare de Deo, et habere odio ipsum, et hujusmodi,
videtur quod nullum peccatum sub praecepto divino cadere possit. |
4. En
outre, le jugement doit rester le même au sujet de ce qui est semblable. Mais
tous les péchés sont semblables en ceci qu’ils sont interdits par la loi
divine. Donc, puisque certaines choses ne tombent aucunement sous le
précepte, comme désespérer de Dieu, le haïr et des choses de la sorte, il
semble qu’aucun péché ne puisse tomber ou être soumis au précepte divin. |
[3349] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, occidere filium innocentem est
peccatum, et contra legem naturae. Hoc autem Abrahae praeceptum legimus,
Genes. XXII et eumdem de obedientia commendatum. Ergo videtur quod peccatum
sub praecepto divino cadere possit. Et similiter etiam est hoc quod legitur
Oseae 1, quod Dominus praecepit sibi accipere mulierem fornicariam, et facere
ex ea filios fornicationum. |
Cependant: 1. Au contraire,
tuer son fils innocent est un péché et est contraire à la loi naturelle. Mais
nous lisons que cela est commandé à Abraham [Genèse XXII, 2] et
qu’il lui est recommandé d’obéir à ce même précepte. Il semble donc que le
péché puisse tomber ou se ranger sous le précepte divin. Et semblablement
encore il y a ce qu’on lit chez le prophète [Osée, 1], à
savoir que le Seigneur lui commanda d’accueillir la femme de la prostitution
et de faire avec elle les fils de la fornication. |
[3350] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 co.Respondeo
dicendum, quod praeceptum est signum voluntatis divinae, respondens voluntati
antecedenti, et non consequenti. Unde quod est praeter
voluntatem consequentem, cadit sub praecepto, non autem quod est praeter
voluntatem antecedentem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que le
précepte est un signe de la volonté divine qui correspond à la volonté
antécédente et non à la volonté conséquente. D’où il suit que ce qui est en
dehors de la volonté conséquente tombe sous le précepte ou lui est soumis
mais non pas ce qui est en dehors de la volonté antécédente. |
Sed in hoc tamen considerandum est, quod aliquid
secundum se acceptum est praeter voluntatem antecedentem, quod, aliqua
conditione adveniente vel substracta, est de voluntate antecedente; sicut
illa quae secundum se considerata, mala sunt; sed inquantum stant sub
praecepto divino, recipiunt quamdam rationem bonitatis, ut sic in ipsa
voluntas tendere debeat: quod quidem in quibusdam per se malis contingit, et
in quibusdam non. |
Mais en cela il faut cependant considérer
que ce qui, pris en soi, est en dehors de la volonté antécédente, si on
ajoute ou enlève une condition, cela fait cependant partie de la volonté
antécédente, comme les choses qui considérées en elles-mêmes sont
mauvaises mais qui, dans la mesure où elles se tiennent sous le précepte
divin, ont raison de bien de telle manière que la volonté doive tendre vers
elles : ce qui certes est possible pour certaines choses qui sont
mauvaises par elles-mêmes mais non pour d’autres. |
Bonum enim in rebus surgit ex duplici ordine: quorum
primus ordo et principalis est rerum omnium ad finem ultimum, qui Deus est;
secundus ordo est unius rei ad aliam rem: et primus ordo est causa secundi,
quia secundus ordo est propter primum. Ex hoc enim quod res sunt ordinatae ad
invicem, juvant se mutuo, ut ad finem ultimum debite ordinentur. |
En effet, le bien dans les choses
jaillit de deux ordres : dont le premier et le principal est l’ordre de
toutes les choses par rapport à la fin ultime qui est Dieu ; le deuxième
ordre est celui d’une seule et même chose par rapport à une autre
chose : et le premier ordre est la cause du deuxième car le deuxième
ordre est en vue du premier. En effet, à partir de cela même que les choses
sont ordonnées entre elles, elles s’entraident mutuellement de manière à être
ordonnées comme il convient à la fin ultime. |
Unde oportet quod subtracta bonitate quae est ex ordine
unius rei ad finem ultimum nihil bonitatis remanere possit sed substrata
bonitate quae est ex ordine unius rei ad rem aliam, nihilominus potest
remanere illa bonitas quae est ex ordine rei ad finem ultimum: quia primum
non dependet ex secundo, sicut secundum ex primo. Dico ergo, quod quaedam peccata nominant deordinationem
unius rei ad rem aliam, sicut homicidium, odium fraternum, inobedientiam ad
praelatum, et hujusmodi. Unde si talia bonitatem illam retinere possent quae
est ex ordine ad finem ultimum, proculdubio bona essent, et in ea voluntas
ferri posset. |
D’où il faut, si disparaît le bien
qui vient de l’ordre d’une même chose par rapport à la fin ultime, qu’il ne
puisse rien rester de bien ; mais si disparaît le bien qui vient de
l’ordre d’une chose à une autre chose, il peut néanmoins demeurer ce bien qui
vient de l’ordre d’une chose à la fin ultime : car ce qui est premier ne
dépend pas de ce qui est second, alors que ce qui est second dépend de ce qui
est premier. Je dis donc que certains péchés
signifient le désordre d’une même chose par rapport à une autre chose, par
exemple l’homicide, la haine fraternelle, la désobéissance au prélat et les
péchés de cette sorte. D’où il suit que si de tels péchés pouvaient retenir
cette bonté qui vient de l’ordre à l’égard de la fin ultime, ils seraient
sans doute des biens et la volonté pourrait se porter vers eux. |
Sed hoc non posset esse nisi virtute divina, per quam
ordo in rebus institutus est. Sicut enim non potest fieri, nisi per
miraculosam operationem virtutis divinae, ut quod recipit esse a primo
agente, mediante aliqua causa secunda, habeat esse destructa vel subtracta
causa secunda, ut hoc quod accidens sit sine subjecto, sicut in sacramento
altaris: ita etiam non potest fieri, nisi per miraculum virtutis divinae, ut
id quod natum est recipere bonitatem ex ordine ad finem ultimum mediante
ordine ad rem illam, habeat bonitatem, subtracto ordine qui erat ad rem
illam; unde ille actus qui est occidere innocentem, vel resistere praelato,
non potest esse bonus nec bene fieri nisi auctoritate vel praecepto divino. |
Mais cela ne peut se produire que
par la puissance divine par laquelle l’ordre a été établi dans les choses.
Tout comme en effet il ne peut arriver que par une opération miraculeuse de
la puissance divine que ce qui reçoit l’existence du premier agent par
l’intermédiaire d’une cause seconde ait l’existence une fois détruite ou
enlevée la cause seconde de manière que l’accident soit sans le sujet, comme
dans le sacrement de l’autel, de même encore il ne peut arriver que par un
miracle de la puissance divine que ce qui est apte à recevoir le bien à
partir de l’ordre à l’égard de la fin ultime par l’intermédiaire de l’ordre à
telle chose, possède encore le bien une fois retiré l’ordre qui était ordonné
à cette chose ; d’où il suit que cet acte qui consiste à tuer un
innocent ou à résister à un prélat ne peut être bon ni même devenir bon que
par l’autorité et le commandement divins. |
Unde in talibus nullus dispensare potest, nisi Deus
quasi miraculose. Quaedam vero peccata sunt quae dicunt deordinationem
a fine ultimo immediate. Contingit enim aliquem actum peccati esse immediate
circa id quod est ad finem: et quia forma bonitatis est a fine in his quae
sunt ad finem, oportet quod etiam forma malitiae sit ex hoc quod recedit a
fine; et id quod est quasi materiale est actus exercitus circa id quod est
inordinabile in finem, sicut in fornicatione et homicidio, et in hujusmodi. |
D’où il
suit que dans ces cas nul ne peut partager si ce n’est Dieu comme
miraculeusement. Mais il y a certains péchés qui disent un désordre immédiat
par rapport à la fin ultime. Il est possible en effet qu’un acte de péché
porte immédiatement sur ce qui est en vue de la fin: et parce que la forme de
la bonté se tient de la fin dans les choses qui sont en vue de la fin, il
faut aussi que la forme de la malice se tienne de ce qui s’écarte de la fin;
et ce qui est comme materiel est l’acte qui est exercé sur ce qui ne peut
être ordonné à la fin, comme dans le cas de la fornication, de l’homicide et
dans les actes de la sorte. |
Unde si ei quod est
ad finem, conferatur alius ordo in finem, tolletur inordinatio, et remanebit
actus ordinatus subjacens voluntati antecedenti. Hoc autem non potest fieri nisi ab eo qui ordinem illum
posuit: et ideo ea quae sunt ordinata per legem divinam, non sunt mutabilia
vel dispensabilia nisi praecepto divino; et similiter quod statutum est a
quocumque superiori inviolabiliter observandum, non potest ab inferiori
mutari: et sic Deus occisionem Isaac, quae de se inordinationem habebat ex eo
quod filius innocens non erat ordinatus in finem per viam occisionis a patre,
ordinatam fecit, ponendo hunc ordinem, ut esset ad manifestationem fidei et
amoris Abrahae, ut esset posteris in exemplum, et in significationem mortis
Christi: et in occisionem sic ordinatam divina auctoritate licite consensit
voluntas Abrahae. |
D’où il suit que si on confère à ce
qui est en vue de la fin un autre ordre vers la fin, on enlève le désordre,
et il restera un acte ordonné obéissant à la volonté antécédente. Mais cela
ne peut se produire que par celui qui a posé cet ordre : et c’est
pourquoi les choses qui sont ordonnées par la loi divine ne sont changeables
ou ne peuvent être dispensées que par le précepte divin ; et de la même
manière, ce qui a été statué par un supérieur comme devant être observé
inviolablement ne peut être changé par un inférieur : et c’est ainsi que
Dieu rendit le meurtre d’Isaac ordonné, qui de soi contenait un désordre du
fait que le fils innocent n’était pas ordonné à la fin par la voie du meurtre
par le père, en posant cet ordre, pour qu’il serve à manifester la foi et
l’amour d’Abraham de manière à être un exemple pour ceux qui suivraient et
comme une image signifiant la mort du Christ : et c’est à cette mort
ainsi ordonnée par l’autorité divine que la volonté d’Abraham consentit avec
raison. |
Quaedam autem peccata sunt quorum actus inordinatus est
immediate circa finem, ut peccata quae sunt in Deum, ut odire ipsum, et
desperare de eo, et hujusmodi: et cum actus ex objecto speciem trahat,
constat hujusmodi actus etiam secundum speciem in genere naturae malos esse;
unde ab eis talis inordinatio auferri non potest. |
Mais il y a certains péchés dont
l’acte est désordonné de manière immédiate par rapport à la fin, comme les
péchés qui se rapportent directement à Dieu, comme le haïr et désespérer de
lui, et les péchés de cette sorte ; et comme l’acte tire son espèce de
l’objet, il est clair que de tels actes sont mauvais même selon l’espèce dans
le genre de la nature ; c’est pourquoi un tel désordre ne peut être
retiré d’eux. |
Non enim posset auferri ex hoc quod ordinarentur in
finem, cum secundum esse suum sint deordinati a fine; contingeret enim quod
aliquid esset simul ordinatum et inordinatum; unde hujusmodi nunquam
subjacent divino praecepto. Et propter hoc dicitur, quod contra praecepta
primae tabulae, quae ordinant immediate in Deum, Deus dispensare non potest;
sed contra praecepta secundae tabulae, quae ordinant immediate ad proximum,
Deus potest dispensare; non autem homines in his dispensare possunt. |
En effet, un tel désordre ne peut
être retiré d’eux du fait qu’ils seraient ordonnés à la fin puisque selon
leur existence même ils sont déréglés par rapport à la fin elle-même ;
il serait possible en effet que quelque chose soit simultanément réglé et
déréglé : d’où il suit que de tels actes ne sont jamais soumis au
précepte divin. Et on dit pour cette raison que Dieu ne peut dispenser contre
les préceptes de la première table qui ordonnent immédiatement à Dieu ;
mais contre les préceptes de la deuxième table, qui ordonnent immédiatement
au prochain, Dieu peut dispenser mais non les hommes cependant qui même dans
ces cas ne peuvent dispenser. |
[3351] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis Deus non vellet voluntate consequente,
quod Abraham filium occideret, voluit tamen voluntate antecedente, quod
voluntas Abrahae in hoc ferretur, secundum quod erat jam ordinatum; et talem
voluntatem praeceptum expressit; et ideo non fuit fictio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que Dieu ne veuille pas, par la volonté conséquente, qu’Abraham tue son
fils, il a voulu cependant par la volonté antécédente que la volonté
d’Abraham se porte vers cela en tant que cet acte était déjà ordonné ;
et cependant le précepte exprima la volonté et c’est pourquoi il ne fut pas
une fiction ou un mensonge. |
[3352] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ipsa occisio innocentis prout substat deordinationi a
fine, quae advenit sibi post speciem completam ab objecto proximo, est contra
legem naturae, et non potest bene fieri; sed remota tali inordinatione, est
conveniens legi naturae, quae dictat omne illud esse faciendum quod est
ordinatum et praeceptum a Deo. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que la mort même d’un innocent, selon qu’elle se tient sous un dérèglement
par rapport à la fin qui lui advient après que son espèce a été complétée par
son objet prochain, est contre la loi de la nature, et ne peut devenir un
bien ; mais une fois enlevé un tel dérèglement, elle s’accorde à la loi
de la nature qui dicte que tout ce qui est ordonné et commandé par Dieu doit
être fait. |
[3353] Super Sent.,
lib. 1 d. q. 1 a. 4 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. Et suite
à cela la réponse à la troisième difficulté est évidente. |
[3354] Super Sent.,
lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio
in omnibus, ut ex praedictis patet, in corp. art. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la raison n’est pas semblable dans tous les cas
comme nous l’avons vu à partir de ce qui precede dans le corps de l’article. |
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Distinctio 48 |
Distinction 48 – La volonté de Dieu (4). La conformité de la volonté de l’homme à celle de Dieu |
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Prooemium |
Prologue |
Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum voluntas hominis divinae voluntati conformari
possit; 2 in quo attenditur principaliter conformitas; 3 utrum ad illam conformitatem omnes teneantur; 4 utrum teneantur etiam
ad conformitatem quae est in volito. |
On cherche
à répondre ici à quatre questions: 1. Est-ce que la
volonté de l’homme peut se conformer à la volonté divine? 2. En quoi surtout
se vérifie cette conformité? 3. Est-ce que
tous sont tenus à cette conformité? 4. Est-ce qu’ils
sont tenus aussi à la conformité qui est dans l’objet voulu? |
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Articulus 1 [3357] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 tit. Utrum
voluntas humana divinae voluntati non possit conformari |
Article 1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut pas se conformer à la volonté divine ? |
[3358] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas
humana divinae conformari non possit. Sic enim dicitur Isai. 55,
9: Sicut exaltantur caeli a terra, ita exaltatae sunt viae meae a
viis vestris. Sed terra nunquam
potest conformari caelo. Ergo nec cogitationes vel voluntates hominum divinae
voluntati. |
Difficultés : 1. Il semble que la volonté humaine ne
puisse pas se conformer à la volonté divine. C’est ainsi en effet que parle
l’Écriture [Isaïe 55, 9] : Autant les cieux sont
élevés au-dessus de la terrre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos
voies. Mais la terre ne peut jamais se conformer aux cieux. Donc les
pensées et les volontés des hommes ne peuvent se conformer à la volonté
divine. |
[3359] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, eorum quae in infinitum distant, nulla est conformitas: quia
conformitas est secundum approximationem aliquam. Sed voluntas Dei in
infinitum distat a voluntate hominum: « Quantum enim distat Deus ab
homine, tantum voluntas Dei a voluntate hominis », ut dicit Glossa super
illud Psalm. 32, 1: Exultate justi in domino etc.
Ergo voluntas hominis divinae voluntati non conformatur. |
2. Par ailleurs, entre les êtres
qui sont infiniment éloignés les uns des autres, il n’y a aucune
conformité car il ne peut y avoir conformité que selon une certaine
proximité. Mais la volonté de Dieu diffère à l’infini de la volonté des
hommes, comme le dit la Glose : «Autant la volonté de Dieu diffère de
la volonté de l’homme que Dieu diffère de l’homme», dans son commentaire
sur ce passage du psalmiste [Psaume 32, 1 : Réjouissez-vous,
les justes, dans le Seigneur etc. Donc la volonté de l’homme ne peut
se conformer à la volonté divine. |
[3360] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, conformitas ponit convenientiam duorum in forma una; sicut ipsum
nomen ostendit. Sed quaecumque conveniunt in aliquo uno habent aliquid prius
et simplicius se, scilicet illud in quo conveniunt. Cum igitur divina
voluntate nihil sit simplicius et prius, videtur quod sibi nulla voluntas
creata conformari possit. |
3. Par ailleurs, qui dit
conformité dit une convenance entre deux êtres dans une même
forme, ainsi que le nom lui-même l’indique. Mais tous les êtres qui se
rencontrent dans quelque chose d’un présupposent quelque chose d’autre qui
leur est antérieur et plus simple, à savoir ce dans quoi ils se rencontrent.
Donc, puisque rien n’est plus simple et antérieur à la volonté divine, il
semble qu’aucune volonté créée ne puisse se conformer à elle. |
[3361] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, nihil est conforme nisi conformi; quia conformitas est relatio
aequiparantiae, ponens similem habitudinem in utroque extremorum. Sed non dicimus
voluntatem divinam conformem esse voluntati humanae. Ergo nec e converso. |
4. Par
ailleurs, rien n’est conforme si ce n’est à ce qui est conforme car la
conformité est une relation de comparaison entre égaux qui pose un rapport
semblable dans les deux extrêmes. Mais nous ne disons pas que la volonté
divine est conforme à la volonté humaine. Donc, inversement, la volonté
humaine ne peut être conforme à la volonté divine. |
[3362] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nullum regulatum fit rectum nisi
per conformitatem ad regulam. Sed
voluntas divina regula est voluntatis humanae, et intellectus suus,
intellectus humani. Ergo omnis voluntas recta conformis est voluntati
divinae. |
Cependant : 1. Au contraire, rien de ce qui est réglé
ne devient droit si ce n’est par une conformité à une règle. Mais la volonté
divine est la règle de la volonté humaine et son intelligence est la règle de
l’intelligence humaine. Donc, toute volonté droite est conforme à la volonté
divine. |
[3363] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, cujuslibet obedientis voluntarie voluntas conformatur voluntati
praecipientis. Sed multi voluntarie divinis praeceptis obediunt. Ergo
multorum voluntas conformatur voluntati divinae. |
2. Par ailleurs, la volonté de tous
ceux qui obéissent volontairement se conforme à la volonté de celui qui
commande. Mais nombreux sont ceux qui obéissent volontairement aux préceptes
divins. Donc, de nombreuses volontés se conforment à la volonté divine. |
[3364] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod conformitas est
convenientia in forma una, et sic idem est quod similitudo quam causat unitas
qualitatis, ut in V Metaph., text. 20, dicitur. Unde hoc modo aliquid Deo conformatur quod
sibi assimilatur. Contingit autem aliqua dici similia dupliciter. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
conformité est une convenance dans une seule et même forme et ainsi elle est
la même chose que la similitude que cause l’unité de la qualité comme le dit
le Philosophe [V Métaphysique, texte 20]. D’où il suit qu’un être
se conforme à Dieu de la manière qu’il lui est assimilé. Mais c’est de deux
manières qu’il est possible de dire de certains êtres qu’ils sont semblables. |
Vel ex eo quod participant unam formam, sicut duo albi
albedinem; et sic omne simile oportet esse compositum ex eo in quo convenit
cum alio simili, et ex eo in quo differt ab ipso, cum similitudo non sit nisi
differentium, secundum Boetium.Unde sic Deo nihil potest esse simile nec
conveniens nec conforme, ut frequenter a philosophis dictum invenitur. |
Soit du fait qu’ils participent
d’une même forme, comme deux choses blanches participent de la
blancheur ; et en ce sens tout ce qui est semblable doit être composé de
ce qu’il a en commun avec l’autre semblable et de ce en quoi il diffère de
lui, puisqu’il ne peut y avoir similitude, selon Boèce, que pour des êtres
qui sont différents. D’où il suit qu’en ce sens rien ne peut être semblable,
en accord ou conforme à Dieu, ainsi que le disent fréquemment les
philosophes. |
Vel ex eo quod unum quod participative habet formam,
imitatur illud quod essentialiter habet. Sicut si corpus album diceretur
simile albedini separatae, vel corpus mixtum igneitate ipsi igni. Et talis
similitudo quae ponit compositionem in uno et simplicitatem in alio, potest
esse creaturae ad Deum participantis bonitatem vel sapientiam vel aliquid
hujusmodi, quorum unumquodque in Deo est essentia ejus; et sic voluntas nostra
divinae conformatur. |
Soit du fait que celui qui possède
la forme par participation imite celui qui la possède par essence, comme on
dirait du corps blanc qu’il est semblable à la blancheur séparée ou que le
corps mixte est semblable à l’embrasement du feu lui-même. Et une telle
similitude qui pose la composition en l’un et la simplicité dans l’autre peut
être celle de la créature à l’égard de Dieu lorsqu’elle participe de la
bonté, de la sagesse ou des autres perfections de la sorte dont chacune est
en Dieu son essence ; et c’est en ce sens que notre volonté peut se
conformer à la volonté divine. |
Sed haec conformitas voluntatis potest intelligi vel de ipsa potentia voluntatis quae homini est data ad
exemplar voluntatis divinae, quae pertinet ad similitudinem, in qua consistit
ratio imaginis, et est communis bonis et malis; et de hac conformitate non
quaerimus hic. Vel potest intelligi de actu voluntatis, qui etiam
voluntas dicitur, et de hac conformitate hic quaerimus: quia in ista
conformitate consistit meritum vel etiam demeritum, eo quod homo est causa
actus voluntatis sed non potentiae; unde ista conformitas est tantum bonorum. |
Mais cette conformité de la volonté
peut s’entendre de deux manières. Soit de la puissance même de la volonté
qui est donnée à l’homme en rapport avec le modèle de la volonté divine, ce
qui s’applique à la similitude dans laquelle consiste la notion d’image et
qui est commune aux bons et aux méchants ; et ce n’est pas sur cette
conformité que nous nous interrogeons ici. Soit de l’acte de la volonté qu’on
appelle aussi volonté, et c’est cette conformité que nous examinons
ici : car c’est dans cette conformité que consiste le mérite ou même le
démérite, du fait que l’homme est la cause de l’acte de la volonté mais non
pas de la puissance elle-même ; d’où il suit que cette conformité ne
s’applique qu’à ceux qui sont bons. |
[3365] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod dominus loquitur ibi de malis, qui per terram
significantur, qui in actu suae voluntatis recedunt a similitudine divina. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
le Seigneur parle là des maux qui sont signifiés par le nom ¨terre¨, lesquels
s’éloignent de la similitude divine dans l’acte de sa volonté. |
[3366] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in infinitum distantium non potest esse conformitas
per modum aequalitatis vel etiam secundum aliquam convenientiam in aliquo in
participando ab utroque, sed per modum illum qui supra dictus est in corp.
art. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que pour les êtres qui diffèrent à l’infini il ne peut y avoir conformité par
mode d’égalité ou encore selon une ressemblance en quelque chose d’autre dont
les deux participeraient, mais de cette manière dont nous avons parlé plus
haut dans le corps de l’article. |
[3367] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 3 Et per hoc patet etiam responsio ad tertium, quod
procedit secundum primum modum distinctionis assignatae. |
3. Et suite
à cela devient manifeste aussi la réponse à la troisième difficulté qui
procède d’après la première modalité de distinction assignée. |
[3368] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Dionysium, in
IX cap. De div. nomin., § 6, col. 914, conversio similitudinis
non recipitur in causis et causatis in quibus dicitur similitudo per
imitationem, sed solum in aequipotentibus in quibus est similitudo per
similem participationem ejusdem: non enim dicimus quod homo sit similis suae
imagini, sed e converso. Unde non est
dicendum quod Deus sit similis vel conformis creaturae, sed quod creatura Deo
conformetur imitando ipsum quantum potest. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que d’après Denys [Les Noms Divins, ch. 1X, & 6, col. 914], la
conversion de la similitude ne s’admet pas dans les causes et les effets dans
lesquels la similitude se dit par imitation, mais seulement chez les êtres
qui sont d’égale puissance dans lesquels il y a similitude par une
participation semblable à une même forme : nous ne disons pas en effet
que l’homme est semblable à son image, mais plutôt l’inverse. D’où il suit
qu’il ne faut pas dire que Dieu est semblable ou conforme à la créature, mais
plutôt que la créature se conforme à Dieu en l’imitant dans la mesure du
possible. |
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Articulus 2 [3369] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 tit. Utrum
conformitas voluntatum attendatur praecipue secundum volitum |
Article 2 : La conformité des volontés se vérifie-t-elle surtout selon ce qui est voulu ? |
[3370] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
conformitas voluntatum praecipue secundum volitum attendatur. Conformitas
enim attenditur secundum convenientiam in forma. Sed forma et perfectio
voluntatis est ipsum volitum, sicut et scitum est perfectio scientis. Ergo secundum convenientiam in volito est conformitas
voluntatum. |
Difficultés : 1. Il semble que la conformité des
volontés se vérifie surtout selon ce qui est voulu. La conformité
en effet se vérifie selon la rencontre dans une forme. Mais la forme et la
perfection de la volonté est l’objet voulu lui-même, tout comme l’objet connu
est la perfection de celui qui sait. Donc, il y a conformité des volontés
selon la ressemblance dans l’objet voulu. |
[3371] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
actus cognoscuntur et judicantur per objecta, secundum Philosophum, II De
anima,text. 33. Sed objectum voluntatis est volitum. Ergo videtur quod
secundum unitatem voliti sit conformitas voluntatum. |
2. Par ailleurs, les actes sont
connus et jugés par leurs objets selon le Philosophe [11 De l’Âme,
texte 33]. Mais l’objet de la volonté est l’objet voulu. Il semble donc qu’il
y ait conformité des volontés selon l’unité de l’objet voulu. |
[3372] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicas
quod objectum voluntatis est bonum et secundum hoc attenditur
conformitas: Contra, voluntas non est nisi boni. Si igitur ex
convenientia in bono est conformitas voluntatis, videtur quod omnis voluntas,
etiam peccati, divinae voluntati conformetur. |
3. Si tu dis que l’objet de la
volonté est le bien et que c’est d’après cela que se vérifie la conformité,
je réponds par contre que la volonté ne se rapporte qu’au bien. Si donc la
conformité de la volonté se tire du rapport au bien, il semble que toute
volonté, y compris celle du pécheur, sera conforme à la volonté divine. |
[3373] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, voluntas occidentium Christum non solum concurrit cum voluntate
divina in quoddam volitum idem, sed etiam in quoddam bonum, scilicet in
passionem Christi, quae magnum bonum fuit. Ergo si ex hoc attenditur ratio
conformitatis, videtur quod voluntas Judaeorum divinae conformis fuit. |
4. Par ailleurs, la volonté de ceux
qui ont tué le Christ s’accorde non seulement avec la volonté divine dans un
même objet voulu, mais même dans un certain bien, à savoir dans la passion du
Christ qui fut un très grand bien. Si donc c’est à partir de là que se
vérifie la notion de conformité, il semble que la volonté des Juifs soit
conforme à la volonté divine. |
[3374] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 5
Praeterea, ratio bonitatis est ex fine. Sed contingit aliquem propter bonum
finem agentem divinae voluntati non conformari, sicut qui furatur diviti, ut
det eleemosynas pauperi. Ergo videtur quod etiam nec ex fine conformitas
voluntatis attendatur. |
5. En outre, la notion de bien se
tire de la fin. Mais il est possible qu’en agissant en vue d’une bonne fin on
ne se conforme pas à la volonté divine, comme celui qui vole les riches pour
donner des aumônes aux riches. Il semble donc que la conformité de la volonté
ne se tire pas non plus de la fin. |
[3375] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 6 Si
dicas, quod attenditur principaliter in hoc quod homo vult quod Deus vult
eum velle: contra, volitum et velle non sunt idem nisi per
accidens, ut quando velle unius est volitum ab alio. Sed ista conformitas est
ad voluntatem divinam inquantum ipsum nostrum velle est volitum a Deo, qui
vult hoc nos velle quod volumus. Ergo per hunc modum non conformatur velle
nostrum ad velle divinum, nisi per accidens; et ita ex his omnibus videtur
quod conformitas attendenda sit secundum volitum. |
6. Si tu dis que
la conformité de la volonté se vérifie surtout en ceci que l’homme veut ce
que Dieu veut qu’il veuille, je réponds par contre que
l’objet voulu et le vouloir ne sont identiques que par accident, comme
lorsque le vouloir de l’un est voulu de l’autre. Mais cette conformité est à
l’égard de la volonté divine en tant que notre vouloir lui-même est voulu de
Dieu qui veut que nous voulions ce que nous voulons. Donc de cette manière
notre vouloir ne se conforme que par accident au vouloir divin ; et
ainsi à partir de tous ces cas il semble que la conformité doive se vérifier
selon l’objet voulu. |
[3376] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
contra, duo contraria, inquantum hujusmodi, non conformantur eidem. Sed duae
sanctorum voluntates de oppositis volitis conformantur divinae voluntati, cum
utraque sit recta, sicut patet in Littera de hoc quod quidam
mortem Pauli nolebant, quam ipse volebat. Ergo non est conformitas secundum
volitum. |
Cependant : 1. Deux contraires, en tant que tels, ne
se conforment pas à une même forme. Mais deux volontés de saints portant sur
des objets voulus contraires se conforment à la volonté divine, puisque les
deux sont droites, tout comme on le voit dans la Lettre par
rapport à ceci que certains ne voulaient pas la mort de Paul, mort que
lui-même pourtant voulait. Donc la conformité ne se mesure pas d’après
l’objet voulu. |
[3377] Super Sent., lib.
1 d. 48 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art.
praeced., hic quaeritur de conformitate quantum ad voluntatis actum. Actus
autem voluntatis humanae potest imitari actum voluntatis divinae dupliciter. Vel quantum ad esse naturae; et sic non loquimur hic: quia
hoc convenit actui voluntatis secundum quod exit a potentia, cujus
conformitatem dimisimus. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire, comme nous
l’avons dit dans l’article précédent, qu’on s’interroge ici sur la conformité
quant à l’acte de la volonté. Mais l’acte de la volonté humaine peut imiter
l’acte de la volonté divine de deux manières. Soit quant à l’être de nature ; et
ce n’est pas en ce sens que nous parlons ici : car cela convient à
l’acte de la volonté selon qu’il sort de la puissance, et nous avons mis de
côté la conformité de l’acte de la volonté pris en ce sens, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article précédent. |
Vel quantum ad perfectionem superadditam, secundum quam
dicitur actus talis vel talis; et hanc conformitatem hic quaerimus, quae est
quasi secundum speciem moris. Haec autem conformitas quadrupliciter potest
considerari secundum habitudinem quatuor causarum: scilicet secundum causam materialem, sicut quando est idem
volitum quod se habet ut materia circa quam est actus voluntatis; et ideo
ista conformitas est secundum quid tantum, et non simpliciter: quia esse
simpliciter non est a materia, sed a forma. Vel secundum causam efficientem; sicut quando aliquis vult
quod Deus vult eum velle; hunc enim ordinem voluntatis Deus in eo fecit. |
Soit quant à une perfection
surajoutée selon laquelle on dit de l’acte qu’il est tel ou tel ; et
c’est cette conformité que nous cherchons à connaître, laquelle est comme
selon l’espèce ou la sorte de comportement. Mais cette conformité peut être
considérée de quatre manières sous le rapport des quatre causes : À savoir soit selon la cause matérielle,
comme lorsque c’est le même objet voulu qui se présente comme une matière sur
laquelle porte l’acte de la volonté ; et c’est pourquoi cette conformité
est relative seulement et non absolue : car l’être pris absolument ne
vient pas de la matière mais de la forme. Soit selon la cause efficiente tout
comme lorsque quelqu’un veut ce que Dieu veut qu’il veuille ; c’est Dieu
en effet qui a fait cet ordre de la volonté en lui. |
Vel secundum causam finalem; sicut quando aliquis in
gloriam Dei facta sua ordinat, propter quam Deus omnia facit; et in his
duobus essentialiter conformitas consistit. Vel secundum causam formalem, ut aliquis ex caritate
velit, sicut Deus omnia ex caritate vult; ex habitu enim est forma actus, et
in hoc consistit perfectio conformitatis. Hujus autem dicti ratio haec est,
quia essentialis assimilatio aliquorum attenditur secundum illud unde species
trahitur: species autem cujuslibet actus voluntarii trahitur ex objecto, quod
est forma voluntatis producentis actum. |
Soit selon la cause finale, tout
comme lorsque quelqu’un ordonne ses actions à la gloire de Dieu, gloire en
vue de laquelle Dieu a fait toutes choses ; et c’est dans ces deux
derniers rapports que la conformité consiste essentiellement. Soit selon la cause formelle, comme
lorsque quelqu’un veut par charité, tout comme Dieu veut toute chose par
amour ou par charité ; c’est de l’habitus en effet que vient la forme de
l’acte et c’est en cela que consiste la perfection de la conformité. Mais la
raison de ce qui est dit ici est que l’assimilation essentielle de certains
se vérifie selon ce d’où l’espèce se tire : mais l’espèce de tout acte
volontaire se tire de son objet, ce qui est la forme de la volonté qui
produit l’acte. |
Ad objectum autem alicujus actus duo concurrunt: unum quod
se habet quasi materialiter, et alterum quod est sicut formale, complens
rationem objecti; sicut ad visibile concurrit lux et color. Illud autem quod
se habet materialiter ad objectum voluntatis, est quaecumque res volita: sed
ratio objecti completur ex ratione boni. Unde ex hoc actus voluntatis humanae
conformatur voluntati divinae quod tendit in bonum sicut voluntas divina. Et
ex hoc etiam actus bonus est repraesentans bonitatem divinam. Et haec est
conformitas secundum causam efficientem, quia Deus unamquamque voluntatem in
bonum ordinavit. Et hoc vult Deus nos velle, inquantum voluntas nostra
ordinata est. |
Mais deux choses se rapportent à
l’objet de tout acte : une qui se présente comme matériellement et
l’autre comme formellement qui accomplit la notion d’objet, tout comme deux
choses concourrent à l’objet visible, à savoir la lumière et la couleur. Mais
ce qui se présente comme matériellement à l'égard de l’objet de la volonté
est toute chose voulue : mais la raison ou la notion d’objet est achevée
par la notion de bien. D’où il suit que l’acte de la volonté humaine se
conforme à la volonté divine du fait qu’il tend au bien comme la volonté
divine. Et c’est de là aussi que l’acte bon est une image de la bonté divine.
Et telle est la conformité selon la cause efficiente car Dieu a ordonné toute
volonté au bien. Et c’est cela que Dieu veut que nous voulions dans la mesure
où notre volonté est ordonnée. |
Sed haec conformitas includit conformitatem finis,
inquantum hoc volitum habet rationem bonitatis ex fine, etsi quandoque etiam
in se bonum sit; unde ex hoc attenditur essentialiter conformitas, non autem
ex ipsa re volita ex qua actus speciem non trahit. Sed habitus caritatis
addit perfectionem in bonitate actus. Et ideo secundum causam formalem
attenditur perfectio conformitatis, ut tanto actus voluntatis nostrae divinae
voluntati sit conformior, quanto est melior et perfectior. |
Mais cette conformité inclut la
conformité de la fin, en tant que cet objet voulu tient de la fin la raison
de bien, bien que parfois aussi il soit un bien en soi ; d’où il suit
que c’est à partir de cela que se vérifie essentiellement la conformité, mais
non à partir de la chose voulue elle-même de laquelle l’acte ne tire pas son
espèce. Mais l’habitus de la charité ajoute une perfection à la bonté de
l’acte. Et c’est pourquoi c’est d’après la cause formelle que se vérifie la
perfection de la conformité de telle manière que plus l’acte de notre volonté
est conforme à la volonté divine, meilleur et plus parfait il est. |
[3378] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod volitum non est perfectio voluntatis, vel objectum, nisi
inquantum stat sub ratione boni, sicut nec color objectum visus et perfectio,
nisi secundum quod stat sub actu lucis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
l’objet voulu n’est la perfection de la volonté ou son objet que dans la mesure
où il se tient sous la notion de bien, tout comme la couleur n’est l’objet de
la vue et sa perfection que si elle se tient sous l’acte de la lumière. |
[3379] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 2 Unde patet ad secundum responsio. |
2. D’où il
suit que la réponse à la deuxième difficulté est évidente. |
[3380] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eo qui peccat,
voluntas rationis non tendit in id quod est sibi bonum, sed in id quod est
alteri bonum, scilicet concupiscibili et irascibili: non enim homo dicitur
homo propter concupiscibilem vel irascibilem, sed propter rationem; et ideo
non est bona voluntas. Si tamen irascibilis per se tenderet in suum objectum,
quod est suum bonum, non est culpabilis, sicut est in brutis, et haberet
quamdam conformitatem ad voluntatem divinam inquantum tendit in id in quod
ordinavit eam Deus. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que dans celui qui commet le péché la volonté de la
raison ne tend pas vers ce qui lui est un bien, mais vers ce qui est le bien
d’un autre, à savoir vers le bien du concupiscible et de l’irascible: en
effet, on ne dit pas de l’homme qu’il est homme en raison de l’irascible ou
du concupiscible, mais à cause de la raison; et c’est pourquoi sa volonté
n’est pas bonne. Si cependant l’irascible tend de lui-même vers son objet,
qui est son bien, il n’est pas coupable, comme c’est le cas pour les brutes
animales, et il a une certaine conformité à l’égard de la volonté divine
selon qu’il tend vers ce à quoi Dieu l’a ordonné. |
[3381] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod passio Christi habebat duo: scilicet quod erat salvativa humani generis; et sic haec
res volita stabat sub ratione boni et erat volita a Deo et a sanctis: vel secundum quod erat afflictiva innocentis, et sic non
habebat rationem boni, et sic erat volita a Judaeis, unde non volebant bonum
simpliciter nisi per accidens, sed per se loquendo volebant simpliciter malum
aestimatum bonum, inquantum satisfaciebant irae suae, vel invidiae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la passion du Christ comportait deux éléments essenties : à savoir
qu’elle était salvatrice du genre humain et ainsi cet objet voulu se
tenait sous la raison de bien et était voulu de Dieu et des saints ;
d’autre part elle était cause de la souffrance d’un innocent et ainsi elle
n’avait pas raison de bien et c’est en ce sens qu’elle était voulue par les
Juifs, d’où il suit qu’ils ne voulaient que par accident le bien
pris absolument, mais à parler proprement ils voulaient le mal
absolument qu’ils jugeaient comme un bien selon qu’ils donnaient satisfaction
à leur colère et à leur envie. |
[3382] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sicut forma naturalis est in materia ab agente, ita forma bonitatis
est in volito a fine; et sicut materia improportionata ad formam adveniente
debito agente nunquam consequitur formam, sicut lapis non fit caro a virtute
digestiva; ita etiam volitum improportionatum ad bonitatem, quantumcumque sit
bonus finis, nunquam bonitatem recipit; et talia sunt quae per se sunt mala,
ut furari et hujusmodi; nisi deformitas tollatur auctoritate divina, ut
supra, distinc. XLVII, quaest. unica, art. 3, dictum est. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que tout comme la forme naturelle est dans la matière par l’intervention de
l’agent, de même la forme du bien est dans l’objet voulu à cause de la
fin ; et tout comme une matière qui advient à la forme par un agent qui
convient, si elle n’est pas proportionnée, n’est jamais suivie de la forme,
tout comme la pierre ne devient pas de la chair par la puissance de
digestion, de même encore un objet voulu qui n’est pas proportionné au bien,
si bonne que soit la fin, ne reçoit jamais la forme du bien ; et tels
sont les actes qui sont mauvais par eux-mêmes comme voler, et les actes de la
sorte, à moins que leur dérèglement ne soit retiré par l’autorité divine
ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. XLVII, quest. unique, art. 3]. |
[3383] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum quod omne volitum divinum imitatur voluntatem ipsius inquantum est
sicut Deus vult, non tamen imitatur in ratione volendi, et bonitate actus
voluntatis; sed solum actus voluntatis humanae tendens in bonum ad quod
ordinatum est secundum Dei voluntatem; unde non tantum est ibi conformitas
voluntatis nostrae inquantum est volita, sed inquantum est volens, et bonum
actum voluntatis eliciens. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
tout objet voulu qui est divin imite la volonté divine dans la mesure où il
est semblable à ce que Dieu veut, et il ne l’imite pas en raison du vouloir
et de la bonté de l’acte de la volonté ; mais l’acte de la volonté
humaine imite la volonté divine seulement en tendant au bien auquel il est
ordonné conformément à la volonté de Dieu ; d’où il suit qu’il y a là
conformité de notre volonté non seulement dans la mesure où elle est voulue
mais dans la mesure où elle veut en choisissant un bon acte de la volonté. |
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Articulus 3 [3384] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 tit. Utrum ad conformitatem
divinae voluntatis non teneamur |
Article 3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité de la volonté divine ? |
[3385] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ad
conformitatem divinae voluntatis non teneamur. Sicut enim rectitudo
voluntatis humanae est per conformitatem ad voluntatem divinam, ita rectitudo
intellectus nostri per conformitatem ad intellectum divinum. Sed non omnes
tenentur ad conformandum intellectum suum intellectui divino; alias nullus
habens falsam opinionem, salvaretur. Ergo et pari ratione non tenemur ad
conformitatem voluntatis. |
Difficultés: 1. Il semble que
nous ne soyons pas tenus d’être conformes à la volonté divine. En effet, tout
comme la rectitude de la volonté humaine a lieu par la conformité à la
volonté divine, de même la rectitude de notre intelligence a lieu par la
conformité à l’intelligence divine. Mais tous ne sont pas tenus à conformer
leur intelligence à l’intelligence divine, autrement aucun de ceux
qui ont une opinion fausse ne serait sauvé. Donc, pour la même raison, nous
ne sommes pas tenus à la conformité de notre volonté. |
[3386] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nullus obligatur ad impossibile
sibi; alias peccatum non esset voluntarium, sed necessarium. Sed voluntas obstinata in malo non potest divinae
voluntati conformis esse, quae semper bona est. Ergo videtur quod tales ad
conformitatem non tenentur. |
2. Par ailleurs, personne n’est
obligé à ce qui lui est impossible, autrement le péché ne serait pas
volontaire mais nécessaire. Mais la volonté qui s’obstine dans le mal ne peut
être conforme à la volonté divine, laquelle est toujours bonne. Il semble
donc que ceux-là ne sont pas tenus d’être conformes. |
[3387] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quicumque peccat, in ipso actu
peccati voluntatem suam voluntati divinae non conformat. Si ergo ad
conformitatem omnes tenemur, videtur quod quicumque peccat, duplici peccato
peccet; scilicet peccato transgressionis quod committit, et peccato
omissionis quo conformitatem non implet ad quam tenetur: et hoc est falsum. |
3. En
outre, quiconque commet le péché, c’est dans l’acte même du péché qu’il ne
conforme pas sa volonté à la volonté divine. Si donc tous étaient tenus à la
conformité, il semble que quiconque commettrait le péché serait doublement
fautif: à savoir par le péché de transgression qu’il commet et par le péché
d’omission par lequel il n’accomplit pas ce à quoi il est tenu: et cela est
faux; donc, etc. |
[3388] Super Sent., lib.
1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quicumque non facit id ad quod faciendum
obligatur, peccat mortaliter omittendo. Sed quicumque peccat venialiter, ipso
actu non conformat voluntatem suam voluntati divinae. Ergo si ad hoc tenetur, peccat mortaliter: quod falsum
est: ergo et primum. |
4. De plus, quiconque ne fait pas
ce à qu’il est tenu de faire commet un péché mortel par omission. Mais
quiconque commet un péché véniel, c’est par l’acte même qu’il ne conforme pas
sa volonté à la volonté divine. Si donc il était tenu à cela, il commettrait
un péché mortel, ce qui est faux ; donc, tous ne sont pas tenus de
conformer leur volonté à la volonté divine. |
[3389] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 5
Praeterea, quidquid vult Deus fieri, fit. Ergo quidquid vult nos velle, nos
volumus. [Sed mali non volunt bona facere. Ergo Deus non vult eos velle bona.
Si ergo conformitas humanae voluntatis ad divinam est in hoc quod homo vult
quod Deus vult eum velle, videtur quod homo peccando non recedat a
conformitate voluntatis : quod falsum est. |
5. Par ailleurs, tout ce que Dieu
veut, cela arrive. Donc, tout ce qu’Il veut que nous voulions, nous
[nous om. Éd. de Parme] le voulons. Mais les méchants ne veulent
pas faire le bien. Si donc la conformité de la volonté humaine à la volonté
divine consiste en ceci que l’homme veut ce que Dieu veut qu’il veuille, il
semble que l’homme pécheur ne s’écarte pas de la conformité de la volonté, ce
qui est faux. |
[3390] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 6
Praeterea, sicut volitum divinum est nobis ignotum, ita et finis ad quem opus
suum ab ipso ordinatur; cum etiam in rebus naturalibus plerumque difficile
sit assignare finem. Sed nullus tenetur ad id quod ignorat. Ergo ad illam
conformitatem quae est ex parte finis non tenemur. |
6. Aussi, tout comme ce qui est
voulu de Dieu nous est inconnu, de même aussi nous est inconnue la fin à
laquelle il ordonne son œuvre, tout comme dans les choses naturelles aussi il
nous est difficile d’assigner la fin. Mais nul n’est tenu à l’égard de ce
qu’il ignore. Donc, nous ne sommes pas tenus à l’égard de cette conformité
qui se tient du côté de la fin. |
[3391] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 7
Praeterea, nullus tenetur ad id quod non est in potestate sua. Sed habere
caritatem non est nobis ex nobis. Ergo videtur quod ad illam conformitatem
quae est in forma caritatis, non teneamur. |
7. De plus, nul n’est tenu à
l’égard de ce qui n’est pas en son pouvoir. Mais posséder la charité ne nous
vient pas de nous. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus à cette
conformité qui consiste dans la forme de la charité. |
[3392] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnes tenemur ad obediendum Deo,
et ad habendum rectam voluntatem. Sed hoc non potest esse nisi conformemur
divinae voluntati. Ergo ad conformitatem ejus omnes tenemur. |
Cependant : 1. Nous sommes tous tenus d’obéir à Dieu
et d’avoir une volonté droite. Mais cela ne nous est possible qu’en nous
conformant à la volonté divine. Nous sommes donc tous tenus d’être conformes
à sa volonté. |
[3393] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod ad illud proprie dicitur aliquis teneri, quod si non facit,
peccatum incurrit. In omnibus autem et naturalibus et voluntariis peccatum
contingit ex hoc quod aliquid non pervenit ad illud ad quod ordinatum est, ut
in II Phys., text. 82, dicitur, ut patet in monstris et erroribus qui
contingunt in operatione artis. Sed tamen differenter est in naturalibus et
voluntariis: quia in naturalibus defectus ab ordine incidit ex necessitate ;
sed in voluntariis ipsa voluntas est causa sui defectus: quia in nobis est
posse deficere et non deficere. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’on dit
proprement de quelqu’un qu’il est tenu à ces choses qui, s’il ne les fait
pas, il encourt un péché. Mais dans toutes les choses, à la fois naturelles
et volontaires, la faute est possible du fait qu’un être ne parvient pas à ce
à quoi il est ordonné, ainsi que le dit le Philosophe [11 Physique,
texte 82], comme on le voit dans les monstres et les erreurs qui se
produisent dans les opérations de l’art. Mais il en va différemment dans les
opérations de la nature et dans celles de la volonté : car dans les
choses naturelles le dérèglement par rapport à l’ordre se produit
nécessairement ; mais dans les actes volontaires c’est la volonté
elle-même qui est la cause de son dérèglement : car il y a en nous le
pouvoir de défaillir et de ne pas défaillir. |
Unde defectus voluntatis ab eo ad quod ordinata est, non
solum habet rationem peccati, sed etiam culpae. Cum igitur dictum sit, quod
conformitas voluntatis attendatur secundum hoc quod tendit per actum suum in
id ad quod ordinatum est, oportet quod defectus conformitatis inducat
peccatum et culpam; et ideo tenemur ad conformitatem voluntatis. |
D’où il suit que le défaut ou le
dérèglement de la volonté par rapport à ce à quoi elle est ordonnée n’a pas
seulement raison de faute mais aussi de blâme. Donc, puisque nous avons dit
que la conformité de la volonté se vérifie selon ceci que par son acte elle
tend vers ce à quoi elle est ordonnée, il faut que le défaut de conformité
amène la faute et le blâme ; et c’est pourquoi nous sommes tenus à la
conformité de notre volonté. |
Sed sciendum, quod ad aliquid tenemur directe, quod
scilicet per se est in potestate nostra; et sic tenemur ad conformitatem, qua
volumus id quod congruit nos velle, et secundum rectum finem; quia in
utrumque istorum per naturalia nostra possumus. Ad aliquid vero tenemur
indirecte, sicut ad habendam gratiam, quod secundum se non est in potestate
nostra; sed in potestate nostra est facere aliquid, quo facto habebimus
gratiam; et sic tenemur etiam ad illam conformitatem quae est secundum formam
caritatis. |
Mais il faut savoir que nous sommes
tenus directement à quelque chose, à savoir à ce qui est par soi en notre
pouvoir ; et ainsi nous sommes tenus à cette conformité par laquelle
nous voulons ce qu’il convient que nous voulions et conformément à une fin
qui est juste car pour ces deux cas nous avons le pouvoir d’agir par nos
capacités naturelles. Mais nous sommes tenus à certaines choses
indirectement, par exemple à la possession de la grâce qui en elle-même n’est
pas en notre pouvoir ; mais il est en notre pouvoir de faire quelque
chose qui, étant fait, nous posséderons la grâce ; et ainsi nous sommes
tenus même à cette conformité qui a lieu selon la forme de la charité. |
[3394] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod non est simile de voluntate et intellectu: quia defectus
intellectus non est in potestate nostra, sicut defectus voluntatis: quia
intellectus violenter cogitur quandoque rationibus, ut in V Metaph.,
text. 6,
dicitur, non autem voluntas. Et tamen in his quae necessaria sunt ad salutem,
tenemur intellectum nostrum divino conformare, ut in his quae fidei sunt:
quia in his, si quod in nobis est facimus, divinum nobis non deerit
auxilium. In aliis etiam peccaret quis,
si voluntarie secundum intellectum verum impugnaret, et falso adhaereret. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’il n’en va pas de même pour la volonté et pour l’intelligence car le
défaut de l’intelligence n’est pas en notre pouvoir comme le défaut de la
volonté. La raison en est que l’intelligence, mais non la volonté, est
parfois contrainte avec force par des raisons ainsi que le dit le Philosophe
[V Métaphysique, texte 6]. Et cependant, pour les choses qui sont nécessaires
au salut, comme c’est le cas pour les vérités de la foi, nous sommes tenus de
conformer notre intelligence à l’intelligence divine car dans ce cas, si nous
faisons ce qui est en notre pouvoir, l’assistance divine ne nous manquera
pas. Mais dans les autres cas aussi il y aurait péché si, en combattant
volontairement ce qui est vrai selon l’intelligence, on adhérait à ce qui est
faux. |
[3395] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod dum voluntas est obstinata, simul divinae voluntati
conformis esse non potest; sed in statu viae nullus est qui mentis
obstinationem non possit deponere, et sic divinae voluntati conformari: sed damnatis
est in poenam inflictum ut ab obstinatione sua nunquam curentur, et tamen
manet in eis culpa perpetua cum poena numquam : non tamen demerentur,
quia non sunt in via, sed ad terminum viae, ubi est poena, devenerunt. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’aussi
longtemps que la volonté s’entête dans le mal, elle ne peut être
simultanément conforme à la volonté divine ; mais dans la condition de
cette vie, il n’y a personne qui ne puisse abandonner l’entêtement de
l’esprit et ainsi se conformer à la volonté divine : mais à ceux qui ont
été condamnés au chatiment, il a été imposé de ne jamais être guéris de leur
entêtement, et cependant il demeure toujours en eux la faute éternelle avec
le châtiment : et ils n’arrivent cependant pas à gagner des mérites car ils
ne sont plus sur le chemin, mais ils en sont venus au terme du chemin où se
trouve le châtiment. |
[3396] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod conformitas voluntatis est communis ad omnia praecepta legis
naturalis et scriptae quibus in bonum ordinamur: unde quicumque peccat contra
quodcumque praeceptum, contra conformitatem peccat; non tamen facit duo
peccata, quia commune non ponit in numerum contra proprium. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que la conformité de la volonté est commune par rapport à tous les préceptes
de la loi naturelle et de la loi écrite par lesquels nous sommes ordonnés au
bien : d’où il suit que quiconque est fautif à l’encontre de n’importe
quel précepte est fautif à l’égard de la conformité ; il ne fait
cependant pas deux fautes, car le commun ne pose rien par le nombre en dehors
de ce qui est propre. |
[3397] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod praecepta affirmativa non obligant ad semper; eo quod
impossibile est nobis semper agere, ut in Lib. De somno et vigilia dicitur:
et ideo non oportet quod semper actu voluntatem nostram divinae conformemus;
sed sufficit quod semper in habitu, et quandoque in actu. Unde qui peccat
venialiter, non committit contra conformitatem, sed solum praeter
conformitatem facit, sicut praeter legem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que les préceptes affirmatifs n’obligent pas à la continuité du fait qu’il
nous est impossible d’agir toujours comme le dit le Philosophe [Du Sommeil
et de la Veille] : et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que
nous conformions toujours en acte notre volonté à la volonté divine ;
mais il suffit que nous la conformions toujours par l’habitus et parfois en
acte. D’où il suit que celui qui commet un péché véniel n’est pas fautif à
l’encontre de la conformité, mais il agit seulement à côté de la conformité
tout comme il agit à côté de la loi. |
[3398] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod cum dicitur conformitatem attendi secundum hoc quod volumus id
quod vult nos Deus velle, intelligitur de voluntate antecedente, cujus
effectus est ordo naturae nostrae in bonum. Objectio autem procedit de
voluntate consequente, et ideo non procedit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu
que lorsqu’on dit que la conformité se vérifie selon ceci que nous voulons ce
que Dieu veut que nous voulions, cela s’entend de la volonté antécédente,
dont l’effet est l’ordre de notre nature par rapport au bien. Mais la
difficulté procède de la volonté conséquente et c’est pourquoi l’argument ne
tient pas. |
[3399] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod licet finem proprium scire non possimus, finem tamen ultimum a
quo est omnis bonitas in finibus proximis, scire possumus, ut scilicet omnia
in Deum ordinemus, qui propter seipsum universa fecit, ut dicitur Proverb.
16. |
6. Il faut dire en sixième lieu que
bien que nous ne pouvons connaître la fin propre, nous pouvons cependant
connaître la fin ultime, de laquelle vient tout bien dans les fins
prochaines, de telle manière que nous pouvons ordonner tous nos actes à Dieu
qui a fait toute chose pour Lui-même comme le dit l’Écriture [Proverbes 16,
4]. |
[3400] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum patet responsio per id quod dictum
est. |
7. La réponse à cette difficulté est
évidente au moyen de ce qui a été dit. |
|
|
Articulus 4 [3401] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 tit. Utrum ad conformitatem
in volito teneamur |
Article 4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans ce qui est voulu ? |
[3402] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ad
conformitatem in volito non teneamur. Nullus enim ad ignotum tenetur. Sed volitum divinum est nobis ignotum, sicut et ejus
praescitum. Ergo videtur quod ad hoc non teneamur. |
Difficultés : 1. Il semble que nous ne soyons pas tenus
à la conformité à l’objet voulu. Nul en effet n’est tenu à l’égard de
l’inconnu. Mais ce qui est voulu de Dieu nous est inconnu, tout comme ce qui
est connu de Lui à l’avance. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus à la
conformité à cet égard. |
[3403] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 2 Si
dicatur, quod potest alicui revelari; contra. Posito quod
alicui sua damnatio reveletur, iste non tenetur suam damnationem velle;
quinimmo tenetur suam salutem velle, quia tenetur se ex caritate diligere, et
sibi summum bonum optare. Ergo non tenetur velle quod scit Deum velle. |
2. Si on dit que cela peut être
révélé à certains, je réponds à l’encontre de cela que si sa damnation est
révélée à quelqu’un, ce dernier n’est pas tenu de vouloir sa damnation ;
bien au contraire, il est tenu de vouloir son salut car il est tenu de
s’aimer par charité et de choisir pour lui-même son plus grand bien. Il n’est
donc pas tenu de vouloir ce qu’il sait que Dieu veut. |
[3404] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, Christus sciebat passionem suam a Deo esse volitam, et tamen
aliqua voluntate passionem noluit, ut infra dicit Magister, in III, dist.
XVII. Cum igitur Christus nihil omiserit eorum quae sunt de rectitudine
vitae, ad quae omnes tenemur, videtur quod ad conformitatem in volito non
teneamur. |
3. Par ailleurs, le Christ savait
que sa passion était voulue de Dieu et cependant par une certaine volonté il
ne la voulait pas comme le dit plus loin le Maître [111 Sent.,
dist. XVII]. Donc, puisque le Christ n’a rien négligé des choses qui font
partie de la rectitude de la vie auxquelles nous sommes tous tenus, il semble
que nous ne soyons pas tenus à la conformité à l’objet voulu. |
[3405] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 4 Item
objicitur de beata Virgine, quae passionem Filii non voluit; alias de morte
tristata non fuisset, quod est contrarium ejus quod habetur Luc. 2, 35:
« Tuam ipsius animam pertransibit gladius ». |
4. En outre, on présente une objection
au sujet de la Vierge Marie qui ne voulut pas la passion de son Fils
autrement elle ne se serait pas attristée de sa mort, ce qui est contraire à
ce qui est établi dans l’Écriture [Luc 2, 35] : «Et
toi-même, une épée te transpercera l’âme». |
[3406] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, voluntas divina innotescit nobis per
signa voluntatis. Sed permissio, quae
est unum signorum, est etiam de malis culpae, quae nullo modo velle debemus.
Ergo non tenemur conformare voluntatem nostram divinae in volito. |
5. De plus, la volonté divine se
fait connaître à nous par les signes de la volonté. Mais la permission, qui
est un des signes, se rapporte aussi aux maux de la faute que nous ne devons
vouloir en aucune manière. Nous ne sommes donc pas tenus de conformer notre
volonté à la volonté divine par rapport à l’objet voulu. |
[3407] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed
contra, super illud Psal. C : « Non adhaesit mihi cor pravum »,
dicit Glossa: cor pravum habet qui non vult quod Deus vult. Sed omnes tenemur non
habere cor pravum. Ergo tenemur ad conformandum voluntatem nostram voluntati
divinae in volito. |
Cependant: 1. Au contraire, sur ce passage de
l’Écriture [Psaume C]: «Le coeur insensé ne s’est pas attaché
à moi», la Glose dit: celui qui ne veut pas ce que Dieu veut a un
coeur insensé. Mais nous sommes tous tenus de ne pas avoir un Coeur
insensé. Nous sommes donc tenus de conformer notre volonté à la volonté
divine quant à l’objet voulu. |
[3408] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, secundum Tullium, lib. De amic, amicorum
est idem velle et nolle. Sed tenemur Deo esse amici. Ergo tenemur idem velle
quod ipse vult. |
2. Par ailleurs, d’après Cicéron [De
l’amitié], il appartient aux amis de vouloir et de rejeter les mêmes
choses. Mais nous sommes tenus d’être les amis de Dieu. Nous sommes donc
tenus de vouloir les mêmes choses que Lui-même veut. |
[3409] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod Deus dicitur aliquid velle voluntate antecedente; et de hoc
non est dubium quin voluntatem nostram in tali volito divinae conformare
debeamus, quia hoc est in quod voluntas nostra ordinata est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’on dit de
Dieu qu’il veut quelque chose par la volonté antécédente ; et à ce sujet
il n’y a pas de doute que nous devions conformer notre volonté à la volonté
divine quant à ce qui est voulu, car c’est là ce à quoi notre volonté est
ordonnée. |
Dicitur etiam aliquid velle voluntate consequente; et hoc
volitum non semper notum est nobis, nisi quatenus operatione ejus
manifestatur; et hoc addit aliquam rationem bonitatis ad rem, ut possit esse
volita, quia Deus eam vult; sicut enim aliquid habet in se bonitatem, ut
facere eleemosynam, et tamen advenit sibi aliqua ratio bonitatis ex fine; ita
etiam advenit sibi aliqua ratio bonitatis ex hoc quod est volitum et
ordinatum a Deo. Eo enim ipso quod aliquid apprehenditur ut volitum a Deo,
apprehenditur ut bonum. Unde voluntas consequens hanc apprehensionem, tenetur
tendere in illud: alioquin non esset motus voluntatis bonus, nec Deo
conformis, si bonum refugeret. |
Mais on dit aussi de Lui qu’il veut
quelque chose par la volonté conséquente; et cet objet voulu n’est pas
toujours connu de nous, à moins qu’il ne nous soit manifesté par son
opération; et cela ajoute un rapport de bonté à la chose, de sorte qu’elle
puisse être voulue parce que Dieu la veut, tout comme en effet quelque chose
possède en soi de la bonté, comme faire l’aumône, et cependant il lui
survient un rapport de bonté du côté de la fin; c’est ainsi qu’il lui
servient un rapport de bonté du fait que cela est voulu et ordonné par Dieu.
En effet, du fait même qu’une chose est appréhendée comme voulue de Dieu,
elle est appréhendée comme un bien. D’où il suit que la volonté qui suit
cette apprehension est tenue de tendre vers cette chose: autrement le
mouvement de la volonté ne serait pas bon ni conforme à Dieu s’il se retirait
du bien. |
Sciendum tamen, quod
cum sint diversi gradus appetitus consequentes diversas apprehensiones,
nullus appetitus tenetur tendere in illud bonum cujus rationem non
apprehendit.Verbi gratia, in nobis est quidam appetitus sensitivus consequens
apprehensionem sensus, qui non est nisi de bono convenienti secundum corpus:
unde hoc appetitu appetitur delectabile secundum sensum; nullo autem modo
aliquod bonum spirituale, ut scientia. Est
et quaedam voluntas in nobis naturalis, qua appetimus id quod secundum se
bonum est homini, inquantum est homo; et hoc sequitur apprehensionem rationis,
prout est aliquid absolute considerans: sicut vult homo scientiam, virtutem,
sanitatem et hujusmodi. Est etiam in nobis quaedam voluntas deliberata
consequens actum rationis deliberantis de fine et diversis circumstantiis; et
secundum hanc tendimus in illud quod habet rationem bonitatis ex fine, vel ex
aliqua circumstantia. |
Il faut cependant savoir que
puisqu’il y a différents degrés d’appétits qui découlent de différentes
appréhensions, nul appétit n’est tenu de tendre vers ce bien dont il
n’appréhende pas la raison. En d’autres mots, il y a en nous un appétit
sensitif qui suit l’appréhension du sens et qui ne se rapporte qu’au bien qui
convient au corps : c’est pourquoi c’est par cet appétit qu’est désiré
ce qui est délectable selon le sens, mais en aucune manière n’est recherché
par lui un bien spirituel comme la science. Mais il y a aussi en nous une
volonté naturelle par laquelle nous désirons ce qui est un bien en soi pour
l’homme en tant qu’homme ; et cela découle de l’appréhension de la raison
selon qu’elle considère les choses dans l’absolu : par exemple l’homme
veut la science, la vertu, la santé et les choses de cette sorte. Mais il y a
aussi en nous une certaine volonté délibérée qui suit l’acte de la raison qui
délibère sur la fin et les différentes circonstances ; et c’est d’après
cette volonté que nous tendons vers ce qui a raison de bien à partir de la
fin ou de quelque circonstance. |
Si ergo sit aliquid quod habeat has omnes rationes
bonitatis, quilibet appetitus si sit rectus, tendit in hoc; si autem desit
aliqua ratio dictarum, oportet illum appetitum cui respondet talis ratio, non
tendere in hoc; sed forte in contrarium, si forte habeat contrariam rationem;
sicut secari propter sanitatem est contristabile secundum sensum, nec
secundum se bonum est, sed tantum ex fine; et ideo sectionem solum voluntas
deliberata eligit, sed voluntas naturalis et appetitus sensitivus abhorret. |
Si donc il existe quelque chose qui
possède toutes ces raisons ou ces rapports au bien, s’il existe un appétit
qui est droit, il tend vers cela ; mais s’il manque un des rapports dont
on a parlé, il faut que cet appétit, auquel correspond telle raison, ne tende
pas vers cela mais peut-être vers le contraire si par hasard il
possède une raison contraire ; par exemple, être amputé en vue de la
santé est affligeant selon le sens et n’est pas un bien en soi, mais
seulement par rapport à la fin ; et c’est pourquoi seule la volonté
délibérée choisit l’amputation, mais la volonté naturelle et l’appétit
sensible la fuit. |
Similiter etiam dicendum est in proposito. Si enim
apprehendatur aliquid esse volitum a Deo, quod praecipue per signum
operationis manifestatur; voluntas deliberata, quae sequitur rationem, prout
est comprehendens et conferens de ista ratione bonitatis, tenetur illud
velle, quamvis voluntas naturalis et appetitus sensitivus refugiant; et in
refugiendo voluntati divinae conformantur, inquantum tendunt in bonum
secundum rationem apprehensam; sicut est in illo qui pie dolet de morte
patris, vel alicujus utilis in Ecclesia. |
Il faut dire de même quant à notre
propos. Si en effet quelque chose était appréhendé comme voulu par Dieu, ce
qui est manifesté surtout par le signe de l’opération, la volonté délibérée,
qui suit la raison qui saisit et rassemble des éléments sur ce rapport au
bien, est tenue de vouloir cela bien que la volonté naturelle et l’appétit
sensible s’en éloignent ; et en s’éloignant ils se conforment à la
volonté divine selon qu’ils tendent vers le bien selon la raison appréhendée,
comme pour celui qui s’attriste naturellement de la mort du père ou de
quelque chose d’utile dans l’Église. |
Sciendum tamen, quod in talibus motus voluntatis
deliberatae in peccatoribus est corruptus, qui ex toto relinquunt
deliberationem rationis, et sequuntur impetum voluntatis naturalis et
sensitivae, murmurantes de Dei ordinatione; in justis vero viatoribus manet
quidem integer, sed imperfectus dupliciter. |
Il faut cependant savoir que dans
ces cas le mouvement de la volonté délibérée chez les pécheurs est corrompu,
lesquels abandonnent totalement la délibération de la raison et suivent
l’élan de la volonté naturel et de l’appétit sensible, se plaignant de
l’ordonnance de Dieu ; mais chez ceux qui cheminent dans la justice le
mouvement de la volonté délibérée demeure certes entier mais imparfait de
deux manières. |
Tum ex parte cognitionis, quia non plene voluntatem
divinam cognoscit: tum ex parte affectionis, quia retardatur ex motibus
inferioribus: unde in talibus sufficit non recalcitrare divinae ordinationi,
nec oportet gaudium experiri de hoc quod secundum voluntatem fit, sicut etiam
dicit Philosophus, in IV Ethic., cap. X, quod sufficit
fortem non tristari in periculis mortis, quamvis non gaudeat, sicut est in
actibus aliarum virtutum; et haec est conformitas viae. |
Tant du côté de la connaissance, car ils
ne connaissent pas pleinement la volonté divine, que du côté de l’affectivité
car ils sont retardés par les mouvements inférieurs : d’où il suffit
dans ces cas de ne pas regimber contre l’ordonnance divine, et il ne faut pas
éprouver de la joie au sujet de ce qui se produit selon la volonté, tout
comme le Philosophe [IV Éthique, ch. X] dit aussi qu’il suffit à
celui qui est fort de ne pas s’attrister dans les dangers de mort bien qu’il
ne s’en réjouisse pas, comme c’est le cas pour les actes des autres
vertus ; et telle est la conformité du chemin. |
Sed in beatis est motus voluntatis delibératione integer
et perfectus, tum ex parte cognitionis, quia voluntatem divinam plene
cognoscunt ; tum ex parte affectionis, quae dominatur omni inferiori
appetitui, nec in aliquo retardatur vel impeditur : unde in videndo
illud quod Deus vult, quod et ipsi volunt, gaudium experiuntur : de quo
in Psalm. LVII, 2, dicitur : « Laetabitur ustus cum viderit
vindictam ». |
Mais chez les bienheureux le
mouvement de la volonté par la délibération est entier et parfait, tant du
côté de la connaissance, car ils connaissent pleinement la volonté divine,
que du côté de l’affectivité qui commande à tout appétit inférieur et n’est
retardé ou empêché en rien : d’où il suit que, en voyant ce que Dieu
veut, eux-mêmes le veulent et en éprouvent de la joie ; et l’Écriture [Psaume LVII,
2] dit à ce sujet : « Joie pour le juste de voir la vengeance ». |
[3410] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod volitum divinum,
quantum ad voluntatem antecedentem, est nobis notum ex ipsa naturali
inclinatione ; sed volitum voluntatis consequentis innotescit nobis vel
per revelationem vel per operationem. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que
ce qui est voulu de Dieu, quant à la volonté antécédente, nous est connu de
par l’inclination naturelle elle-même; mais ce qui est voulu quant à la
volonté conséquente nous est connu soit par la revelation, soit par
l’opération. |
[3411] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod illa positio est quasi impossibilis : quia nulli
sua damnatio revelatur, sicut etiam nec Angelis, ut dicit Augustinus lib.
XI Supra Genes. Ad litt., cap. XVII et XVIII, col. 438 : si
tamen revelaretur, posset credere secundum comminationem et non secundum
praescientiam dictum : tenetur tamen velle istum ordinem justitiae, quo
si in peccatis moritur, damnatur ; quia hoc est quod Deus vult, et non
damnationem per se, neque culpam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu
que cette position est comme impossible : car à personne n’est révélée
sa damnation, tout elle ne l’est pas même révélée aux Anges, comme le dit
Saint-Augustin [XI Sur la Genèse au sens littéral, ch. XVII et
XVIII, col. 438] : si cependant elle était révélée, il pourrait croire
selon la menace et non selon ce qu’en dit la préscience : il est
cependant tenu de vouloir cet ordre de la justice par lequel s’il meurt dans
les péchés, il sera damné car c’est là ce que Dieu veut et non pas la damnation
en elle-même ni le péché. |
[3412] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Christus voluntate rationis deliberata volebat passionem suam,
et similiter beata Virgo, et quilibet sanctus ; quamvis voluntas
naturalis dissentiret. |
3. Il faut dire en troisième lieu
que le Christ, tout comme la bienheureuse Vierge et chacun des saints,
voulait sa passion par la volonté délibérée de la raison, bien qu’elle lui
répugnait par la volonté naturelle. |
[3413] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod permissio nunquam significat quod voluntas sit de culpa, sed
de bono quod adjungitur culpae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
que la permission ne signifie jamais que la volonté porte sur la faute
elle-même, mais plutôt sur le bien qui est rattaché à la faute. |
[1] Il
semble qu’on pourrait, en tenant compte d’Aristote traduire « selon
l’art » par scientifique. C’est un des sens du mot. — Quand Thomas
reprendra le sujet dans la Somme théologique, il posera la question : Cette
doctrine argumente-t-elle ? Ici il traite le même sujet mais en considérant
surtout la méthode.
[2] Note du traducteur :
Saint Augustin a écrit le De doctrina christiana pour formuler
des règles d’interprétation de l’Écriture. Il commence par faire une
distinction tout à fait générale entre les choses et les signes. Le livre I est
consacré aux choses. D’où une deuxième distinction : les choses dont on jouit,
celles dont on use, celles dont on jouit et dont on use. Le livre II est
consacré aux signes. Pierre Lombard, en ces trois permiers livres[2], ne
retient essentiellement que la distinction entre usage et fruition, que Thomas
reprendra par la suite dans son étude sur la volonté. (Ia// IIæ, qu. 11 et 16).
La perspective est alors très différente. Il ne s’agit plus de méthode pour
la sacra pagina, mais de l’étude des actes humains.
[3] Thomas opère en trois
étapes : Dieu peut-il être connu, ensuite peut-il être connnu par
l’intermédiaire des créatures et entre les deux articles, il pose le problème
de l’évidence de Dieu.
[4] Thomas réfute ici
l’argument de saint Anselme qui pense que Dieu est évident (Prologion, Livre
apologétique contre Gaunilion). L’argument sera repris avec des variantes
par Descartes et Leibnitz. Thomas rejette cette thèse par deux séries
d’arguments : Il en trouve la source dans l’habitude. Les hommes sont tellement
habitués à entendre le nom de Dieu qu’ils finissent par le considérer comme
évident. La seconde démonstration fait la différence entre ce qui est évident
en soi et évident pour nous. (Cf. C.G. I, 11 –Q. sur la
vérité, q. 10, a. 12).
[5] PARALL. : Ia, q. 45, a. 7 (vestige de
la Trinité) – Ia, q. 93, a. 6, c.
[6] «. Sur la mer fut ton
chemin, ton sentier sur les eaux innombrables. Et tes traces, nul ne les
connut. » (BJ. )
[7] Les noms essentiels (qui concernent l'essence) semblent
être les suivants : essence, personne, hypostase, nature, bonté.
[8] Il en reviendra à dire plus simplement en Pot. 2,
les deux puissances sont-elles identiques ?
[9] Les catégories
comprennent la substance et les 9 accidents. La substance n’est pas dans les accidents.
« La catégorie de la substance est plus noble que les autres catégories,
mais on ne l’attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (Trin. VII,V,
10) (Q. de pot. q. 1, a. 1 arg. 11). Il préfère l’emploi du
mot essence. BA 15, p. 536-537). Ce qui est dans la catégorie ou
dans le genre de la substance est dans un genre. Or Dieu n’est pas dans un
genre. Démontration CG. I, 25, - Q. de verit., q. 1, a.
1, c. – Q. de pot., q. 7, a. 3, ad 4.
[10] Les catégories ou
accidents sont au nombre de 9 : quantité, qualité, relation, action,
passion, temps, lieu, habitus. Il n’y a pas d’accidents en Dieu. Cf
Aristote Catégories, 4, 1 b 25.
[11] Il faut remarquer la
différence avec l’article précédant. Il s’agit ici de l’unité de nature du Père
et du Fils, alors que dans l’article précédant, il s’agissait d’une unité
numérique. Dans l’introduction on lit « en tant qu’ils sont un en essence
ou en notion ».
[12] Il s’agit de l’esprit
de l’homme (mens).
[13] Pour ces petites
questions, on trouve d’abord à la suite les objections des quatre articles, et
ensuite les quatre réponses.
[14] La distinction 17 est
consacrée à la charité. Parmi les parallèles deux grandes études : celle
de la Somme (IIa IIæ, q. 23 ss), et question 2 du De
virtutibus, (De caritate), qui ont été écrites vers la même époque.
En arrière plan, il faut remarquer l’étude des habitus, liès à la charité.
(« La foi est un habitus » Ia, IIæ, q.52, a. 1, sc.
).
[15] Ou complet
[16] PARALL. : Ia, qu. 26, a. 3.
[17] Dans l’introduction
l’article est signalé comme : « Recherche sur la pluralité des
noms divins donnés dans La Lettre ». Pour Ambroise, la
répartition est triple (De fide, prol. 2) : Il y a certains
noms qui montrent la propriété de la divinité ; il y en a certains qui
expriment la remarquable unité de la majesté divine ; d’autres qui parlent au
figuré et par image. Les identifications de la propriété sont la génération, le
Fils, le verbe, etc., celles de l’unité, la sagesse étenelle, la vertu, la
vérité,etc. la splendeur de la ressemblance : le caractère, le miroir,
etc. Lombard, dist. 22,ch. 1. On remarquera qu’à ces trois divisions s’opposent
les trois premières objections.
[18] Les hypostases sont les
substances spéciales à chacune des trois personnes de la Trinité, en tant que
substantiellement distinctes des deux autres. Elles sont subsistantes, sans
division. Le point de vue de Boèce : « Les Grecs, de façon plus
pertinente que nous, ont donné à la subsistence (sic) individuelle de la
nature rationnelle le nom d’hypostase, tandis que nous, par manque de termes
exprimant bien le sens de cette notion, nous avons repris le nom déjà utilisé
de persona pour désigner ce que les Grecs appellent
hypostase ». (Boèce, La personne du Christ, III, trad. H.
Merle).
[19] Voir Emery Trin. P.
304 note 6
[20] Note du traducteur :
Les trois distinctions 42, 43, 44, sont consacrées par Pierre Lombard à la
puissance de Dieu. Elles se situent, après les traités de la science de Dieu (d
35 à 41) et avant la volonté de Dieu (d 45 à 48) qui terminent
le livre I consacré à Dieu. Une première remarque importante : Thomas au
contraire des autres parle de puissance et non de toute puissance. Il y a un
rapport évident avec la question I du De Potentia, cependant l’ordre est
différent du fait que, dans les Sentences, il est obligé de suivre un ordre
imposé. Ces distinctions, aussi bien celle de Pierre Lombard et de Thomas, que
d’autres, sont étudiées dans un livre précieux : La puissance et son ombre de
Pierre Lombard à Luther, sous la direction d’Olivier Boulnois (Aubier 1994).
Nous avons conservé notre
traduction qui se veut aussi proche que possible du texte latin, pour que ceux qui
ont « un peu de latin », puisse suivre quasiment mot à mot la
traduction.
[21] Si l'on s'en tient à
l'analyse de Saint Bonaventure (d. 42 expositio textus), on peut dire que la d.
42 étudie la puissance et le possible, d. 43 la grandeur de la puissance, d 44
la puissance quant à son mode, sive qualitatem rerum.
[22] Plan du texte de P.
Lombard, donné par Thomas : 1. Pourquoi dit-on que Dieu est tout puissant, a)
Vérité, b) exclusion des trois objections : les actes corporels, les péchés,
les passions. –2. Démonstration – 3. Il conclut à la nature parfaite de la
toute puissance ; a) Autorités, b) résolution, c) multiplicité des relations.
Bonaventure divise le texte
en quatre parties : 1. La puissance est toute puissance, 2. Comment dit-on
qu’il peut tout, 3. Les signes qui révèle la puissance. 4. Les autres raisons
de sa toute puissance.
[23] Cf. E. -H. Weber, Dialogue
et dissensions entre st Bonaventure et st Thomas d’Aquin à Paris 1252-1273. Il
considère, à juste titre, que le texte de Mandonnet est fautif et qu’il faut
suppleer non.
[24] Éd. Mandonnet ajoute
: ex Avicenna, lib. De intellig, cap. IV.
[25] Éd. De Parme. Ce
paragraphe en entier [cum enim…una potentia] n’est pas dans les
manuscrits, précise Mandonnet.
[26] En Ia, qu.
32, a. 1, Thomas donne une liste d'attributs, ceux que les philosophes ont
reconnu : la puissance pour le Père, la sagesse pour le Fils, la bonté pour
l'Esprit Saint. Et ceux reconnus dans le mystère de la Trinité : génération,
filiation et procession. La réponse de I Sent. d2a2 éclaire ce
paragraphe. Il y a en Dieu des attributs (sagesse et bonté citées) distincts
l'un de l'autre et par analogie ils se retrouvent dans les créatures. Doctrine
attribuée à Denys par Thomas.
[27] C'est-à-dire l'essence.
[28] Les notions sont les
propriétés qui notifient distinctement chaque Personne de la Trinité. Pour
permettre de distinguer les trois Personnes, il faut qu'il y ait des propriétés
caractéristiques : paternité, filiation, procession, qui sont les notions
communes, et l'innascibilité (on peut considérer qu'elle est passive et qu'elle
ne constitue pas la personne). « …nous signifions en Dieu, non pas des
choses, mais comme des raisons formelles par lesquelles les Personnes sont
connues. (Ia, qu. 32, a. 2, ad 2). Ajoutons que «le pouvoir
créateur est commun à toute la Trinité. », ainsi que toutes les œuvres ad extra
(La Trinité, I, éd des Jeunes, pp. 196).
[29] « …la paternité
est appelée relation selon qu'elle se rapporte au Fils, elle est appelée
propriété en tant qu'elle convient seulement à Dieu, elle est appelée notion en
tant qu'elle est le principe formel pour connaître le Père »
[30] Le principium
essendi est le principe d'être, mais dans le De Potentia,
Thomas parle généralement d'identité pour l'essence et l'opération.
[31] PARALL : I Sent. d43q1a1 – Ia, qu.
25, a. 2 — CG. 1, 43 – Compendium 19 – Pot. qu. 1,
a. 6 — qu. 7. a. 1 – Phys. VIII lect. 23 – Méta. XII
lect. 8.
[32] « Dieu peut et
avec zèle, faire de mauvaises actions. »
[33] Éd. Mandonnet : perfectius
creatura habet quam in Deo sit Deus perfectum.
[34] Averroès.
[35] Rm. 11, 24
à propos de Greffé contre nature. Cf. Pot. qu.
1, a. 3, obj. 1.
[36] Le mal, étant négatif,
n’a pas d’intelligibilté.
[37] Le principe de
contradiction.
[38] Éd. Parme add. Nec
facere potest.
[39] Éd. Parme omet : ut
quod ignis manens ignis infrigidet.
[40] Cf. Pot. qu.
1, a. 4, obj. 5 : «Que le monde a dû être possible avant d’exister. Mais il ne
fut pas possible par les causes inférieures. » Les causes inférieures ne jouent
pas dans la création puisqu’elle est ex nihilo.
[41] Abélard fut condamné au
Concile de Sens, particulièrement pour cette assertion : « Quod pater sit
plena potentia, Filus quaedam potentia, Spiritus sanctus nulla potentia. »
[42] PARALL. : Pot. qu.
1, a. 2 – Ia, qu. 25, a. 2 — CG. I, 43 — Compendium 18
– Phys., VII, lect. 23 – Méta. XII, lect. 8.
[43] Objection en Pot. Question
1, a. 2.
[44] PARALL. : Pot. qu. 1, a. ?
[45] Il s’agit de
l’Intelligence issue de l’être premier, selon les théories du De causis et
d’Avicenne. Voir plus loin, qu. 2, a. 1, sc 1.
[46] PARALL. : CG. I, 80 ss., III, 97 — Verit qu.
23, a. 1 – Pot. qu. 1, a. 5 – qu. 10, a. 2, ad 6.
[47] PARALL. : CG. II,
23, Pot. qu. 3, a. 15.
[48] Glose de Jérôme (In
Jonas, verset 9, PL. 1137) : « Deus natura misericors est et paratus
ut salvet clementia quos non potest salvare justitia. »
[49] Saint Grégoire, Vita,
livre II, § 44.
[50] …Ils disent :
« Dieu n'avait-il pas d'autres moyens pour délivrer l'homme des misères de
sa condition mortelles ? » (à propos du Christ).
[51] Les adverbes qui
indiquent le temps.
[52] Il relie donc, comme
attributs de Dieu la science (Dist. 39) et la puissance (Dist. 42 à 44).
[53] PARALL. : Ia, qu. 25, a. 6.
[54] « Dieu a dû
engendrer égal à lui, celui qu'il a engendré ; car il n'a pu engendrer meilleur
que lui, puisqu'il n'y a rien de meilleur que Dieu. En effet, s'il l'eût voulu
sans le pouvoir, c'eût été impuissance s'il l'eût pu sans le vouloir, t'eût été
jalousie. Donc il a dû engendrer son Fils égal à lui-même. »
[55] « Toutes les
choses… qui sans être souverainement, ni également, ni immuablement bonnes ne
laissent pas de l’être même isolément et qui, prise dans leur ensemble, sont
tout à fait bonnes.(Gn.1, 3) » BA 9, p. 119.
[56] Sed tamen bona etiam
singula : bonnes…même isolément. (cf. note précédante).
[57] Il s’agit du Christ.
[58] Mandonnet signale, à
juste titre, le texte en faveur de l’Immaculée Conception, mais il y a une
petite restriction.
[59] Titre de l’article :
« A-t-il été plus convenable que ce soit le Fils qui s’incarne ou le Père
ou l’Esprit Saint ?
[60] PARALL. : Ia, qu.
19, a. 1 – qu. 5, a. 2 – CG I, 72, 73 – IV, 19 – QD
Verit., qu. 23, a. 1 – Comp. Theo., c. 32.
[61] « Les saintes
Ecritures appellent Dieu Raison (ou verbe, logos) ». Trad. M. De GANDILLAC.
[62] PARALL. : Ia, qu. 19, a. 2 – CG. I,
75, 76, 77 – QD Verit., qu. 23, a. 4.
[63] PARALL. : Ia, qu. 19, a. 4 – 1
Sent. d. 43, qu. 2, a. 1 – CG. II, 23 – QD Pot. Qu.
1, a. 5 – qu. 3, a. 15
[64] « La volonté
proprement dite est appelée volonté de bon plaisir et la volonté métaphorique
est appelée volonté de signe, parce que le signe d’une volonté est pris en ce
cas pour la volonté même » (Ia, qu. 19, a. 11, c).
[65] PARALL. : Ia, qu. 19, a. 2.
[66] « Parce que que
Dieu commande à beaucoup ce qu’ils ne font pas, et empêcher ce dont ils ont
soin et conseille ce qu’il n’acccomplissent pas ».