Commentaire du Livre des causes
Par saint Thomas d’Aquin
Traduction reprise par Serge Pronovost, 2019
Les œuvres complètes de saint thomas d’Aquin
https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
2019
Préface au Commentaire de Saint-Thomas sur le De Causis,
par Serges Pronovost
Leçon 1. Toute cause
première influe plus sur son effet que la cause universelle seconde.
Leçon 4. Ce qui est
créé en premier dans les choses, antérieurement à tout le reste, est l’être.
Leçon 7. L’intelligence
est une substance indivisible.
Leçon 9. Toute
intelligence tient sa stabilité et son essence du bien pur qui est la cause
première.
Leçon 13. Toute
intelligence intellige sa propre essence.
Leçon 15. Tout être
connaissant connaît sa propre essence par un retour complet sur elle.
Leçon 17. Toute puissance
unifiée est plus infinie qu'une puissance multiple.
Leçon 20. La cause
première gouverne toutes les choses créées sans se mêler à aucune d’elles.
Leçon 21. L’Être
premier est riche par lui-même et il est le plus riche.
Leçon 26. Aucune
substance se tenant par elle-même n’est soumise à la corruption.
Leçon 28. Toute
substance se tenant par son essence est simple et indivisible.
Saint-Thomas, dans son Commentaire aux Seconds Analytiques
d’Aristote (L. 1, l. 1V, n. 32), citant ce dernier, affirme que savoir, au sens
propre ou à parler absolument, c’est connaître les causes qui manifestent
pourquoi la chose est ainsi; l’homme en effet ne se satisfait pas de savoir ou
d’apprendre que cela existe ou qu’il en est ainsi, il cherche en outre à
comprendre, à connaître aussi le pourquoi, la cause. La science, prise en ce
sens, possède donc cette perfection qui permet de conduire à une compréhension
de la réalité examinée, à une mise en évidence d’un phénomène en tant que
découlant nécessairement de sa cause, et de tous les autres se trouvant dans
les mêmes conditions, elle est comme la porte qui s’ouvre sur le champ de
l’universel.
Or ce petit traité porte, ainsi que son
titre l’indique, sur les causes. Saint-Thomas ajoute cependant une précision à
ce sujet dans son proème et au tout début de la leçon 2 de son commentaire sur
le De Causis : ¨incipit hic agere de primis causis rerum¨,
soulignant que l’auteur de ce traité commence ici à traiter des causes
premières des choses. Or, si toute science, à parler absolument, consiste à savoir
pourquoi la chose existe ou est ainsi, quelle sera cette science qui traite ¨des causes premières des choses¨? Dans
un autre de ses commentaires, celui de la Métaphysique
d’Aristote (L. 1, l. 11, n. 51) voici ce qu’en dit le docteur angélique :
¨…in eamdem scientiam cadit nomen
sapientiae, quod quaerimus; scilicet in illam scientiam, quae est theorica,
idest speculativa primorum principiorum et causarum¨. Ce traité, le De Causis, est donc un traité
de métaphysique ou de philosophie première, et il appartient au sage
d’ordonner, c’est-à-dire de ramener les effets à leurs causes premières.
Avant d’entrer pleinement dans le
propos, rappelons brièvement que l’expression ¨cause première¨ se dit par
opposition à ce qu’on appelle ¨cause seconde¨ : par exemple, dans un
domaine déterminé, la destruction d’une maison, l’effet observé, on peut dire
que la cause seconde est l’incendie alors que la cause première dans ce cas en
est la foudre ou la négligence humaine; de même, la cause première de la
victoire est le général alors que les causes secondes en sont les lieutenants,
les sergents et chacun des soldats. Il faut, pour soutenir l’action des causes
secondes, la présence d’une cause première : d’une part parce qu’on ne
peut remonter à l’infini dans les causes secondes dans le cas où ces dernières
sont hiérarchisées, d’autre part parce que toute la puissance que les causes
secondes manifestent, elles la tiennent de la cause première, ce qu’on peut
vérifier au moyen des exemples présentés.
Je suggère d’autres exemples pour bien
ancrer le développement qui doit suivre. Ainsi, ce sac est porté par cet homme,
mais celui-ci est lui-même porté par le navire, lequel est porté par le
mouvement de la mer qui à son tour est porté par celui de la Terre causé par le
mouvement de la Lune qui tient le sien du mouvement du Soleil. Le sac est donc
ultimement porté par le mouvement du Soleil. Le Soleil est la cause première du
fait que le sac soit supporté et il est la cause permanente de l’action de
toutes les causes secondes qui collaborent à cet effet.
Au lieu d’un exemple tiré de l’ordre des
causes efficientes, voici un exemple pris dans l’ordre des causes finales.
Pourquoi je me lève le matin? Pour déjeuner, afin de pouvoir travailler, pour
avoir un revenu, pour satisfaire à tous mes besoins, pour être heureux. Cette
dernière finalité, être heureux, est la cause première du fait que je me lève
le matin et elle est aussi la cause de la causalité de toutes les causes
secondes qui entrent en jeu. Son influence est permanente et elle est
universelle, c’est-à-dire qu’elle s’applique à toutes les causes secondes. Elle
ne possède pas le caractère immédiat d’une autre cause finale seconde dont
l’influence est partielle, mais sa présence, bien qu’éloignée, est totale et
constamment agissante sur les causes secondes plus ponctuelles, comme celle
d’un entraîneur l’est sur tout le cours d’une partie de hockey par opposition à
celle d’un joueur, comme celle du Soleil sur l’ensemble des phénomènes
particuliers qui produisent leurs effets par lui dans notre environnement
naturel. Le Soleil est éloigné de nous mais par son action sur les causes
secondes, il est tout près de nous. Aussi pourrions-nous dire de lui qu’il nous
nourrit par l’intermédiaire des plantes qu’il fait croître des animaux qui s’en
nourrissent et ainsi qu’en un sens il est proche de nous puisque nous nous en
nourrissons médiatement, c’est-à-dire par l’intermédiaire des effets de son
action.
Arrêtons-nous un instant sur la notion
de causalité. Celle-ci implique forcément un ordre car la cause est
nécessairement antérieure en un sens à ce qu’elle cause. Par exemple, un homme
engendre un homme, un peintre imprime sur une toile la forme qu’il avait à
l’esprit. Qu’il s’agisse d’un agent univoque comme dans le premier cas ou d’un
agent analogue comme dans le second, toute cause cherche à reproduire dans son
effet une ressemblance de lui, sa forme : ¨Videmus quod unumquodque, inquantum est perfectum et actu ens,
similitudinem suam aliis tradit¨ (Commentaire
du De Causis, leçon 23).
C’est par sa forme qu’une chose existe
en acte : sans elle, elle n’existe qu’en puissance; une fois réalisée,
l’être qui la possède tend à la reproduire; cependant, il n’y a rien d’étonnant
à observer, dans l’univers matériel, malgré l’extrême diversité des formes, des
ressemblances entre les différents êtres qui le composent : tous en effet
possèdent une existence et des perfections à des degrés différents selon qu’ils
procèdent plus ou moins immédiatement d’un seul et même Être qui est
l’Existence même dans sa totalité et son absolu et qui donne son unité à la
multiplicité contenue dans l’Univers.
C’est ce Principe, cette Cause première
commune qui fait que de nombreux caractères, plus ou moins essentiels ou
accidentels, s’attribuent à une multiplicité d’êtres. Saint-Thomas donne
l’exemple de la chaleur qui se retrouve dans un corps chaud, dans le feu et
dans le Soleil; on pourrait aussi ajouter que le bien est dans toute réalité
naturelle, dans le vertueux et en Dieu; la vérité dans telle chose, dans le
jugement qui l’exprime et dans le concept qui englobe toute vérité; la beauté
dans une peinture, dans le paysage qu’elle représente et dans l’harmonie et les
lois naturelles qu’il exprime; cependant, ces notions de chaleur, de bien, de
vérité et de beauté ne se présentent pas d’une manière égale dans tous les cas
où il peut s’attribuer : le signe en est que le même terme ne se définit pas de la même façon dans chacun des
cas. La chaleur en effet ne se retrouve pas dans tout corps ni même toujours
dans tel corps, mais elle se retrouve toujours essentiellement dans le feu et
dans le Soleil en totalité comme dans sa cause. Le corps ne possède pas la
chaleur dans sa totalité, mais partiellement parce que sa chaleur n’est qu’une
participation qu’il tient de la chaleur du feu ou du Soleil.
Cette idée, Thomas d’Aquin l’exprime
clairement en citant Proclus (Commentaire,
leçon 12) : ¨…il y a trois façons pour un prédicat de s’attribuer à un sujet :
premièrement à la manière d’une cause, comme la chaleur s’attribue au soleil ;
deuxièmement d’une manière essentielle ou naturelle, comme la chaleur
s’attribue au feu ; troisièmement d’après une possession secondaire,
c’est-à-dire d’après une consécution ou une participation, c’est-à-dire lorsque
quelque chose n’est pas possédé dans sa plénitude mais comme secondairement et
partiellement, tout comme la chaleur se retrouve dans les corps élémentaires et
non dans cette plénitude selon laquelle on la retrouve dans le feu¨.
Si on garde l’exemple de la chaleur, non
seulement on voit qu’elle ne se présente ni également ni au même titre dans
tous les cas, mais on comprend en outre qu’il y a un ordre, une
hiérarchie : c’est parce que la chaleur se trouve d’abord essentiellement
dans le feu qu’elle peut se retrouver ¨secondairement¨
dans un corps. Participer vient en effet de deux mots latins : ¨pars¨ et
¨capere¨ qui signifient respectivement ¨partie¨ et ¨prendre¨; le terme
participer signifie donc ¨prendre une partie¨ de ce qui existe déjà en tant que
tout. Le corps ne possède qu’une partie de la chaleur, partie qu’il tient du
Soleil ou du feu qui la possède en totalité. C’est cette idée que Thomas
d’Aquin rend (Commentaire, leçon 16)
dans son commentaire lorsqu’il dit ceci dans un énoncé que je me permets de
traduire : ¨Tout ce qui se retrouve
dans une multiplicité doit se ramener à quelque chose de premier qui est
tel de par son essence même et duquel les autres tiennent d’être dits tels par
participation¨.
Dans l’exemple que nous avons développé,
la chaleur se retrouve donc premièrement dans le Soleil ou le feu,
secondairement dans un corps. Selon une expression latine chère à l’auteur du Commentaire du De Causis, il arrive que l’attribution se fasse selon du ¨per
prius¨ et du ¨per posterius¨. La chaleur s’attribue aux trois, mais en des sens
différents et c’est pourquoi il n’est pas univoque. Néanmoins, les sens ne sont
pas étrangers les uns aux autres car la chaleur du corps se comprend et se
définit par la chaleur du feu. C’est là le signe que la chaleur s’attribue ¨per
prius¨ au feu, ¨per posterius¨ au corps chaud.
Et c’est pourquoi aussi ce même terme de chaleur n’est pas équivoque
lorsqu’il est attribué au feu et au corps, mais plutôt analogue.
Dans ce Commentaire du De Causis, on présente certes l’univers matériel
comme comportant déjà, dans le genre des choses naturelles, des causes
premières, des causes secondes et des effets s’offrant tous à notre regard
ainsi que nous pouvons le constater dans certains des exemples présentés plus
haut, mais on le présente surtout comme résultant lui-même de causes secondes
et d’une Cause première. La cause première, c’est Dieu; les causes secondes, ce
sont les Intelligences créées immédiatement par Dieu et par l’intermédiaire
desquelles Il produit les autres effets. Il faut donc nécessairement conclure
de là que s’il existe déjà du ¨per prius¨ et du ¨per posterius¨ à l’intérieur
même de l’univers naturel, il y en aura encore bien davantage pour tout terme
qui se verra attribué à la fois à l’univers matériel et à l’univers spirituel
car ce dernier est la cause du premier et d’une causalité bien supérieure à la
causalité du premier.
Le Commentaire
du De Causis examine donc l’être dans son universalité et non seulement
celui de l’univers matériel et dans cette optique, l’être comprend quatre
ordres : la Cause première, les Intelligences,
les âmes et les corps. Mais de tels ordres, tout en demeurant distincts,
manifestent entre eux une certaine continuité ¨d’une manière telle que l’ordre des corps touche à celui des âmes, que
l’ordre des âmes touche à celui des intelligences et que celui des
intelligences touche à l’ordre divin¨, témoignant par cela qu’ils procèdent
tous, comme par une certaine parenté, d’une même intention, qu’ils font tous
partie en quelque sorte d’une même maison
dont le Père est la Cause première.
Cette continuité, c’est
à la leçon 19 de son Commentaire que Thomas d’Aquin la développe, montrant
ainsi que ce qu’on observe dans un ordre, on ne peut dire que cela n’existe
aucunement dans un autre ; au contraire, ce qui existe dans un ordre, dans
certaines conditions, cela existe aussi dans un autre, mais différemment :
¨partout où différents ordres sont
rattachés les uns aux autres, il faut que ce qui est premier dans l’ordre
inférieur, à cause de sa proximité immédiate à l’égard de l’ordre supérieur,
participe de la perfection de l’ordre supérieur¨, et plus précisément,
comme le dit Denys cité un peu plus loin, de
ce qui est dernier dans les ordres premiers. Et pour le manifester, il
indique que certains animaux participent d’une certaine ressemblance avec la
raison.
Si nous désirons
manifester cette continuité à l’intérieur même de l’ordre des âmes, considérant
que parmi les êtres naturels animés nous retrouvons les bêtes et les végétaux
et que celui des bêtes est supérieur à celui des végétaux puisqu’il possède
tout ce que possèdent les végétaux ( la vie végétative : nutrition,
croissance et reproduction) en plus de posséder les sens et le mouvement local,
nous ne pouvons faire autrement que d’admettre, considérant que la vie végétative
est ce qui est dernier dans l’ordre des animaux mais qu’elle est ce qui est
premier dans celui des végétaux, que les bêtes possèdent la vie végétative mais
sous une forme supérieure, sous la forme animale (c’est-à-dire par des tissus,
du sang, des glandes, de la chair etc.), puisqu’elle y participe de la forme du
sens, de la sensibilité qui est propre à l’animal, et non pas telle qu’on la
retrouve d’une manière inférieure chez les plantes par la sève et les fibres
ligneuses. On peut dire que la vie végétative des plantes est comme une
imitation de celle qu’on retrouve chez les animaux.
On pourrait établir la
même relation entre les Intelligences et l’âme humaine car ce qui est premier
dans l’homme, c’est sa raison qui participe d’une certaine manière des Intelligences
car l’universel qui est saisi immédiatement par ces dernières, l’homme le
saisit progressivement, peu à peu par sa raison, pas à pas, comme par un
certain mouvement lorsqu’elle acquiert une vérité en s’appuyant sur celles
qu’elle connaît déjà. L’univers n’est donc pas constitué de substances qui
n’ont aucun lien entre elles. On peut dire que le supérieur est dans
l’inférieur et inversement que l’inférieur est dans le supérieur, mais
différemment. Cette distinction est capitale dans tout le Commentaire du De Causis.
Si cette distinction n’est pas faite, on
peut être conduit à des confusions et à penser par exemple que ¨tout est en
tout¨ au même titre et absolument. En effet, puisqu’une cause produit un effet,
on peut dire en quelque sorte que la cause y soit présente et que l’effet
inversement doit déjà être présent dans la cause pour en procéder et par
conséquent, on peut être conduit à penser ce qui se trouve dans la cause doit
aussi être présent dans l’effet et inversement, au même titre. Par exemple, que
l’homme est en Dieu et que Dieu est dans l’homme (et même que Dieu est l’homme
et que l’homme est Dieu) et que les attributs de l’un sont identiques à ceux de
l’autre. C’est la théorie de l’égalité absolue et la négation de tout ordre, de
toute hiérarchie, de tout ¨per prius¨ et de tout ¨per posterius¨.
C’est à la leçon 14 de son Commentaire du De Causis que le Docteur
fait la nuance suivante en posant qu’en un sens, il est vrai de dire que tout
est en tout, mais à la manière de celui dans lequel il est. Voici son
explication. Il est vrai en effet que les effets préexistent dans la cause,
mais conformément à la puissance de la cause, c’est-à-dire suivant une modalité
supérieure, comme dans un modèle; inversement, la cause existe dans ses effets mais
suivant une modalité inférieure, non plus telle qu’elle est en elle-même,
c’est-à-dire un modèle, mais au contraire comme ¨iconice¨, c’est-à-dire par
participation, on pourrait dire aussi par imitation, par image. La lumière
reflétée par la Lune n’est qu’une faible image de celle du Soleil, à plus forte
raison celle qu’elle répand la nuit en ce lieu.
En ce sens on peut bien dire que Dieu
est en l’homme, non pas tel qu’Il est en lui-même, mais proportionnellement aux
capacités, à la nature limitée de l’être humain. On peut même dire qu’Il est
dans toute la nature, mais suivant un ordre, une hiérarchie, conformément aux
limites respectives de chaque nature déterminée contenue dans un genre
distinct, suivant la proximité ou l’intimité relative de chacune à l’égard de
la Cause première : pour développer cette similitude, on dira de l’homme
qu’il est une image de la Cause première alors que dans la plante ou la pierre
on y retrouve un vestige, une trace. En faisant cette distinction, l’auteur de
ce commentaire conserve à la cause sa dignité de cause, c’est-à-dire la
supériorité de sa puissance qui lui donne d’être cause, et à l’effet la nature
de sa dépendance et de son infériorité à l’égard de la cause, dépendance sans
laquelle l’effet n’est plus un effet.
Thomas d’Aquin, voulant souligner le
caractère absolument distinct de la Cause première à l’égard de tout ce qui
existe, à savoir qu’il est l’Être dont dépendent tous les êtres mais qui ne
dépend Lui-même d’aucun être, cite (Commentaire,
leçon 3) Denys qui dit ceci au chapitre V des Noms divins : ¨Dieu
en effet n'existe pas d’après une modalité
particulière et limitée, mais il contient à l’avance en lui la totalité de
l’être d’une manière absolue et infinie¨. Cette seule citation permet de comprendre pourquoi la
Cause première qui est Dieu ne se distingue pas des causes secondes par une
simple priorité de degré comme un être qui serait d’une nature supérieure,
comme on pourrait le dire d’une cause seconde supérieure, à savoir une
Intelligence d’un ordre supérieur. Elle se présente plutôt comme ce qui est
tout Autre, comme ce qui est supra-Premier, parce qu’elle est supra-Être. Il ne
s’agit pas d’une forme d’être qui serait d’un genre supérieur, mais d’un Être qui
transcende infiniment tout genre.
À
partir du moment où nous commençons à appréhender cela, lorsque nous saisissons
que tout terme qui s’attribue à une multiplicité dont les sujets diffèrent par
le genre s’attribue de manière analogue, le même terme sera à plus forte raison
analogue s’il est attribué à la Cause première puisque cette dernière
transcende tout genre. C’est le cas par exemple pour le terme ¨éternel¨ qui
peut se dire à la fois de Dieu, des Anges ou des Intelligences, de l’homme, et
même de tout corps vivant car Saint-Thomas affirme à la fin de la leçon V qu’en
un sens ¨tout corps vivant participe de
l’éternité quant à la génération¨, et même en un autre sens encore des
montagnes dont l’existence est totalement dans le temps mais dont la durée est
considérable.
Nous
pourrions donc appliquer ici aussi la distinction que nous avons faite plus
haut : ¨éternel¨ se dit de la Cause première ¨causaliter¨, elle se dit des
Intelligences ¨essentialiter¨ et du reste par une participation de la Cause première
par l’intermédiaire des Intelligences.
Mais c’est de Dieu seul que le terme éternel se dit absolument, alors
qu’il se dit du reste ¨secundum quid¨, par une plus ou moins grande
participation, selon une plus ou moins grande proximité de la Cause première.
C’est pourquoi, dans ce cas, il s’agit d’une attribution analogue où le terme
¨éternel¨ se dit ¨per prius¨ de Dieu car c’est de Lui seul que se vérifie la
définition pleine et entière de l’éternité telle qu’on la retrouve dans La Consolation de la Philosophie de
Boèce : ¨la possession entière,
parfaite et simultanée d’une vie sans terme¨, définition qui exclut de Lui
toute forme de mouvement et toute participation d’un autre.
Nous
pourrions nous demander pourquoi la Cause première qui est Dieu a voulu agir
par l’intermédiaire de causes secondes alors qu’Il aurait pu tout produire de
façon immédiate, sans intermédiaire? Mais il n’a pas produit seulement des
effets, il a donné à ces effets, et d’une manière tout à fait spéciale aux
Intelligences et à l’homme doués d’un esprit libre, d’être à leur tour des
causes, à des degrés différents conformément à leur nature. Pourquoi? Il leur a
donné non seulement d’exister et de faire partie de son Œuvre, ce qui constitue
déjà un bien immense qui mérite immense gratitude, mais aussi d’en être la
cause, de participer à la réalisation de cette Œuvre : ce faisant, il leur
communique aussi une dignité, un honneur. Pourquoi?
Parce
que Dieu est Amour. Bien plus éminemment qu’un artiste humain, il aime sa création
mais contrairement à l’œuvre de Michel-Ange, son œuvre n’est pas inerte,
immobile : elle est une image de sa Bonté à laquelle il donne d’être
aussi, dans la mesure de sa nature, cause de Bonté et de participer de sa
Divinité. La création n’est pas comme une marionnette mue de l’extérieur, mais
son existence, spécialement celle des Intelligences et de l’être humain, est
appelée à expérimenter une proximité et même une intimité avec le divin. Dieu
ne se contente pas en particulier de placer l’homme dans le jardin de la Terre;
il lui confie en plus la responsabilité de le gérer, y compris lui-même, non
pas comme quelque chose qui lui appartient en propre et dont il peut user à sa
fantaisie, mais comme un don sacré qui est le signe de cette infinie Bienveillance
qui en est la Cause première.
Prooemium [84235] Super De
causis, pr. Sicut philosophus dicit in X Ethicorum,
ultima felicitas hominis consistit in optima hominis operatione quae est
supremae potentiae, scilicet intellectus, respectu optimi intelligibilis.
Quia vero effectus per causam cognoscitur, manifestum est quod causa secundum
sui naturam est magis intelligibilis quam effectus, etsi aliquando quoad nos
effectus sint notiores causis propter hoc quod ex particularibus sub sensu
cadentibus universalium et intelligibilium causarum cognitionem accipimus.
Oportet igitur quod simpliciter loquendo primae rerum causae sint secundum se
maxima et optima intelligibilia, eo quod sunt maxime entia et maxime vera cum
sint aliis essentiae et veritatis causa, ut patet per philosophum in II
metaphysicae, quamvis huiusmodi primae causae sint minus et posterius notae
quoad nos: habet enim se ad ea intellectus noster sicut oculus noctuae ad
lucem solis quam propter excedentem claritatem perfecte percipere non potest.
Oportet igitur quod ultima felicitas hominis quae in hac vita haberi potest,
consistat in consideratione primarum causarum, quia illud modicum quod de eis
sciri potest, est magis amabile et nobilius omnibus his quae de rebus inferioribus
cognosci possunt, ut patet per philosophum in I de partibus animalium;
secundum autem quod haec cognitio in nobis perficitur post hanc vitam, homo
perfecte beatus constituitur secundum illud Evangelii: haec est vita
aeterna ut cognoscant te Deum verum unum. Et inde est quod philosophorum
intentio ad hoc principaliter erat ut, per omnia quae in rebus considerabant,
ad cognitionem primarum causarum pervenirent. Unde scientiam de primis causis
ultimo ordinabant, cuius considerationi ultimum tempus suae vitae deputarent:
primo quidem incipientes a logica quae modum scientiarum tradit, secundo
procedentes ad mathematicam cuius etiam pueri possunt esse capaces, tertio ad
naturalem philosophiam quae propter experientiam tempore indiget, quarto
autem ad moralem philosophiam cuius iuvenis esse conveniens auditor non
potest, ultimo autem scientiae divinae insistebant quae considerat primas
entium causas. Inveniuntur igitur quaedam de primis principiis conscripta,
per diversas propositiones distincta, quasi per modum sigillatim
considerantium aliquas veritates. Et in Graeco quidem invenitur sic traditus
liber Procli Platonici, continens CCXI propositiones, qui intitulatur
elementatio theologica; in Arabico vero invenitur hic liber qui apud Latinos
de causis dicitur, quem constat de Arabico esse translatum et in Graeco
penitus non haberi: unde videtur ab aliquo philosophorum Arabum ex praedicto
libro Procli excerptus, praesertim quia omnia quae in hoc libro continentur,
multo plenius et diffusius continentur in illo. Intentio igitur huius libri
qui de causis dicitur, est determinare de primis causis rerum. Et, quia nomen causae ordinem quemdam importat et in
causis ordo ad invicem invenitur, praemittit, quasi quoddam principium totius
sequentis operis, quamdam propositionem ad ordinem causarum pertinentem, quae
talis est. |
ProèmeComme l’affirme le Philosophe au livre X de son Ethique, la félicité ultime de l’homme consiste dans l’opération
humaine la plus noble qui est celle de sa puissance la plus élevée, à savoir l’intelligence, par rapport à
l’intelligible par excellence. Mais parce qu’un effet est connu par sa cause, il est
évident que la cause est par nature plus intelligible que l’effet, même
si parfois les effets, quant à nous, sont plus connus que leurs causes :
la raison en est que nous acquérons la connaissance des causes universelles
et intelligibles à partir des cas particulieurs perçus par nos sens. Il faut donc, à parler absolument, que les
causes premières
des choses soient en elles-mêmes les intelligibles par
excellence du fait qu’elles sont ce qui possède le plus d’être et de vérité
puisqu’elles sont la cause de l’essence et de la vérité des autres choses,
ainsi qu’on le voit chez le Philosophe au deuxième livre de sa Métaphysique, bien que, quant à nous,
ces causes premières soient moins connues et viennent à notre connaissance
postérieurement dans le temps: en effet, notre intelligence est à ces causes
ce que l’œil de la chouette est à la lumière du soleil qu’elle ne peut
parfaitement percevoir en raison de son excessive clarté. Il faut donc que la félicité ultime à laquelle
l’homme peut parvenir en cette vie consiste en la considération des causes premières, car le peu qu’il puisse en
connaître est encore plus désirable et plus digne d’intérêt que la totalité
de ce qu’il peut connaître des choses inférieures, ainsi qu’on le voit chez
le Philosophe au premier livre de son traité intitulé Des Parties des Animaux. Mais selon que c’est après la vie d’ici-bas que cette
connaissance trouve en nous son achèvement, c’est alors que l’homme parvient
à la félicité parfaite d’après cette parole de l’Évangile de Jean : «La vie
éternelle consiste à te connaître, toi le seul véritable Dieu.¨. Et c’est pour cette raison que l’intention des
philosophes était principalement de parvenir à la connaissance des causes
premières au moyen de tout ce qu’ils considéraient dans les choses. Il
résulte de là qu’ils rangeaient à la fin la science des causes premières, et
destinaient à la considération de cette science la dernière période de leur
vie. En premier lieu certes ils commençaient par la logique qui enseigne la
manière même d’aborder les sciences ; en deuxième lieu ils procédaient à
l’étude des mathématiques pour laquelle même les jeunes manifestent des
capacités ; troisièmement ils passaient à l’étude de la philosophie de
la nature qui exige du temps en raison de l’expérience; quatrièmement ils en
venaient à la philosophie morale pour laquelle les jeunes gens ne peuvent
être des auditeurs appropriés ; c’est à la fin seulement qu’ils
s’arrêtaient à la science divine qui considère les causes premières des êtres.
On retrouve donc certains écrits au sujet des premiers principes, répartis en
différentes propositions comme à la manière de ceux qui considèrent
séparément certaines vérités. C’est ainsi que nous a été transmis, écrit en
grec, un livre du platonicien Proclus, lequel contient deux cents onze
propositions et est intitulé Éléments
de Théologie. Mais on
retrouve aussi ce livre écrit en arabe
et que les Latins appellent le De Causis, qui a certainement été traduit de l'arabe et qu'on
ne retrouve pas en grec. Aussi semble-t-il avoir été tiré par quelque
philosophe arabe du livre que nous avons mentionné de Proclus, pour cette
raison surtout que tout ce qui est contenu dans ce livre se trouve à être
expliqué de façon plus complète et plus développée dans les Eléments de
Théologie. Donc l'intention de ce livre qu’on appelle le De
Causis est de traiter des causes premières des choses. Et parce que le
nom de cause implique un certain ordre et qu’on retrouve un ordre entre les
causes dans leurs rapports mutuels, l’auteur commence, comme à titre de principe pour
tout le reste de l’œuvre, par la présentation de cette proposition qui se
rapporte à l’ordre des causes : |
Lectio 1 [84236] Super De
causis, l. 1 Omnis causa primaria plus
est influens super suum causatum quam causa secunda universalis. Ad cuius
manifestationem unum corollarium inducit, per quod manifestatur primum sicut
per quoddam signum; unde subdit: cum ergo removet causa secunda
universalis virtutem suam a re, causa universalis prima non aufert virtutem
suam ab ea. Et ad huius probationem inducit tertium, dicens: quod est
quia universalis causa prima agit in causatum causae secundae antequam agat
in ipsum causa universalis secunda. Et
ex hoc concludit quod secundo positum est, et convenienter. Necesse est enim id quod prius advenit
ultimo abscedere; videmus enim ea quae sunt priora in compositione esse
ultima in resolutione. Sic igitur intentio huius propositionis in his tribus
consistit, quorum primum est quod causa prima plus influit in effectum quam
secunda, secundum est quod impressio causae primae tardius recedit ab
effectu, tertium est quod prius ei advenit. Quae
quidem tria Proclus proponit in duabus propositionibus, primum in LVI
propositione sui libri, quae talis est: omne quod a secundis producitur,
et a prioribus et causalioribus producitur eminentius, a quibus et secunda
producebantur; alia vero proponit in sequenti propositione quae talis
est: omnis causa et ante causatum operatur et post ipsum plurium est
substitutiva. His autem tribus praemissis ad ea manifestanda procedit,
primo quidem per exemplum, secundo per rationem, ibi: et causa prima adiuvat.
Exemplum autem videtur pertinere ad causas formales in quibus quanto forma
est universalior tanto prior esse videtur. Si igitur accipiamus aliquem
hominem, forma quidem specifica eius attenditur in hoc quod est rationalis,
forma autem generis eius attenditur in hoc quod est vivum vel animal;
ulterius autem id quod est omnibus commune est esse. Manifestum est autem in
generatione unius particularis hominis quod in materiali subiecto primo
invenitur esse, deinde invenitur vivum, postmodum autem est homo; prius enim
ipse est animal quam homo, ut dicitur in II de generatione animalium.
Rursumque in via corruptionis primo amittit usum rationis et remanet vivum et
spirans, secundo amittit vitam et remanet ipsum ens, quia non corrumpitur in
nihilum. Et sic potest intelligi hoc exemplum secundum viam generationis et
corruptionis alicuius individui. Et haec est eius intentio, quod patet ex hoc
quod dicit: cum ergo individuum non est homo, id est secundum actum
proprium hominis, est animal, quia adhuc remanet in eo operatio
animalis quae consistit in motu et sensu; et, cum non est animal,
est esse tantum, quia remanet corpus penitus inanimatum. Verificatur hoc
exemplum in ipso rerum ordine: nam priora sunt existentia viventibus et
viventia hominibus, quia remoto homine non removetur animal secundum
continentiam, sed e converso quia, si non est animal, non est homo. Et eadem
ratio est de animali et esse. Deinde cum dicit: et causa prima etc., probat
tria praedicta per rationem. Primum autem, scilicet quod causa prima plus
influat quam secunda, sic probat: eminentius convenit aliquid causae quam
causato; sed operatio qua causa secunda causat effectum, causatur a causa
prima, nam causa prima adiuvat causam secundam faciens eam operari;
ergo huius operationis secundum quam effectus producitur a causa secunda,
magis est causa causa prima quam causa secunda. Proclus autem expressius hoc sic probat: causa enim
secunda, cum sit effectus causae primae, substantiam suam habet a causa
prima; sed a quo habet aliquid substantiam, ab eo habet potentiam sive
virtutem operandi; ergo causa secunda habet potentiam sive virtutem operandi
a causa prima. Sed causa secunda per suam potentiam vel virtutem est causa
effectus; ergo hoc ipsum quod causa secunda sit causa effectus, habet a prima
causa. Esse ergo causam effectus inest primo causae primae, secundo autem
causae secundae; quod autem est prius in omnibus, est magis, quia perfectiora
sunt priora naturaliter. Ergo prima causa est magis
causa effectus quam causa secunda. Secundum, scilicet quod impressio causae
primae tardius recedat ab effectu, probat ibi: et quando removetur causa
secunda et cetera. Et inducit talem rationem: quod vehementius inest, magis
inhaeret; sed prima causa vehementius imprimit in effectu quam causa secunda,
ut probatum est; ergo eius impressio magis inhaeret; ergo tardius recedit.
Tertium, scilicet quod prius adveniat, probat ibi: et non est causatum causae
secundae etc., tali ratione. Causa secunda non agit in causatum suum nisi
virtute causae primae; ergo et causatum non procedit a causa secunda nisi per
virtutem causae primae; sic igitur virtus causae primae dat effectui ut
attingatur a virtute causae secundae; prius ergo attingitur a virtute causae
primae. Hoc autem uno medio Proclus sic probat. Causa prima est magis causa
quam secunda; ergo est perfectioris virtutis. Sed quanto virtus alicuius
causae est perfectior, tanto ad plura se extendit; ergo virtus causae primae
ad plura se extendit quam virtus causae secundae. Sed id quod in pluribus
est, prius est in adveniendo et ultimum in recedendo; ergo impressio causae
primae primo advenit et ultimo recedit. Est autem considerandum in quibus
causis haec propositio habeat veritatem. Et siquidem ad genera causarum
quaestio referatur, manifestum est quod habet veritatem in quolibet causarum
genere suo modo. Et in causis quidem formalibus exemplum inductum est. In
causis autem materialibus similis ratio invenitur; nam id quod primo
substernitur ut materia, causa est propinquioris materiae ut et ipsa
materialiter substet, sicut materia prima elementis, quae sunt quodammodo
materia mixtorum corporum. Utrumque autem horum ostendit idem esse in
efficientibus causis. Manifestum est enim quod, quanto aliqua causa efficiens
est prior, tanto eius virtus ad plura se extendit; unde oportet ut proprius
effectus eius communior sit. Causae vero secundae proprius effectus in
paucioribus invenitur; unde et particularior est. Ipsa enim causa prima
producit vel movet causam secundo agentem, et sic fit ei causa ut agat.
Inveniuntur igitur praedicta tria quae tacta sunt, primordialiter quidem in
causis efficientibus et ex hoc manifestum est quod derivatur ad causas
formales: unde et hic ponitur verbum influendi et Proclus utitur verbo
productionis quae exprimit causalitatem causae efficientis. Quod autem ex
causis efficientibus derivetur ad causas materiales, non est adeo manifestum,
eo quod causae efficientes quae sunt apud nos, non producunt materiam sed
formam; sed, si consideremus causas universales a quibus procedunt et
materialia rerum principia, necesse est quod hic ordo derivetur et ad materiales
causas ex causis efficientibus. Quia enim primae et supremae causae efficacia
seu causalitas ad plura se extendit, necesse est quod id quod primo subsistit
in omnibus sit a prima omnium causa. Deinde a causis secundis adduntur
dispositiones quibus materiae appropriantur singulis rebus. Quod etiam
utcumque in his quae apud nos sunt, apparet: nam omnibus artificialibus
materiam primam exhibet natura; deinde per artes quasdam priores materia
naturalis disponitur ut congruat particularioribus artificiis; comparatur
autem prima omnium causa ad totam naturam sicut natura ad artem; unde id quod
primo subsistit in tota natura est a prima omnium causa, quod appropriatur
singulis rebus officio causarum secundarum. In causis etiam finalibus
manifestum est verificari omnia praedicta, nam propter ultimum finem, qui est
universalis, alii fines appetuntur, quorum appetitus advenit post appetitum
ultimi finis et ante ipsum cessat; sed et huius ordinis ratio ad genus causae
efficientis reducitur, nam finis in tantum est causa in quantum movet
efficientem ad agendum, et sic, prout habet rationem moventis, pertinet
quodammodo ad causae efficientis genus. Si autem quaeratur in unoquoque
causarum genere utrum praedicta verificentur in omnibus causis quomodolibet
ordinatis, manifestum est quod non. Invenimus enim causas ordinari dupliciter: uno modo per se, alio modo
per accidens. Per se quidem quando intentio primae causae respicit usque ad
ultimum effectum per omnes medias causas, sicut cum ars fabrilis movet manum,
manus martellum qui ferrum percussura extendit, ad quod fertur intentio
artis. Per accidens autem quando intentio causae non procedit nisi ad
proximum effectum; quod autem ab illo effectu efficiatur iterum aliud, est
praeter intentionem primi efficientis, sicut cum aliquis accendit candelam,
praeter intentionem eius est quod iterum accensa candela accendat aliam et
illa aliam; quod autem praeter intentionem est, dicimus esse per accidens. In
causis igitur per se ordinatis haec propositio habet veritatem, in quibus causa
prima movet omnes causas medias ad effectum; in causis autem ordinatis per
accidens est e converso, nam effectus qui per se producitur a causa proxima,
per accidens producitur a causa prima, praeter intentionem eius existens. Quod autem est per se potius est eo quod est per accidens, et
propter hoc signanter dicit: causa universalis, quae est causa per se. |
Leçon 1. Toute cause première influe plus sur son
effet que la cause universelle seconde.
Pour le manifester, l'auteur introduit un corollaire au
moyen duquel cette première proposition se trouve à être manifestée comme par
un signe : « Donc, lorsque la cause
seconde universelle retire sa puissance d’une chose, la cause première
universelle n’en retire pas la sienne ». Et pour le prouver, il amène une troisième
proposition, en disant : «Il en est ainsi parce que la cause
première universelle agit sur l’effet de la cause seconde universelle avant même que cette
dernière agisse sur lui ». Et il conclut de là ce
qu’il a posé à juste titre
en second lieu. Il est nécessaire en effet que ce qui arrive en premier se
retire en dernier; nous voyons en effet que ce qui est premier dans la
composition est dernier dans la résolution. Ainsi donc l'intention de cette
proposition consiste à manifester ces trois points : premièrement que la
cause première agit davantage sur l’effet que la cause seconde ;
deuxièmement que l’action de la cause première se retire plus tardivement de
l’effet ; troisièmement qu’elle lui advient antérieurement à
l’impression de la cause seconde. Et ces trois points, Proclus les présente
dans deux propositions dont la première, à savoir la proposition 56 de son
livre dit : « Tout ce qui est
produit par des causes secondes est produit aussi d’une manière plus
excellente par ce qui est premier et qui a davantage raison de cause et d’où
procèdent les causes secondes elles-mêmes.». Et la deuxième est présentée
dans la proposition suivante qui dit : « Toute cause agit avant son effet et en produit après lui
davantage.¨ Ces trois propositions ayant été présentées, l’auteur
procède à leur manifestation et il le fait d’abord au moyen d’un exemple,
deuxièmement par un raisonnement là où il dit : la cause première assiste la cause seconde etc. L’exemple semble
cependant se rapporter aux causes formelles dans lesquelles la cause est
d’autant plus première qu’elle est plus universelle. Supposons donc un homme
dont la forme spécifique se vérifie en ceci qu’il est rationnel et la forme
générique en ceci qu’il est un vivant ou un animal ; si on procède
au-delà, ce qui est commun à tous est l’être. Il est manifeste cependant que,
dans la génération d’un homme particulier, on retrouve d’abord l’être dans un
sujet matériel, puis la vie et enfin l’homme ; ce sujet est en effet un
animal avant d’être un homme comme le dit le Philosophe au deuxième livre de
la Génération des Animaux. Et à
l’inverse dans le processus de la corruption, c’est l’usage de la raison qui
fait défaut en premier et la vie et la respiration demeurent, puis en
deuxième lieu disparaît la vie et il ne reste plus que l’être car ce qui est
corrompu n’est pas réduit au néant. Et ainsi cet exemple peut s’entendre
suivant l’ordre de génération et de corruption d’un individu. Et telle est
son intention qui devient évidente à partir de ce qu’il dit : donc, lorsque l’individu n’est plus un
homme, c’est-à-dire conformément à l’opération propre de l’homme, il est un animal parce que l’opération
de l’animal, qui consiste dans le mouvement et la sensation, demeure encore
en lui ; et lorsqu’il n’est plus
un animal, il est seulement un être,
car ce qui demeure, c’est un corps totalement inanimé. Cet exemple se vérifie
dans l’ordre même des choses : car les êtres sont antérieurs aux vivants
et les vivants aux hommes car si on enlève l’homme, on n’enlève pas l’animal
quant à sa conservation mais c’est plutôt l’inverse qui est vrai car si on
enlève l’animal, l’homme disparaît. Et le même raisonnement vaut pour le
rapport de l’animal à l’être. Ensuite lorsqu'il dit : « Et la
cause première assiste la cause seconde etc. » il prouve au moyen du
raisonnement les trois propositions dont nous avons parlé précédemment. Et
premièrement il prouve de la manière qui suit que la cause première est
davantage présente dans l’effet que la cause seconde ne l’est : ce qui
convient à l’effet convient à la cause d’une manière qui est
supérieure ; mais l’opération par laquelle la cause seconde produit son
effet est elle-même causée par la cause première car la cause première assiste la cause seconde en la faisant agir ;
donc la cause de cette opération selon laquelle l’effet est produit par la
cause seconde est davantage la cause première que la cause seconde. Proclus
cependant prouve cela d’une manière plus claire par ce qui suit : la
cause seconde en effet, puisqu’elle est un effet de la cause première, tient
sa substance de la cause première ; mais ce qui tient sa substance d’un
autre, c’est de cet autre aussi qu’il tient sa puissance ou sa force
d’opération ; donc, la cause seconde tient sa puissance ou sa force
d’opération de la cause première. Mais c’est par sa puissance ou sa force que
la cause seconde est la cause de son effet. Donc, le fait même d’être la
cause de son effet, la cause seconde le tient de la cause première. C’est
donc premièrement à la cause première, puis secondairement à la cause
seconde, qu’il appartient d’être la cause d’un effet ; mais dans tout
genre de choses, ce qui est premier à être tel l’est davantage car ce qui est
premier est plus parfait par nature. Donc, la cause première est davantage cause de
l’effet que ne l’est la cause seconde. Puis il prouve la deuxième proposition, à savoir que
l’action de la cause première se retire plus tardivement de l’effet que celle
de la cause seconde, là où il dit : et
lorsque se retire la cause seconde etc. Et il introduit le raisonnement
suivant : ce qui appartient à une chose avec plus de puissance lui
appartient davantage ; mais la cause première agit avec plus de
puissance sur l’effet que ne le fait la cause seconde ainsi que nous l’avons
prouvé ; donc son action est plus présente dans l’effet et s’en retire
donc plus tardivement. Il prouve enfin la troisième proposition, à savoir que
l’action de la cause première survient en premier, là où il dit : et il n’y a pas d’effet de la cause
seconde si ce n’est par la cause première etc., et il le fait par ce
raisonnement. La cause seconde n’agit sur son effet que par la puissance de
la cause première ; il est donc également vrai de dire que l’effet ne
procède de la cause seconde que par la puissance de la cause première. Ainsi
donc la puissance de la cause première donne à l’effet d’être atteint par la
puissance de la cause seconde ; il est donc atteint en premier lieu par
la puissance de la cause première. Proclus prouve cependant cela par un moyen
terme de la manière qui suit. La cause première est davantage cause que la
cause seconde ; elle est donc d’une puissance plus parfaite. La
puissance d’une cause a d’autant plus d’extension qu’elle est plus
parfaite ; donc la puissance de la cause première a plus d’extension que
celle de la cause seconde. Mais puisque ce qui se retrouve dans un plus grand
nombre de choses est le premier à survenir et le dernier à se retirer, il
s’ensuit que l’action de la cause première est la première à survenir et la
dernière à se retirer. Mais il faut considérer dans quelles sortes de cause
cette proposition conserve sa vérité. Et si la question se rapporte aux différents genres de
cause, il
est clair que cette proposition conserve sa vérité pour chaque genre de cause
suivant sa modalité causale respective. L’exemple dont on se sert ici est
certes pris dans les causes formelles mais le même raisonnement s’applique
aussi aux causes matérielles; en effet, ce qui est premier à se tenir sous tout le
reste en tant que matière est cause d’une matière prochaine qui devient
elle-même à son tour substrat, comme la matière première l’est pour les
éléments qui à leur tour sont la matière des
corps mixtes. Et il montre qu’il en est encore de même pour les causes
efficientes. Il est évident en effet que la puissance d’une cause possède d’autant
plus d’extension que cette même cause est première. Il résulte de là que son
effet propre doit être plus universel. Mais l’effet propre de la cause seconde
se retrouve de son côté dans un plus petit nombre de cas; il est donc plus particulier.
En effet, la cause première elle-même produit ou meut la cause efficiente
seconde et devient ainsi pour elle la cause de son efficience. Les trois points de
cette question se trouvent donc à être examinés principalement à travers
les causes efficientes et à partir de là il est clair qu’il y a application
aux causes formelles ; c’est la raison pour laquelle le verbe influer se
trouve à être placé ici et Proclus utilise le terme de production, ces termes
exprimant la causalité de la cause efficiente. Il n’est cependant pas à ce
point évident que ce qu’on observe à partir des causes efficientes s’applique
aux causes matérielles du fait que les causes efficientes qui nous entourent
ne produisent pas la matière mais la forme. Mais si nous considérions les
causes universelles d’où procèdent aussi les principes matériels des choses,
nous verrions qu’il est nécessaire que cet ordre s’étende des causes
efficientes aux causes matérielles. En effet, parce que la puissance ou la
causalité de la cause première et suprême a plus d’extension ou s’applique à
un plus grand nombre de choses, il est nécessaire que ce qui subsiste en
premier dans toutes les choses vienne de la cause première de tout ce qui
existe. Par la suite, des dispositions sont ajoutées par les causes secondes
par lesquelles les matières sont appropriées aux choses individuelles. Et il est évident que cela se vérifie aussi d’une
certaine manière dans les choses qui nous sont familières, car la nature
fournit une matière première à toutes les choses artificielles ; puis, au
moyen de certains arts qui sont premiers la matière naturelle est disposée de
manière à convenir à des métiers plus particuliers. Mais le rapport de la
cause première de tout ce qui existe à l’égard de la nature est le même que celui
de la nature à l’égard de l’art. Il résulte de là que ce qui subsiste en
premier dans toute la nature et qui est approprié aux choses individuelles
par la fonction des causes secondes vient de la cause première de tout ce qui
existe. Et il est évident que tout ce que nous venons de dire se vérifie
aussi des causes finales car c’est en vue de la fin ultime universelle que
les autres fins sont désirées et on voit bien que ces appétits suviennent
après l’appétit de la fin ultime et cessent avant elle ; mais la raison de cet
ordre se ramène au genre de la cause efficiente car la fin est cause pour
autant qu’elle meut l’agent à agir; et en ce sens, selon qu’elle a raison de moteur, elle
relève d’une certaine manière du genre de la cause efficiente. Cependant,
lorsqu’on demande si ce que nous avons dit pour chaque genre de cause se
vérifie pour toutes les causes d’après n’importe quel ordre, il est évident
que la réponse est non. Les causes en effet se trouvent à être ordonnées de
deux manières : par soi et par accident. Il y a certes un ordre par soi quand l’intention de la
cause première parvient à l’effet ultime au moyen de toutes les causes
intermédiaires, comme lorsque l’art du forgeron meut la main, puis la main
meut le marteau qui par son coup étale le fer, et c’est cet étalement que
visait dès le départ l’intention de l’artisan. L’ordre n’est cependant que par accident quand
l’intention de la cause ne porte que sur un effet prochain et que tout autre
effet résultant de cet effet prochain échappe à l’intention de l’agent
premier : par exemple, si quelqu’un allume une chandelle, s’il se trouve
que cette chandelle en allume une autre et que cette dernière à son tour en
allume une autre, cela n’était pas intentionnel. Mais ce qui échappe à
l’intention, nous l’appelons par accident ou accidentel. Donc, pour les causes qui sont ordonnées par soi et
dans lesquelles la cause première conduit toutes les causes intermédiaires à
l’effet visé, la proposition que nous examinons conserve sa vérité. Mais pour
les causes qui sont ordonnées par accident, c’est l’inverse car dans ce cas l’effet
qui est produit par soi par la cause prochaine est produit par accident par
la cause première et son existence échappe ainsi à son intention. Cependant, ce qui est par soi est préférable à ce qui
est par accident et c’est pour cette raison que l’auteur dit avec
insistance : ¨cause universelle¨,
laquelle cause est une cause par soi. |
Lectio 2 [84237] Super De
causis, l. 2 Praemissa prima propositione sicut
quodam principio ad totum tractatum sequentem, incipit hic agere de primis
causis rerum. Et dividitur in partes duas: in prima agit de distinctione
primarum causarum; in secunda de coordinatione sive dependentia earum ad
invicem, in 16 propositione, ibi: omnes virtutes quibus non est finis et
cetera. Prima dividitur in partes duas: in prima distinguit causas primas; in
secunda determinat de singulis, in 6 propositione, ibi: causa prima superior
est, et cetera. Causae autem universales rerum sunt trium generum, scilicet
causa prima quae est Deus, intelligentiae et animae, unde circa primum tria
facit: primo enim distinguit haec tria genera quorum primum est indivisum,
quia causa prima est una tantum; secundo distinguit intelligentias, ibi 4
propositione: prima rerum creatarum etc.; in tertia distinguit animas, 5
propositione, ibi: intelligentiae superiores et cetera. Circa primum duo
facit: primo distinguit tria praedicta genera; secundo ostendit quomodo
uniuntur per participationem quamdam in ultimo, in 3 propositione, ibi: omnis
anima nobilis et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: omne esse
superius aut est superius aeternitate et ante ipsam, aut est cum aeternitate,
aut post aeternitatem et supra tempus. Ad cuius propositionis intellectum
oportet primo videre quid sit aeternitas, deinde quomodo praedicta propositio
habeat veritatem. Nomen igitur aeternitatis indeficientiam quamdam sive
interminabilitatem importat: dicitur enim aeternum quasi extra terminos
existens; sed, quia, ut philosophus dicit in VIII physicorum, in omni motu
est quaedam corruptio et generatio in quantum aliquid esse incipit et aliquid
esse desinit, necesse est quod in quolibet motu sit quaedam deficientia; unde
omnis motus aeternitati repugnat. Vera igitur aeternitas cum indeficientia
essendi etiam immobilitatem importat. Et, quia prius et posterius in
duratione temporis provenit ex motu, ut patet in IV physicorum, ideo tertio
oportet quod sit aeternitas absque priori et posteriori tota simul existens,
secundum quod Boethius definit eam in fine de consolatione, dicens: aeternitas
est interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio. Quaecumque
igitur res cum indeficientia essendi habet immobilitatem et est absque
temporali successione, potest dici aeterna, et secundum hunc modum
substantias immateriales separatas Platonici et Peripatetici aeternas
dicebant, superaddentes ad rationem aeternitatis quod semper esse habuit,
quod fidei Christianae non est consonum. Sic enim aeternitas soli Deo
convenit. Dicimus autem eas aeternas tamquam incipientes obtinere a Deo esse
perpetuum et indeficiens sine motu et temporis successione, unde et Dionysius
dicit X capitulo de divinis nominibus quod non simpliciter sunt coaeterna Deo
quae in Scripturis aeterna dicuntur; unde aeternitatem sic acceptam quidam
nominant aevum, quod ab aeternitate primo modo accepta distinguunt. Sed, si
quis recte consideret, aevum et aeternitas non differunt nisi sicut anthropos
et homo. In Graeco enim evon aeternitas dicitur sicut et anthropos homo. His
igitur praemissis sciendum est quod haec propositio in libro Procli LXXXVIII
invenitur sub his verbis: omne enter, vel existenter, ens aut ante
aeternitatem est, aut in aeternitate, aut participans aeternitate.
Dicitur autem enter ens per oppositum ad mobiliter ens, sicut esse stans
dicitur per oppositum ad moveri; per quod datur intelligi quid est quod in
hoc libro dicitur omne esse superius, quia scilicet est supra motum et
tempus. Huiusmodi enim esse secundum utrumque auctorem in utroque libro in
tres gradus distinguitur; non tamen est eadem omnino ratio utrobique. Proclus
enim hanc propositionem inducit secundum Platonicorum suppositiones, qui,
universalium abstractionem ponentes, quanto aliquid est abstractius et
universalius tanto prius esse ponebant. Manifestum est enim quod haec dictio
aeternitas abstractius est quam aeternum; nam nomine aeternitatis ipsa
aeternitatis essentia designatur, nomine autem aeterni id quod aeternitatem
participat. Rursumque ipsum esse communius est quam aeternitas: omne enim
aeternum ens est, non autem omne ens est aeternum; unde secundum
praedicta ipsum esse separatum est ante aeternitatem, id autem quod est cum
aeternitate est ipsum esse sempiternum, id autem quod est aeternitatem
participans et quasi post aeternitatem est omne id quod esse aeternum
participat. Sed huius libri auctor in primo quidem aliqualiter cum praedictis
positionibus concordat. Unde exponit quod esse quod est ante aeternitatem
est causa prima, quoniam est causa aeternitati. Et ad hoc probandum
inducit quod in ipsa, id est aeternitate, est esse acquisitum,
id est participatum. Et hoc probat quia ea quae sunt minus communia
participant ea quae sunt magis communia; aeternitas autem est minus commune
quam esse; unde subdit: et dico quod omnis aeternitas est esse sed non
omne esse est aeternitas; ergo esse est plus commune quam aeternitas. Sic
igitur probat auctor quod aeternitas participat esse; ipsum autem esse
abstractum est causa prima cuius substantia est suum esse; unde relinquitur
quod causa prima est causa a qua acquiritur esse sempiternum cuicumque rei
semper existenti. Sed in aliis duobus membris divisionis recedit auctor huius
libri ab intentione Procli et magis accedit ad communes sententias et
Platonicorum et Peripateticorum. Exponit enim secundum gradum quod esse
cum aeternitate est intelligentia. Quia enim aeternitas, ut dictum est,
importat indeficientiam cum immobilitate, illud quod secundum omnia est
indeficiens et immobile, totaliter attingit aeternitatem; ponitur autem
secundum praedictos philosophos quod intelligentia sive intellectus separatus
habet indeficientiam et immobilitatem et quantum ad esse et quantum ad
virtutem et quantum ad operationem; unde CLXIX propositio Procli est: omnis
intellectus in aeternitate substantiam habet et potentiam et operationem.
Et secundum hoc probatur hic quod intelligentia est cum aeternitate, quia est
omnino secundum habitudinem unam ita quod non patitur aliquam alteritatem nec
virtutis nec operationis neque etiam destruitur secundum substantiam. Et
propter hoc etiam postea dicit quod parificatur aeternitati, quoniam
extenditur cum ea et non alteratur, quia scilicet ad omne id quod est
intelligentiae aeternitas se extendit. Tertium vero gradum exponit de anima
quae habet esse superius, scilicet supra motum et tempus. Huiusmodi enim
anima magis appropinquat ad motum quam intelligentia, quia videlicet
intelligentia non attingitur a motu neque secundum substantiam neque secundum
operationem. Anima autem
secundum substantiam quidem excedit tempus et motum et attingit aeternitatem,
sed secundum operationem attingit motum quia, ut philosophi probant, oportet
omne quod movetur ab alio reduci in aliquod primum quod seipsum movet. Hoc
autem secundum Platonem quidem est anima quae seipsam movet, secundum
Aristotelem autem est corpus animatum cuius motus principium est anima; et
sic utroque modo oportet quod primum principium motus sit anima, et ideo
motus est ipsius animae operatio. Et, quia motus est in tempore, tempus
attingit operationem ipsius animae; unde et Proclus dicit CXCI propositione: omnis
anima participabilis substantiam quidem aeternalem habet, operationem autem
secundum tempus. Et ideo hic dicitur quod connexa est cum aeternitate
inferius, connexa quidem aeternitati quantum ad substantiam, sed inferius
quia inferiori modo participat aeternitatem quam intelligentia. Quod probat
per hoc quia est susceptibilior impressionis quam intelligentia. Anima
enim non solum recipit impressionem causae primae sicut intelligentia, sed
etiam suscipit impressionem intelligentiae; quanto autem aliquid magis est
remotum a primo quod est aeternitatis causa, tanto debilius aeternitatem
participat. Et, quamvis anima attingat ad infimum gradum aeternitatis, tamen
est supra tempus sicut causa supra causatum; est enim causa temporis in
quantum est causa motus ad quem sequitur tempus. Loquitur enim hic de anima
quam attribuunt philosophi corpori caelesti, et propter hoc dicit quod est
in horizonte aeternitatis inferius et supra tempus. Horizon enim est
circulus terminans visum, et est infimus terminus superioris hemispherii,
principium autem inferioris; et similiter anima est ultimus terminus
aeternitatis et principium temporis. Huic autem sententiae etiam Dionysius
concordat X capitulo de divinis nominibus, hoc excepto quod non asserit
caelum habere animam, quia hoc Catholica fides non asserit. Dicit enim quod
Deus est ante aeternum et quod, secundum Scripturas, dicuntur aliqua aeterna
et temporalia, quod est intelligendum secundum modos positos in sacra
Scriptura; media autem existentium et factorum, id est generabilium, sunt
quaecumque secundum aliquid quidem aeternum, secundum aliquid vero tempus
participant. |
Leçon 2. Tout être supérieur est ou bien au-dessus
de l'éternité et avant elle, ou bien avec elle, ou bien après elle et
au-dessus du temps.
Cette première proposition ayant été présentée à titre
de principe pour tout le traité qui suit, l’auteur commence à traiter ici des
causes premières des choses, et il divise cet examen en deux parties :
dans la première il traite de la distinction des causes premières ; dans
la deuxième de leur coordination ou de leur interdépendance dans la
proposition 16 où il dit : toutes
les puissances pour lesquelles il n’y a pas de limite etc. La première
partie se divise elle-même en deux sections : dans la première il
distingue les causes premières ; dans la deuxième il traite de chacune
d’elles séparément dans la proposition 6 où il dit : la cause première est supérieure etc.
Mais les genres des causes universelles des choses sont au nombre de trois, à
savoir la cause première qui est Dieu, les intelligences et les âmes. C’est
pourquoi il fait trois choses dans la première partie : en premier lieu
en effet il distingue ces trois genres dont le premier est indivisé car il
n’y a qu’une seule cause première ; en deuxième lieu il distingue les intelligences
entre elles dans la proposition 4 où il dit : la première des choses créées etc. ; en troisième lieu il
distingue les âmes dans la proposition 5 où il dit : les intelligences supérieures etc. Relativement au premier point il fait deux choses :
en premier lieu il distingue les trois genres dont nous avons parlé ; en
deuxième lieu il montre, dans la proposition 3, comment ils sont unis par une
certaine participation à un principe ultime, là où il dit : mais toute âme supérieure etc. Au
sujet du premier point il présente cette proposition : Tout être supérieur est ou bien au-dessus
de l'éternité et antérieur à elle, ou bien avec elle, ou bien lui est
postérieur et au-dessus du temps. Pour avoir l’évidence de cette proposition, il faut
premièrement saisir ce qu’est l’éternité, puis chercher à comprendre comment
cette proposition est vraie. Donc, le nom d’éternité implique une certaine
perpétuité ou une absence de limite dans la durée : on appelle en effet
éternel ce qui existe en dehors des limites de la durée. Mais parce que,
comme le dit le Philosophe au huitième livre de la Physique, il y a dans tout mouvement corruption et génération
dans la mesure où quelque chose commence ou cesse d’exister, il est
nécessaire qu’on retrouve en tout mouvement une certaine fragilité ; il
résulte de là que tout mouvement répugne à l’éternité. Donc la véritable éternité
implique, en plus d’une existence perpétuelle, l’immutabilité. Et, parce que
l’avant et l’après dans la durée du temps provient du mouvement, comme on le
voit au quatrième livre de la Physique,
c’est pourquoi il faut en troisième lieu que l’éternité consiste dans une
existence complète et simultanée, au-delà de
l’avant et de l’après, conformément à la définition qu’en donne Boèce
à la fin de la Consolation de la
Philosophie, lorsqu’il dit : l’éternité
est la possession complète, simultanée et parfaite d’une vie sans fin. On peut donc dire qu’est éternel tout être qui possède
une immobilité avec une existence perpétuelle et qui n’est soumis à aucune succession
temporelle; et c’est en ce sens que les Platoniciens et les Péripatéticiens
disaient que les substances immatérielles séparées sont éternelles, ajoutant
à la notion d’éternité la possession de l’existence de toute éternité, ce qui
ne s’accorde pas avec la foi chrétienne. Prise en ce sens en effet l’éternité
ne convient qu’à Dieu. Nous disons cependant qu’elles sont éternelles parce
que, bien que leur existence ait un commencement, elles ont reçu de Dieu une
existence perpétuelle et indéfectible, indépendante du mouvement et de la
succession temporelle ; c’est pourquoi Denys dit, au chapitre 10 de son
livre intitulé Les Noms Divins, que
les réalités qui sont appelées éternelles dans les Écritures ne sont pas purement et simplement coéternelles de Dieu
et c’est pourquoi certains appellent ¨aevum¨ l’éternité prise en ce sens pour
la distinguer de l’éternité telle qu’entendue dans le premier sens. Mais si
on considère les choses comme il se doit, ces deux termes, à savoir ¨aevum¨
et ¨aeternitas¨, dont l’un est grec et l’autre latin et qui signifient tous
deux ¨éternité¨ ne diffèrent entre eux que comme ¨anthropos¨ diffère de
¨homo¨, lesquels termes, dont l’un est grec et l’autre latin, signifient
¨homme¨. Donc, ceci étant dit, il faut savoir que cette deuxième
proposition se présente en ces termes dans le livre de Proclus à la
proposition 88 : ¨Sous le rapport de l’éternité, tout être véritable lui est soit antérieur, soit
intérieur, soit participant¨. Mais Proclus parle ici d’être véritable par
opposition à l’être mobile, et il dit intérieur ou se tient en elle par
opposition à ce qui est mû; ces expressions donnent à comprendre ce qu’on
appelle dans ce livre tout être
supérieur, c’est-à-dire ce qui existe au-delà du mouvement et du temps. En
effet, une telle forme d’existence se trouve à être distinguée en trois
degrés par les deux auteurs dans chacun des livres mais la signification
n’est pas totalement la même dans les deux cas. Proclus en effet avance cette
proposition en suivant les principes des Platoniciens qui, en posant la
séparation des universels, affirmaient que ce qui est davantage séparé et
universel est davantage premier. Il est manifeste en effet que le terme
d’éternité est plus abstrait que le terme ¨éternel¨ car c’est l’essence même
de l’éternité qui est signifiée par le nom ¨éternité¨ alors que le terme
éternel signifie celui qui participe de l’éternité. Et en outre, l’être
lui-même est plus commun que l’éternité car tout ce qui est éternel est de l’être, mais tout être n’est pas
éternel; et conformément à ces principes, l’être séparé lui-même est
antérieur à l’éternité alors que l’être éternel lui-même est avec l’éternité
et que tout ce qui participe de l’éternité et lui est postérieur est tout ce
qui participe de l’être éternel. Mais l’auteur de ce livre, quant au premier membre de
la proposition, s’accorde certes d’une certaine manière avec les positions
qui précèdent et c’est pourquoi il affirme que ¨l’être qui est antérieur à l’éternité est la cause première puisqu’il
est la cause de l’éternité¨. Et pour le prouver il dit que c’est en elle, c’est-à-dire dans l’éternité,
qu’existe l’être acquis, c’est-à-dire l’être participé.
Et il le prouve par ceci que ce qui est moins commun participe de ce qui est
plus commun. Or l’éternité est moins commune que l’être ; c’est pourquoi
il ajoute : ¨Et je dis que l’éternité est de l’être, tandis que tout être n’est pas éternité; donc l’être est plus commun que l’éternité¨. C’est donc ainsi que notre auteur prouve que l'éternité participe de
l'être; mais l’être séparé lui-même est la cause première dont la substance
est son existence ou son être; c’est pourquoi il découle de là que la cause première est
celle par laquelle l’existence éternelle est acquise chez tout être qui
existe toujours. Mais pour ce qui est des deux autres membres de la
division, l’auteur de ce livre s’éloigne de l’intention de Proclus et se
rapproche davantage des opinions
communes aux Platoniciens et aux Péripatéticiens. Il explique en effet que le
deuxième degré de l’être supérieur, celui qui est l’être qui est avec
l’éternité ou lui est intérieur, c’est l’intelligence. En effet, puisque l’éternité, ainsi que nous l’avons
dit, implique perpétuité et immutabilité, ce qui sera perpétuel et immuable
sous tous les rapports accomplira parfaitement l’éternité. Or, ces
philosophes posent que l’intelligence ou l’intellect séparé possède la perpétuité et l’immutabilité à
la fois quant à l’être, à la puissance et à l’opération. C’est pourquoi la
proposition 169 de Proclus dit : ¨Tout
intellect possède sa substance, sa puissance et son opération dans l’éternité.¨ Et c’est d’après cette proposition qu’il est ici prouvé
que l’intelligence est avec l’éternité parce qu’elle se présente dans sa
totalité sous un seul rapport de telle manière qu’elle ne souffre aucune
altérité ni quant à la puissance ni quant à l’opération et elle n’est pas
détruite quant à sa substance. Et c’est pour cette raison qu’il ajoute aussi
par la suite qu’¨elle est rendue égale
à l’éternité puisqu’elle lui est coextensive et n’est pas sujette à
altération¨, parce que l’éternité s’applique en effet à tout ce qui est
le propre de l’intelligence. Et en troisième lieu enfin il présente le troisième
degré de l’être supérieur, à savoir l’âme, qui possède une existence qui
transcende le mouvement et le temps. Ce genre qui est celui de l’âme
s’approche davantage du mouvement que l’intelligence car cette dernière n’est
atteinte par le mouvement ni quant à sa substance ni quant à son opération.
L’âme transcende certes le mouvement et le temps quant à sa substance et
atteint l’éternité mais elle est atteinte par le mouvement quant à son
opération car, comme les philosophes le prouvent, tout ce qui est mû par un
autre doit se ramener à quelque chose de premier qui se meut soi-même. Mais
cela d’après Platon est l’âme qui se meut par elle-même alors que pour
Aristote c’est le corps animé dont le principe du mouvement est l’âme ;
et ainsi dans les deux cas il faut que le principe du mouvement soit l’âme de
sorte que le mouvement est l’opération de l’âme elle-même. Et parce que le
mouvement se déroule dans le temps, le temps atteint l’opération de l’âme
elle-même et c’est pourquoi Proclus dit dans sa proposition 191 : ¨Toute âme qui participe de l’éternité
possède certes une substance éternelle, mais son opération s’effectue dans le
temps¨. Et c’est pourquoi l’auteur dit ici que ¨l’âme est rattachée plus faiblement à l’éternité¨ : elle est
certes unie à l’éternité quant à sa substance, mais plus faiblement parce
qu’elle participe de l’éternité selon une modalité qui est inférieure à celle
de l’intelligence. Et il prouve cela en ajoutant qu’elle est plus susceptible d’impression que ne l’est l’intelligence¨. L'âme en effet ne reçoit pas seulement l'impression de la cause
première comme c’est le cas pour l'intelligence, mais elle reçoit aussi
l'impression de l'intelligence;
or, un être participe d’autant plus faiblement de l’éternité qu’il est
davantage éloigné du principe premier qui est la cause de l’éternité. Et
bien que l’âme effleure l’éternité à un degré infime, elle reste cependant
au-dessus du temps comme la cause est au-dessus de l’effet; l’âme est en
effet la cause du temps dans la mesure où elle est la cause du mouvement d’où
découle le temps. On parle en effet ici de l’âme que ces philosophes
attribuent aux corps célestes et c’est pour cette raison qu’il dit de cette
âme qu’elle ¨est dans la partie
inférieure de l’horizon de l’éternité et au-dessus du temps¨. L'horizon
en effet est comme un cercle qui est la limite du visible : il est la limite
dernière de l’hémisphère supérieur, et le commencement de l’hémisphère
inférieur; et de la même manière, l’âme est la fin de l’éternité et le début du temps. Même
Denys, au chapitre X des Noms divins, s'accorde avec cette opinion sauf qu’il n'affirme pas que le
ciel a une âme, parce que la foi catholique ne l’affirme pas. Il dit en effet que Dieu est
antérieur à l’éternité
et que si, d’après les Écritures, certaines choses sont dites éternelles et temporelles, cela doit s’entendre
selon le sens que leur donne ces mêmes Ecritures : ¨parmi les réalités existantes et produites, c’est-à-dire les
réalités engendrées, il y a celles qui sont éternelles sous
un rapport et qui participent du temps sous un autre rapport.¨ |
Lectio 3 [84238] Super De
causis, l. 3 Quia ea quae sunt superiorum,
inferioribus insunt secundum aliqualem participationem, postquam divisit tres
gradus superiorum entium, quorum unum est superius aeternitate, quod est
Deus, aliud autem est cum aeternitate, quod est intelligentia, tertium autem
post aeternitatem, quod est anima, nunc intendit ostendere quomodo tertium
participat et quod est primi et quod est secundi, dicens: omnis anima
nobilis tres habet operationes; nam ex operationibus eius est operatio
animalis et intelligibilis et operatio divina. Quae autem dicatur anima
nobilis intelligi potest ex verbis Procli qui hanc propositionem ponit
CCI, sub his verbis: omnes divinae animae triplices habent operationes:
has quidem ut animae, has autem ut suscipientes intellectum divinum, has
autem ut diis extraiunctae. Ex quo patet quod anima nobilis dicitur hic
anima divina. Ad cuius evidentiam sciendum est quod Plato posuit universales
rerum formas separatas per se subsistentes. Et, quia huiusmodi formae
universales universalem quamdam causalitatem, secundum ipsum, habent supra
particularia entia quae ipsas participant, ideo omnes huiusmodi formas sic
subsistentes deos vocabat; nam hoc nomen Deus universalem quamdam
providentiam et causalitatem importat. Inter has autem formas hunc ordinem ponebat
quod quanto aliqua forma est universalior, tanto est magis simplex et prior
causa; participatur enim a posterioribus formis, sicut si ponamus animal
participari ab homine et vitam ab animali et sic inde; ultimum autem quod ab
omnibus participatur et ipsum nihil aliud participat, est ipsum unum et bonum
separatum quod dicebat summum Deum et primam omnium causam. Unde et in libro
Procli inducitur propositio CXVI, talis: omnis Deus participabilis est,
id est participat, excepto uno. Et, quia huiusmodi formae quas deos
dicebant sunt secundum se intelligibiles, intellectus autem fit actu
intelligens per speciem intelligibilem, sub ordine deorum, id est
praedictarum formarum, posuerunt ordinem intellectuum qui participant formas
praedictas ad hoc quod sint intelligentes, inter quas formas est etiam
intellectus idealis. Sed intellectus praedicti participant praedictas formas
secundum modum immobilem, in quantum intelligunt eas. Unde sub ordine
intellectuum ponebant tertium ordinem animarum quae mediantibus intellectibus
participant formas praedictas secundum motum, in quantum scilicet sunt
principia corporalium motuum per quos superiores formae participantur in
materia corporali. Et sic quartus ordo rerum est ordo corporum. Inter
intellectus autem, superiores quidem dicebant esse divinos intellectus,
inferiores autem intellectus quidem sed non divinos, quia intellectus idealis
qui est per se Deus, secundum eos, participatur quidem a superioribus
intellectibus secundum utrumque, scilicet secundum quod est intellectus et
secundum quod est Deus, ab inferioribus vero intellectibus secundum quod est
intellectus tantum, et ideo non sunt intellectus divini; sortiuntur enim
intellectus superiores non solum quod sint intellectus sed etiam quod sint
divini. Similiter etiam cum animae applicentur diis mediantibus intellectibus
quasi propinquioribus, ipsae etiam animae superiores sunt divinae propter
intellectus divinos quibus applicantur vel quos participant; inferiores autem
animae veluti applicatae intellectibus non divinis sunt non divinae. Et, quia
corpora recipiunt motum per animam, consequens etiam est ut superiora corpora
sint divina, secundum eos, et inferiora corpora non divina. Unde Proclus
dicit CXXIX propositione: omne corpus divinum per animam deificatam est
divinum, omnis autem anima divina propter divinum intellectum, omnis autem
intellectus divinus secundum participationem divinae unitatis. Et, quia
deos appellabant primas formas separatas in quantum sunt secundum se
universales, consequenter et intellectus divinos et animas divinas et corpora
divina dicebant secundum quod habent quamdam universalem influentiam et
causalitatem super subsequentia sui generis et inferiorum generum. Hanc autem
positionem corrigit Dionysius quantum ad hoc quod ponebant ordinatim diversas
formas separatas quas deos dicebant, ut scilicet aliud esset per se bonitas
et aliud per se esse et aliud per se vita et sic de aliis. Oportet enim
dicere quod omnia ista sunt essentialiter ipsa prima omnium causa a qua res
participant omnes huiusmodi perfectiones, et sic non ponemus multos deos sed
unum. Et hoc est quod dicit V capitulo de divinis nominibus: non autem
aliud esse bonum dicit, scilicet sacra Scriptura, et aliud existens et
aliud vitam aut sapientiam neque multas causas et aliorum alias productivas
deitates excedentes et subiectas, sed unius esse omnes bonos processus.
Quomodo autem hoc esse possit, ex hoc ostendit consequenter quia, cum Deus
sit ipsum esse et ipsa essentia bonitatis, quidquid pertinet ad perfectionem
bonitatis et esse, totum ei essentialiter convenit, ut scilicet ipse sit
essentia vitae et sapientiae et virtutis et ceterorum. Unde post aliqua
subdit: etenim Deus non quodammodo est existens, sed simpliciter et
incircumscripte totum in seipso esse praeaccepit. Et hoc sequitur auctor
huius libri. Non enim invenitur inducere aliquam multitudinem deitatis, sed
unitatem in Deo constituit, distinctionem autem in ordine intellectuum et
animarum et corporum. Secundum hoc igitur dicitur anima nobilis, id
est divina anima caelestis corporis, secundum opinionem philosophorum qui
posuerunt caelum animatum; haec enim anima, secundum eos, habet aliquam
influentiam universalem super res per motum, et ex hoc divina dicitur eo modo
loquendi quo etiam apud homines qui universalem curam rei publicae habent
divi dicuntur. De hac ergo anima nobilissime divina dicit quod habet
operationem divinam, et exponens dicit quod operatio divina eius est quia
ipsa praeparat naturam, in quantum scilicet est principium primi motus
cui tota natura subiicitur. Et hoc habet per virtutem participatam a causa
prima quae est universalis omnium causa ex qua sortitur quamdam universalem
causalitatem in res naturales. Et ideo assignans rationem huius operationis
divinae animae convenientis dicit quod ipsa est exemplum, id est
imago, virtutis superioris, id est divinae. Exemplificatur enim in
praedicta anima universalitas divinae virtutis, quod scilicet, sicut Deus est
universalis causa omnium entium, ita praedicta anima est universalis causa
naturalium rerum quae moventur. Secundam autem operationem animae nobilis seu
divinae ponit intelligibilem, quae quidem, sicut ipse exponit, est in hoc
quod ipsa cognoscit res in quantum participat virtutem intelligentiae. Quare
autem virtutem intelligentiae participat, ostendit per hoc quod anima est
creata a causa prima mediante intelligentia; unde anima est a Deo sicut a
causa prima, ab intelligentia autem sicut a causa secunda. Effectus autem
omnis participat aliquid de virtute suae causae; unde relinquitur quod anima,
sicut facit operationem divinam in quantum est a causa prima, ita facit
operationem intelligentiae in quantum est ab ea, participans eius virtutem.
Hoc autem quod hic dicitur quod causa prima creavit esse animae mediante
intelligentia quidam male intelligentes, existimaverunt secundum auctorem
istius libri quod intelligentiae essent creatrices substantiae animarum. Sed
hoc est contra positiones Platonicas. Huiusmodi enim causalitates simplicium
entium ponebant secundum participationem; participatur autem non quidem id
quod est participans, sed id quod est primum per essentiam suam tale: puta,
si albedo esset separata, ipsa albedo simplex esset causa omnium alborum in
quantum sunt alba, non autem aliquid albedinem participans. Secundum hoc ergo
Platonici ponebant quod id quod est ipsum esse est causa existendi omnibus,
id autem quod est ipsa vita est causa vivendi omnibus, id autem quod est ipsa
intelligentia est causa intelligendi omnibus; unde Proclus dicit XVIII
propositione sui libri: omne derivans esse aliis, ipsum prime est hoc quod
tradit recipientibus derivationem. Cui sententiae concordat quod
Aristoteles dicit in II metaphysicae quod id quod est primum et maxime ens
est causa subsequentium. Est ergo intelligendum quod ipsa essentia animae,
secundum praedicta, creata est a causa prima quae est suum ipsum esse, sed
consequentes participationes habet ab aliquibus posterioribus principiis, ita
scilicet quod vivere habet a prima vita et intelligere a prima intelligentia;
unde et in 18 propositione huius libri dicitur: res omnes habent essentiam
per ens primum, et res vivae sunt per vitam primam, et res intelligibiles
habent scientiam propter intelligentiam primam. Sic ergo intelligit quod prima
causa creavit esse animae mediante intelligentia quod causa prima sola creavit
essentiam animae; sed, quod anima sit intelligibilis, hoc habet ex operatione
intelligentiae. Et hic sensus ostenditur manifeste per verba quae sequuntur: postquam
ergo, inquit, creavit causa prima esse animae, posuit eam sicut
stramentum intelligentiae, id est substravit eam operationi
intelligentiae, ut scilicet intelligentia agat in ipsam operationem suam,
dans ei ut sit intelligibilis. Unde concludit quod propter hoc anima
intelligibilis efficit operationem intelligibilem. Et hoc etiam concordat
cum eo quod dictum est in 1 propositione quod effectus causae primae
praeexistit effectui causae secundae et universalius diffunditur: esse enim
quod est communissimum, diffunditur in omnia a causa prima; sed intelligere
non communicatur omnibus ab intelligentia, sed quibusdam, praesupponendo esse
quod habent a primo. Sed etiam haec positio, si non sane intelligatur,
repugnat veritati et sententiae Aristotelis qui arguit in III metaphysicae
contra Platonicos ponentes huiusmodi ordinem causarum separatarum secundum ea
quae de individuis praedicantur. Quia sequitur quod Socrates erit multa
animalia, scilicet ipse Socrates et homo separatus et etiam animal separatum:
homo enim separatus participat animal et ita est animal; Socrates autem
participat utrumque, unde et est homo et est animal; non igitur Socrates
esset vere unum si ab alio haberet quod esset animal et ab alio quod esset
homo. Unde, cum esse intelligibile pertineat ad ipsam naturam animae utpote
essentialis differentia eius, si ab alio haberet esse et ab alio naturam
intellectivam sequeretur quod non esset unum simpliciter; oportet ergo dicere
quod, a prima causa a qua habet essentiam, habet etiam intellectualitatem. Et
hoc concordat sententiae Dionysii supra positae, scilicet quod non aliud sit
ipsum bonum, ipsum esse et ipsa vita et ipsa sapientia, sed unum et idem quod
est Deus, a quo derivatur in res et quod sint et quod vivant et quod
intelligant, ut ipse ibidem ostendit. Unde et Aristoteles, in XII
metaphysicae, signanter Deo attribuit et intelligere et vivere, dicens quod
ipse est vita et intelligentia, ut excludat praedictas Platonicas positiones.
Aliquo tamen modo potest hoc habere veritatem, si referatur non ad naturam
intellectualem, sed ad formas intelligibiles quas animae intellectivae recipiunt
per operationem intelligentiarum; unde et Dionysius dicit IV capitulo de
divinis nominibus quod animae per Angelos fiunt participes illuminationum
a Deo emanantium. Tertiam vero operationem animae nobilis sive divinae
ponit animalem. Et exponit quod animalis operatio est in hoc quod ipsa
movet corpus primum et per consequens omnia corpora naturalia; ipsa
enim est causa motus in rebus. Et huius rationem postea assignat. Quia
enim anima est inferior quam intelligentia utpote suscipiens
intelligentiae impressionem, consequens est ut inferiori modo
operetur in ea quae sunt sub ipsa quam intelligentia imprimat in
subiecta sibi, quia causa primaria plus influit quam secunda, ut ex 1
propositione patet. Intelligentia autem imprimit in animas sine motu, in quantum
scilicet facit animam cognoscere, quod est sine motu; sed anima imprimit in
corpora per motum, et id quod est sub ea, scilicet corpus, non recipit
impressionem animae nisi in quantum movetur ab ipsa. Et consequenter assignat
causam quare dicendum sit quod motus corporum naturalium sit ab anima;
videmus enim omnia corpora naturalia directe pervenire per suas operationes
et motus ad debitos fines, quod non posset fieri nisi ab aliquo intelligente
dirigerentur. Ex quo videtur
quod motus corporum sit ab anima quae influit virtutem suam super corpora,
movendo ea. Haec etiam positio non est rata in fide, scilicet quod motus
caeli sit ab anima; sed Augustinus hoc sub dubio relinquit in II super
Genesim ad litteram. Quod autem sit a Deo dirigente totam naturam et quod
corporalis creatura moveatur a Deo mediantibus intelligentiis sive Angelis,
hoc asserit Augustinus in III de Trinitate et Gregorius in IV dialogorum.
Ultimo autem concludit propositum, scilicet quod anima nobilis habeat tres
praedictas operationes. Ei autem quod dictum est de intellectu divino et
anima divina concordat sententia Dionysii qui, in IV capitulo de divinis
nominibus, superiores Angelos vocat divinas mentes, id est intellectus, per
quos etiam animae deiformi dono participant secundum suam virtutem; sed
divinitatem accipit secundum coniunctionem ad Deum, non autem secundum
universalem influentiam in creata. Illud enim est magis
divinum, quia et in ipso Deo maius est id quod ipse est quam id quod in aliis
causat. |
Leçon 3. Toute âme supérieure possède trois
opérations dont la première est animale, la deuxième intelligible et la
troisième divine.
Parce que les propriétés qui appartiennent aux êtres
supérieurs se retrouvent dans les êtres inférieurs selon une certaine
participation, après avoir distingué les trois degrés des êtres supérieurs
dont le premier, qui est Dieu, est au-dessus de l’éternité, le second, qui
est l’intelligence, est avec l’éternité, et le troisième, qui est l’âme, est
postérieur à l’éternité, l’auteur cherche maintenant à montrer de quelle
manière le troisième degré participe à la fois de ce qui appartient au
premier et de ce qui appartient
au second
en disant : ¨Toute âme supérieure
possède trois opérations car parmi ses opérations il y en a
une qui est animale, une qui est intelligible et une autre qui est divine¨. Ce qu'il appelle
¨âme supérieure¨ peut se comprendre à partir des mots mêmes de Proclus qui,
dans ses Éléments, présente cette
proposition 201 en ces termes : ¨Toutes
les âmes divines possèdent trois sortes d’opérations : celles qu’elles
possèdent en tant qu’elles sont des âmes, celles qu’elles ont en tant
qu’elles reçoivent l’intelligence divine et celles qu’elles possèdent en tant
qu’elles sont rattachées aux dieux¨. À partir de ce passage il est
clair que l’âme supérieure est appelée ici ¨âme divine¨. Et pour comprendre ce passage, il faut savoir que
Platon posait que les formes universelles des choses possèdent une existence séparée
et subsistante par elle-même. Et parce que selon lui de telles formes universelles
possèdent une certaine causalité universelle sur les êtres particuliers qui
en participent, c’est pourquoi il appelait ¨dieux¨ toutes ces formes
subsistantes ; ce
nom de « dieu », en effet, implique une providence et une causalité
universelles. Et parmi ces formes, Platon établissait l’ordre suivant, à savoir que plus une forme est
universelle, plus elle est simple et plus sa causalité est première; en effet, elle est participée par
les formes qui sont secondes, comme par exemple lorsqu’on affirme que la forme
animale est participée par la forme humaine et que la forme de la vie est
participée par la forme animale et ainsi de suite ; mais la forme ultime
qui est participée par toutes les autres formes et qui ne participe elle-même
d’aucune autre forme est l’Un-Bien séparé lui-même qu’il appelait le ¨Dieu
suprême¨ et la cause première de tous les êtres. Et c’est pourquoi cette
proposition 116 est présentée dans le livre de Proclus : ¨Tout dieu
est participable - c'est-à-dire participe - excepté l’Un¨. Et parce que ces formes
que les Platoniciens appelaient ¨dieux¨ sont en elles-mêmes intelligibles et que l'intellect
n’intellige en acte qu’au moyen de l'espèce intelligible, ils rangeaient sous
l’ordre des dieux, c’est-à-dire
des formes dont nous avons parlé, un ordre des intellects qui participent de ces formes
pour intelliger, formes parmi lesquelles se trouve aussi une intelligence
idéale. Mais ces intelligences,
en tant qu’elles intelligent ces formes, participent de ces formes selon un mode immobile. Et c’est pourquoi, sous
cet ordre des intelligences, ils posaient aussi un troisième ordre, à savoir
celui des âmes qui, par l’intermédiaires des intelligences, participent des
formes selon le mouvement, c’est-à-dire en tant que ces âmes sont les
principes des mouvements corporels au moyen desquels la matière corporelle
participe des formes supérieures. Et c’est de là que découle le quatrième ordre de
réalités qui est celui des corps. Mais parmi les intelligences, ils
appelaient divines celles qui sont supérieures alors que les inférieures
étaient certes appelées intelligences mais non pas divines, parce que
l’intelligence idéale qui est le Dieu par soi, selon eux, était certes
participé par les intelligences supérieures sous les deux rapports, à savoir
en tant qu’il est intelligence et en tant qu’il est Dieu, mais par les
intelligences inférieures seulement en tant qu’il est intelligence et c’est
pourquoi ces dernières n’étaient pas appelées intelligences divines. Les intelligences
supérieures reçoivent en effet en partage non seulement d’être des
intelligences mais aussi d’être divines. De même encore puisque les âmes supérieures
s’approchent des dieux par l’intermédiaire d’intelligences plus rapporchées,
ces âmes supérieures elles-mêmes sont en quelque sorte divines à cause des
intelligences divines auxquelles elles s’attachent ou dont elles participent;
les âmes inférieures cependant, comme attachées à des intelligences qui ne
sont pas divines, ne sont pas non plus divines et parce que c’est par l’âme
que les corps reçoivent le mouvement, il s’ensuit selon eux que les corps
supérieurs sont divins et que les corps inférieurs ne le sont pas. Et c’est
pourquoi Proclus dit à la proposition 129 : ¨C’est par l’intermédiaire de l’âme divinisée que tout corps divin est
divin, c’est à cause d’une intelligence divine que toute âme est divine mais
c’est du fait qu’il participe de l’Un divin que tout intellect est divin¨. Et parce que ces
philosophes appelaient ¨dieux¨ les premières formes séparées selon qu’elles
sont en elles-mêmes universelles, il en résulte que les intelligences, les
âmes et les corps étaient appelés ¨divins¨ du fait qu’ils exercent une
influence et une causalité universelles sur ce qui leur est subordonné dans
leur genre ou dans les genres inférieurs. Denys corrige cette position quant à ceci qu’ils
affirmaient l’existence d’une succession de formes séparées distinctes qu’ils
appelaient ¨dieux¨, c’est-à-dire de telle manière qu’autre était la bonté par
soi, autre l’être par soi, autre la vie par soi et ainsi de suite et il en
était de même pour les autres formes. Il faut dire en effet que toutes ces formes
sont essentiellement la cause première de tout ce qui existe et par laquelle
les choses participent de toutes les perfections de ce genre; aussi, nous n’affirmerons pas
l’existence de plusieurs dieux, mais d’un seul. Et c’est exactement ce que Denys dit au chapitre
V des Noms Divins:¨Elle, à savoir la sainte
Ecriture, dit que le bien n’est
pas autre, que l'être n’est pas autre,
que la vie n’est pas autre, ni la sagesse, mais
elle dit plutôt qu'il n'y a pas de
multiples causes et qu’il n’y a pas
non plus de divinités supérieures qui seraient productrices des autres ni
d’autres divinités qui leur seraient subordonnées, mais qu'il n'y a qu’un seul Dieu
d'où procèdent tous les biens¨. Et Denys montre
par la suite comment cela est possible à partir de ceci que puisque Dieu est
l’être même et l’essence même de la bonté, tout ce qui se rapporte à la
perfection de l’être et de la bonté lui convient essentiellement et en
totalité de telle manière que Lui-même est l’essence même de la vie, de la
sagesse, de la puissance et de tout le reste. Et c’est pourquoi il ajoute
ceci par la suite : ¨Dieu en effet n'existe pas d’après une
modalité particulière et limitée, mais il contient à l’avance en lui la
totalité de l’être d’une manière absolue et infinie¨. Et l’auteur de ce livre donne son assentiment à ce que
dit ici Denys. Il ne se trouve
pas en effet à introduire une multiplicité de dieux, mais il pose qu’il n’y a qu’un seul Dieu,
n’établissant de distinction
que dans l’ordre des intelligences, des âmes et des corps. C’est donc en
demeurant cohérent avec cette position qu’il parle d’âme supérieure,
c’est-à-dire de l’âme divine du corps céleste, conformément à l’opinion des
philosophes qui ont posé que le ciel est animé. Selon eux en effet, cette âme
exerce, par le mouvement qu’elle leur imprime, une influence universelle sur
les choses. Et c’est pour cette raison qu’elle est appelée ¨divine¨, à la manière dont sont appelés ¨divins¨ parmi les hommes ceux qui ont un intérêt
universel pour la chose publique. L’auteur dit donc au sujet de cette âme
supérieurement divine
qu’elle a une opération divine, et il s’explique en
disant que son opération est divine parce que c’est elle-même qui prépare la nature, c’est-à-dire dans la
mesure où c’est elle-même qui est le principe du premier mouvement auquel
toute la nature est soumise ; et cette opération, elle la possède parce
qu’elle participe de la puissance de la cause première qui est la cause
universelle de tout ce qui existe et de laquelle cette âme reçoit une
certaine causalité universelle dans les choses naturelles. Et c’est pourquoi, lorsqu’il
assigne la raison
de cette opération convenant à l'âme divine, l’auteur dit qu' ¨elle est un exemplaire¨, c’est-à-dire une image, ¨de la puissance supérieure¨, c’est-à-dire de la puissance divine. L’universalité de la puissance
divine se trouve en effet à être imitée par cette âme, c’est-à-dire de telle
manière que tout comme Dieu est la cause universelle de tous les êtres, de
même cette âme est la cause universelle de toutes les choses naturelles qui
sont en mouvement. Il pose que la deuxième opération de l’âme supérieure
ou divine est intellectuelle, laquelle est certes intellectuelle, comme il
l’explique lui-même, en ceci qu’elle connaît les choses parce qu’elle
participe de la puissance de l’intelligence. Mais il montre pourquoi elle
participe de la puissance de l’intelligence : c’est parce que cette âme
est créée par la cause première par l’intermédiaire de l’intelligence. Il
résulte de là que l’âme vient de Dieu comme de sa cause première et de
l’intelligence comme de sa cause seconde. Tout effet cependant participe sous
un rapport de la puissance de sa cause ; d’où il suit que l’âme, tout
comme elle pose l’opération divine selon qu’elle vient de la cause première,
de même elle pose l’opération de l’intelligence selon qu’elle vient de
l’intelligence en participant de sa puissance. Mais ce qui est dit ici, à savoir que la cause première a créé l’être de l’âme
par l’intermédiaire de l’intelligence, certains l’ont mal interprété,
croyant que selon l’auteur de ce livre les intelligences créent la substance
de l’âme. Mais cela est contraire aux positions soutenues par les Platoniciens :
ceux-ci soutenaient en effet que ces causalités des êtres simples sont des
causalités de participation ; mais l’être qui est participé n’est certes
pas celui qui participe, mais c’est plutôt celui qui est le premier de par
son essence à être tel : par exemple, si la blancheur existait
séparément, ce serait la blancheur elle-même dans sa simplicitié qui serait
la cause de toutes les choses blanches en tant qu’elles sont blanches et non
pas quelque chose qui participe de la blancheur. À partir de là, les Platoniciens
soutenaient que celui qui est l’être même est cause d’existence pour tout ce
qui existe, que ce qui est la vie même est cause de vie pour tout ce qui vit,
que ce qui est l’intelligence même est cause d’intellection pour tout ce qui
intellige. C’est pourquoi Proclus dit à la proposition 18 de son livre :
¨Tout ce qui transmet l’être aux autres est lui-même le
premier à être ce qu’il transmet à ceux qui bénéficient de sa transmission¨. Et Aristote est
d’accord avec cette opinion lorsqu’il dit au livre 11 de sa Métaphysique que celui qui est l’être
premier et le plus excellent est la cause de tous les êtres qui suivent. Il
faut donc comprendre par là, d’après ce qui a été dit, que l’essence même de
l’âme est créée par la cause première qui est son être même, mais qu’elle tient
ses participations ultérieures de quelques principes seconds, c’est-à-dire qu’elle
tient la vie de la vie première et l’intellection de l’intelligence
première ; et c’est pourquoi l’auteur de ce livre dit à la proposition 18 : ¨Toutes les choses tiennent leur être de
l’être premier, toutes celles qui sont vivantes de la vie première et toutes les
réalités intellectuelles tiennent leur science de l’intelligence première¨.
Ainsi donc il entend, en disant que la
cause première a créé l’être de l’âme par l’intermédiaire de l’intelligence,
que la cause première seule a créé l’essence de l’âme ; mais que l’âme
soit intellectuelle, elle tient cela de l’opération de l’intelligence. Et les
paroles qui suivent montrent que cette interprétation est juste : Donc, dit-il, après que la cause première ait créé l’être de l’âme, elle la posa
comme une matière pour l’intelligence, c’est-à-dire qu’elle la soumit à
l’opération de l’intelligence, c’est-à-dire de telle manière que
l’intelligence agisse sur son opération elle-même, lui donnant d’être
intellectuelle. C’est pourquoi il conclut que c’est pour cette raison que l’âme intellectuelle produit une opération
intellectuelle. Et cela s’accorde aussi avec ce qu’il a dit dans la
proposition 1, à savoir que l’effet de la cause première préexiste à l’effet
de la cause seconde et se répand plus universellement que lui. L’être en
effet est ce qu’il y a de plus commun et la cause première le prodigue à
tout ; mais l’intelligence ne communique pas à tous l’intellection, mais
à certains en présupposant l’être qu’ils tiennent de la cause première. Mais il reste que même cette position, si elle n’est
pas interprétée correctement, répugne à la vérité et à la position d’Aristote
qui argumente contre les Platoniciens au livre 3 de sa Métaphysique, lesquels soutiennent pour les causes séparées un
ordre conforme à ce qu’on attribue aux individus. Car il découle de cet ordre
que Socrate serait plusieurs animaux, à savoir Socrate lui-même, l’homme
séparé et l’animal séparé : en effet, puisque l’homme séparé participe
de l’animal, il est lui-même un animal. Mais puisqu’il participe des deux, il
résulte de là que Socrate est à la fois homme et animal. Donc Socrate ne
serait pas véritablement un s’il tenait d’une forme d’être animal et d’une
autre d’être homme. Il résulte de là que, puisque l’être intellectuel
appartient à l’âme comme à titre de différence essentielle, si celle-ci
tenait de l’un l’être et de l’autre sa nature intellectuelle, il s’ensuivrait
que l’âme ne serait pas tout à fait une. Il faut donc dire que c’est de la
cause première, d’où elle tient son essence, que l’âme tient aussi son
intellectualité. Et cela s’accorde avec la position de Denys présentée plus
haut, à savoir que ce ne sont pas des êtres autres qui sont tantôt le bien
lui-même, tantôt l’être même, tantôt la vie même, tantôt la sagesse même,
mais c’est d’un seul et même être, à savoir Dieu, que procèdent dans les
choses à la fois l’être la vie et l’intellection, comme il le dit lui-même au
même endroit. Et c’est pourquoi Aristote aussi, au douzième livre de sa Métaphysique, attribue à Dieu avec
insistance l’intellection et la vie en disant que Dieu lui-même est vie et
intelligence pour écarter les positions précédentes des Platoniciens. Cette
proposition peut cependant se montrer vraie si on l’applique non pas à la
nature intellectuelle, mais aux formes intelligibles que les âmes
intellectuelles reçoivent par l’opération
des intelligences. C’est ainsi que Denys dit, au chapitre 1V des Noms Divins, que les âmes, par l’intermédiaire des Anges, deviennent participantes des
illuminations qui émanent de Dieu. Mais notre auteur affirme que la troisième opération de
l’âme supérieure ou divine est l’opération animale. Et il explique que l’opération animale consiste en ceci qu’elle est celle qui
meut le corps premier et par conséquent tous les corps naturels. C’est elle en effet qui est la cause du mouvement dans les choses. Et
il en donne la raison par la suite. En effet, parce que l’âme est une
substance inférieure à
l’intelligence, vu qu’elle reçoit une
impression de l’intelligence, il s’ensuit qu’elle opère sur les choses qui lui sont subordonnées
d’une manière qui est inférieure à celle de l’intelligence agissant sur ce
qui lui est soumis, car la cause première agit davantage que la cause seconde
ainsi que nous l’avons vu dans la proposition 1. Mais l’intelligence produit
sur les âmes une impression sans y provoquer un mouvement en tant qu’elle
fait en sorte que l’âme connaisse, ce qui se fait sans mouvement. Mais l’âme produit sur les corps une impression au
moyen du mouvement et ce qui lui est soumis, à savoir le corps, ne reçoit
l’impression de l’âme que dans la mesure où il est mû par elle. Et par la
suite il donne la cause pour laquelle il faut dire que le mouvement des corps
naturels vient de l’âme. Nous voyons en effet que tous les corps naturels
parviennent directement, au moyen de leurs opérations et de leurs mouvements,
aux fins attendues qui leur sont propres, ce qui ne pourrait se produire
s’ils n’étaient pas dirigés dans leurs actes par un principe intelligent. Il
apparaît à partir de là que le mouvement des corps vient de l’âme qui répand
sur eux sa puissance en les mettant en mouvement. Mais cette position, à savoir que le mouvement du ciel
vienne de l’âme, n’est pas confirmée par la foi ; et Saint-Augustin
laisse cette question en suspens au deuxième livre de La Genèse au sens littéral. Cependant, Saint-Augustin affirme au
troisième livre De la Trinité et
Saint-Grégoire au quatrième livre de ses Dialogues
que toute la nature est dirigée par Dieu et que le mouvement de la créature
corporelle vient de Dieu par l’intermédiaire des intelligences ou des Anges. Et l’auteur termine à la fin son propos en disant que
l’âme supérieure possède ces trois opérations. Et la position de Denys
s’accorde avec ce qui a été dit au sujet de l’intelligence divine et de l’âme
divine, lui qui, au chapitre 1V des Noms
Divins, appelle esprits divins, c’est-à-dire intellects, les Anges
supérieurs par lesquels les âmes participent du don déiforme selon leurs
capacités ; mais cette divinité de l’Ange, Denys l’entend selon que
l’Ange la reçoit de par son union à Dieu et non pas d’après une influence
universelle qu’il exercerait sur les réalités créées. Cette union à Dieu est
en effet plus divine car ce que l’Ange lui-même est en Dieu est plus grand
que ce qu’il cause dans les autres êtres. |
Lectio 4 [84239] Super De
causis, l. 4 Postquam auctor huius libri distinxit
triplicem gradum superioris esse et ostendit quomodo participative invenitur
totum in infimo eorum, nunc intendit ostendere distinctionem secundi gradus,
scilicet ipsius esse quod est cum aeternitate; nam primum gradum qui est
causae primae ante aeternitatem existentis, praetermittit quasi indivisum, ut
dictum est. In hoc tamen aliter procedit quam in aliis; nam in omnibus aliis
praemittit propositionem et posita expositione propositionem praemissam
probat, hic autem more dividentium primo praemittit quod commune est, secundo
illud dividit, ibi: et esse creatum quamvis sit unum etc., tertio inter
partes divisionis differentiam assignat, ibi: et omne quod ex eo sequitur et
cetera. Id autem quod est commune omnibus intelligentiis distinctis est esse
creatum primum, de quo quidem praemittit talem propositionem: prima rerum
creatarum est esse et non est ante ipsam creatum aliud. Et hanc etiam
propositionem Proclus in suo libro ponit CXXXVIII, sub his verbis: omnium
participantium divina proprietate et deificatorum primum est et supremum ens.
Cuius quidem ratio est, secundum positiones Platonicas, quia, sicut supra
dictum est, quanto aliquid est communius, tanto ponebant illud esse magis
separatum et quasi prius a posterioribus participatum, et sic esse
posteriorum causam. In ordine autem eorum quae de rebus dicuntur, communissimum
ponebant unum et bonum, et communius etiam quam ens, quia bonum vel unum de
aliquo invenitur praedicari de quo non praedicatur ens, secundum eos,
scilicet de materia prima quam Plato coniungebat cum non ente, non
distinguens inter materiam et privationem, ut habetur in I physicorum, et
tamen materiae attribuebat unitatem et bonitatem, in quantum habet ordinem ad
formam; bonum enim non solum dicitur de fine sed de eo quod est ad finem. Sic
igitur summum et primum rerum principium ponebant Platonici ipsum unum et
ipsum bonum separatum, sed post unum et bonum nihil invenitur ita commune
sicut ens; et ideo ipsum ens separatum ponebant quidem creatum, utpote
participans bonitatem et unitatem, tamen ponebant ipsum primum inter omnia
creata. Dionysius autem ordinem quidem separatorum abstulit, sicut supra
dictum est, ponens eumdem ordinem quem et Platonici in perfectionibus quae
ceterae res participant ab uno principio, quod est Deus; unde in IV capitulo
de divinis nominibus, praeordinat nomen boni in Deo omnibus divinis
nominibus, et ostendit quod eius participatio usque ad non ens extenditur,
intelligens per non ens materiam primam. Dicit enim: et, si est fas
dicere, bonum quod est super omnia existentia et ipsum non existens desiderat.
Sed inter ceteras perfectiones a Deo participatas in rebus, primo ponit esse;
sic enim dicit V capitulo de divinis nominibus: ante alias Dei
participationes esse propositum est, et est ipsum secundum se esse senius, eo
quod est per se vitam esse, et eo quod est per se sapientiam esse, et eo quod
est per se divinam similitudinem esse. Secundum quem modum etiam auctor
huius libri hoc intelligere videtur. Dicit enim quod hoc ideo est quia
esse est supra sensum et supra animam et supra intelligentiam. Et quomodo
sit supra ista, ostendit subdens: et non est post causam primam latius,
id est aliquid communius, et per consequens neque prius causatum ipso;
causa autem prima est latior quia extendit etiam se ad non entia secundum
praedicta. Et ex hoc concludit quod, propter illud quod dictum est,
ipsum esse factum est superius omnibus rebus creatis, quia scilicet
inter ceteros Dei effectus communius est, et est etiam vehementius
unitum, id est magis simplex; nam ea quae sunt minus communia videntur se
habere ad magis communia per modum additionis cuiusdam. Videtur tamen non
esse eius intentio ut loquatur de aliquo esse separato, sicut Platonici
loquebantur, neque de esse participato communiter in omnibus existentibus,
sicut loquitur Dionysius, sed de esse participato in primo gradu entis creati,
quod est esse superius. Et, quamvis esse superius sit et in intelligentia et
in anima, tamen in ipsa intelligentia prius consideratur ipsum esse quam
intelligentiae ratio, et similiter est in anima; et propter hoc praemisit
quod est supra animam et supra intelligentiam. De hoc igitur esse in
intelligentiis participato, rationem assignat quare sit maxime unitum. Dicit
enim quod hoc contingit propter propinquitatem suam primae causae quae
est esse purum subsistens et est vere unum non participatum in
quo non potest aliqua multitudo inveniri differentium secundum
essentiam; quod autem est propinquius ei quod est per se unum, est magis
unitum quasi magis participans unitatem; unde intelligentia quae est
propinquissima causae primae habet esse maxime unitum. Deinde cum dicit: et
ipsum quidem non est factum multa etc., ostendit rationem distinctionis quae
potest esse in intelligentiis secundum essentiam. Ubi considerandum est quod,
si aliqua forma vel natura sit omnino separata et simplex, non potest in ea cadere
multitudo, sicut, si aliqua albedo esset separata, non esset nisi una: nunc
autem inveniuntur multae albedines diversae quae participant albedinem. Sic
igitur, si esse creatum primum esset esse abstractum, ut Platonici posuerunt,
tale esse non posset multiplicari, sed esset unum tantum. Sed, quia esse
creatum primum est esse participatum in natura intelligentiae, multiplicabile
est secundum diversitatem participantium. Et hoc est quod dicit: et ipsum
quidem, scilicet esse creatum primum, non est factum multa, id est
distinctum in multas intelligentias, nisi quia, licet ipsum sit simplex et
non sit in creatis aliquid simplicius eo, tamen est compositum ex finito et
infinito. Quam quidem compositionem etiam Proclus ponit LXXXIX
propositione, dicens: omne enter ens ex fine est et infinito. Quod
quidem secundum ipsum sic exponitur: omne enim immobiliter ens infinitum est
secundum potentiam essendi; si enim quod potest magis durare in esse est
maioris potentiae, quod potest in infinitum durare in esse est, quantum ad
hoc, infinitae potentiae. Unde ipse praemisit in LXXXVI propositione: omne
enter ens infinitum est, non secundum multitudinem, neque secundum
magnitudinem, sed secundum potentiam solam, scilicet existendi, ut ipse
exponit. Si autem aliquid sic haberet infinitam virtutem essendi quod non
participaret esse ab alio, tunc esset solum infinitum; et tale est Deus, ut
dicitur infra in 16 propositione. Sed, si sit aliquid quod habeat infinitam
virtutem ad essendum secundum esse participatum ab alio, secundum hoc quod
esse participat est finitum, quia quod participatur non recipitur in
participante secundum totam suam infinitatem sed particulariter. In tantum
igitur intelligentia est composita in suo esse ex finito et infinito, in
quantum natura intelligentiae infinita dicitur secundum potentiam essendi; et
ipsum esse quod recipit, est finitum. Et ex hoc sequitur quod esse
intelligentiae multiplicari possit in quantum est esse participatum: hoc enim
significat compositio ex finito et infinito. Deinde cum dicit: et omne quod
ex eo sequitur etc., ostendit differentiam inter membra divisionis, id est
inter intelligentias multiplicatas, et hoc tripliciter: primo quidem quantum
ad diversam perfectionem earum, secundo quantum ad influentiam quarumdam
super alias, ibi: et intelligentiae primae etc., tertio quantum ad effectum
intelligentiarum in animabus et hoc in sequenti propositione quae in
quibusdam libris invenitur coniuncta cum isto commento, et incipit:
intelligentiae superiores et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit
differentiam, secundo excludit quamdam dubitationem, ibi: et quia
diversificatur et cetera. Circa primum ergo considerandum est quod duplicem
differentiam intelligentiarum assignat, unam quidem quantum ad naturam
ipsarum, aliam vero quantum ad species intelligibiles per quas intelligunt.
Quantum autem ad naturas ipsarum, necesse est quod naturae earum
diversificentur secundum ordinem quemdam. Non enim est in eis materialis
differentia sed formalis; non enim sunt compositae ex materia et forma, sed
ex natura, quae est forma, et esse participato, ut dictum est. In his autem
quae materialiter differunt nihil prohibet inveniri multa ex aequo se habere,
nam in substantiis individua unius speciei aequaliter speciei rationem
participant; in accidentibus etiam possibile est diversa subiecta aequaliter
participare albedinem. Sed
in his quae formaliter differunt, semper quidam ordo invenitur. Si quis enim
diligenter consideret, in omnibus speciebus unius generis semper inveniet
unam alia perfectiorem, sicut in coloribus albedinem et in animalibus
hominem. Et hoc ideo quia quae formaliter differunt, secundum aliquam
contrarietatem differunt; est enim contrarietas differentia secundum formam,
ut philosophus dicit in X metaphysicae. In
contrariis autem semper est unum nobilius et aliud vilius, ut dicitur in I
physicorum, et hoc ideo quia prima contrarietas est privatio et habitus, ut
dicitur in X metaphysicae. Et
propter hoc in VIII metaphysicae philosophus dicit quod species rerum sunt
sicut numeri, qui specie diversificantur secundum additionem unius super
alterum. Manifestum est autem quod quanto aliquid est perfectius, tanto
propinquius est uni perfectissimo; unde hanc differentiam ponit quantum ad
intelligentiarum naturam, quod illud esse intellectuale quod immediate
assequitur causam primam, est intelligentia completa ultima completione
quantum ad esse creatum in potentia essendi et in reliquis bonitatibus
consequentibus, illud vero esse intellectuale quod est inferius in ordine
intelligentiarum, retinet quidem naturam et rationem intelligentiae, sed
tamen est sub superiori intelligentia in complemento naturae et in virtute
essendi et operandi et in omnibus bonitatibus sive perfectionibus. Quantum autem ad secundam differentiam quae est ex speciebus intelligibilibus,
supponit quod intelligentiae per quasdam species intelligibiles intelligant
et quod huiusmodi intelligibiles species maiorem habeant amplitudinem et
universalitatem quam in inferioribus intelligentiis, et hoc quidem nunc
indiscussum dimittatur; manifestabitur enim infra in 10 propositione quae
tota super hoc procedit. Deinde cum dicit: et quia diversificatur
intelligentia etc., removet quamdam dubitationem. Quia enim dixerat species
intelligibiles in superioribus et inferioribus intelligentiis esse
differentes, posset hoc alicui falsum videri propter hoc quod res intellecta
est una; et ideo ostendit quomodo huiusmodi species intelligibiles
diversificentur. Et primo inducit ad hoc quoddam exemplum; secundo ostendit
differentiam, ibi: verumtamen quamvis diversificentur et cetera. Circa primum
considerandum est quod, sicut supra dictum est, Platonici ponebant formas
rerum separatas per quarum participationem intellectus fierent intelligentes
actu, sicut per earum participationem materia corporalis constituitur in hac
vel illa specie. Et idem sequitur si non ponamus plures formas separatas,
sed, loco omnium illarum, ponamus unam primam formam ex qua omnia deriventur,
sicut supra dictum est secundum sententiam Dionysii, quam videtur sequi
auctor huius libri nullam distinctionem ponens in esse divino. Sic igitur cum
intelligentiae sint diversae secundum essentiam, ut supra dictum est, oportet
quod formae intelligibiles participatae sint diversae et differentes in
diversis intelligentiis, sicut etiam diversae formae participatae in hoc
mundo sensibili inveniuntur secundum diversitatem individuorum participantium
formas praedictas. Deinde cum dicit: verumtamen quamvis diversificentur etc.,
ostendit diversitatem in praedicto exemplo. Formae enim sensibiles
participatae in diversis individuis sunt formae individuatae et ab invicem
seiunguntur ea seiunctione qua unum individuum seiungitur ab alio, ita quod
ambae formae non pertinent ad existentiam unius rei sed diversarum. Non sic
autem seiunguntur formae intelligibiles ex eo quod sunt in diversis
intelligentiis sive intellectibus, quia non efficiuntur per hoc formae
individuales, sed retinent vim suae universalitatis in quantum quaelibet
earum in intellectu cui inest causat universalem cognitionem eiusdem rei
intellectae. Et huius ratio ex supra dictis apparet. Cum enim formae rerum,
sive sint divisim per se stantes, sive uniantur in uno primo, habeant esse
universalissimum et divinum, manifestum est quod, quanto magis
appropinquantur ad hoc universalissimum esse formarum, tanto formae sunt
universaliores; et secundum hoc dixit quod formae participatae in
superioribus intellectibus sunt universaliores. Id autem quod est infimum in
rebus est materia corporalis, unde recipit huiusmodi formas ut particulares
absque omni universalitate. Et hoc est quod dicit quod, quamvis formae
intelligibiles diversificentur in diversis intelligentiis, tamen non hoc modo
dividuntur ab invicem sicut dividuntur diversa individua in rebus
sensibilibus, quia simul habent unum cum multitudine, unum quidem ex parte
universalitatis, multitudinem autem secundum diversum modum participationis
in diversis intellectibus. Et per hoc totaliter excluditur ratio Averrois
volentis probare unitatem intellectus per unitatem intelligibilis formae; existimavit
enim quod, si formae intelligibiles sunt diversae in diversis intellectibus,
(quod) sint individuatae et intelligibiles in potentia, non in actu: quod per
praemissa frivolum esse patet. Deinde cum dicit: et intelligentiae primae
etc., ponit secundam differentiam quae sequitur ex prima. Invenimus enim in quolibet rerum ordine
quod id quod est in actu agit in id quod est in potentia; semper autem quod
est perfectius comparatur ad minus perfectum ut actus ad potentiam; et ideo
perfectiora in quolibet genere nata sunt agere in imperfectiora. Cum igitur
superiores intelligentiae sint completiores in virtute et reliquis
bonitatibus intelligentiis inferioribus, consequens est quod, sicut prima
causa influit in superiores intelligentias, ita superiores intelligentiae
influant in inferiores et sic usque ad ultima. |
Leçon 4. Ce qui est créé en premier dans les choses,
antérieurement à tout le reste, est l’être.
Après avoir distingué les trois degrés de l'être supérieur et
montré comment tout se retrouve par participation dans le dernier degré,
l’auteur de ce livre cherche à manifester en quoi se distingue le deuxième
degré, à savoir ¨l’être qui est avec
l’éternité¨ et il passe sous silence, parce qu’il est indivisé ainsi
qu’il a été dit, le premier degré qui est celui de la cause première qui
existe avant l’éternité. Ce faisant, il procède cependant différemment qu'il ne le fait ailleurs car dans tous
les autres cas il présente la proposition et l’ayant expliquée il la
démontre, alors qu’ici, par mode de division, il présente d’abord ce qui est
commun puis en deuxième lieu il le divise là où il dit : et bien que l’être créé soit un
etc. ; en troisième lieu il assigne une différence entre les parties de
la division, là où il dit : et
tout ce qui suit de là etc. Mais ce qui est commun à toutes les
intelligences distinctes, c’est l’être créé premier, au sujet duquel il
présente cette proposition : la
première des choses créées est l’être et rien d’autre n’est créé
antérieurement à lui. Proclus aussi présente cette même vérité dans son livre
à la proposition 138, et il le fait en ces termes : ¨L’être est ce qu’il y a de premier et de plus excellent chez tous
ceux qui participent de la divinité et qui en sont ainsi divinisés. La
raison en est, selon les positions des Platoniciens dont nous avons parlé
plus haut, que plus quelque chose est commun, plus il est séparé et comme participé en
premier par ce qui est second, et est ainsi la cause de ce qui est second. Mais dans l’ordre de ce
qui est attribué aux choses, ils affirmaient que l’un et le bien sont ce
qu’il y a de plus commun et plus commun même que l’être car selon eux le bien
et l’un se trouvent à être attribués même à ce qui ne reçoit pas
l’attribution de l’être, à savoir à la matière première que Platon confondait
avec le non-être puisqu’il ne distinguait pas la matière première de la
privation, comme on l’établit au premier livre de la Physique, et il attribuait cependant l’unité et la bonté à la
matière première selon qu’elle est ordonnée à la forme ; le bien en effet
ne se dit pas seulement de la fin mais aussi de ce qui est en vue de la fin.
Ainsi donc les Platoniciens soutenaient que le plus grand et le premier
principe des choses est l’un-bien séparé. Mais après l'un-bien, rien ne se trouve à être plus
commun que l’être ; et c’est pourquoi ils affirmaient que l’être séparé
lui-même est créé, comme participant de la bonté et de l’unité, mais au
premier rang parmi tout ce qui est créé. Denys supprima l’ordre de toutes ces
réalités séparées, comme on l’a dit plus haut, en affirmant que ce même ordre que les
Platoniciens posaient dans les perfections dont les autres choses participent,
provient d’un seul et même principe qui est Dieu ; c’est pourquoi, au
chapitre 1V des Noms Divins, parmi
tous les noms divins atribués à Dieu, il privilégie le nom de Bien et il
montre que la participation du bien s’étend jusqu’au non-être, entendant par
non-être la matière première. Il dit en effet : ¨Et, s’il est permis de parler ainsi, même elle, qui n’existe pas, désire le bien qui est
au-dessus de tout ce qui existe¨. Mais parmi toutes les autres perfections que les
choses participent de Dieu, Denys pose d'abord l’être. C’est ainsi en effet
qu’il parle au chapitre V des Noms
Divins : ¨L’être est la première de
toutes les participations de Dieu, et elle est en
elle-même plus ancienne que la vie par soi, que la sagesse par soi,
que la similitude divine par soi¨. Et voici la manière selon laquelle l’auteur de ce livre
semble entendre ce qu’il vient de dire : Il dit en effet qu’il en est ainsi parce que l’être
transcende le sens, l’âme et l’intelligence. Et comment il les
transcende, il le montre en ajoutant : ¨et
après la cause première, il n’y a rien de plus vaste¨, c’est-à-dire rien
de plus commun et par conséquent aucun
effet n’est antérieur à lui ; la cause première est plus vaste
que lui parce qu’elle s’applique même au non-être, conformément à ce qui a
été dit. Et il conclut à partir
de là que, à cause de ce qui a été
dit, l’être lui-même
¨a été fait au-dessus de toutes les
choses créées¨, c’est-à-dire parce que parmi tous les effets de Dieu
il est le plus commun, et qu’il est
aussi ce qu’il y a de plus puissamment
un, c’est-à-dire de plus simple ; car ce qui est moins commun semble
se rapporter à ce qui est plus commun à la manière d’une addition. Il semble cependant
que son intention ne soit pas de parler d’un être séparé comme le faisaient
les Platoniciens, ni d’un être commun participé universellement dans tout ce
qui existe comme le fait Denys, mais de l’être participé dans le premier
degré de l’être crée, à savoir l’être
supérieur. Et bien que l’être
supérieur se retrouve dans l'intelligence et dans l’âme, cependant l’être même
est considéré dans l'intelligence, tout comme dans l’âme, antérieurement à la
notion d'intelligence. Et c'est
pour cette raison qu’il a avancé que l’être au-dessus de l’intelligence et de
l’âme. Il donne donc la raison pour laquelle l'être participé
dans les intelligences est suprêmement un. Il dit en effet qu’il en est ainsi
pour cet être en raison de sa proximité
de la cause première qui est l’être pur
subsistant, c’est-à-dire l’un véritable
non participé dans lequel ne peut se retrouver aucune multiplicité de différences
quant à l’essence ; or ce qui est le plus rapproché de l’un par soi est
lui-même davantage un car il participe davantage de l’unité; il résulte de là
que l’intelligence, qui est la plus proche de la casue première, possède une
existence qui est suprêmement une. Ensuite, lorsqu'il
dit : ¨Et lui-même n’a pas été fait
multiple etc.¨, il manifeste la raison de la distinction essentielle qui
peut exister entre les intelligences. Il faut considérer ici que s’il
existait une forme ou une nature entièrement séparée et simple, on ne
pourrait retrouver en elle une multiplicité tout comme, s’il existait une
blancheur séparée, il n’y en aurait qu’une seule alors que se présente
maintenant sous nos yeux de nombreuses et différentes blancheurs qui
participent de la blancheur. Ainsi donc, si le premier être créé était un
être séparé, comme les Platoniciens le soutenaient, un tel être ne pourrait
être multiplié et il n’y en aurait qu’un seul. Mais parce que le premier être
créé est un être qui est participé dans la nature de l’intelligence, il est
multipliable selon la diversité de ceux qui en participent. Et c’est là ce
que l’auteur dit : ¨Et lui-même
certes¨, à savoir l’être créé premier ¨n'a pas été fait multiple¨, c'est-à-dire n’a pas été différencié
en de nombreuses intelligences, ¨si ce
n’est que, bien qu’il soit simple en lui-même et qu'il n'y ait rien dans la
nature créée qui soit plus simple que lui, il est cependant composé de fini
et d'infini¨. Proclus aussi
affirme cette composition dans la proposition 89 des Eléments lorsqu’il
dit : ¨Tout être véritable est formé de
fini et d'infini¨. Et voici comment il explique cela : tout ce qui existe
de manière immobile est infini selon sa puissance d’exister; si en effet ce
qui peut durer davantage dans l'existence est d'une puissance plus grande, ce
qui peut durer à l’infini dans l’existence est d'une puissance infinie. D'où l’énoncé que
lui-même présente dans la proposition 86 : ¨Tout être véritable est infini, non pas selon la multiplicité ou selon
la grandeur, mais selon une seule puissance, à savoir celle d’exister¨, ainsi
qu’il l’explique lui-même. Mais si un être possédait une telle puissance infinie
d’exister sans la participer d’un autre, il serait alors le seul être à être
infini; et
tel est Dieu, comme l’auteur le dit plus loin à la proposition 16. Mais s’il
existe un être qui possède une puissance infinie à exister d’après une
existence qu’il participe d’un autre, il
est fini en tant qu’il participe de cette existence, car ce n’est pas selon
toute son infinité que ce qui est participé est reçu dans celui qui en
participe, mais partiellement. Donc, l’intelligence est d’autant plus
composée de fini et d’infini dans son existence que la nature de
l’intelligence est dite infinie selon sa puissance d’exister et que son
existence même est dite finie en tant qu’elle est reçue d’un autre. Et il
découle de là que l’existence de l’intelligence est multipliée selon qu’elle
est une existence participée : c’est ce que signifie en effet la
composition du fini et de l’infini. Ensuite lorsqu’il dit : ¨Et tout ce qui découle de lui etc.¨, il manifeste la différence
qui existe entre les membres de la division, c’est-à-dire entre les
intelligences multipliées, et il le fait de trois manières : quant à
leurs différentes perfections, quant l’influence que certaines exercent sur
les autres, là où il dit : ¨Et les
intelligences premières exercent une influence etc.¨, et enfin quant à
aux effets que ces mêmes intelligences produisent sur les âmes. Ce dernier point est
traité dans la proposition suivante qui dans certains livres se trouve à être
rattachée à ce commentaire et qui commence ainsi : ¨Et les intelligences supérieures etc.¨. Au sujet du premier point il
fait deux choses : premièrement il montre la différence quant aux
perfections possédées par les intelligences ; deuxièmement il écarte une
difficulté là où il dit : ¨Et parce
que l'intelligence se différencie etc.¨. Au sujet du premier point, il faut donc considérer
qu'il donne deux différences entre les intelligences : la première quant à la
nature de celles-ci;
la deuxième quant aux espèces intelligibles par lesquelles elles intelligent. Quant à leur nature cependant,
il est nécessaire que les intelligences se différencient selon un certain ordre. Il
n’y a pas entre elles en effet une différence matérielle, mais une différence
formelle ; en effet, elles ne sont pas composées de matière et de forme,
mais d’une nature, qui est une forme, et d’une existence participée, ainsi
que nous l’avons dit. Mais dans les choses qui diffèrent par la matière, rien
n’empêche de trouver une multiplicité d’individus égaux, car dans les
substances matérielles les individus d’une même espèce participent également
de la notion d’espèce ; dans les accidents par ailleurs, il est aussi
possible que divers sujets participent également de la blancheur par exemple. Cependant, dans les choses qui différent
formellement, on trouve toujours un certain ordre. Si on examine attentivement la
chose, parmi toutes les espèces d’un même genre on en retrouve toujours une
qui est plus parfaite qu’une autre, comme c’est le cas pour la blancheur par
rapport aux couleurs et pour l’homme par rapport aux animaux. Et il en est
ainsi parce que les choses qui différent formellement différent selon quelque
contrariété : or la contrariété est une différence formelle, comme le dit le
philosophe au livre X de sa Métaphysique. Mais parmi les contraires, il y en
a toujours un qui est supérieur et l’autre inférieur, comme le Philosophe le
dit au premier livre de la Physique
et il en est ainsi parce que la première des contrariétés est celle de la
privation et de la possession comme Aristote le dit au livre X de la Métaphysique. Et c'est pour cette
raison que le Philosophe dit au huitième livre de la Métaphysique que les espèces des choses sont comme les nombres
qui différent d’espèce par l’addition d’une unité à un autre nombre. Il est cependant
manifeste que plus un être est parfait, plus il est proche de l’Un qui est le
plus parfait. D’où
l’auteur pose cette
différence quant à la nature des intelligences, à savoir que l’être intellectuel qui
suit immédiatement la
cause première, est une intelligence d’un achèvement accompli par excellence,
quant à son existence créée, à la fois dans sa puissance d’exister, et dans
les autres perfections qui en découlent; mais pour ce qui est de l’être intellectuel qui
est inférieur dans l’ordre des intelligences, il conserve certes la nature de
l'intelligence, mais
demeure subordonné à l’intelligence supérieure à la fois quant à l’achèvement de sa
nature, quant à la puissance d’exister et d’opérer, et quant aux autres biens
ou perfections. Pour ce qui est de la deuxième différence tirée des
espèces intelligibles, elle suppose que les intelligences intelligent au moyen de
certaines espèces intelligibles et que ces dernières possèdent une plus
grande extension et une plus grande universalité dans les intelligences
supérieures que dans les intelligences inférieures. L'auteur reporte à plus tard l’étude
de ce point qui n’est pas examiné ici mais qui sera manifesté plus loin à la
proposition 10 qui est entièrement consacrée à ce sujet. Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Et parce que les intelligences se différencient etc.¨, il écarte une
difficulté. En
effet, parce qu’il avait dit que les espèces intelligibles sont différentes
dans les intelligences qui sont supérieures et dans celles qui sont inférieures,
cela pourrait sembler faux à certains du fait que la réalité intelligée
demeure une. Et c’est pourquoi il manifeste la manière selon laquelle ces
espèces intelligibles se trouvent à
différer dans des intelligences différentes. Et pour le montrer, il introduit
en premier lieu un exemple, puis en deuxième lieu il manifeste la différence
là où il dit : ¨Il est cependant
vrai que bien qu’elles soient différentes etc.¨. Au sujet du
premier point il faut considérer, comme nous l’avons dit plus haut, que les
Platoniciens affirmaient que les formes des choses sont séparées et que c’est
en participant de ces formes que les intelligences en viennent à intelliger
en acte, tout comme c’est en participant de ces formes que la matière
corporelle en vient à être constituée en telle ou telle autre espèce. Et la
conséquence est la même si, au lieu de poser une multiplicité de formes
séparées, nous posons une seule forme première et séparée de laquelle
découlent toutes les autres, comme nous l’avons dit plus haut conformément à
la position de Denys que semble suivre l’auteur de ce livre qui ne pose aucune
distinction dans l’être divin. Ainsi donc, puisque les intelligences diffèrent par
l’essence comme on l’a dit plus
haut, il faut que les formes intelligibles participées soient diverses et
différentes dans les intelligences différentes tout comme les différentes
formes participées se rencontrent en ce monde conformément à la diversité des
individus qui participent de ces formes. Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Il est cependant vrai, bien qu’elles diffèrent etc.¨, il manifeste cette diversité dans
l’exemple précédent. En effet, les formes sensibles dont participent les différents individus
sont des formes individuées qui se distinguent les unes des autres par cette même
distinction par laquelle un individu se distingue d’un autre, de telle
manière que deux formes ne se rapportent pas à l’existence d’une seule et
même chose, mais à celle de choses différentes. Ce n’est cependant pas ainsi
que les formes intelligibles se distinguent, c’est-à-dire
du fait qu'elles sont dans des intelligences ou des intellects différents car elles ne
deviennent pas à cause de cela individuelles; mais elles retiennent la
puissance de leur universalité dans la mesure où chacune d’elles cause, dans
l’intelligence à laquelle elle appartient, une connaissance universelle de la
même chose intelligée. Et la raison de
cela devient évidente à partir de ce que nous avons dit plus haut. En effet,
puisque les formes des choses, qu’elles se tiennent d’elles-mêmes séparément ou
qu’elles soient unies dans le seul premier Principe, possèdent l’existence la
plus universelle et divine, il est clair que plus les formes s’approchent de
cette existence la plus universelle des formes, plus elles sont universelles.
C’est en ce sens qu’il a dit plus haut que les formes qui sont participées
par les intelligences supérieures sont plus universelles. Mais la matière
corporelle est ce qui est dernier dans l’ordre des choses et c’est pourquoi elle reçoit les
formes sans aucune universalité, en tant qu’elles sont particulières. Et c’est cela que
l’auteur dit, à savoir que bien que les formes intelligibles se distinguent
dans les différentes intelligences, elles ne se distinguent pas les unes des
autres de la même manière que le font les différents individus dans les
choses sensibles car elles possèdent simultanément l’unité et la
multiplicité : l’unité bien sûr du côté de l’universalité, et la
multiplicité d’après une modalité différente de participation propre à chaque
intelligence différente. Et en disant cela, l’auteur exclut totalement le
raisonnement d’Averroès qui voulait prouver l’unité de l’intelligence en
s’appuyant sur l’unité de la forme intelligible. Ce dernier en effet croyait
que si les formes intelligibles sont différentes dans les différentes
intelligences, elles sont alors individuées et intelligibles en puissance
seulement et non en acte, ce qui apparaît léger suite à ce qui a été dit. Ensuite lorsqu’il dit : ¨Et les intelligences
premières etc.¨, il présente la deuxième
différence qui découle de la
première. Dans
tout ordre de choses en effet nous voyons que ce qui est en acte agit sur ce
qui est en puissance ; or, ce qui est plus parfait se compare toujours à
ce qui est moins parfait comme l’acte se compare à la puissance ; c’est
pourquoi, en tout genre, les réalités plus parfaites agissent par nature sur
celles qui sont plus imparfaites. Donc, puisque les intelligences supérieures
sont plus accomplies que les inférieures en puissances et autres biens, il
s’ensuit que tout comme la cause première répand son influence bienveillante
sur les intelligences supérieures, ces dernières font de même pour les
intelligences inférieures et il en est ainsi jusqu’à la dernière
intelligence. |
Lectio 5 [84240] Super De
causis, l. 5 Postquam in praecedenti propositione
manifestavit auctor distinctionem intelligentiarum, hic agit de distinctione
animarum, quam quidem assignat secundum differentiam intelligentiarum eas
quodammodo causantium secundum eius positionem. Unde quod hic agitur de
distinctione animarum potest referri ad distinctionem intelligentiarum
secundum quod distinctio causarum manifestatur per distinctionem effectuum.
Unde et in quibusdam libris haec non ponitur propositio per se, sed
adiungitur commento praecedentis propositionis; quod etiam apparet ex epilogo
quod hic ponitur, quod commune est utrique propositioni. Est autem propositio
talis: intelligentiae superiores primae imprimunt formas secundas,
stantes, quae non destruuntur ita ut sit necessarium iterare eas vice alia.
Intelligentiae autem secundae imprimunt formas declines, separabiles, sicut
est anima. Huic autem propositioni Proclus ponit duas propositiones
correspondentes, scilicet CLXXXII, quae talis est: omnis divinus
intellectus ab animabus divinis participatur, et CLXXXIII, quae talis
est: omnis intellectus participatus quidem intellectualis autem solum,
participatur ab animabus neque divinis neque factis in transmutatione
intellectus et ignorantiae. Ad evidentiam autem huius propositionis tria
oportet considerare: primo quidem de impressione animae, secundo de
distinctione animarum, tertio de differentia animarum distinctarum. Circa
impressionem vero animae primo oportet considerare quomodo animae conveniat
imprimi, secundo a quo imprimatur. Quod autem animae conveniat imprimi,
manifeste apparet si quis impressionis rationem consideret, ad quam duo
requiruntur: primo quidem ut quod est impressum sit in aliquo existens,
secundo ut non sit in eo superficialiter secundum extrinsecum contactum
solum, sed sit intimum quasi penetrans in profundum. Et haec duo conveniunt
animae secundum propriam eius rationem. Dictum est enim supra in 3
propositione quod operatio propria animae est ut moveat corpus, eo quod
operatio ipsius animae est infra operationem propriam intelligentiae, cuius
est cognoscere res absque motu; oportet autem principium motus applicari
mobili quia, ut probatur in VII physicorum, movens et motum sunt simul; unde
animae secundum propriam rationem convenit in corpore mobili esse. Motus
autem quo anima movet corpus est motus viventis corporis, qui quidem non est
a movente extrinseco, sicut motus violentus vel sicut motus levium et gravium
a generante, sed est a movente intrinseco; unde res vivae dicuntur seipsas
movere. Et ideo oportet animam quae movet corpus, esse in corpore intrinsecus
ei unitam, et propter hoc dicitur esse impressa. Si autem quaeratur a quo sit
impressa, secundum opinionem auctoris huius libri impressa est ab
intelligentia. Dicit enim: ipsa namque, scilicet anima inferior, est
ex impressione intelligentiae secundae, id est secundi ordinis
intelligentiarum, quae, scilicet intelligentia secunda, sequitur
esse creatum inferius, id est in inferiori parte ipsius esse primi creati
quod est esse intelligentiarum; vel, hoc quod dicit: quae sequitur esse
etc., potest referri ad animam, quae est infra aeternitatem intelligentiae,
ut in 2 propositione dictum est. Sed haec sententia non est usquequaque rata.
Possumus enim loqui de animae impressione dupliciter: uno modo ex parte
ipsius animae impressae, alio modo ex parte materiae cui imprimitur. Et haec
quidem distinctio locum habet in qualibet anima per se stante, qualis est
quaelibet anima intelligens, ut infra patebit, quia esse substantiae eius non
totaliter consistit in unione sui ad materiam corporalem, sicut esse animae
non subsistentis quales sunt animae brutorum et plantarum, unde in his
praedicta distinctio necessaria non est, quia simul consideratur esse talium
animarum et ex parte materiae recipientis et ex parte ipsius animae. Si ergo loquamur
de anima per se stante scilicet intellectuali quacumque, sive caelesti si
ponantur corpora caelestia animata secundum quod auctor huius libri supponit,
sive de anima humana ex parte ipsius animae, tunc secundum radices positionum
Platonicarum, quas in multis auctor huius libri sequitur, talis anima est ex
impressione intelligentiae quia, sicut supra dictum est in 3 propositione,
Platonici posuerunt quod ab alio principio causatur in aliqua re id quod est
commune, et ab alio inferiori principio id quod est magis proprium. Secundum
hoc igitur anima per se stans suum esse habet a prima causa, quod autem sit
intellectualis et quod sit anima habet a secundis causis quae sunt
intelligentiae; unde, cum ad rationem animae pertineat quod sit corpori
impressa, consequens erit quod haec anima ab intelligentia habeat scilicet
quod sit corpori impressa. Sed, quia, sicut supra ostendimus, praedicta
positio veritatem non habet et contrariatur sententiae Aristotelis, oportet
dicere quod a prima causa a qua talis anima habet suum esse habeat etiam quod
sit intellectualis et quod sit anima et per consequens quod sit corpori
impressa; est ergo secundum hoc anima non ex impressione intelligentiae sed
ex impressione causae primae. Si vero loquamur de anima huiusmodi ex parte
susceptibilis cui imprimitur, sic quantum ad animam caelestem, si caelum
haberet animam, esset similis ratio; non enim natura caelestium corporum
aliquo modo ab intelligentiis causatur, sed a causa prima a qua habent esse.
Sed, si loquamur de anima humana ex parte susceptibilis, sic aliquo modo est
ex impressione intelligentiae, in quantum scilicet ipsum corpus humanum
disponitur ad hoc quod sit susceptivum talis animae per virtutem caelestis
corporis operantem in semine, ratione cuius dicitur quod homo generat hominem
et sol; corpora autem caelestia, etiam secundum doctores fidei Christianae,
scilicet Augustinum et Gregorium, ponuntur a creaturis spiritualibus moveri,
quae dicuntur Angeli sive intelligentiae vel intellectus separati; et ex hoc
sequitur quod intelligentiae aliquid operentur ad hoc quod anima humana
corpori imprimatur ex parte susceptibilis. Et per hunc modum potest dici quod
aliae animae quae non sunt per se stantes, sunt ex impressione
intelligentiarum et caelestium corporum. Deinde restat considerandum de
secundo, scilicet de distinctione animarum. Et ponit eamdem rationem
distinctionis sive multiplicationis in animabus quam in intelligentiis
posuerat: sicut enim esse intelligentiae compositum est ex infinito et
finito, in quantum esse eius non est subsistens sed participatum ab aliqua
natura ratione cuius potest distingui in multa, ita etiam est et de esse
animae. Et hoc est quod dicit: et non multiplicantur animae nisi per modum
quo multiplicantur intelligentiae, quod est quia esse animae iterum habet
finem, sed quod ex eo est inferius est infinitum. Inferius autem dicit
ipsam naturam participantem esse, quam vocat infinitum propter virtutem ad
durandum in esse in infinitum; ipsum
autem esse participatum vocat finitum quia non participatur secundum totam
infinitatem suae universalitatis sed secundum modum naturae participantis.
Est tamen advertendum quod, quia natura intelligentiae est penitus absoluta a
corpore, distinctio intelligentiarum attenditur secundum gradum naturae
propriae absque comparatione ad aliqua corpora. De ratione vero animae est
quod sit corpori impressa, et ideo distinctio animarum attenditur secundum
comparationem ad corpora animata. Unde, si corpora animata sunt diversarum
specierum, animae eis impressae erunt diversae secundum speciem, sicut
oporteret dicere si corpora caelestia essent animata; si autem corpora
animata sunt unius speciei, animae etiam impressae sunt unius speciei
multiplicatae numero solo, sicut patet de animabus humanis. Deinde
considerandum est tertium, scilicet differentia animarum distinctarum. Et
ponit tres differentias, quarum prima accipitur secundum diversam
perfectionem animarum. Dicit enim quod animae, scilicet superiores
sicut sunt caelestium corporum, quae sequuntur intelligentiam, quasi immediate
post eam ordinatae, sunt completae, scilicet in perfectione naturae
animalis. Et signum perfectionis ostendit, subdens: paucae declinationis
et separationis. Dictum est enim supra in 2 propositione, quod anima in
quantum deficit a complemento intelligentiae appropinquat ad motum; et ideo,
quanto animae fuerint altiores et intelligentiae propinquiores, tanto minus
habent de motu. Animae enim inferiores habent motum non solum quantum ad hoc
quod movent corpus, sed etiam quantum ad hoc quod non semper sunt coniunctae
suis corporibus et quod non semper intelligunt; sed animae superiores semper
sunt coniunctae suis corporibus et semper sunt intelligentes, habent tamen de
motu hoc quod movent caelestia corpora. Et ideo dicit quod sunt paucae
declinationis, quia parum declinant ab immobilitate intelligentiae, et
paucae separationis, quia parum in diversa separantur, ut quandoque in
hoc quandoque in illo inveniantur scilicet quantum ad solum motum localem
caelestium corporum. Inferiores
vero animae deficiunt in complemento et paucitate declinationis seu
separationis a superioribus animabus. Secunda differentia sumitur penes
influentiam animarum in invicem. Sicut enim supra dixit quod intelligentiae
primae influunt supra secundas bonitates quas recipiunt a causa prima,
ita nunc dicit quod superiores animae influunt bonitates quas recipiunt ab
intelligentia super animas inferiores. Et
utrobique est ratio eadem: quia quod est imperfectius natum est perfici a
completiori, sicut potentia ab actu. Tertia differentia sumitur ex parte
effectus. Sicut enim de intelligentiis dixit quod superiores imprimunt
nobiliores animas, ita nunc dicit de animabus quod anima superior recipiens
virtutem immediate ab intelligentia habet fortiorem
impressionem, quia semper causa superior vehementius agit, ut in 1
propositione dictum est; et ideo id quod imprimitur a superiori anima in suo
corpore est fixum, stans, id est firmum et immobile, et motus eius est
aequalis, id est uniformis, et continuus, ut patet in corpore caelesti. Anima
vero inferior ad quam pertinet virtus intelligentiae, mediante superiori
anima, habet debiliorem impressionem in suum corpus sicut causa inferior; et
ideo id quod imprimit corpori sicut vita et huiusmodi est debile, propter
passibilitatem corporis ab exteriori agente, evanescens, a principio
interiori transmutatum, destructibile, quia finaliter totaliter desinit esse
id quod ab anima in corpore efficitur. Et tamen corpus quodammodo participat
sempiternitatem, scilicet secundum speciem, et hoc per generationem. In hoc
autem melius sensit auctor huius libri attribuens corruptibilitatem humanorum
corporum debilitati impressionis ipsius animae, quam Platonici qui posuerunt
etiam animam humanam habere quoddam corpus incorruptibile sibi semper unitum.
Patet etiam quod, secundum sententiam
huius auctoris, quando anima humana fuerit perfecta per coniunctionem ad
causam primam, poterit corpori suo imprimere vitam perpetuam; et secundum hoc
fides Catholica confitetur futuram vitam aeternam non solum in animabus sed
etiam in corporibus post resurrectionem. Ultimo epilogat quae in duabus
propositionibus dicta sunt. Quae autem diximus de animabus caelorum non
asserendo diximus, sed aliorum opiniones recitando. |
Leçon 5. Les intelligences supérieures premières
impriment des formes secondes stables qui ne périssent pas de sorte qu'il
n’est pas nécessaire de les renouveler. Pour leur part, les intelligences
secondes impriment des formes qui, comme l’âme, sont déclinantes et
séparables.
Après avoir manifesté la distinction des intelligences
dans la proposition précédente, l’auteur traite ici de la distinction des âmes qu’il assigne en
s’appuyant sur la distinction des intelligences qui les causent en quelque
sorte suivant son opinion. C’est pourquoi ce qu’on traite ici au sujet de la
distinction des âmes peut se rapporter à la distinction des intelligences
selon que la distionction des causes se manifeste par la distinction des
effets. Et c’est pourquoi dans certains livres cette proposition n’est pas
présentée à part mais rattachée au commentaire de la proposition précédente,
ce qui devient évident si on considère l’épilogue qui est présenté ici et qui
est commun aux deux propositions. Mais voici comment se présente cette proposition :
¨Les intelligences supérieures
premières impriment des formes secondes stables qui ne périssent pas de sorte qu'il n’est pas
nécessaire de les renouveler. Pour leur part, les intelligences secondes
impriment des formes qui, comme l’âme, sont déclinantes et séparables¨. Proclus cependant
présente deux propositions qui correspondent à celle-là, dont voici la
première, à savoir la proposition 182 : ¨Tout intellect divin est participé par des âmes divines¨, et la seconde, la proposition 183 qui dit : ¨Tout intellect participé mais qui est seulement intellect, est participé par des
âmes qui ne sont ni divines ni sujettes à passer de l’intelligence à l'ignorance¨. Pour avoir
l’évidence de cette proposition, il faut porter son attention sur trois
choses : d'abord sur l'impression
de l'âme; puis sur la distinction
des âmes; enfin sur la différence des âmes distinctes. Mais au sujet de l’impression
de l'âme, il faut considérer en
premier lieu comment il convient à l’âme de recevoir une impression, puis en deuxième lieu d’où elle la
reçoit. Mais il est manifeste qu’il convient à l’âme de recevoir une
impression si on considère la notion même d’impression qui implique
obligatoirement deux attributs : il faut certes en premier lieu que ce
qui est imprimé soit dans quelque chose qui existe et deuxièmement qu’il n’y
soit pas présent d’une manière superficielle, selon un contact extérieur
seulement, mais intimement et comme le pénétrant en profondeur. Et ces deux
attributs conviennent à l’âme selon la définition qui lui est propre. Nous
avons dit en effet plus haut dans la proposition 3 que l’opération propre de
l’âme consiste à mouvoir le corps du fait que son opération est inférieure à
l’opération propre de l’intelligence à laquelle il appartient de connaître
les choses sans que s’opère un mouvement en elle ; or il faut qu’un
principe de mouvement s’applique au mobile car comme le Philosophe le prouve
au livre 7 de la Physique, le moteur
et le mobile sont simultanés ; il suit de là qu’il convient à l’âme
selon sa définition propre d’exister dans un corps en mouvement. Mais le
mouvement par lequel l’âme meut le corps est le mouvement du corps vivant qui
ne vient certes pas d’un moteur extérieur comme c’est le cas pour le
mouvement violent ou pour le mouvement des corps lourds ou légers provoqué
par celui qui le produit, mais plutôt d’un moteur intérieur ; c’est
pourquoi on dit des êtres vivants qu’ils se meuvent par eux-mêmes. Et c’est
pourquoi il faut que l’âme qui meut le corps soit à l’intérieur du corps
auquel elle est unie et c’est pour cette raison qu’on dit qu’elle lui est
imprimée. Mais si on demandait d’où procède cette impression, il faut
répondre que, d’après l’opinion de cet auteur, elle vient d’une intelligence.
C’est lui-même en effet qui dit : car
elle-même, à savoir l’âme inférieure, procède
d’une impression d’une intelligence seconde, c’est-à-dire du deuxième
ordre des intelligences, laquelle,
à savoir l’intelligence seconde, découle
de l’être créé inférieur, c’est-à-dire de celui qui se trouve dans la
partie inférieure de l’être créé premier lui-même qui est l’être des
intelligences ; ou bien encore lorsqu’il dit ceci, à savoir qui suit l’être etc., cela peut se
rapporter à l’âme qui se range sous l’éternité de l’intelligence comme nous
l’avons dit à la proposition 2. Mais cette position n’est pas tout à fait confirmée. En
effet, il existe deux manières selon lesquelles il nous est possible de
parler de l’impression de l’âme : premièrement du côté de l’âme elle-même
qui reçoit l’impression ; deuxièmement du côté de la matière à laquelle
l’âme s’imprime. Et cette distinction vaut certes pour toute âme qui subsiste
par elle-même, c’est-à-dire pour toute âme intellectuelle comme nous le
verrons plus loin, car l’existence de sa substance subsistante ne se réduit
pas totalement à son union à la matière corporelle contrairement à
l’existence des substances non-subsistantes que sont les âmes des brutes et
des plantes et c’est pourquoi dans ce dernier cas la distinction qui précède
ne tient plus puisque l’existence de telles âmes se considère simultanément,
à la fois du côté de la matière qui reçoit et de celui de l’âme elle-même. Si
donc nous parlons de l’âme subsistante, c’est-à-dire de toute âme
intellectuelle, qu’il s’agisse de l’âme céleste si on pose, comme le suppose
l’auteur de ce livre, que les corps célestes sont animés, ou de l’âme humaine
du côté de l’âme elle-même, alors, d’après les fondements des positions
platoniciennes que l’auteur de ce livre suit en plusieurs points, cette âme
intellectuelle procède de l’impression d’une intelligence car comme nous
l’avons dit plus haut dans la proposition 3, les Platoniciens ont soutenu que
ce qu’il y a de commun dans une chose est causé par un principe qui est autre
que le principe inférieur ou particulier par lequel ce qu’il y a de plus
propre y est causé. Conformément à cette position l’âme qui subsiste par
elle-même tient son être de la cause première, mais son intellectualité et le
fait d’être une âme, elle le doit aux causes secondes que sont les
intelligences ; il résulte de là que puisqu’il appartient à la définition
de l’âme d’être imprimée ou unie à un corps, il s’ensuit que cette âme tient
de l’intelligence d’être unie à un corps. Mais parce que, comme nous l’avons
dit, la position qui précède n’a pas pour elle la vérité et qu’elle s’oppose à
la pensée d’Aristote, il faut dire que c’est de la cause première d’où elle
tient son existence qu’une telle âme tient aussi d’être intellectuelle et
d’être une âme, et par conséquent aussi d’être imprimée ou unie à un corps.
Suite à cela, l’âme ne procède donc pas de l'impression de l'intelligence mais de
l'impression de la cause première. Mais si nous parlons d’une telle âme du
côté de la matière réceptrice à laquelle elle s’imprime, alors, quant à l’âme
céleste, si le ciel possédait une âme, le raisonnement serait le même. En
effet, la nature des corps célestes n’est pas causée de quelque manière par
les intelligences, mais par la cause première de laquelle ils tiennent leur
existence. Mais si nous parlons de
l’âme humaine du côté de ce qui la reçoit, alors d’une certaine manière elle
procède de l’impression d’une intelligence, c’est-à-dire dans la mesure où le
corps humain lui-même est disposé à recevoir une telle âme par la puissance
du corps céleste qui opère dans la semence, en raison de quoi on dit que
c’est à la fois l’homme et le soleil qui engendrent un homme. Certains posent cependant, même des
docteurs de la foi chrétienne comme Saint-Augustin et Saint-Grégoire, que les
corps célestes sont mus par des créatures spirituelles qu’on appelle Anges,
Intelligences ou intellects séparés ; et il suit de là que les
Intelligences posent une opération pour que l’âme humaine soit imprimée au
corps du côté de ce qui reçoit. Et en ce sens on peut dire que les autres
âmes, celles qui ne subsistent pas par elles-mêmes, procèdent d’une
impression des intelligences et des corps célestes. Il reste ensuite à considérer le deuxième point, à
savoir la distinction des âmes. Et il présente la même cause de distinction
et de multiplication pour les âmes que celle qu’il avait présentée pour les
intelligences : en effet, tout comme l’existence d’une intelligence est
composée d’infini et de fini selon que son existence n’est pas subsistante
mais participée d’une certaine nature en raison de quoi elle peut se
distinguer en une multiplicité, il en est aussi de même pour l’existence de
l’âme. Et c’est cela qu’il dit en ces termes : ¨les âmes ne se multiplient qu’à la manière dont les intelligences se
multiplient et il en est ainsi parce que l’existence de l’âme a de son côté une fin, mais aussi parce que
ce qui provient de là et est inférieur est sans limite¨. Il dit cependant que la nature même qui participe de
l’existence est inférieure et il l’appelle infinie en raison de sa puissance
de durer à l’infini dans l’existence ; ce qu’il appelle cependant finie,
c’est l’existence participée elle-même parce que l’existence n’est pas
participée selon toute l’infinité de son universalité mais à la manière de la
nature qui en participe. Il faut cependant remarquer que parce que la nature
de l’intelligence est tout à fait séparée de la nature corporelle, la
distinction des intelligences se vérifie d’après le degré de leur nature
propre sans aucune référence à quelque chose de corporel. Mais il appartient
à la nature même de l’âme d’être imprimée à un corps et c’est pourquoi la
distinction des âmes se vérifie par référence aux corps animés. Il suit de là
que si les corps animés sont d’espèces différentes, les âmes qui leur sont
imprimées seront d’espèces différentes, et c’est là ce qu’il faudrait dire
aussi des corps célestes s’ils étaient des corps animés ; mais si les
corps animés sont de même espèce, les âmes qui leur sont imprimées seront
elles aussi de même espèce et ne seront multipliées que par le nombre comme
c’est le cas pour les âmes humaines. Il faut ensuite examiner le troisième point, à savoir
la différence entre les âmes distinctes. Et l’auteur présente trois
différences dont la première se prend d’après la différence de perfection
qu'il y a entre les âmes. Il dit en effet que les âmes, à savoir celles qui sont supérieures comme celles des
corps célestes, lesquelles suivent l’intelligence, c’est-à-dire qui se rangent
immédiatement après elle, sont
accomplies, c’est-à-dire quant à la perfection de la nature animale. Et il donne un signe de cette perfection
lorsqu’il ajoute : peu portées à se
détourner et à se séparer. Nous avons dit en effet plus haut à la
proposition 2 que l’âme, en tant qu'elle s’écarte de la perfection de l’intelligence, se
rapproche du mouvement et c’est pourquoi les âmes participent d’autant moins du mouvement
qu’elles sont plus élevées et plus proches de l’intelligence. Les âmes inférieures en
effet participent du mouvement non seulement en tant qu'elles meuvent le corps,
mais aussi en tant qu’elles ne sont pas toujours
unies à leur corps et qu’elles ne posent pas toujours l’acte d’intellection.
Mais les âmes supérieures, à l’inverse, sont toujours unies à leur corps et sont
toujours en acte d'intellection. Elles ont cependant part au mouvement en tant
qu’elles meuvent les corps célestes. C’est pourquoi, il dit qu'elles sont peu portées à se détourner, parce qu’elles s’écartent très peu de
l'immobilité de l’intelligence, et peu
portées à se séparer, parce qu’elles sont peu portées à adopter des états
différents, de telle manière qu’on les retrouverait tantôt ici et tantôt là,
c’est-à-dire changées quant au seul mouvement local des corps célestes. Mais
les âmes inférieures quant à elles s’éloignent de l’achèvement et des rares
manquements et changements qui caractérisent les âmes supérieures. La deuxième différence se tire de l’influence des âmes
les unes sur les autres. En effet, tout comme il disait plus haut que les intelligences premières répandent sur
les intelligences secondes les bienfaits qu’elles reçoivent de la cause première,
de même il dit maintenant que les âmes
supérieures répandent sur les âmes inférieures les bienfaits qu’elles
reçoivent de l’intelligence. Et dans les deux cas le raisonnement est le
même, car ce qui est plus imparfait est fait par nature pour être achevé par
ce qui est plus parfait, comme la puissance l’est par l’acte. La troisième différence se tire du côté de l’effet.
Tout comme il a dit en effet au sujet des intelligences que celles qui sont
supérieures exercent une impression sur les âmes supérieures, de même il dit
maintenant au sujet des âmes que l’âme
supérieure qui reçoit sa puissance
immédiatement de l’intelligence
possède une impression plus forte
car une cause supérieure agit toujours avec plus de force, comme on l’a dit à
la proposition 1 et c’est pourquoi ce qui est imprimé à son corps par une âme
supérieure y est posé comme étant fixe et stable, c’est-à-dire avec fermeté
et immobilité, et son mouvement est égal, c’est-à-dire uniforme et continu
ainsi qu’on le voit chez les corps célestes. Mais pour ce qui
est de l’âme inférieure à laquelle parvient la puissance de
l’intelligence par l’intermédiaire de l'âme supérieure, elle garde quant à
elle une impression plus faible sur son corps en tant qu’elle est une cause
inférieure ; et c’est pourquoi ce qu’elle imprime au corps y est établi
faiblement, en raison de la passibilité de ce dernier à l’égard des agents
extérieurs, de manière fugitive en raison du principe intérieur de changement, et y
est soumis à la destruction, car ce que l’âme produit dans le corps doit, à
la fin, cesser d’exister en totalité. Et le corps participe cependant d’une
certaine manière de l’éternité, c’est-à-dire quant à l’espèce grâce à la
génération. Et sur ce point l’auteur de ce livre, lorsqu’il attribue la
corruptibilité des corps humains à la faiblesse de l’impression de l’âme
elle-même, fait preuve d’un meilleur jugement que les Platoniciens qui soutenaient encore
que l’âme humaine possède un corps incorruptible qui lui est toujours uni. Il
est clair aussi, d’après la position de cet auteur, que lorsque l’âme humaine
aura été rendue parfaite par son union à la cause première, elle pourra
imprimer à son corps une vie éternelle ; et conformément à cela la foi
catholique confesse une vie future éternelle non seulement pour les âmes mais
aussi pour les corps suite à la résurrection. Notre auteur termine enfin en résumant ce qui a été dit
dans les deux propositions 4 et 5. Il précise cependant que ce qui a été dit
au sujet des âmes des corps célestes ne doit pas être pris comme une
affirmation de sa part, mais seulement comme étant la mention d’une opinion
provenant d’autres auteurs. |
Lectio 6 [84241] Super De
causis, l. 6 Postquam auctor huius libri distinxit
esse superius generaliter in tres gradus quorum primus est supra
aeternitatem, quod convenit causae primae, secundus cum aeternitate, quod
convenit intelligentiae, tertius est infra aeternitatem et supra tempus, quod
convenit animae, hic incipit prosequi de singulis gradibus, et primo de causa
prima, secundo de intelligentia, in 7 propositione, ibi: intelligentia est
substantia etc., tertio de anima, 14 propositione, ibi: in omni anima et
cetera. De causa autem prima hoc est quod potissime scire possumus quod omnem
scientiam et locutionem nostram excedit; ille enim perfectissime Deum
cognoscit qui hoc de ipso tenet quod, quidquid cogitari vel dici de eo
potest, minus est eo quod Deus est. Unde Dionysius dicit I capitulo mysticae
theologiae, quod homo secundum melius suae cognitionis unitur Deo sicut
omnino ignoto, eo quod nihil de eo cognoscit, cognoscens ipsum esse supra
omnem mentem. Et ad hoc ostendendum inducitur haec propositio: causa prima
superior est narratione. Per narrationem autem oportet affirmationem
intelligi, quia quidquid de Deo affirmamus non convenit ei secundum quod a
nobis significatur; nomina enim a nobis imposita significant per modum quo
nos intelligimus, quem quidem modum esse divinum transcendit. Unde Dionysius
dicit II capitulo caelestis hierarchiae quod negationes in divinis sunt
verae, affirmationes vero incompactae vel inconvenientes. Hanc etiam
propositionem Proclus ponit CXXIII sui libri, sub his verbis: omne quod
ens ipsum quidem propter supersubstantialem unionem indicibile est et
incognoscibile omnibus secundis, a participantibus autem capabile est et
cognoscibile: propter quod solum primum penitus ignotum tamquam amethectum
ens. Per hoc autem quod dicit quod ens, intelligit omnem formam
idealem secundum Platonicorum positiones, puta per se hominem, per se vitam
et cetera huiusmodi, quae deos dicebant, ut supradictum est; huiusmodi autem
habent unitatem, secundum ipsos, supersubstantialem, quia excedunt omnia
subiecta participantia; et ideo dicit quod neque dici neque cognosci potest
unumquodque eorum ab inferioribus, sed a superioribus cognosci possunt, puta
idea vitae cognosci potest ab idea entis. Et, quamvis non possint perfecte
cognosci vel dici ab inferioribus, aliqualiter tamen capi et cognosci possunt
a participantibus, id est per participantia, sicut per ea quae participant
vitam aliquid cognoscitur de ipsa vita. Sed illud quod est primum
simpliciter, quod, secundum Platonicos, est ipsa essentia bonitatis, est
penitus ignotum, quia non habet aliquid supra se quod possit ipsum
cognoscere; et hoc significat quod dicitur amethectum, id est non post
existens alicui. Et, quia auctor huius libri non concordat cum Platonicis in
positione aliarum naturarum separatarum idealium, sed ponit solum primum, ut
supra dictum est, ideo praetermissis aliis de hac causa prima dicit quod est
superior narratione. Et causam assignat propter suam
supersubstantialitatem, sicut et Proclus, et hoc est quod subdit in
propositione: et non deficiunt linguae a narratione eius nisi propter
narrationem ipsius, quoniam ipsa est super omnem causam. Qualiter autem
narretur, ostendit subdens: et non narratur nisi per causas secundas quae
illuminantur lumine causae primae; et hoc est idem ei quod Proclus dixit
quod a participantibus capabile est et cognoscibile. Hoc autem quod dictum est in propositione
probatur per hunc modum; tripliciter enim aliquid cognoscitur: uno modo sicut
effectus per causam, alio modo per seipsum, tertio modo per effectum. Primo ergo ostendit quod causa prima non cognoscitur primo modo,
scilicet per causam, cum dicit quod causa prima non cessat illuminare
causatum suum, et ipsa non illuminatur lumine alio, quoniam ipsa est lumen
purum supra quod non est lumen. Ad cuius intellectum considerandum est
quod per lumen corporale visibilia sensibiliter cognoscuntur, unde illud per
quod aliquid cognoscitur, per similitudinem lumen dici potest; probat autem
philosophus in IX metaphysicae quod unumquodque cognoscitur per id quod est
in actu; et ideo ipsa actualitas rei est quoddam lumen ipsius et, quia
effectus habet quod sit in actu per suam causam, inde est quod illuminatur et
cognoscitur per suam causam. Causa autem prima est actus purus, nihil habens
potentialitatis adiunctum; et ideo ipsa est lumen purum a quo omnia alia
illuminantur et cognoscibilia redduntur. Et ex hoc concludit ulterius quod
sola causa prima sic est prima quod non potest narrari, quia non habet causam
superiorem per quam narretur; res enim consueverunt narrari per suas causas.
Et, quia a cognitione processit ad narrationem, ostendit consequenter quod
causa prima, cum sit supra cognitionem, oportet quod sit supra narrationem:
et hoc ideo quia narratio, id est affirmatio, fit per loquelam,
id est per aliquem sermonem significativum, loquela autem est per
intelligentiam, quia voces significativae sunt signa intellectuum, intelligentia
autem fit per cogitationem, id est per rationem,- et hoc est verum in
hominibus, qui ratiocinando perveniunt ad intellectum veritatis,- et
cogitatio per meditationem, id est per imaginationem et ceteras vires
sensitivas interiores quae deserviunt rationi humanae, et meditatio
fit per sensum, quia phantasia est motus factus a sensu secundum actum
ut dicitur in libro de anima; unde, cum causa prima sit super omnes res,
excedit omnia praedicta. Et hoc etiam Dionysius ponit I capitulo de divinis
nominibus, dicens: et neque sensus est eius, neque fantasia, quod iste
nominat meditationem, neque opinio, quod iste nominat rationem,
neque nomen, quod iste nominat loquelam, neque sermo, quod iste
nominat narrationem, neque scientia, quod iste nominat intelligentiam.
Secundo vero ostendit quod non cognoscitur secundo modo, scilicet per
seipsam. Et hoc probat per diversos modos cognitionum: eorum enim quae per se
cognoscuntur, quaedam cognoscuntur sensu, sicut res sensibiles, quaedam
meditatione sive imaginatione, sicut res imaginabiles quae sensui non
subiacent, quaedam vero intellectu, sicut res necessariae et immobiles,
quaedam vero ratione sive cogitatione, sicut res generabiles et
corruptibiles, secundum quem modum philosophus in VI Ethicorum dicit quod
ratiocinativum est circa ea quae contingit aliter se habere; unde, cum causa
prima sit supra omne huiusmodi genus rerum, nullo istorum modorum cognosci
potest. Hanc etiam probationem inducit Proclus nisi quod meditationem ponit
loco cogitationis et opinionem loco meditationis. Et quidem circa hanc
rationem manifestum est quod causa prima est supra res sensibiles et
imaginabiles et corruptibiles; sed, quod sit supra res intelligibiles
sempiternas, non est manifestum. Et haec probatio hic praetermittitur, sed
Proclus probat per hoc quod omnis cognitio intellectualis vel rationalis est
entium: illud enim quod primo acquiritur ab intellectu est ens, et id in quo
non invenitur ratio entis non est capabile ab intellectu; unde, cum causa
prima sit supra ens, consequens est quod causa prima sit supra res
intelligibiles sempiternas. Causa autem prima, secundum Platonicos quidem,
est supra ens in quantum essentia bonitatis et unitatis, quae est causa
prima, excedit etiam ipsum ens separatum, sicut supra dictum est. Sed
secundum rei veritatem causa prima est supra ens in quantum est ipsum esse
infinitum, ens autem dicitur id quod finite participat esse, et hoc est
proportionatum intellectui nostro cuius obiectum est quod quid est ut dicitur
in III de anima, unde illud solum est capabile ab intellectu nostro quod
habet quidditatem participantem esse; sed Dei quidditas est ipsum esse, unde
est supra intellectum. Et per hunc modum inducit hanc rationem Dionysius I
capitulo de divinis nominibus, sic dicens: si cognitiones omnes
existentium sunt, et si existentia finem habent, in quantum scilicet
finite participant esse, qui est supra omnem substantiam ab omni
cognitione est segregatus. Tertio ostendit quomodo causa prima
cognoscitur per effectum. Et dicit quod causa prima non significatur
in his quae de ipsa dicuntur, nisi ex causa secunda quae est intelligentia:
sic enim loquimur de Deo quasi de quadam substantia intelligente; et hoc ideo
quia intelligentia est suum causatum primum, unde est Deo simillima et
per ipsam maxime cognosci potest. Sed tamen non sufficienter cognoscitur per
eam, quia illud quod est intelligentia est in causa prima altiori modo,
causa autem excedens effectum non sufficienter cognosci potest per suum
effectum. Sic ergo patet quod causa prima superior est narratione,
quia neque per causam, neque per seipsam, neque per effectum sufficienter
cognosci aut dici potest. |
Leçon 6. La cause première transcende tout discours
et les langues sont impuissantes à la dire par le discours, du moins par un
discours sur son être qui dépasse toute cause ; on ne peut en discourir
qu’au moyen des causes secondes qui sont éclairées par la lumière de la cause
première.
Après avoir distingué
l’être supérieur dans son ensemble en trois degrés dont le premier, propre à
la cause première, est
au-dessus de l’éternité, le second, attribué à l’intelligence, est avec l’éternité,
et le troisième, appartenant à l’âme, est au-dessous de l’éternité et au-dessus du temps,
l’auteur de ce livre commence
ici à traiter de chacun de ces degrés séparément en commençant d’abord par la
cause première, puis en examinant en deuxième lieu l’intelligence à la
proposition 7 là où il dit : l’intelligence
est la substance etc. Enfin en troisième lieu il traite de l’âme à la
proposition 14 là où il dit : en
toute âme etc. Au sujet de la cause première cependant, ce que nous
pouvons savoir de meilleur c’est qu’elle dépasse toute science et tout
discours humains. En effet, celui qui connait le plus parfaitement Dieu est
celui qui sait ceci à son sujet, à savoir que tout ce qui peut être pensé et dit de Lui est
bien en-deça de ce que Dieu est en réalité. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 1
de sa Théologie mystique que
l’homme, d’après la meilleure connaissance qu’il peut avoir de Dieu, est uni à
Lui comme à ce qui lui est absolument inconnu du fait que, reconnaissant que
l’être de Dieu transcende tout esprit, il sait qu’il ne connaît rien de lui.
Et pour le montrer il présente cette proposition : la cause première dépasse tout discours. Mais par discours il
faut entendre affirmation car tout ce que nous affirmons de Dieu ne lui
convient pas dans le sens où cela est signifié par nous ; en effet, les
noms qui sont imposés par nous signifient selon le mode par lequel nous
connaissons alors que l’être divin transcende ce mode. C’est pourquoi Denys
dit au chapitre 2 de La Hiérarchie
Céleste qu’en ce qui concerne Dieu, les
négations sont vraies alors que les affirmations sont inconvenantes.
Aussi, c’est en ces termes que Proclus présente la même idée à la
proposition 123 de son livre : ¨tout
ce qui est de l’être par soi est indicible et inconnaissable par tout ce qui
lui est inférieur en raison de son unité suprasubstantielle, mais il peut
être saisi et connu par ce qui en participe : c’est pour cette raison
que seul Celui qui est premier est totalement
inconnu du fait qu’il est imparticipable ou que rien ne peut en participer.¨
En parlant d’¨être¨, il entend
toute forme idéale conformément aux positions des Platoniciens, par exemple
l’homme par soi, la vie par soi, et les autres formes de cette sorte qu’ils
appelaient des dieux ainsi que nous l’avons dit plus haut ; et selon eux
de telles formes possèdent une unité suprasubstantielle parce qu’elles
transcendent tous les sujets qui en participent ; et c’est pourquoi il
dit qu’aucune d’elle ne peut être nommée ou connue par ce qui lui est
inférieur, mais seulement par ce qui lui est supérieur : par exemple,
l’idée de vie peut être connue par l’idée d’être. Et bien que ces formes ne
peuvent être parfaitement connues et nommées par les formes inférieures,
elles peuvent cependant être saisies et connues en quelque sorte par ceux qui
en participent, c’est-à-dire au moyen de ceux qui y prennent part, tout comme
quelque chose peut être connu au sujet de la vie au moyen de ceux qui
participent de la vie. Mais ce qui est premier absolument, c’est-à-dire
l’essence même du bien selon les Platoniciens, cela demeure totalement ignoré
car il n’y a rien au-dessus de lui qui puisse Le connaître ; et c’est là
ce que l’auteur veut signifier lorsqu’il dit ¨imparticipable¨, c’est-à-dire qu’il n’existe pas suite à un
autre. Et parce que l’auteur de ce livre ne partage pas ce point de vue avec
les Platoniciens qui consiste à poser d’autres natures séparées idéales alors
que lui-même n’en pose qu’une seule ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est
pourquoi, mettant de côté ces autres formes, il dit au sujet de cette cause
première qu’elle est supérieure à tout
discours. Et il en donne la cause en disant, tout comme Proclus, que
c’est en raison de sa suprasubstantialité, et c’est ce qu’il ajoute par cette
proposition : ¨Et les langues ne
sont impuissantes à discourir sur la cause première qu’en raison du sujet
même sur lequel porte le discours, à savoir la cause première elle-même,
puisque cette dernière est au-dessus de toute cause¨. Et il montre par la
suite de quelle manière il est possible de discourir à son sujet en
ajoutant : et on ne peut en
discourir qu’au moyen des causes secondes qui sont illuminées par la lumière
de la cause première. Et cela est identique à ce que Proclus a dit, à
savoir qu’elle peut être saisie et
connu par ce qui en participe. Et ce qui est dit dans cette proposition est prouvé de
cette façon. C’est de trois manières en effet que quelque chose peut être
connu. Premièrement à la manière dont un effet est connu par sa cause ;
deuxièmement comme une chose est connue par elle-même ; troisièmement
comme lorsque quelque chose est connu au moyen de son effet. Il montre donc
en premier lieu que la cause première ne peut être connue de la première façon,
c’est-à-dire par sa cause lorsqu’il dit que la cause première ne cesse d’éclairer ses effets et qu’elle-même
n’est éclairée par aucune lumière car elle est elle-même une pure lumière
au-dessus de laquelle il n’y a aucune autre lumière. Et pour comprendre
cela il faut considérer que c’est au moyen de la lumière corporelle que ce
qui est visible devient connu par les sens et c’est pourquoi ce qui sert à
faire connaître quelque chose peut être appelé ¨lumière¨ par analogie. Mais
le Philosophe prouve au neuvière livre de la Métaphysique que tout est connu au moyen de ce qui existe en acte
et c’est pourquoi l’actualité même d’une chose est en un sens sa lumière et
parce que c’est par sa cause qu’un effet tient d’être en acte, il suit de là
qu’il est illuminé et connu par sa cause. Mais la cause première est acte pur
sans aucun mélange avec de la potentialité et c’est pourquoi elle est une
pure lumière par laquelle tous les autres êtres sont éclairés et deviennent
connaissables. Et à partir de là il conclut par la suite que seule la cause
première est première à ce point qu’on ne puisse en former aucun discours car
il n’existe pas de cause qui lui soit supérieure et au moyen de laquelle on
pourrait en discourir ; on a l’habitude en effet de discourir des choses
au moyen de leurs causes. Et parce que c’est par la connaissance qu’on
procède à un discours, il montre par la suite que la cause première, parce
qu’elle est au-dessus de la connaissance, est aussi au-dessus de tout
discours : et il en est ainsi parce que le discours, c’est-à-dire l’affirmation, est produit au moyen de la parole, c’est-à-dire par un langage
qui porte une signification, et que la
parole est l’effet de
l’intelligence puisque les sons de voix significatifs sont les signes des
concepts, et que l’acte d’intelligence
est le résultat de la pensée,
c’est-à-dire qu’il est produit par la raison, et cela est vrai chez les
hommes qui parviennent à l’intelligence de la vérité par le raisonnement, et
que la pensée est produite par la méditation, c’est-à-dire par l’imagination
et les autres puissances sensibles intérieures qui sont au service de la
raison humaine, et que la méditation s’effectue par le sens car l’image est
un mouvement produit par le sens en acte ainsi qu’on le dit dans le livre
intitulé de l’Âme ; il résulte
de là, puisque la cause première transcende toute réalité, qu’elle transcende
aussi tout ce que nous venons d’énumérer. Et c’est aussi ce qu’affirme Denys
au chapitre 1 des Noms Divins
lorsqu’il dit : et à son sujet il
ne peut exister aucune sensation ni aucune image, ni aucune opinion, ni aucun
nom, ni aucun discours, ni aucune science, termes que notre
auteur remplace respectivement par méditation, raison, parole, langage et
intelligence. Mais en deuxième lieu
l’auteur montre que la cause première ne peut être connue de la
deuxième manière, c’est-à-dire par elle-même et il le prouve par différentes
sortes de connaissances : en effet, parmi les choses qui peuvent être
connues par elles-mêmes, il y a celles qui sont connues par les sens, comme
les réalités sensibles, d’autres sont connues par la méditation ou
l’imagination, comme les choses qu’on peut imaginer et qui ne sont pas
soumises à la sensation, d’autres par l’intelligence, comme ce qui est
nécessaire et immobile, d’autres par
la raison ou la pensée, comme les réalités qui sont sujettes à la génération
et à la corruption et c’est au sujet de cette modalité de connaissance que le
Philosophe dit au livre 6 de l’Éthique
que le raisonnement porte sur les réalités qui peuvent être autrement ;
il résulte de là, puisque la cause première transcende tous ces genres de
choses, qu’elle ne peut être connue par aucune de ces formes de connaissance.
C’est cette même preuve qui est introduite par Proclus, sauf qu’il parle de méditation
au lieu de pensée, d’opinion au lieu de méditation. Et suivant ce
raisonnement il est certes évident que la cause première transcende les
réalités sensibles imaginables et corruptibles, mais qu’elle transcende les
réalités intelligibles éternelles, cela l’est moins. Et cette preuve est ici
omise mais Proclus le prouve par ceci que toute connaissance intellectuelle
ou rationnelle est relative aux êtres : en effet, ce qui est saisi en
premier par l’intelligence, c’est l’être et ce en quoi ne se retrouve pas la
notion d’être ne peut être saisi par l’intelligence ; il résulte de là
que puisque la cause première transcende l’être, que la cause première
transcende même les réalités intelligibles éternelles. Mais la cause première
selon les Platoniciens transcende l’être selon que l’essence même de la bonté
et de l’unité, qui est la cause première, transcende aussi l’être séparé
lui-même ainsi que nous l’avons dit plus haut. Mais en vérité la cause
première transcende tout ce qui existe en tant qu’elle est l’être même dans
son infinité alors qu’on appelle ¨êtres¨ ceux qui participent de l’être d’une
manière qui est limitée ; or la connaissance qui est proportionnée à
notre intelligence est celle dont l’objet est le ¨ce qu’est la chose¨ ainsi
qu’on le dit au troisième livre de
l’Âme, d’où il résulte que seul ce qui possède une quiddité qui participe
de l’être peut être saisi par notre intelligence ; mais la quiddité de
Dieu est son être même et c’est pourquoi il transcende toute intelligence. Et
c’est de cette manière que Denys introduit ce raisonnement au chapitre 1 des Noms Divins lorsqu’il dit : si toutes les connaissances se rapportent
à ce qui existe et si tout ce qui existe a une fin, c’est-à-dire selon
qu’ils participent de l’être d’une manière finie, celui qui transcende toute substance est en-dehors ou inaccessible à
toute connaissance. En troisième lieu il montre comment la cause première
est connue par ses effets. Et il dit que la cause première n’est signifiée dans les termes qui
lui sont attribués, qu’à partir de la
cause seconde qui est l’intelligence : c’est ainsi en effet que nous
parlons de Dieu comme d’une certaine substance intelligente et il en est
ainsi parce que l’intelligence est son
premier effet, ce qui explique qu’elle est ce qui Lui est le plus
semblable et que c’est par elle qu’Il peut le mieux être connu. Cependant la
cause première n’est pas suffisamment bien connue par elle parce que la
nature de l’intelligence existe dans la cause première d’une manière plus excellente encore qu’elle n’existe en
elle-même et que la cause qui dépasse l’effet ne peut être suffisamment bien
connue par son effet. Ainsi donc il est clair que la cause première transcende tout discours parce qu’elle ne peut
être connue ni par une cause, ni par elle-même, et qu’elle ne peut pas même
être connue et exprimée suffisamment bien par ses effets. |
Lectio 7 [84242] Super De
causis, l. 7 Postquam primum gradum superioris esse,
scilicet primam causam, dixit inenarrabilem esse, nunc accedit ad secundum
gradum, scilicet ad intelligentias; et primo determinat de intelligentia
quantum ad sui substantiam, secundo quantum ad eius cognitionem, in 8
propositione, ibi: omnis intelligentia scit et cetera. Circa primum sciendum
est quod ea quae sunt superioris ordinis cognosci non possunt sufficienter per
ea quae sunt ordinis inferioris, eo quod superiora excedunt inferiorum modum
et virtutem. Quia vero humana cognitio a sensu initium sumit, ea quae nostris
sensibus offeruntur, cognoscere sufficienter possumus; sed ex his in
superiorum cognitionem pervenire non possumus, nisi secundum ea quae cum
sensibilibus nobis notis habent communia. Ea vero quae totaliter nostris
sensibus offeruntur, sunt inferiora corpora cum quibus superiora corpora in
essentiae specie non conveniunt nec in naturae conditione; conveniunt autem
in ratione quantitatis et luminis et eorum quae ad haec sequuntur, et ideo
pertingere possumus ad cognoscendum de superioribus corporibus et claritatem
ipsorum, secundum quam sunt nobis visibilia, et quantitatem magnitudinis et
motus ipsorum, et figuram, et etiam genus ipsorum secundum modum quo
conveniunt in genere cum inferioribus corporibus; propriam autem naturam
ipsorum secundum rationem speciei scire non possumus, nisi per negationem in
quantum transcendit inferiorum corporum naturam, unde Aristoteles in I de
caelo probat caeleste corpus non esse neque grave, neque leve, neque
generabile, neque corruptibile. Similiter etiam intelligentia transcendit
totum ordinem corporalium rerum. Quia tamen sua quidditas vel essentia non
est ipsum suum esse, sed est res subsistens in suo esse participato, ideo
quodammodo convenit in genere cum corporibus quae etiam in suo esse
subsistunt; et sic secundum logicam intentionem utrumque ponitur in genere
substantiae. Et ideo intelligentia quidem notificari potest enarrative sive
affirmative quantum ad suum genus, ut dicatur esse substantia; sed quantum ad
differentiam specificam enarrari non potest, sed oportet quod per negationem
nobis notificetur in quantum transcendit totum ordinem corporalium rerum quibus
convenit divisibilitas. Et ideo, notificans intelligentiae essentiam prout a
nobis notificari potest, proponit hanc propositionem: intelligentia est
substantia quae non dividitur. Causa autem prima non est natura
subsistens in suo esse quasi participato, sed potius est ipsum esse
subsistens, et ideo est supersubstantialis et simpliciter inenarrabilis.
Ponit autem et Proclus in suo libro hanc propositionem CLXXI, sub his verbis:
omnis intellectus impartibilis est substantia. Quod autem dictum est
probatur per divisionem et, quantum ex verbis hic positis apparet,
praemittitur duplex divisio. Quarum prima est ex parte ipsius rei dividendae
quae habet magnitudinem stantem et quantitatem fluentem, sicut est in tempore
et motu; et hoc est quod dicit: quod est quia si non est cum magnitudine
neque corpus neque movetur, tunc procul dubio non dividitur. Per hoc enim
quod dicit: si non est cum magnitudine neque corpus, excludit
magnitudinem stantem, id est habentem situm; et dicit: neque cum
magnitudine neque corpus, quia corpus est magnitudo completa divisibilis
secundum omnem dimensionem, superficies autem et linea sunt magnitudines
incompletae secundum unam vel duas partes; vel, hoc quod dicit: si non est
cum magnitudine, ponitur ad excludendum ea quae sunt quanta per accidens,
sicut albedo et similia. Aliam divisionem ponit ex parte ipsius divisionis;
et dicit quod omne quod dividitur, vel dividitur secundum multitudinem, id
est secundum quantitatem discretam, vel secundum magnitudinem, quae est
divisio secundum quantitatem continuam habentem situm, vel secundum motum,
quae est divisio quantitatis continuae non habentis situm. Eadem enim est
divisio temporis et motus, ut probatur in VI physicorum. In prima autem
divisione praetermisit de multitudine, quia divisio quae est secundum numerum
consequitur divisionem continui, ut patet in III physicorum; et ideo in
quibus non est divisio secundum magnitudinem, non est divisio secundum
multitudinem. His autem divisionibus positis, ostendit quod nullo
praedictorum modorum intelligentia dividitur. Et videtur esse probatio talis:
omne quod dividitur, dividitur in tempore; est enim divisio quidam motus ab
unitatem in multitudinem; sed intelligentia non est in tempore, sed est in
aeternitate totaliter, ut supra habitum est in 2 propositione; ergo excedit
omnem praedictum divisionis modum. Et haec quidem est expositio huius
propositionis secundum quod ex verbis hic positis apparet. Sed sciendum est
verba hic posita ex vitio translationis esse corrupta, ut patet per litteram
Procli, quae talis est: si enim est sine magnitudine et incorporeus et
immobilis, impartibilis est. Quod vero sequitur, non inducitur per modum
alterius divisionis, sed per modum probationis; sic enim subdit: omne enim
qualitercumque partibile aut secundum multitudinem, aut secundum
magnitudinem, aut secundum operationes est partibile. Et statim probat
quod non sit partibile secundum operationes, nam addit: in tempore latas,
quasi dicat: omnes operationes partibiles sunt in tempore. Et subdit: intellectus
autem secundum omnia est aeternalis et ultra corpora, et unita est quae in
ipso multitudo; impartibilis ergo est. Singulum praedictorum supra
positorum ostendit. Et primo prosequitur de incorporeitate, sic dicens: quod
quidem igitur incorporeus sit intellectus, quae ad seipsum conversio
manifestat, est autem conversio intellectus ad seipsum in hoc quod
seipsum intelligit; corporum enim nullum ad seipsum convertitur. Et
hoc quidem supra probaverat, praemittens XV propositionem talem: omne quod
ad seipsum conversivum est, incorporeum est. Quod sic probat: nullum
enim corporum ad seipsum natum est converti. Si enim quod convertitur ad
aliquid copulatur illi ad quod convertitur, palam itaque quia et omnes partes
corporis, eius quod ad seipsum convertitur, ad omnes copulabuntur. Quod est
impossibile in omnibus partibilibus, propter partium separationem, aliis
earum alibi iacentibus. Et haec quidem probatio hic subditur satis
confuse, cum dicitur: et significatio quidem illius, scilicet quod
intelligentia non sit corpus, est reditio super essentiam suam, id est
quia convertitur supra seipsam intelligendo se, quod convenit sibi quia non
est corpus vel magnitudo habens unam partem ab alia distantem. Et hoc est
quod subdit: scilicet quia non extenditur, extentione scilicet magnitudinis,
cum re extensa, id est magnitudinem habente, ita quod sit
una suarum extremitatum secunda ab alia, id est ordine situs ab alia
distincta. Et, quia posset aliquis credere quod intelligentia extenderetur
intelligendo corpora quasi contingendo ipsa, hoc excludit subdens: quod
est quia quando vult scientiam rei corporalis, non extenditur cum ea, ut
scilicet sua magnitudine magnitudinem intelligat, sicut Empedocles voluit,
sed ipsa stat fixa secundum suam dispositionem, id est non distrahitur
in diversas partes. Et hoc probat per hoc quod subdit: quoniam est forma a
qua non pertransit aliquid. Magnitudo enim non est nisi in materia, sed
intelligentia est forma immaterialis a qua aliquid non pertransit, vel quia
una pars eius non distat ab alia, vel quia, licet sit indivisibilis, nihil de
re habente magnitudinem praeterit eius cognitionem; subdit autem: et
corpora quidem non sunt ita. Ex quo concludi potest quod intelligentia
non sit corpus. Deinde, secundum quod apparet ex verbis hic positis,
inducitur alia probatio ad ostendendum quod intelligentia non sit corpus,
quia scilicet tam eius substantia quam eius operatio est
indivisibilis, et utrumque habet unitatem indivisibilitatis quod in
corporibus esse non potest; nam corpus et secundum substantiam suam dividitur
divisione magnitudinis et secundum operationem suam dividitur divisione
temporis, quorum neutrum convenit intelligentiae. Sed in libro Procli
inducitur hoc ad probandum aliud membrum, scilicet ad ostendendum quod
intelligentia non dividitur secundum motum; dicit enim sic: quod autem
intellectus sit aeternalis, manifestat operationis ad substantiam identitas.
Et est virtus probationis huius quia res illa cui sua operatio accidentaliter
advenit, secundum illam operationem variationem recipit, ut quandoque
operetur et quandoque non operetur, vel quandoque magis quandoque minus
operetur; res autem illa cui convenit sua operatio secundum suam essentiam,
invariabiliter operatur, et talis est intelligentia cui convenit
intellectualis operatio secundum naturam suae essentiae. Deinde ostendit
tertium membrum, scilicet quod intelligentia non dividatur secundum
multitudinem, et ad hoc manifestandum inducit quod oportet aliquam
multitudinem in intelligentia ponere. Proveniunt enim bonitates multae a
causa prima, cuius multiplicationis ratio est quia intelligentia non potest
attingere ad simplicitatem unitatis primae causae, et ideo perfectio
bonitatis quae in prima causa est unita et simplex, multiplicatur in
intelligentia in plures bonitates. Et tamen, quamvis sit multitudo bonitatum
in intelligentia, tamen ista multa indivisibiliter sibi invicem cohaerent;
non enim potest esse quod retineat esse et amittat vitam, vel quod retineat
vitam et amittat cognitionem, sicut accidit in istis inferioribus. Et hoc
ideo quia, cum intelligentia sit primum creatum, propinquissima est primae
causae; et ideo, quae sunt in intelligentia, nobilissimo modo conveniunt ei
post primam causam, unitas autem et indivisibilitas nobilior est quam
divisio; unde intelligentia indivisibiliter habet multitudinem bonitatum quas
participat a causa prima. Et ad idem etiam redit probatio quam Proclus
inducit. Ultimo autem concludit propositum, quasi iam probatum, cum dicit:
iam ergo verificatum est et cetera. |
Leçon 7. L’intelligence est une substance indivisible.
Après avoir dit que le premier degré de l’être
supérieur,
à savoir la
cause première, est indicible, l’auteur en vient à traiter du second degré, c’est-à-dire des intelligences ; et en
premier lieu il traite de l’intelligence quant à sa substance, deuxièmement quant à
sa connaissance à la proposition 8 où il dit : ¨toute intelligence sait etc. ». Au sujet du premier point, il faut savoir que les êtres qui
sont d'un ordre supérieur ne peuvent
être suffisamment connus par ceux qui sont d'un ordre inférieur, du fait que
ceux qui sont supérieurs transcendent la manière d’être et la puissance de
ceux qui sont inférieurs. Mais parce que la connaissance humaine tire son
commencement de la sensation, nous pouvons suffisamment connaître les
réalités qui s’offrent à nos sens; mais à partir d’elles nous ne pouvons
parvenir à la connaissance des réalités supérieures que selon ce qu’elles ont
en commun avec les réalités sensibles connues de nous. Or les réalités qui s'offrent
totalement à nos sens sont les corps inférieurs avec lesquels les corps
supérieurs ne se rencontrent ni par l’espèce de l’essence ni par la condition de nature. Ils ont cependant du commun
avec eux sous le rapport de la quantité, de la lumière et des autres
attributs qui en découlent et c’est pourquoi nous pouvons parvenir à
connaître au sujet des corps supérieurs à la fois leur clarté du fait que
nous pouvons les voir, la quantité de leur grandeur et de leur mouvement,
leur figure et même leur genre d’après la manière par laquelle ils entrent
dans le même genre que les corps inférieurs ; mais nous ne pouvons connaître la
nature propre de ces corps sous le rapport de l’espèce que par la négation
pour autant qu’elle transcende la nature des corps inférieurs, d’où Aristote
prouve, au premier livre du traité intitulé Du Ciel et du Monde, que le corps céleste n’est ni léger ni lourd
et qu’il n’est soumis ni à la génération ni à la corruption. De la même manière aussi l’intelligence transcende tout
l’ordre des choses corporelles. Cependant, parce
que sa quiddité ou son essence n’est pas son être même mais qu’elle est une
chose subsistante dans son existence qui est participée, c’est pourquoi elle
ressemble en un sens au genre des corps qui subsistent eux aussi dans une
existence participée et c’est ainsi que les deux sont rangés, sous le rapport
de l’intention logique, dans le genre de la substance. Il suit de là que l’intelligence
peut certes faire l’objet d’une connaissance sous la forme d’un discours
explicatif par l’affirmation quant à son genre, comme lorsqu’on dit qu’elle
est une substance ; mais elle ne peut faire l’objet d’un tel discours
quant à sa différence spécifique et c’est plutôt par la négation qu’il faut
qu’elle nous soit alors connue en tant qu’elle transcende tout l’ordre des
choses corporelles auxquelles convient la divisibilité. Et c’est
pourquoi, pour nous faire connaître l’essence de l’intelligence dans la
mesure où elle peut nous être connue, l’auteur présente cette
proposition : l’intelligence est
la substance qui n’est pas divisée. Mais la cause première n’est pas une
nature qui subsiste dans une existence qui est participée mais elle est plutôt
l’être subsistant lui-même et c'est pourquoi elle est suprasubstantielle et absolument indicible. De son côté
Proclus se trouve à dire la même chose par cette proposition 171 de son
livre : toute intelligence est une
substance indivisible. Et ce qui a été dit, l’auteur le prouve par une
division et, quant à ce qu’il semble à partir des termes utilisés, c’est une
double division qui est avancée, dont la première se tient du côté de la
chose même à diviser qui a une grandeur fixe et une quantité changeante,
comme c’est le cas pour ce qui est dans le temps et le mouvement. Et c'est ce qu'il dit en
ces termes: ¨Il en est ainsi parce que
si elle n'a ni grandeur, ni corps, ni mouvement, sans aucun doute
l’intelligence n'est pas divisée¨. En effet, en disant : si elle n’a ni grandeur ni corps, il
écarte la grandeur fixe, c’est-à-dire celle qui possède une position ;
et il dit : ni grandeur ni corps,
parce que le corps est une grandeur complète qui est divisible selon toutes
ses dimensions alors que les surfaces et les lignes sont des grandeurs incomplètes selon une ou
deux dimensions ; ou bien encore, lorsqu’il dit: ¨si elle est sans grandeur¨, il l’affirme aussi pour écarter ce
qui n’est quantité que par accident, comme la blancheur et les accidents de
cette sorte. La deuxième division est posée à partir de la division elle-même
alors qu’il dit que tout ce qui est divisé est divisé ou bien selon la
multiplicité, c’est-à-dire selon la quantité discrète, ou bien selon la
grandeur, ce qui constitue une division selon la quantité continue qui
possède une position, ou bien selon le mouvement, à savoir une division de la
quantité continue qui ne possède pas une position. La division du temps et
celle du mouvement ne sont en effet qu’une seule et même division comme le
prouve le Philosophe au sixième livre de la Physique. Mais dans la première division il a omis de parler de
la multiplicité parce que la division selon le nombre suit celle du continu comme
on le voit au troisième livre de la Physique et c’est pourquoi, là où il n’y a par de division selon la grandeur,
il n’y a pas non plus de division selon la multiplicité. Ayant
présenté ces divisions, l’auteur montre que l’intelligence n’est divisée
selon aucune de ces modalités. En voici la preuve : tout ce qui est divisé
est divisé dans le temps; toute division en effet est un certain mouvement de
l’unité vers la multiplicité. Or l’intelligence n’est pas dans le temps mais
elle est plutôt en totalité dans l’éternité comme nous l’avons montré dans la
proposition 2 ; elle transcende donc toutes les
sortes de division dont nous avons parlé. Telle est certes l’explication
de cette proposition telle qu’elle se manifeste à nous à partir des termes
mêmes qui ont été utilisés ici. Mais il faut savoir que les termes présentés ici ont
été altérés par un vice de transcription comme on le voit par le texte de
Proclus que voici : si en effet
elle est sans dimension, incorporelle et immobile, elle est indivisible.
Et ce qui suit n’est pas introduit à la manière d’une autre division mais à
la manière d’une preuve ; et c’est ainsi qu’il ajoute : en effet, tout ce qui est divisible de
quelque manière que ce soit est divisible ou bien par la multiplicité, ou
bien par la grandeur, ou bien par les opérations. Et tout de suite après, Proclus
prouve que l’intelligence n’est pas divisible selon ses opérations, car il ajoute : répandues dans le temps, comme s’il
disait que toutes les opérations
sont divisibles dans le temps. Et il ajoute : ¨L'intelligence cependant est éternelle et au-delà des corps sous tous les rapports,
et la multiplicité qui est en elle est unifiée ; elle est donc
indivisible¨. Puis il manifeste chacun des points qu’il vient de
présenter et
le premier
qu’il examine est celui qui se rapporte à l’incorporéité de
l’intelligence : ce qui manifeste certes que l'intelligence soit incorporelle, c’est le retour qu’elle fait sur
elle-même et il y a retour de l’intelligence sur elle-même en ce sens qu’elle
se saisit elle-même par son intellection alors qu’aucun corps n’est capable
d’un tel retour sur lui-même Et il avait certes prouvé cela plus haut à la
proposition 15 où il dit : tout ce
qui a la capacité de faire un retour sur soi-même est incorporel, ce
qu’il prouve de la manière qui suit : rien de corporel ne possède l’aptitude à faire un retour sur
soi-même ; si en effet ce qui se tourne vers quelque chose doit s’unir à
ce vers quoi il se tourne, il est clair que toutes les parties du corps de
celui qui fait un retour sur lui-même seront unies à toutes ses parties :
ce qui est impossible pour tout ce qui est divisible en raison de la
séparation des parties, les parties différentes occupant un endroit différent. Et certes cette
preuve est ajoutée ici d’une manière assez confuse puisqu’il dit : et certes le signe de cela, à savoir
que l’intelligence n’est pas un corps, c’est
le retour qu’elle fait sur son essence, c’est-à-dire qu’elle fait un
retour sur elle-même en se saisissant elle-même par son acte d’intellection,
ce qui lui convient parce qu’elle n’est pas un corps ou une grandeur ayant
des parties éloignées les unes des autres. Et c’est là ce qu’il ajoute :
à savoir parce qu’elle n’est pas
coextensive, c’est-à-dire par une extension de la grandeur, à la chose
étendue, à savoir à celle qui a une grandeur, de telle manière qu’une de ses extrémités soit après l’autre,
c’est-à-dire distincte de l’autre dans l’ordre de la position. Et parce qu’on
pourrait croire que l’intelligence prendrait de l’extension en intelligeant
les choses corporelles et comme en les atteignant, il écarte cela en
ajoutant : et il en est ainsi
parce que lorsqu’elle veut la science des choses corporelles, elle ne lui
devient pas coextensive de telle manière qu’elle saisirait la grandeur
par la grandeur comme le voulait Empédocle, mais elle-même demeure la même suivant sa disposition, c’est-à-dire
qu’elle ne se répand pas en différentes parties. Et il le prouve au moyen de
ce qu’il ajoute : parce qu’elle
n’est pas une forme de laquelle s’écoule quelque chose. La grandeur en
effet n’existe que dans la matière mais l’intelligence est une forme
immatérielle d’où rien ne s’écoule soit parce que ses parties ne sont pas
distantes les unes des autres, soit parce que, bien qu’elle soit indivisible,
rien de ce qui appartient à la chose qui possède de la grandeur n’est
inaccessible à sa connaissance ; il ajoute cependant : mais il n’en est certes pas ainsi pour les
corps. Il résulte de là qu’on peut conclure que l’intelligence n’est pas
un corps. Ensuite, d’après ce qui semble en s’appuyant sur les termes
utilisés ici, une autre preuve est introduite pour montrer que l'intelligence n’est pas un corps,
c’est-à-dire puisque sa substance,
tout comme son opération, est
indivisible et que les deux possèdent une unité d’indivisibilité qu’on ne
peut retrouver dans les corps ; car le corps est divisé à la fois selon
sa substance par une division de la grandeur et selon son opération par une
division du temps et aucune de ces divisions ne convient à l’intelligence.
Mais voici ce qui est introduit dans le livre de Proclus pour prouver un
autre membre de la division, à savoir pour montrer que l’intelligence n’est
pas divisée selon le mouvement, lorsqu’il parle ainsi : mais ce qui manifeste que l’intelligence
soit éternelle, c’est l’identité de l’opération et de la substance. Et la
puissance de cette preuve consiste en ceci que cette réalité à laquelle
l’opération advient accidentellement reçoit un changement suivant cette opération
puisque parfois elle pose une opération et parfois non, ou qu’elle la pose
parfois davantage et parfois moins ; mais au contraire cette réalité, à
savoir celle à laquelle son opération convient selon son essence, pose son
opération d’une manière invariable et c’est le cas de l’intelligence à
laquelle l’opération intellectuelle convient selon la nature de son essence.
Il manifeste ensuite le troisième membre de la division, à savoir que
l’intelligence n’est pas divisée selon la multiplicité, et pour le manifester
il avance qu’il faut poser une certaine multiplicité dans l’intelligence. Il
y a en effet une multiplicité de biens qui procèdent de la cause première et
la raison en est que l’intelligence ne peut parvenir à la simplicité de
l’unité de la cause première et c’est pourquoi la perfection du bien qu’on
retrouve dans la cause première est unifiée et simple, alors que dans
l’intelligence elle se trouve à être multipliée en de nombreux biens.
Cependant, bien qu’il y ait une multiplicité de biens dans l’intelligence,
ces derniers forment en elle un tout indivisible ; il ne lui est pas
possible en effet de retenir l’existence sans la vie et la vie sans la
connaissance comme cela est possible chez les réalités inférieures. Et il en
est ainsi parce que, puisque l’intelligence est le premier être créé, elle
est l’être qui est le plus proche de la cause première et c’est pourquoi, vu
que l’indivisibilité est supérieure à la division, les biens qui se trouvent
dans l’intelligence lui conviennent selon une modalité qui, après celle de la
cause première, est la plus élevée ; d’où il résulte que l’intelligence
possède de manière indivisible cette multiplicité de biens qu’elle tient grâce
à une participation de la cause première. Et la preuve que Proclus introduit
revient au même. Et finalement il termine son propos comme ayant déjà été
prouvé lorsqu’il dit : ¨nous avons
donc déjà manifesté la vérité de cette proposition etc.¨ |
Lectio 8 [84243] Super De
causis, l. 8 Posita notificatione intelligentiae
quantum ad eius substantiam, hic incipit manifestare cognitionem ipsius. Et
primo declarat modum quomodo cognoscat alia a se, secundo quomodo cognoscat
seipsam et hoc 13 propositione, ibi: omnis intelligentia intelligit essentiam
suam et cetera. Circa primum tria facit. Primo declarat modum quomodo
cognoscit intelligentia et superiora et inferiora; secundo ostendit quid sit
ea superius, 9 propositione, ibi: omnis intelligentiae fixio etc.; tertio
ostendit quomodo se habeat in cognitionem inferiorum, ibi: omnis intelligentia
est plena formis, 10 propositione. Ad declarandum igitur modum quomodo
intelligentia cognoscat et superiora et inferiora, ponit talem propositionem:
omnis intelligentia scit quod est supra se et quod est sub se: verumtamen
scit quod est sub se quoniam est causa ei, et scit quod est supra se quia
acquirit bonitates ab eo. Cuius quidem propositionis intellectus quantum
ad superficiem videtur esse quod causalitas sit intelligentiae ratio
intelligendi. Et hoc quidem, si recte consideretur, non habet veritatem,
neque quantum ad id a quo causatur intelligentia, neque quantum ad ea quae
causat: non enim causatur a sua causa per suam scientiam, sed potius per
scientiam causae causantis ipsam; ea vero quae sub se sunt, quamvis
intelligentia causet per suam scientiam, non tamen ideo scit ea quia causat
ea, sed potius ideo causat ea quia scit ea. Verus autem intellectus huius
propositionis est sic accipiendus. Manifestum est enim quod in ordine rerum
causa altiorem gradum obtinet quam causatum; si igitur aliquid sit et causa
et causatum, medium gradum obtinet inter utrumque, et huiusmodi est
intelligentia, nam ipsa causatur a causa prima et est infra eam, causat autem
quodammodo ea quae sunt sub ipsa, ut in 3 propositione est expositum, et ita
est supra ea. Vult ergo dicere quod, secundum gradum suum quo est causa et
causatum, medio modo se habet in intelligendo, nam intelligit id quod est
supra se inferiori modo quam illud sit in seipso, quae autem sunt infra se
intelligit altiori modo quam sint in seipsis. Et in hoc etiam sensu inducitur
in libro Procli CLXXIII propositione, quae talis est: omnis intellectus
intellectualiter est et quae ante ipsum et quae post ipsum; quia scilicet
tam superiora quam inferiora sunt in intellectu secundum modum eius, id est
intellectualiter. Et ad hunc etiam sensum inducitur haec probatio. Dicit enim
quod intelligentia quidem est substantia intelligibilis, quia scilicet
esse intelligibile convenit ei ratione suae essentiae; ergo secundum modum
suae substantiae scit res quas acquirit desuper et res quibus est causa.
Et huius ratio est quia unaquaeque res operatur secundum modum formae suae
quae est operationis principium, sicut calidum calefacit secundum modum sui
caloris; unde oportet quod omne cognoscens cognoscat secundum formam quae est
cognitionis principium, scilicet secundum similitudinem rei cognitae, quae
quidem est in cognoscente secundum modum substantiae eius; unde oportet quod
omne cognoscens secundum modum suae substantiae cognoscat quidquid cognoscit.
Cum ergo intelligentia secundum modum suae substantiae sit causa et causatum,
erit ipsa quasi quidam terminus vel limes determinans sive distinguens
superiora ab inferioribus, ita scilicet quod superiora cognoscit per modum
suae substantiae inferiori modo quam res superior sit in seipsa, inferiora
vero cognoscit altiori modo quam sint in seipsis. Quod quidem est
intelligendum ut modus cognitionis accipiatur ex parte cognoscentis, quia
scilicet, quamvis causa prima sit superintellectualis, intelligentia non
cognoscit eam superintellectualiter sed intellectualiter, et similiter,
quamvis corpora sint materialia et sensibilia in seipsis, intelligentia tamen
non cognoscit ea sensibiliter et materialiter sed intellectualiter. Si vero
accipiatur modus cognitionis ex parte rei cognitae, sic cognoscit unumquodque
prout est in seipso: cognoscit enim intelligentia quod causa prima est
superintellectualiter in seipsa et quod res corporales habent in seipsis esse
materiale et sensibile. Et ex his patet intellectus omnium eorum quae hic dicuntur. |
Leçon 8. ¨Toute
intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle parce qu’elle en reçoit les
bontés et ce qui est au-dessous d'elle parce qu'elle en est
la cause¨.
Ayant manifesté ce qu'est l’intelligence quant à sa substance, l’auteur commence ici à en traiter sous le
rapport de sa connaissance. Et en premier lieu annonce le mode selon lequel elle connait les choses qui sont autres qu’elle; en deuxième lieu, à la
proposition 13, comment
elle se connaît elle-même, où il dit : ¨Toute
intelligence saisit son essence par son intellection etc¨. Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu
il signifie le mode selon lequel l’intelligence connait à la fois ce qui lui est supérieur
et ce qui lui est inférieur; en deuxième lieu il montre à la proposition 9 ce
qui lui est supérieur, là où il dit : ¨La stabilité de toute intelligence etc.¨; il montre enfin en
troisième lieu, à la proposition 10, comment elle connaît ce qui lui est
inférieur, là où il dit : ¨toute
intelligence est pleine de formes etc.¨ Donc, pour signifier le mode selon lequel
l’intelligence connaît à la fois ce qui lui est supérieur et ce qui lui est
inférieur, il présente cette proposition : ¨toute intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est
au-dessous d’elle mais cependant elle connaît ce qui est au-dessous d’elle
parce qu’elle en est la cause alors qu’elle connaît ce qui est au-dessus
d’elle parce que c’est de là qu’elle tient ses biens.¨ Certes, le sens de
cette proposition semble être au premier coup d’œil que la causalité de
l’intelligence soit la raison de son intellection. Mais si on considère attentivement
et correctement cette interprétation, elle n’est vraie ni quant à ce par quoi
l’intelligence est causée, ni quant aux choses qu’elle cause : en effet,
ce n’est pas au moyen de sa science à elle qu’elle est causée par sa cause
mais c’est plutôt au moyen de la science de la cause qui la cause ; mais
pour ce qui est des choses qui sont sous elle, bien que l’intelligence les
cause par sa science, ce n’est cependant pas parce qu’elle les cause qu’elle
les connaît, mais plutôt parce qu’elle les connaît qu’elle les cause. C’est
ainsi que doit se prendre la vraie interprétation de cette proposition. Il
est manifeste en effet que dans l’ordre des choses la cause tient un rang
plus élevé que l’effet. Si donc il existe un être qui est à la fois cause et
effet, il tient un rang intermédiaire entre l’un et l’autre, et l’intelligence est un être
de cette sorte car elle se trouve à être causée par la cause première et lui
est inférieure mais elle cause en quelque sorte les choses qui sont sous
elle, ainsi que nous l’avons expliqué à la proposition 3, et elle leur est
par conséquent supérieure. L’auteur veut donc dire ici que d’après son rang par
lequel l’intelligence est cause et effet, elle intellige d’une manière
intermédiaire ; car elle intellige ce qui est au-dessus d’elle d’une
manière qui est inférieure à la manière dont cet Être existe en lui-même,
mais elle intellige les choses qui sont sous elle d’une manière qui est
supérieure à la manière dont ces choses existent en elles-mêmes. Et c’est
pour signifier la même chose que Proclus introduit l’énoncé suivant à la
proposition 173 de son livre : ¨toute
intelligence est intellectuellement à la fois ce qui lui est antérieur et ce
qui lui est postérieur¨, c’est-à-dire parce que les réalités supérieures,
tout comme celles qui sont inférieures, existent dans l’intelligence selon le
mode qui lui est propre, c’est-à-dire d’une manière intellectuelle. Et c’est
aussi à cette signification qu’il faut ramener cette preuve de la proposition
8. L’auteur dit en effet que l’intelligence
est certes une substance intelligible, c’est-à-dire parce que
l’intelligibilité lui convient en raison de son essence ; c’est donc suivant le mode de sa substance
qu’elle connaît les choses qu’elle acquiert d’en haut et celles dont elle est
la cause. Et la raison en est que toute réalité opère suivant la modalité
de sa forme qui est le principe de l’opération tout comme le chaud réchauffe
suivant la modalité de sa chaleur ; c’est pourquoi il faut que tout être
connaissant connaisse selon la forme qui est le principe de sa connaissance,
à savoir d’après une similitude de la chose connue, laquelle chose existe
certes dans celui qui connaît suivant le mode de sa substance à lui ; il
résulte de là qu’il faut que tout être connaissant connaisse tout ce qu’il
connaît suivant le mode de sa substance. Donc, puisque c’est suivant le mode
de sa substance que l’intelligence est cause et effet, elle sera elle-même
comme un certain terme ou une limite qui détermine ou distingue les réalités
supérieures de celles qui sont inférieures, c’est-à-dire de telle manière que,
suivant le mode de sa substance, elle connaisse celles qui sont supérieures
d’une manière qui est inférieure à celle par laquelle ces dernières existent
en elles-mêmes, mais les réalités inférieures d’une manière qui est
supérieure à celle par laquelle ces réalités existent en elles-mêmes. Et cela
doit certes s’entendre de telle manière que le mode de connaissance doit se
prendre du côté de celui qui connaît, c’est-à-dire que bien que la cause
première soit supra-intellectuelle, l’intelligence ne la connaît pas
supra-intellectuellement, mais intellectuellement et de la même manière, bien
que les corps soient matériels et sensibles en eux-mêmes, cependant
l’intelligence ne les connaît pas d’une manière sensible et matérielle, mais
intellectuellement. Mais si on considère le mode de connaissance du côté de
la chose connue, l’intelligence connaît alors chaque chose selon ce qu’elle
est en elle-même : l’intelligence connaît en effet que la cause première
existe supra-intellectuellement en elle-même et que les choses corporelles
possèdent en elles-mêmes une existence matérielle et sensible. Et c’est
ainsi, suite à tout ce que nous avons dit ici, que cette proposition devient
claire. |
Lectio 9 [84244] Super De
causis, l. 9 Postquam posuit modum quo intelligentia
cognoscit quod supra se est et id quod sub ipsa est, hic ostendit quid sit
supra ipsam, inducens propositionem ad manifestandum quod intelligentia
dependet ex causa prima, quae talis est: omnis intelligentiae fixio et
essentia est per bonitatem puram quae est per causam primam. Hanc autem
propositionem Proclus ponit sed universalius, dicens XII propositione sui
libri: omnium entium principium et causa prima bonum est. Idem autem
significatur in hac propositione quod dicitur bonitas pura et quod in
propositione Procli dicitur bonum. Bonitas enim pura dicitur bonitas
non participata, sed ipsa essentia bonitatis subsistens, quam Platonici
vocabant ipsum bonum; quod quidem essentialiter et pure et prime bonum
oportet quod sit prima causa omnium, quia, ut Proclus probat, semper causa
est melior causato, unde oportet id quod est prima causa esse optimum; hoc
autem est id quod est ipsa bonitatis essentia, unde oportet id quod est
essentialiter bonum esse primam omnium causam. Et hoc est quod Dionysius
dicit I capitulo de divinis nominibus: quoniam autem Deus est ipsa
bonitatis essentia per ipsum suum esse, omnium est existentium causa.
Unde et intelligentiae quae habent esse et bonitatem participatam, oportet
quod dependeant a bonitate pura sicut effectus a causa; et hoc est quod dicit
quod intelligentiae fixio et essentia est per bonitatem puram, quia
scilicet intelligentia ex prima bonitate habet esse fixum, id est immobiliter
permanens. Hoc autem probat dupliciter, primo quidem per effectum ipsius
intelligentiae. Et consistit vis suae probationis in hoc quia, si alicuius
rei propria operatio inveniatur in re alia, oportet ex necessitate quod res
illa habeat ex participatione alterius hanc operationem sicut effectus habet
aliquid a causa: puta, si ferrum ignitum faciat propriam operationem ignis
adurendo, oportet dicere quod hoc ferrum habeat ab igne sicut effectus a causa.
Est autem propria operatio ipsius Dei quod sit universalis causa regitiva
omnium, ut in 3 propositione habitum est; unde ad hanc operationem nihil
pertingere potest nisi in quantum participat illud a prima causa sicut
effectus eius. Quia vero causa prima est maxime una, quanto aliqua res fuerit
magis simplex et una, tanto magis appropinquat ad causam primam et magis
participat propriam operationem ipsius. Intelligentiae vero sunt maioris
unitatis et simplicitatis quam res inferiores; cuius signum est quia
quaecumque sunt infra intelligentiam habentia cognoscitivam virtutem, non
possunt attingere ad cognoscendum intelligentiae substantiam propter excessum
simplicitatis ipsius, per quam etiam rationem sensus corporeus deficit a
cognitione rei intelligibilis. Et quod sit simplicior ex hoc manifestatur
quia est causa rerum inferiorum per modum quod supra dictum est in 3
propositione; et hoc manifestatur per id quod subsequitur quia intelligentia
regit omnes res quae sunt sub ea per virtutem divinam quae est in ea,
intelligitur autem in regimine ordinatio et motio inferiorum ad finem, et per
huiusmodi virtutem divinam in se existentem retinet, id est conservat, res ab
impedimentis sui regiminis,- haec enim duo, scilicet regere et retinere, sunt
propria causae in comparatione ad effectum,- ideo intelligentia per
virtutem divinam regit res et retinet eas, quia per ipsam est causa rerum.
Quomodo autem retineat res inferiores manifestat per hoc quod subdit quod ipsa
retinet causas omnes quae sunt sub ea, et comprehendit eas, imprimendo
scilicet eis virtutem suam; non enim est causa omnium inferiorum immediate,
nisi mediantibus causis inferioribus. Hoc autem quod dixerat probat
consequenter per hoc quia omne quod est primum in rebus et causa eis,
retinet illas res et regit eas, ut dictum est. Et nihil eorum quae
subsunt alicui causae, possunt eximi a regimine et retentione suae causae per
aliquam virtutem extraneam. Et ideo cum intelligentia sit prima respectu
inferiorum, et per consequens causa eorum per modum praemissum, consequens
est quod habeat respectu inferiorum quasi officium principis in retinendo et
regendo. Sic enim videmus quod etiam ea quae sunt infra intelligentiam habent
virtutem regitivam per virtutem intelligentiae, sicut per naturam,
quae est principium motus in rebus naturalibus, reguntur et retinentur ea
quae subsunt naturae; unde similiter intelligentia regit naturam et
alia quae sibi subsunt per virtutem divinam. Sic igitur ex
superioribus probatum est quod intelligentia quasi princeps regit et retinet
inferiora per virtutem superioris causae, et hoc ideo quia ipsa est causa
earum; et quod sit causa procedit ex hoc quod est vehementioris unitatis. Sed
quomodo ex hoc quod est causa, sequatur quod retineat causata et regat,
nondum erat probatum. Et ideo huius probationem subdit: et intelligentia
quidem non est facta retinens res quae sunt post ipsam et regens eas et
suspendens virtutem suam super eas, nisi quoniam ipsae non sunt virtus
substantialis ipsi, immo ipsa est virtus virtutum substantialium, quoniam est
causa eis. Cuius probationis haec virtus est quia unaquaeque res regitur
et conservatur per aliquam virtutem suam, per quam aliquid operatur ad finem
et impedimentis resistit; sed virtus causati dependet ex virtute causae et
non e converso. Cum enim virtus sit operandi principium in unoquoque, necesse
est quod illud sit virtus virtutis alicuius rei a quo habet quod sit operandi
principium. Dictum est autem in 1 propositione quod causa inferior operatur
per virtutem causae superioris, unde virtus causae superioris est virtus
virtutis causae inferioris; et per hunc modum dicit quod virtus
intelligentiae est virtus virtutum substantialium, id est virtutum
quae sunt propriae substantiis inferiorum rerum. Sic igitur patet quod
intelligentia regit et retinet res inferiores, virtutem suam expandens super
eas, ex hoc quod est causa eis. Quae autem sint inferiora quae regit,
ostendit subdens quod intelligentia comprehendit generata, id est
continet sub se sicut effectus quos regit et retinet, res generabiles et
corruptibiles, et naturam, quae est principium motus in ipsis et invenitur
primo in primo corporum; comprehendit etiam horizontem naturae, scilicet
animam - dictum est enim supra in 2 propositione quod anima est in
horizonte aeternitatis et temporis, existens infra aeternitatem et supra
tempus - quia ipsa est supra naturam, quae est principium motus qui
tempore mensuratur. Quod autem intelligentia comprehendat omnia supradicta,
probat per hoc quod natura continet generationem, id est res
generatas, tamquam principium generationis existens: particularis quidem
natura generationis particularis; universalis autem natura quae est in
corpore caelesti comprehendit universaliter omnem generationem sicut suum
effectum. Anima vero continet naturam, quia secundum opinionem
ponentium corpora caelestia animata, quam auctor huius libri supponit, anima
est principium motus primi corporis et consequenter omnium motuum naturalium,
ut in 3 propositione habitum est. Et iterum intelligentia continet animam,
quia anima ab intelligentia participat intelligibilem operationem, sicut in
eadem propositione dictum est. Unde concludit quod intelligentia continet
omnes res, quia quidquid continetur a contento continetur a continente,
et repetit causam quare hoc conveniat intelligentiae, scilicet propter
virtutem causae primae cuius est proprium supereminere omnibus, non per
virtutem alterius, sed per propriam virtutem; ipsa enim per suam virtutem
divinam est causa intelligentiae et animae et naturae et reliquarum rerum
scilicet generabilium et corruptibilium. Sic igitur ostensum est quod
intelligentia dependet a causa prima per hoc quod ab ea habet virtutem
universalem continendi inferiora. Deinde cum dicit: et causa quidem prima
etc., ostendit idem ex conditione causae primae, quasi demonstratione
ostendente propter quid; nam praemissa probatio fuit magis per signum. Et
primo ponit probationem, secundo excludit obiectionem, ibi: quod si dixerit
aliquis et cetera. Dicit ergo primo, quasi proponens quod probare intendit,
quod causa prima neque est intelligentia neque anima neque natura, sed est
supra omnia ista, quasi creatrix eorum cum quodam ordine, nam intelligentiam
creat immediate, animam vero et naturam et reliquas res mediante
intelligentia. Quod intelligendum est, sicut supra dictum est in 3
propositione, non quod esse eorum sit creatum ab intelligentia, sed quia ista
secundum suam essentiam sunt creata solum a causa prima, per intelligentiam
vero sortiuntur quasdam perfectiones superadditas. Hoc autem quod causa prima
creet omnia praedicta, incipit probare, ibi: et scientia quidem divina et
cetera. Ad cuius probationis intellectum sciendum est quod perfectionum
provenientium in rebus a causa prima aliquid est quod pervenit ad omnia etiam
usque ad generabilia et corruptibilia, scilicet esse; aliquid autem est quod
non pervenit ad effectus in quantum sunt effectus, sed solum ad causas in
quantum sunt causae, scilicet virtus, unde participatio virtutis pervenit
usque ad naturam quae habet rationem principii; aliquid vero est quod pervenit
usque ad animam intellectualem, scilicet scientia, quae tamen inferiori modo
est in anima quam in intelligentia, nam intelligentiae convenit sine motu in
quantum statim apprehendit veritatem, animae vero convenit cum quodam motu
prout ex uno procedit ad aliud. Sic igitur ad intelligentiam et animam
pervenit et esse et virtus et scientia, ad naturam esse et virtus, ad
generata esse tantum. Si igitur causa prima est causa omnis scientiae et
virtutis et totius esse, consequens est quod ab ipsa omnia creentur. Quod
autem sit omnium horum causa probat per hoc quod id quod est primum et
excellentissimum in unoquoque ordine est causa omnium consequentium in ordine
illo; sed causa prima habet scientiam excellentiorem omni scientia, et
virtutem excellentiorem omni virtute, et esse excellentius omni ente: est
igitur causa omnis scientiae et virtutis et esse. Et ex hoc sequitur quod sit
creatrix et intelligentiae et animae et naturae et reliquorum. Primo ergo
manifestat de scientia, et dicit quod scientia divina non est sicut
scientia intelligibilis, quia scientia intelligentiae est per
participationem rei intellectae, et multo minus est sicut scientia
animalis, quae non solum est per participationem rei intellectae sed
etiam per participationem luminis intellectualis ab intelligentia mobiliter
se habens circa scientiam. Immo scientia divina est supra scientiam
intelligentiae et supra scientiam animae, quia immobiliter et absque omni
participatione intelligibilis luminis vel rei intellectae habet scientiam
essentialem, per suam essentiam cognoscens res, et hoc ideo est quia ipsa est
creatrix omnis scientiae; unde oportet quod sit omni scientia superior. Idem
autem prosequitur de virtute, et dicit quod virtus divina est supra omnem
virtutem intelligibilem et animalem et naturalem, quia et intelligentia
et anima et natura habent virtutem participatam ab alio, sicut virtus causae
secundae participatur a virtute causae primae quae non est participata ab
alio, sed ipsa est causa omnis virtutis. Similiter etiam prosequitur
quantum ad esse, ostendens quod causa prima habet altiori modo esse quam
omnia alia. Nam intelligentia habet yliatim, id est aliquid materiale
vel ad modum materiae se habens; dicitur enim yliatim ab yle, quod est
materia. Et quomodo hoc sit, exponit subdens: quoniam est esse et forma.
Quidditas enim et substantia ipsius intelligentiae est quaedam forma
subsistens immaterialis, sed quia ipsa non est suum esse, sed est subsistens
in esse participato, comparatur ipsa forma subsistens ad esse participatum
sicut potentia ad actum aut materia ad formam. Et similiter etiam anima
est habens yliatim, non solum ipsam formam subsistentem sed etiam ipsum
corpus cuius est forma. Similiter etiam natura est habens yliatim,
quia corpus naturale est vere compositum ex materia et forma. Causa autem
prima nullo modo habet yliatim, quia non habet esse participatum, sed ipsa
est esse purum et per consequens bonitas pura quia unumquodque in quantum est
ens est bonum; oportet autem quod omne participatum derivetur ab eo quod pure
subsistit per essentiam suam; unde relinquitur quod essentia intelligentiae
et omnium entium sit a bonitate pura causae primae. Sic igitur patet ratio
quare supra dixit quod causa prima non est intelligentia neque anima neque
natura, quia eius scientia excedit scientiam intelligentiae et animae, et
eius virtus excedit omnem virtutem, et eius esse omne esse. Deinde cum dicit:
quod si dixerit aliquis etc., excludit quamdam obiectionem. Posset enim
aliquis dicere quod, si causa prima sit esse tantum, videtur quod sit esse
commune quod de omnibus praedicatur et quod non sit aliquid individualiter
ens ab aliis distinctum; id enim quod est commune non individuatur nisi per
hoc quod in aliquo recipitur. Causa autem prima est aliquid individuale
distinctum ab omnibus aliis, alioquin non haberet operationem aliquam;
universalium enim non est neque agere neque pati. Ergo videtur quod necesse
sit dicere causam primam habere yliatim, id est aliquid recipiens esse. Sed
ad hoc respondet quod ipsa infinitas divini esse, in quantum scilicet non est
terminatum per aliquod recipiens, habet in causa prima vicem yliatim quod est
in aliis rebus. Et hoc ideo quia, sicut in aliis rebus fit individuatio rei
communis receptae per id quod est recipiens, ita divina bonitas et esse individuatur
ex ipsa sui puritate per hoc scilicet quod ipsa non est recepta in aliquo; et
ex hoc quod est sic individuata sui puritate, habet quod possit influere
bonitates super intelligentiam et alias res. Ad cuius evidentiam
considerandum est quod aliquid dicitur esse individuum ex hoc quod non est
natum esse in multis; nam universale est quod est natum esse in multis. Quod
autem aliquid non sit natum esse in multis hoc potest contingere dupliciter.
Uno modo per hoc quod est determinatum ad aliquid unum in quo est, sicut
albedo per rationem suae speciei nata est esse in multis, sed haec albedo
quae est recepta in hoc subiecto, non potest esse nisi in hoc. Iste autem
modus non potest procedere in infinitum, quia non est procedere in causis
formalibus et materialibus in infinitum, ut probatur in II metaphysicae; unde
oportet devenire ad aliquid quod non est natum recipi in aliquo et ex hoc
habet individuationem, sicut materia prima in rebus corporalibus quae est
principium singularitatis. Unde oportet quod omne illud quod non est natum
esse in aliquo, ex hoc ipso sit individuum; et hic est secundus modus quo
aliquid non est natum esse in multis, quia scilicet non est natum esse in
aliquo, sicut, si albedo esset separata sine subiecto existens, esset per
hunc modum individua. Et hoc modo est individuatio in substantiis separatis
quae sunt formae habentes esse, et in ipsa causa prima quae est ipsum esse
subsistens. |
Leçon 9. Toute intelligence tient sa stabilité et
son essence du bien pur qui est la cause première.
Après avoir présenté le mode par lequel l'intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui
est en dessous d'elle,
l’auteur montre ici ce qui est au-dessus d'elle, en introduisant cette proposition destinée à manifester que l’intelligence dépend de la cause
première : ¨La stabilité et l’essence de toute
intelligence lui viennent de la
pure bonté qui procède de la cause
première¨. Cependant Proclus présente cette proposition, mais plus universellement, lorsqu’il
dit à la proposition 12 de son livre : ¨Le principe et la
cause première de tous les êtres est le Bien¨. Mais ce que notre auteur appelle pure
bonté dans cette proposition signifie la même chose que ce que Proclus appelle Bien. Ce qu’on appelle ¨bonté pure¨, c'est la bonté non participée, l’essence subsistante même de la bonté que les Platoniciens
appellaient ¨le bien en soi¨. Mais il faut que le bien pris essentiellement,
absolument et dans son origine soit la cause première de tous les êtres car,
comme le prouve Proclus, la cause est toujours supérieure à son effet, d’où
il s’ensuit que la cause première soit ce qu’il y a de plus parfait ; or
ce qu’il y a de plus parfait est précisément l’essence même de la bonté ou du
bien ; d’où il faut que ce qui est le bien pris dans son essence même
soit la cause première de tous les êtres. Et c’est justement ce que dit Denys au
livre I des Noms Divins : ¨Mais puisque Dieu est l’essence même de la bonté par son existence même, il est
la cause de tout ce qui existe¨. Et c'est pourquoi il faut que les intelligences qui possèdent
une existence et une bonté participées dépendent de la bonté pure à la
manière dont un effet dépend de sa cause. Et c’est ce que dit notre auteur, à savoir que la stabilité et l’essence de
l’intelligence procède de la bonté
pure, c’est-à-dire que l’intelligence tient de la bonté première son
existence stable et toujours immobile. Mais l’auteur prouve ceci de deux manières, et
premièrement au moyen de l’effet de l’intelligence. Et la force de sa preuve
consiste en ceci que si l’opération propre d'une chose se retrouve dans
une autre, il faut nécessairement que cette chose possède cette opération par
une participation de la première à la manière dont un effet tient quelque
chose de sa cause : par exemple, si le fer incandescent pose l’opération
propre du feu en brûlant, il faut dire que le fer tient cela du feu comme
l’effet le tient de sa cause. Mais l’opération propre de Dieu est qu’il soit
la cause universelle qui gouverne tous les êtres comme nous l’avons établi à
la proposition 3 ; il résulte de là qu’aucun être ne peut parvenir à
poser cette opération si ce n’est par une participation de la cause première
dont il est l’effet. Mais parce que la cause première est suprêmement une, une réalité
s’approchera d’autant plus de la cause première et participera d’autant plus
de son opération propre qu’elle sera davantage simple et une. Mais l’unité et
la simplicité des intelligences est plus grande que celle des réalités
inférieures, et le signe en est que toutes les choses qui sont inférieures à l'intelligence
et qui possèdent une puissance cognitive ne peuvent parvenir à connaitre la
substance de l’intelligence en raison de la transcendance de sa simplicité,
et c’est pour la même raison que le sens corporel est impuissant à connaître
la réalité intelligible. Et il est manifeste que l’intelligence possède une
plus grande simplicité parce qu’elle est la cause des réalités inférieures à
la manière que nous avons dite à la proposition 3 ; et cela est
manifesté par ce qui suit : l’intelligence
gouverne toutes les réalités qui sont sous elle par la puissance divine qui
est en elle ; mais par gouvernement on entend
l’ordonnance et le mouvement des réalités inférieures vers leur fin, et c’est
par cette puissance divine qui existe en elle qu’elle conserve, c’est-à-dire
qu’elle protège les choses de ce qui fait obstacle à son gouvernement ;
et ces deux opérations, à savoir gouverner
et conserver, sont propres à la
cause par rapport à l’effet, et c’est pourquoi l'intelligence
gouverne les choses et les conserve parce que c’est par la puissance divine qu’elle est cause des choses. Mais l’auteur
manifeste de quelle manière l’intelligence conserve les choses inférieures au
moyen de ce qu’il ajoute ici : ¨l’intelligence
elle-même conserve toutes les causes qui sont sous elle et les contient¨,
c’est-à-dire en leur imprimant sa puissance; en effet, ce n’est pas d’une
manière immédiate qu’elle est la cause de toutes les réalités inférieures,
mais par l’intermédiaire des causes inférieures. Mais il prouve par la suite
ce qu’il a dit par ceci que tout ce qui est premier pour les choses et qui les cause est aussi ce qui
les conserve et les gouverne, comme nous l’avons dit. Et rien de ce qui est subordonné à
une cause ne peut se soustraire au gouvernement et à la conservation de sa
cause au moyen d’une puissance étrangère. C’est pourquoi, puisque l’intelligence est
première par rapport aux réalités inférieures et qu’elle est par conséquent
leur cause de la manière que nous avons dite, il s’ensuit qu’elle tient comme
le rôle d’un chef par rapport aux réalités inférieures en les conservant et
en les gouvernant. Nous
voyons en effet que même les réalités qui sont sous l’intelligence ont un
pouvoir de gouverner par la puissance
de l'intelligence, tout comme c’est par
la nature, laquelle est un principe de mouvement dans les choses naturelles,
que les choses qui sont soumises à la nature sont gouvernées et
conservées ; de la même manière, il
résulte de là que c’est par la
puissance divine que l’intelligence gouverne la nature et les autres
choses qui sont sous elle. Ainsi donc, il a été prouvé que l'intelligence, un peu à la manière
d’un prince, gouverne et conserve
les réalités inférieures par la puissance de la cause supérieure et il en est
ainsi parce qu’elle est leur cause. Et que l’intelligence soit cause, cela
lui vient de ce qu’elle est plus profondément unifiée. Mais comment il
découle, du fait qu’elle soit cause, que l’intelligence conserve ses effets
et les gouverne, cela n’a pas encore été
prouvé et c’est pourquoi l’auteur en ajoute ici la preuve : et l’intelligence n’a certes été faite
pour conserver les réalités qui viennent à sa suite, les gouverner et
répandre au-dessus d’elles sa puissance, que parce qu’elles ne sont pas pour
elle une puissance substantielle, et qu’au contraire c’est elle qui est la
puissance des puissances substantielles puisqu’elle est leur cause. Et la force de cette preuve tient à ceci que chaque
chose est gouvernée et conservée par sa puissance par laquelle cette chose
agit en vue de sa fin et résiste aux obstacles ; mais la puissance de
l’effet dépend de la puissance de la cause et non inversement. En effet
puisqu’en chaque chose la puissance est principe d’opération, il est
nécessaire que cela même d’où une puissance tient d’être un principe d’opération
soit la puissance de cette puissance. Mais nous avons
dit à la proposition 1 que la cause inférieure agit par la puissance de
la cause supérieure et c’est pourquoi la puissance de la cause supérieure est
la puissance de la puissance de la cause inférieure et c’est en ce sens que
l’auteur dit que la puissance de l’intelligence est la puissance des puissances substantielles, c’est-à-dire des
puissances qui sont propres aux substances des réalités inférieures. Ainsi donc il apparaît que l’intelligence
gouverne et conserve les réalités inférieures en déployant sur elles sa
puissance du fait qu’elle en est la cause. Mais il manifeste quelles sont ces
réalités inférieures que l’intelligence gouverne en ajouant que l’intelligence embrasse les réalités qui
sont engendrées, c’est-à-dire qu’elle contient sous elles, comme des
effets qu’elle gouverne et protège, les choses qui sont soumises à la
génération et à la corruption, ainsi que la nature, laquelle est le principe
de mouvement dans ces choses et qu’on retrouve en premier lieu dans le
premier des corps ; elle embrasse
aussi l’horizon de la nature, c’est-à-dire l’âme ; nous avons dit en
effet à la proposition 2 que l’âme est dans l’horizon de l’éternité et du
temps, et qu’elle existe sous l’éternité et au-dessus du temps, parce qu’elle
est elle-même le principe du mouvement qui est mesuré par le temps. Mais que
l’intelligence embrasse tout ce qui précède, il le prouve par ceci que la nature, à titre de principe de la
génération, contient la génération,
c’est-à-dire les choses engendrées : certes la nature particulière est le
principe d’une génération particulière alors que la nature universelle qui
est dans le corps céleste embrasse universellement toute génération comme son
effet propre. Mais l’âme embrasse la
nature, car selon l’opinion de ceux qui soutenaient que les corps
célestes sont animés, ce que l’auteur de ce livre suppose, l’âme est le
principe du mouvement du premier corps et par conséquent de tous les
mouvements naturels, ainsi que cela a été établi à la proposition 3. Et
en outre l’intelligence embrasse ou
contient l’âme, parce que l’âme
tient de l’intelligence sa participation de l’opération intelligible, ainsi
que cela a été dit dans la même proposition. D’où il conclut que l’intelligence contient toutes les
réalités, car tout ce qui est contenu par ce qui est aussi contenu est
soi-même contenu par ce qui le contient et il rappelle la raison pour
laquelle cela convient à l’intelligence, à savoir la puissance de la cause
première à laquelle il est propre de dominer toute autre réalité, non pas par
la puissance d’un autre, mais par sa puissance propre ; en effet, la
cause première elle-même, par sa puissance divine, est cause à la fois de l’intelligence, de l’âme, de la nature et de
toutes les autres réalités, à savoir de celles qui sont sujettes à la
génération et à la corruption. Ainsi donc il a été montré que l’intelligence
dépend de la cause première par ceci que c’est d’elle qu’elle tient sa
puissance universelle de contenir les réalités inférieures. Ensuite lorsqu’il
dit : et la cause première n’est
certes pas etc., il montre la même chose à partir de la
condition de la cause première comme par une démonstration procédant par la
cause ; car la preuve précédente procédait davantage d’un signe. Et en
premier lieu il présente la preuve et en deuxième lieu il écarte une
objection où il dit : mais si on
disait etc. Il dit donc en premier lieu, comme en présentant ce qu’il
cherche à prouver, que la cause
première n’est ni l’intelligence, ni l’âme, ni la nature, mais, comme à
titre de créatrice, elle les transcende
toutes en suivant un ordre car elle crée l’intelligence de façon
immédiate, mais elle crée l’âme, la nature et le reste des choses par
l’intermédiaire de l’intelligence. Et il faut entendre cela de la manière
que nous avons dite à la proposition 3, c’est-à-dire non pas dans le sens où
leur existence serait créée par l’intelligence, car ces réalités, sous le
rapport de leur essence, ne sont créées que par la cause première, mais elles
reçoivent en partage des perfections supplémentaires par l’intermédiaire des
intelligences. Mais il commence à prouver que la cause première crée toutes
les réalités dont nous venons de parler où il dit : et la science divine etc. Mais pour comprendre cette preuve
il faut savoir que parmi les perfections qui procèdent de la cause première
vers ces choses, il y en a une qui parvient à toutes ces réalités et même à
celles qui sont sujettes à la génération et à la corruption, à savoir
l'existence ; il y en a une autre qui ne parvient pas à des effets en
tant qu’ils sont effets, mais seulement à des causes en tant que causes,
comme la puissance et c’est pourquoi la participation de la puissance
parvient jusqu’à la nature qui a raison de principe ; il y en a une autre
qui parvient jusqu’à l’âme intellectuelle , à savoir la science, laquelle
existe cependant dans l’âme selon une modalité qui est inférieure à celle
qu’on retrouve dans l’intelligence, car il convient à l’intelligence
d’appréhender la vérité de manière immédiate et sans aucun mouvement alors
qu'il convient à l’âme d’appréhender la vérité d’après un certain mouvement selon
qu’elle procède d’une connaissance à une autre. Ainsi donc l’existence, la
puissance et la science parviennent à l’intelligence et à l’âme, l’existence
et la puissance à la nature mais l’existence seulement aux choses engendrées.
Si donc la cause première est la cause de toute science, de toute puissance
et de toute existence, il découle de là que toutes les réalités sont créées
par elle. Mais il prouve que la cause première est la cause de toutes ces
réalités par ceci que tout ce qui est premier et le plus excellent dans un
tout ordonné est la cause de tout ce qui est second dans cet ordre ;
mais la cause première possède une science qui est plus excellente que toute
autre science, une puissance qui est plus excellente que toute autre
puissance, et une existence qui est plus excellente que toute autre
existence : elle est donc la cause de toute science, de toute puissance
et de toute existence. Et il découle de là que c’est elle, la cause première,
qui est la cause de l’intelligence, de l’âme, de la nature et de tout le
reste. Il le manifeste donc en premier
lieu au sujet de la science, et il dit que la science divine n’est pas comme la science intelligible, car la science de l’intelligence a lieu par
une participation de la chose intelligée, et elle est encore moins comme la science de l’âme, laquelle a
lieu non seulement par une participation de la chose intelligée, mais aussi par une participation de la
lumière intellectuelle qui procède de l’intelligence, lumière qui se présente
avec mouvement par rapport à cette science. Au contraire la science divine transcende à la fois la science de
l’intelligence et la science de l’âme, parce qu’elle possède une science
essentielle sans aucun mouvement et sans aucune participation d’une lumière
intelligible ou d’une chose intelligée, connaissant la chose par sa seule
essence, et il en est ainsi parce qu’elle est elle-même créatrice de toute
science ; d’où il faut qu’elle soit supérieure à toute science. Et il poursuit le même objectif au sujet de
la puissance, et il dit que la
puissance divine transcende toute puissance, qu’elle soit intelligible,
animale ou naturelle car l’intelligence, l’âme et la nature possèdent une
puissance qu’elles participent d’une autre, tout comme la puissance de la
cause seconde participe de la puissance de la cause première, laquelle ne
participe pas d’une autre, mais elle est
la cause de toute puissance. Et il continue de la même manière au sujet
de l’existence en montrant que la cause première possède l’existence selon
une modalité qui est plus excellente que celle de tous les autres êtres. Car l’intelligence possède une yliatin, c’est-à-dire quelque chose de
matériel ou qui se présente à la manière d’une matière. Le nom yliatin vient de ylè qui signifie matière en grec. Et notre auteur explique
comment cela est possible en ajoutant : puisqu’elle est à la fois existence et forme. En effet, la
quiddité ou la substance de l’intelligence est une certaine forme
immatérielle subsistante, mais parce qu’elle n’est pas son existence même, mais
qu’elle est subsistante dans une existence qui est participée, la forme
subsistante elle-même se compare à l’existence participée comme une puissance
à un acte ou comme une matière à une forme. Et de la même manière encore l’âme possède une yliatin, à savoir
non seulement une forme susbistante dont l’existence est participée, mais
aussi le corps dont elle est la forme. Et il en est encore de même pour la nature qui possède une yliatin, car
le corps naturel est véritablement composé de matière et de forme. Mais la
cause première est absolument séparée de toute yliatin, car son existence n’est pas participée mais elle est
pure existence et par conséquent pure bonté car toute chose est bonne en tant
qu’elle est un être ou qu’elle existe ; mais il faut que tout ce qui est
participé dérive de ce qui subsiste de la façon la plus pure de par son
essence même. D’où il s’ensuit que l’essence de l’intelligence et de tous les
êtres procède de la pure bonté de la cause première. On voit donc ainsi la
raison pour laquelle il a dit plus haut que la cause première n’est ni l’intelligence, ni l’âme, ni la nature,
car sa science transcende la science de l’intelligence et celle de l’âme, sa
puissance transcende toute puissance et son existence est infiniment élevée
au-dessus de toute existence. Ensuite
lorsqu’il dit : mais si quelqu’un
disait etc., il écarte une objection. Quelqu’un pourrait dire en effet
que, si la cause première est seulement existence, elle apparaîtra comme
étant l’être commun qui est attribué à tout ce qui existe et non pas comme un
être individuel distinct de tous les autres ; en effet, ce qui est
commun n’est individué que par ceci qu’il est reçu dans quelque chose. Mais
la cause première est quelque chose d’individuel qui est distinct de tous les
autres êtres, autrement elle ne posséderait aucune opération ; l’action
et la passion ne se trouvent en effet à être attribuées en aucune manière à
l’universel. Il semble donc nécessaire de dire que la cause première possède
une yliatin, c’est-à-dire quelque
chose qui reçoit l’existence. Mais il répond à cela que l’infinité même de
l’existence divine, c’est-à-dire en tant qu’elle n’est pas limitée par
quelque chose qui la reçoit, tient la place de l’yliatin qui se trouve dans
les autres choses. Et il en est ainsi parce que tout comme dans les autres
choses il y a individuation de l’être commun reçu par quelque chose qui le
reçoit, de même la bonté ou l’existence divine tient son individuation de sa
propre pureté, c’est-à-dire par ceci qu’elle n’est reçue en rien ; et elle possède sa capacité de répandre ses
bontés sur l’intelligence et les autres réalités du fait qu’elle soit
individuée par sa seule pureté. Et pour en avoir l’évidence il faut
considérer qu’une réalité est dite individuée du fait qu’elle n’est pas apte
par nature à se retrouver dans une multiplicité, contrairement à l’universel
qui est apte par nature à se retrouver dans une multiplicité. Mais il peut y
avoir deux modalités pour un être de ne pas être apte à se retrouver dans une
multiplicité. Premièrement par ceci qu’il est déterminé à se trouver dans
quelque chose d’unique : par exemple si la blancheur est apte à se
trouver dans une multiplicité de par la nature de son espèce, cependant telle
blancheur qui est reçue dans un sujet ne peut se retrouver qu’en lui. Mais on
ne peut procéder à l’infini dans cette modalité car on ne peut procéder à
l’infini dans les causes formelles et matérielles comme le Philosophe le
prouve au deuxième livre de la Métaphysique ;
c’est pourquoi il faut en venir à quelque chose qui n’est pas apte par nature
à être reçu en autre chose et qui tient de cela même son individuation, comme
la matière première qui est principe d’individuation pour les choses
corporelles. C’est pourquoi il faut que tout ce qui n’est pas apte par nature
à se retrouver dans quelque chose d’autre tienne de cela même son
individuation. Et c’est là la deuxième modalité pour un être de ne pas
pouvoir se retrouver dans une multiplicité, c’est-à-dire parce qu’il n’est
pas apte à se retrouver dans quelque chose, comme ce serait le cas par
exemple si la blancheur existait séparément et indépendamment de tout sujet,
elle serait du coup individuée de cette manière. Et c’est de cette manière
qu’il y a individuation chez les substances séparées qui sont des formes
possédant l’existence et chez la cause première elle-même qui est l’existence
subsistante. |
Lectio 10 [84245] Super De
causis, l. 10 Postquam auctor huius libri ostendit
qualiter scit intelligentia quod est supra se et quod est sub se, et quod est
supra ipsam, nunc incipit ostendere qualiter intelligat alia a se praeter
causam primam. Et primo ostendit communiter qualiter cognoscat omnia alia a
se, secundo specialiter quomodo cognoscit res sempiternas, in 11
propositione, ibi: omnis intelligentia et cetera. Primo ergo praemittit talem
propositionem: omnis intelligentia est plena formis: verumtamen ex
intelligentiis sunt quae continent formas plus universales, et ex eis sunt
quae continent formas minus universales. Et hoc etiam invenitur in libro
Procli, CLXXVII propositione, sub his verbis: omnis intellectus plenitudo
ens specierum, hic quidem universaliorum, hic autem particulariorum est contentivus
specierum. Circa hanc igitur propositionem duo oportet considerare: primo
id quod est commune omnibus intelligentiis vel intellectibus separatis,
scilicet plenitudo formarum vel intelligibilium specierum, secundo
differentiam universalitatis et particularitatis in ipsis. Circa primum
igitur considerandum est quod, sicut supra iam diximus, Platonici, ponentes
formas rerum separatas, sub harum formarum ordine ponebant ordinem
intellectuum. Quia enim omnis cognitio fit per assimilationem intellectus ad
rem intellectam, necesse erat quod intellectus separati ad intelligendum
participarent formas abstractas; et huiusmodi participationes formarum sunt
istae formae vel species intelligibiles de quibus hic dicitur. Sed quia,
secundum sententiam Aristotelis quae circa hoc est magis consona fidei
Christianae, non ponimus alias formas separatas supra intellectuum ordinem,
sed ipsum bonum separatum ad quod totum universum ordinatur sicut ad bonum
extrinsecum, ut dicitur in XII metaphysicae, oportet nos dicere quod, sicut
Platonici dicebant intellectus separatos ex participatione diversarum
formarum separatarum diversas intelligibiles species consequi, ita nos
dicamus quod consequuntur huiusmodi intelligibiles species ex participatione
primae formae separatae, quae est bonitas pura, scilicet Dei. Ipse enim Deus
est ipsa bonitas et ipsum esse, in seipso virtualiter comprehendens omnium
entium perfectiones. Nam ipse solus per essentiam suam omnia cognoscit absque
participatione alicuius alterius formae; inferiores vero intellectus, cum
eorum substantiae sint finitae, non possunt per suam essentiam omnia
cognoscere, sed ad habendum rerum cognitionem necesse est quod, ex
participatione causae primae, speciebus intelligibilibus receptis res
intelligant. Unde Dionysius dicit VII capitulo de divinis nominibus, quod ex
ipsa divina sapientia intelligibiles et intellectuales angelicarum mentium
virtutes, simplices et beatos habent intellectus. Et est considerandum,
sicut Augustinus dicit II super Genesim ad litteram, quod sicut ex verbo Dei
procedunt formae in materiam corporalem ad rerum constitutionem, ita ab
eodem, scilicet verbo, in Angelis fit rerum cognitio per huiusmodi specierum
intelligibilium receptionem; quia et Platonici ponebant secundum
participationem idearum, et intellectus separatos res cognoscere, et materiam
corporalem secundum diversas species variari. Sed sciendum est quod eadem diversitas
participationis invenitur in intellectibus et in materia corporali. Materia
enim inferiorum corporum participat quidem formam aliquam ad esse specificum,
sed tamen illa forma non repletur materiae potentia, quae adhuc ad alias
formas se extendit; materia vero caelestium corporum repletur forma quam
participat, quia non remanet in ea potentia ad aliam formam. Similiter etiam intellectus
inferiores humani non replentur intelligibilibus speciebus; sed a principio
quidem intellectus possibilis humanus est sicut tabula in qua nihil est
scriptum, ut dicitur in III de anima; postmodum autem ordine quodam species
recipit, nec tamen in hac vita repletur. Sed intellectus separati statim a
principio sunt repleti speciebus intelligibilibus ad cognoscendum omnia ad
quae se extendit naturalis facultas ipsorum. Unde
Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus, quod intellectus
supermundane intelligunt et illuminantur secundum existentium rationes.
Et hoc est quod dicitur quod intelligentia est plena formis vel, sicut
Proclus expressius dicit, est plenitudo formarum quia ipsa
intellectualitas ad propriam naturam intelligentiae vel intellectus separati
pertinet. Circa differentiam universalitatis et particularitatis specierum
intelligibilium, hoc primo attendendum est quod, sicut hic dicitur et in
libro Procli, superiores habent formas magis universales, inferiores vero
minus universales. Et hoc etiam Dionysius dicit XII capitulo caelestis
hierarchiae, ubi dicit quod Cherubim ordo participat sapientia et
cognitione altiori, sed inferiores substantiae participant sapientia
et scientia particulariori. Quae quidem universalitas et particularitas
non est referenda ad res cognitas, sicut aliqui male intellexerunt
existimantes quod Deus non cognosceret nisi universalem naturam entis; cui
consequens esset quod in inferioribus intellectibus tanto uniuscuiusque
cognitio magis in universali sisteret, quanto esset altior; puta quod unus
intellectus cognosceret solum naturam substantiae, inferior vero naturam
corporis, et sic usque ad individuas species. Quae quidem estimatio aperte
continet falsitatem: cognitio enim qua cognoscitur aliquid solum in universali,
est cognitio imperfecta, cognitio vero qua cognoscitur aliquid in propria
specie, est cognitio perfecta; cognitio enim speciei includit cognitionem
generis, sed non e converso; sequeretur igitur quod, quanto intellectus esset
superior, tanto esset eius cognitio imperfectior. Est ergo haec differentia
universalitatis et particularitatis attendenda solum secundum id quo
intellectus intelligit. Quanto enim aliquis intellectus est superior, tanto
id quo intelligit est universalius, ita tamen quod illo universali eius
cognitio extendatur etiam ad propria cognoscenda multo magis quam cognitio
inferioris intellectus qui per aliquid magis particulare cognoscit. Et hoc
etiam experimento in nobis percipimus: videmus enim quod illi qui sunt
excellentioris intellectus ex paucioribus auditis vel cognitis totam
veritatem alicuius quaestionis vel negotii comprehendunt, quod alii,
grossioris intellectus existentes, percipere non possunt nisi manifestetur
eis per singula; ratione cuius oportet frequenter inducere. Et ideo Deus
cuius intellectus est excellentissimus, uno solo, scilicet essentia sua,
omnia comprehendit; aliorum vero intellectuum separatorum, tanto unusquisque
paucioribus speciebus et ad plura se extendentibus rerum notitiam habet,
quanto est altior, ita quod intellectus humanus qui est infimus, rerum
scientiam habere non potest nisi singulis speciebus singularum rerum naturas
cognoscat; materia vero corporalis et sensus corporeus omnino ab universali
participatione specierum deficere invenitur. Huius igitur differentiae, quae
est secundum universalitatem et particularitatem specierum, probatio eadem
ponitur hic et in Proclo, et est sumpta ex effectu. Sicut enim intelligentiae
per intelligibiles formas cognoscunt, ita et per intelligibiles formas suos
effectus producunt, quia omnis intellectus intelligendo operatur, ut infra
dicetur. Superiorum autem intelligentiarum sunt maiores virtutes; et hoc ideo
quia sunt magis simplices et minoris quantitatis, id est compositionis,
utpote uni primo propinquiores; ergo oportet quod virtutes operativae ipsarum
ad plura se extendant, et tamen ipsae virtutes sint magis simplices; et ex
hoc apparet quod formae superiorum intelligentiarum sunt universaliores.
Quomodo autem formae quae sunt in superioribus intelligentiis unitae,
multiplicentur in intelligentiis secundis, manifestat consequenter rationem
huius assignans, sicut et Proclus, ex parte intelligentiarum inferiorum.
Intelligentiae enim inferiores consequuntur intelligibiles species ex
superioribus intelligentiis quodammodo ad eas respiciendo, quia
intelligentia, sicut omne quod agit intelligendo agit, ita omne quod recipit
intelligibiliter recipit, secundum modum scilicet propriae naturae. Et quia
natura inferioris intelligentiae non est tantae simplicitatis et unitatis
quantae natura superioris intelligentiae, ideo nec formae intelligibiles
recipiuntur in intelligentia inferiori in illa unitate in qua sunt in
superioribus intelligentiis. Et propter hoc formae intelligibiles magis
multiplicantur in inferioribus intelligentiis quam in superioribus; ita quod
ea quae intelliguntur a superiori intelligentia per unam speciem
intelligibilem, inferior intelligentia intelligit per plures. Sed, quia,
sicut dictum est, intelligentia quidquid operatur intelligendo operatur,
sicut et intelligendo recipit quod recipit, potest ratio huius
multiplicationis specierum assignari, non solum ex parte intelligentiae
recipientis, sed etiam ex parte intelligentiae imprimentis, cuius provisione
multiplicantur species in inferiori intelligentia secundum suam capacitatem.
Unde Dionysius dicit XV capitulo caelestis hierarchiae: unaquaeque
essentia intellectualis, donatam sibi a diviniore uniformem intelligentiam,
provida virtute dividit et multiplicat ad inferioris ductricem analogiam,
id est secundum proportionem inferioris substantiae. |
Leçon 10. Toute intelligence est pleine de formes;
cependant, parmi les intelligences, certaines contiennent des formes moins
universelles, d'autres des formes plus universelles.
Après avoir montré de quelle manière l'intelligence connaît ce
qui est au-dessus d’elle et ce qui est sous elle, ainsi que la nature de ce
qui est au-dessus d'elle, l'auteur de ce livre commence maintenant à montrer
de quelle manière l'intelligence intellige les choses qui sont autres qu’elle,
à l'exception de la cause première. Et en premier lieu il montre de quelle
manière elle connaît en général les choses qui sont autres qu’elle, et en
deuxième lieu, à la proposition 11, comment elle connaît en particulier
les réalités éternelles, où il dit : toute
intelligence pense etc. En premier lieu il fait donc précéder cette
proposition : toute intelligence
est pleine de formes : cependant parmi elles il y a celles qui
contiennent des formes plus universelles et celles qui contiennent des formes
moins universelles. Et on retrouve aussi la même pensée dans le livre de
Proclus à la proposition 177, formulée en ces termes : l’être de tout intellect est une plénitude
d’espèces, mais celui-ci contient des espèces plus universelles, celui-là des
espèces plus particulières. Il y a deux choses à considérer dans cette
proposition : premièrement ce qu’il y a de commun à toutes les
intelligences ou à tous les intellects séparés, à savoir la plénitude ou
l’abondance des formes ou des espèces intelligibles et deuxièmement la
différence d’universalité et de particularité qu’on retrouve en elles. Au sujet du premier point il faut
donc considérer que, comme nous l’avons déjà dit, les Platoniciens, en
soutenant que les formes des choses existent séparément, posaient, sous l’ordre
de ces formes, un ordre des intelligences. En effet, parce que toute
connaissance se réalise par une assimilation de l’intellect à la chose
intelligée, il était nécessaire que les intellects séparés, pour poser leur
acte d’intellection, participent des formes séparées ; et ce sont ces
participations des formes qui sont ces formes ou ces espèces intelligibles
dont on parle ici. Mais parce que, conformément à la pensée d’Aristote qui
s’accorde davantage avec la foi chrétienne à ce sujet, nous ne posons pas
d’autres formes séparées au-dessus de l’ordre des intelligences mais
seulement le bien séparé lui-même auquel l’univers est ordonné dans sa
totalité comme à un bien extérieur, comme le Philosophe le dit au douzième
livre de la Métaphysique, il nous
faut dire que bien que les Platoniciens disaient que les intellects séparés
parviennent à saisir les différentes espèces intelligibles par une
participation des différentes formes séparées, nous disons par ailleurs que
les intellects séparés parviennent à saisir ces espèces intelligibles par la
seule participation de la forme séparée première qui est la bonté pure, à
savoir Dieu. En effet, c’est Dieu lui-même qui est la bonté même et l’être
même qui contient virtuellement en lui les perfections de tous les êtres. Car
il est le seul à connaître par son essence tous les êtres sans participer
d’aucune autre forme ; mais puisque les intelligences inférieures ont
une substance finie, elles ne peuvent connaître tous les êtres par leur
essence mais pour acquérir la connaissance des choses il leur est nécessaire
de les intelliger après avoir reçu les espèces intelligibles par une
participation de la cause première. C’est pourquoi Denys dit au chapitre
septième des Noms Divins que c’est de la sagesse divine elle-même que les
puissances intelligibles et intellectuelles des esprits angéliques tiennent
leur intelligence simple et bienheureuse. Et il faut considérer, comme le
dit Saint-Augustin dans son deuxième livre Sur la Genèse au sens littéral, que tout comme c’est du verbe de
Dieu que les formes procèdent dans la matière pour la constitution des
choses, de même c’est de Lui, c’est-à-dire du Verbe que se réalise la
connaissance des choses chez les Anges par la réception de telles espèces
intelligibles ; car les Platoniciens soutenaient que c’est par la
participation des idées que les intellects séparés connaissent les choses et
que la matière corporelle se différencie suivant différentes espèces. Mais il
faut savoir que c’est la même différence de participation qu’on retrouve dans
les intelligences et dans la matière corporelle. En effet, la matière des
corps inférieurs participe certes d’une certaine forme en vue d’une existence
spécifique et cependant la puissance de la matière n’est pas comblée par cette
même forme puisqu’elle demeure en outre ouverte à d’autres formes ; mais
la matière des corps célestes est comblée par la forme dont elle participe
parce qu’il ne demeure pas en elle une puissance à l’égard d’une autre forme.
De la même manière encore les intelligences inférieures des humains ne sont
pas remplies d’espèces intelligibles mais au début l’intellect possible
humain est certes comme une table dénudée sur laquelle rien n’est écrit comme
le dit le Philosophe au troisième livre de
L’Âme ; par la suite cependant il reçoit les espèces suivant un
certain ordre sans en être cependant rempli en cette vie. Mais les
intelligences séparées au contraire sont aussitôt remplies d’espèces
intelligibles dès le début pour connaître tout ce qui est accessible à leur
faculté naturelle de connaissance. C’est pourquoi Denys dit au chapitre quatrième
des Noms Divins que les intelligences intelligent et sont
illuminées sur les notions des êtres d’une manière qui n’est pas de ce monde.
Et c’est ce que dit notre auteur lorsqu’il affirme que l’intelligence est pleine de formes, tout comme Proclus lorsqu’il
dit plus clairement qu’elle est une
plénitude de formes car l’intellectualité appartient en propre à la
nature de l’intelligence ou de l’intellect séparé. Mais sur la différence
d’universalité et de particularité des espèces intelligibles, il faut en
premier lieu remarquer que tout comme on le dit ici et dans le livre de
Proclus, les intelligences supérieures possèdent des espèces intelligibles
plus universelles alors que celles qui
sont inférieures en possèdent des moins universelles. Et c’est aussi ce que
dit Denys au chapitre 12 de La
Hiérarchie Céleste où il affirme que l’ordre
des Chérubins participe d’une sagesse et d’une connaissance supérieures
mais que les substances inférieures participent
d’une sagesse et d’une science plus particulière. Mais cette universalité
et cette particularité ne doivent certes pas se rapporter aux choses connues
elles-mêmes comme l’ont pensé à tort ceux qui ont cru que Dieu ne connaîtrait
que la nature universelle de l’être, d’où il s’ensuivrait que chez les
intellects inférieurs la connaissance de chacun se tiendrait d’autant plus
dans l’universel que cette intelligence serait plus élevée : par
exemple, un intellect connaîtrait seulement la nature de la substance, un
intellect inférieur seulement la nature du corps, et d’autres plus
inférieures encore seulement les espèces individuelles. Ce jugement contient
certes une fausseté évidente : en effet, la connaissance par laquelle
quelque chose n’est connu que dans l’universel est une connaissance
imparfaite alors que celle par laquelle une chose est connue dans l’espèce
qui lui est propre est une connaissance parfaite ; en effet, la
connaissance de l’espèce inclut la connaissance du genre mais non inversement ;
donc, d’après cette position, il s’ensuivrait que plus une intelligence est
supérieure, plus sa connaissance est imparfaite. Par conséquent, la
différence d’universalité et de particularité doit se vérifier uniquement
d’après ce par quoi l’intelligence intellige. En effet, plus une intelligence
est supérieure, plus ce par quoi elle intellige est universel, de telle manière cependant
que par cet universel sa connaissance s’étende même à ce qui doit être connu
en propre et bien davantage que la connaissance de l’intelligence inférieure
qui connaît au moyen d’espèces plus particulières. Et cela, nous le percevons
chez nous par l’expérience : nous voyons en effet que ceux qui possèdent
une intelligence plus excellente saisissent toute la vérité d’une question ou
d’une affaire à partir d’un petit nombre de choses entendues ou connues,
vérité que d’autres, doués d’une intelligence moins fine, n’arrivent à
saisir que si elle leur est manifestée
par une multiplicité de cas particuliers, en raison de quoi il faut souvent
produire des inductions. Et c’est pourquoi Dieu, dont l’intelligence est la
plus excellente, comprend tous les êtres dans l’unicité, c’est-à-dire par sa
seule essence ; mais pour les autres intelligences séparées, plus
chacune d’elles acquiert la connaissance des choses par un petit nombre
d’espèces qui s’appliquent à un plus grand nombre de choses, plus elle est
supérieure, de telle manière que l’intelligence humaine, laquelle est la
dernière des intelligences, ne peut acquérir la science des choses que si
elle connaît les natures des choses individuelles par leurs espèces
individuelles ; mais la matière corporelle et le sens corporel se
trouvent à être totalement écartés d’une participation universelle des
espèces. Donc la preuve de cette différence relative à l’universalité et à la
particularité des espèces, à savoir celle qui est présentée ici et celle que
présente Proclus, est véritablement la même et elle est tirée de l’effet. En
effet, tout comme les intelligences connaissent au moyen des formes
intelligibles, de même c’est par les formes intelligibles qu’elles produisent
leurs effets car tout intellect opère par son acte d’intellection comme on le
dira plus loin. Mais les puissances des intelligences supérieures sont plus
grandes ; et il en est ainsi parce qu’elles sont plus simples et d’une
moindre quantité, c’est-à-dire parce qu’elles sont moins composées vu
qu’elles sont plus proches de l’Un premier ; il faut donc que leurs
puissances d’opération s’étendre à une plus grande multiplicité bien que
leurs puissances elles-mêmes soient plus simples ; et c’est à partir de
là qu’il devient clair que les formes des intelligences supérieures sont plus universelles. Mais de quelle
manière les formes qui sont unes dans les intelligences supérieures se
trouvent à se multiplier dans les intelligences secondes, il en manifeste par
la suite la raison en l’identifiant, tout comme le fait Proclus, du côté des
intelligences inférieures. En effet, les intelligences inférieures acquièrent
les espèces intelligibles à partir des
intelligences supérieures, en ayant le regard tourné vers elles d’une
certaine manière car l’intelligence, tout comme elle fait tout ce qu’elle
fait en intelligeant, de même elle reçoit tout ce qu’elle reçoit d’une
manière intelligible, c’est-à-dire selon le mode de sa nature propre. Et
parce que la nature d’une intelligence inférieure ne possède pas autant de
simplicité et d’unité que la nature de l’intelligence supérieure, c’est
pourquoi les formes intelligibles reçues dans l’intelligence inférieure ne
présentent pas cette unité qu’elles ont dans les intelligences supérieures.
Et c’est pour cette raison que les formes intelligibles se multiplient
davantage dans les intelligences inférieures que dans celles qui sont
supérieures, de telle manière que ce qui est saisi par une intelligence
supérieure au moyen d’une seule espèce intelligible est saisi au moyen d’une
multiplicité d’espèces par une intelligence inférieure. Mais parce que, comme
nous l’avons dit, tout ce qu’une intelligence opère, elle l’opère par son
acte d’intellection, tout comme c’est par le même acte qu’elle reçoit ce
qu’elle reçoit, la raison de cette multiplication des espèces peut être
assignée non seulement du côté de
l’intelligence qui reçoit mais aussi du côté de l’intelligence qui imprime,
par la prévoyance de laquelle les espèces se multiplient dans l’intelligence
inférieure selon sa capacité. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 15 de La Hiérarchie céleste : toute essence intellectuelle divise et
multiplie par une prévoyante puissance
l’intelligence uniforme qui lui a été donnée par une intelligence plus
divine pour la conduire par analogie à une intelligence inférieure,
c’est-à-dire proportionnellement aux capacités de la substance inférieure. |
Lectio 11 [84246] Super De
causis, l. 11 Ostenso quomodo intelligentia
intelligat alia a se, quia per formas intelligibiles quibus est plena, hic
specialiter agitur de cognitione qua intelligentia cognoscit res aeternas. Et
primo ostendit quod cognoscit res aeternas sive incorruptibiles, secundo
ostendit modum quo eas cognoscit, ibi: primorum omnium quaedam sunt et
cetera. Circa primum proponit talem propositionem: omnis intelligentia
intelligit res sempiternas quae non destruuntur neque cadunt sub tempore.
Et intelligit per res sempiternas, ea quae sunt supra tempus et motum,
ut expositum est in 2 propositione; signanter autem dicit quae non
destruuntur neque cadunt sub tempore: quaedam enim cadunt sub tempore
quae tamen non destruuntur, sicut motus caeli qui, cum tempore mensuretur,
non destruetur nec cessabit secundum philosophorum positionem. Videtur ergo
secundum superficiem intellectus huius propositionis esse quod intelligentia
non cognoscat res corruptibiles et cadentes sub tempore, sed solum res
incorruptibiles supra tempus existentes. Sed quod non sit hic intellectus
propositionis patet ex probatione quae subditur, in qua non probatur quod
intelligentia cognoscat sempiterna et non corruptibilia, sed quod non causet
immediate nisi sempiterna; unde exponendum est: omnis intelligentia
intelligit, id est intelligendo causat res sempiternas. Et hoc patet ex
libro Procli qui ad hoc inducit duas propositiones. Quarum una est CLXXII: omnis
intellectus perpetuorum est proxime et intransmutabilium secundum substantiam
substitutor. Alia est CLXXIV: omnis intellectus intelligendo instituit
quae post ipsum. Ex quibus duabus propositionibus auctor huius libri
conflavit unam; et dum brevitati studuit, obscuritatem induxit. Probat autem
sub hoc sensu hanc propositionem eo modo quo et Proclus, et in hac probatione
duo facit: primo enim ostendit quod intelligentia non producit immediate res
corruptibiles vel cadentes sub tempore, sed solum res sempiternas, secundo
unde veniat corruptibilitas in rebus. Primum autem ostendit sic: intelligentia
producit suum effectum secundum suum esse; et hoc ideo quia suum intelligere
est sibi connaturale et essentiale, nihil autem producit nisi intelligendo,
ut supra manifestavimus; unde relinquitur quod quidquid producit producat per
suum esse. Sed esse intelligentiae est incorruptibile et supra tempus
aeternitati parificatum, ut in 2 propositione habitum est. Ergo immediatus
intelligentiae effectus est sempiternus, non cadens sub corruptione vel
tempore. Secundum autem manifestat dicens quod, cum intelligentia immediate
non causet res corruptibiles, sequitur quod res corruptibiles non sunt
immediate ab intelligentia, sed sunt ab aliqua causa corporea temporali; nam
corruptio et generatio in his inferioribus rebus causantur per motum caeli,
ipse autem motus caeli non est immediate ab intelligentia sed ab anima, sicut
supra dictum est in 3 propositione. Si quis autem hunc processum reducere
velit ad intellectum qui superficialiter ex propositione apparet, poterit
dicere ulterius quod res corruptibiles cognoscuntur ab intelligentia ut
sempiternae; sunt enim in intelligentia sicut non materialiter, quamvis in se
sint materiales, ita nec temporaliter sed sempiterne. Quod manifestatur per
effectum: quia immediatus effectus intelligentiae est sempiternus; id enim quo
intelligentia cognoscit, est principium factivum in ipsa, sicut et artifex
per formam artis operatur. Haec autem probatio quae hic inducitur, etsi a
quibusdam philosophis concedatur, non tamen necessitatem habet. Hac enim
probatione suscepta, multa fundamenta Catholicae fidei tollerentur:
sequeretur enim quod Angeli nihil de novo in his inferioribus immediate
facere possent, et multo minus Deus qui non solum est aeternus, sed ante
aeternitatem, ut supra dictum est, et sequeretur ulterius mundum semper fuisse.
Haec enim videtur esse efficacissima ratio ponentium aeternitatem mundi, quae
sumitur ex immobilitate factoris. Non enim videtur posse contingere quod
aliquod agens nunc incipiat operari, cum prius non operatus fuerit, si omnino
immobiliter se habeat, nisi forte aliqua exteriori mutatione praesupposita,
quia, ut Averroes in commento VIII physicorum prosequitur, si aliquod agens
voluntarium vult aliquid facere post et non prius, ad minus oportet quod
imaginetur tempus, quod est numerus motus. Et ideo concludit impossibile esse
quod, ex voluntate immobili et aeterna, proveniat effectus novus, nisi
praesupposito motu. Et quia haec videtur esse efficacior ratio qua utuntur ad
probandum aeternitatem mundi, diligenter est huius rationis solutio
attendenda. Considerandum est igitur aliter loquendum esse de agente quod
producit aliquid in tempore, atque aliter de agente quod producit tempus
simul cum re quae in tempore producitur. Cum enim aliquid in tempore
producitur, oportet accipere aliquam proportionem ad tempus, vel solum eius
quod producitur, vel etiam producentis ipsius; quandoque enim actio est in
tempore, non solum ex parte eius quod
agitur, sed etiam ex parte agentis; in tempore enim est aliquid secundum quod
est in motu, cuius numerus tempus est. Quando igitur aliqua mutatio invenitur
ex parte eius quod agitur et ex parte agentis, tunc actio secundum utrumque
est in tempore; puta cum aliquis alteratus a frigore, de novo sibi venit in
mentem ut ignem accendat ad frigus pellendum. Hoc autem non semper contingit:
est enim aliquid cuius substantia non est in tempore, sed operatio in tempore
est, ut infra dicetur. Huiusmodi ergo agens, absque aliqua sui mutatione,
effectum producit in tempore, qui prius non fuerat. Et sic etiam Deus aliquid
potest producere in tempore de novo, quod prius non fuerat, secundum certam
proportionem huius effectus ad hoc tempus, sicut contingit in omnibus
miraculosis effectibus qui fiunt immediate a Deo. Nec obstat quod dicitur
quod producit per suum esse, quia suum esse est suum intelligere; et, sicut
suum esse est unum, intelligit tamen multa, et propter hoc potest multa
producere, quamvis eius intelligere unum et simplex remaneat, ita, quamvis
sit suum esse aeternum et immobile, potest tamen intelligere aliquod esse
temporale et mobile, et ideo, etsi suum intelligere sit sempiternum, per
ipsum tamen producere potest effectum novum in tempore. Cuius indicium
aliqualiter in nobis apparet: potest enim homo, voluntate immobili
permanente, opus suum in futurum differre, ut faciat illud determinato
tempore. Sed si tu dicas quod, quotiens hoc contingit, oportet
praeintelligere alium motum ex quo contingat quod aliquid prius non fuerit
conveniens fieri, postmodum indicatur ut conveniens ad fiendum, ad minus
ipsum temporis decursum qui sine motu intelligi non potest, dicemus hoc
quidem verum esse in particularibus Dei effectibus quos in tempore operatur.
Quod enim Lazarum suscitavit quarta die et non prius, habito respectu ad
aliquam rerum mutationem praecedentem hoc fecit. Sed in universi productione
hoc locum non habet, quia simul cum mundo fit etiam tempus et totus
universaliter motus; non est ergo aliud tempus praecedens vel motus, ad quem
oporteat novitatem huius effectus proportionari, sed solum ad rationem
facientis prout intellexit et voluit hunc effectum ab aeterno non fore, sed
incipere post non esse. Sic enim tempus est mensura operationis vel motus,
sicut dimensio est mensura magnitudinis corporalis. Si igitur quaeramus de
aliquo particulari corpore, puta de terra, quare infra hos magnitudinis
limites coercetur et non extenditur ultra, potest eius ratio esse ex
proportione ipsius ad totum mundum. Sed si rursum quaeramus de tota corporum
universitate, quare huiusmodi determinatae magnitudinis terminos non excedat,
non potest huius ratio esse ex proportione eius ad aliquam aliam
magnitudinem, sed vel oportet dicere magnitudinem corporalem esse infinitam,
sicut antiqui naturales posuerunt, vel oportet huiusmodi determinatae
magnitudinis rationem accipi ex sola intelligentia et voluntate facientis.
Sicut igitur infinitus Deus finitum universum produxit secundum suae
sapientiae rationem, ita aeternus Deus potuit novum mundum producere secundum
eamdem sapientiae rationem. |
Leçon 11. Toute intelligence pense les réalités
éternelles qui ne sont pas assujetties à la destruction et au temps.
Ayant montré comment
l'intelligence comprend les êtres qui sont autres qu'elle, à savoir par les
formes intelligibles dont elle est pleine, l'auteur traite ici de façon plus
spéciale de la connaissance par laquelle l’intelligence connaît les réalités
éternelles. Et en premier lieu il montre qu’elle connaît les réalités
éternelles ou incorruptibles, deuxièmement il montre la manière par laquelle
elle les connaît, là où il dit : ¨Parmi
tous les êtres premiers, certains sont etc.¨ Au sujet du premier point il
présente cette proposition : toute
intelligence saisit les réalités éternelles qui ne peuvent être détruites et
qui ne sont pas soumises au temps. Et par réalités éternelles, il entend celles qui transcendent le temps
et le mouvement ainsi qu’on l’explique dans la proposition 2 ; et c’est
avec insistance cependant qu’il dit : qui ne peuvent être détruites et ne sont pas soumises au temps ;
en effet, il y a des réalités qui sont soumises au temps sans être détruites,
comme le mouvement du ciel qui, bien qu’il soit mesuré par le temps, ne sera
pas détruit et ne cessera pas selon ce qu’en pensent les philosophes. Il semble donc, d’après
un examen superficiel, que cette proposition signifie que l’intelligence ne
connaît pas les choses corruptibles et qui sont soumises au temps mais
seulement les réalités incorruptibles dont l’existence transcende le temps.
Mais il est clair, à partir de la preuve qui est ajoutée et dans laquelle on
ne prouve pas que l’intelligence connaisse les réalités éternelles sans
connaître celles qui sont corruptibles, mais plutôt qu’elle ne cause
immédiatement que les réalités éternelles, que ce n’est pas là ce qu’entend
cette proposition ; c’est pourquoi il faut expliquer la signification de
ces termes : toute intelligence
intellige, qui est que c’est par son acte d’intellection que
l’intelligence cause les réalités éternelles. Et cela devient clair si on
s’appuie sur le livre de Proclus qui avance deux propositions pour le montrer,
dont la première est la proposition 172 : tout intellect, de par sa substance, est le fondateur des êtres perpétuels et immuables
de façon immédiate ; la deuxième est la proposition 174 : c’est par son acte d’intellection que tout
intellect établit les réalités qui viennent de lui. Et à partir de ces
deux propositions l’auteur de ce livre en forme une seule, mais alors qu’il
recherche la brièveté, il introduit une obscurité. Il prouve cependant cette
proposition avec cette signification de la même manière que le fait Proclus
et dans cette preuve il fait deux choses : premièrement en effet il
montre que l’intelligence ne produit pas immédiatement les réalités
corruptibles ou qui sont soumises au temps mais seulement les réalités
éternelles ; deuxièmement il montre d’où vient la corruptibilité dans
les choses. Mais c’est de la
manière suivante qu’il prouve le premier point : l’intelligence produit
son effet conformément à son existence à elle ; et il en est ainsi parce
que son acte d’intellection lui est connaturel et essentiel, et que tout ce
qu’elle produit, elle ne le produit que par cet acte comme nous l’avons
manifesté plus haut ; d’où il s’ensuit que c’est par son existence
qu’elle produit tout ce qu’elle produit. Mais l’existence de l’intelligence
est incorruptible et, transcendant le temps, est rendue égale à l’éternité
comme nous l’avons établi à la proposition 2. Donc l’effet immédiat de
l’intelligence est éternel et n’est pas soumis à la corruption ou au temps. Mais il manifeste le
deuxième point en disant que, puisque l’intelligence ne cause pas
immédiatement les réalités corruptibles, il s’ensuit que les réalités
corruptibles ne procèdent pas immédiatement de l’intelligence mais d’une
cause corporelle et temporelle ; car la corruption et la génération dans
les réalités inférieures sont causées par le mouvement du ciel alors que ce
même mouvement du ciel n’est pas causé immédiatement par l’intelligence mais
par l’âme ainsi que nous l’avons dit plus haut dans la proposition 3. Mais si
on voulait ramener ce processus à l’intelligence d’après le sens superficiel
de la proposition, on pourrait dire à la fin que les réalités corruptibles
sont connues par l’intelligence en tant qu’elles sont éternelles ; ces
réalités en effet, bien qu’elles soient matérielles en elles-mêmes,
n’existent pas matériellement dans l’intelligence de telle manière qu’elles
n’y existent pas d’une manière temporelle mais éternelle. Et cela est
manifesté par l’effet : car l’effet immédiat de l’intelligence est
éternel ; en effet, ce par quoi l’intelligence connaît est en elle un
principe efficient, tout comme l’artisan pose son opération par la forme de
l’art. Mais cette preuve qui est introduite ici, bien qu’elle soit concédée
par certains philosophes, ne contient pas en elle-même une nécessité. En
effet, si on admettait cette preuve, de nombreux principes fondamentaux de la
foi catholique seraient détruits : il s’ensuivrait en effet que les
Anges ne pourraient rien faire de nouveau de façon immédiate dans les
réalités inférieures, et encore moins Dieu qui non seulement est éternel,
mais antérieur à l’éternité comme on l’a dit plus haut, et il s’ensuivrait
ultimement que le monde a toujours existé. En effet, ce raisonnement qui
s’appuie sur l’immutabilité de l’Artiste semble avoir été le meilleur pour
ceux qui veulent conclure que le monde est éternel. En effet, il ne semble
pas possible qu’un agent commence maintenant à agir alors qu’il n’agissait
pas avant s’il est absolument immobile, à moins peut-être qu’on ne présuppose un changement extérieur car, comme l’avance Averroes dans son Commentaire au huitième livre de la
Physique, si un agent volontaire veut faire quelque chose après et non
avant il faut au moins imaginer un temps qui est le nombre du mouvement. Et
c’est pourquoi il conclut qu’il est impossible, à moins de présupposer le
mouvement, qu’un effet nouveau procède d’une volonté immobile et éternelle. Et
parce que tel semble être le raisonnement le plus efficace dont ils se
servent pour prouver l’éternité du monde, il faut rechercher avec soin la
solution de ce raisonnement. Il faut donc considérer qu’il faut parler
autrement de l’agent qui produit quelque chose dans le temps et autrement de
l’agent qui produit un temps simultanément avec la chose qui est produite
dans le temps. En effet, lorsqu’une chose est produite dans le temps, il faut
prendre quelque rapport au temps, soit seulement du côté de ce qui est
produit, soit aussi du côté de de celui-là même qui produit. Parfois en effet
l’action est dans le temps non seulement du côté de ce qui est fait, mais
aussi du côté de celui qui fait ; une chose en effet est dans le temps
selon qu’elle est dans le mouvement dont le nombre est le temps. Donc, quand un changement se retrouve à la
fois du côté de ce qui est fait et du côté de celui qui fait, alors l’action
est dans le temps des deux côtés ; par exemple, lorsque quelqu’un est
altéré par le froid, il lui vient aussitôt à l’esprit d’allumer un feu pour
repousser le froid. Mais il n’en est pas toujours ainsi : il y a en
effet un être dont la substance n’est pas dans le temps mais son opération
est dans le temps comme on le dira plus loin. Donc un tel agent, sans subir
lui-même aucun changement, produit dans le temps un effet qui n’existait pas
avant. Et en ce sens Dieu aussi peut produire dans le temps quelque chose de
nouveau qui n’existait pas avant selon un certain rapport de cet effet à ce
temps, comme cela se produit pour tous les effets miraculeux qui sont
produits immédiatement par Dieu. Et il n’y a pas de difficulté à dire qu’Il
produit son effet par son existence car son existence est son
intellection ; et, tout comme son existence est une et qu’il saisit
cependant une multiplicité par son intellection et que pour cette raison il
peut produire une multiplicité de choses bien que son intellection demeure
une et simple, de même, bien que son existence soit éternelle et immobile, il
peut cependant concevoir une existence temporelle et mobile et c’est
pourquoi, bien que son intellection soit éternelle, elle peut cependant
produire un effet nouveau dans le temps. Et on peut en voir un indice en
nous : l’homme peut en effet, par une volonté immobile et durable,
reporter son ouvrage pour le faire à un moment déterminé dans le futur. Mais
si tu dis que, toutes les fois que cela se produit, il faut concevoir à
l’avance un autre mouvement à partir duquel il soit possible, à la chose à
laquelle il ne convenait pas en premier lieu de devenir, de se révéler par la
suite comme devant être faite, au
moins le cours du temps qui ne peut être conçu sans le mouvement, nous dirons
que cela est certes vrai en ce qui concerne les effets particuliers que Dieu
opère dans le temps. Il ressuscita en effet Lazare le quatrième jour et non
avant, et il fit cela en tenant compte d’un certain changement des choses qui
a précédé. Mais dans la production de l’univers cela n’a pas lieu car c’est
en même temps que l’univers que Dieu produisit aussi le temps et tout
mouvement de l’univers universellement ; il n’y a donc pas à rechercher
un autre temps ou une autre mouvement qui précéderait et à l’égard
duquel il faudrait que la nouveauté de
cet effet soit proportionnée, mais elle ne peut être proportionnée qu’à
l’égard de la raison de l’Agent en tant qu’il a conçu et voulu que cet effet
n’existe pas de toute éternité mais commence à exister après n’avoir pas
existé. Ainsi en effet le temps est la mesure de l’opération ou du mouvement
tout comme la dimension est la mesure de la grandeur corporelle. Si donc nous
nous demandons au sujet d’un corps particulier, par exemple la terre,
pourquoi il est contenu à l’intérieur de ces limites de la grandeur et ne
s’étend pas au-delà, la raison de cela peut se tirer de son rapport à
l’ensemble de l’univers. Mais si à l’inverse la question porte sur la
totalité de la nature corporelle, à savoir pourquoi elle ne dépasse pas les
termes de cette grandeur déterminée, la raison ne peut s’en tirer de son
rapport à une autre grandeur, mais plutôt ou bien il faut dire que la
grandeur corporelle est infinie, comme les anciens physiciens l’ont soutenu,
ou bien il faut tirer la raison de cette grandeur déterminée uniquement du
côté de l’intelligence et de la volonté de l’Agent. Donc, tout comme Dieu qui
est infini a produit un univers fini conformément à la nature de sa sagesse,
de même le Dieu éternel a pu produire un univers nouveau conformément à cette
même nature de sa sagesse. |
Lectio 12 [84247] Super De
causis, l. 12 Postquam ostendit quod intelligentia
intelligit res sempiternas, hic inducit propositionem ad manifestandum
qualiter intelligentiae, quae sunt res sempiternae, mutuo se intelligant. Per
hoc autem aliquid intelligitur quod est in intelligente, et ideo ostendit in
hac propositione quomodo unum de entibus superioribus sit in alio. Et est
propositio talis: primorum omnium sunt quaedam in quibusdam per modum quo
licet ut sit unum eorum in alio. Haec etiam propositio proponitur CIII in
libro Procli sub his verbis: omnia in omnibus, proprie autem in unoquoque.
Idem autem est quod Proclus dicit: proprie autem in unoquoque, et quod
hic dicitur: per modum quo licet ut sit unum eorum in alio; utrobique
enim significatur quod unum est in alio secundum convenientem modum ei in quo
est. Sed a Proclo quidem inducitur haec propositio secundum positiones
Platonicas quibus ponuntur formae separatae subsistentes quarum, ut supra
dictum est, unaquaeque tanto est altior quanto est universalior et ad plura
suam participationem extendens; et, secundum hoc, ipsum esse est superius
quam ipsa vita, et haec quam ipse intellectus. Et ideo Proclus hoc
determinans in sua propositione addit: et enim in ente vita et
intellectus, et in vita esse et intelligere, et in intellectu esse et vivere.
Et sic etiam videtur auctor huius libri loqui huiusmodi separata prima
nominans. Subdit enim quasi exponens: quod est quia in esse sunt vita et
intelligentia, et in vita sunt esse et intelligentia, et in intelligentia
sunt esse et vita, quod est omnino idem cum verbis Procli. Addit autem
Proclus in sua propositione expositionem modi quo unum horum sit in alio,
dicens: sed alicubi quidem intellectualiter, alicubi autem vitaliter,
alicubi vero enter (id est per modum entis) entia omnia; quasi
dicat quod omnia tria praedicta sunt in intellectu intellectualiter, in vita
vitaliter, in esse essentialiter. Sed hoc quod ponitur loco huius in hoc
libro, videtur esse corruptum et malum intellectum habere. Sequitur enim: verumtamen
esse et vita in intelligentia sunt duae intelligentiae, debet enim
intelligi quod ista duo, scilicet esse et vita, sunt in intelligentia
intellectualiter; et esse et intelligentia in vita sunt duae vitae, id
est ambo sunt in vita vitaliter; et intelligentia et vita in esse sunt duo
esse, id est ambo sunt in ipso esse essentialiter. Si autem intelligatur
secundum quod verba sonant, falsum continent intellectum: vivere enim
viventis est ipsum esse eius, ut dicitur in II de anima et ipsum intelligere
primi intelligentis est vita eius et esse ipsius, ut in XII metaphysicae
dicitur; unde et hoc Proclus excludens dicit quod esse intellectus est
cognitivum et vita eius est cognitio. Alioquin sequeretur inconveniens
quod Aristoteles inducit in III metaphysicae contra Platonicos, quod scilicet
Socrates esset tria animalia, quia et ipse est animal, et de eo praedicatur
idea animalis communis quam participat, et similiter idea hominis qui item
est animal; sequeretur enim quod unumquodque istorum trium esset non unum sed
multa. Apponit autem Proclus probationem manifestam ad ea quae dicta sunt,
distinguens quod tripliciter aliquid de aliquo dicitur: uno modo causaliter,
sicut calor de sole, alio modo essentialiter sive naturaliter, sicut calor de
igne, tertio modo secundum quamdam posthabitionem, id est consecutionem sive
participationem, quando scilicet aliquid non plene habetur sed posteriori
modo et particulariter, sicut calor invenitur in corporibus elementatis non
in ea plenitudine secundum quam est in igne. Sic igitur illud quod est
essentialiter in primo, est participative in secundo et tertio; quod autem
est essentialiter in secundo, est in primo quidem causaliter et in ultimo participative;
quod vero est in tertio essentialiter, est causaliter in primo et in secundo.
Et per hunc modum omnia sunt in omnibus. Sed quia auctor huius libri non
videtur ponere formas separatas, quod hic dicitur esse et vitam et
intelligentiam in se invicem esse, est intelligendum secundum quod
inveniuntur in habentibus esse, vivere et intelligere; quia in ipso esse
secundum propriam rationem invenitur causaliter vivere et intelligere,
secundum illum modum quo in 1 propositione dictum est quod esse est causa
prima, vivere et intelligere posteriores causae. Non tamen ita est
intelligendum sicut verba sonant, quod intelligentia et vita sint in ipso
esse duo esse, sed quia haec duo, prout sunt in ipso esse, non sunt aliud
quam esse, et similiter esse, prout est in vita, est ipsa vita, cum vita
nihil addat supra esse nisi determinatum modum essendi seu determinatam
naturam entis. Et idem intelligendum est in aliis comparationibus secundum
quas unum istorum dicitur esse in alio. Sed quia, secundum intellectum huius
auctoris, haec tria non sunt quaedam res subsistentes, sicut dictum est,
consequenter applicat istam propositionem ad res quae per se subsistunt, quae
sunt: esse primum quod est Deus, intelligentia, anima intellectiva et anima
sensitiva. Et dicit quod hoc modo causa est in effectu et e converso,
secundum quod causa agit in effectum et effectus recipit actionem causae;
causa autem agit in effectum per modum ipsius causae, effectus autem recipit
actionem causae per modum suum; unde oportet quod causa sit in effectu per
modum effectus et effectus sit in causa per modum causae. Sic igitur
ea quae sunt in sensu sensibiliter, sunt in anima intellectiva per modum ei
convenientem, et ea quae sunt in anima per modum animalem, sunt in intellectu
per modum proprium, et quae sunt in intelligentia intelligibiliter, sunt in
causa prima essentialiter, secundum modum suum; et e converso priora sunt in
posterioribus secundum modum posteriorum. Ex quo accipi potest qualiter
intelligentiae se invicem intelligant et causam primam: unaquaeque enim
intelligit aliam secundum quod alia est in ipsa, per modum eius in quo est;
quia etiam in superioribus sunt inferiores secundum quasdam excellentiores
similitudines seu species, superiores vero in inferioribus secundum quasdam
deficientiores similitudines et species. |
Leçon 12. Tous les êtres premiers sont les uns dans
les autres selon qu'il est possible à chacun d'être en un autre.
Après avoir montré que
l'intelligence pense les réalités perpétuelles, l'auteur introduit ici une
proposition en vue de manifester comment les intelligences, qui sont des
réalités éternelles, se pensent mutuellement les unes les autres. Mais
quelque chose est intelligé du fait qu’il est dans l'intelligence, et c’est
pourquoi l'auteur montre dans cette proposition comment un des êtres
supérieurs est dans un autre. Et telle est cette proposition : pour tous les êtres premiers, les uns sont
dans les autres suivant la manière qui convient à chacun d’être dans un autre.
Cette proposition est aussi présentée en ces termes dans le livre de Proclus
à la proposition 103 : Tout est
dans tout, mais de la manière qui est propre à chacun. Mais ce que dit
Proclus, à savoir mais de la manière
qui est propre à chacun, est identique
à ce que dit ici notre
auteur : suivant la manière qui
convient à chacun d’être dans un autre ; dans les deux cas en effet on
signifie que l’un est dans l’autre suivant le mode de celui dans lequel il
est. Mais cette proposition est certes introduite par Proclus conformément
aux opinions platoniciennes qui posent des formes séparées subsistantes dont
chacune, comme nous l’avons dit, est d’autant plus supérieure qu’elle est
plus universelle et qu’elle étend sa participation à un plus grand
nombre ; et, d’après cette position, l’être lui-même est supérieur à la
vie elle-même et cette dernière est supérieure à l’intelligence elle-même. Et
c’est pourquoi Proclus, précisant cela, ajoute dans sa proposition : et en effet la vie et l’intelligence sont
dans l’être, et l’être et l’intelligence dans la vie, et l’être et la vie
dans l’intelligence. Et c’est ainsi aussi que l’auteur de ce livre semble
parler lorsqu’il nomme les premiers êtres séparés. Il ajoute en effet comme à
titre d’explication : il en est
ainsi parce que la vie et l’intelligence sont dans l’être, que l’être et
l’intelligence sont dans la vie et que l’être et la vie sont dans
l’intelligence, ce qui est tout à fait identique aux paroles de Proclus. Mais dans sa
proposition Proclus ajoute une explication sur la manière par laquelle l’un
de ces êtres est dans l’autre en disant : mais dans un cas tous les êtres sont dans un autre à la manière de
l’intelligence, dans un autre à la manière de la vie et dans un autre encore
véritablement, (c’est-à-dire à la manière de l’être) ; c’est comme
s’il disait que les formes qui précèdent sont toutes les trois dans
l’intelligence à la manière de l’intelligence, dans la vie à la manière de la
vie et dans l’être essentiellement, c’est-à-dire à la manière de l’être. Mais
ce qui est affirmé par notre auteur dans ce livre à la place de cela semble être
altéré et mal compris. En effet, ce qui suit, à savoir : il est cependant vrai que l’être et la vie
dans l’intelligence sont deux intelligences, cela doit en effet
s’entendre dans le sens où ces deux formes, à savoir l’être et la vie, sont
dans l’intelligence à la manière de l’intelligence ; et l’être et l’intelligence dans la vie
sont deux vies, cela soit s’entendre dans le sens où les deux sont dans
la vie à la manière de la vie ; et
l’intelligence et la vie dans l’être sont deux êtres, dans le sens où les
deux sont dans l’être essentiellement. Mais si on entend ces énoncés d’une
façon purement littérale, ils contiennent une fausseté : en effet, la
vie est l’être même du vivant comme le dit le Philosophe au deuxième livre de l’Âme, et l’intellection même de la
première Intelligence est sa vie même et son être même comme le dit encore le
Philosophe au douzième livre de la Métaphysique ;
c’est pourquoi Proclus, pour écarter cette fausse interprétation, dit que l’être de l’intellect est cognitif et que
sa vie est une connaissance. Autrement, s’il n’en était pas ainsi, il
s’ensuivrait une difficulté qu’Aristote présente contre les Platoniciens au
troisième livre de la Métaphysique,
à savoir que dans ce cas Socrate serait trois animaux, car il est d’abord
lui-même un animal, puis on lui attribue l’idée commune d’animal dont il
participe, et enfin l’idée d’homme à laquelle s’attribue aussi l’idée
d’animal ; il s’ensuivrait en effet que chacune de ces trois formes ne
formerait pas une unité mais constituerait une multiplicité. Proclus ajoute
cependant une preuve claire de ce qui a été dit en faisant la distinction
suivante, à savoir qu’il y a trois façons pour un prédicat de s’attribuer à
un sujet : premièrement à la manière d’une cause, comme la chaleur
s’attribue au soleil ; deuxièmement d’une manière essentielle ou
naturelle, comme la chaleur s’attribue au feu ; troisièmement d’après
une possession secondaire, c’est-à-dire d’après une consécution ou une
participation, c’est-à-dire lorsque quelque chose n’est pas possédé dans sa
plénitude mais comme secondairement et partiellement, tout comme la chaleur
se retrouve dans les corps élémentaires et non dans cette plénitude selon
laquelle on la retrouve dans le feu. Ainsi donc ce qui existe essentiellement
dans ce qui est premier existe par participation dans ce qui est second et ce
qui est troisième ; mais ce qui existe essentiellement dans ce qui est
second se retrouve certes à la manière d’une cause dans ce qui est premier et
par participation dans ce qui est troisième ; mais se qui se retrouve
essentiellement dans ce qui est troisième se retrouve à la manière d’une
cause à la fois dans ce qui est premier et dans ce qui est second. Et c’est
en ce sens qu’on peut dire que tout est en tout. Mais parce que l’auteur de
ce livre ne semble pas affirmer l’existence de formes séparées, ce qui est
dit ici, à savoir que l’être, la vie et l’intelligence sont l’un dans
l’autre, cela doit s’entendre pour autant qu’on les retrouve dans les sujets
qui possèdent l’être, la vie et l’intelligence ; car c’est dans l’être
même selon sa définition propre que se retrouvent comme dans une cause la vie
et l’intelligence, selon ce mode par lequel nous avons dit à la proposition 1
que l’être est la cause première et
que la vie et l’intelligence sont des causes secondes. Mais cela ne doit
certes pas s’entendre d’une manière purement littérale, au sens où la vie et l’intelligence sont, dans l’être
lui-même, deux êtres, mais parce que ces deux formes, en tant qu’elles
sont dans l’être lui-même, ne sont pas autres que l’être ; et de la même
manière l’être, en tant qu’il est dans la vie, est la vie elle-même puisque
la vie n’ajoute à l’être qu’une modalité déterminée d’être ou une nature
déterminée de l’être. Et il faut l’entendre de la même manière pour les
autres rapports selon lesquels on dit de l’un qu’il est dans un autre. Mais
parce que, selon l’intention de cet auteur, ces trois formes ne sont pas des
réalités subsistantes, comme nous l’avons dit, c’est pourquoi il applique par
conséquent cette proposition aux réalités qui subsistent par elles-mêmes à
savoir : l’être premier qui est Dieu, l’intelligence, l’âme
intellectuelle et l’âme sensible. Et il dit que c’est de cette manière que la
cause est dans l’effet et inversement, à savoir en ce sens que la cause agit
sur son effet et que l’effet reçoit l’action de la cause ; mais la cause
agit sur son effet à la manière de la cause elle-même alors que l’effet
reçoit l’action de la cause selon sa modalité à lui ; d’où il faut que
la cause soit dans l’effet selon la modalité de l’effet et que l’effet soit dans la cause selon la modalité de la
cause. Ainsi donc ce qui se retrouve dans le sens selon le mode du sens existe dans l’âme intellectuelle de la
manière qui convient à celle-ci, ce qui se retrouve dans l’âme selon le mode
de l’animal existe dans l’intelligence
suivant le mode propre à cette dernière et ce qui se retrouve dans
l’intelligence selon un mode intellectuel existe dans la cause première selon
le mode qui lui est propre, c’est-à-dire essentiellement ; et
inversement ce qui est premier se retrouve dans ce qui est second selon son
mode à lui, c’est-à-dire suivant le mode de ce qui est second ; et c’est
à partir de là qu’on peut saisir comment les intelligences s’intelligent
mutuellement et intelligent la cause première : chacune en effet
intellige l’autre selon que l’autre est en elle, selon le mode de celle dans
laquelle elle est ; car les intelligences inférieures sont dans les
intelligences supérieures selon des similitudes ou des espèces plus
excellentes alors que les intelligences supérieures sont dans les inférieures
d’après certaines similitudes ou espèces plus faibles. |
Lectio 13 [84248] Super De
causis, l. 13 Ostenso quomodo intelligentia
intelligat alia, nunc ad ostendendum quomodo intelligat seipsam inducitur
haec propositio quae etiam invenitur CLXVII in libro Procli, sub his verbis: omnis
intellectus seipsum intelligit. Sed huius propositionis et probationis
eius intellectum oportet nos accipere ex his quae Proclus dicit. Ut enim
supra dictum est, secundum opiniones Platonicas ordo intellectuum ponitur sub
ordine formarum separatarum ex quarum participatione fiunt intelligentes in
actu; unde formae separatae comparantur ad eos sicut intelligibile ad
intellectum. Sicut autem aliarum rerum ponebant quasdam ideas, ita et ipsorum
intellectuum, quam vocabant primum intellectum. Iste ergo intellectus idealis
in quantum est intellectus intelligit, et in quantum est forma idealis est
forma intellecta; sic igitur in eo unitur omnino intellectus et intellectum,
et per hoc perfecte seipsum intelligit, quia essentia sua totaliter est
intelligibile non solum intelligens. Omnis autem intellectus secundum
Platonicos habet intellectum participatum; sed superiores intellectus
participant ipsum intellectum perfectius, unde participant de ipso non solum
quod sint intellectus sed etiam quod sint intelligibiles et quodammodo
formales intellectus; sic igitur coniungitur in eis secundum eorum
substantiam quodammodo intelligens et intellectum, et ideo etiam ipsi
intelligunt suam essentiam, sed diversimode a primo intellectu. Nam primus
intellectus idealis non participat aliquam priorem formam intellectualitatis,
sed ipsemet est prima forma intellectualitatis: unde suum intelligibile non
est aliud quam ipse. Posteriores vero intellectus sic habent aliquid de forma
intellectualitatis in sua substantia quod tamen illud derivatur a superiori
intellectu ideali; sic ergo intelligunt suam essentiam quod etiam intelligunt
superiorem intellectum quem participant. Et hoc est quod Proclus addit in
praedicta propositione: sed primus quidem seipsum solum, et unum secundum
numerum in hoc intellectus et intelligibile. Unusquisque autem consequentium
seipsum simul et quae ante ipsum, et intelligibile huic hoc quidem quod est,
hoc autem a quo est. Quia vero secundum sententiam Aristotelis, quae in
hoc magis Catholicae doctrinae concordat, non ponimus multas formas supra
intellectus sed unam solam quae est causa prima, oportet dicere quod, sicut ipsa
est ipsum esse, ita est ipsa vita et ipse intellectus primus. Unde et
Aristoteles in XII metaphysicae probat quod intelligit seipsum tantum, non
ita quod desit ei cognitio aliarum rerum, sed quia intellectus eius non
informatur ad intelligendum alia specie intelligibili nisi seipso. Sic igitur
superiores intellectus separati, tanquam ei propinqui, intelligunt seipsos et
per suam essentiam et per participationem superioris naturae. Et ideo ad
probandum hanc propositionem, primo hic inducitur quod intelligens et
intellectum in intellectibus separatis sunt simul, in quantum
scilicet secundum substantiam suam non solum sunt intellectus sed
intelligibiles, utpote propinquissime participantes primum intellectum. Unde
concludit quod intelligentia intelligit essentiam suam; et quia
essentia sua est essentia intelligentis, sequitur quod, intelligendo
essentiam suam, intelligat se intelligere essentiam suam. Consequenter autem
ostendit quomodo, per hoc quod intelligit essentiam suam, intelligat etiam
alia. Habetur enim ex praemissa propositione quod omnes aliae res sunt in
intelligentia per modum intelligibilem, et ita sunt unum
intelligentia et res intellectae secundum quod in intelligentia, et ideo
quando intelligit essentiam suam, intelligit res alias; et eadem ratione
quandocumque intelligentia intelligit res alias, intelligit seipsam. Sed
utrum haec conveniant animae intellectuali, infra considerabimus. |
Leçon 13. Toute intelligence intellige sa propre
essence.
Ayant montré comment
une intelligence saisit les autres par son intellection, l'auteur, afin de
montrer comment l'intelligence se saisit elle-même, introduit cette
proposition qu'on retrouve aussi en ces termes à la proposition 167 du livre
de Proclus : Tout intellect se saisit
lui-même par son intellection. Mais c’est des termes mêmes de Proclus
qu’il nous faut tirer la compréhension de cette proposition et de sa preuve. En effet, comme nous
l’avons dit plus haut conformément aux positions des Platoniciens, l’ordre
des intelligences est posé sous l’ordre des formes séparées par la participation
desquelles elles en viennent à intelliger en acte ; c’est pourquoi les
formes séparées se comparent à elles comme l’intelligible se compare à
l’intellect. Cependant, tout comme ils posaient des Idées pour les autres
choses, de même ils en posaient une pour les intelligences elles-mêmes, Idée
qu’ils appelaient intellect premier. Donc cet intellect idéal intellige en
tant qu’il est un intellect et il est une forme intelligée ou un concept en
tant qu’il est une forme idéale ; ainsi donc en lui l’intellect et le
concept sont tout à fait unis et à cause de cela il s’intellige parfaitement
lui-même parce que son essence est totalement intelligible et non seulement
intelligeante. Mais selon les
Platoniciens tout intellect possède un intellect participé, mais les
intellects supérieurs participent plus parfaitement de l’intellect lui-même
et c’est pourquoi ils participent de lui non seulement le fait d’être des
intellects, mais aussi d’être intelligibles et en quelque sorte des intellects
formels ; ainsi donc en eux l’intelligibilité et l’intellectualité se
trouvent en quelque sorte à être unis substantiellement et c’est pourquoi
encore ces intellects intelligent leur essence mais différemment de
l’intellect premier. Car l’intellect premier et idéal ne participe pas d’une
forme d’intellectualité qui lui serait antérieure mais il est lui-même la
forme première d’intellectualité : d’où il suit que son intelligible
n’est pas autre que lui-même. Mais les intellects seconds possèdent dans leur
essence quelque chose de l’intellectualité de telle manière cependant que
cela dérive de l’intellect supérieur idéal ; ainsi donc ils intelligent
leur essence en intelligeant aussi l’intellect supérieur dont ils
participent. Et c’est cela que Proclus ajoute dans la proposition qui
précède : mais l’Intellect premier
n’intellige que lui-même et en lui l’intelligible et l’intellect ne font
qu’un par le nombre. Cependant chacun de ceux qui suivent intellige
simultanément soi-même et les intellects qui lui sont antérieurs et alors son
intelligible est à la fois ce qu’il est et ce par quoi il est. Mais parce que,
conformément à la pensée d’Aristote qui en cela s’accorde davantage avec la
doctrine catholique, nous ne posons
pas une multiplicité de formes au-dessus des intellects mais une seule qui
est la cause première, il faut dire que tout comme cette dernière est l’être
même, de même elle est aussi la vie même et l’intellect premier lui-même. Et
c’est pourquoi Aristote prouve au douzième livre de la Métaphysique que cette cause première n’intellige qu’elle-même,
non pas de telle manière que la connaissance des autres choses lui ferait
défaut mais parce que son intellect pour intelliger n’est pas informé par une
espèce intelligible qui serait autre qu’elle-même. Ainsi donc, les intellects
supérieurs séparés, parce qu’ils sont plus rapprochés de l’Intellect premier,
s’intelligent eux-mêmes à la fois par leur essence et par participation de la
nature supérieure. Et c’est pourquoi, pour prouver cette proposition,
l’auteur avance d’abord ici que chez les intellects séparés l’intelligence et l’intelligible sont
simultanés, c’est-à-dire dans la mesure où selon leur substance ils ne
sont pas seulement des intellects mais aussi des intelligibles en tant qu’ils
participent le plus prochainement ou le plus immédiatement du premier Intellect.
L’auteur conclut de là
que l’intelligence intellige son
essence ; et parce que son essence est l’essence de l’intelligence
il s’ensuit qu’en intelligeant son essence, elle intellige qu’elle intellige
son essence. Il montre cependant par la suite de quelle manière, du fait qu’elle
intellige son essence, elle intellige aussi tout le reste. Il a été établi en
effet à partir de la proposition qui précède que toutes les autres choses
sont dans l’intelligence à la manière
de l’intelligible et qu’ainsi l’intelligence
et la chose intelligée, en tant qu’elle est dans l’intelligence, ne font qu’un ; et c’est pourquoi
l’intelligence, quand elle intellige son essence, intellige aussi les autres
choses ; et pour la même raison, à chaque fois qu’elle intellige les
autres choses, l’intelligence s’intellige elle-même. Mais nous examinerons
plus loin si cela convient aussi à l’âme intellectuelle. |
Lectio 14 [84249] Super De
causis, l. 14 Postquam determinavit de causa prima et
de intelligentia, hic determinat de anima. Et primo determinat de ea secundum
habitudinem quam habet ad res alias, secundo determinat de ea secundum
seipsam, ibi: omnis sciens et cetera. Circa primum ponit talem propositionem:
in omni anima res sensibiles sunt per hoc quod est exemplum eis, et res
intelligibiles in ea sunt quia scit eas. Ad intellectum autem huius
propositionis, videamus id quod scribitur in libro Procli circa hoc. Ponitur
enim ibi CXCV propositio talis: omnis anima est omnes res, exemplariter
quidem sensibilia, yconice autem intelligibilia. Et dicitur yconice
id est per modum imaginis: imago enim est quod fit ad similitudinem alterius,
sicut exemplar est id ad cuius similitudinem fit aliud. Haec autem propositio probatur tam hic
quam in libro Procli hoc modo. Anima enim, ut habitum est
in 2 propositione, media est inter res intelligibiles quae sunt omnino
separatae a motu et per hoc parificantur aeternitati, et inter res
sensibiles quae moventur et cadunt sub tempore; et quia priora sunt causa
posteriorum, sequitur quod anima sit causa corporum et intelligentia
sit causa animae per modum supra expositum. Manifestum est autem quod oportet
effectus praeexistere in causis exemplariter, quia causae producunt effectus
secundum suam similitudinem; et e converso causata habent imaginem suarum
causarum, ut etiam Dionysius dicit II capitulo de divinis nominibus. Sic
igitur res sensibiles quae causantur ex anima sunt in ea per modum exempli,
ita scilicet quod huiusmodi res quae sunt infra animam causantur ad exemplum
et similitudinem animae, res autem quae sunt supra animam sunt in anima
per modum acquisitum, id est per quamdam participationem, ita scilicet
quod comparantur ad animam sicut exemplaria, et anima ad ipsa quodammodo
sicut imago: sic igitur patet quod sensibilia praeexistunt in anima sicut in
causa quae quodammodo est exemplar effectuum. Exponit autem consequenter de
qua anima intelligat, dicens: intelligo per animam virtutem agentem res
sensibiles. Secundum illos enim qui ponunt corpora caelestia animata,
anima caeli est causa omnium sensibilium corporum; sicut inferiorum animarum
unaquaeque est causa proprii corporis. Nulla ergo inferior anima habet
universalem causalitatem respectu sensibilium; et ideo sensibilia non sunt in
ea per modum causae, sed solum in anima caeli quae supra sensibilia habet
universalem causalitatem; et hanc hic appellat: virtutem agentem res
sensibiles. Unaquaeque vero animarum quae sunt hic habet quidem
causalitatem respectu proprii corporis, sed non causat ipsum neque per sensum
neque per intellectum; unde non praehabet sui corporis intelligibiles et
exemplares rationes, causat autem ipsum per virtutem naturalem. Unde et in II
de anima dicitur quod anima est efficiens causa corporis, tale autem agens
non agit per aliquam rationem exemplarem proprie sumptam nisi ipsam naturam
per quam agit dicamus exemplar effectus qui ad eius similitudinem producitur
aliquo modo; et per hunc modum in natura animae virtute praeexistunt omnes
partes sensibiles sui corporis, coaptantur enim potentiis animae quae ex eius
natura procedunt. Et quamvis res sensibiles sint in anima quae est causa
earum, non tamen sunt in ea per modum quo sunt in seipsis. Nam virtus animae
est immaterialis, quamvis sit causa materialium, et est spiritualis, quamvis
sit causa corporum, et est sine dimensione corporea, quamvis sit causa rerum
habentium dimensionem. Et quia effectus sunt in causa secundum virtutem
causae, oportet quod corpora sensibilia sint in anima indivisibiliter et immaterialiter
et incorporaliter. Et sicut res inferiores anima sunt in ea altiori modo quam
in seipsis, ita res superiores, scilicet intelligentiae, sunt in anima
inferiori modo quam in seipsis, scilicet yconice vel per modum imaginis, ut
Proclus dicit; loco cuius hic dicitur: per modum accidentalem, id est
per quemdam inferiorem modum participationis, ita scilicet quod res
intelligibiles quae sunt in seipsis indivisae et unitae et immobiles, sunt in
anima divisibiliter et multipliciter et mobiliter per comparationem ad
intelligentiam,- sunt enim ad hoc proportionatae ut sint causae multitudinis
et divisionis et motus rerum sensibilium,- vel dicit quod res immobiles sunt
in anima per modum motus, quia, secundum Platonicos, animae proprium est
quod sit movens seipsam, secundum Aristotelem autem est principium motus rei
moventis seipsam. Ultimo autem epilogando concludit propositum, et est
manifestum ex praemissis. Et ex his quae dicta sunt apparere potest qualiter
superiores animae caelorum, si caeli sunt animati, possint cognoscere
sensibilia et intelligibilia: sic enim cognoscunt ea secundum quod sunt in
eis. |
Leçon 14. Les choses sensibles sont en toute âme
parce qu'elle en est le modèle, et les choses intelligibles sont en elle
parce qu'elle les connaît.
Après avoir traité de
la cause première et de l'intelligence, l'auteur examine ici ce qu’il en est
de l'âme. Et il en traite premièrement d’après son rapport aux autres
réalités et deuxièmement il la considère en elle-même où il dit : Tout connaissant etc. ». Au sujet du
premier point il présente cette proposition : Les choses sensibles sont en toute âme parce qu'elle en est le modèle,
alors que les choses intelligibles sont
en elle parce qu'elle les connaît. Mais pour bien entendre cette
proposition, examinons ce qui est écrit à ce sujet dans le livre de Proclus. Voici
en effet ce qu’il en dit à la proposition 195 : toute âme est toutes les choses, celles qui sont sensibles y étant
comme dans un modèle, celles qui sont intelligibles yconice, c’est-à-dire
comme dans une image. Et yconice
signifie ici sous la forme d’une image : une image en effet est ce qui
est produit pour ressembler à quelque chose d’autre ou à la ressemblance de
quelque chose d’autre tout comme le modèle est cela même à la ressemblance de
quoi quelque chose d’autre est produit. Et cette proposition se trouve à être
prouvée aussi bien ici que dans le livre de Proclus de la manière qui
suit : L'âme en effet, comme
nous l’avons établi à la proposition 2, est
intermédiaire entre les réalités intelligibles qui sont totalement séparées
du mouvement et par là rendues égales à l’éternité, et les choses sensibles qui sont en mouvement et sont soumises
au temps ; et parce que ce qui est premier est la cause de ce qui est
second, il s’ensuit que l’âme est la cause des corps et que l’intelligence
est la cause de l’âme de la manière que nous avons expliquée plus haut. Il
est cependant évident qu’il faut que l’effet existe dans la cause comme dans
un modèle car c’est à leur ressemblance que les causes produisent leurs
effets ; et inversement les effets
contiennent comme une image de leur cause comme le dit aussi Denys au
chapitre 2 des Noms Divins. Ainsi donc les réalités sensibles qui
sont causées par l’âme sont en elle comme dans un modèle, c’est-à-dire de
telle manière que ces réalités qui sont inférieures à l’âme sont causées à sa ressemblance et en se
référant à elle comme à un modèle, mais les
réalités qui sont supérieures à l’âme sont en elle à la manière de ce qui est
acquis, c’est-à-dire par une
certaine participation, c’est-à-dire qu’elles se comparent à l’âme comme
des modèles alors que l’âme se compare à elles comme une image en quelque
sorte : ainsi donc il est clair que les réalités sensibles préexistent
dans l’âme comme dans leur cause qui est d’une certaine manière comme le
modèle de ses effets. Il explique par la suite à quelle âme il pense en
disant cela lorsqu’il dit : j’entends
par âme la puissance qui produit les réalités sensibles. En effet,
d’après ceux qui posent que les corps célestes sont animés, l’âme du ciel est
la cause de tous les corps sensibles, tout comme chacune des âmes inférieures
ou particulières est la cause du corps qui lui est propre. Donc, aucune âme
inférieure ne possède une causalité universelle à l’égard des réalités
sensibles et c’est pourquoi ces dernières ne sont pas en chacune des
âmes particulières comme dans une cause, mais c’est seulement dans l’âme du
ciel, laquelle possède une causalité universelle sur les réalités sensibles,
qu’elles se trouvent suivant cette modalité, et c’est pour cette raison que
notre auteur l’appelle ici : la
puissance qui produit les réalités sensibles. Mais chacune des âmes qui
sont ici-bas possède certes une causalité à l’égard du corps qui lui est
propre mais elle ne le cause lui-même ni par le sens ni par l’intelligence ;
c’est pourquoi elle ne contient pas à l’avance en elle les notions
intelligibles et exemplaires de son corps mais elle le cause plutôt par une
puissance naturelle. Et c’est pourquoi on dit au deuxième livre de l’Âme que l’âme est la cause
efficiente du corps mais qu’un tel agent n’agit pas par une notion exemplaire
prise au sens propre mais par la nature même par laquelle il agit et que nous
appelons à cause de cela le modèle de l’effet qui est produit en quelque
sorte à sa ressemblance ; et c’est de cette manière que toutes les
parties de son corps préexistent virtuellement dans la nature de l’âme alors
qu’elles sont en effet rattachées aux puissances qui procèdent de la nature
de l’âme. Et bien que les réalités sensibles soient dans l’âme qui en est la
cause, elles ne s’y trouvent cependant pas de la manière par laquelle elles
sont en elles-mêmes. Car la puissance de l’âme, bien qu’elle soit la cause
des réalités matérielles, est immatérielle, et elle est spirituelle bien qu’elle
soit la cause des corps, et elle existe sans aucune dimension corporelle bien
qu’elle soit la cause des réalités qui possèdent une dimension. Et parce que
les effets existent dans la cause conformément à la puissance de la cause, il
faut que les corps sensibles existent dans l’âme d’une manière indivisible,
immatérielle et incorporelle. Et comme les réalités qui sont inférieures à
l’âme existent en elle selon un mode qui est supérieur à celui qu’elles
possèdent en elles-mêmes, de même les réalités qui lui sont supérieurs, à
savoir les intelligences, existent en
elle selon un mode inférieur à celui qu’elles possèdent en elles-mêmes,
c’est-à-dire yconice où selon le
mode de l’image, comme le dit Proclus ; au lieu de cela notre auteur dit
ici : par un mode accidentel,
c’est-à-dire d’après un mode inférieur, celui de la participation,
c’est-à-dire de telle manière que les réalités intelligibles qui en
elles-mêmes sont indivisées, unes et immobiles, se retrouvent dans l’âme
selon le mode de la division, de la multiplicité et du mouvement, par opposition
au mode de l’intelligence, et y trouvent
la proportion nécessaire à être les causes de la multiplicité, de la division
et du mouvement des corps sensibles ; ou bien il dit que les réalités
immobiles sont dans l’âme selon le mode
du mouvement, car selon les Platoniciens, le propre de l’âme est de se
mouvoir elle-même alors que pour Aristote l’âme est le principe du mouvement
de la chose qui se meut elle-même. Et à la fin, comme par un résumé, il
termine son propos qui est évident suite à ce qui a été dit. Et à partir de ce qui
a été dit, on peut voir de quelle manière les âmes supérieures des cieux, si
les cieux possèdent une âme, peuvent connaître les réalités sensibles et
intelligibles : elles les connaissent en effet suivant le mode
d’existence qu’elles possèdent dans ces mêmes âmes supérieures. |
Lectio 15 [84250] Super De
causis, l. 15 Ostenso qualiter anima se habeat ad
alia, hic ostendit qualiter anima se habeat ad seipsam; et proponitur talis
propositio: omnis sciens scit essentiam suam, ergo est rediens ad
essentiam suam reditione completa. Et ad huius propositionis intellectum
considerandae sunt quaedam propositiones quae in libro Procli ponuntur.
Quarum una est XV libri eius, quae talis est: omne quod ad seipsum
conversivum est incorporeum est. Et hanc propositionem supra manifestavit
in 7 propositione libri huius. Secundam propositionem sumamus quae est XVI in
libro Procli, quae talis est: omne ad seipsum conversivum habet
substantiam separabilem ab omni corpore. Et huius probatio est quia, cum
corpus ad seipsum converti non possit, ut ex praemissa propositione habetur,
sequitur quod conversio ad seipsum sit operatio separata a corpore; cuius
autem operatio est a corpore separabilis, necesse est quod et substantia sit
separabilis; unde omne quod ad seipsum converti potest, est a corpore
separabile. Tertiam propositionem sumamus XLIII libri eius, quae talis est: omne
quod ad seipsum conversivum est, authypostaton est, id est per se subsistens.
Quod probatur per hoc quod unumquodque convertitur ad id per quod
substantificatur; unde, si aliquid ad seipsum convertitur secundum suum esse,
oportet quod in seipso subsistat. Quartam propositionem sumamus XLIV
(propositionem) libri eius: omne quod secundum operationem ad seipsum est
conversivum, et secundum substantiam est ad se conversum. Et hoc probatur per hoc quod, cum
converti ad seipsum sit perfectionis, si secundum substantiam ad seipsum non
converteretur quod secundum operationem convertitur, sequeretur quod operatio
esset melior et perfectior quam substantia. Quintam
propositionem sumamus LXXXIII libri eius, quae talis est: omne suiipsius
cognitivum ad seipsum omniquaque conversivum est. Cuius probatio est quia quod seipsum
cognoscit convertitur ad seipsum per suam operationem, et per consequens per
suam substantiam, ut patet per propositionem praemissam. Sextam propositionem accipiemus CLXXXVI libri eius, quae talis
est: omnis anima est incorporea substantia et separabilis a corpore.
Quae sic probatur secundum praemissa: anima cognoscit seipsam, ergo
convertitur ad seipsam omniquaque, ergo est incorporea et a corpore
separabilis. His igitur visis, considerandum est quod in hoc libro tria
ponuntur. Quorum primum est quod anima sciat essentiam suam; de anima enim
est intelligendum quod hic dicitur. Secundum est quod ex hoc concluditur,
quod redeat ad essentiam suam reditione completa. Et hoc est idem ei
quod in propositione Procli dictum est, quod omne suiipsius cognitivum ad
seipsum omniquaque conversivum est; et intelligitur reditio sive
conversio completa et secundum substantiam et secundum operationem, ut dictum
est. Quod autem hoc secundum sequatur ex primo
probat sic quia, cum dico quod sciens scit essentiam suam, ipsum scire
significat operationem intelligibilem, ergo patet quod in hoc quod sciens
scit essentiam suam, redit, id est convertitur, per operationem suam
intelligibilem ad essentiam suam, intelligendo scilicet eam. Et quod hoc debeat vocari reditus vel conversio, manifestat per
hoc quod, cum anima scit essentiam suam, sciens et scitum sunt res una,
et ita scientia qua scit essentiam suam, id est ipsa operatio
intelligibilis, est ex ea in quantum est sciens et est ad eam in quantum
est scita: et sic est ibi quaedam circulatio quae importatur in verbo
redeundi vel convertendi. Ex
hoc autem quod secundum suam operationem redit ad essentiam suam, concludit
ulterius quod etiam secundum substantiam suam est rediens ad essentiam
suam; et ita fit reditio completa secundum operationem et substantiam. Et
exponit consequenter quid sit redire secundum substantiam ad essentiam suam.
Illa enim dicuntur secundum substantiam ad seipsa converti quae subsistunt
per seipsa, habentia fixionem ita quod non convertantur ad aliquid aliud
sustentans ipsa, sicut est conversio accidentium ad subiecta; et hoc ideo
convenit animae et unicuique scienti seipsum, quia omne tale est substantia
simplex, sufficiens sibi per seipsam, quasi non indigens materiali
sustentamento. Et hoc potest esse tertium, quod scilicet anima sit separabilis
a corpore, ut proponitur in propositione Procli. Primum autem horum, scilicet
quod anima sciat essentiam suam, hic non probatur. Probatur autem in libro
Procli sic: at vero quod cognoscat seipsam, manifestum est: si enim et
quae super ipsam cognoscit, et seipsam nata est cognoscere multo magis,
tamquam a causis quae sunt ante ipsam cognoscens seipsam. Ubi diligenter considerandum est quod supra, cum de intellectuum
cognitione ageret, dixit quod primus intellectus intelligit seipsum tantum,
ut in 13 propositione dictum est, quia scilicet est ipsa forma intelligibilis
idealis; alii vero intellectus tamquam ei propinqui participant a primo
intellectu et formam intelligibilitatis et virtutem intellectualitatis, sicut
Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus quod supremae substantiae
intellectuales sunt et intelligibiles et intellectuales; unde unusquisque
eorum intelligit et seipsum et superiorem quem participat. Sed quia anima
intellectiva inferiori modo participat primum intellectum, in substantia sua
non habet nisi vim intellectualitatis; unde intelligit substantiam suam, non
per essentiam suam, sed, secundum Platonicos, per superiora quae participat,
secundum Aristotelem autem, in III de anima, per intelligibiles species quae
efficiuntur quodammodo formae in quantum per eas fit actu. |
Leçon 15. Tout être connaissant connaît sa propre
essence par un retour complet sur elle.
Ayant montré le
rapport qu’il y a entre l’âme et les autres choses, l’auteur montre ici le
rapport de l’âme à elle-même en présentant cette proposition : tout être connaissant connaît sa propre
essence et revient donc à son essence par un retour complet. Et pour bien entendre
cette proposition, il faut considérer certaines propositions présentées par
Proclus dans son livre, dont la première est la proposition 15 de son livre
où il dit : tout ce qui fait un
retour sur soi-même est incorporel. Et il a manifesté cet énoncé
précédemment à la proposition 7 de ce livre. La deuxième proposition que nous
prenons est la seizième dans le livre de Proclus et qui se lit ainsi : tout ce qui est capable d’un retour sur
soi-même possède une substance qui est séparable de tout corps. Et la
preuve en est que puisque le corps ne peut faire un retour sur lui-même ainsi
que l’établit la proposition qui précède, il s’ensuit que le retour sur
soi est une opération indépendante du corps ; mais ce dont l’opération
est indépendante du corps possède une substance qui est indépendante du
corps ; d’où il suit que tout ce qui peut faire un retour sur soi est
séparable ou indépendant du corps. Prenons maintenant la troisième
proposition qui est la quarante-troisième de ce livre et que voici : tout ce qui fait un retour sur soi-même
est ¨authypostaton¨, c’est-à-dire subsistant par soi. Ce qui est prouvé
par ceci que chaque chose se tourne vers ce par quoi elle reçoit sa
substance ; d’où il résulte que si un être fait un retour sur soi selon
son être, il faut qu’il subsiste en lui-même. Prenons la quatrième
proposition qui est la quarante-quatrième de ce livre : tout ce qui fait un retour sur soi-même quant à l’opération fait
aussi un retour sur soi-même quant à la substance. Et cela, Proclus le
prouve de la manière qui suit : puisque faire un retour sur soi-même
constitue une perfection, si ce qui fait un retour sur soi-même quant à
l’opération ne faisait pas un retour sur soi-même quant à la substance, il
s’ensuivrait que son opération serait meilleure et plus parfaite que sa
substance. Prenons maintenant la cinquième proposition qui est la
quatre-vingt-troisième du livre de Proclus : tout être qui se connaît soi-même fait un retour sur soi-même de
toutes les façons. La preuve en est que ce qui se connaît soi-même fait
un retour sur soi-même par son opération et par conséquent par sa substance,
comme on peut le voir grâce à la proposition précédente. Nous tirons
maintenant la sixième proposition de la cent quatre-vingt-sixième du livre de
Proclus, que voici : toute âme est
une substance incorporelle et séparable du corps. Cette proposition est
prouvée conformément à ce qui précède : l’âme, en se connaissant
elle-même, se tourne donc vers elle-même de toutes les façons, et elle est
donc incorporelle et séparable du corps. Ayant donc examiné ces
propositions, il faut considérer que trois énoncés sont affirmés dans notre
livre, dont le premier est que l’âme connaît son essence ; et il nous faut
en effet comprendre que c’est de l’âme dont il est sujet ici. Le deuxième
énoncé est ce qui est conclu à partir de là, à savoir qu’elle revient à son essence par un retour complet. Et cela est
identique à ce qui est dit dans la proposition de Proclus, à savoir que tout ce qui se connaît soi-même fait un
retour sur soi de toutes les façons. Et ce retour sur soi ou cette
conversion complète s’entend à la fois selon la substance et selon l’opération
comme nous l’avons déjà dit. Mais que
ce deuxième énoncé découle du premier, il le prouve ainsi : car lorsque
je dis celui qui connaît, connaît son
essence, puisque connaître signifie en soi-même l’opération intelligible,
il est donc clair que du fait qu’en
connaissant il connaît son essence, il
fait un retour, c’est-à-dire qu’il se convertit, par son opération intelligible, vers son essence, c’est-à-dire
par son intellection. Et que cela doive
s’appeler un retour ou une conversion,
il le manifeste par ceci que lorsque l’âme connaît son essence, celui qui connaît et ce qui est connu ne
font qu’un, et ainsi la science
par laquelle elle connaît son essence,
c’est-à-dire son opération intelligible elle-même, procède d’elle en tant qu’elle est ce qui connaît et elle lui est
ordonnée en tant qu’elle est ce qui est connu : et ainsi il y a là
comme un certain cercle qui est impliqué dans les termes de retour et de
conversion. Mais du fait que selon son opération il y a un retour sur son
essence, il conclut par la suite que c’est aussi selon sa substance qu’il y a un retour sur son essence ; et
ainsi il se fait un retour complet à la fois selon l’opération et selon la
substance. Et il explique par la suite ce que c’est que de faire un retour
sur l’essence selon la substance. On dit en effet que ce sont les réalités
qui subsistent par elles-mêmes qui font un retour sur elles-mêmes selon la
substance, c’est-à-dire celles qui possèdent une stabilité telle qu’elles ne
se tournent pas vers quelque chose d’autre qui les soutiendrait, tout comme
c’est le cas pour les accidents qui se tournent vers leurs sujets ; et
c’est pourquoi cela convient à l’âme et à chacun de ceux qui se
connaissent eux-mêmes, à savoir parce qu’ils sont tous des substances simples,
qui se suffisent par elles-mêmes sans avoir besoin d’un support matériel. Et
ceci peut constituer le troisième point, à savoir que l’âme soit séparable du
corps comme on l’affirme dans la proposition de Proclus. Mais le premier de
ces points, à savoir que l’âme connaît son essence, n’est pas prouvé ici,
mais il est prouvé de la manière qui suit dans le livre de Proclus : mais il est manifeste que l’âme se
connaisse elle-même : si en effet elle connaît les réalités qui sont
au-dessus d’elle, il est clair qu’elle est bien davantage capable de se
connaître elle-même car elle se trouve alors à se connaître elle-même comme
par des causes qui lui sont antérieures. Et il faut ici considérer avec
attention que précédemment, lorsqu’il était question de la connaissance des intelligences,
il disait que l’intellect premier ne connaît que lui seul, comme l’auteur l’a
dit à la proposition 13, à savoir parce qu’il est la forme intelligible
idéale elle-même ; mais les autres intellects qui sont comme voisins de
lui participent, de par l’intellect
premier, à la fois de la forme et de la puissance de l’intelligibilité, tout
comme Denys dit au livre 4 des Noms Divins que les substances intellectuelles
suprêmes sont à la fois intelligibles et intellectuelles ; il résulte de
là que chacun d’eux intellige à la fois soi-même et l’intellect supérieur
dont il participe. Mais parce que l’âme intellectuelle participe de
l’intellect premier d’après une modalité plus faible, elle ne possède dans sa
substance que la puissance de l’intellectualité ; il suit de là qu’elle
intellige sa substance non pas par son essence mais, d’après les
Platoniciens, par les réalités supérieures dont elle participe, et, selon
Aristote comme il le dit au troisième livre de l’Âme, par les espèces intelligibles qui jouent en quelque
sorte le rôle de formes puisque c’est par elles que l’âme intellectuelle
intellige en acte. |
Lectio 16 [84251] Super De
causis, l. 16 Posita distinctione superiorum causarum
et prosecutis singulis partibus divisionis, hic accedit ad ostendendum
comparationem earum ad invicem. Et circa hoc tria facit: primo ostendit
quomodo inferiora dependent a superioribus, secundo ostendit quomodo
superiora influunt in inferiora, 20 propositione, ibi: causa prima regit
etc., tertio ostendit quomodo inferiora diversimode recipiunt influxum primi
influentis, 24 propositione, ibi: causa prima existit et cetera. Circa primum
duo facit: primo ostendit quomodo inferiora a superioribus dependeant
secundum virtutem, secundo quomodo dependeant secundum substantiam et naturam
suam, 18 propositione, ibi: res omnes habent essentiam. Circa primum duo
facit: primo ostendit quod omnes virtutes infinitae dependent a prima
infinita virtute, secundo ostendit quomodo magis vel minus ei assimilantur,
17 propositione, ibi: omnis virtus unita et cetera. Circa primum ponit hanc
propositionem: omnes virtutes quibus non est finis, pendentes sunt per
infinitum primum quod est virtus virtutum, non quia ipsae sint acquisitae,
fixae, stantes in rebus entibus, immo sunt virtus rebus habentibus fixionem.
Haec autem secunda propositionis pars in omnibus libris videtur esse
corrupta; deberet enim singulariter dici: non quia ipsa sit acquisita, fixa,
stans in rebus entibus, immo est virtus etc., ut referatur hoc ad virtutem
virtutum. Et hoc patet ex libro Procli cuius propositio XCII talis est: omnis
multitudo infinitarum potentiarum ab una prima infinitate exorta est, quae
non ut participata potentia est, neque in potentibus subsistit, sed secundum
seipsam, non alicuius participantis ens potentia, sed omnium causatorum
entium. Ubi primo considerandum est quod infinita potentia dicitur
cuiuslibet semper existentis, sicut supra dictum est in 4 propositione, in
quantum scilicet videmus quod ea quae plus durare possunt, habent maiorem
virtutem essendi; unde illa quae in infinitum durare possunt, habent quantum
ad hoc infinitam potentiam. Secundum
autem Platonicas positiones, omne quod in pluribus invenitur oportet reducere
ad aliquod primum, quod per suam essentiam est tale, a quo alia per
participationem talia dicuntur. Unde, secundum eos, virtutes infinitae
reducuntur ad aliquod primum, quod est essentialiter infinitas virtutis, non
quod sit virtus participata in aliqua re subsistente, sed quia est subsistens
per seipsam. Hoc autem, secundum Platonicos, non est ipsa idea entis, quia
huiusmodi ens separatum habet quidem potentiam infinitam sed cum hoc etiam
habet finitatem, sicut supra in 4 propositione est habitum; unde relinquitur
quod non sit prima potentia quae est essentialiter ipsa infinitas. Neque tamen ponebant quod ista infinitatis idea sit primum
simpliciter, quia ipsa infinitas participat unitate et bonitate, unde primum
simpliciter est unum et bonum; hoc autem infinitum ideale, a quo omnes
virtutes infinitae dependent, est medium inter unum et bonum quod est primum
simpliciter, et inter ens. Et ita hanc propositionem Proclus exponit. Sed
quia auctor huius libri non ponit diversitatem realem inter huiusmodi formas
ideales abstractas quae per essentiam suam dicuntur, sed omnia attribuit uni primo
quod est Deus, ut supra etiam patuit ex verbis Dionysii, ideo, secundum
intentionem huius auctoris, hoc primum infinitum a quo omnes virtutes
infinitae dependent, est primum simpliciter quod est Deus. Per ens autem de
quo Proclus mentionem facit, quod est sub infinito, non intelligit ideam
entis, sed potius ens primum creatum quod est intelligentia; et quod Proclus
probat de idea entis, hic probatur de ente primo creato, quod est
intelligentia. Dicit ergo: si aliquis velit dicere quod primum ens
creatum, quod est intelligentia, sit virtus infinita, non
tamen erit dicendum quod ipsa sit essentialiter virtus, immo est
habens virtutem, unde non est illud primum infinitum a quo dependent omnes
virtutes infinitae. Et quia non sit prima virtus infinita, manifestatur
per hoc quod non est infinita omnibus modis et respectu cuiuslibet, sed est infinita
solum inferius, non superius. Dicitur quidem inferius infinita
virtus intelligentiae quia non comprehenditur ab his quae sunt infra ipsam;
non est autem infinita superius quia exceditur a suo superiori cuius
comprehensione finitur. Unde et Proclus dicit XCIII propositione: omne
infinitum in entibus neque suprapositis infinitum est neque sibiipsi;
quia, sicut ipse probat ibidem, a seipso unumquodque et a superioribus circumscribitur
et terminatur, ab inferioribus autem circumscribi aut terminari non potest.
Ideo autem virtus intelligentiae non est respectu omnium infinita, quia non
est ei virtus pura, id est non est essentialiter virtus ut scilicet sit
virtus subsistens; talis enim res, quae essentialiter virtus est, neque finitur
inferius neque superius; non enim habet aliquid prius a quo possit
circumscribi. Sed intelligentia quae est primum ens creatum, habet
finem, et eius finis est secundum quem remanet, id est secundum quod
deficit a suo superiori, quasi post ipsum remanens velut ipsum assequi non
valens. Deinde ostendit quid sit illud primum infinitum a quo
dependent omnes virtutes infinitae. Et hoc quidem accipitur hic ens
primum creans, scilicet Deus, quod est primum infinitum purum,
quasi essentialiter existens virtus infinita. Et hoc probat quia
intelligentiae, quas vocat hic scientes et fortes propter magnitudinem
virtutis quam habent, sunt infinitae propter acquisitionem suam, id
est participationem, a primo quod est infinitum purum, id est
essentialiter, a quo habent non solum infinitatem sed etiam esse. Et si
ens primum creans est quod sui participatione facit res
esse infinitas, tunc oportet quod ipsum sit supra infinitum:
quod quidem, secundum ea quae hic dicuntur, oportet intelligere quod ens
primum sit supra infinitum participatum et creatum, sed secundum Proclum hoc
dicitur de idea unius et boni quae est secundum Platonicos supra ideam infiniti; et ideo,
exponens quod dixerat ens primum esse supra infinitum, subdit quod intelligentia
est infinitum, scilicet participative non autem essentialiter, ita
scilicet quod ipsamet sit id quod est infinitum. Concludit igitur ex
praemissis quod, cum ens primum det intelligentiis esse et
infinitatem, ipsum est mensura primorum entium scilicet intelligibilium,
et per consequens secundorum entium scilicet sensibilium,
secundum quod primum in quolibet genere est mensura illius generis, in
quantum, per accessum ad ipsum vel recessum ab ipso, cognoscitur aliquid esse
perfectius vel minus perfectum in genere illo. Sed ipse exponit ens primum
esse mensuram omnium entium, quia creavit omnia entia
cum debita mensura quae convenit unicuique rei secundum modum suae
naturae: quod enim aliqua magis vel minus accedant ad ipsum, est ex eius
dispositione. Ultimo autem colligit ex praemissis quasi epilogando
principalem intentionem, et dicit quod ens primum creans est supra
infinitum, illud scilicet quod participatione est infinitum; sed ens
secundum, quod est creatum, scilicet intelligentia, est
infinitum participative; illud autem quod est medium inter ens
primum creatum, quod est intelligentia, et ens secundum creatum,
quod est corpus corruptibile, est infinitum, scilicet corpus caeleste;
sed Proclus hoc posuit tamquam idea infiniti sit media inter ideam boni et
ideam entis. Hoc autem rerum ordine instituto circa infinitum, subdit
similiter de aliis, et dicit quod omnes aliae bonitates simplices,
scilicet vita et lumen et similia, sunt causae rerum habentium
huiusmodi bonitates; sicut enim causa prima est ipsum infinitum et
omnia alia ab eo habent infinitatem, ita etiam causa prima est ipsa vita et
ipsum lumen, et ab ipsa creatum primum, scilicet intelligentia, habet vitam
et lumen intelligibile; et similiter etiam aliae bonitates descendunt
a causa prima primo quidem super creatum primum, quod est
intelligentia, et deinde super alia mediante intelligentia,
sive illa alia accipiantur animae intellectuales, sive res spirituales. |
Leçon 16. Toutes les puissances pour lesquelles il
n'y a pas de limite dépendent d'un infini premier qui est puissance des
puissances, non parce que celles-ci sont acquises, stables, se tenant dans
les choses, mais plutôt parce qu'elles sont puissances pour les choses
recevant leur stabilité.
Après avoir posé la
distinction des causes supérieures et expliqué chacune des parties de la
division, l'auteur commence ici à les comparer les unes aux autres. Et à ce
sujet il fait trois choses : premièrement il montre comment les causes
inférieures dépendent de celles qui sont supérieures; deuxièmement il montre
comment les causes supérieures influent sur les inférieures, à la proposition
20 où il dit : la cause première
gouverne etc.; troisièmement il montre comment les causes inférieures
reçoivent différemment l'influence de
la cause première, à la proposition 24 où il dit : la cause première existe etc. Au sujet du premier
point, il fait deux choses: premièrement il montre comment les causes
inférieures dépendent des supérieures quant à leur puissance; deuxièmement
comment elles en dépendent quant à leur substance et à leur nature, à la
proposition 18 là où il dit : toutes
les choses possèdent une essence etc. Touchant le premier point il
fait deux choses : premièrement il montre que toutes les puissances
infinies dependent de la puissance infinie première ; deuxièmement il
montre comment elles lui sont plus ou moins assimilées, à la proposition 17
où il dit : toute puissance qui
est une etc. Au sujet du premier
point il présente cette proposition : toutes les puissances pour lesquelles il n’y a pas de limite sont
suspendues à un infini premier qui est la puissance des puissances, non pas
parce qu’elles-mêmes sont acquises, stables et se tiennent dans les choses
qui existent mais plutôt parce qu’elles sont une puissance pour les choses qui
possèdent une stabilité. Mais cette deuxième partie de la
proposition semble avoir été altérée
dans tous les livres ; on devrait plutôt formuler l’énoncé au singulier
et dire : non pas parce
qu’elle-même est acquise, stable et se tient dans les choses qui existent
mais elle est plutôt la puissance etc., de manière à rapporter ces
mots à la puissance des puissances. Et cela apparaît clairement si on se
rapporte à la proposition 92 du livre
de Proclus : toute la multiplicité
des puissances infinies est née de l’infinité première qui n’est pas comme
une puissance participée et ne subsiste pas dans les sujets qui possèdent ces
puissances, mais elle subsiste en elle-même, n’étant pas la puissance de
quelque participant que ce soit, mais la puissance qui est la cause de tous
les êtres qui sont causés. Et il faut
premièrement considérer que Proclus appelle ici puissance infinie celle qui appartient à un être qui existe
toujours comme cela a été dit à la proposition 4, c’est-à-dire dans le sens
où nous voyons que les êtres qui peuvent durer plus longtemps possèdent une
puissance d’existence plus grande ; d’où il suit que ce qui peut durer
infiniment possède quant à cela une puissance infinie. Cependant, selon les
positions Platoniciennes, ce qui se retrouve dans une multiplicité, il faut
le ramener à quelque chose de premier qui est tel de par son essence même et
duquel les autres tiennent d’être dits tels par participation. C’est
pourquoi, selon eux, les puissances infinies se ramènent à un principe premier
qui est de par son essence même l’infinité de la puissance, non pas parce
qu’elle est une puissance participée dans quelque réalité subsistante, mais
parce qu’elle est subsistante par elle-même. Mais cela, selon les
Platoniciens, n’est pas l’idée même d’être car un tel être séparé possède
certes une puissance infinie, mais avec cela il possède certes un caractère
fini comme il a été établi plus haut à la proposition 4 ; d’où il suit
qu’il ne soit pas lui-même la première puissance qui est par essence l’infini
même. Et cependant ils ne posaient pas que l’idée même d’infini est première
absolument car l’infini lui-même participe de l’un qui est le bien, d’où il
suit que c’est l’un-bien qui est premier absolument ; mais cet infini
idéal duquel toutes les puissances infinies dépendent, est intermédiaire
entre l’un-bien d’une part, qui est premier absolument, et l’être d’autre
part. Et c’est ainsi que Proclus explique cette proposition. Mais parce que
l’auteur de ce livre ne pose pas une différence réelle entre de telles formes
idéales qui sont dites séparées par leur essence, mais les attribue toutes au
seul premier principe qui est Dieu, comme nous l’avons vu aussi plus haut à
partir des paroles de Denys, c’est pourquoi, conformément à l’intention de
cet auteur, ce premier infini duquel toutes les puissances infinies dépendent
est ce qui est premier absolument, à
savoir Dieu. Mais par l’être dont Proclus fait mention et qui est sous
l’infini, notre auteur n’entend pas l’idée d’être mais plutôt l’être créé premier
qui est l’intelligence ; et ce que Proclus prouve au sujet de l’idée d’être,
notre auteur le prouve ici au sujet de l’être créé premier qui est
l’intelligence. Il dit donc : si
quelqu’un veut dire que l’être créé
premier qui est l’intelligence
est la puissance infinie, il ne
faudra cependant pas dire qu’elle est
elle-même essentiellement la puissance, mais plutôt qu’elle est ce qui possède de la puissance, et par
conséquent qu’elle n’est pas ce premier
infini duquel dépendent toutes les
puissances infinies. Et qu’elle ne soit pas la première puissance
infinie, il est manifeste à cause de cela qu’elle n’est pas infinie de toutes
les manières et par rapports à tout mais qu’elle est infinie seulement par rapport à ce qui est inférieur et non par
rapport à ce qui est supérieur. Et
on dit certes que la puissance de l’intelligence est infinie par rapport à ce
qui est inférieur parce qu’elle ne
peut être comprise par les réalités qui lui sont inférieures ; mais elle
n’est pas infinie par rapport à ce qui lui est supérieur parce qu’elle est
dépassée par son supérieur par la compréhension duquel elle est délimitée. Et
c’est pourquoi Proclus dit à la proposition 93 : tout ce qui est infini chez les êtres n’est infini ni par rapport à
ce qui le dépasse ni par rapport à soi-même ; car comme il le prouve
au même endroit, chacun se trouve à être délimité et circonscrit à la fois
par soi-même et par ce qui lui est supérieur mais il ne peut l’être par ce
qui lui est inférieur. Et c’est pourquoi la puissance de l’intelligence n’est
pas infinie par rapport à tout ce qui existe, à savoir parce que la puissance
qui est la sienne n’est pas pure, c’est-à-dire parce qu’elle n’est pas
essentiellement puissance de telle sorte qu’elle serait une puissance
subsistante ; une telle réalité en effet qui est une puissance
subsistante n’est finie ni par le bas
ni par le haut ; en effet, il n’y a rien qui lui soit antérieur et
par quoi elle pourrait être circonscrite. Mais l’intelligence, qui est le premier être créé, a une limite et sa limite
est ce derrière quoi elle demeure, c’est-à-dire que selon qu’elle est en
défaut à l’égard de ce qui lui est supérieur, elle demeure comme à sa suite
du fait qu’elle ne peut l’atteindre. Après cela il montre
quel est ce premier infini duquel
dépendent toutes les puissances infinies ;
et ce premier être se prend ici
comme celui qui crée, à savoir
Dieu, qui est le premier et pur infini
qui existe essentiellement en tant que puissance infinie. Et il prouve cela
parce que les intelligences, qu’il appelle ici savantes et fortes à cause de
la grandeur de la puissance qu’elles possèdent, sont infinies à cause de l’acquisition, c’est-à-dire
en raison d’une participation de ce Premier
qui est le pur infini, c’est-a-dire de celui qui est essentiellement
infini et duquel elles tiennent non seulement l’infini mais aussi
l’existence. Et si l’Être premier
créateur est celui par la
participation duquel les choses
sont rendues infinies, alors il
faut que lui-même transcende
l’infini : et, conformément à ce qui est dit ici, il faut entendre
cela dans le sens où l’Être premier est au-dessus de l’infini participé et
créé ; mais selon Proclus cela se dit de l’idée de l’un-bien qui est
au-dessus de l’idée d’infini selon les Platoniciens ; et c’est pourquoi,
pour expliquer ce qu’il vient de dire en disant que l’Être premier est au-dessus de l’infini, il ajoute que l’intelligence est infinie, mais par
participation et non essentiellement, c’est-à-dire de telle manière qu’elle soit elle-même ce qui est infini.
Il conclut donc de ce qui précède que, puisque l’Être premier donne aux
intelligences à la fois l’être et l’infini, Il est lui-même la mesure des premiers êtres, à savoir des intelligibles, et par conséquent des êtres seconds, à savoir des
réalités sensibles, selon que ce qui
est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui est contenu dans ce
genre, et d’après quoi on sait que quelque chose est plus parfait ou moins
parfait dans un genre en raison de sa proximité ou de son éloignement par
rapport à ce qui est premier dans ce genre. Mais il explique que l’être premier est la
mesure de tous les êtres parce qu’il a créé tous les êtres avec la mesure
appropriée qui est due à chaque chose selon le mode de sa nature : en
effet, que les choses s’approchent plus ou moins de l’être premier, cela
procède de leur disposition ou de leur nature. À la fin cependant, à partir
de ce qui précède et comme en résumé, il resserre son propos principal et dit
que l'être premier créateur est
au-dessus de l’infini, c’est-à-dire au-dessus de ce qui est infini par
participation ; mais l’être second,
lequel est créé, à savoir l’intelligence, est infini par participation ; mais ce qui est intermédiaire entre l’être premier créé qui est l’intelligence et l’être second créé qui est le corps
corruptible, à savoir le corps céleste, est infini ; mais c’est Proclus
qui a posé ceci que l’idée d’infini serait comme intermédiaire entre l’idée
de bien et l’idée de l’être. Et ayant établi cet
ordre des choses relativement à l’infini, notre auteur fait de même pour le
reste et ajoute que tous les autres biens qui sont simples, à
savoir la vie, la lumière et les autres
biens semblables sont les causes des choses qui possèdent de tels biens ;
en effet, tout comme la cause première est l’infinité même et que tout le
reste tient d’elle l’infinité, de même encore la cause première est la vie
même et la lumière même et c’est d’elle que le premier créé, à savoir
l’intelligence, tient la vie et la lumière intelligible ; et semblablement encore les autres biens descendent de la cause première pour
se répandre certes en premier lieu sur le premier créé, à savoir sur l’intelligence, et ensuite
sur les autres créatures par
l’intermédiaire de l’intelligence, que ces autres créatures soient les âmes intellectuelles ou les réalités
spirituelles. |
Lectio 17 [84252] Super De
causis, l. 17 Postquam in praecedenti propositione
ostensum est quod omnes virtutes infinitae dependent a prima virtute
infinita, in hac propositione consequenter ostenditur quomodo una virtus
magis accedat ad primam infinitatem quam alia. Et dicit quod: omnis virtus
unita plus est infinita quam virtus multiplicata. Et haec eadem
propositio ponitur in libro Procli XCV sub his verbis: omnis potentia
unitior existens est infinitior quam plurificata. Probatur autem
utrobique dupliciter. Primo quidem per rationem, hoc modo. Sicut ex praemissa
propositione habetur, omnes virtutes infinitae dependent a primo infinito
quod est virtus virtutum; oportet igitur quod, quanto virtus propinquior fuit
illi primae virtuti, tanto magis participet de eius infinitate. Illa autem
prima virtus est essentialiter unum; oportet ergo quod, quanto aliquid est
magis unum, tanto habeat virtutem magis infinitam. Et inde est quod virtus
intelligentiae, quae est prima inter virtutes creatas infinitas, est maxime
infinita utpote propinquior uni primo; virtutes vero quae multiplicantur, ex
hoc ipso deficiunt ab unitate, et ideo minoratur earum posse. Et huius
exemplum apparet in virtutibus cognoscitivis: intellectus enim, qui non dividitur
in multas potentias, est efficacior in cognoscendo quam sensus, qui in multas
potentias diversificatur; et eadem ratione, virtus cognoscitiva
intelligentiae, quae non dividitur per sensitivam et intellectivam, est
fortior quam virtus cognoscitiva humana, tam circa sensibilia singularia quam
circa intelligibilia cognoscenda. Secundo probatur per signum. Videmus enim
in rebus corporalibus partibilibus quod, quando multa aggregantur et
uniuntur, fit vehementior eorum virtus, ex qua consequuntur mirabiles operationes,
sicut patet in multis hominibus simul trahentibus navem, qui divisim non
possent eam trahere nec partes eius proportionales, et, quanto magis
dividitur virtus rei corporalis, tanto debilior fit et facit operationes
viliores, sicut tota domus a magno igne aggregato calefit, quod fieri non
potest si ignis dividatur per diversas partes domus. Ex quibus duabus
propositionibus concludit propositum, ut in littera patet. |
Leçon 17. Toute puissance unifiée est plus infinie
qu'une puissance multiple.
Après avoir montré
dans la proposition précédente que toutes les puissances infinies dépendent
de la première puissance infinie, l’auteur montre par la suite dans cette
proposition comment une puissance qui est une se rapproche davantage de la
première infinité qu'une autre. Et il dit que toute puissance unifiée est plus infinie qu'une puissance multipliée.
Et cette même proposition est présentée en ces termes à la proposition 95 du
livre de Proclus : toute puissance
qui existe sous une forme plus unifiée est davantage infinie que celle qui se
présente sous une forme multipliée. Et cette proposition est prouvée dans
les deux cas de deux manières. Et elle est certes prouvée en premier lieu
par un raisonnement de la manière qui suit. Comme on a établi à la proposition
précédente que toutes les puissances infinies dépendent du premier infini qui
est la puissance des puissances, il faut donc que plus une puissance est
proche de cette première puissance, plus elle participe de son infinité. Mais
cette première puissance est essentiellement une ; il faut donc que plus
un être est un, plus il possède une puissance infinie. Et il résulte de là
que la puissance de l’intelligence, qui est la première parmi les puissances
créées infinies, est la plus infinie en tant qu’elle est la plus rapprochée
de l’un premier ; mais les puissances qui sont multipliées s’écartent de
ce fait même de l’unité et c’est pourquoi leur puissance s’en trouve
diminuée. Et on peut voir un exemple de cela dans les puissances
cognitives : l’intellect en effet, lequel ne se divise pas en plusieurs
puissances, est plus efficace pour l’acte de connaître que le sens, lequel se
différencie en de nombreuses facultés de connaissance ; et pour la même
raison, la puissance cognitive de l’Intelligence, laquelle ne se divise pas
en faculté sensible et faculté intellectuelle, est plus forte que la
puissance cognitive humaine, aussi bien pour connaître les singuliers
sensibles que les intelligibles. La même proposition
est prouvée en deuxième lieu par un signe. Nous voyons en effet dans les
choses corporelles divisibles que, lorsque plusieurs d’entre elles
s’assemblent et s’unissent, leur puissance s’en trouve augmentée considérablement,
d’où s’en suivent des opérations admirables, comme on le voit lorsque
plusieurs hommes tirent simultanément un navire qu’ils ne pourraient pas
tirer séparément, ni même ses parties prises proportionnellement à chaque
individu ; et on observe que plus la puissance de la chose corporelle
est divisée, plus elle s’affaiblit et plus son opération devient ordinaire
comme c’est le cas lorsque toute la maison devient chaude par la réunion d’un
seul grand feu, résultat qui ne peut être obtenu si le feu est divisé
d’autant dans chacune des parties de la maison. Et à partir de ces deux
propositions il conclut son propos comme on le voit dans le document. |
Lectio 18 [84253] Super De
causis, l. 18 Postquam ostensum est quod res omnes
dependent a primo secundum suam virtutem, hic ostendit quod dependent omnia a
primo secundum suam naturam. Et circa hoc duo facit: primo ostendit
universalem dependentiam rerum a primo secundum omnia quae pertinent ad
naturam vel substantiam earum, secundo ostendit diversum gradum
appropinquationis ad primum a quo dependent, sicut et de dependentia virtutis
dixerat, et hoc 19 propositione, ibi: ex intelligentiis est et cetera. Primo
ergo ponit talem propositionem: res omnes habent essentiam per ens primum,
et res vivae omnes sunt motae per essentiam suam propter vitam primam, et res
intelligibiles omnes habent scientiam propter intelligentiam primam. Et
hoc idem dicitur in libro Procli CII propositione, sub his verbis: omnia
quidem qualitercumque entia ex fine sunt et infinito, propter prime ens.
Omnia autem viventia suiipsorum motiva sunt propter vitam primam. Omnia autem
cognitiva cognitione participant propter intellectum primum. Dicit autem
quod omnia sunt ex fine et infinito propter prime ens quia, ut supra
habitum est in 4 propositione, ens creatum compositum est ex finito et
infinito. Ad huius autem propositionis intellectum primo quidem
considerandum est quod omnes rerum gradus ad tria videtur reducere quae sunt
esse, vivere et intelligere. Et hoc ideo quia unaquaeque res tripliciter
potest considerari: primo quidem secundum se, et sic convenit ei esse,
secundo prout tendit in aliquid aliud, et sic convenit ei moveri, tertio
secundum quod alia in se habet, et sic convenit ei cognoscere quia secundum
hoc cognitio perficitur quod cognitum est in cognoscente non quidem
materialiter sed formaliter. Sicut autem habere aliquid in se formaliter et
non materialiter, in quo consistit ratio cognitionis, est nobilissimus modus
habendi vel continendi aliquid, ita moveri a seipso est nobilissimus
mobilitatis modus, et in hoc consistit ratio vitae; nam ea dicimus viventia
quae se aliqualiter movent. Esse igitur, quod est primum, commune est
omnibus, sed non omnia pertingunt ad illam perfectionem ut sint suiipsorum
motiva; unde non omnia sunt viventia, sed quaedam quae sunt perfectiora in
entibus. Rursumque eorum quae sunt motiva suiipsorum vel aliorum, non omnia
sunt motiva per modum cognitionis, sed per aliquod materiale principium sicut
accidit in plantis; unde etiam non omnia viventia pertingunt ad gradum
cognitionis, sed solum illa in quibus principium motionis est aliquid formale
absque materia; nam et ipse sensus est susceptivus specierum sensibilium sine
materia, ut dicitur in II de anima. Secundo considerandum est quod in
unoquoque genere est causa illud quod est primum in genere illo, a quo omnia
quae sunt illius generis in illo genere constituuntur, sicut inter
elementaria corpora ignis est primum calidum a quo omnia caliditatem
sortiuntur; non est autem in aliquo rerum ordine in infinitum procedere.
Oportet igitur in ordine entium esse aliquod primum quod dat omnibus esse, et
hoc est quod dicit quod res omnes habent essentiam per ens primum.
Similiter oportet in genere viventium esse aliquod primum, et ab hoc omnia
viventia habent quod vivant; et quia viventis proprium est quod sit suiipsius
motivum, ideo dicit quod res vivae omnes sunt motae per essentiam suam,
id est sunt moventes seipsas, propter vitam primam; unde et in libro
Procli dicitur: omnia viventia suiipsorum motiva sunt propter vitam primam.
Et quod movere seipsum procedit a prima vita, probat subdens: quoniam vita
est processio procedens ex ente primo quieto sempiterno. Ad cuius
intellectum sciendum est quod prius est aliquid esse in se quam moveri in
alterum; unde moveri praesupponit esse. Quod si ipsum esse sit sicut
subiacens motui, iterum oportebit praesupponi aliquod principium motus, et
sic quousque deveniatur ad aliquod ens immobile quod est principium movendi
seipsum omnibus; et hoc est prima vita. Unde manifestum est quod vita in
omnibus viventibus est processio quaedam procedens a quodam primo
ente quieto et sempiterno, id est nulli motioni subiecto. Similiter etiam
in ordine cognoscentium oportet esse aliquod primum. Manifestum est autem
quod ordine perfectionis et naturae cognitio intellectiva prior est
sensitiva, quia est magis immaterialis; unde et per intellectum de cognitione
sensitiva iudicamus, sicut de inferiori per superius. In ipsa autem
intellectiva cognitione, manifestum est quod ratiocinativa inquisitio a
principiis per se notis procedit, quorum est intellectus; unde ratio sequitur
intellectum. Primum igitur in ordine cognoscentium est intellectus, et ideo
oportet quod omnes res intelligibiles, id est cognoscitivae, habeant
scientiam, id est cognitionem, propter intelligentiam primam; unde
et in libro Procli dicitur quod omnia cognitiva cognitionem participant
propter intellectum primum. Et ratio huius assignatur quia omnis
scientia radicaliter non est nisi intelligentia; intelligentia
enim est summitas quaedam, ut Proclus dicit, omnis cognitionis; unde intelligentia
est primum cognoscens et influens cognitionem supra omnia
cognoscentia. Sicut autem supra dictum est, secundum Platonicos primum ens,
quod est idea entis, est aliquid supra primam vitam, id est supra ideam
vitae, et prima vita est aliquid supra primum intellectum idealem; sed
secundum Dionysium primum ens et prima vita et primus intellectus sunt unum
et idem quod est Deus; unde et Aristoteles in XII metaphysicae primo
principio attribuit quod sit intellectus et quod suum intelligere sit vita,
et secundum hoc ab eo omnia habent esse et vivere et intelligere. Tertio
considerandum quod ista tria diversimode causantur in rebus, sive a diversis
principiis secundum Platonicos, sive ab eodem principio secundum fidei
doctrinam et Aristotelis. Est enim duplex modus causandi: unus quidem quo aliquid
fit praesupposito altero, et hoc modo dicitur fieri aliquid per
informationem, quia illud quod posterius advenit se habet ad illud quod
praesupponebatur per modum formae; alio modo causatur aliquid nullo
praesupposito, et hoc modo dicitur aliquid fieri per creationem. Quia ergo
intelligere praesupponit vivere et vivere praesupponit esse, esse autem non
praesupponit aliquid aliud prius; inde est quod primum ens dat esse
omnibus per modum creationis. Prima autem vita, quaecumque sit illa, non
dat vivere per modum creationis, sed per modum formae, id
est informationis; et similiter dicendum est de intelligentia. Ex quo
patet quod, cum supra dixit intelligentiam esse causam animae, non intellexit
quod esset causa eius per modum creationis, sed solum per modum
informationis, ut supra expositum est. |
Leçon 18. Toutes les choses ont l'être grâce à
l'Être premier, toutes celles qui sont vivantes se meuvent par leur essence
grâce à la Vie première, et toutes celles qui sont intelligibles connaissent
grâce à l'Intelligence première.
Après avoir montré que
toutes les choses dépendent de l’Être premier quant à leur puissance,
l'auteur montre ici qu'elles en dépendent toutes quant à leur nature. Et à ce
sujet il fait deux choses : premièrement il montre la dépendance l'universelle
des choses à l’égard de l’Être premier selon tous les rapports qui
appartiennent à leur nature ou à leur substance; deuxièmement, à la
proposition 19 où il dit : parmi
les intelligences, il y a celle etc., il montre les différents degrés de
proximité qu'elles entretiennent à l'égard de l’Être premier dont elles
dépendent, comme il l’avait fait au sujet de la dépendance de leur puissance.
En premier lieu il
présente donc cette proposition : toutes
les choses tiennent leur essence de l’Être premier, toutes celles qui sont
vivantes se meuvent par leur essence à cause de la Vie première et toutes
celles qui sont intelligibles tiennent leur science de l’intelligence
première. Et c’est la même chose
que dit Proclus en ces termes dans son livre à la proposition 102: tout ce qui existe d’une manière ou d’une
autre tient sa fin et son infinité de l’Être premier. Mais tous les vivants
tiennent leur mouvement autonome de la Vie première. Enfin, tous ceux qui
connaissent tiennent leur connaissance participée de l’Intellect premier.
Mais il dit que tous les êtres tiennent
de l’Être premier d’être constitués de fin et d’infini parce que, comme
cela a été établi plus haut à la proposition 4, l’être créé est composé de fini et d’infini. Mais pour comprendre
cette proposition, il faut certes considérer en premier lieu que tous les
degrés du réel semblent se ramener à trois, à savoir : exister, vivre et
intelliger. Et il en est ainsi parce que chaque chose peut être considérée de
trois manières : premièrement en elle-même et c’est ainsi que
l’existence lui convient ; deuxièmement selon qu'elle tend vers quelque chose
d'autre, et c’est alors le mouvement qui lui convient; troisièmement selon
qu’elle contient en elle d’autres choses et à ce titre il lui convient de
connaître, parce la connaissance tire
sa perfection de ce que l’objet connu est présent dans celui qui connaît, non
pas matériellement mais formellement. Mais tout comme posséder quelque chose
en soi formellement et non matériellement, ce en quoi consiste la définition
même de la connaissance, est la modalité la plus noble de posséder ou de
contenir quelque chose, de même le mouvement autonome est la forme de
mouvement la plus noble et c’est en cela que consiste la définition même de
la vie car nous appelons vivants les êtres qui se meuvent eux-mêmes en
quelque sorte. Donc l’existence, qui
est première, est commune à tous les êtres, mais ce ne sont pas tous les
êtres qui parviennent à cette perfection de se mouvoir par soi-même ;
d’où il suit que tous ne sont pas vivants et que certains des êtres sont plus
parfaits. En outre, ce ne sont pas tous les êtres qui se meuvent eux-mêmes ou
qui en meuvent d’autres qui possèdent cette forme de mouvement qu’est la
connaissance, mais certains se meuvent par un principe matériel comme on le
voit chez les plantes ; d’où il résulte que ce ne sont pas tous les
vivants qui parviennent à ce degré qu’est la connaissance, mais seulement
ceux chez lesquels le principe du mouvement est quelque chose de formel et
dégagé de la matière ; car même le sens reçoit les espèces sensibles
sans la matière comme le Philosophe le dit au deuxième livre de l’Âme. Deuxièmement il faut
considérer qu’en tout genre, la cause, par laquelle tout ce qui appartient à
ce genre est constitué dans ce genre, est ce qui est premier dans ce genre,
tout comme parmi les corps élémentaires le feu est le premier à être chaud
duquel tout le reste reçoit sa chaleur ; mais il n’existe aucun ordre de
choses dans lequel on puisse procéder à l’infini. Il faut donc qu’il y ait
dans l’ordre des êtres un être qui soit premier et qui donne à tous les
autres d’être ou d’exister et c’est ce que notre auteur veut signifier
lorsqu’il dit : toutes les choses
tiennent leur essence de l’Être premier. De la même manière il faut qu’il
y ait quelque chose de premier dans le genre des vivants et d’où tous les
vivants tirent leur vie ; et parce que le propre du vivant est de se
mouvoir soi-même, c’est pourquoi l’auteur dit que tous les vivants se meuvent par leur essence, c’est-à-dire qu’ils
se meuvent eux-mêmes, à cause de la Vie
première ; c’est pourquoi Proclus dit dans son livre : tous les vivants se meuvent eux-mêmes à
cause de la Vie première. Et que le fait de se mouvoir soi-même procède
de la Vie première, il le prouve en ajoutant : puisque la vie est une procession qui procède de
l’Être premier, immobile et éternel. Et pour le comprendre
il faut savoir que pour une chose exister en soi-même est antérieur à se
mouvoir vers quelque chose d’autre, d’où le mouvement présuppose l’existence.
Et si l’existence même est comme sous-jacente au mouvement, il faudra en
outre présupposer un principe du mouvement jusqu’à en venir ainsi à un être
immobile qui soit pour tous les vivants le principe par lequel ils se meuvent
eux-mêmes et qui est la Vie première. D’où il est évident que chez tous les
vivants la vie est une procession qui
procède d’un Être premier immobile et éternel, c’est-à-dire d’un être qui
n’est soumis à aucun mouvement. De la même manière
encore il faut qu’il y ait quelque chose de premier dans l’ordre des êtres
qui connaissent. Mais il est manifeste que la connaissance intellectuelle est
antérieure à la connaissance sensible dans l’ordre de perfection et de
nature, car elle est plus
immatérielle ; et c’est pourquoi c’est par l’intelligence que nous
jugeons de la connaissance sensible, tout comme c’est par le supérieur que
nous jugeons de l’inférieur. Mais dans la connaissance intellectuelle
elle-même, il est manifeste que la recherche rationnelle procède de principes
connus par eux-mêmes qui sont l’objet même de l’intelligence ; par
conséquent la raison suit l’intelligence. L’Intelligence est donc ce qui est
premier dans l’ordre des êtres connaissants, et c’est pourquoi il faut que toutes les réalités intelligibles,
c’est-à-dire celles qui sont cognitives, possèdent
la science, c’est-à-dire la connaissance, à cause de l’Intelligence première ; c’est pourquoi il est
dit dans le livre de Proclus que tous
ceux qui sont capables de connaissance tiennent de l’Intelligence première le
fait qu’ils participent de la connaissance. Et il en donne la raison en
disant que toute science ne se
fonde ultimement que sur l’Intelligence ;
l’Intelligence en effet, comme le dit Proclus, est un certain sommet pour
toute connaissance ; d’où l’intelligence est ce qui est premier à connaître et qui répand la connaissance sur tous ceux qui sont capables de
connaître. Mais comme nous l’avons dit plus haut, l’Être premier qui selon
les Platoniciens est l’Idée même d’être, est quelque chose qui est au-dessus de
la Vie première, c’est-à-dire au-dessus de l’Idée de vie, et la vie première
est quelque chose qui est au-dessus de l’Intellect premier idéal ; mais
selon Denys, l’Être premier, la Vie première et l’Intellect premier ne sont
qu’une seule et même réalité, à savoir Dieu ; et même Aristote au douzième
de sa Métaphysique dit au sujet du
premier Principe qu’il est Intellect et que son intellection est sa Vie même
et par conséquent que c’est de Lui que tous les êtres tiennent l’existence,
la vie et l’intellection. Il faut considérer en
troisième lieu que ces trois degrés d’existence sont causés différemment dans
les choses : soit par des principes différents selon les Platoniciens,
soit par un seul et même principe selon la doctrine de la foi et selon celle
d’Aristote. Il y a en effet deux façons pour une chose d’être causée :
la première est certes celle par laquelle quelque chose est produit en
présupposant quelque chose d’autre et c’est de cette manière qu’on dit d’une
chose qu’elle est produite par information car c’est à la manière d’une forme
que ce qui advient par la suite se rapporte à ce qui lui était
présupposé ; la deuxième façon c’est lorque quelque chose est causé sans
que quelque chose d’autre soit présupposé, et c’est de cette manière qu’on
dit d’une chose qu’elle est produite par création. Donc, parce que
l’intellection présuppose la vie et que la vie elle-même présuppose
l’existence mais que l’existence ne présuppose pas quelque chose d’autre qui
lui serait antérieur, il résulte de là que l’Être premier donne l’existence à tous les êtres par mode de
création. Mais la vie première,
quelle que soit cette vie, ne donne pas
la vie par mode de création, mais par mode de forme, c’est-à-dire par
mode d’information ; et il faut dire la même chose au sujet de l’intelligence. Et il est clair à
partir de là que lorsqu’il disait plus haut que l’intelligence est la cause
de l’âme, il n’entendait pas par là qu’elle en était la cause par mode de
création mais seulement par mode d’information comme nous venons de
l’expliquer. |
Lectio 19 [84254] Super De
causis, l. 19 Postquam ostendit in praecedenti
propositione quod omnes res secundum suam naturam dependent a primo, hic
ostendit quomodo quaedam diversimode ei appropinquant secundum
participationem naturalis perfectionis et ponit talem propositionem: ex
intelligentiis est quae est intelligentia divina, quoniam ipsa recipit ex
bonitatibus primis quae procedunt ex causa prima receptione multa. Et de eis
est quae est intelligentia tantum, quoniam non recipit ex bonitatibus primis
nisi mediante intelligentia. Et ex animabus est quae est anima
intelligibilis, quoniam est ipsa pendens per intelligentiam; et ex eis est
quae est anima tantum. Et ex corporibus naturalibus est cui est anima regens
ipsum et faciens directionem super ipsum; et de eis sunt quae sunt corpora
naturalia tantum quibus non est anima. Haec autem propositio invenitur in
libro Procli CXI sub his verbis: omnis intellectualis seirae (id est
ordinationis), hii quidem sunt divini intellectus suscipientes deorum
posthabitiones (id est participationes), hii autem intellectus solum;
et omnis animalis (scilicet seirae) hae quidem sunt intellectuales
animae ad intellectus suspensae proprios, hae autem animae solum; et omnis
corporalis naturae, hae quidem et animas habent astantes desuper, hae autem
sunt naturae solum, animarum expertes praesentia. Ad cuius evidentiam sciendum est quod
secundum Platonicos quadruplex ordo invenitur in rebus. Primus erat ordo
deorum, id est formarum idealium inter quas erat ordo secundum ordinem
universalitatis formarum, ut supra dictum est; sub hoc autem ordine est ordo
intellectuum separatorum, sub quo est ordo animarum, sub quo iterum est ordo
corporum. Et hii tres inferiores ordines accipiuntur secundum tria quae in
praemissa propositione sunt tacta; nam corpora participant esse tantum,
animae autem secundum propriam naturam participant ulterius esse et vivere,
intellectus autem participant esse, vivere et intelligere. Causalitas autem
horum ad ordinem divinum pertinet, sive ponantur multi dii ordinati sub uno
secundum Platonicos, sive unus tantum in se omnia habens secundum nos:
universalitas enim causalitatis propria est Deo. Huiusmodi autem ordines, cum ab uno primo procedant,
continuitatem quamdam habent ad invicem, ita quod ordo corporum attingit
ordinem animarum et ordo animarum attingit ordinem intellectuum qui attingit
ad ordinem divinum. Ubicumque autem diversi ordines sub invicem coniunguntur,
oportet quod id quod est supremum inferioris ordinis propter propinquitatem ad
superiorem ordinem aliquid participet de superioris ordinis perfectione. Et hoc manifeste videmus in rebus naturalibus: nam quaedam
animalia participant aliquam rationis similitudinem et quaedam plantae
participant aliquid de distinctione sexus, quae est propria generi animalium.
Unde et Dionysius dicit VII capitulo de divinis nominibus quod per divinam
sapientiam fines primorum coniunguntur principiis secundorum. Sic igitur illi
qui sunt supremi in ordine intellectuum vel intelligentiarum dependent per quamdam
perfectiorem participationem propinquius a Deo, et magis participant de
bonitatibus eius et de universali causalitate ipsius; et ideo dicuntur divini
intellectus vel divinae intelligentiae, sicut et Dionysius dicit quod supremi
Angeli sunt quasi in vestibulis deitatis collocati. Inferiores vero
intellectus qui non pertingunt ad tam excellentem participationem divinae
similitudinis sunt intellectus tantum, non habentes illam divinam dignitatem.
Et eadem ratio est de animabus respectu intellectuum; nam supremae animae
sunt intellectuales utpote propinquae ordini intellectuum, aliae vero animae
inferiores non sunt intellectuales, sed habent solum id quod est animae ut
scilicet sint vivificativae, sicut maxime patet de animabus animalium et
plantarum. Et eadem ratio est de ordine corporum respectu animarum; nam
corpora nobiliora quae perfectiori ratione sunt constituta, sunt animata,
alia vero corpora sunt inanimata. Et eadem ratio est de omnibus aliis
ordinibus in quos praedicti generales ordines distinguuntur, quia etiam in
corporibus sunt diversi ordines et similiter in animabus et intellectibus. |
Leçon 19. Parmi les Intelligences, il y a celle qui
est divine puisqu'elle reçoit en une réception abondante quelque chose des
bontés premières qui procèdent de la Cause première; puis celle qui n'est
qu’Intelligence puisqu'elle ne reçoit quelque chose des bontés premières que
par l'intermédiaire de l'Intelligence première.
Parmi les âmes, il y a celle qui est intelligible parce qu'elle dépend de
l'intelligence; puis celle qui n'est qu'âme. Enfin parmi les corps
naturels, il y a celui qui a une âme qui le gouverne et qui, supérieure à
lui, le commande ; et il y a celui qui est seulement un corps naturel
qui n'a pas d'âme. Après avoir montré dans
la proposition précédente que toutes les choses dépendent de l’Être premier
quant à leur nature, l'auteur montre ici comment celles-ci s’approchent
différemment de lui quant à la participation de leur perfection naturelle et
il présente la proposition suivante : parmi les intelligences, il y a celle qui est l’intelligence divine,
puisqu'elle-même reçoit par une
réception abondante quelque chose des bontés premières qui procèdent de la Cause
première; et il y a aussi celle qui
est Intelligence seulement puisqu’elle ne reçoit quelque chose des bontés
premières que par l’intermédiaire de l’Intelligence première. Et parmi les
âmes il y a celle qui est intelligible puisqu’elle-même dépend de l’Intelligence;
et il y a celle qui est âme seulement. Et parmi les corps naturels il y a
celui auquel l’âme commande et lui donne sa direction et il y a aussi ceux
qui ne sont que des corps naturels qui ne possèdent pas une âme. Mais cette proposition
se retrouve aussi en ces termes dans livre de Proclus à la proposition
111 : de toute la série (c’est-à-dire
de l’ordre) des Intelligences,
certaines sont divines parce qu’elles reçoivent des dieux des dons,
c’est-à-dire des participations, alors
que d’autres sont seulement des Intelligences ; et de toute la série ou
de l’ordre des âmes, certaines sont des âmes intellectuelles suspendues aux Intelligences
qui leur sont propres tandis que d’autres sont des âmes seulement ; et dans toute la nature corporelle, il y a
des corps qui possèdent certes une âme qui se tient au-dessus d’eux et les
commande alors que d’autres ne sont que des corps naturels privés de la présence d’une âme. Et pour avoir l’évidence de cela il faut
savoir que d’après les Platoniciens, le réel se divise en quatre catégories.
La première est l’ordre des dieux qui est celui des formes idéales parmi
lesquelles se présente une hiérarchie qui découle de l’ordre d’universalité
des formes, comme nous l’avons dit plus haut ; sous cet ordre cependant
il y a l’ordre des intelligences séparées sous lequel se range l’ordre des
âmes sous lequel à son tour est placé l’ordre des corps. Et ces trois ordres
inférieurs qui précèdent se prennent conformément aux trois ordres mentionnés
dans la proposition précédente ; car les corps participent de
l’existence seulement ; les âmes par la suite, conformément à leur
nature propre participent à la fois de l’existence et de la vie alors que les
intelligences participent à la fois de l’existence, de la vie et de
l’intellection. Mais la causalité de ces trois ordres de
réalités se ramène à l’ordre divin, soit qu’on pose une multiplicité de dieux
qui se range sous un seul comme le font les Platoniciens, soit qu’on pose,
comme nous le soutenons, un seul Dieu qui contient à l’avance tout en
lui : en effet, l’universalité de la causalité est propre à Dieu. Mais
de tels ordres, puisqu’ils procèdent tous d’un seul et même premier Principe,
entretiennent entre eux une certaine continuité d’une manière telle que
l’ordre des corps touche à celui des âmes, que l’ordre des âmes touche à
celui des intelligences et que celui des intelligences touche à l’ordre
divin. Mais partout où
différents ordres sont rattachés les uns aux autres, il faut que ce qui est
premier dans l’ordre inférieur, à cause de sa proximité immédiate à l’égard
de l’ordre supérieur, participe de la perfection de l’ordre supérieur. Et
nous pouvons constater cela avec évidence dans les choses naturelles car
certains animaux participent d’une certaine ressemblance de la raison et
certaines plantes participent d’une certaine distinction des sexes, laquelle
est propre au genre animal. Aussi Denys dit-il au chapitre 7 des Noms Divins que c’est par la sagesse
divine que ce qui est dernier dans les ordres premiers est rattaché à ce qui
est premier dans les ordres seconds. Ainsi donc ceux qui sont premiers dans
l’ordre des intellects ou des intelligences dépendent plus immédiatement de
Dieu par une participation plus
parfaite et participent davantage de ses bontés et de sa causalité
universelle : et c’est pourquoi on les appelle intellects divins ou
intelligences divines comme le fait Denys lorsqu’il dit que les Anges
suprêmes sont comme rassemblés dans les vestibules de la divinité. Mais les
intellects inférieurs qui ne parviennent pas à une participation aussi
excellente de la ressemblance divine ne sont que des intellects qui ne
possèdent pas cette dignité divine. Et le même raisonnement vaut pour les
âmes par rapport aux intelligences ; car les âmes supérieures sont
intellectuelles en tant qu’elles sont proches de l’ordre des intelligences
alors que les autres âmes, celles qui sont inférieures, ne sont pas
intellectuelles mais ne possèdent que ce qui appartient à l’âme en tant
qu’elle est vivifiante ou principe de vie, comme on le voit le plus
clairement pour les âmes des animaux et celles des plantes. Et le même raisonnement
vaut encore pour l’ordre des corps par rapport à celui des âmes car les
corps plus nobles qui sont constitués d’une nature plus parfaite sont animés
alors que les autres corps sont inanimés. Et le même raisonnement vaut aussi
pour tous les autres ordres qui se trouvent à diviser les ordres généraux qui
précèdent car à l’intérieur même des corps il y a des ordres différents et il
en est de même pour les âmes et les intellects. |
Lectio 20 [84255] Super De
causis, l. 20 Postquam ostensum est qualiter inferiora
a superioribus dependeant, hic ostenditur qualiter superiora inferioribus
influant per suum regimen. Et circa hoc duo facit: primo agit de universali
regimine causae primae, secundo de regimine intelligentiae, 23 propositione,
ibi: omnis intelligentia divina et cetera. Circa primum duo facit: primo
ostendit modum universalis regiminis causae primae, secundo ostendit
idoneitatem causae primae ad regendum, 21 propositione, ibi: primum est dives
et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: causa prima regit omnes
res creatas praeter quod commisceatur cum eis. Ad cuius evidentiam
considerandum est quod in humano regimine hoc contingere videmus quod ille
qui habet curam regiminis plurimorum, necesse est ut ex suo regimine ad plura
distrahatur; qui vero a cura regiminis aliorum est liber, magis in seipso
potest uniformitatem conservare, unde et Epicurei philosophi, ut quietem et
uniformitatem divinam conservarent, posuerunt deos nullius regiminis curam
habere, sed omnino otiosos et nihil curantes, ut sic videantur esse felices.
Et ideo contra hoc in hac propositione inducitur quod haec duo in causa prima
non sunt contraria nec se invicem impediunt universale regimen rerum et summa
unitas, per quam Deus exaltatur supra omnia. Unde statim in principio expositionis
ponitur: quod est quia regimen non debilitat unitatem eius exaltatam super
omnem rem neque destruit eam, quia scilicet nec in toto nec in parte per
universale regimen unitati divinae derogatur; et e converso subdit: neque
prohibet eam essentia unitatis eius seiuncta a rebus quin regat res. Et
hoc totum in CXXII propositione Procli ponitur sub his verbis: omne
divinum et providet secundis, et ereptum est ab his quibus providetur; neque
providentia submittente suam immixtam et unialem excellentiam, neque separata
unitione providentiam exterminante. Ad huius autem propositionis
manifestationem tria inducuntur. Primo namque ostenditur diversus modus
recipiendi influentias causae primae ex parte rerum recipientium, secundo
ostenditur unitas ex parte causae primae influentis, ibi: et bonitas prima
etc., tertio ex his duobus concluditur propositum, scilicet quod regimen
causae primae extat absque hoc quod commisceatur rebus, ibi: redeamus autem
et dicamus. Dicit ergo primo quod omnes bonitates quae inveniuntur in rebus,
effluunt a causa prima; et huiusmodi bonitates recipit unaquaeque res
secundum modum et proprietatem suae substantiae et virtutis - sunt autem
diversarum rerum diversae naturae et virtutes - et inde est quod, quamvis
causa prima influat uno influxu super omnia, diversimode tamen influxus eius
in diversis rebus recipitur. Cuius exemplum evidens est in lumine quod quidem
a corpore lucido uno modo procedit, sed secundum quod radii diversi transeunt
per vitra diversimode colorata, diversam apparentiam faciunt. Deinde ostendit
quod causa prima unico influxu influat in res omnes; influit enim in res
secundum rationem boni; habet enim bonitatem bonificam, id est quae est
principium bonitatis in omnibus. Bonitas autem causae primae est ipsum suum esse
et sua essentia, quia causa prima est ipsa essentia bonitatis; unde cum
essentia eius sit maxime una, quia primum principium est secundum se unum et
bonum, consequens est quod causa prima uno modo, quantum est ex parte sua,
agat in res et influat in eas; sed ex eius influxu res diversimode recipiunt,
quaedam plus et quaedam minus, unaquaeque secundum suam proprietatem. Deinde
ex praemissis concludit impermixtionem causae primae ad res alias. Et huius
conclusionis intellectus plenus haberi potest si accipiamus verba quae sunt
in commento Procli, qui sic dicit: neque igitur providentes (scilicet
dii) habitudinem recipiunt ad ea quibus providetur; per esse enim quod
sunt omnia bonificant, omnia autem per esse faciens sine habitudine facit:
habitudo enim appositio est ad esse, propter quod praeter naturam. Vocat
autem habitudinem aliquam dispositionem per quam agens coaptatur seu
proportionatur patienti seu recipienti; et quod sic agit in diversa, necesse
est quod habeat diversas dispositiones quibus diversis coaptetur, et secundum
hoc cadit in huiusmodi rem quaedam multitudo quae diversimode agit in diversa
secundum diversas suas dispositiones quae sunt praeter naturam sive essentiam
eius, quae est una. Et sic tale agens secundum diversas dispositiones commiscetur
rebus in quas agit secundum quamdam coaptationem ad ea; sed causa prima agit
per esse suum, ut probatum est. Unde non agit per aliquam habitudinem vel
dispositionem superadditam per quam coaptetur et commisceatur rebus. Et
huiusmodi habitudo vocatur hic continuator vel res media, quia
scilicet per huiusmodi dispositionem vel habitudinem coaptatur agens
recipienti, et est quodammodo media inter essentiam agentis et ipsum patiens.
Quia igitur causa prima est agens per esse suum, oportet quod uno modo regat
res; sic enim regit res quemadmodum agit: unde patet quod regimen eius est
optimum et pulcherrimum. Ad hoc enim tendit quilibet rector multitudinis quod
reducat multos quos regit in unum; et hoc maxime invenitur in divino
regimine, quod est unum secundum se et non diversificatur in effectibus nisi
secundum diversitatem, quasi secundum diversa merita, subditorum. |
Leçon 20. La cause première gouverne toutes les
choses créées sans se mêler à aucune d’elles.
Après avoir montré de
quelle manière les ordres inférieurs dépendent des supérieurs, l’auteur
montre ici de quelle manière les ordres supérieurs influent sur les
inférieurs par leur gouvernement. Et à ce sujet il fait deux choses :
premièrement il traite du gouvernement universel de la cause première;
deuxièmement, à la proposition 23, du gouvernement de l'intelligence où il dit
: toute intelligence divine etc. Au sujet du premier
point il fait deux choses : premièrement il manifeste la modalité du
gouvernement universel de la cause première; deuxièmement il montre à la
proposition 21 la capacité de la cause première à gouverner, où il dit :
l’Être premier est riche par lui-même
etc. Au sujet du premier point il présente la proposition suivante : la cause première gouverne toutes les
réalités créées sans se mélanger à aucune d’elles. Pour avoir l’évidence
de cela, il faut considérer que nous voyons cela se produire dans les
gouvernements humains alors qu’il est nécessaire que celui qui a soin du
gouvernement de la multitude soit partagé entre plusieurs choses du fait de
ce gouvernement ; mais celui qui est libéré du soin de gouverner les
autres peut davantage conserver en lui-même une égalité d’âme et c’est
pourquoi les philosophes épicuriens, pour garantir aux dieux leur
tranquillité et leur égalité d’âme, ont soutenu que les dieux n’ont aucun
souci de gouverner, demeurent oisifs et n’ont soin de rien de manière à
paraître ainsi heureux. Et c’est pourquoi, à l’encontre de cette position, on
avance dans cette proposition que ces deux termes, à savoir le soin de gouverner
et la tranquillité d’âme, ne s’opposent pas chez la cause première et que le
gouvernement universel des choses et l’unité suprême, par laquelle Dieu est
élevé au-dessus de tous les êtres, ne s’excluent pas mutuellement. C’est
pourquoi il affirme aussitôt au début de son explication : il en est ainsi parce que l’acte de
gouverner n’affaiblit pas son unité, laquelle est élevée au-dessus de toute
chose, et ne la détruit pas, c’est-à-dire que jamais il ne s’écarte en
totalité ou en partie de son unité par le gouvernement universel. Et l’auteur
ajoute à l’inverse : et l’essence
de son unité, séparée des choses, ne l’empêche pas de les diriger. Et
tout cela est repris en ces termes à la proposition 122 du livre de Proclus :
le divin tout entier pourvoit au bien
de ses sujets et en même temps il échappe à ceux-là même sur lesquels il
veille, et ni l’abaissement de sa providence ne supprime l’excellence sans
mélange de son unité, ni son unité séparée n’empêche sa providence. Et l’auteur avance
trois choses pour manifester cette proposition. En premier lieu il montre
différentes modalités de recevoir les influences de la cause première du côté
des êtres qui les reçoivent ; en deuxième lieu il manifeste l’unité de
cette modalité du côté de la cause première qui répand ses biens, là où il
dit : et la bonté première etc. ;
troisièmement, s’appuyant sur ces deux points, il conclut son propos en
disant que le gouvernement de la cause première subsiste sans se mélanger aux
choses, là où il dit : revenons
cependant à notre propos et disons etc. Il dit donc en premier
lieu que tous les biens qui se retrouvent dans les choses s’écoulent de la
cause première ; et chaque chose reçoit ces biens conformément aux
modalités et aux propriétés de sa substance et de sa puissance, car à des
choses différentes appartiennent des natures et des puissances différentes,
et il résulte de là que, bien que la
cause première répande ses biens sur tous les êtres comme par un seul et même
souffle, ce même souffle est cependant reçu différemment dans différentes
choses. On trouve un exemple évident de cette vérité dans la lumière qui
procède certes d’une seule manière d’un corps lumineux, mais selon que ses
rayons traversent diffémment les vitres qui sont teintes de différentes
couleurs, ils produisent une apparence différente. Ensuite il montre que
la cause première répand ses biens sur tous les êtres comme par un seul
souffle. En effet, c’est en ayant en vue le bien qu’elle se répand sur les
choses car elle possède en elle la bonté bienfaisante, c’est-à-dire celle qui
est le principe du bien qu’on retrouve dans tous les êtres. Mais la bonté de
la cause première est son être même et son essence car la cause première est
l’essence même de la bonté ; d’où il suit que, puisque son essence est
suprêmement une, car le principe premier est en lui-même un et bon, la cause
première, quant à ce qui la concerne, n’agit sur les choses et ne se répand
sur elles que d’une seule et unique façon ; mais à partir de ce même
souffle les choses reçoivent différemment, certaines plus et d’autre moins,
chacune conformément à la nature qui lui est propre. Ensuite, s’appuyant
sur ce qui précède, il conclut que la cause première est étrangère à tout
mélange avec les autres choses. Et on peut parvenir à une compréhension plus
entière de cette conclusion si on prend les paroles qui sont contenues dans
le commentaire de Proclus : et
ceux qui pourvoient (à savoir les dieux) ne reçoivent aucune relation de ceux sur lesquels ils veillent car
c’est par leur être même qu’ils sont bienfaisants à l’égard de tous et ceux
qui agissent par leur être même le font sans recevoir de relation : la
relation en effet est un ajout à l’être et pour cette raison elle est
extérieure à la nature. Mais par relation,
Proclus entend une certaine disposition par laquelle l’agent s’adapte ou se
proportionne au patient ou à celui qui reçoit ; et il est nécessaire que
celui qui agit de cette manière sur différents êtres possède différentes
dispositions par lesquelles il s’adapte à eux et c’est suivant cela qu’il
échoit en partage à une telle chose une certaine multiplicité qui agit
différemment sur différents êtres d’après ses différentes dispositions qui
sont extérieures à sa nature ou à son essence qui est une. Et ainsi un tel
agent, conformément à ces différentes dispositions, se trouve à se mélanger
aux choses sur lesquelles il agit suivant une certaine adaptation à
elles ; mais la cause première agit sur les choses par son existence ainsi que cela a
été prouvé. D’où il résulte
qu’elle n’agit pas sur elles par une relation ou une disposition surajoutée
par laquelle elle s’adapterait aux choses et se mélangerait à elles. Et une
telle relation, l’auteur l’appelle ici lien
ou intermédiaire car c’est au moyen d’une telle disposition ou relation
que l’agent s’adapte à celui qui reçoit et qui est comme un lien entre
l’essence de l’agent et le patient lui-même. Donc, parce que la cause
première agit par son existence, il faut qu’elle gouverne les choses d’après
une seule modalité ; elle gouverne en effet les choses de la même
manière qu’elle agit : d’où il est clair que son gouvernement est le
plus excellent et le plus beau. C’est à cela en effet que tend tout être qui
gouverne une multitude d’êtres, c’est-à-dire à ramener à l’unité la multiplicité de ceux
qu’il gouverne. Et c’est dans le gouvernement divin, lequel est un en lui-même
et ne se différencie dans ses effets que selon la différence relative aux
mérites différents de ses sujets, qu’on retrouve cela le plus parfaitement. |
Lectio 21 [84256] Super De
causis, l. 21 Postquam assignavit modum divini
regiminis, hic ostendit sufficientiam Dei ad regendum. Quae quidem attenditur
secundum duo: primo quidem secundum Dei abundantiam, secundo secundum eius
superexcellentiam, et hoc ibi: causa prima et cetera. Haec enim duo
necessaria sunt regenti, primo quidem ut habeat bonorum abundantiam, ex
quibus possit subditis providere; unde et Dionysius dicit XII capitulo de
divinis nominibus quod dominatio est omnis pulchrorum et bonorum perfecta
possessio, et regnum est omnis finis et legis et ordinis distributio. Ad
ostendendum autem in Deo abundantem sufficientiam proponit hanc
propositionem: primum est dives propter seipsum et est dives magis. Ad
cuius evidentiam accipiatur propositio CXXVII Procli, quae talis est: omne
divinum simplex prime est et maxime, et propter hoc maxime per se sufficiens.
Probat autem quod Deus sit prime et maxime simplex ex ratione unitatis: nam
Deus est maxime unum cum sit prima unitas sicut et prima bonitas; simplicitas
autem ad rationem unitatis pertinet - dicitur enim simplex quod est unum non
ex pluribus aggregatum; unde Deus in quantum est prime et maxime unum, in
tantum etiam est prime et maxime simplex. Et ex hoc ulterius procedit ad
ostendendam secundam partem suae propositionis, scilicet quod Deus sit maxime
per se sufficiens, quia per se sufficientia consequitur ad simplicitatem.
Omne enim compositum indiget pluribus ex quibus sua bonitas constituitur, et
non solum indiget illis ex quibus componitur ut ex partibus, sed etiam indiget
aliquo alio quod causat et conservat compositionem, sicut patet in corporibus
mixtis; non enim diversa in unum convenirent nisi per aliquam causam ea
unientem. Cum igitur Deus sit primo et maxime simplex utpote habens totam
bonitatem suam in uno perfectissimo, sequitur quod Deus sit primo et maxime
per se sufficiens. Sed auctor huius libri praetermittit primam partem
propositionis quae est de simplicitate, quasi eam supponens, et loquitur
solum de per se sufficientia quam divitiarum nomine signat: et loco eius quod
in propositione Procli dicitur quod Deus est per se sufficiens, dicit quod primum
est dives propter seipsum. In quolibet enim genere est primum id quod est
propter seipsum; quod enim est per se, prius est eo quod est per aliud; loco
autem eius quod ibi dicitur quod est maxime sufficiens, hic dicitur
quod est dives magis, scilicet quam omnia alia. Probatio autem
propositi est eadem utrobique. Nam primo dicit quod unitas divina quae non
est dispersa in multas partes, sed est unitas pura, est significatio huius
quod Deus sit in fine simplicitatis, id est maxime simplex. Et ex hoc
ulterius probat quod Deus sit maxime per se sufficiens per indigentiam quae
in compositis invenitur, sicut iam dictum est. Sed quia in nomine divitiarum
non solum intelligitur sufficientia, sed etiam copia potens in alios
redundare, addit ulterius, ad ostendendum Deum esse divitem, de influxu
bonitatis eius in res, quia propter abundantiam suae bonitatis influit in res
alias et nihil est quod influat super ipsum; omnes autem aliae res, sive sint
intelligibiles sicut intelligentiae et animae, sive sint in corpore, non sunt
divites per seipsas, quasi ex seipsis habentes abundantiam bonitatis, sed
indigent participare bonitatem a primo vere uno quod influit super eas
gratis, absque hoc quod aliquid ei inde accrescat, omnes bonitates et
perfectiones. |
Leçon 21. L’Être premier est riche par lui-même et
il est le plus riche.
Après avoir déterminé
le mode du gouvernement divin, l'auteur manifeste ici la suffisance de Dieu à
gouverner, laquelle se considère sous deux rapports : premièrement selon
l’abondance même de Dieu, deuxièmement selon son ineffable excellence là où
il dit : la cause première est
au-dessus de tout nom etc. Ces deux conditions sont en effet nécessaires
à celui qui gouverne, et premièrement certes celle qui consiste à posséder
une abondance de biens qu’il peut répandre sur ses sujets ; et c’est
pourquoi Denys dit au chapitre douzième des Noms Divins que le pouvoir
absolu consiste dans la possession parfaite de toute beauté et de tout bien
et le gouvernement dans la distribution de toute fin, de toute loi et de tout
ordre. Mais pour manifester
la plénitude de cette abondance, l’auteur présente cette proposition : ce qui est premier à être riche est plus
riche. Et pour en avoir l’évidence on prend la proposition 127 tirée du
livre de Proclus qui se présente en ces termes : Dieu, qui est la source de toute simplicité de la manière la plus
excellente, pour cette raison se suffit à lui-même de la manière la plus
parfaite. Mais l’auteur prouve
que Dieu est le premier à être simple et qu’il l’est dans toute sa perfection
en partant de la notion d’unité : car Dieu est parfaitement un puisqu’il
est la première unité et le premier bien ; mais la simplicité appartient
à la notion d’unité (car on appelle simple ce qui est un mais non en tant que
résultat de la composition d’une multiplicité) ; d’où il résulte que
Dieu, en tant qu’Il est le premier à être un et qu’il l’est parfaitement, est
aussi le premier à être simple et il l’est parfaitement. Et en partant de là
il procède par la suite à la manifestation de la deuxième partie de sa
proposition, à savoir que Dieu se suffit parfaitement à lui-même puisque se
suffire essentiellement à soi-même découle de la simplicité. En effet, tout ce qui
est composé a besoin d’une multiplicité à partir de laquelle sa bonté est
constituée, et non seulement il a besoin des éléments dont il est composé en
tant que parties mais il a aussi besoin d’un autre qui soit capable de causer
et de conserver la composition comme on le voit pour les corps mixtes ;
de nombreux éléments en effet ne peuvent se retrouver dans une unité que par
une cause qui les unit. Donc, puisque Dieu est parfaitement simple et qu’il
l’est au premier titre en tant que possédant tout son bien dans une parfaite
unité, il s’ensuit que Dieu se suffit à lui-même de la façon la plus parfaite
et au premier titre. Mais l’auteur de ce livre omet la première partie de la
proposition qui porte sur la simplicité comme s’il la prenait pour acquise et
il parle seulement de la suffisance par soi qu’il signifie par le nom de
richesse : et au lieu de dire, comme dans la proposition de Proclus, que
Dieu est suffisant par soi, il dit qu’il est le premier à être riche à cause
de lui-même. En tout genre en effet est premier ce qui existe par soi-même ou
à cause de soi-même ; mais ce qui existe par soi-même est antérieur à ce
qui existe par un autre ; mais au lieu de ce qui est dit là par Proclus,
à savoir que Dieu se suffit
parfaitement à lui-même, l’auteur dit ici que Dieu est plus riche, c’est-à-dire que tous les autres êtres. Mais la
preuve de ce propos est la même dans les deux cas. Car il dit premièrement
que l’unité divine n’est pas dispersée en une multitude de parties, mais
qu’elle est une unité pure, ce qui signifie que Dieu est au sommet de la simplicité, c’est-à-dire qu’il est parfaitement
simple. Et à partir de là il prouve par la suite que Dieu se suffit
parfaitement à lui-même par opposition à l’indigence qu’on retrouve dans les
réalités composées dont nous avons déjà parlé. Mais parce que par le nom de
richesse on n’entend pas seulement la suffisance mais une abondance qui peut
déborder sur les autres et pour montrer que Dieu est riche, il ajoute
quelque chose sur l’écoulement de sa bonté sur les choses, car c’est à cause
de l’abondance de sa bonté qu’il répand ses biens sur les autres choses alors
que rien ne se répand sur lui ; mais toutes les autres réalités,
qu’elles soient intelligibles, comme les intelligences et les âmes, ou
corporelles, ne sont par riches par elles-mêmes comme si elles tenaient
d’elles-mêmes l’abondance de leur bonté, mais elles ont besoin de participer
de la bonté par une participation qu’elles tirent de l’Être premier et
véritablement un qui répand gratuitement sur elles tous les biens et toutes
les perfections qu’elles reçoivent sans que Lui-même ne s’y trouve le
moindrement grandi. |
Lectio 22 [84257] Super De
causis, l. 22 Ostensa abundantia divinae bonitatis,
hic ostendit excellentiam ipsius, dicens: causa prima est super omne nomen
quod nominatur. Ad cuius propositionis intellectum considerandum est quod
id quod hic sub uno colligitur, Proclus in suo libro per diversa distinguit,
cuius est CXV propositio talis: omnis Deus supersubstantialis est et
supervitalis et superintellectus. Quod quidem Proclus dupliciter probat,
primo probatione communi quae talis est: Deus est unitas per se perfecta;
unumquodque autem aliorum quae sunt sub Deo, non est ipsa unitas, sed est
aliquid participans unitate; manifestum est igitur quod Deus est ultra
omnia huiusmodi. Secundo probat probatione speciali, quia scilicet
substantiae non est idem esse et substantiam esse et unum esse, sed quaelibet
substantia subsistens participat esse et uno; unde relinquitur quod Deus, qui
est ipsum unum et ens per seipsum, sit supra substantiam et per consequens
supra vitam et intellectum quae praesupponunt substantiam, ut patet etiam in
hoc libro ex 18 propositione supra inducta. Sed quia auctor huius libri
propositionem in communi inducit, contentus est sola probatione communi. In
omnibus enim quae sunt infra causam primam, quaedam inveniuntur perfecte
existentia sive completa, quaedam imperfecta sive diminuta. Perfecta quidem
videntur esse ea quae per se subsistunt in natura, quae a nobis significantur
per nomina concreta ut homo, sapiens et huiusmodi; imperfecta autem sunt illa
quae per se non subsistunt, sicut formae ut humanitas, sapientia et
huiusmodi, quae significantur apud nos nominibus abstractis. Inter quae duo
est haec differentia quod illud quod non est completum, non potest
perficere operationem perfectam; non enim calor calefacit sed calidum,
neque sapientia sapit sed sapiens. Illud autem quod est completum apud
nos, quamvis sit per se subsistens, in hoc sibi quodammodo sufficiens
quod non indiget alio cui innitatur sicut subiecto, tamen quia forma
quae est principium actionis est in ipso limitata et participata, non
potest agere per modum creationis aut influxus sicut agit id quod totum
est forma, quod sui participatione secundum se totum est aliorum productivum.
Cum ergo ita sit apud nos in his quae sunt diminuta et concreta, sequitur
quod Deus neque sit diminutus neque completus simpliciter, sed magis
supercompletus; neque enim caret actione sicut diminuta, et agit per modum
creantis et influentis, quod non possunt ea quae sunt completa apud nos, et
hoc est quod subdit: quia ipse est creans res et influens bonitates super
eas influxione completa. Et hoc ideo est quoniam ipse est bonitas
subsistens cui non est finis, id est non est bonitas terminata ad
aliquam naturam participantem incorpoream, sicut est bonitas intelligentiae,
neque sunt ei dimensiones ad quas terminetur, sicut est de bonitate
corporali. Ex quo ulterius concludit quod, quia causa prima est ipsa bonitas
interminata, sequitur quod ipsa sit prima bonitas et quod repleat omnia
saecula, id est omnes distinctiones rerum et temporum, bonitatibus suis,
licet non omnia recipiant eodem modo et aequaliter bonitatem eius, sed
unumquodque secundum modum suae potentiae, ut supra habitum est in 20
propositione. Tota ergo virtus huius probationis ad hoc redit quod Proclus
breviter tangit, quod scilicet Deus et est ipsa unitas, non unitum aliquid
sicut completa quae sunt apud nos, et tamen est per se perfecta, a quo
deficiunt diminuta, id est formae non subsistentes quae apud nos sunt. Ex quo
hic ulterius concluditur quod causa prima est altior omni nomine quod a nobis
imponitur, quia omne nomen a nobis impositum, vel significat per modum
completi participantis sicut nomina concreta, vel significat per modum
diminuti et partis formalis sicut nomina abstracta. Unde nullum nomen a nobis
impositum est condignum divinae excellentiae. |
Leçon 22. La cause première est au-dessus de tout
nom dont on la nomme car il ne lui appartient d’être ni incomplète, ni même
complète.
Après avoir montré en
quoi consiste l’abondance de la bonté divine, l'auteur en manifeste ici
l'excellence en disant : la cause
première transcende tout nom par lequel on la nomme. Et pour comprendre
cette proposition il faut considérer que se qui se trouve à être colligé ici
en une seule proposition, Proclus le distingue en plusieurs, dont la
proposition 115 que voici : tout
dieu est supra-substance, supra-vie et supra-intelligence. Et cela,
Proclus le prouve de deux manières et premièrement par une preuve commune que
voici : Dieu est une unité qui est
parfaite par elle-même ; mais
chacun des autres êtres qui sont inférieurs à Dieu n’est pas l’unité même
mais plutôt quelque chose qui participe de l’unité ; il est donc
manifeste que Dieu est au-delà de tous
les êtres de cette sorte. Il le prouve en deuxième
lieu par une preuve plus particulière, à savoir que pour la substance, ce
n’est pas la même chose que d’être, être une substance et être une, mais
toute substance subsistance participe de l’être et de l’un ; d’où il
suit que Dieu, qui est l’un lui-même et l’être par soi, est au-dessus de la
substance et par conséquent au-dessus de la vie et de l’intelligence qui
présupposent la substance comme on le voit aussi dans ce livre à la
proposition 18 présentée plus haut. Mais parce que l’auteur de ce livre
présente la proposition en général, il se contente de la seule preuve
commune. En effet, pour tous les êtres qui se retrouvent sous la cause
première, certains possèdent une existence parfaite ou complète, d’autres une
existence imparfaite ou incomplète. Les réalités complètes semblent être
celles qui subsistent par elles-mêmes dans la nature et que nous signifions
par des noms concrets, comme les termes homme,
sage, etc. ; cependant les
réalités qui sont imparfaites sont celles qui ne subsistent pas par
elles-mêmes comme c’est le cas pour les formes d’humanité et de sagesse,
et que nous signifions par des noms abstraits. Et entre ces deux sortes de
réalité il y a cette différence que ce
qui n’est pas complet ne peut réaliser une opération parfaite ; en
effet, ce n’est pas la chaleur qui réchauffe mais seulement ce qui est chaud
et ce n’est pas la sagesse qui discerne mais le sage. Mais ce qui est complet dans notre
environnement naturel, bien qu’il soit subsistant par soi et qu’il se
suffise d’une certaine façon à lui-même en ceci qu’il n’a pas besoin d’un
autre à titre de sujet sur lequel s’appuyer pour exister, cependant parce que la forme qui est
principe d’action en lui est limitée et participée, il ne peut agir par mode de création ou d’influx comme le fait ce
qui est forme dans sa totalité et qui produit selon sa totalité les autres
êtres par sa participation. Donc, puisqu’il en est ainsi autour de nous pour
les choses qui sont complètes et celles qui sont incomplètes, il s’ensuit que
Dieu n’est ni incomplet ni complet absolument, mais il est plutôt
supra-complet ; en effet, il n’est pas impuissant à agir comme ce qui
est incomplet et il agit par mode de création et d’influx, ce dont sont
incapables les réalités complètes qui nous entourent, et c’est ce que notre
auteur ajoute : lui-même crée les
choses et répand sur elles ses biens par un écoulement parfait. Et il en
est ainsi parce que lui-même est la bonté subsistante sur laquelle aucune limite n’a de prise,
c’est-à-dire qu’elle n’est pas une bonté limitée à une nature participante
incorporelle comme c’est le cas pour la bonté de l’intelligence, ni à des
dimensions déterminées comme c’est le cas pour la bonté corporelle. D’où il
conclut par la suite que, puisque la cause première est la bonté infinie
même, il s’ensuit qu’elle est elle-même la première bonté et qu’elle remplit
tous les siècles, c’est-à-dire toutes les distinctions des choses et des
temps, de ses biens quoique toutes les choses ne reçoivent pas sa bonté de la
même manière ni d’une façon égale, mais chacune suivant le mode de sa puissance, ainsi que cela a été établi à la
proposition 20. Donc, toute la puissance de cette preuve revient à ce que
Proclus a considéré brièvement, à savoir que Dieu est l’unité même et non pas
quelque chose qui est uni comme les réalités complètes qui nous entourent, et
cependant cette unité est parfaite en elle-même, ce qui n’est pas le cas pour
les réalités incomplètes, c’est-à-dire les formes non subsistantes qui nous
entourent. Et ici, à partir de là, il conclut par la suite que la cause
première est au-dessus de tout nom dont nous la nommons parce que tout nom
que nous lui imposons signifie soit à la manière d’un participant complet
comme les noms concrets, soit à la manière d’une partie formelle incomplète
comme les noms abstraits. D’où il suit qu’aucun nom imposé par nous n’est à
la hauteur de l’excellence divine. |
Lectio 23 [84258] Super De
causis, l. 23 Postquam tradidit modum divini
regiminis et ostendit sufficientiam Dei ad regendum, hic agit de regimine
secundae causae, scilicet intelligentiae, quod quidem regimen fit ex virtute
causae primae. Et ponit hanc propositionem: omnis intelligentia divina
scit res per hoc quod ipsa est intelligentia, et regit eas per hoc quod est
divina. Et similis propositio invenitur in libro Procli CXXXIV, sub his
verbis: omnis divinus intellectus intelligit quidem ut intellectus,
providet autem ut Deus. Ad cuius evidentiam considerandum est quod supra,
19 propositione, dictum est: ex intelligentiis quaedam est divina et quaedam
non divina. Supremi quidem intellectus vel intelligentiae divini vocantur
propter abundantem participationem divinae bonitatis ex propinquitate ad
Deum. Quod autem abundanter participat proprietatem alicuius rei, assimilatur
ei non solum in forma sed etiam in actione; sicut patet quod, eorum quae
illuminantur a sole, quaedam participant lumen solis solum quantum ad hoc
quod videantur, quaedam vero quantum ad hoc quod alia illuminent quod est
propria actio solis, sicut patet de luna. Quia vero forma est principium
actionis, necesse est quod omne illud quod ex abundanti participatione
influxus superioris agentis acquirit actionem eius, habeat duas actiones,
unam scilicet secundum propriam formam, aliam vero secundum formam
participatam a superiori agente, sicut cultellus ignitus secundum propriam
formam incidit, in quantum vero est ignitus urit. Sic igitur et supremarum
intelligentiarum unaquaeque quae divina dicitur habet duplicem actionem, unam
quidem in quantum participat abundanter bonitatem divinam, aliam autem
secundum propriam naturam. Est autem proprium intelligentiae in quantum
huiusmodi cognoscere res, et ideo intelligentia divina in quantum est
intelligentia est rerum cognoscitiva. Proprium autem est Dei, qui est ipsa
essentia bonitatis, ut se aliis communicet; videmus quod unumquodque, in
quantum est perfectum et actu ens, similitudinem suam aliis tradit. Unde id
quod est essentialiter actus et bonitas, scilicet Deus, essentialiter et
primordialiter communicat suam bonitatem rebus, et hoc pertinet ad regimen
ipsius; nam regentis proprium est perducere ea quae reguntur ad debitum
finem, quod est bonum. Sic igitur intelligentia divina, in quantum participat
abundanter bonitatem divinam, ipsa fit regitiva rerum. Manifestum est autem
quod unumquodque quod agit secundum propriam et naturalem formam aliquam
actionem, vehementius et perfectius agit illam actionem quam illud quod agit
eam per participationem virtutis superioris agentis, sicut ignis vehementius
calefacit quam corpus ignitum et sol magis illuminat quam luna. Oportet
igitur regimen Dei, quod est actio eius secundum suam essentialem bonitatem,
esse altius et efficacius quam regimen intelligentiae, quod convenit ei
secundum participationem bonitatis divinae. Et inde est quod regimen causae
primae, quod est secundum essentiam bonitatis, se extendit ad omnes res,
cuius signum est quod omnia desiderant bonum vel appetitu intellectuali vel
animali vel naturali. Regimen autem intelligentiae, quod est ei proprium, non
se extendit ad omnia; non enim diffundit bonitatem intellectualem in omnia,
sed solum in illa quae sunt nata intelligere. Unde nec omnia intellectuale bonum appetunt, sed
solum bonum absolute. |
Leçon 23. Toute intelligence divine connaît les
choses en tant qu'elle est intelligence, et les gouverne en tant qu'elle est
divine.
Après avoir traité de
la modalité du gouvernement divin et manifesté la suffisance de Dieu à
gouverner, l’auteur traite ici du gouvernement de la cause seconde, à savoir
de celui de l’intelligence, lequel se tire certes de la puissance de la cause
première. Et pour le montrer il présente cette proposition : toute intelligence divine connaît les
choses du fait qu'elle est intelligence, et les gouverne du fait qu'elle est
divine. Et on retrouve le même énoncé à la proposition 134 du
livre de Proclus : tout intellect
divin intellige certes en tant qu’il est un intellect, mais pourvoit au bien
des autres en tant qu’il est divin. Pour en avoir
l’évidence, il faut considérer ce qui a été dit plus haut à la proposition
19 : parmi les intelligences certaines sont divines et certaines ne le
sont pas. Les intellects suprêmes sont appelés intelligences divines parce
qu’ils participent abondamment de la bonté divine en raison de leur proximité
de Dieu. Mais ce qui participe abondamment de la propriété d’une chose lui
est assimilé non seulement quant à la forme mais aussi quant à
l’action : on voit par exemple que parmi les choses qui sont éclairées
par le Soleil, certaines participent de la lumière du Soleil seulement quant
à ceci qu’elles peuvent être vues alors que d’autres illuminent à leur tour,
comme c’est le cas pour la Lune, ce qui est le propre de l’action du soleil.
Mais parce que la forme est le principe de l’action, il est nécessaire que
possède deux actions tout ce qui acquiert son action à partir d’une
participation abondante de l’influx d’un agent supérieur, à savoir une qui
est conforme à la forme qui lui est propre et l’autre qui est conforme à la
forme participée qui procède de l’agent supérieur, comme le couteau brûlant
qui coupe conformément à la forme qui lui est propre et qui brûle parce qu’il
est incandescent. Ainsi donc, de même aussi chacune des intelligences
suprêmes qu’on appelle divine possède deux actions : une en tant qu’elle
participe abondamment de la bonté divine et l’autre par ailleurs qui découle
de sa nature propre. Il est cependant propre à l’intelligence en tant que
telle de connaître les choses et c’est pourquoi l’intelligence divine, en
tant qu’intelligence, connaît les choses. Mais c’est le propre de Dieu, qui
est l’essence même de la bonté, de se communiquer aux autres ; nous
voyons que chaque chose, en tant qu’elle est parfaite et qu’elle est en acte,
transmet aux autres sa ressemblance. D’où il résulte que ce qui est
essentiellement en acte, à savoir Dieu, communique essentiellement et à titre
de principe sa bonté aux choses et cela appartient à son gouvernement ;
car le propre de celui qui gouverne est de conduire ceux qu’il gouverne à la
fin qui leur est due et qui est le bien. Ainsi donc l’intelligence divine, en
tant qu’elle participe abondamment de la bonté divine, participe elle-même au
gouvernement des choses. Il est cependant manifeste que chaque être qui
produit une action conformément à la forme naturelle qui lui est propre
produit plus fortement et plus parfaitement cette action que celui qui la
produit grâce à une participation de la puissance qui procède d’un agent
supérieur, comme le feu qui réchauffe plus puissamment que ne le fait le
corps allumé et le Soleil éclaire davantage que ne le fait la Lune. Il faut
donc que le gouvernement de Dieu, qui est son action selon sa bonté
essentielle, soit plus élevée et plus efficace que le gouvernement de
l’intelligence, lequel lui convient par participation de la bonté divine. Et
il résulte de là que le gouvernement de la cause première, qui procède de
l’essence même de la bonté, s’applique à toutes les réalités ; le signe
en est que toutes les choses désirent le bien, que ce soit par un appétit
intellectuel, un appétit animal ou un appétit naturel. D’un autre côté, le
gouverment qui est propre à l’intelligence ne s’étend pas à tous les
êtres ; en effet l’intelligence ne répand pas la bonté intellectuelle
sur tous les êtres mais seulement sur ceux qui sont aptes par nature à
intelliger. C’est pourquoi tous ne désirent pas le bien intellectuel, mais
seulement le bien pris absolument. |
Lectio 24 [84259] Super De
causis, l. 24 Postquam ostendit modum divini
regiminis et sufficientiam ipsius ad regendum, hic incipit ostendere quomodo
divinum regimen diversimode participatur a diversis. Et primo manifestat hoc
in generali, secundo prosequitur in speciali de diversitate rerum quae
subsunt divino regimini, 25 propositione, ibi: substantiae unitae et cetera.
Circa primum ponit talem propositionem: causa prima existit in rebus
omnibus secundum dispositionem unam, sed res omnes non existunt in causa
prima secundum dispositionem unam. Ad cuius evidentiam considerandum est
quod aliquid dicitur esse in alio multipliciter: uno quidem modo realiter,
alio modo secundum habitudinem actionis et passionis. Secundum igitur primum
modum dicendum est quod omnia sunt in causa prima uno modo, quia scilicet
illud secundum quod omnia sunt in causa prima, est una et eadem res, scilicet
virtus divina; sunt enim effectus virtute in sua causa. Causa autem prima
secundum hunc modum est in rebus diversimode, quia scilicet causa prima in
rebus causatis est secundum quod eis similitudinem suam imprimit; diversae
autem res diversimode similitudinem causae primae recipiunt. Sed modo secundo
est e converso. Nam causa prima secundum unum modum agit in omnia et
ideo dicitur esse in rebus omnibus secundum dispositionem unam; non
autem omnes res recipiunt eodem modo actionem causae primae et ideo dicitur
quod res omnes non existunt in causa prima secundum dispositionem unam.
Ad cuius propositionis manifestationem tria subsequuntur: nam primo
manifestatur propositio, secundo probatur, ibi: et diversitas quidem etc.,
tertio infertur quoddam corollarium, ibi: ergo secundum modum et cetera.
Dicit ergo primo quod ideo dicuntur res omnes non esse in causa prima
secundum dispositionem unam quia, etsi causa prima existat in rebus
omnibus, in quantum scilicet attingit res omnes per effectum suae
actionis, tamen unaquaeque res recipit actionem eius secundum modum
suae virtutis. Et exemplificat hoc secundum tres diversitates primas
inventas in rebus, quarum prima est secundum diversitatem unitatis et
multitudinis, quae quidem diversitas pertinet ad ipsas substantias; nam ea
quorum substantia est simplex, recipiunt causae primae actionem unite,
illa vero quorum substantia est composita, recipiunt eam multipliciter,
scilicet secundum modum suae substantiae. Secunda diversitas sumitur ex parte
durationis rerum in suo esse. Quaedam enim recipiunt actionem causae
primae receptione aeterna, illa scilicet quorum esse non subditur
motui; unde eorum duratio in suo esse non variatur secundum prius et
posterius. Quaedam vero recipiunt actionem causae primae receptione
temporali, illa scilicet quorum esse subditur motui, et per consequens
eorum duratio continuatur secundum successionem prioris et posterioris.
Tertiam diversitatem ponit ex parte speciei seu formae ipsius rei secundum
quod quaedam sunt incorporea secundum suam speciem et ista recipiunt
influentiam causae primae spiritualiter, quaedam vero sunt secundum
suam speciem corporea et huiusmodi recipiunt influentiam causae primae
receptione corporali. Hoc autem totum quod praemissum est, continet
propositio quae ponitur in libro Procli CXLII, quae talis est: omnibus
quidem dii assunt eodem modo, non autem omnia eodem modo diis assunt, sed
singula secundum ipsorum ordinem et potentiam transumunt illorum praesentiam,
haec quidem uniformiter, haec autem multiplicatim, et haec quidem perpetuo,
haec autem secundum tempus, et haec quidem incorporee, haec autem
corporaliter. Deinde cum dicit: et diversitas quidem etc., probat quod
praemissum est hoc modo. Diversitas enim receptionis ex duobus potest
contingere: quandoque quidem ex agente sive influente, quandoque autem ex
recipiente. Quia enim diversitas causae causat diversitatem in effectibus,
necesse est ut, si agens sit diversum et recipiens unum (quod) diversitas
receptionis causetur ex agente non ex recipiente, sicut aqua quae ex frigido
congelatur et ex calido dissolvitur. Si autem e converso agens fuerit unum et
recipiens diversum, erit diversitas receptionis ex parte recipientis non ex
parte agentis, sicut patet de sole qui indurat lutum et dissolvit ceram.
Manifestum est autem quod causa prima est una, nullam diversitatem habens,
sed ea quae recipiunt influentiam causae primae sunt diversa; diversitas ergo
receptionis non est ex causa prima quae est bonitas pura influens bonitatem
rebus omnibus, sed est propter diversitatem recipientium. Sic igitur patet
quod causa prima invenitur in omnibus per modum unum, sed non e
converso. Est autem attendendum quod duplex est actio causae primae: una
quidem secundum quam instituit res, quae dicitur creatio, alia vero secundum
quam res iam institutas regit. In prima igitur actione non habet locum quod
hic dicitur, quia, si oportet omnem diversitatem effectuum reducere in
diversitatem recipientium, oportebit dicere quod sint aliqua recipientia quae
non sint a causa prima, quod est contra id quod dictum est supra, 18
propositione: res omnes habent essentiam per causam primam. Unde
oportet dicere quod prima diversitas rerum secundum quam habent diversas
naturas et virtutes, non sit ex aliqua diversitate recipientium sed ex causa
prima, non quia in ea sit aliqua diversitas sed quia est diversitatem
cognoscens, est enim agens secundum suam scientiam; et ideo diversos rerum
gradus producit ad complementum universi. Sed in actione regiminis de quo
nunc agitur, diversitas receptionis est secundum diversitatem recipientium.
Deinde cum dicit: ergo secundum modum etc., infert quoddam corollarium ex
praedictis. Si enim diversitas receptionis influxus causae primae provenit in
rebus secundum diversam virtutem recipientium, cum illa quae sunt
propinquiora causae primae sint maioris virtutis, sequitur quod perfectius
recipiant causam primam et eius influxum. Et quia omnis substantia cognoscens
quanto perfectius habet esse tanto perfectius cognoscit causam primam et
influxum bonitatis eius, et quanto hoc magis recipit et cognoscit tanto magis
in eo delectatur, consequens est quod quanto aliquid est propinquius causae
primae tanto magis delectetur in ea. |
Leçon 24. La cause première existe en toutes choses
selon une seule et même disposition, mais toutes les choses n'existent pas
dans la cause première selon une seule et même disposition.
Après avoir montré le
mode du gouvernement divin et sa suffisance à gouverner, l'auteur commence ici à montrer
comment les différents êtres participent différemment de ce gouvernement. Et premièrement il manifeste
cela en général; deuxièmement, à la proposition 25, il le fait plus
précisément en considérant la diversité des choses qui sont soumises au
gouvernement divin, où il dit : les
substances intelligibles unifiées etc. Au sujet du premier point il
présente cette proposition : la
cause première existe en toutes les choses selon une seule et même
disposition, mais toutes les choses n'existent pas dans la cause première
selon une seule et même disposition. Pour en avoir l’évidence, il faut considérer que
c’est d’après plusieurs significations qu’on peut dire d’une chose qu’elle
est dans une autre : soit réellement, soit selon le mode de l’action et
de la passion. Selon le premier mode il faut donc dire que tous les êtres
sont dans la cause première d’une seule manière, à savoir parce que ce par
quoi tous les êtres sont dans la cause première est une seule et même
réalité, à savoir la puissance divine ; les effets existent en effet en
puissance dans leur cause. La cause première cependant, toujours selon ce
même mode, le mode réel, est dans les choses de différentes façons,
c’est-à-dire parce que la cause première est dans les choses causées selon
qu’elle leur imprime sa ressemblance ; mais les différentes choses
reçoivent différemment la ressemblance de la cause première. Mais si on examine
maintenant la deuxième modalité pour une chose d’être dans une autre, à
savoir celui du rapport de l’action et de la passion, c’est l’inverse qui se
produit. Car la cause première agit
dans tous les êtres d’une seule manière et c’est pourquoi on dit qu’elle est dans tous les êtres selon une seule
disposition. Mais toutes les choses ne reçoivent pas de la même manière
l'action de la cause première, c'est pourquoi on dit que toutes les choses n'existent pas dans la cause première selon une
seule et unique disposition. Et pour manifester
cette proposition l’auteur fait suivre trois considérations : en premier
lieu il manifeste cette proposition ; en deuxième lieu il la prouve là
où il dit : et la diversité de la
réception etc. ; troisièmement il en tire un corollaire là où il
dit : c’est donc le degré de
proximité etc. Il dit donc en premier
lieu qu’on dit que toutes les choses ne
sont pas dans la cause première selon une seule et unique disposition
parce que, bien que la cause première
existe dans toutes les choses, c’est-à-dire dans la mesure où elle
atteint toutes les choses par l’effet de son action, cependant chaque chose ne reçoit son action que selon le mode de la puissance qui lui est propre. Et il illustre
cela d’après les trois premières diversités qu’on découvre dans les choses,
dont la première est la diversité selon l’unité et la multiplicité, diversité
qui appartient certes aux substances elles-mêmes ; car les choses dont
la substance est simple reçoivent
l’action de la cause première d’une
seule manière alors que celles dont la substance est composée la reçoivent de plusieurs manières,
c’est-à-dire conformément au mode de leur substance. La deuxième diversité se
tire du côté de la durée des choses dans leur existence. Certaines réalités
en effet, à savoir celles dont l’existence n’est pas soumise au mouvement, reçoivent l’action de la cause
première par une réception éternelle,
d’où leur durée dans l’existence ne change pas suivant l’avant et l’après.
Mais d’autres réalités, à savoir celles dont l’existence est soumise au
mouvement, reçoivent l’action de la
cause première par une réception
temporelle, et par conséquent leur durée se continue selon la succession
de l’avant et de l’après. Il présente la troisième diversité du côté de
l’espèce ou de la forme de la chose selon que certaines choses sont
incorporelles quant à leur espèce et celles-là reçoivent l’influence de la cause première selon un mode qui est spirituel, alors que d’autres sont corporelles
quant à leur espèce et c’est pourquoi ces dernières reçoivent l’influence de la cause première par une réception corporelle. Cependant, tout ce qui est avancé
ici est contenu en ces termes dans la proposition 142 du livre de
Proclus : les dieux sont certes
présents à toutes les choses de la même manière mais tous les êtres ne sont
pas également présents aux dieux, mais chacun d’eux, conformément à son rang
et à sa puissance, reçoit leur présence, certains selon un mode unique et
d’autres de plusieurs manières, les
premiers dans l’éternité et les seconds dans le temps, les uns d’une manière
incorporelle et les autres d’une manière corporelle. Ensuite, lorsqu’il
dit : et la diversité certes
etc., il prouve ce qu’il vient d’avancer de la manière qui suit. La diversité
de la réception peut en effet procéder de deux choses : elle procède
parfois certes de l’agent ou de celui qui influe mais parfois aussi de celui
qui reçoit. En effet, parce que la diversité de la cause entraîne une
diversité dans les effets, il est nécessaire que, si l’agent diffère et que
celui qui reçoit reste le même, la diversité de la réception vienne de
l’agent et non de celui qui reçoit, tout comme la même eau peut geler par le
froid et se dissoudre par la chaleur. Mais si au contraire l’agent reste le
même et que celui qui reçoit diffère, cela entraînera une diversité de
réception en raison de celui qui reçoit et non en raison de l’agent, comme on
le voit pour le Soleil qui durcit la boue et amollit la cire. Il est
cependant manifeste que la cause première reste toujours la même et ne
présente aucune diversité mais que les êtres qui reçoivent l’influence de la
cause première sont différents ; donc dans ce cas la diversité de la
réception ne peut provenir de la cause première, laquelle est la bonté pure
qui répand sa bonté sur toutes les choses, mais de la diversité de ceux qui
la reçoivent. Ainsi donc il est clair que la
cause première se retrouve dans tous les êtres selon un seul et même mode
mais non inversement. Il faut cependant remarquer que l’action de la cause
première est double : il y en a certes une par laquelle il établit les
choses dans l’existence et qu’on appelle création, mais il y en a une autre
selon laquelle il gouverne les choses qu’il a créées. Par conséquent ce qui
est dit ici ne se rapporte pas à la première action divine car s’il fallait
ramener toute diversité des effets à la diversité de ceux qui reçoivent, il
faudrait dire que certains de ceux qui reçoivent ne procèdent pas de la cause
première, ce qui est contraire à ce qui a été dit plus haut à la proposition
18, à savoir : toutes les choses
tiennent leur essence de la cause première. D’où il faut dire que la
première diversité des choses, à savoir celle selon laquelle elles possèdent
différentes natures et différentes puissances, ne procède pas de la diversité
de ceux qui reçoivent mais de la cause première ; et il en est ainsi non
pas parce qu’il y a en cette dernière quelque diversité, mais parce qu’elle
connaît la diversité et que c’est par sa science qu’elle agit ; et c’est
pourquoi elle produit différents degrés d’êtres pour la perfection de
l’univers. Mais pour ce qui est de l’action de gouverner dont il s’agit ici,
la diversité de réception se tire de la diversité de ceux qui reçoivent. Ensuite lorsqu’il
dit : selon le deuxième mode
d’action etc., il tire un corollaire de ce qui précède. Si en effet la
diversité de réception de l’influx de la cause première se produit dans les
choses d’après une différence de puissance qui se tient du côté de ceux qui reçoivent,
puisque ceux qui sont plus près de la cause première sont d’une puissance
plus grande, il s’ensuit qu’ils reçoivent plus parfaitement la cause première
et son influx. Et parce que toute substance connaissante connaît d’autant
plus parfaitement la cause première et l’influx de sa bonté que son existence
est plus parfaite, et qu’elle se délecte d’autant plus en lui qu’elle le
reçoit et le connaît davantage, il s’ensuit qu’un être se délecte d’autant
plus en elle qu’il est plus proche de
la cause première. |
Lectio 25 [84260] Super De
causis, l. 25 Supra dictum est quod creaturae
recipiunt diversimode regimen causae primae secundum triplicem diversitatem,
scilicet unitatis et multitudinis, quod pertinet ad simplicitatem et
compositionem, aeternitatis et temporis, et spiritualis et corporei (corporeo
autem accidit corruptio et spirituali incorruptio): unde hic incipit prosequi
de praedictis diversitatibus rerum, et primo de diversitate corruptibilis et
incorruptibilis, secundo de diversitate simplicis et compositi, 28
propositione, ibi: omnis substantia stans per essentiam suam est simplex
etc., tertio de diversitate aeternitatis et temporis, 30 propositione, ibi:
omnis substantia creata in tempore. Circa primum duo facit: primo ostendit
substantias quasdam esse ingenerabiles, secundo agit de incorruptione earum,
26 propositione, ibi: omnis substantia stans per seipsam est non cadens et
cetera. Circa primum ponit duas propositiones quarum prima talis est: substantiae
unitae intelligibiles non sunt generatae ex re alia. Vocat autem substantias
unitas substantias simplices, eo quod omne compositum quamdam
multitudinem in se continet; intelligibiles autem substantias
vocat quae sunt aptae natae intelligere, quae etiam, cum sint immateriales,
sunt intelligibiles actu. Quod autem dicit: non sunt generatae ex re alia,
potest intelligi, vel sicut ex materia secundum quod haec praepositio ex
importat habitudinem causae materialis, vel sicut ex causa agente secundum
quod praedicta praepositio importat habitudinem causae efficientis; et hic
intellectus magis videtur consonare his quae in probatione commenti ponuntur.
Secunda propositio est talis: omnis substantia stans per essentiam suam
est non generata ex re alia. Dicitur autem substantia stans per essentiam suam quae est per
seipsam subsistens, sed, cum per seipsum subsistere sit proprium substantiae,
sequetur secundum hoc quod nulla substantia sit generata. Est ergo dicendum quod substantia et essentia rei principaliter
est forma quam principaliter significat definitio. Quaecumque igitur habent formam in materia fundatam,
huiusmodi substantiae non sunt stantes per essentiam suam; immo eorum
essentiae, id est formae, innituntur fundamento materiae. Illae ergo
substantiae sunt stantes per essentiam suam, quae sunt formae tantum, non in
materia, et huiusmodi impossibile est quod sint generatae. Est autem considerandum quod prima propositio concluditur ex hac
secunda. Supra enim probatum est quod omnes substantiae intelligentes sunt
stantes per essentiam suam, quod habitum est in propositione 15: omnis sciens
scit et cetera. Si igitur omnis substantia stans per essentiam suam est
non generata, sequitur quod omnis substantia intellectualis sit non
generata. Duarum autem propositarum propositionum prima in libro Procli non
invenitur, sed solum secunda quae est XLV sui libri, talis: omne
authypostaton, id est per se subsistens, ingenerabile est. Et haec
sola propositio probatur consequenter eodem modo hic sicut et in libro
Procli. Manifestum est enim quod omne generatum est de se imperfectum, quia
est ens in potentia, et ideo indiget quod compleatur sive
perficiatur per illud ex quo generatur, id est per generans quod
reducit ipsum de potentia in actum. Et huius signum est quod generatio nihil
est aliud quam via quaedam de incompleto ad completum oppositum scilicet ad
incompletum praeexistens: termini enim generationis sunt privatio et forma,
materia autem secundum quod existit sub privatione habet rationem imperfecti,
secundum autem quod existit sub forma habet rationem perfecti, et sic patet
quod generatio est via sive transmutatio de imperfecto ad perfectum
oppositum. Si igitur est aliquid quod non indigeat aliquo alio
ad sui formationem sed ipsum est causa suae formationis, quia
scilicet est substantia eius forma, sequitur quod talis res sit semper
completa sive perfecta. Et sic in ea non potest esse transitus de imperfecto
ad perfectum, sed statim per seipsam est ens et unum, ut dicitur in VIII
metaphysicae: relinquitur ergo quod omnis substantia quae est forma
subsistens est non generabilis. Sed, ne ex hoc male intelligeret aliquis quod
huiusmodi substantiae non haberent causam sui esse, cum supra dictum sit quod
res omnes habent essentiam per ens primum, manifestat consequenter
quomodo sit intelligendum quod dictum est. Quod enim dictum est quod sit causa
suae formationis et complementi, non est sic intelligendum quasi non
dependeat ex alia causa superiori, sed dicitur esse causa suae formationis
per hoc quod habet sempiternam relationem ad causam suam primam: unde
per comparationem ad suam causam habet simul, id est statim, formationem
et complementum. Ad cuius evidentiam considerandum est quod unumquodque
participat esse secundum habitudinem quam habet ad primum essendi principium.
Res autem composita ex materia et forma non habet esse nisi per consecutionem
suae formae: unde per suam formam habet habitudinem ad primum essendi
principium; sed quia materia tempore praeexistit formae in hac re generata,
consequens est quod non semper habeat praedictam habitudinem ad principium
essendi neque simul, cum fuerit materia, sed postmodum superveniente forma.
Si ergo aliqua substantia sit ipsa forma, sequitur quod semper habeat
habitudinem praedictam ad causam primam nec adveniat ei post tempus, sed sit
simul concomitans cum sua substantia quae est forma. Sic ergo manifestum
est quod omnis substantia stans per essentiam suam non generatur ex aliquo. |
Leçon 25. Les substances intelligibles unifiées ne
sont pas engendrées à partir d'autre chose, et toute substance se tenant par
son essence n'est pas engendrée à partir de quelque chose d'autre.
On a dit plus haut que
les créatures reçoivent différemment le gouvernement de la cause première
selon une triple diversité, à savoir celle de l'unité et de la multiplicité
qui se ramène à la simplicité et à la composition ; celle de l’éternité
et du temps, et celle enfin du spirituel et du corporel (la corruption
s’attribuant au corporel et l’incorruptibilité au spirituel) : c’est
pourquoi il commence ici à examiner plus précisément les diversités des choses
dont il a parlé, et en premier lieu la diversité du corruptible et de
l’incorruptible, deuxièmement celle du simple et du composé à la proposition
28 où il dit : toute substance se
tenant par sa seule essence est simple etc., et enfin celle de l’éternité
et du temps à la proposition 30 où il dit : toute substance créée dans le temps etc. Au sujet du premier
point il fait deux choses : premièrement il montre que certaines
substances ne peuvent être engendrées et en deuxième lieu il traite de leur
incorruptibilité à la proposition 26 où il dit : toute substance qui se tient par elle-même ne peut déchoir etc. Au sujet du
premier point il présente deux propositions dont voici la
première : les substances
intelligibles unifiées ne sont pas engendrées à partir d’autre chose. Il
appelle substances unifiées les
substances qui sont simples du fait que tout composé contient en lui une
certaine multiplicité ; et il appelle substances intelligibles celles qui sont aptes à intelliger et
qui aussi, puisqu’elles sont immatérielles, sont intelligibles en acte. Et ce
qu’il ajoute, à savoir qu’elles ne sont
pas engendrées à partir d’autre chose, cela peut s’entendre soit comme à
partir d’une matière selon que la préposition ¨ex¨ implique un rapport de cause matérielle, soit comme à partir
d’une cause agente selon que la préposition précédente implique un rapport de
cause efficiente ; et cette dernière interprétation est davantage en
accord avec ce qui a été posé dans la preuve du commentaire. Voici maintenant la
deuxième proposition : toute
substance qui se tient par son essence n’est pas engendrée à partir d’autre
chose. Il appelle substance se tenant par son essence celle qui est
subsistante par elle-même ; mais, puisque subsister par soi-même est le
propre de la substance, il s’ensuivrait selon cet énoncé qu’aucune substance
ne serait engendrée. Il faut donc dire que la substance et l’essence de la
chose est surtout la forme que signifie principalement la définition. Donc,
tous les êtres qui possèdent une forme qui se fonde dans une matière sont des
substances telles qu’elles ne se tiennent pas par leur essence ; au
contraire leur essence, c’est-à-dire leur forme, s’appuie sur la base de la
matière. Mais ces substances qui se tiennent par leur essence sont celles qui
sont des formes seulement, lesquelles n’existent pas dans une matière, et il
leur est impossible d’être engendrées. Il faut cependant considérer que la
première proposition est conclue à partir de cette deuxième. Plus haut en
effet on prouve que toutes les substances intelligibles se tiennent par leur
essence, ce qui est établi à la proposition 15 : tout connaissant sait etc. Alors, si toute substance qui se tient par son essence est non-engendrée,
il s’ensuit que toute substance
intellectuelle est non-engendrée. Cependant parmi les deux propositions
qui sont présentées, la première ne se retrouve pas dans le livre de Proclus,
mais seulement la deuxième qui est la quarante-cinquième de son livre que
voici : tout ¨authypostaton¨, c’est-à-dire tout ce
qui subsiste par soi, est inengendrable.
Et c’est cette seule proposition qui est prouvée ici par la suite de la même
manière que dans le livre de Proclus. Il est manifeste en effet que tout ce
qui est engendré est de soi imparfait car il est de l’être en puissance et c’est
pourquoi il a besoin d’être complété
ou achevé par celui à partir duquel il est
engendré, c’est-à-dire par celui qui engendre et qui le fait passer de la
puissance à l’acte. Et le signe en est que la génération n’est rien d’autre
qu’un certain chemin qui va de l’incomplet au complet qui est opposé à l’incomplet
qui préexiste : en effet, les termes de la génération sont la privation
et la forme mais la matière, selon qu’elle existe sous la privation, a raison
d’imperfection, alors qu’elle a raison de perfection selon qu’elle existe
sous la forme ; et ainsi il est clair que la génération est comme un chemin ou un passage de l’imparfait au parfait qui lui est
opposé. Si donc il existe quelque
chose qui n’a pas besoin d’un autre
pour sa formation mais qu’il est lui-même cause de sa formation, c’est-à-dire parce que sa substance est sa
forme, il s’ensuit qu’une telle réalité est toujours complète ou parfaite. Et ainsi il ne peut y avoir en
elle passage de l’imparfait au parfait mais elle est ce qui existe et est un par soi-même en permanence comme
le Philosophe le dit au huitième livre de la Métaphysique : il reste donc que toute substance qui est une
forme subsistante se trouve dans l’impossibilité d’être engendrée. Mais afin que
quelqu’un n’entende pas à tort par là qu’une telle substance n’a pas de cause
de son existence, puisqu’il a été dit plus haut que toutes les choses tiennent leur essence de l’Être premier, il
manifeste par la suite de quelle manière il faut entendre ce qui a été dit.
Ce qui a été dit en effet, à savoir s’il
existe quelque chose qui soit cause de sa formation et de sa perfection,
cela ne doit pas s’entendre au sens où elle ne dépendrait pas d’une autre
cause supérieure, mais on dit qu’elle est cause de sa formation dans le sens
où elle possède une relation éternelle
à sa cause première : d’où il suit que par rapport à sa cause elle
possède simultanément, c’est-à-dire
immédiatement, sa formation et sa
perfection. Et pour en avoir
l’évidence il faut considérer que chaque chose participe de l’existence selon
la relation qu’elle entretient avec le premier principe de l’existence. Mais
une réalité composée de matière et de forme ne possède l’existence que
conséquemment à sa forrme : par conséquent, c’est par sa forme qu’elle
possède une relation avec le premier principe de l’existence ; mais
parce que dans l’ordre du temps la matière préexiste à la forme pour telle
chose individuelle, il s’ensuit qu’elle ne possède pas toujours la relation
dont nous venons de parler à l’égard du premier principe de l’existence, ni
simultanément, alors qu’elle était matière, mais seulement lorsque la forme
lui survient. Si donc une substance est sa propre forme, il s’ensuit qu’elle
possède toujours la dite relation à l’égard de la cause première et qu’elle ne
lui advient pas après un certain temps mais qu’elle accompagne simultanément
ou en permanence sa substance qui est forme. Ainsi donc il est manifeste que toute substance qui se tient par son
essence est dans l’impossibilité d’être engendrée à partir de quelque chose
d’autre. |
Lectio 26 [84261] Super De
causis, l. 26 Supra actum est de ingenerabili, hic
agitur de corruptibili et incorruptibili; et primo de incorruptibili, secundo
de corruptibili 27 propositione: omnis substantia destructibilis et cetera.
Circa primum ponitur talis propositio: omnis substantia stans per seipsam
est non cadens sub corruptione. Quae quidem ponitur in libro Procli XLVI,
sub his verbis: omne authypostaton incorruptibile est. Ad cuius
propositionis evidentiam considerandum est quod, cum praepositio per denotet
causam, illud dicitur per se stare sive subsistere quod non habet aliam
causam essendi nisi seipsum. Est autem duplex causa essendi, scilicet forma
per quam aliquid actu est et agens quod facit actu esse. Si ergo dicatur stans
per seipsum quod non dependet a superiori agente, sic stare per seipsum
convenit soli Deo qui est prima causa agens a qua omnes secundae causae
dependent, ut ex superioribus patet. Si autem dicatur per se stans illud quod
non formatur per aliquid aliud sed ipsummet est forma, sic esse stans per
seipsum convenit omnibus substantiis immaterialibus. Substantia enim
composita ex materia et forma non est stans per seipsam nisi ratione partium,
quia scilicet materia est actu per formam et forma sustentatur in materia,
sicut etiam dicitur aliquid movens seipsum ratione partium, quia una pars
eius est movens et alia pars eius est mota. Sic igitur patet quod stare per
seipsum non potest convenire nisi substantiae quae est forma sine materia;
huiusmodi autem substantia ex necessitate est incorruptibilis. Manifestum est
enim in rebus corruptibilibus quod corruptio accidit per hoc quod aliquid
separatur a sua causa formali per quam aliquid habet esse in actu; sicut enim
generatio quae est via ad esse, est per acquisitionem formae, ita corruptio
quae est via ad non esse, est per amissionem formae; si igitur substantia
stans per essentiam suam corrumperetur, oporteret quod separaretur a sua
causa formali, sed sua forma est eius essentia, ergo separaretur a sua essentia,
quod est impossibile. Non ergo est possibile quod substantia stans per
seipsam corrumpatur. Sed ne aliquis credat quod huiusmodi substantiae stantes
per essentiam suam non dependeant ab aliqua superiori causa agente, excludit
hoc consequenter, ibi: et non fit causa suiipsius et cetera. Et dicit quod
hoc non sic intelligendum est quod huiusmodi substantia sit causa suiipsius
quasi non dependeat ab aliqua superiori causa agente; sed hoc dicitur quia
huiusmodi substantia per seipsam habet relationem ad causam primam in
quantum scilicet est causa suae formationis. Videmus enim quod res materiales referuntur ad
causam primam ut accipiant esse ab ea per suam formam; et ideo substantia
cuius tota essentia est forma, habet per seipsam relationem semper ad
causam suam et non causatur ista relatio in huiusmodi substantiam per
aliquam aliam formam. Et inde est quod dicitur
esse causa suiipsius per modum praedictum. Et inde est quod non potest
corrumpi, sicut ostensum est. Patet igitur quod omnis substantia stans per seipsam
est incorruptibilis. |
Leçon 26. Aucune substance se tenant par elle-même
n’est soumise à la corruption.
Après avoir traité de l’inengendrable,
l'auteur traite ici du corruptible et de l’incorruptible. Et en premier
lieu il traite de l’incorruptible, puis du corruptible à la proposition 27 où
il dit : toute substance
destructible etc. Au sujet du premier point il présente cette
proposition : aucune substance se
tenant par elle-même n’est soumise à la corruption. Ce même énoncé est
présenté dans le livre de Proclus à la proposition 46 en ces termes : tout ¨authypostaton¨ est incorruptible.
Pour avoir l’évidence de cette proposition
il faut considérer, puisque la préposition ¨par¨ signifie une cause, que ce
qui est dit se tenir ou subsister par soi-même est ce qui ne possède pas
d’autre cause de son existence que soi-même. Mais il y a deux sortes de cause
qui expliquent l’existence, à savoir la forme par laquelle quelque chose
existe en acte et l’agent qui fait exister en acte. Si donc ce qui se tient
par soi-même ne se dit que de celui-là même qui ne dépend pas d’un agent
supérieur, alors se tenir par soi-même ne peut s’attribuer qu’à Dieu
seulement qui est la cause efficiente première de laquelle dépendent toutes
les causes secondes comme nous l’avons vu plus haut. Mais si on attribue le
fait de se tenir par soi-même à ce qui n’est pas formé au moyen d’autre chose
mais qui est soi-même forme, alors se tenir par soi-même s’attribue à toutes
les substances immatérielles. En effet, la substance qui est composée de
matière et de forme ne se tient par elle-même qu’en raison des parties,
c’est-à-dire parce que c’est par la forme que la matière est en acte et que
c’est sur la matière que la forme s’appuie, tout comme nous disons aussi que
quelque chose se meut par soi-même en raison des parties, c’est-à-dire parce
qu’une des ses parties meut et que l’autre est mue. Ainsi donc il est clair
que se tenir par soi-même ou subsister ne peut convenir qu’à une substance
qui est forme sans matière ; et une telle substance est nécessairement
incorruptible. Il est manifeste en effet dans les choses corruptibles que la
corruption survient par ceci qu’une chose est séparée de sa cause formelle
par laquelle elle possède l’existence en acte ; en effet, tout comme la
génération, qui est un chemin vers l’être, a lieu par l’acquisition d’une
forme, de même la corruption, qui est un chemin vers le non-être, a lieu par
l’abandon d’une forme ; si donc la substance qui se tient par son
essence, sa forme, devait se corrompre, il faudrait qu’elle soit séparée de
sa cause formelle, alors que sa forme est son essence, et donc qu’elle soit
séparée de son essence, ce qui est impossible. Il n’est donc pas possible que
la substance qui se tient par elle-même se corrompe. Mais afin qu’on ne pense
pas que ces substances qui se tiennent par leur essence ne dépendent pas
d’une cause agente supérieure, il écarte par la suite cette hypothèse où il
dit : et elle n’est cependant pas
cause d’elle-même etc. Et l’auteur dit que ce qui vient d’être dit ne
doit pas s’entendre dans le sens où une telle substance serait cause de
soi-même comme si elle ne dépendait pas d’une cause agente supérieure ;
mais cela est dit parce qu’une telle substance possède par elle-même une relation à la cause première en
tant qu’elle est la cause de sa formation.
Nous voyons en effet que les choses matérielles se rapportent à la cause
première pour recevoir d’elle l’existence au moyen de leur forme ; et
c’est pourquoi la substance dont toute l’essence est la forme possède toujours par elle-même sa relation à sa cause, et cette
relation dans une telle substance n’est pas causée par une autre forme. Et il
résulte de là que c’est de la manière que nous avons dite qu’on dit de cette
substance qu’elle est cause d’elle-même. Et il suit de là qu’elle ne peut
être corrompue, comme nous l’avons montré. Il est donc clair que toute
substance qui se tient par elle-même est incorruptible. |
Lectio 27 [84262] Super De
causis, l. 27 Postquam ostendit quae sit conditio
substantiae incorruptibilis, hic ostendit conditionem substantiae
corruptibilis, ponens hanc propositionem: omnis substantia destructibilis
non sempiterna aut est composita aut est delata super rem aliam. Et haec
eadem propositio ponitur in libro Procli XLVIII. Huius autem propositionis
probatio est quia, si omne quod est stans per seipsum est incorruptibile, ut
probatum est, necesse est quod omne quod corrumpitur non sit stans per
seipsum sed indigeat aliquo sustentante. Quod quidem contingit duobus modis:
uno modo sicut totum indiget partibus ad sui constitutionem, unde partibus ab
invicem discedentibus sequitur corruptio; alio modo quia forma non est
subsistens sed indiget ad sui fixionem subiecto deferente.
Et ideo quando subiectum deferens sit indispositum ad talem formam,
necesse est quod fiat separatio formae a subiecto, et ita sequitur corruptio.
Unde manifestum est quod omnis substantia corruptibilis vel est composita ex
diversis partibus per quarum dissolutionem sequitur corruptio totius, sicut
patet in corporibus mixtis, aut forma indiget materia vel subiecto ad sui
sustentationem, et ita per transmutationem subiecti sequitur corruptio, sicut
patet in corporibus simplicibus et in accidentibus. Et ideo possumus hoc
corollarium accipere quod, si aliqua substantia non est composita sed est
simplex, neque est delata super subiectum, quasi indigens eo ad suum
esse, sed est stans in seipso, hoc omnino est incorruptibile; sicut patet in
intelligentia et in anima intellectuali, de qua manifestum est quod non est
forma delata super materiam cui dat esse, ita scilicet quod ei totaliter
innitatur, quia sequeretur quod nulla eius operatio esset sine communione
materiae corporalis, quod patet esse falsum ex his quae probantur in III de
anima. |
Leçon 27. Toute substance destructible et non-éternelle
est soit composée soit supportée par autre chose.
Après avoir montré quelle est la
nature de la substance incorruptible, l'auteur montre ici la nature de la
substance corruptible en posant cette proposition : toute substance destructible non-éternelle est soit composée soit
supportée par une autre réalité. Et ce même énoncé se retrouve à la
proposition 48 du livre de Proclus. Et la preuve de cette proposition est que
si tout ce qui se tient par soi-même est incorruptible, comme nous l’avons
prouvé, il est nécessaire que tout ce qui se corrompt ne se tienne pas par
soi-même, mais ait besoin au contraire de quelque chose pour le supporter. Et cela est certes possible de
deux manières : premièrement comme le tout a besoin de ses parties pour
sa constitution, d’où il suit que si les parties se séparent les unes des
autres il s’ensuit la corruption ; deuxièmement parce que la forme n’est
pas subsistante mais a besoin pour
sa stabilité d’être portée par un
sujet. Et c’est pourquoi, lorsque le sujet qui la porte est indisposé à
l’égard d’une telle forme, il est nécessaire que la forme se sépare du sujet
et qu’il s’ensuive ainsi une corruption. D’où il est manifeste que toute substance
corruptible est ou bien composée de différentes parties par la dissolution
desquelles s’ensuit la corruption du tout comme on le voit dans les corps
mixtes, ou bien la forme a besoin d’une matière ou d’un sujet pour la
supporter et ainsi la corruption découle d’un changement du côté du sujet
ainsi qu’on le voit pour les corps simples et les accidents. Et c’est
pourquoi nous pouvons tirer de là ce corollaire, à savoir que si une substance n’est pas composée mais est
simple et qu’elle n’est pas portée sur un sujet dont elle aurait besoin
pour exister mais qu’elle se tient en elle-même, cette substance est
absolument incorruptible ; et c’est ce qu’on voit dans le cas de
l’intelligence et celui de l’âme intellectuelle, au sujet desquelles il est
manifeste qu’elles ne sont pas des formes portées sur une matière à laquelle
elles donnent l’existence, c’est-à-dire de telle manière qu’elles lui seraient
totalement rattachées, car il s’ensuivrait alors qu’aucune de leurs
opérations n’aurait lieu sans que la matière corporelle y prenne part, ce qui
est évidemment faux à partir de ce qui a été prouvé au troisième livre du
traité intitulé de l’Âme. |
Lectio 28 [84263] Super De
causis, l. 28 Postquam prosecutus est diversitatem
substantiarum secundum generationem et corruptionem, hic prosequitur de
diversitate substantiarum quae potest attendi secundum simplicitatem et
compositionem. Et inducit ad hoc duas propositiones quarum secunda videtur
esse conversa prioris. Prima ergo talis est: omnis substantia stans per
essentiam suam est simplex et non dividitur. Quae etiam propositio
ponitur in libro Procli XLVII, sub his verbis: omne authypostaton
impartibile est et simplex. Ubi primo considerandum videtur quod simplex
et impartibile est idem subiecto, differunt autem ratione: nam impartibile
dicitur aliquid per privationem divisionis, quia scilicet non est in multa
divisibile; simplex autem dicitur aliquid per privationem compositionis, quia
scilicet non est ex multis compositum. Primo ergo probatur quod substantia
per se stans sit indivisibilis, secundo quod sit simplex. Primum autem melius
probatur in libro Procli quam hic. Est enim haec eius probatio. Si enim,
inquit, partibile est, authypostaton ens, id est per se subsistens, instituet
partibile seipsum, et totum ipsum vertetur ad seipsum, et omne in omni seipso
erit. Hoc autem impossibile. Impartibile ergo authypostaton. Ad cuius
evidentiam considerandum est quod hic accipitur esse aliquid stans per
seipsum non ratione partis, ut scilicet una pars eius stet per aliam sicut
accidit in substantiis materialibus, sed ratione totius, ut scilicet totum
stet per se totum. Unumquodque
autem convertitur ad id per quod stat sicut effectus ad causam, et oportet
quod sit in eo sicut in suo fundamento. Si
ergo aliquid partibile sit stans per seipsum, oportebit quod quaelibet pars
eius stet per quamlibet et quaelibet fundetur in qualibet; quod est
impossibile, quia sic sequeretur quod una et eadem pars eius esset causa et
effectus simul respectu eiusdem, quod est impossibile. In hoc autem libro
probatur sic. Illud quod convenit alicui per seipsum, convenit cuilibet parti
eius, si sit partibile. Si igitur aliquid partibile sit stans per seipsum,
oportebit quod quaelibet pars eius stet per seipsam, et ita non innitetur
alteri ad constitutionem totius. Haec autem probatio non est adeo efficax,
quia non est necessarium quod quidquid per se convenit alicui toti conveniat
singulis partibus eius. Est enim quoddam totum similium partium ut aer et
aqua, et quoddam dissimilium ut animal et domus. Quod autem id quod est stans
per seipsum sit simplex, id est non compositum ex multis, probatur duplici
ratione. In omni composito ex pluribus partibus necesse est ponere
quemdam partium ordinem, ut scilicet una pars eius sit melior et
alia vilior. Multa enim ad unum constituendum ordine quodam perveniunt
sicut et ab uno multitudo ordine quodam progreditur. Unde videmus quod in
compositione corporis naturalis forma est praestantior materia et in
compositione corporis mixti unum elementum dominatur et in compositione
partium animalis unum membrum est principalius alio et in partibus alicuius
continui una pars magis accedit ad punctum, quod est principium magnitudinis,
quam alia. Si ergo aliquid compositum ex pluribus partibus sit stans per
seipsum, oportebit quod quaelibet pars eius sit stans ex qualibet et ita pars
melior dependebit ex parte viliori et e converso.
Secunda ratio est quia omne quod est stans per seipsum, est sibi sufficiens
in suo esse, non indigens alio ad sui subsistentiam; per quod non excluditur
dependentia a causa agente sed a causa formali et materiali subsistentiam
praestante. Omne autem compositum ex partibus non est sibi sufficiens,
sed indiget ad sui subsistentiam partibus ex quibus componitur,
quae se habent in habitudine causae materialis ad totum. Ergo nullum
compositum ex partibus est per se stans. Omnis igitur substantia
per se stans est simplex. Sciendum tamen est quod haec secunda ratio
distincte ponitur in libro Procli, sed in hoc libro inducitur per modum
conclusionis. |
Leçon 28. Toute substance se tenant par son essence
est simple et indivisible.
Après avoir traité de
la diversité des substances selon la génération et la corruption, l'auteur
poursuit en traitant de la diversité des substances qui peut se prendre selon
la simplicité et la composition. Et il avance pour cela deux propositions
dont la seconde semble être une conversion de la première. Voici donc la
première proposition : toute
substance qui se tient par son essence est simple et n'est pas divisée. Cette
proposition se retrouve aussi en ces termes à la proposition 47 du livre de
Proclus : tout ¨authypostaton¨ est
indivisible et simple. Il semble qu’il faille
d’abord considérer que simple et indivisible sont identiques par le sujet
mais différents par la raison : car on appelle indivisible ce qui est
privé de division, à savoir parce qu’il ne peut être divisé en une
multiplicité ; mais on appelle simple ce qui est privé de composition,
c’est-à-dire parce qu’il n’est pas composé d’une multiplicité. On prouve donc en
premier lieu que la substance qui se tient par elle-même est indivisible et
deuxièmement qu’elle est simple. Mais la première conclusion à prouver est
mieux prouvée dans le livre de Proclus qu’elle ne l’est ici. Voici en effet
la preuve qu’il en donne : si en
effet, dit-il, l’être ¨authypostaton¨, c’est-à-dire l’être qui est par soi
subsistant, était divisible, il s’établirait lui-même divisible, et la
totalité de lui-même se tournerait vers lui-même et il serait en totalité
dans chacune de ses parties. Mais cela est impossible. L’¨authypostaton¨ est donc indivisible. Pour en avoir
l’évidence, il faut considérer que ce qu’on prend ici comme étant ce qui se
tient par soi-même ne l’est pas en raison d’une partie, de telle manière
qu’une partie d’un être se tient grâce à une autre comme on le voit chez les
substances matérielles, mais en raison du tout, c’est-à-dire dans le sens où le
tout se tient par lui-même dans sa totalité. Mais toute chose se tourne vers
ce grâce à quoi elle se tient comme l’effet se tourne vers sa cause et il
faut qu’elle soit en cela comme dans son fondement. Si donc quelque chose de divisible
se tient par soi-même, il faudra que n’importe quelle de ses parties se
tienne par n’importe quelle autre et que n’importe quelle se fonde sur n’importe
quelle ; ce qui est impossible car il s’ensuivrait alors qu’une seule et
même de ses parties serait à la fois cause et effet sous le même rapport, ce
qui est impossible. Mais dans ce même
livre on le prouve de la manière suivante. Ce qui convient à un être par
lui-même convient à chacune de ses parties s’il est divisible. Si donc
quelque chose de divisible se tient par soi-même, il faudra que chacune de
ses parties se tienne par soi-même et
ainsi qu’elle ne s’appuie pas sur une autre pour constituer le tout. Mais
cette preuve n’est pas si efficace parce qu’il n’est pas nécessaire que tout
ce qui convient par soi à un tout convienne à chacune de ses parties. Il y a
en effet des touts qui sont consitués de parties semblables, comme l’air et
l’eau, et d’autres qui sont constitués de parties dissemblables, comme
l’animal et la maison. Mais on prouve par
deux raisonnements que ce qui se tient par soi-même est simple ou n’est pas
composé d’une multiplicité de parties. Dans tout ce qui est composé de
plusieurs parties, il est nécessaire de poser un ordre entre les parties,
c’est-à-dire de telle manière qu’une des parties soit supérieure et une autre
inférieure. En effet, c’est grâce à un ordre qu’une multiplicité parvient à
constituer une unité tout comme c’est en suivant un ordre qu’une multiplicité
procède de l’unité. C’est pourquoi nous voyons que dans la composition du
corps naturel la forme est supérieure à la matière et que dans la composition
du corps mixte un élément est dominant et que dans la composition des parties
de l’animal un membre est premier par rapport à un autre et que dans les
parties d’une réalité continue une partie s’approche davantage du point
qu’une autre, le point étant le principe de la grandeur. Si donc quelque
chose qui est composé de plusieurs parties se tient par soi-même, il faudra
que n’importe quelle de ses parties subsiste à partir de n’importe quelle
autre et ainsi une partie supérieure dépendra d’une partie inférieure et
inversement. Le deuxième
raisonnement est que tout ce qui se tient par soi-même se suffit à soi-même
pour sa propre existence et n’a pas besoin d’un autre pour subsister ;
et par là on n’exclut pas la dépendance à l’égard de la cause agente, mais
seulement la dépendance à l’égard d’une cause formelle et d’une cause
matérielle garantissant la subsistance. Mais rien de ce qui est composé de partie ne se suffit à soi-même mais dépend
pour sa subsistance des parties dont il
est composé et qui se rapportent au tout dans la relation d’une cause
matérielle. Donc, rien de ce qui est composé de parties ne subsiste ou ne se
tient par soi-même. Donc, toute
substance qui subsiste ou se tient par soi-même est simple. Il faut cependant
savoir que ce deuxième raisonnement est distinctement présenté dans le livre
de Proclus mais dans ce livre il n’est avancé par l’auteur qu’à la manière
d’une conclusion. |
Lectio 29 [84264] Super De
causis, l. 29 Hic ponitur propositio conversa
prioris, quae talis est: omnis substantia simplex est stans per seipsam,
scilicet per essentiam suam. Sciendum tamen est quod haec propositio in
commento non probatur, sed interponitur quiddam quod probatur, scilicet quod substantia
stans per seipsam est creata sine tempore et est in substantialitate sua
superior substantiis temporalibus. Et haec est LI propositio libri Procli
sub his verbis: omne authypostaton exemptum est ab his quae tempore mensurantur
secundum suam substantiam. Ubi considerandum est quod hoc quod dicitur secundum
suam substantiam potest referri vel ad ipsas substantias temporales,
quarum esse substantiale variationi subiacet, unde secundum suam
substantiam tempore mensurari dicuntur, vel potest referri ad substantias
per se stantes, quae secundum suam substantiam sunt substantiis temporalibus
superiores. Huius ergo propositionis superinductae ponitur probatio talis.
Ostensum est enim supra quod nulla substantia stans per seipsam cadit sub
generatione. Omnes autem substantiae quae mensurantur tempore secundum suam
substantiam cadunt sub generatione. Per hoc enim secundum suam substantiam a
tempore mensurantur quod eorum esse substantiale variatur per generationem et
corruptionem. Relinquitur ergo quod nulla substantia stans per seipsam cadat
sub tempore, sed est superior omnibus substantiis temporalibus. Possumus
autem ex hac propositione sic probata concludere illam quae praemittitur. Si
enim hoc est proprium substantiae per se stantis quod sit non cadens secundum
suam substantiam sub tempore, hoc autem convenit omni substantiae simplici,
quia omnis substantia generabilis cadens sub tempore est composita ex materia
et forma. Relinquitur quod omnis substantia simplex sit stans per seipsam,
quod fuit primo propositum. |
Leçon 29. Toute substance simple se tient par
elle-même, c'est-à-dire par l’essence qui lui est propre.
L'auteur présente ici
la proposition qui est la conversion de la proposition précédente où il
dit : toute substance simple se
tient par soi-même, c'est-à-dire par l’essence qui lui est propre. Il
faut cependant savoir que cette proposition n’est pas prouvée dans ce livre,
mais un raisonnement y est intercallé, lequel est prouvé, à savoir que la substance qui se tient par soi est
créée en dehors du temps et est supérieure aux substances temporelles dans sa
substantialité. Et cette proposition est équivalente à la proposition 51
du livre de Proclus qui se présente en ces termes : tout ¨authypostaton¨ est tout à fait
étranger aux réalités qui sont mesurées par le temps quant à leur substance.
Il faut ici remarquer que l’expression ¨quant
à leur substance¨ peut se rapporter soit aux substances temporelles
elles-mêmes dont l’existence substantielle est soumise au changement, et
c’est pourquoi on dit à leur sujet qu’elles
sont mesurées par le temps quant à leur substance ; soit aux
substances qui se tiennent par elles-mêmes et qui, de par leur substance
même, sont supérieures aux substances temporelles. Voici donc la preuve
de la proposition qui vient d’être avancée. Il a été montré plus haut
qu’aucune substance qui se tient par elle-même n’est soumise à la génération.
Mais toutes les substances qui sont mesurées par le temps quant à leur
substance sont soumises à la génération. En effet, elles sont mesurées par le
temps quant à leur génération par ceci que leur existence substantielle est
modifiée par la génération et la corruption. Il s’ensuit donc qu’aucune
substance qui se tient par elle-même n’est soumise au temps mais transcende toutes
les substances temporelles. Mais nous pouvons, à partir de cette proposition
ainsi prouvée, conclure celle qui précède. Si en effet il est propre à la
substance qui se tient par elle-même de ne pas être soumise au temps selon sa
substance, cela convient à toute substance simple parce que toute substance
engendrable soumise au temps est composée de matière et de forme. Il reste
donc que toute substance simple se tient par elle-même, ce qui était le
propos principal. |
Lectio 30 [84265] Super De
causis, l. 30 Postquam prosecutus est de diversitate
rerum quae est secundum generationem et corruptionem, et simplicitatem et
compositionem, hic tertio prosequitur de diversitate quae est secundum
temporale et aeternum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo aliqua
dupliciter sunt sempiterna et temporalia, secundo ostendit quomodo est simul
et aeternum et temporale, ibi: inter rem cuius substantia etc.; vel in prima
ponit ordinem temporalium ad invicem, in secunda ordinem aeternorum ad
invicem, ibi: inter rem cuius substantia et cetera. Circa primum ponit talem
propositionem: omnis substantia creata in tempore aut est semper in
tempore et tempus non superfluit ab ea quoniam est creata et tempus
aequaliter, aut superfluit super tempus et tempus superfluit ab ea quia est
creata in quibusdam horis temporis. Ad cuius evidentiam considerandum est
quod, quia tempus est numerus motus, omnis substantia mobilis dicitur esse
creata in tempore. Est autem duplex substantia mobilis. Una quidem cuius
motus est in toto tempore, sicut corpus caeleste cuius motus tempori
adaequatur eo quod tempus est primo et per se mensura motus caeli et per
illum motum mensurat omnes alios motus. Et hoc sive ponamus quod motus caeli
semper fuerit et semper sit futurus, ut Aristoteles posuit et quidam alii
philosophi, sive etiam motus caeli non semper fuerit nec semper sit futurus,
ut fides Ecclesiae docet, quia sic etiam motus caeli adaequatur tempori; non
enim tempus fuit antequam motus caeli inciperet nec erit tempus postquam
motus caeli esse desierit. Unde omnibus modis substantia caelestis corporis
ratione sui motus est semper in tempore et tempus non excedit ipsam, sed ad
invicem adaequantur. Quaedam vero substantiae mobiles sunt, quarum esse et
motus non est in toto tempore sed in aliqua parte temporis, sicut patet de
substantiis generabilibus et corruptibilibus. Et quia huiusmodi substantia
non habet habitudinem ad totum tempus sed ad partem temporis, invenitur autem
aliqua pars temporis maior duratione eorum et aliqua pars minor. Inde est
quod huiusmodi substantia excedit tempus quantum ad aliquam eius partem, quae
scilicet est minor duratione eius; et iterum exceditur a tempore quantum ad
illam partem quae est maior duratione eius. In libro enim Procli invenitur
haec propositio LV planius et brevius, sic: omne quod secundum tempus
subsistit, aut eo quod semper tempore est, aut aliquando in parte temporis
hypostasim habens. Ad praemissae autem propositionis manifestationem
primo ponitur probatio, secundo infert quoddam corollarium, ibi: iam ergo
ostensum est ex hoc et cetera. Probatio
autem ponitur eadem in utroque libro. Ita enim procedit ordo rerum ut similia
se invicem subsequantur; ea vero quae sunt penitus dissimilia non
subsequuntur se invicem in gradibus rerum, nisi per aliquod medium. Sicut
videmus quod animal perfectum et planta sunt dissimilia penitus quantum ad
duo: nam animal perfectum est sensitivum et mobile motu processivo, planta
autem neutrum horum habet; natura ergo non procedit immediate ab animalibus
perfectis ad plantas, sed producit in medio animalia imperfecta, quae sunt
sensibilia cum animalibus et immobilia cum plantis. Manifestum
est autem quod substantiae spirituales quae parificantur aeternitati, ut
supra dictum est, et substantiae generabiles et corruptibiles, sunt penitus
dissimiles: nam substantiae spirituales et sunt semper et sunt immobiles,
quorum neutrum convenit substantiis generabilibus et corruptibilibus. Unde oportet ponere inter haec duo
extrema aliquod medium quod sit simile utrique extremo, ut sic gradus rerum
procedant per similia. Et sic Proclus investigando
procedit. Inter id quod est semper immobiliter ens et id quod est aliquando
mobiliter, non potest inveniri nisi triplex medium: scilicet id quod semper
movetur, id quod aliquando immobiliter est, id quod aliquando est. Hoc autem
tertium non potest esse medium, quia id quod aliquando est idem est ei quod
aliquando movetur, quod diximus esse extremum. Similiter etiam nec potest
esse medium id quod aliquando immobiliter est. Impossibile est enim esse
aliquod tale: nihil enim desinit esse nisi per aliquam transmutationem, unde
id quod immobiliter est non potest esse aliquando ens sed est semper ens.
Relinquitur ergo quod medium inter id quod semper est immobiliter et inter id
quod aliquando est mobiliter sit id quod semper movetur. Hoc enim convenit cum superiori quidem in
hoc quod est semper esse, cum inferiori vero extremo in hoc quod est moveri.
Utitur autem nomine generationis communiter pro qualibet transmutatione, quia
in quolibet motu includitur generatio et corruptio, ut dicitur in VIII
physicorum. Sic igitur substantiae quae semper moventur, scilicet caelestia
corpora, contingunt secundum quamdam similitudinem utrumque extremum; et per
ea coniunguntur quodammodo substantiae superiores immobiles substantiis
inferioribus generabilibus et corruptibilibus, in quantum scilicet virtus
superiorum substantiarum defertur ad generabilia et corruptibilia per motum
caelestium corporum. Ex his autem inducit
consequenter quoddam corollarium, scilicet quod duplex est perpetuitas vel
perpetua durabilitas: una quidem per modum aeternitatis, alia vero per modum
totius temporis, et differunt hae perpetuae durationes tripliciter. Primo
quidem quia perpetuitas aeternalis est fixa, stans, immobilis; perpetuitas
autem temporalis est fluens et mobilis, in quantum tempus est mensura motus,
aeternitas autem accipitur ut mensura esse immobilis. Secundo quia
perpetuitas aeternalis est tota simul quasi in uno collecta; perpetuitas
autem temporalis habet successivam extensionem secundum prius et posterius
quae sunt de ratione temporis. Tertio quia perpetuitas aeternalis est
simplex, tota secundum seipsam existens; sed universalitas sive totalitas
perpetuitatis temporalis est secundum diversas partes sibi succedentes. |
Leçon 30. Toute substance créée dans le temps, ou
bien est toujours dans le temps et le temps ne l'excède pas, puisque sa
création coïncide avec celle du temps ; ou bien elle excède le temps et
le temps l'excède puisqu'elle est créée en certaines portions du temps.
Après avoir traité de
la diversité des choses selon la génération et la corruption, puis selon la
simplicité et la composition, c’est ici selon le temps et l’éternité que
l'auteur traite en troisième lieu de cette diversité. Et à ce sujet il fait
deux choses. En premier lieu il montre comment certaines substances sont
éternelles et temporelles de deux manières; en deuxième lieu il montre en
quel sens l’éternel et le temporel sont simultanés, où il dit : entre une chose dont la substance etc. ;
ou bien dans la première partie il présente l’ordre des choses temporelles
entre elles et dans la deuxième l’ordre des choses éternelles entre elles, où
il dit : entre une chose dont la
substance etc. Au sujet du premier
point il présente cette proposition : toute substance créée dans le temps est ou bien toujours dans le
temps et le temps de la déborde pas puisqu’elle est créée avec le temps, ou
bien elle déborde le temps et le temps la déborde puisqu’elle est créée dans
certaines limites ou parties du temps. Pour en avoir l’évidence il faut
considérer que parce que le temps est le nombre du mouvement, toute substance
mobile est dite être créée dans le temps. Mais il y a deux sortes de
substances mobiles. La première est celle dont le mouvement est dans la
totalité du temps, comme le corps céleste dont le mouvement est égal au temps
du fait que le temps est par soi et premièrement la mesure du mouvement
céleste et que c’est par ce mouvement que le temps mesure tous les autres
mouvements. Et à partir de là soit nous posons que le mouvement du ciel a
toujours existé et existera toujours, comme Aristote et certains autres
philosophes l’ont soutenu, soit nous posons que le mouvement du ciel n’a pas
toujours existé et n’existera pas toujours, comme l’enseigne la foi de
l’Église, car dans ce cas aussi le mouvement du ciel est égal au temps ;
en effet, le temps n’existait pas avant que le mouvement du ciel ne commence
à exister et il n’existera plus après que le mouvement du ciel aura cessé
d’exister. C’est pourquoi, d’une manière ou d’une autre, la substance du corps céleste est toujours
dans le temps en raison de son mouvement et le temps ne la déborde pas mais
ils sont réciproquement égaux l’un à l’autre. Mais il existe certaines
substances mobiles dont l’existence et le mouvement ne sont pas dans la
totalité du temps mais seulement dans une de ses parties comme c’est le cas
pour les substances sujettes à la génération et à la corruption. Et parce
qu’une telle substance ne possède pas une relation à la totalité du temps
mais à une partie seulement, on retrouve une partie du temps qui est plus
grande et une autre qui est plus petite que leur durée. Il résulte de là
qu’une telle substance déborde le temps quant à une des parties de ce dernier,
à savoir celle dont la durée est la plus petite mais en outre elle est
débordée par le temps quant à cette partie du temps dont la durée est plus
grande. On retrouve en effet plus clairement et plus brièvement en ces termes
ce même énoncé à la proposition 55 du livre de Proclus : tout ce qui subsiste dans le temps le fait
soit en étant toujours dans le temps, soit en possédant une substance qui est
dans une partie du temps. Mais pour manifester
cette proposition, il présente premièrement la preuve puis en deuxième lieu
il tire un corollaire où il dit : il
a donc déjà été montré etc. Mais la preuve qui est présentée est la même
dans les deux livres. L’ordre des choses en effet procède de telle manière
que les semblables se suivent immédiatement les uns les autres ; mais
les choses qui sont tout à fait dissemblables ne se suivent les uns les
autres dans les degrés des choses que par des intermédiaires. Par exemple,
nous voyons que l’animal parfait et la plante sont tout à fait dissemblables
sous deux rapports : car l’animal parfait est sensible et se meut d’un
mouvement progressif alors que la plante ne possède aucune de ces
caractéristiques ; donc la nature ne procède pas immédiatement des
animaux parfaits aux plantes, mais elle produit au milieu des animaux
imparfaits qui sont sensibles comme les animaux mais immobiles comme les
plantes. Il est cependant
manifeste que les substances spirituelles d’une part, qui sont égales à
l’éternité comme nous l’avons dit, et les substances sujettes à la génération
et corruptibles d’autre part, sont tout à fait dissemblables car les
substances spirituelles sont à la fois éternelles et immobiles, propriétés
qu’on ne retrouve en aucune manière dans les substances sujettes à la
génération et corruptibles. D’où il faut poser entre ces deux extrêmes un
intermédiaire qui soit semblable en quelque point aux deux extrêmes afin qu’ainsi les degrés des choses
procèdent par le semblable. Et c’est ainsi que Proclus procède dans sa recherche.
Entre ce qui est un être toujours immobile et ce qui est parfois mobile on ne
peut retrouver que trois intermédiaires, à savoir ce qui se meut toujours, ce
qui est parfois immobile et ce qui est parfois. Mais ce troisième cas ne peut
être un intermédiaire car ce qui est parfois est identique à ce qui se meut
parfois dont nous avons dit qu’il est un des extrêmes. De la même manière ce
qui est parfois immobile ne peut non plus être un intermédiaire. Il est
impossible en effet qu’il existe quelque chose de tel : rien en effet ne
cesse d’exister si ce n’est au moyen d’un changement et c’est pourquoi ce qui
est immobile ne peut être parfois un
être mais il est toujours un être. Il reste donc que l’intermédiaire entre ce
qui est toujours immobile et ce qui est parfois mobile est ce qui est
toujours mobile. Ce dernier cas en effet ressemble à l’extrême supérieur en
ceci qu’il existe toujours, mais il ressemble aussi à l’extrême inférieur en
ceci qu’il se meut. On use cependant du nom de génération dans un sens large
pour signifier n’importe quel changement car la génération et la corruption
sont compris dans n’importe quel mouvement comme le dit le Philosophe au
huitième livre de la Physique.
Ainsi donc les substances qui sont toujours en mouvement, à savoir les corps
célestes, se trouvent à toucher chacun des extrêmes par une certaine
ressemblance ; et c’est par eux que sont jointes en quelque sorte les
substances supérieures immobiles aux substances inférieures sujettes à la
génération et corruptibles, c’est-à-dire pour autant que la puissance des
substances supérieures se rapporte aux substances corruptibles et sujettes à
la génération au moyen du mouvement des corps célestes. Et à partir de là il
tire par la suite un corollaire, à savoir qu’il y a deux sortes de perpétuité
ou de durée perpétuelle : la première qui se présente à la manière de
l’éternité et l’autre à la manière de la totalité du temps et ces deux sortes
de durée perpétuelle diffèrent de trois manières : premièrement parce que la perpétuité
éternelle est fixe, stable et immobile alors que la perpétuité temporelle est
coulante et mobile pour cette raison que le temps est la mesure du mouvement
et que l’éternité se prend comme la mesure de l’être immobile ;
deuxièmement parce que la perpétuité éternelle est entière, simultané et
comme rassemblée dans l’unité alors que la pertétuité temporelle possède une
extension successive selon l’avant et l’après qui font partie de la
définition du temps ; troisièmement parce que la perpétuité éternelle
est simple et existe en elle-même en totalité alors que l’universalité ou la
totalité de la perpétuité temporelle existe selon différentes parties qui se
succèdent les unes aux autres. |
Lectio
31 [84266] Super De causis, l. 31 In praecedenti propositione manifestatus est ordo
temporalium ad invicem, hic autem manifestatur ordo aeternorum ad invicem. Et primo ponitur inter aeterna aliquid quod est omnimodo aeternum
et aliquid quod est quodammodo aeternum et quodammodo temporale. Secundo
manifestatur conditio eius quod est quodammodo aeternum et quodammodo
temporale, 32 propositione, ibi: omnis substantia et cetera. Circa primum
ponitur talis propositio: inter rem cuius substantia et actio sunt in
momento aeternitatis et inter rem cuius substantia et actio sunt in momento
temporis existens est medium, et est illud cuius substantia est ex momento
aeternitatis et operatio ex momento temporis. Et videtur hic sumi
momentum aeternitatis vel temporis pro mensuratione, ut scilicet illud
dicatur esse in momento aeternitatis quod aeternitate mensuratur, et in
momento temporis quod tempore mensuratur. Haec etiam propositio ponitur CVI
in libro Procli, sub his verbis: omnis eius quod omniquaque aeternale est
secundum substantiam et operationem, et eius quod substantiam habet in
tempore, medium est quod hac quidem aeternale est, hac autem tempore
mensuratur. Posset autem alicui videri quod hoc medium sit corpus
caeleste, quod quidem secundum substantiam suam incorruptibile est, sed motus
eius tempore mensuratur. Sed
hoc non bene dicitur. Nam in praecedenti propositione illud quod semper
movetur positum est simpliciter inter temporalia. Ut enim in IV physicorum
philosophus dicit: sicut tempus mensurat motum, ita nunc temporis mensurat
mobile. Unde corpus caeleste quod movetur, non est in momento aeternitatis,
sed in momento temporis. Et praeterea motus non est
actio eius. Quod movetur, sed magis passio: est autem actio moventis, ut
dicitur in III physicorum. Principium autem motus est anima, ut in 2
propositione habitum est. Quia ergo anima nobilis secundum se est immobilis,
actio autem eius est motus, consequens est ut anima secundum suam substantiam
sit in momento aeternitatis, eius vero actio sit in tempore. Corporis vero
quod movetur et substantia et operatio est in tempore; intelligentiae vero et
substantia et actio est in momento aeternitatis. Huius autem propositionis probatio
est similis probationi praemissae propositionis. Supra enim dictum est quod
gradus entium continuantur sibi invicem secundum quamdam similitudinem; unde
ea quae sunt totaliter dissimilia consequuntur se invicem in ordine rerum per
aliquod medium quod habet similitudinem cum utroque extremorum. Res autem
illa cuius substantia et actio est in tempore, totaliter dissimilis est illi
cuius substantia et actio est in aeternitate, ergo necesse est ut inter
eas sit tertia res media, vel ita quod substantia eius cadat
sub aeternitate et actio sub tempore, vel e converso. Sed hoc esse non
potest quod alicuius rei substantia sit in tempore et actio in aeternitate,
quia sic actio esse altior et melior quam substantia et
effectus quam causa, quod est impossibile. Relinquitur ergo quod illa res media sit secundum
substantiam suam in momento aeternitatis et secundum operationem in tempore. Et hoc est quod probare intendimus. |
Leçon 31. Entre une chose dont la substance et l'activité sont dans le moment
de l'éternité et une chose dont la substance et l'activité sont dans le
moment du temps, il existe un intermédiaire : ce dont la substance relève du
moment de l'éternité, et dont l'opération relève du moment du temps.
On a manifesté dans la
proposition précédente l'ordre des réalités temporelles entre elles, alors
qu’ici l'auteur manifeste l'ordre des réalités éternelles entre elles. Et en
premier lieu il présente, parmi ce qui est éternel, ce qui est éternel
absolument, puis ce qui est éternel sous un rapport et temporel sous un autre
rapport. En deuxième lieu il manifeste à la proposition 32 une condition de
ce qui est en partie éternel et en partie temporel, où il dit : toute substance etc. Au sujet du premier
point il présente cette proposition : il existe un intermédiaire entre
la chose dont la substance et l’action sont dans le moment de l’éternité et
la chose dont la substance et l’action sont dans le moment du temps, et c’est
la réalité dont la substance se tire du moment de l’éternité et l’opération
du moment du temps. Et ici le moment de l’éternité ou celui du temps semble
être pris à titre de mesure, c’est-à-dire de telle manière que ce qu’on dit
être dans le moment de l’éternité est ce qui est mesuré par l’éternité et que
ce qu’on dit être dans le moment du temps est ce qui est mesuré par le temps.
Ce même énoncé est prosenté en ces termes à la proposition 106 du livre de
Proclus : entre ce qui est
absolument éternel selon la substance et l’opération et ce qui possède une
substance qui est dans le temps, il y a un intermédiaire qui d’un côté est
éternel mais d’un autre côté est mesuré par le temps. Certains pourraient
cependant croire que cet intermédiaire est le corps céleste, lui qui est
certes incorruptible quant à sa substance alors que son mouvement est mesuré
par le temps. Mais ce serait à tort. Car dans la proposition précédente ce
qui se meut toujours est présenté simplement comme existant parmi les
réalités temporelles. En effet, comme le Philosophe le dit au quatrième livre
de la Physique : tout comme le temps mesure le mouvement,
de même l’instant du temps mesure le mobile. D’où il s’ensuit que le
corps céleste qui est mû n’est pas dans le moment de l’éternité mais dans le
moment du temps. Et en outre le mouvement n’est pas l’action de ce qui est mû
mais plutôt sa passion, alors qu’il est l’action du moteur comme le dit le
Philsosophe au troisième livre de la Physique.
Or le principe du mouvement est l’âme, ainsi que cela a été établi à la
proposition 2. Donc, parce que l’âme supérieure est en elle-même immobile
mais que son action est le mouvement, il s’ensuit que l’âme est dans le
moment de l’éternité quant à sa substance mais que son action est dans le
temps ; mais pour l’intelligence, c’est à la fois la substance et
l’action qui est dans le moment de l’éternité. Cependant, la preuve
de cette proposition est semblable à celle de la proposition précédente. Il a
été dit plus haut en effet que les degrés des êtres se suivent les uns les
autres selon une certaine ressemblance ou similitude ; d’où il faut que
les réalités qui sont totalement dissemblables se suivent les unes les autres
dans l’ordre des choses au moyen d’un intermédiaire qui possède une
ressemblance avec chacun des extrêmes. Mais ces réalités dont la substance et
l’action sont dans le temps sont totalement dissemblables de celles dont la
substance et l’action sont dans l’éternité, et il est donc nécessaire qu’il y ait entre elles une troisième sorte de
réalité qui soit intermédiaire, soit de telle manière que sa substance tombe
sous l’éternité et son action sous le temps, soit inversement. Mais il
est impossible pour une même chose que sa
substance soit dans le temps et son action dans l’éternité, car alors son action serait supérieure
à sa substance et meilleure qu’elle,
et ainsi l’effet serait supérieur à sa cause, ce qui est impossible. Il reste donc que cette réalité doit être
intermédiaire quant à sa substance dans le moment de l’éternité et selon son
opération dans le temps. Et c’est ce que nous cherchions à prouver. |
Lectio 32 [84267] Super De
causis, l. 32 Quia in praecedenti propositione
probatum est esse aliquam rem cuius substantia est in aeternitate et actio in
tempore, consequenter huiusmodi substantiae conditionem ostendit in hac
ultima propositione, dicens: omnis substantia cadens in quibusdam suis
dispositionibus sub aeternitate et cadens in quibusdam suis dispositionibus
sub tempore est ens et generatio simul. Et haec eadem propositio ponitur
CVII in libro Procli, sub his verbis: omne quod hac quidem aeternale hac
autem temporale, et ens est simul et generatio. Ad huius autem
propositionis manifestationem tria facit. Primo praemittit probationem
propositionis inductae, quae quidem tota dependet ex significatione nominum.
Quia enim aeternitas est tota simul, carens successione praeteriti et futuri,
ut supra habitum est, id quod est in aeternitate dicitur ens, quia semper est
in actu. Tempus autem consistit in successione praeteriti et futuri, unde id
quod est in tempore est quasi in fieri, quod significat nomen generationis.
Quod ergo est totaliter in aeternitate, est totaliter ens; quod autem est
totaliter in tempore, est totaliter generatio. Quod vero est secundum aliquid
in tempore et secundum aliquid in aeternitate, est simul ens et generatio.
Secundo ibi: iam ergo manifestum est etc., inducit quoddam corollarium. Est
enim talis dispositio entium quod inferiora a superioribus dependent. Unde
necesse est quod id quod est totaliter generatio, quasi substantiam et
operationem habens in tempore, dependeat ab eo quod est simul ens et generatio,
habens substantiam in aeternitate et operationem in tempore. Hoc autem
necesse est quod dependeat ab eo quod est totaliter in aeternitate secundum
substantiam et operationem; et hoc ulterius dependeat ab ente primo quod est
supra aeternitatem, quod est principium durationis rerum omnium et sempiternarum
et corruptibilium. Tertio ibi: necessarium est unum faciens etc., ostendit
quod ab isto uno primo omnia dependeant. Et ad intellectum huius quod hic
dicitur, sumenda est CXVI propositio Procli, quae talis est: omnis Deus
participabilis est, excepto uno. Quae quidem propositio ponitur ab eo ad
ostendendum quomodo Platonici ponebant plures deos. Non enim ponebant omnes
ex aequo, sed unum ponebant primum, qui nihil participabat, sed est
essentialiter unum et bonum; alios vero deos ponebant inferiores
participantes ipsum unum et bonum. Et huius probationem inducit quia de primo
et supremo Deo manifestum est quod nihil participat, alioquin non esset prima
causa omnium; semper enim participans praesupponit aliquid prius quod est per
essentiam. Sed quod omnes alii dii sint participantes, probat per hoc quia si
primus Deus est unum essentialiter et non participative, aut aliquis aliorum
deorum est similiter unum et sic in nullo differt a primo, aut oportet quod sit
unum participative. Si enim ipsum unum est essentia primi, oportet quod si
aliquid ab eo differat, quasi secundum post ipsum existens, non sit tale quod
essentia eius sit ipsum unum, sed sit participans unitatem. Et hoc est quod
hic proponitur, quod necesse est ponere unum primum faciens adipisci
unitates, id est a quo participant unitatem quaecumque sunt unum, et
ipsum non adipiscitur, id est non participat unitatem ab aliquo alio. Et
huius quidem probatio inducitur quae praemissa est. |
Leçon 32. Toute substance qui se tient dans
l'éternité en certaines de ses dispositions et dans le temps en certaines
autres, est à la fois être et génération.
Parce qu'on a prouvé
dans la proposition précédente qu'il existe une réalité dont la substance est
dans l'éternité et l'action dans le temps, l'auteur manifeste par la suite,
dans cette dernière proposition, la nature d’une telle substance en
disant : toute substance qui tombe
sous l'éternité quant à certaines de ses dispositions et sous le temps quant
à certaines autres, est simultanément être et génération. Et cette même
proposition se retrouve en ces termes dans le livre de Proclus à la
proposition 107 : tout ce qui est à
la fois éternel sous un rapport et temporel sous un autre est simultanément
être et génération. Mais pour manifester
cette proposition l'auteur fait trois choses. En premier lieu il avance la
preuve de la proposition présentée, laquelle dépend en totalité de la
signification des noms. En effet, parce que l’éternité est tout entière
simultanée, étrangère à toute succession du passé et de l’avenir comme il a
été établi plus haut, ce qui est dans l’éternité est appelé ¨être¨ parce
qu’il est toujours en acte. Mais le temps consiste dans la succession du
passé et de l’avenir, d’où il suit que ce qui est dans le temps est comme
dans le devenir, ce que signifie le nom ¨génération¨. Donc ce qui est en
totalité dans l’éternité est en totalité de l’être ; mais ce qui est en
totalité dans le temps est en totalité dans la génération ou le devenir. Mais
ce qui est en partie dans l’éternité et en partie dans le temps est
simultanément être et génération. Deuxièmement, où il
dit : il est donc déjà manifeste
etc., il présente un corollaire. En effet, les êtres sont disposés les uns à
l’égard des autres de telle manière que les inférieurs dépendent des
supérieurs. C’est pourquoi il est nécessaire que les substances qui sont en
totalité génération, parce qu’elles ont à la fois leur substance et leur
opération dans le temps, dépendent de celles qui sont simultanément être et génération,
à savoir celles qui possèdent leur substance dans l’éternité et leur
opération dans le temps. Mais il est nécessaire que ces dernières substances
dépendent de celles qui sont en totalité dans l’éternité, c’est-à-dire à la
fois selon la substance et l’opération ; et ces dernières à leur tour
dépendent de l’Être premier qui est au-dessus de l’éternité et qui est le
principe de la durée pour tous les
êtres, à la fois pour ceux qui sont éternels et pour ceux qui sont
corruptibles. Et en troisième lieu,
là où il dit : et il est
nécessaire que l’un fasse etc., il montre qu’il est nécessaire que tous
les êtres dépendent de cet Un premier. Et pour comprendre ce qui est dit ici,
il faut examiner cette proposition 116 du livre de Proclus que voici : tout dieu est participable, sauf l’Un.
Et il présente cette proposition pour montrer en quel sens les Platoniciens
posaient plusieurs dieux. En effet, ils n’affirmaient pas qu’ils sont tous
égaux, mais plutôt que l’un d’eux est le premier, qui ne participe de rien et
qui est essentiellement l’Un et le Bien, et que les autres dieux sont
inférieurs et participent de l’Un et du Bien. Et l’auteur en avance la preuve
en disant qu’il est manifeste que ce Dieu premier et suprême ne participe de
rien car autrement il ne serait pas la cause première de tous les
êtres ; en effet, tout être qui participe d’un autre présuppose un
quelque chose qui lui est antérieur et qui existe par essence et non par
participation. Mais que tous les autres dieux soient des ¨participants¨, il
le prouve par ceci que si le Dieu premier est un essentiellement et non par
participation, ou bien un des autres dieux est un de la même manière et alors
il ne diffère en rien de celui qui est le Premier, ou bien il faut qu’il soit
un par participation. Si en effet l’Un lui-même est l’essence même de ce qui
est premier, il faut que, si quelque chose en diffère comme un être second
existant après lui, ce quelque chose ne soit pas tel que son essence soit
l’Un lui-même mais plutôt qu’il participe de l’Un. Et c’est ce que l’auteur
affirme ici, à savoir qu’il est nécessaire de soutenir que l’Un premier est
celui qui fait acquérir les unités,
c’est-à-dire que c’est par Lui que tout ce qui est un participe de l’Unité, et que Lui-même n’acquiert pas,
c’est-à-dire qu’Il ne participe pas d’une unité qui procède d’un autre. Et ce
qui le prouve, c’est certes ce qui vient d’être avancé. |
Et
sic terminatur totus liber de causis. Sint gratiae Deo omnipotenti, qui est
prima omnium causa. |
C’est ainsi que
s’achève tout le Livre des causes. Rendons grâces au Dieu
tout-puissant qui est la cause première de tout. |