Commentaire
du Livre des Sens et des Sensations d’Aristote
Commentaire
du traité de la mémoire et de la réminiscence d’Aristote
Par
saint Thomas d’Aquin
Tractatus I ─ Sententia
Libri De sensu et sensato
Tractatus II ─ De memoria et
reminiscencia
Thomae Aquinatis op
Prologue : Traduction Alain
Blachair 2019
© Le reste du livre Georges
Comeau 2019
Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2019
Les œuvres complètes de saint
Thomas d'Aquin
Leçon 1 ─ [Principe de la
division des sciences]
Traité 1 – Sur le sens externe
et la sensation, commentaire de saint Thomas
Leçon 2 ─ Les sens et les
diverses catégories d’animaux.
Leçon 4 ─ Opinion de Démocrite
sur la vision (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 6 ─ Rapport entre la
couleur et la lumière (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 7 ─ La génération et le
mélange des couleurs (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 8 ─ La couleur n’est pas
une émanation (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 9 ─ Les causes de la
diversité des saveurs (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 10 ─ La saveur dépend de
la terre, du sec et de l’humide (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 11 ─ Erreurs de
Démocrite au sujet de la saveur (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 12 ─ Théorie de l’odeur;
sa relation avec la saveur (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 13 ─ Les différentes
espèces d’odeur (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 17 ─ Peut-on percevoir
plusieurs choses à la fois? (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 18 ─ Existe-t-il un
temps imperceptible? (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 19 ─ Rien n’échappe à
nos sens, sauf l’indivisible. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Traité 2 ─ Traité de la
mémoire et de la réminiscence
Leçon 1 ─ Qu’est-ce que la
mémoire? (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 2 ─ À quelle partie de
l’âme appartient la mémoire? (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 3 ─ Comment se produit
la mémoire. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 4 ─ Différences entre la
réminiscence et la mémoire. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 5 ─ La réminiscence et
les associations d’idées. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 6 ─ Différence entre la
réminiscence et le réapprentissage. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 7 ─ Le temps et la
réminiscence. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Leçon 8 ─ Diffence entre la
mémoire et la réminiscence. (Traduction Georges Comeau, 2019)
Textum Taurini 1949 editum |
Prologue : Traduction Alain Blachair
2005. © Martine Chifflot et Martine Ramet, 2010 |
Introduction
aux deux traités
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Lectio 1 |
Leçon 1[1] ─ [Principe de la division des sciences]
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Traduction et notes par Alain
Blachair, 2005
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[81158] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 1 Sicut philosophus dicit in
tertio de anima, sicut separabiles sunt res a materia, sic et quae circa
intellectum sunt. Unumquodque enim intantum est intelligibile, inquantum est
a materia separabile. Unde ea quae sunt secundum naturam a materia separata, sunt
secundum seipsa intelligibilia actu: quae vero a nobis a materialibus
conditionibus sunt abstracta, fiunt intelligibilia actu per lumen nostri
intellectus agentis. Et, quia habitus alicuius potentiae distinguuntur specie
secundum differentiam eius quod est per se obiectum potentiae, necesse est
quod habitus scientiarum, quibus intellectus perficitur, etiam distinguantur
secundum differentiam separationis a materia; et ideo philosophus in sexto
metaphysicorum distinguit genera scientiarum secundum diversum modum
separationis a materia. Nam ea, quae sunt separata a materia
secundum esse et rationem, pertinent ad metaphysicum; quae autem sunt
separata secundum rationem et non secundum esse, pertinent ad mathematicum;
quae autem in sui ratione concernunt materiam sensibilem, pertinent ad
naturalem. |
Prologue :
Comme le dit le Philosophe[2]
dans le livre III du Traité de l’âme[3],
c’est de la manière dont les choses se séparent de la matière qu’elles se
rapportent à l’intellect. Tout ce qui est intelligible l’est dans la mesure
où il est séparable de la matière. Il suit de là que ce qui est par nature
séparé de la matière, est aussi par soi-même intelligible en acte, alors que
ce qui est abstrait par nous des conditions matérielles devient intelligible
en acte par la lumière de notre intellect agent. Parce que les habitus[4]
de chaque puissance se distinguent spécifiquement conformément à la
différence de ce qui constitue l’objet propre[5]
[de cette puissance], il est nécessaire que ceux qui constituent les sciences[6],
qui portent l’intellect à sa perfection, se distinguent eux aussi
conformément aux différentes manières dont [leurs objets] sont séparés de la
matière ; et c’est pourquoi le Philosophe, au sixième livre des
Métaphysiques[7],
distingue les genres de science selon les diverses manières [dont leurs
objets] sont séparés de la matière. En effet, ceux qui sont séparés de la
matière en réalité et selon la raison relèvent du métaphysicien, ceux qui
sont séparés selon la raison et ne le sont pas en réalité relèvent du mathématicien,
ceux qui selon leur notion concernent la matière sensible, relèvent du
philosophe de la nature[8]. |
[La division de la science de la
nature]
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[81159] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 2 Et sicut diversa genera
scientiarum distinguuntur secundum hoc quod res sunt diversimode a materia
separabiles, ita etiam in singulis scientiis, et praecipue in scientia
naturali, distinguuntur partes scientiae secundum diversum separationis et
concretionis modum. Et quia universalia sunt magis a materia separata, ideo
in scientia naturali ab universalibus ad minus universalia proceditur, sicut
philosophus docet primo physicorum. Unde et scientiam naturalem incipit
tradere ab his quae sunt communissima omnibus naturalibus, quae sunt motus et
principium motus, et demum processit per modum concretionis, sive
applicationis principiorum communium, ad quaedam determinata mobilia, quorum
quaedam sunt corpora viventia: circa quae etiam simili modo processit
distinguens hanc considerationem in tres partes. Nam primo quidem
consideravit de anima secundum se, quasi in quadam abstractione. Secundo
considerationem facit de his, quae sunt animae secundum quamdam concretionem,
sive applicationem ad corpus, sed in generali. Tertio considerationem facit
applicando omnia haec ad singulas species animalium et plantarum,
determinando quid sit proprium unicuique speciei. Prima igitur consideratio
continetur in libro de anima. Tertia vero consideratio continetur in libris
quos scribit de animalibus et plantis. Media vero consideratio continetur in
libris, quos scribit de quibusdam, quae pertinent communiter, vel ad omnia
animalia, vel ad plura genera eorum, vel etiam ad omnia viventia, circa quae
huius libri est praesens intentio. |
Et, de même que les
divers genres de sciences se distinguent conformément aux différentes
manières dont les réalités sont séparables de la matière, de même les
différentes parties de chaque science, et en particulier de la science de la
nature, se distinguent selon les différents modes de séparation ou de concrétisation
[de leurs objets]. Parce que ce qui est universel est à un plus haut point
séparé de la matière, la science de la nature va de ce qui est universel à ce
qui l’est moins, comme le philosophe l’enseigne dans le premier livre des
Physiques[9].
C’est pourquoi il commence l’exposition de la science de la nature en
débutant par ce qui est le plus commun à tous les êtres naturels, le
mouvement et son principe, et qu’ensuite il avance[10]
par voie de concrétisation, c’est à dire d’application des principes communs
à certains [êtres] mobiles déterminés, dont certains sont les corps
vivants : à leur propos aussi, il progresse en divisant leur étude en
trois parties. En premier lieu, il étudie en effet l’âme en elle-même, d’une
manière presque abstraite. Il étudie en deuxième lieu ce qui appartient à
l’âme envisagée d’une manière concrète, c’est à dire en relation avec le
corps, mais d’une manière générale. Il étudie ensuite les espèces singulières
de plantes et d’animaux en leur appliquant tout ceci et en déterminant ce qui
est propre à chaque espèce. C’est donc le Traité
de l’âme qui contient la première de ces enquêtes, alors que la troisième
est contenue dans les livres qu’il a écrits sur les animaux[11]
et les plantes[12].
La seconde est contenue dans les livres qu’il a écrits sur certains sujets
qui concernent en commun tous les animaux, plusieurs de leurs genres, ou même
tous les vivants : l’intention présente de ce livre se rapporte à cette
enquête. |
[81160] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 3 Unde considerandum est,
quod in secundo de anima quatuor gradus viventium determinavit. Quorum primus
est eorum quae habent solam partem animae nutritivam per quam vivunt, sicut
sunt plantae. Quaedam autem sunt, quae cum hoc habent etiam sensum sine motu
progressivo, sicut sunt animalia imperfecta, puta conchylia. Quaedam vero,
quae habent insuper motum localem progressivum, sicut animalia perfecta, ut
equus et bos. Quaedam vero insuper intellectum, sicut homines. Appetitivum
enim, quamvis ponatur quintum genus potentiarum animae, non tamen constituit
quintum gradum viventium, quia semper consequitur sensitivum. |
C’est pourquoi il
faut considérer que, dans le livre II du Traité
de l’âme[13],
il a déterminé quatre degrés parmi les êtres vivants. Le premier d’entre eux
est celui des êtres qui possèdent seulement la partie nutritive de l’âme, qui
les fait vivre : ainsi en est-il des plantes. Il en est certains qui, en
plus de cela, ont aussi le sens sans le mouvement de déplacement, comme c’est
le cas des animaux imparfaits, par exemple les coquillages, alors que
d’autres possèdent en outre le mouvement local progressif, comme les animaux
parfaits, par exemple le cheval et le bœuf. Certains, d’autre part, ont en
plus l’intellect, comme les hommes. Les facultés désirantes[14],
bien qu’elles soient posées comme un cinquième genre de puissance de l’âme,
ne constituent pourtant pas un cinquième degré des êtres vivants, parce
qu’elles résultent toujours des facultés perceptives[15]. |
[81161] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 4 Horum autem, intellectus
quidem nullius partis corporis actus est, ut probatur tertio de anima: unde
non potest considerari per concretionem, vel applicationem ad corpus vel ad
aliquod organum corporeum. Maxima enim concretio eius est in anima: summa autem
eius abstractio est in substantiis separatis. Et ideo praeter librum de anima
Aristoteles non fecit librum de intellectu et intelligibili: vel si fecisset,
non pertineret ad scientiam naturalem, sed magis ad metaphysicam, cuius est
considerare de substantiis separatis. Alia vero omnia sunt actus alicuius
partis corporis: et ideo eorum potest esse specialis consideratio per
applicationem ad corpus, vel organa corporea, praeter considerationem quae
habita est de ipsis in libro de anima. |
L’une de ces
choses, l’intellect précisément, n’est l’acte d’aucune partie du corps[16],
comme cela est prouvé au livre III du Traité
de l’âme[17] :
on ne peut donc l’étudier en concrétisant [ce qu’on en sait] ou en
l’appliquant au corps ou à un organe corporel quelconque. Sa réalisation la
plus concrète se trouve dans l’âme[18],
la plus abstraite au contraire dans les substances séparées[19].
Et c’est pourquoi Aristote n’a pas composé de livre sur l’intellect et
l’intelligible en dehors du Traité de
l’âme : autrement, s’il l’avait fait, ce livre ne ressortirait pas
de la science de la nature, mais plutôt de la métaphysique, à laquelle il
appartient d’étudier les substances séparées. Toutes les autres facultés au
contraire sont des actes d’une certaine partie du corps, et il est donc possible
de les étudier en particulier dans leur union concrète avec le corps ou avec
un organe corporel, après les avoir étudiées [abstraitement] dans le Traité de l’âme. |
[81162] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 5 Oportet ergo huiusmodi
considerationem mediam in tres partes distingui: quarum unum contineat ea,
quae pertinent ad vivum, inquantum est vivum: et hic continetur in libro quem
scribit de morte et vita, in quo etiam determinat de respiratione et
expiratione, per quae in quibusdam vita conservatur; et de iuventute et
senectute, per quae diversificatur status vitae. Similiter autem et in libro
qui inscribitur de causis longitudinis et brevitatis vitae et in libro quem
fecit de sanitate et aegritudine, quae etiam pertinent ad dispositionem
vitae, et in libro quem dicitur fecisse de nutrimento et nutribili, qui duo
libri apud nos nondum habentur. Alia vero pertineat[20] ad motivum: quae quidem
continentur in duobus: scilicet in libro de causa motus animalium, et in libro
de progressu animalium, in quo determinatur de partibus animalium opportunis
ad motum. Tertia vero pertinet ad sensitivum. Circa quod considerari potest,
et id quod pertinet ad actum interioris, vel exterioris sensus; et quantum ad
hoc consideratio sensitivi continetur in hoc libro, qui inscribitur de sensu
et sensato; idest de sensitivo et sensibili, sub quo etiam continetur
tractatus de memoria et reminiscentia. Et iterum, ad considerationem
sensitivi pertinet id, quod facit differentiam circa sensum in sentiendo,
quod per somnum et vigiliam determinavit in libro quod inscribitur de somno
et vigilia. |
Il faut donc
diviser l’enquête intermédiaire qui porte sur ce genre de choses en trois
parties : l’une d’entre elles comprend ce qui concerne le vivant en tant
que vivant : cela est contenu dans le livre qu’il écrivit sur la mort et
la vie[21],
dans lequel il détermine également ce qui touche à l’inspiration et à
l’expiration, qui maintiennent en vie certains êtres, dans le livre sur la
jeunesse et la vieillesse[22],
qui constituent des états distincts du vivant. Il en est de même dans le
livre qui est intitulé sur les causes de la longueur et de la brièveté de la
vie[23],
dans le livre qu’il a composé sur la santé et la maladie[24],
qui concernent tous deux les dispositions de la vie, ainsi que dans le livre
qui lui est attribué sur la nutrition et l’aliment[25],
livres que nous ne possédons pas encore pour ces deux derniers. Une autre
partie concerne les facultés motrices ; elle est contenue dans deux
livres : celui qui porte sur la cause du mouvement des animaux[26],
et l’autre sur la marche des animaux[27],
dans lequel il détermine ce qui touche aux parties des animaux propres au
mouvement. La troisième partie concerne la sensibilité. A ce propos, on peut
étudier ce qui se rapporte à l’acte du sens intérieur ou à celui du sens
extérieur ; en ce qui concerne ce dernier, l’étude de la sensibilité est
contenue dans ce livre qui est intitulé De
la sensation et du sensible, c’est à dire sur la sensibilité et le
sensible, lequel contient également le traité sur la mémoire et la
réminiscence[28].
Et enfin, à l’étude de la sensibilité appartient aussi ce qui crée une
différence pour le sens dans l’acte de sentir, ce qu’il montre par le sommeil
et la veille, dans le livre qui porte ce titre[29]. |
[81163] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 6 Sed quia oportet per magis
similia ad dissimilia transire, talis videtur esse rationabiliter horum
librorum ordo, ut post librum de anima, in quo de anima secundum se
determinatur, immediate sequatur hic liber de sensu et sensato, quia ipsum
sentire magis ad animam quam ad corpus pertinet: post quem ordinandus est
liber de somno et vigilia, quae important ligamentum et solutionem sensus.
Deinde sequuntur libri qui pertinent ad motivum, quod est magis propinquum
sensitivo. Ultimo autem ordinantur libri qui pertinent ad communem
considerationem vivi, quia ista consideratio maxime concernit corporis
dispositionem. |
Mais parce qu’il
faut aller au plus dissemblable par l’intermédiaire du plus semblable[30],
l’ordre rationnel de ces livres semble être celui ci : après le Traité de l’âme, où est établi ce qui
se rapporte à l’âme en elle-même, vient immédiatement le présent livre De la sensation et du sensible, parce
que l’acte de sentir lui-même appartient plus à l’âme qu’au corps ;
après celui-ci, il faut placer le traité Du
sommeil et de la veille, parce que ces états causent la paralysie des
sens et leur fin[31].
Viennent ensuite les livres relatifs aux facultés motrices, qui sont plus
proches des sens. Sont placés en dernier les livres qui se rapportent à
l’étude de ce qu’il y a de commun à tout ce qui vit, parce que cela concerne surtout
la disposition du corps. |
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[Plan du traité et du prologue]
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Traduction
du texte d’Aristote, par Guillaume de Moerbeke |
Traduction du texte de Guillaume
de Moerbeke, par Alain Blachair[32]
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Quoniam autem de anima secundum ipsam determinatum est et de uirtute
qualibet ex parte ipsius, consequens est facere considerationem de animalibus
et uitam habentibus omnibus, que sunt proprie et que communes operationes
eorum. Que igitur dicta sunt de anima subiciantur, de reliquis autem dicamus,
et primum de primis. |
Or,
puisque l’on a déterminé ce qu’il en est de l’âme en elle-même et de chacune
de ses facultés du point de vue de l’âme, la suite est de procéder à l’étude
des animaux et de tous les êtres qui possèdent la vie, de leurs opérations
propres, et de celles qui sont communes. Ce qui a été dit de l’âme étant donc
supposé, nous parlerons du reste, et premièrement de ce qui vient en premier. |
Videntur autem maxime, et communia et propria animalium, communia esse
et corporis et anime. |
Ce
qu’il y a de plus important [dans ce domaine], de commun et de propre aux
animaux semble être ce qui est commun au corps et à l’âme. |
Puta sensus et memoria, et ira et desiderium et omnino appetitus, et
cum hiis gaudium et tristicia ; et enim hec fere insunt omnibus
animalibus. Cum hiis autem hec quidem omnium sunt uita participancium
communia, hec uero animalium quibusdam. Existant autem horum maxima quatuor
coniuga numero, uelut uigilia sompnus, et iuuentus et senectus, et respiratio
et exspiratio, et uita et mors ; de quibus considerandum quid est
unumquodque ipsorum et quibus pro causis accidit. Verum phisici est et de
sanitate et infirmitate prima inuenire principia. |
Par
exemple : le sens et la mémoire, la colère, le désir et tout appétit, et
avec eux la joie et la tristesse ; tout ceci appartient en effet
ordinairement à tous les animaux. Outre ces caractères, certains sont communs
à tous les êtres participant à la vie, d’autres au contraire à certains
animaux [seulement]. Il en existe de plus importants qui forment des paires
au nombre de quatre, ainsi la veille et le sommeil, la jeunesse et la vieillesse,
l’inspiration et l’expiration, la vie et la mort ; il faut étudier à
leur propos ce qu’est chacune d’entre eux, et les causes qui le provoquent.
C’est aussi au philosophe de la nature[33]
qu’il appartient de découvrir les premiers principes de la santé et de
l’infirmité. |
Nec enim sanitatem nec infirmitatem possibile fieri carentibus uita. Quare
fere phisicorum plurimi et medicorum qui magis philosofice artem prosecuntur,
hii quidem finiunt ad ea que de medicina, hii uero ex hiis que de natura
incipiunt de medicina. |
Ni
la santé ni la maladie ne peuvent se produire en ce qui ne possède pas la
vie. C’est pourquoi beaucoup de philosophes de la nature finissent par ce qui
concerne la médecine, alors que les médecins qui exposent leur art de la
manière la plus philosophique commencent à traiter de la médecine en débutant
par ce qui appartient à l’étude de la nature. |
Quod autem omnia dicta communia sint anime et corporis, non
inmanifestum est. Omnia enim hec quidem cum sensu accidunt, hec uero per
sensum ; quedam autem hec quidem passiones huius entes existunt, hec
uero habitudines, hec autem conseruationes et salutaria, hec uero
corruptiones et priuationes. Sensus autem quoniam per corpus insit anime,
manifestum et per sermonem et absque sermone. |
Que
tout ce qui vient d’être dit soit commun à l’âme et au corps ne manque pas
d’évidence. Tous ces caractères se produisent soit avec la sensation, soit en
raison de la sensation ; certains existent à titre d’altération de la
sensation, d’autres de disposition, d’autres afin de la conserver, d’autres
pour la guérir, d’autres au contraire à titre de corruption ou de privation. Que
la sensation appartienne à l’âme en raison du corps, c’est évident tant par
le discours que sans le discours[34]. |
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Commentaire de saint Thomas
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Traduction
et notes par Alain Blachair, 2005
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[81164] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 7 Hic igitur liber, qui de
sensu et sensato inscribitur, primo quidem in duas partes dividitur, in
prooemium et tractatum, quod incipit, ibi, sed de sensu et sentire. Circa
primum duo facit. Primo manifestat suam intentionem, ostendens de quibus sit
tractandum. Secundo assignat rationem, quare necessarium est de his tractari,
ibi, videntur autem maxima[35].
Dicit ergo primo iam determinatum esse in libro de anima, de anima secundum
seipsam, ubi scilicet animam definivit. Iterum consequenter determinatum est
de qualibet virtute et potentia eius: sed hoc dico ex parte ipsius.
Cum enim potentiae animae, praeter intellectum, sint actus quarumdam partium
corporis, dupliciter de his considerari potest: uno modo secundum quod
pertinent ad animam, quasi quaedam potentiae vel virtutes eius; alio modo ex
parte corporis. De ipsis ergo potentiis animae ex parte ipsius animae
determinatum est in libro de anima, sed nunc consequens est facere
considerationem de animalibus, et omnibus habentibus vitam: quod addit
propter plantas determinando scilicet quae sunt operationes eorum propriae
scilicet singulis speciebus animalium et plantarum. Et quae communes,
scilicet omnibus viventibus, vel omnibus animalibus, vel multis generibus
eorum, illa igitur quae dicta sunt de anima subiiciantur vel supponantur,
idest utamur ipsis in sequentibus, tamquam suppositionibus iam manifestis. De
reliquis autem dicamus, et primum de primis, id est primo de communibus,
et postea de propriis. Iste enim est debitus ordo scientiae naturalis, ut
determinatum est in principio libri physicorum[36]. |
Ce livre donc, intitulé De la sensation et du sensible, se
divise précisément en deux parties, le prologue et le traité, qui commence
par ces mots : Mais, en ce qui
concerne le sens. En ce qui concerne la première de ces parties, Aristote
fait deux choses. Il manifeste tout d’abord son intention en montrant de quoi
il va traiter. En second lieu, il donne la raison pour laquelle il est
nécessaire de traiter de cela, lorsqu’il dit : Ce qu’il y a de plus important. Il dit donc premièrement que ce
qui concerne l’âme en elle-même a été déterminé dans le Traité de l’âme,
où il a défini celle-ci. A été également déterminé par voie de conséquence ce
qui concerne chacune de ses facultés et de ses puissances, mais je dis que
cela fut déterminé du point de vue de l’âme. Puisque, en effet, les
facultés de l’âme, autres que l’intellect, sont les actes de certaines
parties du corps, elles peuvent être étudiées de deux manières : d’une
première manière en tant qu’elles concernent l’âme, en tant qu’elles sont ses
facultés ou puissances ; d’une autre manière, du point de vue du corps.
Ce qui concerne les facultés de l’âme, du point de vue de celle-ci, a donc
été déterminé dans le Traité de l’âme, et il faut maintenant
poursuivre par l’étude des animaux et de tous les êtres qui possèdent la
vie (addition qu’il fait à cause des plantes), c’est à dire en
déterminant les opérations propres, à chacune des espèces animales ou
végétales. Et celles qui sont communes, c’est à dire qui appartiennent
à tous les vivants, à tous les animaux, ou à de nombreux genres d’entre eux. Ce
qui a été dit de l’âme étant donc supposé, c’est à dire que nous
l’utiliserons dans ce qui suit, à titre d’hypothèses[37]
déjà démontrées. Nous parlerons du reste, et premièrement de ce qui vient
en premier, c’est à dire que nous débuterons par ce qui est commun, et
[nous poursuivrons] ensuite par ce qui est propre [à certains genres d’êtres
vivants]. Tel est l’ordre qui doit être suivi dans la science de la nature,
comme cela est démontré au début du livre des Physiques[38]. |
[81165] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 8 Deinde cum dicit videntur
autem ostendit necessitatem praesentis considerationis. Si enim operationes
tam propriae, quam communes animalium et plantarum, essent propriae ipsius
animae, sufficeret ad hoc consideratio de anima. Sed quia sunt communes
animae et corpori; ideo oportet, post considerationem de anima, de huiusmodi
considerare, ut sciatur qualis dispositio corporum ad huiusmodi operationes
vel passiones requiritur. Et ideo philosophus hic ostendit omnia communia
esse animae et corpori. Circa autem hoc tria facit philosophus. Primo
proponit quod intendit. Secundo numerat ea, de quibus est intentio, ibi, puta
sensus. Tertio probat propositum, ibi, quod autem omnia dicta. Dicit ergo
primo, quod illa quae sunt maxima et praecipua inter ea quae pertinent ad
animalia et plantas, sive sint communia omnium animalium aut plurium, sive
sint propria singulis speciebus, etiam ex ipso primo aspectu videntur esse
communia animae et corporis. Unde aliam considerationem requirunt
praeter eam quae est de anima absolute. |
Lorsqu’il dit ensuite Ce qu’il y a de plus important[39],
il montre la nécessité de l’enquête présente. En effet, si les opérations
tant propres que communes des animaux et des plantes n’appartenaient qu’à
l’âme elle-même[40],
il suffirait pour les connaître d’étudier l’âme. Mais, parce qu’elles sont
communes à l’âme et au corps, il faut les étudier, après l’avoir fait pour
l’âme, afin de savoir quelle disposition du corps est requise pour ce genre
d’opérations ou d’altérations[41].
Et c’est pourquoi le Philosophe montre que tout ceci est commun à l’âme et au
corps. A ce propos, il fait trois choses. Tout d’abord, il expose quelle est
son intention. En second lieu, il énumère ce dont il à l’intention [de
traiter], à ces mots : Par exemple : le sens, etc. En troisième lieu, il prouve
ce qu’il a annoncé, à ces mots : Que tout ce qui vient d’être dit, etc. Il dit donc premièrement que
ce qu’il y de plus important et de principal dans les animaux et les plantes,
est soit commun à tous les animaux ou à beaucoup d’entre eux, soit propre à
des espèces singulières, et semble aussi à première vue être commun à l’âme
et au corps. Cela exige donc une autre enquête en dehors de celle qui porte
sur l’âme considérée à part. |
[81166] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit puta
sensus enumerat ea de quibus est intentio: et primo ponit ea quae pertinent
ad sensitivum, scilicet sensum et memoriam. Non facit autem de aliis
mentionem, scilicet de imaginatione et aestimatione, quia haec non
distinguuntur a sensu ex parte rei cognitae: sunt enim praesentium vel quasi
praesentium; sed memoria distinguitur per hoc quod est praeteritorum
inquantum praeterita sunt. |
Lorsqu’il dit ensuite : Par exemple, le sens, etc., il
énumère ce dont il a l’intention de traiter, et il mentionne d’abord ce qui
concerne les facultés sensitives, à savoir la sensation et la mémoire. Il ne
fait pas mention des autres facultés, l’imagination et l’estimative[42],
parce qu’elles ne se distinguent pas du sens au point de vue de la chose
connue : elles portent en effet sur des objets présents, ou donnés comme
tels ; la mémoire s’en distingue au contraire parce qu’elle porte sur ce
qui est passé, en tant qu’il est passé. |
[81167] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 10 Secundo ponit illa quae
pertinent ad motivum. Est autem propinquum principium motus in animalibus
appetitus sensitivus, qui dividitur in duas vires, scilicet irascibilem et concupiscibilem,
sicut dictum est in tertio de anima. Ponit ergo iram pertinentem ad vim
irascibilem, et desiderium pertinens ad concupiscibilem; a quibus duabus
passionibus, tamquam a manifestioribus, praedictae duae vires denominantur.
Concupiscibilis enim denominatur a desiderio, irascibilis autem ab ira. Sed,
quia sunt quaedam aliae animae passiones ad vim appetitivam pertinentes, ideo
subiungit, et omnino appetitus ut comprehendat omnia quae ad vim
appetitivam pertinent. |
Il mentionne en second lieu ce qui concerne les facultés motrices. Le
principe prochain du mouvement dans les animaux est en effet l’appétit
sensible, qui se divise en deux facultés, à savoir l’irascible et le
concupiscible, comme il est dit au livre III du Traité de l’âme[43].
Il mentionne donc la colère, qui se rapporte à la faculté de l’irascible, et
le désir qui se rapporte au concupiscible ; c’est à partir de ces deux
passions, en tant qu’elles sont plus apparentes, que les deuxfacultés
précédentes sont nommées[44],
le concupiscible recevant son nom du désir[45],
l’irascible de la colère (ira). Mais, parce qu’il y a d’autres
passions de l’âme se rapportant à la faculté désirante, il ajoute et tout
appétit, afin que son énumération contienne tout ce qui concerne cette
faculté. |
[81168] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 11 Ad omnes autem passiones
animae, sive sint in irascibili, sive in concupiscibili, sequitur gaudium vel
tristitia, ut dicitur secundo Ethicorum; et ideo subdit et cum his gaudium
et tristitiam, quasi finales ultimae passiones. Et subiungit quod haec,
quae enumerata sunt, fere inveniuntur in omnibus generibus animalium. Dicit
autem fere, quia plura eorum inveniuntur in omnibus animalibus tam
perfectis quam imperfectis, scilicet sensus et desiderium et appetitus et gaudium
et tristitia. Habent enim animalia imperfecta de sensibus solum tactum,
habent etiam phantasiam et concupiscentiam et gaudium et tristitiam, licet
indeterminate sint, et indeterminate moveantur, ut dictum est secundo de
anima. Memoria vero et ira in eis totaliter non invenitur, sed solum in
animalibus perfectis. Cuius ratio est, quia non omnia quae sunt inferioris
generis, sed solum suprema et perfectiora, pertingunt ad aliquam
participationem similitudinis eius, quod est proprium superiori generi. Differt
autem sensus ab intellectu et ratione; quia intellectus vel ratio est
universalium, quae sunt ubique et semper; sensus autem est singularium quae
sunt hic et nunc. Et ideo sensus secundum suam propriam rationem non est
cognoscitivus nisi praesentium. |
A toute passion de l’âme, qu’elle réside dans l’irascible ou dans le
concupiscible, font suite la joie ou la tristesse, comme il est dit au livre II
de l’Ethique à Nicomaque[46] ;
et c’est pourquoi il ajoute et avec eux la joie et la tristesse, parce
qu’elles sont les passions qui terminent [les autres]. Il ajoute que ce
qu’il vient d’énumérer se trouve ordinairement dans tous les animaux.
Il dit ordinairement, parce que plusieurs d’entre ces choses se
trouvent dans tous les animaux, tant parfaits qu’imparfaits, à savoir le
sens, le concupiscible et les facultés désirantes, la joie et la tristesse.
Des sens, les animaux imparfaits possèdent en effet le toucher seul ;
ils possèdent également l’imagination, le désir, la joie et la tristesse,
bien qu’elles ne soient pas déterminées et ne soient pas dirigées de manière
déterminée[47], comme cela est
dit au livre II du Traité de l’âme[48].
La mémoire et la colère ne se trouvent aucunement en eux, mais seulement dans
les animaux parfaits. La raison en est que ce n’est pas tout ce qui
appartient au genre inférieur, mais seulement ce qu’il y a de plus parfait en ce genre, qui atteint une
participation de ressemblance à ce qui est propre au genre supérieur. Le sens
diffère en effet de l’intellect et de la raison : l’intellect ou la
raison portent sur les universels, qui sont partout et toujours, le sens au
contraire porte sur les [êtres] singuliers, qui sont ici et maintenant. De la
vient que le sens selon sa notion propre n’est susceptible de connaître que
ce qui est présent. |
[81169] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 12 Quod autem sit aliqua
virtus sensitivae partis, se extendens ad alia quae non sunt praesentia, hoc
est secundum similitudinariam participationem rationis vel intellectus. Unde
memoria, quae est cognoscitiva praeteritorum, convenit solum animalibus
perfectis, utpote supremum quoddam in cognitione sensitiva. Similiter etiam
appetitus sensitivus, consequens sensum secundum propriam rationem, est eius
quod est delectabile secundum sensum, quod pertinet ad vim concupiscibilem,
quae est communis animalibus. Sed quod animal tendat per appetitum ad aliquod
laboriosum, puta ad pugnam vel aliquod huiusmodi, habet similitudinem cum
appetitu rationali, cuius est appetere aliqua propter finem quae non secundum
sensum sunt appetibilia. Et ideo ira, quae est appetitus vindictae, pertinet
solum ad animalia perfecta, propter quamdam appropinquationem ad genus
rationalium. |
Qu’il existe une certaine faculté de la partie sensitive de l’âme,
s’étendant à des réalités qui ne sont pas présentes, cela se produit par une
participation par ressemblance à la raison ou à l’intellect. C’est pourquoi
la mémoire, à laquelle il appartient de connaître le passé, convient
seulement aux animaux parfaits, en tant qu’elle est le terme supérieur de la
connaissance sensible. De manière semblable, l’appétit sensible, qui, selon
sa notion propre, résulte du sens, porte sur ce qui est agréable aux sens, et
se rapporte à la faculté concupiscible qui est commune à tous les animaux.
Mais que l’animal tende par le désir à quelque chose de pénible, par exemple
à la lutte ou à quelque chose de ce genre, cela ressemble à l’appétit
rationnel, auquel il appartient de désirer certaines choses qui ne sont
aucunement désirables au sens, en vue d’une fin [ultérieure][49]. Et par conséquent, la
colère, qui est le désir de la vengeance, appartient seulement aux animaux
parfaits, en raison d’une certaine proximité avec le genre des êtres
rationnels. |
[81170] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 13 Deinde ponit ea quae
pertinent aliqualiter ad rationem vitae: et dicit quod cum praemissis
inveniuntur alia in animalibus, quorum quaedam sunt communia omnibus
participantibus vitam, non solum animalibus, sed etiam plantis. Quaedam vero
pertinent solum ad quaedam genera animalium: et horum praecipua sub
quadruplici coniugatione[50]
[coniunctione] enumerantur [vel coniugatione]. Primam quidem coniugationem
ponit vigiliam et somnum: quae inveniuntur in omnibus animalibus, non tamen
in plantis. Secundam autem ponit iuventutem et senectutem, quae
inveniuntur tam in animalibus quam in plantis. Cuiuslibet enim corruptibilis
et generabilis vita distinguitur per diversas aetates. Tertiam ponit
respirationem et expirationem, quae inveniuntur in quibusdam generibus
animalium, scilicet in omnibus habentibus pulmonem. Quartam ponit
vitam et mortem, quae inveniuntur in omnibus viventibus in hoc mundo
inferiori. Et de his omnibus dicit considerandum quid unumquodque eorum sit,
et quae sit causa eius. Et quia praedicta dixerat esse maxima, subiungit de
quibusdam quae non sunt ita praecipua, sicut sanitas et aegritudo, quae non
inveniuntur in omnibus individuis generum, in quibus nata sunt esse, sicut
accidit de praemissis; sunt tamen nata inveniri in omnibus viventibus tam
animalibus quam plantis. |
Il énonce ensuite des caractères qui appartiennent d’une manière ou
d’une autre à la notion de vie : et il dit qu’outre ceux qui
précèdent, d’autres se trouvent dans les animaux, dont certains sont communs
à tout ce qui participe à la vie, non seulement aux animaux, mais aussi aux
plantes. D’autres, au contraire, ne concernent que certains genres d’animaux.
Il énumère les principaux d’entre eux en quatre paires. La première paire
qu’il énonce est celle du sommeil et de la veille, qui se trouvent dans tous
les animaux, mais pas dans les plantes. La seconde est celle de la jeunesse
et de la vieillesse, qui se trouvent à la fois dans les animaux et dans les
plantes. La vie de n’importe quel être qui naît et se corrompt se divise en
effet en différents âges. La troisième paire énoncée est celle de
l’inspiration et de l’expiration, qui se trouvent dans certains genres
d’animaux, à savoir ceux qui possèdent des poumons. La quatrième est celle de
la vie et de la mort, qui se trouvent chez tous les vivants de ce monde
inférieur[51]. A propos de
tous ces caractères, il dit qu’il faut étudier ce qu’est chacun d’entre eux,
et quelle est sa cause. Et, parce qu’il a dit que ceux qui précèdent étaient
les plus importants [des caractères du vivant], il ajoute à propos de
caractères qui le sont moins, comme la santé et la maladie, qu’ils ne se
trouvent pas dans tous les individus du genre, dans lequel ils sont
susceptibles de se trouver, comme c’est le cas des précédents ; ils sont
néanmoins susceptibles de se trouver dans tous les vivants, tant les animaux
que les plantes. |
[81171] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 14 Dicit autem quod etiam ad
naturalem philosophum pertinet invenire prima et universalia principia
sanitatis et aegritudinis: particularia autem principia considerare pertinet
ad medicum, qui est artifex factivus sanitatis; sicut ad quamlibet artem
factivam pertinet considerare singularia circa suum propositum, eo quod
operationes in singularibus sunt. Et quod haec consideratio pertineat ad
naturalem probat, ibi, nec enim sanitatem et cetera. Et hoc dupliciter. |
Il dit également que c’est au philosophe de la nature qu’il revient de
découvrir les premiers principes universels de la santé et de la
maladie : en étudier les principes particuliers revient au médecin, qui
est le technicien qui produit la santé[52].
C’est de même à chaque technique de production[53]
qu’il revient d’étudier les principes singuliers relatifs à ses buts,
puisqu’elles opèrent dans des circonstances singulières. C’est à partir de
ces mots : Ni la santé…, qu’il prouve, de deux manières, que
cette étude concerne le philosophe de la nature. |
[81172] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 15 Primo quidem per
rationem. Non enim potest inveniri sanitas, nisi in habentibus vitam. Ex quo
patet quod corpus vivum est proprium subiectum sanitatis et aegritudinis.
Principia enim subiecti sunt principia propriae passionis. Unde, cum ad
philosophum naturalem pertineat considerare corpus vivum et eius principia,
oportet etiam quod consideret principia sanitatis et aegritudinis. |
Il le prouve premièrement par une raison. La santé ne peut se trouver
que dans les êtres qui possèdent la vie. Il est évident à partir de là que le
corps vivant est le sujet propre de la santé et de la maladie. En effet, les
principes d’un sujet sont les principes des altérations[54] qui lui sont propres.
C’est pourquoi, puisque c’est au philosophe de la nature qu’il revient
d’étudier le corps vivant et ses principes, il faut aussi qu’il étudie les
principes de la santé et de la maladie. |
[81173] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 16 Secundo probat idem per
signum sive exemplum, quod concludit ex ratione inducta. Plurimi enim
philosophorum naturalium finiunt suam considerationem ad ea etiam quae sunt
de medicina. Similiter etiam plurimi medicorum, qui scilicet magis physice
artem medicinae prosequuntur, non solum experimentis utentes sed causas
inquirentes, incipiunt medicinalem considerationem a naturalibus. Ex quo
patet quod consideratio sanitatis et aegritudinis communis est et medicis et
naturalibus. Cuius ratio est, quia sanitas causatur quandoque quidem solum a natura,
et propter hoc pertinet ad considerationem naturalis, cuius est considerare
opera naturae: quandoque vero ab arte, et secundum hoc consideratur a medico.
Sed quia ars non principaliter causat sanitatem, sed quasi adiuvat naturam et
est ministrans ei; ideo necesse est quod medicus a naturali tamquam a
principaliori principia suae scientiae accipiat, sicut gubernator navis ab
astrologo. Et haec est ratio quare medici bene artem prosequentes a
naturalibus incipiunt. Si qua vero sunt artificialia, quae solum fiunt ab
arte, ut domus et navis, haec nullo modo pertinent ad considerationem
naturalis, sicut ea quae fiunt solum a natura nullo modo pertinent ad
considerationem artis, nisi inquantum ars utitur re naturali. |
Il le prouve une seconde fois par un signe ou un exemple, qu’il
conclut à partir de la raison présentée. Beaucoup de philosophes de la nature
finissent leur enquête par ce qui appartient également à la médecine. De
même, beaucoup de médecins, à savoir ceux qui traitent de leur art de la
manière la plus proche de la philosophie de la nature, en recherchant les
causes et pas seulement en usant d’expériences, commencent l’étude de la
médecine en débutant par ce qui appartient à la philosophie de la nature. Il
est évident à partir de cela que l’étude de la santé et de la maladie est
commune au médecin et au philosophe de la nature. La raison en est que la
santé est quelquefois causée par la nature seule, et par là ressort de
l’objet d’étude du philosophe de la nature, à qui il appartient d’en étudier
les œuvres. Parfois, elle est causée par la technique, et à ce titre, elle
est étudiée par le médecin. Mais l’art n’est pas la cause principale de la
santé, mais agit pour ainsi dire en secourant et en servant la nature ;
c’est pourquoi il est nécessaire que le médecin reçoive les principes de sa
science du philosophe de la nature comme d’un principe supérieur, de la même
manière que le pilote d’un navire reçoit les siens de l’astronome. Et c’est
la raison pour laquelle les médecins traitant correctement de leur art
commencent par ce qui appartient à la philosophie de la nature. Si certaines
œuvres de la technique sont produites uniquement par elle, comme c’est le cas
pour une maison ou un navire, elles ne relèvent à aucun titre de l’étude du
philosophe de la nature, de même que ce qui se fait de manière uniquement
naturelle ne relève à aucun titre de l’étude des techniques, si ce n’est en
tant que la technique utilise des réalités naturelles. |
[81174] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 1 n. 17 Deinde cum dicit quod
autem probat propositum, scilicet quod omnia praedicta sunt communia animae
et corpori: et utitur tali ratione. Omnia praedicta ad sensum pertinent:
sensus autem communis est animae et corpori, sentire enim convenit animae per
corpus: ergo praedicta omnia sunt communia animae et corpori. Primum
manifestat quasi per inductionem. Praedictorum enim quaedam cum sensu
accidunt, scilicet quae pertinent ad cognitionem sensitivam, ut sensus,
phantasia et memoria, quaedam vero accidunt per sensum, sicut ea quae pertinent
ad vim appetitivam, quae movetur per apprehensionem sensus. Aliorum
vero, quae pertinent manifestius ad corpus, quaedam sunt passiones sensus,
scilicet somnus, qui est ligamentum sensus, et vigilia quae est solutio eius;
quaedam vero sunt habitudines sensus, scilicet iuventus et senectus quae
pertinent ad hoc, quod sensus bene se habeant vel debiliter; quaedam vero
sunt conservationes et salutaria sensus, scilicet respiratio, vita et
sanitas; quaedam vero corruptiones, sicut mors et infirmitas. Secundum autem,
scilicet quod sensus communis sit animae et corpori, dicit esse manifestum,
et per rationem et sine ratione. Ratio enim est in promptu: quia cum sensus
patiatur a sensibili, sicut ostensum est in libro de anima, sensibilia autem
materialia sint et corporea, necesse corporeum esse, quod a sensibili
patiatur. Absque autem ratione manifestum est experimento: quia turbatis
corporeis organis impeditur operatio sensus; et eis ablatis, totaliter sensus
tollitur. |
Ensuite,
lorsqu’il dit Que tout ce qui vient, il prouve ce qu’il a avancé, à
savoir que tout ce qui vient d’être mentionné est commun à l’âme et au corps.
La raison qu’il utilise est la suivante. Tout ce qu’il a mentionné concerne
le sens ; or le sens est commun à l’âme et au corps, sentir convenant en
effet à l’âme en raison du corps ; donc tout ce qui précède est commun à
l’âme et au corps. Il prouve la première proposition par une sorte
d’induction. Certaines des opérations mentionnées auparavant se produisent
avec le sens, à savoir ce qui concerne la connaissance sensible (comme le
sens [lui-même], l’imagination et la mémoire), certaines se produisent au
moyen du sens, comme ce qui concerne la faculté désirante, qui est mue par ce
que le sens saisit. Parmi les autres, qui concernent au contraire le corps de
manière plus évidente, certaines sont des altérations[55]
du sens, comme le sommeil, qui en est la paralysie, et la veille qui est la
cessation de cette paralysie ; d’autres encore sont des dispositions du
sens, comme la jeunesse ou la vieillesse qui se rapportent à son bon
fonctionnement ou à sa faiblesse ; d’autres enfin ont rapport à la
conservation ou à la survie du sens, comme la respiration, la vie et la
santé, d’autres à leur corruption comme la mort ou l’infirmité. Il dit de la
seconde proposition, à savoir que le sens est commun à l’âme et au corps,
qu’elle est évidente, à la fois par le raisonnement et sans raisonnement. Le
raisonnement est facile [à établir] : car, comme cela a été montré dans
le Traité de l’âme, le sens est affecté par le sensible ; or, les
sensibles sont matériels et corporels, il est donc nécessaire que ce qui est
affecté par le sensible soit corporel. Sans raisonnement, c’est évident par
l’expérience : le trouble affectant des organes corporels empêche
l’opération du sens ; ceux-ci enlevés, le sens est totalement détruit. |
Texte d’Aristote, traduit en latin par
Guillaume de Moerbeke |
Texte de Guillamue de Moerbeke,
traduit par Alain Blachair
|
Sed de sensu et sentire quid sit et quare accidit animalibus haec
passio, dictum est prius in his quae de anima. |
Mais,
en ce qui concerne le sens et l’acte de sentir, on a dit auparavant, dans le Traité de l’âme[57], ce qu’ils sont, et
pourquoi cette passion affecte les animaux. |
Animal autem secundum quod animal necesse est unumquodque habere
sensum ; per hoc enim determinamus animal esse et non animal. |
Or, il
est nécessaire que chaque animal possède des sens ; c’est en effet par
là que nous distinguons l’animal et ce qui ne l’est pas. |
Proprie autem secundum unumquodque tactus et gustus insequitur omnia
necessario, tactus quidem propter dictam causam in hiis que de anima, gustus
uero propter escam : sapidum[58] enim et insipidum[59] discernit ipso circa
escam, ut hoc quidem fugiat, hoc autem prosequatur ; et omnino sapor est
nutritivae partis animae passio. |
En
particulier, le toucher et le goût appartiennent nécessairement à chacun
d’entre eux, le toucher surtout en raison de la cause qui a été exposée dans
le Traité de l’âme[60], le goût en raison de
la nourriture : c’est lui en effet qui distingue le sapide[61] et l’insipide[62] en matière de
nourriture, afin de fuir l’un et de rechercher l’autre ; et la saveur
est à tout point de vue une passion de la partie nutritive de l’âme. |
Sensus autem qui per exteriora proficiscentibus ipsorum insunt,
quemadmodum odoratus, auditus, uisus, omnibus quidem habentibus causa salutis
insunt, ut presentientia prosequantur alimentum, mala autem et corruptiua
fugiant. |
Quant
aux sensations extérieures, comme par exemple l’odorat, l’ouïe, elles
appartiennent aux animaux qui s’avancent, et cela en vue de leur
conservation, en tant qu’elles pressentent[63] les aliments à
rechercher et les maux ou les choses nuisibles à fuir. |
Et habentibus autem prudentiam eius quod bene gratia : multas
enim annuntiant differentias, ex quibus contemplabilium inest discretio et
agibilium. |
Et pour
ceux qui sont doués de prudence, elles servent à leur bien : elles leur
annoncent nombre de différences, dont on peut tirer la connaissance des
objets de contemplation et des actions. |
Horum autem ipsorum ad necessaria quidem melior est uisus, et secundum
se ; ad intellectum autem et secundum accidens auditus. |
Parmi
elles, la meilleure en ce qui concerne les choses nécessaires est la vue, et
cela par elle-même ; relativement à l’intellect et par accident, c’est
l’ouïe. |
Multas quidem enim differentias et multimodas uisus annuntiat
potentia, quia omnia corpora colore participant. Quare et
communia magis per hunc sentiuntur. Dico autem communia magnitudinem,
figuram, motum, numerum. Auditus vero soni tantum
differencias ; paucis autem et eas quae uocis. |
La
faculté visuelle annonce en effet de nombreuses différences de toutes sortes,
parce que tous les corps participent à la couleur. C’est pour cette raison
que ce qui est commun est surtout senti par ce sens. J’appelle commun la
grandeur, la figure, le mouvement, le nombre. En revanche, l’ouïe [ne montre]
que les différences du son, et, pour peu d’animaux, les différences des voix. |
Secundum uero accidens ad prudentiam auditus plurimam confert partem. Sermo
enim audibilis existens causa est disciplinae, non secundum se sed secundum
accidens ; ex nominibus enim constat, nominum uero unumquodque symbolum
est. Quare sapientiores a natiuitate priuatorum utroque sensu sunt caeci
mutis et surdis. |
Mais
l’ouïe contribue par accident à plusieurs parties de la prudence. La raison
pour laquelle la parole audible existe est l’enseignement, non par elle-même,
mais par accident ; elle consiste en effet en noms, et chaque nom est un
symbole. C’est pourquoi, parmi ceux qui sont privés dès la naissance de l’un
ou l’autre sens, les aveugles sont plus sages que les sourds et muets. |
De uirtute itaque quam habet sensuum unusquisque, dictum est prius. |
Ce qui
regarde la puissance de chaque sens a été dit antérieurement[64]. |
|
|
Tractatus primus : De sensu exteriori |
Traité 1[65] – Sur le sens externe et la sensation, commentaire de saint Thomas
|
Lectio 2 |
Leçon 2 ─ Les sens et les diverses catégories d’animaux.
|
Traduction par Alain Blachair,
2005 |
|
[81175] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 1 Praemisso prooemio, in quo
ostendit philosophus suam intentionem, hic incipit prosequi suum propositum.
Et primo determinat ea quae pertinent ad sensum exteriorem. Secundo
determinat ea quae pertinent ad cognitionem sensitivam interiorem, scilicet
de memoria et reminiscentia, ibi, de memoria et reminiscentia. Ille enim
tractatus est pars istius libri secundum Graecos. Circa primum tria facit.
Primo resumit quaedam, quae de sensu dicta sunt in libro de anima, quibus
utendum est tamquam suppositionibus, ut supra dictum est. Secundo determinat
veritatem, quam intendit circa opera sensuum et sensibilia, ibi, in quibus
autem habent fieri. Tertio solvit quasdam dubitationes circa praemissa, ibi,
obiiciet autem aliquis si omne corpus. Circa primum duo facit. Dicit enim
primo, quid circa sensum in libro de anima dictum sit. Secundo assumit
quaedam eorum, ibi, animal autem secundum quod animal. |
Le
prologue, dans lequel il manifeste son intention, une fois achevé, il
commence ici à réaliser son dessein. Il détermine d’abord ce qui appartient
au sens extérieur. Ensuite, il fait de même pour ce qui appartient à la
connaissance sensible intérieure, c’est-à-dire la mémoire et la réminiscence,
à partir des mots Qu’est-ce que la
mémoire[66]?
le traité à ce sujet étant d’après les Grecs une partie du présent livre. Sur
le premier sujet, il fait trois choses. Tout d’abord, il rappelle certaines
choses qui ont été dites au sujet des sens dans le Traité de l’âme, dont il se servira à titre d’hypothèses déjà
démontrées, comme cela a été dit plus haut[67]. En second lieu, il établit
la vérité qu’il a en vue au sujet des opérations des sens et des sensibles, à
partir des mots : Pour savoir
précisément, etc[68]. En troisième lieu, il
résout certains doutes au sujet de ce qui précède, où il dit : On peut se demander si tout corps,
etc. (leçon 15). Sur le premier point, il fait deux choses : il énonce
ce qui a été dit à propos du sens dans le Traité
de l’âme, et ensuite, il en reprend certaines choses, où il dit : Or, il est nécessaire que chaque animal, etc. |
[81176] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 2 Dicit ergo primo, quod in
libro de anima dictum est de sensu et sentire id est de potentia sensitiva et
actu eius ; et duo dicta sunt de eis, scilicet quid sit utrumque eorum,
et causa quare animalibus haec accidant. Vocat autem sentire passiones, quia
actio sensus in patiendo fit, ut probatum est in secundo de anima. Quid autem
sit sensus, et quare animalia sentiant, ostendit circa finem secundi de
anima, per hoc scilicet quod animalia recipere possunt species sensibilium
sine materia. |
Il dit
donc d’abord qu’il a été question dans le Traité
de l’âme sur le sens et l’acte de
sentir, c’est à dire la faculté sensible et son acte, et que deux choses
en ont été dites : ce qu’est chacun d’entre eux[69], et pourquoi ils se
produisent chez les animaux[70]. Il appelle les
sensations des passions, parce que le sens est actif lorsqu’il pâtit[71], comme cela est prouvé
au livre II du Traité de l’âme[72]. Ce qu’est le sens, et
pourquoi les animaux sentent, il le montre, vers la fin du livre II du Traité de l’âme[73], par le fait que les
animaux peuvent recevoir les espèces sensibles sans la matière. |
[81177] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 3 Deinde cum dicit animal
autem assumit tria ex his, quae in libro de anima dicta sunt circa
sensum : quorum primum pertinet ad sensum in communi ; secundum
pertinet ad sensus qui sunt communes omnibus animalibus, et hoc, ibi, proprie
autem secundum unumquodque ; tertium pertinet ad alios sensus, qui
inveniuntur in animalibus perfectis, ibi, sensus autem qui per exteriora.
Dicit ergo primo, quod omne animal inquantum est animal necesse est quod
habeat sensum aliquem. In hoc enim, quod est sensitivum esse, consistit ratio
animalis, per quam animal a non animali distinguitur. Attingit enim animal ad
infimum gradum cognoscentium : quae quidem aliis rebus cognitione
carentibus praeeminent in hoc quod plura entia in se continere possunt ;
et ita virtus eorum ostenditur esse capacior, et ad plura se extendens. Et
quanto quidem aliquod cognoscens universaliorem habet rerum comprehensionem[74], tanto virtus eius est
absolutior et immaterialior et perfectior. Virtus autem sensitiva, quae inest
animalibus, est quidem capax extrinsecorum, sed in singulari tantum :
unde et quamdam immaterialitatem habet, inquantum est susceptiva specierum
sensibilium sine materia ; infimam tamen in ordine cognoscentium,
inquantum huiusmodi species recipere non potest nisi in organo corporali. |
Ensuite,
lorsqu’il dit : Or, il est
nécessaire que chaque animal, etc., il reprend trois choses de ce qui a
été dit à propos du sens dans le Traité
de l’âme : la première concerne les sens en général ; la
seconde, les sens qui sont communs à tous les animaux, et il l’expose où il
dit : En particulier, le toucher
et le goût, etc. ; la troisième concerne les autres sens, qui se
trouvent dans les animaux parfaits, où il dit : Quant aux sensations extérieures, etc. Il dit donc d’abord qu’il
est nécessaire que tout animal, en tant que tel, possède un sens quelconque.
C’est en effet dans le fait d’avoir la sensation que consiste la notion
d’animal, par laquelle on le distingue de ce qui ne l’est pas. L’animal en
effet parvient au plus bas degré des êtres doués de connaissance. Leur
supériorité sur les choses qui sont privées de connaissance consiste dans le
fait qu’ils peuvent contenir plusieurs étants : leur faculté se révèle
ainsi plus vaste et s’étend à plus de choses. Et la faculté d’un être
connaissant est d’autant plus indépendante, immatérielle et parfaite, qu’il a
des choses une compréhension plus universelle. Or, la faculté sensible, qui
appartient aux animaux, est certes capable de recevoir les choses extérieures,
mais seulement en tant qu’elles sont singulières : elle possède pour
cette raison un certain caractère immatériel, en tant qu’elle peut recevoir
les espèces sensibles sans la matière ; cette faculté est cependant la
plus faible dans l’ordre des êtres connaissants, dans la mesure où elle ne
peut recevoir les espèces de ce genre que dans un organe corporel. |
[81178] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 4 Deinde cum dicit proprie
autem ponit id quod pertinet ad sensus communes et necessarios animali. Circa
quod considerandum est quod sensus communes et necessarii omni animali sunt
illi, qui sunt cognoscitivi eorum, quae sunt necesse animali. Est autem
animali aliquod sensibile necessarium dupliciter. Uno modo inquantum corpus
est mixtum ex quatuor elementis ; et sic necessarium est animali debita
commensuratio calidi et frigidi, humidi et sicci, et aliorum huiusmodi, quae
sunt differentiae corporum mixtorum. Aliud autem est necessarium animali,
inquantum corpus eius est vivum nutribile ; et sic necessarius est ei cibus
conveniens. Per contraria autem horum animal corrumpitur. Et
quamvis primum sit necessarium omni mixto corpori, secundum autem sit
necessarium etiam plantis, tamen animal superabundat in hoc, quod horum
notitiam habere potest ratione iam dicta secundum gradum suae naturae. Ad hoc
igitur quod cognoscat ea, quae sibi sunt necessaria vel contraria secundum
rationem corporis mixti, ordinatur sensus tactus, qui est cognoscitivus
praedictarum differentiarum. Ad hoc autem quod cognoscat conveniens nutrimentum,
necessarius est ei gustus, per quem cognoscitur sapidum et insipidum, quod
est signum nutrimenti convenientis vel inconvenientis. Et
ideo dicit quod gustus et tactus ex necessitate consequuntur omnia animalia. |
Lorsqu’il
dit ensuite : En particulier, le toucher
et le goût, etc., il énonce ce qui touche aux sens communs et nécessaires
à tous les animaux. Il faut remarquer à leur propos que ce sont ceux par
lesquels est connu ce qui est nécessaire à l’animal. Un objet sensible
quelconque est nécessaire de deux manières à l’animal. D’une première manière
en tant que son corps est un mélange des quatre éléments : c’est ainsi
qu’est nécessaire à l’animal la juste proportion de chaud et de froid,
d’humide et de sec et d’autres choses du même genre, qui constituent les
différences des corps mixtes. Autre chose est en outre nécessaire à l’animal,
en tant que son corps est vivant et susceptible de nutrition : une
nourriture qui lui convienne lui est donc nécessaire. Le contraire de ces
deux besoins entraîne la corruption de l’animal. Et bien que le premier soit
nécessaire à tous les corps composés, et que le second soit également
nécessaire aux plantes, l’animal les dépasse parce qu’il peut en avoir, pour
la raison déjà exposée, une connaissance dont le degré correspond à sa
nature. C’est donc à la connaissance de ce qui lui est nécessaire ou
contraire en tant que corps composé qu’est ordonné le sens du toucher, qui a
la capacité de connaître les différences déjà mentionnées[75]. Pour connaître la
nourriture qui lui convient, le goût lui est nécessaire, donnant la
connaissance du sapide et de l’insipide, signes de la nourriture convenable
ou nuisible. Et c’est pourquoi il dit que le goût et le toucher résultent
nécessairement de ce qu’est tout animal. |
[81179] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 5 Et de tactu quidem, causa
assignata est in libro de anima, quia scilicet tactus est cognoscitivus eorum
ex quibus componitur animal. Gustus autem est ei necessarius propter
escam ; quia per gustum animal discernit delectabile et tristabile, sive
sapidum et insipidum circa cibum, ut unum eorum prosequatur tamquam
conveniens, alterum fugiat tamquam nocivum. Et totaliter, sapor est passio
nutritivae partis animae ; non quod sit obiectum potentiae nutritivae,
sed quia ordinatur ad actum nutritivae potentiae, sicut ad finem, ut dictum
est. Alexander tamen dicit in commento, quod in quibusdam libris invenitur in
Graeco quod sapor est gustativae nutribilis partis animae passio, quia
videlicet sapor apprehenditur a gustu ordinato ad nutritionem. |
En ce
qui concerne le toucher en particulier, la cause de sa nécessité est donnée
dans le Traité de l’âme[76] et elle consiste dans
le fait qu’il connaît ce dont est composé l’animal. Le goût, quant à lui, est
nécessaire à l’animal en vue de la nourriture ; car c’est au moyen du
goût qu’il discerne l’agréable et le pénible, c’est à dire le sapide et
l’insipide en fait de nourriture, afin de rechercher l’un en tant que
nourriture convenable et de fuir l’autre en tant que nocif. Et à tout point
de vue, la saveur est une passion de la partie nutritive de l’âme, non
qu’elle soit l’objet de la faculté nutritive[77], mais parce qu’elle est
ordonnée à l’acte de cette faculté comme à sa fin, comme on l’a dit.
Alexandre[78] dit pourtant dans son
commentaire que dans certains exemplaires grecs de ce traité, on trouve
l’affirmation que la saveur est une passion de la partie nutritive et
gustative de l’âme, parce que, de toute évidence, elle est perçue par le goût
ordonné à la nutrition. |
[81180] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 6 Deinde cum dicit sensus
autem qui per exteriora prosequitur de sensibus, qui insunt solum animalibus[79] perfectis. Et primo
assignat causam, propter quam communiter huiusmodi sensus insunt omnibus
talibus animalibus. Secundo assignat causam, propter quam specialiter insunt
quibusdam perfectioribus eorum, ibi, et habentibus autem prudentiam. Sciendum
est circa primum, quod animalia perfecta dicuntur, quibus non solum inest
sensitivum sine motu progressivo, ut ostrea, sed quae praeter id habent
motivum secundum motum progressivum. Est autem considerandum quod huiusmodi
animalia excedunt animalia imperfecta, idest immobilia, sicut illa animalia
excedunt plantas et alia corpora mixta : plantae enim et corpora
inanimata non habent aliquam notitiam eorum quae sunt eis necessaria ;
sed animalia immobilia habent quidem cognitionem eorum quae sunt necessaria
solum secundum quod eis praesentialiter offeruntur ; animalia autem
progressiva accipiunt notitiam eorum etiam quae a remotis : unde haec
magis accedunt ad cognitionem intellectivam quae non determinatur ad hic et
nunc. Et sicut omnibus animalibus ad cognoscendum
necessaria, quae pertinent ad nutritionem, secundum quod praesentialiter
offeruntur, ordinatur gustus, ita ad cognoscendum ea quae offeruntur a
remotis ordinatur odoratus. Odor enim et sapor quamdam affinitatem
habent, ut infra dicetur. Et sicut per saporem cognoscitur
convenientia cibi coniuncti, ita per odorem cognoscitur convenientia cibi a
remotis. |
Ensuite,
lorsqu’il dit : Quant aux
sensations extérieures, etc., il traite des sens qui appartiennent
seulement aux animaux parfaits. Tout d’abord, il explique pourquoi, en
général, les sens de ce genre appartiennent à tous ces animaux. En second
lieu, il explique pourquoi ils appartiennent en particulier à certains des
plus parfaits d’entre eux, à ces mots : Et pour ceux qui sont doués de prudence, etc. A propos du premier
point, il faut savoir que sont appelés animaux parfaits ceux qui ne sont pas
réduits à posséder la sensibilité sans le mouvement de déplacement[80], comme l’huître, mais
qui peuvent en outre se mouvoir selon ce mouvement. Il faut remarquer en
effet que les animaux de ce genre dépassent les animaux imparfaits,
c’est-à-dire immobiles, autant que ces derniers dépassent les plantes et les
autres corps composés : les plantes et les corps inanimés n’ont aucune
connaissance de ce qui leur est nécessaire, mais les animaux immobiles ont
une certaine connaissance de ce qui leur est nécessaire, uniquement dans la
mesure où cela leur est présent ; les animaux mobiles reçoivent la
connaissance de ces choses, y compris lorsqu’elles sont éloignées ;
c’est pourquoi ils sont plus proches de la connaissance intellectuelle, qui
n’est pas déterminée par ce qui est ici et maintenant. Et de même que chez
tous les animaux, le goût est ordonné à la connaissance de ce qui est
nécessaire à la nutrition, en tant qu’il est présent, de même l’odorat est
ordonné à la connaissance de ces choses nécessaires lorsqu’elles sont éloignées.
L’odeur et la saveur ont en effet une certaine ressemblance, comme on le dira
plus loin. Et de même que par la saveur, on connaît la convenance de la
nourriture présente, on connaît celle de la nourriture éloignée par l’odeur. |
[81181] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 7 Alii autem duo sensus,
scilicet visus et auditus, ordinantur ad cognoscendum a remotis omnia
necessaria animali, vel corruptiva, sive sint ei necessaria secundum rationem
corporis mixti, sive secundum rationem vivi corporis nutribilis. Manifestum
enim est quod animalia per visum et auditum fugiunt corruptiva quaelibet, et
salubria prosequuntur. Et ideo dicit quod illi sensus, qui per exteriora
media fiunt, ut dictum est secundo de anima, scilicet odoratus, auditus et
visus, insunt illis de numero animalium quae proficiscuntur, id est motu
progressivo moventur omnibus quidem his propter unam causam communem,
scilicet causam salutis, ut a remotis scilicet necessaria cognoscant, sicut
per gustum et tactum praesentialiter. Et hoc est quod subdit ut
praesentientia, id est a remotis sentientia prosequantur conveniens
alimentum, et fugiant mala et corruptiva quaecumque, sicut ovis fugit lupum
ut corruptivum, lupus autem sequitur ovem visam vel auditam aut odoratam, ut
conveniens alimentum. |
Deux
autres sens, à savoir la vue et l’ouïe, sont ordonnés à la connaissance de
tout ce qui est nécessaire à l’animal ou de ce qui peut le détruire, parmi
les choses éloignées, que cela lui soit nécessaire de par sa nature de corps
composé ou de par sa nature de corps vivant devant se nourrir. Il est en
effet évident que les animaux, au moyen de la vue et de l’ouïe, fuient ce qui
les détruit et poursuivent ce qui leur est salutaire. C’est pourquoi il dit
que ces sensations, qui se produisent par des milieux extérieurs, comme il
est dit au livre II du Traité de l’âme[81], à savoir l’odorat,
l’ouïe et la vue, appartiennent à ceux des animaux qui s’avancent,
c'est-à-dire qui se meuvent d’un mouvement de déplacement, et à tous ceux-ci dans
un but commun, à savoir leur conservation, afin qu’ils connaissent parmi les
choses éloignées ce qui leur est nécessaire, comme ils les connaissent dans
les choses présentes au moyen du goût et du toucher. Et c’est ce qu’il ajoute
en disant qu’ils les pressentent,
c’est à dire qu’ils recherchent les aliments convenables, et fuient ce qui leur
est mauvais ou destructeur en le percevant à distance : c’est ainsi que
la brebis fuit le loup en tant que destructeur, alors que le loup la poursuit
en tant qu’aliment convenable lorsqu’il la voit, l’entend ou en perçoit
l’odeur. |
[81182] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 8 Deinde cum dicit : et
habentibus autem, assignat aliam causam specialem quibusdam perfectioribus
animalibus. Et primo proponit hanc causam. Secundo circa has causas comparat
sensus adinvicem, ibi, horum autem ipsorum. Circa primum, considerandum est,
quod prudentia est directiva in agendis. Et universalis quidem prudentia est
directiva respectu quorumcumque agendorum. Unde non est in animalibus, nisi
in solis hominibus, qui habent rationem universalium cognoscitivam : in
aliis autem animalibus sunt quaedam prudentiae particulares ad alios aliquos
determinatos actus, sicut formica, quae congregat in aestate cibum, de quo
vivat in hyeme. Praedicti autem sensus, maxime auditus et visus, proficiunt
animalibus, ad huiusmodi prudentias particulares, et hominibus ad prudentiam
universalem ad hoc quod aliquid bene fiat. Odoratus autem totaliter videtur
necessitati nutrimenti deservire, parum autem prudentiae. Unde in omnibus, in
quibus est perfecta prudentia, est deficientissimus iste sensus, ut dicitur
libro secundo de anima. |
Ensuite,
lorsqu’il dit : Et pour ceux qui
sont doués de prudence, etc., il en donne un autre but qui est propre aux
animaux les plus parfaits. Il commence par présenter ce but. Ensuite, il
compare les sens entre eux relativement à ce but, où il dit : Parmi elles, la meilleure, etc. Sur le
premier point, il faut remarquer que la prudence est ce qui détermine les
actions à accomplir. La prudence universelle en particulier dirige tout ce
qui est à faire. C’est pourquoi une telle prudence ne se trouve chez aucun
animal autre que l’homme, qui possède, lui, une raison capable de connaître
les universels : les autres animaux possèdent une prudence particulière
qui porte sur certains actes déterminés, comme la fourmi qui recueille en été
la nourriture dont elle vivra en hiver. Les sens qui précèdent[82], et surtout la vue et
l’ouie, servent aux animaux dans l’exercice de cette prudence particulière,
et aux hommes dans l’exercice de leur prudence universelle, afin que leurs
actes soient bien accomplis. L’odorat, quant à lui, semble totalement au
service de la nécessité de se nourrir, et guère à celui de la prudence. C’est
pourquoi ce sens est le plus déficient de tous, chez tous les êtres en qui se
trouve la prudence parfaite, comme cela est dit au livre II du Traité de l’âme[83]. |
[81183] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 9 Quomodo autem deserviant
praedicti sensus prudentiae, ostendit per hoc quod multas differentias rerum
ostendunt, ex quibus homo proficit ad discernendum et contemplabilia et
agibilia ; per effectus enim sensibiles homo elevatur in intelligibilium
et universalium considerationem, et etiam ex sensibus per ea quae audivit,
instruitur circa agenda. Alia vero animalia in nullo participant de
contemplatione ; actionem autem participant particularem, sicut dicitur
decimo Ethicorum. Ideo autem hi duo sensus multas differentias annunciant,
quia obiecta eorum inveniuntur in omnibus corporibus, quia consequuntur ab
ea, quae sunt communia omnibus corporibus, et inferioribus et superioribus.
Color enim consequenter se habet ad lucem et diaphanum in quibus inferiora
communicant caelesti corpori ; sonus autem consequitur motum localem,
qui etiam invenitur in utrisque corporibus ; odor autem consequitur sola
corpora mixta, ex quibus animal natum est nutriri. |
Il
montre comment ces sens servent à la prudence en disant parce qu’ils révèlent
de nombreuses différences entre les réalités, dont l’homme tire profit dans
le discernement de ce qu’il a à envisager et à faire ; c’est par les
effets sensibles en effet que l’homme est élevé à la connaissance de
l’universel et de l’intelligible, et c’est aussi par les sens, du fait de ce
qu’il entend, qu’il est instruit dans le domaine de l’action morale[84]. Les autres animaux, au
contraire, n’ont aucune part à la contemplation ; quant à l’action, ils
y ont part en tant qu’elle est particulière, comme il est dit au livre X de
l’Ethique[85]. Or, ces deux sens
avertissent de multiples différences, parce que leurs objets se trouvent dans
tous les corps, résultant de ce qui leur est commun, que ces corps soient
inférieurs[86]
ou supérieurs[87].
La couleur résulte de la lumière et du diaphane, que les corps inférieurs ont
en commun avec les corps célestes ; le son est une conséquence du
mouvement local, qui se trouve de même dans les deux sortes de corps ;
l’odeur résulte seulement des corps mixtes, dont l’animal se nourrit par
nature. |
[81184] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 10 Deinde cum dicit horum
autem ipsorum comparat circa praedictas causas visum et auditum. Et primo
ponit comparationem. Secundo probat, ibi, multas quidem. Circa primum quidem
dicit quod visus dupliciter praeeminet auditui. Uno quidem modo quantum ad
necessaria ; puta ad quaerendum cibum, et ad vitandum corruptiva, quae
certius apprehenduntur per visum, qui immutatur ab ipsis rebus, quam per auditum,
qui immutatur a sonis, consequentibus motus aliquos rerum. Alio modo visus
est praevium auditui secundum se, quia magis cognoscitivus est plurium quam
auditus. Sed auditus praeeminet visui inquantum deservit intellectui ;
et hoc est secundum accidens, ut post manifestabit. |
Lorsqu’il
dit ensuite : Parmi elles, la
meilleure, etc., il compare la vue et l’ouïe quant aux buts susmentionnés.
En premier lieu, il énonce cette comparaison. Il la prouve ensuite, à ces
mots : La faculté visuelle
annonce, etc. Sur le premier point, il dit que la vue est supérieure à
l’ouïe de deux manières. En premier lieu, en ce qui concerne ce qui est
nécessaire à la vie, c’est à dire à la recherche de la nourriture et à la
fuite devant ce qui est nuisible : ces objets sont saisis de manière
plus certaine par la vue, qui subit l’impression des les choses elles-mêmes,
que par l’ouïe qui subit l’impression du, conséquence de certains mouvements
des choses. La vue est supérieure à l’ouïe en elle-même d’une deuxième
manière, par qu’elle est apte à connaître plus d’objets que l’ouïe. Mais
l’ouïe est supérieure à la vue, lorsqu’elle est au service de
l’intellect ; cette supériorité est accidentelle, comme il le montre
plus tard. |
[81185] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 11 Deinde cum dicit multas
quidem manifestat quod dixerat. Et primo quod visus sit secundum se melior.
Secundo quod auditus sit melior per accidens, ibi, secundum vero accidens.
Dicit ergo primo, quod visus ideo secundum se est melior, quia potentia
visiva, sua apprehensione annunciat nobis multas differentias rerum, et
diversorum modorum. Et hoc ideo est, quia eius obiectum, quod est visibile,
invenitur in omnibus corporibus. Fit enim aliquid visibile per
hoc quod diaphanum illuminatur actu a corpore lucido, in quibus inferiora
corpora cum superioribus communicant. Et ideo dicit, quod colore omnia
corpora participant tam superiora quam inferiora ; quia in omnibus
corporibus vel invenitur ipse color secundum propriam rationem, sicut in
corporibus in quibus est diaphanum terminatum, vel saltem in eis inveniuntur
principia coloris, quae sunt diaphanum et lux ; et ideo plura
manifestantur per visum. |
Ensuite,
à partir des mots : La faculté
visuelle, etc., il prouve ce qu’il vient de dire : tout d’abord,
que la vue est meilleure en elle-même, et ensuite que l’ouïe est meilleure
par accident, où il dit : Mais
l’ouïe contribue par accident, etc. Il dit donc d’abord que la vue est
meilleure en elle-même parce que la faculté visuelle nous avertit en les
saisissant de nombreuses différences dans les réalités et dans leurs manières
d’être. Cela vient de ce que son objet, le visible, se trouve dans tous les
corps. Quelque chose devient visible en effet lorsque le milieu diaphane est
illuminé en acte par un corps lumineux, phénomène que les corps inférieurs
ont en commun avec les corps supérieurs. Et c’est pourquoi il dit que tous
les corps, inférieurs et supérieurs, participent à la couleur, parce que dans
tous les corps se trouve soit la couleur entendue dans sa notion propre,
comme c’est le cas dans les corps environnés par le diaphane, soit au moins
les principes de la couleur, qui sont le diaphane et la lumière ; c’est
pourquoi quantité de choses sont révélées par la vue. |
[81186] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 12 Per hunc etiam sensum
magis cognoscuntur communia sensibilia : quia quanto potentia habet
virtutem cognoscitivam universaliorem, et ad plura se extendentem, tanto est
efficacior in cognoscendo ; quia omnis virtus quanto est universalior,
tanto est potentior. Et dicuntur sensibilia communia, quae non cognoscuntur
ab uno sensu tantum, sicut sensibilia, propria, sed a multis sensibus ;
sicut magnitudo, figura, quies, motus et numerus. Qualitates enim, quae sunt
propria obiecta sensuum, sunt formae in continuo ; et ideo oportet quod
ipsum continuum inquantum est subiectum talibus qualitatibus, moveat sensum,
non per accidens, sed sicut per se subiectum, et commune omnium sensibilium
qualitatum. Omnia autem haec, quae dicuntur sensibilia communia, pertinent
aliquo modo ad continuum, vel secundum mensuram eius ut magnitudo, vel
secundum divisionem ut numerus, vel secundum terminationem ut figura, vel
secundum distantiam et propinquitatem ut motus. |
Les
sensibles communs sont surtout connus par ce sens : c’est parce qu’une
faculté est d’autant plus apte à la connaissance qu’elle possède une
puissance de connaissance plus universelle et portant sur plus d’objets ;
la capacité d’une faculté est en effet d’autant plus grande qu’elle est
universelle. Lesensibles communs sont ainsi appelés parce qu’ils ne sont pas
connus par un seul sens, comme les sensibles propres, mais par plusieurs,
comme c’est le cas de la grandeur, de la figure, du repos, du mouvement et du
nombre. En effet, les qualités, qui sont les objets propres des sens, sont
des formes dans un continu ; c’est pourquoi il faut que ce continu, en
tant qu’il est le sujet de telles qualités, meuve les sens, non par accident,
mais comme sujet existant par lui-même et en tant qu’il est commun à toutes
les qualités sensibles. Or, tout ce qui est appelé sensible commun est, d’une
certaine manière, relatif au continu, soit en tant que mesure, comme la
grandeur, soit en que division, comme le nombre, soit en tant que limite,
comme la figure, soit en ce qui concerne la distance et la proximité, comme
le mouvement. |
[81187] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 13 Sed auditus annunciat
nobis solas differentias sonorum, qui non inveniuntur in omnibus corporibus,
nec sunt expressivae multarum differentiarum, quae sunt in rebus.[88] Paucis animalibus autem
ostendit auditus differentias vocis. Vox enim est sonus ab ore animalis[89] prolatus cum
imaginatione quadam, ut dicitur in secundo de anima ; et ideo vox
animalis inquantum huiusmodi naturaliter significat interiorem animalis
passionem, sicut latratus canum significat iram ipsorum ; et sic
perfectiora animalia ex vocibus invicem cognoscunt interiores
passiones : quae tamen cognitio in imperfectis animalibus deest. Sic
ergo auditus non cognoscit per se nisi vel differentiam sonorum, utputa grave
et acutum, aut aliquid huiusmodi, vel differentias vocis, secundum quod sunt
indicativae diversarum passionum ; et sic cognitio auditus non se
extendit ad cognoscendum per se tot rerum differentias, sicut visus. |
Mais
l’ouïe nous avertit seulement des différences des sons, qui ne se trouvent
pas dans tous les corps et qui n’expriment pas non plus les nombreuses
différences qui sont dans les choses. L’ouïe révèle à de rares animaux les
différences des voix. La voix, en effet, est un son émis par la bouche d’un
animal et accompagné d’un acte de l’imagination, comme il est dit au livre II
du Traité de l’âme[90] ; par conséquent,
la voix animale comme telle signifie naturellement la passion intérieure de
l’animal, comme l’aboiement des chiens leur colère ; et c’est ainsi que
les animaux les plus parfaits se communiquent entre eux par la voix leurs
passions intérieures, connaissance absente chez les animaux imparfaits. C’est
ainsi que l’ouïe ne connaît par elle-même que les différences des sons, du
grave et de l’aigu, par exemple, ou les différences des voix, en tant
qu’elles indiquent les différentes passions ; et pour cette raison,
l’ouïe ne s’étend pas à la connaissance essentielle s différences des choses,
comme s’y étend la vue. |
[81188] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 14 Deinde cum dicit secundum
accidens vero manifestat quod auditus per accidens melior sit ad
intellectum ; et dicit quod auditus multum confert ad prudentiam. Et
accipitur hic prudentia pro quadam intellectiva cognitione, non solum prout
est recta ratio agibilium, ut dicitur sexto Ethicorum. Sed hoc est per accidens,
quia sermo, qui est audibilis, est causa addiscendi non per se, id est
secundum ipsas sonorum differentias, sed per accidens, inquantum scilicet
nomina, in quibus sermo est, id est locutio componitur, sunt symbola, idest
signa intentionum intellectarum, et per consequens rerum. Et sic doctor docet
discipulum inquantum per sermonem significat ei conceptionem intellectus sui.
Et plus homo potest cognoscere addiscendo ad quod est utilis auditus quamvis
per accidens, quam de se inveniendo, ad quod praecipue est utilis visus. Inde
est quod inter privatos a nativitate utrolibet sensu, scilicet visu et
auditu, sapientiores sunt caeci, qui carent visu, mutis et surdis qui carent
auditu. |
Lorsqu’il
dit ensuite : Mais l’ouïe
contribue par accident, etc., il montre que l’ouïe est par accident
supérieure à la vue, dans leur rapport à l’intelligence, et il dit qu’elle
contribue beaucoup à la prudence. La prudence est ici entendue au sens d’une
certaine connaissance intellectuelle, et non seulement en tant qu’elle la droite
règle des actions, comme cela est dit au sixième livre de l’Ethique[91]. Mais cela se produit
par accident, parce que la parole audible est cause de l’instruction, non par
elle-même, c’est à dire en raison des différences sonores, mais par accident,
dans la mesure où les noms, dont la parole ou la locution se compose, sont
des symboles ou des signes des intentions intellectuelles et par conséquent
des choses. Et c’est ainsi que le maître instruit le disciple en lui donnant
par la parole des signes de ses concepts intellectuels. L’homme peut
apprendre plus par l’instruction reçue, à laquelle l’ouïe, bien que par
accident, est utile, qu’en découvrant par lui-même, chose pour laquelle c’est
la vue qui est surtout utile. C’est pour cette raison que parmi ceux qui sont
de naissance privés de l’un de ces sens, vue ou ouïe, les aveugles, privés de
la vue, sont plus instruits que les sourds-muets, privés de l’ouïe. |
[81189] Sentencia De sensu, tr. 1 2. 1 n. 15 Addit autem mutis, quia
omnis surdus a nativitate ex necessitate mutus est. Non enim potest addiscere
formare sermones significativos, qui significant ad placitum. Unde sic se
habet ad locutionem totius humani generis, sicut ille, qui nunquam audivit
aliquam linguam, ad imaginandum illam. Non est autem necessarium quod e
converso omnis mutus sit surdus : potest enim contingere ex aliqua causa
aliquem esse mutum, puta propter impedimentum linguae. Ultimo autem
epilogando concludit quod dictum est de virtute, quam habet unusquisque
sensus. |
Il
ajoute « muet » parce que tout sourd de naissance est
nécessairement muet. Il ne peut en effet apprendre à former des discours
dotés de la signification qu’il veut. C’est pourquoi il est face à toutes les
paroles du genre humain comme celui qui n’a jamais entendu une certaine
langue et qui devrait l’imaginer. Par contre, il n’est pas nécessaire que
tout muet soit sourd : il peut arriver que quelqu’un soit muet pour une
raison quelconque, par exemple à cause d’un défaut de la langue. Enfin, il
conclut que ce qui a trait à la puissance de chaque sens a été dit
auparavant. |
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Leçon 3 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
|
Pour savoir précisément quel est le corps qui agit naturellement dans
chacun des organes, on a cherché quelquefois des analogies dans les éléments
des corps. Mais comme il n'est pas facile de comparer les cinq sens aux
éléments, qui ne sont que quatre, on a été conduit à imaginer un cinquième
élément. On s'accorde unanimement à rapporter la vue au feu, et cela tient à ce
qu'on ignore la vraie cause du phénomène suivant : lorsqu'on se presse l'œil
et qu'on le frotte, il semble qu'il en sorte du feu et des étincelles. Cette
apparence se produit surtout dans les ténèbres, ou bien lorsque l'on ferme
les paupières, parce que de cette façon aussi l'on se met dans l'obscurité.
Ce phénomène d'ailleurs soulève encore une autre question : s'il est
impossible, en effet, d'ignorer qu'on sent et qu'on voit ce qu'on voit, il
s'ensuit nécessairement que l'œil se voit lui-même. Or, pourquoi cette
sensation n'a-t-elle pas lieu quand on laisse l'œil en repos? L'explication de ce phénomène résoudra à la fois le doute qu'on élève
et cette hypothèse qui veut que la vue soit de feu. Voici donc comment on
peut l'expliquer : les corps lisses brillent naturellement dans l'obscurité,
sans pourtant produire de lumière; or, ce qu'on appelle le milieu et le noir
de l'œil paraît être lisse. Mais ce qui fait voir du feu quand l'oeil est
frotté, c'est qu'il arrive alors, on peut dire, que ce qui est un devient
deux. La rapidité du mouvement fait que ce qui voit et ce qui est vu
paraissent différents. Aussi le phénomène n'a-t-il pas lieu si l'on ne frotte
pas l'œil très vite, et s'il n'est pas dans l'obscurité; car, je le répète,
les corps lisses brillent naturellement dans l'obscurité; et, par exemple,
les têtes de quelques poissons et le fiel de la seiche. Quand on frotte l'œil
lentement, la sensation ne se produit pas de manière à faire croire que ce
qui voit et ce qui est vu soient tout à la fois deux choses et une seule; et
c'est ainsi que l'œil se voit lui-même, tout comme il lui arrive également de
se voir dans un miroir qui le réfléchit. Si l'œil était de feu, ainsi qu'Empédocle l'assure, et ainsi qu'on
l'avance dans le Timée; si la vision se produisait parce que la lumière sort
de l'œil comme elle sort d'une lanterne, pourquoi la vue ne verrait-elle pas
aussi dans les ténèbres? Prétendre qu'elle s'éteint dans l'obscurité après
être sortie de l'œil, comme le soutient le Timée, c'est une assertion
parfaitement vaine. Qu'entend-on, en effet, quand on dit que la lumière
s'éteint? Le chaud et le sec sont éteints par l'humide et par le froid, comme
on l'observe pour le feu et la flamme dans les corps en ignition. Mais ni
l'un ni l'autre de ces deux éléments ne se rencontre dans la lumière; ou du
moins, s'ils y sont, et qu'ils nous échappent, parce qu'ils y sont en
quantité inappréciable, il faudrait alors que la lumière s'éteignît après le
jour et dans l'eau, et que l'obscurité se produisît plus forte dans les temps
de gelée. Si donc la flamme et tous les corps ignés subissent ces effets,
pour la lumière il n'y y a rien de pareil. Empédocle a si bien cru que la vision a lieu quand la lumière sort de
l'œil, ainsi qu'on vient de le dire, que voici les expressions dont il se
sert: « De même que quand on veut
sortir, on se munit d'une lampe, - Éclair
du feu brillant, dans une nuit d'hiver, Et qu'on allume la
lanterne, qui peut braver tous les vents d’hiver, Et repousser leur souffle
changeant ; La lumière, qui se projette au dehors d'autant plus loin qu'elle
est plus forte, Éclate en jets de rayons éblouissants ; De même le feu dès
longtemps renfermé dans les membranes, Se répand par ces tuniques légères
dans la pupille ronde; Mais ces tuniques voilent l’épaisseur de l'eau qui les
inonde, Et le feu qui sort de l'œil s'étend d'autant plus loin. » C'est ainsi que parfois Empédocle explique la vision; ailleurs, il
soutient qu'elle est produite par les émanations des objets qu'on voit. |
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Lectio 3 |
Leçon 3 – L’œil est-il de
feu ? Opinion d’Empédocle (Traduction Georges Comeau, 2019) |
[81190] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 1 Postquam
philosophus resumpsit, ea quae sunt necessaria ad praesentem considerationem
de ipsis virtutibus sensitivis, nunc accedit ad principale propositum in hoc
libro, applicando considerationem sensus ad corporalia. Et primo quantum ad
organum sensuum. Secundo, quantum ad sensibilia, ibi, de sensibilibus autem
his. Circa primum duo facit. Primo attribuit organum sensuum elementis,
improbando sermones aliorum. Secundo determinando id quod verius esse potest,
ibi, quod quidem igitur. Circa primum duo facit. Primo tangit in generali,
quomodo antiqui attribuebant organa sensuum elementis. Secundo descendit
specialiter ad organum visus, circa quod a pluribus errabatur, ibi, faciunt
autem omnes visum. Dicit ergo primo, quod priores philosophi quaerebant
secundum elementa corporum, qualia essent corporea instrumenta, in quibus et
per quae operationes sensuum exercerentur. Et hoc ideo,
quia sicut in primo de anima dictum est, ponebant simile simili cognosci.
Unde et ipsam animam ponebant esse de natura principiorum, ut per hoc posset
omnia cognoscere, quasi omnibus conformis. Nam omnia in principiis
communicant: et pari ratione, quia organa sensuum omnia corporalia
cognoscunt, attribuebant ea elementis corporum. |
Après être revenu
sur les éléments nécessaires à l’étude actuelle sur les facultés sensitives,
le Philosophe en vient maintenant au sujet principal du présent livre en
appliquant l’étude des sens aux choses corporelles. Et il l’applique, en
premier, aux organes des sens ; en deuxième, aux choses sensibles, où il
dit : Quant aux choses mêmes qui
sont perçues, etc. (leçon VI). Il trtaite la première partie en deux
points. En premier, il attribue les organes des sens aux éléments en réfutant
les doctrines des autres. En deuxième, il établit ce qui pourrait être plus
vrai, où il dit : On a dit
ailleurs qu’il était impossible, etc. (leçon V). Il traite le premier
point en deux sections. En premier, il décrit en général comment les anciens
attribuaient les organes des sens aux éléments. En deuxième, il en vient
particulièrement à l’organe de la vue, sur lequel la plupart étaient en
erreur, où il dit : On s’accorde
unanimement, etc. Il dit donc en premier que les anciens philosophes se
sont demandé, parmi les éléments des corps, quels sont les instruments
corporels dans lesquels et par lesquels s’exercent les opérations des sens. La
raison en est que, comme il est dit au livre I du Traité de l’Âme, ils affirmaient que le semblable est connu par
le semblable. Ils affirmaient en conséquence que l’âme elle-même est de la
nature des principes, de sorte qu’elle puisse connaître toutes choses en
ayant une forme semblable à toutes choses. Toutes choses en effet se
rejoignent en leurs principes, et pour la même raison, puisque les organes
des sens connaissent tous les êtres corporels, ils leur attribuaient les
éléments des corps. |
[81191] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 3 n. 2 Sed statim occurrebat eis una
difficultas: sunt enim quinque sensus, et quatuor elementa; et ideo
inquirebant cui possent organum quinti sensus applicare. Est autem inter
aerem et aquam quoddam medium, aere quidem densius, aqua autem subtilius,
quod dicitur fumus vel vapor, quae etiam quidam posuerunt esse primum
principium: et huic attribuebant organum odoratus: quia odor secundum quamdam
evaporationem fumalem sentitur: alios vero quatuor sensus attribuebant
quatuor elementis; tactum autem terrae; gustum autem aquae, quia sapor
sentitur per humidum; auditum autem aeri, visum igni. |
Mais ils se
heurtaient immédiatement à une difficulté : il y a en effet cinq sens et
quatre éléments, et ils se demandaient donc auquel ils pouvaient attribuer
l’organe du cinquième sens. Il existe cependant un certain intermédiaire
entre l’air et l’eau, plus dense que l’air, plus subtil que l’eau, qu’on
appelle fumée ou vapeur, que d’autres encore ont affirmé être le premier
principe, et ils lui attribuaient l’organe de l’odorat, car l’odeur est
sentie du fait d’une sorte d’évaporation de fumée ; quant aux quatre
autres sens, ils les attribuaient aux quatre éléments : le toucher à la
terre, le goût à l’eau, parce que la saveur est sentie du fait d’un milieu
humide, l’ouïe à l’aire, et la vue au feu. |
[81192] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 3 Deinde
cum dicit faciunt autem accedit specialiter ad organum visus, quod
attribuebant igni. Et primo improbat causam positionis. Secundo ipsam
positionem, ibi, quoniam autem si ignis esset. Circa primum tria facit. Primo
ponit causam, ex qua quidem movebantur ad attribuendum organum visus igni.
Secundo movet quamdam dubitationem, ibi, habet autem dubitationem. Tertio
determinat veritatem circa utrumque, causa utique huiusmodi. Ait ergo primo,
quod omnes, qui attribuunt organum visus igni, hoc ideo faciunt, quia
ignorant causam cuiusdam passionis, quae circa oculum accidit: si enim oculus
comprimatur et fortiter moveatur, videtur quod ignis luceat: quod accidit si
sint apertae palpebrae solum quando aer exterior est tenebrosus, aut etiam in
aere claro, si primo claudantur palpebrae, quia per hoc fiunt tenebrae oculo
clauso. Et hoc reputabant esse manifestum signum, quod organum visus ad ignem
pertineret. |
Puis lorsqu’il
dit : On s’accorde unanimement, etc.,
il traite spécialement de l'organe de la vue, qu'ils attribuaient au feu. Et
en premier, il exclut la cause de leur théorie. En deuxième, il réfute la
théorie elle-même, où il dit : Si
l’œil était de feu, etc. Il traite le premier point en trois sections. En
premier, il présente la cause qui les incitait à attribuer l’organe de la vue
au feu. En deuxième, il soulève un doute, où il dit : Ce phénomène d’ailleurs soulève, etc.
En troisième, il établit la vérité sur les deux points et la cause de ce
phénomène. Il dit donc en premier que tous ceux qui attribuent l’organe de la
vue au feu le font parce qu’ils ignorent la cause d’un certain phénomène qui
affecte l’œil ; en effet, si on presse sur l’œil et le bouge violemment,
il semble qu’on voit briller du feu : quand les paupières sont ouvertes,
cela arrive seulement quand il fait noir, ou encore quand il fait clair si on
ferme d’abord les paupières, car on crée ainsi les ténèbres en fermant les
yeux. Et ils pensaient que cela est un signe évident de ce que l’organe de la
vue se rattache au feu. |
[81193] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 3 n. 4 Deinde cum dicit habet autem movet
quamdam dubitationem circa praedicta. Manifestum est enim quod sensus
cognoscunt sensibile praesens: unde et visus cognoscit visibile praesens,
sicut ignis propter suam lucem est quid visibile praesens. Si ergo semper est
praesens ignis visui, utpote organo visus in eo existente, videtur quod
semper visus ignem deberet videre. Sed hoc quidem secundum principia, quae
Aristoteles supponit, non sequitur. Supponit enim quod sensus est in potentia
ad sensibile: et oportet quod per aliquod medium a sensibili immutetur. Unde
secundum ipsum, sensibile superpositum sensui non sentitur, ut dicitur
secundo de anima. Unde si etiam organum visus esset igneum, propter hoc visus
non videret ignem. Sed secundum alios philosophos, visus et alii sensus
percipiunt sensibilia inquantum sunt actu tales, idest similes sensibilibus
utpote naturam principiorum habentibus, ut dictum est. Et ideo secundum eos, quibus
organum visus erat igneum, sequebatur quod praedicto modo videret ignem. Sed
tunc remanet dubitatio, quam Aristoteles hic inducit, quare oculus quiescens
non videt ignem, sicut oculus motus. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ce phénomène d’ailleurs
soulève, etc., il soulève un doute sur ce qui précède. Il est évident en
effet que les sens perçoivent les objets sensibles présents ; il
s’ensuit que la vue perçoit les objets visibles présents, comme le feu, à
cause de sa lumière, est un objet visible présent. Si donc le feu est
toujours présent à la vue, en tant qu’il existe dans l’organe de la vue, il
semble que l’œil devrait constamment voir le feu. Mais, selon les principes
établis par Aristote, cela ne s’ensuit pas. Il suppose en effet que le sens
est en puissance au sensible, et il faut que le sensible l’affecte par un
intermédiaire. Alors, selon lui, le sensible surajouté au sens n’est pas
senti, comme il est dit au livre II du Traité
de l’âme. Il s’ensuit que, même si l’organe de la vue était de feu, pour cette
raison même la vue ne verrait pas le feu. Mais selon d’autres philosophes, la
vue et les autres sens perçoivent les sensibles parce qu’ils leur sont
semblables en acte, c'est-à-dire en tant qu’ils ont la nature de leurs
principes, comme on l’a dit. C’est pourquoi, selon ceux pour qui l’organe de
la vue était de feu, il s’ensuivait qu’il voit le feu de la façon décrite. Mais
alors, il reste un doute, soulevé ici par Aristote : pourquoi l’œil en
repos ne voit-il pas le feu comme l’œil soumis au mouvement ? |
[81194] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 5 Deinde cum dicit
causa quidem assignat causam praedictae apparitionis: per quam et dubitatio
mota solvitur, et ostenditur quomodo inaniter putaverunt ignem visum. Et ad
hoc accipiendum est, quod corpora laevia, idest polita et tersa, ex
proprietate suae naturae habent quemdam fulgorem, quod in corporibus asperis
et non planis non accidit, quia quaedam partes supereminent aliis et
obumbrant eas: et quamvis in se aliqualiter fulgeant huiusmodi corpora, non
tamen habent tantum de fulgore, quod de se possint facere medium lucidum
actu, sicut facit sol et huiusmodi corpora. Manifestum est igitur quod illud
quod est medium oculi, quod vocatur nigrum oculi, est quasi laeve et politum.
Unde habet quemdam fulgorem ex ratione lenitatis, non ex natura ignis, sicut
illi existimabant. Per hoc ergo iam remota est necessitas attribuendi organum
visus igni, quia scilicet huius claritatis, quae apparet causa, potest
aliunde assignari quam ab igne. Sed, sive hoc sit ex laevitate pupillae,
remanet communis dubitatio, quare huiusmodi fulgorem videt oculus motus,
quiescens vero non. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : L’explication de ce
phénomène, etc., il présente la cause de cette apparence, qui tout à la
fois donne la solution de ce doute et montre comment ces philosophes ont
supposé sans raison que la vue est du feu. Et dans ce but, il faut remarquer
que les corps lisses, c'est-à-dire
polis et propres, ont de par leur nature un certain éclat que n’ont pas les
corps rugueux et non unis, car certaines parties sont plus élevées que les
autres et leur font de l’ombre ; et bien que de tels corps dégagent une
certaine lueur par eux-mêmes, ils ne luisent pourtant pas assez pour pouvoir
rendre le milieu lumineux en acte, comme le font le soleil et les corps du
genre. Or, il est évident que ce qui est le milieu de l’œil, appelé pupille,
est comme lisse et poli. Il a donc une certaine lueur du fait de sa douceur
et non parce qu’il aurait la nature de feu comme ils le pensaient. Cela
suffit déjà à nier la nécessité d’attribuer le feu à lorgane de la vue, car
cette clarté, qui semble en être la preuve, peut être attribuée à une autre
cause que le feu. Toutefois, même si cela se produit parce que la pupille est
lisse, il reste un doute général : pourquoi l’œil voit-il cette lumière
quand l’œil est soumis au mouvement et non quand il est en repos ? |
[81195] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 6 Et ideo assignat
causam huius; et dicit quod talis fulgor apparet moto oculo, quia accidit per
oculi motionem quasi quod unum fiat duo. Unum enim et idem subiecto est
pupilla fulgens et videns. Inquantum autem est fulgens, proiicit fulgorem
suum ad extra: inquantum autem est videns, cognoscit fulgorem, quasi
recipiendo ipsum ab exteriori: cum autem est quiescens, emissio fulgoris fit
ad exterius, et ita visus huiusmodi fulgorem non recipit ut videre possit.
Sed, quando oculus celeriter movetur, illud nigrum oculi transfertur ad
exteriorem locum, in quem pupilla emittebat suum splendorem, antequam ille
splendor deficiat; et ideo pupilla ad alium locum velociter translata recipit
splendorem suum quasi ab exteriori, ut sic videatur esse aliud videns et
visum, quamvis sit idem subiecto: et ideo huiusmodi ibi apparitio fulgoris
non fit nisi oculus celeriter moveatur: quia si moveatur tarde, prius
deficiet impressio fulgoris ab exteriori loco, ad quem fulgor perveniebat,
quam pupilla illuc perveniat. |
Et il énonce donc
la cause de ce fait, en disant que cette lumière se produit quand l’œil est
mis en mouvement parce que, en quelque sorte, le mouvement de l’œil produit
deux choses à partir d’une. En effet, la pupille qui luit et qui voit est un
seul et même sujet. Cependant, en tant qu’elle luit, elle projette sa lueur à
l’extérieur ; en tant qu’elle voit, elle connaît cette lueur comme en la
recevant de l’extérieur ; mais quand elle est en repos, l’émission de la
lueur se fait vers l’extérieur, et ainsi, la vue ne reçoit pas cette lueur de
façon à pouvoir la voir. Mais quand l’œil est mû rapidement, ce noir de l’œil
est transféré à un endroit extérieur d’où la pupille émet sa lumière avant
que celle-ci s’éteigne ; c’est pourquoi la pupille, rapidement déplacée
vers un autre lieu, reçoit sa splendeur comme de l’extérieur, de sorte que ce
qui voit et ce qui est vu semblent être différents, bien qu’ils soient
identiques par leur sujet[92] ;
c’est pourquoi cette apparition de lumière ne s’y produit pas à moins que
l’œil ne soit mû rapidement, car s’il est mû lentement, l’impression de
lumière venant du lieu extérieur où la lumière était parvenue s’éteint avant
que la pupille y parvienne. |
[81196] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 7 Sed videtur quod
nulla celeritas motus ad hoc sufficiat. Quantumcumque enim motus localis sit
velox, oportet tamen quod sit in tempore: emissio autem fulgoris ad
praesentiam corporis fulgentis, et eius cessatio ab ipsius absentia, utrumque
fit in instanti: non ergo videtur possibile, quantumcumque oculus celeriter
moveatur, quod prius perveniat pupilla ad exteriorem locum, quam cesset
fulgor illuc perveniens ex pupilla in alio loco existente. Sed ad hoc
dicendum est secundum Alexandrum in commento: pupilla corpus est quoddam et
in partes divisibile: unde celeriter commoto oculo, cum aliqua pars pupillae
ad alium locum pervenire incoeperit, adhuc fulgor illuc pervenit ex residuo
corpore pupillae, quod nondum attingit locum illum; et inde est quod pupilla
incipit videre fulgorem, quasi aliunde resplendentem. Et huius signum est
quod huiusmodi fulgor non videtur defecisse, sed pertransit et subito
disparet visio. |
Mais il semble
qu’aucune vitesse du mouvement n’y soit suffisante. En effet, si rapide que
soit le mouvement local, il doit tout de même avoir lieu dans le temps ;
or, l’émission de la lumière vers la présence du corps lumineux et sa
cessation du fait de son absence se produisent tous deux en un instant ;
il ne semble donc pas possible, si rapidement que l’œil soit déplacé, que la
pupille parvienne au lieu extérieur avant que ne cesse la lumière envoyée à
ce lieu par la pupille lorsqu’elle se trouvait dans l’autre lieu[93].
Mais il faut répondre comme l’a fait Alexandre dans son commentaire : la
pupille est un corps, et il est divisible en parties ; alors, l’œil
étant soumis à un mouvement rapide, quand une partie de la pupille a commencé
à parvenir à l’autre endroit, la lueur parvient encore de cette partie au
reste du corps de la pupille, qui n’est pas encore parvenu à ce lieu ;
et de là vient que la pupille commence à voir la lueur comme venant
d’ailleurs. Et le signe de ce fait est que cette lueur ne semble pas s’affaiblir,
mais elle s’en va, et on cesse subitement de la voir. |
[81197] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 8 Assignat etiam
causam, quare talis apparitio accidit in tenebris et non in lumine; quia
fulgor corporum laevium propter sui modicitatem obscuratur a magna claritate,
sed in tenebris videtur; sicut etiam accidit de quibusdam aliis, quae modicum
habent lucis, et propter hoc videntur in tenebris et non in lumine, sicut
quaedam capita piscium et humor turbidus piscis, qui dicitur sepia. Et
subiungit quod, si aliquis lente vel tarde moveatur, non accidit praedicta
apparitio, per hoc quod videns et visum simul videatur esse unum et duo, ut
dictum est: sed illo modo, quando scilicet celeriter movetur oculus, tunc
oculus videt seipsum, quasi secundum diversum situm a seipso immutatus, sicut
accidit in refractione vel in reflexione, puta cum oculus videt seipsum in
speculo, a quo scilicet ab exteriori redit species oculi ad ipsum oculum per
modum reflexionis cuiusdam, sicut et in praedicta apparitione fulgor oculi
redit ad ipsum, ut dictum est. |
Il montre aussi la
cause du fait que cette apparition se produit dans les ténèbres et non dans
la lumière : en effet, la lueur des corps lisses, à cause de sa
faiblesse, est éclipsée par une clarté plus grande, mais on la voit dans les
ténèbres ; la même chose se produit aussi pour d’autres objets qui
dégagent peu de lumière et qui, pour cette raison, sont vus dans les ténèbres
et non dans la clarté, comme certaines têtes de poissons et l’humeur
brouillée d’un poisson appelé seiche. Et il ajoute que, si un objet bouge
lentement ou avec retard, l’apparition par laquelle ce qui voit et ce qui est
vu semblent être à la fois un et deux ne se produit pas, comme on l’a
dit ; mais c’est ainsi, c'est-à-dire
quand l’œil est mû rapidement, que l’œil se voit lui-même, pour ainsi dire
affecté par lui-même à partir d’un autre endroit, comme c’est le cas dans la
réfraction ou la réflexion, quand l’œil se voit lui-même dans un miroir, à
partir duquel l’espèce de l’œil revient de l’extérieur à l’œil lui-même par
voie de réflexion, comme dans l’autre apparition la lueur de l’œil retourne à
l’œil, comme on l’a dit. |
[81198] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 9 Deinde cum dicit,
quoniam si accedit ad improbandum ipsam positionem. Et primo quantum ad hoc
quod visum attribuebant igni. Secundo quantum ad hoc quod ponebant visum
videre extramittendo, ibi, irrationale vero omnino est. Circa primum tria
facit. Primo proponit opinionem Platonis. Secundo Empedoclis, ibi, Empedocles
autem videtur. Tertio opinionem Democriti, ibi, Democritus autem quoniam. Circa primum duo
facit. Primo obiicit contra Platonem. Secundo removet eius responsionem, ibi,
dicere autem quod extinguatur. Circa primum sciendum est, quod Empedocles et
Plato in Timaeo in duobus conveniebant, quorum unum est quod organum visus
pertinet ad ignem: secundum est quod visio contingit per hoc quod lumen exit
ab oculo, sicut ex lucerna. Ex his autem duabus concludit philosophus quod
visus deberet videre in tenebris, sicut in luce. Potest enim etiam in
tenebris lumen a lucerna emitti illuminans medium. Et ita, si per emissionem
luminis oculus videt, sequitur quod etiam in tenebris oculus videre possit. |
Puis, lorsqu’il
dit : Si l’œil était de feu,
etc., il en vient à la réfutation de cette théorie. Il la réfute, en premier,
quant au fait qu’ils attribuaient à vue au feu; en deuxième, quant au
fait qu’ils affirmaient que l’on voit en projetant quelque chose à
l’extérieur, où il dit : Mais
c’est une opinion dénuée, etc. (leçon IV, no 8). Il traite le premier
point en trois parties. Il présente, en premier, l’opinion de Platon ;
en deuxième, celle d’Empédocle, où il dit : Empédocle a si bien cru, etc. ; en troisième, l’opinion de
Démocrite, où il dit : Démocrite a
raison, etc. (leçon IV). Il traite la première partie en deux sections.
En premier, il argumente contre Platon ; en deuxième, il réfute sa
réponse, où il dit : Prétendre
qu’elle s’éteint dans l’obscurité, etc. Quant au premier point, il faut
savoir qu’Empédocle et le Timée de
Platon étaient d’accord sur deux points, dont l’un est que l’organe de la vue
se rapporte au feu ; le deuxième est que la vision se produit du fait
que la lumière sort de l’œil comme d’une lampe. Le Philosophe conclut de ces
deux idées que la vue devrait voir dans les ténèbres comme dans la clarté. En
effet, même dans les ténèbres, la lumière peut être émise par une lampe et
éclairer le milieu. Ainsi, si l’œil voyait par une émission de lumière, il
s’ensuit qu’il pourrait voir même dans les ténèbres. |
[81199] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 10 Deinde cum dicit
dicere autem excludit positionem Platonis quam in Timaeo ponit dicens, quod,
quando lumen egreditur ex oculo, si quidem inveniat in medio lumen, salvatur
per ipsum, sicut per sibi simile, et ex hoc accidit visio. Si tamen non
inveniat lumen, sed tenebras, propter dissimilitudinem tenebrarum ad lumen ab
oculo egrediens extinguitur, et ideo oculus non videt. |
Puis, lorsqu’il
dit : Prétendre qu’elle s’éteint,
etc., il réfute la théorie que Platon a avancée dans le Timée en disant que quand la lumière sort de l’œil, si elle
trouve de la lumière dans le milieu ambiant, elle est conservée comme le
semblable par son semblable, et la vision se produit de ce fait. Si par
contre elle ne trouve pas de la lumière mais des ténèbres, à cause de la
dissemblance entre les ténèbres et la lumière qui sort de l’œil, cette
dernière s’éteint, et donc l’œil ne voit pas. |
[81200] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 11 Sed Aristoteles
dicit hanc causam non esse veram; et hoc probat ibi, quae enim. Non enim
potest assignari ratio, quare lumen oculi a tenebris extinguitur, dicebant
enim Platonici tres esse species ignis: scilicet lumen, flammam, et carbonem.
Ignis autem, cum sit naturaliter calidus et siccus, extinguitur, vel ex
frigido, vel ex humido: et hoc manifeste apparet in carbonibus et flamma. Sed neutrum
contingit in lumen, quia nec per frigidum nec per humidum extinguitur. Non
ergo bene dicitur, quod extinguitur ignis per modum ignis. Alexander autem in
commento dicit, quod invenitur alia litera talis: qualis videtur quidem in
carbonibus esse ignis et flamma in lumine: neutrum autem videtur conveniens. Neque enim humidum,
nec frigidum, quibus extinctio fit. Et secundum hanc literam
ratio Aristotelis magis videtur esse ad propositum. Lumen enim igneum quod
apparet in carbonibus et flamma extinguitur frigido aut humido. Tenebrae
autem neque sunt aliquid frigidum nec humidum. Non ergo per tenebras potest extingui
lumen igneum egrediens ab oculo. |
Mais Aristote dit que
ce n’est pas une vraie cause, et il le prouve lorsqu’il dit : Qu’entend-on, en effet, etc. En effet,
on ne peut pas donner de raison pour que la lumière de l’œil soit éteinte par
les ténèbres ; les Platoniciens disaient en effet qu’il y a trois
espèces de feu : la lumière, la flamme et le charbon ardent. Or, le feu,
puisqu’il est naturellement chaud et sec, est éteint soit par le froid, soit
par l’humidité, et cela est manifeste dans le cas des charbons ardents et des
flammes. Mais ni l’un ni l’autre n’affecte ainsi la lumière, car elle n’est
éteinte ni par le froid ni par l’humidité. Il n’est donc pas correct de dire
que le feu est éteint à la manière du feu. Alexandre dit cependant, dans son
commentaire, qu’on trouve un autre texte, qui dit plutôt : comme on observe bien que les charbons
ardents ont du feu et des flammes dans leur lumière ; mais ni l’un ni
l’autre ne semble s’appliquer. En effet, ce n’est ni par l’humidité, ni par
le froid que l’extinction se produit. Et selon cette version, l’argument
d’Aristote semble plus à propos. En effet, la lumière ardente qu’on voit dans
les charbons et les flammes est éteinte par le froid ou l’humidité. Or, les
ténèbres ne sont pas quelque chose de froid ni d’humide. Donc, les ténèbres
ne peuvent pas éteindre la lumière de feu qui sort de l’œil. |
[81201] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 12 Posset autem aliquis
dicere, quod lumen igneum egrediens ab oculo non extinguitur in tenebris, sed
quia debile est, nec confortatur ab exteriori lumen, ideo latet nos. Et
propter hoc non fit visio. |
Mais on pourrait
dire que la lumière de feu qui sort de l’œil n’est pas éteinte dans les
ténèbres mais que, parce qu’elle est faible et n’est pas soutenue par une
lumière extérieure, elle nous est cachée ; et pour cette raison, il n'y
a pas de vision. |
[81202] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 13 Sed Aristoteles hoc
reprobat ibi, si igitur. Circa quod sciendum est, quod lumen igneum extinguitur
vel obtenebratur dupliciter. Uno quidem modo secundum proprietatem luminis,
prout parvum lumen extinguitur ex praesentia maioris luminis. Alio modo
secundum proprietatem ignis, qui extinguitur in aqua. Si ergo illud debile
lumen ab oculo egrediens esset igneum, oporteret quod extingueretur in die
propter excellentiorem claritatem, et in aqua propter contrarietatem ad
ignem; et per consequens inter glacies magis obtenebraretur praedictum lumen
visibile. Videmus enim hoc accidere in flamma et in corporibus igneis vel
ignitis, quod tamen non accidit circa visum. Unde patet praedictam
responsionem vanam esse. |
Mais Aristote
rejette cette idée où il dit : il
faudrait alors que la lumière, etc. À ce sujet, il faut savoir que la
lumière du feu est éteinte ou obscurcie de deux façons. La première résulte
de la propriété de la lumière selon laquelle une faible lumière est éteinte
par la présence d’une plus forte lumière. La deuxième façon résulte d’une
propriété du feu, qui est éteint dans l’eau. Si donc cette faible sumière
sortant de l’œil était de feu, il faudrait qu’elle soit éteinte pendant le
jour à cause de la présence d’une clarté plus forte, et dans l’eau à cause de
son opposition au feu ; par conséquent, cette lumière visible[94]
serait obscurcie davantage parmi les glaces. En effet, nous observons ce
phénomène dans les flammes et les corps en feu ou enflammés, et cela n’arrive
pourtant pas pour la vue. Il est donc évident que la réponse en question est
sans valeur. |
[81203] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 14 Deinde cum dicit
Empedocles autem narrat opinionem Empedoclis, de cuius improbatione iam
dictum est: et dicit quod Empedocles videtur aestimare sicut dictum est, quod
visio fiat lumine exeunte: et ponit verba eius quae metrice protulit. Dicebat
enim quod ita accidit in visu, sicut quando aliquis cogitans progredi per
aliquod iter per noctem hyemis, flant venti, praeparat lucernam, accendens
lumen ardentis ignis, licet impetus omnium ventorum sufficienter prohibens,
ponens accensum in laternam, et per hoc flatum ventorum spirantium impediens,
scilicet eos ne possint eorum flatus pervenire usque ad lumen ignis, lumen
autem ignis contentum extragrediatur, et quanto magis expansum fuerit extra,
tanto magis illustrat aerem, ita tamen quod radii exeuntes sunt domiti, idest
attenuati per velum laternae, puta per pellem, vel aliud huiusmodi. Non enim
ita clare illuminatur aer per laternam, sicut illuminaretur ab igne non
velato. Et similiter dicit accidere in oculo in quo lumen antiquum,
idest a prima formatione oculi ad sensum contutatur, idest tute
conservatur in miringis, idest in tunicis oculi per quas sicut per
quosdam subtiles linteos lumen diffunditur circumquaque per pupillam, quae
quidem tunicae revelant radiis per eas emissis profundum aquae fluentis circa
ignis accensum in pupilla ad nutritionem, vel potius contemperationem ignis
in profundo collocati. Et sic lumen extra pervenit, quando magis fuerit
expansum, ab interiori procedens. Vel quod dicit circulo referendum
est ad circularitatem pupillae. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Empédocle a si bien cru,
etc., il expose l’opinion d’Empédocle, dont la réfutation a déjà été amorcée,
en disant qu’Empédocle semble avoir l’opinion qu’on a dite, que la vision se
produit par émission de lumière, et il reproduit les propos formulés en vers
par ce philosophe. Il comparait en effet la vision à ce qui se passe quand
quelqu'un[95],
ayant l’intention d’aller à pied sur un chemin, la nuit, quand soufflent les
vents d’hiver, prépare une lanterne, allume la lumière d’un feu ardent, même
si la violence de tous les vents l’empêche suffisamment ; il met du feu
dans sa lanterne et repousse ainsi le souffle des vents tourbillonnants (afin
qu’ils ne puissent pas parvenir jusqu’à la flamme du feu) ; or, la
lumière du feu enclos s’échappe et, plus elle se propage au dehors, plus elle
illumine l’air, de sorte pourtant que les rayons qui en sortent sont domptés,
c'est-à-dire affaiblis par le voile de la lanterne, une peau par exemple ou
autre chose du genre. En effet, l’air n’est pas éclairé autant par la
lanterne qu’il le serait par un feu non voilé. Et il dit que cela ressemble à
ce qui se passe dans l’œil, dans lequel la
lumière antique, c'est-à-dire remontant à la formation primitive de
l’œil, est gardée pour la sensation,
c'est-à-dire conservée en sûreté dans
les membranes, c'est-à-dire les revêtements de l’œil, par lesquels, comme
par des rideaux, la lumière est répandue tout autour par la pupille, et ces
tuniques révèlent, par les rayons qu’ils émettent, une eau profonde qui coule
autour du feu allumé dans la pupille pour nourrir, ou plutôt atténuer, le feu
rassemblé dans les profondeurs. Et ainsi, la lumière parvient à l’extérieur,
quand elle se propage davantage en provenance de l’intérieur. Ou bien, quand
il dit de façon circulaire, cela se
rapporte au fait que la pupille est ronde. |
[81204] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 3 n. 15 Notandum est, quod
signanter dixit per velum domitis radiis, ad signandum causam quare
non videtur in tenebris, quia scilicet lumen egrediens debilitatur per hoc
quod transit per praedicta velamenta ut possint perfecte aerem illuminare.
Positis autem verbis Empedoclis, subiungit, quod aliquando dicebat visionem
fieri per emissionem luminis, ut dictum est, aliquando autem dicebat quod
visio fit per quaedam corpora defluentia a visibilibus et pervenientia ad
visum; et forte eius opinio erat, quod utrumque coniungeretur ad visionem. |
Il faut remarquer
qu’il a dit les mots importants des
rayons étouffés par un voile pour signaler la raison du fait qu’on ne
voit pas dans les ténèbres, à savoir que la lumière qui sort est affaiblie
parce qu’elle traverse ces voiles de sorte qu’elle ne peut pas éclairer l’air
parfaitement. Ensuite, après avoir exposé les propos d’Empédocle, il ajoute
que celui-ci disait parfois que la vision se produit par émission de lumière,
comme on l’a dit, mais il disait parfois que la vision se produit du fait de
certains corps qui se dégagent des objets visibles et parviennent à la vue,
et son opinion était peut-être que les deux à la fois contribuent à la
vision. |
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Leçon 4 |
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Texte d’Aristote,
traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Démocrite a raison
quand il dit que la vue est de l'eau; mais il se trompe quand il croit que la
vision n'est que l'image de l'objet. L'image se produit parce que l'œil est
lisse ; mais la vue ne consiste pas dans cette propriété de l'œil; elle est
uniquement dans l'être qui voit, et le phénomène signalé par Démocrite n'est
qu'un effet de réflexion. Mais la théorie générale des images et de la
réflexion n'était pas encore bien comprise au temps de Démocrite, à ce qu'il
semble. Il est étrange aussi qu'il n'ait pas poussé plus loin qu'il ne l'a
fait, et qu'il ne se soit pas demandé pourquoi l'œil est seul à voir, tandis
qu'aucun des autres corps où se forment également des images ne peut voir
comme lui. Que la vue soit de
l'eau, c'est donc là un point qui est vrai; mais il n'est pas vrai que l'on
voie en tant qu'elle est de l'eau; on voit en tant qu'elle est diaphane, et
c'est une qualité qui est commune encore à l'air. Mais l'eau conserve le
diaphane et le reçoit mieux que 1’air, et voilà pourquoi la pupille et l'œil
sont d'eau. Les faits eux-mêmes sont là pour le prouver. Ce qui s'écoule des
yeux, quand on les perd, c'est de l'eau; et dans les animaux qui viennent de
naître, la pupille est toujours d'une très-grande limpidité et d'un très-vif
éclat, tandis que le blanc de l'œil, du moins dans les 32 animaux qui ont du
sang, est épais et gras. Du reste, cette organisation a pour but d'y
conserver l'humidité, sans qu'elle puisse se congeler : aussi l'œil est-il la
partie du corps la plus capable de résister au froid ; car personne encore
n'a eu le dedans des paupières gelé. Dans les animaux qui n'ont pas de sang,
les yeux sont revêtus d'une peau dure, et c'est elle qui leur fait rempart. Mais c'est une opinion
dénuée de toute raison que de prétendre que la vue voie par quelque chose qui
sort d'elle, et qu'elle s'étende jusqu'aux astres; ou bien même que, sortie
de l'œil, elle se combine à une certaine distance avec la lumière extérieure,
ainsi que quelques-uns le soutiennent. Certes il serait beaucoup mieux que
cette combinaison eût lieu dans le principe même avec l'œil. Mais cela est
encore peu admissible. En effet, qu'est-ce que c'est qu'une combinaison de
lumière à lumière? Comment cela peut-il se faire? Le premier corps venu ne se
combine point avec un corps quelconque. Comment la lumière du dedans se
combinerait-elle avec celle du dehors? et que fait-on de la membrane qui les
sépare? |
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Lectio
4 |
Leçon 4 ─ Opinion de
Démocrite sur la vision (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81205] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 1 Post opinionem
Platonis et Empedoclis hic tertio philosophus prosequitur de opinione
Democriti. Circa quod tria facit. Primo ostendit in quo Democritus bene
dixerit et in quo male. Secundo prosequitur illud in quo male dixit, ibi,
incongruum autem est. Tertio prosequitur illud, in quo bene dixit, ibi,
quod visus namque. Dicit ergo primo, quod Democritus bene dixit in hoc, quod
visum attribuit aquae; sed in hoc male dixit, quod putavit visionem non aliud
esse quam apparitionem rei visae in pupilla ex corporali dispositione oculi,
quia scilicet oculus est laevis, idest politus, tersus. Et ita patet quod
ipsum videre non consistit in hoc quod est apparere talem formam in oculo;
sed consistit in vidente, idest in habente virtutem visivam: non enim
oculus est videns propter hoc quod est laevis, sed propter hoc quod est
virtutis visivae: illa enim passio, scilicet quod forma rei visae in oculo
appareat, est reverberatio, idest causatur ex refractione sive reverberatione
formae ad corpus politum. Sicut videmus in speculo accidere: cum enim
immutatio diaphani, quae fit a corpore visibili pervenerit ad corpus non
diaphanum, non potest ultra immutatio transcendere, sed quodam modo
reflectitur ad similitudinem pilae, quae repercutitur proiecta ad parietem;
et ex tali repercussione redit forma rei visae ad partem oppositam. Unde contingit quod
aliquis in speculo videat seipsum, vel etiam in aliam rem, quae non directe
visui eius obiicitur. |
Après l’opinion de
Platon et celle d’Empédocle, le Philosophe traite maintenant, en troisième
lieu, de l’opinion de Démocrite. Il traite de ce sujet en trois parties. En
premier, il montre en quoi Démocrite a eu raison et en quoi il a eu tort. En
deuxième, il discute ce en quoi il a eu tort, où il dit : Il est étrange aussi, etc. En
troisième, il discute ce en quoi il a eu raison, où il dit : Que la vue soit de l’eau, etc. Il dit
donc en premier que Démocrite a eu raison d’attribuer la vue à l’eau, mais
qu’il a eu tort de penser que la vision n’est rien d’autre qu’une apparition
de la chose vue dans la pupille en raison de la disposition corporelle de
l’œil, à savoir qu’il est lisse, car poli et propre. Et ainsi, il est évident
que la vision ne consiste pas dans l’apparition d’une telle forme dans l’œil,
mais qu’elle consiste dans le voyant,
c'est-à-dire dans l’être qui a la faculté visuelle : en effet, l’œil ne
voit pas parce qu’il est lisse, mais parce qu’il a la faculté visuelle, car
cette faculté, à savoir que la forme de la chose vue apparaît dans l’œil, est
une réflexion, causée par la réfraction ou le reflet de la forme sur le corps
poli. C’est ce qui arrive dans le cas d’un miroir : en effet, quand l’impression
causée au corps diaphane par un corps visible parvient à un corps non
diaphane, le changement ne peut pas continuer plus loin, mais il est réfléchi
un peu à la façon d’une balle lancée contre un mur, et, par suite de ce
rebondissement, la forme de la chose vue retourne en sens opposé. C’est
pourquoi il arrive que quelqu'un se voie dans un miroir, ou encore dans un autre
objet qui ne s’offre pas directement à sa vue. |
[81206] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 2 Sed hoc locum non
habet nisi duo concurrant: quorum unum est, ut corpus sit superficie laeve,
et ex hoc quodam modo fulgens, ut supra dictum est, per quem fulgorem
moderatum manifestatur species in reflexione. Aliud est quod corpus illud sit
interius ad aliquid terminatum, ut immutatio praedicta ultra non transeat. Et
ideo videmus, quod nisi in vitro apponatur plumbum vel aliquod huiusmodi,
quod impediat penetrationem, ne ulterius procedat immutatio, non fit talis
apparitio. Utrumque autem horum concurrit in oculo. Est enim moderate fulgens
propter laevitatem, ut supra habitum est, et habet aliquod in fundo, quod
terminet eius pervietatem: unde manifestum est quod hoc accidens, scilicet
quod forma rei visae appareat in oculo, accidit pure propter refractionem,
quae est passio corporalis, quae causatur ex determinata corporis
dispositione. |
Mais cela ne se
produit qu’à deux conditions : l’une est que la surface du corps soit
lisse et, de ce fait, quelque peu luisant, comme on l’a dit, et que l’image
soit manifestée par réflexion par cette légère lumière. L’autre est que ce
corps ait une certaine borne intérieure, de sorte que cette impression
n’aille pas au-delà. C’est pourquoi nous voyons que, à moins qu’on n’applique
à la vitre du plomb ou quelque chose du genre qui empêche la pénétration de
sorte que la modification n’aille pas plus loin, une telle image n’apparaît
pas. Ces deux conditions sont réalisées dans l’œil. En effet, il est
modérément luisant parce qu’il est lisse, comme on l’a vu, et il a quelque
chose au fond qui borne sa transparence ; il est donc évident que cet
accident, à savoir que la forme de la chose vue apparaît dans l’œil, se
produit uniquement à cause de la réflexion, qui est une propriété corporelle et
qui est causée par une disposition déterminée du corps. |
[81207] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 3 Democrito tamen
nondum erat manifestum de huiusmodi refractionibus, et de formis, quae
apparent in corporibus specularibus propter refractionem praedictam. Ipsa
autem visio secundum rei veritatem non est passio corporalis, sed principalis
eius causa est virtus animae. Democritus tamen ponebat animam esse aliquid
corporale; et ideo non est mirum si operationem animae nihil aliud esse
dicebat quam passionem corporalem. |
Cependant, ces
réflexions et les formes qui apparaissent à cause d’elles dans les corps qui
les reflètent n’étaient pas encore connus à l’époque de Démocrite. Or, la
vision elle-même, dans la réalité, n’est pas une propriété corporelle, mais
sa cause principale est la faculté de l’âme. Démocrite affirmait cependant
que l’âme est une réalité corporelle, et il n'est donc pas surprenant qu’il
ait dit que l’opération de l’âme n’est rien d’autre qu’une altération
corporelle. |
[81208] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 4 Sciendum tamen quod
praedicta apparitio, quantum ad primam receptionem formae quae est visionis,
est corporalis, non enim visio est actus animae nisi per organum corporeum:
et ideo non est mirum si habeat aliquam causam ex parte corporeae passionis;
non tamen ita quod ipsa corporea passio sit idem quod visio. Sed aliqua causa est
eius quantum ad primam, ut ita dicam, percussionem formae visibilis ad
oculum: namque reflexio consequens, nihil facit ad hoc quod oculus videat rem
visam per speciem in eo apparentem, sed facit ad hoc quod alteri possit
apparere. Unde etiam oculus videns rem per speciem, non videt ipsam speciem
in eo apparentem. |
Il faut pourtant
savoir que cette image, quant à la première réception de la forme qu’est la
vision, est corporelle : en effet, la vision n’est un acte de l’âme que
par l’entremise d’un organe corporel ; il n’est donc pas étonnant
qu’elle ait une cause du côté des altérations corporelles, mais pas de sorte
que l’altération corporelle soit la même chose que la vision. Mais la vision
a une cause quant au fait que l’œil est premièrement frappé, pour ainsi dire,
par la forme visible, car la réflexion qui s’ensuit ne contribue en rien à ce
que l’œil voie la chose au moyen de la forme qui y apparaît, mais elle
contribue à ce que la forme puisse apparaître à quelqu'un d’autre. Alors,
même l’œil qui voit la chose au moyen de la forme ne voit pas la forme même qui
y apparaît. |
[81209] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 5 Deinde cum dicit
incongruum autem prosequitur quantum ad hoc quod Democritus male dixit. Et
dicit quod valde incongruum videtur quod Democrito ponenti visionem nihil
aliud esse quam apparitionem praedictam, non occurrerit ista dubitatio, quare
alia corpora, in quibus formae rerum visibilium, quas idola nominabat, specialiter
apparent, non videant, sed solus oculus. Ex quo manifeste apparet, quod non
tota ratio visionis est praedicta apparitio; sed in oculo est aliquid aliud,
quod visionem causat, scilicet virtus visiva. |
Ensuite, où il
dit : Il est étrange aussi,
etc., il traite de ce en quoi Démocrite a eu tort. Et il dit qu’il semble
très étrange que Démocrite, en affirmant que la vision n’est rien d’autre que
cette image, n’ait pas songé à la difficulté suivante : pourquoi les
autres corps, dans lesquels les formes des choses visibles qu’il appelait
« idoles » apparaissent spécialement[96],
ne voient-ils pas, et pourquoi est-ce seulement l’œil qui voit ? Il est
donc tout à fait évident que cette image n’est pas la seule raison de la
vision, mais il y a quelque chose d’autre dans l’œil qui cause la vision, et
c’est la faculté visuelle. |
[81210] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit
quod visus prosequitur id quod Democritus bene dixit. Et primo proponit
necessitatem. Secundo manifestat per signa, ibi, et hoc est et ipsis
operibus. Dicit ergo primo: hoc quod Democritus organum visus attribuit
aquae, verum est. Sciendum tamen quod visio attribuitur aquae non secundum
quod est aqua, sed ratione perspicuitatis, quae communiter in aqua et aere
invenitur. Nam visibile est motivum perspicui, ut dicitur in libro de anima.
Attribuitur magis tamen visio aquae quam aeri propter duo. Primo quidem, quia
aqua magis potest conservari quam aer. Aer enim de facili diffunditur; et
ideo ad conservationem visus convenientior fuit aqua quam aer. Natura autem
facit semper quod melius est. Secundo, quia aqua est magis spissa quam aer,
et ex ratione suae spissitudinis habet quod in ea per quamdam reverberationem
appareat forma rei visae; et hoc competit instrumento visus: esse autem
perspicuum competit medio in visu, eo quod commune est aeri et aquae: et ideo
concludit, quod oculus et pupilla magis attribuuntur aquae quam aeri. Est
etiam et corpus caeleste perspicuum; sed quia non venit in compositione
corporis humani, propter hoc hic praetermittitur. |
Puis lorsqu’il
dit : Que la vue soit de l’eau,
il explique ce en quoi Démocrite a eu raison. Et en premier, il montre que
c’est nécessairement vrai. En deuxième, il le manifeste par des signes, où il
dit : Les faits eux-mêmes sont là,
etc. Il dit donc en premier que quand Démocrite attribue l’organe de la vue à
l’eau, il dit vrai. Il faut pourtant savoir que la vision est attribuée à
l’eau non en tant que c’est de l’eau, mais en raison de sa transparence, qui
est commune à l’air et à l’eau. En effet, le visible est ce qui meut le
milieu transparent, comme il est dit dans le Traité de l’âme. Pourtant, la vision est attribuée davantage à
l’eau qu’à l’air pour deux raisons. En premier, parce que l’eau peut
davantage se conserver que l’air. En effet, l’air se disperse facilement, et
donc, l’eau convenait plus que l’air à la conservation de la vue ; or,
la nature fait toujours ce qui est le meilleur. En deuxième, parce que l’eau
est plus dense que l’air et que, du fait de sa densité, elle permet à la
forme de la chose vue d’y apparaître par réflexion, et cela appartient à
l’organe de la vue ; or, la transparence appartient au milieu dans la
vue, du fait qu’elle est commune à l’air et à l’eau, et il conclut donc que
l’œil et la pupille sont attribués davantage à l’air qu’à l’eau. Le corps
céleste, lui aussi, est transparent, mais parce qu’il n’entre pas dans la
composition du corps humain, il n’en est pas fait mention. |
[81211] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 7 Deinde cum dicit et
hoc est manifestat organum visus esse aquae, per tria signa, quae in ipsis
operibus manifesta sunt; quorum primum est, quod si oculi destruantur, ad
sensum apparet inde aqua discurrens. Secundum est, quod in oculis embryonum
de novo formatis, qui quasi adhuc recipientes magis virtutem sui principii,
excedunt et in frigiditate et claritate, quae duo sunt connaturalia aquae.
Tertium signum est, quia in animalibus habentibus sanguinem, in quibus potest
esse pinguedo, quasi ex sanguine generata, circa pupillam ponitur album oculi
habens pinguedinem et crassitudinem quamdam, ut ex eius caliditate permaneat
aqueum pupillae humidum absque congelatione, quae perspicuitatem aquae
diminueret, et sic impediretur visio. Et ideo ratione praedictae pinguedinis
oculus qui pinguescit propter eius caliditatem nullis unquam passus est
frigus in toto eo quod intra palpebras continetur. In animalibus vero, quae
sunt sine sanguine, in quibus non invenitur pinguedo, natura facit oculos
durae pellis, ad protegendum humidum aqueum, quod est intra pupillam. |
Ensuite, où il
dit : Les faits eux-mêmes sont là,
etc., il manifeste que l’organe de la vue est d’eau, par trois signes qui
sont évidents dans ses opérations même ; le premier est que, si les yeux
sont détruits, il est visible que de l’eau s’en écoule. Le deuxième est que
les yeux nouvellement formés des embryons, qui reçoivent en quelque sorte une
plus grande puissance de leur principe[97],
ont une froideur et une clarté excessive, deux caractères distinctifs de
l’eau. Le troisième signe est que chez les animaux qui ont du sang, et qui
peuvent avoir de la graisse, qui est comme engendrée par le sang, la pupille
est entourée par le blanc de l’œil, qui est plutôt gras et épais, de sorte
que sa chaleur permette à l’eau de la pupille de rester humide sans se congeler,
ce qui diminuerait la transparence de l’eau et nuirait ainsi à la vision. Et
donc, en raison de cette consistance graisseuse de l’œil, qui est gras en
raison de sa chaleur, personne n’a jamais souffert du froid dans tout ce qui
est contenu sous les paupières. Par contre, chez les animaux privés de sang,
en lesquels on ne trouve pas de graisse, la nature crée des yeux à peau dure
afin de protéger l’humidité aqueuse à l’intérieur de la pupille. |
[81212] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 8 Deinde cum dicit
irrationale vero accedit ad improbandum quod aliqui posuerunt visionem fieri
extramittendo, quod erat ratio attribuendi visum igni: unde hoc remoto, et
illud removetur. Et circa hoc duo facit. Primo proponit duas opiniones
ponentium quod videmus extramittendo. Secundo improbat alteram illarum, ibi,
isto enim melius est. Dicit ergo primo, quod irrationale videtur quod visus
videat aliquo ab eo exeunte. Quod quidem aliqui posuerunt dupliciter. Uno
modo, ut id quod egreditur ab oculo extendatur usque ad rem visam; ex quo
sequitur, quod cum nos videamus etiam astra, id quod egreditur a visu,
extendatur usque ad astra: quod continet manifestam impossibilitatem. Cum
enim egredi non sit nisi corporum, sequitur quod aliquod corpus egrediens ab
oculo perveniet usque ad astra: quod idem apparet falsum multipliciter. Primo
quidem, quia sequeretur plura corpora esse in eodem loco; tum quia illud quod
egrederetur ab oculo simul esset cum aere; tum quia huiusmodi egredientia ab
oculis oporteret multiplicari in eodem medio secundum multitudinem videntium
per idem medium. Secundo, quia quaelibet emissio corporis in principio quidem
est maior, in fine vero attenuatur, propter quod contingit quod flamma ex
corpore accenso procedens tendit in summum: hic autem accidit contrarium.
Dicunt enim mathematici, quorum est haec positio quod conus corporis
egredientis ab oculo, est intra oculum basis illius res visae. Tertio, quia
non posset quantitas oculi sufficere ad hoc quod tantum corpus ab eo
progrederetur, quod attingeret usque ad astra quantumcumque subtiliaretur:
talis enim est terminus subtilitatis corporum naturalium; et propterea quanto
esset subtilius, tanto facilius corrumperetur. Et iterum: oporteret quod vel
esset aer vel ignis illud corpus emissum ab oculo. Et aerem quidem emitti ab
oculo non est necessarium, quia abundat exterius. Si vero esset ignis,
videremus etiam ignem, vel non possemus videre media in aqua: nec etiam
possemus videre nisi in sursum, quo tendit motus ignis. Non autem potest dici
quod illud corpus, quod egreditur ab oculo, sit lumen, quia lumen non est
corpus, ut probatum est in libro de anima. |
Puis lorsqu’il
dit : Mais c’est une opinion
dénuée, etc., il en vient à la réfutation des propos de certains, qui ont
affirmé que la vision se fait par émission hors de l’œil, ce qui était la
raison d’attribuer la vue au feu ; alors, l’un étant réfuté, l’autre
l’est aussi. Et il traite ce sujet en deux parties. En premier, il présente
deux opinions de ceux qui affirment que nous voyons en émettant quelque
chose. En deuxième, il en réfute une, où il dit : Certes il serait beaucoup mieux, etc. Il dit donc en premier
qu’il semble déraisonnable que la vue voie en émettant quelque chose.
Certains ont affirmé cela de deux façons. D’une façon, en disant que ce qui
sort de l’œil s’étend jusqu’à la chose vue, d’où il s’ensuit que lorsque nous
voyons jusqu’aux astres, ce qui sort de la vue s’étend jusqu’aux astres, ce
qui constitue une impossibilité manifeste. En effet, comme rien ne peut
sortir sinon un corps, il s’ensuit qu’un corps sortant de l’œil parvient
jusqu’aux astres, ce qui est manifestement faux pour bien des raisons. En
premier, parce qu’il s’ensuivrait que plusieurs corps se trouvent dans le
même lieu, tant parce que ce qui sortirait de l’oeil serait au même endroit
que l’air que parce que ce qui sortirait des yeux devreait se multiplier dans
le même milieu selon le nombre de ceux qui voient par le même milieu. En
deuxième, parce que toute émission d’un corps est plus forte au début, mais
s’affaiblit à la fin, et c’est pourquoi la flamme qui jaillit d’un corps tend
vers un sommet ; mais ici, c’est le contraire. Les mathématiciens, à qui
appartient ce domaine, disent en effet que le sommet du corps qui sort de
l’œil est à l’intérieur de l’œil et que sa base est la chose vue. En
troisième, parce que la taille de l’œil n’est pas suffisante pour qu’il en
sorte un corps assez grand pour parvenir jusqu’aux astres, peu importe
combien il se raréfie : il y a en effet une limite à la raréfaction des
corps naturels, et de plus, plus il se raréfie, plus il se corrompt facilement.
Qui plus est, il faudrait que le corps émis par l’œil soit ou bien de l’air,
ou bien du feu. Or, il n’est pas nécessaire que l’œil émette de l’air, car
l’air est abondant à l’extérieur, mais s’il émettait du feu, nous verrions
aussi le feu[98],
ou nous ne pourrions pas voir à travers l’eau ; aussi, nous ne pourrions
voir que vers le haut, car c’est là que tend le mouvement du feu. Et on ne
peut pas dire que le corps qui sort de l’œil est de la lumière, car la
lumière n’est pas un corps, comme il a été prouvé dans le Traité de l’âme. |
[81213] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 9 Alia opinio est
Platonis qui posuit quod lumen egrediens ab oculo non procedit usque ad rem,
sed quodantenus, idest aliquod determinatum spatium, ubi scilicet
cohaeret lumini exteriori, ratione cuius cohaerentiae fit visio, ut prius
dictum est. |
L’autre opinion est
celle de Platon, qui a affirmé que la lumière qui sort de l’œil ne se rend
pas jusqu’à la chose, mais jusqu’à un
point, c'est-à-dire sur une distance déterminée où elle se rattache à la
lumière extérieure, et que la vision se produit du fait de cette jonction,
comme on l’a dit. |
[81214] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 10 Deinde cum dicit
isto enim melius praetermissa prima opinione tamquam maxime inconvenienti,
consequenter improbat secundam dupliciter. Primo quidem, quia inutiliter et
vane aliquid ponitur. Et hoc est quod dicit: melius esset dicere quod lumen
interius coniungeretur exteriori in ipsa interiore extremitate oculi, quam
extra per aliquam distantiam. Et hoc ideo, quia in illo spatio intermedio, si
non est lumen exterius, extingueretur lumen interius a tenebris, secundum
eius positionem, ut supra habitum est. Si vero attingat lumen usque ad
oculum, melius est quod statim coniungatur; quia quod potest fieri sine medio
melius est quam quod fiat per medium: cum aliquid fieri per pauciora melius
sit quam per plura. |
Ensuite, où il
dit : Certes il serait beaucoup
mieux, etc., omettant la première opinion parce qu’elle est parfaitement
absuerde, il réfute la deuxième de deux façons. En premier, parce qu’elle
affirme quelque chose d’inutile et de vain. Et c’est ce qu’il dit : il
vaudrait mieux dire que la lumière intérieure se joint à l’extérieure dans
l’extrémité intérieure de l’œil qu’à une certaine distance à l’extérieur. La
raison en est que, dans cet espace intermédiaire, s’il n'y a pas de lumière à
l’extérieur, la lumière intérieure sera éteinte par les ténèbres selon leur
théorie, comme on l’a vu plus haut. Mais si la lumière se rend jusqu’à l’œil,
il est préférable que les lumières se joignent immédiatement, car ce qui peut
se faire sans intermédiaire est meilleur qu’avec un intermédiaire : il
est préférable qu’une chose se fasse avec peu qu’avec beaucoup de moyens. |
[81215] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 4 n. 11 Deinde cum dicit sed
hoc improbat coniunctionem luminis interioris ad exterius, etiam si fiat in
principio oculi. Et hoc tripliciter. Primo quidem, quia coniungi vel separari
est proprie corporum, quorum utrumque habet per se subsistentiam, non autem
qualitatum, quae non sunt nisi in subiecto. Unde cum lumen non sit corpus sed
accidens quoddam, nihil est dictum quod lumen adiungatur lumini, nisi forte
corpus luminosum adiungeretur corpori luminoso. Potest autem contingere quod
lumen intendatur in aere per multiplicationem luminarium: sicut et calor
intenditur per augmentum calefacientis, quod tamen non est per additionem, ut
patet in quarto physicorum. Secundo improbat per hoc, quod etiam dato quod
utrumque lumen esset corpus, non tamen esset possibile quod utrumque
coniungeretur, cum non sint eiusdem rationis. Non enim quodlibet corpus natum
est coniungi cuilibet corpori, sed solum illa quae sunt aliqualiter homogenea.
Tertio, quia cum inter lumen interius et exterius intercidat corpus medium,
scilicet meninga, idest tunica oculi, non potest utriusque luminis
esse coniunctio. |
Puis lorsqu’il
dit : Mais cela est encore,
etc, il nie la jonction des lumières intérieure et extérieure, même si elle a
lieu à la racine de l’œil. Il réfute cette idée de trois façons. En premier,
parce que la jonction et la séparation sont le propre des corps, et c’est
essentiellement la substance qui est sujette à ces deux choses, et non les
qualités, qui sont uniquement dans un sujet. Alors, puisque la lumière n’est
pas un corps mais un accident, rien n’établit que la lumière se joint à la
lumière, à moins peut-être qu’un corps lumineux ne se joigne à un autre corps
lumineux. Il peut cependant arriver que la lumière s’intensifie dans l’air
par multiplication des luminaires, comme la chaleur s’intensifie par
augmentation des sources de chaleur, ce qui ne se produit toutefois pas par
addition, comme il est prouvé au livre IV des Physiques. La deuxième réfutation est que, même si on admettait
que les deux lumières sont des corps, il ne serait pas possible qu’elles se
joignent, puisqu’elles ne sont pas de la même source. En effet, n’importe
quel corps ne peut pas se joindre à n’importe quel autre, mais seulement ceux
qui ont une certaine homogénéité le peuvent. La troisième est que, puisqu’il
se trouve entre la lumière intérieure et la lumière extérieure, soit la méninge, c'est-à-dire la membrane de l’œil,
il ne peut pas y avoir jonction des deux lumières. |
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Leçon 5 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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On a dit ailleurs qu'il était impossible de voir
sans lumière. Mais que ce soit la lumière ou l'air qui soit interposé entre
l'objet qui est vu et l'œil qui le voit, c'est toujours le mouvement passant
par cet intermédiaire qui produit la vision. Et voilà bien pourquoi l'on a raison de dire que
le dedans de l'œil est de l'eau; c'est que l'eau est diaphane, et l'on ne
voit pas plus en dedans qu'en dehors sans lumière. Il faut donc que le dedans
de l'œil soit diaphane, et qu'il soit de l'eau, puisqu'il n'est pas de l'air.
En effet, l'âme n'est pas certainement à l'extrémité de l'œil, pas plus que
l'organe sensible de l'âme. Évidemment elle est en dedans. Il s'ensuit que
nécessairement il faut que le dedans de l'œil soit diaphane, et qu'il puisse
recevoir la lumière. Et cela peut bien se vérifier encore par les
faits. Ainsi il est arrivé que des hommes blessés à la guerre près des
tempes, de manière à ce que les pores des yeux fussent tranchés, ont senti
survenir une obscurité comme si une lampe s'était éteinte, parce qu'en effet
c'était bien une sorte de lampe que le diaphane et ce qu'on appelle la
pupille, tranchés en eux par la blessure. Si, dans ces divers cas, les choses se passent
comme nous venons de le dire, il est évident qu'il faut aussi rapporter et
attribuer chacun des sens à quelque élément de la manière suivante : il faut
supposer que la partie de l'œil qui voit est de l'eau, que ce qui entend et
perçoit les sons est de l'air, et que l'odorat est du feu. En effet, ce que l'odoration est en acte,
l'organe qui odore l'est en puissance, puisque c'est la chose sentie qui fait
que le sens est en acte, de telle façon que nécessairement le sens n'est
primitivement qu'en puissance. Mais l'odeur est une sorte d’exhalaison
fumeuse, et l'exhalaison fumeuse vient du feu. Si l'organe de l'odorat est
spécialement placé au lieu qui environne le cerveau, c'est que la matière du
froid est chaude en puissance; et l'origine de l'œil est toute pareille à
celle de l'odorat. L'œil est formé d'une partie du cerveau ; et le cerveau
est la plus humide et la plus froide de toutes les parties qui entrent dans
la composition du corps. Quant au toucher, il se rapporte à la terre; et
le goût n'est qu'une espèce de toucher. Et voilà pourquoi les organes propres
à ces deux sens, le goût et le toucher, sont rapprochés du cœur, qui est
l’opposé du cerveau, puisqu'il est la plus chaude des parties du corps. Bornons ici nos considérations sur les parties sensibles du corps. |
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Lectio
5 |
Leçon 5 ─ Blessures aux
yeux ; correspondance entre les sens et les éléments (Traduction Georges
Comeau, 2019)
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[81216]
Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 1 Postquam philosophus improbavit
opinionem ponentium visionem, fieri extramittendo, hic determinat veritatem.
Et circa hoc tria facit. Primo manifestat qualiter visio fiat secundum suam
sententiam. Secundo ex hoc reddit causam eius quod supra positum est de
organo visus, ibi, et rationabiliter. Tertio manifestat causam illam per
signum, ibi, et hoc etiam ab accidentibus. Resumit ergo primo, quod dictum
est in libro de anima, quod sine lumine impossibile est videre: quia enim
visio fit per medium, quod est diaphanum, requiritur ad visionem lumen, quod
facit aliquod corpus esse actu diaphanum, ut dicitur in libro de anima. Et
ideo sive illud medium, quod est inter rem visam et oculum sit actu aer
illuminatus, sive sit lumen, non quidem per se subsistens, cum non sit
corpus, sed quocumque alio corpore, puta aqua vel vitro, motus, qui fit per
huiusmodi medium, causat visionem. |
Après avoir réfuté
l’opinion de ceux qui affirment que la vision se produit par émission vers
l’extérieur, le Philosophe établit maintenant la vérité. Et il le fait en
trois parties. En premier, il manifeste comment la vision se produit selon sa
doctrine. En deuxième, il en déduit la cause de ce qui a été affirmé plus
haut au sujet de l’organe de la vue, où il dit : Et voilà bien pourquoi, etc. En troisième, il manifeste cette
cause par un signe, où il dit : Et
cela peut bien se vérifier, etc. En premier, il reprend donc ce qui est
dit dans le Traité de l’âme, à
savoir qu’il est impossible de voir sans lumière ; en effet, puisque la
vision se fait à travers un milieu, qui est diaphane, la vision nécessite la
lumière, qui rend un corps diaphane en acte, comme il est dit dans le Traité de l’âme. Et donc, soit que ce
milieu entre la chose vue et l’œil est de l’air illuminé en acte, soit qu’il
est la lumière, non certes subsistante par elle-même, puisqu’elle n’est pas
un corps mais affecte tout autre corps, tel que l’eau ou la vitre, le
mouvement qui a lieu à travers ce milieu cause la vision. |
[81217] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 2 Non est autem
intelligendum quod huiusmodi motus sit localis, quasi quorumdam corporum
defluentium a re visa ad oculum, sicut Democritus et Empedocles posuerunt:
quia sequeretur quod per huiusmodi defluxum corpora visa diminuerentur quo
usque totaliter consumerentur; sequeretur etiam quod oculus ex occursu
continuo huiusmodi corporum destrueretur; neque etiam esset possibile ut
totum corpus ab oculo videretur, sed solum secundum tantam quantitatem,
quantam posset pupilla capere. |
Il ne faut
toutefois pas comprendre que ce mouvement serait local, comme consistant en
certains corps qui s’écoulent de la chose vue jusqu’à l’œil, comme l’ont
affirmé Démocrite et Empédocle, car il s’ensuivrait que, du fait de cet
écoulement, les corps vus diminueraient au point de disparaître
complètement ; il s’ensuivrait aussi que l’œil serait détruit par
l’arrivée continue de tels corps ; il ne serait pas possible non plus
que tout le corps soit vu par l’œil, qui en verrait seulement la quantité que
la pupille serait capable de capter. |
[81218] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 3 Est autem motus iste
secundum alterationem: alteratio autem est motus ad formam, quae est qualitas
rei visae, ad quam medium est in potentia inquantum est lucidum in actu, quod
est diaphanum interminatum. Color autem est qualitas diaphani terminati, ut
infra dicetur. Quod autem interminatum est, sic se habet ad terminatum, sicut
potentia ad actum. Nam forma est quidam terminus materiae. |
Ce mouvement
consiste plutôt en une altération ; or, l’altération est un mouvement
vers la forme, qui est une qualité de la chose vue, à laquelle le milieu est
en puissance en tant qu’il est lumineux en acte, c'est-à-dire diaphane illimité.
La couleur est la qualité du diaphane limité, comme on le verra plus loin.
Or, ce qui est illimité a avec ce qui est limité un rapport de puissance à
acte, car la forme est une certaine limitation de la matière. |
[81219] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 4 Sed propter aliam
rationem diaphaneitatis in medio perspicuo, sequitur quod medium recipiat
alio modo speciem coloris quam sit in corpore colorato, in quo est diaphanum
terminatum, ut infra dicetur. Actus enim sunt in susceptivis secundum modum
ipsorum: et ideo color est quidem in corpore colorato sicut qualitas completa
in suo esse naturali; in medio autem incompleta secundum quoddam esse
intentionale; alioquin non posset secundum idem medium videri album et
nigrum. Albedo autem et nigredo, prout sunt formae completae in esse
naturali, non possunt simul esse in eodem: sed secundum praedictum esse
incompletum sunt in eodem, quia iste modus essendi propter suam
imperfectionem appropinquat ad modum quo aliquid est in aliquo in potentia. Sunt autem in
potentia opposita simul in eodem. |
Cependant, à cause
d’une autre propriété de la transparence dans un milieu transparent, il
s’ensuit que le milieu reçoit l’espèce de la couleur d’une autre façon qu’un
corps coloré, auquel la transparence se termine, comme on le dira plus loin.
En effet, les actes sont dans les sujets qui les reçoivent selon le mode de
ces sujets ; il s’ensuit que la couleur est dans un corps coloré comme
une qualité complète dans son être naturel, mais une qualité incomplète dans
le milieu selon un être intentionnel[99] ;
sinon, on ne pourrait pas voir le blanc et le noir à travers le même milieu.
En effet, la blancheur et la noirceur, en tant qu’elles sont des formes
complètes dans un être naturel, ne peuvent pas être en même temps dans le
même objet, mais, selon cet être incomplet, elles sont dans le même objet,
car ce mode d’être, du fait de son imperfection, s’approche du mode par
lequel un être se trouve dans un autre en puissance : en effet, les
opposés en puissance se trouvent dans la même chose. |
[81220] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 5 Deinde cum dicit et
rationabiliter assignat, super id quod dictum est, causam quare necesse sit
visum attribuere aquae, quod supra solum per signa ostenderat. Et dicit quod
quia immutatio medii illuminati a corpore viso causat visionem,
rationabiliter id quod est intra pupillam, quae est organum visus, est
aqueum. Aqua enim est de numero perspicuorum. Oportet autem quod, sicut
exterius medium est aliquod perspicuum illuminatum sine quo nihil potest
videri, ita etiam quod intra oculum sit aliquod lumen. Et, cum non sit visio
nisi in perspicuo, necesse est quod est intra oculum sit aliquod perspicuum;
non autem corpus caeleste, quia non venit in compositionem humani corporis;
et ideo necesse est quod sit aqua quae sit servabilior et spissior quam aer
ut dictum est. |
Ensuite, où il
dit : Et voilà bien pourquoi, etc.,
en plus de ce qui a été dit, il montre la cause pour laquelle il est
nécessaire d’attribuer la vue à l’eau, ce qu’il a seulement montré ci-dessus
par des signes. Et il dit que, comme l’impression du corps vu sur le milieu
éclairé cause la vision, il est raisonnable que ce qui est à l’intérieur de
la pupille, qui est l’organe de la vue, soit aqueux. En effet, l’eau est au
nombre des corps transparents. Or, puisque le milieu extérieur est un corps
transparent et éclairé sans lequel rien ne peut être vu, il est également
nécessaire qu’il y ait de la lumière à l’intérieur de l’œil. Et comme il n'y
a de vision que dans un milieu transparent, il est nécessaire qu’il y ait
quelque chose de transparent dans l’œil, et non pas le corps céleste, qui
n’entre pas dans la composition du corps humain ; c’est donc
nécessairement de l’eau, qui se conserve mieux et est plus dense que l’air,
comme on l’a dit. |
[81221] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 6 Quare autem ad
videndum requiratur lumen interius, manifestat cum dicit: non enim in ultimo.
Si enim virtus visiva esset in exteriori superficie oculi, sufficeret ad
videndum solum lumen exterioris perspicui, per quod immutatio coloris
perveniret ad exteriorem superficiem pupillae. Sed anima sive sensitivum
animae non est in exteriori superficie oculi, sed intra. Et est attendendum
quod signanter addit aut animae sensitivum; anima enim cum sit forma
totius corporis et singularum partium eius, necesse est quod sit in toto
corpore et in qualibet parte eius: quia necesse est formam esse in eo, cuius
est forma; sed sensitivum animae dicitur potentia sensitiva, quae quia est
principium sensibilis operationis animae quae per corpus exercetur, oportet
esse in aliqua determinata parte corporis; et sic principium visionis est
interius iuxta cerebrum, ubi coniunguntur duo nervi ex oculis procedentes. Et
ideo oportet quod intra oculum sit aliquod perspicuum receptivum luminis, ut
sit uniformis immutatio a re visa usque ad principium visivum. |
Il manifeste la
raison pour laquelle une lumière intérieure est nécessaire à la vision quand
il dit : elle n’est pas à l’extrémité.
En effet, si la puissance visuelle était à la surface extérieure de l’œil, il
suffirait pour voir d’avoir la lumière du milieu extérieur transparent, par
laquelle l’impression de la couleur parviendrait à la surface extérieure de
la pupille. Mais l’âme, ou la faculté sensitive de l’âme, n’est pas à la
surface extérieure de l’œil, mais à l’intérieur. Et il faut remarquer qu’il
ajoute intentionnellement ou la faculté
sensitive de l’âme ; en effet, puisque l’âme est la forme du corps
entier et de chacune de ses parties, elle est nécessairement dans le corps
entier et dans chacune de ses parties, car la forme est nécessairement dans
ce dont elle est la forme ; mais la partie sensitive de l’âme est
appelée puissance sensitive ; celle-ci, étant le principe des opérations
sensibles de l’âme qui sont effectuées par le corps, doivent être dans une
partie déterminée du corps ; et ainsi, le principe de la vision est à
l’intérieur près du cerveau, où se rejoignent deux nerfs provenant de l’œil.
Il faut donc qu’il y ait dans l’œil quelque chose de transparent qui reçoit
la lumière, de sorte qu’il y ait une altération uniforme allant de la chose
vue jusqu’au principe de la vision. |
[81222] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 7 Deinde cum dicit et
hoc etiam manifestat quod dixerat per signum, quod accidit in quibusdam, qui
in pugnis circa tempora vulnerantur; scissis enim poris, qui pupillam
continuant visivo principio, subito tenebrae fiunt per visus amissionem, ac
si lucerna extingueretur. Pupilla enim est sicut quaedam lampas illuminata ab
exteriori lumine; et ideo, quando praescinduntur pori continuantes pupillam
principio visivo, non potest lumen huius lampadis usque ad visivum principium
pervenire, et ideo visus obscuratur. |
Ensuite, où il
dit : Et cela peut bien se
vérifier, etc., il manifeste ce qu’il a dit par un signe, constaté chez
certains qui ont été blessés près de la tempe dans une bataille ; en
effet, lorsque les nerfs qui relient la pupille au principe visuel sont
coupés, les ténèbres viennent subitement par la perte de leur vision, comme
si une lampe s’éteignait. En effet, la pupille est comme une lampe éclairée
par la lumière extérieure, et donc, quand sont coupés les nerfs qui relient
la pupille au principe de la vue, la lumière de cette lampe ne peut par
parvenir au principe de la vue, et la vue est donc obscurcie. |
[81223] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 8 Deinde cum dicit
igitur si exclusis falsis opinionibus aliorum, accedit ad principale
propositum. Et primo quantum ad organa sensuum non necessariorum. Secundo quantum
ad organa sensuum necessariorum, ibi, tactivum autem. Circa primum duo
facit. Primo adaptat organa sensuum elementis. Secundo manifestat quod
dixerat, ibi, quod enim actu odoratur. Circa primum, considerandum est quod
non fuit secundum sententiam Aristotelis quod organa sensuum elementis
attribuerentur, ut patet in libro de anima, sed quia alii philosophi organa
sensuum quatuor elementis attribuebant; ideo quasi in hoc condescendens,
dicit quod suppositis his quae dicta sunt de visu, oportet, secundum quod
aliqui dicunt, unumquodque sensitivorum, idest organorum sensus,
attribuere alicui uni elementorum, sicut alii faciunt. Existimandum est quod
visivum oculi attribuendum sit aquae, sensitivum autem sonorum sit
attribuendum aeri, igni vero odorativum. |
Puis lorsqu’il
dit : Si, dans ces divers cas, etc.,
après avoir réfuté les opinions des autres, il en vient à sa thèse principale.
Et il traite, en premier, des organes des sens non nécessaires ; en
deuxième, des organisations des sens nécessaires, où il dit : Quant au toucher, il se rapporte, etc.
Il traite le premier point en deux parties. En premier, il fait correspondre
les organes des sens aux éléments. En deuxième, il manifeste ce qu’il a dit,
où il dit : En effet, ce que
l’odoration, etc. Quant au premier point, il faut remarquer que ce
n’était pas la doctrine d’Aristote d’attribuer les organes des sens aux
éléments, comme cela est évident dans le Traité
de l’âme, mais, parce que d’autres philosophes ont attribué les organes
des sens aux quatre éléments, comme par condescendance envers eux, dit que,
si on suppose ce qui a été dit de la vue, il faut attribuer, selon les dires
de certains, chacune des facultés
sensitives, c'est-à-dire des organes des sens, à l’un des éléments, comme
le font les autres. Il faut penser que la faculté visuelle de l’œil doit être
attribuée à l’eau, que la sensation des sons doit être attribuée à l’air et
que l’odorat doit être attribué au feu. |
[81224] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 9 Sed hoc videtur esse
contra id quod dictum est in libro de anima. Pupilla est aquae, auditus vero
aeris, olfactus autem alterius, horum autem ignis aut nullius est, aut
omnibus communis. Sed dicendum est, quod id quod est odoratus potest accipi
dupliciter. Uno modo secundum potentiam; et sic organum odoratus est aeris
vel aquae, ut dicitur in secundo de anima. Alio modo secundum actum; et sic
est verum quod hic dicitur, ut ipse probabit. Et ideo signanter non dixit
odorativum esse ignis, sicut dixerat sensitivum sonorum esse aeris, visivum
oculi esse aquae; sed dicit odoratum esse ignis. Odorativum enim dicitur
secundum potentiam, sed odoratus secundum actum. |
Mais cela semble
contraire à ce qui est dit dans le Traité
de l’âme, à savoir que la pupille est d’eau, l’ouïe est d’air, l’odorat
est des deux, et quant au feu, il n’appartient à aucun ou est commun à tous. Mais
il faut dire que l’odorat peut être considéré de deux façons. L’une est selon
la puissance, et ainsi, l’organe de l’odorat est d’air ou d’eau, comme il est
dit au livre II du Traité de l’âme. L’autre
façon est selon l’acte, et ainsi, ce qu’il dit ici est vrai, comme il l’a
prouvé. C’est pourquoi il est notable qu’il n’ait pas dit que l’odorat est de
feu, comme il avait dit que le sens de l’ouïe est d’air et que la vision de
l’œil est d’eau, mais il dit que la senteur est de feu. En effet, on parle de
l’odorat comme étant en puissance, mais de la senteur comme étant en acte. |
[81225] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 10 Deinde cum dicit
quod enim probat quod dixerat de organo odoratus. Et circa hoc tria facit.
Primo ostendit odorativum esse in actu ignis. Secundo concludit quale debeat
esse organum odoratus, quod est odoratus in potentia, ibi, propter quod et
circa cerebrum. Tertio ostendit similitudinem organi odoratus ad organum
visus, oculi autem generatio. Ait ergo primo, quod odorativum, idest
organum habens virtutem odorandi, oportet quod sit hoc in potentia, quod
actualis odoratus est in actu: quod manifestat per hoc quod sensibile facit
sensum agere, idest esse in actu vel etiam operari. Oportet enim quod
sensitivum sit in potentia sensibile; alioquin non pateretur ab ipso. Unde
relinquitur quod sensitivum sit in potentia, sensus in actu. Manifestum est
autem quod odor est fumalis evaporatio: non quidem ita quod fumalis
evaporatio sit ipsa essentia odoris, hoc enim improbatum est, secundo de
anima, longius enim diffunditur odor quam fumalis evaporatio; sed hoc
dicitur, quia fumalis evaporatio est causa quod sentiatur odor. Fumalis enim
evaporatio est ab igne vel a quocumque calido: ergo odoratus in actu fit per
caliditatem, quae principaliter est in igne; et ideo in temporibus et locis
calidis flores sunt maioris odoris. |
Ensuite, où il
dit : Mais l’odeur est une sorte,
etc., il prouve ce qu’il a dit de l’organe de l’odorat. Et ce sujet se divise
en trois points. En premier, il montre que l’odeur[100]
est du feu en acte. En deuxième, il conclut comment doit être l’organe de
l’odorat, qui est l’odorat en puissance, où il dit : Si l’organe de l’odorat, etc. En
troisième, il montre la ressemblance de l’organe de l’odorat avec l’organe de
la vue, où il dit : et l’origine
de l’œil, etc. Il dit donc en premier que l’odorat, c'est-à-dire l’organe qui a la faculté de sentir, doit
être en puissance ce que le fait de sentir est en acte ; la preuve en
est que le sensible fait agir le
sens, en le faisant être en acte ou en provoquant son activité. Il faut en
effet que la faculté sensitive soit en puissance à l’objet sensible, sinon
elle n’en serait pas affectée. Il reste donc que la faculté sensitive est en
puissance et que la sensation est en acte. Or, il est évident que l’odeur est
une exhalaison fumeuse[101],
non de sorte que l’exhalaison fumeuse soit l’essence même de l’odeur, car
cette idée a été réfutée au livre II du Traité
de l’âme, car l’odeur se propage plus loin que l’exhalaison fumeuse, mais
le Philosophe dit cela parce que l’exhalaison fumeuse est la cause de la
sensation de l’odeur. En effet, l’exhalaison fumeuse vient du feu ou de
quelque chose de chaud ; l’odorat en acte est donc produit par la
chaleur, qui se trouve principalement dans le feu ; c’est pourquoi les
fleurs sont plus odorantes dans les temps et les lieux où il fait chaud. |
[81226] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 11 Deinde cum dicit
propter quod concludit ex praemissis, quod organum odoratus dicitur esse in
loco, qui est circa cerebrum. Organum enim odoratus est in potentia odor in
actu, qui est per calorem vel ignem; et ita oportet quod sit potentia:
potentia autem calidum est materia contrariorum, nec potest esse in potentia
ad unum eorum nisi secundum quod est actu sub altero, vel perfecte, vel
imperfecte. Perfecte, sicut quando est sub forma medii, et ideo oportet quod
substantia organi odoratus sit id, quod est actus frigidum, quod praecipue
est in loco circa cerebrum. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Si l’organe de l’odorat,
etc., il conclut de ce qui précède qu’on dit que l’organe de l’odorat se
trouve à un endroit voisin du cerveau. En effet, l’organe de l’odorat est en
puissance l’odeur en acte, qui est causée par la chaleur ou par le feu ;
il faut donc qu’il soit en puissance ; or, ce qui est chaud en puissance
est une matière susceptible des contraires et ne peut pas être en puissance à
l’un des contraires à moins d’être l’autre contraire en acte, de façon parfaite
ou imparfaite : de façon parfaite, comme quand il[102]
est sous la forme du milieu, et il faut donc que la substance de l’organe de
l’odorat soit ce qui est froid en acte, ce qui se trouve principalement dans
le voisinage du cerveau. |
[81227] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 5 n. 12 Deinde cum dicit oculi autem ostendit convenientiam
organi odoratus ad organum visus: et dicit, quod etiam oculi generatio habet
eundem modum quantum ad hoc quod constat ex cerebro, quia cerebrum inter
omnes partes corporis est humidius et frigidius, et ita habet naturam aquae
quae est naturaliter frigida et humida; et congruit organo odoratus, quod
debet esse calidum in potentia, et organo visus quod debet esse aquae. |
Ensuite, où il
dit : L’œil est formé d’une
partie, etc., il montre ce que l’organe de l’odorat a en commun avec
l’organe de la vue : il dit que la génération de l’œil, elle aussi, a
lieu de la même façon parce qu’elle se fait à partir du cerveau, car le
cerveau est la plus humide et la plus froide de toutes les parties du corps,
et il a ainsi la nature de l’eau, qui est naturellement froide et
humide ; cela aussi à l’organe de l’odorat, qui doit être chaud en
puissance, et à l’organe de la vue, qui doit être d’eau. |
[81228] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 13 Sed tunc videtur
convenienter attribuisse Plato visum igni, sicut et hic Aristoteles odoratum.
Dicendum est autem quod organum odoratus est aquae, inquantum aqua est
potentia calidum, quod est ignis; organum autem visus est aqua inquantum est
perspicua, et per consequens lucida in potentia. |
Mais alors, il
semblerait que Platon a raison d’attribuer la vue au feu, comme Aristote lui
attribue ici l’odorat. Il faut dire toutefois que l’organe de l’odorat est
d’eau en tant que l’eau est en puissance à la chaleur, qui est de feu, alors
que l’organe de la vue est d’eau en tant que l’eau est transparente, et donc
lumineuse en puissance. |
[81229] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 14 Sed quia ignis est
etiam lucidus actu sicut et calidum, adhuc posset aliquis dicere quod
convenienter visus attribuitur igni. Dicendum est ergo quod eodem modo quo
Aristoteles attribuit odoratum igni, nihil prohibet visum attribui igni, non
secundum proprias eius qualitates, quae sunt calidum et siccum, sed secundum
quod est lucidus actu: quod etiam attendisse videntur aliquid philosophi,
augmentum sumentes a fulgore, qui apparet moto oculo. Sed tamen quantum ad
hoc improbavit eorum opinionem Aristoteles; non quidem quia ponebant visum in
actu esse ignem, quod aliqualiter esset verum, inquantum scilicet visus in
actu, non fit sine lumine, sicut nec odoratus in actu sine calore; sed quia
ponebant organum visus esse lucidum actu, ponentes visionem fieri non
suscipiendo, sed extramittendo. |
Mais comme le feu,
lui aussi, est lumineux en acte aussi bien que chaud, on pourrait dire de
plus qu’il est convenable d’attribuer la vue au feu. Il faut donc dire que de
la même façon qu’Aristote attribue l’odorat au feu, rien n’empêche
d’attribuer la vue au feu, non en raison de ses qualités propres, qui sont le
chaud et le sec, mais en tant qu’il est lumineux en acte ; cela semble
aussi avoir été l’opinion de certains philosophes, qui s’appuient sur
l’argument[103]
de la lumière qui apparaît par suite du mouvement de l’œil. Pourtant, à ce
sujet, Aristote a réfuté leur opinion, non certes parce qu’ils affirmaient
que la vue est du feu en acte, ce qui serait vrai d’une certaine façon (en
tant que la vue en acte n’a pas lieu sans lumière, comme l’odorat en acte n’a
pas lieu sans chaleur), mais parce qu’ils affirmaient que l’organe de la vue
est lumineux en acte en disant que la vision se produit non par réception,
mais par émission de lumière. |
[81230] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 15 Deinde cum dicit
tactivum autem determinat de organis sensuum necessariorum. Et primo ostendit
quae cuique elemento sunt attribuenda. Secundo in quo loco sint sita, ibi, et
ideo iuxta cor. Dicit ergo primo, quod organum tactus attribuitur terrae, et
similiter organum gustus, qui est tactus quidam, ut in tertio de anima dictum
est. Quod quidem non est sic intelligendum, quasi organum tactus vel gustus
sit simpliciter terreum. Capillis enim et crinibus non sentimus, quae sunt
magis terrea; sed quia, ut tertio de anima dicitur, terra maxime miscetur in
organo ipsorum sensuum. Et de organo quidem tactus ratio ista est quia ut
dicitur secundo de anima, organum tactus, ad hoc quod sit in potentia ad
contrarias qualitates tangibiles, debet esse mediocriter complexionatum: et
ideo oportet quod sit ibi secundum quantitatem plus de terra, quae inter alia
elementa minus habet de virtute activa. De organo autem gustus ratio
manifesta est. Sicut enim organum odoratus debet esse aqueum, ut sit ibi
potentia calidum, sine quo non fit odoratus in actu, ita etiam organum gustus
debet esse terreum, ut sit potentia humidum, sine quo non est gustus in actu.
|
Ensuite, où il
dit : Quant au toucher, il se
rapporte, etc., il traite des organes des sens nécessaires. Et il montre
lesquels doivent ê attribuer à quel élément. En deuxième, il montre où ces
organes se trouvent, où il dit: Et
voilà pourquoi ces organes, etc. Il dit donc en premier que l’organe du
toucher est attribué à la terre, ainsi que l’organe du goût, qui est une
sorte de toucher, comme il est dit au livre III du Traité de l’âme. Il ne faut cependant pas comprendre cela comme
si l’organe du toucher ou du goût était fait absolument de terre. En effet,
nous ne sentons pas les cheveux et les poils, qui sont plus terreux. Il faut
plutôt comprendre, comme il est dit au livre III du Traité de l’âme, que la terre entre davantage dans la composition
de ces sens. Dans le cas de l’organe du toucher, la raison en est que, comme
il est dit au livre II du Traité de
l’âme, l’organe du toucher, pour être en puissance à des qualités palpables
contraires, doit avoir une composition moyenne, et il faut donc qu’il s’y
trouve une plus grande quantité de terre, élément qui a moins de puissance
active que les autres. Dans le cas de l’organe du toucher, la raison est
évidente. En effet, comme l’organe de l’odorat doit être d’eau pour être en
puissamce à la chaleur, sans laquelle il n'y a pas d’odorat en acte, de même
l’organe du goût doit être de terre pour être en puissance à l’humidité, sans
laquelle il n'y a pas de goût en acte. |
[81231] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 16 Deinde cum dicit et
ideo ostendit, ubi sit organum tactus et gustus constitutum; et dicit quod
est iuxta cor, et assignat huius rationem, quia cor est oppositum cerebro
secundum situm et qualitatem: et sicut cerebrum est frigidissimum omnium,
quae in corpore sunt, ita et cor est calidissimum inter omnes corporis
partes: et propter hoc sibi invicem opponuntur secundum situm, ut per
frigiditatem cerebri temperetur caliditas cordis. Et inde est quod illi, qui
habent parvum caput secundum proportionem ceterorum membrorum, impetuosi
sunt, tamquam calore cordis non sufficienter reflexo per cerebrum. Et e
converso illi, qui excedunt immoderate in magnitudine capitis sunt nimis
humorosi et pinguiores per magnitudinem cerebri calorem cordis impedientem:
propter quod oportet organum tactus, quod terreum est, esse principaliter in
loco calidissimo corporis, ut per caliditatem cordis ad temperiem terrae
frigiditas reducatur. |
Ensuite, où il
dit : Et voilà pourquoi les
organes, etc., il montre où les organes du toucher et du goût sont
constitués, en disant que c’est près du cœur. Il en donne comme raison que le
cœur est l’opposé du cerveau par sa position et sa qualité, et, de même que
le cerveau est le plus froid de tous les organes du corps, de même le cœur
est la plus chaude des parties du corps; pour cette raison, ils s’opposent
par leur position, de sorte que la froideur du cerveau tempère la chaleur du
corps. De là vient que ceux qui ont de petites têtes en proportion des autres
membres sont impétueux, du fait que la chaleur du cœur n’est pas suffisamment
freinée par le cerveau. Et inversement, ceux dont la tête est excessivement
grosse sont trop lymphatiques et trop gras parce que la grandeur du cerveau
entrave la chaleur du corps; pour cette raison, il faut que l’organe du
toucher, qui est de terre, se trouve principalement à l’endroit le plus chaud
du corps, de sorte que la froideur de la terre soit ramenée à une température
modérée par la chaleur du cœur. |
[81232] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 17 Nec obstat quod per
totum corpus animal sentit sensu tactus: quia sicut alii sensus fiunt per
medium extrinsecum, ita tactus et gustus per medium intrinsecum, quod est
caro. Et sicut visivum principium non est in superficie oculi, sed
intrinsecus; ita etiam principium tactivum est intrinsecus circa cor. Cuius
signum est quod laesio, si accidat in locis circa cor, est maxime dolorosa. |
Et cela n’empêche
pas l’animal d’avoir le sens du toucher dans tout son corps, car, de même que
les autres sens s’exercent par un intermédiaire extérieur, de même le toucher
et le goût s’exercent par un intermédiaire intérieur, qui est la chair. Et de
même que le principe de la vue n’est pas à la surface de l’œil, mais à
l’iintérieur, de même le principe du toucher est à l’intérieur, près du cœur.
Un signe de ce fait est qu’une blessure, si elle est subie à un endroit
voisin du cœur, est excessivement douloureuse. |
[81233] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 5 n. 18 Nec tamen oportet
esse duo principia sensitiva in animali; unum circa cerebrum ubi constituitur
principium visivum, odorativum et auditivum, et aliud circa cor ubi
constituitur principium tactivum et gustativum. Sensitivum enim principium
primo quidem est in corde, ubi est fons caloris in corde animalis. Nihil enim
est sensitivum sine calore, ut dicitur in libro de anima. Sed a corde
derivatur virtus sensitiva ad cerebrum, et exinde procedit ad organa trium
sensuum, visus, auditus et odoratus: tactus autem et gustus referuntur ad
ipsum cor per medium coniunctum, ut dictum est. Ultimo autem epilogat quod de
sensitivis partibus corporis sit hoc modo determinatum sicut in superioribus
habitum est. |
Cependant, il n’est
pas nécessaire qu’il y ait deux principes sensitifs dans l’animal, l’un près
du cerveau, où est constitué le principe de la vue, de l’odorat et de l’ouïe,
et l’autre près du cœur, où est constitué le principe du toucher et du goût.
En effet, le principe de la sensation est en premier dans le cœur, où se
trouve la source de chaleur dans le cœur des animaux. En effet, rien ne peut
sentir sans chaleur, comme il est dit dans le Traité de l’âme. Mais la faculté sensitive se propage du cœur au
cerveau et procède de là aux organes des trois sens, vue, ouïe et odorat; le
toucher et le goût, par contre, se ramènent au cœur par un intermédiaire uni
au corps, comme on l’a dit. En dernier, il conclut qu’il faut traiter des
parties sensitives du corps de la façon exposée ci-dessus. |
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Leçon 6 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Quant aux choses mêmes qui sont perçues par
chacun des organes des sens en particulier, c'est-à-dire la couleur, le son,
l'odeur, le goût et le toucher, il a été expliqué d'une manière générale dans
le Traité de l’âme, quelle en est
l'action, et comment elles sont en acte relativement à chacun des organes
spéciaux. Voyons maintenant en détail ce qu'il faut entendre par chacune de
ces choses, c'est-à-dire ce que c'est que la couleur, le son, l'odeur, le
goût et enfin aussi le toucher. Nous commencerons par la couleur. D'abord toutes ces choses peuvent être
considérées sous deux points de vue, soit en acte, soit en puissance. Jusqu'à
quel point la couleur en acte et le son en acte se rapprochent- ils ou
diffèrent-ils des sensations en acte que nous avons appelées vision et
audition? c'est ce qui a été discuté dans le Traité de l’âme. Expliquons ici ce que doit être chacune de ces
choses pour produire la sensation et l'acte. Ainsi qu'il a été dit dans ce même ouvrage, la
lumière est la couleur du diaphane par accident. Lors donc qu'il y a un corps
igné dans le diaphane, sa présence fait la lumière; et son absence, les
ténèbres. Ce que nous appelons diaphane n'appartient pas exclusivement à
l'air ou à l'eau ou à tout autre corps qui reçoit aussi sa dénomination de
cette propriété. C'est en quelque sorte une nature et une force commune qui
n'existe pas séparément, mais qui est dans ces corps, et qui est également
dans les autres, plus dans ceux-ci, moins dans ceux-là. De même qu'il y a nécessairement une limite extrême
pour les corps, de même aussi il y en a une pour cette force particulière. Ainsi donc la nature de la lumière est bien dans
le diaphane indéterminé; mais quant au diaphane qui est dans les corps, il
est bien évident qu'il a une limite. C'est là précisément ce qu'est la couleur, comme
on peut s'en convaincre par l'observation des faits; car, ou la couleur est à
la limite des corps, ou elle est elle-même leur limite. Aussi les
Pythagoriciens appelaient-ils la surface, couleur. En effet, la couleur est
bien à la limite du corps, mais elle n'est pas précisément la limite même du
corps; il faut penser au contraire que la même nature qui prend couleur en
dehors la prend aussi en dedans. L'eau et l'air même paraissent également se
colorer, et l'éclat qu'ils prennent quelquefois n'est pas autre chose qu'une
couleur; mais si la mer et l'air, quand on les regarde de loin, n'ont pas la
même couleur que quand on s'en approche, c'est que la couleur est alors dans
une substance tout indéterminée. Au contraire pour les corps déterminés, à
moins que le milieu qui les entoure n'en fasse changer l'aspect, l'apparence
même de la couleur se fixe et se détermine. Ainsi, il est évident que de
l'une et de l'autre part c'est bien la même chose qui reçoit la couleur; et
c'est le diaphane qui, en tant qu'il est dans les corps, et il est plus ou
moins dans tous, fait que tous peuvent participer de la couleur. Mais comme la couleur est dans une limite, elle
doit être aussi à la limite du diaphane; et par conséquent, on pourrait
définir la couleur : la limite du diaphane dans un corps déterminé. De plus,
pour tous les corps qui sont diaphanes, à proprement parler, comme l'eau ou
tels autres corps analogues, et même pour ceux qui paraissent avoir une
couleur propre, la couleur est également à leur extrémité. |
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Lectio
6 |
Leçon 6 ─ Rapport entre la
couleur et la lumière (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81234] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 1 Postquam philosophus
ad organa sensuum applicavit considerationem de sensibus animalium, hic
applicat ea ad ipsa sensibilia. Et primo dicit de quo est intentio. Secundo
exequitur propositum, ibi, quemadmodum igitur dictum est de lumine. Circa
primum duo facit. Primo proponit intentum secundo manifestat quod dixerat,
ibi, est quidem igitur unumquodque. Dicit ergo primo, quod de sensibilibus
propriis, quae sentiuntur secundum unumquodque sensitivum, idest
secundum singula organa sensuum, (quod dicitur ad differentiam sensibilium
communium scilicet de colore, sono et odore, quae sentiuntur per visum,
auditum et odoratum) et de gustu et tactu, idest de sensibilibus horum
sensuum, dictum est in libro de anima, universaliter et quomodo habent in
sensum agere, et qualis sit operatio sensus secundum unumquodque organum
immutatum a praedicto sensibili. Dictum est enim in secundo de anima, quod
sensus est potentia sensibile, et quod sensibilia faciunt sensum esse in
actu. Sed nunc considerandum est quid sit quodlibet sensibile secundum
seipsum, scilicet quid sit color, quid sonus, quid odor, quid sapor; et
similiter de tactu, idest de sensibilibus tactus. Sed primum dicendum
est de colore, qui est obiectum visus, eo quod visus est spiritualior inter
omnes sensus. |
Après avoir
appliqué aux organes des sens l’étude sur les sens des animaux, le Philosophe
l’applique ici aux objets sensibles. Et en premier, il dit quelle est son
intention. En deuxième, il approfondit la question, où il dit : Ainsi qu’il a été dit, etc. Il traite
le premier point en deux parties. En premier, il présente son intention; en
deuxième, il manifeste ce qu’il a dit, où il dit : D’abord toutes choses, etc. Il dit donc en premier que les
sensibles propres (ainsi appelés par distinction avec les sensibles communs)
qui sont perçus par chaque faculté
sensitive, c'est-à-dire par chacun des organes des sens, à savoir la
couleur, le son et l’odeur, qui sont sentis par la vue, l’ouïe et l’odorat,
ainsi que le goût et le toucher, c'est-à-dire les sensibles perçus par ces
sens, ont été discutés dans le Traité
de l’âme de façon générale : on y a expliqué comment ils agissent
sur les sens et quelle est l’opération de chaque sens en fonction de chaque
organe affecté par l’objet sensible en question. On a dit en effet, au livre
II du Traité de l’âme, que le sens est
en puissance le sensible et que les sensibles rendent le sens en acte. Mais
maintenant, il faut examiner ce qu’est chacun des sensibles en lui-même,
c'est-à-dire ce qu’est la couleur, ce qu’est le son, ce qu’est l’odeur, ce
qu’est la saveur, et de même pour le
toucher, c'est-à-dire les objets sensibles au sens du toucher. Mais il
faut parler en premier de la couleur, qui est l’objet de la vue, parce que la
vue est le plus spirituel des sens. |
[81235] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 2 Non est tamen per
hoc intelligendum, quod de omnibus his sensibus in hoc libro determinare
intendat; sed quod omnium horum sensibilium consideratio, necessaria sit ad
propositam intentionem. Sed cum sensibilia tactus sint vel proprietates
elementorum, idest calidum, frigidum, humidum et siccum, de quibus
determinatum est in libro de generatione, vel sint proprietates corporum
distinctorum, sicut durum et molle et alia huiusmodi, de quibus determinatum
est in libro Meteororum; unde nunc restat determinare de tribus, scilicet de
colore, odore et sapore. De sono enim determinatum est in libro de anima, eo
quod eadem est ratio generationis soni et immutationis auditus organi a sono.
Qualiter autem immutentur organa sensuum a sensibilibus, pertinet ad
considerationem libri de anima. |
Il ne faut pourtant
pas comprendre qu’il ait l’intention de traiter de tous ces sens dans le
présent traité, mais que l’étude de tous ces sensibles est nécessaire au
présent propos. Mais comme les sensibles objets du toucher sont soit des
propriétés des éléments, comme le chaud, le froid, l’humide et le sec, dont
on a traité dans le livre De la
génération, soit des propriétés de corps distincts, comme le dur, le mou
et d’autres propriétés du genre, dont on a traité dans le livre des Météorologiques, il reste donc à
traiter de trois choses : la couleur, l’odeur et la saveur. En effet, le
son a été étudié dans le Traité de
l’âme, parce que la raison de la génération du son est également la
raison de l’impression du son sur l’organe de l’ouïe. Cependant, la façon
dont les organes des sens reçoivent l’impression des sensibles relève de
l’étude du Traité de l’âme. |
[81236] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 3 Deinde cum dicit est
quidem exponit quod dictum est, scilicet quod considerandum sit quid sit
color et sapor et cetera. Unumquodque horum enim dupliciter est. Uno quidem
modo prout sentitur in actu. Alio vero modo, prout est sensibile in potentia.
Quid autem sit unumquodque eorum secundum actum, idest secundum quod est
color actu perceptus a sensu, aut sapor vel quodcumque aliud sensibile,
dictum est in libro de anima, quomodo scilicet unumquodque horum idem sit vel
alterum sensui secundum actum, scilicet visioni vel auditioni, quia videlicet
visibile in actu est idem visioni in actu, visibile autem in potentia non est
idem visui in potentia. Ergo quid unumquodque sensitivum sit in actu dictum
est in libro de anima, in quo determinatum est de sensibilibus in actu; sed
quid sit unumquodque eorum secundum seipsum, quod natum est facere sensitivum
actu, est nunc dicendum in hoc libro. |
Ensuite, où il
dit : D’abord toutes ces choses,
etc., il explique ce qui a été dit, à savoir qu’il faut étudier ce que sont
la couleur, la saveur et le reste. En effet, chacun d’eux existe de deux
façons : d’abord, en tant qu’il est senti en acte, ensuite, en tant
qu’il est sensible en puissance. Ce qu’est chacun d’eux en acte, c'est-à-dire
en tant qu’il est une couleur perçue en acte par le sens, ou une saveur ou
tout autre sensible, a été expliqué dans le Traité de l’âme, à savoir comment chacun d’eux est identique ou
différent de la sensation en acte, telle que la vision ou l’audition ;
en effet, le visible en acte est la même chose que la vision en acte, mais le
visible en puissance n’est pas la même chose que la vision en puissance.
Alors, ce qu’est chaque faculté sensitive en acte a été dit dans le Traité de l’âme, où on a traité des
sensibles en acte, mais ce qu’est chacun d’eux en lui-même qui soit capable
d’actualiser la faculté sensitive est ce dont il faut traiter maintenant dans
ce livre. |
[81237] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 4 Deinde cum dicit
quemadmodum igitur determinat de sensibilibus secundum modum praetactum. Et
primo de colore. Secundo de sapore, ibi, de odore vero et sapore. Tertio de
odore, ibi, eodem autem modo oportet intelligere. Prima autem pars dividitur
in duas partes. In prima, ostendit quid sit color in communi. In secunda
parte determinat de differentiis colorum, ibi, est ergo inesse perspicuo.
Circa primum duo facit. Primo proponit principia coloris. Secundo investigat
coloris definitionem ex huiusmodi principiis, ibi, quemadmodum ergo et
corporum. Est autem duplex coloris principium: unum quidem formale, scilicet
lumen; aliud materiale, scilicet perspicuum. Primo ergo tangit principium
formale, scilicet lumen. Secundo principium materiale, scilicet perspicuum,
ibi, quod autem dicimus. Dicit ergo primo, quod sicut dictum est in libro de
anima, lumen est color perspicui: quod quidem dicitur secundum quamdam
proportionem, ex eo quod sicut color est forma et actus corporis colorati,
ita lumen est forma et actus perspicui. |
Ensuite, où il
dit : Ainsi qu’il a été dit, etc.,
il traite des sensibles de la manière qu’il vient de dire. Et en premier, il
traite de la couleur. En deuxième, il traite de la saveur, où il dit : Parlons ici de l’odeur, etc. (leçon
IX). En troisième, il traite de l’odeur, où il dit : C’est en suivant encore la même marche,
etc. (leçon XII). La première partie se divise en deux sections. Dans la
première, il montre ce qu’est la couleur en général. Dans la deuxième, il
traite des différences de couleurs, où il dit : Il est donc possible, etc. (leçon VII). Il traite la première
section en deux points. En premier, il présente les principes de la couleur.
En deuxième, il recherche la définition de la couleur à partir de ces
principes, où il dit : @@@ Or, la couleur a deux principes : un
formel, qui est la lumière ; l’autre matériel, qui est le transparent. Il
traite donc, en premier, du principe formel, à savoir la lumière ; en
deuxième, du principe matériel, où il dit : Ce que nous appelons diaphane, etc. Il dit donc en premier que,
comme il est dit dans le Traité de
l’âme, la lumière est la couleur de ce qui est transparent ; on dit
cela toutefois selon une certaine proportion, du fait que, comme la couleur
est la forme et l’acte du corps coloré, de même la lumière est la forme et
l’acte de ce qui est transparent. |
[81238] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 5 Differt autem
quantum ad hoc quod corpus coloratum in seipso habet causam sui coloris, sed
corpus perspicuum habet lumen ab alio. Et ideo dicit quod lumen est color
perspicui secundum accidens, idest per aliud, non quia lumen sit actus
perspicui inquantum huius. Quod autem sit actus eius secundum aliud,
manifestat per hoc, quod, quando aliquod corpus ignitum, scilicet actu
lucidum, adest perspicuo, ex praesentia eius fit lumen in perspicuo, ex
privatione vero fiunt tenebrae. Non sic autem est de colore; quia color manet
in corpore colorato quocumque praesente vel absente, licet non sit actu
visibilis sine lumine. |
Les deux diffèrent
cependant en ce que le corps coloré a en lui-même la cause de sa couleur,
alors que le corps transparent tire sa lumière d’ailleurs. C’est pourquoi il
dit que la lumière est la couleur du transparent par accident, c'est-à-dire du fait d’autre chose, et non parce
que la lumière est l’acte du transparent en tant que tel. Qu’elle soit l’acte
du transparent du fait d’autre chose, il le manifeste en montrant que, quand
un corps allumé, c'est-à-dire lumineux en acte, est près d’un corps
transparent, sa présence rend lumineux le corps transparent, et son absence
provoque les ténèbres. Il n’en va pas de même pour la couleur, car la couleur
demeure dans le corps coloré, peu importe ce qui est présent ou absent, même
si elle n’est pas visible en acte sans lumière. |
[81239] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 6 Deinde cum dicit
quod autem determinat de perspicuo: et dicit quod, hoc quod dicitur
perspicuum, non est proprium vel aeris vel aquae, vel alicuius huiusmodi
corporum, sicut est vitrum et alia corpora transparentia; sed est quaedam
natura communis, quae in multis corporibus invenitur; scilicet quaedam
naturalis proprietas in multis inventa, quam etiam virtutem nominat,
inquantum est quoddam principium visionis. Et quia Platonici ponebant
communia, sicut sunt separata secundum rationem, ita etiam separata esse
secundum esse, ideo ad hoc excludendum subiungit, quod natura perspicuitatis
non est aliqua natura separata, sed est in his corporibus sensibilibus,
scilicet in aere et aqua et in aliis; in quibusdam quidem magis, in quibusdam
vero minus. |
Ensuite, où il
dit : Ce que nous appelons
diaphane, etc., il traite de la transparence, en disant que ce qu’on
appelle transparent n’est pas propre à l’air ou à l’eau, ou à un autre corps
de ce genre comme la vitre ou d’autres corps transparents, mais elle est une
nature générale qu’on trouve dans beaucoup de corps, c'est-à-dire que c’est
une propriété naturelle qu’on trouve dans bien des corps et qu’il appelle
aussi force, en tant qu’elle est un
principe de la vision. Et parce que les Platoniciens affirmaient que les
caractères communs, de même qu’ils sont séparés par la raison, sont également
séparés dans leur être, il ajoute pour écarter cette idée que la nature de la
transparence n’est pas une nature séparée, mais elle est dans ces corps
sensibles, à savoir l’air, l’eau et certains autres corps, davantage dans
certains et moins dans d’autres. |
[81240] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 7 Ad cuius evidentiam
sciendum est quod philosophus dicit in secundo de anima, visibile non solum
est color, sed etiam quoddam aliud, quod ratione comprehenditur innominatum.
Est autem in genere visibilis communiter accepti, aliquid ut actus, aliquid
vero ut potentia. Non est autem in hoc genere ut actus aliqua qualitas
propria alicuius elementorum; sed ipsorum lumen, quod est quidem primo in
corpore caelesti, derivatur autem ad inferiora corpora. Ut potentia quidem in
hoc genere est id, quod est proprium luminis susceptivum: quod quidem in
triplici ordine graduum se habet. |
Pour bien
comprendre, il faut savoir que le Philosophe dit, au livre II du Traité de l’âme, que le visible n’est
pas seulement la couleur, mais aussi autre chose qui est perçu par la raison
mais n’a pas de nom. Or, dans le genre du visible considéré en général, il y
a quelque chose en acte et quelque chose en puissance. Ce qui est en acte
dans ce genre n’est pas une qualité propre à l’un des éléments, mais la
lumière de ceux-ci, qui a sa source dans le corps céleste, en est dérivée
vers les corps inférieurs. Ce qui est en puissance dans ce genre est ce qui
est propre à recevoir la lumière, ce qui peut se produire en trois degrés. |
[81241] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 8 Primus quidem
gradus, cum id quod est luminis susceptivum est totaliter lumine repletum,
quasi perfecte in actum reductum, ita quod ulterius non sit receptivum
alicuius qualitatis vel formae huius generis; quod quidem inter omnia corpora
maxime competit soli. Unde corpus solare non potest esse medium in visu, ut
sit recipiens et reddens formam visibilem. Proprietas autem lucendi secundum
ordinem quemdam descendendo, procedit usque ad ignem: ulterius usque ad
quaedam corpora, quae propter parvitatem sui luminis, non possunt lucere nisi
in nocte, ut supra dictum est. |
Le premier degré se
réalise lorsque ce qui est capable de recevoir la lumière en est totalement
rempli et est ainsi parfaitement en acte, de sorte qu’il n’est plus capable
de recevoir une autre qualité ou une autre forme dans ce genre; parmi tous
les corps, cela s’applique surtout au soleil. Le corps du soleil ne peut donc
pas être l’intermédiaire dans la vue en recevant et en redonnant la forme
visible. La propriété d’émission de lumière, dans l’ordre descendant, passe
ensuite au feu, et ensuite jusqu’à certains corps qui, à cause de la
faiblesse de leur lumière, ne peuvent luire que pendant la nuit, comme on l’a
dit. |
[81242] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 9 Secundus gradus est,
eorum quae de se non habent lumen in actu, sed sunt susceptiva luminis per
totum: huiusmodi corpora proprie dicuntur perspicua sive transparentia, vel
diaphana. Phanon enim in Graeco idem est quod visibile. Et haec quidem proprietas
transparendi invenitur quidem maxime in corporibus caelestibus, praeter
corpora astrorum, quae occultant quod post se est; secundario autem in igne,
secundum quod est in propria sphaera propter raritatem; tertio in aere;
quarto in aqua; quinto etiam in quibusdam terrenis propter abundantiam aeris
vel aquae in ipsis. |
Le deuxième degré
est celui des corps qui n’ont pas par eux-mêmes de la lumière en actes, mais
dont la totalité est capable de recevoir la lumière; ces corps sont
proprement appelés transparents ou diaphanes. En effet, phanon en grec veut dire visible. Et cette propriété de
transparence se trouve au plus haut degré dans les corps célestes, à
l’exception des corps des astres qui cachent ce qui est au-delà d’eux, puis
deuxièmement dans le feu, en tant qu’il est dans sa propre sphère à cause de
sa faible densité, troisièmement dans l’air, quatrièmement dans l’eau, et
cinquièmement dans certains corps terreux à cause de l’abondance d’air ou
d’eau qu’ils contiennent. |
[81243] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 10 Tertius et infimus
gradus est terrae, quae maxime distat a corpore caelesti, quae minime nata
est recipere de lumine, sed in superficie tantum: exteriores enim partes
propter sui grossitiem interiores obumbrant, ut ad eas non perveniat lumen.
Quamvis autem in solis corporibus medii gradus proprie dicatur perspicuum vel
diaphanum secundum nominis proprietatem, communiter tamen loquendo, potest
dici perspicuum, quod est luminis susceptivum qualitercumque. Et ita videtur
philosophus hic de perspicuo loqui. |
Le troisième et
dernier degré est celui de la terre, qui est la plus éloignée du corps
céleste et est la moins apte à recevoir la lumière, sinon en surface
seulement; en effet, les parties extérieures, à cause de leur grossièreté,
voilent les parties intérieures de telle sorte que la lumière n’y parvient pas.
Cependant, même si c’est seulement les corps du deuxième degré qu’on appelle
transparents ou diaphanes au sens propre de ces termes, on peut pourtant
appeler transparent de façon générale ce qui peut recevoir la lumière de
n’importe quelle façon. Et il semble que c’est ainsi que le Philosophe parle
de la transparence. |
[81244] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 11 Deinde cum dicit
quemadmodum ergo investigat definitionem coloris. Et primo investigat genus.
Secundo differentiam, ibi, sed eamdem naturam. Tertio definitionem concludit,
ibi, quare color utique etiam. Est autem considerandum quod semper oportet
subiectum ponere in definitione accidentis, ut dicitur septimo metaphysicae:
differenter tamen. Nam, si accidens definitur in abstracto, subiectum ponitur
loco differentiae; id autem, quod pertinet ad genus accidentis, ponitur loco
generis; sicut cum dicitur, simitas est curvitas nasi. Cum autem accidens
definitur in concreto, e converso subiectum ponitur loco generis, sicut cum
dicitur, simus est nasus curvus. Quia ergo hic color definiendus est in
abstracto, primo incipit investigare loco generis id quod est essentialiter
ipse color. Et concludit ex praedictis, quod, cum perspicuum non sit natura
separata, sed in corporibus existens; necesse est quod sicut corporum, in
quibus haec natura invenitur, est aliquod ultimum, si sit finita: ita et
ipsius perspicui, quod significat qualitatem talium corporum, oportet esse
aliquod ultimum. |
Ensuite, où il
dit : De même qu’il y a
nécessairement, etc., il recherche la définition de la couleur. Et en
premier, il en recherche le genre; en deuxième, la différence spécifique, où
il dit : il faut penser au
contraire, etc.; en troisième, il conclut la définition, où il dit :
et par conséquent, on pourrait, etc.
Or, il faut remarquer qu’on doit toujours inclure le sujet dans la définition
de l’accident, comme il est dit au livre VII des Métaphysiques, mais de manières différentes : si l’accident
est défini abstraitement, le sujet tient lieu de différence spécifique, et ce
qui appartient au genre de l’accident tient lieu de genre, comme quand on dit
que la « camusité » est la courbure du nez. Lorsque l’accident est
défini concrètement, au contraire, le sujet tient lieu de genre, comme quand
on dit que le camus est un nez courbé. Alors, comme il faut ici définir la
couleur dans l’abstrait, il commence par rechercher en premier, en fait de
genre, ce que la couleur est essentiellement. Et il conclut de ce qui précède
que, puisque la transparence n’est pas une nature séparée mais existe dans
les corps, dans lesquels on trouve cette nature, il est nécessaire que, comme
les corps dans lesquels on trouve cette nature ont une limite extrême, s’ils
sont finis, de même aussi le transparent lui-même, qui signifie la qualité de
ces corps, doit avoir une limite extrême. |
[81245] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 12 Et eadem ratio est
de omnibus qualitatibus corporum quae per accidens fiunt quanta secundum
corporum quantitatem: unde per accidens terminatur secundum corporum terminationem.
Est ergo considerandum quod sicut corporum, quaedam terminata dicuntur, quia
propriis terminis terminantur, sicut corpora terrestria; quaedam interminata,
eo quod non terminantur propriis terminis, sed alienis: ita etiam est et
circa perspicuum. Quoddam enim est interminatum ex seipso, quia nihil habet
in se determinatum unde ipsum videatur. Quoddam autem est terminatum, quia
determinate habet aliquid in seipso, unde videatur secundum propriam
terminationem. |
Et la même raison
s’applique à toutes les qualités des corps qui, par accident, ont une
certaine quantité en raison de la quantité des corps; alors, elles se
terminent par accident là où les corps se terminent. Il faut donc remarquer
que de même que certains corps sont qualifiés de limités parce qu’ils se
terminent à leurs propres limites, comme c’est le cas des corps terrestres,
alors que d’autres sont illimités parce qu’ils ne se terminent pas à leurs
propres limites mais aux limites d’autres corps, de même en va-t-il pour la
transparence. En effet, un objet est illimité en lui-même parce qu’il n’a
rien de limité en lui-même qui lui permette d’être vu. Un autre objet est
limité parce qu’il a en lui-même quelque chose de déterminé qui lui permet
d’être vu de fait de sa propre limite. |
[81246] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 13 Perspicuum igitur
indeterminatum est susceptivum luminis, cuius natura non est ut suscipiatur
solum in extremo, sed per totum medium. Manifestum est autem quod ipsius
perspicui, quod significat qualitatem in corporibus existentem, ut dictum
est, est aliquid ultimum: et quod sit color, manifestum est ex his, quae
accidunt; non enim videntur corpora colorata, nisi secundum suas
extremitates. Per quod apparet quod color, vel est extremitas corporis, vel
est in extremitate corporis. Et inde est quod Pythagorici colorem vocabant
Epiphaniam, idest apparitionem, quia illud, quod apparet in superficie
corporum, color est. Non est autem verum quod color sit extremitas corporis,
ut Pythagorici posuerunt; quia sic esset superficies, vel linea, vel punctus;
sed est in extremitate corporis, sicut natura perspicui est in corporibus. |
Or, le transparent
illimité peut recevoir la lumière, dont la nature est d’être reçue non
seulement à son extrémité, mais dans tout son milieu. Or, il est manifeste
que le transparent, qui signifie une qualité qui existe dans les corps, comme
on l’a dit, a une limite, et le fait que cette limite est la couleur est
évident parce que l’on constate que seules les extrémités des corps colorés
sont visibles. On reconnaît par là que, ou bien la couleur est l’extrémité du
corps, ou bien elle se trouve à l’extrémité du corps. Et c’est pourquoi les
Pythagoriciens appelaient la couleur « épiphanie », c'est-à-dire
apparition, parce que ce qui apparaît à la surface du corps est la couleur.
Il n’est pourtant pas vrai que la couleur soit l’extrémité du corps, comme
l’affirmaient les Pythagoriciens, car elle serait alors une surface, une
ligne ou un point, mais elle est à l’extrémité du corps, tout comme la nature
du transparent se trouve dans les corps. |
[81247] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 14 Deinde cum dicit sed
eamdem investigat id quod ponitur in definitione coloris sicut differentia;
scilicet eius subiectum, quod est perspicuum. Et dicit, quod oportet
existimare eamdem naturam esse, quae est susceptiva coloris in corporibus,
quae colorantur exterius, idest non per proprium colorem, sed ex
aliquo exteriori, et in his quae colorantur interius per proprium colorem.
Illa autem quae colorantur ab exteriori, sunt perspicua, sicut aer et aqua:
et hoc manifestat per colorem, qui apparet in aurora ex resplendentia
radiorum solis ad aliqua corpora. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : il faut penser au contraire,
etc., il recherche ce qui entre dans la définition de la couleur en tant que
différence spécifique, c'est-à-dire son sujet, qui est le transparent. Et il
dit qu’il faut estimer que c’est la même nature qui reçoit les couleurs dans
les corps qui sont colorés extérieurement,
c'est-à-dire pas par leur propre couleur mais par quelque chose
d’extérieur, et dans ceux qui sont colorés de l’intérieur par leur propre
couleur. Or, ceux qui sont colorés de l’extérieur sont transparents, comme
l’air et l’eau; et il illustre ce fait par la couleur qui apparaît à l’aurore
à cause de l’éclat des rayons du soleil sur certains corps. |
[81248] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 15 Assignat tamen
differentiam inter corpora quae colorantur ab exteriori vel a seipsis. In his
enim quae ab exteriori colorantur, propter hoc quod non habent determinatum
colorem de se, non videtur idem color de prope et de longe, sicut apparet in
aere et aqua maris, quae de longe apparet alterius coloris quam de prope.
Quia enim horum color videtur secundum aliquam reverberationem, necesse est
quod secundum varietatem situs prospicientis varietur apparitio propter
diversam reverberationis figuram; sed in corporibus quae de se habent
determinatum colorem est determinata phantasia, idest apparitio coloris,
et non variatur secundum diversum situm aspicientium, nisi forte per
accidens, puta cum corpus continens facit aliquam transmutationem
apparitionis, vel quando color videtur per alium; sicut quae continentur in
vase vitri rubei videntur rubea, vel etiam per aliquam reverberationem
splendoris, sicut patet in collo columbae. |
Il établit
cependant une différence entre les corps qui sont colorés de l’extérieur et
ceux qui le sont d’eux-mêmes. En effet, ceux qui sont colorés de l’extérieur,
du fait qu’ils n’ont pas par eux-mêmes une couleur déterminée, ne semblent
pas avoir la même couleur de près et de loin, comme on le voit dans l’air et
dans l’eau de la mer, qui semble avoir une autre couleur de loin que de près.
En effet, comme leur couleur est vue par une sorte de réflexion, il est
nécessaire que leur apparence varie selon la différence de position du
spectateur à cause de la configuration différente de la réflexion, mais, pour
les corps qui ont par eux-mêmes une couleur déterminée, leur imagination, c'est-à-dire leur
apparence de couleur, est déterminée et ne varie pas selon la position
différente du spectateur, sinon peut-être par accident, comme quand le corps
qui les contient provoque un changement d’apparence ou quand la couleur est
vue à travers autre chose, par exemple quand le contenu d’un vase en verre
rouge semble rouge, ou encore quand la lumière est réfléchie comme on le voit
sur le cou de la colombe. |
[81249] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 16 Quia igitur color,
qui videtur in utrisque corporibus, non differt secundum proprium subiectum
coloris, sed secundum apparitionis causam, quae est vel interius vel
exterius; manifestum etiam quod utrobique est idem susceptivum coloris.
Manifestum etiam quia in iis quae colorantur ab exteriori, perspicuum est
susceptivum coloris, et etiam quod in his quae colorantur interius,
perspicuum est quod facit ea participare colorem: quod quidem perspicuum in
corporibus invenitur secundum magis et minus, ut dictum est. Quae enim
istorum corporum plus habent de aere vel aqua, plus habent de perspicuo;
minus autem habent quae superabundant in terrestri. Si ergo coniungamus duo
quae dicta sunt: scilicet quod color sit in extremitate corporis, et quod
corpora participent colorem secundum perspicuum; sequitur quod color sit
quaedam extremitas perspicui. |
Alors, comme la
couleur qu’on voit dans les deux corps ne diffère pas en raison du sujet
propre de la couleur, mais en raison de la cause de son apparence, qui est
soit intérieure soit extérieure, il est également manifeste que dans les deux
cas, c’est la même chose qui reçoit la couleur. Il est évident en effet que
dans les objets qui sont colorés par une influence extérieure, c’est le
transparent qui reçoit la couleur, et même dans les objets qui sont colorés
de l’intérieur c’est le transparent qui les fait participer à la couleur; or,
le transparent se trouve dans les corps dans une plus ou moins grande mesure,
comme on l’a dit. En effet, ceux de ces corps qui ont plus d’air ou d’eau ont
plus de transparence; ceux qui sont excessivement terrestres en ont moins. Si
nous mettons ensemble deux choses déjà dites, à savoir que la couleur est à
l’extrémité du corps et que les corps participent à la couleur du fait de la
transparence, il s’ensuit que la couleur est une extrémité de la
transparence. |
[81250] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 17 Deinde cum dicit
quare color concludit definitionem coloris. Et primo in his quae per se
colorantur interius. Secundo in his quae colorantur ab exteriori, ibi, et ipsorum autem
perspicuorum. Concludit ergo, quod color est extremitas perspicui in corpore
determinato: quod quidem additur, eo quod huiusmodi corpora sunt, quae
secundum se colorantur. In definitione autem debet poni id quod est per se.
Quod autem dicit colorem esse extremitatem perspicui, non repugnat ei quod
dixerat supra, colorem non esse extremitatem. Illud enim dixit de extremitate
corporis; hoc autem de extremitate perspicui, quod nominat corporis qualitatem,
sicut calidum et album. Et ideo color non est in genere quantitatis, sicut
superficies, quae est extremum corporis; sed est in genere qualitatis, sicut
et perspicuitas; quia extremum et id cuius est extremum, unius generis sunt.
Si autem corpora intrinsecus quidem habent superficiem in potentia, non autem
actu, ita etiam intrinsecus non colorantur in actu, sed in potentia, quae
reducitur ad actum facta corporis divisione: illud autem intrinsecum non
habet virtutem movendi visum, quod per se colori convenit. |
Ensuite, où il
dit : et par conséquent, on
pourrait définir, etc., il donne pour conclure la définition de la
couleur. Et il le fait, en premier, pour les choses qui sont colorées par
elles-mêmes de l’intérieur; en deuxième, pour celles qui reçoivent la couleur
de l’extérieur, où il dit : De
plus, pour tous les corps, etc. Il conclut donc que la couleur est
l’extrémité de la transparence dans un
corps déterminé; il ajoute ces derniers mots parce que de tels corps sont
ceux qui sont colorés par eux-mêmes. Cependant, quand il dit que la couleur
est l’extrémité du transparent, cela ne contredit pas son énoncé précédent
selon lequel la couleur n’est pas une extrémité : il avait dit cela de
l’extrémité du corps, mais il dit ceci de l’extrémité de la transparence,
qu’il dit être une qualité du corps, comme le chaud et le blanc. Il s’ensuit
que la couleur n’est pas dans le genre de la quantité, comme la surface, qui
est l’extrémité du corps, mais elle est dans le genre de la qualité, comme la
transparence, car l’extrémité et ce dont elle est l’extrémité appartiennent
au même genre. Si donc les corps ont à l’intérieur une surface en puissance
mais non en acte, de même aussi ils ne sont pas colorés à l’intérieur en
acte, mais en puissance, et la couleur est amenée à l’acte une fois effectuée
la division du corps : en effet, l’intérieur n’a pas le pouvoir
d’affecter la vue, ce qui est une propriété essentielle de la couleur. |
[81251] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 6 n. 18 Deinde cum dicit et
ipsorum manifestat rationem coloris quantum ad ipsa perspicua interminata,
sicut est aqua vel quicquid aliud huiusmodi habet aliquem colorem; quia in
omnibus his non est color, nisi secundum extremitatem. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : De plus, pour tous les
corps, etc., il manifeste la notion de la couleur dans le cas des
transparents illimités, tels que l’eau ou tout autre corps du genre qui ont
une couleur, car tous ces corps n’ont aucune couleur, sinon à leur extrémité. |
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Leçon 7 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Il est donc possible que ce qui produit la
lumière dans l'air se trouve aussi dans le diaphane des corps déterminés; il
est possible qu'il ne s'y trouve pas et que le diaphane en soit privé; et de
même que dans l'air il y a tantôt lumière et tantôt obscurité, de même dans
les corps, il y a le blanc et le noir. Quant aux autres couleurs, il faut dire avec
quelques détails à quel nombre elles peuvent s'élever. D'abord le blanc et le
noir pourront être placés à côté l'un de l'autre, de telle sorte que l'un et
l'autre soient invisibles séparément à cause de leur petitesse, tandis que le
résultat des deux sera pourtant visible. Or, ce résultat ne peut être ni
blanc ni noir; mais comme nécessairement il doit avoir une couleur, et
qu'aucune de ces deux-là n'est possible, il faut qu'il ait une couleur
mélangée et d'une autre espèce. Voilà donc un moyen d'expliquer comment il y
a beaucoup d'autres couleurs que le blanc et le noir. Le rapport des parties entre elles peut à lui
seul créer aussi un grand nombre de couleurs. On peut en effet réunir trois
parties contre deux ou trois contre quatre, et ainsi du reste pour d'autres
nombres, et les combiner de cette façon l'une avec l'autre. Les parties qui
n'ont entre elles aucun rapport numérique, soit par excès, soit par défaut,
sont incommensurables; et en ceci il en est absolument comme pour les accords
des sons. Les couleurs qui pourront être exprimées par des nombres
proportionnels, aussi bien que les accords qui sont dans le même cas,
paraissent être les couleurs les plus agréables, telles que le pourpre,
l'écarlate, et d'autres couleurs analogues. D'ailleurs elles sont peu
nombreuses, par la même raison qu'il y a également fort peu d'accords de ce
genre. Mais les autres couleurs sont celles qui ne sont pas exprimables en
nombres; ou pour mieux dire, il serait possible de rendre toutes les couleurs
par des nombres; mais les unes sont ordonnées régulièrement, les autres ne le
sont pas; et ces dernières précisément, lorsque la proportion n'est pas
régulière, ne sont pas ordonnées, parce qu'elles ne peuvent pas être
exprimées en nombres. Voilà donc une première manière d'expliquer la
génération des couleurs. Une seconde, c'est que les couleurs peuvent paraître les unes à
travers les autres, comme le savent bien les peintres; aussi parfois ils
passent une seconde couleur sur une autre qui est plus éclatante, et ils
emploient ce procédé, par exemple, lorsqu'ils veulent représenter quelque
chose qui doit être dans l'air ou dans l'eau. C'est ainsi que le soleil
paraît blanc par lui-même, tandis que vu à travers un nuage ou de la fumée,
il paraît rouge. Dans ce cas encore, les couleurs se multiplieront de la même
façon qu'on a d'abord exposée, c'est-à-dire qu'on pourrait établir un certain
rapport des couleurs qui sont à la surface avec celles qui sont plus
profondes; et il y en aura également qui ne seront pas du tout en rapport. |
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Lectio
7 |
Leçon 7 ─ La génération et
le mélange des couleurs (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81252] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 1 Postquam philosophus
ostendit quid est color, hic procedit ad distinguendum species colorum. Et
primo quantum ad colores extremos. Secundo quantum ad colores medios, ibi, de
aliis autem coloribus. Quia vero differentiae, quibus species distinguuntur,
debent esse per se generis divisivae et non per accidens, ut patet in septimo
metaphysicae; ideo ex ipsa natura coloris, quam per definitionem supra positam
explicaverat, concludit diversitatem specierum ipsius. Habitum est enim ex
praemissis, quod subiectum coloris est perspicuum secundum suum extremum in
corporibus terminatis. Proprius autem actus perspicui inquantum huius est
lux, cuius praesentia in diaphano non determinato, sicut est aer, facit
lumen, eius autem absentia facit tenebras. Contingit ergo in extremo
perspicui terminatorum corporum inesse illud, quod in aere facit lumen; et
hoc faciet ibi colorem album, et per eius absentiam efficietur color niger. Quod quidem non est
sic intelligendum quasi in colore nigro nihil sit luminis: sic enim nigredo
non esset contraria albedini, utpote non participans eamdem naturam, sed
esset pura privatio, sicut tenebra aeris. Sed dicitur nigredo causari per absentiam
luminis, quia minimum habet de lumine inter omnes colores, sicut albedo
plurimum. Contraria enim sunt, quae in eodem genere maxime distant, ut dicitur
decimo metaphysicae. |
Après avoir montré
ce qu’est la couleur, le Philosophe en vient maintenant à distinguer les
espèces de couleurs. Et il le fait, en premier, pour les couleurs extrêmes;
en deuxième, pour les couleurs intermédiaires, où il dit : Quant aux autres couleurs, etc. Mais
comme les différences par lesquelles les espèces se distnguent doivent
diviser le genre par elles-mêmes et non par accident, comme on le oit au
livre VII des Métaphysiques, c’est
donc à partir de la nature même de la couleur, qu’il a expliquée dans la
définition donnée ci-dessus, qu’il conclut la diversité de ses espèces. On a
vu en effet dans ce qui précède que le sujet de la couleur est le transparent
par son extrémité qui touche les corps bornés. Or, l’acte propre du
transparent en tant que tel est la lumière, dont la présence dans le
transparent illimité tel que l’air crée la clarté et dont l’absence crée les
ténèbres. Il arrive donc, à l’extrémité du transparent, qu’il y a dans les
corps limités quelque chose qui produit la clarté dans l’air, et cela produit
en eux la couleur blanche, et leur absence produit la couleur noire. Il ne
faut pourtant pas comprendre cela au sens où il n’y aurait aucune clarté dans
la couleur noire : ainsi, en effet, la noirceur ne serait pas le
contraire de la blancheur, ne participant pas à la même nature, mais elle
serait pure privation, comme les ténèbres de l’air. Mais on dit que la
noirceur est causée par l’absence de clarté, parce qu’elle a le moins de
lumière parmi toutes les couleurs, comme la blancheur en a le plus. Les
contraires sont en effet les choses le plus distantes l’une de l’autre dans
le même genre, comme il est dit au livre X des Métaphysiques. |
[81253] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 2 Deinde cum dicit de
aliis procedit ad distinguendum colores medios; et dividitur in partes duas. In prima ponit
quosdam modos generationis distinctionis colorum mediorum, non secundum
ipsorum existentiam, sed secundum apparentiam. Secundo assignat veram
generationem mediorum colorum secundum suam naturam, ibi, si autem commixtio
est corporum. Circa primum philosophus duo facit. Primo ponit duos modos
generationis et distinctionis mediorum colorum secundum apparentiam. Secundo
comparat illos modos adinvicem, ibi, dicere autem sicut antiqui. Prima pars dividitur
in duas, secundum duos modos, quos ponit. Secunda pars incipit ibi, unus
autem apparere. Circa primum duo facit. Primo ponit generationem
colorum mediorum. Secundo assignat distinctionem ipsorum, ibi, multos autem
proportione. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Quant aux autres couleurs, etc.,
il en vient à distinguer les couleurs intermédiaires, et cela se divise en
deux parties. Dans la première, il présente certains modes de génération et
de distinction des couleurs interméiaires, non selon leur existence mais
selon leur apparence. En deuxième, il montre la vraie génération des couleurs
intermédiaires selon leur nature, où il dit : S’il y a mixtion des corps, etc. (leçon VIII, no 9). Le
Philosophe traite la première partie en deux sections. En premier, il
présente deux modes de génération et de distinction des couleurs
intermédiaires selon leur apparence. En deuxième, il compare entre eux ces
deux modes, où il dit : Il est
d’ailleurs absurde, etc. (leçon VIII). La première section se divise en
deux selon les deux modes qu’il a présentés. La deuxième partie commence où
il dit : Une seconde, c’est que
les couleurs, etc. Il traite le premier mode en deux points. En premier,
il décrit la génération des couleurs intermédiaires; en deuxième, il établit
leur distinction, où il dit : Le
rapport des parties entre elles, etc. |
[81254] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 3 Dicit ergo primo,
quod cum dictum sit de coloribus extremis, dicendum est de aliis coloribus,
scilicet mediis, distinguendo quot modis contingit eos generari. Supponitur
ergo aliquid esse invisibile propter eius parvitatem. Contingit ergo duobus
parvis corporibus non visibilibus propter parvitatem iuxta se positis, quorum
unum sit nigrum, et aliud sit album, illud quod ex utroque compositum est,
videri propter maiorem quantitatem. Omne autem quod videtur in huiusmodi
corporibus, secundum aliquem colorem videtur. Illud autem totum, nec videtur
ut album, nec ut nigrum: quia tam illud quod est album, quam illud quod est
nigrum in ipso, positum est esse invisibile propter parvitatem. Unde necesse
est quod videatur quasi quidam color ex utroque commixtus: et sic fit alia
species coloris praeter album et nigrum. Ex quo patet quod contingit colores
plures accipere, quam album et nigrum. |
Il dit donc en
premier qu’on a parlé des couleurs extrêmes et qu’il reste à parler des
autres couleurs (les couleurs intermédiaires) en distinguant le nombre de
façons dont elles peuvent être engendrées. Supposons donc qu’une chose est
invisible à cause de sa petitesse. Il peut donc arriver que deux corps
juxtaposés, qui ne sont pas visibles à cause de leur petitesse et dont l’un
est noir et l’autre est blanc, forment un composé qui est visible parce qu’il
est plus grand. Or, tout ce qui est vu dans de tels corps est vu selon une
certaine couleur. Mais ce tout n’est vu ni comme blanc, ni comme noir, car on
a affirmé que ce qui est blanc en lui-même et ce qui est noir en lui-même
sont invisibles à cause de leur petitesse. Il est donc nécessaire qu’on voie
une certaine couleur comme mélange des deux, et une autre espèce de couleur
est ainsi produite en plus du blanc et du noir. Il est donc évident qu’on
peut admettre plus de couleurs que le noir et le blanc. |
[81255] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 4 Deinde cum dicit
multos autem assignat distinctionem mediorum colorum. Et primo assignat
causam distinctionis mediorum colorum ex diversa proportione albi et nigri.
Secundo assignat causam quare quidam colores medii sunt delectabiles, et
quidam non, ibi, et eodem itaque modo. Circa primum considerandum est quod
sicut philosophus dicit decimo metaphysicae, ratio mensurae primo quidem
invenitur in numeris, secundo in quantitatibus continuis, deinde ultimo
transfertur etiam ad quantitates, secundum quod in eis potest inveniri
excessus unius qualitatis super aliam, sive per modum intensionis, prout
aliquid dicitur albedo maior, quae est in maiori superficie. Quia vero
proportio est quaedam habitudo quantitatum adinvicem; ubicumque dicitur
quantum aliquo modo, ibi potest dici proportio. Et primo quidem in numeris;
quia omnes in prima mensura, quae est unitas, sunt adinvicem commensurabiles.
Communicant autem omnes in prima mensura, quae est unitas. |
Ensuite, où il
dit : Le rapport des parties entre
elles, etc., il établit la distinction entre les couleurs intermédiaires.
Et en premier, il présente la cause de leur distinction d’après les
différentes proportions de noir et de blanc. En deuxième, il établit la cause
pour laquelle certaines couleurs intermédiaires sont agréables et d’autres
pas, où il dit : et en ceci il en
est absolument, etc. Pour le premier point, il faut remarquer que, comme
le dit le Philosophe au livre X des Métaphysiques,
la notion de mesure se trouve tout d’abord dans les nombres, deuxièmement
dans les quantités continues, et en dernier on l’applique également aux
quantités soit selon qu’on peut y trouver l’excès d’une qualité par rapport à
une autre, soit par mode d’élargissement, selon qu’un objet est dit avoir
plus de blancheur parce qu’il a une plus grande surface. Alors, comme la
proportion est un certain rapport de quantités entre elles, partout où on
parle de quantité de quelque façon, on peut parler de proportion. Et ce, en
premier, dans les nombres, car ils sont tous commensurables entre eux dans la
première mesure, qui est l’unité. En effet, ils ont tous en commun la
première mesure, qui est l’unité. |
[81256] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 5 Sunt autem diversae
proportiones numerorum, secundum quod diversi numeri adinvicem comparantur.
Alia enim est proportio trium ad duo, quae vocatur sesquialtera, et alia
quatuor ad tria, quae vocatur sesquitertia. Quia vero quantitates continuae
non resolvuntur in aliquod indivisibile, sicut numeri in unitatem, non est
necesse omnes quantitates continuas esse adinvicem commensurabiles; sed est
invenire aliquas, quarum una excedat alteram, quae tamen non habent
commensurationem. Quaecumque tamen quantitates continuae proportionantur
adinvicem, secundum proportionem numeri ad numerum, earum est una mensura
communis; puta si una sit trium cubitorum, et alia quatuor, utraque
mensuratur cubito. |
Mais il existe
diverses proportions des nombres, selon que des nombres divers sont comparés
entre eux. En effet, la proportion de 3 à 2, appelée sesquialtère[104],
diffère de la proportion de 4 à 3, appelée sesquitierce[105].
Mais comme les quantités continues ne se ramènent pas à quelque chose
d’indivisible, comme les nombres se ramènent à l’unité, il n’est pas
nécessaire que toutes les quantités continues soient commensurables entre
elles, mais on en trouve certaines dont l’une dépasse l’autre sans qu’elles
soient pourtant commensurables. Cependant, toutes les quantités continues qui
sont proportionnées entre elles selon une proportion d’un nombre à un autre
ont une mesure commune; par exemple, si l’une a trois coudées et l’autre
quatre, les deux sont mesurées par la coudée. |
[81257] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 6 Et ad hunc modum in
qualitatibus etiam contingit esse excessum et defectum, vel secundum aliquam
proportionem numeralem, vel secundum excessum incommensurabilem. Et hoc est
quod dicit quod contingit esse multos medios colores secundum diversas
proportiones. Contingit enim quod album iaceat iuxta nigrum secundum
proportionem duorum ad tria, vel trium ad quatuor, vel quorumlibet aliorum
numerorum: aut secundum nullam proportionem numeralem, sed solum secundum
incommensurabilem superabundantiam et defectum. |
Et de cette façon,
dans les qualités aussi il peut y avoir excès et défaut soit selon une
proportion numérique, soit selon un excès incommensurable. Et c’est ce qu’il
dit : il peut y avoir beaucoup de couleurs intermédiaires selon des
proportions diverses. Il arrive en effet que le blanc soit juxtaposé au noir
selon une proportion de 2 à 3, ou de 3 à 4, ou de n’importe quels autres
nombres, ou selon aucune proportion numérique mais seulement selon un excès
et un défaut incommensurables. |
[81258] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 7 Deinde cum dicit
eodem itaque ostendit quare quidam colores sunt delectabiles et quidam non;
et assignat circa hoc duas rationes. Secundam ponit, ibi, vel etiam omnes
colores. Dicit ergo primo, quod ex quo medii colores distinguuntur secundum
diversas proportiones albi et nigri, eodem modo oportet se habere in
mediis coloribus, sicut et in consonantiis quae causantur secundum
proportionem vocis gravis et acutae. Sicut enim in consonantiis illae sunt
proportionatissimae et delectabilissimae quae consistunt in numeris, sicut
diapason in proportione duorum ad unum, et diapente in proportione trium ad
duo; ita etiam in coloribus illi qui consistunt in proportione numerali sunt
proportionatissimi, et hi etiam videntur delectabilissimi, sicut croceus
et purpureus, idest rubeus. Et sicut paucae symphoniae delectabiles, ita
etiam pauci sunt colores tales. Alii vero colores, qui non sunt delectabiles,
non consistunt in proportione numerali. |
Puis lorsqu’il
dit : et en ceci il en est
absolument, etc., il montre pourquoi certaines couleurs sont agréables et
d’autres pas, et il donne deux raisons pour cela. Il donne la deuxième où il
dit : ou, pour mieux dire, il
serait possible, etc. Il dit donc en premier que, du fait que les
couleurs intermédiaires se distinguent selon des proportions diverses de
blanc et de noir, il en est absolument
de même pour les couleurs intermédiaires et pour les accords des sons, qui sont causés selon la proportion
des sons aigus et graves. En effet, de même que parmi les accords des sons
les mieux proportionnés et les plus agréables sont ceux qui consistent dans
des nombres, comme l’octave dans la proportion de 2 à 1 et la quinte dans la
proportion de 3 à 2, de même dans les couleurs celles qui consistent en une
proportion numérique sont les mieux proportionnées, et elles semblent
également les plus agréables, comme le
jaune safran et le pourpre, c'est-à-dire le rouge. Et de même que peu
d’accords sont agréables, de même peu de couleurs le sont. Mais les autres
couleurs, qui ne sont pas agréables, ne consistent pas en une proportion
numérique. |
[81259] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 8 Deinde cum dicit vel
etiam assignat aliam rationem, quare quidam colores sunt delectabiles, et
quidam non. Et dicit quod omnes species colorum possunt dici quod sint
ordinatae secundum numeros. Et potest ad hoc movere, quia si sit excessus
solum secundum superabundantiam et defectum, non erit alia species coloris,
sed tunc solum quando superabundantia et defectus est secundum aliquam
proportionem numeralem. Hoc autem supposito, adhuc sequeretur ipsos eosdem
colores esse inordinatos quando sunt puri; puta si in una parte sit
excessus albi supra nigrum secundum unam proportionem, in alia autem parte
secundum aliquam aliam numeralem proportionem, et hoc confuse et absque
ordine. Et ideo, quando non erit per totum eadem proportio numeralis,
sequitur quod huiusmodi colores erunt inordinati et indelectabiles. Ultimo autem
concludit hunc esse unum modum generationis mediorum colorum. |
Ensuite, où il
dit : ou pour mieux dire, il
serait possible, etc., il donne une autre raison pour laquelle certaines
couleurs sont agréables et d’autres pas. Et il dit qu’on peut affirmer que
toutes les espèces de couleurs sont ordonnées selon des nombres. Et il peut
en venir à cette affirmation parce que, s’il y avait supériorité seulement
par excès et défaut, on n’aurait pas une autre espèce de couleur, mais
seulement lorsque l’excès et le défaut seraient selon une proportion
numérique. Si cela est admis, il s’ensuit aussi que ces mêmes couleurs sont
désordonnées quand elles sont pures[106],
par exemple s’il y a un excès de blanc par rapport au noir selon une certaine
proportion dans une partie et selon une autre proportion dans une autre
partie, le tout de façon confuse et sans ordre. C’est pourquoi, quand la
proportion numérique n’est pas la même partout, il s’ensuit que ces couleurs
sont désordonnées et désagréables. En dernier, il conclut que tel est un mode
de génération des couleurs intermédiaires. |
[81260] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 9 Deinde cum dicit
unus autem ponit secundum modum generationis mediorum colorum. Et primo assignat
generationem colorum mediorum. Secundo distinctionem ipsorum, ibi, multi
autem et sic erunt. Dicit ergo primo, quod praeter modum praedictum est unus
alius modus generationis mediorum colorum secundum apparentiam, per hoc, quod
unus colorum apparet per alium, ita quod ex duobus coloribus resultat
apparitio cuiusdam medii coloris. Et ponit duo exempla: primum in
artificibus; sicut quandoque faciunt pictores ponentes unum colorem super
alium, ita tamen quod manifestior color, idest fortior et tenacior, subtus
ponatur; alioquin si debilior poneretur subtus, nullatenus apparet: et hoc
praecipue faciunt quando volunt facere in sua pictura quod aliquid appareat
ac si esset in aere vel aqua, ut puta cum pingunt pisces quasi in mari
natantes, tunc enim superponunt fortiori colori piscium, quaedam debilem
colorem, quasi aqua. Aliud vero exemplum ponit in rebus naturalibus. Sol enim
secundum se videtur albus propter luminis claritatem; sed quando videtur a
nobis mediante caligine sive fumo resoluto a corporibus, fit tunc puniceus,
idest rubicundus. Et sic patet quod id quod secundum se est unius coloris,
quando videtur per alium colorem, facit apparentiam tertii coloris. Fumus enim secundum
se non est rubeus, sed magis niger. |
Puis lorsqu’il
dit : Une seconde, c’est que les
couleurs, etc., il montre le deuxième mode de génétation des couleurs
intermédiaires. Et il explique, en premier, la génération des couleurs
intermédiaires; en deuxième, leur distinction, où il dit : Dans ce cas encore, les couleurs, etc.
Il dit donc en premier qu’en plus du mode précédent, il y a un autre mode de
génération des couleurs intermédiaires selon leur apparence, du fait qu’une
couleur apparaît à travers une autre de sorte que deux couleurs produisent
l’apparence d’une couleur intermédiaire. Et il donne deux exemples : le
premier est celui des artistes; ainsi, les peintres mettent parfois une
couleur par-dessus une autre; ils mettent toutefois en dessous la couleur plus
éclatante, c'est-à-dire plus vive et plus résistante; autrement, si la
couleur plus faible était en dessous, elle ne paraîtrait pas du tout; et ils
agissent ainsi surtout quand ils veulent faire en sorte qu’un objet, dans
leur peinture, semble être dans l’air ou dans l’eau, par exemple lorsqu’ils
peignent des poissons nageant dans la mer; en effet, ils superposent à la
couleur plus vive des poissons une couleur faible comme celle de l’eau. Il
donne un autre exemple dans les êtres naturels. En effet, en lui-même, le
soleil semble blanc à cause de la clarté de sa lumière, mais quand nous le
voyons à travers le brouillard ou la fumée dégagée des corps, il devient
pourpre, c'est-à-dire rougeâtre. Et ainsi, il est évident que ce qui est en
soi d’une seule couleur, quand il est vu à travers une autre couleur, donne
l’apparence d’une troisième couleur. En effet, la fumée n’est pas rouge par
elle-même, mais plutôt noire. |
[81261] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 7 n. 10 Deinde cum dicit
multi autem assignat etiam secundum hunc modum rationem distinctionis
colorum. Et dicit, quod eodem modo multiplicantur medii colores secundum hunc
modum generationis eorum, sicut et secundum praedictum, scilicet secundum
diversas proportiones. Est enim accipere quamdam proportionem coloris infra
positi, quod dicit esse in profundo, ad colorem supra positum, quem dicit
esse in superficie. Et quidam tamen colores, supra et infra positi, non sunt
in proportione aliqua numerali, et ideo causantur colores ut delectabiles et
indelectabiles, ut supra dictum est. |
Ensuite, où il
dit : Dans ce cas encore, les
couleurs, etc., il établit pour ce mode également une raison de la
distinction des couleurs. Et il dit que les couleurs intermédiaires se
multiplient de la même façon selon ce mode de génération que selon le mode
précédent, c'est-à-dire selon des proportions diverses. On peut en effet
admettre une certaine proportion de la couleur du dessous, qu’il appelle profonde, par rapport à la couleur
appliquée par-dessus, qu’il dit être à
la surface. Pourtant, certaines couleurs, appliquées au dessus ou en
dessous, ne sont en aucune proportion numérique, et c’est pourquoi cela cause
des couleurs agréables ou désagréables, comme on l’a dit. |
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Leçon 8 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Il est d'ailleurs absurde de prétendre, comme le
voulaient les anciens, que les couleurs ne sont que des émanations des corps,
et que c'est là la cause qui nous les fait voir. En effet, on doit
nécessairement, dans ce système, réduire toutes les sensations au toucher; et
alors il vaut mieux sur-le-champ admettre que c'est l'intermédiaire
indispensable à la sensation qui, par le mouvement reçu de la chose sensible,
produit la sensation même, qui ainsi a lieu par le toucher et non par des
émanations. Ainsi donc, pour les couleurs placées les unes à
côté des autres, on doit nécessairement supposer que, de même qu'elles ont
une grandeur invisible, de même aussi le temps dans lequel elles sont perçues
est insensible; de telle sorte que les mouvements des deux couleurs nous
échappent, et qu'elles semblent n'en être qu'une seule parce qu'elles sont
aperçues à la fois. Mais dans l'autre cas, il n'y a aucune nécessité
pareille; seulement la couleur qui est à la surface étant mobile et étant mue
par celle qui est au-dessous, elle ne produira pas un mouvement identique à
celui qu'elle produirait étant seule. Aussi elle paraît autre et ne paraît ni
blanche ni noire. Mais s'il ne peut y avoir aucune grandeur qui
soit invisible, et si tout ce qui est visible a une dimension quelconque, il
y aurait aussi dans ce cas un certain mélange des couleurs, et cette
supposition n'empêche point encore qu'il n'en résulte une certaine couleur
commune quand on regarde de loin. Nous montrerons dans ce qui va suivre qu'il n'y a
pas de grandeur qui soit invisible. S'il y a mixtion des corps, ce n'est pas
seulement ainsi que le croient quelques philosophes quand les formes les plus
petites possible et qui échappent alors à nos sens, sont placées les unes
près des autres; mais les corps peuvent aussi se combiner tout entiers et en
restant tout ce qu'ils sont, les uns avec les autres, comme on en a établi la
théorie pour tous les corps au Traité
de la Mixtion. Pans ce dernier sens, il n'y a de mélange que pour les
corps qu'on peut réduire à leurs formes les plus petites possible, comme des
hommes, des chevaux, ou des graines, parce que pour les hommes, un individu
homme est la forme la plus petite; pour les chevaux, c'est un cheval; et par
suite c'est la juxtaposition des individus qui de la masse de ces deux genres
d'êtres forme un mélange; mais nous ne disons jamais qu’un individu homme se
mêle à un individu cheval. Quant à toutes les choses qui ne peuvent pas se
diviser en leurs formes les plus petites, pareilles à celles-là, il ne peut
pas y avoir pour elles le genre de mélange qu'on vient d'indiquer; mais elles
se mêlent absolument, et c'est de ces choses qu'on peut dire surtout que
naturellement elles se mêlent. Nous avons déjà dit antérieurement, dans le Traité de la Mixtion, à quelles
conditions le mélange peut le plus ordinairement devenir possible. Mais il est évident que quand les corps se
mêlent, il faut bien que leurs couleurs se mêlent aussi, et que c'est là la
cause vraie qui fait qu'il y a beaucoup de couleurs ; et ce n'est pas parce
qu'elles sont superposées les unes sur les autres ou juxtaposées. Car ce
n'est pas en regardant de loin qu'on ne voit qu'«ne couleur unique aux choses
mélangées, c'est en les regardant de près, c'est de quelque façon qu'on les
regarde. S'il y a plusieurs couleurs, c'est que les corps qui se mêlent
peuvent se mêler dans des rapports très-divers, tantôt en conservant des
proportions numériques, tantôt en ayant seulement des différences
incommensurables du plus au moins, tantôt enfin aussi de la même façon que
semblent se mêler les couleurs placées, soit l'une à côté de l'autre, soit
l'une sur l'autre. Nous avons déjà parlé ailleurs du mélange des
corps; nous dirons plus loin pourquoi les espèces des couleurs, des sons et
des saveurs, sont limitées, et non pas infinies. Voilà ce que nous avions à dire pour expliquer la nature de la couleur
et ses nombreuses diversités. Il a déjà été question du son et de la voix dans le Traité de l’âme. |
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Lectio
8 |
Leçon 8 ─ La couleur n’est
pas une émanation (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81262] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 8 n. 1 Positis duobus modis generationis colorum mediorum,
hic comparat praedictos modos adinvicem. Et circa hoc tria facit. Primo excludit
quamdam positionem, ex qua procedebat unus praedictorum modorum. Secundo
comparat praedictos modos adinvicem, ibi, in his autem quae secus invicem. Tertio ostendit
quantum ad quid utrique praedictorum modorum sustineri possint, ibi, quare si
non contingit. Dicit ergo primo, quod antiqui posuerunt colorem nil aliud
esse quam quemdam effluxum a corporibus visis, sicut supra Democritus, et
etiam Empedocles posuerunt, quod visio sit propter huiusmodi causam, scilicet
propter defluxum idolorum a corporibus visis. Et quia unumquodque videtur per
proprium colorem, ideo crediderunt nihil aliud esse colorem quam huiusmodi
defluxionem. Sed hoc dicere est omnino incongruum. |
Après avoir exposé
deux modes de génération des couleurs intermédiaires, il les compare
maintenant entre eux. Et cela se divise en trois parties. En premier, il
réfute une théorie d’où provenait l’un des modes décrits. En deuxième, il
compare ces modes entre eux, où il dit : Ainsi donc, pour les couleurs, etc. En troisième, il montre dans
quelle mesure ces deux modes peuvent être reconnus vrais, où il dit : Mais s’il ne peut y avoir, etc. Il dit
donc en premier que les anciens ont affirmé que la couleur n’est rien d’autre
qu’un certain effluve dégagé par les corps vus, comme on a vu plus haut que
Démocrite ainsi qu’Empédocle ont affirmé que la vision est produite par cette
cause, celle de l’émanation d’une image hors des corps vus. Et comme toute
chose est vue grâce à sa couleur propre, ils ont cru que la couleur n’était
rien d’autre que cet effluve. Mais une telle affirmation ne convient pas du
tout. |
[81263] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 2 Non enim poterant
ponere, quod huiusmodi corpora, defluentia a corporibus visis ingrederentur
intra oculum, quia sic corrumperetur substantia eius: unde oportebat omnibus
modis quod visio fieret per contactum corporum resolutorum ad ipsum oculum,
ex huiusmodi contactu immutatum ad videndum. Si ergo immutatio talis
sufficit ad causandum visionem, melius est dicere quod visio fiat per hoc
quod medium statim a principio moveatur a sensibili, quam dicere visionem
fieri per contactum et defluxionem. Natura enim per pauciora se expedit inquantum
potest. |
En effet, ils ne
pouvaient pas affirmer que ces corps qui se dégagent des corps vus entrent
dans l’œil, car cela corromprait la substance de ce dernier; il fallait donc,
selon tous les modes mentionnés, que la vision se fasse par contact des
effluves de ces corps avec l’œil, dont la vision serait provoquée par ce
contact. Si donc cette impression suffit à causer la vision, il vaut mieux
dire que la vision se produit du fait que le milieu est mû tout de suite au
point de départ par l’objet sensible, plutôt que de dire que la vision se
produit par effluve et contact. La nature agit en effet en utilisant le moins
de moyens qu’elle peut. |
[81264] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 3 Sunt autem et alia,
quibus praedicta positio ostenditur esse falsa. Primo quidem, quia si visio
fieret per contactum, tunc sensus visus non distingueretur a tactu, quod
patet esse falsum. Visus enim non est cognoscitivus contrarietatum tactus.
Secundo, quia corpora visa per continuum defluxum diminuerentur, et tandem
totaliter consumerentur, nisi aliis defluxionibus supervenientibus, eorum
quantitas servaretur. Tertio quia huiusmodi corpora defluentia a rebus visis
cum sint subtilissima, a ventis propellerentur. Unde non fieret recta visio.
Quarto, quia visus non indigeret lumine ad videndum, ex quo visio fieret per
contactum visibilis: et multa alia huiusmodi inconvenientia sequuntur quae,
quia manifesta sunt, philosophus praetermisit. |
Il y a aussi
d’autres façons de montrer que cette théorie est fausse. En premier, si la
vision se faisait par contact, le sens de la vue ne se distinguerait pas de
celui du toucher, ce qui est évidemment faux. En effet, la vue ne connaît pas
les qualités contraires perçues par le toucher. Deuxièmement, parce que les
corps vus à cause des effluves continus diminueraient et finiraient par
disparaître totalement, à moins que leur quantité ne soit conservée par
l’arrivée d’autres effluves. Troisièmement, parce que ces corps dégagés par
les choses vues, étant excessivement subtils, seraient chassés par le vent;
la vision n’aurait donc pas lieu en ligne droite. Quatrièmement, parce que la
vue n’aurait pas besoin de lumière pour voir, puisque la vue aurait lieu par
contact avec le visible; et il s’ensuivrait beaucoup d’autres absurdités du
genre, mais le Philosophe n’en fait pas mention parce qu’elles sont
évidentes. |
[81265] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 4 Deinde cum dicit in
his autem comparat praedictos modos adinvicem. Ubi considerandum est quod
primum modus generationis mediorum colorum assignabatur ab illis, qui
ponebant colorem esse defluxionem. Et ideo, postquam Aristoteles ostendit
falsitatem huius positionis secundum se, concludit inconveniens, quod
sequitur in eis hac assignatione generationis colorum mediorum. Et dicit,
quod qui ponunt medios colores generari, per hoc quod colores extremi secus
invicem ponuntur necesse est eis dicere non solum quod magnitudo sit
invisibilis, sed etiam, quod aliquod tempus sit insensibile ad hoc
quod habeant propositum; quia ponebant visionem fieri per motum localem
corporum defluentium. Nihil autem movetur ad aliquam distantiam secundum
motum localem, nisi in tempore. Oportet autem assignare aliquod tempus, in
quo defluxus fiat a re visa ad oculum; et tanto oportet ponere maius tempus,
quanto fuerit maior distantia. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ainsi donc, pour les
couleurs, etc., il compare ces deux modes entre eux. Il faut remarquer
ici que le premier mode de génération des couleurs intermédiaires était
supposé par ceux qui affirmaient que la couleur est une émanation. C’est
pourquoi, après avoir montré la fausseté de cette théorie comme telle,
Aristote cojclue une absurdité qui s’ensuit pour eux du fait qu’ils
attribuent ce mode de génération aux couleurs intermédiaires. Et il dit que pour
ceux qui affirment que les couleurs intermédiaires sont engendrées du fait
que les couleurs extrêmes sont placées
les unes à côté des autres, il est nécessaire de dire non seulement qu’elles ont une grandeur
invisible, mais aussi que le temps
pendant lequel elles sont perçues est insensible pour prouver leur
assertion, car ils affirmaient que la vision est produite par le mouvement
local des effluves des corps. Mais rien ne se meut sur une certaine distance
par mouvement local, sinon dans le temps. Or, il faut supposer un certain
temps pendant lequel les émanations se déplacent de la chose vue à l’œil, et
il faut supposer un temps d’autant plus long que la distance est plus grande. |
[81266] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 5 Manifestum est autem
quod corporum minimorum secus invicem positorum non est omnino eadem
distantia ad oculum: et sic oportet diversa esse tempora, in quibus
perveniunt motus ab eis ad oculum. Non ergo videbitur totum, quod ex
huiusmodi corporibus componitur, ut unum, sicut supra ponebatur nisi lateat
tempus, in quo unus motus praeoccupat alium. Et ita necesse est ponere tempus
insensibile in hoc modo generationis colorum. Sed hic, in secundo modo
generationis colorum nulla necessitas est quod ponatur tempus
insensibile, quia non ponitur visio fieri per defluxum secundum motum
localem, sed ille color, qui in superficie, ponitur immobilis
existens, idest cum maneat immobilis secundum locum, immutatur tamen per
motum alterationis ab inferiori colore, ita ut non similiter moveat,
visum, sicut per se moveret vel color supra positus vel suppositus, vel alius
color medius apparebit et nec album nec nigrum. |
Il est cependant
évident que les corps minuscules placés ensemble n’ont pas tout à fait la
même distance à l’œil, et ainsi, le mouvement qui part d’eux doit parvenir à
l’œil à divers moments. Alors, on ne verra pas le tout composé de ces corps
comme une unité, comme on l’a affirmé plus, haut, à moins que le temps
pendant lequel un mouvement précède l’autre ne soit pas perçu. Et ainsi, il
est nécessaire de supposer un temps imperceptible dans ce mode de génération
des couleurs. Mais dans l’autre cas,
dans le second mode de génération des couleurs, il n’y a aucune nécessité de supposer un temps imperceptible, car
on n’affirme pas que la vision est produite par un effluve en mouvement
local, mais la couleur qui est à la
surface, qu’on suppose comme étant
immobile, c'est-à-dire qui reste immobile selon le lieu, est pourtant
affectée d’un mouvement d’altération par la couleur d’en dessous, de sorte qu’elle n’affectera pas la vue semblablement, comme la couleur du
dessus ou celle du dessous affecterait la vue à elle seule, mais elle semblera être une autre couleur intermédiaire, ni blanche ni noire. |
[81267] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 6 Est autem
considerandum quod ponentibus visum fieri per defluxionem et tactum, etiam
remota generatione mediorum colorum, quam ponebant, sequitur tempus esse
insensibile. Oportet enim eos dicere quod nullum corpus totum simul videatur,
sed per aliquam temporis successionem, cum ponant visum fieri per contactum.
Non est autem possibile quod totum aliquod magnum corpus, vel defluxus eius,
simul tangatur a pupilla, propter eius parvitatem. Et ideo sequitur tempus
esse insensibile, cum de aliquibus nobis videatur, quod simul ea tota
videamus. |
Il faut remarquer
par ailleurs que pour ceux qui affirment que la vision se produit par
émanation et contact, même si on rejette le mode de génération des couleurs
intermédiaires qu’ils affirmaient, il s’ensuit que le temps est
imperceptible. Ils sont obligés de dire en effet qu’aucun corps n’est vu en
entier d’un seul coup, mais qu’il est vu selon une succession temporelle, puisqu’ils
affirment que la vision se produit par contact. Il n’est pas possible qu’un
corps de grande taille, ou son émanation, soit touché tout à la fois par la
pupille, petite comme elle est. Il s’ensuit donc que ce temps est
imperceptible, puisqu'il nous semble que nous voyons certaines choses en
entier d’un seul coup. |
[81268] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 7 Est tamen
considerandum quod aliquod corpus visui se offerens potest considerari
dupliciter. Uno modo secundum quod est totum unum in actu, et singulae partes
eius in eo existentes sunt quodammodo in potentia, et sic visio fertur in
totum simul sicut in aliquid unum, non autem in aliquam eius partem
determinate. Alio autem modo potest considerari corpus, quod visui se offert,
secundum quod aliqua pars ipsius accipitur ut determinata in seipsa, et quasi
ab aliis partibus distincta; et sic visus non fertur in totum simul, sed in
unam partem post aliam. Et hoc quidem tempus, quo visio totius mensuratur,
non est insensibile simpliciter, cum anima sentiendo prius et posterius in
motu, sentiat tempus, ut patet in quarto physicorum. Sed tanto est huiusmodi
tempus sensibilius quanto sensus fuerit perspicacior, et maior diligentia
fuerit apposita. |
Il faut pourtant remarquer
qu’un corps qui s’offre à la vue peut être considéré de deux façons. En
premier, selon qu’il est un tout unique en acte et que chacune des parties
qui se trouvent en lui sont d’une certaine façon en puissance, et ainsi la
vision se porte sur le tout en même temps comme sur quelque chose d’un et non
de façon déterminée sur l’une de ses parties. De l’autre façon, le corps qui
s’offre à la vue peut être considéré selon que l’une de ses parties est
considérée comme déterminée en elle-même et comme distincte des autres
parties, et ainsi, la vue ne s’attache pas au tout d’un seul coup, mais à une
partie après l’autre. Alors, ce temps qui mesure la vision du tout n’est pas
absolument imperceptible, puisque l’âme, en percevant l’avant et l’après dans
le mouvement, perçoit le temps, comme il est évident au livre IV des Physiques. Mais ce temps est d’autant
plus perceptible que le sens est plus aigu et qu’on y porte une plus grande
attention. |
[81269] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 8 Deinde cum dicit
quare si non ostendit qualiter praedicti duo modi generationis colorum
sustineri possint, et usque ad quid se extendant, scilicet usque ad
apparentiam; concludens ex praedictis, quod si non contingit aliquam
magnitudinem esse invisibilem, sed quaelibet magnitudo ab aliqua distantia
est visibilis, ut sequitur, erit quaedam commixtio colorum haec,
scilicet per alternos colores, et illo etiam modo per positionem
colorum secus invicem, nihil prohibet, quin appareat quidam color
communis ab aliqua distantia, ex qua scilicet non potest videri per se
uterque color simplicium propter corporis parvitatem. Quod autem nulla
magnitudo sit invisibilis simpliciter propter parvitatem, dicit in
sequentibus esse videndum. |
Ensuite, où il
dit : Mais s’il ne peut y avoir, etc.,
il montre comment ces deux modes de génération des couleurs peuvent être
admis et jusqu’à quoi ils s’étendent, c'est-à-dire jusqu’à l’apparence :
il conclut de ce qui précède que s’il
ne peut y avoir aucune grandeur qui soit invisible, mais si toute grandeur
est visible à partir d’une certaine distance, il s’ensuit qu’il y aura un certain mélange des couleurs,
à savoir par alternance de couleurs, et
de cette façon aussi, en juxtaposant les couleurs, rien n’empêche qu’une certaine couleur commune n’apparaisse à
partir d’une certaine distance, à partir de laquelle on ne peut voir seule
aucune des deux couleurs simples à cause de la petitesse des corps. Quant au
fait qu’aucune grandeur n’est invisible
de façon absolue à cause de sa petitesse, il dit qu’on discutera cela
plus loin. |
[81270] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 9 Deinde cum dicit si
autem ponit modum generationis mediorum colorum, qui est non solum secundum
apparentiam, sed secundum existentiam. Et primo determinat
generationem mediorum colorum. Secundo assignat rationem distinctionis
ipsorum secundum istum modum generationis, ibi, multi autem erunt. Quia vero
iste modus generationis mediorum colorum accipitur secundum mixtionem
corporum, ideo praemittit primo de mixtione corporum adinvicem; et subiungit
secundo de mixtione colorum, ibi, simul autem quae sit necessitas. Dicit ergo
primo, quod mixtio corporum adinvicem non solum est secundum quidem hunc
modum, quem quidam putaverunt, quod quaedam minima iuxta alia ponerentur,
quae propter parvitatem essent nostris sensibus immanifesta. Sed contingit aliqua
corpora totaliter immisceri, ita scilicet quod totum toti immisceatur, sicut
dictum est in libro de generatione, ubi universaliter tractatum est de
corporum mixtione. Est autem verum, quod quaedam miscentur illo modo scilicet
per positionem minimorum iuxta invicem, quaecumque scilicet possunt usque ad
minima dividi; sicut multitudo hominum dividitur usque ad unum hominem,
tamquam usque ad aliquid unum minimum, et multitudo equorum usque ad unum
equum, et multitudo seminum usque ad unum semen, quod est unum granum
tritici, vel aliquid huiusmodi. Unde bene potest dici quod talium multitudo
est permixta per hoc, quod minima secus invicem ponuntur, sicut si homines
confuse equis permiscentur, vel semina tritici seminibus hordei, non tamen
erit permixtio talium totaliter. Singulae enim partes multitudinum remanebunt
impermixtae, quia unus homo non permiscetur uni equo, nec aliquod aliud
huiusmodi alicui tali. |
Puis lorsqu’il
dit : S’il y a mixtion des corps,
etc., il présente un mode de génération des couleurs intermédiaires qui ne
touche pas seulement l’apparence, mais aussi l’existence. Et en premier, il
traite de la génération des couleurs intermédiaires. En deuxième, il établit
la raison de leur distinction selon ce[107]
mode de génération, où il dit : S’il
y a plusieurs couleurs, etc. Mais comme ce mode de génération des
couleurs intermédiaires se rapporte au mélange des corps, il traite d’abord
du mélange des corps entre eux, et il enchaîne en deuxième par le mélange des
couleurs, où il dit : Mais il est
évident que quand les corps, etc. Il dit donc en premier que le mélange
des corps entre eux ne se fait pas seulement de la façon que certains ont
supposée, à savoir que des éléments minimes sont juxtaposés et qu’ils ne
seraient pas perçus par nos sens à cause de leur petitesse. Mais il affive
que des corps soient totalement mélangés de telle sorte que le tout est
mélangé au tout, comme il est dit au Traité
de la génération, où on traite de façon universelle du mélange des corps.
Mais il est vrai que certaines choses sont mélangées de cette façon,
c'est-à-dire par juxtaposition d’éléments minimes : ce sont les choses
qui peuvent se diviser jusqu’à des éléments minimes; ainsi, une multitude
d’hommes se divise jusqu’à un seul homme, en tant qu’on parvient à la plus
petite unité, une multitude de chevaux se divise jusqu’à un seul cheval, une
multitude de semences se divise jusqu’à une seule semence, c'est-à-dire un
grain de froment ou quelque chose du genre. On peut donc dire avec raison
qu’une multitude de ces choses est mélangée par le fait que les plus petits
éléments sont mis les uns à côté des autres, comme si les hommes étaient
mélangés sans ordre avec les chevaux, ou les grains de froment aux grains
d’orge, mais ce ne sera pourtant pas un mélange total de ces choses. En
effet, chacune des parties de ces multitudes demeure sans mélange, car un
homme n’est pas mélangé à un cheval, ni autre chose du genre à autre chose. |
[81271] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 10 Sed eorum quae non
dividuntur usque ad minimum, scilicet corporum continuorum et similium
partium, sicut vinum et aqua, non potest fieri mixtio modo praedicto,
scilicet per positionem minimorum iuxta invicem, quia non est in eis accipere
minimum; sed per hoc quod totum toti commiscetur, ita quod nulla pars remanet
impermixta. Et haec sunt, quae maxime et verissime nata sunt permisceri. Quomodo
autem haec fieri possint, determinatum est in libro de generatione. |
Mais les choses qui
ne se divisent pas jusqu’à un élément minimal, à savoir les corps continus
qui ont des parties semblables, comme le vin et l’eau, ne peuvent pas se
mélanger de cette façon, c'est-à-dire par juxtaposition des plus petits
éléments, car on ne peut pas y trouver un plus petit élément, mais plutôt, le
tout se mélange au tout de telle sorte qu’aucune partie n’en reste non
mélangée. Et ces choses sont celles qui sont les plus véritablement aptes à
se mélanger. Mais la manière dont cela peut se faire a été décrite dans le Traité de la génération. |
[81272] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 11 Deinde cum dicit
simul autem post commixtionem corporum tangit commixtionem colorum. Et dicit
manifestum esse secundum praedeterminata quae sit necessitas quod commixtis
corporibus colores misceantur. Dictum enim est supra quod perspicuum secundum
quod existit in corporibus, facit colores participari. Perspicuum autem
diversimode invenitur in corporibus secundum maius et minus, et similiter
lucidum; et ideo permixtis coloribus in quibus est lucidum et diaphanum,
necesse est quod fiat permixtio colorum. Et ista est principalis causa quod
sunt multi colores praeter album et nigrum. Non autem est principalis causa
supernatatio, idest quod unus color ponatur super alium, neque secus invicem
positio, scilicet quod minima colorata iuxta invicem ponantur, quia color
medius videtur praeter album et nigrum, non quidem de longe, nec de prope,
sed ex quacumque distantia. Et ita patet quod iste est modus generationis
colorum mediorum secundum ipsorum existentiam; alii autem duo modi pertinent
ad solam apparentiam. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Mais il est évident,
etc., après le mélange des corps, il traite du mélange des couleurs. Et il
dit que d’après ce qui précède, on voit avec évidence pourquoi il est
nécessaire que quand les corps se mélangent, leurs couleurs se mélangent. On
a dit plus haut, en effet, que la transparence, en tant qu’elle existe dans
les corps, fait participer aux couleurs. Or, la transparence se trouve de
façons diverses dans le corps, à un degré plus ou moins grand, et la
luminosité également; c’est pourquoi, quand des corps[108]
qui ont de la luminosité et de la transparence sont mélangés, les couleurs
sont nécessairement mélangées. Et c’est la principale cause du fait qu’il y a
beaucoup de couleurs en plus du blanc et du noir. La cause principale n’est
pas la superposition, ou le fait qu’une couleur est appliquée sur une autre,
ni la juxtaposition, c'est-à-dire la mise de tout petits objets colorés les
uns à côté des autres, car la couleur semble intermédiaire entre le blanc et
le noir, pas de loin ni de près, mais à n’importe quelle distance. Et ainsi,
il est évident que tel est le mode de génération des couleurs intermédiaires
selon leur existence même; les deux autres modes ne concernent que leur
apparence. |
[81273] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 12 Deinde cum dicit
multi autem assignat causam distinctionis colorum mediorum secundum
praedictum modum generationis. Et dicit quod multi generantur colores medii,
quoniam multis proportionibus solum invicem contingit commiscere corpora, et
per consequens ipsos colores. Quaedam quidem secundum determinatos numeros,
quaedam vero secundum solam superabundantiam incommensurabilem. Et alia omnia
eodem modo hic dicenda sunt circa mixtionem, quae supradicta sunt in aliis
duobus modis, scilicet in positionem colorum iuxta invicem, et in
superpositione unius coloris super alterum. Unum autem est, quod restat
posterius determinandum, quare scilicet sint finitae et non infinitae species
colorum, saporum et sonorum. |
Puis lorsqu’il
dit : S’il y a plusieurs couleurs,
etc., il donne la cause de la distinction des couleurs intermédiaires
selon ce dernier mode de génération. Et il dit que beaucoup de couleurs
intermédiaires sont engendrées parce que les corps peuvent se mélanger selon
de nombreuses proportions, et par conséquent les couleurs aussi. Cependant,
certaines peuvent le faire selon des nombres déterminés, et d’autres
seulement selon un excédent impossible à mesurer. Et il faut redire ici tout
ce qui a été dit plus haut au sujet des mélanges pour les deux autres modes,
à savoir la juxtaposition des couleurs et l’application d’une couleur
par-dessus une autre. Il reste cependant une question à résoudre plus tard, à
savoir s’il y a un nombre fini ou infini d’espèces de couleurs, de saveurs et
de sont. |
[81274] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 8 n. 13 Ultimo autem
epilogando concludit. Iam dictum est quid sit color, et propter quam causam
sint multi colores. Excusat autem se deinceps a determinatione soni et vocis:
quia de his iam determinatum est in libro de anima, eo quod eadem est ratio
generationis ipsorum et immutationis, quae secundum quod immutant pertinent
ad considerationem libri de anima. |
En dernier, il
conclut en disant qu’on a expliqué ce qu’est la couleur et quelle est la
cause du grand nombre de couleurs. Mais il se dispense de traiter ensuite du
son et de la voix, car il en a déjà parlé dans le Traité de l’âme, étant donné que l’explication de leur génération
est la même que celle de l’impression qu’ils produisent sur les sens, et, en
tant qu’ils affectent les sens, leur étude relève du Traité de l’âme. |
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Leçon 9 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Parlons ici de l'odeur et de la saveur. Ces
affections sont à peu près les mêmes, bien qu'elles ne se produisent pas
toutes les deux dans les mêmes organes. La nature des saveurs est plus claire
pour nous avons l'odorat beaucoup moins fin que tous les autres animaux. Il
faut ajouter même que l'odorat est en nous le moins bon de tous les sens dont
nous sommes doués. Au contraire, nous avons le toucher plus délicat que tous
les autres animaux; et le goût n'est qu'une sorte de toucher. D'abord la nature propre de l'eau, c'est d'être
sans saveur; mais il faut nécessairement, ou que l'eau ait en elle toutes les
saveurs, qui alors n'échappent à nos sens que par leur faiblesse même, comme
le prétend Empédocle; ou bien, que l'eau renferme une matière qui soit eu quelque
sorte le germe de toutes les saveurs, et qu'ainsi toutes les saveurs viennent
de l'eau, celles-ci d'une partie, celles-là d'une autre; ou bien enfin, que
l'eau n'ayant en soi aucune diversité de saveurs, la cause effective des
saveurs soit par exemple la chaleur et aussi le soleil. Mais ici l'erreur où tombe Empédocle est par trop
facile à découvrir. Ainsi l'on peut bien se convaincre que les saveurs des
fruits changent par l'effet de la chaleur, quand on les a détachés de l'arbre
et qu'on les fait sécher au soleil ou au feu. Dans ce cas apparemment les
saveurs ne se modifient pas parce qu'elles tiennent de l'eau quelque nouveau
principe; mais elles changent dans l'intérieur même du fruit, soit que se
desséchant avec le temps elles deviennent sûres et amères de douces qu'elles
étaient, et s'altèrent de cent façons ; soit que soumises à l'action du feu
elles prennent, l'on peut dire, toutes les variétés possibles sans exception.
Il ne se peut pas davantage que l'eau soit la
matière unique qui contienne le germe de toutes les saveurs ; car nous voyons
sortir de la même eau, comme d'une même nourriture, les saveurs les plus
différentes. Reste donc la dernière explication, à savoir que
la saveur change parce que l'eau vient à éprouver quelques modifications.
Mais il est évident que ce n'est pas par la puissance seule de la chaleur que
l'eau acquiert cette puissance que nous appelons saveur. L’eau en effet est
le plus léger de tous les liquides; elle est même plus légère que l'huile,
bien que l'huile par sa viscosité s'étende et surnage à la surface de l'eau,
qui d'ailleurs est fluide, et qu'on retiendrait plus difficilement dans la
main que de l'huile. Mais comme l'eau est le seul liquide qui ne s'épaississe
pas en s'échauffant, il faut évidemment chercher une autre cause à la saveur;
car tous les liquides qui ont de la saveur deviennent plus épais; et ainsi,
la chaleur ne fait que contribuer à cet effet que produisent aussi d'autres
causes. |
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Lectio
9 |
Leçon 9 ─ Les causes de la
diversité des saveurs (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81275] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 1 Postquam philosophus
determinavit de colore, hic consequenter determinat de sapore. Et primo dicit
de quo est intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, igitur aquae natura.
Dicit ergo primo, quod post colorem dicendum est de odore et sapore. Et circa
hoc assignat duorum causam. Prima quidem, quare coniunctim de eis sit
agendum, scilicet propter eorum convenientiam, quia utrumque eorum est fere
eadem passio. Nominat autem utrumque passionem, quia utrumque eorum est in
tertia specie qualitatis, quae est passio, vel passibilis qualitas. Dicit
autem saporem et odorem fere esse eamdem passionem, quia utrumque causatur ex
permixtione humidi et sicci secundum aliqualem terminationem a calido: non
tamen utrumque eorum est omnino in eisdem: quia odor magis sequitur siccum,
et ideo principalius est in fumali evaporatione; sapor autem magis sequitur
humidum. |
Après avoir traité
de la couleur, le Philosophe traite ensuite de la saveur. Et en premier, il
dit ce qu’il entend montrer. En deuxième, il développe sa thèse, où il
dit : La nature propre de l’eau,
etc. Il dit donc en premier qu’après la couleur, il faut parler de l’odeur et
de la saveur. Et à ce sujet, il montre la cause des deux. La première raison
pour laquelle il faut traiter des deux en même temps est leur association,
parce que les deux sont presque la même affection. Il donne aux deux le nom
d’affection parce que les deux sont dans la troisième espèce de la qualité,
qui est l’affection ou la qualité qui peut subir. Et il dit que la saveur et
l’odeur sont presque la même affection parce que les deux sont causées par un
mélange d’humide et de sec qui se termine d’une certaine façon par la
chaleur, non toutefois parce que les deux sont absolument dans les mêmes
choses, car l’odeur est causée davantage car le sec et se trouve donc
principalement dans l’évaporation fumeuse, alors que la saveur est causée
davantage par l’humide. |
[81276] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 2 Deinde cum dicit
manifestius autem assignat causam, quare prius dicendum est de sapore quam de
odore. Videbatur enim esse dicendum de odore immediate post colorem, quia
odor sentitur per medium extrinsecum sicut et color, non autem sapor. Sed
ordo disciplinae requirit, ut a manifestioribus ad minus manifesta
procedatur: manifestius est autem nobis genus saporum quam odorum. Unde de
saporibus prius est agendum. Ideo autem sapor est nobis manifestior, quia
certiori sensu sentitur a nobis. Sensum enim olfactus peiorem habemus et per
comparationem ad cetera animalia, et per comparationem ad ceteros sensus qui
in nobis sunt. Cuius ratio est, quia sicut supra dictum est, odoratus in actu
perficitur per calidum igneum. Est autem organum olfactus circa cerebrum, quod
est frigidius et humidius omnibus partibus corporis, ut supra habitum est.
Homo autem inter omnia animalia habet cerebrum maius secundum quantitatem sui
corporis, ut dicitur in libro de partibus animalium. Et ideo oportet quod
homo deficiat in sensu odoratus. |
Ensuite, où il
dit : La nature des saveurs,
etc., il donne la raison pour laquelle il faut traiter de la saveur avant
l’odeur. Il semblait en effet qu’il fallait parler de l’odeur tout de suite
après la couleur parce que l’odeur est perçue par un milieu extrinsèque comme
la couleur, ce qui n’est pas le cas de la saveur. Mais l’ordre de
l’apprentissage exige que l’on procède du plus évident au moins évident; or,
le genre des saveurs nous est plus évident que celui des odeurs. Il faut donc
traiter des saveurs en premier. Et la raison pour laquelle la saveur nous est
plus évidente est que nous la percevons par un sens plus certain. En effet,
notre sens de l’odorat est moins bon, tant par comparaison aux autres animaux
que par comparaison aux autres sens que nous avons. La raison en est que,
comme on l’a dit, l’odorat en acte se réalise par une chaleur venue du feu.
Or, l’organe de l’odorat est près du cerveau, qui est la plus froide et la
plus humide de toutes les parties du corps, comme on l’a vu plus haut. Or,
l’homme est celui de tous les animaux qui a le plus gros cerveau par rapport
au volume de son corps, comme il est dit au livre des Parties des animaux. C’est pourquoi il faut que l’odorat soit
faible chez l’homme. |
[81277] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 3 Sed homo habet
certissimum tactum inter omnia animalia. Cum enim tangibilia sint ea ex
quibus constituitur corpus animalis, scilicet calidum et frigidum, humidum et
siccum, et alia huiusmodi, quae consequuntur; non potuit esse, quod organum
tactus esset denudatum ab omni qualitate tangibili, sicut pupilla caret omni
colore; sed oportuit organum tactus esse in potentia ad qualitates
tangibiles, sicut medium est in potentia ad extrema, ut dicitur in secundo de
anima. Et ideo oportet, quod sensus tactus tanto sit certior quanto complexio
corporis est magis temperata, quasi ad medium reducta. Hoc autem maxime
oportet esse in homine, ad hoc quod corpus eius sit proportionatum
nobilissimae formae. Et ideo homo inter alia animalia habet certissimum tactum,
et per consequens gustum, qui est tactus quidam. Et huius signum est, quod
homo minus potest sustinere vehementiam frigoris et caloris quam alia
animalia: et etiam inter homines tanto est aliquis magis aptus mente, quanto
est melioris tactus; quod apparet in his qui habent molles carnes, sicut
dictum est in secundo de anima. |
Mais l’homme a le
sens du toucher le plus certain de tous les animaux. En effet, comme les
objets tangibles sont ce de quoi est constitué le corps de l’animal, à savoir
le chaud et le frois, l’humide et le sec, et les autres propriétés du genre
qui s’ensuivent, il n’était pas possible que l’organe du toucher soit
dépouillé de toute qualité tangible comme la pupille est privée de toute
couleur, mais il fallait que l’organe du toucher soit en puissance aux
qualités tangibles comme le milieu est en puissance aux extrêmes, comme il
est dit au livre II du Traité de l’âme.
Il faut donc que le sens du toucher soit d’autant plus certain que la
complexion du corps est plus tempérée, et située ainsi dans le milieu. Mais
il faut que cela se réalise au plus haut degré chez l’homme, de sorte que son
corps soit proportionné à la forme la plus noble. C’est pourquoi, parmi tous
les animaux, c’est l’homme qui a le toucher le plus certain, et le goût aussi
par conséquent, puisqu’il est une sorte de toucher. Et un signe de ce fait
est que l’homme est moins capable que les autres animaux de subir un froid et
une chaleur intenses, et même parmi les hommes, plus il a l’esprit vif,
meilleur est son sens du toucher, et on le voit chez ceux qui ont la chair
délicate, comme on l’a dit au livre II du Traité
de l’âme. |
[81278] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 4 Deinde cum dicit
igitur aquae exequitur propositum. Et primo determinat de sapore secundum veritatem.
Secundo excludit falsas positiones quorumdam de natura saporis, ibi,
Democritus autem. Prima pars dividitur in duas. In prima determinat quae sit
natura saporis. In secunda determinat de speciebus saporum, ibi, quemadmodum
autem colores. Circa primum duo facit. Primo excludit opiniones quasdam circa
generationem saporum. Secundo determinat veritatem, ibi, apparent autem
sapores. Circa primum duo facit. Primo ponit tres opiniones circa
generationem saporum. Secundo improbat eas, ibi, horum autem, sicut
Empedocles. |
Ensuite, où il
dit : D’abord la nature propre de
l’eau, etc., il développe sa thèse. Et en premier, il traite de la saveur
selon la vérité. En deuxième, il réfute les fausses théories de certains au
sujet de la nature de la saveur, où il dit : Démocrite et la plupart des naturalistes, etc. (leçon XI, no
7). La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine
quelle est la nature de la saveur. Dans la deuxième, il traite des espèces de
saveurs, où il dit : De même que
les couleurs se forment, etc. (leçon XI). Il traite la première partie en
deux points. Dans la première, il réfute certaines opinions concernant la
génération des saveurs. En deuxième, il établit la vérité, où il dit : Toutes les saveurs qu’on découvre, etc.
Il traite le premier point en deux sections. En premier, il présente trois
opinions concernant la génération des saveurs. En deuxième, il les réfute, où
il dit : Mais ici l’erreur où
tombe Empédocle,etc. |
[81279] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 5 Incipit autem
determinare naturam sive generationem saporum ab aqua, quae videtur esse
subiectum saporum; et dicit, quod ipsa natura aquae secundum se, vult esse
idest habet naturalem aptitudinem ad hoc quod sit insipida: et si aqua habet
aliquem saporem, hoc est per mixtionem alicuius terrestris. Tamen quamvis
aqua sit secundum se insipida, est tamen radix et principium omnium saporum.
Qualiter autem hoc esse possit, tripliciter aliqui assignaverunt. |
Il commence donc à
traiter de la nature ou de la génération des saveurs à partir de l’eau, qui
semble être le sujet des saveurs, et il dit que la nature même de l’eau comme
telle veut être, c'est-à-dire a la
capacité naturelle d’être insipide, et si l’eau a quelque saveur, c’est par
mélange avec quelque chose de terrestre. Pourtant, même si l’eau comme telle
est insipide, elle est pourtant la racine et le principe de toutes les
saveurs. Mais certains ont expliqué de trois façons comment cela peut se
faire. |
[81280] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 6 Empedocles enim
dixit, quod omnes sapores sunt actu in ipsa aqua, sed sunt insensibiles
propter parvitatem partium, in quibus radicantur. Secunda opinio fuit
Democriti et Anaxagorae, sicut dixit Alexander in commento, quod in aqua
quidem non erant sapores, idest actu, sed erat ibi quaedam materia saporum
quemadmodum pansperma, idest universale semen, ita scilicet quod omnes
sapores fiant quidem ex aqua, sed alii sapores ex aliis aquae partibus.
Ponebant enim partes indivisibiles esse principia corporum. Nullum autem indivisibile
est actu saporosum, sed oportet corpus sapidum esse compactum. Et ideo non
ponebant esse sapores in actu sed saporum semina, ita tamen quod diversa
indivisibilia corpora sint semina diversorum saporum, sicut et diversarum
naturarum. Tertia opinio est dicentium quod differentia saporum non est ex
parte ipsius aquae, sed solum ex parte agentis, quod aquam transmutat
diversimode, sicut sol, vel quodcumque aliud calidum. |
Empédocle a dit en
effet que toutes les saveurs sont en acte dans l’eau, mais sont
imperceptibles à cause de la petitesse des parties dans lesquelles elles
s’enracinent. La deuxième opinion était celle de Démocrite et d’Anaxagore,
comme le dit Alexandre dans son commentaire : il n’il y a pas de saveurs
dans l’eau, du moins en acte, mais il y a une matière des saveurs qui est de
quelque manière pangénératrice, c'est-à-dire qui est un germe universel, de
sorte que toutes les saveurs viennent de l’eau, mais que des saveurs
différentes viennent de parties différentes de l’eau. Ils affirmaient en
effet que les principes des corps sont des parties indivisibles. Or, rien
d’indivisible n’a une saveur en acte, mais il faut que le corps sapide soit
un assemblage. C’est pourquoi ils affirmaient qu’il n'y a pas de saveurs en
acte, mais des germes de saveurs, de sorte toutefois que des corps
indivisibles divers soient les germes de diverses saveurs comme de diverses
natures. Dans la troisième opinion, on affirmait que la différence de saveurs
n’est pas du côté de l’eau, mais seulement du côté de l’agent, qui modifie
l’eau de façons diverses, comme le soleil ou tout objet chaud. |
[81281] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 7 Deinde cum dicit
horum autem improbat per ordinem praedictas tres opiniones. Et primo
opinionem Empedoclis: dicens quod dictum Empedoclis est apertum mendacium. Si
enim diversitas saporum esset actus in parvis partibus aquae, oporteret quod
immutatio saporum non fieret nisi per hoc quod diversae partes aquae
attraherentur ad corpus cuius sapores immutantur: hoc autem non semper fit.
Si enim fructus ablati ab arbore exponantur soli, vel etiam decoquantur ad
ignem, manifestum est quod immutatur eorum sapor per actionem caloris et non
per aliam actionem ab aqua, quod posset dici de fructibus, qui dum pendent in
arbore, mutant saporem attrahendo diversos humores a terra, sed in fructibus
decisis ab arbore, videmus transmutationem saporum factam, per hoc quod ipsi
fructus transmutantur facta resolutione interioris humoris per modum cuiusdam
resudationis; et ita, dum iacent aliquo tempore ad solem, transmutantur de
dulcedine in amaritudinem, aut e converso, vel ad quoscumque alios sapores,
secundum diversam qualitatem decoctionis. |
Ensuite, où il
dit : Mais ici l’erreur ou tombe,
etc., il réfute dans l’ordre ces trois opinions. Et en premier, celle
d’Empédocle, en disant que cette opinion est un mensonge évident. En effet, si
la diversité des saveurs était en acte dans de petites parties d’eau, l’impression
des saveurs ne pourrait avoir lieu que par le fait que diverses parties d’eau
seraient attirées au corps dont les saveurs sont affectées ; or, ce
n’est pas toujours le cas. Si en effet les fruits cueillis d’un arbre sont
exposés au soleil, ou encore s’ils sont cuits au feu, il est évident que leur
saveur est modifiée par l’action de la chaleur et non par une autre action de
l’eau, ce qu’on pourrait dire des fruits qui, lorsqu’ils pendent à l’arbre,
changent de saveur en attirant diverses humeurs de la terre, mais dans les
fruits détachés de l’arbre, on voit le changement des saveurs se faire du
fait que les fruits eux-mêmes changent en perdant leur humidité intérieure
par voie d’évaporation, et ainsi, quand ils sont exposés pendant quelque
temps au soleil, leur saveur change du doux à l’amer ou inversement, ou à
toute autre saveur, selon la qualité diverse de leur cuisson. |
[81282] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 8 Secundo cum dicit
similiter autem improbat secundam opinionem Democriti et Anaxagorae. Et
dicit, quod etiam impossibile est aquam esse materiam saporum, quasi
continentem omnia semina eorum, ita scilicet quod diversae partes eius sint
semina diversorum saporum; quia videmus omnes unum et idem corpus immutari ad
diversos sapores. Sicut enim eadem esca, quae sumitur ab animali vel planta,
convertitur in diversas partes animalis vel plantae, ita et convertitur in
diversos sapores convenientes diversis partibus; sicut unius plantae alius
sapor est radicis, seminis et fructus; et diversarum plantarum ex eodem cibo
nutritarum sunt diversi sapores. Et hoc est manifestum indicium quod diversi
sapores non causantur ex diversis partibus aquae. Unde relinquitur quod
causantur ex hoc quod aqua transmutatur in diversos sapores, secundum quod
aliqualiter patitur ab aliquo immutante. |
En deuxième, où il
dit : Il ne se peut pas davantage,
etc., il réfute la deuxième opinion, qui est celle de Démocrite et
d’Anaxagore. Et il dit qu’il est également impossible que l’eau soit la
matière des saveurs comme si elle contenait tout leurs germes, de telle sorte
que les diverses parties de l’eau soient les germes des diverses saveurs, car
nous voyons tous qu’un seul et même corps reçoit l’impression de diverses
saveurs. En effet, comme la même nourriture prise par un animal ou une plante
est convertie en diverses parties de l’animal ou de la plante, de même elle
est convertie en diverses saveurs qui conviennent aux diverses parties, comme
dans une même plante la racine, les semences et les fruits ont des saveurs
différentes; de plus, des plantes différentes recevant la même nourriture ont
des saveurs différentes. Et cela est un indice évident que les saveurs
diverses ne sont pas causées par les parties diverses del’eau. Il reste donc
qu’elles sont causées par le fait que l’eau est transformée en saveurs
diverses selon qu’elle subit une certaine influence d’un agent modificateur. |
[81283] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 9 Tertio ibi, quod
quidem improbat tertiam opinionem dicentium, quod sapores causantur ex
mutatione aquae a solo calido. Et dicit manifestum esse quod aqua non accipit
qualitatem saporis ex sola virtute calidi immutantis: aqua enim est
subtilissima inter omnes humores et inter omnia corpora, quae sensibiliter
humectant. Non autem dicit, inter omnia humida, quia aer, qui est humidus,
est subtilior aqua. |
En troisième, où il
dit : Reste donc la dernière
explication, etc., il réfute la troisième opinion, selon laquelle les
saveurs sont causées par une modification de l’eau provenant uniquement de la
chaleur. Et il dit qu’il est évident que l’eau ne reçoit pas la qualité de la
saveur sous la seule influence de la chaleur; en effet, l’eau est la plus
subtile de toutes les humeurs et de tous les corps qui humectent de façon
perceptible. Mais il ne dit pas « de tous les corps humides », car
l’air, qui est humide, est plus subtil que l’eau. |
[81284] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 10 Poterat autem esse
dubium de oleo propter hoc quod supernatat aquae et plus diffunditur quam
aqua. Et ideo ad hoc removendum subdit, quod aqua est subtilior etiam ipso
oleo, et quod oleum supernatet aquae est propter aeritatem vel raritatem
ipsius, sicut et ligna supernatant aquae. Sed quod oleum plus diffundatur
quam aqua contingit propter eius lubricitatem et viscositatem: aqua enim est
valde divisibilis, et ita una pars eius non sequitur ad aliam, sicut
contingit in oleo. Et propter hoc quia aqua est subtilior oleo et magis
divisibilis, difficilius est conservare aquam in manu, quam oleum: facilius
enim tota cum manu elabitur, quam oleum. |
On peut avoir un
doute au sujet de l’huile, étant donné qu’elle flotte sur l’eau et se répand
davantage que l’eau. C’est pourquoi, pour écarter cette idée, il ajoute que
l’eau est plus subtile même que l’huile et que l’huile flotte sur l’eau parce
qu’elle contient de l’air ou est de faible densité, comme le bois flotte
aussi sur l’eau. Mais si l’huile se répand davantage que l’eau, c’est parce
qu’elle est glissante et visqueuse; l’eau, en effet, est très divisible, et
une de ses parties n’adhère pas à l’autre comme c’est le cas de l’huile. Et à
cause du fait que l’eau est plus subtile et plus divisible que l’huile, elle
est plus difficile à garder dans la main que l’huile; en effet, elle s’écoule
totalement de la main plus facilement que l’huile. |
[81285] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 9 n. 11 Quia igitur aqua,
propter sui subtilitatem, si sit pura non habens aliquid permixtum, non
ingrossatur a calido agente, sicut alia, in quibus sunt partes terrestres,
quae remanent subtili humido exhalante, manifeste sequitur quod oportet
aliquam aliam causam ponere generationis saporum, quam immutationem aquae a
caliditate: quia omnes sapores inveniuntur in corpore aliquo grossitudinem
habente. Non tamen removetur, quod calidum sit aliqua causa immutans aquam ad
saporem; sed non est tota causa: requiritur enim aliquid aliud; unde est
magis concausa quam causa. |
Alors, comme l’eau,
à cause de sa subtilité, si elle est pure et n’est mélangée à rien, n’est pas
épaissie par un agent chaud comme d’autres corps qui contiennent des parties
terrestres, lesquelles demeurent après évaporation de l’humidité subtile, il
s’ensuit avec évidence qu’il faut supposer une autre cause de la génération
des saveurs que l’impression de la chaleur sur l’eau, car toutes les saveurs
se trouvent dans des corps qui ont une certaine épaisseur. Cela n’empêche
pourtant pas que la chaleur soit une cause qui produit la saveur dans l’eau,
mais ce n’est pas la cause unique : il faut en effet quelque chose
d’autre. Elle est donc une cause contributive plutôt que la cause. |
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Leçon 10 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Toutes les saveurs qu'on découvre dans les fruits
se trouvent aussi, à ce qu'il semble, dans la terre. Du moins, plusieurs
anciens naturalistes ont prétendu que l'eau variait avec la nature du sol
qu'elle traverse; et cela est surtout manifeste pour les eaux salées, puisque
les sels sont une espèce de terre. Ainsi, les eaux, quand elles filtrent dans
la cendre qui est amère, produisent une saveur amère comme elle. il en est de
même pour les autres matières que les eaux traversent; et de fait, il y a
beaucoup de sources qui sont amères, d'autres qui sont acides, d'autres enfin
qui ont les saveurs les plus variées. Par là on comprend sans peine comment c'est
surtout dans les végétaux que se montre la diversité des saveurs. En effet,
l'humidité, comme toute autre chose, est naturellement modifiée par son
contraire; or, c'est le sec qui est ce contraire. Aussi l'humidité est-elle
modifiée par le feu; car la nature du feu est sèche; mais le propre du feu,
c'est le chaud, comme le sec est le propre de la terre, ainsi qu'on l'a dit
dans le Traité des Eléments. Du
reste, en tant que feu et que terre, ces éléments ne peuvent par leur nature,
ni rien faire ni rien souffrir, pas plus qu'aucun autre élément; c'est
seulement en tant qu'il y a en eux une opposition des contraires qu'ils
peuvent produire et souffrir des modifications de toutes sortes. Ainsi donc, de même que quand on dissout quelque
couleur ou quelque saveur dans un liquide, on fait que l'eau contracte cette
couleur et cette saveur, de même la nature agit sur l'élément sec et
l'élément terreux; elle filtre l'humidité à travers le sec et le terreux,
elle la met en mouvement par le chaud, et lui donne enfin toutes les qualités
qu'elle doit avoir. La modification qui est alors produite dans
l'humidité est précisément la saveur; et cette modification affecte et change
le sens du goût, en le faisant passer de la puissance à l'acte, puisqu'elle
amène l'organe qui sent à cet état nouveau, tandis qu'antérieurement il
n'était qu'en puissance. En effet, sentir n'est pas un acte analogue à celui
par lequel on apprend ce qu'on ne sait point ; c'est bien plutôt un acte
analogue à celui par lequel on contemple ce qu'on sait. Pour se convaincre que les saveurs sont ou une
modification ou une privation, non pas du sec en général, mais seulement du
sec qui peut nourrir, il suffit d'observer qu'il n'y a pas plus de sec sans
humidité qu'il n'y a d'humidité sans sec; car aucun de ces éléments ne peut
isolément nourrir les animaux : il n'y a que leur mélange qui soit nutritif.
Dans, la nourriture que s'assimilent les animaux, ce sont les parties
sensibles au toucher qui seules font l'accroissement et la mort de l'animal;
et la substance assimilée ne cause ces deux phénomènes qu'en tant que chaude
et froide; car c'est le chaud et le froid qui font l'accroissement de
l'animal et son dépérissement. Mais l'aliment assimilé ne nourrit qu'en tant
qu'il est perceptible au goût, puisque tout être ne se nourrit que de ce qui
est doux en soi, ou le devient par suite d'un mélange. Nous discuterons ce
sujet d'une manière complète dans le Traité
de la Génération; ici nous ne ferons que l'effleurer en tant qu'il nous
sera nécessaire de le faire. Ainsi, c'est la chaleur qui fait augmenter
l'être qui se nourrit; elle élabore la nourriture, elle attire toutes les
parties légères, et elle laisse toutes les parties amères et salées qui sont
trop lourdes. Ce que la chaleur extérieure produit sur
l'extérieur des corps, elle le produit aussi dans l'organisation intérieure
des animaux et des végétaux; c'est par son action qu'ils ne se nourrissent
que de ce qui est doux. Si les autres saveurs viennent se mêler au principe
doux dans la nourriture, c'est de la même façon que l'on mêle dans celle-ci
un corps salé et acide pour l'assaisonner ; et c'est en vue de contrebalancer
ce que le doux et la partie qui surnage pourraient avoir de trop nutritif. |
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Lectio
10 |
Leçon 10 ─ La saveur dépend
de la terre, du sec et de l’humide (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81286] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 1 Postquam philosophus
exclusit opiniones aliorum de causa generationis saporum, hic assignat veram
causam secundum propriam opinionem. Et circa hoc tria facit. Primo assignat
causam generationis saporum. Secundo definit saporem, ibi, et hoc est sapor.
Tertio manifestat quod dixerat, ibi, quoniam autem non omnis sicci. Circa
primum tria facit. Primo ostendit quod sapor est terrae et non solum aquae,
ut antiqui ponebant. Secundo ostendit quod aqua immutatur a sicco terrestri
ad sapores, ibi, pati enim et cetera. Tertio concludit causam generationis
saporum, ibi, quemadmodum igitur qui lavant. Circa primum duo facit. Primo
proponit quod intendit. Secundo manifestat propositum, ibi, quare multi
antiquorum. Dicit ergo primo, quod omnes sapores quicumque apparent in
fructibus plantarum, in quibus manifeste diversificantur sapores, sunt et in
terra: non quidem ita quod terra pura saporem habeat, cum non habeat humorem;
sed ad modicam permixtionem humidi, cum alteratione calidi, acquirit aliquem
saporem. |
Après avoir réfuté
les opinions des autres sur la cause de la génération des saveurs, le
Philosophe en détermine maintenant la vraie cause selon sa propre opinion. Et
il traite ce sujet en trois parties. En premier, il donne la cause de la
génération des saveurs. En deuxième, il définit la saveur, où il dit : La modification qui est alors produite,
etc. En troisième, il manifeste ce qu’il a dit, où il dit : Pour se convaincre que les saveurs, etc.
Il traite la première partie en trois sections. En premier, il montre que la
saveur vient de la terre et non seulement de l’eau, comme le pensaient les
anciens. En deuxième, il montre que l’eau subit l’impression du sec de la
terre pour prendre des saveurs, où il dit : En effet, l’humidité, etc. En troisième, il conclut en énonçant
la cause de la génération des saveurs, où il dit : Ainsi donc, de même que, etc. Il traite la première section en
deux points. En premier, il propose sa thèse. En deuxième, il la manifeste,
où il dit : Du moins, plusieurs
anciens, etc. Il dit donc en premier que toutes les saveurs qui se
révèlent dans les fruits des plantes, dans lesquels les saveurs sont
manifestement diverses, se trouvent aussi dans la terre, non que la terre
pure ait une saveur, car elle n’a pas d’humidité, mais quand elle est mélangée
à un peu d’humidité, avec modification produite par la chaleur, elle acquiert
une saveur. |
[81287] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 2 Deinde cum dicit
quare multi manifestat quod dixerat, per duo signa. Quorum primum sumitur
secundum dictum, in quo multi antiquorum naturalium conveniunt: qui dicunt
talis saporis esse aquam, per qualem terram transeat; et hoc manifestum est
maxime in salsis aquis, non quidem ipsius maris, quia hoc habet aliam causam,
ut in libro Meteororum ostensum est; sed quia aquae quorumdam fontium sunt
salsae, propter hoc quod transeunt per similem terram. Nec hoc debet videri
mirum; quia sal est quaedam species terrae, sicut et alumen vel sulphur. Unde
et quidam montes inveniuntur de sale: hoc etiam apparet in aquis colatis per
cinerem, quae habent amarum saporem, sicut cinis, per quem colantur.
Inveniuntur quoque fontes diversorum saporum propter diversas terras per quas
transeunt. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Du moins, plusieurs anciens,
etc., il manifeste ce qu’il a dit par deux signes. Le premier est tiré
d’un énoncé sur lequel beaucoup d’anciens philosophes de la nature sont
d’accord : ils disent que l’eau a la saveur de la terre qu’elle
traverse ; et cela est surtout évident pour les eaux salées, pas celles
de la mer cependant, car cela a une autre cause, comme il est montré dans le
livre des Météorologiques, mais
parce que les eaux de certaines sources sont salées du fait qu’elles
traversent une terre semblable. Et cela ne doit pas sembler étonnant, car le
sel est une espèce de terre, comme l’alun ou le soufre. Ainsi, on trouve des
montagnes faites de sel ; on constate cela également dans les eaux filtrées
à travers la cendre, qui ont une saveur amère comme la cendre qu’elles
traversent. On trouve aussi des sources de saveurs diverses à cause des
terres diverses qu’elles traversent. |
[81288] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 10 n. 3 Est autem considerandum quod Aristoteles non inducit
hoc ad ostendendum universaliter causam generationis saporum: quia per hoc
non manifestatur nisi causa saporum in aquis; sed totum hoc inducit quasi
quoddam signum ad ostendendum quod sapores conveniunt terrae et non soli
aquae. |
Il faut cependant
remarquer qu’Aristote ne mentionne pas cela pour montrer de façon universelle
la cause de la génération des saveurs, car cela manifeste seulement la cause
des saveurs dans les eaux, mais il mentionne tout cela comme signe pour
montrer que les saveurs se rattachent à la terre et non seulement à l’eau. |
[81289] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 4 Secundum signum
ponit ibi rationabiliter itaque et dicit quod sapores conveniunt terrae
rationabiliter, quia saporum genus maxime manifestatur et diversificatur in
his quae nascuntur immediate ex terra, propter affinitatem ipsorum ad terram.
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Il donne le
deuxième signe où il dit : Par là
on comprend sans peine, etc. Il dit qu’il est raisonnable que les saveurs
se rattachent à la terre, car le genre des saveurs se manifeste surtout dans
les choses qui naissent immédiatement de la terre, du fait de leur affinité
avec la terre. |
[81290] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 5 Deinde cum dicit
pati enim probat quod humidum aquae immutatur ad sapores a terra. Et primo
probat propositum. Secundo excludit quamdam obiectionem, ibi, qua quidem
igitur. Dicit ergo primo, quod humidum natum est pati a suo contrario sicut
et omnia alia patiuntur a suis contrariis, ut probatum est in primo de
generatione. Contrarium autem humido est siccum: unde humidum naturaliter
patitur a sicco. Et, quia non solum terra est sicca, sed etiam ignis; ideo
etiam patitur ab igne; quamvis quatuor qualitatum elementalium duae
conveniant singulis, nam ignis est calidus et siccus, aer calidus et humidus,
aqua frigida et humida, terra frigida et sicca. In singulis tamen elementis
singulae harum qualitatum principaliter inveniuntur quasi propriae ipsis. |
Puis lorsqu’il
dit : En effet, l’humidité,
etc., il prouve que l’humidité de l’eau subit l’impression de la terre pour
acquérir des saveurs. Et en premier, il prouve son énoncé. En deuxième, il
écarte une objection, où il dit : Du
reste, en tant que feu, etc. Il dit donc en premier que l’humide est
susceptible de subir les effets de son contraire, comme toute autre chose
subit les effets de son contraire, comme il a été prouvé au livre I du Traité de la génération. Or, le
contraire de l’humide est le sec ; donc, l’humide subit naturellement
l’effet du sec. Aussi, parce que ce n’est pas seulement la terre qui est
sèche, mais le feu aussi, l’humide subit aussi l’effet du feu, même si deux
des quatre qualités des éléments se trouvent dans chaque élément : en
effet, le feu est chaud et sec, l’air chaud et humide, l’eau froide et
humide, la terre froide et sèche. Pourtant, dans chacun de ces éléments, on
trouve principalement une seule de ces qualités qui soit sa qualité propre. |
[81291] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 10 n. 6 Nam ignis proprie calidus est, quia ignis est
nobilissimum inter elementa et propinquissimum caelesti corpori, ideo
contingit ei proprie et secundum se calidum esse, quod est maxime activum;
siccum vero competit ei propter excessum caliditatis, quasi iam humiditate
consumpta. Aeri vero competit quidem calidum secundario ex affinitate ad
ignem; secundum se autem competit ei humidum, quod est nobilius inter
qualitates passivas, quasi calore resolvente humiditatem et non consumente
propter maiorem distantiam a prima causa caloris, quae est corpus caeleste.
Aquae vero proprie et secundum se competit frigidum, quod est secunda
qualitas activa, quasi privative se habens ad calidum: competit autem ei
humidum secundario secundum propinquitatem ad aerem. Terrae vero competit
quidem frigidum secundario, quasi ex propinquitate aquae; siccum autem
competit ei proprie et per se, quasi propter longissimam distantiam a fonte
caloris non soluta terra in humiditatem, sed in ultima grossitie permanente.
Et haec determinata sunt in libro de elementis, idest in secundo de
generatione, unde humidum maxime natum est pati a sicco terrestri. |
En effet, la
chaleur est le propre du feu, car le feu est le plus noble des éléments et le
plus proche du corps céleste ; c’est pourquoi il lui appartient en
propre et essentiellement d’être chaud, ce qui est la qualité la plus
active ; le sec lui convient à cause de l’excès de chaleur, du fait que
l’humidité est éliminée. La chaleur appartient à l’air de façon secondaire du
fait de son affinité avec le feu ; essentiellement, il lui appartient
d’être humide, ce qui est la plus noble des qualités passives, de sorte que
la chaleur y dissout l’humidité, mais sans la consumer, à cause de la plus
grande distance de la cause première de la chaleur, qui est le corps céleste.
Quant à l’eau, il lui appartient en propre et essentiellement d’être froide,
ce qui est la deuxième qualité active, du fait de son rapport de privation
avec la chaleur ; l’humidité lui appartient de façon secondaire du fait
de sa proximité avec l’air. Le froid appartient à la terre du fait de sa
proximité avec l’eau, alors que le sec lui appartient proprement et
essentiellement, car, du fait de sa très grande distance de la source de
chaleur, la terre ne se dissout pas dans l’humidité, mais son épaisseur
demeure extrême. Et cela a été été établi dans le traité des éléments,
c'est-à-dire le livre II du Traité de
la génération. C’est pourquoi l’humide est le plus susceptible d’être
affecté par le sec de la terre. |
[81292] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 7 Deinde cum dicit qua
quidem excludit quamdam obiectionem. Non enim sequitur quod humidum a magis
sicco patiatur, nisi patiatur a sicco in quantum est siccum. Posset autem
aliquis hoc negans dicere, quod humidum patitur maxime ab igne inquantum est
ignis; et ideo ad hoc excludendum dicit quod ignis inquantum est ignis, nihil
natum est facere vel pati, nec etiam aliquod aliud corporum. Et hoc probat,
quia secundum hoc nata sunt aliqua agere et pati abinvicem, quia habent
contrarietatem, ut ostensum est in primo de generatione. Igni autem inquantum
ignis, et terrae, inquantum terrae, nihil est contrarium, sicut nec alicui
substantiae. Unde relinquitur quod huiusmodi corpora non agant et patiantur
inquantum sunt ignis vel terra vel aliquid huiusmodi; sed inquantum calidum
vel frigidum, humidum et siccum. Sed contra hoc videtur esse dubitatio. |
Ensuite, où il
dit : Du reste, en tant que feu et
terre,etc., il écarte une objection. En effet, il ne s’ensuit pas que
l’humide soit affecté par du plus sec, à moins qu’il ne soit affecté par le
sec en tant qu’il est sec. Mais quelqu'un pourrait nier cela en disant que
l’humide est affecté surtout par le feu en tant qu’il est feu ; c’est
pourquoi, pour réfuter cette idée, il dit que le feu, en tant que feu, n’est
susceptible de rien faire ni subir, ni aucun des autres corps non plus. Et il
prouve cela parce que les choses sont susceptibles d’agir et de subir
mutuellement en autant qu’elles ont des contraires, comme il est démontré au
livre I du Traité de la génération.
Or, rien n’est contraire En effet, rien n’est contraire au feu en tant que
feu, à la terre en tant que terre, ni à aucune autre substance. Il reste donc
que de tels corps n’agissent pas ni ne subissent en tant qu’ils sont du feu,
de la terre ou autre chose du genre, mais en tant qu’ils sont chauds ou
froids, humides ou secs. Mais il semble y avoir une objection contre ce que
nous disons. |
[81293] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 10 n. 8 Si enim igni competit per se esse calidum et siccum,
si agit inquantum est calidum, videtur sequi quod agit inquantum est ignis.
Ad hoc sciendum est, quod quidam opinati sunt calorem esse formam
substantialem ignis, et secundum suam formam substantialem habebit aliquod
contrarium et per consequens erit activus: sed quia ignis non solum
significat formam, sed compositum ex materia et forma, ideo hic dicitur, quod
ignis non est activus, nec est ei aliquid contrarium. Et sic solvit Alexander
in commento. Sed hoc non potest stare; quia idem non potest esse in genere
substantiae et accidentis secundum illud philosophi primo physicorum: quod
vere est, nulli accidit. Forma autem substantialis ignis reducitur ad genus
substantiae; ergo non potest esse quod calor sit forma substantialis ignis,
cum sit accidens aliorum. Item forma substantialis non percipitur sensu, sed
intellectu: nam quod quid est, est proprium obiectum intellectus, ut dicitur
tertio de anima. Unde cum calidum sit sensibile per se, non potest esse forma
substantialis alicuius corporis. |
En effet, s’il
appartient au feu d’être essentiellement chaud et sec, s’il agit en tant
qu’il est chaud, il semble s’ensuivre qu’il agit en tant qu’il est du feu. Il
faut savoir à ce sujet que certains ont pensé que la chaleur est la forme
substantielle du feu et que, de par sa forme substantielle, il a un contraire
et par conséquent il est actif, mais que, parce que le feu ne signifie pas
seulement la forme, mais le composé de matière et de forme, c’est pour cette
raison qu’il dit ici que le feu n’est pas actif et n’a pas de contraire. Et
telle est la solution d’Alexandre dans son commentaire. Mais cela n’est pas
soutenable, car la même chose ne peut pas être dans le genre de la substance
et celui de l’accident, selon ce que dit le Philosophe au livre I des Physiques : ce qui existe
vraiment n’est pas l’accident de quelque chose. Or, la forme substantielle du
feu tombe dans le genre de la substance ; il n’est donc pas possible que
la chaleur soit la forme substantielle du feu, puisqu’elle est l’accident
d’autres choses. De plus, la forme substantielle n’est pas perçue par les
sens, mais par l’intelligence, car le ce-que-c’est est l’objet propre de
l’intelligence, comme il est dit au livre III du Traité de l’âme. Alors, comme la chaleur est essentiellement
sensible, elle ne peut pas être la forme substantielle d’un corps. |
[81294] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 9 Est ergo dicendum,
quod calor per se inest igni non sicut forma substantialis, quae non
percipitur sensu, sed sicut proprium accidens eius; et quia actio naturalis
est alicuius contrarii alternantis, ideo ignis agit secundum suum calorem,
cuius est aliquid contrarium; non autem secundum suam formam substantialem,
quae caret contrarietate; nisi contrarietas large accipiatur secundum
differentiam perfecti et imperfecti in eodem genere; per quem modum etiam in
numeris contrarietas invenitur, secundum quod minor numerus est ut
imperfectum et pars respectu maioris. Formae autem substantiales
rerum sunt sicut numeri, ut dicitur octavo metaphysicorum. Et per hunc modum
est etiam inter differentias cuiuslibet generis contrarietas, ut in decimo
metaphysicorum: sic enim animatum et inanimatum, sensibile et insensibile
sunt contraria. Sed adhuc potest esse dubitatio. |
Il faut dire que la
chaleur est essentiellement dans le feu non comme forme substantielle, car
celle-ci n’est pas perçue par les sens, mais comme sa propriété essentielle, et
puisque l’action naturelle fait passer d’un contraire à l’autre, le feu agit
par sa chaleur, laquelle a un contraire, et non selon sa forme substantielle,
qui n’a pas de contraire, à moins qu’on n’entende la contrariété au sens
large selon la différence de l’imparfait et du parfait dans le même
genre ; de cette façon, on trouve aussi de la contrariété dans les
nombres, en ce qu’un plus petit nombre est imparfait par rapport à un plus
grand et en est une partie. Or, les formes substantielles des choses sont
comme les nombres, comme il est dit au livre VIII des Métaphysiques. Et de cette façon, il y a aussi contrariété entre
les différences spécifiques de tout genre, comme il est dit au livre X des Métaphysiques ; par exemple,
l’animé et l’inanimé, le sensible et l’insensible sont des contraires. Mais
il peut y avoir encore un doute. |
[81295] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 10 Si enim in elementis
non est principium actionis forma substantialis sed accidentalis; cum nihil
agat ultra speciem, non videtur, quod per actionem naturalem elementorum
transmutetur ad formam substantialem, sed solum ad formam accidentalem. Et
propter hoc quidam posuerunt quod omnes formae substantiales sunt a causa
supernaturali, et quod agens naturale solum alterando disponat ad formam. Et
hoc reducitur ad opinionem Platonicorum, qui posuerunt quod species separatae
sunt causae generationis, et quod omnis actio est a virtute incorporea. Stoici autem, sicut
Alexander dicit, posuerunt quod corpora secundum seipsa agunt, inquantum
scilicet sunt corpora. Aristoteles autem hic tenet mediam viam, quod corpora
agunt secundum qualitates suas. |
En effet, si le
principe d’action dans les éléments n’est pas la forme substantielle mais une
forme accidentelle, puisque rien n’agit hors de l’espèce, il ne semble pas
que l’action naturelle des éléments produise une transformation vers une
forme substantielle, mais seulement vers une forme accidentelle. Pour cette
raison, certains ont affirmé que toutes les formes substantielles proviennent
d’une cause surnaturelle et que l’agent naturel ne fait que disposer à la
forme quand il cause une modification. Et cela se ramène à l’opinion des
Platoniciens, qui affirmaient que les espèces séparées sont les causes de la
génération et que toute action provient d’une puissance incorporelle. Quant
aux Stoïques, comme l’a dit Alexandre, ils affirmaient que les corps agissent
par eux-mêmes, c'est-à-dire en tant qu’ils sont des corps.
Aristote propose ici une solution intermédiaire, à savoir que les corps
agissent du fait de leurs qualités. |
[81296] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 11 Et ideo dicendum
quod unumquodque agit secundum quod est in actu, ut patet primo de
generatione. Necesse est autem quod esse qualitatum elementalium derivetur a
principiis essentialibus eorum; ita etiam, ut virtus Angeli competat
huiusmodi qualitatibus ex virtute formarum substantialium. Omne autem, quod
agit in virtute alterius, facit simile ei in cuius virtute agit; sicut terra
facit domum ex virtute domus quae est in anima; et calor naturalis generat
carnem animatam ex virtute animae; et per hunc etiam modum, per actionem
qualitatum elementalium transmutatur materia ad formas substantiales. |
Il faut donc dire
que tout être agit en tant qu’il est en acte, comme il est montré au livre I
du Traité de la génération. Il est
cependant nécessaire que l’être des qualités des éléments soit dérivé de
leurs principes essentiels, de même aussi que le pouvoir de l’ange[109]
convient à de telles qualités en vertu des formes substantielles. Or, tout ce
qui agit par le pouvoir d’un autre fait quelque chose de semblable à ce par
le pouvoir de quoi il agit, comme la terre fait une maison en vertu de la
maison qui est dans l’âme, et la chaleur naturelle engendre la chair animée
par le pouvoir de l’âme ; et c’est également de cette façon, par
l’action des qualités des éléments, que la matière est transformée pour
recevoir des formes substantielles. |
[81297] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 12 Deinde cum dicit
quemadmodum ergo concludit ex praemissis generationem saporum. Et dicit, quod
sicut illi qui in humido aqueo lavant colores et sapores, idest corpora
colorata et saporosa, faciunt aqua habere talem colores et saporem: ita etiam
e converso, quando humidum aqueum colatur per siccum terrestre, et cum hoc
fit aliqua immutatio a calido digerente et quodammodo commiscente humidum
sicco, qualificatur humor aqueus qualitate saporosa. |
Ensuite, où il
dit : Ainsi donc, de même que,
etc., il tire dece qui précède sa conclusion sur la génération des saveurs.
Et il dit que, de même que ceux qui lavent des couleurs et des saveurs,
c'est-à-dire des corps colorés et savoureux, dans une mixture aqueuse donnent
à l’eau ces couleurs et ces saveurs, de même inversement, quand la mixture
aqueuse est filtrée par un corps sec terreux et qu’une impression est
produite ainsi par la chaleur qui digère l’humidité sèche et s’y mélange en
quelque façon, l’humidité aqueuse reçoit une qualité savoureuse. |
[81298]
Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 13 Deinde cum dicit et hoc est
inducit, ex praemissis praedictis, definitionem saporum; et dicit, quod sapor
nihil est aliud quam passio facta in humido aqueo a dicto sicco, scilicet
terrestri cum additione calidi, quae gustum secundum potentiam alterando, in
actum reducit; quod quidem additur ad differentiam odoris et quarumdam
aliarum passionum, quae causantur ab humido et sicco per actionem calidi,
quae tamen non sunt immutativa gustus, sed aliorum sensuum. |
Ensuite, où il
dit : La modification qui est
alors produite, etc., il déduit de ce qui précède la définition des
saveurs, en disant que la saveur n’est rien d’autre que l’affection produite
dans la mixture aqueuse par un certain élément sec, qui est terreux avec
addition de chaleur et qui, en modifiant le goût selon sa puissance, l’amène
à l’acte; il ajoute cette dernière mention pour distinguer la saveur de
l’odeur et de certaines autres affections qui sont causées par l’humide et le
sec sous l’action de la chaleur et qui n’affectent pourtant pas le goût, mais
d’autres sens. |
[81299] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 10 n. 14 Deinde cum dicit ducit enim manifestat definitionem
saporis, et quantum ad ultimam partem eius: nam prima pars eius manifesta est
ex praecedentibus. Dixerat autem quod sapor alterat gustum secundum
potentiam: et ad hoc manifestandum subdit, quod sapor, sicut et quodlibet
sensibile, reducit in actum sensitivum, quod prius erat in potentia ad
sensibile; quia sentire, quod sequitur actionem sensibilis in sensum, non fit
secundum addiscere, sed secundum speculari, idest non habet similitudinem cum
eo quod est addiscere, quia alias in eo qui addiscit, generatur habitus
scientiae de novo; sed in eo qui sentit, non generatur sensus de novo per
actionem sensibilis, sed sensus fit actu operans, sicut contingit in eo qui
speculatur actu. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : En effet, sentir n’est pas, etc.,
il manifeste la définition de la saveur pour ce qui est de sa dernière
partie, car sa première partie est évidente d’après ce qui précède. Or, il
avait dit que la saveur modifie le goût selon sa puissance, et, pour que cela
soit évident, il ajoute que la saveur, comme tout sensible, amène à l’acte la
faculté sensible qui était auparavant en puissance au sensible, car la
sensation, qui fait suite à l’action du sensible sur le sens, n’a pas lieu
par apprentissage, mais par contemplation, c'est-à-dire qu’elle ne ressemble
pas au fait d’apprendre, car chez celui qui apprend, un nouvel habitus de
science est engendré, mais chez celui qui a une sensation, un sens nouveau
n’est pas engendré par l’action du sensible, mais le sens devient agissant en
acte, comme c’est le cas chez celui qui contemple en acte. |
[81300] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 15 Deinde cum dicit quoniam
autem manifestat quod supra dixerat, scilicet quod sapor non sit solum in
humido sive sicco. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quod sapor
fundatur simul in humido et sicco. Secundo probat quoddam quod supposuerat,
ibi, et sunt oblati cibi. Tertio probationem manifestat, ibi, oportet quidem.
Dicit ergo primo, quod sapores sunt passiones quantum ad dulce, vel privationes
quantum ad amarum, quod se habet ut imperfectum et privatio ad dulce sicut
nigrum ad album; sed non cuiuslibet sicci, sed nutrimentalis; ex quo scilicet
possunt nutriri animalia et plantae. Ex hoc possumus accipere quod nec siccum
sine humido, nec humidum sine sicco pertinet ad sapores; quia esca, qua
nutriuntur animalia, non est solum humidum, vel solum siccum, sed commixtum
ex his. Ex iisdem enim nutrimur, ex quibus sumus, ut dictum est secundo de
generatione et eadem ratio est de plantis. |
Ensuite, où il
dit : Pour se convaincre que les
saveurs, etc., il manifeste ce qu’il a dit, à savoir que la saveur ne se
trouve pas seulement dans l’humide ou le sec. Et il traite ce point en trois
parties. En premier, il montre que la saveur est fondée sur l’humide et le
sec à la fois. En deuxième, il prouve quelque chose qu’il a supposé, où il
dit : Dans la nourriture que
s’assimilent, etc. En troisième, il clarifie sa preuve, où il dit : Nous ne discuterons ce sujet, etc. Il
dit donc en premier que les saveurs sont des affections, dans le cas du doux,
ou des privations, dans le cas de l’amer, qui a valeur d’imparfait et de
privation par rapport au doux, comme le noir par rapport au blanc; elles
n’affectent pas n’importe quelle substance sèche, mais les substances
nutritives, dont les animax et les plantes peuvent se nourrir. Nous pouvons
comprendre par là que ni le sec sans l’humide, ni l’humide sans le sec
n’appartient aux saveurs, car les aliments dont se nourrissent les animaux ne
sont pas seulement humides, ni seulement secs, mais ils sont un mélange des
deux. En effet, nous sommes nourris par ce dont nous provenons, comme il est
dit au livre II du Traité de la
génération, et cela s’applique également aux plantes. |
[81301]
Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 16 Deinde cum dicit et sunt probat
quod supposuerat, quod sapor sit passio vel perfectio nutrimenti. Ubi
considerandum est quod cibi, qui offeruntur animalibus, ad duo eis
deserviunt: scilicet ad augmentum, quo perducuntur ad perfectam quantitatem,
et ad nutrimentum, per quod conservatur substantia. Deserviunt etiam cibi et ad
generationem; sed hoc iam non pertinet ad individuum, sed ad speciem. Dicit
ergo, quod cibi animalibus oblati, cum sint de numero sensibilium, inquantum
sunt tangibilia, causant augmentum et decrementum, quia calidum et frigidum
facit augmentum et decrementum; ita quod calidum proprie facit augmentum:
eius est enim dilatare et diffundere quasi movendo ad circumferentiam;
frigidum autem causat decrementum, quia eius est constringere, quasi movendo
ad centrum, unde in iuventute animalia augentur, in senectute decrescunt. |
Ensuite, où il
dit : Dans la nourriture que
s’assimilent, etc., il prouve ce qu’il avait supposé, à savoir que la
saveur est une affection ou une perfection de la nourriture. Il faut
remarquer ici que la nourriture qui est offerte aux animaux leur sert à deux
choses : la croissance, qui les amène à leur quantité parfaite, et
l’alimentation, qui sert à conserver leur substance. Les aliments servent
aussi à la génération, mais cela ne concerne plus l’individu, mais l’espèce.
Il dit donc que les aliments offerts aux animaux, puisqu’ils sont au nombre
des êtres sensibles, en tant qu’ils sont tangibles, causent l’augmentation et
la diminution, parce que le chaud et le froid produisent l’augmentation et la
diminution, de sorte que le chaud est la cause propre de l’augmentation; il
lui appartient en effet de dilater et de répandre en dirigeant en quelque
sorte vers la circonférence, alors que le froid cause une diminution, car sa
propriété est de resserrer, comme en dirigeant vers le centre; c’est pourquoi
les animaux augmentent dans la jeunesse et décroissent dans la vieillesse. |
[81302] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 17 Nec est contrarium
quod dicitur secundo de anima, quod cibus auget prout est quantus; quia
quantitas non sufficeret ad augmentum, nisi esset calor convertens et
dirigens; sed cibus oblatus nutrit, inquantum est gustabilis. Et hoc probat
per hoc quod omnia nutriuntur dulci, quod percipitur gustu; et hoc vel
simplici dulci, vel commixtione aliorum saporum. Nec etiam est contrarium,
quod secundo de anima dictum est, quod tactus est sensus animalium alimenti;
quia ibi humorem, idest saporem ponit inter tangibilia; et ibidem dicit, quod
sapor est delectamentum nutrimenti, inquantum scilicet indicat convenientiam
eius. |
Et cela n’est pas
contraire à ce qui est dit au livre II du Traité
de l’âme, à savoir que la nourriture fait augmenter selon qu’elle a une
quantité, car la quantité ne suffirait pas pour produire l’augmentation s’il
n'y avait pas la chaleur qui la convertit et la dirige, mais la nourriture
offerte nourrit en tant qu’elle peut être goûtée. Et il prouve cela en disant
que toutes choses sont nourries par le doux, qui est perçu par le goût, soit
que le doux le soit absolument, soit qu’il soit mélangé à d’autres saveurs.
Ce n’est pas contraire non plus au livre II du Traité de l’âme lorsqu’il est dit que le toucher est la sensation
de la nourriture des animaux, car il place à cet endroit l’humidité,
c'est-à-dire la saveur, parmi les choses tangibles, et il dit au même endroit
que la saveur est le plaisir de la nourriture, en tant qu’elle indique que la
nourriture est convenable. |
[81303] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 18 Deinde cum dicit
oportet quidem confirmat probationem praemissam. Et primo quantum ad hoc,
quod dixit omnia nutriri dulci. Secundo quantum ad hoc quod dixerat de
commixtione aliorum, ibi, commiscetur autem. Dicit ergo primo: quae pertinent
ad augmentum et nutrimentum, oportet determinare in his quae sunt de
generatione: dixit autem de his in libro de generatione in universali, sed
adhuc magis dicendum est de his in libro de generatione animalium, ad quem
pertinet consideratio de alimento animalium; nunc autem quantum ad propositum
pertinet, tangendum est aliquid, scilicet quod calor naturalis active causat
augmentum per extensionem quamdam; et construit nutrimentum digerendo,
inquantum scilicet attrahit id quod est leve et dulce, et relinquit id quod
est salsum et amarum propter gravitatem. Unde omnes faeces animalium sunt
satis amarae vel salsae; et hoc manifestat per similitudinem in toto
universo. Quia facit calor naturalis in animalibus et plantis, quod facit
calor solis in corporibus exterioribus: attrahit enim humidum subtile, et
relinquit id quod est terrestre et grossum; unde aquae complutae sunt dulces,
quamvis mare a quo plurima fit resolutio, sit quod alii sapores commiscentur
in cibo dulci quod solum nutrit, loco condimenti; sicut manifeste apparet de
sapore salso et acuto, ut scilicet per huiusmodi sapores reprimatur dulce, ne
nimis nutriat. Est enim nimis repletivum et supernatativum, quia facile
attrahitur a calore propter sui levitatem. |
Ensuite, où il
dit : Nous discuterons ce sujet,
etc., il confirme cette preuve. Et il le fait, en premier, quant à son
affirmation que toutes choses sont nourries par le doux; en deuxième, quant à
ce qu’il a dit au sujet du mélange avec d’autres choses, où il
dit : Si les autres saveurs viennent, etc. Il dit donc en premier qu’il
faut traiter de ce qui concerne l’augmentation et la nutrition dans la
discussion entourant la génération; or, il en a parlé dans le Traité de la génération de façon
universelle, mais il faudra en parler davantage dans le livre De la génération des animaux, dont
relève l’étude des aliments des animaux; mais maintenant, pour ce qui
concerne notre propos, il faut mentionner quelque chose, à savoir que la
chaleur naturelle cause activement l’augmentation par un certain
agrandissement, et elle produit la nutrition en dirigeant, du fait qu’elle
attire ce qui est léger et doux et laisse de côté ce qui est salé et amer à
cause de sa pesanteur. C’est pourquoi, les matières fécales des animaux sont
assez amères ou salées; et il manifeste cela par une comparaison avec
l’univers entier. En effet, la chaleur naturelle des animaux et des plantes
fait ce que fait la chaleur du soleil dans les corps extérieurs : elle
attire en effet l’humidité subtile et laisse de côté ce qui est terreux et
épais. C’est pourquoi les eaux de pluie sont douces, même si la mer, d’où
provient la majeure partie de l’évaporation, est salée[110].
D’autres saveurs se mélangent à la nourriture douce, laquelle seule nourrit,
en tant que condiments, comme cela est évident pour les saveurs salées et
acides, de sorte que ces saveurs tempèrent le doux pour qu’il ne nourrisse
pas à l’excès. En effet, le doux est trop bourratif et surnage trop, car il
est facilement attiré par la chaleur à cause de sa légèreté. |
[81304] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 10 n. 19 Deinde cum dicit
commiscentur autem assignat causam commixtionis aliorum saporum ad
nutrimentum. Et dicit salsum. Ex hoc concludit quod omnia nutriuntur dulci,
quod est attractum a calido naturali. |
Puis lorsqu’il
dit : Si les autres saveurs
viennent, etc., il donne la cause du mélange d’autres saveurs dans la
nourriture. Et il parle du salé. Et il parle du salé[111].
Et il conclut de là que toutes choses sont nourries par le doux, lequel est
attiré par la chaleur naturelle. |
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Leçon 11 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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De même que les couleurs se forment du mélange du
blanc et du noir, de même les saveurs se forment de l'amer et du doux. Les
nuances des saveurs varient selon que le doux et l'amer y entrent en plus ou
moins grande proportion, soit d'après certains nombres et certains mouvements
précis du mélange, soit même dans des proportions tout indéterminées. Les
saveurs qui, dans leur mélange, plaisent au goût, sont les seules qui soient
soumises à un rapport numérique. Ainsi, le gras est la saveur du doux; le
salé et l'amer sont à peu près la même saveur; le fort, l'âcre, l'aigre et
l'acide sont des nuances intermédiaires. C'est qu'en effet les espèces de
saveurs ressemblent beaucoup à celles des couleurs. Des deux côtés, ces
espèces sont au nombre de sept ; si l'on suppose, comme il est bon de le
faire, que le gris soit une sorte de noir, il ne reste que le fauve qui se
rapporte au blanc, comme le gras se rapporte au doux; l'écarlate, le violet,
le vert et le bleu se placent entre le blanc et le noir, et toutes les autres
couleurs ne sont que des mélanges de celles-là. Et de même que le noir est
dans le diaphane la privation du blanc, de même aussi le salé et l'amer sont
la privation du doux dans l'humide nutritif. Aussi voilà pourquoi la cendre
des choses brûlées est toujours très amère; c'est que la partie potable que
ces choses contenaient est épuisée. Démocrite et la plupart des naturalistes qui ont
traité de la sensibilité, commettent ici une erreur énorme : ils croient que
toutes les choses sensibles sont tangibles. Pourtant s'il en était ainsi, il
faudrait évidemment que chaque sens ne fût qu'une sorte de toucher; mais il
est bien facile de reconnaître que ceci est impossible. Ils confondent en outre les perceptions communes
à tous les sens avec celles qui sont propres à chacun séparément. Ainsi, la
grandeur, la figure, le rude et le lisse, l'aigu et l'obtus dans les masses,
sont des choses que perçoivent en commun tous les sens, ou si ce n'est tous,
du moins la vue et le toucher. C'est là aussi ce qui fait que les sens se
trompent sur ces choses, tandis qu'ils ne se trompent pas sur les perceptions
propres : la vue, sur la couleur; et l'ouïe, sur les sons. Il y a des
naturalistes qui ramènent les perceptions propres aux perceptions communes,
comme le fait encore Démocrite, qui, pour expliquer le blanc et le noir,
prétend que l'un est rude, et l'autre, lisse. Démocrite confond aussi les saveurs et les
figures; et cependant connaître les choses communes appartiendrait à la vue
bien plutôt qu'à tout autre sens, si aucun d'eux pouvait avoir cette faculté.
Or, si c'était plutôt au goût qu'appartînt cette fonction, les plus petites
nuances dans chaque genre d'objets devant être discernées par le sens le plus
délicat, il faudrait que le goût sentît mieux qu'aucun autre sens toutes les
choses communes, qu'il jugeât le mieux aussi des autres figures. Ajoutons que
toutes les choses sensibles ont des contraires ; ainsi, dans la couleur le
noir est le contraire du blanc; et dans les saveurs, l'amer est le contraire
du doux. Mais la figure ne paraît pas pouvoir être contraire à la figure; et
par exemple, de quel polygone la circonférence est-elle le contraire? En
outre, les figures étant infinies, il faut alors aussi que les saveurs soient
infinies comme elles; car comment telle saveur produirait-elle sensation,
tandis que telle autre n'en produirait pas? Voilà ce qu'il y avait à dire ici sur la saveur et sur ses rapports
aux objets que perçoit le goût. Les autres faits relatifs aux saveurs doivent
être étudiés spécialement dans cette partie de l'histoire de la nature qui
concerne les végétaux. |
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Lectio
11 |
Leçon 11 ─ Erreurs de
Démocrite au sujet de la saveur (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81305] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 11 n. 1 Postquam philosophus determinavit generationes
saporum, hic distinguit species saporum. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit in communi generationem mediorum saporum. Secundo ostendit quomodo
medii sapores diversificantur, ibi, et secundum proportionem et cetera.
Tertio ostendit quomodo album et nigrum se habeant adinvicem, ibi, et
quemadmodum nigrum. Dicit ergo primo, quod sicut alii colores medii
generantur ex commixtione albi et nigri, et ipsorum secundum se vel ex
compositione causarum albi et nigri, ita medii sapores generantur mixtione
dulcis et amari, vel ipsorum secundum se, vel ex mixtione causarum dulcis et
amari. Calidum enim perfecte digerens humidum, causat saporem dulcem;
privatio autem humidi perfecte digesti, est causa amaritudinis. Alii vero
sapores causantur secundum quod humidum medio modo se habet, nec totaliter
est consumptum, nec totaliter est indigestum. Quia enim sapor propinquius
sequitur humorem quam calorem, non oportet considerare medium et extrema
secundum calidum, sed secundum humidum aliqualiter passum a sicco et calido,
quia in hoc principaliter consistit natura saporis; alioquin si medium et
extrema acciperentur in saporibus secundum calidum, non essent dulce et
amarum extrema, sed dulce esset medium. Nam calidum intensum et consumens
frigidum, aut digerens calidum, aut omnino deficiens in digerendo propter
victoriam frigidi, causat Ponticum vel acetosum saporem; calor autem
moderatus sufficiens ad digerendum causat dulcedinem. |
Après avoir traité
de la génération des saveurs, le Philosophe distingue maintenant les espèces
de saveurs. Et il le fait en trois parties. En premier, il montre en général
la génération des saveurs intermédiaires. En deuxième, il montre comment les
saveurs intermédiaires se diversifient, où il dit : Les nuances des saveurs varient, etc. En troisième, il montre
quel est le rapport du blanc et du noir entre eux, où il dit : Et de même que le noir est dans le
diaphane, etc. Il dit donc en premier que, de même que les couleurs
intermédiaires sont engendrées par mélange de blanc et de noir, qui se
mélangent soit par eux-mêmes, soit par mélange des causes du blanc et du
noir, de même les saveurs intermédiaires sont engendrées par le mélange du
doux et de l’amer, soit en eux-mêmes, soit par le mélange des causes du doux
et de l’amer. En effet, la chaleur, en digérant parfaitement l’humidité,
cause la saveur douce, alors que la privation de l’humidité parfaitement
digérée est la cause de l’amertume. Quant aux autres saveurs, elles sont
causées par le fait que l’humidité se situe entre-deux : elle n’est ni
totalement consumée, ni totalement indigérée. En effet, puisque la saveur
suit l’humidité de plus près que la chaleur, il ne faut pas consirérer le
milieu et les extrêmes selon la chaleur, mais selon l’humidité subie de
quelque façon par le sec et le chaud, car c’est en cela que consiste
principalement la nature de la saveur; autrement, si on considérait le milieu
et les extrêmes des saveurs d’après la chaleur, le doux et l’amer ne seraient
pas les extrêmes, mais le doux serait le milieu. En effet, la chaleur intense
qui consume le froid, soit en digérant le chaud, soit en ne parvenant pas du
tout à digérer parce que le froid l’emporte, cause la saveur piquante[112]
ou acide, tandis qu’une chaleur modérée qui suffit pour digérer cause la
saveur douce. |
[81306] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 2 Deinde cum dicit et
secundum agit de distinctione mediorum saporum. Et primo quantum ad
differentiam delectabilis et indelectabilis. Secundo quantum ad nomina, ibi,
qui quidem ergo pinguis. Tertio quantum ad numerum, per similitudinem ad
colores, ibi, fere enim aequales. Dicit ergo primo, quod medii sapores
diversificantur secundum proportionem commixtionis, inquantum scilicet
unusquisque eorum vel magis vel minus accedit ad dulcedinem, sive
amaritudinem. Quod quidem contingit dupliciter, sicut in coloribus dictum
est: uno modo secundum numeralem proportionem observatam in praedicta
commixtione et transmutationem humidi a calido; alio modo secundum
indeterminatam superabundantiam, absque proportione numerali. Solum autem
illi sapores delectant gustum, qui sunt commixti secundum numeralem
proportionem. |
Puis lorsqu’il
dit : Les nuances des saveurs
varient, etc., il traite de la distinction des saveurs intermédiaires. Et
il le fait, en premier, quant à la différence entre les saveurs agréables et
désagréables ; en deuxième, quant à leurs noms, où il dit : Ainsi, le gras est la saveur, etc. ;
en troisième, quant à leur nombre, par comparaison avec les couleurs, où il
dit : C’est qu’en effet les
espèces, etc. Il dit donc en premier que les saveurs intermédiaires se
diversivient selon la proportion du mélange, en tant que chacune d’elles
s’approche plus ou moins de la douceur ou de l’amertume. Cela se produit de
deux façons, comme on l’a dit pour les couleurs : d’une façon, selon une
proportion numérique observée dans ce mélange et dans la transformation de
l’humide par le chaud ; d’une autre façon, selon un excédent indéterminé
et sans proportion numérique. Or, les seules saveurs qui plaisent au goût
sont celles qui sont mélangées selon une proportion numérique. |
[81307] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 11 n. 3 Distinguit sapores medios secundum nomina. Et dicit
quod sapor pinguis est quasi idem cum dulci: uterque enim sapor designat
digestionem humidi a calido: verumtamen in dulci sapore ostendit calor magis
dominari super humidum; unde pinguis sapor propinquior est aquoso sive
insipido sapori propter abundantiam humiditatis. Similiter etiam amarus sapor
et salsus fere sunt idem: uterque enim ostendit excessum caloris consumentis
humidum: verumtamen in amaro videtur esse maior consumptio humiditatis quam
in salso quia in salso videtur esse consumptum humidum infusum corpori: in
amaro autem videtur esse ulterius resolutum et consumptum, vel totaliter vel
in parte, humidum, conglutinans substantiam corporis. Unde faeces corporum
resolutorum et interminatorum sunt amarae. |
Il distingue les
saveurs intermédiares par leurs noms. Et il dit que la saveur grasse est
presque identique à la saveur douce : les deux saveurs, en effet,
dénotent la digestion de l’humidité par la chaleur. Il est pourtant vrai que
dans la saveur douce, on voit la chaleur prédominer sur l’humidité; c’est
pourquoi la saveur grasse est plus proche de celle de l’eau ou d’une saveur
insipide à cause de l’abondance d’humidité. Pareillement, les saveurs amère
et salée sont prèsque identiques : les deux en effet présentent un excès
de chaleur qui consume l’humidité; cependant, on voit que dans la saveur
amère l’humidité est consumée davantage que dans le salé, car, dans le salé,
c’est l’humidité infuse dans le corps qui se trouve consumée, alors que dans
l’amer, l’humidité qui agglutine la substance du corps semble évaporée et
consumée davantage, soit totalement, soit en partie. C’est pourquoi les
restes des corps désagrégés et dissous sont amers. |
[81308] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 4 In medio autem sunt
Ponticus sive mordicativus sapor, et austerus, idest acetosus, et acutus: ita
tamen quod Ponticus et acetosus consistunt in humore nondum digesto propter
defectum caloris: propter quod fructus indigesti sunt vel acetosi saporis, ut
poma acerba vel Pontici, sicut pyra acerba. Ponticus tamen sapor videtur plus
habere de terrestri. Unde et terra fere Ponticum saporem habet: acetosus
autem videtur plus habere de frigido. Stypticus autem sapor videtur etiam
multum habere de terrestri, propinquius enim est Ponticus, sed plus habet de
calido, magis enim ad digestionem accedit; unde etiam quaedam digesta habent
saporem stypticum, sicut fructus myrti. Acutus autem sapor significat
excessum caloris, non quidem consumentis, sed superdigerentis humidum. |
Au milieu, on
trouve la saveur piquante ou âpre et aigre, c'est-à-dire acide, et aiguë, de
telle sorte pourtant que le piquant et l’acide consistent en une humidité non
encore digérée à cause du manque de chaleur; c’est pourquoi les fruits
indigestes ont soit une saveur acide, comme les prunes acides, ou piquante, comme
les poires vertes. Pourtant, la saveur piquante semble être plus terreuse.
Cest pourquoi la terre a à peu près une saveur piquante; la saveur acide
semble avoir plus de froid. La saveur astringente semble en effet être très
terreuse; elle est plus proche de la saveur piquante, mais elle a plus de
chaleur, car la digestion[113]
y est plus avancée; c’est pourquoi certaines choses digérées ont une saveur
astringente, comme le fruit du myrte. La saveur aigre dénote un excès de
chaleur, qui ne consume pas l’humidité cependant, mais la digère à fond. |
[81309] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 5 Deinde cum dicit
fere enim distinguit sapores medios secundum numerum per similitudinem ad
colores. Et
dicit quod species humorum, idest saporum, sunt fere aequales numero
speciebus colorum: septem autem species saporum sic numerandae sunt, ut
pinguis sapor non distinguatur a dulci, salsum autem distinguatur ab amaro:
ita quod si his tribus saporibus addantur alii quatuor supernumerati, erunt
septem sapores. Similiter etiam rationabiliter dicitur ex parte colorum, quod
lividum se habet ad nigrum sicut salsum ad amarum; flavum autem ad album,
sicut pingue ad dulce. In medio autem erunt hi colores: puniceus, idest
rubeus, et alurgon, idest citrinus, et viridis et ciarium, idest color
caelestis, ita tamen quod viride et ciarium magis appropinquant ad nigrum,
puniceum autem et citrinum magis appropinquant ad album. Sunt autem aliae
species plurimae colorum et saporum, ex commixtione praedictarum specierum
adinvicem. |
Puis lorsqu’il
dit : C’est qu’en effet les
espèces, etc., il distingue les saveurs intermédiaires selon leur nombre
par ressemblance aux couleurs. Et il dit que les espèces d’humidité,
c'est-à-dire de saveurs, sont à peu près égales en nombre aux espèces de
couleurs : en effet, on compte ainsi sept espèces de saveurs, puisque la
saveur grasse ne se distingue pas de la douce et que la salée se distingue de
l’amère, de sorte que si on ajoute à ces trois saveurs les quatre autres
énumérées ci-dessus, cela fait sept saveurs. De même aussi, on peut dire
raisonnablement du côté des couleurs que le gris se rapporte au noir comme le
salé à l’amer ; le jaune se rapporte au blanc comme le gras au doux.
Dans le milieu, il y a les couleurs suivantes : le punique, ou rouge, l’alurgon,
ou citron, le vert et le ciarium,
c'est-à-dire la couleur du ciel, de sorte pourtant que le vert et le ciarium s’approchent davantage du
noir, alors que le punique et le
citron s’approchent davantage du blanc. Il y a par ailleurs un très grand
nombre de couleurs et de saveurs par suite du mélange des espèces énmérées
entre elles. |
[81310] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 6 Deinde cum dicit et
quemadmodum comparat amarum ad dulce. Et dicit, quod sicut nigrum est
privatio albi in perspicuo, ita amarum et salsum est privatio dulcis in
humido nutrimentali. Semper enim alterum contrariorum est ut privatio, ut
patet ex decimo metaphysicorum. Et, quia amarum est privatio dulcis, inde est
quod omnium combustorum cinis est amarus, propter exhalationem humidi
nutrimentalis, quod potabile vocat. |
Ensuite, où il
dit : Et de même que le noir est, etc.,
il compare l’amer au doux. Et il dit que, comme le nour est la privation du
blanc dans le transparent, de même l’amer et le salé sont la privation du
doux dans l’humidité nourrissante. En effet, l’un de deux contraires est
toujours une privation, comme il est montré au livre X des Métaphysiques. Et comme l’amer est la
privation du doux, il s’ensuit que la cendre de toute chose brûlée est amère,
à cause de l’évaporation de l’humidité nourrissante, qu’il appelle potable. |
[81311] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 7 Deinde cum dicit
Democritus autem excludit falsas opiniones aliorum de natura saporum. Primo in generali
quantum ad omnia sensibilia. Secundo in speciali, quantum ad sapores, ibi,
quidam autem proprie. Circa primum duo facit. Primo improbat opinionem
antiquorum, quantum ad hoc quod reducebant omnia sensibilia ad qualitates
tangibiles, secundo quantum ad hoc quod reducebant sensibilia propria ad
sensibilia communia, ibi, amplius autem communibus. Dicit ergo primo, quod
Democritus et plurimi naturalium philosophorum, quicumque intromittunt se ad
loquendum de sensibilibus, faciunt quoddam incongruissimum, quia omnia,
scilicet sensibilia, dicunt esse tangibilia: quod si esset verum, sequeretur
quod quilibet sensus esset tactus, cum potentiae distinguantur secundum
obiecta. Quod autem hoc sit falsum, facile est videre; quia alii sensus
sentiuntur per medium extraneum, non autem tactus. |
Puis lorsqu’il
dit : Démocrite et la plupart des
naturalistes, etc., il réfute les fausses opinions des autres au sujet de
la nature des saveurs. Il le fait, en premier, de façon générale au sujet de
tous les sensibles, et en deuxième, en particulier pour les saveurs, où il
dit : Il y a des naturalistes qui
ramènent, etc. Il traite le premier point en deux parties. En premier, il
réfute l’opinion des anciens quant au fait qu’ils réduisaient tous les
sensibles à leurs qualités tangibles ; en deuxième, il la réfute quant
au fait qu’ils ramenaient les sensibles propres aux sensibles communs. Il dit
donc en premier que Démocrite et la plupart des philosophes de la nature
(tous ceux qui ont entrepris de parler des sens) font quelque chose de très
incohérent, car ils disent que tous les objets sensibles sont
tangibles ; or, si c’était vrai, il s’ensuivrait que chaque sens est un
toucher, puisque les puissances se distinguent selon leurs objets. Il est
facile de voir que cela est faux, car les autres sens perçoivent par un
milieu externe, mais pas le toucher. |
[81312] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 8 Deinde cum dicit
amplius autem arguit antiquos in hoc, quod utebantur sensibilibus communibus
quasi propriis. Reducebant enim colores et sapores et alia sensibilia ad
magnitudinem et figuram. Magnitudo enim et figura, et asperum et leve,
secundum quod ad figuram pertinent, et similiter acutum et obtusum, quae
etiam pertinent ad dispositiones figurarum habentium angulos, sunt communia
sensuum: quamvis non omnia haec percipiantur ab omnibus sensibus,
percipiuntur tamen saltem tactu et visu; et ita non sunt propria sensibilia,
quia sic uno solo sensu sentirentur. Dicit autem quod acutum et obtusum, quod
est in melodiis, vel in magnitudinibus secundum aliam literam, id est in
corporibus ad differentiam acuti, secundum quod est in vocibus et in
saporibus. Et quod praedicta sunt sensibilia communia, manifestat per quoddam
signum, quod circa huiusmodi, quae dicta sunt decipiuntur sensus, qui tamen
non decipiuntur de propriis sensibilibus, sicut visus non decipitur de
colore, nec auditus de sonis. |
Ensuite, où il
dit : Ils confondent en outre, etc.,
il reproche aux anciens le fait qu’ils considéraient les sensibles communs comme
des sensibles propres. Ils réduisaient en effet les couleurs, les saveurs et
les autres sensibles, à leur grandeur et à leur figure. La grandeur et la
figure, en effet, ainsi que le rude et le léger en tant qu’ils se rapportent
à la figure, et également l’aigu et l’obtus, qui concernent aussi la
configuration des figures qui ont des angles, sont communs aux sens :
même si toutes ces choses ne sont pas perçues par tous les sens, elles sont
perçues au moins par le toucher et la vue; et elles ne sont donc pas des
sensibles propres, car ainsi, elles seraient perçues par un seul sens. Il dit
donc que l’aigu et l’obtus, qui sont dans les mélodies, ou dans les grandeurs
selon une autre version, c'est-à-dire dans les corps, diffère de l’aigu qui
se trouve dans les voix et dans l’aigre qui est dans les saveurs. Et que ces
choses soient des sensibles communs, il le montre au moyen d’un signe : les
sens sont trompés au sujet des choses qu’on a énumérées, alors qu’ils ne sont
pas trompés au sujet de leurs sensibles propres, comme la vue n’est pas
trompée au sujet de la couleur, ni l’ouïe au sujet des sons. |
[81313] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 9 Deinde cum dicit
quidam autem excludit opiniones praedictas in speciali. Et primo narrat eas.
Secundo improbat, ibi, quamvis autem nullius. Dicit ergo primo, quod quidam
reducunt propria sensibilia ad ista communia, sicut Democritus, qui nigrum
dixit esse asperum, existimans obscuritatem nigri causari propter hoc quod
partes, quae supereminent in aspero, occultant alias. Album autem dixit esse
laeve, existimans claritatem albi provenire ex hoc, quod laeve totaliter
illustretur propter hoc quod partes eius aequaliter iacent. Sapores autem
reduxit ad figuras propter hoc, quod invenit acutum et obtusum in saporibus
sicut in figuris, aequivocatione deceptus. |
Puis lorsqu’il
dit : Il y a des naturalistes qui
ramènent, etc., il réfute ces opinions en particulier. Et en premier, il
les relate ; en deuxième, il les réfute, où il dit : et cependant connaître les choses
communes, etc. Il dit donc en premier que certains réduisent les
sensibles propres à ces choses communes, comme Démocrite, qui a dit que le
noir était rude, estimant que l’obscurité de la couleur noire était causée
par le fait que les parties surélevées dans l’objet rude cachent les autres. Il
a dit par contre que le blanc est lisse, estimant que la clarté du blanc
provient du fait que l’objet lisse est totalement éclairé parce que ses
parties sont toutes au même niveau. Quant aux saveurs, il les a ramenées aux
figures parce qu’il a trouvé l’aigu et l’obtus dans les saveurs comme dans
les figures, car il était trompé par les noms équivoques[114]. |
[81314] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 11 n. 10 Secundo ibi, quamvis aut improbat praedictam
opinionem de saporibus tribus rationibus. Quarum prima est, quod nullus
sensus cognoscit figuras quasi propria sensibilia; et si essent alicui sensui
propria maxime pertinerent ad visum. Sed, si sapores essent figurae,
sequeretur quod gustus magis ea cognosceret. Si ergo hoc est verum, cum
sensus aliquis quanto est certior tanto possit maxime discernere etiam minima
in unoquoque genere, sequeretur, quod gustus tamquam certissimus cognosceret
communia sensibilia, et maxime discerneret figuras: quod patet esse falsum,
quia visus in hoc est potentior. |
En deuxième, où il
dit : et cependant connaître les
choses communes, etc., il réfute cette opinion sur les saveurs par trois
arguments. Le premier est qu’aucnn sens ne connaît les figures comme ses
sensibles propres, et, si elles relevaient en propre à l’un des sens, ce
serait surtout la vue. Mais si les saveurs étaient des figures, il
s’ensuivrait qu’elles seraient connues surtout par le goût. Si donc cela
était vrai, puisqu’un sens est d’autant plus certain qu’il est le plus
capable de discerner même ce qui est le plus petit en tout genre, il
s’ensuivrait que le goût connaîtrait de la façon la plus certaine les
sensibles communs et discernerait le mieux les figures, ce qui est évidemment
faux, car c’est la vue qui a la meilleure capacité de le faire. |
[81315] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 11 Secundam rationem
ponit ibi amplius sensibilia quae talis est. Omnia sensibilia habent
contrarietatem, quia secundum ea fit alteratio, ut probatum est septimo
physicorum, sicut in colore sunt contraria album et nigrum, in saporibus
autem dulce et amarum, et idem patet in aliis. |
Il présente le
deuxième argument où il dit : Ajoutons
que toutes les choses, etc. Le voici : tous les sensibles ont des
contraires, car l’altération se produit selon ces contraires, comme il est
prouvé au livre VII des Physiques :
par exemple, les contraires sont le blanc et le noir dans les couleurs, le
doux et l’amer dans les saveurs, et ainsi de suite. |
[81316] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 12 Videtur autem esse
instantia in lumine, quod secundum se non habet contrarietatem, utpote
qualitas propria existens supremi corporis contrarietate carentis. Tenebra
vero opponitur ei ut privatio, non ut contrarium. Habet tamen contrarietatem
secundum quod participat in coloribus. Sed figura non videtur esse contraria
figurae; non enim est assignare quod polygoniarum, idest figurarum habentium
multos angulos sit contrarium circumferens, idest circulus, qui nullum
angulum habet. Contraria enim maxime distant. Non enim est dare aliquam
figuram, qua non sit invenire aliam plures angulos habentem: ergo sapores non
sunt figurae. |
Il semble y avoir
exception dans le cas de la lumière, qui en tant que telle n’a pas de
contraire, car elle existe comme qualité propre du corps suprême, qui n’a pas
de contraire. Les ténèbres s’y opposent en tant que privation et non comme
contraire. Elle admet pourtant un contraire selon qu’elle participe des
couleurs. Mais une figure ne semble pas être contraire à une autre; on ne
peut pas dire en effet lequel des polygones, c'est-à-dire des figures ayant
plusieurs angles, est contraire à la circonférence, c'est-à-dire au cercle,
qui n’a aucun angle. En effet, les contraires ont la plus grande distance
entre eux. Or, on ne peut pas trouver une figure dont le nombre d’angles ne
serait dépassé par aucune autre figure; donc, les saveurs ne sont pas des
figures. |
[81317] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 13 Tertiam rationem
ponit ibi amplius et quae talis est. Figurae sunt infinitae, sicut et numeri:
multiplicantur enim secundum numerum angulorum et linearum, ut patet in
triangulo. Si ergo sapores essent figurae, sequeretur quod essent infinitae
species saporum: quod patet esse falsum, quia nulla esset ratio quare unus
sapor sentiretur et non alius. Non autem discernit sensus infinitos sapores:
ergo sapores non sunt figurae. |
Il présente la
troisième raison où il dit : En
outre, les figures étant infinies, etc. La voici : les figures sont
en quantité infinie, comme les nombres; elles se multiplient en effet selon
le nombre d’angles et de lignes, comme on le voit dans le triangle. Si donc
les saveurs étaient des figures, il s’ensuivrait qu’il y aurait une infinité
d’espèces de saveurs, ce qui est évidemment faux, car il n’y aurait aucune
raison pour qu’une saveur soit sentie et non une autre. Or, le sens ne
discerne pas une infinité de saveurs; donc, les saveurs ne sont pas des
figures. |
[81318] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 11 n. 14 Ultimo autem
epilogando concludit quod dictum est de sapore et gustabili: quaedam autem
aliae proprietates saporum propriam habent considerationem in libro de
plantis, quem Aristoteles non fecit, sed Theophrastus, ut Alexander hic dicit
in commento. |
En dernier, il
conclut en disant qu’on a parlé de la saveur et du goûtable; cependant,
d’autres propriétés des saveurs ont été étudiées comme telles dans le livre
des plantes, qui n’a pas été écrit par Aristote, mais par Théophraste[115],
comme le dit Alexandre dans son commentaire à cet endroit. |
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Leçon 12 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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C'est en suivant encore la même marche qu'il faut
traiter des odeurs, parce que l'effet que le sec produit dans l'humide,
l'humide sapide le produit également, en un autre genre, dans l'air et dans
l'eau. Ici aussi, pour les odeurs, nous rappelons que le diaphane est commun
à ces deux éléments; mais le diaphane est odorable, non pas en tant qu'il est
diaphane, mais en tant qu'il peut transmettre et retenir la sécheresse
sapide. En effet, l'odoration a lieu, non pas seulement
dans l'air, mais encore dans l'eau; c'est ce qu'on peut voir bien évidemment
par les poissons et par les animaux à écailles. Certainement ils perçoivent
les odeurs, bien qu'il n'y ait pas d'air dans l'eau, l'air, quand il y en a
dans l'eau, remontant à la surface; et que de plus ces animaux ne respirent
point. Si donc l'on admet que l'eau et l'air sont tous deux humides, la
nature du sec sapide dans l'humide sera précisément l'odeur; et le corps qui
aura ces qualités sera un corps odorant. Que toute cette modification des corps vienne de
leur sapidité, c'est ce dont on peut facilement se convaincre en observant
les choses qui ont de l'odeur et celles qui n'en ont pas. Ainsi, les
éléments, c'est-à-dire le feu, l'air, l'eau, la terre, sont sans odeur, parce
que leurs parties sèches et leurs parties humides sont privées de saveur, à
moins que quelque chose d'étranger ne s'y mêle et ne leur en donne. Voilà
aussi pourquoi la mer a de l'odeur ; car elle a de la saveur et de la
sécheresse ; et le sel est plus odorant que le nitre, comme le prouve bien
l'huile qu'on tire de tous deux en les desséchant ; mais le nitre est plutôt
de la terre. La pierre est aussi sans odeur, parce qu'elle est insipide ;
mais les bois sont odorants, parce qu'ils ont une saveur; et ceux qui sont
aqueux en ont moins que les autres. Parmi les métaux, l'or est sans odeur,
parce qu'il est sans saveur; mais l'airain et le fer sont odorants. Quand
l'humide des métaux a été calciné par le feu, les scories ont toujours moins
d'odeur; l'argent et le plomb sont plus ou moins odorants que quelques autres
métaux, parce qu'ils sont aqueux. Quelques naturalistes pensent que l’exhalaison
fumeuse qui est commune à la fois à l'air et à la terre, est l'odeur; et tous
ceux qui ont traité de l'odeur se jettent dans cette explication. Aussi Héraclite
a-t-il dit que si tout venait à se réduire en fumée, ce seraient les nez qui
connaîtraient toutes choses. Dans ce système que tous appliquent à l'odeur,
on la considère, tantôt comme une vapeur, tantôt comme une exhalaison,
parfois aussi comme l'un et l'autre à la fois. Or, la vapeur est une sorte
d'humidité, et l'exhalaison fumeuse est bien, comme on l'a dit, commune à la
terre et à l'air; et c'est de celle-là que l'eau se compose, comme de
celle-ci se forme une espèce de terre. Mais l'odeur ne paraît être ni l'un ni
l'autre; car la vapeur est bien de l'eau, et il est impossible que
l'exhalaison fumeuse se produise jamais dans l'eau; or, les êtres qui vivent
dans l'eau ont la perception de l'odeur, comme on vient de le dire. De plus,
dans ce système, l'exhalaison ressemble beaucoup aux émanations ; et si cette
hypothèse n'est pas admissible (pour la vue), elle ne l'est pas non plus
(pour l'odeur). Il est donc clair que l'humide, tant celui qui
est dans l'air que celui qui est dans l'eau, peut recevoir et souffrir
quelque modification de la part de la sécheresse sapide; car l'air est humide
par sa nature. Il est tout aussi clair que, si le sec qui est comme filtré dans les
liquides agit également dans l'air, il faut que les odeurs soient analogues
aux saveurs; et cette ressemblance est réelle en effet à certains égards; par
exemple, les odeurs sont âpres et douces, rudes et fortes, grasses même; et l'on
pourrait dire que les odeurs fétides correspondent aux saveurs âcres. Aussi
de même qu'on ne peut boire les saveurs de ce genre, de même on ne peut
respirer les odeurs fétides. Il est donc évident que ce que la saveur est
dans l'eau, l'odeur l'est dans l'air et dans l'eau tout à la fois, et que
c'est ce qui fait que le froid et la congélation, qui émoussent les saveurs,
annulent aussi les odeurs ; car le refroidissement et la congélation font
disparaître la chaleur qui met en mouvement et élabore les unes et les
autres. |
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Lectio
12 |
Leçon 12 ─ Théorie de
l’odeur; sa relation avec la saveur (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81319] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 1 Postquam philosophus
determinavit de saporibus, hic incipit determinare de odoribus. Et dividitur
in duas partes. In prima determinat de odoribus. In secunda comparat sensum
odoratus ad alios sensus, ibi, videtur autem sensus, qui est odorandi. Circa
primum duo facit. Primo determinat generationem et naturam odoris. Secundo
determinat species ipsius, ibi, species autem odorabilis. Circa primum duo
facit. Primo
manifestat quid sit passivum in generationem odorum. Secundo quid sit
activum, ibi, quoniam vero ab enchymo. Circa primum tria facit. Primo
proponit quod intendit. Secundo exponit quod dixerat, ibi, commune autem his.
Tertio probat, ibi, non enim solum. Dicit ergo primo, quod eodem modo oportet
intelligere in generatione odorum, sicut et in generatione saporum: scilicet
quod aliquid est in generatione saporum passivum, et aliquid activum. Dictum
est enim circa sapores, quod humidum aqueum patitur a sicco terrestri, et sic
reducitur per actionem caloris ad hoc quod sit saporosum: in generatione
autem odoris est activum humidum enchymum. Et dicitur enchymum ab en, quod
est in, et chymos, quod est humor, quasi humore existente imbibito et
incorporato alicui sicco. Hoc igitur est activum in odore; passivum autem est
aliquod aliud genus, quod comprehendit sub se aerem et aquam. |
Après avoir traité
des saveurs, le Philosophe commence ici à traiter des odeurs. Et cela se
divise en deux parties. Dans la première, il traite des odeurs; dans la
deuxième, il compare le sens de l’odorat aux autres sens, où il dit : Comme les sens sont en nombre impair, etc.
(leçon XIV, no 10). Il traite la première partie en deux points.
En premier, il traite de la génération et de la nature de l’odeur. En
deuxième, il en détermine les espèces, où il dit : Il y a deux espèces principales d’odeurs, etc. (leçon XIII). Il
traite le premier point en deux sections. En premier, il manifeste ce qu’il y
a de passif dans la génération des odeurs. En deuxième, il montre ce qui est
actif, où il dit : Que toute cette
modification, etc. Il traite la première section en trois points. En
premier, il énonce ce qu’il veut montrer. En deuxième, il explique ce qu’il a
dit, où il dit : Ici aussi, pour
les odeurs, etc. En troisième, il le prouve, où il dit : En effet, l’odoration a lieu, etc. Il
dit donc en premier qu’il faut comprendre la génération des odeurs de la même
façon que la génération des saveurs, à savoir qu’il y a dans la génération
des saveurs un élément passif et un élément actif. On a dit en effet au sujet
des saveurs que l’humidité de l’eau est affectée par la sécheresse de la
terre et est ainsi amenée, par l’action de la chaleur, à avoir une saveur;
dans la génération de l’odeur, l’élément actif est l’humidité enchyme. Et le mot enchyme vient de « en » (dans) et « chyme » (humidité), c'est-à-dire
que l’humidité imbibe quelque chose de sec et y est incorporée. Tel est donc
l’élément actif de l’odeur ; l’élément passif est d’un autre genre et
inclut de l’air et de l’eau. |
[81320] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 2 Deinde cum dicit
commune autem exponit quid sit illud genus commune aeri et aquae, quod est
susceptivum odoris. Et dicit, quod commune utrique dicitur esse perspicuum,
non tamen perspicuum, inquantum perspicuum est susceptivum odoris, sed
coloris, ut supra habitum est; sed est susceptivum odoris secundum quod est
lavabile vel mundabile enchymae siccitatis, idest secundum quod est
receptivum enchymi sicci: quam quidem receptionem vocat lavationem, vel
mundationem, inquantum aliquid per humidum receptivum natum est ablui vel
mundari. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ici aussi, pour les odeurs, etc.,
il explique quel est le genre commun de l’air et de l’eau qui est capable de
recevoir l’odeur. Et il dit que ce qui est commun aux deux est appelé
transparence, mais ce n’est pas la transparence comme telle qui est capable
de recevoir l’odeur : elle peut recevoir la couleur, comme on l’a vu;
mais elle peut recevoir l’odeur en tant qu’elle est lavable ou purifiable de
la sécheresse enchyme, c'est-à-dire en tant qu’elle peut recevoir l’enchyme
sec, et il appelle cette réception lavage
ou nettoyage en tant qu’une chose,
en recevant l’humidité, est susceptible d’être lavée ou purifiée. |
[81321] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 3 Deinde cum dicit non
enim probat quod supposuerat, scilicet quod susceptivum odoris non solum sit
aer, sed etiam aqua. Et primo inducit huius probationem. Secundo concludit
quid sit proprium susceptivum odoris, ibi, si quis ergo. Dicit ergo primo,
quod odor non solum suscipitur in aere, sed etiam in aqua; et hoc manifeste
ostenditur propter hoc quod pisces aliqui, ut sunt ostracoderma, idest
animalia durae testae, viventia in aqua, videntur odorare ex hoc quod a longe
odore trahuntur ad alimentum, quod videre non possunt. Et ex hoc apparet quod
aqua est susceptiva odoris, duplici ratione. Primo quidem, quia huiusmodi
animalia non vivunt in aere, sed in aqua. Quod autem sub aqua, in qua
huiusmodi pisces degunt, non sit aer sed aqua, probat per hoc, quod aer
supernatet aquae etiam si infra aquam ponatur; sicut patet de ventre inflato,
si per violentiam submergatur, quod supernatabit aquae. Secundo etiam, quia
si daretur quod aer esset intra aquam, cum tamen huiusmodi animalia non
respirent aerem, ita non sentirent odorem, si solus aer esset odoris
susceptivus. |
Ensuite, où il
dit : En effet, l’odoration a
lieu, etc., il prouve ce qu’il a supposé, à savoir que ce qui peut
recevoir l’odeur n’est pas seulement l’air, mais également l’eau. Et en
premier, il présente cette preuve. En deuxième, il conclut ce qui a la
propriété de recevoir l’odeur, où il dit : Si donc l’on admet que l’eau, etc. Il dit donc en premier que
l’odeur n’est pas reçue seulement dans l’air, mais aussi dans l’eau, et ce
qui le montre avec évidence, c’est que certains poissons, comme les ostracodermes[116], c'est-à-dire des animaux à coquille
dure qui vivent dans l’eau, semblent percevoir l’odeur parce qu’ils sont
attirés de loin par l’odeur vers leur nourriture, qu’ils ne peuvent pas voir.
Et cela manifeste que l’eau peut recevoir l’odeur, pour deux raisons. En
premier, parce que ces animaux ne vivent pas dans l’air, mais dans l’eau. Et
il prouve le fait que sous l’eau, dans laquelle de tels poissons séjournent,
il n'y a pas d’air mais de l’eau, en disant que l’air surnage l’eau même si
elle est poussée sous l’eau, comme c’est évident d’une outre gonflée si elle
est submergée par violence, qui revient flotter sur l’eau. En deuxième aussi,
parce que si on admettait que l’air est à l’intérieur de l’eau, puisque ces
animaux ne respirent pas l’air, ils ne sentiraient pas l’odeur si l’air était
seul à pouvoir recevoir l’odeur. |
[81322] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 4 Deinde cum dicit si
quis ergo concludit quid sit proprium susceptivum odoris: et dicit quod aer
et aqua, quae sunt susceptiva odoris, sunt humida; sequitur quod odor nihil
sit aliud quam quaedam natura, scilicet forma ab enchymo sicco impressa in
humido, quod est aer et aqua; et illud est odorabile, quod est tale, idest
humidum habens naturam sibi impressam ab enchymo sicco. |
Puis, où il
dit : Si donc l’on admet, etc.,
il conclut en disant ce qui est propre à recevoir l’odeur : il dit que
l’air et l’eau, qui sont capables de recevoir l’odeur, sont humides; il
s’ensuit que l’odeur n’est rien d’autre qu’une certaine nature, à savoir la forme
du sec enchyme imprimée dans l’humide, qui est l’air et l’eau; et c’est cela
qui peut être perçu par l’odorat, à savoir l’humide qui a une nature imprimée
en lui par le sec enchyme. |
[81323] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 12 n. 5 Deinde cum dicit quoniam vero probat quod enchymus
sit effectivum odoris. Et hoc probat tripliciter. Primo quidem per ea quae
habent vel non habent odorem. Secundo per diversas opiniones quorumdam de odore,
ibi, videtur autem quibusdam. Tertio per affinitatem odoris ad saporem, ibi,
adhuc autem siquidem. Dicit ergo primo, quod manifestum est et per ea quae
habent odorem, quod haec passio, quae est odor, sit impressa ab enchymo,
idest ab humore imbibito et comprehenso a sicco, ut supra dictum est. Primo
enim elementa omnia, scilicet ignis, aqua, terra, carent odore; quia sive
sint humida, sive sicca, sunt achyma, idest sine humore comprehenso a sicco;
quia quae eorum sunt humida habent humidum sine sicco; quae autem eorum sunt
sicca habent siccum sine humido, nisi sit facta aliqua commixtio elementorum.
Unde mare habet aliquem odorem, quia in eo siccum terrestre est admixtum
humido aqueo, ut manifestatur per salsum saporem. Sal etiam magis habet
odorem, quam nitrum. Et quod ista duo, scilicet sal et nitrum, habeant aliquid de enchymo,
manifestatur per hoc quod oleum exit ab eis per aliquod artificium; et ex hoc
manifestatur quod est in eis aliquis humor pinguis comprehensus a sicco: sed
nitrum minus habet de huiusmodi humore quam sal; et ideo est minus odorabile.
|
Ensuite, où il
dit : Que toute cette
modification, etc., il prouve que l’enchyme est ce qui produit l’odeur. Et
il le prouve de trois façons. En premier, par les choses qui ont une odeur ou
n’en ont pas. En deuxième, par les diverses opinions de certains au sujet de
l’odeur, où il dit : Quelques
naturalistes pensent, etc. En troisième, par l’affinité entre l’odeur et
la saveur, où il dit : Il est tout
aussi clair que, etc. Il dit donc en premier qu’il est évident, tant par
les choses qui ont une odeur [que par celles qui n’en ont pas[117]],
que la propriété qu’est l’odeur est conférée par l’enchyme, c'est-à-dire
l’humidité imbibée dans le sec et englobée par lui, comme on l’a dit. En
premier, en effet, tous les éléments, feu, [air,] eau et terre, sont sans odeur,
car, qu’ils soient humides ou qu’ils soient secs, ils sont achymes,
c'est-à-dire sans humidité englobée dans le sec, car les éléments qui sont
humides ont l’humide sans le sec, et ceux qui sont secs ont le sec sans
l’humide, à moins qu’il n’y ait un mélange des éléments. C’est pourquoi la
mer a une odeur, car le sec de la terre y est mélangé à l’humide de l’eau,
comme la saveur du sel le montre bien. En effet, le sel est plus odorant que
le nitre[118]. Et
que les deux, le sel et le nitre, ont quelque chose d’enchyme, on le voit
parce que de l’huile en est extraite par un moyen artificiel; et cela montre
qu’ils contienneut une certaine humeur grasse contenue par le sec, mais le
nitre contient moins de cette humidité que le sel, et c’est pourquoi il est moins
odorant. |
[81324] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 6 Secundo manifestat
idem in lapidibus et lignis: et dicit quod lapis solidus et durus caret
odore, quia non habet praedictum humorem, a quo odor causatur, propter magnam
sui terrestritatem; sed ligna habent odorem, quia habent aliquid de praedicto
humore: quod patet ex hoc, quia inflammabilia sunt propter pinguedinem in eis
existentem. Unde ligna, quae habent humorem magis aquosum et minus pinguem,
quasi non comprehensum a sicco, sunt minus odorabilia, sicut patet de ligno
populeo: ligna autem abietis et pinea sunt multum odorabilia, propter
pinguedinem humoris ipsorum. |
En deuxième, il
montre la même chose pour les pierres et le bois, en disant que la pierre,
solide et dure, est sans odeur, parce qu’elle n’a pas cette humidité qui
cause l’odeur, parce qu’elle est très terreuse, mais le bois a une odeur
parce qu’il a une certaine quantité de cette humidité; cela est évident parce
qu’il est inflammable à cause du gras qu’il contient. C’est pourquoi les bois
qui ont une humidité plus aqueuse et moins grasse, non incluse dans le sec,
sont moins odorants, comme c’est évident pour le bois de peuplier, tandis que
les bois de sapin et de pin sont très odorants parce que leur humidité est
grasse. |
[81325] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 7 Tertio manifestat
idem in metallis, inter quae aurum est minime odorabile, eo quod caret
praedicto humore: quod contingit propter eius magnam terrestritatem, quae
significatur ex maximo pondere eius. Est enim ponderosius ceteris metallis.
Sed aes et ferrum est odorabile, quia humidum in eis digestum est imbibitum a
sicco, et non est totaliter ab eo separatum, sicut in auro. Unde et scoriae
eorum, propter adustionem humidi, sunt minus odorabiles. Argentum vero et
stannum sunt magis odorabilia quam aurum, minus vero quam aes et ferrum:
habent enim humorem magis aquaticum et minus comprehensum a sicco quam aes et
ferrum. Quia tamen humiditas eorum aliqualiter comprehenditur a sicco, non
sunt penitus absque odore, sicut aurum. |
En troisième, il
montre la même chose pour les métaux, dont l’or est le moins odorant, du fait
qu’il est privé de cette humidité; il en est ainsi parce qu’il est très
terreux, ce qui est manifesté par son poids très grand. En effet, il est plus
pesant que les autres médaux. Mais l’airain et le fer sont odorants, parce
que leur humidité est digérée et imbible par le sec et n’en est pas
totalement séparée comme dans l’or. C’est pourquoi leurs scories[119],
parce que l’humidité a été consumée, sont moins odorantes. Cependant,
l’argent et l’étain sont plus odorants que l’or, mais moins que l’airain et
le fer; leur humidité, en effet, est plus aqueuse et moins enfermée par le
sec que celle de l’airain et du fer. Pourtant, comme leur humidité est
renfermée de quelque façon dans le sec, ils ne sont pas totalement sans odeur
comme l’or. |
[81326] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 8 Deinde cum dicit
videtur autem ostendit quod enchymum sit activum odoris per opiniones
aliorum. Secundo
excludit eas, ibi, sed neutrum horum. Tertio concludit propositum, ibi,
quoniam ergo. Dicit ergo primo: quibusdam videtur quod odor sit fumalis evaporatio,
quae est communis aeri et terrae, quasi medium inter ea, quia est aliquid
resolutum a sicco terrestri non pertingens ad subtilitatem aeream: et omnes
antiqui qui loquuntur de odore, propinqui fuerunt ad hanc positionem. Unde et
Heraclitus dicit, quod, si omnia entia resolverentur in fumum, nares
percipientes odorem, discernerent omnia entia, quasi omnia entia essent
odores. Existimabat enim Heraclitus vaporem esse rerum principium. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Quelques naturalistes
pensent, etc., il montre que l’enchyme est le principe actif de l’odeur,
d’après les opinions des autres. En deuxième, il les réfute, où il dit :
Mais l’odeur ne paraît être, etc.
En troisième, il établit sa conclusion, où il dit : Il est donc clair que l’humide, etc. Il dit donc en premier qu’il
semble à certains que l’odeur est une évaporation fumeuse, qui est commune à
l’air et à la terre comme une sorte d’intermédiaire entre eux, parce qu’elle
est une substance dégagée par la sécheresse de la terre et qui n’atteint pas
à la subtilité de l’air ; et tous les anciens qui ont parlé de l’odeur
ont été proches de cette théorie. C’est pourquoi Héraclite dit que si tous
les êtres étaient réduits en fumée, les narines, percevant l’odeur,
discerneraient tous les êtres, comme si tous les êtres étaient des odeurs.
Héraclite estimait en effet que la vapeur est le principe des choses. |
[81327] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 9 Quia tamen non omnes
philosophi posuerunt odorem esse fumum, sed quidam aliquid simile, ideo ad
hanc diversitatem manifestandam subiungit, quod quidam attribuebant odori
exhalationem, quidam evaporationem, quidam utrumque; et ostendit differentiam
inter haec duo; quia evaporatio nihil aliud est quam quaedam humiditas aquea
resoluta; exhalatio autem sive fumus est commune aeri et terrae, cum sit
resolutio quaedam ex sicco terrestri, sicut dictum est. Et signum huius
differentiae est quod ex evaporatione quando condensatur, generatur aqua, ex
fumali autem evaporatione aliquid terrestre. |
Pourtant, comme
tous les philosophes n’ont pas affirmé que l’odeur est une fumée, mais autre
chose de semblable, il ajoute, pour montrer cette divergence, que certains
attribuaient l’odeur à l’exhalaison, d’autres à l’évaporation, d’autres aux
deux, et il montre la différence entre les deux, car l’évaporation n’est rien
d’autre qu’une humidité aqueuse dissoute, alors que l’exhalaison ou la fumée
est commune à l’air et à la terre, puisque elle une sorte de dissolution de
la sécheresse terrestre, comme on l’a dit. Et le signe de cette différence
est que l’évaporation, lorsqu’elle se condense, engendre de l’eau, alors que
l’évaporation fumeuse engendre quelque chose de terreux. |
[81328] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 12 n. 10 Secundo ibi sed neutrum excludit praedictas
positiones duabus rationibus. Quarum prima est, quia vapor pertinet ad aquam,
quae non est odorabilis absque admixtione sicci, sicut supra dictum est;
fumus autem non potest fieri in aqua, tamen fit odor, ut supra est ostensum
per hoc, quod quaedam animalia odorant in aqua: ergo odor non est fumus nec
vapor. |
Deuxièmement, où il
dit : Mais l’odeur ne paraît être,
etc., il réfute ces théories, par deux arguments. Le premier est que la
vapeur se rattache à l’eau, qui n’est pas odorante sans mélange avec une
substance sèche, comme on l’a dit plus haut; or, il ne peut pas y avoir de
fumée dans l’eau, et pourtant il y a de l’odeur, comme on l’a montré par le
fait que certains animaux perçoivent une odeur dans l’eau; l’odeur n’est donc
ni une fumée ni une vapeur. |
[81329] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 11 Secundam rationem
ponit ibi amplius evaporatio quae talis est. Similis ratio est quod
evaporatio dicatur odor, et quod colores dicantur effluxiones; sed illud non
dicitur de coloribus, ut supra dictum est; ergo nec istud bene dicitur de
odoribus. Utrobique enim sequitur quod sensus fiat per tactum, et odorum, et
colorum; et quod corpora odorata et visa diminuerentur, et tandem totaliter
resolverentur per effluxionem: et hoc est inconveniens, praesertim cum
inveniatur tam a remotis aliquid videri et odorari, quod nullo modo resolutio
corporis usque illuc reduci possit. Sic enim ad tantam distantiam, et color et
odor per spiritualem immutationem medii percipi possunt. |
Il présente le
deuxième argument où il dit : De
plus, dans ce système, etc. Le voici : c’est pour une raison
semblable que l’évaporation est appelée odeur et que les couleurs sont
appelées émanations. Or, on ne peut pas dire cela des couleurs, comme on l’a
dit; donc, on ne peut pas le dire sensément pour les odeurs. Dans les deux
cas, en effet, il s’ensuit que la sensation a lieu par toucher des odeurs
comme des couleurs, et que les corps sentis et vues diminueraient et
finiraient par se dissoudre totalement par émanation; et cela est absurde,
principalement parce qu’une chose peut être vue et sentie de si loin qu’il
n’y a aucun moyen que ce qui se dégage du corps puisse se rendre jusque-là. En
effet, à une si grande distance, la couleur et l’odeur peuvent être perçues
par l’impression spirituelle du milieu. |
[81330] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 12 n. 12 Deinde cum dicit quod ergo concludit propositum,
scilicet quod ex quo odor non est nec vapor, nec fumus, manifestum est quod
humidum, quod est in spiritu, idest in aere et in aqua, patitur ab enchyma
siccitate, et sic odor fit et sentitur. Humidum enim non solum
invenitur in aqua, sed etiam in aere. |
Puis lorsqu’il
dit : Il est donc clair que
l’humide, etc., il tire la conclusion souhaitée, à savoir que, puisque
l’odeur n’est ni une vapeur ni une fumée, il est manifeste que l’humidité qui
est dans le souffle, c'est-à-dire dans l’air et dans l’eau, est affectée par
la sécheresse enchyme, et c’est ainsi que l’odeur est produite et sentie. En
effet, l’humidité ne se trouve pas seulement dans l’eau, mais aussi dans
l’air. |
[81331] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 13 Deinde cum dicit
adhuc autem manifestat quod enchymum sit activum odoris per affinitatem ad
saporem. Et circa hoc tria facit. Primo proponit dicens: et si enchymum
similiter facit odorem in humido aqueo et in aere, sicut siccum terrestre
lavatum per humidum aqueum facit sapores, manifestum est quod odores oportet
proportionatos esse saporibus. |
Ensuite, où il
dit : Il est tout aussi clair que,
etc., il manifeste que l’enchyme est l’élément actif de l’odeur en raison
de son affinité avec la saveur. Et il traite ce sujet en trois points. En
premier, il propose sa thèse en dicant que, si l’enchyme produit pareillement
l’odeur dans l’humidité aqueuse et dans l’ir, de même que la sécheresse
terreuse lavée par l’humidité aqueuse produit les saveurs, il est manifeste
que les odeurs sont forcément proportionnées aux saveurs. |
[81332] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 14 Secundo ibi, sed
adhuc manifestat propositum adaptando odores saporibus. Et dicit quod in
quibusdam hoc accidit manifeste. Dicuntur enim acetosi et dulces odores, et
austeri, et styptici, et Pontici, et crassi, sicut et sapores; sed amaros
odores non dicimus, sed putridi odores proportionabiliter respondent amaris
saporibus, quia amari sapores difficile sorbentur. Putrida sunt
dysanapneusta, idest difficilis respirationis. Unde manifestum est ex hac
affinitate odoris ad saporem, quod sicut sapor fit in aqua, ita odor in aere
et aqua. |
En deuxième, où il
dit : et cette ressemblance est
réelle, etc., il manifeste son assertion en comparant les odeurs aux
saveurs. Et il dit que dans certains cas, cela apparaît ave évidence. On
parle en effet d’odeurs aigres, douces, âpres, astringentes, piquantes et
grasses, comme pour les saveurs, mais on ne parle pas d’odeurs amères; toutefois,
les odeurs putrides correspondent de façon proportionnelle aux saveurs
amères, car les saveurs amères sont avalées difficilement. Les odeurs
putrides sont dysanapseustes, c'est-à-dire
difficiles à respirer. Il est donc évident, en raison de cette affinité entre
l’odeur et la saveur, que de même que la saveur se produit dans l’eau, de
même l’odeur est produite dans l’air et dans l’eau. |
[81333] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 12 n. 15 Tertio ibi, et
propter. Probat praedictam affinitatem per impedimenta saporis et odoris;
quia per frigus et congelationem, sapores hebetantur et odores,
exterminantur, inquantum per praedicta aufertur calidum, quod generat et
movet odores et sapores, ut ex dictis apparet. |
En troisième, où il
dit : et que c’est ce qui fait que
le froid, etc. Il prouve cette affinité au moyen de ce qui empêche la
saveur et l’odeur : en effet, le froid et la congélation émousse les
saveurs et suppriment les odeurs du fait qu’ils enlèvent la chaleur qui
engendre et meut les odeurs et les saveurs, comme il ressort de ce qu’on a
dit. |
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Leçon 13 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Il y a deux espèces principales d'odeurs; car on a
tort de soutenir que les odeurs n'ont pas d'espèces, comme quelques-uns le
disent. Il est certain qu'elles en ont; nous montrerons ici comment cela est,
et jusqu'à quel point cela n'est pas. D'abord on a pu essayer de les classer
comme les saveurs, ainsi que nous l'avons dit; et alors c'est indirectement
qu'elles sont agréables et désagréables. En effet, comme les saveurs sont des
affections de la faculté nutritive, les odeurs des aliments sont agréables à l'animal
quand il désire sa nourriture; mais elles cessent de lui plaire quand il
s'est repu, et qu'il n'a plus besoin de rien; la nourriture même qui exhale
ces odeurs ne lui plaît pas alors davantage. Ainsi donc, nous pouvons le
redire, ces odeurs ne sont agréables et pénibles qu'indirectement et par
accident; et voilà aussi pourquoi celles-là sont perçues indistinctement par
tous les animaux. Mais il y en a d'autres qui sont agréables par elles-mêmes,
comme celles des fleurs; celles-là n'excitent ni plus ni moins l'animal à
prendre ses aliments ; elles ne contribuent en rien à provoquer son appétit;
elles feraient plutôt le contraire; car le mot de Strattès, se moquant
d'Euripide, est très-juste : « Quand vous faites cuire de l'oignon, n'y
versez pas de l'ambre. » Et ceux qui aujourd'hui mettent ainsi des aromates
dans leurs boissons, forcent le plaisir par l'habitude même, jusqu'à ce que
des deux sensations diverses qu'ils reçoivent, il se forme comme une seule
impression agréable, et que le plaisir leur vienne d'une sensation unique. Ainsi, la perception de cette espèce d'odeurs est
propre à l'homme. Quant à la perception des odeurs qui tiennent aux saveurs,
elle appartient aussi aux autres animaux, comme on vient de le dire. Et c'est
parce que ces odeurs ne sont agréables que par accident qu'on a pu classer
leurs espèces selon les saveurs mêmes; mais on ne peut classer ainsi les
autres, parce que leur nature est par elle-même ou agréable ou pénible. Ce
qui fait que cette odoration est spéciale à l'homme, c'est la frigidité même
qui règne autour de son cerveau. En effet, comme le cerveau est froid
naturellement, comme le sang des veines qui l'environnent est léger et
très-pur, mais facile à se refroidir, et que par suite l'évaporation de la
nourriture en se refroidissant dans ces parties produit des fluxions
morbides, cette espèce particulière d'odeurs a été donnée à l'homme comme un
moyen puissant de santé. Elle n'a pas certainement un autre objet que
celui-là, et bien évidemment elle remplit cette fonction. Ce qui le prouve, c'est que souvent la
nourriture, tout agréable qu'elle est, soit sèche, soit liquide, est
dangereuse; mais celle qui plaît parce qu'elle exhale une odeur bonne en
soi-même, quelle que puisse être d'ailleurs la disposition de l'individu,
celle-là, on peut dire, lui est toujours favorable. Voilà pourquoi c'est par la respiration que
l'odeur est perceptible, non pas à tous les animaux il est vrai, mais aux
hommes; et parmi les animaux qui ont du sang, aux quadrupèdes, et à tous ceux
en général qui par leur organisation sont davantage en rapport avec l'air.
Les odeurs étant portées vers le cerveau par la légèreté même de la chaleur
qu'elles contiennent, les parties qui environnent cet organe en sont plus
saines. C'est que la puissance de l'odeur est naturellement chaude, et que la
nature emploie la respiration à deux fins : directement, à la fonction
qu'accomplit la poitrine, et indirectement et par surcroît, à celle de
l'odorat. En effet, quand on respire, on produit, comme en passant, le mouvement
qui a lieu par les narines. Mais ce mode particulier d'odoration appartient
spécialement à l'organisation de l'homme, parce que, relativement à sa
grandeur, il a le cerveau plus humide et plus gros que le reste des animaux.
Aussi l'homme est pour ainsi dire le seul des animaux qui sente, et qui goûte
avec plaisir l'odeur des fleurs et toutes les autres odeurs analogues; car la
chaleur et le mouvement de ces odeurs sont en rapport avec l'excès d'humidité
et de fraîcheur qui est dans le cerveau humain. Quant à tous les autres animaux qui ont des poumons parce qu'ils
respirent, la nature ne leur a donné que la sensation de l'autre espèce
d'odeur, afin de ne pas faire deux organes; et il leur suffit, quoiqu'ils
respirent les deux espèces d'odeurs comme les hommes, d'avoir uniquement la
perception de l'une des deux. |
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Lectio
13 |
Leçon 13 ─ Les différentes
espèces d’odeur (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81334] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 13 n. 1 Postquam philosophus determinavit generationem et
naturam odoris, hic determinat de speciebus odorum. Et circa hoc duo facit.
Primo determinat diversas species odoris. Secundo determinat modum odorandi,
ibi, et propter hoc fit per respirationem. Circa primum tria facit. Primo
proponit esse aliquas species odoris. Secundo determinat de speciebus
odoris per convenientiam ad species saporum, ibi, hoc quidem enim est
secundum sapores. Tertio determinat species, quae sunt odoris secundum se,
ibi, quidam autem secundum ipsos. Dicit ergo primo, quod duae sunt species
odorabilis: una quidem per convenientiam ad sapores, alia secundum se. Falsum est enim quod
quidam dicunt, odorabile species non habere; sed oportet determinare quomodo
habeat, et quomodo non habet. Est enim determinare species odorum secundum
convenientiam ad species saporum, ut supra dictum est; non autem sunt
determinatae odoris species secundum se nisi solum secundum diversa
odorabilia; sicut si dicamus alium esse odorem rosarum et violarum, et aliorum
huiusmodi. Discernitur tamen in his odoribus delectabile et abominabile. |
Après avoir traité
de la génération et de la nature de l’odeur, le Philosophe traite maintenant
des espèces d’odeurs. Et il traite ce sujet en deux parties. En premier, il
détermine les diverses espèces d’odeurs. En deuxième, il traite de la façon
de percevoir les odeurs, où il dit : Voilà
pourquoi c’est par la respiration, etc. Il traite la première partie en
trois sections. En premier, il affirme qu’il y a des espèces d’odeurs. Deuxièmement,
il traite des espèces d’odeurs par comparaison avec les espèces de saveurs,
où il dit : D’abord on a pu
essayer, etc. Troisièmement, il détermine les espèces qui relèvent
essentiellement de l’odeur, où il dit : Mais il y en a d’autres qui sont agréables, etc. Il dit donc en
premier qu’il y a deux espèces d’odorants : l’une par comparaison avec
les saveurs, l’autre par essence. Certains disent que l’odorant n’a pas
d’espèces, mais c’est faux; il faut toutefois déterminer comment il a des
espèces et comment il n’en a pas. On peut en effet déterminer les espèces
d’odeurs selon leur concordance avec les espèces de saveurs, comme on l’a
dit; cependant, il n'y a pas d’espèces déterminées d’odeurs en tant que
telles, sinon selon divers odorants, comme si nous disons que l’odeur des
roses diffère de celle des violettes et de choses du genre. On distingue
cependant dans ces odeurs l’agréable et le détestable. |
[81335] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 2 Deinde cum dicit hoc
quidem determinat de speciebus odorum, quae consequuntur species saporum. Et
dicit, quod inter odorabilia aliquid est odorativum secundum saporis species,
ut supra dictum est; et ideo delectabile et contristans est in eis secundum
accidens, idest non inquantum habent odorem, sed inquantum eorum odor
significat nutrimentum. Odor enim est quaedam passio nutrimenti, sicut et
sapor: animal enim discernit conveniens nutrimentum a remotis per odorem,
sicut coniunctum per saporem. Et ideo huiusmodi odores non sunt delectabiles
animalibus repletis, et quae cibo non indigent, sicut nec esca habens hos
odores est his delectabilis; sed animalibus appetentibus cibum, idest
esurientibus vel sitientibus, sunt huiusmodi odores appetibiles, sicut et
cibus vel potus est eis appetibilis. Unde manifestum est quod huiusmodi
odorabile habet delectationem et tristitiam secundum accidens, sicut dictum
est, scilicet ratione nutrimenti. |
Puis lorsqu’il
dit : D’abord on a pu essayer, etc.,
il traite des espèces d’odeurs qui sont consécutives aux espèces de saveurs.
Et il dit que parmi les odorants, certains le sont selon les espèces de
saveurs, comme on l’a dit; et ainsi, ils sont agréables ou déplaisants par
accident, c'est-à-dire pas en tant qu’ils ont une odeur, mais en tant que
leur odeur signifie la nourriture. En effet, l’odeur est une propriété de la
nourriture, comme la saveur, car l’animal perçoit la nourriture éloignée qui
lui convient par l’odeur, comme il perçoit la nourriture en contact avec lui par
la saveur. C’est pourquoi ces odeurs ne sont pas agréables aux animaux repus,
qui n’ont pas besoin de nourriture, comme les aliments qui ont ces odeurs ne
leur sont pas agréables, mais pour les animaux qui désirent se nourrir, parce
qu’ils ont faim ou soif, ces odeurs sont désirables, comme la nourriture ou
la boisson leur sont désirables. Il est donc évident qu’un tel odorant
apporte plaisir ou tristesse par accident, comme on l’a dit, en raison de la
nutrition. |
[81336] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 13 n. 3 Et, quia nutrimentum est commune omnibus animalibus,
idcirco omnia animalia percipiunt hos odores: quod tamen intelligendum est de
omnibus animalibus habentibus motum progressivum, quae necessario habent
quaerere alimentum ex longinquo per odorem: animalibus autem immobilibus
sufficit gustus et tactus ad discernendum convenientiam alimenti. |
Et comme la
nutrition est commune à tous les animaux, pour cette raison tous les animaux
perçoivent ces odeurs; il faut toutefois comprendre cela de tous les animaux
qui ont un mouvement progressif, qui doivent nécessairement chercher une
nourriture éloignée par l’audeur; pour les animaux immobiles, le goût et le
toucher suffisent pour discerner la convenance de la nourriture. |
[81337] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 4 Deinde cum dicit
quidam autem determinat species odoris per se. Et primo ponit huiusmodi
species odoris. Secundo ostendit a quibus animalibus percipiantur, ibi, hoc
quidem igitur odorabile. Circa primum tria facit. Primo proponit quid
intendit. Secundo probat propositum, ibi, nihil enim magis. Tertio excludit
obiectionem contrariam, ibi, qui autem nunc commiscent. Dicit ergo primo,
quod quidam odores sunt delectabiles secundum seipsos, idest non per
comparationem ad alimentum, sicut fit de odoribus florum. |
Puis lorsqu’il
dit : Mais il y en a d’autres qui
sont, etc., il détermine les espèces de l’odeur comme telle. Et en
premier, il énonce ces espèces de l’odeur. En deuxième, il montre par quels
animaux elles sont perçues, où il dit : Ainsi, la perception de cette espèce, etc. Il traite la première
partie en trois points. En premier, il propose ce qu’il veut montrer. En
deuxième, il prouve sa proposition, où il dit : celles-là n’excitent ni plus ni moins, etc. Il dit donc en
premier que certaines odeurs sont agréables en elles-mêmes, c'est-à-dire sans
rapport avec des aliments, comme c’est le cas des odeurs des fleurs. |
[81338] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 5 Deinde cum dicit
nihil enim probat quod huiusmodi odores sunt secundum se delectabiles; quia
scilicet non habent conferre ad escam, ut videlicet appetentes escam magis
his odoribus delectentur, et repleti minus. Neque etiam huiusmodi odores
conferunt aliquid ad desiderium escae, sicut odores, de quibus supra dictum
est, promoventes escae appetitum; sed magis accidit contrarium: quia per
immixtionem horum odorabilium, redditur esca indelectabilis, quia frequenter
quae bene redolent secundum huiusmodi odorem, sunt mali saporis. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : celles-là n’excitent ni plus
ni moins, etc., il prouve que ces odeurs sont agréales par
elles-mêmes : en effet, elles n’ont pas de rapport avec la nourriture de
sorte que ceux qui désirent manger prennent plus de plaisir à ces odeurs, et
ceux qui sont repus s’en réjouissent moins. De plus, ces odeurs ne
contribuent en rien au désir de manger, comme les odeurs dont on a parlé plus
haut, qui stimulent le désir de la nourriture; c’est plutôt le contraire qui
arrive, car le mélange de ces odorants rend la nourriture désagréable :
il arrive souvent que ce qui dégage une bonne odeur de ce genre a un mauvais
goût. |
[81339] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 6 Et inducit ad hoc
verbum cuiusdam poetae comici, qui Stratis dicebatur, qui in vituperium
alterius poetae, scilicet Euripidis exquirentis cibaria nimis delicate
parata, dixit: quando lentem decoquis, non infundas myron, idest
unguentum suaviter redolens: quia non oportet quod in pulmento tuo apponas
aliqua suaviter redolentia. |
Et il cite en ce
sens les paroles d’un poète comique appelé Stratis[120],
qui, en critiquant u autre poète, Euripide[121],
parce qu’il recherchait une nourriture trop délicatement apprêtée, a
dit : Quand on cuit des lentilles,
on n’y verse pas du parfum, c'est-à-dire un onguent qui dégage une odeur
agréable, car il n’est pas nécessaire d’ajouter à ton ragoût des produits
aromatiques. |
[81340] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 7 Deinde cum dicit qui
autem excludit obiectionem quae posset fieri propter consuetudinem quorumdam
talia cibis admiscentium. Sed ipse respondet dicens, quod illi qui huiusmodi
virtutes, idest res odoriferas, commiscent cibis et potibus, faciunt per
consuetudinem quamdam violentiam naturali delectationi, ut scilicet
perveniant ad hoc quod unum et idem sit delectabile duobus sensibus, scilicet
gustui et odoratui, sicut naturaliter est unum delectabile uni sensui. |
Ensuite, où il
dit : Et ceux qui aujourd'hui
mettent ainsi, etc., il écarte une objection qui pourrait être soulevée à
cause de la coutume de certains qui mélangent de tels produits aux aliments. Il
y répond en disant que ceux qui mélangent de telles puissances, c'est-à-dire
des substances odorantes, à leur nourriture et à leur boisson, font violence
en quelque sorte par leur habitude au plaisir naturel, de sorte qu’ils
parviennent à ce qu’une seule et même chose soit agréable aux deux sens, le
goût et l’odorat, comme un seul objet est naturellement agréable à un seul
sens. |
[81341] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 8 Deinde cum dicit hoc
quidem ostendit a quibus huiusmodi odorabilia percipiantur. Et circa hoc tria
facit. Primo proponit quid intendit. Secundo assignat causam dictorum, ibi,
causa autem est. Tertio excludit obiectionem, ibi, cibus. Dicit ergo primo,
quod hoc odorabile, quod secundum se delectat vel contristatur, est proprium
hominis, quia scilicet solus homo huiusmodi odorabilia discernit, et in eis
delectatur vel contristatur. Unde quantum ad hoc abundat in homine sensus
odoratus prae aliis animalibus. Sed odor, qui coordinatur sapori, competit
etiam aliis animalibus, quae in huiusmodi odoribus discernendis habent
acutiorem sensum quam homo; et quantum ad hoc supra dixit, quod sensum
odoratus habemus peiorem aliis animalibus. Et, quia illi odores, qui
coordinantur saporibus, habent delectationem per accidens, scilicet per
comparationem ad escam; ideo species eorum distinxit secundum species
saporum: quod non contingit in his odoribus, qui secundum propriam naturam
habent tristitiam vel delectationem; sed huius odoris species distingui non
possunt nisi secundum odorabilia, ut dictum est. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ainsi, la perception de
cette espèce, etc., il montre par qui de tels odorants sont perçus. Et il
traite ce point en trois sections. En premier, il énonce ce qu’il veut
montrer. En deuxième, il indique la cause de ce qu’il a dit, où il dit :
Ce qui fait que cette odoration, etc.
En troisième, il écarte une objection, où il dit : Ce qui le prouve, c’est que souvent, etc. Il dit donc en premier
que l’odorant qui réjouit ou attriste en lui-même est propre à l’homme, parce
que l’homme seul discerne de tels odorants et s’en réjouit ou s’en attriste.
C’est pourquoi, sous ce rapport, le sens de l’odorat est plus développé chez
l’homme que ches les autres animaux. Mais l’odeur qui est coordonnée à la
saveur se trouve aussi chez les autres animaux, qui ont une perception plus
vive que l’homme pour discerner ces odeurs; et sous ce rapport, il a dit plus
haut que nous avons un moins bon sens de l’odorat que les autres animaux. Et
comme les odeurs qui sont coordonnées aux saveurs causent du plaisir par
accident, c'est-à-dire par comparaison à la nourriture, il distingue leurs
espèces selon les espèces de saveurs, ce qu’il ne fait pas pour les odeurs
qui causent en elles-mêmes du plaisir ou de la tristesse, car les espèces de
ces odeurs ne peuvent être distinguées que selon les odorants, comme on l’a
dit. |
[81342] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 9 Deinde cum dicit
causa autem assignat causam praedictorum: et dicit, quod odor secundum se
delectabilis, est proprius hominis ad contemperandum frigiditatem cerebri
ipsius. Homo enim habet maius cerebrum secundum quantitatem sui corporis
inter cetera animalia: cerebrum autem secundum suam naturam est frigidum, et
sanguis qui circa cerebrum continetur in quibusdam subtilibus venis, est de
facili, infrigidabilis; et ex hoc contingit, quod fumi resoluti a cibo sursum
ascendentes propter loci infrigidationem, inspissantur infrigidati, et ex hoc
causantur rheumaticae infirmitates in hominibus; et ideo in adiutorium
sanitatis contra superfluam cerebri frigiditatem attributa est ita species
odoris hominibus; et si quandoque huiusmodi odores gravent cerebrum, hoc est
quia non adhibentur secundum quod debent, sed superflue ipsum calefacientes
faciunt nimiam resolutionem; sed, si modo debito adhibeantur, conferunt ad
sanitatem; et hoc manifeste apparet ex effectu, cum tamen nulla alia utilitas
appareat talis odoris: parum enim deservit intellectui perceptio talium
odorum ad investigandas naturas rerum, cui multum deservit visus et auditus,
ut supra ostensum est. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ce qui fait que cette
odoration, etc., il présente la cause de ce qu’il vient de dire, en
disant que l’odeur agréable par elle-même est propre à l’homme et vise à
tempérer la froideur de son cerveau. En effet, l’homme a un cerveau plus gros
par rapport à la masse de son corps que les autres animaux; or, selon sa nature,
le cerveau est froid, et le sang qui est contenu dans les veines très fines qui
l’entourent est facilement refroidissable; de là vient que les vapeurs dégagées
par un aliment qui montent à cause du refroidissement de l’endroit
épaississent une fois refroidies, et cela cause des rhumatismes chez les
hommes; c’est pourquoi cette espèce d’odeurs a été accordée aux hommes, pour protéger
leur santé contre une froideur excessive du cerveau; et si ces odeurs
accablent parfois le cerveau, c’est parce qu’elles ne sont pas employées
comme il faut, mais, en le réchauffant excessivement, causent trop
d’évaporation; si toutefois elles sont employées de la bonne façon, elles
sont utiles à la santé; et leurs effets le montrent avec évidence, même si on
ne voit aucune autre utilité à de telles odeurs; en effet, leur perception
n’a guère d’utilité pour l’intelligence dans sa recherche de la nature des
choses, à laquelle la vue et l’ouïe sont grandement utiles, comme on l’a
montré plus haut. |
[81343] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 10 Deinde cum dicit
cibus enim excludit quamdam obiectionem. Posset enim aliquis dicere,
quod ad praedictum remedium sanitatis sufficeret aliqua species odorabilis,
quae coordinatur sapori. Sed ipse respondet, quod illa species odoris, quae
est delectabilis propter cibum, multotiens magis gravat caput, vel propter
superfluam humiditatem, vel propter superfluam siccitatem. Sed illa species
odoris, quae est secundum se delectabilis, semper est utilis ad sanitatem ex sui
natura. Addit autem ut est dicere, propter indebitum usum. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ce qui le prouve, c’est que
souvent, etc. On pourrait dire en effet que pour apporter un tel remède à
la santé, il suffirait d’avoir une espèce d’odorant qui est jointe à la
saveur. Mais il répond que l’espèce d’odeur qui est agréable à cause de la
nourriture, dans bien des cas, appesantit plutôt la tête, soit à cause de
l’excès d’humidité, soit à cause de l’excès de sécheresse. Mais l’espèce
d’odeur qui est agréable en elle-même est toujours utile à la santé de par sa
nature. Mais il ajoute pour ainsi dire à
cause de son usage inapproprié. |
[81344] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 11 Deinde cum dicit et
propter concludit ex praedictis debitum modum odorandi. Et primo in hominibus
et in aliis animalibus respirantibus. Secundo in animalibus non
respirantibus, ibi, quae vero non respirant. Circa primum tria facit. Primo
proponit quod intendit. Secundo assignat causam propositam quantum ad
homines, ibi, ascendentibus namque. Tertio quantum ad alia animalia, ibi,
aliis vero. Dicit ergo primo, quod, quia odor utilis est ad contemperandum
cerebri frigiditatem, ideo odoratio fit per respirationem; non quidem in
omnibus animalibus, sed in hominibus et quibusdam animalibus habentibus
sanguinem, sicut in quadrupedibus et avibus, quae etiam magis participant
aerem et naturam aeris, ut eorum motus demonstrat. |
Puis lorsqu’il
dit : Voilà pourquoi c’est par la
respiration, etc., il conclut de ce qui précède la façon requise de
percevoir les odeurs. Et il le fait, en premier, pour les hommes et les
autres animaux qui respirent; en deuxième, pour les animaux qui ne respirent
pas, où il dit : Il est du reste
évident que les animaux, etc. (leçon XIII). Il traite la première section
en trois parties. En premier, il présente ce qu’il veut montrer. En deuxième,
il en donne la cause quant aux hommes, où il dit : Les odeurs étant portées vers le cerveau, etc. En troisième, il
la montre pour les autres animaux, où il dit : Quant à tous les autres animaux, etc. Il dit donc en premier que
c’est parce que l’odeur est utile pour tempérer la froideur du cerveau que
l’odorat se fait par respiration, non certes chez tous les animaux, mais chez
les hommes et certains animaux qui ont du sang, tels que les quadrupèdes et
les oiseaux, qui participent également davantage de l’air et de la nature de
l’air, comme le démontre leur mouvement. |
[81345] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 12 Deinde cum dicit
ascendentibus namque manifestat causam, quare odor percipitur respirando
quantum ad homines. Et dicit quod odores ascendunt ad cerebrum, quia calor
igneus, qui resolvit odores, dat eis quamdam levitatem, ut superiora petant;
et ex hoc sequitur quaedam sanitas circa cerebrum. Odor enim habet virtutem
calefaciendi, propter calidum igneum a quo causatur et resolvitur. Unde
natura utitur respiratione ad duo: ut operose quidem, id est
principaliter ad adiutorium thoracis, id est pectoris et ad refrigerium
caloris. Ut adventitie autem, idest secundario ad percipiendum odorem. Dum
enim homo respirat commovet aerem per nares attrahendo, et sic facit
pertransire odores usque ad organum olfactus. |
Puis lorsqu’il
dit : Les odeurs étant portées
vers le cerveau, etc., il manifeste la raison pour laquelle l’odeur est
perçue dans la respiration dans le cas des hommes. Et il dit que les odeurs
montent vers le cerveau parce que la chaleur du feu, qui fait évaporer les
odeurs, leur donne une légèreté qui les fait chercher les hauteurs, et il
s’ensuit une certaine santé autour du cerveau. En effet, l’odeur a le pouvoir
de réchauffer, à cause de la chaleur du feu qui la cause et fait qu’elle se
dégage. Alors, la nature utilise la respiration à deux fins : au fonctionnement, c'est-à-dire
principalement pour aider le thorax, c'est-à-dire la poitrine, et pour
refroidir ce qui est chaud. De façon
accessoire ou secondaire, pour la perception de l’odorat. En effet, quand
l’homme respire, il fait bouger l’air en l’attirant dans ses narines et fait
ainsi parvenir les odeurs jusqu’à l’organe de l’odorat. |
[81346] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 13 Ideo autem tale
genus est proprium naturae humanae, quia homo habet inter cetera animalia, secundum
proportionem suae magnitudinis, maius cerebrum et humidius aliis animalibus:
et ideo solus homo inter cetera animalia sentit et delectatur in odoribus
florum et aliorum huiusmodi odorum, et motus ad cerebrum reducet ad debitam
mensuram hyperbolem, id est superexcessum frigiditatis et humiditatis
cerebri. Addit autem ut est dicere quia alia animalia fugiunt malos
odores inquantum sunt corruptivi. |
La raison pour
laquelle ce genre d’odeurs est propre à la nature humaine, c’est que l’homme,
entre tous les animaux, a le cerveau le plus gros et le plus humide en
proportion du volume de son corps; c’est pourquoi, seul parmi tous les
animaux, il sent l’odeur des fleurs et d’autres odeurs du genre et y prend
plaisir, et leur mouvement vers le cerveau ramène à la mesure requise l’hyperbole, c'est-à-dire l’excès de
froideur et d’humidité du cerveau. Et il ajoute pour ainsi dire parce que les autres animaux fuient les mauvaises
odeurs en tant qu’elles sont causes de corruption. |
[81347] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 13 n. 14 Deinde cum dicit
aliis vero assignat causam odorandi per respirationem quantum ad alia
animalia. Et dicit, quod animalibus habentibus pulmonem, quae sola respirant,
natura dedit sensum alterius odoris, idest pertinentia ad cibum per
respirationem, ut non faciat duo organa, unum respirandi et alium odorandi,
cum sufficiat organum respirandi etiam ad odorandum, sicut hominibus, quantum
ad duo genera odorabilium, et ita etiam aliis animalibus quantum ad unum tantum.
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Ensuite, où il
dit : Quant à tous les autres
animaux, etc., il établit la cause pour laquelle les autres animaux
perçoivent les odeurs par la respiration. Et il dit que la nature a donné aux
animaux qui ont des poumons, les seuls qui respirent, la sensation de l’une
des odeurs, celle qui détecte les aliments par la respiration, afin de ne pas
produire deux organes, l’un pour respirer et l’autre pour sentir les odeurs, puisque
l’organe de la respiration suffit également à l’odorat, comme il suffit
auxles hommes pour les deux genres d’odeurs et suffit également aux autres
animaux pour un genre d’odeurs seulement. |
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Leçon 14 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Il est du reste évident que les animaux mêmes qui
ne respirent pas ont aussi la sensation de l'odeur. Ainsi, les poissons et
toute la race des insectes sentent de loin, et fort bien, la nourriture
spéciale qui leur convient, à quelque distance qu'ils en soient, à cause des
qualités nutritives de l'odeur. C'est ce que font les abeilles pour leur
miel, et cette espèce de petites fourmis qu'on appelle knipes en quelques
lieux; et les rougets de mer, et beaucoup d'autres animaux, qui sentent
très-finement leur nourriture par l'odeur qu'elle exhale. Ce qu'on ne sait pas également bien, c'est par
quel organe ils sentent; et l'on pourrait se demander comment ils perçoivent
l'odeur, puisque c'est uniquement en respirant que l'odoration est possible,
comme on peut l'observer dans tous les animaux qui respirent. Mais aucun de
ceux dont nous parlons n'a la respiration, et pourtant ils sentent l'odeur.
Admettre qu'ils ont encore quelqu'autre sens, outre les cinq qu'on connaît,
est chose impossible; car c'est l'odoration qui doit s'appliquer à
l'odorable. Or, ces animaux perçoivent l'odorable; mais ce n'est peut- être
pas de la même façon que les autres. Dans les animaux qui respirent, le
souffle fait lever la partie qui est placée sur la membrane comme une sorte
de couvercle; et voilà pourquoi ils ne sentent pas quand ils n'aspirent pas.
Au contraire dans les animaux qui ne respirent point, cet opercule est tout
enlevé; c'est comme pour l'organisation des yeux : certains animaux ont des
paupières qu'ils doivent ouvrir sous peine de ne pas voir, tandis que les
animaux à yeux durs n'en ont pas, et qu'ainsi ils n'ont pas besoin de
tégument, et voient sur-le-champ du moment qu'il leur est possible de voir. De même aucun des animaux autres que l'homme, ne
souffre de l'odeur des corps qui sentent mauvais par eux-mêmes, à moins que
d'ailleurs ces corps ne leur soient nuisibles. Cependant ces odeurs les font
mourir tout aussi bien ; et de même que souvent les hommes ont la tête
appesantie et meurent par la vapeur du charbon, de même aussi les animaux
autres que l'homme sont tués par la force du soufre et des corps bitumineux;
et la douleur les fait fuir. D'ailleurs, en que beaucoup de plantes aient des
odeurs repoussantes, ils ne s'inquiètent en rien de la mauvaise odeur pour
elle-même, à moins que l'odeur n'agisse sur leur goût et n'importe à leur
alimentation. Comme les sens sont en nombre impair, et que tout
nombre impair a un milieu, il semble que l'odorat tienne aussi une sorte de
place moyenne, d'une part entre les sens qui touchent directement leurs
objets, je veux dire le toucher et le goût; et de l'autre, entre les sens qui
ne perçoivent que par un intermédiaire, je veux dire la vue et l'ouïe. Voilà
aussi pourquoi l'odeur est à la fois une qualité des aliments, (et les aliments
appartiennent au même genre que le toucher), et une qualité des milieux
nécessaires à la vue et à l'ouïe; en d'autres termes, on odore dans l'air et
dans l'eau. Ainsi, l'odorable est quelque chose de commun à ces deux
éléments, et se retrouve également dans le milieu propre du toucher, dans
celui de l'ouïe et dans le diaphane. C'est donc avec quelque raison qu'on a
pu assimiler l'odeur à une sorte de teinture et d'ablution de la sécheresse
qui est dans l'humide et dans le fluide. Bornons-nous à ce qui précède sur la question de
savoir jusqu'à quel point l'odeur a ou n'a pas d'espèces. Mais il est une opinion soutenue par quelques
Pythagoriciens, qui n'est pas fort exacte : ils prétendent qu'il y a des
animaux qui se nourrissent d'odeurs. D'abord nous voyons que toute nourriture
doit être composée, car les êtres qui se nourrissent ne sont pas simples
eux-mêmes; et voilà pourquoi il se forme des résidus des aliments, soit dans
les êtres eux-mêmes, soit en dehors, comme dans les végétaux. De plus, l'eau
toute seule et sans mélange est incapable de nourrir, car il faut toujours
que la matière qui doit être assimilée ait une sorte de solidité corporelle ;
à bien plus forte raison ne peut-on, avec quelque apparence, supposer que
l'air puisse prendre un corps. Ajoutons que tous les animaux ont un organe
qui reçoit la nourriture, et d'où le corps la tire pour se l'assimiler ; mais
l'organe qui perçoit l'odeur est placée dans la tête, et l'odeur entre avec
l'exhalaison aériforme de sorte qu'elle va au lieu même qui sert à respirer. Il est donc évident que l'odorable, en tant
qu'odorable, ne contribue en rien à l'alimentation. Mais il n'est pas moins
clair qu'il contribue à la santé comme le prouve la sensation même, et comme
le prouve aussi ce que nous venons de dire. Par conséquent, le rôle que la
saveur joue dans la nourriture, pour les êtres quand ils se nourrissent,
l'odeur le remplit pour la santé. Bornons-nous aux détails qui précèdent sur chacun des organes des
sens. |
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Lectio
14 |
Leçon 14 ─ L’odeur chez les
animaux inférieurs, et autres questions (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81348] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 1 Postquam philosophus
ostendit quod homines et quaedam alia animalia odorant respirando, hic
inquirit quomodo animalia non respirantia odorant. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit quid circa huiusmodi animalia sit manifestum. Secundo quid
circa ea sit dubium, ibi, quomodo autem et cetera. Dicit ergo primo
manifestum esse quod animalia quae non respirant, sentiant odorabile, ex hoc
quod videmus pisces et omne genus entomorum, idest insectorum animalium,
sicut sunt formicae, apes, et huiusmodi, acute sentire de longe nutrimentum
suum, quando distant a proprio cibo, plus quam per proprium visum possent id
percipere. Unde manifestum est, quod id percipiunt propter nutritivam speciem
odoris, scilicet inquantum sentiunt illam odoris speciem, quae proportionatur
sapori, et indicat qualitatem nutrimenti. |
Après avoir montré
que les hommes et d’autres animaux perçoivent l’odeur en respirant, le
Philosophe recherche ici comment les animaux qui ne respirent pas perçoivent
l’odeur. Et il traite ce sujet en deux parties. En premier, il montre ce qui
est évident au sujet de ces animaux. En deuxième, il montre ce qui est
douteux, où il dit : Ce qu’on ne
sait pas également bien, etc. Il dit donc en premier qu’il est évident
que les animaux qui ne respirent pas sentent les odeurs, car nous voyons que
les poissons et tous les animaux à segments ou insectes, comme les fourmis,
les abeilles et autres, sentent de loin leur nourriture, quand ils en sont
éloignés, plus qu’ils ne pourraient la repérer par leur sens de la vue. Il
est donc évident qu’ils la perçoivent grâce à l’espèce nutritive de l’odeur,
en tant qu’ils sentent l’espèce d’odeur qui est proportionnée à la saveur et
indique la qualité de la nourriture. |
[81349] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 2 Et ponit exemplum de
apibus, quae longe moventur ad suum cibum quaerendum, scilicet mel, et de
quibusdam formicis parvis, quae habent sex pedes, et quibusdam animalibus
aliis, quae purpurae vocantur propter colorem, et similiter multa animalia
non respirantia inveniuntur, quae acute a remotis sentiunt suam escam propter
odorem. |
Et il donne
l’exemple des abeilles, qui s’en vont loin pour chercher leur nourriture, le
miel par exemple, et de certaines petites fourmis qui ont six pattes ainsi
que de petits animaux qui sont appelés pourpriers à cause de leur couleur; on
trouve pareillement beaucoup d’animaux qui ne respirent pas et qui perçoivent
vivement et à longue distance leur nourriture à cause de l’odeur. |
[81350] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 3 Deinde cum dicit
quomodo autem ostendit quid circa huiusmodi animalia sit dubium. Et circa hoc
tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo solvit, ibi, sed non forte
eodem. Tertio manifestat solutionem magis per simile, ibi, similiter autem et
aliorum. Dicit ergo primo, quod, cum manifestum sit quod praedicta animalia
sentiunt odorem, non est manifestum quomodo sentiant odorem. Et ratio
dubitationis est, quia omnia animalia respirantia percipiunt odorem uno modo,
scilicet respirando. Hoc enim per experimentum apparet accidere in omnibus animalibus
respirantibus. Sed circa praedicta animalia apparet quod non respirant et tamen
sentiunt odorabile. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ce qu’on ne sait pas
également bien, etc., il montre
ce qui est douteux au sujet de ces animaux. Et il traite ce sujet en trois
points. En premier, il soulève le doute. En deuxième, il le résout, où il
dit : mais ce n’est peut-être pas
de la même façon, etc. En troisième, il clarifie davantage la solution par
une comparaison, où il dit : De
même aucun des animaux, etc. Il dit donc en premier que, alors qu’il est
évident que ces animaux sentent l’odeur, leur manière de la sentir n’est pas
évidente. Et la raison de ce doute est que tous les animaux qui respirent perçoivent
l’odeur de la même façon, en respirant. L’expérience semble montrer que c’est
le cas de tous les animaux qui respirent. Mais il semble que les autres
animaux dont il est question ne respirent pas et pourtant sentent l’odorant. |
[81351] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 4 Posset autem aliquis
assignare rationem, dicens quod quodam alio sensu, qui est propter quinque
sensus nominatos, huiusmodi animalia sentiunt odorabile; et posset videri
responsio probabilis, quia sentire est pati quoddam, unde diversus modus
sentiendi est quasi diversus modus patiendi, qui indicat diversitatem
potentiae passivae, sicut diversus modus agendi significat diversitatem
virtutis activae: videmus enim quod quanto calor est fortior tanto calefactio
est vehementior; et sic ex parte passivorum quae alio modo patiuntur, aliam
potentiam passivam habere videntur; et sic quae alio modo sentiunt videntur
habere alium sensum. Sed quod alio modo sentiant odorabile est impossibile;
quia ubi est idem sensibile est idem sensus. Potentiae enim distinguuntur
secundum obiecta. Idem autem est sensibile, quod sentiunt utraque animalia,
scilicet odorabile. Unde non potest esse alius et alius sensus. |
On pourrait
pourtant en donner la raison en disant que c’est par un autre sens, différent
des cinq sens nommés, que ces animaux sentent l’odorant, et cette réponse
pourrait sembler probable, car sentir, c’est subir en quelque façon, et donc,
une façon de sentir différente est comme une façon de subir différente, qui
dénote une différence de puissance passive, comme une façon différente d’agir
dénote une différence de puissance active; nous voyohs en effet que plus la
chaleur est intense, plus le réchauffement est puissant; et ainsi, du côté
des puissances passives, ce qui subit différemment semble avoir une puissance
passive différente, et donc, ceux qui sentent d’une autre façon semblent
avoir un autre sens. Mais il est impossible qu’ils sentent l’odorant d’une
autre façon, car là où est le même sensible, il y a le même sens. En effet,
les puissances se distinguent selon les objets. Or, le sensible perçu par les
deux classes d’animaux est le même : c’est l’odorant. Il ne peut donc
pas y avoir deux sens différents. |
[81352] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 5 Deinde cum dicit sed
non forte solvit praemissam dubitationem per hoc quod idem odorabile sentiunt
cum eodem sensu, sed non eodem modo. Considerandum enim est quod modus
sentiendi potest diversificari dupliciter. Uno modo per se, quod est secundum
diversam habitudinem sensibilis ad sensum; et talis diversitas in modo
sentiendi diversificat sensum; puta quod unus sensus sentit sensibile
coniunctum, sicut tactus, alius autem sensibile remotum, sicut visus. Est et
alia diversitas in modo sentiendi per accidens, quae non diversificat sensum
et attenditur secundum remotionem prohibentis; et talis diversitas in modo
sentiendi est in proposito, quia in animalibus respirantibus per
respirationem removetur quoddam quod per modum cooperculi subiacet organo
odoratus; et ideo quando non respirant impediuntur ab odorando propter
huiusmodi cooperculum. Sed animalia non respirantia carent huiusmodi
cooperculo, et ideo non indigent respiratione ad odorandum, sicut videmus in
oculis, quod quaedam animalia, habent palpebras, quae si non aperiantur, non
possunt huiusmodi animalia videre. |
Puis lorsqu’il
dit : mais ce n’est être pas de la
même façon, etc., il résout ce doute en disant qu’ils sentent l’odorant
avec le même sens, mais pas de la même façon. Il faut remarquer en effet que
la manière de sentir peut se différencier de deux façons. La première façon
est essentielle, à savoir selon la différence des rapports entre le sensible
et le sens, et cette différence dans la manière de sentir cause la différence
des sens, par exemple quand un sens perçoit le sensible en contact avec lui,
comme le toucher, et un autre perçoit le sensible éloigné, comme la vue.
L’autre façon est une différence par accident dans la façon de sentir, qui ne
cause pas une différence de sens et est considérée selon l’enlèvment de
l’obstacle; et cette différence dans la façon de sentir est ce dont il est
question, car, chez les animaux qui respirent, la respiration enlève quelque
chose qui se trouve sous l’organe de l’odorat à la manière d’un couvercle, et
donc, quand ils ne respirent pas, ils sont empêchés de percevoir l’odeur à
cause de ce couvercle. Mais les animaux qui ne respirent pas n’ont pas un tel
couvercle, et ils n’ont donc pas besoin de la respiration pour sentir
l’odeur; nous voyons cela aussi pour les yeux, car certains animaux ont des
paupières, et, si elles ne sont pas ouvertes, ces animaux ne peuvent pas
voir. |
[81353] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 14 n. 6 Huiusmodi autem palpebras dedit natura animalibus
indigentibus acutiori visu propter securitatem oculi ut oculus conservetur.
Unde animalia habentia duros oculos, quasi non indigentia acuto visu, non
habent huiusmodi palpebras, et ideo non indigent aliquo motu aperiente
palpebras ad videndum, sed statim oculos habent ad videndum, et facultatem
nullo remoto. |
La nature a donné
des paupières aux animaux qui ont besoin d’une vision plus aiguë pour assurer
la sécurité et la conservation de l’œil. C’est pourquoi les animaux qui ont
des yeux durs, comme ils n’ont pas besoin d’une vision aiguë, n’ont pas de
telles paupières et n’ont donc pas besoin d’un mouvement d’ouverture des
paupières pour voir, mais leurs yeux ont la faculté de voir immédiatement,
sans que rien ne soit enlevé. |
[81354] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 7 Deinde cum dicit
similiter autem manifestat praedictam solutionem per aliud simile per
olfactum, in quo est quaedam alia diversitas, inter animalia, quae non
diversificat sensum. Nullum enim aliorum animalium, praeter hominem, graviter fert ea quae
habent foetidum odorem secundum seipsa, idest non per comparationem ad
nutrimentum. Et hoc quidem superius dixerat. |
Puis lorsqu’il
dit : De même aucun des animaux, etc.,
il manifeste cette solution par une autre comparaison concernant l’odorat,
dans lequel il y a une différence entre les animaux qui ne cause pas des sens
différents. En effet, aucun des animaux autres que l’homme ne souffre
gravement du fait des substances qui ont une odeur repoussante en
elles-mêmes, c'est-à-dire pas en rapport avec l’alimentation. Et c’est
quelque chose qu’il a dit plus haut. |
[81355] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 8 Sed poterat esse
circa haec dubitatio ex hoc quod quaedam animalia videntur huiusmodi foetidos
odores fugere. Et ideo repetit ut hanc dubitationem removeret; et dicit, quod
alia animalia non fugiunt odores secundum se foetidos nisi per accidens,
inquantum, scilicet accidit huiusmodi foetidum odorem esse corruptivum. Cum
enim odor causetur ex calido, humido et sicco, ut supra dictum est: quandoque
contingit quod foetidus odor provenit ex magna distemperantia in praedictis
qualitatibus, et sic simul cum odore immutatur medium ad aliquam pessimam
passivam dispositionem, quae corrumpit corpora aliorum animalium, sicut et
hominis; quam quidem immutationem alia animalia sentiunt per sensum tactus,
et ideo fugiunt huiusmodi foetida. |
Mais il pouvait y
avoir un doute à ce sujet du fait que certains animaux semblent fuir de
telles odeurs repoussantes. C’est pourquoi il revient là-dessus pour écarter
ce doute : il dit que les autres animaux ne fuient pas les odeurs qui
sont repoussantes en elles-mêmes, sinon par accident, en tant que cette odeur
repoussante aurait un effet destructeur. En effet, puisque l’odeur est causée
par le chaud, l’humide et le sec, comme on l’a dit plus haut, il arrive
parfois qu’une odeur repoussante provienne d’un grand déséquilibre de ces
qualités, et ainsi, en même temps que l’odeur, le milieu est perturbé et
acquiert une très mauvaise disposition passive qui corrompt les corps des
autres animaux aussi bien que celui de l’homme; les autres animaux sentent
cependant cette impression par le sens du toucher, et c’est pourquoi ils
fuient ces odeurs repoussantes. |
[81356] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 14 n. 9 Et ponit exemplum, quod homines patiuntur gravedinem
capitis a fumo carbonum propter eius distemperantiam et quandoque usque ad
corruptionem. Similiter est de sulphure. Unde animalia fugiunt huiusmodi
corruptiva propter passionem corporis, quam sentiunt; sed de ipsa foetiditate
odoris secundum se considerata non curant, quamvis multa terrae nascentium
habeant foetidos odores nisi secundum quod foetiditas odoris repraesentat
aliquod circa gustum, vel circa convenientiam proprii nutrimenti. |
Et il donne comme
exemple le fait que les hommes souffrent de maux de tête causées par les
fumées de charbon en raison de leur déséquilibre et que cela entraîne parfois
même la mort. Il en va de même pour le soufre. Les animaux fuient donc ces
odeurs destructrices à cause de la souffrance qu’ils sentent dans leurs
corps, mais ils ne se soucient pas de la répugnance de l’odeur considérée
comme telle, bien que beaucoup de
choses qui naissent de la terre aient des odeurs fétides, sinon en tant
que les odeurs fétides représentent quelque chose qui concerne le goût ou la
convenance de leur nourriture propre. |
[81357] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 10 Deinde cum dicit
videtur autem comparat sensum odoratus ad alios sensus. Et primo determinat
veritatem. Secundo excludit errorem, ibi, quod autem quidam. Circa primum
considerandum est quod secundum consuetudinem Pythagoricorum philosophus
utitur huiusmodi proprietate numeri ad ostendendum comparationem sensuum.
Numerus enim impar non potest dividi in duo media, sicut par; sed in medio
remanet aliquid indivisum inter duas partes aequales, sicut in quinario
remanet unitas media inter duo et duo. Cum autem sensus sint in impari numero
constituti, scilicet quinario, duo eorum sunt tactivi, quia scilicet sentiunt
suum sensibile coniunctum non per medium extraneum, scilicet tactus et
gustus; duo autem eorum, scilicet visus et auditus, sentiunt suum sensibile
remotum per alia, idest per extrinseca media. Odoratus autem in medio
utrorumque, unde et cum utriusque convenit: cum tactu quidem et gustu, qui
sunt sensus nutrimenti, ut dicitur in secundo de anima, inquantum odorabile
est quaedam passio nutritivorum secundum quod odor proportionatur sapori. Et
sic tangibilia et gustabilia sunt in eodem genere cum odoribus: et est idem
genus visibilis et audibilis et odorabilis, inquantum scilicet utraque
cognoscuntur per medium extraneum. Unde odorant animalia per aerem et aquam,
sicut vident et audiunt. Et sic patet quod odorabile est aliquid commune utrisque.
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Ensuite, lorsqu’il
dit : Comme les sens sont en
nombre impair, etc., il compare le sens de l’odorat aux autres sens. Et
en premier, il établit la vérité. En deuxième, il écarte une erreur, où il
dit : Mais il est une opinion
soutenue, etc. Pour le premier point, il faut remarquer que le Philosophe
utilise, selon la coutume des Pythagoriciens, une telle propriété des nombres
pour montrer comment les sens se comparent. En effet, un nombre impair ne
peut pas se diviser en deux moitiés, comme un nombre pair, mais il reste
quelque chose au milieu qui n’est pas divisé entre deux parties égales, comme
dans le nombre 5 il reste un au milieu entre 2 et 2. Or, les sens étant en
nombre impair, car il y en a, deux sont tactiles, car ils sentent le sensible
avec lequel ls sont en contact; ce sont le toucher et le goût. Deux autres,
la vue et l’ouïe, perçoivent leur sensible à distance par autre chose, à
savoir des milieux extrinsèques. L’odorat se situe au milieu des deux et a
donc quelque chose de commun avec les deux : avec le toucher et le gout,
qui sont les sens de l’alimentation, comme il est dit au livre II du Traité de l’âme, en tant que l’odorant
est une propriété des substances nutritives qui rend l’odeur proportionnée à
la saveur. Et ainsi, les substances qui peuvent touchées et goûtées sont du
même genre que les odeurs, et celles qui peuvent être vues, entendues et
touchées appartiennent aussi à un même genre en tant que chacune est connue
par un milieu extérieur. C’est pourquoi les animaux sentent par l’air et par
l’eau, et ils voient et entendent aussi par ces moyens. Et ainsi, il est
évident que l’odorant est commun aux deux genres. |
[81358] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 14 n. 11 Inest enim tactuali, secundum quod est passio
nutrimenti, et sic concurrit in eodem cum tangibili et gustabili qualitate;
et similiter inest perspicuo et audibili, idest percipitur per medium
perspicuum, per quod videtur, et per quod etiam auditur, idest per aerem et
aquam; licet non inquantum huiusmodi sunt perspicua, sed inquantum sunt
susceptiva enchymae siccitatis, ut supra dictum est. Et ideo a quibusdam
rationabiliter ista duo assimilantur, ut esse enchymae siccitatis odoriferae
in humido aqueo et fusibili, idest aereo propter facilem diffusionem, sit
sicut tinctura quaedam, quae refertur ad immutationem medii a colore, et
sicut lotura, quae refertur ad sapores, quia scilicet odor habet
convenientiam cum utrisque. Et post hoc epilogando concludit, dictum esse
quomodo oporteat distinguere species odorabilis, et quomodo non, inquantum
scilicet accipiuntur odores secundum seipsos. |
Il se trouve en
effet dans le touchable en tant qu’il est une propriété de la nourriture, et
ainsi, il a ce trait commun avec la qualité touchable et goûtable; il a
également un trait commun avec le transparent et l’audible, c'est-à-dire
qu’il est perçu à travers un milieu transparent, par lequel on voit et par
lequel on entend également, à savoir l’air et l’eau; pourtant, ce n’est pas
en tant que ces milieux sont transparents, mais en tant qu’ils peuvent
recevoir les enchymes de la sécheresse, comme on l’a dit. C’est pourquoi
certains comparent raisonnablement ces deux choses : l’être de la sécheresse
enchyme odoriférante dans l’humidité aqueuse et fluide, c'est-à-dire aérienne
parce qu’elle se dissipe facilement, est comme une teinture, ce qui évoque l’impression
du milieu par la couleur, et comme un lavage, ce qui évoque les saveurs,
parce que l’odeur a quelque chose en commun avec les deux. Et après cela, il
dit pour conclure qu’on a expliqué comment il faut distinguer les espèces
d’odorant et comment il ne faut pas les distinguer, c'est-à-dire en tant que les
odeurs sont considérées en elles-mêmes. |
[81359] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 12 Deinde cum dicit
quod autem excludit errorem. Et circa hoc tria facit. Primo narrat erroneam
opinionem. Secundo improbat eam, ibi, primum quidem enim. Tertio respondet
tacitae obiectioni, ibi, quod quidem igitur. Dicit ergo primo, non esse
rationabile quod quidam Pythagorici dixerunt, quaedam animalia nutriri
odoribus: secundum quos, odoratus non esset medius inter sensus, ut dictum
est, sed omnino connumerandus est sensibus nutrimenti. Movebantur autem ad
hoc dicendum, quod videbant homines et animalia confortari odoribus. |
Puis lorsqu’il
dit : Mais il est une opinion, etc.,
il écarte une erreur. Et il le fait en trois temps. En premier, il relate
l’opinion erronée. En deuxième, il la réfute, où il dit : D’abord nous voyons que toute nourriture, etc.
En troisième, il répond à une objection tacite, où il dit : Mais il n’est pas moins clair, etc. Il
dit donc en premier que certains Pythagoriciens ont dit quelque chose qui
n’est pas raisonnable, à savoir que certains animaux se nourrissent
d’odeurs : selon eux, l’odorat n’est pas le milieu parmi les sens, comme
on l’a dit, mais il faut le ranger totalement parmi les sens de
l’alimentation. Ils étaient poussés à dire cela parce qu’ils voyaient que les
hommes et les animaux sont réconfortés par les odeurs. |
[81360] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 13 Deinde cum dicit
primum quidem improbat praedictam opinionem duabus rationibus. Quarum prima
est, quia oportet cibum compositum esse ex pluribus elementis. Simplicia enim
elementa non nutriunt, quia animalia, quae ex his nutriuntur, composita sunt
ex elementis. Ex eisdem autem nutritur aliquid ex quibus est: ut dictum est
in secundo de generatione. Et per huiusmodi signum concludit quod ex cibis
generatur aliqua superfluitas interius, sicut patet in animalibus intra
quorum corpora sunt quaedam loca deputata ad congregationem superfluitatum,
vel exterius emittitur, sicut patet de gummis arborum et de aliis huiusmodi.
Si autem aliquod animal vel planta, nutriretur simplici elemento, nulla
fieret superfluitas, cum non sit ibi aliqua difformitas partium: cum autem
nullum elementum sit aptum nutritioni propter simplicitatem. |
Puis lorsqu’il
dit : D’abord nous voyons que
toute nourriture, etc., il réfute cette opinion par deux arguments. Le
premier est qu’il faut que la nourriture soit composée de plusieurs éléments.
En effet, les éléments simples ne nourrissent pas, car les animaux qui en
sont nourris sont composés des éléments. Or, les êtres sont nourris par cela
même dont ils sont faits, comme il est dit au livre II du Traité de la génération. Et il conclut
de ce signe qu’à partir des aliments, des déchets sont produits à
l’intérieur, comme on le constate chez les animaux dans le corps desquels
certains endroits sont réservés au rassemblement des déchets, ou bien les
déchets sont émis à l’extérieur, comme on le constate pour la résine des
arbres ou des substances du genre. Mais si un animal ou une plante était
nourri d’un élément simple, aucun déchet ne serait produit, puisqu’il n’y
aurait pas d’hétérogénéité des parties, étant donné qu’aucun élément n’est
capable de nourrir, à cause de sa simplicité. |
[81361] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 14 Adhuc amplius aqua
habet speciale impedimentum quare sola non possit nutrire sine commixtione
alicuius terrestris; sicut agricultores adhibent fimum, ut aqua commixta
nutriat plantas: quia nutrimentum constituit et generat aliquid in substantia
nutriti, et ideo oportet quod sit aliquid corporale et solidum, quod non
competit aquae. Unde aqua sola non potest nutrire, et multo minus aer: unde
relinquitur quod odor nutrire non possit. Manifestum est enim quod odor, cum
sit qualitas, secundum se non potest nutriendo constituere substantiam, nisi
forte ratione susceptivi, quod est aer vel aqua. Et si odor esset evaporatio
vel fumalis exhalatio, ut antiqui dixerunt, adhuc ratio remanet, quia
utrumque pertinet ad naturam aeris, ut supra dictum est. |
Qui plus est, l’eau
est spécialement empêchée de nourrir seule sans être mélangée à quelque chose
de terrestre; c’est ainsi que les agriculteurs utilisent du fumier pour que,
mélangé à l’eau, il nourrisse les plantes, car la nourriture constitue et
engendre quelque chose dans la substance de ce qui est nourri; il faut donc
que ce soit quelque chose de corporel et de solide, ce qui n’est pas le cas
de l’eau. C’est pourquoi l’eau ne peut pas nourrir, et l’air encore bien
moins; il reste donc que l’odeur ne peut pas nourrir. Il est évident en effet
que l’odeur, puisqu’elle est une qualité, ne peut pas en elle-même constituer
une substance en nourrissant, sauf peut-être du fait de ce qui la reçoit,
c'est-à-dire l’air ou l’eau. Et si l’odeur était une évaporation ou une
exhalaison fumeuse, comme le disaient les anciens, l’argument tiendrait quand
même, car les deux sont de la nature de l’air, comme on l’a dit. |
[81362] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 15 Secundam rationem
ponit ibi, cum his. Et dicit quod in omnibus animalibus est aliquis locus, in
quo primo recipitur cibus scilicet stomachus, unde derivatur ad singulas
partes corporis. Quia vero animalia plurima respirando odorant, si
consideremus ipsum odorabile, manifestum est quod sentitur organo circa cerebrum
existente, ut supra dictum est. Ipse autem aer respiratus, cum quo odor attrahitur,
vadit ad locum respirativum, idest ad pulmonem. Manifestum est autem
quod in animalibus, neque cerebrum neque pulmo est locus recipiens cibum.
Unde manifestum est quod odor non nutrit, confortat autem propter
immutationem, quae est a calido humido et sicco, et propter delectationem,
sicut et malus odor corrumpit, ut supra dictum est. |
Il présente le
deuxième argument où il dit : Ajoutons
que tous les animaux, etc. Et il dit que tous les animaux ont un endroit,
qui reçoit la nourriture en premier : c’est l’estomac, d’où elle
parvient à toutes les parties du corps. Alors, comme beaucoup d’animaux
sentent l’odeur en respirant, si nous considérons l’odorant comme tel, il est
évident qu’il est senti par un organe placé près du cerveau, comme on l’a
dit. Or, l’air respiré, avec lequel l’odeur est aspirée, va au lieu de la respiration, c'est-à-dire
au poumon. Mais il est évident que
chez les animaux, ni le cerveau ni le poumon n’est l’endroit qui reçoit la
nourriture. Il est donc évident que l’odeur ne nourrit pas, mais elle
réconforte à cause de l’impression produite par la chaleur humide et sèche et
à cause du plaisir, de même qu’une mauvaise odeur corrompt, comme on l’a dit. |
[81363] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 16 Deinde cum dicit
quod quidem respondet tacitae obiectioni. Posset enim aliquis obiicere. Si
odor non nutrit, ergo ad nihil est utilis. Sed ipse respondet quod licet non
nutriat, tamen confert ad sanitatem, sicut manifestum est ad sensum et per ea
quae supra dicta sunt. Unde concludit quod sicut sapor ordinatur ad
nutritionem, ita odor ad sanitatem. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Mais il n’en est pas moins
clair, etc., il répond à une objection tacite. On pourrait en effet
soulever l’objection que si l’odeur ne nourrit pas, elle n’est donc utile à
rien. Mais il répond que bien qu’elle ne nourrisse pas, elle est quand même
utile à la santé, comme c’est évident aux sens et d’après ce qu’on a dit plus
haut. Il conclut donc que de même que la saveur est ordonnée à la nutrition,
de même l’odeur est ordonnée à la santé. |
[81364] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 14 n. 17 Ultimo autem
epilogando concludit quod dictum est de sensibilibus secundum unumquodque
organum sensus. |
En dernier, il
conclut qu’on a parlé des choses sensibles perçues par chacun des organes des
sens. |
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Leçon 15 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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On peut se demander si tout corps étant divisible
à l'infini, les impressions sensibles que les corps nous causent se divisent
aussi de cette façon; et je prendrai pour exemple les impressions que nous
recevons de la couleur, de la saveur, de l'odeur, du son, du poids, du froid,
du chaud, du léger, du dur et du doux? Ou bien cette division infinie
est-elle impossible? D'abord chacune de ces qualités produit la sensation; et
toutes, elles n'ont reçu leurs noms divers que parce qu'elles peuvent la
produire. Si la force se divise à l'infini, par suite il faudrait
nécessairement que la sensation se divisât aussi de même, et que toute
grandeur fût sensible, puisqu'on ne peut voir qu'un objet est blanc, si en
même temps cet objet n'a quelque dimension. S'il en était autrement, il pourrait y avoir des
corps qui n'auraient ni couleur, ni poids, ni aucune autre qualité de ce
genre, qui par conséquent ne seraient pas non plus du tout perceptibles pour
nous, puisque ce sont là les qualités sensibles; et ainsi le sensible serait
composé de parties qui échapperaient à nos sens. Mais il est absolument
nécessaire qu'un corps soit composé de parties sensibles; car certainement il
ne peut pas l'être de parties mathématiques. Mais comment jugeons-nous et connaissons-nous
toutes les choses sensibles? Est-ce par l'intelligence? Mais ce ne sont pas
là des choses intelligibles, et l'intelligence ne peut pas penser les choses
du dehors si elles ne sont pas accompagnées de la sensation; elle les connaît
en même temps que l'organe les sent. S'il en est ainsi [et que les corps soient
composés de parties insensibles], cela semblerait donner raison à ceux qui
admettent des grandeurs indivisibles; car par là le problème serait résolu.
Mais tout ceci est impossible, et c'est ce qu'on a prouvé dans les études sur
le Mouvement. La solution de ces questions nous permettra en
même temps de voir avec évidence pourquoi les sensations spécifiquement
causées par la couleur, la saveur, les sens et les autres objets sensibles,
sont limitées. C'est que dans toutes les choses qui ont des extrêmes, il faut
aussi que les points intermédiaires soient limités; or, ce sont les
contraires qui sont les extrêmes, et dans tout ce qui est perçu par nos sens
il y a toujours des contraires, par exemple dans la couleur c'est le blanc et
le noir, et dans la saveur, le doux et l'amer. Dans tous les autres sens, les
contraires sont pareillement les extrêmes. Ainsi donc, tout corps continu peut être divisé
en un nombre infini de parties, si les parties qu'enlève la division sont
inégales; mais si ces parties sont égales le nombre en sera limité. Quant à
ce qui n'est pas continu par soi-même, les espèces dans lesquelles il se
divise sont limitées. Puis donc qu'il faut reconnaître les qualités des
corps pour des espèces, et que la continuité se retrouve aussi toujours en
elles, on doit ici distinguer avec soin ce qui est en acte de ce qui n'est
qu'en puissance ; et voilà comment la dix-millième partie d'un grain nous
échappe, bien que cependant nous la voyions, et que notre vue la parcoure.
C'est encore ainsi que le son du dièse nous échappe également, bien qu'on
entende parfaitement toute la mélodie sans discontinuité; mais l'intervalle
intermédiaire nous est imperceptible et se perd dans les derniers sons. Il en
est de même pour les choses infiniment petites qui ressortent aux autres
sens; elles sont visibles en puissance, mais elles ne le sont en acte que
quand elles sont isolées. C'est ainsi que la ligne d'un pied est bien en
puissance dans la ligne de deux pieds ; mais elle n'est en acte que quand
elle est seule. Du reste on comprend sans peine que des quantités
excessivement petites, quand elles sont séparées, se perdent facilement dans
les corps qui les environnent, comme un grain de parfum se perd dans la mer
où on le verse. Cependant comme cette quantité excessivement petite qui
dépasse la sensation, n'est point sensible par elle-même, elle ne l'est pas
davantage quand elle est séparée; car avec cette ténuité extrême elle n'est
qu'en puissance dans une quantité qu'on peut percevoir plus exactement
qu'elle. Il s'ensuit qu'un objet sensible de ce genre ne pourrait être senti
en acte, même s'il était séparé; et cependant il faut dire qu'il est sensible,
car il l'est déjà en puissance; et il le deviendra en acte si on l'accroît. On voit donc qu'il y a certaines grandeurs, certaines qualités des
corps, qui nous échappent; et l'on a dit pourquoi et comment elles sont
sensibles et ne le sont pas. Mais lorsqu'elles sont assez nombreuses dans un
corps pour être perceptibles en acte, et pour l'être, non pas seulement dans
l'ensemble du corps lui-même, mais encore quand elles en sont séparées, il
faut nécessairement qu'il y ait des limites aux impressions causées par les
couleurs, les saveurs et les sons. |
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Lectio
15 |
Leçon 15 ─ L’odeur chez les
animaux inférieurs, et autres questions (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81365] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 1 Postquam philosophus
determinavit de organis sensuum et de sensibilibus, hic determinat quasdam
quaestiones circa sensum et sensibilia et primo movet quamdam quaestionem
circa ipsa sensibilia. Secundo movet aliam circa immutationem sensus a
sensibili, ibi, obiiciet utique aliquis. Tertio movet tertiam circa ipsum
sensum, ibi, est autem quaedam obiectio. Circa primum tria facit. Primo movet
quaestionem, ibi, aut impossibile. Tertio solvit, ibi de solutione autem
eorum. Dicit ergo primo, quod omne corpus in infinitum dividitur: hoc enim
est de ratione continui, ut patet in libro physicorum. Qualitates autem
sensibiles, quae passiones dicuntur, ut dicitur in praedicamentis, sunt in
corpore aliquo sicut in subiecto. Est ergo quaestio, quam quis obiicere
potest, utrum et ipsae qualitates sensibiles, scilicet color et sapor et alia
huiusmodi in infinitum dividantur. |
Après avoir traité
des organes des sens et des objets sensibles, le Philosophe traite maintenant
de certaines questions entourant la sensation et les objets sensibles; et en
premier, il soulève une question concernant les objets sensibles eux-mêmes.
En deuxième, il en soulève une autre au sujet de l’impression des objets
sensibles sur les sens, où il dit : On
pourrait se demander encore, etc. (leçon XVI). En troisième, il soulève
une troisième question au sujet du sens lui-même, où il dit : Abordons encore une autre question, etc.
(leçon XVII). Il traite la première partie en trois points. En premier, il
soulève la question. En deuxième, il présente les arguments à son sujet, où
il dit : Ou bien cette division
infinie, etc. En troisième, il la résout, où il dit : La solution de ces questions, etc. Il
dit donc en premier que tout corps se divise à l’infini : cela découle
en effet de la notion de continu, comme il est démontré dans le livre des Physiques. Or, les qualités sensibles,
qui sont appelées propriétés, comme il est dit dans les Catégories, sont dans un corps comme dans leur sujet. Donc
l’objection qu’on pourrait soulever est celle de savoir si les qualités
sensibles, comme la couleur, la saveur et ainsi de suite, se divisent à
l’infini. |
[81366] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 2 Deinde cum dicit aut
impossibile obiicit ad quaestionem motam. Et primo ad ostendendum quod
qualitates sensibiles non dividuntur in infinitum. Secundo ad oppositum, ibi,
si enim non sic. Tertio excludit quamdam solutionem, ibi, sed si haec habent
sic. Dicit ergo primo, quod impossibile videtur qualitates sensibiles dividi
in infinitum, quia unaquaeque praedictarum sensibilium qualitatum est nata
agere in sensum. In hoc enim propria ratio uniuscuiusque earum consistit, ut moveat
sensum, sicut ad rationem coloris pertinet quod possit movere visum. Si ergo
praedictae qualitates in infinitum dividuntur, consequens erit quod sensus,
id est ipsum sentire, in infinitum dividatur, secundum quod moveri dividitur
in infinitum secundum divisionem magnitudinis, secundum quam aliquid movetur:
et ita sequeretur, quod sicut id quod movetur pertransit quamlibet
magnitudinem, ita sentiens sentiret omnem magnitudinem quantumcumque parvam,
et sic omnis magnitudo esset sensibilis. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ou bien cette division
infinie, etc., il argumente au sujet de la question soulevée. Et en
premier, pour montrer que les qualités sensibles ne se divisent pas à
l’infini. En deuxième, il argumente en sens contraire, où il dit : S’il en était autrement, etc. En
troisième, il rejette une certaine
solution, où il dit : S’il en est
ainsi et que les corps, etc. Il dit donc en premier qu’il semble
impossible que les qualités sensibles se divisent à l’infini, car chacune de
ces qualités sensibles est de nature à agir sur le sens. En effet, le
caractère propre de chacune d’entre elles consiste en ce qu’elle affecte le
sens, comme le caractère de la couleur consiste en ce qu’elle peut affecter
la vue. Si donc ces qualités se divisent à l’infini, il s’ensuivra que le
sens, c'est-à-dire le fait même de sentir, se diviserait à l’infini, du fait
que le mouvement se divise à l’infini selon la division de l’espace dans
lequel l’objet se déplace; et il s’ensuit ainsi que de même que l’objet qui
se déplace parcourt n’importe quelle distance, de même l’être qui sent
sentirait n’importe quelle grandeur, si petite soit-elle, et ainsi toute grandeur
serait sensible. |
[81367] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 3 Subdit autem
rationem quare non concludit etiam puncta esse sensibilia; quia impossibile
est videre album quod non sit quantum; et eadem ratio est de sensibilibus
aliis. Huius autem ratio est quia sensus est virtus in magnitudine, cum sit
actus organi corporei: et ideo non potest pati nisi ab habente magnitudinem.
Activum enim debet esse proportionatum passivo. Relinquitur autem pro
inconvenienti omnem magnitudinem esse sensibilem: quod quomodo sit
intelligendum, infra patebit; unde concludi potest, quod qualitates
sensibiles non dividuntur in infinitum. |
Et il ajoute la
raison pour laquelle il ne conclut pas que les points aussi sont
sensibles : il est impossible de voir le blanc qui n’a aucune quantité,
et la même raison vaut pour les autres sensibles. La raison en est que le
sens est une puissance dans un espace, puisqu’il est l’acte d’un corps
organique, et il ne peut donc être affecté que par un être ayant une
grandeur. En effet, ce qui agit doit être proportionné à ce qui subit. Il
reste donc le problème du fait que toute grandeur est sensible; on verra plus
loin comment cet énoncé doit être compris; on peut donc conclure que les
qualités sensibles ne se divisent pas à l’infini. |
[81368] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 15 n. 4 Deinde cum dicit si enim obiicit ad oppositum duabus
rationibus. Quarum prima talis est. Si qualitates sensibiles non dividantur,
contingit esse aliquod corpus minimum transcendens divisionem sensibilium
qualitatum nullam habens sensibilem qualitatem, idest neque colorem, neque
gravitatem, neque aliquod aliud huiusmodi; et ita huiusmodi corpus non erit
sensibile, quia solae praedictae qualitates sunt sensibiles. Cum igitur
huiusmodi parva corpora sint partes totius corporis, quod est sensibile,
sequitur quod corpus sensibile sit compositum non ex sensibilibus. Sed
necesse est sensibile corpus ex sensibilibus componi. Non enim potest dici,
quod corpus sensibile componatur ex mathematicis, scilicet corporibus, in quibus
consideratur quantitas, sine qualitatibus sensibilibus. Relinquitur ergo quod
oportet qualitates sensibiles in infinitum dividi. |
Ensuite, où il
dit : S’il en était autrement, etc.,
il argumente en sens contraire, présentant deux arguments. Voici le premier.
Si les qualités sensibles ne se divisent pas, il peut exister un corps de
quantité minimale qui n’est pas soumis à la division des qualités sensibles,
n’ayant aucune qualité sensible, c'est-à-dire ni couleur, ni pesanteur, ni
rien d’autre du genre; et ainsi, un tel corps ne serait pas sensible, car
seules ces qualités sont sensibles. Mais puisque de tels petits corps sont
des parties de tout le corps, qui est sensible, il s’ensuit qu’un corps
sensible serait composé de corps non sensibles. Mais il est nécessaire qu’un
corps sensible soit composé de parties sensibles. On ne peut pas dire en
effet qu’un corps sensible serait composé d’êtres mathématiques, c'est-à-dire
de corps dans lesquels on considérerait la quantité sans les qualités
sensibles. Il reste donc que les qualités sensibles se divisent forcément à
l’infini. |
[81369] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 5 Secundam rationem
ponit ibi, amplius quoniam. Et procedit ratio sua ex hoc quod, anima nata est
cognoscere omnia vel secundum sensum, vel secundum intellectum, ut habitum
est in tertio de anima. Si ergo praedicta minima corpora, quae transcendunt
divisionem qualitatum sensibilium, non fuerint sensibilia, utpote
sensibilibus qualitatibus carentia, non possunt iudicari nisi per
intellectum, ut cognoscantur per ipsum. Sed non potest dici quod sunt
intelligibilia. Nihil enim eorum quae sunt extra animam, intellectus
intelligit, nisi cum sensu eorum, idest simul ea sentiendo. Si ergo huiusmodi
minima corpora non sentiuntur, intelligi non poterunt. |
Il donne la
deuxième raison où il dit : Mais
comment jugeons-nous, etc. Et son argument est fondé sur le fait que
l’âme est apte à connaître toutes choses soit par les sens, soit par
l’intelligence, comme on l’a vu au livre III du Traité de l’âme. Si donc ces corps minuscules, qui échappent à la
division de leurs qualités sensibles, n’étaient pas sensibles parce qu’ils
sont privés de qualités sensibles, on ne pourrait en juger que par
l’intelligence, en tant que connus par elle. Mais on ne peut pas dire qu’ils
sont intelligibles. En effet, aucun des êtres extérieurs à l’âme n’est
compris par l’intelligence, sinon par leur sensation, c'est-à-dire en même
temps qu’ils sont sentis. Si donc ces corps minuscules ne sont pas sentis,
ils ne peuvent pas être compris. |
[81370] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 15 n. 6 Dicit autem hoc ad excludendum opinionem Platonis,
qui posuit formas intellectas esse extra animam. Secundum autem Aristotelem
res intellectae sunt ipsae naturae rerum, quae sunt in singularibus, quae
quidem secundum quod in singularibus sunt, cadunt sub apprehensione sensus:
intellectus autem apprehendit huiusmodi naturas abstracte, et attribuit eis
quasdam intentiones intelligibiles, scilicet esse genus vel speciem; quae
quidem intentiones sunt solum in intellectu, non autem exterius. Unde solus
intellectus eas cognoscit. |
Il dit cela pour
écarter l’opinion de Platon, qui affirmait que les formes comprises sont
extérieures à l’âme. Selon Aristote, les choses comprises sont les natures
mêmes des choses, qui sont dans les singuliers et qui, du fait qu’elles sont
dans les singuliers, tombent sous la perception des sens; quant à
l’intelligence, elle comprend ces natures de façon abstraite et leur attribue
des notions intelligibles, comme le fait d’être un genre ou une espèce, et
ces notions sont seulement dans l’intelligence et non à l’extérieur. Alors,
seule l’intelligence les connaît. |
[81371] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 7 Deinde cum dicit
sed, si haec excludit falsam responsionem. Posset enim aliquis dicere, quod
ex quo posita divisione magnitudinis in infinitum, sequitur inconveniens,
quicquid dicatur de sensibilibus qualitatibus, sive quod dividantur in
infinitum, sive quod non; videtur hoc attestari opinionem illorum, qui ponunt
aliquas magnitudines indivisibiles. Per hunc enim modum praedicta dubitatio
solvetur. Si enim corpus non est divisibile in infinitum, non sequetur aliqua
corpora esse insensibilia, si in infinitum non dividetur qualitas sensibilis.
Sed hoc est impossibile, scilicet aliquas magnitudines esse indivisibiles, ut
patet per ea quae dicta sunt in sermonibus de motu, id est in sexto
physicorum. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : S’il en est ainsi, etc.,
il réfute une réponse fausse. En effet, on pourrait dire que, puisqu’on a
affirmé que les grandeurs se divisent à l’infini, une absurdité s’ensuit quoi
qu’on dise au sujet des qualités sensibles, soit qu’elles se divisent à
l’infini, soit qu’elles ne se divisent pas; cela semble confirmer l’opinion
de ceux qui affirment l’existence de grandeurs indivisibles. En effet, c’est
ainsi que le doute susdit est résolu. En effet, si le corps n’est pas
divisible à l’infini, le fait que la qualité sensible ne se divise pas à l’infini
n’entraîne pas que certains corps soient insensibles. Mais que certaines
grandeurs soient indivisibles, cela est impossible, comme l’ont démontré les
propos tenus dans la discussion sur le mouvement, c'est-à-dire le livre VI
des Physiques. |
[81372] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 8 Deinde cum dicit de
solutione solvit praedictam quaestionem, quam moverat de divisione
sensibilium qualitatum. Et primo agit de formali divisione earum quae est
generis in species. Secundo de divisione quantitativa, ibi, continuum quidem
igitur. Dicit ergo primo, quod cum solutione praedictarum dubitationum, simul
manifestandum erit quare sunt finitae species coloris, et saporis, et aliorum
huiusmodi: hoc enim supra determinandum promiserat. Et huius rationem assignat,
quia, si est devenire ad ultimum ex parte utriusque extremi necesse est ea
quae in medio sunt, esse finita, ut probatum est in primo posteriorum.
Manifestum est autem quod in quolibet genere sensibilium est quaedam
contrarietas quae est maxima distantia. Et ideo contraria oportet esse
ultima: sicut in colore, album et nigrum; in sapore, dulce et amarum; et in
aliis similiter. Unde relinquitur quod species mediae sunt finitae. |
Ensuite, où il
dit : La solution de ces
questions, etc., il résout la question qu’il avait soulevée plus haut au
sujet de la division des qualités sensibles. Et il traite, en premier, de
leur division formelle qui va du genre à l’espèce; en deuxième, de leur
division quantitative, où il dit :
Ainsi donc, tout corps continu, etc.
Il dit donc en premier qu’avec la résolution des doutes mentionnés, il faudra
montrer en même temps pourquoi il y a un nombre fini d’espèces de couleur, de
saveur et d’autres qualités du genre; en effet, il avait promis plus haut
d’établir cela. Et il en donne la raison : si en effet on peut parvenir
à une borne à partir des deux extrêmes, il est nécessaire que les
intermédiaires soient en nombre fini, comme il a été prouvé au livre I des Seconds analytiques. Or, il est
évident qu’en tout genre de sensibles, il existe une contrariété dont la
distance est maximale. Il faut donc qu’il y ait des contraires ultimes :
dans la couleur, le blanc et le noir; dans la saveur, le doux et l’amer; et
de même pour les autres. Il reste donc que les espèces intermédiaires sont en
nombre fini. |
[81373] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 9 Deinde cum dicit
continuum quidem solvit prius motam quaestionem de divisione quantitativa
sensibilium qualitatum. Et primo praesupponit quaedam. Secundo procedit ad
solvendum, ibi, quoniam igitur passiones. Circa primum, praesupponit duo.
Quorum primum est quod continuum quodammodo dividitur in infinita. Si enim
fiat divisio in partes aequales, non poterit divisio in infinitum procedere,
dummodo continuum sit finitum. Quia, si ab unoquoque finito semper
subtrahatur aliquid ad mensuram palmi, totaliter consumetur. Si vero fiat
divisio per partes inaequales, procedit divisio in infinitum: puta si totum
dividatur in dimidium, et iterum dimidium in dimidium, quod est quarta pars
totius, in infinitum procedet divisio. Secunda suppositio est quod id quod
non est secundum se continuum, sed per accidens, sicut color et alia
huiusmodi, dividitur per se quidem formaliter in species finitas, sicut paulo
ante dictum est. |
Puis lorsqu’il
dit : Ainsi donc, tout corps
continu, etc., il résout la question soulevée plus haut au sujet de la
division quantitative des qualités sensibles. Et en premier, il énonce
certains présupposés. En deuxième, il entreprend de résoudre la question, où
il dit : Puis donc qu’il faut
reconnaître, etc. Quant au premier point, il présuppose deux choses. La
première est que le continu, d’une certaine façon, se divise à l’infini. En
effet, si la division se fait en parties égales, elle ne pourra pas se
poursuivre à l’infini, pourvu que le continu soit fini. En effet, si on
retranche sans cesse d’un objet fini quelque chose qui mesure une palme, l’objet
sera totalement supprimé. Si par contre la division se fait par parties
inégales, la division peut se poursuivre à l’infini : si par exemple n
divise un tout en moitiés, puis une moitié en moitiés, ce qui donne le quart
du tout, la division se poursuit à l’infini. La deuxième supposition est que
ce qui n’est pas continu en soi mais par accident, comme la couleur et autres
choses du genre, se divise essentiellement de façn formelle en un nombre fini
d’espèces, comme on l’a dit récemment. |
[81374] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 10 Deinde cum dicit
quoniam ergo procedit ad solvendum principalem quaestionem quae erat de
divisione sensibilium qualitatum. Et quia ad hanc quaestionem, rationem
assumpserat ex apparentia sensus, ideo primo inquirit de divisione in
infinitum quantum ad ipsum sentire. Secundo excludit propositum, quantum ad
ipsa sensibilia, ibi, cum autem utique. Circa primum duo facit. Primo
inquirit utrum sentire procedat in infinitum secundum partes existentes in
toto. Secundo, utrum secundum partes separatas, ibi, separatae. Dicit ergo
primo, quod, quia passiones, idest sensibiles qualitates dicendae sunt quasi
quaedam species et formae, quae non sunt infinitae secundum se consideratae,
sicut dictum est, et cum existunt in continuo sicut in subiecto, secundum
cuius divisionem per accidens dividitur, consequens est quod sicut in
continuo aliud est in actu, sicut pars separata, et aliud in potentia,
scilicet pars in continuo existens non separata, ita etiam in his
qualitatibus, quae sunt divisibiles per accidens, pars separata est actus
existens, unde potest actu sentiri; pars autem indivisa est in potentia, et
ideo non sentitur in actu. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Puis donc qu’il faut
reconnaître, etc., il en vient à résoudre la question principale, qui
concernait la division des qualités sensibles. Et étant donné qu’au sujet de
cette question il avait tiré un argument de ce qui apparaît aux sens, il
s’interroge donc en premier sur la division à l’infini quant au fait de
sentir lui-même. En deuxième, il écarte cette thèse quant aux sensibles
eux-mêmes, où il dit : Mais
lorsqu’elles sont assez nombreuses, etc. Il traite le premier point en deux parties. En premier, il
examine comment le fait de sentir procède à l’infini selon les parties qui
existent dans un tout. En deuxième, comment il procède à l’infini dans le cas
des parties séparées du tout, où il dit : Du reste on comprend sans peine, etc. Il dit donc en premier que,
puisque les propriétés, c'est-à-dire les qualités sensibles, doivent être
traitées comme des espèces et des formes, lesquelles, considérées en
elles-mêmes, ne sont pas en nombre infini, comme on l’a dit, et puisqu’elles
existent dans un objet continu comme dans un sujet dont la division entraîne
par accident la division de ces propriétés, il s’ensuit que de même que dans
le continu une division est en acte (celle d’une partie séparée du tout) et
une autre est en puissance (celle d’une partie du continu qui n’en est pas
séparée), de même aussi dans les qualités qui sont divisibles par accident,
la partie séparée existe en acte, et peut donc être sentie en acte, alors que
la partie non divisié est en puissance, et n’est donc pas sentie en acte. |
[81375] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 15 n. 11 Et inde quod quamvis superveniat visus, tamen
aliqua pars eius minima, puta decima millesima, latet visum; et similiter
quamvis totus cantus continuus audiatur, tamen auditum aliquid latet parvum
de cantu, puta diesis, quod est minimum in melodia, quasi distantia quaedam
toni et semitoni: huiusmodi autem distantia media inter ultima latet. Et ita
est in aliis sensibus, quod ea quae sunt omnino parva, latent omnino sensuum.
Sunt enim sensibilia in potentia, non autem in actu, nisi quando separantur:
sic videmus in magnitudinibus quod linea unius pedis est in potentia in linea
bipedali, sed tunc est actu quando dividitur a toto. |
Et de là vient que bien que notre vue parcoure [un grain
de millet[122]],
une partie minuscule de celui-ci, comme le dix millième, échappe à la vue;
pareillement, bien qu’un chant continu en son entier soit entendu, quelque
chose de minime dans le chant échappe à l’ouïe, par exemple le dièse, qui est
le plus petit élément d’une mélodie, étant une distance entre le ton et le
demi-ton; or, cette distance est intermédiaire entre des extrêmes. Et il en
va de même pour les autres sens : les choses absolument petites
échappent totalement aux sens. En effet, ce sont des sensibles en puissance
et non en acte, sauf quand ils sont séparés; ainsi, nous voyons dans les
grandeurs qu’une ligne d’un pied est en puissance dans une ligne de deux
pieds, mais elle est en acte quand elle est séparée du tout. |
[81376] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 12 Patet autem ex
praemissis falsum esse quod quidam mathematici dicunt, quod nihil simul totum
videtur, sed visus percurrit per partes visibiles ac si videret sic
continuum, sicut et moveri. Decipiuntur autem in hoc, quod partes continui non
sunt visibiles actu, sed solum in potentia. Unde visus utitur toto visibili
ut quodammodo uno indivisibili in suo genere, nisi forte utatur partibus non
divisis ut divisis, sicut cum sigillatim inspicit unamquamque. Sed tamen nec
in hoc procedit visus usque ad quascumque minimas partes, quia sic sentire
divideretur in infinitum, quod supra dimissum est pro inconvenienti. |
Ce qui précède
démontre la fausseté de ce que disent certains mathématiciens, à savoir que
rien n’est vu en entier d’un seul coup, mais que la vue parcourt les parties
visibles comme si elle voyait ainsi le continu, aussi bien que le mouvement.
Ils sont trompés en ce que les parties du continu ne sont pas visibles en
acte, mais seulement en puissance. La vue prend donc tout l’objet visible
comme une seule chose indivisible en son genre, à moins peut-être qu’elle ne
regarde les parties non divisées comme divisées, comme quand elle inspecte
chaque partie une par une. Mais pourtant, même alors, la vue ne procède pas
jusqu’aux plus petites parties, car alors l’acte de sentir se diviserait à
l’infini, ce qui a été rejeté plus haut comme une absurdité. |
[81377] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 13 Deinde cum dicit
separatae autem ostendit quod etiam partes separatae non sunt in infinitum
sensibiles. Et primo ex parte ipsarum partium. Secundo ex parte ipsius
sensus, ibi, quinimmo. Dicit ergo primo, quod, si partes in parvitate
superabundantes, separantur a toto, rationabiliter videtur quod non possunt
permanere propter parvitatem virtutis conservantis, quia virtus corporalis
dividitur secundum divisionem magnitudinis, ut patet in septimo physicorum;
et ideo minima separata convertuntur in corpus continens, puta aerem vel
aquam, sicut patet de aliquo liquore saporoso, qui infunditur mari. Et ex hoc
patet, quare corpus mathematicum est divisibile in infinitum, in quo
consideratur sola ratio quantitatis in qua nihil est repugnans divisioni
infinitae. Sed corpus naturale, quod consideratur sub tota forma, non potest
in infinitum dividi, quia, quando iam ad minimum deducitur, statim propter
debilitatem virtutis convertitur in aliud. Unde est invenire minimam carnem,
sicut dicitur in primo physicorum: nec tamen corpus naturale componitur ex
mathematicis, ut obiiciebatur. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Du reste on comprend sans
peine, etc., il montre que même les parties séparées ne sont pas
sensibles à l’infini. Et il le montre, en premier, du côté des parties; en
deuxieme, du côté du sens, où il dit : Cependant comme cette quantité, etc. Il dit donc en premier que
si des parties d’une petitesse excessive sont séparées d’un tout, il semble
raisonnable qu’elles ne puissent pas persister à cause de la faiblesse de
leur pouvoir de conservation, car la vertu corporelle se divise selon la
division de la grandeur, comme il est montré au livre VII des Physiques, et il s’ensuit que les
parcelles séparées sont changées en le corps qui les contient, tel que l’air
ou l’eau, comme c’est évident quand un liquide savoureux est versé dans la
mer. Et on voit par là la raison pour laquelle un corps mathématique est
divisible à l’infini, car on y considère uniquement la notion de quantité,
qui n’a rien d’incompatible avec une division infinie. Mais un corps naturel,
qui est considéré sous toute sa forme, ne peut pas être divisé à l’infini,
car, quand il est réduit à une extrême petitesse, il se change immédiatement
en autre chose à cause de la faiblesse de sa vertu. On peut donc trouver une
quantité de chair qui soit la plus petite possible, comme il est dit au livre
I des Physiques, et pourtant, un
corps naturel n’est pas composé d’êtres mathématiques, comme le voulait
l’objection. |
[81378] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 15 n. 14 Deinde cum dicit quinimmo quoniam ostendit
propositum ex parte ipsius sensus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod
quanto virtus sensitiva est excellentior, tanto minorem immutationem organi a
sensibili percipit. Manifestum est autem quod quanto minus est sensibile,
tanto maiorem immutationem facit organi; et ideo indiget excellentiori
virtute sensus ad hoc quod sentiatur in actu. Manifestum est autem quod
potentia sensitiva non crescit in infinitum, sicut nec aliae virtutes
naturales. Unde etiam si corpora sensibilia in infinitum dividerentur, tamen
non semper inveniretur superabundantia sensus in excellentia virtutis,
secundum ipsam superabundantiam sensibilis in parvitate; nec etiam hoc esset
superabundanti parvitate sensibilis separata remanente; quia superabundans
parvitas sensibilis, est in potentia ut sentiatur a certiori et perfectiori
sensu: qui si non adsit, non poterit actu sentiri, sed tamen erit sensibile,
quantum est in se; iam enim ex quod separatum est, habet potentiam activam ad
immutandum sensum, et quando sensus adveniet sentietur in actu. Sic igitur
patet verum esse quod supra dixit, nullam magnitudinem esse invisibilem,
scilicet quantum est in se, quamvis sit invisibilis propter defectum visus. |
Puis lorsqu’il
dit : Cependant comme cette
quantité, etc., il démontre sa thèsd pour ce qui est du sens. Pour que
cela soit évident, il faut savoir que plus la puissance sensitive est
excellente, plus elle perçoit une faible impression de l’organe par le
sensible. Or, il est manifeste que plus le sensible est petit, plus son
impression sur l’organe est faible[123];
il s’ensuit que le sens a besoin d’un pouvoir plus excellent pour le sentir
en acte. Mais il est évident que la puissance sensitive ne s’accroît pas à
l’infini, pas plus que les autres puissaces naturelles. Alors, même si les
corps sensibles pouvaient se diviser à l’infini, on ne trouverait pas
toujours un sens dont la puissance serait excessivement excellente, en
proportion de l’excessive petitesse du sensible; ce ne serait pas le cas non
plus si le sensible d’une excessive petitesse demeurait séparé, car
l’excessive petitesse du sensible est en puissance à être sentie par un sens plus
certain et plus parfait : en l’absence de ce sens, l’objet ne pourra pas
être senti en acte, mais il sera pourtant sensible en lui-même; en effet, du
fait qu’il est séparé, il a une puissance active à agir sur le sens, et,
lorsque le sens sera présent, il sera senti en acte. Ainsi donc, ce qu’il a
dit plus haut est évidemment vrai, à savoir qu’aucune grandeur n’est
invisible pour ce qui est en elle, même si elle est invisible à cause du
défaut de la vue. |
[81379] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 15 Concludit ergo quod
dictum est quod quaedam magnitudines et passibiles qualitates lateant sensum,
et propter quam causam; et quomodo sint sensibilia, et quomodo non. |
Il conclut donc
qu’on a dit que certaines grandeurs et certaines qualités passives échappent
aux sens, et pour quelle raison, et aussi comment elles sont sensibles et
comment elles ne le sont pas. |
[81380] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 15 n. 16 Deinde cum dicit cum
autem concludit ex praemissis quod, cum aliquae partes sensibilium corporum,
hoc modo habeant quantitatem ut sint actu sensibilia, non solum in toto
existentes, sed etiam divisim, necesse est quod huiusmodi partes sint finitae
secundum aliquem numerum, sive in coloribus, sive in sonis. Et sic, secundum
quod actu sunt sensibilia, in infinitum non dividuntur. |
Puis loresqu’il
dit : Mais lorsqu’elles sont assez
nombreuses, etc., il conclut de ce qui précède que, puisque certaines
parties des corps sensibles ont ainsi une quantité suffisante pour être
sensibles en acte non seulement lorsqu’elles se trouvent dans le tout, mais
aussi séparément, il est nécessaire que ces parties soient finies selon un
certain nombre, soit dans les couleurs, soit dans les sons. Et ainsi, selon
qu’elles sont sensibles en actes, elles ne se divisent pas à l’infini. |
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Leçon 16 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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On pourrait demander encore si les objets
sensibles ou les mouvements partis de ces objets, quelle que soit d'ailleurs
la sensation, agissent d'abord, lorsqu'ils sont en acte, sur le milieu qu'ils
traversent, comme paraissent agir l'odeur et le son; car celui qui est plus
près du corps odorant sent d'abord l'odeur, et le bruit n'arrive à l'oreille
que longtemps après le coup qui l'a produit. En est-il donc de même de
l'objet visible et de la lumière, comme le veut Empédocle, quand il prétend
que la lumière du soleil traverse d'abord l'espace intermédiaire avant
d'arriver à notre vue et sur la terre? Cette théorie semble du reste fort
rationnelle. En effet, tout mobile se meut d'un lieu vers un autre lieu, de
telle sorte qu'il faut toujours nécessairement qu'il y ait un certain temps
pendant lequel il se meut de l'un à l'autre. Or, le temps est toujours
divisible; et ainsi le rayon de la lumière existait avant même qu'il fût
aperçu de nous, et alors il marchait encore dans l'espace qu'il devait
traverser. Mais en supposant même que la sensation du son
que l'on entend, se confonde toujours dans un même temps avec la sensation du
son qu'on vient d'entendre; ou d'une manière générale, en supposant que la
sensation présente se confonde dans un même temps avec la sensation
antérieure, et qu'il n'y ait point ici de génération successive des
sensations, mais qu'elles soient, sans avoir le temps de devenir, le
phénomène existe néanmoins de la façon qu'existe le son qui, après que le
coup a été frappé, n'est pas encore parvenu à l'ouïe. D'un autre côté, les
altérations qu'éprouve l'articulation des lettres dans le langage le montrent
bien aussi : on dirait qu'elles ont à traverser un milieu, car les assistants
semblent n'avoir pas bien entendu ce qui a été dit, parce que l'air, dans le
mouvement qu'il a reçu, a eu le temps de se déformer. En est-il donc ainsi de la couleur et de la
lumière? D'abord, ce n'est pas dans une position quelconque que la vue peut
voir, et la chose, être vue ; la vue et l'objet ne sont pas dans le cas des
choses égales. Pour ces dernières, en effet, il n'est pas besoin, ainsi qu'on
l'a montré, que l'une et l'autre soient en un lieu précis; car, du moment
qu'elles sont égales, peu importe qu'elles soient proches ou qu'elles soient
éloignées l'une de l'autre. Ou bien doit-on croire que cette transmission
successive a lieu pour le son et pour l'odeur? car c'est ainsi que l'air et
l'eau ont beau être continus, le mouvement de tous les deux n'en est pas
moins divisible. C'est là ce qui fait qu'il se peut à la fois, et que celui
qui est le plus proche et celui qui est le plus éloigné, entendent et odorent
la même chose; et aussi que cela ne se peut pas. Mais ceci pour quelques
esprits présente la difficulté suivante : on prétend qu'il est impossible
qu'une autre personne entende, voie, ou odore la même chose, dans des
conditions qui sont autres ; car il n'est pas possible qu'étant réunies,
diverses personnes entendent ou odorent comme quand elles sont séparées, puis
qu'alors la chose sentie qui est une devrait être séparée d'elle-même. Mais
ne peut-on pas répondre que diverses personnes percevant le son de la cloche,
l'odeur de l'ambre, ou la chaleur du feu, en un mot l'action de l'objet qui a
causé primitivement le mouvement, cet objet reste identique et un
numériquement; mais que du moment qu'il devient propre à chacun, il est autre
numériquement, tout en demeurant spécifiquement le même? Et voilà comment
plusieurs personnes voient, odorent et entendent à la fois la même chose. Mais le son et l'odeur ne sont pas des corps : ce
n'est qu'une affection des corps et une certaine espèce de mouvement; car
autrement, ces phénomènes ne se produiraient pas. D'un autre côté, il est
vrai que le son et l'odeur ne peuvent point être non plus sans les corps. Il en est tout autrement de la lumière. La
lumière est, parce qu'elle est un être particulier; elle n'est pas un simple
mouvement. Mais l'altération ne doit pas se confondre en général avec le
mouvement de translation, et elle n'est pas du tout semblable. Les
translations doivent en effet tout d'abord et naturellement traverser un
milieu; et le son, par exemple, semble bien être le mouvement d'une chose qui
se déplace. Mais pour les choses qui ont un mouvement d'altération, il n'en
est plus ainsi. Ces choses peuvent s'altérer en masse, sans que ce soit une
moitié qui commence à changer, comme l'eau qui gèle tout entière d'un seul
coup; mais il est possible encore, si la masse d'eau échauffée ou gelée est
considérable, qu'elle s'altère et change de proche en proche, et qu'il y ait
une première partie qui change sous l'action du corps qui l'altère, sans que
nécessairement la masse s'altère d'un seul coup. Nous pourrions sentir
d'ailleurs, si nous étions dans un liquide, le goût d'une saveur, comme on
sent une odeur, et même de plus loin, longtemps avant de toucher le corps
lui-même. Il est donc tout simple que pour les sens qui ont besoin d'un
intermédiaire, les sensations éprouvées n'aient pas lieu en même temps, si ce
n'est pour la lumière, qui s'explique par la cause qu'on vient de dire ;
et cette explication convient aussi à la vision, puisque c'est la lumière qui
fait voir. |
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Lectio
16 |
Leçon 16 ─ L’action de
l’objet sensible sur le milieu et autres questions (Traduction Georges
Comeau, 2019)
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[81381] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 1 Postquam philosophus prosecutus est quaestionem
primam pertinentem ad ipsa sensibilia, hic accedit ad quaestionem secundam,
quae pertinet ad immutationem sensus a sensibilibus. Et circa hoc tria facit.
Primo movet quaestionem. Secundo argumentatur ad ipsam, ibi, quemadmodum et
Empedocles. Tertio solvit, ibi, vel circa sonum. Circa primum considerandum
est, quod, sicut supra habitum est, quidam posuerunt sensum immutari a
sensibilibus per modum cuiusdam defluxus, ita quod ipsa sensibilia et
defluentia ab eis, perveniunt usque ad sensum: ipse vero posuit quod
sensibilia per modum cuiusdam alterationis immutant medium, ita quod
huiusmodi permutationes perveniunt usque ad sensum. |
Après avoir
approfondi la première question concernant les sensibles, le Philosophe en
vient maintenant à la deuxième question, qui porte sur l’impression des
sensibles sur les sens. Et il traite ce sujet en trois parties. En premier,
il soulève la question. En deuxième, il argumente à son sujet, où il
dit : En est-il donc de même, etc.
En troisième, il la résout, où il dit : Ou bien doit-on croire, etc. Pour le premier point, il faut
remarquer que, comme on l’a vu plus haut, certains ont affirmé que sens
reçoit l’impression des sensibles par voie d’émanation, de sorte que les
sensibles et ce qui s’en dégage parviennent jusqu’au sens; mais pour sa part,
Aristote a affirmé que les sensibles agissent sur le milieu par voie
d’altération, de telle sorte que ces changements parviennent jusqu’au sens. |
[81382] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 2 Est ergo quaestio,
qualitercumque fiat sensus, utrum vel sensibilia secundum aliorum opinionem,
vel immutationes quae sunt a sensibilibus secundum suam opinionem, primo
perveniant ad medium, quam ad sensum. Et hoc non habet dubitationem in auditu
et odoratu. Manifestum est enim quod aliquis de propinquo prius sentit
odorem, et similiter sonus posterius pervenit ad auditum quam faciat ictus
percussionis quae causat sonum, sicut manifeste potest percipere, qui
percussionem inspicit ex longinquo. Manifestum est etiam quod in gustu et
tactu haec quaestio locum non habet, quia non sentiunt per medium
extrinsecum. Unde dubitatio videtur esse de solo visu, utrum scilicet
visibile, et lumen quod facit videre, prius perveniat ad medium quam ad
sensum, vel ad quemcumque terminum. |
La question qui se
pose est donc de savoir comment la sensation se produit : est-ce que les
sensibles, selon l’opinion des autres, ou les impressions qu’ils produisent,
selon l’opinion d’Aristote, parviennent au milieu avant de parvenir au sens?
Et il n'y a pas de doute à ce sujet dans le cas de l’ouïe et de l’odorat. Il
est évident en effet que la personne qui est proche sent l’odeur en premier,
et également, le son parvient à l’ouïe après le coup frappé qui en est la
cause, comme peut le constater avec évidence celui qui voit un coup frappé au
loin. Il est également évident que pour le goût et le toucher, la question ne
se pose pas, car ces sens s’exercent sans milieu extrinsèque. Ce doute semble
donc s’appliquer uniquement à la vue : est-ce que le visible, et la
lumière qui le fait voir, parvient au milieu avant de parvenir au sens ou à
tout autre terme? |
[81383] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 3 Deinde cum dicit quemadmodum et obiicit ad
quaestionem motam. Et primo argumentatur ad partem falsam quaestionis.
Secundo excludit quamdam falsam solutionem, ibi, et si omne simul.
Argumentatur autem ad quaestionem, primo per auctoritatem Empedoclis, qui dixit
quod lumen a sole progrediens, primo pervenit ad medium quam ad visum qui
videt lumen, vel ad terram, quae videtur per lumen et ultra, quam radius
solis non procedit. Et hanc quidem opinionem tetigit in secundo de anima; sed
improbavit eam per hoc, quod in tam magno spatio, sicut est ab oriente usque
ad nos, latere nos temporis successionem impossibile est. |
Ensuite, où il
dit : En est-il donc de même, etc.,
il argumente sur la question soulevée. Et en premier, il argumente sur la
réponse fausse à la question. En deuxième, il réfute une fausse solution, où
il dit : Mais en supposant même, etc.
Il argumente donc sur cette question, en premier en invoquant l’autorité
d’Empédocle, qui a dit que la lumière provenant du soleil parvient au milieu
avant de parvenir, soit à la vue qui voit la lumière, soit à la terre, qui
est vue grâce à la lumière et au-delà de laquelle les rayons du soleil ne
vont pas. Et il a fait mention de cette opinion au livre II du Traité de l’âme, mais il l’a réfutée en
disant qu’à une distance aussi grande que celle du solvant jusqu’à nous, il
est impossible que la succession temporelle nous échappe. |
[81384] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 4 Secundo ibi
putabitur autem argumentatur ad idem per rationem. Et dicit quod hoc videtur
rationabiliter accidere, scilicet quod visibile vel lumen primo perveniat ad
medium quam ad visum. Videtur enim esse quidam motus ipsius visibilis, vel
luminis pervenientis ad visum. Omne autem quod movetur ab aliquo in aliud,
ita se habet quod prius sit in termino a quo movetur, et posterius in termino
ad quem movetur: alioquin, si simul esset in utroque termino, non moveretur
de uno in aliud. Prius autem et posterius in motu, numeratur tempore: ergo
necesse est esse aliquod tempus, in quo visibile vel lumen movetur a corpore
visibili vel illuminante usque ad visum: omne autem tempus est divisibile, ut
probatum est in sexto physicorum. Si ergo accipiamus medium illius temporis,
adhuc radius luminis, vel ipsius visibilis, nondum pervenit ad visum, sed
adhuc movebatur per medium, quia oportet dividi per magnitudinem per quam
aliquid movetur, secundum divisionem temporis, ut probatum est in sexto
physicorum. |
En deuxième, où il
dit : Cette théorie semble du
reste, etc., il apporte un argument dans le même sens. Et il dit qu’il
semble raisonnable que cela arrive, à savoir que l’objet visible ou la
lumière parvienne dans le milieu avant de parvenir à la vue. Il semble en
effet y avoir un mouvement de l’objet visible, ou de la lumière, qui parvient
à la vue. Mais tout ce qui se meut d’un endroit à un autre se trouve à être
d’abord à son point de départ, et plus tard à son point d’arrivée; autrement,
s’il était en même temps à ces deux points, il n’y aurait pas de mouvement de
l’un à l’autre. Or, l’avant et l’après dans le mouvement sont comptés par le
temps; il est donc nécessaire qu’il y ait un temps pendant lequel l’objet
visible ou la lumière se meut d’un corps visible ou lumineux jusqu’à la vue,
et tout temps est divisible, comme il est prouvé au livre VI des Physiques. Si donc nous prenons le
milieu de ce temps, le rayon de lumière, ou de l’objet visible, n’est pas
encore n’est pas encore parvenu à la vue, mais a déjà effectué un mouvement à
travers le milieu, car la distance parcourue par l’objet en mouvement doit être
divisée selon la division du temps, comme il est prouvé au livre VI des Physiques. |
[81385] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 5 Deinde cum dicit et in omne excludit quamdam
insufficientem responsionem. Posset enim aliquis putare quod sensibilia non prius
perveniant ad medium quam ad sensum, quia sensus simul percipit sensibile
absque successione, ita quod in auditione non prius est audire quam auditum
esse, sicut in successivis prius est moveri quam motum esse; sed simul dum
aliquis audit, iam audivit, quia in instanti perficitur tota auditio. Et
universaliter hoc est verum in omni sensu, quod simul scilicet aliquod sentit
et sensit. Et hoc ideo quia non est generatio eorum, sed sunt absque fieri. |
Puis où il
dit : Mais en supposant même, etc.,
il réfute une certaine réponse insuffisante. En effet, on pourrait supposer
que les sensibles ne parviennent pas au milieu avant de parvenir aux sens,
parce que les sens perçoivent les sensibles d’un seul coup sans succession,
de sorte que dans l’ouïe, on n’entend pas avant d’avoir entendu, alors que
dans les processus graduels, l’objet se meut avant d’avoir été mû; mais en
même temps qu’on entend, on a déjà entendu, car toute l’audition est
accomplie en un instant. Et cela est vrai universellement pour tous les
sens : c’est en même temps qu’on sent et qu’on a senti. Et la raison en
est qu’il n'y a pas de génération de la sensation; celle-ci est sans devenir. |
[81386] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 6 Illorum enim dicitur
esse generatio, ad quorum esse pervenitur per aliquem motum successivum; sive
illius successivi motus sit ipsa eorum forma terminus, sicut si album dicatur
generari, quia per successivam alterationem pervenitur ad albedinem; sive ipsa
dispositio ad formam ipsorum sit motus successivi termini, sicut ignis et
aqua dicuntur generari, quia dispositiones ad formam ipsorum, quae sunt
qualitates elementales, per alterationem successivam acquiruntur. |
En effet, on dit
qu’il y a génération des choses qui viennent à exister au terme d’un
mouvement successif, soit que le terme de ce mouvement successif soit leur
formation même, comme si on dit que le blanc est engendré parce qu’une
altération successive aboutit à la blancheur, soit que la disposition à leur
forme soit le terme d’un mouvement successif, comme on dit que le feu et
l’eau sont engendrés parce que les dispositions à leur forme, qui sont les
qualités des éléments, sont acquises par voie d’altérations successives. |
[81387] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 7 Illa vero incipiunt esse absque hoc quod generentur
vel fiant, quae nec secundum se, nec secundum aliquas dispositiones
praecedentes in ipsis per motum successivum causantur, sicut dextrum causatur
in aliquo, nullo successivo motu praeexistente in ipso, sed quodam alio facto
sibi sinistro. Similiter et aer incipit illuminari nullo motu successivo
praeexistente in ipso, sed ad praesentiam corporis illuminantis. Et similiter
sensus incipit sentire, nullo motu in ipso praeexistente, sed ad debitam
oppositionem sensibilis. Et ideo simul aliquis sentit, et iam sensit. |
Mais les sensations
commencent à exister sans être engendrées ni venir à l’existence, car elles
n’existent ni par elles-mêmes, car elles ne sont causées par un mouvement
successif ni en leur essence, ni du fait de dispositions précédentes qui se
trouvaient en elles; ainsi, la droite est causée en un objet, sans être
causée par un mouvement successif préexistant en lui, parce qu’un autre objet
se trouve placé à sa gauche. Pareillement, l’air commence à être éclairé,
sans qu’aucun mouvement successif soit préexistant en lui, mais du fait de la
présence d’un corps éclairant. De même, le sens commence à sentir sans aucun
mouvement préexistant en lui, mais à cause de l’impression d’un corps
sensible. C’est pourquoi c’est en même temps que quelqu'un sent et a senti. |
[81388] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 8 Nihilominus tamen
propter hoc non oportet quod sensibilia vel motus sensibilium, absque
successione sensibilium perveniant ad sensus; manifeste enim apparet, quod
simul aliquis audit, et audivit statim, et tamen sonus, non statim facto
ictu, qui causat sonum, pervenit ad auditum. |
Mais pourtant, il
ne s’ensuit pas nécessairement que les sensibles ou les mouvements des
sensibles parviennent aux sens sans succession de sensibles; il apparaît en
effet avec évidence que lorsque quelqu'un entend, en même temps qu’il entend,
il a entendu, et pourtant, le son qui cause l’audition ne parvient pas à
l’ouïe immédiatement lorsque le coup est frappé. |
[81389] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 9 Et hoc fit manifestum per transfigurationem
literarum, quando alicuius locutio auditur ex longinquo, ac si sonus vocis
literatae deferatur per medium successive. Propter hoc enim audientes sonum,
non videntur auditu discrevisse literas prolatas, quia aer motus in medio
transfiguratur, quasi admittens impressionem primi sonantis. |
Et ce qui le montre
avec évidence, c’est la reconfiguration des lettres quand les paroles de
quelqu'un sont entendues de loin, du fait que le son de la voix formée en
lettres est transporté successivement à travers le milieu. Pour cette raison
en effet, ceux qui entendent le son ne semblent pas discerner par leur ouïe
les lettres prononcées, car l’air en mouvement dans le milieu est
reconfiguré, comme en perdant l’impression de la première cause du son. |
[81390] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 10 Quod quidem
contingit quandoque propter aliquam aliam aeris immutationem, sicut cum
multis loquentibus non potest discerni quod aliquis eorum dicat, propter hoc
quod motus invicem se impediunt. Quandoque vero contingit propter distantiam:
sicut enim actio calefacientis, in remotioribus debilitatur, ita etiam
immutatio aeris, quae est a primo sonante; ex quo contingit quod ad illos qui
sunt prope loquentem, perfecte contingit sonus locutionis cum debita
expressione litterarum; ad remotos autem cum quadam confusione. |
Cela arrive parfois
à cause d’une autre impression donnée à l’air; ainsi, quand plusieurs parlent
en même temps, on ne peut pas discerner ce que dit l’un d’eux, parce que les
mouvements s’entravent mutuellement. Parfois aussi, cela arrive à cause de la
distance; en effet, de même que l’action d’une source de chaleur est
affaiblie dans les endroits éloignés, l’impression donnée à l’air par la
première cause du son s’affaiblit aussi; c’est pourquoi ceux qui sont proches
de celui qui parle reçoivent parfaitement le son des paroles avec la bonne
expression des lettres, mais ceux qui sont loin le reçoivent avec une
certaine confusion. |
[81391] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 11 Videtur igitur similiter se habere et de colore et
de lumine; quia etiam color et lumen non videntur quomodocumque sint
disposita secundum situm, sed requiritur determinata distantia. Sicut enim
locutiones a remotis audiuntur, absque discretione literarum, ita etiam
corpora videntur a remotis absque discretione dispositionis singularum
partium. |
Il semble donc en
aller de même pour la couleur et la lumière, car la couleur et la lumière ne
peuvent pas non plus être vus à partir de n’importe quelle position, mais une
distance déterminée est nécessaire. En effet, de même que les paroles sont
entendues de loin sans qu’on puissent discerner les lettres, de même les
corps sont vus de loin sans qu’on puisse discerner la disposition de chacune
de leurs parties. |
[81392] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 12 Nec est ita de
relatione visus et visibilis, sicut de relatione aequalitatis: ad hoc enim
quod aliqua sint aequalia, non requiritur aliquis determinatus situs, sed
qualitercumque varietur eorum situs, semper manent eodem modo aequalia. Nec
differt utrum sint prope vel longe. Videtur ergo quod sicut transfiguratio
literarum manifestat sonum successive pervenire ad auditum, quamvis postquam
iam pervenerit simul audiatur, ita etiam imperfecta visio visibilium remotorum,
videtur significare quod color et lumen successive perveniant ad visum
quamvis simul videantur. |
Et il n’en va pas
de la relation entre la vue et le visible comme de la relation
d’égalité : en effet, pour que des choses soient égales, il n’est pas
nécessaire qu’elles aient une position déterminée, mais quelles que soient
les variations de leurs positions, elles demeurent toujours égales de la même
façon. Et peu importe qu’elles soient rapprochées ou éloignées. Il semble
donc que, comme la reconfiguration des lettres manifeste que le son parvient
à l’ouïe de façon successive, même si, après être parvenu, il est entendu
d’un seul coup, de même aussi la vision des objets visibles éloignés semble
signifier que la couleur et la lumière parviennent de façon successive à la
vue, même si elles sont vues d’un seul coup. |
[81393] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 13 Deinde cum dicit vel
circa hoc ponit veram solutionem, ostendens differentiam visus ad alios duos
sensus, qui sunt per media exteriora, auditum et olfactum. Et dividitur in
partes duas. Primo namque assignat differentiam visus ad auditum et odoratum.
Secundo excludit obiectionem, ibi, rationabiliter autem. Prima pars dividitur
in duas secundum duas differentias quas ponit. Secunda incipit, ibi, omnino autem,
nec similiter. Dicit ergo primo, quod rationabile est hoc accidere circa
sonum et odorem, quod successive perveniant. Cuius rationem assignat ex hoc,
quod aer et aqua quae sunt media, quibus huiusmodi sensibilia deferuntur
ad sensus sunt quidem secundum suam substantiam continua, sed tamen in
eis possunt fieri motus abinvicem divisi; quod contingit propter facilem
divisionem aeris et aquae, sicut patet in motu proiectionis, ut philosophus
ostendit septimo physicorum, in quo sunt multi motus, multa moventia et mota.
Nam una pars aeris movetur ab alia, et sic sunt diversi motus sibi invicem
succedentes, quia pars aeris mota adhuc remanet movens, postquam cessat
moveri, et sic non omnes motus partium aeris sunt simul, sed sibi invicem
succedunt, ut ostenditur in octavo physicorum. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ou bien doit-on croire, etc.,
il donne la vraie solution, en montrant la différence entre la vue et les
deux autres sens qui s’exercent par des milieux extérieurs, l’ouïe et
l’odorat. Et ce sujet se divise en deux parties. En premier, il montre en
quoi la vue diffère de l’ouïe et de l’odorat. En deuxième, il écarte une
objection, où il dit : Il est donc tout simple que, etc. La
première partie se divise en deux selon les deux différences qu’il a
indiquées. La deuxième commence où il dit : Mais l’altération ne doit pas, etc. Il dit donc en premier qu’il
est raisonnable que le son et l’odeur se trouvent à parvenir à destination
graduellement. Il en donne comme raison que l’air et l’eau, qui sont les milieux par lesquels de tels
sensibles sont transmis aux sens, sont bien continus en leur substance,
mais pourtant il peut y avoir en eux des mouvements de division mutuelle; il
en est ainsi parce que l’air et l’eau se divisent facilement, comme le
manifeste l’acte de lancer, comme le montre le Philosophe au livre VII est Physiques : dans le lancer, il y
a beaucoup de mouvements, de moteurs et d’objets mûs. En effet, une partie de
l’air est mue par une autre, et ainsi, il y a divers mouvements qui se
succèdent, car la partie de l’air qui est mue se trouve être ensuite un
moteur après avoir cessé d’être mue; et ainsi, les mouvements des parties de
l’air n’ont pas tous lieu en même temps, mais ils se succèdent, comme il est
démontré au livre VIII des Physiques. |
[81394] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 14 Et hoc etiam apparet
in sono, qui causatur ex quadam aeris percussione; non tamen ita quod totus
aer, qui est medius, uno motu moveatur a percutiente; sed sunt motus multi
sibi succedentes ex eo quod una pars primo mota movet aliam. Et inde est quod
quodammodo idem est quod audit primus qui est propinquus percussioni causanti
sonum, et extremus qui est remotus; quodam autem modo non idem. |
Et on constate cela
également pour le son, qui est causé par une sorte d’ébranlement de l’air,
mais pas de telle sorte que l’air, qui est le milieu, soit mû d’un seul
mouvement par ce qui le frappe; il y a plutôt beaucoup de mouvements qui se
succèdent du fait qu’une partie, mue en premier, en meut une autre. Et c’est
pour cela que ce qui est entendu en premier par celui qui est proche du coup
frappé qui cause le son et qui est entendu en dernier par celui qui est loin
est la même chose d’une certaine façon, et n’est pas la même chose d’une
autre façon. |
[81395] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 15 Apud quosdam enim
videtur de hoc esse dubitatio: quia quidam dicunt, quod, cum diversi per
diversa organa sentiant, impossibile est quod idem sentiant. Quod quidem
verum est, si referatur ad id quod proxime movet sensum, quia diversorum
sensus immutantur immediate a diversis partibus medii sibi propinquis, et ita
intercipitur hoc, et distinguitur illud quod unus sentit, ab eo quod sentit
alius. Si vero accipitur id quod primo movet medium, sic erit unum idem quod
omnes sentiunt, sicut unius percussionis sonum audiunt omnes, sive propinqui
sive remoti; et similiter unum corpus odoriferum, puta cothonium vel thus in
igne ardens, odorant omnes; sed id, quod iam proprie pervenit ad unumquemque
est alterum numero, sed est idem specie, quia ab eadem forma primi activi,
omnes huiusmodi immutationes causantur. Unde simul multi vident et odorant et
audiunt idem sensibile, per diversas immutationes ad eos pervenientes. |
Il semble en effet
que certains ont un doute à ce sujet : certains disent en effet que,
puisque diverses personnes ont des sensations au moyen de divers organes, il
est impossible qu’elles sentent la même chose. Certes, cela est vrai s’il est
question de ce qui meut les sens de près, car les sens de diverses personnes
reçovent immédiatement l’impression de diverses parties du milieu qui leur
sont proches, et ainsi ce qui est senti par l’un sent intercepté et distingué
de ce qui est senti par l’autre. Mais si on considère ce qui meut le milieu
en premier, alors c’est la même chose qui est sentie par tous : tous,
proches ou éloignés, entendent le son du même coup frappé, et pareillement
tous sentent l’odeur du même corps odorant, tel que le cognassier[124]
ou l’encens brûlant dans le feu. Mais ce qui est parvenu individuellement à
chacun est numériquement différent mais identique en espèce, car toutes ces
impressions sont causées par la même forme du premier élément actif. C’est
pourquoi beaucoup de gens voient, odorent et entendent le même sensible par
des impressions diverses qui leur parviennent. |
[81396] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 16 Huiusmodi autem quae
perveniunt ad singulorum sensus, non sunt corpora defluentia a corpore
sensibili, ut quidam posuerunt; sed singulum eorum est motus et passio medii
immutati per actionem sensibilis. Si enim essent diversa corpora, quae ad diversos
per defluxum pervenirent, non accideret hoc, quod scilicet idem omnes
sentirent, sed unum sentiret, scilicet solum corpus ad ipsum perveniens. Et
quamvis non sint corpora, non tamen sunt sine corpore, vel medio, quasi passo
et moto a sensibili, quasi primo movente et agente. Sic ergo per praedicta
patet, quod sonus pervenit ad auditum per multos motus partium medii
sibiinvicem succedentes; et simile est de odore, nisi quod mutatio odoris fit
per alterationem medii: immutatio autem soni per motum localem. |
Cependant, ces
choses qui parviennent à chacun des sens ne sont pas des corps qui se
dégagent d’un corps sensible, comme certains l’ont affirmé, mais chacune
d’elles est un mouvement et une affection du milieu modifié par l’action du
sensible. En effet, s’il y avait des corps différents qui parvenaient à
diverses personnes sous forme d’effluves, tous ne se trouveraient pas à
sentir la même chose, mais ils ne sentiraient rien d’autre que le corps qui
leur parvient. Et bien que ces choses ne soient pas des corps, elles ne sont
pas sans corps, ou sans milieu qui subit et est mû par un sensible, qui est
le premier moteur et l’agent. Ainsi donc, il est évident d’après ce qui
précède que le son parvient à l’ouïe par de nombreux mouvements des parties
du milieu, qui se succèdent; et il en va de même de l’odeur, sauf que le
changement produit par l’odeur se fait par l’altération du milieu, alors que
l’impression du son se fait par mouvement local. |
[81397] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 17 Sed de lumine est
alia ratio. Non enim per motus sibi succedentes in diversis partibus medii
pervenit lumen usque ad visum; sed per unum aliquod esse, idest per hoc quod
totum medium sicut unum mobile, movetur uno motu a corpore illuminante. Sed non est ibi
motus, qui succedat motui, sicut dictum est de odore et sono. |
Mais la logique est
différente pour la lumière. En effet, ce n’est pas par des mouvements qui se
succèdent dans diverses parties du milieu que la lumière parvient jusqu’à la
vue, mais par un certain être unique, c'est-à-dire par le fait que tout le
milieu, comme un unique être mobile, est mû d’un seul mouvement par un corps
qui illumine. Mais ce n’est pas là un mouvement qui succède à un autre, comme
on l’a dit pour l’odeur et le son. |
[81398] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 18 Huiusmodi autem
differentiae ratio est: quia quod recipitur in aliquo sicut proprio subiecto
et naturali, potest in eo permanere et esse principium actionis; quod autem
recipitur in aliquo solum sicut adventitia qualitas, non potest permanere,
nec esse principium actionis. Quia vero formae substantiales sunt principia
qualitatum et omnium accidentium, illa qualitas recipitur in subiecto aliquo
secundum esse proprium et naturale, quae disponit subiectum ad formam naturalem,
cuius est susceptivum; sicut aqua ratione suae materiae, est susceptiva
formae substantialis ignis, quae est principium caloris. Et ideo calor
recipitur in aqua, disponens ipsam ad formam ignis; et ideo remoto igne adhuc
aqua remanet calida calefacere potens. |
La raison de cette
différence est que ce qui est reçu en quelque chose comme en son sujet propre
et naturel peut y demeurer et être un principe d’action; mais ce qui est reçu
en quelque chose seulement comme qualité accessoire ne peut pas y demeurer en
permanence ni être un principe d’action. Or, comme les formes substantielles
sont les principes des qualités et de tous les accidents, cete qualité est
reçue dans un sujet selon l’être propre et naturel de ce sujet, qui le
dispose à la forme naturelle qu’il peut recevoir; ainsi, l’eau, en raison de
sa matière, peut recevoir la forme substantielle du feu, qui est le principe
de la chaleur. C’est pourquoi la chaleur est reçue dans l’eau qu’elle dispose
à la forme du feu; en conséquence, lorsque le feu est enlevé, l’eau reste
chaude et peut réchauffer. |
[81399]
Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 19 Et similiter odor recipitur in
aere et aqua et sonus in aere secundum suum esse proprium et naturale et
secundum quod aer et aqua immutantur ab enchyma siccitate et aer a
percussione alicuius corporis. Et inde est quod cessante percussione, remanet
sonus in aere, et remoto corpore odorifero adhuc sentitur odor in aere,
propter hoc quod pars aeris immutata ad sonum vel ad odorem potest aliam
similiter immutare, ut sic fiant diversi motus sibiinvicem succedentes. |
Pareillement,
l’odeur est reçue dans l’air et dans l’eau et le son est reçu dans l’air
selon leur être propre et naturel, et en tant que l’air et l’eau reçoivent
l’impression d’une sécheresse enchyme et que l’air reçoit le choc d’un corps.
De là vient que lorsque le choc cesse, le son reste dans l’air, et quand le
corps odorant est enlevé, on sent encore l’odeur dans l’air, parce que la
partie de l’air qui reçoit l’impression du son ou de l’odeur peut transmettre
cette impression à une autre partie, de sorte qu’on a divers mouvements qui
se succèdent. |
[81400] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 20 Sed diaphanum non
est susceptivum formae substantialis corporis illuminantis, puta solis, qui
est prima radix luminis; neque per receptionem luminis disponetur ad aliquam
formam substantialem. Unde recipitur lumen in diaphano sicut quaedam qualitas
adventitia, quae non remanet absente corpore illuminante, nec potest esse
principium actionis in aliud. Unde una pars aeris non illuminatur ab alia;
sed totus aer illuminatur a primo illuminante quantum potest se extendere
virtus illuminantis; et ideo est unum illuminatum et una illuminatio totius
medii. |
Mais le transparent
ne peut pas recevoir la forme substantielle du corps qui l’éclaire, tel que
le soleil, qui est la source première de la lumière, et il n’est pas disposé à
une forme substantielle par le fait de recevoir la lumière. La lumière est
donc reçue dans le transparent à titre de qualité acessoire, qui ne demeure
pas en l’absence du corps qui éclaire et ne peut pas être le principe d’une
action sur autre chose. En conséquence, une partie de l’air n’est pas
éclairée par une autre, mais tout l’air est éclairé par la première source de
lumière dans les limites où son pouvoir d’éclairage peut parvenir; il y a
donc un seul être éclairé et une seule illumination de tout le milieu. |
[81401] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 21 Deinde cum dicit
omnino autem ostendit secundam differentiam. Et dicit, quod si universaliter
loquamur de alteratione, idest loci mutatione, non similiter se habet in
utroque, quia loci mutationes rationabiliter perveniunt prius ad medium
magnitudinis, supra quam est motus, quam ad ultimum; quia scilicet in loci
mutatione est motus de extremo magnitudinis, ad extremum eius, unde oportet
quod mobile in medio temporis pertingat ad medium magnitudinis; et tunc ratio
superinducta locum habet in loci mutatione. Sonus autem consequitur quemdam
motum localem, inquantum scilicet ex percussione causante sonum commovetur
aer usque ad auditum; et ideo rationabile est, quod sonus prius perveniat ad
medium, quam ad auditum. |
Puis où il
dit : Mais l’altération ne doit
pas se confondre, etc., il montre la deuxième différence. Et il dit que
que si nous parlons universellement de l’altération, c'est-à-dire du
changement de lieu, il n’en va pas de même pour les deux, car il est logique
que les changements de lieu parviennent d’abord au milieu du trajet parcouru
par le mouvement avant d’arriver à la fin, car dans le changement de lieu, le
mouvement va d’une extrémité du trajet à l’autre extrémité; il faut donc que
le mobile, au milieu du temps écoulé, atteigne le milieu du trajet; et alors,
l’argument présenté plus haut s’applique au changement de lieu. Or, dans le
son il y a un certain mouvement local, du fait que le choc qui produit le son
cause un mouvement de l’air qui parvient jusqu’à l’ouïe; il est donc
raisonnable que le son parvienne au milieu avant de parvenir à l’ouïe. |
[81402] Sentencia De sensu, tr.
1 l. 16 n. 22 Sed in his quae alterantur non similiter se habet.
Termini enim alterationis non sunt ipsa extrema magnitudinis. Et ideo non
oportet, quod tempus alterationis, per se loquendi, commensuretur alicui
magnitudini, ita quod in medio temporis, motus perveniat ad medium
magnitudinis super quam fit motus; quia hoc non est dare in alteratione, quae
non est motus in quantitate vel in ubi, sed in qualitate, neque ad medium
magnitudinis quae movetur. Contingit enim aliquando quod totum corpus simul
alteratur, non autem dimidium eius prius, sicut videmus quod tota aqua simul
congelatur. Sicut enim in motu locali tempus commensuratur distantiae
magnitudinis, super quam transit motus, et secundum divisionem eius
dividitur, ut probatur in sexto physicorum; ita etiam in alteratione, tempus
commensuratur distantiae terminorum. Et ideo maius tempus requiritur ceteris
paribus, ad hoc quod de frigido fiat calidum, quam ad hoc quod de tepido fiat
calidum. |
Mais il n’en va pas
de même des choses qui subissent une altération. En effet, les termes de
l’altération ne sont pas les extrémités d’un espace. Il n’est donc pas
nécessaire que la durée de l’altération, à proprement parler, soit mesurée en
fonction d’une grandeur de telle sorte qu’au milieu du temps, le mouvement
parvienne au milieu de l’espace parcouru par le mouvement, soit qu’il
s’agisse du milieu de l’espace parcouru (car on ne peut pas dire quel est ce
milieu dans l’altération, qui n’est pas un mouvement en quantité ni en un
lieu, mais en qualité), soit qu’il s’agisse du milieu de l’objet qui est mû. Il
arrive parfois, en effet, que tout le corps soit altéré en même temps, sans
qu’une moitié le soit d’abord, comme nous voyons que toute l’eau gèle en même
temps. En effet, de même que dans le mouvement local le temps est
proportionnel à la distance parcourue par le mouvement et se divise selon la
division du mouvement, comme il est prouvé au livre VI des Physiques, de même aussi dans
l’altération le temps est proportionnel à la distance entre les extrêmeés.
C’est pourquoi il faut plus de temps, toutes choses étant égales par
ailleurs, pour réchauffer un objet froid qu’un objet tiède. |
[81403] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 23 Et ideo, si aliqua
extrema sunt inter quae non sit accipere medium, oportet quod de uno extremo
in aliud fiat transitus absque medio. Contradictio autem est oppositio, cuius
non est medium secundum se, ut dicitur in primo posteriorum, et eadem ratione
supposita aptitudine subiecti, cum privatio nihil aliud sit quam negatio in
subiecto. Unde omnes mutationes quarum termini sunt esse et non esse, vel
privatio et forma, sunt instantaneae, et non possunt esse successivae. |
En conséquence,
s’il existe des extrêmes entre lesquels il n'y a pas de milieu, il faut que
le passage d’un extrême à l’autre se fasse sans intermédiaire. Or, la
contradiction est une opposition qui n’a pas de milieu en tant que tel, comme
il est dit au livre I des Seconds
analytiques, et la même raison s’appique si l’aptitude du sujet est
admise, puisque la privation n’est rien d’autre que la négation dans un
sujet. Il s’ensuit que tous les changements dont les extrêmes sont l’être et
le non-être, ou la privation et la forme, sont instantanés et ne peuvent pas
être graduels. |
[81404] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 24 In alterationibus
enim successivis attenditur successio secundum distantiam unius contrarii ab
alio determinata media: in qua quidem distantia tota magnitudo corporis, in
quam potest immediate virtus primi alterantis, consideratur sicut unum
subiectum, quod statim simul incipit moveri. Sed, si sit corpus alterabile
tam magnum, quod virtus primi alterantis non possit ipsum attingere secundum
totum, sed secundum partem eius, sequitur quod prima pars primo alterata,
alterabit consequenter aliam. Et ideo dicit quod, si fuerit multum corpus
quod calefit vel quod congelatur, necesse est quod habitum patiatur ab
habito, idest quod consequens pars ab immediate praecedente alteretur. Sed prima
pars alteratur ab ipso primo alterante, et simul et subito, quia scilicet non
est ibi successio ex parte magnitudinis, sed solum ex parte contrariarum
qualitatum, ut dictum est. |
Dans les
altérations graduelles, en effet, la succession est considérée selon la
distance d’un contraire à l’autre, établie d’après des intermédiaires
déterminés; dans cette distance, toute la grandeur du corps dans laquelle la
puissance du premier agent d’altération peut s’exercer immédiatement est
considérée comme un seul sujet, qui commence tout à la fois à être mû. Mais
si un corps susceptible d’être altéré est si grand que la puissance du
premier agent d’altération ne peut en atteindre la totalité mais seulement
une partie, il s’ensuit que la première partie une fois altérée, une autre
sera altérée ensuite. C’est pourquoi il dit que, si un grand corps est
réchauffé ou congelé, il est nécessaire que le proche soit affecté par le
proche, c'est-à-dire que la partie suivante soit altérée par la partie
immédiatement précédente. Mais la première partie est altérée par le premier
agent d’altération, de façon simultanée et subitement, car il n'y a pas
succession sous l’aspect de la grandeur, mais seulement sous l’aspect des
qualités contraires, comme on l’a dit. |
[81405] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 25 Haec autem est causa
quare odor prius pervenit ad medium quam ad sensum, quamvis hoc fiat per
alterationem sine motu locali, quia corpus odoriferum non potest simul
immutare totum medium, sed immutat partem unam, quae immutat aliam; et sic
successive pervenit immutatio usque ad olfactum per plures motus, ut supra
dictum est. Et esset simile in gustu sicut in odoratu, si nos viveremus in
humido aqueo, quod solum susceptivum est saporis, sicut in aere, qui est
susceptivus odoris, et si iterum posset sentiri sapor per alterationem medii
a remotis, antequam tangeremus corpus saporosum, sicut contingit circa
odoratum. |
Et telle est la
cause pour laquelle l’odeur parvient au milieu avant de parvenir au sens,
bien qu’elle se produise par altération sans mouvement local, car le corps
odorant ne peut pas produire une impression sur tout le milieu à la fois,
mais elle le fait sur une partie qui le fait ensuite sur une autre; et ainsi,
l’impression parvient successivement jusqu’à l’odorat par plusieurs mouvements,
comme on l’a dit. Et ce serait la même chose pour le goût que pour l’odorat
si nous vivions dans une humidité aqueuse, qui peut recevoir seulement la
saveur, comme nous vivons dans l’air qui peut recevoir l’odeur, et si
également la saveur pouvait être sentie par une altération du milieu à
distance avant que nous touchions le corps savoureux, comme c’est le cas de
l’odorat. |
[81406] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 26 Videtur autem quod
hic dicitur esse contrarium ei, per quod philosophus probat in sexto
physicorum, omne quod movetur esse divisibile, quia pars eius est in termino
a quo, et pars in termino ad quem. Sic igitur videtur quod dum aliquid
alteratur de albo in nigrum, quando una pars eius est alba, altera sit nigra,
et sic non potest esse quod totum simul alteretur sed post partem. |
Mais ce qui est dit
ici semble contraire à l’argument utilisé par le Philosophe au livre VI des Physiques pour prouver que tout ce qui
se meut est ivisible, à savoir qu’une partie de l’objet est au terme de
départ et une partie au terme d’arrivée. Ainsi donc, il semble que pendant
qu’un objet est altéré du blanc au noir, quand une de ses parties est
blanche, l’autre est noire, et ainsi il n’est pas possible que le tout soit
altéré en même temps, mais seulement après qu’une partie est altérée. |
[81407] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 27 Dicunt autem quidam,
quod intentio philosophi ibi, est ostendere non quidem quod una pars mobilis
sit in termino a quo, et alia in termino ad quem; sed quod mobile sit in una
parte termini a quo, et in alia parte termini ad quem, et sic in alteratione
non oportet quod una pars mobilis prius alteretur quam alia, sed quod totum mobile,
quod alteratur, puta de albo in nigrum, habeat partem albedinis et partem
nigredinis. Hoc autem non convenit intentioni Aristotelis; quia per hoc non
probaretur directe quod mobile esset divisibile, sed quod termini motus sint
aliqualiter divisibiles, nec etiam competit verbis quibus utitur, sicut patet
diligenter literam eius intuenti, in qua manifeste hoc refert ad partes
mobiles. |
Or, certains disent
que l’intention du Philosophe ici est de montrer, non qu’une partie du mobile
est au terme de départ et l’autre au terme d’arrivée, mais que le mobile est
dans une partie du terme de départ et dans une autre partie du terme
d’arrivée, et qu’ainsi, dans l’altération, ce qui est nécessaire n’est pas qu’une
partie du mobile soit altérée avant une autre, mais que tout le mobile qui
est altéré, disons du blanc au noir, ait une partie de blancheur et une
partie de noirceur. Mais cela ne concorde pas avec l’intention d’Aristote,
car cela ne permettrait pas de prouver directement que le mobile est
divisible, mais que les termes du mouvement sont divisibles de quelque façon,
et cela ne convient pas non plus aux mots utilisés, comme cela est évident si
on examine attentivement son texte, dans lequel il est évident qu’il
s’applique aux parties mobiles. |
[81408] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 28 Et ideo aliter
dicendum est, quod demonstratio illa intelligitur de motu locali, qui est
vere et secundum se continuus. Agit enim Aristoteles in sexto physicorum de
motu sub ratione continui: motus vero augmenti et alterationis non sunt
simpliciter continui, ut dictum est in octavo physicorum. Unde in alteratione
non verificatur illud Aristotelis dictum omnino, sed solum quod accipit
quamdam continuitatem ex mobili, cuius una pars alterat aliam. Mobile vero,
quod totum simul attingitur a virtute primi alterantis, habet se sicut
quiddam indivisibile, quantum ad hoc, quod simul alteratur. |
C’est pourquoi il
faut dire au contraire que cette démonstration s’applique au mouvement local,
qui est vraiment et essentiellement continu. En effet, Aristote, au livre VI
des Physiques, traite du mouvement
sous l’aspect de la continuité; or, les mouvements d’augmentation et
d’altération ne sont pas absolument continus, comme il est dit au livre VIII
des Physiques. Il s’ensuit que dans
l’altération, cette affirmation d’Aristote ne se vérifie pas totalement, mais
ce qui est vrai est seulement le fait qu’il admet la continuité de la part du
mobile, dont une partie en altère une autre. Mais le mobile qui est altéré
tout à la fois par le pouvoir du premier agent d’altération se comporte comme
un être indivisible quant au fait qu’il est altéré tout à la fois. |
[81409] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 16 n. 29 Deinde cum dicit
rationabiliter autem concludit ex praemissis principale intentum. Et dicit
quod rationabiliter in sensibus in quibus est aliquod medium inter sensibile
et organum sentiendi, non simul patitur et movetur totum medium, sed
successive, praeter quam in lumine: et hoc propter praedicta. Primo quidem,
quia illuminatio non fit per motum localem, ut sonatio, sicut Empedocles
posuit, sed motum alterationis. Secundo, quia non sunt ibi multi motus, sicut
dictum est de odore, sed unus tantum. Quibus addendum est tertio, quia lumen
non habet contrarium, sed tenebra opponitur ei sicut simplex privatio, et
ideo illuminatio fit subito. Et idem oportet dicere de visione, quia lumen
facit videre, unde medium immutatur a visibilibus proportionabiliter lumini. |
Ensuite, où il
dit : Il est donc tout simple, etc.,
il conclut de ce qui précède ce qu’il voulait principalement démontrer. Et il
dit qu’il est raisonnable, pour les sens dans lesquels il y a un
intermédiaire entre le sensible et l’organe de la sensation, que tout le
milieu ne soit pas mû et affecté en même temps, mais de façon successive,
sauf dans le cas de la lumière, et ce, pour les raisons déjà
mentionnées : en premier, parce que l’éclairage ne se fait pas par
mouvement local, comme le son, comme l’a affirmé Empédocle, mais par
mouvement d’altération; en deuxième, parce qu’il ne s’y trouve pas beaucoup
de mouvements, comme on l’a dit pour l’odeur, mais un seul. Il faut en
ajouter un troisième : c’est que la lumière n’a pas de contraire, mais
les ténèbres s’y opposent comme une simple privation, et donc, l’illumination
se fait subitement. Et il faut dire la même chose de la vision, car la
lumière fait voir, et le milieu subit donc l’impression des objets visibles
proportionnellement à la lumière. |
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Leçon 17 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Abordons encore une autre question concernant les sens, celle de
savoir si l'on peut ou non sentir deux choses à la fois dans un seul et même
moment indivisible. Nous prenons comme démontré que toujours un plus fort
mouvement en absorbe un plus faible; et c'est pour cela que l'on a beau avoir
les choses sous les yeux, on ne les voit point quand la pensée est fortement
occupée de quelque autre objet, ou qu'on a peur, ou qu'on entend un bruit
violent. Admettons aussi l'exactitude de cet autre principe, à savoir, que
l'on peut toujours beaucoup mieux sentir une chose quand elle est simple que
quand elle est mélangée avec d'autres; par exemple, on goûte mieux du vin pur
que du vin trempé, du miel pur que du miel mêlé à d'autres saveurs; on voit
mieux la couleur quand elle est unique, et l'on entend mieux la tonique,
quand elle est seule, que quand elle est mêlée à la quinte, parce que ces
sensations s'effacent mutuellement; et c'est ce qui arrive dans les choses
qui se réunissent en une seule. Puis donc que le plus grand mouvement absorbe
le plus petit, il s'ensuit nécessairement que, quand ils sont simultanés, le
plus grand se sent moins que s'il était tout seul, parce que le plus petit en
s'y mêlant lui enlève pour cela même quelque chose de sa force, et parce que
les choses quand elles sont simples sont toujours plus sensibles. Si donc
tout en étant autres, des mouvements sont égaux, on ne sentira aucun des
deux, car l'un pourra également annuler l'autre; ou du moins, on ne peut certes
pas sentir l'un des deux comme s'il était simple; dans ce cas, ou il n'y aura
pas du tout de sensation, ou il y en aura une différente, formée des deux
mouvements. C'est aussi ce qui paraît arriver pour les choses mélangées dans
la chose à laquelle on les mêle. Il y a donc certaines choses qui se combinent en une, et certaines
autres qui ne se combinent point; ces dernières sont celles qui tombent sous
des sens différents. Ainsi, les choses dont les extrêmes sont des contraires
peuvent se combiner. Mais il n'est pas possible que d'une couleur blanche et
d'un son aigu, il se forme une unité réelle, si ce n'est indirectement; et
alors cette unité ne ressemble pas du tout à l'accord harmonique qui se forme
du grave et de l'aigu. On ne saurait donc non plus percevoir les choses de ce
genre en même temps; car si les mouvements en sont égaux, ils s'annulent
mutuellement, parce que des deux il n'en résulte pas un seul; et s'ils sont
inégaux, le plus fort est le seul qui produise une sensation. Ajoutez que l'âme sentirait plutôt les deux choses par une seule
sensation, quand elles se rapportent à un seul sens, comme le grave et
l'aigu, parce que le mouvement d'un seul sens serait simultané à lui-même
plutôt que celui de deux sens différents, comme la vue et l'ouïe. Or, il est
impossible de sentir deux choses par une seule sensation, à moins que ces
deux choses ne soient mêlées; car le mélange tend toujours à l'unité, et il
n'y a qu'une seule sensation 'pour l'unité. Mais une sensation unique est
simultanée à elle-même, et par conséquent il faut nécessairement que l'on
sente à la fois les choses mêlées, parce qu'on les sent par une seule
sensation en acte; car c'est un seul sens en acte qui sent l'objet quand il
est un numériquement; de même que si l'objet est spécifiquement un, c'est le
sens un en puissance qui le sent. Si donc la sensation en acte est unique,
l'âme croira que les choses senties n'en forment qu'une; et nécessairement
c'est que ces choses se seront combinées. Si au contraire elles ne sont pas combinées,
il y a deux sensations en acte. Mais nécessairement l'acte doit être unique
par rapport à une puissance unique, et à un temps indivisible; car l'exercice
et le mouvement d'un seul sens dans un moment donné sont uniques, de même
qu'il n'y a qu'une seule puissance. Ainsi donc, on ne saurait sentir deux
choses à la fois par un sens unique. Mais si deux choses qui tombent sous un
même sens ne peuvent être perçues à la fois du moment qu'elles sont deux, à
plus forte raison évidemment ne.peut-on sentir à la fois les choses qui
tombent sous des sens différents; par exemple, la couleur blanche et la
saveur douce. C'est qu'en effet l'âme ne semble reconnaître ce qui est
numériquement un, que parce qu'elle le sent dans le même temps, tandis que ce
qui est un en espèce, elle le reconnaît à la fois, et par le sens qui
perçoit, et par la manière dont cet objet agit sur lui : je veux dire, par
exemple, que c'est bien toujours le même sens identique à lui- même qui juge
le blanc et le noir, tout différents que le blanc et le noir sont en espèce,
comme c'est aussi un même sens qui juge le doux et l'amer. Mais dans un des
cas, le sens est différent de ce qu'il est dans l'autre cas; il juge
autrement de chacun des contraires; et c'est ainsi que chacun de ces sens perçoit
de la même façon les objets qui se correspondent, et que par exemple, de même
que le goût perçoit le doux, et que la vue perçoit le blanc, de même aussi la
vue voit le noir, et le goût sent l'amer. |
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Lectio
17 |
Leçon 17 ─ Peut-on percevoir
plusieurs choses à la fois? (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81410] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 1 Solutis duabus
quaestionibus, hic philosophus prosequitur tertiam, quae est ex parte ipsius
sensus. Et circa hoc tria facit. Primo movet quaestionem. Secundo obiicit ad
partem falsam, ibi, si autem semper. Tertio determinat veritatem, ibi, de
prius autem dicta obiectione. Dicit ergo primo, quod circa ipsos sensus est
quaedam alia talis obiectio: utrum scilicet contingat quod simul et in eodem
indivisibili tempore sentiant duo sensus, puta simul dum visus videt colorem,
auditus audiat vocem. |
Après avoir résolu
deux questions, le Philosophe en aborde maintenant une troisième, qui est du
côté du sens comme tel. Et il traite ce sujet en trois points. En premier, il
soulève la question. En deuxième, il argumente en faveur de la fausse
solution, où il dit : Nous prenons
comme démontré, etc. En troisième, il établit la vérité, où il dit :
Pour revenir à la première question, etc.
(leçon XIX). Il dit donc en premier qu’au sujet des sens, il y a aussi
l’objection suivante : est-il possible que deux sens sentent en même
temps et pendant le même moment indivisible, par exemple qu’en même temps que
la vue voit la couleur, l’ouïe entende la voix? |
[81411] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 2 Deinde cum dicit si
autem obiicit ad partem falsam, scilicet ad ostendendum quod duo sensus non
possunt simul sentire. Et primo ponit rationes ad hoc ostendendum. Secundo
excludit quamdam falsam solutionem, per quam hoc sustinebatur, ibi, quod
autem dicunt. Circa primum duo facit. Primo ponit tres rationes: quarum prima
accipitur ex immutationibus sensibilium; secunda ex parte ipsius sensus, ibi
adhuc si magis; tertia ex contrarietate sensibilium, ibi, amplius
contrariorum. Circa primam rationem praemittit duas suppositiones. Quarum
prima est, quod maior motus repellit minorem: et ex hoc dicit provenire
multotiens quod ea quae iacent sub oculis, homines non sentiunt propter alium
fortiorem motum, vel interiorem sive rationis sicut cum homines aliquando
vehementer intendunt ad aliquid, sive appetitivae virtutis sicut cum homines
vehementer timent, vel etiam exteriorem alicuius sensibilis sicut cum homines
audiunt magnum sonum: hoc igitur propter evidentiam dicit esse supponendum. |
Puis lorsqu’il
dit : Nous prenons comme démontré,
etc., il argumente en faveur de la fausse solution, c'est-à-dire pour
montrer que deux sens ne peuvent pas sentir en même temps. Et en premier, il
présente les raisons pour le montrer. En deuxième, il réfute une fausse
solution à l’appui de cet énoncé, où il dit : D’autre part, on a prétendu quelquefois, etc. (leçon XVIII, no
5). Il traite le premier point en trois parties. En premier, il donne trois
arguments : le premier concerne les impressions faites par les
sensibles; le deuxième, le sens lui-même, où il dit : Ajoutez que l’âme sentirait plutôt, etc.;
le troisième, la contrariété entre les sensibles, où il dit : De plus, si les mouvements des contraires,
etc. (leçon XVIII). Quant au premier argument, il présente deux
présupposés. Le premier est qu’un mouvement plus puissant en empêche un moins
puissant; et il dit que c’est pour cela que bien des fois, on ne sent pas ce
qu’on a devant les yeux, à cause d’un autre mouvement plus fort, soit
intérieur (provenant de la raison, comme quand on réfléchit intensément à
quelque chose, ou encore de la faculté appétitive, comme quand on est envahi
par la crainte), soit extérieur du fait d’un autre sensible, comme quand on
entend un grand bruit; il dit donc qu’on doit admettre cette supposition, car
elle est évidente. |
[81412] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 3 Secunda suppositio
est quod unumquodque magis sentitur si sit simplex, quam si sit alteri
permixtum, sicut vinum purum fortius sentitur, quam si sit temperatum aqua.
Et idem est de melle quantum ad gustum, et de colore quantum ad visum, et
quantum ad auditum de una voce, quae magis sentitur si sola sit, quam si
audiatur in consonantia ad aliam vocem, puta in diapason, vel in quacumque
alia consonantia: et hoc ideo, quia quae commiscentur, obscurant se invicem.
Sed haec secunda suppositio non habet locum nisi in his ex quibus unum fieri
potest: haec enim sola permiscentur. |
La deuxième
supposition est que toute chose est sentie davantage si elle est simple que
si elle est mélangée à une autre, comme le vin pur est senti davantage que
quand il est coupé d’eau. Et il en va de même de la couleur quant au goût, de
la couleur quant à la vue, et de l’audition d’une seule voix, qui est mieux
entendue si elle est seule que si elle est entendue en accord avec une autre
voix, par exemple à l’octave ou en tout autre accord; la raison en est
qu’elles se mélangent et se voilent l’une l’autre. Mais cette deuxième
supposition ne s’applique que dans les choses qui peuvent s’unir l’une à
l’autre; en effet, seules ces choses se mélangent. |
[81413] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 4 Ex his autem duabus
suppositionibus ulterius procedit cum subdit, si itaque maior, et dicit quod
si maior motus repellat minorem, ut prima suppositio dicit, necesse est, si
ambo motus sunt simul, quod etiam maior motus minus sentiatur, quam si esset
solus: quia aliquid eius aufertur per minoris commixtionem, ut patet ex
secunda suppositione, scilicet quod simplicia sunt magis sensibilia quam
permixta. Signanter dicit autem si sint simul, quia maior motus
quandoque est tam fortis quod non permittit alium motum fieri; et tunc in
nullo diminuitur ex motu minori, quia non est. Sed si tantum praevaleat, quod
non omnino impediat minorem motum fieri, duobus motibus existentibus, necesse
est quod minor motus in aliquo obscuret maiorem. Si ergo motus fuerint omnino
aequaliter diversi existentes, neuter erit sensibilis, quia totaliter alter
obscurat alterum; nisi forte ex istis duobus motibus permixtione fiat unus
motus: sed non potest aliquis eorum simplex sentiri: et sic oportet quod vel
nullus sensus fiat illorum motuum aequalium, vel quod sit quidam alter sensus
compositus ex utrisque, inquantum scilicet id quod sentitur est compositum ex
utrisque: et hoc manifeste apparet in omnibus quae commiscentur. Nam
permixtum non est aliquid eorum quae commiscentur, sed quoddam alterum
compositum ex his. Sic ergo ex praemissis patet, quod, si duo motus fuerint
inaequales, maior obscurat minorem; si autem aequales vel nil sentitur, vel
aliquid commixtum. |
À partir de ces
deux suppositions, il continue en ajoutant si donc le plus grand, et
il dit que si le plus grand mouvement repousse le plus petit, comme l’affirme
la première supposition, il est nécessaire, si les deux mouvements ont lieu
en même temps, que le plus grand mouvement aussi soit moins senti que s’il
était seul, car quelque chose lui est enlevé par son mélange au plus petit,
comme le manifeste la deuxième supposition, à savoir que les choses simples
sont plus perceptibles que les choses mélangées. Il est notable qu’il dise quand
ils sont simultanés, car parfois, le plus grand mouvement est si puissant
qu’il ne permet pas qu’un autre mouvement se produise; et alors, il n’est
nullement diminué par le plus petit mouvement, car celui-ci n’existe pas.
Mais s’il ne l’emporte pas au point d’empêcher totalement le plus petit mouvement
de se produire, il est nécessaire que le plus petit atténue quelque peu le
plus grand. Si donc deux mouvements sont absolument égaux mais sont
différents, aucun des deux ne sera perceptible, car l’un annulera totalement
l’autre, à moins peut-être que le mélange des deux mouvements n’en produise
un seul, mais alors l’un des deux mouvements simples ne peut pas y être
senti. Il faut donc, soit qu’il n’y ait aucune sensation de ces mouvements
égaux, soit qu’il y ait une autre sensation composée des deux, en tant que ce
qui est senti est un composé des deux; et cela est bien évident pour toutes
les choses qui se mélangent. En effet, le mélange n’est pas l’une des choses
qui sont mélangées, mais quelque chose d’autre qui en est composé. Ainsi
donc, il ressort de ce qui précède que si deux mouvements sont inégaux, le
plus grand oblitère le plus petit; s’ils sont égaux, ou bien on ne sent rien,
ou bien on sent un mélange. |
[81414] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 5 Ex his autem
ulterius procedit, proponens quod quaedam sunt, ex quibus potest aliquod unum
fieri; quaedam vero sunt, ex quibus unum fieri non potest: et huiusmodi sunt
illa quae sentiuntur diversis sensibus, sicut color et odor. Illa enim solum
commisceri possunt, in quibus extrema sunt contraria, quia commixtio fit per
quamdam alterationem; sed ea quae sentiuntur diversis sensibus, non sunt
contraria adinvicem, unde non possunt commisceri. Unde non fit aliquid unum
ex colore albo et sono acuto, nisi forte per accidens, inquantum conveniunt
in eodem subiecto; non autem per se, sicut symphonia constituitur ex voce
gravi et acuta. Et ex his concludit quod nullo modo contingit sentire
sensibilia diversorum sensuum simul. Quia, si eorum motus sint aequales omnino,
destruent seinvicem, cum non possit unum fieri ex ipsis; si vero sint
inaequales, maior motus praevalebit, et ipse solus sentietur. |
À partir de là, il
va plus loin en affirmant qu’il y a des choses à partir desquelles on peut
faire une unité, et d’autres à partir desquelles on ne peut pas; et ces
dernières sont celles qui sont senties par des sens différents, comme la
couleur et l’odeur. En effet, les seules qui peuvent se mélanger sont celles
pour lesquelles les extrêmes sont contraires, car le mélange se fait par une
certaine altération; mais les choses qui sont senties par des sens différents
ne sont pas contraires entre elles et ne peuvent donc pas se mélanger. Il
s’ensuit qu’une unité ne peut pas être formée à partir de la couleur blanche
et d’un son aigu, sinon peut-être par accident, en tant qu’ils sont réunis
dans le même sujet, mais pas essentiellement, comme un accord est formé d’un
son grave et d’un son aigu. Et il conclut de là qu’il n’est possible en
aucune façon de sentir en même temps les objets sensibles de divers sens. En
effet, si leurs mouvements étaient absolument égaux, ils se détruiraient l’un
l’autre, puisqu’ils ne peuvent pas former une unité; s’ils étaient inégaux,
le mouvement le plus fort l’emporterait, et lui seul serait senti. |
[81415] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 6 Deinde cum dicit
adhuc si magis ponit secundam rationem, quae sumitur ex unitate et
pluralitate sensuum. Et arguit per locum a maiori negative. Magis enim
videtur quod anima possit duo aliqua sentire simul pertinentia ad unum
sensum, sicut acutum et grave in sonis, quam diversa sensibilia ad diversos
sensus pertinentia per duos sensus. Et huius rationem assignat: quia quanto
motus sunt magis diversi, minus videntur eidem potentiae simul attribui. Duo
autem motus quibus anima diversis sensibus sentit diversa sensibilia
diversorum sensuum et diversorum generum, sunt magis diversi quam duo motus,
quibus per unum sensum sentit diversa sensibilia eiusdem generis. Unde magis
videtur quod possit esse simul in una anima motus unius sensus respectu
diversorum sensibilium eiusdem generis, quam motus duorum sensuum, puta visus
et auditus. |
Puis lorsqu’il
dit : Ajoutez que l’âme sentirait plutôt, etc., il donne le
deuxième argument, fondé sur l’unité et la pluralité des sens. Et il apporte
un argument négatif allant du plus au moins fort. Il semble en effet plus
probable que l’âme puisse sentir en même temps deux choses qui touchent le
même sens, comme l’aigu et le grave dans les sons, que des sensibles
différents produisant des sensations différentes par deux sens. Et il en
donne la raison : plus deux mouvements dont différents, moins ils
semblent pouvoir être attribués à la même puissance. Or, deux mouvements par
lesquels l’âme a la perception de sensibles différents affectant des sens
différents et appartenant à des genres différents diffèrent davantage que
deux mouvements par lessquels le même sens perçoit des sensibles divers du
même genre. Il semble donc plus probable qu’il puisse y avoir en même temps
dans la même âme des mouvements d’un seul sens concernant divers sensibles du
même genre plutôt que des mouvements de deux sens, par exemple la vue et
l’ouïe. |
[81416] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 7 Posita autem hac
comparatione, removet, id quod magis videtur: et dicit quod non contingit
simul sentire duo sensibilia per unum sensum, nisi illa duo fuerint commixta;
et tunc quando mixta sunt, non sunt duo, quia mixtum naturaliter est aliquid
unum. Quod autem sensus unus non possit cognoscere multa nisi inquantum
fuerint unum per mixturam, probat per hoc quod unus sensus in actu, non
potest esse simul nisi unius, sicut nec aliqua una operatio aut unus motus
terminatur nisi ad aliquid unum. Sensus autem non potest esse simul in actu
nisi unius, sicut nec aliqua potentia simul recipit diversas formas. Unde
necesse est, quod si aliquis sensus, puta visus vel auditus, debeat sentire
plura, sentiat ea inquantum sunt facta unum permixtione. |
Après avoir fait
cette comparaison, il élimine ce qui semble plus probable, en disant qu’on ne
peut pas sentir deux sensibles par le même sens, à moins qu’ils ne soient
mélangés, et alors, quand ils sont mélangés, ils ne sont plus deux, car ce
qui est mélangé forme naturellement une unité. Et qu’un seul sens ne puisse
pas connaître plusieurs choses sinon en tant qu’elles constituent une unité
par mélange, il le prouve par le fait qu’une sensation en acte ne peut être
que d’une seule chose à la fois, comme une seule opération ou un seul
mouvement ne se termine que par une seule chose. Mais la sensation ne peut
être en acte qu’à une seule chose à la fois, comme aucune puissance ne reçoit
des formes diverses en même temps. Il est donc nécessaire, si un sens tel que
la vue ou l’ouïe doit sentir plusieurs choses, qu’il les sente en tant
qu’elles ne font qu’une par mélange. |
[81417] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 8 Et hoc ideo, quia
potentia sensitiva sentit illa duo secundum unum sensum in actu, idest
secundum unam operationem sensitivam. Ex hoc autem sensus secundum actum,
idest operatio sensitiva, habet unitatem secundum numerum, quia est unius
sensibilis: specie autem est unus sensus secundum actum, sive una operatio
sensitiva, ex eo quod est secundum potentiam unam; sicut omnes visiones
quorumcumque visibilium sunt eiusdem speciei propter unitatem potentiae; sed
visio huius rei differt numero a visione alterius rei. Necesse est ergo, si
est unus sensus secundum actum, quod unum dicat, idest iudicet; ergo oportet
quod, si sunt multa, quod commisceantur in unum; et si non fuerint mixta,
necesse est quod sint duo sensus secundum actum, idest duae operationes
sensitivae. |
Et la raison en est
que la puissance sensitive sent ces deux choses par une seule sensation en
acte, c'est-à-dire par une seule opération sensitive. Et de ce fait, la
sensation en acte, c'est-à-dire l’opération sensitive, a une unité numérique,
car elle porte sur un seul sensible; en espèce, elle est une seule sensation
en acte, ou une seule opération sensitive, du fait qu’elle vient d’une même
puissance; ainsi, toutes les visions de tous les objets visibles sont d’une
même espèce à cause de l’unité de la puissance, mais la vision d’une chose
diffère numériquement de la vision d’une autre. Il est donc nécessaire, s’il
y a une seule sensation en acte, qu’elle dise, c'est-à-dire juge, une seule
chose; il faut donc, s’il y en a plusieurs, qu’elles se mélangent en une et,
si elles ne sont pas mélangées, il y a nécessairement deux sensations en
acte, c'est-à-dire deux opérations sensitives. |
[81418] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 9 Sed necesse est quod
unius potentiae in eodem indivisibili tempore sit una operatio, quia unius
rei non potest esse simul nisi unus actus et unus motus. Unde, cum operatio
sensitiva nihil aliud sit quam usus quidam quo anima utitur potentia
sensitiva, erit motus quidam ipsius potentiae, inquantum sensus movetur a
sensibili. Cum ergo unus sensus sit una potentia, non contingit quod sic
multa sentiantur uno sensu. Si ergo ea quae sunt unius sensus non possunt
simul sentiri, si sunt duo, manifestum esse videtur adhuc quod minus
contingit simul sentire quae sunt secundum diversos sensus, sicut album et
dulce. |
Mais il est
nécessaire qu’une puissance, dans le même moment indivisible, ait une seule
opération, car une seule chose ne peut avoir en même temps qu’un seul acte et
un seul mouvement. Il s’ensuit que, puisqu’une opération sensitive n’est rien
d’autre que l’usage d’une puissance sensitive par l’âme, cette puissance a un
mouvement en tant que le sens est mû par un objet sensible. Donc, puisqu’un
seul sens est une seule puissance, il ne se peut pas que plusieurs choses
soient senties ainsi par un seul sens. Si donc des choses qui affectent un
seul sens ne peuvent pas être senties en même temps s’il y en a deux, il
semble évident qu’il est encore moins possible de sentir ce qui se rapporte à
des sens différents, comme le blanc et le doux. |
[81419] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 10 Hanc autem
illationem consequenter manifestat, dicens, quod anima nullo modo alio
videtur diiudicare aliquid esse unum numero nisi inquantum simul ab ea
percipitur: ipsa enim operatio sensitiva est una numero inquantum est simul,
ut dictum est. Sed anima dicit aliquid esse unum specie, non ex eo quod simul
sentit, sed quia est idem sensus qui iudicat utrumque, et quia est idem modus,
quo uterque sentit. |
Il démontre ensuite
cette conclusion en disant que l’âme ne semble avoir aucune autre façon de
discerner si une chose est numériquement une que de la percevoir d’un seul
coup : en effet, l’opération sensitive est numériquement une en tant
qu’elle a lieu toute à la fois, comme on l’a dit. Mais l’âme affirme qu’une
chose est une en espèce, non du fait qu’elle sent deux choses en même temps,
mais parce que c’est le même sens qui juge les deux et que c’est de la même
façon qu’il sent les deux. |
[81420] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 11 Ad exponendum hoc
quod dixerat subdit, quod idem proprium, idest idem sensus proprius iudicat
de duobus diversis, scilicet de albo et de nigro, et similiter dulce et
amarum diiudicat quidam sensus, qui est idem numero, quia eodem sensu,
scilicet gustu utrumque cognoscitur. Sed iste sensus, qui idem existens
cognoscit dulce et amarum, alius est ab illo qui cognoscit album et nigrum.
Sed tamen unus et idem sensus aliter cognoscit utrumque contrariorum: unum
enim cognoscit sicut habitum et aliquid perfectum, et aliud sicut privationem
et aliquid imperfectum: omnia enim contraria hoc modo se habent: tamen idem
est modus quo uterque sensus cognoscit cognata, idest principia
proportionabiliter sibi respondentia. Eo enim modo, quo gustus sentit dulce,
visus album; et sicut visus nigrum, ita et gustus amarum. |
Pour expliquer ce
qu’il a dit, il ajoute que le même sens propre juge de deux choses
différentes, comme le blanc et le noir, et pareillement le doux et l’amer
sont discernés par un sens qui et numériquement un, car les deux sont connus par
le même sens, le goût. Mais ce sens qui, étant le même, connaît le doux et
l’amer, est différent de celui qui connaît le blanc et le noir. Pourtant, un
seul et même sens connaît différemment chacun des contraires : en effet,
il en connaît un comme une propriété possédée et une chose parfaite, et
l’autre comme privation et chose imparfaite : en effet, tous les
contraires se comportent ainsi; pourtant, c’est de la même façon que les deux
sens connaissent ce qu’ils connaissent, c'est-à-dire les principes qui se correspondent
proportionnellement l’un à l’autre. En effet, le goût sent le doux comme la
vue sent le blanc, et il sent l’amer comme la vue sent le noir. |
[81421] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 17 n. 12 Patet ergo quod
anima iudicat aliqua esse diversa specie, vel diversa sensu, sicut album et
dulce vel eodem sensu, sed diverso modo, sicut album et nigrum; unum autem
numero ex hoc quod simul sentit. Si ergo impossibile est illud quod est unum
specie esse unum numero, videtur impossibile esse quod anima simul sentiat,
vel ea quae cognoscuntur diversis sensibus, vel ea quae cognoscuntur uno
sensu, sed alio modo, quae minus diversa esse videntur. |
Il est donc évident
que l’âme juge que des choses sont d’espèce différente soit par un sens
différent, comme le blanc et le doux, soit par un mode différent, comme le
blanc et le noir, mais elle juge qu’une chose est numériquement une parce qu’elle
la sent d’un seul coup. Si donc il est impossible que ce qui est un en espèce
soit un numériquement, il semble impossible que l’âme sente d’un seul coup
soit ce qu’elle connaît par des sens différents, soit ce qu’elle connaît par
un seul sens mais d’une façon différente; dans ce dernier cas, la différence
entre les choses connues semble moins grande. |
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Leçon 18 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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De plus, si les mouvements des contraires sont contraires, et que les
contraires ne puissent jamais être en même temps dans un seul et même
individu, bien qu'ils puissent tomber sous un même sens, comme le doux et
l'amer, il s'ensuit que l'on ne peut pas non plus les sentir tous deux à la
fois. Il est tout aussi clair qu'on ne peut pas davantage sentir ainsi les
choses qui ne sont pas contraires; car [parmi les couleurs] les unes se
rapportent au noir et les autres au blanc; et cette remarque s'applique également
aux autres sensations; et par exemple aux saveurs, dont les unes se
rapportent au doux et les autres à l'amer. Il n'est pas même possible de
sentir à la fois les choses mêlées, parce qu'elles appartiennent dans leurs
rapports à des opposés, et par exemple, la tonique et la quinte, à moins
qu'elles ne soient senties comme une seule et même chose; et c'est ainsi
seulement qu'il n'y a qu'une notion unique des extrêmes, mais non pas
autrement; car il y aura notion simultanée, tantôt du rapport du grand au
petit, ou de l'impair au pair, et tantôt du rapport du petit au grand ou du
pair à l'impair. Si donc des choses analogues, mais de genre différent, sont
encore plus éloignées les unes des autres, et sont plus dissemblables entre
elles que les choses qui sont dans un même genre, par exemple je veux dire le
doux et le blanc, que j'appelle analogues, mais qui sont de genre différent,
le doux s'éloignant spécifiquement plus encore du noir que du blanc, il est
encore moins possible de sentir simultanément ces dernières choses que celles
d'un même genre; et il s'ensuit que si les choses d'un genre identique ne
sont pas perçues à la fois, les autres ne le sont pas davantage. D'autre part, on a prétendu quelquefois, pour les accords des sons
entre eux, que les sons n'arrivent pas en même temps à notre oreille, mais
qu'ils paraissent seulement y arriver ainsi, et que cette illusion vient de
ce que le temps qui sépare chaque son est imperceptible; cette opinion
est-elle juste ou ne l'est-elle pas? Ajoutons qu'on pourrait fort aisément
étendre cette explication, et dire aussi qu'on croit voir et entendre à la
fois une seule et même chose, parce que les intervalles de temps [qui
séparent la vue et l'ouïe] nous échappent. Ou bien doit-on dire que cela
n'est pas exact, et qu'il n'est pas possible qu'il y ait un temps qui soit
insensible pour nous et nous échappe, et que nous pouvons toujours le
percevoir quel qu'il soit? En effet, si lorsqu' on se sent soi-même, ou même
lorsqu'on sent quelque autre chose dans un temps continu, on ne peut point
ignorer sa propre existence ou celle de la chose; et si dans cette durée
continue il y avait un moment, quelque court qu'on le fasse, où l'on fût tout
à fait insensible, il est clair aussi que dans cet instant on ne saurait même
pas si l'on existe soi-même, ou si l'on voit quelque objet; et qu'alors, et
tout à la fois, on pourrait dire qu'on ne sent pas et qu'on sent. En outre, il n'y aura plus de temps ou de chose perçue dont on ne
puisse dire aussi, ou qu'on n'a senti que dans une partie de ce temps, ou
qu'on n'a vu qu'une partie de cette chose, du moment qu'on suppose qu'il y a
quelque parcelle du temps ou des choses qui devienne tout à fait insensible
pour nous à cause de sa petitesse. Admettons que l'on voie la chose entière,
et qu'on sente le temps lui-même tout entier sans discontinuité, seulement
parce qu'on aura senti une partie du temps ou qu'on aura vu une partie de la
chose, et admettons aussi qu'il y ait quelque parcelle insensible.
Retranchons CB qui est cette parcelle dans laquelle on ne sent pas. Il
s'ensuivra qu'il suffît, pour sentir le tout, d'une partie du temps ou d'une
partie de la chose; par exemple, qu'on voit la terre entière parce qu'on en
voit telle partie, et que l'on marche durant l'année entière parce que l'on
marche durant une partie de l'année. Mais on ne sent rien en BC; c'est donc
parce que l'on sent dans quelque partie de AB que l'on dit qu'on sent le tout
et la terre entière. Mais le même raisonnement serait bon pour AC; car c'est
toujours dans quelque partie du temps que l'on sent, ou c'est toujours
quelque partie de la chose, et l'on ne sent jamais le tout. Ce qu'il faut
affirmer, c'est que l'on sent les choses tout entières, mais qu'elles ne
paraissent pas toujours tout ce qu'elles sont. C'est ainsi qu'on voit les
dimensions du soleil, et de loin, celles d'un objet de quatre coudées, sans
qu'elles paraissent aussi grandes qu'elles le sont réellement. Mais parfois
elles nous semblent indivisibles, et l'on ne voit pas l'indivisible; nous en
avons expliqué la cause dans ce qui précède. Concluons donc de là
qu'évidemment il n'y a pas du tout de temps qui soit imperceptible pour nous.
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Lectio
18 |
Leçon 18 ─ Existe-t-il un
temps imperceptible? (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81422] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 1 Positis duabus
rationibus ad ostendendum quod non contingit sensus duos simul sentire, hic
ad idem ponit tertiam rationem, quae sumitur ex contrarietate sensibilium. Et
dicit quod immutationes, quae sunt a contrariis, sunt contrariae, sicut
calefactio et infrigidatio. Contraria autem non possunt simul esse in eodem
atomo, idest indivisibili; in eodem indivisibili possunt simul esse contraria
secundum diversas partes. Manifestum autem est quod ea quae cadunt sub unum
sensum, sunt contraria, sicut dulce et amarum: ergo non possunt simul
sentiri. |
Après avoir
présenté deux arguments pour montrer que le sens ne peut pas sentir deux
choses en même temps, il donne ici un troisième argument dans le même sens,
qui est fondé sur la contrariété des sensibles. Et il dit que les impressions
qui viennent des contraires sont contraires, comme le réchauffement et le
refroidissement. Mais les contraires ne peuvent pas être en même temps dans
le même atome, ou le même indivisible; dans le même indivisible, les
contraires peuvent être présents en même temps selon diverses parties. Or, il
est évident que les choses qui tombent sous le même sens sont contraires,
comme le doux et l’amer; donc, elles ne peuvent pas senties en même temps. |
[81423] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 2 Et similis ratio est
in his quae non sunt contraria, scilicet in mediis, quorum quaedam magis
appropinquant ad unum extremum quaedam magis ad aliud, sicut supra dictum est
de coloribus et saporibus; quia colorum mediorum, quidam pertinent ad album,
et quidam ad nigrum; et similiter saporum mediorum, quidam pertinent ad
dulce, quidam ad amarum: et eadem ratio est de commixtis omnibus, quia
diversae commixtiones habent quamdam contrarietatem, quia diversae commixtiones
fiunt secundum diversas proportiones, quae habent quamdam oppositionem
adinvicem, ut patet in consonantiis, quarum una dicitur diapason, quae
consistit in dupla proportione, quae est duorum ad unum; alia autem dicitur
diapente quae consistit in proportione sesquialtera, quae est trium ad duo;
ista autem inquantum sunt commixta diversis proportionibus, non possunt simul
sentiri propter oppositionem proportionum, nisi forte duo sentiantur ut unum,
quia sic fiet una proportio ex diversis extremitatibus. |
Et il en va de même
pour les choses qui ne sont pas contraires, c'est-à-dire les intermédiaires,
dont certains s’approchent davantage d’un extrême et certains s’approchent
davantage de l’autre, comme on l’a dit plus haut pour les couleurs et les
saveurs, car, dans les couleurs intermédiaires, certaines touchent au blanc
et d’autres au noir; de même, pour les saveurs intermédiaires, certaines
touchent au doux et d’autres à l’amer; et il en va de même pour tous les
mélanges, car divers mélanges ont une certaine contrariété; en effet, des
mélanges divers se font selon diverses proportions, qi ont une certaine
opposition entre elles, comme cela est évident pour les accords, dont l’un
est appelé octave, qui est dans la proportion du double, de 2 à 1; un autre est
appelé quinte et consiste dans la proportion sesquialtère, soit de 3 à 2; ces
accords, en tant qu’ils consistent en des mélanges de diverses proportions, ne
peuvent pas être sentis en même temps à cause de l’opposition des
proportions, à moins peut-être que les deux ne soient sentis comme un seul,
car ainsi il y aurait une seule proportion à partir d’extrémités différentes. |
[81424] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 3 Ostendit autem
consequenter diversas proportiones esse oppositas secundum duplicem oppositionem,
quae in numeris invenitur: quarum una est secundum multum et paucum, et
secundum hoc opponuntur proportio dupli et proportio dimidii: nam proportio
dupli est multi ad paucum proportio vero dimidii est pauci ad multum. Alia
vero est oppositio secundum par et impar, et secundum hoc opponuntur
proportio dupla et sesquialtera: nam proportio dupla est duorum ad unum,
quasi paris ad impar, unum enim est forma imparis numeri. Sesquialtera autem
proportio est trium ad duo, quod est imparis ad parem. |
Il montre ensuite
que des proportions différentes sont opposées selon deux genres d’opposition
qu’on trouve dans les nombres : l’une est l’opposition de beaucoup à
peu, et la proportion du double et celle de la moitié s’opposent de cette
façon, car la proportion du double est une proportion de beaucoup à peu, et
la proportion de la moitié est de peu à beaucoup. L’autre opposition est
celle du pair et de l’impair, et c’est ainsi que s’opposent la proportion du
double et celle du sesquialtère, car la proportion du double est de 2 à 1,
soit du pair à l’impair; en effet, 1 est la forme du nombre impair. Quant à
la proportion sesquialtère, elle est de 3 à 2, soit de l’impair au pair. |
[81425] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 4 Sic ergo patet quod
non possunt simul sentiri quae cadunt sub eodem sensu. Plus autem distant
adinvicem quae coelementariter sibi correspondent in diverso genere
existentia, puta dulce et album, quam ea quae sunt unius generis; quia ea
quae sunt unius generis, non distinguuntur specie nisi propter modum
sentiendi, sicut album et nigrum. Ea vero quae sunt diversorum generum
possunt differre specie non solum ex parte sensus, sed etiam ex parte modi,
sicut dulce a nigro plus differt quam album, unde minus possunt simul
sentiri, quod est quasi esse unum numero, ut supra habitum est. Si igitur ea
quae sunt unius generis, propter contrarietatem non possunt simul sentiri,
multo minus ea quae sunt diversorum generum, possunt simul sentiri. |
Ainsi donc, il est
évident que les choses qui tombent sous le même sens ne peuvent être senties
en même temps. Mais les objets qui se correspondent entre eux comme éléments
communs existant dans des genres différents, tels que le doux et le blanc,
sont plus éloignés l’un de l’autre que ceux qui sont du même genre; en effet,
ceux du même genre, comme le noir et le blanc, ne se distinguent pas par
l’espèce, mais seulement par la façon de sentir. Mais les choses qui sont de
genres différents peuvent différer en espèce non seulement du côté des sens,
mais aussi du côté de la manière : ainsi, le doux est plus différent du
noir que du blanc, et ils peuvent donc moins être sentis ensemble, ce qui est
semblable à être numériquement un, comme on l’a vu plus haut. Si donc les
choses qui sont du même genre, du fait qu’elles sont contraires, ne peuvent
pas être senties en même temps, encore bien moins celles qui sont de genres
différents. |
[81426] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 5 Deinde cum dicit quod
autem excludit quamdam falsam solutionem huius quaestionis. Et primo
narrat eam. Secundo improbat, ibi, aut hoc non est verum. Dicit ergo primo,
quod quidam de symphoniis, id est de consonantiis musicis tractantes,
dixerunt quod soni consonantes non simul perveniunt ad auditum, sed videntur
simul pervenire, eo quod tempus medium est insensibile propter parvitatem. De
quo potest esse dubium utrum recte dicatur vel non: si enim hoc recte
dicatur, poterit aliquis similiter in proposito dicere consentiens praemissis
rationibus, quod non est possibile simul videre et audire: sed tamen
sensibiliter videtur ita contingere, quia latent nos tempora media visionis
et auditionis. |
Ensuite, où il
dit : D’autre part, on a prétendu quelquefois, etc., il rejette
une fausse solution de cette question. Et en premier, il la présente; en
deuxième, il la réfute, où il dit : Ou bien doit-on dire que cela
n’est pas exact, etc. Il dit donc en premier que certains ont dit en
traitant des symphonies, c'est-à-dire des accords musicaux, que les
sons des accords ne parviennent pas en même temps à l’ouïe, mais semblent y
parvenir en même temps du fait que le temps intermédiaire est imperceptible à
cause de sa brièveté. On peut se demander si ceux qui parlent ainsi ont
raison ou non; en effet, si cette affirmation est correcte, on pourrait dire
également au sujet de cette question, en donnant son accord aux arguments ci-dessus,
qu’il n’est pas possible de voir et d’entendre en même temps, et pourtant, il
semble à notre sentiment que tel est le cas, parce que nous ne percevons pas
le temps intermédiaire entre vision et audition. |
[81427] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 6 Deinde cum dicit aut
hoc improbat praedictam solutionem. Et circa hoc tria facit. Primo interimit
id quod praedicta solutio supponit. Secundo probat quod dixerat, ibi, omnia
quidem igitur. Dicit ergo primo, quod non est verum quod praedicta solutio
supponit, scilicet quod sit aliquod tempus insensibile vel latens sensum;
nullum enim tempus est tale, sed omnia tempora contingit sentire. |
Puis lorsqu’il
dit : Ou bien doit-on dire que cela, etc., il réfute cette
solution. Et il le fait en trois temps. En premier, il féfute le présupposé
de la solution précédente. En deuxième, il prouve ce qu’il a dit, où il
dit : En effet, si lorsqu’on se sent, etc. [En troisième, il
clarifie la vraie solution, où il dit : Ce qu’il faut affirmer, c’est
que l’on sent, etc.[125]]
I dit donc en premier que ce que la solution précédente suppose n’est pas
vrai, à savoir qu’il existe un temps imperceptible ou caché aux sens; en
effet, aucun temps n’est de ce genre, mais tous les temps peuvent être
sentis. |
[81428] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 7 Deinde cum dicit si
enim probat quod dixerat duabus rationibus. Circa quarum primam considerandum
est, quod tempus non sentitur quasi aliqua res permanens proposita sensui,
sicut videtur color, magnitudo; sed propter hoc sentitur tempus, quia
sentitur aliquid quod est in tempore: et ideo sequitur, quod si aliquod
tempus non sit sensibile, quod id quod est in tempore illo non sit sensibile.
Dicit ergo quod, si aliquando aliquis sentit se ipsum esse in aliquo continuo
tempore, non contingit latere illud tempus esse: manifestum est autem quod
homo vel aliquid aliud est in quodam continuo tempore; et quantumcumque dicas
parvum tempus esse insensibile, manifestum est quod latebit hominem, si ipse
sit in illo tempore, et latebit etiam si in illo tempore videt vel sentit;
quod est inconveniens omnino: ergo impossibile est aliquod tempus esse
insensibile. |
Puis lorsqu’il
dit : En effet, si lorsqu’on se sent, etc., il prouve ce qu’il a
dit par deux raisons. Pour la première, il faut remarquer que le temps n’est
pas senti comme une chose permanente proposée aux sens, comme on voit la
couleur et la grandeur; mais si le temps est senti, c’est parce qu’on sent quelque
chose qui est dans le temps; il s’ensuit donc que s’il y a un temps non
perceptible, il y a quelque chose dans ce temps qui n’est pas perceptible. Il
dit donc que, s’il arrive parfois à quelqu'un de sentir qu’il est dans un
temps continu, ce temps ne peut pas lui être caché; or il est évident que
l’homme ou un autre être est dans un temps continu, et, si bref qu’on dise
être le temps imperceptible, il est évident qu’il sera caché à l’homme s’il
se trouve dans ce temps, et il sera également caché s’il voit ou sent pendant
ce temps; or, cela est tout à fait absurde; il est donc impossible qu’il
existe un temps imperceptible. |
[81429] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 8 Secundam rationem
ponit ibi, amplius nec circa quam primo considerandum est, quod, sicut dicit
philosophus in quinto physicorum, tripliciter dicitur aliquid movere aut
moveri. Uno modo per accidens, ut si dicamus musicum ambulare. Alio modo
secundum partem, ut si dicamus hominem sanari, quia oculus sanatur. Tertio
modo primo et per se, quando aliquid movetur vel movet, non quia una pars
eius tantum movetur aut movet, sed quia totum movetur secundum quamlibet suam
partem. Et similiter potest dici tripliciter aliquid sentiri. Uno modo per accidens,
sicut dulce videtur. Alio modo secundum partem, ut si dicamus hominem videri,
quia solum caput eius videtur. Tertio modo primo et per se, scilicet quia
aliqua pars eius videatur. |
Il présente la
deuxième raison où il dit : En outre, il n’y aura plus de temps, etc.
En premier, il faut remarquer que, comme le dit le Philosophe au livre V des Physiques,
on dit de trois façons que quelque chose meut ou est mû : d’une façon,
par accident, comme si nous disons qu’un musicien marche : d’une autre
façon, selon une partie, comme si nous disons qu’un homme guérit parce que
son œil guérit; d’une troisième façon, de façon première et essentielle,
quand une chose est mue ou meut, non parce que seulement une de ses parties
est mue ou meut, mais parce que le tout est mû en toutes ses parties.
Pareillement, on peut dire qu’une chose est sentie de trois façons :
d’une façon, par accident; par exemple, on voit ce qui est doux; d’une autre
façon, selon une partie, comme si on dit qu’on voit un homme parce qu’on voit
seulement sa tête; d’une troisième façon, première essentielle, selon
laquelle on voit chaque partie[126]. |
[81430] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 9 Dicit ergo quod, si
est aliqua magnitudo, vel temporis vel etiam rei corporalis insensibilis
propter parvitatem, sequeretur quod nec tempus nec illa res sit quae sentit,
scilicet in quo tempore scilicet non sit, idest non sentiatur quia
in huius aliquo. Quasi dicat. Nullum tempus erit possibile quod non
dicatur sentiri propter aliquam partem eius. Et quantum ad rem corpoream
subdit: vel quia istius aliquid videt. Quasi dicat. Nulla magnitudo
corporea erit quae non sentiatur quia aliqua pars eius sentitur: quod est eam
non esse sensibilem primo. |
Il dit donc que
s’il existe soit un laps de temps, soit une grandeur corporelle qui est
imperceptible à cause de sa petitesse, il s’ensuit qu’il n’y aura pas de
temps, ni de chose qu’on sent, pendant lequel (pour le temps) ce ne
sera pas le cas (elle ne sera pas sentie), car elle ne sera pas sentie
pendant une certaine partie. Autrement dit, il n’y aura pas de temps pendant
lequel on ne dira pas que le temps est senti parce qu’une certaine partie du
temps est sentie. Et pour ce qui est des choses corporelles, il ajoute :
ou parce qu’on voit une partie de cette chose. Autrement dit, il n’y
aura aucune grandeur qui ne sera pas sentie parce qu’une partie et sentie, ce
qui veut dire qu’elle n’est pas sensible de façon première. |
[81431] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 10 Ad probandum autem
quod dixerat, subdit, quod si aliquis videt vel sentit quocumque sensu aliquo
continuo tempore, non ratione alicuius partis temporis vel magnitudinis, et
tamen ponatur aliqua magnitudo et tempus esse insensibilis propter
parvitatem, sit igitur quaedam magnitudo vel temporis vel rei corporalis,
scilicet a c b, et sit pars eius, quae est b c, insensibilis propter
parvitatem. Non ergo de hac parte insensibili propter parvitatem poterit dici
quod sentiatur in huius aliquo si sit tempus insensibile, vel quod sentiatur
aliquid istius si sit insensibile corpus, eo modo quo dicitur de tota terra,
quod videtur ab aliquo quia aliqua pars eius videtur: et de aliquo quod
ambulat in amne, quia ambulat in quadam parte amnis. Quia ergo in c b, nil
sentit, relinquitur quod dicatur sentire totum a b, sive sit tempus, sive
corpus, quia in residua parte eius sentitur, scilicet a c. |
Pour prouver ce
qu’il a dit, il ajoute que si on voit, ou si on sent par n’importe quel sens,
pendant un temps continu et non en raison d’une partie du temps ou de la
grandeur, et si on affirme pourtant qu’il y a une grandeur et un temps qui
sont imperceptibles à cause de leur petitesse, supposons donc un laps de
temps ou une grandeur corporelle ABC, et une partie BC qui est imperceptible
à cause de sa petitesse. On ne peut donc pas dire de cette partie insensible
à cause de sa petitesse qu’elle est sentie dans une de ses parties, si elle
est un temps imperceptible, ou qu’une de ses parties est sentie, si elle est
un corps imperceptible, de la façon dont on dit de toute la terre que
quelqu'un la voit parce qu’il en voit une partie, ou que quelqu'un marche pendant
une année parce qu’il marche pendant une partie de l’année. Donc, comme il ne
sent rien dans CB, il reste qu’on est censé sentir tout AB, que ce soit un
temps ou un corps, parce que la partie qui reste, AC, est sentie. |
[81432] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 11 Et eadem ratio est
de magnitudine a c quae ponebatur sentiri: quia aliqua pars eius erit
insensibilis propter parvitatem. Et ita semper dicetur sentiri quodcumque
sensibile quia in aliquo eius sentitur, si sit tempus, vel quia aliquid eius
sentitur, si sit corpus. Nihil autem totum erit sentire: sicut nec a c b. Hoc
autem videtur inconveniens: non ergo est aliquod tempus vel aliquod corpus
insensibile propter parvitatem. |
Et la même raison
s’applique à la grandeur AC qu’on affirmait être sentie, car une de ses
parties sera imperceptible à cause de sa petitesse. Et ainsi, on dira
toujours que n’importe quel sensible est senti parce qu’il est senti dans une
partie du temps, si c’est du temps, ou parce qu’une de ses parties est
sentie, si c’est un corps. Mais on ne pourra rien sentir en entier, et donc
ACB non plus. Mais cela semble absurde; il n'y a donc aucun temps ni aucun
corps qui soit imperceptible à cause de sa petitesse. |
[81433] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 12 Videtur autem haec
ratio efficaciam non habere. Sentitur enim aliquid per hoc, quod habet
virtutem immutandi sensum: probatur autem septimo physicorum, quod si aliquod
totum movet aliquod mobile in aliquo tempore, non oportet quod pars eius
moveat illud mobile in quocumque tempore: et tamen dicitur esse primum
movens, quia totum movet, licet forte nulla pars eius moveat. Similiter ergo
videtur posse dici quod aliquid sit primo sensibile, licet aliquae partes
eius sint insensibiles propter parvitatem. |
Mais cet argument
ne semble pas efficace. En effet, une chose est sentie parce qu’elle a le
pouvoir de faire impression sur le sens; or, il a été prouvé au livre VII des Physiques que
si un tout meut un mobile pendant un certain temps, il n’est pas nécessaire
qu’une de ses parties meuve ce mobile pendant un temps quelconque; et
pourtant, on dit que ce tout est un premier moteur, parce que ce tout cause
un mouvement, même si peut-être aucune de ses parties ne cause le mouvement[127].
Il semble donc également possible de dire qu’un objet est sensible au sens
premier, même si certaines de ses parties sont imperceptibles à cause de leur
petitesse. |
[81434] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 13 Est autem ad hoc
dicendum, quod differt loqui de parte in toto existente et de parte separata
a toto. Pars enim alicuius moventis primo, si sit separata, movere non
poterit: sed, si in toto existens, non concurreret ad virtutem movendi
totius, sed omnino esset expers virtutis motivae, sequeretur quod totum non
esset primo movens, sed ratione partis ad quam pertinet virtus motiva.
Similiter etiam nihil prohibet aliquam partem separatim acceptam latere
sensum propter parvitatem, ut supra habitum est: quae tamen, prout in toto
existit, cadit sub sensu inquantum sensus fertur super toto non exclusa
aliqua parte. Et ideo ad hanc dubitationem aperiendam, |
Mais il faut
répondre à cela que ce n’est pas la même chose si on parle d’une partie se
trouvant dans un tout ou d’une partie séparée du tout. En effet, une partie
d’un premier moteur, si elle est séparée, ne peut pas mouvoir, mais si, se
trouvant dans le tout, elle ne contribue pas à la puissance motrice du tout,
mais est tout à fait dénuée de puissance motrice, il s’ensuit que le tout
n’est pas moteur au sens premier, mais en raison d’une partie à aquelle
appartient la puissance motrice. De même aussi, rien n’empêche qu’une partie
prise séparément soit cachée au sens à cause de sa petitesse, comme on l’a
vu, mais pourtant, selon qu’elle existe dans le tout, elle elle est saisie par
le sens en tant que le sens est appliqué au tout sans en exclure une partie.
Et donc, pour répondre à ce doute… |
[81435] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 14 Consequenter cum
dicit omnia quidem ostendit quid sit verum circa praedicta. Et dicit
quod omnia, sive magna, sive parva, sunt sensibilia sed non videntur
quaecumque sunt idest non videntur omni modo secundum quod sunt: sicut
patet de sole, cuius magnitudo est longe maior terra, tamen propter hoc quod
a longe est, videtur quatuor cubitorum vel etiam minus. Similiter etiam licet
omnia sint sensibilia sensui secundum naturam, non tamen videntur in actu
quantumcumque sint. |
quand il dit
ensuite : Ce qu’il faut affirmer, c’est que l’on sent, etc., il
montre ce qui est vrai pour ce qui précède. Et il dit que toutes choses,
grandes ou petites, sont sensibles, mais qu’elles ne paraissent pas
toujours tout ce qu’elles sont, c'est-à-dire qu’elles ne paraissent pas
de toutes les façons comme elles sont : c’est évident par exemple pour
le soleil, qui est beaucoup plus grand que la terre, mais pourtant, parce
qu’il est éloigné, il semble avoir quatre coudées ou encore moins. Également,
bien que toutes choses soient perceptibles aux sens selon leur nature, elles
ne sont pourtant pas vues en acte dans toute la mesure de leur être. |
[81436] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 15 Sed aliquod
indivisibile potest intelligi dupliciter. Uno modo secundum quod indivisibile
dicitur aliquod corpus naturale minimum, quod non potest dividi ulterius quin
corrumpatur, et tunc resolvitur in corpus continens. Et tunc sensus erit,
quod corpus indivisibile, est quidem in seipso insensibile, sed tamen
huiusmodi indivisibile sensus videre non potest. Alio modo potest intelligi indivisibile,
quod non est actu divisum sicut pars continui; et huiusmodi indivisibile non
videt sensus in actu. Et quantum ad utramque expositionem competit quod
subditur, quod causa huius dicta est prius in determinatione primae
quaestionis. Videtur autem secunda expositio melior, quia per hoc solvitur
obiectio praedicta, quia scilicet pars quaelibet continuae magnitudinis
sentitur quidem in toto, prout est in potentia in ipso, licet non sentiatur
in actu quasi separata. |
Mais quelque chose
d’indivisible peut se comprendre de deux façons. D’abord, selon qu’on appelle
indivisible un corps naturel infime, qui ne peut pas être divisé davantage
sans se corrompre et se fondre ainsi dans le corps qui le contient. Et le
sens sera alors qu’un corps indivisible est certes perceptible[128]
en lui-même, mais pourtant, le sens ne peut pas voir cet objet indivisible. D’une
autre façon, on peut entendre par indivisible ce qui n’est pas divisé en acte
comme une partie d’un objet continu; et le sens ne voit pas en acte un tel objet
indivisible. Et ce qu’il dit ensuite convient aux deux explications, à savoir
que la cause de ce fait a été établie plus haut, dans la discussion sur la
première question. Cependant, la deuxième explicaton semble meilleure, car
elle résout l’objection ci-dessus, puisque toute partie d’une grandeur
continue est sentie dans le tout selon qu’elle est en lui en puissance, même
si elle n’est pas sentie en acte en tant que séparée. |
[81437] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 18 n. 16 Ultimo autem
concludit manifestum esse ex praedictis, quod nullum tempus est insensibile. |
En dernier, il
conclut qu’il est évident d’après ce qui précède qu’aucun temps n’est
imperceptible. |
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Leçon 19 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Pour revenir à la première question qui avait été soulevée, il s'agit
de savoir si l'on peut ou si l'on ne peut pas sentir plusieurs choses à la
fois. Quand je dis à la fois, je comprends que les phénomènes se passent l'un
par rapport à l'autre dans une seule partie de l'âme et dans un temps
indivisible. D'abord donc, est-il possible de sentir plusieurs choses à la
fois en les percevant par une partie de l'âme qui serait différente et qui
serait indivisible, de façon qu'elle serait tout entière continue? Mais pour
ne parler d'abord que des choses relatives à un seul sens, à la vue par
exemple, si la vue a besoin d'une autre partie pour sentir une autre couleur,
ne sera-ce pas donner à ce sens plusieurs parties qui seront identiques en
espèce? car les choses qu'il sent ici sont dans le même genre. On prétend, il
est vrai, que les deux yeux n'empêchant pas de voir l'objet unique, il en
peut être de même aussi dans l'âme. A cela l'on peut répondre que pour les
deux yeux sans doute ils ne causent qu'une seule perception, et qu'il n'y a
pour eux qu'un seul et même acte; mais si, dans l'âme, la partie qui est
affectée par les deux objets est une, cette partie sera précisément celle qui
sent, tandis que si les sensations sont séparées, ce ne sera plus le même
phénomène que pour les yeux. De plus, il s'ensuivrait que les mêmes
sensations seraient multiples, ce qui reviendrait à dire que les
connaissances données par elles sont différentes; car il n'y a pas d'acte de
sensation sans la faculté spéciale à laquelle il se rapporte, pas plus qu'il
n'y a de sensation sans cet acte. Mais si l'âme perçoit les sensations [de sens différents] dans une
partie une et indivisible, évidemment elle sentira de même aussi les autres
sensations; car il était plus facile de percevoir plusieurs de ces dernières
à la fois plutôt que celles qui sont de genres différents. Au contraire si
l'âme perçoit la couleur blanche par une partie et la saveur douce par une
autre, le résultat de ces sensations est-il un ou n'est-il pas un? Il faut
nécessairement que ce résultat soit un; car, dans l'âme, la partie qui sent
est une aussi. Mais à quelle unité le résultat répond-il ici? car les choses
senties ne forment pas une unité. Il faut donc que dans l'âme il y ait une
unité qui sente tout, ainsi qu'on l'a dit précédemment; seulement elle sent
un autre genre d'objets par un autre organe. Peut-on donc expliquer ceci en disant que c'est comme indivisible que
la faculté qui sent à la fois le blanc et le doux reste quelque chose d'un en
acte, et qu'elle n'est autre en acte que quand elle devient divisible ? Ou
bien encore en serait-il pour l'âme de même qu'il en est pour les choses?
Ainsi, une seule et même chose peut, tout en gardant son unité numérique,
être blanche et douce, et avoir beaucoup d'autres qualités encore. En effet,
si les modifications des choses ne sont pas séparées les unes des autres, et
que la manière d'être seulement soit différente pour chacune d'elles, il faut
supposer qu'il en est de même pour l'âme, que ce qui perçoit en elle toutes les
sensations diverses est numériquement une seule et même chose, et que
cependant cette faculté est autre par sa manière d'être, ici pour les choses
de genre différent, et là pour les choses d'espèce différente. Par
conséquent, l'âme perçoit en même temps les choses par une seule et même
faculté; seulement, le rapport n'est pas le même. Il est donc évident que tout ce qui est perceptible à nos sens a une
certaine grandeur, et qu'il n'y a pas d'indivisible qui soit perceptible pour
nous. En effet, la distance d'où l'on ne peut pas voir une chose est infinie,
celle d'où l'on peut la voir est limitée. Même remarque pour l'objet qu'on
peut percevoir par l'odorat, pour celui qu'on peut percevoir par l'ouïe, et
pour tous les objets que l'on perçoit sans les toucher directement. Ainsi, il
y a un point dernier dans la distance d'où l'on ne voit pas, et un premier
d'où l'on voit. Il faut donc nécessairement considérer comme indivisible ce
point au delà duquel il est impossible de sentir l'existence de la chose, et
en deçà duquel, au contraire, on doit la percevoir. Mais si l'on admet qu'un
indivisible peut être perceptible à nos sens, en le plaçant à cette extrémité
d'où l'on cesserait de sentir au delà et où l'on commencerait à sentir en
deçà, il en résulterait qu'un objet serait à la fois visible et invisible;
or, c'est ce qui est impossible. On a donc expliqué ce que sont les organes des sens et les objets
sensibles ; et l'on a montré ce qu'est en commun et en particulier chacun
d'eux. Parmi les questions qu'il nous reste à étudier, il faut nous occuper
d'abord de la mémoire et du souvenir. |
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Lectio
19 |
Leçon 19 ─ Rien n’échappe à
nos sens, sauf l’indivisible. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81438] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 1 Postquam philosophus
exclusit secundam solutionem falsam, hic inquirit veram. Et circa hoc tria
facit. Primo
inquirit veritatem praedictae quaestionis. Secundo probat quoddam, quod in
praecedentibus supposuerat, ibi, quod autem sensibile omne. Tertio epilogat
quae in hoc libro dicta sunt, ibi, de sensitivis quidem igitur. Circa primum
duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo exequitur propositum,
ibi, primum quidem igitur. Dicit ergo primo quod, ex quo conclusum est, quod
quidam dixerunt plura sentiri simul, non quasi in indivisibili temporis
secundum rei veritatem, sed quasi in tempore imperceptibili propter
parvitatem, oportet considerare de obiectione prius mota: utrum scilicet
contingat vel non contingat plura sentire simul, ita scilicet quod intelligatur
simul, hoc est in indivisibili tempore. |
Après avoir écarté
la deuxième fausse solution, le Philosophe recherche maintenant la vraie. Il
traite ce sujet en trois parties. En premier, il recherche la vérité sur ces
questions. En deuxième, il prouve quelque chose qu’il avait supposé dans ses
discussions précédentes, où il dit : Il est donc évident que tout, etc.
En troisième, il conlut ce qui a été dit dans ce livre, où il dit : On
a donc expliqué ce que sont, etc. Il traite la première partie en deux
sections. En premier, il présente sa thèse. En deuxième, il la développe, où
il dit : D’abord donc, est-il possible, etc. Il dit donc en
premier que, étant donné qu’il a été conclu que l’affirmation de certains,
selon laquelle plusieurs choses sont senties en même temps, non en un temps
indivisible selon la réalité, mais en un temps quasi imperceptible à cause de
sa brièveté, il faut examiner l’objection soulevée plus haut : est-il
possible ou impossible de sentir plusieurs choses en même temps, si on entend
« en même temps » au sens d’un temps indivisible? |
[81439] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 2 Deinde cum dicit
primum quidem supposito quod animal simul sentiat diversa sensibilia, quia
hoc manifeste experimur, inquirit quomodo possibile. Et circa hoc tria facit.
Primo proponit quemdam modum falsum. Secundo improbat ipsum, ibi, vel quoniam
primum. Tertio proponit modum verum, ibi, igitur secundum quod indivisibile.
Dicit ergo primo, quod primo considerandum est, utrum contingat simul sentire
diversa sensibilia per aliquam partem animae, quasi sensitivum animae sit non
indivisibile, idest non quod non possit dividi; sit tamen indivisibile, idest
non divisum in actu, ac si esset quoddam totum continuum. Si autem
intelligamus partem animae sensitivam esse sicut quoddam continuum, solventur
praemissae rationes, quia nihil prohibebit diversa et contraria esse in
virtute vel potentia sensitiva animae secundum diversas partes eius, sicut
invenimus unum corpus esse album in una parte, et nigrum in alia. |
Ensuite, où il
dit : D’abord donc, est-il possible, etc., admettant qu’un animal
sent divers sensibles en même temps, parce que c’est manifestement notre
expérience, il recherche comment cela est possible. Et il traite ce point ce
point en trois parties. En premier, il présente une façon qui est fausse. En
deuxième, il prouve qu’elle est fausse, où il dit : Mais pour ne
parler d’abord, etc. En troisième, il indique la fraie façon, où il
dit : Peut-on donc expliquer ceci, etc. Il dit donc en premier
qu’il faut d’abord examiner s’il est possible de sentir divers sensibles au
moyen d’une certaine partie de l’âme, comme si la faculté sensitive de l’âme
n’était pas indivisible, c'est-à-dire pas incapable d’être divisée, mais
était pourtant indivisible, c'est-à-dire non divisée en acte, comme si elle
était une sorte de tout continu. Mais si nous considérons la partie sensitive
de l’âme comme quelque chose de continu, les arguments ci-dessus sont
réfutés, car rien n’empêche que des choses diverses et contraires se trouvent
dans la faculté ou la puissance sensitive de l’âme selon ses diverses
parties, comme nous voyons qu’un corps a une partie blanche et une partie
noire. |
[81440] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 3 Deinde cum dicit vel
quoniam improbat modum praedictum. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit
quod sequeretur etiam quod unus sensus, puta visus, dividatur in plures
partes. Secundo ostendit hoc esse impossibile, ibi, si autem quemadmodum.
Tertio ostendit quia etiam non est possibile quantum ad diversos sensus, ibi:
si autem hoc. Dicit ergo primo, quod cum contingit plura secundum eumdem
sensum sentire, sicut cum visus discernit inter album et nigrum, oportebit
dicere secundum eamdem rationem, quod diversos colores sentiat secundum
diversas sui partes: et sequetur, quod idem sensus habebit plures partes
easdem specie: non enim potest dici, quod partes sensus visus differant
specie, quia omne, quod sentitur per visum, est eiusdem generis. In potentiis
autem sensitivis nihil differt specie, nisi propter diversa genera
sensibilium. |
Puis lorsqu’il
dit : Mais pour ne parler d’abord, etc., il montre que cette
façon est fausse. Et il le fait en trois temps. En premier, il montre qu’il
s’ensuivrait aussi qu’un seul sens, tel que la vue, se diviserait en
plusieurs parties. En deuxième, il montre que cela est impossible, où il
dit : On prétend, il est vrai, etc. En troisième, il montre que
cela n’est pas possible non plus pour des sens différents, où il dit : Mais
si l’âme perçoit les sensations, etc. Il dit donc en premier que,
puisqu’il est possible de sentir plusieurs choses par le même sens, comme la
vue discerne entre le blanc et le noir, il faudra dire pour la même raison qu’elle
sent diverses couleurs selon ses diverses parties; il s’ensuivrait alors que
le même sens aurait plusieurs parties de même espèce; on ne peut pas dire en
effet que les parties du sens de la vue diffèrent en espèce, car tout ce qui
est senti par la vue est du même genre. Or, dans les puissances sensitives,
rien ne diffère en espèce, sinon du fait des divers genres de sensibles. |
[81441] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 4 Deinde cum dicit si
autem improbat quod dictum est duabus rationibus. Quarum prima est, quod, si
aliquis dicat, quod, sicut sunt duo organa visus, scilicet duo oculi, sic
nihil prohibet in anima sensitiva etiam esse duos visus, dicendum est hoc
esse falsum; quia ex duobus oculis fit aliquid unum, et una est operatio
amborum oculorum, inquantum scilicet visio utriusque oculi concurrit per
quosdam nervos ad aliquid intrinsecum in suum organum, quod est circa
cerebrum, ut supra dictum est. Si autem similiter in anima fiat unum ex
duobus visibus, per hoc quod uterque visus concurrat ad aliquod unum
principium, illi uni attribuetur operatio sentiendi; si vero omnino separatim
se habent duo visus in anima, quod non concurrant in aliquod unum principium,
tunc non similiter se habebit de visione in anima, sicut de oculis in
corpore; et ita similitudo non fuit conveniens ad manifestandum propositum.
Non ergo videtur rationabiliter dici, quod sunt duo visus in anima. |
Puis lorsqu’il
dit : On prétend, il est vrai, etc., il réfute cette idée, par
deux arguments. Le premier est que si quelqu'un dit que, de même qu’il y a
deux organes de la vue, c'est-à-dire deux yeux, de même rien n’empêche qu’il
n’y ait aussi deux vues dans l’âme sensitive, il faut dire que c’est faux, car
quelque chose d’un est produit à partir des deux yeux, et l’opération des
deux yeux est une du fait que la vision de chaque œil se rejoint par certains
nerfs en quelque chose d’intérieur dans son organe, qui est près du cerveau,
comme on l’a dit. Si pareillement une seule chose se fait dans l’âme à partir
de deux visions, du fait que les deux visions se réunissent en un seul
principe, on attribuera l’opération sensitive à ce principe unique; mais si
deux visions se trouvent totalement séparées dans l’âme et ne se réunissent
pas en un principe unique, alors la vision n’agira pas dans l’âme de la même
façon que les yeux dans le corps, et ainsi, la comparaison n’était pas
pertinente pour démontrer ce qu’on voulait. Il ne semble donc pas raisonnable
de dire qu’il y a deux facultés visuelles dans l’âme. |
[81442] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 5 Secundam rationem
ponit ibi, amplius et. Et dicit quod secundum praedictam positionem hoc modo
erunt plures sensus, qui sunt idem specie, puta plures visus aut plures
auditus, sicut si aliquis dicat, scientias non differentes specie esse plures
in eodem homine, ut plures grammaticas vel plures geometrias, esse quidem
plures grammaticas numero, vel plures hominibus possibile est, sed non in uno
et eodem homine: sicut nec plures numero albedines sunt in uno et eodem
subiecto. Subiungit autem ad ostendendum quod non possunt esse plures sensus
eiusdem speciei in eodem: quia virtus sensitiva et operatio seinvicem
consequuntur, ita quod neque virtus est sine propria et per se operatione,
neque operatio sine propria virtute. Operatio autem sensitiva distinguitur secundum
sensibilia, et ideo ubi sunt omnino eadem sensibilia non sunt diversae
virtutes sensitivae causantes diversas operationes. Et simile est de
habitibus scientiarum, quarum actus distinguuntur secundum obiecta. |
Il présente le
deuxième argument lorsqu’il dit : De plus, il s’ensuivrait, etc.
Et il dit que selon cette théorie, il y aurait ainsi plusieurs sens qui sont
de même espèce, par exemple plusieurs vues ou plusieurs ouïes, comme si on
disait qu’il y a dans le même homme plusieurs sciences qui ne diffèrent pas
en espèce, comme plusieurs grammaires ou plusieurs géométries; il est certes
possible d’avoir plusieurs grammaires numériquement dans plusieurs hommes,
mais pas dans le même homme, comme il n'y a pas non plus plusieurs blancheurs
dans un seul et même sujet. Il ajoute, pour montrer qu’il ne peut pas y avoir
plusieurs sens de la même espèce dans le même être humain, que la faculté et
l’opération sensitives vont de pair, de sorte que la faculté ne va pas sans
l’opération propre et essentielle, ni l’opération sans la faculté propre. Or,
l’opération sensitive se distingue selon les sensibles, et donc, là où les
sensibles sont tout à fait les mêmes, il n'y a pas de facultés sensitives
diverses causant des opérations diverses. Et il en va de même des habitus des
sciences, dont les actes se distinguent selon leurs objets. |
[81443] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 6 Deinde cum dicit si
autem hic ostendit esse impossibile in sensibilibus diversorum sensuum, ut
scilicet per eamdem partem animae sentiantur. Et dicit quod, si sensibilia
diversorum generum sentiuntur per aliquid animae unum et idem indivisibile,
manifestum est quod multo magis alia, quae sunt unius generis. Probatum est
enim supra, quod magis contingit ea quae sunt unius generis simul sentire,
quam ea quae sunt diversorum generum; et hoc maxime verum est quantum ad
identitatem sentientis: quod autem eadem indivisibilis anima sentiat
sensibilia diversorum generum, probat, quia, si anima sentit per aliam sui
partem dulce et per aliam album, aut ex istis duabus partibus erit aliquid
unum vel non erit. Sed necesse est dicere quod sit aliquid unum, ad quod
referantur omnes istae partes, scilicet diversi sensus, quia sensitiva est
quaedam una pars animae; non autem potest dici quod pars sensitiva animae sit
alicuius unius generis sensibilium; nisi forte diceretur, quod ex omnibus
sensibilibus particularium sensuum, puta, colore, sono et aliis huiusmodi,
fieret unum sensibile correspondens isti uni parti sensitivae, quae est
communis omnibus propriis sensibus; hoc autem est impossibile. Necesse est
ergo quod sit aliquid unum animae, quo animal omnia sentit; sed aliud genus
per aliud, puta colorem per visum, et sonum per auditum, et sic de aliis. |
Ensuite, où il
dit : Mais si l’âme perçoit les sensations, etc., il montre que
cela est impossible pour les sensibles relevant de divers sens, de sorte
qu’ils sont sentis par la même partie de l’âme. Et il dit que si les
sensibles de genres différents sont sentis par quelque chose d’un, identique
et indivisible, il est évident que c’est bien davantage le cas des sensibles
du même genre. En effet, il a été prouvé plus haut qu’il est plus facile de
sentir en même temps les choses du même genre que celles qui sont de genres
différents; et cela est surtout vrai quant à l’identité de ce qui sent. Et
que la même âme indivisible sent les sensibles de genres différents, il le
prouve en disant que, si l’âme sent le blanc par une partie d’elle-même et le
doux par une autre, ou bien ces deux parties forment une unité, ou bien elles
ne forment pas une unité. Mais il est nécessaire de dire que l’âme est une
unité à laquelle se rattachent toutes ces parties, c'est-à-dire ces sens
divers, car la faculté sensitive est une partie unique de l’âme; on ne peut
toutefois pas dire que la partie sensitive de l’âme s’applique à un certain
genre unique de sensibles, à moins peut-être qu’on ne dise que tous les
sensibles particuliers des sens, tels que la couleur, le son et ainsi de
suite, forment un seul sensible correspondant à cette unique partie de la
faculté sensitive qui est commune à tous les sens propres; or, cela est
impossible. Il est donc nécessaire qu’il y ait dans l’âme quelque chose d’un
par lequel l’animal sent toutes choses, mais elle sent des genres différents
par des sens différents, comme la couleur par la vue, le son par l’ouïe, et
ainsi de suite. |
[81444] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 7 Considerandum autem
est hic, quod ubicumque sint diversae potentiae ordinatae, inferior potentia
comparatur ad superiorem per modum instrumenti, eo quod superior movet
inferiorem. Actio autem attribuitur principali agenti per instrumentum, sicut
dicimus, quod artifex secat per serram. Et per hunc modum philosophus dicit
quod sensus communis sentit per visum et per auditum, et alios sensus
proprios, qui sunt diversae partes potentiales animae; non autem diversae
partes sunt alicuius continui, ut superius dicebatur. |
Or, il faut
remarquer ici que partout où des puissances diverses sont ordonnées, la
puissance inférieure a valeur d’instrument par rapport à la supérieure, de
sorte que la supérieure meut l’inférieure. L’action est donc attribuée à
l’agent principal au moyen de l’instrument, comme on dit que que l’ouvrier
coupe avec une scie. Et c’est de cette façon quie le Philosophe dit que le
sens commun sent par la vue, par l’ouïe et par les autres sens propres, qui
sont diverses parties potentielles de l’âme; ce ne sont cependant pas des
parties diverses de quelque chose de continu, comme on l’a dit plus haut. |
[81445] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 8 Deinde cum dicit
igitur secundum ostendit quomodo eadem pars animae indivisibilis possit simul
sentire diversa. Et assignat duos modos. Quorum primum breviter et obscure
ponit, quia in libro de anima apertius positus est. Ad huius ergo evidentiam
considerandum, quod, cum operationes sensuum propriorum referantur ad sensum
communem, sicut ad primum et commune principium, hoc modo se habet sensus
communis ad sensus proprios et operationes eorum, sicut unum punctum ad
diversas lineas, quae in ipsum concurrunt. Punctum autem, quod est
terminus diversarum linearum, secundum quod in se consideratur, est unum et
indivisibile. Et isto modo sensus communis secundum quod in se est unum, est
indivisibilis, et est unum sensitivum actu dulcis et albi: dulcis per gustum,
et albi per visum; si vero consideretur punctum seorsum ut est terminus huius
lineae, sic est quodammodo divisibile, quia utimur uno puncto ut duobus. Et
similiter sensus communis, quando accipitur ut divisibile quoddam, puta cum
seorsum iudicat de albo, et iudicat seorsum de dulci, est alterum secundum
actum: secundum vero quod est unum, iudicat differentias sensibilium. Et per
hoc solvuntur rationes supradictae, quia quodammodo est unum, et quodammodo
non est unum illud quod sentit diversa sensibilia. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Peut-on donc expliquer ceci, etc., il montre comment la
même partie de l’âme indivisible peut sentir à la fois des choses diverses.
Et il présente deux façons dont elle le fait. Il montre la première
brièvement et de façon obscure, car elle est expliquée plus clairement dans
le Traité de l’âme. Pour bien la comprendre, il faut remarquer que,
puisque les opérations des sens propres se rattachent au sens commun comme à
un principe premier et commun, le rapport du sens commun aux sens propres et
à leurs opérations est comme celui d’un point à différentes lignes qui y
convergent. Or, le point, qui est le terme de diverses lignes, selon qu’il
est considéré en lui-même, est un et indivisible. Et de cette façon, le sens
commun, selon qu’il est un en lui-même, est indivisible, et il est une
faculté qui sent en acte le doux et le blanc : le doux par le goût, et
le blanc par la vue. Mais si on considère le point isolément en tant qu’il est
le terme de telle ligne, il est ainsi divisible en quelque sorte, car nous
donnons à un seul point le rôle de deux. Pareillement, le sens commun, quand
il est considéré comme divisible d’une certaine façon, par exemple quand il
juge séparément du blanc et juge séparément du doux, est différent en acte;
mais en tant qu’il est un, il juge des différences entre les sensibles. Et
ainsi sont résolus les arguments ci-dessus, car ce qui sent les divers
sensibles est d’une certaine façon un, et d’une autre façon pas un. |
[81446] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 9 Secundum modum ponit
ibi, vel quemadmodum. Et dicit, quod sicut est in rebus exterioribus, ita
potest dici in anima. Videmus enim quod corpus unum et idem numero est album
et dulce, et multa alia huiusmodi, quae accidentaliter de eo praedicantur;
sed tamen huius passiones separantur abinvicem, sicut contingit quod aliquod
corpus retinet albedinem et amittit dulcedinem; sed quamdiu non sic
separantur istae passiones, album et dulce remanent, vel sunt idem subiecto,
sed differunt secundum esse. Et similiter potest poni de anima, quod unum et
idem subiecto est sensitivum omnium sensibilium, tam eorum quae differunt
genere sicut album et dulce, quam eorum quae differunt specie sicut album et
nigrum. Et secundum hoc dicendum erit quod anima sentit diversa sensibilia
quodammodo secundum unum et idem, scilicet subiecto, quodammodo diversa,
inquantum ratione differunt. |
Il présente la
deuxième façon où il dit : Ou bien encore en serait-il pour l’âme, etc.
Et il dit qu’on peut dire qu’il en est de l’âme comme des choses extérieures.
Nous voyons en effet qu’un seul corps numériquement un est blanc et doux, et
bien d’autres choses encore qui lui sont attribuées accidentellement; mais
pourtant, de telles propriétés sont séparées entre elles, puisqu’il arrive
qu’un corps garde sa blancheur et perde sa douceur; mais aussi longtemps
qu’elles ne sont pas ainsi séparées, ces propriétés du blanc et du doux
demeurent, ou sont identiques par le sujet, mais diffèrent en leur être. Et
on peut pareillement affirmer dans l’âme l’unité et l’identité en son sujet
de la faculté sensitive de tous les sensibles, tant ceux qui diffèrent par le
genre comme le blanc et le doux que ceux qui diffèrent par l’espèce comme le
blanc et le noir. Et en conséquence, on doit dire que l’âme sent des
sensibles différents d’une certaine façon par la même chose, à savoir le
sujet, et d’une autre façon par des choses qui sont différentes, en tant
qu’elles diffèrent en raison. |
[81447] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 10 Potest autem contra
hoc obiici, quia in rebus quae sunt extra animam, licet idem posset esse
dulce et album, non tamen potest idem esse album et nigrum, et ita videbitur
quod anima non possit simul sentire sensibilia unius generis, cum sint
contraria. |
On peut soulever
contre cela l’objection que dans les choses extérieures à l’âme, bien que la
même chose puisse être douce et blanche, la même chose ne peut pas être
blanche et noire, et il semblerait ainsi que l’âme ne peut pas sentir en même
temps les sensibles du même genre, puisqu’ils sont contraires. |
[81448] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 11 Hanc autem
obiectionem Aristoteles removet in libro de anima, cum dicit: et
impossibile est album et nigrum esse simul, quare neque species pati ipsorum.
Et innuit solutionem per hoc quod subdit, si huius est sensus, et
intelligentia vel intellectus. Per quod datur intelligi, quod non omnino se
habet in sensu et intellectu, sicut in corporibus naturalibus. Corpus enim
naturale recipit formas secundum esse naturale et materiale, secundum quod
habent in se contrarietatem: et ideo non potest idem corpus simul recipere
albedinem et nigredinem: sed sensus et intellectus recipiunt formas rerum
spiritualiter et immaterialiter secundum esse quoddam intentionale prout non
habent contrarietatem. Unde sensus et intellectus simul potest recipere
species sensibilium contrariorum. Cuius simile potest videri in diaphano,
quod in una et eadem sui parte immutatur ab albo et nigro: quia immutatio non
est materialis secundum esse naturale, ut supra dictum est. |
Mais Aristote
écarte cette objection dans le Traité de l’âme, lorsqu’il dit : et
il est impossible que le blanc et le noir soient en même temps; c’est
pourquoi leurs espèces ne peuvent être ressenties en même temps. Et il
insinue la solution dans ce qu’il dit ensuite : s’il en est ainsi
pour la sensation, il en est ainsi pour l’intelligence ou l’intellect[129].
Ce qui donne à comprendre qu’il n’en va pas tout à fait de même pour le sens
et l’intelligence que pour les corps naturels. En effet, un corps naturel
reçoit les formes selon un être naturel et matériel, selon qu’elles ont des
contrariétés; c’est pourquoi le même corps ne peut recevoir en même temps la
blancheur et la noirceur; mais le sens et l’intelligence reçoivent les formes
des choses de façon spirituelle et immatérielle, selon un être intentionnel,
de sorte qu’ils n’ont pas de contrariété. C’est pourquoi le sens et
l’intelligence peuvent recevoir en même temps les espèces de sensibles
contraires. On peut voir quelque chose de semblable dans le diaphane, qui
peut être affecté dans une seule et même de ses parties par le blanc et le
noir, car l’impression reçue n’est pas matérielle selon l’être naturel, comme
on l’a dit plus haut. |
[81449] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 12 Est etiam aliud
considerandum, quod sensus et intellectus non solum recipiunt formas rerum,
sed etiam habent iudicare: iudicium autem quod faciunt de contrariis non est
contrarium, sed unum et idem, quia per unum contrariorum sumitur iudicium de
altero. Et quantum ad hoc, verum est quod supra dictum est, quod magis simul
possunt sentiri sensibilia unus generis, de quorum uno iudicatur per alterum,
quam sensibilia diversorum sensuum. |
Il faut également
remarquer une autre chose, à savoir que non seulement le sens et
l’intelligence reçoivent les formes des choses, mais ils peuvent également en
juger; or, le jugement qu’ils portent sur les contraires n’est pas contraire,
mais un et identique, car par l’un des contraires permet de juger de l’autre.
Et à ce propos, ce qui a été dit plus haut est vrai, à savoir que les
sensibles d’un même genre, dont l’un permet de juger de l’autre, peuvent
davantage être sentis en même temps que les sensibles perçus par des sens
différents. |
[81450] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 13 Est autem et aliud
circa hoc dubium: quia per praemissa verba philosophi, videtur confirmari
opinio Stoicorum, qui posuerunt, quod non diversis potentiis sentitur color
et odor et alia sensibilia; sed nec sunt diversae potentiae sensuum, sed ipsa
anima secundum seipsam cognoscit omnia sensibilia, non differens nisi
ratione. Sed dicendum est quod secunda solutio supponit primam. Unde
intelligendum est, quod anima, idest sensus communis, unus numero existens,
sola autem ratione differens, cognoscit diversa genera sensibilium, quae
tamen referuntur ad ipsum secundum diversas potentias sensuum propriorum. |
Il y a cependant un
autre doute à ce sujet, car les propos du Philosophe qui précèdent semblent
confirmer l’opinion des Stoïques, qui ont affirmé que la couleur, l’odeur et
les autres sensibles ne sont pas sentis par des puissances différentes, mais qu’il
n'y a pas des puissances différentes des sens : c’est plutôt l’âme en
elle-même qui connaît tous les sensibles, et qui n’a des différences qu’en
raison. Mais il faut dire que la deuxième solution suppose la première. Il
faut donc comprendre que l’âme, c'est-à-dire le sens commun, étant
numériquement une, et n’ayant de différences qu’en raison, connaît les divers
genres de sensibles, qui se rattachent pourtant à lui selon les diverses
puissances des sens propres. |
[81451] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 14 Deinde cum dicit
quod autem probat quod supposuerat, scilicet quod nihil sentitur nisi
quantum. Et dicit manifestum esse quod omne sensibile est magnitudo, et
nullum indivisibile est sensibile. Et ad hoc probandum inducit, quod est
quaedam distantia ex qua non potest aliquid videri, et hanc distantiam dicit
esse infinitam: quia, si in infinitum illa distantia protendatur, nihil inde
videtur. Est autem aliqua distantia unde aliquid videtur, et haec est finita,
quia a finita distantia incipit aliquid videri. Et simile est de aliis
sensibilibus quae sentiunt ab aliqua distantia per medium extrinsecum non
tangentes ipsa sensibilia, sicut auditus et odoratus. |
Puis lorsqu’il
dit : Il est donc évident que tout, etc., il prouve ce qu’il
avait supposé, à savoir que rien n’est senti à moins d’avoir une quantité. Et
il dit qu’il est évident que tout sensible est une grandeur et que rien
d’indivisible n’est sensible. Et pour le prouver, il fait valoir qu’il y a
une distance à partir de laquelle une chose ne peut pas être vue, et il dit
que cette distance est infinie, car, si cette distance est prolongée à
l’infini, rien ne peut être vu à partir de là. Or, il y a une distance à
partir de laquelle on voit quelque chose, et cette distance est finie, car on
commence à voir quelque chose à partir d’une distance finie. Et il en va de
même des autres sensibles que l’on sent à partir d’une certaine distance à
travers un milieu extrinsèque sans toucher les sensibles, comme l’ouïe et l’odorat. |
[81452] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 15 Cum igitur
distantia, unde non videtur aliquid, sit infinita per remotionem a visu,
finita autem versus visum, sequitur quod sit dare ultimum aliquod unde nihil
videatur. Distantia autem ex qua videtur aliquod, est ex utraque parte
finita. Est ergo dare aliquem terminum, unde primo possit aliquid videri:
omne autem quod est medium duarum quantitatum invicem continuarum, est
indivisibile; ergo necesse est esse aliquid indivisibile ultra quod nihil possit
sentiri, et citra quod necesse sit aliquod sentiri. Si ergo aliquod
indivisibile sit sensibile et ponatur in illo indivisibili termino, sequetur
quod illud sit visibile simul et invisibile: invisibile quidem, inquantum est
in termino invisibilis distantiae; visibile autem, inquantum est in termino
visibilis; hoc autem est impossibile; ergo et primum, scilicet quod aliquod
indivisibile sit sensibile. Si enim aliquod indivisibile in praedicto termino
ponatur, partim videbitur et partim non videbitur, quod de invisibili dici
non potest. |
Alors, comme la
distance à partir de laquelle on ne voit pas une chose est infinie en sens
contraire à la vue, mais finie face à la vue, il s’ensuit qu’on peut trouver
une limite à partir de laquelle on ne voit rien. Or, la distance à partir de
laquelle on voit quelque chose est finie dans les deux sens. On peut donc
établir une limite à partir de laquelle on peut commencer à voir; or tout ce
qui est au milieu entre deux quantités continues entre elles est indivisible;
il est donc nécessaire qu’il y ait un lieu indivisible au-delà duquel on ne
peut rien sentir et en deçà duquel on sent nécessairement quelque chose. Si
donc une chose indivisible est sensible et placée dans ce terme indivisible,
il s’ensuit qu’il est à la fois visible et invisible : invisible en tant
qu’il est à l’extrémité de la distance où il est invisible, et visible en
tant qu’il est à l’extrémité de la distance où il est visible; mais cela est
impossible. Donc, la première solution est vraie, c'est-à-dire que quelque
chose d’indivisible est sensible. En effet, si quelque chose d'indivisible
est placé à ce point limite, il sera vu en partie et non vu en partie, ce
qu’on ne peut pas dire d’un objet indivisible. |
[81453] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 16 Videtur autem quod
haec probatio non valeat: quia non est dare aliquem terminum unde omnia
visibilia incipiant videri; quia maiora a maiori distantia videntur, minora
vero a minori. Dicendum est autem quod unumquodque sensibile ab aliqua
determinata distantia videtur. Si ergo illud indivisibile, quod ponitur posse
sentiri, videatur ab aliqua determinata distantia, sicut et aliquod
divisibile, concludet ratio Aristotelis. Si vero non sit determinare aliquam
distantiam, ex qua simul incipit videri cum aliquo divisibili, sequetur
iterum quod nullo modo possit videri. Oportet enim accipere proportionem
distantiae ex qua videtur aliquod divisibile, secundum proportionem
magnitudinum quae videtur. Sed non est aliqua proportio indivisibilis ad
magnitudinem divisibilem, sicut nec puncti ad lineam. Et ita sequetur quod ex
nulla distantia possit videri indivisibile: quia cuiuslibet distantiae est
aliqua proportio ad aliam distantiam. Sequetur ergo, si videtur, quod
videatur coniunctum visui, quod est contra rationem visus et aliorum sensuum,
qui non tangentes sentiunt. Si ergo indivisibile non potest sentiri, nisi
forte secundum quod est terminus continui, sicut et alia accidentia
continuorum sentiuntur. |
Il semble toutefois
que cette preuve soit sans valeur, car on ne peut pas établir un point limite
à partir duquel on commence à voir tous les objets visibles, car les plus
gros sont vus de plus loin, les plus petits de plus près. Mais il faut dire
que tout objet sensible est vu à partir d’une distance déterminée. Si donc l’objet
indivisible dont on affirme qu’il peut être senti était visible à partir
d’une distance déterminée tout comme un objet divisible, l’argument
d’Aristote serait concluant. Mais s’il n’est pas possible de déterminer une
distance à partir de laquelle il commence à être vu en même temps qu’un objet
divisible, il s’ensuivrait alors qu’il ne peut être vu en aucune façon. Il
faut en effet admettre une proportion entre la distance à partir de laquelle
un objet divisible est visible et la grandeur de l’objet qui est vu. Mais il
n'y a aucune proportion entre l’indivisible et une grandeur visible, comme il
n'y en a pas entre le point et la ligne. Et il s’ensuivrait ainsi que
l’indivisible ne pourrait être vu à partir d’aucune distance, car toute
distance est en proportion avec une autre distance. Il s’ensuivrait donc, si
l’indivisible est vu, qu’il serait vu en contact avec la vue, ce qui est
contre la notion de la vue et des autres sens qui ne sentent pas par contact.
Ainsi donc, l’indivisible ne peut pas être senti, sinon peut-être en tant
qu’il est l’extrémité d’un objet continu, comme les autres accidents des
objets continus sont également sentis. |
[81454] Sentencia De sensu, tr. 1 l. 19 n. 17 Deinde cum dicit de
sensitivis epilogat quae dicta sunt in hoc libro continuans se ad sequentia,
et dicit quod dictum est de sensitivis, idest de organo sentiendi et de
sensibilibus quomodo se habeant ad sensus, et communiter et secundum
unumquodque organum sensus, partim in hoc libro, partim in libro de anima.
Inter reliqua vero, quod primo considerandum occurrit est memoria et
reminiscentia et de somno; quia, sicut per sensum cognoscuntur praesentia,
ita et per memoriam cognoscuntur praeterita, et in somno fit aliqua
praecognitio futurorum. |
Ensuite, où il
dit : On a donc expliqué ce que sont, etc., il conclut ce qui a
été dit dans ce livre et fait la transition aux suivants, en disant qu’on a
parlé des facultés sensitives, c'est-à-dire qu’on a dit comment l’organe de
la sensation et les sensibles se rapporte aux sens, en général et pour chacun
des organes des sens, en partie dans ce livre et en partie dans le Traité
de l’âme. Pour ce qui reste, ce qu’il faut étudier en premier est la
mémoire et le souvenir, ainsi que le sommeil, car, comme on connaît le
présent par la mémoire, de même on connaît le passé par la mémoire, et on a
une certaine prévision de l’avenir dans le sommeil. |
Tractatus
2 |
Traité
2 ─ Traité de la mémoire et de la réminiscence
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Leçon 1 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Qu'est-ce que
la mémoire? Qu'est-ce que c'est que se souvenir? Quelle est la cause de ces
phénomènes? Entre les parties diverses de l'âme, quelle est celle à à
laquelle se rapportent, et cette faculté, et l'acte qui constitue le
souvenir, la réminiscence ? C'est ce que nous allons rechercher. En effet, ce
ne sont pas les mêmes personnes qui ont de la mémoire, et qui se
ressouviennent par réminiscence. D'ordinaire, ce sont les esprits lents qui
ont le plus de mémoire; mais ceux qui se ressouviennent avec le plus de
facilité et ont le plus de réminiscence, ce sont les esprits qui sont vifs et
s'instruisent sans peine. Voyons d'abord
quels sont les objets auxquels s'applique la mémoire; car c'est un point sur
lequel on se trompe assez souvent. En premier lieu, on ne peut se rappeler
l'avenir; l'avenir ne peut être l'objet que de nos conjectures et de nos
espérances; ce qui ne veut pas dire qu'il ne puisse y avoir une science de
l'espérance, nom que parfois l'on donne à la divination. La mémoire ne
s'applique pas davantage au présent, c'est l'objet de la sensation; car la
sensation ne nous fait connaître ni le futur, ni le passé; elle nous donne le
présent, et pas autre chose. La mémoire ne concerne que le passé, et l'on ne
peut jamais dire qu'on se rappelle le présent quand il est présent; par
exemple, qu'on se rappelle cet objet blanc au moment même où on le voit, pas
plus qu'on ne se rappelle l'objet que l'esprit contemple, au moment où on le
contemple et où on le pense; on dit seulement qu'on sent l'un et qu'on sait
l'autre. Mais lorsque, sans la présence des objets eux-mêmes, on en possède
la science et la sensation, alors c'est la mémoire qui agit; et c'est ainsi
qu'on se souvient que les angles du triangle sont égaux à deux droits, tantôt
parce qu'on a appris ce théorème ou que l'intelligence l'a conçu, tantôt
parce qu'on l'a entendu énoncer, ou qu'on en a vu la démonstration, ou qu'on
l'a obtenue de telle autre façon pareille. En effet, toutes les fois qu'on
fait acte de souvenir, on se dit dans l'âme qu'on a antérieurement entendu la
chose, qu'on l'a sentie ou qu'on l'a pensée. Ainsi donc la
mémoire ne se confond ni avec la sensation ni avec la conception
intellectuelle; mais elle est ou la possession ou la modification de l'une
des deux, avec la condition d'un temps écoulé. Il n'y a pas de mémoire du
moment présent dans le moment même, ainsi qu'on vient de le dire; il n'y a
que sensation pour le présent, espérance pour l'avenir, et mémoire pour le
passé. Ainsi la mémoire est toujours accompagnée de la notion du temps. Il
s'ensuit que parmi les animaux, il n'y a que ceux qui ont perception du temps
qui aient de la mémoire; et ils l'ont précisément par cette faculté même qui
leur sert à percevoir, |
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Lectio
1 |
Leçon 1 ─ Qu’est-ce que la
mémoire? (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81455] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 1 Sicut philosophus
dicit, in septimo de historiis animalium, natura ex inanimatis ad animata
procedit paulatim, ita quod genus inanimatorum prius invenitur quam genus
plantarum: quod quidem ad alia corpora comparatum videtur esse animatum, ad
genus autem animalium, inanimatum. Et similiter a plantis ad animalia quodam
continuo ordine progreditur: quia quaedam animalia immobilia, quae scilicet
terrae adhaerent, parum videntur a plantis differre. Ita etiam et in
progressu ab animalibus ad hominem, quaedam inveniuntur, in quibus aliqua
similitudo rationis appareat. Cum enim prudentia sit propria virtus hominis
(est enim prudentia recta ratio agibilium, ut dicitur in septimo Ethicorum)-,
inveniuntur quaedam animalia quamdam prudentiam participare non ex eo quod habeant
rationem, sed ex eo quod instinctu naturae moventur per apprehensionem
sensitivae partis ad quaedam opera facienda, ac si operarentur ex ratione. Pertinet autem ad
prudentiam, ut prudens dirigatur per eam in his quae imminent sibi agenda ex
consideratione non solum praesentium, sed etiam praeteritorum. Unde Tullius,
in sua rhetorica, partes prudentiae ponit non solum providentiam per quam
futura disponuntur, sed etiam intelligentiam per quam considerantur
praesentia, et memoriam per quam apprehenduntur praeterita. Unde etiam in
aliis animalibus, in quibus invenitur prudentiae similitudo participata,
necesse est esse non solum sensum praesentium, sed etiam memoriam
praeteritorum. Et ideo philosophus in principio metaphysicorum dicit quod quibusdam
animalibus ex sensu memoria fit, et propter hoc prudentia sunt. |
Comme le dit le
Philosophe au livre VII de l’Histoire des animaux, la nature procède
peu à peu des êtres inanimés aux êtres animés, de sorte que le genre des
êtres inanimés est antérieur au genre des plantes; ce dernier, comparé aux
autres corps, semble animé, mais comparé au genre des animaux, il semble
inanimé. Pareillement, on avance par un ordre continu des plantes aux
animaux, car certains animaux immobiles, qui sont fixés à la terre, semblent
avoir peu de différence avec les plantes. De même aussi, quand on progresse
des animaux à l’homme, on en trouve certains qui semblent présenter une
apparence de raison. En effet, alors que la prudence est une vertu propre à
l’homme (elle est en effet la juste conception des choses à faire, comme il
est dit au livre VI[130]
de l’Éthique), on trouve certains animaux qui participent d’une
certaine prudence, non du fait qu’ils sont doués de raison, mais du fait
qu’ils sont mus par un instinct naturel à faire certaines activités par suite
de ce qu’ils perçoivent par leur partie sensitive, comme s’ils agissaient par
raison. Toutefois, il appartient à la prudence que l’homme prudent soit
dirigé par elle dans ce qu’il doit faire immédiatement par une réflexion non
seulement sur le présent, mais aussi sur le passé. C’est pourquoi Cicéron,
dans sa rhétorique[131],
donne comme parties de la prudence non seulement la prévoyance par laquelle
on dispose de l’avenir, mais aussi l’intelligence par laquelle on réfléchit
au présent et la mémoire par laquelle on comprend le passé. C’est pourquoi les
autres animaux en lesquels on trouve une ressemblance participée de la
prudence doivent également avoir nécessairement non seulement la sensation du
présent, mais aussi la mémoire du passé. C’est pourquoi le Philosophe, au
début des Métaphysiques, dit que chez certains animaux, la mémoire
provient des sens et qu’ils sont prudents pour cette raison. |
[81456] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 2 Sed sicut prudentiam
imperfectam habent respectu hominis, ita etiam et memoriam. Nam alia animalia
memorantur tantum, homines autem et memorantur et reminiscuntur; et ideo
gradatim Aristoteles post librum, in quo determinatur de sensu, qui communis
est omnibus animalibus, determinat de memoria et reminiscentia; quorum
alterum invenitur in solis hominibus, alterum vero in his et in animalibus
perfectis. |
Mais de même qu’en
comparaison avec l’homme leur prudence est imparfaite, leur mémoire l’est
aussi. En effet, les autres animaux ont seulement la mémoire, mais les hommes
ont la mémoire et le souvenir[132];
c’est pourquoi Aristote procède par degrés : après le livre où il traite
de la sensation, qui est commune à tous les animaux, il traite de la mémoire
et du souvenir, dont l’un se trouve seulement chez les hommes et l’autre chez
l’homme et les animaux parfaits. |
[81457] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 3 Dividitur autem
liber iste in partes duas. Primo enim ponit prooemium, in quo manifestat suum
propositum. Secundo accedit ad tractandum ea de quibus intendit, ibi, primum
quidem igitur. Circa primum dicit de duobus esse dicendum. Primo quidem de
memoria et memorari, quod est actus eius, circa quod tria se promittit
dicturum. Primum quid sit memoria et quid memorari, et quae sit causa eius,
et ad quam partem animae pertineat passio memorandi. Omnes enim operationes
sensitivae partis passiones quaedam sunt, secundum quod sentire pati quoddam
est. |
Ce livre se divise
donc en deux parties. En effet, il commence par une préface, dans laquelle il
manifeste son intention. En deuxième, il entreprend la discussion de ce dont
il veut traiter, où il dit : Voyons d’abord quels sont les objets, etc.
Pour le premier point, il dit qu’il faut parler de deux choses. En premier,
de la mémoire, et du souvenir qui en est l’acte, et il promet de dire trois
choses à leur sujet : en premier, ce qu’est la mémoire et ce qu’est le
souvenir, puis quelle en est la cause, et enfin à quelle partie de l’âme
appartient l’affection de se souvenir. En effet, toutes les opérations de la
partie sensitive sont des affections, étant donné que sentir est une façon de
subir. |
[81458] Sentencia De sensu, tr.
2 l. 1 n. 4 Secundo promittit se dicturum de reminisci. Et ne
videretur idem esse reminisci et memorari, subiungit quoddam signum
differentiae ipsorum ex parte hominum, in quibus invenitur utrumque. Non enim
iidem homines inveniuntur ita bene memorativi et bene reminiscitivi; sed
sicut frequenter accidit, illi sunt melius bene memorantes, qui sunt tardi ad
inveniendum et discendum. Illi autem melius reminiscuntur, qui sunt velocis
ingenii ad inveniendum ex se et bene discendum ab aliis. |
En deuxième, il
promet de parler de la réminiscence. Et pour que l’acte de réminiscence ne
semble pas être la même chose que l’acte de mémoire, il ajoute un signe de la
différence entre les deux du côté des hommes, chez qui on trouve les deux. On
constate en effet que ce ne sont pas les mêmes hommes qui ont une bonne
mémoire et une bonne réminiscence, mais ce qui arrive souvent, c’est que ceux
qui sont meilleurs à se souvenir sont plus lents à découvrir et à apprendre.
Mais ceux qui ont une meilleure réminiscence sont plus rapides à découvrir
par eux-mêmes et à bien apprendre des autres. |
[81459] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 5 Cuius ratio est,
quia diversae habitudines hominum ad opera animae proveniunt ex diversa
corporis dispositione. Videmus autem in corporalibus, quod illa, quae difficiliter
et tarde recipiunt impressionem, bene retinent eam, sicut lapis; quae vero de
facili recipiunt non retinent bene, sicut aqua. Et, quia memorari nil aliud
est quam bene conservare semel accepta, inde est, quod illi qui sunt tardi ad
recipiendum, retinent bene recepta, quod est bene memorari. Quia autem de
facili recipiunt, plerumque de facili amittunt. Sed reminisci est quaedam
reinventio prius acceptorum non conservatorum; et ideo illi, qui sunt velocis
ingenii ad inveniendum et recipiendum disciplinam, etiam sunt bene
reminiscitivi. |
La raison en est
que les diverses aptitudes des hommes aux œuvres de l’âme proviennent des
dispositions diverses du corps. Or, nous voyons dans les choses corporelles
qui les corps qui reçoivent difficilement et lentement une impression la
retiennent bien, comme la pierre; au contraire, celles qui la reçoivent
facilement, comme l’eau, ne la retiennent pas bien. Et comme la mémoire n’est
rien d’autre que le fait de bien conserver ce qui a été reçu une fois, il
s’ensuit que ceux qui sont lents à recevoir retiennent bien ce qu’ils ont
reçu, ce qui est le fait de bien se souvenir. Mais ceux qui reçoivent
facilement, la plupart du temps, perdent facilement. Or, la réminiscence est
une sorte de redécouverte de ce qui a été reçu mais non conservé, et donc,
ceux qui ont l’esprit rapide pour trouver et recevoir l’enseignement ont
également une bonne réminiscence. |
[81460] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 6 Deinde cum dicit
primum quidem exequitur propositum. Et primo determinat de memorari. Secundo
de reminisci, ibi, de reminisci autem reliquum est dicere. Circa primum tria
facit. Primo ostendit quid sit memorari. Secundo cuius partis animae sit,
ibi, quoniam autem de phantasia. Tertio propter quam causam fiat, ibi,
dubitabit autem utique aliquis. Et, quia operationes et habitus et potentiae
specificantur ex obiectis, ideo circa primum duo facit. Primo inquirit quid
sit obiectum memoriae. Secundo concludit quid sit memoria, ibi, est quidem
igitur memoria. Circa primum duo facit. Primo dicit de quo est intentio.
Secundo manifestat propositum, ibi, neque enim futura. Dicit ergo primo, quod
ad determinandum de memoria, primo oportet accipere qualia sunt memorabilia,
quia obiecta sunt priora actibus et actus potentiis, ut dictum est in secundo
de anima. Necessarium autem est hoc determinare, quia multotiens accidit
deceptio circa hoc, quia aliqui putant quorumdam esse memoriam quorum non
est. |
Ensuite, où il
dit : Voyons d’abord quels sont les objets, etc., il développe sa
thèse. Et en premier, il traite de l’acte de mémoire; en deuxième, de l’acte
de réminiscence, où il dit : Il ne nous reste plus qu’à parler, etc.
(leçon IV). Il traite la première partie en trois points. En premier, il
montre ce qu’est l’acte de mémoire. En deuxième, il montre à quelle partie de
l’âme il appartient, où il dit : Antérieurement, nous avons parlé, etc.
(leçon II). En troisième, il montre quelle cause la produit, où il dit :
Ici l’on pourrait se demander, etc. (leçon III). Et comme les espèces
des opérations, des habitus et des puissances sont déterminées par leurs
objets, il traite donc la première partie en deux points. En premier, il se
demande quel est l’objet de la mémoire; en deuxième, il conclut en disant ce
qu’est la mémoire, où il dit : Ainsi donc la mémoire ne se confond, etc.
Il traite le premier point en deux sections. En premier, il dit quelle est
son intention. En deuxième, il prouve sa thèse, où il dit : En
premier lieu, on ne peut, etc. Il dit donc en premier que pour traiter de
la mémoire, il faut déterminer en premier de quoi on peut avoir mémoire, car
les objets sont antérieurs aux actes et les actes sont antérieurs aux
puissances, comme il est dit au livre II du Traité de l’âme. Il est
nécessaire de déterminer cela parce qu’on se trompe souvent à ce sujet, car
certains supposent qu’il y a mémoire de choses dont il n'y a pas mémoire. |
[81461] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 7 Deinde cum dicit
neque enim manifestat propositum. Et primo dicit quod memoria non est
futurorum. Secundo, quod non est praesentium, ibi, neque praesentis. Tertio
quod est praeteritorum, ibi, memoria autem facti est. Dicit ergo quod futura
non contingit memorari, sed eorum est opinio ex parte virtutis cognoscitivae,
dum scilicet aliquis opinatur aliquid esse futurum et sperat ex parte
virtutis appetitivae, dum scilicet spes in aliquid futurum quandoque tendit.
Dicit autem quod etiam quaedam scientia esse futurorum, quae potest esse
sperativa scientia. Quidam autem nominant eam divinativam, quia per eam
aliqui possunt cognoscere quid in futurum continget, de quo est spes. Sed,
cum spes sit futurorum, quae ab homine acquiri possunt, huiusmodi autem sunt
futura contingentia de quibus non potest esse scientia, videtur quod nulla
scientia possit esse sperativa futurorum. |
Ensuite, où il
dit : En premier lieu, on ne peut, etc., il manifeste sa thèse.
Et il dit, en premier, qu’il n'y a pas mémoire de l’avenir; en deuxième,
qu’il n'y a pas mémoire du présent, où il dit : La mémoire ne
s’applique pas davantage, etc.; en troisième, qu’il y a mémoire du passé,
où il dit : La mémoire ne concerne que le passé, etc. Il
dit donc qu’il ne peut pas y avoir de mémoire de l’avenir, mais qu’on en a une opinion du
fait de la puissance cognitive, lorsqu’on est d’avis qu’un événement aura
lieu et qu’on l’espère par la puissance appétitive, lorsque l’espérance tend
parfois vers un certain avenir. Il dit cependant qu’il peut y avoir une
certaine science même de l’avenir, qui peut être une science d’espérance.
Certains l’appellent divination[133],
car certains peuvent connaître par elle ce qui arrivera dans l’avenir et qui
est objet d’espérance. Mais puisque l’espérance porte sur les biens à venir
qui peuvent être acquis par l’homme mais que ces biens sont des futurs
contingents dont il ne peut y avoir science, il semble qu’il ne peut y avoir
aucune science des événements futurs espérés. |
[81462] Sentencia De sensu, tr.
2 l. 1 n. 8 Dicendum autem est quod de futuris contingentibus,
secundum se consideratis, non potest esse scientia; sed cum in causis suis
considerantur, potest de eis scientia esse, prout aliquae scientiae
cognoscunt esse inclinationes quasdam ad tales effectus. Sic enim et scientia
naturalis est de generabilibus et corruptibilibus. Et hoc etiam modo astrologi
possunt per suam scientiam praenuntiare quosdam futuros eventus sperando:
puta ubertatem vel sterilitatem, propter dispositionem corporum caelestium ad
tales effectus. |
Mais il faut dire
qu’il ne peut y avoir aucune science des futurs contingents considérés en
eux-mêmes; mais lorsqu’ils sont considérés dans leurs causes, il peut y en
avoir science selon que certaines sciences connaissent l’existence de
certaines inclinations à certains effets. C’est ainsi que la science de la
nature porte sur les êtres qui peuvent être engendrés et corrompus. C’est
également ainsi que les astronomes[134]
peuvent prédire par leur science certains événements futurs à espérer, par
exemple la fertilité ou la stérilité, à cause de la disposition des corps
célestes à de tels effets. |
[81463] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit
neque praesentis ostendit quod memoria non est praesentis; sed hoc dicit
pertinere ad sensum, per quem neque futurum, neque factum, id est
praeteritum, cognoscimus, sed tantummodo praesens. |
Ensuite, où il
dit : La mémoire ne s’applique pas davantage, etc., il montre
qu’il n'y a pas mémoire du présent, en disant que cela relève plutôt de la
sensation, par laquelle on ne connaît ni l’avenir ni l’accompli,
c'est-à-dire le passé, mais seulement le présent. |
[81464] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 10 Deinde cum dicit
memoria autem ostendit quod memoria est praeteritorum. Et hoc probat ex
communi usu loquendi. Cum enim aliquid praesentialiter adest, puta cum
aliquis praesentialiter videt album, nullus diceret se memorari album: sicut
nullus dicit se memorari illud, quod per intellectum actu consideratur, cum
actu considerat et intelligit: sed cum communiter homines vident album,
nominant sentire; et considerare aliquid actu, nominant solummodo scire. Cum
aliquis autem habet scientiam habitualem et potentiam sensitivam sine actibus
vel operationibus eorum, tunc dicitur memorari praeteritorum actuum, puta cum
considerat intellectu triangulum habere tres angulos duobus rectis aequales,
et forte sensibiliter descriptionem figurae videt: et ex quadam parte
operationis intellectualis memoratur aliquis, quia didicit ab alio, vel quia
speculatus est per seipsum; ex parte vero sensibilis apprehensionis
memoratur, quia audivit vel vidit, vel aliquo alio sensu percepit. Semper
enim cum anima memoratur, pronunciat se vel prius audivisse aliquid, vel
sensisse, vel intellexisse. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : La mémoire ne concerne que le passé, etc., il montre que
c’est du passé qu’on a mémoire. Et il le prouve par la façon ordinaire de
parler. En effet, quand quelque chose est actuellement présent, par exemple
si quelqu'un voit actuellement du blanc, personne ne dit qu’il se souvient du
blanc; de même, personne ne dit qu’il se souvient de ce qu’il étudie et
comprend en acte par son intelligence, mais en général, quand on voit du
blanc, on appelle cela une sensation, et quand on réfléchit à une chose en
acte, on appelle cela connaissance. Mais quand on a une science habituelle et
une puissance sensitive sans leurs actes ou leurs opérations, alors on dit
qu’on se souvient des actes passés, par exemple quand on considère par son
intelligence qu’un triangle a trois angles égaux à deux droits et qu’on voit
peut-être une description sensible de cette figure, et alors, du côté de
l’opération intellectuelle, on se souvient parce qu’on a appris d’un autre ou
parce qu’on a réfléchi par soi-même; du côté de la perception sensible, on se
souvient parce qu’on a entendu ou vu, ou saisi par un autre sens. En effet,
quand l’âme se souvient, elle déclare toujours qu’elle a entendu, senti ou
compris quelque chose auparavant. |
[81465] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 11 Ex quo patet quod
non est intentio philosophi dicere quod memoria non possit esse ipsarum rerum
quae in praesenti sunt, sed solum eorum quae in praeterito fuerunt. Potest
enim aliquis memorari non solum hominum qui mortui sunt, sed etiam qui nunc
vivunt, sicut et suiipsius aliquis dicitur reminisci, secundum illud
Virgilii: nec talia passus Ulyxes, oblitusve sui est Ithacus discrimine
tanto. Per quod intelligi voluit quod meminit sui. Sed intentio
philosophi est dicere quod memoria est praeteritorum quantum ad nostram
apprehensionem, idest quod prius sensimus vel intelleximus aliqua
indifferenter, sive illae res secundum se consideratae sunt in praesenti sive
non. |
Il est évident par
là que le Philosophe n’a pas l’intention de dire qu’il ne peut pas y avoir
mémoire des choses qui sont dans le présent mais seulement de celles qui ont
existé dans le passé. En effet, on peut se souvenir non seulement des hommes
morts, mais aussi de ceux qui vivent maintenant, comme on dit que quelqu'un
se souvient de lui-même, selon ce que dit Virgile : Ulysse ne put
souffrir tant de barbarie, et ne s’oublia point dans un si grand danger[135].
Il a voulu faire comprendre ainsi qu’Ulysse s’est souvenu de lui-même.
Mais l’intention du Philosophe est de dire que la mémoire porte sur le passé
selon notre perception, c'est-à-dire que nous avons senti ou compris des
choses auparavant, peu importe si les choses considérées en elles-mêmes
existent présentement ou non. |
[81466] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 12 Deinde cum dicit est
quidem concludit ex praemissis quid sit memoria: quia neque est sensus, quia
solum est praesentium; neque est opinio quae potest etiam esse futurorum: sed
oportet quod ad aliquid horum pertineat vel per modum habitus, puta si sit aliqua
vis permanens, vel per modum passionis, puta si sit aliqua impressio
transiens. Sic autem memoria pertinet ad sensum vel opinio, cum intervenit
aliquod tempus medium inter priorem apprehensionem sensus vel intellectualis
opinionis et memoriam subsequentem, ut sic memoria possit esse praeteritae
apprehensionis: quia eius quod nunc apprehenditur, in ipso nunc non est
memoria, ut dictum est, sed sensus quidem est praesentis, spes vero futuri,
memoria vero praeteriti. Et ideo oportet quod omnis memoria sit cum aliquo
tempore intermedio inter ipsam et priorem apprehensionem. |
Puis lorsqu’il
dit : Ainsi donc la mémoire ne se confond, etc., il conclut de ce
qui précède ce qu’est la mémoire, car elle n’est ni la sensation, qui ne
porte que sur présent, ni l’opinion, qui peut également porter sur l’avenir,
mais il faut qu’elle se rapporte à l’une de ces choses soit par mode
d’habitus, comme lorsqu’il existe une force permanente, soit par mode de
passion, comme lorsqu’il existe une impression passagère. Ainsi donc, la
mémoire se rattache à la sensation ou à l’opinion, lorsqu’il s’est écoulé un
laps de temps entre la perception antérieure du sens ou de l’opinion
intellectuelle et la mémoire ultérieure, de sorte qu’il puisse ainsi y avoir
mémoire de la perception passée; car il n’y a pas maintenant de mémoire de ce
qui est perçu maintenant, comme on l’a dit, mais la sensation porte sur le
présent, l’espoir sur l’avenir, et la mémoire sur le passé. Il est donc
nécessaire que pour toute mémoire, il y ait un temps écoulé entre elle et la
perception antérieure. |
[81467] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 1 n. 13 Et ex hoc concludit
quod sola animalia, quae possunt sentire tempus, memorantur: et illa parte
animae memorantur, qua et tempus sentiunt: et de hoc in sequentibus inquiret.
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Et il conclut de là
que seuls les animaux qui peuvent sentir le temps se souviennent, et ils se
souviennent grâce à la partie de l’âme par laquelle ils sentent le temps; et
il explorera ce sujet dans ce qui va suivre. |
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Leçon 2 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Antérieurement,
nous avons parlé de l'imagination dans le Traité de l'Ame, et nous avons dit
qu'on ne peut penser sans images. Le phénomène qui se passe dans l'acte de
l'entendement est absolument le même que pour le tracé d'une figure
géométrique qu'on démontre. Ainsi, quand nous traçons une figure, bien que
nous n'ayons aucun besoin de savoir précisément la grandeur du triangle
décrit, nous ne l'en traçons pas moins d'une certaine dimension déterminée.
De même, en le pensant par l'entendement, bien qu'on ne pense pas à sa
dimension, on se le place cependant devant les yeux avec une dimension
quelconque; et on le pense en faisant abstraction de cette grandeur. S'il
s'agit de la nature seule des quantités, bien qu'elles soient complètement
indéterminées, la pensée se pose toujours une quantité finie, et elle ne
pense aux quantités qu'en tant que quantités seulement. On expliquera du
reste ailleurs comment il se fait qu'on ne peut penser ni sans la notion du
continu, ni sans la notion du temps, même des choses qui ne sont pas dans le
temps. II faut nécessairement que la notion de grandeur et de mouvement nous
vienne de la faculté qui nous donne aussi celle de temps; et l'image n'est
qu'une affection du sens commun. Il en résulte évidemment que la connaissance
de ces idées est acquise par le principe même de la sensibilité. Or la mémoire des
choses intellectuelles ne peut non plus avoir lieu sans images; et, par
suite, ce n'est qu'indirectement que la mémoire s'applique à la chose pensée
par l'intelligence; en soi, elle ne se rapporte qu'au principe sensible.
voilà bien pourquoi la mémoire appartient à d'autres animaux, et n'est pas le
privilège des hommes et généralement des êtres qui ont les facultés de
l'opinion et de la réflexion, tandis que si elle était une des parties
intellectuelles de l'âme, elle manquerait à beaucoup d'animaux autres que
l'homme; peut-être même ne serait-elle le partage d'aucun être mortel.
Maintenant même elle n'appartient pas à tous les animaux, attendu que tous
n'ont pas la notion du temps. En effet, quand on fait acte de mémoire, on
sent toujours en outre, comme nous l'avons dit, qu'antérieurement on a vu,
entendu, ou appris telle chose. Or Avant et Après se rapportent au
temps. Ainsi donc, à quelle partie de l'âme appartient la mémoire? Évidemment
à cette partie de qui relève encore l'imagination; les choses qui en soi sont
les objets de la mémoire sont toutes celles qui sont aussi du domaine de
l'imagination; et celles-là ne sont qu'indirectement ses objets, qui ne
peuvent exister non plus sans cette faculté. |
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Lectio
2 |
Leçon 2 ─ À quelle partie de
l’âme appartient la mémoire? (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81468] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 1 Postquam philosophus
ostendit quid est memoria, hic ostendit ad quam partem animae pertineat. Et
circa hoc duo facit. Primo praemittit quoddam, quod est necessarium ad
propositi manifestationem. Secundo manifestat propositum, ibi, magnitudinem
autem et motum. Circa primum, primo praemittit quod intendit. Secundario
manifestat quod dixerat per exemplum, ibi, accidit enim eadem passio. Tertio
ostendit quid circa hoc sit alibi manifestandum, ibi, propter quam igitur
causam. Proponit ergo primo, quod in libro de anima dictum est de phantasia
quid sit, quia scilicet est motus factus a sensu secundum actum. In eodem
etiam libro dictum est quod non contingit hominem sine phantasmate
intelligere. |
Après avoir montré
ce qu’est la mémoire, le Philosophe montre maintenant à quelle partie de
l’âme elle appartient. Et il traite ce sujet en deux parties. En premier, il
présente un préalable qui est nécessaire pour démontrer sa thèse. En
deuxième, il la démontre, où il dit : Il faut nécessairement que la
notion, etc. Pour la première partie, il commence par dire ce qu’il veut
montrer; en deuxième, il manifeste ce qu’il a dit par un exemple, où il
dit : Le phénomène qui se passe, etc.; en troisième, il montre ce
qui devra être démontré ailleurs à ce sujet, où il dit : On expliquera
du reste ailleurs, etc. Il avance donc en premier que dans le Traité
de l’âme, on a dit ce qu’est l’imagination, à savoir un mouvement produit
par le sens en acte. Dans le même livre, il est dit également que l’homme ne
peut pas comprendre sans une imagination. |
[81469] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 2 Deinde cum dicit
accidit enim manifestat hoc quod ultimo dixerat. Posset enim alicui videri
inconveniens, si non possit homo sine phantasmate intelligere, cum phantasma
sit similitudo rei corporalis, intelligere autem sit universalium, quae a
particularibus abstrahuntur; et ideo ad huius manifestationem inducit quoddam
exemplum, dicens quod ita accidit circa intellectum, quantum ad hoc quod
indiget phantasmate, sicut accidit in descriptionibus figurarum geometriae,
in quibus describitur quidam triangulus, qui sit alicuius determinatae
quantitatis, cum geometra in sua demonstratione non utatur aliqua determinata
quantitate trianguli; similiter et homini volenti intelligere rem aliquam
proponitur ante oculos phantasma alicuius determinatae quantitatis, utpote
singularis: puta volenti intelligere hominem, occurrit imaginatio alicuius
hominis bicubiti, sed intellectus intelligit hominem inquantum est homo, non
autem inquantum habet quantitatem hanc. |
Puis lorsqu’il
dit : Il faut nécessairement que la notion, etc., il manifeste ce
qu’il vient de dire. En effet, cette affirmation pourrait sembler absurde, si
l’homme ne peut pas comprendre sans une imagination, puisqu’une imagination
est la ressemblance d’une chose corporelle, mais que l’acte d’intelligence
porte sur l’universel; c’est pourquoi, pour la manifester, il apporte un
exemple en disant que ce qui se passe pour l’intelligence, quant au fait
qu’elle a besoin d’une imagination, ressemble à ce qui se passe dans les
descriptions des figures de géométrie, dans lesquelles on décrit un triangle
qui a une grandeur déterminée, alors que le géomètre, dans sa démonstration,
n’utilise pas un triangle de grandeur déterminée; de même, si quelqu'un veut
comprendre quelque chose, on lui met devant les yeux une image de grandeur
déterminée à titre d’objet singulier; par exemple, s’il veut comprendre ce
qu’est un homme, il lui vient une image d’un homme de deux coudées, mais
l’intelligence comprend l’homme en tant qu’il est homme et non en tant qu’il
a une certaine grandeur. |
[81470] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 3 Sed quia intellectus
potest intelligere naturam quantitatis, ideo subiungit quod, si ea quae
debent intelligi, sunt secundum suam naturam quanta, puta linea, superficies
et numerus, non tamen finita, idest determinata determinatione
singularitatis, nihilominus tamen ponit ante oculos phantasma quanti
determinati: sicut volenti intelligere lineam occurrit phantasma lineae
bipedalis; sed intellectus intelligit eam solum secundum naturam quantitatis,
non secundum quod est bipedalis. |
Mais comme
l’intelligence peut comprendre la nature de la quantité, il ajoute que, si
les choses qui doivent être comprises ont par nature une quantité, comme la
ligne, la surface et le nombre, mais pas une quantité définie, c'est-à-dire
déterminée par les limites d’un objet singulier, l’intelligence met quand
même devant nos yeux des images d’une grandeur déterminée; ainsi, si
quelqu’un veut comprendre la ligne, il lui vient l’image d’une ligne de deux
pieds, mais l’intelligence la comprend selon la nature de la quantité et non
selon qu’elle mesure deux pieds. |
[81471] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 4 Deinde cum dicit
propter quam ostendit ad quam considerationem reservatur hoc; et dicit quod
ad aliam rationem pertinet assignare causam, quare nihil potest homo
intelligere sine continuo et tempore; quod quidem accidit, inquantum nihil
potest homo intelligere sine phantasmate. Phantasma autem oportet quod sit
cum continuo et tempore, eo quod est similitudo rei singularis, quae est hic
et nunc: quod non potest intelligi sine phantasmate. Quare homo autem non
possit intelligere sine phantasmate, de facili potest assignari ratio quantum
ad primam acceptionem specierum intelligibilium, quae a phantasmatibus
abstrahuntur secundum doctrinam Aristotelis in tertio de anima. Sed
experimento patet quod etiam ille qui iam acquisivit scientiam intelligibilem
per species intellectas, non potest actu considerare illud cuius scientiam
habet nisi occurrat ei aliquod phantasma. Et inde est quod laeso organo
imaginationis impeditur homo non solum ab intelligendo aliqua de novo, sed
etiam considerando ea, quae prius intellexit, ut patet in phreneticis. |
Ensuite, où il
dit : On expliquera du reste ailleurs, etc., il montre à quelle
étude il faut réserver la question : et il dit qu’il appartient à une
autre discussion d’attribuer la cause pour laquelle on ne peut rien
comprendre sans la continuité et le temps; et cela se produit du fait que
l’homme ne peut rien comprendre sans une image mentale. Or, une image mentale
est nécessairement continue et dans le temps, du fait qu’elle a la
ressemblance d’une chose singulière, qui est ici et maintenant, et qui ne
peut pas être comprise sans une image mentale. Mais si l’homme ne peut
comprendre sans une image mentale, on peut facilement en donner une raison
concernant la première saisie des espèces intelligibles qui sont abstraites
des images mentales, selon l’enseignement d’Aristote au livre III du Traité
de l’âme. Mais on constate par expérience que même celui qui a déjà
acquis une science intelligible au moyen d’espèces comprises ne peut pas ne
peut pas réfléchir en acte à ce dont il a la science, à moins qu’il ne lui
vienne une image. Et de là vient que lorsque l’organe de l’imagination est
blessé, l’homme est empêché non seulement de comprendre quelque chose de
nouveau, mais aussi de réfléchir à ce qu’il a compris auparavant, comme on le
voit chez les frénétiques. |
[81472] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 5 Posset autem adhuc
aliquis dicere quod species intelligibiles non manent in intellectu possibili
humano, nisi quamdiu actu intelligit; postquam autem desiit actu intelligere
pereunt et cessant species intelligibiles esse in intellectu per modum quo
cessat lumen esse in aere apud absentiam corporis illuminantis: et ideo est
necesse, si intellectus velit de novo intelligere, quod iterum se convertat
ad phantasmata, ut acquirat species intelligibiles. |
Mais quelqu'un
pourrait dire que les espèces intelligibles demeurent dans l’intellect passif
humain seulement aussi longtemps qu’on comprend en acte et que, une fois
qu’on a cessé de comprendre en acte, les espèces intelligibles disparaissent
et cessent d’être dans l’intelligence à la manière dont la lumière cesse
d’être dans l’air en l’absence du corps qui l’éclaire; il est donc
nécessaire, si l’intelligence veut comprendre à nouveau, qu’elle se tourne de
nouveau vers l’image mentale pour acquérir les espèces intelligibles. |
[81473] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 6 Sed hoc est expresse
contra verba Aristotelis in tertio de anima, ubi dicit quod, cum intellectus
possibilis fiat singula intelligibilia, quod est per species eorum, tunc
etiam est in potentia ad intelligendum in actu. Repugnat etiam rationi, cum
species intelligibiles recipiantur in actu in intellectu possibili
immobiliter secundum modum ipsius, quod autem intellectus possibilis habeat
species intelligibiles etiam cum actu non intelligit, non est sicut in
potentiis sensitivis, in quibus propter compositionem organi corporalis aliud
est recipere impressionem, quod facit sentire in actu, et aliud retinere,
quando etiam res actu non sentiuntur, ut obiicit Avicenna; sed contingit
propter diversum gradum essendi formarum intelligibilium, vel secundum
potentiam puram sicut invenire vel addiscere, vel secundum actum purum sicut
quando actu intelligit, vel medio modo inter potentiam et actum, quod est
esse in habitu. Non ergo propter hoc solum indiget intellectus possibilis
humanus phantasmate ut acquirat intelligibiles species, sed etiam ut eas
quodam modo in phantasmatibus inspiciat. Et hoc est quod dicitur in tertio de
anima. Species igitur in phantasmatibus intellectivum intelligit. |
Mais cela est
expressément contraire aux paroles d’Aristote au livre III du Traité de
l’âme, où il dit que puisque l’intellect passif devient chaque objet
intelligible, ce qui se fait par son espèce, il est également en puissance à
comprendre en acte. Cela[136]
est également contraire à la raison, pusque les espèces intelligibles sont
reçues en acte dans l’intellect passif de façon immobile selon le mode de ce
dernier. Et le fait que l’intellect passif a des espèces intelligibles même
quand il ne comprend pas en acte diffère des puissances sensitives, dans
lesquelles, à cause de la participation d’un organe corporel, le fait de
recevoir une impresion, qui produit la sensation en acte, diffère de la
rétention, qui a lieu même quand une chose n’est pas sentie en acte, comme le
veut l’objection d’Avicenne. Ce fait[137]
se produit à cause des divers degrés d’être des formes intelligibles :
en puissance pure, comme le fait de trouver ou d’apprendre, en acte pur,
comme quand l’intelligence comprend en acte, ou dans un état intermédiaire
entre la puissance et l’acte, qui est l’état d’habitus. Ce n’est donc pas
seulement pour cela que l’intellect passif humain a besoin d’images mentales
pour acquérir les espèces intelligibles, mais aussi pour les regarder en
quelque sorte dans l’image mentale. Et c’est ce qui est dit au livre III du Traité
de l’âme. L’intelligence comprend donc les espèces dans les images
mentales. |
[81474] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 7 Huius autem ratio
est, quia operatio proportionatur virtuti et essentiae: intellectivum autem
hominis est in sensitivo, sicut dicitur in secundo de anima. Et ideo propria
operatio eius est intelligere intelligibilia in phantasmatibus, sicut
intellectus substantiae separatae operatio est intelligere res secundum se
intellectas; et ideo huius est causa reddenda a metaphysico, ad quem pertinet
considerare diversos gradus intellectuum. |
La raison en est
que l’opération est proportionnelle à la puissance et à l’essence; or,
l’intelligence de l’homme est dans la faculté sensitive, comme il est dit au
livre II du Traité de l’âme. C’est pourquoi son opération propre est
de comprendre les intelligibles dans les images mentales, comme l’opération
de l’intelligence des substances séparées est de comprendre les choses en
elles-mêmes, et la cause de ce fait doit être enseignée par le métaphysicien,
à qui il appartient d’étudier les divers degrés de l’intelligence. |
[81475] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 8 Deinde cum dicit
magnitudinem autem ostendit ad quam partem animae pertineat memoria. Et primo
per rationem. Secundo per signa, ibi, unde et alteris. Tertio concludit
propositum, ibi, cuius quidem igitur. Dicit ergo primo, quod necesse est quod
eadem parte animae cognoscatur magnitudo et motus, qua etiam cognoscitur
tempus. Haec enim tria se sequuntur tam in divisione, quam in eo quod est
esse infinitum et finitum, ut probatur in sexto physicorum. |
Ensuite, où il
dit : Il faut nécessairement que la notion, etc., il montre à
quelle partie de l’âme appartient la mémoire. Et en premier, il le fait par
un argument. En deuxième, il le montre par des signes, où il dit : Voilà
bien pourquoi la mémoire, etc. En troisième, il tire sa conclusion, où il
dit : Ainsi donc, à quelle partie, etc. Il dit donc en premier
qu’il est nécessaire que la grandeur et le mouvement soient connus par la
même partie de l’âme qui connaît le temps. Ces trois choses se suivent en
effet tant dans la division que dans le fait d’être infini et fini, comme il
est prouvé au livre VI des Physiques. |
[81476] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 9 Magnitudo autem
cognoscitur sensu: est enim unum de sensibilibus communibus. Similiter autem
et motus, praecipue localis, cognoscitur, in quantum cognoscitur distantia
magnitudinis. Tempus autem cognoscitur, inquantum cognoscitur prius et
posterius in motu: unde et etiam sensu percipi possunt. Dupliciter autem
aliquid sensu percipitur. Uno quidem modo per ipsam immutationem sensus a
sensibili et sic cognoscuntur tam sensibilia propria quam etiam communia, a
sensibus propriis et a sensu communi. Alio modo cognoscitur aliquid quodam
secundario motu, qui relinquitur ex prima immutatione sensus a sensibili. Qui
quidem motus remanet etiam quandoque post absentiam sensibilium, et pertinet
ad phantasiam, ut habitum est in libro de anima. Phantasia autem, secundum
quod apparet per huius immutationem secundariam, est passio sensus communis:
sequitur enim totam immutationem sensus, quae incipit a sensibilibus
propriis, et terminatur ad sensum communem. Unde manifestum est quod
praedicta tria, scilicet magnitudo, motus et tempus, secundum quod sunt in
phantasmate, comprehenduntur et cognoscuntur per sensum communem. |
Mais la grandeur
est connue par le sens; elle est en effet l’un des sensibles communs. De même
aussi, le mouvement, et surtout local, est connu en tant qu’on connaît la
distance dans l’espace. Quant au temps, il est connu en tant qu’on connaît
l’avant et l’après dans le mouvement; l’avant et l’après peuvent donc aussi
être perçu par le sens. Mais une chose peut être perçue par le sens de deux
façons. En premier, par l’impression même du sensible sur le sens, et tant
les sensibles propres que les sensibles communs sont connus de cette façon,
par les sens propres et par le sens commun. D’une deuxième façon, une chose
est connue par une sorte de mouvement secondaire qui reste de la première
impression du sensible sur le sens. Et ce mouvement demeure parfois même une
fois les sensibles absents, et il relève de l’imagination, comme on l’a vu
dans le Traité de l’âme. Or, l’imagination, selon qu’elle se produit
par l’impression secondaire de ce sensible, est une propriété du sens commun;
elle suit en effet l’impression complète sur le sens, qui commence par les
sensibles propres etmse terrmine au sens commun. Il est donc évident que ces
trois choses, grandeur, mouvement et temps, selon qu’elles sont dans
l’imagination, sont comprises et connues par le sens commun. |
[81477] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 10 Memoria autem non
solum est sensibilium, utputa cum aliquis memoratur se sensisse, sed etiam
intelligibilium, ut cum aliquis memoratur se intellexisse. Non autem est sine
phantasmate. Sensibilia enim postquam praetereunt, a sensu non percipiuntur,
nisi sicut in phantasmate: intelligere etiam non est sine phantasmate, ut
supra habitum est. Unde concludit quod memoria sit intellectivae partis
animae, sed per accidens; per se autem primi sensitivi, scilicet sensus
communis. Dictum est enim supra, quod intelligens proponit in phantasmate
quantum determinatum, licet intellectus secundum se consideret rem absentem;
ad memoriam autem pertinet apprehensio temporis secundum determinationem
quamdam, secundum scilicet distantiam in praesenti nunc. Unde per se memoria
pertinet ad apparitionem phantasmatum, per accidens autem ad iudicium
intellectus. |
Or, la mémoire ne
porte pas seulement sur les objets sensibles, comme quand quelqu'un se
souvient d’avoir senti, mais aussi sur les intelligibles, comme quand il se
souvient d’avoir compris. Mais cela ne se fait pas sans image mentale. En
effet, les sensibles, après avoir disparu, ne sont pas perçus par le sens,
sinon comme dans une image mentale. Le fait de comprendre ne va pas non plus
sans une image mentale, comme on l’a vu plus haut. Il conclut de là que la
mémoire relève de la partie intellectuelle de l’âme, mais par accident;
essentiellement, elle relève de la première faculté sensitive, le sens
commun. On a dit en effet plus haut que celui qui comprend met dans son image
mentale une quantité déterminée, même si l’intelligence en elle-même
réfléchit à une chose absente; ce qui appartient à la mémoire, c’est la
perception du temps selon une certaine précision, à savoir la distance avec
le moment présent. Il s’ensuit que la mémoire se rapporte essentiellement à
l’apparition d’une image mentale, et par accident au jugement de
l’intelligence. |
[81478] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 11 Posset aut alicui
videri quod ex his quae hic dicuntur, quod phantasia et memoria non sunt
potentiae distinctae a sensu communi, sed sint quaedam passiones ipsius. Sed
Avicenna rationabiliter ostendit esse diversas potentias. Cum enim potentiae
sensitivae sint actus corporalium organorum, necesse est ad diversas
potentias pertinere receptionem formarum sensibilium quae pertinet ad sensum,
et conservationem earum, quae pertinet ad phantasiam sive imaginationem;
sicut in corporalibus videmus quod ad aliud principium pertinet receptio et
conservatio: humida enim sunt bene receptiva, sicca autem et dura bene
conservativa. Similiter etiam ad aliud principium pertinet recipere formam,
et conservare receptam per sensum et intentionem aliquam per sensum non
apprehensam, quamvis aestimativa percipit etiam in aliis animalibus, vis
autem memorativa retinet, cuius est memorari rem non absolute, sed prout est
in praeterito apprehensa a sensu vel intellectu. |
Il pourrait sembler
s’ensuivre de ce qu’on dit ici que l’imagination et la mémoire ne sont pas
des puissances distinctes du sens commun mais en sont des propriétés. Mais
Avicenne montre de façon raisonnable que ce sont des puissances différentes.
En effet, puisque les puissances sensitives sont des actes des organes
corporels, il est nécessaire que ce soient des puissances différentes qui
reçoivent les formes sensibles, ce qui appartient au sens, et qui les
conservent, ce qui appartient à la phantasia ou imagination; de même, nous voyons
dans les choses corporelles que la réception et la conservation appartiennent
à des principes différents : en effet, les choses humides reçoivent
bien, alors que les choses sèches et dures conservent bien. Pareillement, il appartient
à des principes différents de recevoir la forme, de conserver la forme reçue
par le sens et de percevoir une signification non perçue par le sens. Bien
que la faculté estimative perçoive également chez les autres animaux, la
faculté de mémoire retient; il lui appartient de se souvenir d’une chose non
de façon absolue, mais en tant qu’elle a été saisie dans le passé par le sens
ou l’intelligence. |
[81479] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 12 Contingit tamen quod
diversarum potentiarum est una quasi radix et origo aliarum potentiarum,
quarum actus actum ipsius primae potentiae praesupponunt, sicut nutritiva est
quasi radix augmentativae et generativae potentiae, quarum utraque utitur
nutrimento. Similiter autem sensus communis est radix phantasiae et memoriae,
quae praesupponunt actum sensus communis. |
Il arrive pourtant
que des puissances diverses ont une seule racine, qui est l’origine d’autres
puissances dont l’acte présuppose l’acte de cette puissance première :
ainsi, la faculté nutritive est comme la racine des puissances de croissance
et de génération, qui utilisent toutes deux la nutrition. Pareillement, le
sens commun est la racine de l’imagination et de la mémoire, qui présupposent
l’acte du sens commun. |
[81480] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 13 Deinde cum dicit
unde et manifestat quod dixerat per duo signa. Quorum primum sumitur ex parte
animalium habentium memoriam; et dicit quod, quia memoria est per se primi
sensitivi, inde est quod memoria inest quibusdam aliis animalibus habentibus
sensum et carentibus intellectu, et non solum homini et quibuscumque aliis
habentibus opinionem, quae potest ad intellectum speculativum pertinere, et
prudentiam quae pertinet ad intellectum practicum. Si autem memoria esset
aliquid de potentiis intellectivis, non inesset multis aliorum animalium, de
quibus manifeste constat quod habent memoriam, et tamen non habent
intellectum; et forte non inesset memoria alicui mortalium nisi homini, qui
solus homo inter mortales habet intellectum. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Voilà bien pourquoi la mémoire, etc., il manifeste
ce qu’il a dit par deux signes. Le premier se rapporte aux animaux qui ont de
la mémoire ; et il dit que, puisque la mémoire relève essentiellement de
la faculté sensitive première, il s’ensuit que la mémoire appartient à
certains autres animaux qui ont la sensation et sont privés d’intelligence,
et non seulement à l’homme et à certains autres qui ont une opinion, ce qui
peut relever de l’intelligence spéculative, et de la prudence, ce qui relève
de l’intelligence pratique. Mais si la mémoire faisait partie des puissances
intellectuelles, elle n’appartiendrait pas à un grand nombre d’autres animaux
chez qui la présence de la mémoire est évidente et qui pourtant n’ont pas
d’intelligence, et on ne la trouverait peut-être chez aucun être mortel
excepté l’homme, qui est le seul des êtres mortels à avoir une intelligence. |
[81481] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 14 Dicit autem forte,
propter quosdam qui dubitaverunt de quibusdam aliis animalibus ab homine
utrum habeant intellectum, propter opera quaedam similia operibus rationis,
sicut sunt opera simiarum et quorumdam huiusmodi animalium. |
Il dit peut-être
à cause de certains qui se sont demandé si certains animaux autres que
l’homme ont une intelligence, en raison de certaines œuvres semblables à
celles de la raison, comme les actions des singes et de certains animaux
semblables. |
[81482] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 15 Secundum signum
ponit ibi, quoniam neque et sumitur ex animalibus non habentibus memoriam; et
dicit inde esse manifestum quod memoria pertinet per se ad partem sensitivam,
quia etiam nunc cum supponimus solum hominem inter mortales habere
intellectum, memoria non inest omnibus animalibus, sed solum illa habent
memoriam, quae sentiunt tempus. Quaedam enim animalia nihil percipiunt nisi
apud praesentiam sensibilium; sicut quaedam animalia immobilia, quae propter
hoc habent indeterminatam phantasiam, ut dicitur in secundo et tertio de
anima, et propter hoc non possunt cognoscere prius et posterius, et per
consequens non habent memoriam. Semper enim cum anima agit per memoriam, ut
prius dictum est, simul sentit quod hoc prius vidit, aut audivit, aut
didicit: prius autem et posterius pertinent ad tempus. |
Il présente le
deuxième signe où il dit : Maintenant même elle n’appartient pas, etc.;
ce signe se rapporte aux animaux qui n’ont pas de mémoire. Il dit qu’il est
évident que la mémoire appartient essentiellement à la partie sensitive parce
que maintenant même, quand nous supposons que l’homme est le seul des êtres
mortels à avoir une intelligence, la mémoire n’existe pas chez tous les
animaux, mais seulement chez ceux qui perçoivent le temps. En effet, certains
animaux ne perçoivent rien, sinon en présence des sensibles, comme c’est le
cas de certains animaux immobiles dont l’imagination, pour cette raison, est
indéterminée, comme il est dit aux livres II et III du Traité de l’âme, et
qui, pour cette raison, ne peuvent connaître l’avant et l’après et n’ont donc
pas de mémoire. En effet, quand l’âme agit par la mémoire, elle perçoit
toujours en même temps, comme on l’a dit, qu’elle a vu, entendu ou appris;
or, l’avant et l’après se rapportent au temps. |
[81483] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 2 n. 16 Deinde cum dicit
cuius quidem concludit propositum. Et dicit manifestum esse ex praemissis ad
quam partem animae pertineat memoria, quia ad eam, ad quam pertinet
phantasia; et quod illa sunt per se memorabilia, quorum est phantasia,
scilicet sensibilia; per accidens autem memorabilia sunt intelligibilia, quae
sine phantasia non apprehenduntur ab homine. Et inde est quod ea quae habent
subtilem et spiritualem considerationem, minus possumus memorari. Magis autem
sunt memorabilia quae sunt grossa et sensibilia. Et oportet, si aliquas
intelligibiles rationes volumus memorari facilius, quod eas alligemus quasi
quibusdam aliis phantasmatibus, ut docet Tullius in sua rhetorica. Memoria
tamen ponitur a quibusdam in parte intellectiva, secundum quod hic per
memoriam intelligitur omnis habitualis conservatio eorum, quae pertinent ad
partem animae intellectivam. |
Ensuite, où il
dit : Ainsi donc, à quelle partie, etc., il tire sa conclusion.
Et il dit que la partie de l’âme à laquelle appartient la mémoire est
évidente d’après ce qui précède, car c’est celle à laquelle appartient
l’imagination, et que les choses dont il est essentiellement possible de se
souvenir sont les objets de l’imagination, c'est-à-dire les sensibles; par
accident, on peut se souvenir des choses intelligibles, qui ne peuvent pas
être saisies par l’homme sans l’imagination. Et c’est pourquoi on peut moins
se souvenir des choses dont l’étude est subtile et spirituelle; on peut se
souvenir davantage des choses grossières et sensibles. Si nous voulons mieux
nous souvenir des notions intelligibles, il faut que nous les rattachions à
d’autres images mentales, comme l’enseigne Cicéron dans ses ouvrages de
rhétorique. Pourtant, certains situent la mémoire dans la partie
intellectuelle, selon qu’on entend par mémoire toute conservation habituelle
des choses qui relèvent de la partie intellectuelle de l’âme. |
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Leçon 3 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Ici l'on pourrait
se demander comment il se fait que la modification de l'esprit étant seule
présente, et l'objet même étant absent, on se rappelle ce qui n'est pas
présent. Évidemment on doit croire que l'impression qui se produit par suite
de la sensation dans l'âme, et dans cette partie du corps qui perçoit la
sensation, est analogue à une espèce de peinture, et que la perception de
cette impression constitue précisément ce qu'on appelle la mémoire. Le
mouvement qui se passe alors empreint dans l'esprit comme une sorte de type
de la sensation, analogue au cachet qu'on imprime sur la cire avec un anneau.
Voilà pourquoi ceux qui par la violence de l'impression, ou par l'ardeur de
l'âge, sont dans un grand mouvement, n'ont pas la mémoire des choses, comme
si le mouvement et le cachet étaient appliqués sur une eau courante. Chez
d'autres, au contraire, qui en quelque sorte sont froids comme le plâtre des
vieilles constructions, la dureté même de la partie qui reçoit l'impression
empêche que l'image n'y laisse la moindre trace. Voilà pourquoi les tout
jeunes enfants et les vieillards ont très peu de mémoire. Ils coulent en
effet, les uns parce qu'ils se développent, les autres parce qu'ils
dépérissent. De même encore ceux qui sont trop vifs, et ceux qui sont trop
lents, n'ont ordinairement de mémoire ni les uns ni les autres : ceux-ci sont
trop humides, et ceux-là sont trop durs; par conséquent, l'image ne demeure
point dans l'aime des uns et n'effleure pas l'âme des autres. Mais si c'est bien
ainsi que les choses se passent pour la mémoire, est-ce de cette impression
de l'esprit qu'on se souvient, ou de l'objet même qui l'a produite? Si c'est
de l'impression, on ne se souviendrait en rien des choses qui sont absentes :
et si c'est de l'objet, comment, tout en sentant l'impression, nous
rappelons-nous l'objet absent que nous ne sentons pas? En admettant qu'il y
ait en nous quelque chose de pareil à un cachet ou à une peinture, comment se
fait-il que ne sentant que cette chose, nous nous en rappelons cependant une
autre, et nous ne nous rappelons pas cette chose elle-même? Ainsi, lorsqu'on
fait acte de mémoire, on contemple en soi cette impression et on ne sent
qu'elle; comment donc se rappelle-t-on pourtant un objet qui n'est pas présent?
Ce serait en effet voir et entendre une chose qui n'est pas présente. Mais
n'y a-t-il pas une manière d'expliquer comment ce phénomène est possible et
comment il s'accomplit? Ainsi, l'animal peint sur le tableau est à la fois un
animal et une copie; et tout en étant un et le même, il est pourtant ces deux
choses à la fois. L'être de l'animal et celui de l'image ne sont pas
cependant identiques; et on peut se représenter cette peinture, soit comme
animal, soit comme copie d'un animal. II faut supposer aussi que l'image qui
se peint en nous, y est absolument de cette même façon, et que la notion que
l'âme contemple est quelque chose par elle-même, bien qu'elle soit aussi
l'image d'une autre chose. Ainsi donc, en tant qu'on la considère en
elle-même, c'est une représentation de l'esprit, une image; en tant qu'elle
est relative à un autre objet, c'est comme une copie et un souvenir. Par conséquent
aussi, quand le mouvement de cet objet a lieu, si c'est en tant qu'il est
lui, l'âme le sent alors ainsi lui-même, comme lorsqu'une pensée intelligible
ou une image se manifeste en elle et la traverse. Si, au contraire, c'est en
tant que cet objet se rapporte à un autre, l'âme ne le voit que comme une
copie, ainsi que dans le tableau où, sans avoir vu Coriscus en toute réalité,
on le considère comme la copie de Coriscus. Mais il y a quelque différence
dans cette contemplation que l'âme peut faire; quand elle considère l'objet
comme animal figuré, l'impression ne se présente alors à elle que comme une
simple pensée, tandis que si l'âme considère, comme dans le second cas, qu'il
n'est qu'une copie, cette impression devient pour elle un souvenir. Cela explique
pourquoi nous ne savons pas toujours très précisément, quand des mouvements
de ce genre se produisent dans notre âme à la suite d'une sensation
antérieure, si c'est bien de la sensation qu'ils nous viennent; et nous ne
savons trop si c'est ou si ce n'est pas un fait de mémoire. Parfois il nous
arrive de croire penser une chose, et de nous souvenir en même temps que nous
l'avons antérieurement entendue ou aperçue; et cette illusion a lieu lorsque
l'esprit, contemplant la chose Sine, se méprend et ne la considère que comme
si elle était l'image d'une autre chose. Parfois aussi, c'est tout le
contraire qui a lieu, comme l'éprouva Antiphéron d'Orée, comme l'ont éprouvé
bien d'autres qui ont eu des extases; ils parlaient des images que voyait
leur esprit comme si c'était des réalités, et comme s'ils s'en fussent
souvenus. Et c'est là précisément ce qui se passe quand l'esprit considère,
comme la copie d'une chose, ce qui n'est pas du tout une copie. Du reste,
l'exercice et l'étude conservent la mémoire en la forçant de se ressouvenir;
et cet exercice n'est pas autre chose que de considérer fréquemment la
représentation de l'esprit, en tant qu'elle est une copie et non pas en
elle-même. Voilà donc ce
qu'est la mémoire et ce que c'est que se souvenir. Répétons-le : c'est la
présence dans l'esprit de l'image, comme copie de l'objet dont elle est
l'image; et la partie de l'aune à laquelle elle appartient en nous, c'est le
principe même de la sensibilité, par lequel nous percevons la notion du
temps. |
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Lectio
3 |
Leçon 3 ─ Comment se produit
la mémoire. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81484] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 1 Postquam philosophus
ostendit quid sit memoria, et cuius partis animae sit, hic ostendit causam
memorandi. Et circa hoc duo facit. Primo proponit dubitationem. Secundo
solvit, ibi, aut est ut contingit. Circa primum tria facit. Primo movet
dubitationem. Secundo manifestat quoddam, quod dubitatio supponit, ibi,
manifestum enim quoniam oportet. Tertio inducit rationes ad quaestionem, ibi,
sed si tale accidens. Dicit ergo primo, quod potest aliquis dubitare, cum in
memorando quaedam passio praesentialiter afficiat animam: res vero, cuius
memoramur sit absens, propter quid memoramur id, quod non est praesens,
scilicet rem, et non memoramur passionem praesentem. |
Après avoir montré
ce qu’est la mémoire et à quelle partie de l’âme elle appartient, le
Philosophe montre maintenant la cause de la mémoire. Et il traite ce sujet en
deux parties. En premier, il présente un doute. En deuxième, il le résout, où
il dit : Mais n’y a-t-il pas une manière, etc. Il traite la
première partie en trois sections. En premier, il soulève le doute. En
deuxième, il manifeste quelque chose que le doute suppose, où il dit : Évidemment
on doit croire, etc. En troisième, il présente les arguments sur cette
question, où il dit : Mais si c’est bien ainsi, etc. Il dit donc
en premier qu’on peut se demander, puisque dans l’acte de mémoire l’âme est
présentement affectée par une certeine impression, mais que la chose dont on
se souvient est absente, pourquoi on se souvient de ce qui n’est pas présent,
qui est la chose, mais on ne se souvient pas de l’affection présente. |
[81485] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 2 Deinde cum dicit
manifestum enim manifestat quoddam quod supposuerat, scilicet passionem
quamdam esse in anima dum memoramur. Et primo manifestat hoc per causam.
Secundo per signa, ibi, unde et his quidem. Dicit ergo primo, manifestum esse
quod oportet intelligere aliquam talem passionem a sensu esse factam in
anima, et in organo corporis animati, cuius quidem animae memoriam dicimus
esse quemdam quasi habitum, quae quidem passio est quasi quaedam pictura,
quia scilicet sensibile imprimit suam similitudinem in sensu, et huius
similitudo remanet in phantasia etiam sensibili abeunte. Et ideo subiungit
quod motus qui fit a sensibili in sensum, imprimit in phantasia quasi quamdam
figuram sensibilem, quae manet sensibili abeunte, ad modum, quo illi qui
sigillant cum annulis imprimunt figuram quamdam in cera, quae remanet etiam
sigillo vel annulo remoto. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Évidemment on doit croire, etc., il manifeste quelque chose
qu’il a supposé, à savoir que l’âme subit une certaine impression pendant
qu’on se souvient. Et il le manifeste, en premier, par une cause; en
deuxième, par un signe, où il dit : Voilà pourquoi ceux qui, etc.
Il dit donc en premier qu’il est évident qu’il faut comprendre qu’une
impression du genre a été produite dans l’âme, et dans un organe du corps
animé, et nous disons que la mémoire dans cette âme est comme une sorte
d’habitus, et cette impression est comme une peinture, car le sensible
imprime sa ressemblance dans le sens, et sa ressemblance demeure dans
l’imagination même en l’absence du sensible. C’est pourquoi il ajoute que le
mouvement produit par le sensible dans le sens imprime dans l’imagination une
sorte de figure sensible, qui demeure en l’absence du sensible, à la manière
dont ceux qui apposent un sceau avec un anneau impriment dans la cire une
figure qui demeure même une fois le sceau ou l’anneau enlevé. |
[81486] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 3 Dicit autem, in
anima et in parte corporis: quia cum huiusmodi passio pertineat ad partem
sensitivam, quae est actus organici corporis, huiusmodi passio non pertinet
ad solam animam, sed ad coniunctum. Memoriam autem nominat habitum
partis huius, quia memoria est in parte sensitiva: et in ea quae in memoria
conservamus, quandoque non actu apprehendimus, sed quasi habitualiter
tenemus. |
Et il dit dans
l’âme et dans une partie du corps, parce que cette impression, affectant
la partie sensitive, qui est l’acte d’un corps organique, ne touche pas l’âme
seule, mais le composé. Et il dit que la mémoire est un habitus de
cette partie parce qu’elle est dans la partie sensitive; et les choses que
nous conservons en mémoire, parfois nous ne les percevons pas en acte, mais
nous les gardons de façon habituelle. |
[81487] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 4 Deinde cum dicit
unde et manifestat propositum per signa, scilicet quod in memorando sit
praedicta passio praesens. Et dicit quod, propter haec talis passio
necessaria est ad memoriam, contingit quod quibusdam non fit memoria, quia
sunt in multo motu, sive hoc sit propter passionem corporis sicut infirmis
vel ebriis, vel animae sicut in his qui sunt commoti ad iram vel
concupiscentiam; aut etiam hoc accidit propter aetatem deputatam augmento
sive decremento, et sic propter huiusmodi causas corpus hominis est in quodam
fluxu, et ideo non potest retinere impressionem quae fit ex motu rei
sensibilis, sicut contingeret si aliquis motus vel etiam sigillum
imprimeretur in aquam fluentem. Statim enim propter fluxum deperiret figura. |
Ensuite, où il
dit : Voilà pourquoi ceux qui, etc., il manifeste son affirmation
par un signe, à savoir que cette impression est présente dans l’acte de
mémoire. Et il dit que parce que cette impression est nécessaire à la
mémoire, il arrive que certains ne se souviennent pas parce qu’ils sont dans
le tumulte, soit à cause d’une souffrance du corps comme l’infirmité ou
l’ivresse, soit à cause d’une passion de l’âme, comme chez ceux qui brûlent
de colère ou de convoitise, ou comme cela arrive à ceux qui sont à l’âge de
la croissance ou du déclin; et ainsi, pour ces causes, le corps de l’homme
est fluide en quelque sorte et ne peut donc pas garder l’impression produite
par le mouvement de la chose sensible, comme si un mouvement, ou même un
sceau, était imprimé dans de l’eau qui coule : en effet, la figure se
dissiperait à cause de l’écoulement. |
[81488] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 5 In quibusdam vero
aliis non recipitur praedicta impressio. Quandoque quidem propter
frigiditatem congelantem humores, sicut accidit in his qui sunt in magno
timore constituti: quod propter frigiditatem quamdam non potest imprimi
aliquid in anima ipsorum. Et ponit exemplum de antiquis aedificiis, cum
paries est novus antequam cementum inspissetur, potest de facili immutari,
non autem postquam inspissatur. Quandoque autem accidit non propter infrigidationem,
sed propter duritiem naturalem eius quod debet recipere passionem. Corpora
enim terrestria duritiem habent etiam si sint calida, corpora vero aquea
indurantur per hoc quod superfrigidantur. Et propter praedictas causas, illi
qui sunt multum novi sicut pueri, et etiam senes, sunt immemores, quia
corpora puerorum sunt in fluxu propter augmentum, senum vero propter
decrementum; ideo in neutris bene retinetur impressio. |
Et il y en a
d’autres en qui cette impression n’est pas reçue non plus. Parfois, à cause
du froid qui congèle les humeurs, comme c’est le cas de ceux qui éprouvent
une grande crainte, quelque chose ne peut pas s’imprimer dans leurs âmes. Et
il donne l’exemple d’anciens édifices : lorsque leurs murs sont neufs,
avant que le ciment ait durci, il peut facilement être modifié, mais pas
après qu’il a durci. Mais parfois, cela arrive non à cause du
refroidissement, mais à cause de la dureté naturelle de ce qui doit recevoir
l’impression. En effet, les corps terreux sont durs même s’ils sont chauds,
alors que les corps aqueux durcissent par suite d’un refroidissement
excessif. Et pour ces raisons, ceux qui sont tout jeunes, coimme les enfants,
ainsi que les vieillards, n’ont pas de mémoire, parce que les corps des
enfants sont changeants à cause de la croissance et ceux des vieillards à
cause de la décroissance, de sorte que ni les uns ni les autres ne retiennent
bien les impressions. |
[81489] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 6 Contingit tamen quod
ea quae quis a pueritia accipit, firmiter in memoria tenet propter
vehementiam motus; ex quo contingit ut ea quae admiramur, magis memoriae
imprimantur. Admiramur autem nova praecipue et insolita: pueris de novo
mundum ingredientibus maior advenit admiratio de aliquibus quasi insolitis:
et ex hac etiam causa firmiter memorantur; secundum autem complexionem
fluentis corporis, naturaliter competit illis ut sint labilis memoriae.
Subiungit autem quod similiter propter praedicta, neutri videntur esse bene
memores: neque illi qui sunt multum velocis apprehensionis, neque illi qui
sunt multum tardae. Illi enim qui sunt multum veloces, sunt magis humidi quam
oportet. Humidi enim est facile recipere impressiones. Illi autem, qui sunt
magis tardi, sunt etiam magis duri; et ideo velocius non remanet impressio
phantasmatis in anima. Duros autem non tangit, idest non recipiunt
phantasmatis impressionem. |
Il se trouve
pourtant que les choses reçues pendant l’enfance sont fermement conservées en
mémoire à cause de l’intensité du mouvement; de là vient que les choses qui
nous étonnent sont plus fermement imprimées dans la mémoire. Mais ce sont
surtout les choses neuves et insolites qui nous étonnent, et les enfants, qui
viennent d’entrer dans le monde, s’étonnent davantage de choses qu’ils
trouvent insolites; c’est aussi pour cette raison que leurs souvenirs sont
fermes, alors que, du fait de leur constitution changeante, il leur convient
naturellement d’avoir une mémoire oublieuse. Il ajoute que pareillement, pour
les causes mentionnées, ni les uns ni les autres ne semblent avoir une bonne
mémoire : ni ceux qui ont l’esprit rapide, ni ceux qui sont très lents.
En effet, ceux qui sont très rapides sont plus humides qu’il ne faut, car ce
qui est humide reçoit facilement les impressions, alors que ceux qui sont
plus lents sont également plus durs, et l’impression de l’image mentale ne
vient pas aussi rapidement dans l’âme. Les durs ne sont pas touchés, c'est-à-dire
qu’ils ne reçoivent pas l’impression de l’image mentale. |
[81490] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 7 Potest etiam aliter
exponi quod dictum est, ut primo quidem intelligat assignasse causam defectus
memoriae propter motum supervenientem, quam postea manifestavit per exemplum
iuvenum et senum. Secundo autem assignavit causam ex naturali complexione,
vel quia in aliquibus abundat humor aqueus qui est frigidus et humidus, et
ideo disperguntur de facili in eis impressiones phantasmatum, sicut faciliter
dilabuntur antiqua aedificia; vel quia in aliquibus abundat humor terrestris,
qui propter duritiem non recipiunt impressionem. Et hoc postea manifestavit
per exemplum velocium et tardorum. |
Ces propos peuvent
également être expliqués d’une autre façon, à savoir qu’en premier il
attribue la cause du manque de mémoire à un mouvement qui survient et
manifeste ensuite cette cause par l’exemple de la jeune personne et du
vieillard. En deuxième, il y attribue comme cause le tempérament naturel,
soit parce qu’abonde chez certains l’humeur aqueuse, qui est froide et
humide, de sorte que les impressions des images mentales se dissipent
facilement comme des édifices anciens qui deviennent facilement délabrés,
soit parce qu’abonde chez d’autres l’humeur terreuse, qui, à cause de sa
dureté, ne reçoit pas l’impression. Et cela, il le manifeste ensuite par
l’exemple des esprits rapides et lents. |
[81491] Sentencia De sensu, tr.
2 l. 3 n. 8 Est autem considerandum, quod ideo praemisit
impressionem phantasmatis fieri in anima et in parte corporis, ut postmodum
ostenderet homines diversimode se habere ad huiusmodi impressionem propter
diversam corporis dispositionem. |
Il faut cependant
remarquer qu’il commence par dire que l’image mentale produit une impression
dans l’âme et dans une partie du corps pour montrer ensuite que les hommes
ont des façons différentes de recevoir de telles impressions à cause des
dispositions différentes de leur corps. |
[81492] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 9 Deinde cum dicit sed
si tale argumentatur ad quaestionem prius propositam. Et primo iam
manifestato quod suppositum erat, resumit quaestionem; et dicit quod, si hoc
accidit circa memoriam, scilicet quod sit in ea passio quaedam praesens ut
pictura, quaerendum est: utrum aliquis memoratur hanc passionem, quae
praesentialiter est in memorante, aut rem sensibilem a qua facta est ita
impressio. |
Ensuite, où il
dit : Mais si c’est bien ainsi, etc., il présente des arguments
sur la question soulevée plus haut. Et en premier, après avoir manifesté ce
qui était supposé, il revient à la question en disant que, si c’est ce qui
arrive pour la mémoire, à savoir qu’il s’y trouve une impression semblable à
une image, il faut se demander si quelqu'un se souvient de cette impression,
qui se trouve présentement chez celui qui se souvient, ou s’il se souvient de
la chose sensible qui a produit cette impression. |
[81493] Sentencia De sensu, tr.
2 l. 3 n. 10 Secundo ibi, si quidem enim hoc, obiicit ad unam
partem, et dicit quod, si quis dicat quod homo memoratur hanc passionem
praesentem, sequitur quod nihil absentium memoretur, quod est contra
praedeterminata. |
Deuxièmement, où il
dit : Si c’est de l’impression, etc., il argumente contre une
solution en disant que, si on dit que l’homme se souvient de l’impresssion
présente, il s’ensuit qu’il ne se souvient d’aucune chose absente, ce qui est
contraire à ce qui a été établi plus haut. |
[81494] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 11 Tertio ibi, si vero
illud, obiicit ad partem aliam tribus rationibus. Quarum primam ponit dicens
quod, si aliquis memoretur illam rem a qua facta est passio, videtur esse
inconveniens quod homo sentiat id quod est praesens, scilicet passionem, et
simul cum hoc memoretur id quod est absens, quod non potest sentire. Dictum
est enim quod memoria pertinet ad primum sensitivum: et sic non videtur quod
sensus sit de uno, et memoria de alio. |
Troisièmement, où
il dit : et si c’est de l’objet, etc., il présente trois
arguments contre l’autre solution. Il donne le premier en disant que, si
quelqu'un se souvient de la chose qui a créé une impression, il semble
absurde que l’homme sente ce qui est présent, à savoir l’impression, et qu’en
même temps il se souvienne de ce qui est absent et qu’il ne peut pas sentir.
Il a été dit en effet que la mémoire appartient à la première faculté
sensitive, et ainsi, il ne semble pas que la sensation porte sur l’une et la
mémoire sur l’autre. |
[81495] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 12 Secundam rationem ponit,
ibi, et si est simile. Et dicit quod, si huiusmodi passio, quae est praesens
memoranti, est in nobis sicut quaedam figura aut pictura ipsius sensus in
repraesentando primam immutationem sensus a sensibili, quare memoria erit alterius,
scilicet rei, et non ipsiusmet figurae vel picturae? Cum enim sit figura
sensus, manifestum et quod apprehendi potest. Et etiam hoc experimento patet
quod ille qui memoratur, speculatur aliquid per intellectum circa hanc
passionem vel sentit per partem sensitivam. Videtur autem inconveniens quod
praesente eo quod cadit sub apprehensione, illud non apprehendatur sed
aliquid aliud. |
Il présente le
deuxième argument où il dit : En admettant qu’il y ait en nous, etc.
Et il dit que si cette impression, qui est présente en celui qui se souvient,
est en nous comme une sorte de figure ou de peinture de la sensation en
représentant la première impression causée au sens par le sensible, pourquoi
y aurait-il mémoire de l’autre, c'est-à-dire la chose, et non de la
figure ou de la peinture elle-même? En effet, puisqu’elle est la figure de la
sensation, il est évident qu’elle peut être perçue. Et il est également
évident par expérience que celui qui se souvient comprend quelque chose par
son intelligence au sujet de cette impression ou le sent par sa partie
sensitive. Or, il semble absurde que, lorsque ce qui tombe sous la perception
est présent, ce qui est perçu ne soit pas cela, mais autre chose. |
[81496] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 13 Tertiam rationem
ponit, ibi, quomodo igitur. Et quaerit quomodo aliquis possit per sensum
interiorem memorari illud quod non est praesens. Cum enim sensus exterior sit
conformis sensui interiori, sequeretur quod sensus exterior esset rei non
praesentis, ita scilicet quod contingeret videre et audire rem non
praesentem, quod videtur inconveniens. |
Il donne le
troisième argument où il dit : Ainsi, lorsqu’on fait acte, etc.
Et il demande comment quelqu'un peut, par son sens intérieur, se souvenir de
quelque chose qui n’est pas présent. En effet, puisque le sens extérieur est
conforme au sens intérieur, il s’ensuivrait qu’on aurait une sensation extérieure
d’une chose absente, de sorte qu’on pourrait voir et entendre une chose
absente, ce qui semble absurde. |
[81497] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 14 Deinde cum dicit aut
est ut solvit propositam quaestionem. Et primo ostendit per quam causam
contingat memorari. Secundo ostendit quae sit causa quod aliquid bene in
memoria conservetur, ibi, meditationes autem. Tertio epilogat, ibi, quod
quidem igitur. Circa primum duo facit. Primo solvit dubitationem. Secundo
manifestat solutionem per signum, ibi, et ob hoc aliquando. Dicit ergo primo,
quod potest assignari quomodo contingat et accidat hoc quod dictum est,
scilicet quod aliquis sentiat passionem praesentem et memoretur rem absentem.
Et inducit exemplum de animali quod pingitur in tabula, quod quidem et est
animal pictum et est imago animalis veri. Et, cum idem subiecto sit cui
conveniunt haec ambo, differunt tamen haec duo ratione; et ideo alia est
consideratio eius inquantum est animal pictum, et alia inquantum est imago
animalis veri; ita etiam et phantasma quod est in nobis potest accipi vel
prout est aliquod in se, vel prout est phantasma alterius. Et secundum se
quidem est quoddam speculatum, circa quod speculatur intellectus vel
phantasia quantum pertinet ad partem sensitivam. Secundum vero quod est
phantasma alterius, quod prius sensimus vel intelleximus, sic consideratur ut
imago in aliud ducens, et principium memorandi. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Mais n’y a-t-il pas une manière, etc., il résout la
question proposée. Et en premier, il montre la cause qui produit la mémoire.
En deuxième, il montre la cause pour laquelle une chose est bien conservée en
mémoire, où il dit : Du reste, l’exercice et l’étude, etc. En
troisième, il conclut, où il dit : Voilà donc ce qu’est la mémoire, etc.
Il traite le premier point en deux parties. En premier, il résout le doute.
En deuxième, il manifeste la solution par un signe, où il dit : Cela
explique pourquoi, etc. Il dit donc en premier comment ce qu’on a dit se
produit, à savoir que quelqu'un sente l’impression présente et se souvienne
de la chose absente. Et il donne l’exemple de l’animal qui est peint dans un
tableau, qui est à la fois un animal peint et l’image d’un vrai animal. Et
alors que ces deux choses sont réunies dans le même sujet, elles diffèrent
cependant en raison; c’est pourquoi on considère ce sujet de façon différente
selon qu’il est un animal peint et selon qu’il est une image d’un vrai
animal; de même aussi, l’image mentale qui est en nous peut être considérée
soit selon qu’elle est quelque chose en elle-même, soit selon qu’elle est
l’image mentale d’autre chose. Et en elle-même, elle est un objet de
réflexion, auquel l’intelligence ou l’imagination réfléchit en autant qu’elle
relève de la partie sensitive. Mais selon qu’elle est l’image mentale d’une
autre chose que nous avons sentie ou comprise auparavant, elle est considérée
comme une image représentant autre chose, et elle est le principe du souvenir. |
[81498] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 15 Et ideo, cum anima
memoretur secundum modum phantasmatis, si anima convertatur ad ipsum secundum
se, sic videtur animae adesse, vel aliquid intelligibile quod intellectus in
phantasmate inspicit, vel simpliciter phantasma quod vis imaginativa
apprehendit. Si vero anima convertat se ad phantasma inquantum est phantasma
alterius, et consideret ipsum tamquam imaginem eius quod prius sensimus vel
intelleximus, ut dictum est circa picturam; et sicut ille qui non videt
Coriscum et considerat eius phantasma ut Corisci imaginem, haec iam est alia
passio huius considerationis, quia videlicet iam hoc ad memoriam pertinet. |
En conséquence,
puisque l’âme se souvient par voie d’une image mentale, si l’âme se tourne
vers cette image comme telle, elle voit alors présent en elle soit quelque
chose d’intelligible que l’intelligence regarde dans l’image mentale, soit
tout simplement cette image que la puissance imaginative perçoit. Mais si
l’âme se tourne vers l’image mentale en tant qu’elle est l’image d’autre
chose et la considère en tant qu’image de ce que nous avons senti ou compris
auparavant, comme on l’a dit au sujet d’une peinture et comme dans le cas où
quelqu'un ne voit pas Coriscus et considère son image mentale comme l’image
de Coriscus, cela constitue désormais une autre impression de la
contemplation de cette image, car elle appartient maintenant à la mémoire. |
[81499] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 16 Et sicut accidit de
phantasmate alicuius singularis hominis, puta Corisci imaginem, quod
quandoque consideratur secundum se quandoque ut imago, ita etiam accidit
circa intelligibilia: quandoque enim intellectus inspicit ad phantasma, sicut
ad quoddam animal pictum, si inspiciat ad ipsum secundum se, sic solum consideratur
ut quoddam intelligibile; si autem intellectus inspiciat ad ipsum inquantum
est imago, sic erit principium memorandi, sicut accidit ibi, idest circa
particularia. |
Et comme il arrive
que l’image mentale d’un homme singulier, disons l’image de Coriscus, est
considérée tantôt en elle-même, tantôt comme image, il arrive la même chose
pour les intelligibles : tantôt en effet l’intelligence regarde l’image
mentale comme un animal peint, si elle la regarde en elle-même, et ainsi elle
est considérée seulement comme un objet intelligible; mais si l’intelligence
la regarde en tant qu’image, celle-ci est alors le principe de la mémoire,
comme il arrive dans le cas des particuliers. |
[81500] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 17 Sic igitur manifestum
est quod quando anima convertit se ad phantasma, prout est quaedam forma
reservata in parte sensitiva, sic est actus imaginationis sive phantasiae,
vel etiam intellectus considerantis circa hoc universale. Si autem anima
convertatur ad ipsum, inquantum est imago eius, quod prius audivimus aut
intelleximus, hoc pertinet ad actum memorandi. Et quia esse imaginem
significat intentionem quamdam circa formam, ideo convenienter Avicenna dicit
quod memoria respicit intentionem, imaginatio vero formam per sensum
apprehensam. |
Ainsi donc, il est
évident que lorsque l’âme se tourne vers l’image mentale, selon qu’elle est
une forme conservée dans la partie sensitive, elle est alors un acte de
l’imagination ou phantasia, ou encore de l’intelligence qui réfléchit
à quelque chose d’universel. Mais si l’âme se tourne vers l’image mentale en
tant qu’elle est l’image de ce que nous avons entendu ou compris, cela
appartient à l’acte de mémoire. Et parce que le fait d’être une image suppose
un certain regard[138]
concernant la forme, c’est donc à propos qu’Avicenne dit que la mémoire
concerne ce regard, alors que l’imagination concerne la forme perçue par le
sens. |
[81501] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 18 Deinde cum dicit et
ob hoc manifestat quod dixerat per quaedam signa. Et dicit quod, quia tunc
memoramur quando attendimus ad phantasma, secundum quod est imago eius quod
prius sensimus et intelleximus, ideo circa actum memoriae tripliciter se
habent homines. |
Ensuite, où il
dit : Cela explique pourquoi, etc., il manifeste ce qu’il a dit
par des signes. Et il dit que, puisque nous nous souvenons quand nous pensons
à une image mentale en tant qu’elle est l’image de ce que nous avons senti et
compris auparavant, les hommes ont trois genres de rapports avec l’acte de
mémoire. |
[81502] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 19 Aliquando enim
quamvis in nobis sint motus phantasmatum, qui sunt facti ab eo quod sensimus,
qui scilicet relinquuntur ex prima immutatione sensus proprii a sensibili,
tamen nescimus si accidat hos motus esse in nobis secundum hoc quod prius
sensimus aliquid. Et ideo dubitamus utrum memoremur vel non. |
Parfois en effet,
bien qu’il y ait en nous des mouvements d’images mentales qui sont produits
par ce que nous sentons et qui demeurent à la suite de la première impression
produite sur un sens propre par un sensible, nous ne savons pourtant pas si
ces mouvements se produisent en nous du fait que nous avons senti quelque
chose auparavant. C’est pourquoi nous nous demandons si nous avons un
souvenir ou non. |
[81503] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 20 Secundo vero
contingit aliquando quod hoc intelligit et reminiscitur, quia prius audivimus
aut vidimus aliquid cuius phantasma tunc nobis occurrit, quod est proprie
memorari: et hoc contingit quando ille qui speculatur phantasma movetur
quidem ab ipso praesenti phantasmate, sed considerat ipsum inquantum est
imago alterius, quod prius sensit vel intellexit. |
Deuxièmement, il
arrive parfois qu’on comprenne et qu’on se remémore[139]
parce qu’on a entendu ou vu auparant quelque chose dont l’image mentale nous
revient maintenant, ce qui est se souvenir au sens propre; et cela arrive
quand celui qui contemple l’image mentale est bien mû par cette image mentale
présente, mais la considère en tant qu’elle est l’image d’une autre chose
qu’il a sentie ou comprise auparavant. |
[81504] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 21 Tertio autem modo
aliquando accidit contrarium primi modi, ut scilicet credat homo se memorari
cum non memoratur, sicut accidit cuidam, qui dicebatur Antipheron, et erat
origine Orcitas; et similiter contingit illis qui patiuntur alienationem
mentis. Phantasmata enim quae eis de novo occurrunt existimant ac si essent
aliquorum prius factorum, ac si memorentur illa, quae nunquam viderunt vel
audierunt. Et hoc contingit cum aliquis considerat id quod non est imago
alterius prius facti, ac si esset eius imago. |
D’une troisième
façon, il arrive parfois, contrairement à la première façon, qu’on croie se
souvenir alors qu’on ne se souvient pas, comme il est arrivé à quelqu'un du
nom d’Antiphéron[140],
originaire d’Oreos; et la même chose arrive à ceux qui souffrent d’aliénation
mentale. En effet, ils estiment que les nouvelles images mentales qui leur
arrivent sont des images de faits qui ont eu lieu auparavant, comme s’ils se
souvenaient de choses qu’ils n’ont jamais vues ou entendues. Et cela arrive
lorsque quelqu'un considère ce qui n’est pas l’image d’un autre fait antérieur
comme s’il en était l’image. |
[81505] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 22 Deinde cum dicit
meditationes autem ostendit per quae memoria conservetur. Et dicit quod
frequentes meditationes eorum quae sensimus aut intelleximus conservant
memoriam ad hoc quod aliquis bene reminiscatur eorum quae vidit aut
intellexit. Nihil autem est aliud meditari, quam multotiens considerare
aliqua, sicut imaginem priorum apprehensorum et non solum secundum se; qui
quidem modus conservandi pertinet ad rationem memoriae. Manifestum autem est
quod ex frequenti actu memorandi habitus memorabilium confirmatur, sicut et
quilibet habitus per similes actus, et multiplicata causa fortificatur
effectus. |
Puis, où il
dit : Du reste, l’exercice, etc., il montre par quoi la mémoire
est conservée. Et il dit que de fréquentes méditations sur ce que nous avons
senti ou compris conservent la mémoire de sorte qu’on se remémore bien ce
qu’on a vu ou compris. Or, méditer n’est rien d’autre que réfléchir à des
choses à maintes reprises, en tant qu’images de choses perçues auparavant et
pas seulement en elles-mêmes; et cette manière de conserver appartient à la
notion de mémoire. Or, il est évident qu’un acte fréquent de mémoire affermit
l’habitus des objets de souvenir, comme tout habitus est affermi par des
actes semblables, et qu’une cause multipliée renforce les effets. |
[81506] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 3 n. 23 Deinde cum dicit
quid quidem epilogat similiter supradicta. Et dicit quod dictum est quid
memoria et memorari, quia memoria est habitus, idest habitualis quaedam
conservatio phantasmatis, non quidem secundum seipsum (hoc enim pertinet ad
virtutem imaginativam), sed inquantum phantasma est imago alicuius prius
sensati. Dictum
est etiam ad quam partem animae earum, quae in nobis sunt, pertineat, quia
scilicet pertinet ad primum sensitivum, inquantum per ipsum cognoscimus
tempus. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Voilà donc ce qu’est la mémoire, etc., il tire une
conclusion semblable de ce qui précède. Et il dit qu’on a dit ce que sont la
mémoire et le souvenir, car la mémoire est un habitus, c’est-à-dire une
conservation habituelle d’une image mentale, pas en elle-même (car cela
appartient à la puissance imaginative), mais en tant que l’image mentale est
celle d’une chose sentie auparavant. On a dit en effet à quelle partie de
l’âme (des choses qui sont en nous) la mémoire appartient, car elle
appartient à la première faculté sensitive en tant que nous connaissons le
temps pat celle-ci. |
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Leçon 4 |
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Texte
d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Il ne nous
reste plus qu'à parler de la réminiscence. D'abord, il
faut admettre comme parfaitement démontrées toutes les vérités que nous avons
avancées dans nos Essais. Ainsi, la réminiscence n'est, ni une réacquisition
de la mémoire qu'on reprend, ni une première acquisition. En effet, quand on
apprend quelque chose pour la première fois, ou qu'on éprouve une première
impression, on ne peut pas certainement dire qu'on recouvre la mémoire,
puisqu'il n'y a pas encore eu de mémoire antérieurement. On ne peut pas dire
davantage que l'on acquière alors une première notion; mais c'est seulement
après que la connaissance a été acquise ou que l'impression a eu lieu, qu'il
y a mémoire; et ainsi, la mémoire n'arrive jamais dans l'esprit en même temps
que l'impression sensible. De plus, à
l'instant même où l'impression vient tout d'abord de se produire, dans un
instant indivisible, et toute récente qu'elle est, l'impression est dans
l'être qui la subit; déjà même il y a science, si l'on peut toutefois appeler
du nom de science cette disposition et cette impression. Bien qu'on puisse
dire directement qu'on se rappelle aussi certaines choses que l'on sait, à
proprement parler on ne peut faire acte de mémoire, à moins qu'il n'y ait
déjà quelque temps d'écoulé; on ne se rappelle actuellement que ce qu'on a su
ou éprouvé antérieurement, et l'on ne se rappelle pas maintenant ce que
maintenant on éprouve. Il est clair
encore que se souvenir par la réminiscence, ce n'est pas seulement se
rappeler maintenant qu'on a eu dans le principe une sensation ou une
impression qu'on a éprouvée. Mais la réminiscence consiste à recouvrer la
science ou la sensation qu'on avait eues auparavant, ou bien cet état qui
constitue ce qu'on appelait la mémoire, je veux dire à se ressouvenir de
l'une des choses qui ont été dites; et le souvenir et la mémoire viennent
alors à la suite de la réminiscence. Ce ne sont pas du reste des choses
antérieures qui se reproduisent complètement de nouveau dans l'esprit; mais
il y a alors une partie des choses qui se reproduit et une partie qui ne se
reproduit pas; car la même personne pourrait très bien deux fois découvrir et
apprendre la même chose. Il faut donc faire une différence entre la
réminiscence dans ce dernier cas, et cette autre réminiscence qui s'applique
à un état précédent de l'esprit plus complet que celui d'où l'on part pour
apprendre. |
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Lectio
4 |
Leçon 4 ─ Différences entre
la réminiscence et la mémoire. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81507] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 1 Postquam philosophus
determinavit de memoria et memorari, nunc determinat de reminisci. Et primo
dicit de quo est intentio. Secundo prosequitur propositum, ibi, non enim est
memoria. Dicit ergo primo, quod, postquam dictum est de memorari, reliquum
est dicere de reminisci, hoc ordine ut quaecumque vera possint accipi per
disputativas rationes, primo supponantur quasi existentia vera: per quod
excusat se a prolixa disputatione eorum quae ad reminiscentiam pertinent. |
Après avoir traité
de la mémoire et du souvenir, le Philosophe traite maintenant de la
réminiscence. Et en premier, il dit quelle est son intention. En deuxième, il
développe son propos, où il dit : Ainsi, la réminiscence n’est, etc.
Il dit donc en premier que, après avoir parlé de la mémoire, il reste à
parler de la réminiscence, dans un ordre tel que toutes les vérités qui
peuvent être établies par des arguments dialectiques soient d’abord supposées
vraies; il se dispense ainsi d’une discussion prolongée sur ce qui concerne
la réminiscence. |
[81508] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 2 Deinde cum dicit non
enim exequitur propositum. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quid sit
reminiscentia, per comparationem ad alias apprehensiones. Secundo determinat
modum reminiscendi, ibi, contingunt autem reminiscentiae. Tertio ostendit
qualis passio sit reminiscentia, ibi, quod autem corporea quaedam passio.
Circa primum duo facit. Primo ostendit quid non sit reminiscentia. Secundo quid sit,
ibi, sed cum resumat. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit.
Secundo manifestat propositum, ibi, cum enim primum addiscat. Dicit ergo
primo, quod reminiscentia neque est resumptio memoriae, ita quod nihil aliud
sit reminisci quam iterato memorari; neque iterum reminiscentia est prima
acceptio alicuius cognoscibilis, puta quae fit per sensum vel per
intellectum. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ainsi, la réminiscence n’est, etc., il développe son
propos. Et il le fait en trois parties. En premier, il montre ce qu’est la
réminiscence par comparaison aux autres perceptions. En deuxième, il
déterrmine comment la réminiscence se produit, où il dit : Du reste,
les réminiscences, etc. (leçon V). En troisième, il montre quelle sorte
d’affection est la réminiscence, où il dit : Ce qui prouve bien que
cette facullté, etc. (leçon VIII, no 3). Il traite la première partie en
deux sections. Il montre, en premier, ce que la réminiscence n’est pas, et en
deuxième ce qu’elle et, où il dit : Mais la réminiscence consiste, etc.
Il traite la première section en deux points. En premier, il présente ce
qu’il veut montrer. En deuxième, il le manifeste, où il dit : En
effet, quand on apprend, etc. Il dit donc en premier que la réminiscence
n’est ni la reprise de la mémoire, de sorte qu’elle ne serait rien d’autre
que le fait de se souvenir de nouveau, ni non plus la première perception
d’une chose connaissable, par exemple par le sens ou l’intelligence. |
[81509] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 3 Deinde cum dicit cum
enim manifestat quod dixerat. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit differentiam
duorum quae proposuerat, scilicet resumptionis memoriae et acceptionis.
Secundo ostendit quod reminiscentia non sit memoriae resumptio, neque etiam
acceptio, ibi, amplius manifestum. Circa primum duo facit. Primo ostendit
quod acceptio non est memoria, quia ille qui accipit non memoratur. Secundo
ostendit, quod nec e converso memorari est acceptio, eo quod ille qui
memoratur non de novo accipit, ibi, neque ex principio. Dicit ergo primo,
quod, cum aliquis primum addiscat vel patiatur quantum ad apprehensionem
sensitivam, nullam memoriam tunc resumit, quia nihil resumitur nisi prius
existens: nulla autem memoria praecessit; ergo primum addiscere vel sentire
non est memoriam resumere. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : En effet, quand on apprend, etc., il manifeste ce qu’il a
dit. Et il le fait en deux temps. En premier, il montre la différence entre
les deux choses qu’il a mentionnées, à savoir la reprise de la mémoire et son
acquisition. En deuxième, il montre que la réminiscence n’est pas la reprise
de la mémoire, ni non plus son acquisition, où il dit : Il est clair
encore, etc. Il traite le premier point en deux parties. En premier, il
montre que l’acqisition n’est pas la mémoire, car celui qui acquiert ne se
souvient pas. En deuxième, il montre qu’inversement, la mémoire n’est pas
l’acquisition, de sorte que celui qui se souvient n’acquiert rien de nouveau,
où il dit : On ne peut pas dire davantage, etc. Il dit donc en
premier que, lorsque quelqu’un apprend ou subit pour la première fois quant à
la perception sensorielle, il ne retrouve pas son souvenir, car rien n’est
retrouvé à moins d’avoir existé auparavant; or, aucun souvenir n’a existé
auparavant; donc, apprendre ou sentir pour la première fois n’est pas
retrouver un souvenir. |
[81510] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 4 Deinde cum dicit
neque ex ostendit quod memorari non sit prima acceptio. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit quod memorari non consistit in hoc quod est accipere
notitiam. Secundo ostendit quod non consistit in hoc quod est primo acceptum
esse, ibi, adhuc autem. Dicit ergo primo, quod neque etiam memorans accipit
a principio notitiam rei memoratae. Cum enim memoria sit facti, ut supra
habitum est, tunc est memor, quando notitia per modum habitus vel saltem
passionis iam est in facto esse. Sed, cum fit prima passio in ipsa, scilicet
acceptione notitiae, nondum est in facto esse; ergo nondum fit in homine
memoria. |
Puis lorsqu’il
dit : On ne peut pas dire davantage, etc., il montre que
le souvenir n’est pas une première acquisition. Et il le fait en deux
parties. En premier, il montre que se souvenir ne consiste pas dans
l’acquisition d’une connaissance. En deuxième, il montre qu’il n'y a pas
mémoire au premier instant d’acquisition, où il dit : De plus, à
l’instant même, etc. Il dit donc en premier que celui qui se souvient ne
reçoit pas une connaissance initiale de la chose dont il se souvient. En
effet, comme la mémoire porte sur un fait passé, comme on l’a vu, on se
souvient quand la connaissance sous forme d’habitus ou du moins d’impression
est déjà réalisée. Mais lorsque la première impression, c'est-à-dire la
réception de la connaissance, se produit en elle, elle n’est pas un fait
réalisé; donc, il n'y a pas encore de mémoire dans l’homme. |
[81511] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 5 Deinde cum dicit
adhuc autem ostendit quod neque memoria est in primo instanti in quo iam
facta est notitia, sive per modum habitus, sive per modum passionis, sicut
quando nondum notitia est in habitum versa. Ubi considerandum est quod sicut
probatur in sexto physicorum, primo dicitur esse factum aliquid in
indivisibili instanti, quod est ultimum temporis mensurantis motum. Dicit
ergo quod cum primo facta est notitia in indivisibili, quod est ultimum
temporis generationis notitiae, in illo quidem instanti dici potest quod iam
inest patienti, id est acquirenti notitiam, passio et scientia, ita ut
non faciamus vim in nomine scientiae, quod proprie significat habitum, sed
accipiamus hoc nomen communiter pro habitu et pro passione. Et ratio huius
quod dicit est, quia semper in ultimo instanti generationis verum est dicere
illud esse cuius est generatio, sicut in ultimo instanti generationis ignis,
ignis iam est. Existente autem scientia, nihil prohibet memorari ea quae iam
scimus, sed hoc est per accidens. Non enim memoramur ea inquantum in
praesenti eorum scientiam habemus, sed per se memorari non contingit ante
factum tempus, scilicet antequam interveniat tempus medium inter notitiam
prius existentem et ipsam memoriam. Memoratur enim nunc aliquis quae prius audivit
vel vidit vel qualitercumque passus fuit, non autem nunc memoratur quod nunc
passus est. Manifestum est autem quod primo aliquis iam passus dicitur in
ipso ultimo instanti passionis; non ergo tunc potest esse memoria. |
Puis, où il
dit : De plus, à l’instant même, etc., il montre qu’il n'y a pas
mémoire non plus au premier instant où la connaissance est acquise soit par
mode d’habitus, soit par mode d’impression, comme quand la connaissance n’est
pas encore devenue un habitus. Il faut remarquer ici que, comme il est prouvé
au livre VI des Physiques, on dit qu’un fait se trouve accompli dans
l’instant indivisible où se termine le temps de la génération de la
connaissance, instant où on peut dire que la connaissance est désormais une
impression et une science dans le patient[141],
c'est-à-dire celui qui acquiert la connaissance, de sorte que nous ne
faussions pas le sens du mot « science », qui signifie au sens
propre un habitus, mais que nous prenions ce mot de façon général au sens
d’un habitus et d’une impression. Et la raison de ce qu’il dit est qu’il est
toujours vrai de dire, au dernier instant de la génération, que ce dont il y
a génération existe; par exemple, au dernier instant de la génération du feu,
le feu existe. Alors, une fois que la science existe, rien n’empêche qu’on se
souvienne de ce qu’on sait déjà, mais c’est accidentel. En effet, on ne se
souvient pas des choses en tant que nous en avons présentement la science,
mais essentiellement, la mémoire n’a pas lieu avant un temps accompli, c'est-à-dire
avant qu’un temps intermédiaire se soit écoulé avant la connaissance
préexistante et la mémoire. En effet, quelqu'un se souvient maintenant de ce
qu’il a vu, entendu ou éprouvé de quelque façon que ce soit auparavant, mais
il ne se souvient pas de ce qu’il éprouve maintenant. Or, il est évident que
le premier moment où quelqu'un est dit avoir éprouvé est le dernier moment où
il éprouve[142];
il ne peut donc pas en avoir souvenir à cet instant. |
[81512] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit
amplius manifestum ostendit ulterius quod reminiscentia nec est memoriae
resumptio, nec nova acceptio. Et dicit per praemissa manifestum esse quod memorari
contingit non nunc reminiscentem, id est non memoratur aliquis huius
quod nunc reminiscitur, sed eius quod a principio sensit vel qualitercumque
passus est. Et sic reminiscentia non est resumptio memoriae, sed refertur ad
aliquid quod prius aliquis apprehendit. |
Puis, lorsqu’il
dit : Il est clair encore, etc., il montre de plus que la
réminiscence n’est ni le retour d’un souvenir, ni une nouvelle acquisition.
Et il dit que ce qui précède manifeste que l’acte de se souvenir ne
s’applique pas à celui qui a maintenant une réminiscence, c'est-à-dire
qu’on ne se souvient pas de ce dont on a maintenant une réminiscence, mais de
ce qu’on a senti ou éprouvé de quelque façon au début. Et ainsi, la
réminiscence n’est pas la reprise du souvenir, mais elle se rattache à
quelque chose qu’on a saisi auparavant. |
[81513] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 7 Deinde cum dicit sed
cum manifestat quid sit reminiscentia. Et primo dicit, quod reminiscentia est
resumptio primae acceptionis. Secundo ostendit quod non quaelibet talis
resumptio est reminiscentia, ibi, neque itaque. Dicit ergo primo, quod
reminiscentia non est resumptio memoriae, sed cum resumit aliquis id quod
prius scivit vel sensit sensu proprio vel communi, huiusmodi habitum dicimus esse
memoriam. Sicut enim memorari refertur ad prius factam notitiam, ita et
reminisci. Et tunc est reminisci, scilicet cum aliquo modo resumimus
priorem apprehensionem, non autem ita quod reminiscentia sit aliquid eorum
quae dicta sunt, vel sensus, vel memoria, vel phantasia, vel scientia; sed
per reminiscentiam accidit memorari, quia reminiscentia est quidam motus ad
memorandum. Et sic memoria sequitur reminiscentiam, sicut terminus motum. |
Ensuite, où il
dit : Mais la réminiscence consiste, etc., il montre ce qu’est la
réminiscence. Et en premier, il dit que la réminiscence est la reprise de la
première acquisition. En deuxième, il
montre que de telles reprises ne sont pas toujours des réminiiscences, où il
dit : Ce ne sont pas du reste, etc. Il dit donc en premier que la
réminiscence n’est pas la reprise du souvenir, mais, lorsque quelqu'un
repense à ce qu’il a su ou senti auparavant par un sens propre ou un sens
commun, nous disons que cet habitus est la mémoire. En effet, comme la
mémoire, la réminiscence se rapporte à une connaissance déjà acquise. Et
alors il y a réminiscence, c'est-à-dire lorsque nous retrouvons de
quelque façon une perception antérieure, mais pas de telle sorte que la
réminiscence soit l’une des choses énumérées (sensation, mémoire, imagination
ou science), mais, par la réminiscence, on parvient au souvenir, car la
réminiscence est un mouvement vers le souvenir. Et ainsi, la mémoire suit la
réminiscence comme le terme suit le mouvement. |
[81514] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 8 Vel secundum aliam
literam, reminiscentia sequitur memoriam, quia sicut inquisitio rationis est
via ad aliquid cognoscendum, et tamen ex aliquo cognito procedit, ita
reminiscentia est via ad aliquid memorandum, et tamen ex aliquo memorato
procedit, ut infra patebit. |
Ou bien, selon une
autre version du texte, la réminiscence suit la mémoire, car, de même que la
recherche de la raison est le chemin vers la connaissance et que pourtant
elle procède de quelque chose de connu, de même la réminiscence est le chemin
vers le souvenir de quelque chose, et pourtant elle procède de quelque chose
dont on se souvient, comme ce sera évident plus loin. |
[81515] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 4 n. 9 Deinde cum dicit
neque itaque hic ostendit quod non quaelibet resumptio sensus vel scientiae
est reminiscentia. Et dicit quod non est universaliter hoc verum quod
reminiscentia fiat quandocumque iterum fit cognitio scientiae vel sensus,
quae prius fuerat; sed quodammodo contingit resumentem scientiam aut sensum
reminisci, et quodammodo non. Et quod non sit universaliter verum, ostendit
per hoc quod contingit eumdem hominem, secundo post amissam scientiam idem
addiscere aut invenire quod prius, hoc tamen non est reminisci. Oportet
igitur quod reminisci differat ab his, scilicet ab iterato addiscere vel
invenire: et aliquid plus insit, quod sit principium reminiscendi, quam
requiratur ad addiscendum. Quid autem sit illud plus, per sequentia
manifestatur. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ce ne sont pas du reste, etc., il montre que toute reprise
de la sensation ou de la science n’est pas une réminiscence. Et il dit qu’il
n’est pas universellement vrai que c’est toujours une réminiscence quand on a
de nouveau connaissance d’une science ou d’une sensation qu’on a eue
auparavant : celui qui retrouve une science ou une sensation se trouve à
avoir une réminiscence d’une certaine façon et à ne pas en avoir une d’une
autre façon. Et que cela ne soit pas universellement vrai, il le montre en
disant qu’il arrive au même homme, après avoir perdu une science, de
l’apprendre ou de la découvrir une deuxième fois, mais cela n’est pourtant
pas une réminiscence. Il faut donc que la réminiscence diffère des deux, soit
apprendre ou découvrir de nouveau, et qu’on possède quelque chose de plus
comme principe de réminiscence que comme principe d’apprentissage. On
montrera par la suite quel est ce quelque chose de plus. |
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Leçon 5 |
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Texte d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire, 1838 |
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Du reste, les
réminiscences se produisent parce que tel mouvement vient naturellement à la
suite de tel autre. Si cette succession de mouvements est nécessaire, il est
évident que quand tel mouvement aura lieu, il déterminera l'autre aussi. Si
cette succession n'est pas nécessaire, mais simplement habituelle, il est
seulement probable que le second mouvement aura lieu après le premier. Il y
a, du reste, des gens qui, en une seule impression qui les émeut, contractent
une habitude plus complète que d'autres par une suite d'émotions nombreuses.
Il y a aussi des choses dont nous nous souvenons beaucoup mieux, pour les
avoir vues une seule fois, que nous ne nous souvenons de certaines autres que
nous avons mille fois vues. Lors donc que la réminiscence a lieu en nous,
c'est que nous éprouvons de nouveau quelques-unes des émotions antérieures,
jusqu'à ce que nous éprouvions l'émotion après laquelle celle-ci vient
habituellement. Voilà aussi pourquoi notre esprit recherche ce qui a suivi,
soit à partir de tel instant ou de tel autre, soit à partir d'une chose
semblable ou contraire, soit même d'un objet simplement voisin; et cet effort
de l'esprit suffit pour produire la réminiscence. C'est que les mouvements
causés par ces autres choses, tantôt sont identiques, tantôt sont simultanés,
tantôt même comprennent en partie l'objet qu'on cherche, de sorte que le
reste qui a été mis en mouvement à la suite n'est plus que très peu de chose
à trouver; c'est par ces recherches qu'on provoque la réminiscence. Sans même chercher
ainsi, on a parfois la réminiscence, quand ce mouvement qu'il nous importe de
retrouver se produit après tel autre; mais le plus souvent, ce mouvement ne
se produit qu'après les autres mouvements du genre de ceux dont nous venons
de parler. II n'est pas du
tout besoin d'observer comment nous avons réminiscence des choses dès
longtemps passées. II suffit de savoir comment nous l'avons de celles qui
sont récentes; car il est évident que le procédé est le même, comme dans le
cas où l'on dit la succession des choses sans recherche préalable et sans
réminiscence. Les mouvements se suivent par une sorte d'habitude et l'un
vient après l'autre; et ainsi, quand on vaudra faire acte de réminiscence,
c'est ce qu'on fera, et l'on n'aura qu'à chercher à remonter jusqu'au
mouvement initial, après lequel viendra celui dont on a besoin. Voilà aussi comment
les réminiscences sont d'autant plus rapides et plus complètes qu'on remonte
jusqu'à l'origine; car les rapports que les choses ont entre elles, en se
suivant les unes les autres, se retrouvent entre les mouvements qu'elles
donnent à l'esprit. Les choses les plus faciles à retenir sont celles qui ont
un certain ordre, comme les mathématiques. |
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Lectio
5 |
Leçon 5 ─ La réminiscence et
les associations d’idées. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81516] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 1 Postquam philosophus
inquisivit quomodo reminiscentia se habeat ad alia quae ad cognitionem
pertinent, hic incipit manifestare reminiscendi modum. Et primo manifestat
modum reminiscendi. Secundo ostendit differentiam inter memoriam et
reminiscentiam, ibi, quod quidem igitur non idem sunt. Circa primum duo
facit. Primo ostendit modum reminiscendi quantum ad res quarum reminiscimur.
Secundo quantum ad tempus; reminiscentia enim concernit tempus, sicut
memoria, et hoc ibi, maxime autem oportet cognoscere. Circa primum duo facit.
Primo proponit causam reminiscendi. Secundo ostendit modum, quo proceditur in
reminiscendo, ibi, cum igitur reminiscimur. Causa autem reminiscendi est ordo
motuum, qui relinquuntur in anima ex prima impressione eius, quod primo
apprehendimus. |
Après avoir
recherché le rapport entre la réminiscence et les autres faits concernant la
connaissance, le Philosophe commence maintenant à montrer comment se produit
la réminiscence. Et en premier, il montre comment se produit la réminiscence.
En deuxième, il montre la différence entre la mémoire et la réminiscence, où
il dit : On a dit précédemment, etc. (leçon VIII). Il traite la
première section en deux parties. En premier, il montre comment se produit la
réminiscence quant aux choses dont on se ressouvient[143].
En deuxième, il le montre quant au temps, car la réminiscence, comme la
mémoire, concerne le temps, et ce, où dit : Ce qu’il y a de plus
important, etc. Il traite la première partie en deux points. En premier,
il présente la cause de la réminiscence. En deuxième, il montre la manière de
procéder dans la réminiscence, où il dit : Lors donc que la
réminiscence, etc. Or, la cause de la réminiscence est l’ordre des
mouvements qui restent dans l’âme par suite de la première impression de la
chose que nous avons perçue. |
[81517] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 2 Hanc ergo causam
primo proponens, dicit quod reminiscentiae contingunt per hoc quod unus motus
natus est post alium nobis occurrere: quod quidem contingit dupliciter. Uno
modo, quando secundus motus consequitur post primum motum ex necessitate,
sicut ad apprehensionem hominis sequitur apprehensio animalis ex necessitate:
et sic manifestum est, quod quando anima movetur primo motu, movebitur etiam
secundo. Alio vero modo contingit, quia secundus motus sequitur post primum
non ex necessitate, sed ex consuetudine, quia scilicet aliquis consuevit post
hoc cogitare vel dicere vel facere, et tunc secundus motus sequitur post
primum non semper, sed ut ad multum, idest ut in pluribus, sicut etiam
effectus naturales ut in pluribus ex suis causis sequuntur, non semper. |
En présentant donc
cette cause en premier, il dit que les réminiscences surgissent du fait qu’un
mouvement est de nature à se produire après un autre; or, cela se produit de
deux façons. D’une première façon, quand le deuxième mouvement fait
nécessairement suite au premier, comme la perception de l’homme est nécessairement
suivie de la perception de l’animal; et il est ainsi évident que lorsque
l’âme est mue par le premier mouvement, elle sera mue également par le
deuxième. D’une autre façon, cela se produit parce que le deuxième mouvement
suit le premier, non par nécessité, mais par habitude, parce qu’après lui on
a l’habitude de penser, de dire ou de faire telle chose, et ainsi le deuxième
mouvement suit le premier, non pas toujours, mais souvent, c'est-à-dire la
plupart du temps, de même aussi que les effets naturels font suite à leurs causes
la plupart du temps, mais pas toujours. |
[81518] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 3 Dicta autem
consuetudo non firmatur aequaliter in omnibus hominibus, sed accidit quod
quidam semel cogitando velocius firment in se consuetudinem quam alii, si
multotiens cogitent hoc post illud; quod potest contingere vel propter
naturam, quae est melius receptiva et retentiva impressionis. Et inde etiam
contingit, quod nos semel videntes quaedam, magis memoramur eorum quam alia
multotiens visa. Quia ea, quibus vehementius intendimus, magis in memoria
manent. Ea vero, quae superficialiter et leviter videmus aut cogitamus, cito
a memoria labuntur. |
Cependant, cette
habitude n’est pas également ferme chez tous les hommes, mais il arrive que
certains, en réfléchissant une fois, s’affermissent dans leur habitude plus
rapidement que d’autres s’ils pensent bien des fois à telle chose après telle
autre; et cela peut arriver en raison d’une nature mieux disposée à recevoir et
à retenir les impressions. Et c’est également pour cela qu’il arrive qu’après
avoir vu certaines choses une fois, nous nous en souvenons mieux que d’autres
que nous avons vues bien des fois, parce que les choses auxquelles nous
portons une attention plus intense demeurent davantage dans notre mémoire,
alors que celles que nous voyons ou pensons distraitement et de façon
superficielle s’effacent rapidement de la mémoire. |
[81519] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 4 Deinde cum dicit cum
igitur ostendit quomodo reminiscentia procedat, supposito praedicto ordine
motuum. Et circa hoc duo facit. Primo manifestat modum procedendi in
reminiscendo. Secundo ostendit unde oporteat reminiscentem procedere, ibi,
oportet autem acceptum esse principium. Circa primum duo facit. Primo
manifestat modum, quo proceditur in reminiscendo. Secundo ex hoc ostendit
qualiter differt reminisci et addiscere, quod supra indeterminatum dimiserat,
et hoc ibi, et in hoc reminisci. Circa primum tria facit. Primo proponit
modum reminiscendi. Secundo ex hoc solvit quamdam dubitationem, ibi, nihil
autem oportet. Tertio manifestat propositum per signa, ibi, unde citissime.
Primo igitur concludit ex praemissis quod, ex quo unus motus sequitur post
alterum vel ex necessitate vel ex consuetudine, oportet quod quando
reminiscimur, moveamur secundum aliquem horum motuum quousque veniamus ad hoc
quod moveamur apprehendendo illo motu, qui consuevit esse post primum, quem
scilicet motum intendimus reinvenire reminiscendo, quia reminiscentia nil est
aliud quam inquisitio alicuius quod a memoria excidit. Et ideo reminiscendo venamur,
id est inquirimus id quod consequenter est ab aliquo priori, quod in memoria
tenemus. Sicut enim ille qui inquirit per demonstrationem, procedit ex aliquo
priori, quod est notum, ex quo venatur aliquid posterius, quod est ignotum;
ita etiam reminiscens, ex aliquo priori, quod in memoria habetur, procedit ad
reinveniendum id quod ex memoria excidit. |
Puis, où il
dit : Lors donc que la réminiscence, etc., il montre comment la
réminiscence se déroule, une fois admis l’ordre des mouvements en question.
Et il traite ce sujet en deux parties. En premier, il montre la façon de
procéder dans la réminiscence. En deuxième, il montre quel doit être le point
de départ de celui qui se rappelle, où il dit : Mais il faut
reprendre les choses, etc. (leçon VI, no 5). Il traite la première
partie en deux sections. En premier, il manifeste la manière dont on procède
dans la réminiscence. En deuxième, il part de là pour montrer comment la
réminiscence diffère de l’apprentissage, question qu’il avait laissée sans
réponse plus haut, où il dit : et voilà la différence qui sépare, etc.
(leçon VI). Il traite la première section en trois parties. En premier, il
montre comment la réminiscence se produit. En deuxième, il part de là pour dissiper un
doite, où il dit : Il n’est pas du tout besoin, etc. En
troisième, il manifeste ses propos par des signes, où il dit : Voilà
aussi comment les réminiscences, etc. En premier, donc, il conclut de ce
qui précède que, du fait qu’un mouvement suit l’autre soit par nécessité,
soit par habitude, il faut, quand on a une réminiscence, qu’on soit mû d’un
de ces mouvements jusqu’à ce qu’on en vienne à percevoir le mouvement qui
avait l’habitude de suivre le premier, mouvement qu’on a l’intention de
retrouver par la réminiscence, car celle-ci n’est rien d’autre que la
recherche de quelque chose qui a échappé à la mémoire. C’est pourquoi, dans la
réminiscence, on pourchasse, ou on recherche, ce qui vient à la suite
d’une chose antérieure qu’on a gardée en mémoire. En effet, de même que celui
qui recherche par démonstration procède d’un fait antérieur qui est connu et
part de là pour pourchasser un fait postérieur qui est inconnu, de même, dans
la réminiscence, on part d’un fait antérieur conservé dans la mémoire pour
retrouver ce qui a échappé à la mémoire. |
[81520] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 5 Hoc autem primum, a
quo reminiscens suam inquisitionem incipit, quandoque quidem est tempus
aliquod notum, quandoque autem aliqua res nota. Secundum tempus quidem
incipit quandoque a nunc, idest a praesenti tempore procedendo in
praeteritum, cuius quaerit memoriam: puta si quaerit memorari id quod fecit
ante quatuor dies, meditatur sic, hodie feci hoc, heri illud, tertia die
aliud, et sic secundum consequentiam motuum assuetorum pervenit resolvendo in
id quod fecit quarta die. Quandoque vero incipit ab aliquo alio tempore, puta
siquis in memoria habeat quid fecerit octavo die ante, et oblitus sit quid
fecerit quarta die, procedet descendendo ad septimam, et sic inde quousque
veniat ad quartam diem, vel etiam ab octava die ascendet in decimamquintam
diem, aut in aliquod aliud tempus praeteritum. |
Mais ce point de
départ où commence la recherche de la réminiscence est parfois un temps
connu, parfois une autre chose connnue. Pour ce qui est du temps, la
recherche commence parfois maintetant, c'est-à-dire en remontant à
partir du moment présent vers le passé dont on cherche à se souvenir; par
exemple, si on cherche à se souvenir de ce qu’on a fait il y a quatre jours,
on réfléchit ainsi : J’ai fait ceci aujourd'hui, j’ai fait cela hier,
j’ai fait cela avant-hier, et, selon la suite des mouvements habituels, on
arrive à trouver ce qu’on a fait le quatrième jour. Parfois, on commence à un
autre moment; par exemple, si on se souvient
de ce qu’on a fait le hutième jour avant et qu’on a oublié ce qu’on a
fait le quatrième jour, on va au septième en descendant jusqu’à ce qu’on
arrive au quatrième jour, ou encore on remonte du huitième jour jusqu’au
quinzième, ou en un autre moment passé. |
[81521] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 6 Similiter etiam
quandoque reminiscitur aliquis incipiens ab aliqua re cuius memoratur, a qua
procedit ad aliam, triplici ratione. Quandoque quidem ratione similitudinis,
sicut quando aliquid aliquis memoratur de Socrate, et per hoc occurrit ei
Plato, qui est similis ei in sapientia. Quandoque vero ratione
contrarietatis, sicut si aliquis memoretur Hectoris, et per hoc occurrit ei
Achilles. Quandoque vero ratione propinquitatis cuiuscumque, sicut cum
aliquis memor est patris, et per hoc occurrit ei filius. Et eadem ratio est
de quacumque alia propinquitate, vel societatis, vel loci, vel temporis; et
propter hoc fit reminiscentia, quia motus horum seinvicem consequuntur. |
Pareillement, la
réminiscence commence parfois par une chose dont on se souvient et d’où on
part pour passer à une autre, pour trois raisons. Parfois, c’est en raison
d’une ressemblance, comme quand quelqu'un se souvient de Socrate et que cela
lui fait penser à Platon, qui lui ressemble en sagesse. Parfois, c’est en
raison d’une contrariété, comme si quelqu'un se souvient d’Hector et que cela
lui fait penser à Achille. Parfois encore, c’est en raison de n’importe quel
rapprochement, comme quand quelqu'un se souvient du père et que cela lui fait
penser au fils. Et la même raison s’applique à tout autre rapprochement, de
société, de lieu ou de temps; et la réminiscence se produit parce que leurs
mouvements s’enchaînent les uns aux autres. |
[81522] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 7 Quorumdam enim
praemissorum motus sunt idem, sicut praecipue similium; quorumdam autem
simul, scilicet contrariorum, quia cognito uno contrariorum simul cognoscitur
aliud; quandoque vero quidam motus habent partem aliorum, sicut contingit in
quibuscumque propinquis, quia in unoquoque propinquorum consideratur aliquid
quod pertinet ad alterum; et ideo illud residuum, quod deest apprehensioni,
cum sit parvum, consequitur motum prioris, ut apprehenso primo, consequenter
occurrat apprehensioni secundum. |
En effet, les
mouvements de certaines de ces choses sont identiques, particulièrement ceux
des choses semblables; les mouvements de certaines sont simultanés, et ce
sont ceux des contraires, car quand on connait l’un des contraires, on connaît
l’autre en même temps; parfois, certains mouvements ont une partie d’autres
mouvements, comme c’est le cas de toutes choses qui sont proches, car dans l’une
des choses rapprochées, on considère quelque chose qui appartient à l’autre,
et donc, ce qui reste et qui échappe à la perception, puisqu’il est petit,
fait suite au mouvement du précédent, de sonte que le premier étant perçu, la
perception du deuxième s’ensuit. |
[81523] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 8 Est autem
considerandum ulterius, quod quandoque pervenitur ad motum posteriorem ex
aliquo priori secundum praedictum modum ab his qui quaerunt invenire motum
consequentem perditum, et hoc proprie est reminisci; quando scilicet aliquis
ex intentione inquirit alicuius rei memoriam. Contingit autem quandoque quod
etiam illi qui non quaerunt memorari, propterea quod sic procedentes ex
priori motu in posteriorem, ut dictum est, deveniunt in memoriam alicuius
rei, cum ille motus rei oblitae fiat in anima post alium, et hoc quidem erat
praeter intentionem sed ut secundum multa, idest in pluribus factis
aliis motibus quales diximus, scilicet similibus vel contrariis vel
propinquis insurgebat ille motus qui occurrit; sed hoc abusive dicitur
reminisci. Est autem casualiter memorari secundum similitudinem quamdam
reminiscentiae. |
Il faut remarquer
en outre que ceux qui cherchent à retrouver un mouvement postérieur perdu y parviennent
parfois à partir de quelque chose d’antérieur de la façon précédente, et
c’est cela qui est à proprement parler la réminiscence, quand on recherche
intentionnellement le souvenir de quelque chose. Mais il arrive parfois que
même ceux qui ne cherchent pas à se souvenir, du fait qu’ils passent ainsi
d’un mouvement antérieur à un mouvement postérieur, comme on l’a dit,
viennent à se souvenir d’une chose, quand ce mouvement de la chose oubliée
vient à leur esprit après un autre, et cela, en fait, n’est pas intentionnel;
mais le plus souvent, c'est-à-dire la plupart du temps, après les
autres mouvements dont nous avons parlé, à savoir les choses semblables,
contraires ou rapprochées, le mouvement en question vient à l’esprit; mais on
appelle cela réminiscence par abus de langage. C’est plutôt un souvenir qui
vient par hasard et qui a une certaine ressemblance avec la réminiscence. |
[81524] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 9 Deinde cum dicit
nihil autem solvit ex praemissis quamdam dubitationem. Posset enim alicui
venire in dubium, quare frequenter memoramur ea quae procul sunt, puta ea
quae ante multos annos contigerunt, et non memoramur ea quae sunt prope, puta
quae fuerunt ante paucos dies. |
Puis lorsqu’il
dit : Il n’est pas du tout besoin, etc., il résout un doute à
partir de ce qui précède. En effet, quelqu'un pourrait se demander pourquoi
on se souvient souvent de choses éloignées, qui ont eu lieu par exemple il y
a un grand nombre d’années, et on ne se souvient pas de choses récentes, qui
ont eu lieu par exemple il y a quelques jours. |
[81525] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 10 Sed ipse dicit, quod
circa hoc non oportet intendere, idest dubitando sollicitari, quia
manifestum est quod aliqualiter eodem modo hoc accidit, qui in praemissis
positus est. Et exponit resumens quod dictum est, scilicet quod contingit
quandoque quod anima dicat apprehendendo id quod consequenter est, cuius erat
oblita, absque hoc quod praeinquirat, vel ex intentione reminiscatur: quia
propter consuetudinem, unus motus sequitur ad alium. Unde insurgente primo
motu, sequitur secundus, etiam si homo non intendat. Et sicut contingit hoc
ex consuetudine praeter intentionem, ita etiam hoc faciet aliquis cum ex
intentione voluerit reminisci: quaeret enim accipere primum motum, ad quem
consequatur motus posterior. Et, quia quandoque contingit quod motus eorum
quae sunt procul, magis per consuetudinem sunt firmati, propter hoc eorum
interdum magis memoramur, vel ex inquisitione vel sine inquisitione. |
Mais il dit qu’il
ne faut pas s’intéresser à cela, c'est-à-dire en douter avec
inquiétude, car il est évident que cela se passe à peu près de la même façon
que ce qui a été expliqué plus haut. Et son explication reprend ce qui été
dit plus haut, à savoir qu’il arrive parfois que l’âme apprenne[144]
en percevant ce qui vient ensuite et qu’elle avait oublié, sans avoir fait de
recherche auparavant ni s’être rappelée intentionnellement, car, du fait de
l’habitude, un mouvement fait suite à un autre. C’est pourquoi, lorsque le
premier mouvement survient, le deuxième suit, même si on n’en a pas
l’intention. Et tout comme cela arrive par habitude et de façon non
intentionnelle, on fait la même chose quand on veut intentionnellement se
souvenir : on cherche en effet à trouver le premier mouvement, auquel le
mouvement subséquent fait suite. Et comme il arrive parfois que les
mouvements des choses plus éloignées sont plus solidement établis par
l’habitude, il peut arriver qu’on s’en souvienne mieux, en les cherchant ou
sans les chercher. |
[81526] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 11 Deinde cum dicit
unde citissime manifestat praemissum modum per duo signa. Quorum primum ponit
dicens, quod, quia ex priori motu propter consuetudinem venitur in sequentem
vel inquirendo vel non inquirendo, inde est quod citissime et optime fiunt
reminiscentiae, quando incipit aliquis meditari a principio totius negotii,
quia secundum ordinem quo res sunt sibiinvicem consecutae, secundum hunc
ordinem facti sunt motus eorum in anima: sicut quando quaerimus aliquem
versum, prius incipimus a capite. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Voilà aussi comment les réminiscences, etc., il manifeste
cette manière par deux signes. Il présente le premier en disant que,
puisqu’on passe par habitude du mouvement précédent au suivant, avec ou sans
recherche, il s’ensuit que les réminiscences ont lieu le plus rapidement et
sont les meilleures quand on commence à réfléchir à partir du début de toute
la démarche, car c’est selon l’ordre où les choses se suivent entre elles que
les mouvements se font dans l’âme; ainsi, quand on cherche un verset, on
commence par le chapitre. |
[81527] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 12 Secundum signum
ponit ibi, et sunt. Et dicit quod illa sunt magis reminiscibilia, quaecumque
sunt bene ordinata, sicut mathematica et theoremata mathematicorum, quorum
secundum concluditur ex primo, et sic deinceps. Illa autem quae sunt male
ordinata, difficulter reminiscuntur. |
Il présente le
deuxième signe où il dit : Les choses les plus faciles, etc. Et
il dit que les choses les plus faciles à retenir sont les choses bien
ordonnées, comme les mathématiques et les théorêmes des mathématiques, dont
le deuxième énoncé est conclu à partir du premier, et ainsi de suite. Quant
aux choses qui sont mal ordonnées, on s’en souvient difficilement. |
[81528] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 5 n. 13 Sic ergo ad bene
memorandum vel reminiscendum, ex praemissis quatuor documenta utilia
addiscere possumus. Quorum primum est, ut studeat quae vult retinere in aliquem ordinem
deducere. Secundo ut profunde et intente eis mentem apponat. Tertio ut
frequenter meditetur secundum ordinem. Quarto ut incipiat reminisci a
principio. |
Ainsi donc, pour
bien mémoriser ou bien se souvenir, nous pouvons apprendre quatre leçons
utiles de ce qui précède. En premier, s’efforcer de mettre dans un certain
ordre ce qu’on veut retenir. Deuxièmement, y appliquer profondément et
intensément son esprit. Troisièmement, y réfléchir fréquemment et selon un
ordre. Quatrièmement, commencer à se souvenir à partir du début. |
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Leçon 6 |
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Texte d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire,
1838 |
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et voilà la
différence qui sépare la réminiscence d'un second apprentissage des choses.
Pour la réminiscence, on peut aller en quelque sorte, de soi-même, aux
conséquences qui viennent après le premier point d'où l'on est parti, tandis
que quand on ne peut pas avancer tout seul, et qu'il faut recourir à autrui,
c'est qu'on ne se souvient plus. Souvent il arrive qu'on est hors d'état de
se rappeler, et que l'on peut fort bien chercher et trouver; dans ce cas,
l'esprit en est réduit à remuer une foule de choses avant d'arriver enfin à
ce mouvement qui amènera à sa suite la chose même qu'il cherche. C'est que se
souvenir par réminiscence, c'est précisément posséder dans son esprit la
faculté motrice assez forte, comme on l'a dit, pour qu'on tire de soi-même,
et des mouvements que l'on a en soi, le mouvement même qu'on cherche. Mais il
faut reprendre les choses dès l'origine. Ce qui fait que quelquefois on
arrive à se souvenir au moyen des choses en apparence les plus étrangères,
c'est que l'esprit passe rapidement d'une chose à une autre : par exemple, de
l'idée du lait il passe à celle de blanc, du blanc à l'air, et de l'air à
l'humidité; et, au moyen de cette dernière notion, il se rappelle l'automne,
saison qui était précisément ce qu'on cherchait. On peut dire que le
principe général d'où l'on doit partir, c'est le milieu même des choses qu'on
veut se rappeler; parce que si l'esprit n'a pu retrouver le souvenir avant ce
point, il le retrouvera en arrivant à ce milieu; ou bien c'est qu'il ne
pourra plus le retrouver à une autre source. Supposons donc que l'on pense à
cette série : A, B, C, D, E, F, G, H. Si l'on ne se rappelle pas quand on est
à GH, on se souviendra quand on sera à E. En effet, de E, on peut remonter à
la fois des deux côtés, soit à D soit à E. En supposant que l'on ne cherche
pas quelqu'un de ces termes, on se souviendra en arrivant à C, si l'on
cherche G ou F; si ce n'est pas encore à C, on se souviendra en poussant
jusqu'à A, et toujours de même. Ce qui fait que
parfois une même chose excite en nous le souvenir, et parfois ne l'excite
pas, c'est que l'esprit peut être poussé à plus d'une chose en partant d'un
même principe, par exemple de C, on peut aller à F ou à D. Si donc le mouvement
n'est pas dès longtemps habituel, l'esprit cède à celui qui lui est le plus
ordinaire, parce que l'habitude est réellement comme une seconde nature.
voilà pourquoi nous avons très vite les réminiscences des choses auxquelles
nous pensons fréquemment; car, de même que par nature, telle chose vient
après telle autre, de même aussi l'acte de l'esprit produit cette succession;
et la répétition fréquente finit par faire une nature. Mais, si dans les
choses de la nature, il y en a qui sont contre nature, et d'autres qui
viennent du hasard, à bien plus forte raison ce désordre a-t-il lieu dans les
choses qui dépendent de l'habitude, et dans lesquelles la nature n'a pas une
puissance égale; l'esprit peut donc bien quelquefois s'y mouvoir un peu à
l'aventure, dans un sens ou dans l'autre, surtout quand on s'éloigne d'un
premier point, et de celui-là à un autre. Voilà comment, quand c'est un nom,
par exemple, qu'il faut se rappeler, on en trouve un qui lui ressemble, et
comment l'on estropie celui qu'on cherchait. Telle est donc
l'explication de la réminiscence. |
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Lectio
6 |
Leçon 6 ─ Différence entre
la réminiscence et le réapprentissage. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81529] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 1 Postquam philosophus
ostendit modum reminiscendi, hic manifestat duo quae supra dicta sunt. Primo
quidem quomodo differant reminisci et iterum addiscere. Secundo quod oportet
reminiscentem a principiis incipere, ibi oportet autem acceptum esse. Circa
primum duo facit. Primo ostendit quomodo differt reminisci et iterum
addiscere. Secundo quomodo differt reminisci et iterum invenisse, ibi,
multotiens autem. Circa primum considerandum est, quod tam ille qui
reminiscitur quam ille qui iterato addiscit, recuperat notitiam quam amisit:
sed ille qui reminiscitur recuperat eam sub ratione memoriae, in ordine
scilicet ad id quod prius fuit cognitum; ille autem, qui iterato addiscit,
recuperat eam absolute, non quasi alicuius prius cogniti. Cum autem ad
notitiam ignotorum non perveniamus nisi ex aliquibus principiis praecognitis,
necesse est quod principia, ex quibus procedimus ad aliquid ignotum
cognoscendum, sint eiusdem generis, ut patet in primo posteriorum. Et ideo
necesse est, quod reminiscens ad recuperandum notitiam sub ratione memoriae
procedat ex aliquibus a principio memoratis, quod non contingit iterato
addiscere. |
Après avoir montré
comment se produit la réminiscence, le Philosophe manifeste maintenant deux
choses dites plus haut. En premier, il montre comment la réminiscence diffère
d’un nouvel apprentissage. En deuxième, il montre que celui qui se
ressouvient doit commencer par les débuts, où il dit : Mais il faut
reprendre les choses, etc. Il traite le premier point en deux parties. En
premier, il montre comment la réminiscence diffère d’un nouvel apprentissage.
En deuxième, il montre comment elle diffère d'une redécouverte, où il
dit : Souvent il arrive qu’on est hors d’état, etc. Pour le
premier point, il faut remarquer que celui qui se ressouvient, aussi bien que
celui qui apprend de nouveau, récupère une connaissance qu’il avait perdue,
mais celui qui se ressouvient la récupère sous le rapport de la mémoire, qui
est la voie vers ce qui était connu auparavant; par contre, celui qui
réapprend récupère cette connaissance absolument, et non comme quelque chose
qu’il possédait auparavant. Cependant, quand nous ne parvenons à la
connaissance de choses ignorées que par des principes préalablement connus,
il est nécessaire que ces principes d’où nous procédons pour connaître des
choses inconnues soient du même genre, comme on l’a vu au livre I des Seconds
Analytiques. Et il est donc nécessaire que celui qui se ressouvient, pour
récupérer sa connaissance sous le rapport de la mémoire, procède à partir de
choses mémorisées, ce qui n’est pas le cas d’un nouvel apprentissage. |
[81530] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 2 Dicit ergo, quod in
hoc differt reminisci ab hoc quod est iterum addiscere: quia reminiscens
habet potestatem quodammodo ut moveatur in aliquid quod consequitur ad primum
in memoria retentum, puta cum aliquis recordatur quod tale quid dictum est
ei, oblitus est autem quis dixerit ei; utetur ergo ad reminiscendum id cuius
est oblitus, eo quod habet in memoria. Sed quando non pervenit ad
recuperandum amissam notitiam per principium in memoria retentum, sed per
aliquod aliud quod ei de novo traditur a docente, non est memoria nec
reminiscentia, sed hoc est de novo addiscere. |
Il dit donc que la
réminiscence diffère d’un nouvel apprentissage en ce que celui qui se
ressouvient a un certain pouvoir de faire le passage à quelque chose qui fait
suite à la première chose qu’il a gardée en mémoire; par exemple, si
quelqu'un se souvient que telle chose a été dite et oublie qui l’a dite, il
se servira de ce qu’il a en mémoire pour se rappeler ce qu’il a oublié. Mais
quand il ne parvient pas à récupérer la connaissance perdue au moyen du
commencement gardé en mémoire, mais au moyen d’autre chose qui lui est
transmis par voie d’enseignement, ce n’est pas de la mémoire ni de la
réminiscence, mais un apprentissage à neuf. |
[81531] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 3 Deinde cum dicit
multoties autem manifestat quomodo differt reminisci et iterum invenire. Et
dicit, quod multoties homo non potest iam reminisci eius quod oblitus est,
quia non manent in eo motus aliqui, ex quibus possit devenire in id quod
quaerit memorari; sed si quaerat, quasi de novo, in notitiam illius rei
potest procedere, et multotiens invenit id quod quaerit, ac si de novo
scientiam acquireret. Id autem contingit, quando anima diversa excogitans,
multis motibus movetur: et si contingat quod perveniat ad motum, quem
consequitur cognitio rei, tunc dicitur invenire. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Souvent il arrive qu’on est hors d’état, etc., il montre
comment la réminiscence diffère de la redécouverte. Et il dit que bien des
fois, on ne peut plus se souvenir de ce qu’on a oublié parce qu’on n’a plus
certains mouvements à partir desquels on pourrait parvenir à ce dont on
cherche à se souvenir; mais si on en fait la recherche, à partir de zéro, on
peut parvenir à la connaissance de cette chose, et on trouve souvent ce qu’on
cherche comme si on acquérait la science à partir de zéro. Or, cela arrive
quand l’âme, en pensant à diverses choses, est ballottée par de multiples
mouvements, et, si elle se trouve à parvenir au mouvement qui fait suite à la
connaissance de la chose, on appelle cela une découverte. |
[81532] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 4 Ideo autem non
potest reminisci, licet posset invenire; quia reminisci contingit per hoc,
quod homo interius retinet quamdam potentiam vel virtutem inducendi se ad
motus rei quos quaerit: hoc autem contingit, cum potest pervenire ad hoc quod
moveatur motu quem amisit per oblivionem: et hoc ex seipso, non ex aliquo docente,
ut contingit, quando iterum addiscit, et ex motibus praehabitis, sicut dictum
est, non ex novis motibus, sicut quando iterum invenit. |
Et la raison pour
laquelle on ne peut pas se ressouvenir, alors qu’on peut découvrir, est que
la réminiscence se produit du fait que l’homme garde une puissance ou une
faculté de se diriger vers les mouvements qu’il cherche de la chose; or, cela
se produit lorsqu’il peut parvenir à se diriger vers le mouvement qu’il a
perdu en oubliant, et ce de lui-même et non par l’enseignement de quelqu'un,
comme il arrive quand il apprend de nouveau, et à partir de mouvements déjà
acquis, comme on l’a dit, plutôt qu’à partir de mouvements nouveaux comme
quand il découvre de nouveau. |
[81533] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 5 Deinde cum dicit
oportet autem manifestat quod oportet reminiscentem a principio incipere. Et
circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo assignat causam
defectus, quem quandoque patimur in reminiscendo, ibi, eius autem quod ab
eodem. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod oportet reminiscentem
incipere a principio. Secundo a quali principio, ibi, videtur autem. Circa
primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit, quod oportet, eum
qui vult reminisci, accipere principium, a quo incipit moveri, vel cogitando,
vel loquendo, vel aliud faciendo. |
Puis où il
dit : Mais il faut reprendre, etc., il montre qu’il faut que
celui qui se ressouvient commence à partir d’un début. Et il traite ce point
en deux parties. En premier, il démontre sa thèse. En deuxième, il détermine
la cause du défaut dont nous souffrons parfois pour nous ressouvenir, où il
dit : Ce qui fait que parfois, etc. Il traite la première partie
en deux sections. En premier, il montre que celui qui se ressouvient doit
commencer à partir d’un début. En deuxième, il montre à partir de quel début,
où il dit : On peut dire que le principe, etc. Il traite la
première section en trois points. En premier, il propose ce qu’il veut
montrer, en disant que celui qui veut se ressouvenir doit prendre un point de
départ à partir duquel il commence à se mouvoir soit en réfléchissant, soit
en parlant, soit en faisant autre chose. |
[81534] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 6 Secundo ibi propter
quod manifestat quod dixit per signum. Quia enim oportet reminiscentem
aliquod principium accipere, unde incipiat procedere ad reminiscendum, inde
est quod aliquando homines videntur reminisci a locis, in quibus aliqua sunt
dicta vel facta vel cogitata, utentes loco quasi quodam principio ad
reminiscendum: quia accessus ad locum est principium quoddam eorum omnium
quae in loco aguntur. Unde et Tullius in sua rhetorica docet quod ad facile
memorandum oportet imaginari quaedam loca ordinata, quibus phantasmata eorum
quae memorari volumus quodam ordine distribuantur. |
En deuxième, où il
dit : Ce qui fait que quelquefois, etc., il manifeste ce qu’il a
dit par un signe[145].
En effet, comme celui qui se ressouvient doit prendre un point de départ à
partir duquel il se ressouvient, il s’ensuit que les gens semblent parfois se
ressouvenir à partir des lieux dans lesquels des choses ont été dites, faites
ou pensées, en se servant du lieu comme point de départ de la réminiscence,
car l’accès au lieu est comme un principe de tout ce qui se passe dans ce
lieu. C’est pourquoi Cicéron enseigne dans ses ouvrages de rhétorique que
pour se souvenir facilement, il faut imaginer des lieux ordonnés, dans lesquels
les images mentales de ce dont nous voulons nous souvenir sont distribuées
dans un certain ordre. |
[81535] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 7 Tertio ibi, causa
autem manifestat propositum per causam, dicens; quod causa quare oportet
reminiscentem accipere principium est, quia homines de facili per mentis
quamdam evagationem de uno veniunt in aliud ratione similitudinis, aut
contrarietatis, aut propinquitatis: sicut si cogitemus vel loquamur de lacte,
de facili pervenimus in album propter lactis albedinem, et de albo in aerem
propter claritatem diaphani quae causat albedinem, et ab aere in humidum,
quia aer est humidus, ab humido autem pervenitur ad reminiscendum temporis
autumnalis, quod quaerebat, ratione contrarietatis: quia hoc tempus est
frigidum et siccum. |
En troisième, où il
dit : c’est que l’esprit passe rapidement, etc., il manifeste sa
thèse par un signe en disant que la raison pour laquelle celui qui se
ressouvient doit prendre un point de départ est que les hommes, par une sorte
de dissipation de l’esprit, passent facilement d’une idée à l’autre pour
cause de ressemblance, d’opposition ou de rapprochement; ainsi, si on pense
au lait ou on en parle, on passe facilement au blanc à cause de la blancheur
du lait, puis du blanc à l’air à cause de la clarté de la transparence qui
cause la blancheur, puis de l’air à l’humide parce que l’air est humide, et,
à partir de l’humide, on parvient à se ressouvenir du temps d’automne qu’on
cherchait, à cause de la contrariété, car ce temps est froid et sec. |
[81536] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 8 Deinde cum dicit
videtur autem ostendit quale principium reminiscens debeat accipere. Et
dicit, quod istud, quod est universale, videtur esse principium et medium,
per quod potest perveniri ad omnia. Dicitur hic universale, non illud
quod praedicatur de pluribus, sicut in logicis, sed id a quo aliquis
consuevit ad diversa moveri; sicut si post lac, aliquis moveatur ad albedinem
et ad dulcedinem, et iterum ab albedine ad quaedam alia, sicut dictum est, et
iterum a dulcedine ad calorem digerentem, et ad ignem, et alia consequenter
cogitata, lac erit quasi universale ad omnes istos motus; et oportet ad hoc
recurrere si aliquis voluerit cuiuscumque consequentium reminisci: quia si
non reminiscitur alicuius consequentium prius, per alia posteriora principia,
saltem reminisci poterit cum venerit ad illud primum universale principium.
Aut, si tunc non reminiscitur, non poterit aliunde reminisci. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : On peut dire que le principe, etc., il montre quel genre de point
départ celui qui se ressouvient prendre. Et il dit que ce qui est universel
semble être le point de départ et le milieu par lequel on peut parvenir à
toutes choses. Il appelle ici universel non pas ce qui est attribué à
beaucoup de choses, comme en logique, mais ce à partir de quoi on va
habituellement dans plusieurs directions, comme si après le lait on va à la
blancheur et à la douceur, et ensuite de la douceur à autre chose comme on
l’a dit, et ensuite de la douceur à la chaleur digestive et au feu, puis à
d’autres pensées encore, le lait est comme un universel pour tous ces
mouvements, et il faut y revenir si quelqu’un veut se ressouvenir de
n’importe quelle de ces idées subséquentes, car s’il ne se ressouvient pas
d’abord de l’une des idées subséquentes au moyen d’autres poin de départ
postérieurs, il pourra au moins s’en ressouvenir quand il viendra au premier
point de départ universel. Ou bien, s’il ne s’en ressouvient pas alors, il ne
pourra s’en ressouvenir autrement. |
[81537] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 9 Et ponit exemplum de
diversis cogitatis per diversas literas, a b g d e z s t. Quas quidem literas
enumerat secundum ordinem alphabeti Graeci. Non tamen in reminiscendo est
idem ordo, sed accipiendum est quod aliquis cogitando vel loquendo de b,
veniat in a, de a vero quandoque quidem in t, quandoque in g, aut quandoque
in d, quandoque in e, de g vero quandoque in t, quandoque in a. Si ergo
aliquis non reminiscatur eius quod est in g, poterit reminisci eius quod est
in e, si veniat ad t ex quo movebatur ad duo, scilicet ad e et ad d. Sed
forte non quaerebat e, neque d, sed quaerebat s vel z; tunc veniens ad g
reminiscetur. Sed, quia nescimus utrum id quod quaerimus contineatur sub e,
vel sub g, oportet recurrere ad a, quod est quasi universale respectu omnium.
Et sic semper oportet procedere: puta si adhuc b sit universalius quam a.
Potest autem et aliter dispositio praedicta intelligi, ut ab a directe quidem
veniatur in g, lateraliter autem in b: g autem lateraliter quidem in I, hinc
inde, directe autem in t a quo in d et e. Et inde dicit quod si aliquis non
meminit in e quod est ultimum venit in t quod est prius; et si forte in d non
meminit, quia id quod quaerit non continetur sub eo, recurrendum est ad g,
sub quo quaedam alia continentur, puta a z, et deinde in a, ut prius dictum
est sub quo continetur etiam b: quod quidem in proposita linea conspici
potest. |
Et il donne
l’exemple de diverses pensées représentées par les diverses lettres A B G D E
Z S T. Il énumère ces lettres selon l’ordre de l’alphabet grec. La
réminiscence ne procède pourtant pas dans le même ordre, mais il faut
supposer que quelqu'un qui pense à B ou en parle vient de A, mais que de A il
va parfois à T, parfois à G, parfois à D et parfois à E, et que de G il va
parfois à T et parfois à A. Si donc quelqu'un ne se ressouvient pas de ce qui
est à G, il pourra se ressouvenir de ce qui est à E s’il vient à T et est mû
de là vers deux points, soit E et D. Mais peut-être ne cherchait-il ni E ni
D, mais plutôt S ou Z; et alors il se ressouvient en arrivant à G. Mais comme
nous ne savons pas si ce que nous cherchons est contenu sous E ou sous G, il
faut retourner à A, qui est l’universel par rapport à tous. Et il faut
toujours procéder ainsi, par exemple si B est encore plus universel que A.
Mais on peut aussi comprendre autrement l’arrangement ci-dessus, de sorte
qu’on vienne directement à G mais latéralement à B, et de G latéralement a I,
puis de là directement à T, et de là à D et à E. Et c’est pourquoi il dit que
si quelqu'un ne se souvient pas à E, qui est en dernier, il vient à T, qui est
avant, et si peut-être il ne se souvient pas à D parce que ce qu’il cherche
n’est pas contenu dans D, il doit retourner à G, qui contient d’autres
choses, comme Z, et ensuite à A, ainsi qu’on a dit plus haut qu’il contient
également B; on peut voir cela en effet dans la ligne présentée. |
[81538] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 10 Deinde cum dicit
eius autem assignat causam defectus quam reminiscentes patiuntur. Et primo
quantum ad hoc, quod omnino reminiscimur. Secundo quantum ad hoc quod
corrupte reminiscimur, ibi quoniam autem. Dicit ergo primo, quod ideo ab
eodem principio accepto quandoque homines reminiscuntur, et quandoque non,
quia contingit quod ab eodem principio a quo movetur aliquis ad diversa,
pluries movetur ad unum quam ad aliud: puta si ab ipso g moveatur in e et in
d pluries in unum quam in aliud. Unde eo accepto, de facili reminiscitur
eius, in quod pluries consuevit moveri. Si vero non moveatur per antiquum,
idest per id, per quod magis consuevit moveri, movetur minus consuete, et
ideo non de facili reminiscitur, quia consuetudo est quasi quaedam natura.
Unde sicut ea quae sunt naturaliter de facili fiunt et reparantur, inquantum
scilicet res cito redeunt ad suam naturam propter naturae inclinationem, ut
patet in aqua calefacta quae cito redit ad frigiditatem, ita etiam ea quae
multoties consideravimus, de facili reminiscimur propter inclinationem
consuetudinis. |
Ensuite, où il
dit : Ce qui fait que parfois, etc., il montre la cause de la
déficience dont souffrent ceux qui se ressouviennent. Et il le fait, en
premier, quant au fait même de se ressouvenir; en deuxième, quant au fait que
notre réminiscence est déformée, où il dit : Mais si, dans les
choses, etc. Il dit donc en premier que la raison pour laquelle, à partir
du même point de départ, parfois on se ressouvient et parfois pas, est qu’il
arrive qu’à partir du même point de départ d’où on va dans diverses
directions, on va plus souvent dans une direction que dans l’autre, par
exemple si, à partir de G, on va à E et à D, mais à l’un plus souvent qu’à
l’autre. Alors, cela étant admis, on se ressouvient facilement de ce vers
quoi on a l’habitude d’aller plus souvent. Mais si on n’est pas mû par
l’ancienneté, c'est-à-dire dans la direction où on a davantage l’habitude
de se mouvoir, on va vers le moins habituel, et c’est pourquoi on ne se
ressouvient pas facilement, car l’habitude est une sorte de nature. Alors, de
même que les choses qui sont par nature se font et se réparent facilement, du
fait que les choses reviennent rapidement à leur nature à cause de
l’inclination de la nature, comme cela est évident pour l’eau réchauffée qui
redevient froide rapidement, de même nous nous ressouvenons facilement des
choses auxquelles nous avons souvent réfléchi, à cause de l’inclination de
l’habitude. |
[81539] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 11 Quod autem
consuetudo sit sicut natura, manifestat per hoc, quod sicut in natura quidam
fit ordo, quo hoc potest hoc fit, ita etiam quando multae operationes per
ordinem se consequuntur, faciunt quamdam naturam: et hoc praecipue contingit
in operationibus animalium, in quorum principiis aliquid est imprimens, et
aliquid impressionem recipiens, sicut imaginatio recipit impressionem sensus.
Et ideo quae frequenter vidimus vel audivimus magis in imaginatione firmantur
per modum cuiusdam naturae; sicut etiam multiplicatio impressionis agentis
naturalis producit ad formam, quae est natura rei. |
Et que l’habitude
soit comme la nature, il le manifeste en disant que, de même qu’il y a dans
la nature un certain ordre selon lequel une chose suit l’autre[146],
de même aussi, quand de nombreuses opérations se suivent en ordre, elles
créent une sorte de nature; et il en est ainsi surtout pour les opérations
des animaux, dont les principes ont quelque chose qui produit une impression
et quelque chose qui reçoit une impression, de la façon dont l’imagination
reçoit l’impression des sens. C’est pour cela que ce que nous avons vu ou
entendu fréquemment est ancré davantage dans l’imagination à la manière d’une
nature, de la même façon que la multiplication des impressions d’un agent
naturel produit une forme qui est la nature de la chose. |
[81540] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 12 Deinde cum dicit
quoniam autem ostendit causam quare quandoque corrupte reminiscamur. Et dicit
quod sicut in his quae sunt secundum naturam contingit aliquid quod est extra
naturam, quod est a fortuna vel casu, sicut monstratur in partibus animalium,
multo magis contingit aliquid inordinatum et praeter intentionem in his quae
sunt secundum consuetudinem, quae etsi imitetur naturam, deficit tamen a firmitate
ipsius. Et ideo etiam ibi, idest in his quae per consuetudinem reminiscimur,
contingit reminisci aliter et aliter; et hoc accidit propter aliquod
impedimentum, puta cum aliquis retrahitur inde, idest a consueto cursu ad
quodcumque aliud, ut patet in his, qui memoriter aliquid dicunt, quorum
imaginatio si ad aliud distrahatur, perdunt quod dicere debent vel dicunt
corrupte: et propter hoc, cum aliquis indigeat reminisci aliquod nomen, vel
aliquem sermonem, facimus circa alium sermonem dissimiliter ab eo quod
scimus. |
Puis lorsqu’il
dit : Mais, si dans les choses, etc., il montre pourquoi notre
réminiscence est parfois déformée. Et il dit que, comme dans les choses qui
sont selon la nature il arrive des choses étrangères à la nature, qui
viennent de la fortune ou du hasard, comme on le voit dans les parties des
animaux, il arrive encore bien plus souvent des choses désordonnées et non
intentionnelles dans ce qui vient de l’habitude, laquelle, bien qu’elle imite
la nature, n’en atteint pas la solidité. C’est pourquoi, là aussi,
c'est-à-dire dans les choses dont nous nous ressouvenons par habitude, on
peut se ressouvenir de différentes façons, et cela arrive à cause d’un
empêchement, disons quand quelqu'un s’écarted’une habitude et va vers autre
chose, comme c’est évident chez ceux qui disent quelque chose de mémoire et
dont l’imagination, si elle est distraite par autre chose, oublient ce qu’ils
doivent dire ou le disent de travers, et pour cette raison, quand on a besoin
de se ressouvenir d’un nom ou d’une phrase, on dit autre chose qui est
différent de ce qu’on savait. |
[81541] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 6 n. 13 Ultimo autem
epilogat, quod reminisci accidit secundum modum praemissum. |
En dernier, il
conclut que la réminiscence se produit de la façon qu’on a expliquée. |
|
Leçon 7 |
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Texte d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire,
1838 |
|
Ce qu'il y a de
plus important ici c'est d'apprécier le temps, soit d'une manière précise,
soit d'une manière indéterminée. Admettons qu'il y ait quelque chose dans
l'esprit qui discerne un temps plus long et un temps plus court; et il est
tout simple qu'il en soit en ceci comme pour les grandeurs. Ainsi, l'esprit
pense les choses qui sont grandes et éloignées; et il ne faut pas pour cela
que la pensée s'étende au dehors d'elle-même, comme on prétend dans quelques
théories que s'étend la vision, parce qu'en effet l'esprit peut penser tout
aussi bien ces choses, même quand elles n'existent pas; mais l'esprit agit
par un mouvement proportionnel, parce qu'il y a dans la pensée des formes et
des mouvements semblables à ceux des objets. Quelle différence y aura-t-il donc quand
l'esprit pensera des choses plus grandes? Est-ce qu'il pense ces choses-là
mêmes? ou en pense-t-il de plus petites? Toutes les choses du dedans ont beau
être plus petites, elles n'en conservent pas moins leurs proportions avec
celles du dehors. Il est possible, peut-être, que de même que pour les
figures l'on peut établir des proportions, mais toujours dans l'esprit, de
même ces proportions s'appliquent à des distances [de temps]. Prenons un
exemple : si l'esprit se meut suivant BE, AB, il décrit la ligne AD; car, AC
et CD sont proportionnelles à AB et BE. Pour quoi donc l'esprit décrit-il
plutôt CD que FG? Est-ce parce que AC est à AB comme KH est à KM? Ainsi donc,
l'esprit se meut aussi suivant ces lignes en même temps. Mais si l'esprit veut
penser à FG, il pense semblablement à BE, et il pense à KL au lieu de HI; car
ces lignes [FG, BE] sont entre elles comme FA est à BA. Ainsi donc, quand le mouvement de l'objet
est simultané à celui du temps, il y a dès lors acte de mémoire. Que si l'on
croit faire cette coïncidence, bien qu'on ne la fasse pas réellement, on
croit simplement aussi se souvenir; car on peut bien se tromper et s'imaginer
se souvenir, quand vraiment on ne se souvient pas. Mais quand on fait acte de
mémoire, il n'est pas possible de ne pas le croire, et d'ignorer qu'on se
souvient, puisque c'est là précisément ce qui constitue le souvenir. Mais si
le mouvement de l'objet se fait sans le mouvement du temps, ou à l'inverse,
celui-ci sans celui-là, alors on ne se souvient point. D'ailleurs, le
mouvement du temps est de deux sortes. Parfois on ne se rappelle pas les
choses avec la mesure précise du temps; et par exemple, si l'on a fait telle
chose il y a trois jours, on se rappelle seulement qu'on l'a faite dans un
temps quelconque. Parfois aussi l'on possède exactement la mesure du temps;
mais cette mesure n'est pas nécessaire pour que l'on se souvienne des choses.
Et en effet, lorsqu'on se rappelle les choses sans la mesure du temps,
ordinairement l'on dit qu'on s'en souvient bien, mais qu'on ne sait plus
quand elles ont est lieu; c'est que l'on ne sent pas ce Quand par une mesure
suffisamment précise. |
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Lectio
7 |
Leçon 7 ─ Le temps et la
réminiscence. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81542] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 1 Postquam philosophus
manifestavit modum reminiscendi ex parte rerum reminiscendarum, hic
determinat modum reminiscendi ex parte temporis. Et primo proponit quod
intendit. Secundo manifestat propositum, ibi, est autem aliquid. Dicit ergo
primo, quod in reminiscendo oportet maxime cognoscere tempus, scilicet
praeteritum, quod concernit memoria, cuius inquisitio quaedam est
reminiscentia. Tempus autem praeteritum cognoscitur a reminiscente quandoque
quidem sub certa mensura, puta cum scit se hoc sensisse quandoque ante tres
dies, quandoque autem infinite, idest indeterminate, puta si
recordetur se aliquando hoc sensisse. |
Après avoir montré
comment se produit la réminiscence du côté des choses dont on veut se
ressouvenir, le Philosophe détermine maintenant comment elle se produit du
point de vue du temps. Et en premier, il propose ce qu’il veut montrer. En
deuxième, il manifeste sa thèse, où il dit : Admettons qu’il y ait, etc. Il dit donc en premier que dans la réminiscence,
il est surtout important de connaître le temps (le temps passé), ce qui
concerne le souvenir, dont la recherche est une réminiscence. Or, celui qui
se ressouvient connaît le temps, parfois selon une mesure certaine, comme
quand il sait qu’il a senti telle chose il y a trois jours, parfois indéfiniment,
c'est-à-dire de façon indéterminée, comme s’il se rappelle avoir senti
telle chose à un moment donné. |
[81543] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 2 Deinde cum dicit est
autem manifestat propositum. Et primo ostendit quomodo anima cognoscat
mensuram temporis. Secundo manifestat principale propositum, scilicet quod
cognoscere tempus necessarium est reminiscenti, ibi, cum igitur rei. Et circa
primum duo facit. Primo manifestat propositum. Secundo movet quamdam
quaestionem, ibi, quomodo enim differt. Dicit ergo primo, quod aliquid est in
anima, quo iudicat maiorem et minorem mensuram temporis. Et hoc rationabile
est esse circa tempus, sicut et circa magnitudines corporales: magnas quidem,
quantum ad quantitatem corporum visorum, et procul, quantum ad quantitatem
distantiae localis, cui proportionatur quantitas temporis, quae accipitur
secundum distantiam a praesenti nunc. |
Puis lorsqu’il
dit : Admettons qu’il y ait, etc., il manifeste sa thèse. Et en
premier, il montre comment l’âme connaît la mesure du temps. En deuxième, il
manifeste sa proposition principale, à savoir qu’il est nécessaire à celui
qui se ressouvient de connaître la mesure du temps, où il dit : Ainsi
donc, quand le mouvement, etc. Il traite le premier point en deux
parties. En premier, il manifeste sa proposition. En deuxième, il soulève une
question, où il dit : Quelle différence y aura-t-il donc, etc. Il
dit donc en premier qu’il y a dans l’âme quelque chose qui juge une mesure de
temps plus ou grande. Et il est raisonnable qu’il en aille pour le temps comme
pour les grandeurs corporelles : l’âme juge les grandes en effet selon
les dimensions des corps vus et les éloignées selon la distance locale, qui
est proportionnelle à la quantité de temps, laquelle est considérée selon la
distance à l’instant présent. |
[81544] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 3 Huiusmodi autem
magnitudines cognoscit anima non extendendo ibi intelligentiam, quasi anima
cognoscat magnitudinem, contingendo eas secundum intellectum: quod videtur
dicere propter Platonem, ut patet in primo de anima. Et per hunc etiam modum
quidam dicunt visum fieri per hoc quod radius pertransit totam distantiam
usque ad rem visam, ut dictum est in libro de sensu et sensato. Sed non
potest esse quod magnitudines cognoscantur ab anima per contactum
intelligentiae, quia sic non posset anima intelligere nisi magnitudines
existentes: nunc autem videmus quod intelligit magnitudines quae non sunt.
Nihil enim prohibet animam intelligere quantitatem duplam quantitatis caeli.
Non ergo cognoscit anima magnitudinem ei se coextendendo, sed per hoc, quod
quidam motus a re sensibili resolutus in anima, est proportionalis
magnitudini exteriori. Sunt enim in anima quaedam formae et motus similes
rebus, per quas res cognoscit. |
Mais l’âme ne
connaît pas ces grandeurs en y agrandissant son intelligence comme si elle
connaissait la grandeur en la touchant par son intelligence, ce qu’il semble
dire à cause de Platon, comme on le voit au livre I du Traité de l’âme. Et
certains disent également, de la même façon, que la vue se produit du fait
qu’un rayon parcourt toute la distance jusqu’à la chose vue, comme il est dit
dans le traité Des sens et des sensations. Mais il n’est pas possible
que les grandeurs soient connues par par l’âme par contact avec
l’intelligence, car alors, l’âme ne pourrait connaître que les grandeurs
existantes, alors qu’en fait, nous constatons qu’elle comprend des grandeurs
qui n’existent pas. En effet, rien n’empêche l’âme de comprendre une grandeur
double de la grandeur du ciel[147].
L’âme ne connaît donc pas la grandeur en atteignant une grandeur égale à
celle-ci, mais par le fait qu’un mouvement, produit dans l’âme par une chose
sensible, est proportionnel à la grandeur extérieure. En effet, il y a dans
l’âme des formes et des mouvements semblables aux choses, par lesquels elle
connaît les choses. |
[81545] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 4 Deinde cum dicit quo
enim determinat quamdam quaestionem circa praemissa. Et circa hoc tria facit.
Primo proponit quaestionem. Secundo solvit, ibi, aut quia. Tertio solutionem
exemplificat in literis, ibi, sicut igitur. Quaerit ergo primo, cum anima per
similitudinem magnitudinis quam habet magnitudinem cognoscat, in quo differt
illud quo cognoscit maiorem et minorem magnitudinem? Videtur enim non habere
differentem similitudinem, eo quod non differunt specie. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Quelle différence y aura-t-il, etc., il résout une question
concernant ce qui précède. Et il le fait en trois temps. En premier, il
présente la question. En deuxième, il la résout, où il dit : Toutes
les choses du dedans, etc. En troisième, il illustre la solution par des
lettres, où il dit : Prenons un exemple, etc. Il se demande donc
en premier, puisque l’âme connaît la grandeur par la ressemblance de la
grandeur qu’elle possède, en quoi diffèrent ce par quoi elle connaît le plus
grand et ce par quoi elle connaît le moins grand? En effet, ils ne semblent
pas avoir une ressemblance différente, puisqu’ils ne diffèrent pas en espèce. |
[81546] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 5 Deinde cum dicit an
quia solvit quaestionem. Et dicit quod anima vel per similem figuram sive
formam intelligit minora, idest minorem quantitatem, sicut et per
formam similem cognoscit maiorem magnitudinem. Formae enim et motus
interiores proportionaliter correspondent magnitudinibus exterioribus, et forte
ita est de magnitudinibus sive distantiis locorum et temporum, sicut de
speciebus rerum. Unde, sicut in ipso cognoscente sunt diversae similitudines
et motus proportionaliter respondentes diversis speciebus rerum, puta equo et
bovi, ita etiam et diversis quantitatibus. |
Ensuite, où il
dit : Est-ce qu’il pense, etc., il résout la question. Et il dit
que c’est par une figure ou une forme semblable que l’âme comprend les moindres, c'est-à-dire une
quantité plus petite, et une dimension plus grande. En effet, les formes et
les mouvements intérieurs correspondent proportionnellement aux dimensions
extérieures, et il en va peut-être de même pour les grandeurs ou les
distances de lieux et de temps comme pour les espèces des choses. Alors,
comme il y a dans l’être connaissant des ressemblances et des mouvements
divers correspondant proportionnellement aux diverses espèces des choses, il
en va de même des quantités diverses. |
[81547] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 6 Deinde cum dicit sic
igitur manifestat huiusmodi diversam proportionem per exemplum in literis. Ad
cuius evidentiam considerandum est quod quia supra dixit in intelligentia
esse similes figuras et motus proportionales rebus, utitur hic gratia exempli
similitudine figurarum, sicut geometrae utuntur: apud quod figurae similes
dicuntur, quarum latera sunt proportionabilia et anguli aequales, ut patet in
sexto Euclidis: (figura). |
Ensuite, où il
dit : Prenons un exemple, etc., il manifeste la proportion
diverse de ces choses par un exemple avec des lettres. Pour bien le
comprendre, il faut remarquer que, comme il a dit plus haut qu’il y a dans
l’intelligence des figures et des mouvements semblables proportionnels aux
choses, il prend ici à titre d’exemple les ressemblances de figures comme les
géomètres en parlent; en effet, ils appellent figures semblables celles dont
les côtés sont proportionnels et les angles égaux, comme on le voit au livre
VI du traité d’Euclide : (figure). |
[81548] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 7 Describatur ergo
triangulus bae, cuius basis sit be. Deinde a puncto g signato in latere ba
ducatur linea aeque distans a basi usque ad aliud latus, quae sit gd; et
similiter in triangulo gad, producatur linea aeque distans a basi. Est autem
demonstratum in primo Euclidis, quod linea recta cadens super duas aeque
distantes, facit angulos oppositos aequales. Angulus ergo agd est aequalis
angulo aeb, et angulus adg est aequalis angulo aeb: angulus autem a est
communis: ergo tres anguli trianguli agd, sunt aequales angulis trianguli
bae: ergo lineae, quae subtenduntur aequalibus angulis, sunt proportionales,
secundum quartam proportionem sexti Euclidis; ergo proportio quae est ab ab
ad ag, eadem est proportio be ad gd; ergo permutatim, quae est proportio ab
ad be eadem est proportio ag ad gd: et sic duo trianguli praedicti sunt
figurae similes. Per lineam vero ab et partes eius, intelliguntur motus
animae, quibus anima cognoscit. Per lineas autem be, gd et zi, quae sunt
bases triangulorum, intelliguntur diversae quantitates, magnitudine et parvitate
differentes. |
Soit donc le
triangle BAE, dont la base est BE. Ensuite, à partir du point G fixé sur le
côté AB, traçons une ligne équidistante entre la base et un autre côté, et
appelons-la GD; pareillement, dans le triangle GAD, traçons une ligne
équidistante à partir de la base. Il a donc été démontré, au livre I du
traité d’Euclide, qu’une ligne droite qui tombe deux lignes équidistantes
crée des angles opposés égaux. Donc, l’angle AGD est égal à l’angle AEB, et
l’angle ADG est égal à l’angle AEB; or, l’angle A est commun; donc, les trois
angles du triangle AGD sont égaux aux angles du triangle BAE; donc, les
lignes qui sous-tendent les angles égaux sont proportionnelles, selon la
quatrième proposition[148]
du livre VI du traité d’Euclide; la proportion de AB à AG est donc la même
que la proportion de BE à GD; donc, réciproquement, la proportion de AB à BE
est la même que la proportion de AG à GD; et ainsi, ces deux triangles sont
des figures semblables. Par la ligne AB et ses parties, on doit comprendre
les mouvements de l’âme par lesquels l’âme connaît. Par les lignes BE, GD et
ZI, qui sont les bases des triangles, on comprend les diverses quantités qui
diffèrent en grandeur et en petitesse. |
[81549] Sentencia De sensu, tr.
2 l. 7 n. 8 Concludit ergo exemplificando quod, si anima
secundum motum ab, movetur ad cognoscendum quantitatem be, faciet etiam iste
motus secundum aliquid sui cognosci quantitatem gd; quia motus ag qui
continetur in ab, et magnitudo gd in eadem proportione se habent, in qua
motus ab et magnitudo be. |
Il conclut donc en
donnant l’exemple suivant : si l’âme, se mouvant selon le mouvement AB,
vient à connnaître la quantité BE, ce mouvement, en une partie de lui-même,
lui fera également connaître la quantité GD, car le mouvement AG, qui est
contenu dans AB, et la grandeur GD ont la même proportion que le mouvement AB
et la grandeur BE. |
[81550] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 9 Sed tunc redibit
quaestio, quae supra mota est: cum plus requiratur ad cognoscendum
quantitatem gd, quae est maior, quam ad cognoscendum quantitatem zi quae est
minor. |
Mais alors, cela
nous ramène à la question soulevée ci-dessus, puisqu’il faut davantage pour
connaître la quantité GD, qui est plus grande, que pour connaître la quantité
ZI, qui est plus petite. |
[81551] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 10 Et ut hoc expressius
videri possit, accipit motus ut distinctos quorum unus non contineatur in
altero. Sit ergo una linea km, et dividatur in puncto t tali ratione, ut
eadem sit proportio kt ad tm, quae est lineae ag, secundum quam cognoscitur
quantitas gd, ad lineam ab, secundum quam cognoscitur be. Sic ergo simul
(figura). Movetur secundum hos motus: quia sicut secundum motum ag
cognoscitur quantitas gd, ita secundum motum kt. Et sicut secundum motum ab
cognoscitur quantitas be, ita secundum motum tm. Si vero aliquis velit
secundum motum az, cognoscere quantitatem zi, oportebit quod subtrahatur ab
ag hoc quod est gz; sicut ei addebatur gb ad cognoscendum quantitatem be.
Sed, si volumus accipere motus distinctos, oportebit accipere loco duorum
motuum kt et tm, loco cuius ponit te, ita quod est g et m. Inscribantur eidem
puncto alii duo motus: quorum unus sit kl et alius lm, ita quod linea km
dividatur in puncto l, et ob hanc rationem, ut sit proportio kl ad lm sicut
proportio az ad ab. Unde sicut per motum lm cognoscet quantitatem be, ita per motum kl
cognoscet zi. Quod quidem sic demonstratur. |
Et pour que cela
soit plus clairement visible, il considère comme distincts les mouvements
dont l’un n’est pas contenu dans l’autre. Soit donc la ligne KM, et divisons-la
au point T de telle sorte que la proportion de KT à TM soit la même que celle
de la ligne AG, par laquelle on connaît la quantité GD, à la ligne AB, par
laquelle on connaît BE. Alors, en même temps, (figure) elle est mue selon ces
mouvements, car, de même que la quantité GD est connue par le mouvement AG,
de même elle est connue par le mouvement KT. Et de même que la quantité BE
est connue par le mouvement AB, de même elle est connue par le mouvement TM.
Si donc on veut connaître la quantité ZI par le mouvement AZ, il faut
soustraire GZ de AG, de même qu’on y avait ajouté GB pour connaître la
quantité BE. Mais si nous voulons prendre des mouvements distincts, il faudra
prendre TE à la place des deux mouvements KT et TM, de sorte qu’on aura G et
M. Traçons à partir du même point deux autres mouvements : soit l’un KL
et l’autre LM, de sorte que la ligne KM soit divisée au point L, et de telle
sorte que la proportion de KL à LM soit la même que la proportion de AZ à AB.
Alors, comme la quantité BE est connue par le mouvement LM, de même ZI sera
connu par mouvement KL. C’est ainsi
que l’énoncé est démontré. |
[81552] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 11 Deinde cum dicit cum
igitur manifestat principale propositum. Et primo ostendit quod reminiscentem
oportet cognoscere tempus. Secundo manifestat duplicem modum cognoscendi
tempus, ibi, qui vero est temporis. Dicit ergo primo, quod quando in anima
simul occurrit motus rei memorandae et temporis praeteriti, tunc est memoriae
actus. Si vero aliquis putet ita se habere, et non ita fiat in memoria, quia
vel deest motus rei, vel motus temporis, non est memoratum. Nihil enim
prohibet quod in memore insit mendacium, sicut cum alicui videtur quod
memoretur et non memoratur, quia occurrit ei tempus praeteritum, sed non res
quam vidit, sed alia loco eius. Et quandoque aliquis memoratur et non putat
se memorari: sed latet ipsum, quia scilicet non occurrit ei tempus, sed res,
quia ut supra dictum est, hoc est memorari, phantasmati intendere alicuius
rei prout est imago prius apprehensi. Unde, si motus rei fiat sine motu
temporis, aut e converso, non reminiscitur. |
Ensuite, lorsqu’il
dit : Ainsi donc, quand le mouvement, etc., il manifeste la
proposition principale. Et en premier, il montre que celui qui se ressouvient
doit connaître le temps. En deuxième, il manifeste les deux manières de
connaître le temps, où il dit : D’ailleurs, le mouvement du temps, etc.
Il dit donc en premier que lorsque le mouvement de la chose dont il faut se
souvenir se produit dans l’âme en même temps que le mouvement du temps passé,
il y a acte de mémoire. Mais si quelqu'un croit qu’il en est ainsi et qu’il
n’en est pas ainsi dans la mémoire, parce que soit le mouvement de la chose,
soit le mouvement du temps est absent, on ne se souvient pas. En effet, rien
n’empêche qu’il n’y ait un mensonge dans la mémoire, comme quand il semble à
quelqu'un qu’il se souvient alors qu’il ne se souvient pas, parce que le
temps passé lui revient à l’esprit, mais pas la chose qu’il a vue, mais une
autre à sa place. Et parfois, quelqu'un se souvient et ne pense pas se
souvenir, mais cela lui est caché parce que ce n’est pas le temps qui lui
revient à l’esprit, mais la chose, car, comme on l’a dit plus haut, se
souvenir, c’est regarder l’image mentale d’une chose en tant qu’elle est
l’image de ce qui a été perçu auparavant. Alors, si le mouvement de la chose
a lieu sans mouvement du temps, ou l’inverse, il n'y a pas réminiscence. |
[81553] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 7 n. 12 Deinde cum dicit qui
vero ostendit diversum modum quo reminiscentes cognoscunt tempus. Quandoque
enim aliquis recordatur tempus non quidem sub certa mensura, puta quod tertia
die fecerit aliquid, sed quod aliquando fecit. Quandoque autem recordatur sub
mensura temporis praeteriti, quamvis non sub certa mensura. Consueverunt enim
homines dicere quod recordantur quidem alicuius rei ut praeteritae, sed
nesciunt quando fuerit, quia nesciunt temporis metrum, idest, mensuram: et
hoc contingit propter debilem impressionem, sicut contingit in his quae
videntur a remotis, quae indeterminata cognoscuntur. |
Puis lorsqu’il
dit : D’ailleurs, le mouvement du temps, etc., il montre les
façons différentes de connaître le temps de ceux qui se ressouviennent. En
effet, parfois, on se souvient du temps, mais non selon une mesure certaine,
par exemple qu’on a fait telle chose le troisième jour, mais qu’on l’a faite
à un moment donné. Parfois, on s’en souvient selon la mesure du temps passé,
mais pas selon une mesure certaine. En effet, les gens ont l’habitude de dire
qu’ils se souviennent d’une chose en tant qu’elle est passée, mais ils ne
savent pas quand, parce qu’ils ne connaissent pas la durée, c'est-à-dire la
mesure du temps; et cela arrive parce que l’impression est faible, comme
c’est le cas des objets vus de loin, qui sont connus de façon indéterminée. |
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Leçon 8 |
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Texte d’Aristote, traduit par Barthélémy Saint-Hilaire,
1838 |
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On a dit
précédemment que ce n'était pas toujours les mêmes hommes qui avaient de la
mémoire et de la réminiscence. La mémoire diffère
de la réminiscence autrement encore que par le temps; ainsi, beaucoup
d'animaux, sans compter l'homme, ont de la mémoire, tandis que parmi tous les
animaux connus la réminiscence n'appartient, on peut dire, qu'à l'homme tout
seul ; la cause de ce privilège, c'est que la réminiscence est une sorte de
raisonnement. Quand on a une réminiscence, on fait ce raisonnement
qu'antérieurement on a entendu, vu ou éprouvé quelque impression de ce genre;
et l'esprit fait alors une espèce de recherche. Mais cet effort n'est
possible qu'aux animaux que la nature a doués de la faculté de vouloir; et
vouloir est bien aussi une sorte de raisonnement, de syllogisme. Ce qui prouve bien
que cette faculté dépend en partie du corps, et que la réminiscence est une
sorte de recherche que fait l'esprit dans l'image que le corps lui a
transmise, c'est que quelques personnes se troublent tout à fait, quand elles
ne peuvent se ressouvenir de quelque chose; et tout en voulant cesser
d'appliquer leur pensée à cette recherche et ne plus faire acte de
réminiscence, elles sont tout à fait incapables de s'arrêter. C'est surtout
ce qui arrive aux gens mélancoliques, précisément parce que les images
agissent beaucoup plus sur leur esprit. Ce qui leur fait perdre la faculté
d'arrêter leur réminiscence, c'est que comme ceux qui ont lancé un trait ne
peuvent plus le rappeler, de même quand l'esprit fait effort pour un acte de
réminiscence, et qu'il cherche péniblement, il émeut aussi quelque organe
corporel, qui souffre de cette affection. Ceux qui alors se troublent le plus
sont ceux qui ont, au siège de la sensibilité, quelque humidité; car cette
humidité ne s'arrête pas aisément quand une fois elle a été mise en
mouvement, et elle ne cesse de s'agiter que quand l'esprit atteint la chose
qu'il cherche et que le mouvement suit son cours régulier. Voilà pourquoi,
quand la frayeur et la colère ont été une fois excitées, leur réaction même
les empêche de s'arrêter; mais elles réagissent à leur tour contre ces mêmes
organes qui les ont excitées. La réminiscence alors affecte l'esprit à peu
près comme ces mots, ces chants et ces discours qu'on a eus trop souvent à la
bouche, et qu'on se surprend longtemps à chanter et à dire sans même qu'on le
veuille. |
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Lectio
8 |
Leçon 8 ─ Diffence entre la
mémoire et la réminiscence. (Traduction Georges Comeau, 2019)
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[81554] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 1 Postquam philosophus
ostendit modum reminiscendi, nunc ostendit differentiam memoriae et
reminiscentiae. Innuit autem tres differentias: quarum prima est ex
aptitudine ad utrumque. Dictum est enim supra quod non iidem homines sunt
bene memorativi et reminiscitivi. Secunda autem differentia est ex parte
temporis, quia scilicet reminiscentia, cum sit via ad memoriam, tempore ipsam
praecedit, ut ex praedictis patet. Tertia differentia est ex parte subiecti
in quo utrumque eorum inveniri potest: quia hoc quod est memorari, multa alia
animalia participant praeter hominem, ut etiam supra dictum est; sed nullum
animal quod a nobis cognoscatur, reminiscitur, nisi homo, quod quidem dicit,
quia apud quosdam dubium fuit, an aliquod animal esset rationale praeter
hominem. |
Après avoir montré
le comment de la réminiscence, le Philosophe montre maintenant la différence
entre la mémoire et la réminiscence. Et il indique trois différences, dont la
première est l’aptitude à l’une ou à l’autre. En effet, on a dit plus haut
que ce ne sont pas les mêmes hommes qui ont une bonne mémoire et une bonne
réminiscence. La deuxième différence concerne le temps, car la réminiscence,
étant le chemin vers la mémoire, la précède dans le temps, comme il est
évident d’après ce qui a été dit. La troisième différence est du côté du
sujet dans lequel on peut trouver les deux, car quant à l’acte de mémoire,
beaucoup d’animaux y participent en plus de l’homme, comme on l’a dit
également; mais aucun animal qui soit connu de nous ne se ressouvient,
excepté l’homme, et il dit cela parce que certains se demandaient s’il existe
un autre animal raisonnable en plus de l’homme. |
[81555] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 2 Causa autem quare
soli homini convenit reminisci, est quia reminiscentia habet similitudinem
cuiusdam syllogismi; quare, sicut in syllogismo pervenitur ad conclusionem ex
aliquibus principiis, ita etiam in reminiscendo aliquis quodam modo
syllogizat se prius aliquid vidisse, aut aliquo alio modo percepisse, ex
quodam principio in hoc deveniens: et reminiscentia est quasi quaedam
inquisitio, quia non a casu reminiscens ab uno in aliud, sed cum intentione
deveniendi in memoriam alicuius procedit. Hoc autem, scilicet quod aliquis
inquirat in aliud pervenire, solum illis accidit, quibus inest naturalis
virtus ad deliberandum: quia etiam deliberatio fit per modum cuiusdam
syllogismi; deliberatio autem solis hominibus competit: cetera vero animalia
non ex deliberatione, sed ex quodam naturali instinctu operantur. |
Et la cause du fait
que seuls les hommes sont capables de se ressouvenir est que la réminiscence
ressemble à un genre de syllogisme, car, de même que dans le syllogisme on
parvient à une conclusion à partir de principes, de même aussi dans la
réminiscence on fait une sorte de syllogisme : à partir du fait qu’on a
vu quelque chose auparavant, ou qu’on l’a perçu de quelque autre façon, on y
parvient à partir d’un certain principe; et la réminiscence est une sorte
d’investigation, parce que celui qui se ressouvient ne passe pas par hasard
d’une chose à l’autre, mais c’est intentionnellement qu’il procède pour
retrouver le souvenir de quelque chose. Mais ce fait de chercher à
parvenir à autre chose ne se trouve que chez ceux qui ont la faculté
naturelle de délibérer, car la délibération s’exerce aussi à la manière d’une
sorte de syllogisme; or, la délibération appartient seulement aux hommes;
quant aux autres animaux, ce n’est pas par délibération, mais par un certain
instinct naturel qu’ils agissent. |
[81556] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 3 Deinde cum dicit
quod autem ostendit qualis passio sit reminiscentia. Quia enim dixerat quod
reminiscentia est sicut syllogismus quidam: syllogizare autem est actus
rationis, quae non est actus corporis cuiusdam, ut probatur secundum de
anima, posset alicui videri quod reminiscentia non esset passio corporea,
idest operatio exercitata per organum corporale. Philosophus autem ostendit
contrarium. |
Puis lorsqu’il
dit : Ce qui prouve bien, etc., il montre quelle faculté est la
réminiscence. Comme il a dit en effet que la réminiscence est comme un
syllogisme, et comme le syllogisme est un acte de la raison, laquelle n’est
pas l’acte d’un corps, comme il est prouvé au livre II du Traité de
l’âme, il pourrait sembler que la réminiscence n’est pas une faculté
corporelle, c'est-à-dire
une opération exercée par une faculté corporelle. Mais le Philosophe démontre le contraire. |
[81557] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 4 Et primo quidem per
quoddam quod accidit reminiscentibus. Secundo per eos qui habent impedimentum
reminiscentiae, ibi, sunt autem et superiora. Circa primum tria facit. Primo
inducit accidens praedictum. Secundo assignat causam praedicti accidentis,
ibi, causa autem eius. Tertio manifestat per simile, ibi, unde et irae et
timores. Dicit ergo primo, quod signum huius quod reminiscentia sit quaedam
corporea passio, sive existens inquisitio phantasmatis in tali, idest
in aliquo particulari, vel in tali, idest in quodam organo corporeo,
est, quod cum quidam non possunt reminisci turbantur, id est quadam
inquietudine sollicitantur, et valde apponunt mentem ad reminiscendum. Et si
contingat quod iam de cetero non conentur ad reminiscendum, quasi cessante a
proposito reminiscendi, nihilominus adhuc inquietudo illa cogitationis
remanet in eis; et hoc maxime contingit in melancholicis, qui maxime moventur
a phantasmatibus: quia propter terrestrem naturam, impressiones phantasmatum
magis firmantur in eis. |
Et il le démontre,
en premier, par quelque chose qui arrive à ceux qui se ressouviennent, et en
deuxième, par ceux dont la réminiscence est empêchée, où il dit : Il
faut remarquer encore, etc. Il traite le premier point en trois parties.
En premier, il décrit ce qui arrive. En deuxième, il présente la cause de ce
qui arrive, où il dit : Ce qui leur fait perdre, etc. En troisième,
il le manifeste par une comparaison, où il dit : Voilà
pourquoi, quand la frayeur, etc. Il dit donc en premier que le signe du
fait que la réminiscence est une faculté corporelle, soit que la recherche
d’une image mentale existe dans telle chose, c'est-à-dire un objet
particulier, soit dans telle autre, c'est-à-dire dans un organe
corporel, c’est que quand certains ne peuvent pas se ressouvenir, ils sont
troublés, tiraillés par l’agitation, et appliquent fortement leur esprit à se
ressouvenir. Et s’il arrive que pour le reste ils ne s’efforcent plus de se
ressouvenir et abandonnent cet objectif, cette agitation de la pensée demeure
quand même encore en eux; et cela arrive surtout aux mélancoliques, qui sont
les plus ébranlés par les images mentales, car, à cause de leur nature
terreuse, les impressions des images mentales demeurent plus solidement en
eux. |
[81558] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 5 Deinde cum dicit
causa autem assignat causam praedicti accidentis. Et primo ponit causam.
Secundo ostendit in quibus maxime locum habet, ibi, maxime autem turbantur.
Circa primum considerandum est, quod operationes, quae sunt partis
intellectivae absque organo corporali, sunt in sui arbitrio ut possit ab eis
desistere cum voluerit. Sed non ita est de operationibus quae per organum
corporale exercentur: quia non est in potestate hominis quod ex quo organum
corporale est mere eius passio statim cesset. Et ideo dicit quod causa
eius, quod est reminisci, non ita est in ipsis reminiscentibus, idest in
potestate eorum, ut scilicet possint desistere cum voluerint: quia sicut
accidit proiicientibus quod postquam moverit corpus proiectum, non est
amplius in eorum potestate ut sistant, sic etiam reminiscens et quicumque
investigans per organum corporale, movet corporale organum in quo est passio.
Unde non statim motus cessat cum homo voluerit. |
Ensuite, où il
dit : Ce qui leur fait perdre, etc., il montre la cause de ces
faits. Et en premier, il en présente la cause. En deuxième, il montre chez
qui cela se produit surtout, où il dit : Ceux qui alors se troublent,
etc. Pour le premier point, il faut remarquer que, dans le cas des
opérations qui appartiennent à la partie intellectuelle sans organe corporel,
on a le pouvoir de les cesser quand on veut. Mais il n’en va pas de même pour
les opérations qui sont exercées par un organe corporel, car il n’est pas au
pouvoir de l’homme de cesser instantanément ce par quoi un organe corporel
est purement affecté. C’est pourquoi il dit que la cause du fait de se
ressouvenir n’est pas ainsi en ceux qui se ressouviennent, c'est-à-dire
qu’il n’est pas en leur pouvoir de cesser cette activité quand ils le
veulemt, car, comme ceux qui lancent un objet n’ont plus ensuite le pouvoir
de l’arrêter après l’avoir lancé, de même celui qui se ressouvient et
quiconque fait une recherche au moyen d’un organe corporel meut l’organe
corporel, qui est ainsi affecté. C’est pourquoi le mouvement ne cesse pas
tout de suite quand on veut. |
[81559] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 6 Deinde cum dicit
maxime autem ostendit in quibus maxime praedicta causa locum habeat. Et dicit
quod maxime turbantur, idest commoventur in reminiscendo illi, quibus
humiditas abundat circa locum ubi sunt organa sensuum, puta circa cerebrum et
circa cor: quia humiditas mota non de facili quiescit, quousque occurrat
illud quod quaeritur, et motus inquisitionis procedat recte usque ad
terminum. Nec est contrarium quod supra dixit, hoc maxime accidere
melancholicis, qui sunt siccae naturae: quia in illis contingit propter
violentam impressionem, in his autem propter facilem commotionem. |
Ensuite, où il
dit : Ceux qui alors se troublent, etc., il montre chez qui cette
cause agit surtout. Et il dit que ceux qui sont les plus troublés, c'est-à-dire
qui sont agités quand ils se ressouviennent, sont ceux en qui l’humidité
abonde autour de l’endroit où sont les organes des sens, notamment le cerveau
et le cœur, car l’humidité en mouvement ne s’apaise pas facilement jusqu’à ce
qu’on trouve ce qu’on cherche et que le mouvement de recherche se poursuive
correctement jusqu’à terme. Et cela n’est pas contraire à ce qu’il a dit plus
haut, que cela arrive surtout aux mélancoliques, dont la nature est sèche,
car cela arrive à ceux-là à cause de la violence de l’impression, et à
ceux-ci parce qu’ils sont agités facilement. |
[81560] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 7 Deinde cum dicit
unde et manifestat quod dixerat per simile. Et ponit duo similia. Quorum
primum est de passionibus animae, quibus organum corporale quodam modo
commovetur. Et dicit quod quando ira, vel timor, vel concupiscentia, vel si
quid huiusmodi movetur contra aliquod obiectum, etiam si homines velint in
contrarium movere, retrahendo se ab ira vel timore, non sedatur passio, sed
contra idem adhuc movetur: quod contingit, quia commotio corporalis organi
non statim quietatur. |
Puis lorsqu’il
dit : Voilà pourquoi, quand la frayeur, etc., il manifeste ce
qu’il a dit par comparaison. Et il présente deux comparaisons. La première
vient des affections des animaux, dont un organe corporel est agité de
quelque façon. Et il dit que lorsque la colère, la crainte, la convoitise ou
quoi que ce soit du genre se soulève contre un objet, même si on veut s’y
opposer en s’éloignant de la colère ou de la crainte, la passion ne s’apaise
pas, mais elle continue de s’élancer contre la même chose; et il en est ainsi
parce que l’agitation de l’organe corporel ne s’apaise pas facilement. |
[81561] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 8 Secundum simile
ponit ibi, et comparatur. Et dicit quod praedicta passio, quae accidit in
reminiscendo, comparatur nominibus et melodiis et ratiocinationibus cum
aliquod eorum cum aliqua intentione per os proferatur, sicut accidit his qui
cum magna intentione recitant, nominant, vel cantant, vel argumentantur: quia
quando ipsi volunt desistere, adhuc praeter intentionem eorum accidit quod
cantent, vel aliquid proferant, propter hoc quod motus pristinae
imaginationis adhuc manet in organo corporali. |
Il donne la
deuxième comparaison où il dit : La réminiscence alors affecte, etc.
Et il dit que cette affection, qui se produit dans la réminiscence, se
compare aux mots, aux mélodies et aux raisonnements prononcés oralement et
auxquels on a appliqué son attention, comme il arrive à ceux qui récitent,
nomment, chantent ou argumentent avec grande intensité, car quand ils veulent
cesser, il leur arrive encore, de façon non intentionnelle, de chanter ou de
dire quelque chose parce que le mouvement de la première imagination demeure
encore dans l’organe corporel. |
[81562] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 9 Deinde cum dicit
sunt autem manifestat propositum per hoc quod reminiscentia impeditur per
aliquam corporalem dispositionem. Et ponit duas dispositiones corporales
impedientes reminiscentiam. Quarum primam ponit dicens, quod illi qui habent
membra superiora maiora quam inferiora, quae est dispositio nanorum, quia
habent curtas tibias, et superiorem partem corporis proportionaliter maiorem,
sunt peius memorativi, quam illi qui habent contrariam dispositionem, propter
hoc, quod organum sensitivum in eis, quod est in superiori parte, est
aggravatum in eis multitudine materiae, et propter hoc nec motus sensibilium
in eis diu possunt permanere, sed cito dissolvuntur propter confusionem
humorum, quod pertinet ad defectum memoriae; nec etiam de facili possunt recte
procedere reminiscendo: quia non possunt regulare motum materiae, quod
pertinet ad defectum reminiscentiae. |
Puis lorsqu’il
dit : Il faut remarquer encore, etc., il manifeste son
affirmation en montrant que la réminiscence est empêce par certaines dispositions
corporelles. Et il mentionne deux dispositions corporelles qui empêchent la
réminiscence. Il présente la première en disant que ceux dont les membres
supérieurs sont plus grands que les membres inférieurs (ce qui est la
conformation des nains, car leurs jambes sont courtes et la partie supérieure
de leur corps est proportionnellement plus grande) ont une moins bonne
mémoire que ceux qui ont la conformation contraire, du fait que leur organe
sensitif, qui est dans le haut du corps, est appesanti par l’abondance de la
matière, et c’est pourquoi le mouvement produit en eux par les objets
sensibles ne peuvent pas demeurer longtemps, mais se dissipe rapidement à
cause de la confusion des humeurs, ce qui caractérise le manque de mémoire;
ils ne peuvent pas bien procéder non plus à la réminiscence, car ils ne
peuvent pas maîtriser le mouvement de la matière, ce qui caractérise le
défaut de la réminiscence. |
[81563] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 10 Secunda dispositio
impediens est, quod illi qui sunt penitus novi, sicut pueri nuper nati et
multum senes sunt immemores, propter motum augmenti qui est in pueris, et
decrementi qui est in senibus, ut supra dictum est, haec dispositio partim
convenit cum prima, scilicet quantum ad pueros, qui usque ad longam aetatem
sunt nanosi, quasi habentes superiorem partem corporis maiorem. |
La deuxième
disposition qui empêche la réminiscence est que ceux qui sont très nouveaux,
comme les enfants nouveau-nés, et les gens très âgés n’ont pas de mémoire, à
cause du mouvement d’augmentation chez les enfants et du mouvement de
diminution chez les vieillards, comme on l’a dit. Cette disposition recoupe
en partie la première, à savoir dans le cas des enfants, qui sont des nains
pour longtemps, ayant la partie supérieure du corps plus grande. |
[81564] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 11 Sic ergo patet quod
reminiscentia est corporalis passio, nec est actus partis intellectivae, sed
sensitivae, quae etiam in homine est nobilior et virtuosior quam in aliis
animalibus propter coniunctionem ad intellectum. Semper enim quod est
inferioris ordinis perfectius fit suo superiori coniunctum, quasi aliquid de
eius perfectione participans. |
Ainsi donc, il est
évident que la réminiscence est une affection corporelle et qu’elle n’est pas
un cte de la partie intellectuelle, mais de la partie sensitive, qui est
aussi, chez l’homme, plus noble et plus puissante que chez les autres animaux
à cause de sa liaison avec l’intelligence. En effet, ce qui est d’un ordre
inférieur devient plus parfait quand il est joint à un ordre supérieur, du
fait qu’il participe de sa perfection en quelque chose. |
[81565] Sentencia De sensu, tr. 2 l. 8 n. 12 Ultimo autem
epilogando concludit quod dictum est de memoria et memorari quae sit natura
ipsorum, et per quam partem animae animalia memorantur, et similiter de
reminiscentia quid sit, et quomodo fiat, et propter quam causam. |
En dernier, il dit
en guise de conclusion qu’on a dit quelle est la nature de la mémoire et du
souvenir et par quelle partie de l’âme les animaux se souviennent, et
également ce qu’est la réminiscence, comment elle se produit et quelle en est
la cause. |
[1] Ce prologue constitue une introduction
aux deux traités qui suivent : le traité De la sensation et des
sensibles et De la mémoire et de la réminiscence. Dans les éditions
modernes, il constitue le début du traité De la sensation et des sensibles.
[2] C’est à dire Aristote, dans tout ce
commentaire et dans toute l’œuvre de saint Thomas.
[3] Aristote, Traité de l’âme, III,
2, 429 b 21 - 22.
[4] Il n’existe pas de traduction
satisfaisante du mot habitus en français. On a donc gardé le mot tel
qu’il est en latin. Sur la notion d’habitus, consulter Somme théologique,
Ia IIae, questions 50 à 54.
[5] Propre traduit per se.
[6] Cela n’a pas été traduit par : les
habitus des sciences, expression un peu ambiguë. On pourrait avoir
l’impression que les sciences portent sur des habitus, alors que le sens est
que les sciences sont des habitus de l’intellect. Voir dans le commentaire du
livre VI de l’Ethique à Nicomaque, début de la leçon 3 :
« Plus haut, en effet, il a été dit que les vertus intellectuelles sont
des habitus grâce auxquels l'âme dit vrai. Or il y en a cinq en nombre grâce
auxquels l'âme dit toujours vrai, qu'elle affirme ou nie : l'art, la
science, la prudence, la sagesse et l'intelligence. » Plus précisément, la
science est un habitus démonstratif, comme il est dit un peu plus bas
dans le même texte.
[7] Métaphysique, E, 1, 1025 b 3 –
1026 a 32.
[8] Par exemple : « Ainsi, celui
qui étudie la nature pose le corps dans la définition de l’âme, parce qu’il
l’étudie seulement en tant qu’elle est forme d’un corps naturel. » (Unde
et in diffinitione animae ponitur corpus a naturali, qui considerat animam
solum in quantum est forma physici corporis. De ente et essentia,
cap. VI, § 1, Sur l’être et l’essence, chapitre VI, premier paragraphe).
Si l’âme est forme d’un corps naturel, elle est forme d’une matière sensible.
L’âme ne peut être définie sans que sa définition ne comprenne ce dont elle est
la forme, c’est à dire un corps sensible.
[9] Physique, I, 1, 183 a 23 – 24.
[10] Le texte latin passe constamment du
passé au présent, ce que le français interdit : le présent est donc gardé
pour la suite de ce paragraphe.
[11] L’histoire des animaux, Les
parties des animaux.
[12] Ouvrage perdu d’Aristote.
[13] Traité de l’âme, II, 3, 413 a 20
– 25. Voir le commentaire qu’en donne saint Thomas, livre II, leçon 5.
[14] On aurait pu traduire par appétit,
mais le mot a paru trop proche d’un simple décalque du latin.
[15] Ou sensitive : mais une telle
traduction serait peut-être trop restrictive : ce n’est pas seulement le
désir sensible qui résulte des sens, mais aussi la volonté, ou appétit
intellectuel, qui dérive de la faculté aperceptive qu’est l’intellect. Cf.
S. Th, I, q. 80, article 2.
[16] Traité de l’âme, II, 2, 413 a 7.
[17] Traité de l’âme, III, 1, 429 a
18 – b 5.
[18] C’est à dire dans l’âme humaine, où il
demeure une faculté séparée du corps.
[19] Séparées de toute matière, comme les
substances purement intellectuelles ou Dieu.
[20] Pertinent corrigé en pertineat,
d’après l’édition léonine.
[21] Il est question ici de traités qui sont
regroupés habituellement sous le titre de Parva naturalia, ou Petits
traités d’histoire naturelle. Celui qui est mentionné ici s’intitule :
De la jeunesse et de la vieillesse, de la vie et de la mort, et de la
respiration.
[22] Même traité que le précédent.
[23] De la longévité et de la brièveté de
la vie.
[24] Traité perdu.
[25] Traité perdu.
[26] Du mouvement des animaux.
[27] De la marche des animaux.
[28] De la mémoire et de la réminiscence.
[29] Du sommeil et de la veille.
Aristote a également laissé un traité Des rêves, et De la divination
dans le sommeil.
[30] Plus semblable à ce qui précède, c’est
à dire ce qui a été étudié dans le Traité de l’âme. Donc aller de qui se
rapporte le plus à l’âme à ce qui en est le plus éloigné et qui regarde plus le
corps.
[31] Du sommeil et de la veille, 454
b 10-11, 25-27.
[32] La traduction donnée ici du texte
d’Aristote est une traduction de la version latine expliquée par saint Thomas,
pas une traduction du texte grec, elle est destinée à l’intelligence du
commentaire, pas à la compréhension du texte d’Aristote lui-même.
[33] Phisicus : celui qui étudie
la nature, comme le fait Aristote ici. Traduire par physicien serait trompeur
étant donné le sens moderne et restreint de ce terme.
[34] Discours traduit sermo, qui
lui-même traduit logos. Logos signifie ici raisonnement. Saint
Thomas commente d’ailleurs ce passage en ramenant sermo à ratio,
la raison ou le raisonnement.
[35] Maxime, corrigé en maxima,
d’après l’édition léonine.
[36] Phisici, corrigé en phisicorum,
d’après l’édition léonine.
[37] A la manière des principes
mathématiques, que saint Thomas désigne par le même terme de suppositiones :
« sicut suppositiones, idest prima principia in demonstrationibus
mathematicis » : « […] suppositions, c'est-à-dire des premiers
principes, dans les démonstrations mathématiques. » (Commentaire de l’Ethique
à Nicomaque, VII, l. 9, n. 8).
[38] Physique, I, 1, 184 a 23-24.
[39] Ce qui n’est pas la traduction de videntur
autem, mais le début de la traduction du passage qui commence par ces mots
en latin.
[40] Et non à l’âme comme forme d’un corps.
[41] Altération, et non passion :
pour marquer que ce mot désigne tout ce que peut subir quelque chose.
[42] Voir ce que dit saint Thomas de
l’estimative dans le commentaire du Traité de l’âme (livre II) :
« L'estimative, quant à elle, ne saisit pas un individu selon qu'il se range
sous une nature commune, mais seulement selon qu'il est le terme ou le principe
d'une action ou d'une affection. Par exemple, la brebis connaît tel agneau non
pas en tant qu'il est tel agneau, mais en tant qu'il est allaitable par
elle ; et telle herbe, en tant qu'elle est sa nourriture. Aussi les
individus auxquels ne s'étend pas son action ou son affection, elle ne les
saisit d'aucune manière par son estimative naturelle. En effet, l'estimative
naturelle est donnée aux animaux pour qu'ils s'ordonnent grâce à elle dans
leurs actions propres, ou dans leurs passions, pour les rechercher ou les
éviter. » (Traduction Yvan Pelletier).
[43] Traité de l’âme, III, 8, 432 b
6.
[44] Les facultés sont connues à partir de
leurs effets, c’est à dire de leurs opérations, seules susceptibles d’être
expérimentées directement, et donc nommées en fonction de celles-ci.
[45] Le verbe latin concupiscere
signifie en effet désirer.
[46] Ethique à Nicomaque, II, 3, 1104
b 14-15.
[47] Les facultés désirantes se portent vers
les objets qui sont connus au moyen des facultés perceptives, et qui leur sont
représentés comme présents par l’imagination ; le toucher est parmi les
sens le plus grossier et celui qui ne permet que les perceptions les plus
vagues ; par conséquent, il ne fournit pas à l’imagination, ni, par son
intermédiaire, aux facultés désirantes, d’objet déterminés vers lesquels elles
puissent tendre. Voir le commentaire de saint Thomas sur le passage du Taité de l’âme qu’il cite ici :
« Des animaux imparfaits de la sorte, par contre, n'imaginent pas quelque
chose d'éloigné, car ils n'imaginent rien sinon en présence même du sensible.
Quand ils sont blessés, par exemple, ils en imaginent la source comme nocive,
et ils se retirent ; quand ils ont du plaisir, par contre, ils s'étendent
vers sa source et se l'appliquent. Ainsi y a-t-il en eux une imagination ou une
concupiscence indéterminée, en tant qu'ils imaginent et désirent une chose
d’après sa convenance et non suivant qu’elle soit ceci ou cela, ici ou là.
Bref, ils ont une imagination et une concupiscence confuse. » (Traduction
Yvan Pelletier)
[48] Traité de l’âme, III, 10, 433 b
31 – 434 a 5.
[49] En vue d’autre chose, c’est à dire à
titre de moyen.
[50] Corrigé d’après l’édition léonine.
[51] Inférieur, parce qu’il se trouve en
dessous de la sphère de la lune, où commence le monde supérieur des astres. Le
point central de l’univers aristotélicien est son point le plus bas, occupé par
la terre.
[52] L’artifex est au sens strict
celui qui exerce un art, c’est à dire une technique. Artisan et artiste
auraient prêté à contresens, aussi a-t-on choisi technicien.
[53] Ars a été traduit par technique,
et non par art, qui se réduit trop facilement aux beaux-arts. Il faut
simplement se rappeler le caractère souvent empirique de la technique chez
Aristote.
[54] Altération, et non passion :
pour marquer que ce mot désigne tout ce que peut subir quelque chose.
[55] Altération, et non passion :
pour marquer que ce mot désigne tout ce que peut subir quelque chose.
[56] Ce chapitre I ne correspond qu’à la fin
du premier chapitre dans les éditions modernes. La première partie du chapitre
est constituée par le prologue expliqué auparavant.
[57] Traité de l’âme, II, 5.
[58] delectabile
[59] tristabile
[60] Traité de l’âme, II, 5.
[61] agréable
[62] pénible
[63] Ou sentent à l’avance.
[64] Traité de l’âme, II, 6-11.
[65] Le second traité est le traité Sur
la mémoire et la réminiscence.
[66] C’est à dire au début du traité
suivant.
[67] Voir leçon précédente.
[68] C’est à dire au début du chapitre
suivant.
[69] Traité de l’âme, II, 13-24, 418
a 7 – 424 b 18.
[70] Traité de l’âme, III, 11-12, 434
a 30 – 435 b 25.
[71] C’est à dire lorsqu’il subit quelque
chose.
[72] Traité de l’âme, II, 10, 416 b
32 – 35 ; II, 23, 423 b 31 – 424 a 1.
[73] Traité de l’âme, II, 24, 424 a
17 – b 3.
[74] Cognitionem corrigé en comprehensionem
d’après l’édition léonine.
[75] C’est-à-dire le froid, le chaud, le sec
et l’humide.
[76] Traité de l’âme, II, 5, 414 b 6
– 11.
[77] Les plantes n’ont que cette fonction nutritive.
Si le goût appartenait à cette faculté, elles l’auraient aussi, or elles sont
dépourvues de facultés sensibles.
[78] Alexandre d’Aphrodise (vers 150-vers 215), auteur de
nombreux commentaires d’Aristote et surnommé « Le » Commentateur
avant que ce titre soit accordé à Averroès.
[79] Animantibus corrigé en animalibus
d’après l’édition léonine.
[80] Motu progressivo: pourrait se traduire à la lettre par « mouvement de marche en avant », mais cela n’inclurait pas le vol des oiseaux et la natation des poissons et d’autres animaux.
[81] Traité de l’âme, II, 15, 419 a
11 – 15, 22 b 3 ; 16, 419 b 18 – 25 ; 20, 421 b 8 – 13 ; 22 –
23, 422 b 34 – 423 b 26 ; ou plutôt III, 11, 434 b 24 – 29.
[82] C’est-à-dire ceux qui agissent à
distance.
[83] Traité de l’âme, II, 19, 421 a 9
– 13.
[84] Agere, agir, a presque toujours
le sens d’une action morale, et non d’un acte technique, pour lequel est
réservé le terme facere, faire, produire.
[85] Ethique
à Nicomaque, X, 12, 1178 b 24 – 28.
[86] Comme les corps du monde sublunaire.
[87] Comme les corps célestes, au-delà de la
lune.
[88] Correction d’après l’édition Léonine
[89] Animantis, corrigé en animalis,
d’après l’édition léonine.
[90] Traité de l’âme, II, 18, 420 b
29 – 421 a 2.
[91] Définition d’Albert le Grand, tirée des
termes d’Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, VI, 114 a 24 – b 30.
[92] Comment concilier cela avec la doctrine d’Aristote selon laquelle un objet ne peut être à deux endroits à la fois?
[93] La pupille envoie la lumière à un certain endroit, puis rejoint elle-même cet endroit avant que la lumière ne s’éteigne, à moins qu’elle n’aille plus vite que la lumière pour la rejoindre.
[94] La lumière du jour, dans les pays enneigés.
[95] Ce qui suit est une paraphrase du poème d’Empédocle; cela explique le style.
[96] Specialiter : l’excellente traduction anglaise de ce commentaire donne à ce mot le sens de « comme dans un miroir », sans doute avec raison; cela concorde parfaitement avec la discussion qui précède, et quelqu’un a pu faire une erreur parce que specialiter est assez proche de speculum (miroir). L’auteur de cette traduction est Kevin White. Elle se trouve en ligne à https://isidore.co/aquinas/english/SensuSensato.htm#4.
[97] Peut-être parce qu’ils sont plus proches de leur origine.
[98] La traduction anglaise de Kevin White dit que « nous verrions même la nuit », ce qui est tout à fait sensé mais ne semble pas fondé sur le texte latin.
[99] Ou, pourrions-nous dire, virtuel.
[100] Sans doute par inadvertance, saint Thomas prend odorativum en deux sens opposés. Ici c’est l’exhalaison perçue par le sens de l’odorat; quelques lignes plus loin (odorativum, idest organum), le même mot désignera l’organe de l’odorat.
[101] Evaporatio fumalis : expression scolastique classique, traduite à la lettre par évaporation fumeuse par Jules Tricot dans sa traduction des Météorologiques d’Aristote, mais exhalaison est nettement un meilleur choix.
[102] Ce qui est chaud en puissance.
[103] Augmentum sumentes : Kevin White comprend argumentum sumentes, sans doute avec raison.
[104] Une fois et demie.
[105] Une fois et un tiers.
[106] Kevin White traduit « quand elles ne sont pas pures », ce qui est bien plus logique.
[107] Istud : probablement le deuxième des deux modes présentés plus haut.
[108] Le latin a coloribus, mais c’est une erreur.
[109] Kevin White traduit « le pouvoir d’agir ». On ne voit pas ce qu’un ange vient faire dans cette discussion.
[110] Texte obscur; la traduction de Kevin White coupe court ici.
[111] Le texte semble corrompu.
[112] Ponticum saporem : sens d’après Kevin White.
[113] La digestion de l’humidité.
[114] Le même mot acutus veut dire aigu (pour un angle) et aigre ou acide (pour une saveur). Le seul sens d’obtusus qui pourraità la rigueur s’appliquer à une saveur serait « émoussé » (insipide?).
[115] Théophraste
(v. 371-v. 288 av. J.-C.) a été disciple d’Aristote, puis lui a succédé comme
directeur du Lycée. Il est connu surtout pour ses Caractères.
[116] D’ostrakon (écaille, coquille, carapace) et derma (peau). « Qui a la peau couverte de pièces testacées. » (Wiktionnaire)
[117] Ces mots manquent dans le texte latin.
[118] Nitrate de potassium, KNO3, également appelé salpêtre.
[119] Sous-produits solides issus de la fusion, de l’affinage, du traitement ou de la mise en forme des métaux à haute température. (Wikipedia)
[120] Il semble inconnu par ailleurs et ne figure pas dans la liste des poètes grecs dans Wikipedia.
[121] Troisième grand poète tragique grec (v. 480-v. 406 av. J.-C.), après Eschyle et Sophocle, comparable à Racine pour la tragédie française.
[122] J’ajoute ces mots d’après la traduction anglaise.
[123] Erreur du texte latin, qui dit que plus son impression sur l’organe est forte.
[124] « Espèce d’arbustes ou de petits arbres de la famille des Rosacées originaire des régions tempérées du Caucase et d’Iran. » (Wikipedia) Son fruit, appelé coing, est très odorant.
[125] Manque dans le texte latin en ligne; rétabli d’après Kevin White.
[126] Le texte latin est en erreur ; il dit qu’on voit une certaine partie, répétant ainsi la deuxième façon.
[127] Il doit s’agir d’un premier moteur en un sens relatif, et non du Premier Moteur, qui est sans grandeur et n’a pas de parties (Physiques, livre VIII).
[128] Le latin dit « imperceptible », mais le contexte exige le contraire.
[129] Traité de l’âme, livre III, leçon 3, no 10.
[130] Le texte latin dit par erreur que c’est le livre VII. Le livre VI est consacré en entier aux vertus intellectuelles, dont la prudence est la principale.
[131] Cicéron a écrit plusieurs traités à ce sujet, dont aucun n’a ce titre exact.
[132] Ici, le souvenir consiste à rappeler volontairement quelque chose à sa mémoire.
[133] Pas au sens d’une science occulte, mais au sens de prédiction (comme on parle aujourd’hui de prévisions économiques).
[134] Le mot latin astrologus s’applique aussi bien aux astronomes qu’aux adeptes de l’astrologie. Il est évident qu’il a ici le sens scientifique.
[135] Énéide, III, 628-629.
[136] Ce qui est affirmé au paragraphe précédent.
[137] Que l’intellect passif a des espèces intelligibles même quand il ne comprend pas en acte.
[138] Vers l’image mentale conservée.
[139] Nous utiliserons le verbe « se remémorer » quand il s’agit de réminiscence, et « se souvenir » quand il s’agit de l’acte de mémoire.
[140] Antiphéron n’est connu que par cette mention d’Aristote. Oreos est une localité du nord de l’île d’Eubée.
[141] Le patient est ici le contraire de l’agent.
[142] Le moment où l’action qui était présente devient passée.
[143] Nous emploierons le verbe « se ressouvenir » pour désigner la réminiscence, et le verbe « se souvenir » pour désigner la mémoire.
[144] Il faut supposer que saint Thomas voulait dire discat au lieu de dicat, qui n’aurait guère de sens.
[145] Dans ce paragraphe et le suivant, on ne voit guère de rapport entre le texte d’Aristote et le commentaire. Cela est évidemment attribuable à la différence entre le texte de Moerbeke et la traduction française d’Aristote dont nous disposons.
[146] Hoc
potest hoc fit devrait être hoc post hoc fit.
[147] Selon les conceptions de l’époque, les dimensions de l’univers étaient finies, comme on le voit notamment au livre VIII des Physiques. Le double de la grandeur du ciel était donc une grandeur qui ne pouvait pas exister.
[148] Il faudrait lire propositionem au lieu de proportionem. Les propositions d’Euclide sont numérotées.