Analyse.
1. Les vices des vieillards.
2. Que la concorde d'un époux est un très-grand
bien.
3. De l'heureuse influence que peuvent exercer sur leurs maîtres,
les esclaves qui vivent en bons chrétiens.
4 et 5. Excellents avis aux serviteurs. Le saint orateur
leur propose l'exemple du patriarche Joseph.
1. La vieillesse a certains vices que n'à pas la jeunesse, et certains autres qui lui sont communs avec elle. Elle est paresseuse lente, oublieuse, elle a les sens émoussés, elle est colère. C'est pourquoi l'apôtre prescrit aux vieillards d'être sobres et vigilants. Car il y a (421) beaucoup d'obstacles qui entravent leur vigilance dans cet âge avancé , et tout d'abord cette torpeur des sens que je viens d'indiquer et qui fait qu'ils s'éveillent difficilement, qu'ils se mettent difficilement en mouvement ; aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Graves prudents ». Saint Paul parle donc de la prudence, et cette vertu peut être en quelque sorte appelée la sauvegarde de l'âme. Il y a oui il y a même parmi les vieillards des hommes qui se laissent emporter à la fureur et à la démence, les uns à la suite de l'ivresse , les autres à cause de leurs chagrins; car la vieillesse nous apporte la pusillanimité. « Sains en la foi, en la charité et en la patience ». L'apôtre dit très-bien :« Et en la patience ». C'est là en effet une qualité qui convient particulièrement à la vieillesse.
« De même que les femmes âgées règlent leur extérieur d'une manière convenable », c'est-à-dire qu'elles fassent briller leur modestie par la manière dont elles s'habillent. « Ni médisantes, ni sujettes au vin » , c'est là en effet surtout le vice des femmes et des vieillards, car lorsque l'âge nous refroidit, nous aimons passionnément lé vin. C'est pourquoi l'apôtre s'attache surtout à ce point dans les conseils qu'il donne aux femmes âgées, il veut extirper partout l'ivrognerie, leur enlever ce défaut, et écarter d'elles le rire qui les suit lorsqu'elles ont bu. Les vapeurs du vin leur montent plus facilement à la tête, et attaquent très-vite les membranes du cerveau grâce à l'affaiblissement de l'âge : c'est de là surtout que vient l'ivresse. C'est principalement à cet âge qu'il est besoin de vin, car la vieillesse est débile; mais il n'en faut pas beaucoup, et il en est de même pour les jeunes femmes, non par la même raison, mais parce que le vin allume en elles les désirs coupables. « Qu'elles enseignent de bonnes choses » , et cependant l'apôtre leur défend d'enseigner: comment donc le leur permet-il ici lui qui a dit ailleurs : « Je ne permets point à la femme d'enseigner? » Mais écoutez ce qu'il ajoute : « Ni d'user d'autorité sur son mari » . (I Tim. II, 12.) En effet il a déjà autorisé les hommes à enseigner l'un: et l'autre sexe; s'il donne maintenant aux femmes le droit d'enseigner, c'est seulement dans la maison; mais nulle part il ne veut qu'elles occupent la première place et tiennent de longs discours, et c'est pour cette raison qu'il ajoute : « Ni d'user d'autorité sur son mari ». « Qu'elles enseignent la prudente aux jeunes femmes », dit-il.
2. Voyez-vous comment saint Paul met l'union et la concorde dans le peuple? Comment il soumet les jeunes femmes aux. femmes âgées? Car par ces jeunes femmes il n'entend pas seulement leurs filles, mais il parle des droits de la vieillesse. Que toute femme âgée, dit-il, apprenne aux jeunes à être modestes, « à aimer leurs maris », c'est là en effet dans une maison la source de tous les biens. « Que la femme », dit l'Ecriture, « soit en bon accord avec le mari ». (Ecclés. XXV, 2.) S'il en est ainsi, il ne naîtra aucun désagrément. En effet, supposez que la tête vive en bonne intelligence avec le corps, et qu'il n'y ait entre eux aucun dissentiment; tout le reste ne sera-t-il pas en. paix? Lorsque les princes vivent en paix , qui oserait troubler la tranquillité publique ? Mais qu'au contraire ils soient en lutte, rien n'est sans trouble. Il n'y a donc rien de préférable à la concorde des époux, elle est beaucoup plus utile que l'or, la noblesse, la puissance et tous les autres biens. L'apôtre ne, dit pas seulement : Que les femmes vivent en paix, mais: « Qu'elles aiment leurs maris ». Une fois que l'amour unira les époux, aucune difficulté ne s'élèvera entre eux; et tous les autres biens naîtront de cette bonne entente. « A aimer leurs enfants », cela est très-bien dit ! Car celle qui aime l'arbre, aimera bien. plus encore les fruits. « Sages, pures, gardant la maison, bonnes » : tout vient de l'amour, et si les femmes sont bonnes, si elles prennent soin de leur maison, c'est parce qu'elles aiment leurs maris.
« Soumises à leurs maris, afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée » : car celle qui dédaigne son mari, n'a pas soin de sa maison non plus; c'est de l'amour que provient la sagesse, c'est l'amour qui termine tout dissentiment; l'amour persuadera facilement le mari, si c'est un gentil, et le rendra meilleur, si c'est un chrétien. Voyez-vous la condescendance de l'apôtre? Il n'y a rien qu'il ne fasse pour nous arracher aux affaires du monde et le voici maintenant qui prend le plus grand souci du ménage des époux. C'est que si tout est en bon ordre dans la maison, les choses de l'ordre spirituel auront aussi leur place, autrement l'âme elle-même sera ravagée. La femme qui reste chez elle ne peut qu'être sage , la femme qui reste chez elle ne peut qu'être (422) habile à gouverner sa famille; elle ne s'appliquera pas. à vivre dans la mollesse, à dépenser sans motif, ni à faire rien de semblable. « Afin que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée ». Le voyez-vous? il pense à la prédication et non aux choses du siècle. Dans son épître à Timothée il y a ces paroles : « Afin que nous puissions mener une vie paisible et tranquille en toute piété et honnêteté ». (I Tim. II, 2.) Ici, que dit-il? «Afin que la parole de Dieu ne soit point blasphémée ». S'il arrive en effet qu'une chrétienne mariée avec un infidèle ne soit pas vertueuse, il s'élève souvent de là des blasphèmes contre Dieu ; mais si elle a l'ornement de la vertu, la prédication tire gloire et d'elle et de ses bonnes couvres. Qu'elles m'entendent, celles qui sont mariées avec des hommes pervers ou avec des infidèles ; qu'elles m'entendent et qu'elles sachent que par leurs bonnes moeurs elles les mèneront à la piété. Quand vous ne pourriez pas remporter d'autre victoire, quand vous ne pourriez pas les pousser à partager votre foi en nos saints dogmes, du moins vous leur fermerez la bouche, et ne les laisserez pas tourner leurs blasphèmes contre le christianisme. Cela n'est pas un petit résultat, il est immense, puisque par votre conduite vous leur ferez admirer notre religion.
«Exhorte aussi les jeunes gens à être sobres». Voyez-vous comme l'apôtre veut toujours que la bienséance soit observée; tout à l'heure il a confié en grande partie aux femmes l'instruction des femmes, en soumettant les jeunes femmes aux femmes âgées, mais pour l'enseignement des hommes, il le remet à Tite. Car rien , non rien ne peut être plus difficile et plus pénible à cet âge , que de triompher des plaisirs coupables. Ni la passion des richesses, ni le désir de la gloire, ni rien enfin ne troublé autant cet âge que l'amour sensuel. Aussi l'apôtre laisse-t-il de côté tout le reste , pour ne s'attacher qu'à ce seul point dans son exhortation. Il ne néglige cependant pas le reste, car que dit-il? « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes oeuvres en toutes choses ». L'entendez-vous ? Que les femmes âgées, dit-il, enseignent les plus jeunes, mais toi, exhorte les jeunes gens à être tempérants. Que ta vie soit une éclatante leçon, un exemple de vertu, qu'elle soit exposée à tous les yeux, comme un type qui contienne en lui tout ce qu'il y a de beau et qui puisse donner très-facilement le modèle de toutes les qualités à ceux qui voudront se former sur lui : « Montre-toi toi-même pour modèle de bonnes oeuvres en toutes choses, en une doctrine exempte de toute altération, en intégrité, en gravité, en paroles saintes qu'on ne puisse pas condamner, afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus n'ayant rien à dire de nous ».
3. Par « celui qui nous est contraire » , il faut entendre le diable et tous ceux qui le servent. Lorsque notre vie est belle, que nos paroles s'accordent avec nos actions , que nous sommes modérés, doux, bienveillants, et que nous ne donnons aucune prise à nos adversaires, n'avons-nous pas les plus grands biens, des biens ineffables? Quelle n'est donc pas l'utilité du ministère de la parole, je ne dis pas de toute parole, mais d'une parole sainte , irrépréhensible et qui n'offre aucune prise à nos adversaires ! « Que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, leur complaisant en toutes choses ». Mais voyez ce qui a été dit auparavant : « Afin que celui qui nous est contraire soit rendu confus, n'ayant aucun mal à dire de nous». Il est donc blâmable celui qui sous prétexte de continence sépare les femmes de leurs maris, et de la même manière enlève les esclaves à leurs possesseurs. Ce n'est plus avoir une doctrine saine et irréprochable, c'est au contraire donner prise aux infidèles contre nous, c'est exciter contre nous toutes les langues. « Quelles serviteurs » , dit-il, « soient soumis à leurs maîtres, leur complaisent en toutes choses, n'étant point contredisants, ne détournant rien, mais faisant toujours paraître une grande fidélité, afin de rendre honorable en toutes choses la doctrine de Dieu notre Sauveur ». Aussi disait-il avec raison dans un autre passage : « Qu'ils servent comme s'ils servaient le Seigneur et non pas les hommes ». (Ephés. VI, 7.) Je veux que vous serviez votre maître avec amour; cet amour néanmoins vient de la crainte de Dieu, et celui qui, possédé d'une telle crainte, sert fidèlement son maître, recevra les plus grandes récompenses. S'il ne sait ni arrêter sa main, ni contenir sa langue, comment le gentil admirera-t-il notre doctrine ? Si au contraire on voit qu'un esclave, sage en Jésus-Christ, montre plus de force d'âme que les sages du monde, et qu'il sert avec la plus' grandi douceur çans aucun mauvais (423) sentiment, de toute manière il faudra qu'on admire la puissance de la prédication. Car les gentils ne jugent pas de nos dogmes par nos dogmes mêmes, ces dogmes ils les apprécient d'après nos actions et notre conduite. Que les femmes et les enfants soient donc pour eux des docteurs par leur vie et par leurs. moeurs.
Chez eux comme partout on convient que les esclaves sont effrontés, difficiles à former et à conduire, et très-peu propres à recevoir l'enseignement de la vertu : ce n'est point par nature qu'ils sont tels, loin de moi cette idée, c'est par leur genre de vie et la négligence des maîtres. Car ceux-ci ne leur demandent qu'une chose, c'est qu'ils les servent; pour leurs mceurs, si par hasard ils essaient de les corriger, ils le font en vue de leur propre tranquillité, et à cette seule fin qu'ils ne. leur créent point d'embarras en se prostituant , en volant, en s'enivrant. Aussi comme ils sont négligés et qu'ils n'ont personne qui veille sur eux, il arrive qu'ils se jettent dans un abîme de perversité. Parmi les hommes libres, malgré les instances du père, de la mère, du pédagogue, du nourricier, des compagnons d'âge, malgré la voix même de la liberté, c'est à peine s'il en est qui peuvent éviter le commerce des méchants. Qu'adviendra-t-il donc de ceux qui, privés de tous ces secours, mêlés à des compagnons pervertis, et pouvant fréquenter tous ceux qu'il leur plaît, tandis que personne ne se soucie de leur amitié, je lé demande, qu'en adviendra-t-il? C'est pour cela qu'il est difficile qu'un esclave soit homme de bien. Du reste ils ne reçoivent aucun enseignement, ni chrétien, ni profane. Ils ne vivent pas avec des hommes libres , pleins de décence et ayant le plus grand souci de leur réputation. Pour tous ces motifs il est très-rare, il est merveilleux qu'un esclave devienne . jamais bon à quelque chose.
Si donc on voit que la prédication a eu la force d'imposer un frein à des hommes si effrontés, et qu'elle les a rendus plus tempérants et plus doux que tous les autres, leurs maîtres, quand ils seraient les derniers pour l'intelligence, concevront une grande idée de la beauté de nos dogmes. Car il est évident que, la crainte de la résurrection du jugement dernier et des autres châtiments que nous annonçons pour la vie future, a pris racine dans leur âme et en a chassé la perversité qui y était si puissante. C'est ainsi, en effet., que nous opposons au plaisir que procurent les vices une salutaire terreur. Ce n'est pas sans raison, sans motif que les maîtres tiennent partout compté de ces grands effets : plus leurs esclaves ont été pervers, et plus la puissance de la prédication est admirable dans leur conversion. Quand disons-nous qu'un médecin est digne d'admiration? N'est-ce pas quand il ramène à la santé, quand il guérit un malade désespéré, privé de tout secours, n'ayant pas la force de contenir ses passions intempestives , et s'y abandonnant tout entier ? Voyez encore ce que l'apôtre exige des serviteurs , c'est ce qui peut apporter le plus de tranquillité aux maîtres : « Ni contredisants, ni ne détournant rien », c'est-à-dire, qu'ils doivent montrer beaucoup de bon vouloir dans tout ce qu'on leur donné à faire, avoir les meilleurs sentiments à l'égard de leurs maîtres et obéir à leurs ordres.
4. Ne croyez pas qu'en continuant à traiter ce sujet, je marche à l'aventure; car c'est sur les serviteurs que roule tout le reste de mon discours. Ainsi donc, mon ami, ce qu'il te faut penser, c'est que tu sers non pas un homme , mais Dieu , parce que tu es l'ornement de la prédication. De la sorte tu supporteras facilement toutes choses, tu obéiras à ton maître et tu ne te révolteras, point parce qu'il sera mécontent et colère sans un juste motif. Songe en effet que ce n'est pas une grâce que tu lui fais, mais que tu suis le commandement de Dieu, et tu te soumettras facilement à tout. Mais ce que je ne cesse de répéter, je le dirai ici encore : Ayez d'abord les biens spirituels, et vous aurez encore par surcroît les biens terrestres. Car si un esclave se conduit ainsi, s'il a tout ce bon vouloir et toute cette douceur, ce n'est pas seulement Dieu qui l'approuvera et qui lui donnera les plus éclatantes couronnes; mais son maître même, à l'égard duquel il agit si bien, quand ce serait un monstre, quand il aurait un coeur de pierre, quand il serait inhumain et cruel , le louera, l'admirera, le préférera à tous les autres, et, tout gentil qu'il sera, le placera à la tête de ses compagnons. Oui, lors même que les maîtres sont infidèles, il faut que les serviteurs tiennent cette conduite, et, si vous le voulez, je vais vous le, prouver par un exemple.
Joseph a été vendu au chef des cuisiniers, il suivait la religion juive, et non l'égyptienne. Qu'arriva-t-il donc? Lorsque le maître eut (424) reconnu la vertu du jeune homme, il ne fit point attention à la différence de leurs croyances, mais il l'aima, le chérit, l'admira, lui confia, la direction des autres esclaves, au point qu'il ne savait rien par lu !-même de ce qui se passait dans sa propre maison ; Joseph était un second maître, et même il était plus maître que celui qui l'avait acheté, puisque celui-ci ne connaissait pas l'état de ses affaires et que Joseph le connaissait mieux que lui. Lorsque plus tard ce maître crut aux indignes calomnies qu'une femme coupable dirigeait contre lui, il me semble que c'est à cause du respect et de l'estime qu'il avait eus autrefois pour ce juste, qu'il arrêta l'effet de sa colère à la peine de la prison seulement. S'il ne l'avait pas tellement respecté et admiré pour sa conduite d'autrefois, il l'aurait tué aussitôt et lui aurait passé l'épée au travers du corps
« Car la jalousie est une fureur de mari qui n'épargnera point l'adultère au jour de la vengeance » . (Prov. VI, 54.) Si telle est la jalousie dans tout mari, combien plus grande ne devait-elle pas être dans celui-ci, qui était Egyptien, barbare, et qui croyait avoir été blessé dans son honneur par celui qu'il avait élevé en dignité? Vous le savez en effet, toutes les injures qu'on nous fait ne sont pas également cruelles, notre indignation s'élève avec plus d'amertume contre ceux qui d'abord ont eu pour nous de bons sentiments, en qui nous avons eu confiance, qui nous ont été fidèles et qui ont reçu de nombreux bienfaits de nous. Le maître de Joseph ne s'est pas dit en lui-même : Quoi donc? Voilà un esclave que j'ai accueilli ; je lui ai confié toute ma maison, je lui ai donné sa liberté, je l'ai fait plus grand que moi, et c'est ainsi qu'il me répond ! Il ne s'est rien dit de tout cela, tant il était encore tenu par la considération qu'il avait eue pour lui.
Qu'y a-t-il d'étonnant qu'ayant été si honoré dans cette maison il ait inspiré tant d'intérêt même dans les fers? Vous savez combien sont ordinairement cruels les gardiens des prisons. Ils prélèvent un tribut sur les malheurs d'autrui, et les infortunés que d'autres prendraient soin de nourrir, ils les déchirent pour faire des gains dignes de bien des larmes, avec plus de cruauté que des bêtes féroces. Dans les maux qui devraient émouvoir leur pitié, ils ne voient qu'une occasion de gagner dé l'argent. Ce n'est pas tout. Ils n'ont pas la même conduite envers tous ceux qui sont jetés en prison. Car pour ceux qui ont été les victimes de la calomnie, qui n'ont été que diffamés et qu'on a emprisonnés pour cela, il peut leur arriver d'en avoir ensuite pitié. Mais ceux qui ont été jetés dans les fers pour les forfaits les plus odieux, les plus révoltants, ils les déchirent de mille coups. Ainsi ils ne sont pas seulement cruels par nature, ils le sont encore d'après les motifs qui ont fait mettre en prison un infortuné. Qui en effet cet adolescent n'aurait-il pas excité contre lui, lorsqu'après avoir été élevé à une telle dignité, il était soupçonné d'avoir tenté de violer sa maîtresse et d'avoir. répondu ainsi à tant de bienfaits? En s'arrêtant à ces pensées, en voyant les anciens honneurs dont il avait été précipité et les raisons pour lesquelles il avait été jeté dans les fers, le gardien de la prison ne devait-il pas s'attaquer à Joseph avec plus de férocité qu'une bête sauvage ? Mais son espoir en Dieu triompha de tout : c'est ainsi que la vertu sait apaiser les monstres eux-mêmes. La même douceur qui lui avait servi à s'emparer de l'esprit de son maître, lui servit à s'emparer de l'esprit de son gardien. De nouveau, Joseph avait le pouvoir, et il commandait dans la prison comme il avait fait dans le palais. Comme il devait régner, c'est avec raison qu'il a d'abord appris à obéir : même lorsqu'il était esclave il donnait des ordres et il gouvernait la maison de son maître.
5. Écoutez ce que saint Paul exige de celui qu'on prépose au gouvernement de l'Église, il dit : « Si quelqu'un ne sait pas conduire sa propre maison, comment pourrait-il gouverner l'Église de Dieu? » (I Tim. III, 5.) Il était bon que celui que Dieu allait élever au gouvernement d'un grand empire, se signalât d'abord par la conduite d'une maison, et ensuite d'une prison que Joseph gouverna, non comme une prison, mais comme une maison. Il consolait toutes les afflictions, et dans son autorité sur les prisonniers il agissait comme s'il se fût agi de ses propres membres. Il ne se contentait pas de tout faire pour les relever lorsqu'ils étaient abattus par les malheurs, mais s'il voyait quelqu'un absorbé dans ses réflexions, il s'approchait pour lui en demander la cause, car il ne pouvait pas voir un homme triste sans essayer aussitôt de le délivrer de sa tristesse : personne n'est si sensible même à l'égard d'un fils. C'est par là qu'a (425) commencé sa fortune. Il faut en effet faire d'abord ce que nous pouvons, Dieu agit ensuite. Quant à là compassion et à la sollicitude dont il a fait preuve, en voici un exemple : Il vit, dit l'Ecriture, les eunuques mis dans les fers par Pharaon, c'étaient le grand échanson et le grand panetier. « Pourquoi », leur demanda-t-il,« vos visages sont-ils tristes? » (Gen. XL,7.) Leur conduite à son égard non moins que ses paroles, prouve sa vertu. Ils ne l'ont ni méprisé parce qu'ils étaient serviteurs du roi, ni repoussé parce qu'ils étaient tristes et affligés , mais ils lui ont raconté toute leur histoire comme à un véritable frère qui savait compatir à toutes les souffrances. Si je suis entré dans ces développements, c'est pour montrer que l'homme vertueux, quand il serait esclave, quand il serait prisonnier, quand il serait dans les fers, quand il serait sous la terre , ne trouvera jamais rien qui puisse triompher de lui.
Voilà ce que j'avais à dire aux esclaves, pourquoi? Parce que, eussent-ils pour maître une bête sauvage comme l'Egyptien, féroce comme le gardien d'une prison, il leur sera cependant possible dé les fléchir. Quand leurs maîtres seraient des gentils comme ceux-ci, ils trouveront toujours le moyen de les adoucir. C'est qu'il n'y a rien de plus avenant que les bonnes moeurs, rien de plus agréable et de plus doux qu'un caractère facile, obéissant et ami des convenances: quand on a ces qualités on plaît à tout le monde; quand on a ces qualités, on ne rougit ni de l'esclave ni de la pauvreté, ni de l'impuissance, ni de la maladie; car la vertu triomphe de tout, est supérieure à tout. Que si les esclaves ont ainsi tant de force, combien plus encore n'en auront pas les hommes libres l Appliquons-nous donc à mener une telle vie que nous soyons libres ou esclaves, hommes ou femmes. Par là nous serons aimés de Dieu et des hommes, non des hommes vertueux seulement, mais encore des méchants, et de ceux-ci surtout ; car ce sont ceux-ci qui honorent et respectent Le plus la vertu. Les esclaves ne tremblent-ils pas davantage sous des maîtres modérés ? Il en est de même des méchants à l'égard des bons, car ils voient de quels biens ils se privent eux-mêmes. Puis donc que la vertu offre de si grands avantages, suivons-la. Si nous l'acquérons, nous ne trouverons plus rien de pénible, tout nous sera facile, tout nous sera léger. Quand nous devrions passer soit au milieu des flammes, soit au milieu des flots, tout cédera à la vertu, jusqu'à là mort elle-même. Qu'elle excite donc notre émulation et nos efforts pour que nous obtenions les récompenses futures en Jésus-Christ Notre-Seigneur.