Analyse.
1. Travaux auxquels se livraient les apôtres. Devoirs des
pasteurs.
2. Portrait de l'évêque tel que le veut saint Paul. Que
saint Paul a eu plus de pouvoir que Platon et tous
les philosophes.
3. Combien est difficile le mépris des honneurs.
4. Ce n'est pas l'honneur et la gloire de ce monde que l'on doit
rechercher.
1. Toute la vie des anciens était en action et en lutte; il n'en est pas de même de la nôtre, elle est pleine de négligence. Ceux-là savaient qu'ils avaient été mis au monde pour travailler en se conformant à la volonté du Créateur; niais nous, il semble que :nous soyons nés pour manger, boire et vivre dans la mollesse, tant nous faisons peu de cas des choses spirituelles ! Je ne parle pas des apôtres seulement, mais encore de ceux qui sont venus après eux. Voyez-les donc parcourir tous les pays, et, se livrant tout entiers à cette occupation, vivre toujours sur la, terre, étrangère : on croirait qu'ils n'avaient pas de patrie sur la terre.
Ecoutez ce que dit le bienheureux Paul : « La raison pour laquelle je t'ai laissé en Crète » : il semble que se distribuant le monde tout entier, comme ils eussent fait pour une seule maison, ils administraient ainsi toutes choses et étendaient leur vigilance à tous les lieux, l'un se chargeant de telle région et l'autre de telle autre. « La raison pour laquelle je t'ai laissé en Crète, c'est afin que tu mettes en bon ordre les choses qui restent à régler ». Il ne prend pas un ton de commandement, : « Afin que tu mettes en bon ordre », dit-il. Voyez-vous comme il a l'âme pure de toute jalousie, comme il recherche partout l'intérêt de ses disciples , comme il ne se demande pas si c'est lui ou un autre qui gouvernera? Là où il y avait le plus de dangers et de difficultés il allait en personne mettre les choses en ordre. Mais ce qui rapportait plus de gloire sans mériter autant d'éloges, il le confie à son disciple, j'entends par là l'ordination des évêques et toutes les autres choses qui avaient besoin d'être redressées, ou plutôt, pourrait-on dire, qui avaient besoin d'une plus grande perfection. Que dis-tu, je t'en prie? Il mettra en bon ordre ce qui t'est soumis, et tu ne regardes pas cela comme une honte ni comme un déshonneur pour toi ? Pas le moins du monde, car je ne pense qu'à l'intérêt de l'Eglise; et que ce soit par moi ou par un autre que tout aille bien, peu m'importe. Tels doivent être les sentiments d'un bon pasteur, il ne doit pas rechercher sa propre gloire, mais l'utilité de tous. « Et que tu établisses des prêtres de ville en ville», cela veut dire des évêques, comme nous l'avons expliqué ailleurs. « Suivant que je t'ai ordonné, ne choisissant aucun homme qui ne soit irrépréhensible ». « De ville en ville », dit-il, car il ne voulait pas que toute l'île fût à la charge d'un seul, mais chacun devait avoir sa part de soucis et d'inquiétudes. En effet, la fatigue serait moins grande et les fidèles seraient gouvernés avec plus de sollicitude du moment qu'un seul maître ne se contenterait pas de parcourir un grand nombre d'églises, mais que chacune d'elles serait confiée à un évêque et embellie par ses soins.
« Ne choisissant aucun homme qui ne soit irrépréhensible, mari d'une seule femme, et dont les enfants soient fidèles, et qui ne soient pas accusés de dissolution, ni désobéissants». Pourquoi nous offre-t-il ce portrait? Il ferme la bouche aux hérétiques qui condamnent le mariage, en montrant que l'union des époux n'est point blâmable, et qu'elle est au contraire si honorable qu'un homme marié peut monter sur le siège épiscopal. Mais (412) en même temps il flétrit les incontinents en ne leur permettant pas d'obtenir cette dignité après un second mariage. Car comment l'homme qui n'a gardé aucun amour pour la femme qu'il a perdue , pourra-t-il être un bon pasteur de l'église? Quels reproches ne l'atteindront pas ? Vous savez tous en effet, vous savez qu'un mariage en secondes noces, bien qu'il ne soit pas interdit parles lois, offre pourtant matière à de nombreuses accusations. Ainsi il ne veut point qu'un pasteur se présente devant les fidèles avec une seule tache. C'est pourquoi il dit : « Aucun homme « quine soit irrépréhensible ». C'est-à-dire dont la vie soit pure de toute faute et qui n'offre aucune prise à celui qui voudra l'examiner. Ecoutez les paroles de Jésus-Christ : « Si la lumière qui est en toi n'est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres mêmes ». (Matth. VI, 23.) . « Dont les enfants soient fidèles et qui ne soient pas accusés de dissolution, ni désobéissants». Considérons comme il porte sa sage prévoyance jusque sur les enfants. En effet, comment celui qui n'a pu former ses enfants, formerait-il les autres? Si ceux qu'il a eus dès leurs premiers jours avec lui, qu'il a nourris, et sur lesquels la loi et la nature lui donnent autorité, il n'a pas pu les instruire, comment pourra-t-il être utile aux autres? Si le père n'avait pas eu la plus grande négligence, il n'aurait pas souffert que ceux qui étaient sous son autorité devinssent méchants. Il n'est pas possible, non il n'est pas possible qu'après avoir été élevé dès les premières années avec la plus grande sollicitude, qu'après avoir été entouré des plus grands soins , on devienne pervers : car il n'y a pas de défauts naturels que ne puisse vaincre une telle diligence. Si, ne plaçant qu'en seconde ligne l'éducation de ses enfants, un père s'applique à acquérir des richesses et a plus d'amour pour elles que pour sa famille, c'est un homme indigne. Car si malgré la loi de la nature il a eu tant d'insensibilité ou de démence qu'il s'est montré plus inquiet pour ses biens que pour ses enfants , comment pourrait-il monter sur le trône épiscopal et mériter une telle dignité? S'il n'a pas pu corriger ses enfants, quelle insouciance ne peut-on pas lui reprocher? S'il ne s'en est pas occupé, quelle insensibilité ne petit-on point blâmer en lui ? Comment donc celui qui n'a pas pris soin de ses enfants, prendra-t-il soin des étrangers?
Et l'apôtre ne dit pas seulement que les fils de l'évêque ne doivent pas être dissolus, mais il ne veut pas même qu'on puisse les accuser de l'être ni qu'ils aient une mauvaise réputation. « Car il faut que l'évêque soit irrépréhensible, comme étant dispensateur dans la maison de Dieu, non superbe, non colère, non sujet au vin, non batteur (7) ».
2. Un prince séculier, qui commande par la loi et par la contrainte, ne gouverne pas souvent d'après les désirs de ceux qui lui sont soumis, et c'est naturel. Mais un évêque qui doit son autorité à des gens qui la lui ont accordée de leur plein gré et qui lui sont reconnaissants de l'avoir acceptée, s'il se conduit de telle sorte qu'il ne fasse rien que par ses propres idées, sans rendre aucun compte à personne, il exerce bien plutôt un pouvoir tyrannique qu'une magistrature populaire. « Car il faut», dit l'apôtre, « que l'évêque soit irrépréhensible, comme étant dispensateur dans la maison de Dieu, non attaché à son sens propre, non colère ». Comment en effet apprendra-t-il aux autres à vaincre un vice qu'il n'a pas pu s'apprendre à détruire en lui ? Sa charge le fera entrer dans nombre de difficultés qui aigriraient et mettraient hors de lui un homme plus patient: elle lui donnera mille occasions de céder à la colère. S'il n'y est pas préparé d'avance, on ne pourra pas le souffrir, et le plus souvent dans, l'exercice de son ministère il portera le trouble et la ruine partout. « Non porté au vin, non batteur ». II parle ici de l'évêque qui injurie: or il faut plutôt agir par l'exhortation que par le reproche, mais par l'injure, jamais. Car, dites-moi, quelle nécessité y a-t-il d'injurier? Il faut effrayer par la menace de l'enfer et inspirer une grande terreur. Mais celui qu'on injurie, prend plus d'audace encore et méprise davantage celui qui le traite ainsi. Rien ne porte au mépris comme l'injure: elle déshonore celui qui s'en rend coupable, et ne lui permet pas d'inspirer le respect. Il faut que l'évêque parle avec une grande piété, qu'il rappelle les pécheurs à la pensée du jugement dernier, et que jamais l'injure ne le souille, S'il y en a qui l'empêchent de remplir son ministère, alors il doit agir avec toute son autorité. « Non batteur », dit-il. Le maître est le médecin des âmes, or le médecin ne frappe point, il ranime et guérit celui qui a été frappé.
« Non porté à un gain honteux, mais hospitalier, aimant les gens de bien, sage, juste, (413) saint, continent, retenant fortement la parole de la vérité comme elle lui a été enseignée (8, 9) ». Voyez-vous quelle haute vertu il requiert? « Non porté à un gain déshonnête », c'est-à-dire montrant un grand mépris pour les richesses. « Hospitalier, aimant les gens de bien, sage, juste, saint» : il fait entendre qu'il doit abandonner tout son bien à ceux qui ont besoin. « Continent » : il n'entend point par là celui qui se livre au jeûne, mais celui qui réprime les désirs coupables de sa langue, de sa main, de ses yeux. Car la continence consiste à ne se laisser entraîner par aucun vice. « Retenant fortement la parole fidèle de la vérité, comme elle lui a été enseignée ». Par « fidèle » il veut dire vrai ou qui nous a été transmis par la foi, qui n'a besoin ni de raisonnements ni de recherches. « Retenant fortement ». C'est- à- dire, prenant d'elle un soin inquiet, faisant d'elle toute son occupation. Mais quoi, s'il n'a aucune culture profane? C'est pour cela qu'il dit : «La parole comme elle lui a été enseignée. Afin qu'il soit capable d'exhorter et de convaincre les contradicteurs » ; il n'est donc pas besoin de l'éclat des expressions, ce qu'il faut c'est l'intelligence, cest la connaissance des Ecritures , c'est la force des pensées.
Ne voyez-vous pas que saint Paul qui a converti le monde, a eu plus de pouvoir que Platon et que tous les autres ensemble? Mais c'est par les miracles, direz-vous? Ce n'est point par les miracles seuls, car si vous parcourez les Actes des apôtres, vous le verrez en beaucoup d'endroits remporter la victoire même avant tout miracle. « Afin qu'il soit capable d'exhorter par la saine doctrine », c'est-à-dire pour protéger les fidèles et pour renverser les ennemis. « Et de convaincre les contradicteurs », c'est qu'en effet sans cela il n'y a rien. Car celui qui ne sait pas combattre un adversaire, asservir toute intelligence à l'obéissance de Jésus-Christ, et faire tomber les faux raisonnements; celui qui ne sait pas enseigner la vraie doctrine, que celui-là s'éloigne du trône apostolique. Les autres qualités requises on les trouvera dans les fidèles, comme d'être irrépréhensible, d'avoir des enfants obéissants, d'être hospitalier, juste, saint : mais ce qui est surtout le propre du docteur, c'est qu'il puisse instruire par sa parole ; cependant c'est ce dont on ne prend aucun souci aujourd'hui.
« Car il yen a plusieurs qui ne veulent point se soumettre, vains discoureurs et séducteurs d'esprits, principalement ceux qui sont de la circoncision (10), auxquels il faut fermer la bouche ». Voyez- vous comme il montre la cause de leur perversité ? C'est qu'ils voudraient commander au lieu d'être commandés, car c'est là ce que l'apôtre a fait entendre. Si donc tu ne peux pas les persuader, ne leur donne pas les saints ordres , mais impose-leur silence dans l'intérêt des autres. De quelle utilité seraient-ils , s'ils n'obéissent pas, que dis-je, s'ils sont insoumis ? Mais pourquoi leur fermer la bouche? C'est qu'il y va de l'intérêt des autres.
« Et qui renversent les maisons tout. entières, enseignant pour un gain déshonnête des choses qu'on ne doit point enseigner (11)». Si celui qui a reçu mission d'enseigner , n'est pas capable de les combattre et de leur imposer silence lorsqu'ils se conduisent si effrontément, il deviendra lui-même cause de la perdition de tous ceux qui périront. Car si l'on nous exhorte par ces paroles . « Ne cherche pas à devenir juge, si tu ne peux détruire l'injustice » (Ecclés. VII, 6), on pourrait dire ici avec bien plus de raison encore : Ne cherche pas à devenir évêque , si tu n'es pas capable d'une telle dignité; au contraire, si l'on te forçait à l'être, refuse. Voyez-vous comme partout c'est l'amour de l'argent et le désir d'un gain déshonnête qui est le principe de tous les désordres? « Ils enseignent pour un gain déshonnête des choses qu'on ne doit point enseigner ».
3. Il n'y a rien que ces vices n'ébranlent, car de même qu'un vent violent, lorsqu'il s'abat sur une mer calme, la trouble jusque dans ses profondeurs, au point que les flots charient le sable, de même ceux-ci, une fois entrés dans l'âme, ta bouleversent de fond en comble, l'aveuglent et lui enlèvent sa clairvoyance. Cela est surtout vrai du fol amour de la gloire. Pour les richesses il est facile à qui le veut de les mépriser, mais dédaigner un honneur qui nous est accordé par un grand nombre d'hommes, voilà qui exige un grand courage, une grande philosophie, une âme angélique et qui s'élève jusqu'au sommet du ciel. Il n'y a pas, non il n'y a pas un seul vice qui ait une puissance aussi tyrannique, et qui règne ainsi partout. Car il règne partout, ici plus, là moins, mais partout cependant. Comment pourrons-nous donc le vaincre, sinon tout à fait, au (414) moins en partie? Ce sera en nous tournant vers le ciel, en ayant l'image de la Divinité sous les yeux, en élevant notre pensée au-dessus des choses de la terre. Toutes les fois que vous vous sentirez tenté du désir de la gloire, pensez que vous l'avez acquise, considérez à quoi elle se termine enfin , et comprenez qu'elle n'est rien. Voyez quels maux elle traîne après elle et de quels biens elle nous prive. Vous supporterez les fatigues , vous affronterez les dangers, mais le prix de vos efforts, mais la récompense vous échappera. Songez que la plupart des hommes sont méchants, et méprisez leur gloire. Car prenez-les un à un, voyez quels ils sont, vous trouverez que les honneurs sont ridicules, et qu'ils sont moins une gloire qu'une honte : ensuite élevez votre pensée vers le trône de Dieu. Lorsque vous aurez fait une bonne action, si vous pensez que vous devez la montrer aux hommes, si vous recherchez des spectateurs pour qu'elle soit vue, songez que Dieu la voit, et réprimez tous ces désirs. Eloignez votre pensée de la terre pour la porter vers le céleste séjour.
Si les hommes vous louent, plus tard ils vous blâmeront, ils vous porteront envie , ils vous déchireront ; supposons qu'il n'en soit rien, du moins leurs éloges ne vous rapporteront aucun avantage. En Dieu rien de semblable : il aime à nous louer de nos bonnes couvres. Vous avez bien parlé et vous avez été applaudi : quel profit en retirez-vous? Si vous avez été utile à ceux qui vous applaudissent, si vous les avez convertis, si vous les avez rendus meilleurs, si vous les avez guéris de leurs plaies, il faut vous réjouir assurément non pas des éloges qu'ils vous donnent, mais d'une conversion si belle et si merveilleuse. Mais si malgré leurs louanges continuelles et le tumulte de leurs battements de mains, ils ne retirent aucun fruit de ce qu'ils louent, il faut plutôt gémir sur leur sort, en voyant que leurs applaudissements seront leur condamnation. Du moins votre piété sera-t-elle une gloire pour vous ? Si vous êtes pieux et que vous n'ayez conscience d'aucune faute, vous devez être content non point de paraître ce que vous êtes, mais d'être ce que vous paraissez. Que si, sans être pieux, vous êtes honoré par les hommes, songez que vous ne les aurez pas pour juges au dernier jour, mais gîte Celui qui vous jugera connaît les ténèbres et leurs mystères. Oui, si, lorsque vous avez conscience de vos fautes, vous paraissez pur à tous les yeux, non-seulement il ne faut pas vous réjouir, mais bien plutôt devez-vous pleurer et pleurer amèrement sur vous-même, en pensant à ce jour où tout sera révélé, où les ténèbres montreront leurs secrets à la lumière. Vous possédez de la gloire? dépouillez-vous-en, dans la conviction qu'il vous faudra payer ces hommes. Personne ne vous honore? Et bien, vous devez même vous en réjouir: car Dieu n'ajoutera pas un nouveau reproche à tous ceux qu'il vous fera, il ne pourra pas vous blâmer d'avoir joui de la gloire. Ne voyez-vous pas en effet que l'Éternel, dans l'énumération de tant de bienfaits méconnus, met encore ceci en ligne de compte ? « J'ai », dit-il par la bouche d'Amos, « suscité quelques-uns d'entrevous pour être prophètes, et quelques-uns d'entre vos jeunes gens pour être nazaréens ». (Amos, II, 11.) Ainsi, pour tout le moins vous aurez cet avantage, que vous ne serez pas exposé à de plus grands supplices. Car n'êtes-vous pas honoré en cette vie ? êtes-vous méprisé? ne fait-on de vous aucun cas? que dis-je ! êtes-vous insulté et outragé ? ce dédommagement vous reste; qu'on ne vous demandera pas compte des honneurs que vous auront accordés vos compagnons d'esclavage. Mais vous retirez de là bien d'autres avantages : rabaissé et humilié comme vous l'êtes, vous ne pouvez pas, quand même vous le voudriez, céder à l'orgueil, lorsque vous portez votre attention sur vous-même. Pour celui au contraire qui jouit de grands honneurs, outre qu'il aura de terribles dettes à solder, il se laisse aller à l'arrogance et à la vaine gloire, et il se fait l'esclave des hommes. De plus, à mesure que sa puissance s'étend, il est obligé de faire beaucoup de, choses qui lui déplaisent.
4. Convaincus qu'il est préférable pour nous d'agir ainsi, ne recherchons pas les dignilés, et si on nous les offre, rejetons-les, faisons effort pour nous en éloigner, et étouffons nos désirs ambitieux. Je le dis à ceux qui gouvernent comme à ceux qui sont gouvernés. Car l'âme qui désire les honneurs et la réputation , ne verra pas le royaume des cieux. Ce n'est pas moi qui le dis, ce ne sont point mes paroles, ce sont celles du Saint-Esprit; elle ne le verra pas; quand même elle aurait pratiqué la vertu. Car, dit l'Écriture, « ils ont reçu leur récompense ». (Match. VI, 5.) Mais (415) pour celui qui n'a pas eu sa récompense, comment ne verrait-il pas le royaume des cieux ? Je ne défends pas qu'on recherche la gloire, mais je veux que ce soit la vraie gloire, celle qui vient de Dieu: « Sa gloire », dit l'apôtre, « n'est pas des hommes, mais de Dieu ». (Rom. II, 29.) Soyons pieux loin des regards, sans faste, sans appareil, sans hypocrisie. Au loin la toison de la brebis ! Efforçons-nous plutôt d'être des brebis véritables. Il n'y a rien de plus vil que la gloire humaine. Car, dites-moi, si vous voyiez une multitude d'enfants encore à la mamelle, désireriez-vous leurs louanges? Vous devez avoir ces sentiments à l'égard de tous les hommes pour ce qui concerne les honneurs ; et voilà pourquoi on les appelle une vaine gloire. Voyez les masques que les comédiens portent sur la scène : comme ils sont beaux et brillants ! comme on les a façonnés avec le dernier soin pour. leur donner la perfection de la forme ! Pourriez-vous dans la vie réelle me montrer tant de beauté? Non sans doute. Mais quoi? votre amour se porte-t-il sur quelque chose de semblable ? Non, dites-vous. Pourquoi ? Parce que ces masques sont vains, et qu'ils imitent, sans l'avoir, la vraie beauté.
Il en est de même de la gloire, et cette beauté qu'elle imite, elle ne l'a pas. Seule la vraie gloire subsiste, c'est celle qui est dans le fond de notre nature. Mais pour celle qui brille au dehors, elle cache souvent la laideur, elle la cache, dis-je, dans les hommes, et souvent jusqu'au soir. Mais détruisez le théâtre, arrachez les masques, et chacun paraît ce qu'il est. N'allons donc pas chercher la vérité polir ainsi dire sur la scène et dans l'hypocrisie. Dites-moi en effet ce qu'il y a d'utile à être vu de la multitude? C'est une vaine gloire et. rien .de plus; car rentrez chez vous, et trouvez-vous seul, la voilà tout entière évanouie aussitôt. Vous vous êtes montré dans l'agora, et tous les regards se sont tournés vers vous : eh bien, et après? Il n'y a plus rien, elle s'est éclipsée, elle a fui comme la fumée, qui se dissipe. Pouvons-nous aimer ainsi l'instabilité même? Quelle démence ! quelle folie ! ne pensant qu'à une chose, demandons-nous seulement quelles louanges nous donnera Dieu. Si c'est là ce qui fixé notre attention, jamais nous ne rechercherons les honneurs qui viennent des hommes; et, s'ils viennent d'eux-mêmes à nous, nous les dédaignerons, nous nous en moquerons, nous les mépriserons ; et quand nous trouverons un lingot d'or, nous aurons les sentiments que nous éprouverions devant de la boue. Que personne donc ne vous loue, car cela ne vous servira de rien, et s'il vous blâme, cela ne saurait vous nuire. A la louange qui vous viendra de Dieu sera jointe une récompense, et à son blâme un châtiment : mais de la part des hommes, blâme et louange, tout est vain.
C'est même en cela que nous sommes égaux à Dieu, car Dieu n'a pas besoin des louanges des hommes: « Je ne tire point ma gloire des hommes », dit-il. (Jean, V, 41.) Est-ce là peu de chose, dites-moi ? Lorsque vous ne pourrez pas arriver à mépriser la gloire, dites-vous qu'en la méprisant vous serez égaux à Dieu et aussitôt vous la mépriserez. Il n'est pas possible que celui qui est esclave de l'honneur, ne le soit pas de toutes choses, il est même plus esclave que les esclaves eux-mêmes. Car nous ne faisons pas faire à nos esclaves tout ce que la gloire exige de ceux qu'elle tient sous ses lois. Elle nous force â dire et à souffrir des choses honteuses, pleines de déshonneur; et c'est surtout lorsqu'elle voit qu'on lui obéit, qu'elle se montre plus tyrannique dans ses ordres. Fuyons donc, fuyons, je vous en prie, cette servitude. Mais, dira-t-on, comment le pourrons-nous ? Si nous avons de sages pensées sur ce monde, si nous le regardons comme un rêvé et une ombre, et rien de plus, nous en viendrons facilement à bout, et nous ne nous laisserons prendre par la gloire ni dans les petites, ni dans les grandes choses. Mais si nous ne la méprisons pas dans les petites, nous succomberons facilement dans les grandes. Ecartons donc loin de nous les sources de cette funeste passion, je veux dire la sottise et la bassesse de l'âme. Si nous prenons des sentiments sublimes, nous pourrons mépriser la gloire qui vient de la multitude, élever notre pensée vers le ciel, et gagner les récompenses éternelles. Puissions-nous les, obtenir tous parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage avec le Père et le Saint-Esprit la gloire, la puissance et l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.