TITE I

HOMÉLIE PREMIÈRE. PAUL, SERVITEUR DE DIEU ET APOTRE DE JÉSUS-CHRIST, SELON LA FOI DES ÉLUS DE DIEU ET LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ QUI EST SELON LA PIÉTÉ; SOUS L'ESPÉRANCE DE LA VIE ÉTERNELLE QUE DIEU, QUI NE PEUT MENTIR, AVAIT PROMISE AVANT TOUS LES TEMPS, MAIS QU'IL A MANIFESTÉE EN SON TEMPS PROPRE (SAVOIR) SA PAROLE DANS LA PRÉDICATION QUI M'EST COMMISE PAR LE COMMANDEMENT DE DIEU NOTRE SAUVEUR : A TITE MON VRAI FILS SELON LA FOI QUI NOUS EST COMMUNE, GRACE, MISÉRICORDE ET PAIS DE LA PART DE DIEU ET DE LA PART DE JÉSUS-CHRIST NOTRE SAUVEUR. (I, 1-4.)

 

Analyse.

 

1. Différents caractères de l'épître à Tite : qu'il y est souvent question de la grâce de Dieu.

2. Que la prédication doit être accomplie avec confiance. — Ce que c'est qu'un vrai fils dans l'ordre de la grâce.

3. De la difficulté de la :charge pastorale. — Malheur à ceux qui élèvent à cette dignité des personnes qui en sont indignes.

4. Que les pasteurs sont en butte à la médisance des peuples, quelques mesures qu'ils prennent pour défendre. Un pasteur peut avoir un soin raisonnable de sa santé.

 

1. Tite était l'un des plus distingués des compagnons de saint Paul ; s'il n'en avait pas été ainsi, l'apôtre ne lui aurait pas confié une île tout entière; il ne lui aurait pas prescrit de mettre en bon ordre les choses qui restaient à, régler, car il dit: « Afin que tu mettes en bon ordre ce qui reste » ; il n'aurait pas soumis à son jugement tant d'évêques, s'il n'avait pas eu en lui la plus grande confiance. On dit que c'était un jeune homme, parce que saint Paul l'appelle son fils, mais la raison n'est pas convaincante. Je crois que c'est de lui qu'il est fait mention dans les Actes des apôtres. Il était probablement de Corinthe, à moins qu'il n'y en ait eu un antre du même nom. De plus l'apôtre appelle à lui Zénas et il désire qu'Apollon lui soit envoyé, et non celui-ci; car il témoignait qu'ils auraient plus de courage en présence de l'empereur. Il me semble que saint Paul était en liberté, lorsqu'il écrivit cette épître. Car il ne parle pas de ses persécutions, et sans cesse il revient sur la grâce de Dieu; on peut le voir à la fin comme au commencement,'et c'est là une exhortation à la vertu toute-puissante sur l'esprit de ceux qui croient. N'était-ce pas un grand encouragement pour eux, que de savoir ce qu'ils méritaient, à quel état ils avaient été élevés par grâce, à quelle dignité ils étaient appelés? Il s'élève aussi contre les juifs; et s'il s'emporte (406) contre la nation tout entière, ne vous en étonnez point. Il ne s'y prend pas autrement, lorsqu'il s'agit des Galates. Ne s'écrie-t-il pas « O Galates insensés ! » Ce ne sont point là les paroles d'une haine injurieuse , mais celles d'un amour ardent. S'il avait agi ainsi dans son intérêt,. il serait justement blâmable, mais si c'est par ardeur et par zèle pour la prédication, il n'y a point d'injure. Le Christ lui-même a fait mille reproches aux scribes et aux pharisiens, mais était-ce par un motif intéressé non, c'est parce qu'ils perdaient tous les autres. — L'épître est courte, et ce n'est pas sans raison. Par là un hommage est rendu à la. vertu de Tite qui nous est représenté comme n'ayant pas besoin de longs discours, mais d'un simple avertissement. Il me semble qu'elle a été écrite avant l'épître à Timothée il a fait celle-ci vers la fin de sa vie, lorsqu'il était dans les fers; mais au moment où il a composé l'épître à Tite il n'était ni emprisonné, ni enchaîné, car ces mots : « J'ai résolu de passer l'hiver à Nicopolis », prouvent qu'il n'était pas encore dans les liens; dans son épître à Timothée au contraire il dit souvent qu'il est enchaîné.

Que dit-il donc? «.Paul, serviteur de Dieu et apôtre de Jésus-Christ, selon la foi des élus de Dieu ». Voyez-vous comme il se sert indifféremment de ces expressions? il s'appelle tantôt serviteur de Dieu et apôtre de Jésus-Christ, tantôt serviteur de Jésus-Christ: «Paul, serviteur de Jésus-Christ ». Ainsi il n'établit aucune différence entre le Père et le Fils. « Selon la foi des élus de Dieu ». Veut-il dire qu'il avait la foi, ou .qu'on avait foi en lui ? Je crois qu'il veut dire que les élus lui ont été confiés; comme s'il disait: Je ne dois pas ma dignité à mes mérites, à mes fatigues et à mes sueurs, mais je dois tout à la bonté de Dieu, qui a mis en moi sa confiance. Ensuite, pour qu'on n'aille pas croire que la grâce se communique sans raison , puisqu'il faut que l'homme y corresponde, et que ce n'était pas sans raison que Paul avait été préféré à d'autres, il ajoute : « Et la connaissance de la vérité qui est selon la piété ». C'est parce qu'il avait cette connaissance de la, vérité que les élus lui ont été confiés. Mais alors ils lui ont été confiés à bien plus forte raison par la grâce de Dieu, puisque c'est Dieu qui lui a donné cette connaissance. Aussi écoutez Jésus-Christ lui-même: « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis ». (Jean, XV, 16.) De même le bienheureux apôtre saint Paul dit dans un autre endroit : « Je connaîtrai selon que j'ai été aussi connu » ( I Cor. XIII, 12) ; et ailleurs : « Si je puis comprendre de même que j'ai été compris par « Jésus-Christ ». (Philip. III, 12.) Ainsi, d'abord nous sommes compris, ensuite `nous connaissons ; d'abord nous sommes connus, et ensuite nous comprenons ; d'abord nous sommes appelés, et- ensuite nous obéissons. Lorsqu'il dit: « Selon la foi », il fait entendre qu'il n'est rien que par les élus. C'est comme s'il disait: C'est pour eux que je suis apôtre, je ne le suis pas pour mes mérites, mais pour l'intérêt des élus. C'est ce qu'il dit ailleurs: « Toutes choses sont à vous, soit Paul, soit Apollon ». (1 Cor. III, 22.)

« Et la connaissance de la. vérité qui est selon la piété». Il y a en effet une connaissance vraie des choses qui n'est pas selon la piété. Ainsi connaître l'agriculture, connaître les arts, c'est bien véritablement connaître mais la connaissance dont il parle, c'est celle qui est selon la piété. « Selon la foi » peut encore avoir été écrit parce qu'ils ont eu la foi comme les autres élus et qu'ils ont connu la vérité: c'est de la foi que vient la connaissance et non des raisonnements. « Sous l'espérance de la vie éternelle ». Il a dit que la vie présente est toute dans la grâce de Dieu; il parle maintenant de la vie future, et il met devant nos yeux les récompenses qui nous sont destinées pour les bienfaits que nous avons reçus. Car Dieu veut nous couronner parce que nous avons cru en lui et qu'il nous a dégagés de l'erreur. Vous voyez comme le début de l'épître est rempli de la pensée des bienfaits de Dieu; toute la suite ressemble à ce commencement, et elle encourage le juste Tite et ses disciples à supporter les peines. Il n'y a rien en effet de plus utile que de se rappeler sans cesse les bienfaits gîte Dieu répand soit sur tous les hommes, soit sur chacun dé nous. Car si notre zèle s'enflamme, lorsque nous recevons un bienfait d'un ami, ou qu'on nous adresse soit une bonne parole, soit un geste bienveillant, combien plus grande ne doit pas être notre ardeur à obéir, lorsque nous voyons à quels dangers nous avons été exposés, et comment Dieu nous en a toujours délivrés. « Et la connaissance de la vérité ». Ici il dit « la vérité » par opposition à la figure. Car (407) auparavant il y avait bien une connaissance, il y avait bien une piété, seulement elle ne consistait pas dans la vérité, encore moins dans le mensonge, mais dans les images et dans les figures. Il dit très-bien: « Sous l'espérance de la vie éternelle » , parce que l'autre connaissance était pour l'espérance de la vie présente. « Car l'homme qui fera ces choses vivra par elles ». (Rom. X, 5.) Voyez-vous comme dès le début il donne la mesure de la grâce ? Ceux-là ne sont pas les élus, c'est nous qui le sommes ; et bien qu'autrefois ils aient été appelés les élus, ils ne le sont plus.

« Que Dieu qui ne peut mentir avait promise avant tous les temps », c'est-à-dire, Dieu ne l'a point promise en changeant sa première pensée, mais il a fait cette promesse dès le principe. C'est ce que l'apôtre a exprimé en beaucoup de passages, comme lorsqu'il dit: « J'ai été mis à part pour annoncer l'Évangile « de Dieu», et ailleurs : «Et ceux qu'il a appelés et ceux qu'il a prédestinés» ; il montre par là notre dignité, puisque ce n'est pas d'aujourd'hui que Dieu nous aime, mais qu'il nous a aimés auparavant, et il ne faut pas compter pour peu qu'il nous ait aimés auparavant et dès le principe.

2. « Que Dieu, qui ne peut pas mentir, nous avait promise». S'il ne peut pas mentir, tout ce qu'il a promis s'accomplira; s'il ne peut, pas mentir, il ne faut pas douter de sa parole, quand même l'accomplissement n'en aurait lieu qu'après notre mort. « Que Dieu, qui ne peut pas mentir, nous avait promise avant les temps éternels ». Par cela même qu'il dit : « Avant tous les temps », il montre que cette promesse mérite notre foi. Ce n'est point parce que les juifs ne sont pas venus à la foi, dit-il, qu'il en est ainsi, mais c'est ce qui a été figuré dès le principe. Écoutez, en effet, ses propres paroles : « Il l'a manifestée dans son temps propre ». Pourquoi ce retard? Par une raison providentielle et, pour que toutes choses se fissent au moment convenable. « Il « est temps », dit le Prophète, « que l’Éternel opère». (Ps. CXVIII,126.) Par ces mots : «Dans son temps propre », il faut entendre dans le temps qui convenait, dans le temps qu'il fallait, dans le temps favorable. « Il a manifesté en son temps propre sa parole dans la prédication qui m'est commise». Par là il entend la prédication : car l'Évangile contient toutes choses, les promesses pour le présent et pour l'éternité, la vie, la piété, la foi, tout en un mot. «Dans la prédication », c'est-à-dire ouvertement, avec franchise, car c'est le sens de ces mots : « Dans la prédication ». De même que le héraut élève la voix dans le théâtre en présence de toute l'assistance, de même nous aussi nous prêchons sans rien ajouter du nôtre; nous ne faisons que répéter ce que nous avons entendu. Car la vertu du héraut consiste à dire à tout le monde comment les choses se sont passées, sans rien retrancher ni ajouter.

Si donc il faut prêcher, il faut le faire avec franchise, autrement serait-ce encore prêcher? C'est pourquoi le Christ ne dit pas : Parlez sur les toits, mais: « Prêchez sur les toits». (Matth. X, 27.) Il montre où et comment il faut prêcher. «Qui m'a été commise par le commandement de Dieu notre Sauveur». Ces mots : «Qui m'a été commise », ces autres mots: « Par le commandement», montrent que la prédication est digne de foi; que personne donc ne l'entende d'une manière indigne, ni avec dégoût, ni avec impatience. Mais s'il y a commandement, je ne suis pas maître : c'est un ordre que j'exécute. Parmi nos actions, les unes nous appartiennent, les autres, non. Pour ce que Dieu ordonne de dire, nous ne sommes pas maîtres; mais pour ce qu'il permet, nous sommes libres dans notre parole. Par exemple : «  Celui qui dira à son frère, Raca, sera punissable par le conseil», c'est là un commandement; ou bien: « Si tu apportes ton offrande à l'autel, et que là il te souvienne que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens et offre ton offrande». (Matth. V, 22-24). C'est encore là un commandement, un ordre, et si quelqu'un ne s'y conforme pas, il y a nécessité qu'il subisse le, châtiment. Mais lorsque Jésus-Christ dit : « Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes », ou bien : « Que celui qui peut comprendre ceci, le comprenne ».(Matth. XIX, 21, 12). Ce n'est pas un commandement, car il laisse l'auditeur libre d'écouter ses paroles, il lui donne à choisir ce qu'il doit faire ou ne pas faire, cela reste en notre pouvoir. Il n'en est pas de même pour les commandements, il faut de toute nécessité les remplir, sous peine d'être, puni. C'est ce que saint Paul dit lui-même par ces paroles : « La nécessité m'en est imposée, et malheur à moi si je n'évangélise pas ». ( I Cor. IX, 16.) Pour moi, je le dirai (408) bien haut, afin que cette vérité éclate à tous les yeux. Ainsi, si celui qui a été préposé au gouvernement de l'Eglise et qui a été honoré de la dignité d'évêque, n'indique pas au peuplé ce qu'il doit faire, il encourt une grande responsabilité; mais le laïque n'est tenu par aucune nécessité de ce genre. C'est pour cette raison que l'apôtre Paul dit : « Selon le commandement de Dieu notre Sauveur». Et voyez comme la suite s'accorde avec ce que je viens de dire. Paul venait de dire : «Dieu qui ne ment point » ; il dit maintenant : « Par le commandement de Dieu notre Sauveur». Si donc il est notre Sauveur, et qu'il nous donne des commandements, par le désir qu'il a de nous sauver, la prédication n'est point une oeuvre d'ambition, c'est une mission de foi, c'est un commandement de Dieu notre Sauveur.

« A Tite, mon vrai fils ». Il y a en effet des fils qu'on ne reconnaît point pour ses vrais fils, comme celui dont il est dit : « Si quelqu'un, qui se nomme frère, est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur, ne mangez pas même avec un tel homme ». (I Cor. V, 11.) Un tel homme est un fils, mais ce n'est point un vrai fils; c'est un fils, car il a reçu la grâce une fois et il a été régénéré; ce n'est. point un vrai fils, car il est indigne de son père, car il se met sous un autre maître. En effet, dans l'ordre de la nature, le vrai fils se distingue du fils illégitime par sa mère, et il porte le nom de son père. Dans l'ordre de la grâce il n'en est pas ainsi, c'est par choix qu'on est fils; aussi appartient-, il à celui qui est un vrai fils de ne pas demeurer tel, et à celui qui ne l'est pas, de le devenir. En effet, ce n'est point par la nécessité de la nature que cette question est décidée, c'est par la liberté du choix: de là tant de changements. Onésime, par exemple, était un vrai fils, mais il cessa de l'être pour un temps, parce qu'il devint méchant. . Ensuite il le redevint au point que l'apôtre l'appelait ses entrailles.

            « A Tite, mon vrai fils, selon la foi qui nous est commune ». Qu'entend-il par ces mots: « Selon la foi qui nous est commune? » Après l'avoir appelé son fils et s'être lui-même donné pour un père; pourquoi diminue-t-il et affaiblit-il cet honneur? En voici la raison: « Selon la foi qui nous est commune», ajoute-t-il, c'est-à-dire, selon la foi je n'ai rien de plus que toi; car elle nous est commune et c'est par elle que toi et moi nous avons été engendrés. Mais alors pourquoi l'appelle-t-il son fils?  C'est ou pour montrer seulement qu'il a l'affection d'un père, ou parce qu'il l'a précédé dans l'apostolat, ou parce que Tite a été baptisé par lui. C'est pour cette raison qu'il appelle . les fidèles ses fils et ses frères : ses frères, parce qu'ils ont été engendrés parla même foi; ses fils, parce qu'ils ont été engendrés à la foi par son ministère. Lors donc qu'il dit: « Selon la foi qui nous est commune», il indique qu'il est le frère de Tite.

« Grâce et paix de la part de Dieu le Père et de Jésus-Christ notre Sauveur ». Après avoir dit: « Mon fils », il ajoute : « De la part de Dieu le Père», pour élever son âme, et lui apprendre de qui il est fils; il ne se contente pas de dire: « Selon la foi qui nous est commune», il ajoute encore : « De la part de notre Père », et par là il lui montre une fois de plus qu'il est son égal. en dignité.

3. Voyez comme il demande pour le maître les mêmes grâces que pour les disciples et la foule des fidèles. C'est qu'il a besoin des mêmes prières, et même il en a plus besoin que les, autres, parce qu'il a un plus grand nombre d'ennemis, parce qu'il lui est plus difficile d'éviter la colère de Dieu. Car plus grande est la dignité de celui qui, est chargé du saint ministère et plus grands sont ses dangers. Il suffit souvent d'une seule grande oeuvre apostolique pour l'élever au ciel, comme aussi d'une seule faute pour le précipiter dans l'enfer. En effet, pour passer sous silence ce qui survient tous les jours, si par amitié ou par quelqu'autre motif, il lui arrive d'élever un indigne à l'épiscopat et de lui confier le gouvernement des âmes dans une grande ville, voyez comme il s'expose aux flammes de l'enfer. Il ne sera pas puni seulement pour toutes les âmes qui périssent, parce que celui qu'il a ordonné manque de piété, mais, encore pour toutes les actions de l'évêque indigne. Celui qui dans l'ordre laïque n'était pas religieux, le sera encore., bien moins, lorsqu'un tel homme aura le gouvernement des âmes; pour celui qui était pieux auparavant, il lui sera difficile de rester tel sous un indigne pasteur. Car la vaine gloire, l'amour des richesses, l'arrogance ont plus de puissance lorsqu'ils s'autorisent des vices de l'évêque, et de même pour les offenses, les outrages, les insultes et mille autres péchés. Si donc quelqu'un n'est pas (409) religieux, il le deviendra moins encore dans ces circonstances. Ainsi, lorsqu'on établit un tel homme prince de l'Église, on se rend responsable de toutes ses fautes et de toutes celles de la multitude qui lui est Gonflée. Si quelqu'un scandalise une seule âme, il lui vaudrait mieux qu'on lui pendît une meule d'âne au cou et qu'on le jetât au fond de la mer. Que ne souffrira donc pas celui qui scandalise tant d'âmes, des cités, des peuples entiers, des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, de citadins, de laboureurs, ceux qui sont dans sa ville, ceux qui lui sont soumis dans d'autres villes? Si vous dites que sa peine sera triplée, vous ne dites rien, tant sera grand son supplice et son châtiment. L'évêque a donc le plus grand besoin de la grâce et de la paix qui viennent de Dieu; s'il gouverne la ville sans ce secours, tout est,en ruine, tout est perdu, car il n'a pas de gouvernail. Quand il serait habile dans l'art de gouverner, s'il n'a pas ce gouvernail, je veux dire la grâce et la paix qui viennent de Dieu, navires et navigateurs seront submergés.

Aussi, je m'étonne lorsque j'en vois qui désirent un tel fardeau. Homme malheureux, homme infortuné, ne vois-tu donc pas ce que tu désires? Si tu vivais pour toi seul d'une vie inconnue et sans gloire, quand tu commettrais mille péchés, au moins tu n'aurais à rendre compte que d'une seule âme. Voilà à quoi se réduirait ta responsabilité. Mais que tu viennes à obtenir une telle dignité, vois de combien d'âmes tu es responsable au jour du châtiment) Écoute saint Paul: «Obéissez», dit-il, « à vos conducteurs et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte ». (Hébr. XIII, 17.) Et cependant tu désires la dignité du commandement. Quel plaisir trouveras-tu donc dans cette dignité? Je n'en vois pas, car personne dans cette dignité n'est véritablement maître. Comment cela? C'est qu'il est remis à la liberté de ceux qu'on commande, d'obéir ou de désobéir, et s'il veut voir au fond des choses, celui qui a cette ambition, bien loin de marcher vers le commandement, sera l'esclave de mille maîtres, tous opposés dans leurs désirs comme dans leurs paroles. Ce qui est loué par l'un est blâmé par l'autre; ce qui est critiqué par celui-ci, est admiré par celui-là. Qui faut-il écouter? à qui obéir? il est impossible de le voir. L'esclave acheté à prix d'argent s'irrite lorsque son maître lui donne un ordre qui le contrarie, mais toi, lorsque tant de maîtres te donneront les ordres les plus contraires, si tu le supportes avec peine, pour cela même tu seras puni et tu déchaîneras toutes les langues contre toi. Est-ce là, je t'en prie, est-ce là une dignité? est-ce là un commandement? est-ce là un pouvoir?

4. L'évêque ordonne qu'on donne de l'argent; si celui qui lui est soumis s'y refuse, non-seulement il n'en apporte. pas, mais pour qu'on ne puisse pas lui reprocher la tiédeur de son zèle, il accuse l'évêque. Il vole, dit-il, il pille, il absorbe la substance des pauvres, il dévore les ressources des indigents. Mets fin à ses injures et dis-lui : Jusqu'à quand médiras-tu? Tu ne veux pas donner d'argent? Personne ne t'y force, personne n'emploie la violence, pourquoi t'emporter en injures contre celui qui te conseille et qui t'exhorte? Mais quelqu'un tombe dans la misère, et il ne lui tend pas la main, soit qu'il ne le puisse pas, soit qu'il ait autre chose à faire. On ne lui fait pas grâce, ce sont de nouvelles récriminations, pires encore que les premières. Est-ce là gouverner? dit-on. Et il ne peut pas même se venger, car les fidèles sont ses entrailles. Or, de même que si les entrailles se gonflent et donnent mal à la tête et à tout le reste du corps, nous n'osons pas nous venger, car nous ne pouvons pas prendre le fer pour les déchirer : de même si quelqu'un de ceux qui nous sont soumis tient cette conduite, et par des accusations de ce genre nous fait souffrir et gémir, nous n'osons pas nous venger, car cela est loin des sentiments d'un père, il nous faut supporter notre douleur, jusqu'à ce qu'ils reviennent à de bonnes pensées.

L'esclave acheté à prix d'argent a une tâche qui lui est imposée; lorsqu'il l'a finie, il est le reste du temps maître de lui-même. Mais l'évêque est tiraillé de toutes parts, on exige de lui beaucoup de choses qui dépassent ses forces ; s'il n'est pas éloquent, ce ne sont que des murmures; s'il est éloquent, ce sont de nouvelles accusations, c'est un homme vain ; s'il ne ressuscite pas les morts, c'est un homme de rien, celui-ci est un juste, mais lui non. S'il prend une nourriture modérée, autres accusations, il devrait suffoquer, dit-on; si quelqu'un l'a vu prendre un bain, nombreux reproches, il n'est pas digne de voir la lumière du soleil. Car s'il fait les mêmes choses que (410) moi, s'il se baigne, s'il boit et s'il mange, s'il a des habits, s'il prend soin de sa maison et de ses serviteurs, pourquoi est-il élevé au-dessus de moi ? Voilà qu'il a des domestiques pour le servir, un âne pour le traîner : pourquoi est-il élevé au-dessus de moi 7 - Dis-moi donc: ainsi il ne faut pas qu'il ait un serviteur, mais il doit allumer son feu lui-même, aller chercher son eau, couper son bois, aller au marché ? quelle honte ! Les apôtres, ces saints hommes, ne veulent pas que celui qui est assidu dans la prédication se mette au service des veuves, ils croient que c'est une occupation indigne de lui, et toi tu le rabaisses au nombre de tes domestiques ! Mais puisque tu lui traces ainsi sa conduite, pourquoi ne te présentes-tu pas pour t'occuper de ces soins? Dis-moi: ne te rend-il pas de plus grands services que toi qui t'occupes des choses du corps? Pourquoi n'envoies-tu pus ton esclave potin le servir ? Le Christ a lavé les pieds de ses disciples : crois-tu donc faire quelque chose de si admirable, parce que tu fournirais à son train de maison ? Mais tu n'y fournis pas et tu l'empêches d'y fournir. Quoi donc? Est-ce qu'il doit vivre du ciel ? Dieu ne le veut pas ainsi. Mais tu vas me dire Les apôtres ont-ils eu des hommes libres pour les servir ? Veux-tu donc savoir comment les apôtres ont vécu? Ils voyageaient, et des hommes, des femmes libres s'employaient corps et âme pour leur donner du repos. Ecoute l'exhortation et les paroles de D'apôtre Paul : « Ayez de l'estime pour ceux qui sont tels que lui. Car il a été proche de la mort pour le service de Jésus-Christ, n'ayant eu aucun égard à sa propre vie, afin de suppléer au défaut de votre service envers moi ». (Philip. II, 29.) Entends-tu ce qu'il dit? Toi cependant tu n'oses pas, je ne dis point supporter un péril, mais même prononcer une seule parole en faveur de ton père spirituel. Mais, dis-tu, il ne doit pas prendre de bains. Pourquoi, dis-moi ? cela est-il défendu? Ce n'est certes pas une belle chose que la malpropreté. Nulle part nous ne voyons qu'on fasse un crime de ces soins, pas plus qu'on ne les admire.

Ce n'est pas sur ces choses, mais sur d'antres que portent les prescriptions faites aux évêques par l'apôtre Paul; il veut qu'ils soient irrépréhensibles, tempérants, décents, hospitaliers, savants dans la doctrine. Voilà ce qu'exige l'apôtre, ce qu'il faut demander à l'évêque et rien de plus. Tu n'es pas plus diligent que saint Paul, que dis-je? tu n'es pas plus diligent que le Saint-Esprit. S'il est violent, adonné au vin, cruel et inhumain, accuse-le; voilà des vices indignes d'un évêque. S'il vit dans la mollesse, tu peux encore lui en faire un crime. Mais s'il prend soin de son corps pour te servir et t'être utile, l'en blâmeras-tu? Ne sais-tu pas que la mauvaise santé du corps ne nuit pas moins à nous-même et à l'Eglise que la mauvaise santé de l'âme? Pourquoi saint Paul s'en occupe-t-il dans son épître à Timothée ? « Use d'un peu de vin à cause de ton estomac et des maladies que tu as souvent». (I Tim. V, 23.) Voilà ce qu'il dit, car si, polir exercer la vertu, nous n'avions besoin que du seul secours dé l'âme; il serait inutile de soigner son corps. Demandons-nous pourquoi. nous sommes ainsi nés. Mais du moment que le corps est très-utile, le négliger ne serait-ce pas d'une extrême démence ? Car supposons un homme honoré de la dignité épiscopale, chargé du gouvernement de l'Eglise, vertueux et orné de toutes les qualités que doit avoir un évêque, mais d'une santé débile et toujours au lit, à quoi pourra-t-il être bon? Quel voyage pourra-t-il entreprendre? Quelle inspection pourra-t-il faire? Qui pourra-t-il blâmer? Qui pourra-t-il avertir ?

Si j'ai tenu ce discours, c'est pour que vous appreniez à ne' plus blâmer témérairement vos pasteurs, mais à les entourer de déférence et dé respect, et que, si quelqu'un est rempli du désir d'obtenir une telle dignité, la considération de toutes ces accusations éteigne son désir. Car c'est assurément un grand péril et pour lequel il est besoin de la grâce et de la. paix de Dieu. Je vous en prie, demandez-la pour nous comme nous la demandons pour vous, afin que les uns et les autres, couronnés par la vertu, nous obtenions les biens qui nous ont été promis en Jésus-Christ qui partage avec le père et. le Saint-Esprit la gloire, la puissance et l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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