266
Analyse.
1. Dieu veut que nous unissions la prière et les oeuvres.
Besoin que nous avons du secours de Dieu. C'est par les oeuvres que se prouve la
sincérité de l'amour de Dieu. De la patience qui attend Dieu; de la patience qui
supporte les afflictions.
2. Du travail : celui qui ne veut point travailler ne doit point
manger. Besoin qu'éprouve saint Paul, après avoir prononcé des paroles
sévères, d'en adoucir l'amertume. De la manière dont la réprimande doit
s'exercer entre frères.
3. Contre la dureté envers les pauvres. De la manière de
s'avertir entre frères. La paix est un grand bien. De la signature de saint
Paul, c'est un souhait, c'est une prière. Du changement dans les moeurs : c'était
un grand malheur. autrefois, d'être séparé de la société
des fidèles.
4 et 5. Il n'en est plus de même. Du contact avec les
corrompus de toute espèce. De la société chrétienne et de l'union des premiers
fidèles: Du
refroidissement de la charité. Devoir des maîtres et des docteurs; devoir de
tous. Chacun peut être le docteur d'un autre et son docteur à lui-même.
De la vertu des esclaves, de l'édification produite par eux. Vive exhortation à tous de
travailler au salut de tous. Devoirs des pères de famille, des maris et des
femmes.
1. Nous ne devons ni nous reposer uniquement sur les prières des saints, en demeurant inactifs nous-mêmes, courant au vice et n'entreprenant aucune action vertueuse; ni, d'un autre côté , mépriser ce précieux secours tout en faisant le bien. Grande est la puissance, grande est l'efficacité de la prière que l'on fait pour nous, mais à la condition que nous agissions nous-mêmes. Voilà pourquoi Paul, en priant pour ceux de Thessalonique, leur inspire de la confiance par une promesse et leur dit : « Mais Dieu est fidèle, et il vous affermira et vous préservera du malin esprit». Car s'il vous a choisis pour le salut, il ne mentira pas, il ne consentira pas à votre perte. Mais maintenant Paul veut prévenir la négligence qui s'endormirait, après avoir remis à Dieu tout le soin de cette affaire; et voyez comme il exige leur coopération, il leur dit : « Pour ce qui vous regarde, nous avons cette confiance en la bonté du Seigneur, que vous accomplissez , et que vous accomplirez à l'avenir ce que nous vous ordonnons ». Dieu est fidèle, dit-il, et s'il promet de sauver, il sauvera, mais selon l'esprit de sa promesse. A quelles conditions, cette promesse ? Que nous ayons la bonne volonté , que nous écoutions sa voix : il ne nous sauvera pas d'une manière absolue , sans conditions pour nous, il ne sauvera pas des morceaux de bois, des pierres, des oisifs ; c'est encore avec raison que l'apôtre dit : « Nous avons cette confiance en la bonté du Seigneur », c'est-à-dire, nous croyons à son amour pour les hommes. Dans un autre ordre d'idées maintenant, il les rabaisse: tout dépend de Dieu. Si l'apôtre eût dit : Nous croyons en vous, t'eût été leur faire un grand éloge , mais il ne leur aurait pas enseigné qu'il faut tout rapporter à Dieu. Maintenant s'il leur avait dit : Nous avons confiance en la bonté du Seigneur qu'il vous gardera, sans ajouter : « Pour ce qui vous regarde»; sans ajouter : « Que vous accomplissez, et que vous accomplirez à l'avenir ce que notas vous ordonnons », il leur aurait enseigné le relâchement, en renvoyant tout à Dieu et à sa puissance. Car s'il faut tout renvoyer à Dieu, il faut, en même temps, agir nous-mêmes, accepter les fatigues et les combats. Et l'apôtre montre ici qu'alors même que la vertu seule suffirait pour nous sauver , encore faut-il qu'elle ne soit jamais interrompue, qu'elle nous accompagne jusqu'à notre dernier soupir.
« Que le Seigneur vous donne un coeur «droit, dans l'amour de Dieu et dans la patience de Jésus-Christ ». Nouvel éloge qu'il leur adresse, avec une prière qui montre son intérêt pour eux. Il va les réprimander, il commence par les flatter, par disposer doucement leur coeur, en leur disant : J'ai confiance (267) que vous écouterez; en leur disant qu'il réclame d'eux des prières; en leur disant que, de son côté , il demande pour eux l'abondance de tous les biens. « Que le Seigneur vous donne un coeur droit, dans l'amour de Dieu ». Il y a bien des causes qui détournent de l'amour, bien des sentiers qui vous entraînent au loin; et d'abord la cupidité qui jette, pour ainsi dire, impudemment ses mains sur nos âmes; qui les saisit, en les déchirant, et violemment les entraîne en dépit de tout; ensuite la vaine gloire; et souvent les afflictions, les tentations nous poussent hors du droit chemin. Aussi avons-nous besoin, comme d'un souffle favorable, du secours de Dieu ; il faut qu'il remplisse notre voile et nous reporte vers l'amour divin. Et ne me dites pas : Je l'aime plus que moi-même, ce sont des mots; ce sont ros actions qui doivent montrer si vous l'aimez plus que vous-mêmes. Aimez-le plus que l'argent, et alors je croirai sans peine que vous l'aimez plus que vous-mêmes. Si vous ne méprisez pas les richesses à cause de Dieu, comment vous mépriserez-vous vous-mêmes? Mais, que dis-je, les richesses? Si vous ne méprisez pas l'avarice, ce que vous devriez faire, même en l'absence de toute prescription, de Dieu, comment vous mépriserez-vous vous-mêmes? « Et dans la patience de Jésus-Christ », dit l'apôtre. Qu'est-ce que cela veut dire : « Dans la patience ? » Que nous souffrions avec patience ce qu'il a souffert; que nous fassions ce qu'il a fait, ou bien encore que nous l'attendions patiemment , cest-à-dire que nous soyons prêts. Il a fait des promesses considérables; il vient lui-même juger les vivants et les morts; attendons-le , ayons patience. En disant : « Patience » , l'apôtre donne à entendre l'affliction, car c'est aimer Dieu que de souffrir avec patience, et de ne pas se laisser troubler.
« Nous vous ordonnons, mes frères, au nom de Notre- Seigneur Jésus-Christ , de vous retirer de tous ceux d'entre vos frères qui se conduisent d'une manière déréglée, et non selon la tradition qu'ils ont reçue de nous (6) ». Ce qui veut dire : Ce n'est pas nous qui vous disons ces choses , c'est le Christ. Voilà, en effet, ce que signifie : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » , paroles qui montrent combien l'ordre est redoutable; c'est par le Christ, dit-il, que nous vous ordonnons; nulle part le Christ ne nous autorise à l'inertie : « De vous retirer » , dit l'apôtre, « de tous ceux d'entre vos frères ». Ne me parlez ni de riches, ni de pauvres, ni de saints; tout cela n'a rien à voir avec l'ordre. « Qui marchent », dit-il; cela veut dire qui se conduisent « d'une manière déréglée et non selon la tradition qu'ils ont reçue de nous ». Il parle de la tradition par les oeuvres; c'est toujours là, au propre, la tradition qu'il entend. « Car vous savez vous-mêmes ce qu'il faut faire pour nous imiter, puisqu'il n'y a rien eu de déréglé dans la manière dont nous avons vécu parmi vous, et nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne (7, 8) ». Quand même je l'aurais mangé, je ne l'aurais pas mangé gratuitement. « Car celui qui travaille, mérite sa récompense ». (Luc, X, 7.) « Mais nous avons travaillé jour et nuit, avec peiné et avec fatigues, pour n'être à charge à aucun de vous; ce n'est pas que nous n'en eussions le pouvoir, mais c'est que nous avons voulu nous donner nous-mêmes pour modèles, afin que vous nous imitiez. Aussi , lorsque nous étions avec vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut point travailler ne doit point manger (9,10) ».
2. Voyez, dans la première épître, comme il s'exprime avec plus de douceur à ce sujet, par exemple, quand il dit: « Je vous exhorte, mes frères, à vous avancer de plus en plus, et à vous appliquer ». (I Thess. IV, 10, 12.) On n'y trouve nulle part : Nous vous ordonnons; ni : Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ce qui est redoutable et rempli de dangers; mais : « De vous avancer » , dit-il, «et de vous appliquer,»; ce qui était une exhortation à la vertu, comme le : « Afin que vous vous conduisiez honnêtement ». (I Thess. IV, 11.) Ici, au contraire, rien de pareil; mais : « Celui qui ne veut point travailler, ne doit point manger». C'est qu'en effet, si Paul, qui n'avait pas besoin de travailler, qui' pouvait vivre en prenant des loisirs , s'était assujetti à un si grand labeur, travaillait, et non-seulement travaillait, mais travaillait nuit et jour, afin de secourir les autres, à bien plus forte raison d'autres devaient-ils imiter son exemple.
« Nous avons appris qu'il y en a parmi vous qui marchent d'une manière déréglée, ne travaillant point, se mêlant de ce qui ne les regarde pas (11) ». Ceci, dans l'épître qui (268) nous occupe; dans la précédente, il y avait « Afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l'Eglise ». Pourquoi cette différence? Peut-être n'y avait-il rien d'abord qui pût motiver une pareille observation; ailleurs aussi, il disait : « C'est un plus grand bonheur de donner que de recevoir ». (Act. XX, 35.) Quant à cette expression : « Que vous vous conduisiez honnêtement » , elle ne se rapporte pas à l'immodestie , à la dissolution des moeurs; aussi ajoute-t-il : « Et que vous vous mettiez en état de n'avoir besoin de personne ». Mais, dans l'épître qui nous occupe, il parle d'une autre nécessité de faire ce qui est honnête, de faire ce qui est bien auprès de tous; car en continuant, il leur dit : « Ne vous lassez point de faire ce qui est bien ». Il est de toute nécessité que celui qui ne fait rien, et qui peut travailler, s'occupe de ce qui ne le regarde pas. Or, l'aumône ne se donne qu'à ceux qui ne peuvent pas trouver leur subsistance dans le travail de leurs mains, ou à ceux qui enseignent, et dont tous les instants sont absorbés par l'enseignement: « Vous ne lierez pas », dit l'Ecriture, « la bouche du boeuf qui broie le grain dans l'aire » (Deutéron. XV, 4) ; et: « Celui qui travaille; mérite sa récompense ». (Matth. XI, 10.) Celui qui travaille, reçoit son salaire ; il est évident que ce lui-là n'est pas inactif , il travaille , et comme son travail est grand , il en reçoit le salaire. Quant à celui qui ne fait rien, la prière et le jeûne ne lui tiennent pas lieu du travail des mains; car, par travail, l'apôtre entend le travail des mains. Et pour ôter toute incertitude, il ajoute : « Qui ne travaillent point, et qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas».
« Or, nous ordonnons à ces personnes, et nous les conjurons , par Notre-Seigneur Jésus-Christ, de manger leur pain, en travaillant, en silence (12) ». Après les avoir rudement frappés, il prend un ton plus doux : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; c'est le ton de la persuasion, mêlé d'idées terribles « De manger leur pain, en travaillant, en silence ». Pourquoi ne dit-il pas : S'ils n'ont pas de mauvaises moeurs, s'ils ne vivent pas dans la dissolution, nourrissez-les? Pourquoi cette double exigence, et du silence et du travail? C'est qu'il veut que ces personnes-là gagnent leur vie par leur propre travail; c'est là le sens de cette expression : « De manger leur pain » , c'est-à-dire ce qu'elles ont gagné par leur propre travail; non pas le pain d'autrui, non pas le pain mendié.
« Et pour vous, mes frères, ne vous lassez point de faire ce qui est bien (13) ». Voyez tout de suite les entrailles paternelles gui s'émeuvent; il n'a pas pu pousser plus loin la réprimande ; par un changement de sentiment, il cède à la pitié; mais voyez avec quelle prudence; il ne dit pas : Ayez pitié d'eux jusqu'à ce qu'ils se corrigent, mais que dit-il? « Pour vous, ne vous lassez point de faire ce qui est bien ». Retirez-vous, dit-il, loin des paresseux, et faites-leur des reproches. Cependant ne détournez pas les yeux, s'ils meurent de faim. Mais si, recevant de nous l'abondance, le paresseux demeure dans l'oisiveté , l'apôtre indique, pour le guérir, un remède où il y a de la douceur. Que dit-il donc? Si, recevant de nous l'abondance, il demeure dans l'oisiveté, eh bien, dit-il, je vous ai indiqué un remède paisible : « Retirez-vous du paresseux »; c'est-à-dire, ne lui permettez pas la confiance, la liberté de la parole auprès de vous; montrez que vous êtes en colère. Ce moyen n'est pas à dédaigner. Voilà comment doit s'exercer, entre frères, la réprimande. Si nous avons vraiment le désir de corriger, nous ne pouvons pas dire que nous ignorons l'art de la réprimande. Répondez-moi, je vous en prie; je suppose que vous avez un frère selon la chair, le laisseriez-vous mourir de faim? Non assurément, j'imagine. Et de plus vous sauriez le redresser.
« Si quelqu'un n'obéit pas aux paroles de notre lettre (14,)». Voyez l'humilité de Paul; il ne dit pas : Celui qui désobéit, c'est à moi qu'il désobéit; mais il fait entendre doucement cette pensée : « Notez-le », ce qu'il veut, c'est que la désobéissance ne soit pas cachée : « N'ayez point de commerce avec lui»; ce qui n'est pas un châtiment léger. Il continue « Afin qu'il en ait de la confusion ». Et il ne veut pas que l'on aille plus loin. De même qu'après avoir dit : « Celui qui ne veut point travailler, ne doit point manger » , de peur que les paresseux ne mourussent de faim, il a ajouté : « Pour vous , ne vous lassez point de faire ce qui est bien ». De même, après avoir dit : « Retirez-vous » , et : « N'ayez point de commerce avec lui » ; de peur que ce malheureux ne fût retranché de la fraternité des (269) enfants de Dieu (car celui qui est ainsi abattu, périra bientôt , ne sachant plus à qui parler avec confiance), il ajoute ce qui suit : « Ne le considérez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme votre frère (15)»; paroles qui montrent que la rigueur du châtiment qu'il lui inflige, consiste à le priver de la liberté qui s'exprime avec confiance.
3. Car, si c'est une honte d'être au milieu d'un grand nombre d'hommes, uniquement pour recevoir ce qu'ils vous donnent, lorsque les dons sont accompagnés de réprimandes, lorsqu'on se retire loin de celui à qui l'on donne, quelle honte , quel aiguillon pour l'âme ! En effet, si le don tardif, ou accompagné de murmures, brûle ceux qui le reçois vent (ne m'objectez pas ici les mendiants sans pudeur , nous ne parlons que des pauvres fidèles); si la réprimande doit encore s'ajouter à la honte, (lue ne ferait-on pas pour ne pas mériter ce supplice? Ce n'est pas dans cet esprit de sage réprimande , c'est avec la colère d'un affront reçu, que nous outrageons, nous, les mendiants, et que nous les repoussons. Vous ne voulez pas donner : pourquoi tenez-vous à être blessant : « Avertissez » , dit l'apôtre, « comme on s'avertit entre frères » ; n'outragez pas les pauvres, comme si c'étaient des ennemis. Quand on avertit son frère, on ne le fait pas en public, on n'affiche pas l'outrage ; on fait cela en particulier, avec beaucoup de circonspection, et l'on est affligé, tourmenté, on pleure, on gémit. Montrons-nous donc animés d'un fraternel amour, que la tendresse fraternelle dicte nos avertissements, ne soyons pas comme affligés de donner, mais comme affligés devoir que le pauvre agit contrairement à la loi. Quel profit pour vous de donner pour outrager ensuite? Vous perdez le plaisir de donner. Et maintenant si vous refusez de donner, si vous infligez un outrage, quel mal ne faites-vous pas au malheureux, à l'infortuné ? Il s'est approché de vous dans la pensée de recevoir quelque don, et il vous quitte n'ayant reçu qu'une blessure mortelle, et ses larmes ont redoublé. Car si c'est la pauvreté qui le force à mendier, et si cette nécessité de mendier le couvre de honte, voyez combien rigoureux sera le supplice de ceux qui redoublent sa honte. « Celui qui outrage le pauvre, irrite celui qui l'a fait ». (Prov. XIV, 21.) Car enfin que pouvez-vous répondre? C'est à cause de vous que Dieu laisse le pauvre dans l'indigence, c'est afin que vous trouviez les moyens de vous guérir vous-mêmes, et vous outragez celui qui n'est pauvre qu'à cause de vous ? Quelle dépravation, quelle ingratitude ! « Avertissez » ; dit l'apôtre , « comme on s'avertit entre frères ». Il veut que, même après avoir donné, on ajoute l'avertissement ; eh bien ! nous qui, au contraire, ne donnons pas, et outrageons ensuite, quelle excuse pourrons-nous alléguer ?
« Que le Seigneur de paix vous donne sa paix, en tout temps et en tout lieu (16) ». Voyez: après avoir dit ce qu'il faut faire , il signe pour ainsi dire avec une prière; il appose son seing à ce qu'il vient de dire, et ce seing est une prière, une supplication : « Vous donne » , dit-il, « sa paix en tout lieu ». En effet, considérant les combats qui allaient résulter de la présente lettre probablement, les uns devant se montrer intraitables et les autres moins accommodants qu'on ne le voudrait, il a raison de faire cette: prière : « Vous donne » , dit-il, « sa paix en tout temps » ; c'est là, en effet, ce qu'il cherche, à savoir qu'ils aient toujours la paix. Maintenant pourquoi : « En tout lieu? » Il veut voir la paix partout, de telle sorte qu'il ne leur vienne d'aucun côté un sujet de dispute. Partout, en effet, c'est un grand bien que la paix, même auprès des gens du dehors. Ecoutez-le disant dans un autre endroit : « Vivez en paix, si cela se peut , et, autant qu'il est en vous, avec toutes sortes de personnes ». (Rom. XII, 18.) Si nous voulons bien faire, rien n'est si utile que d'être pacifique, exempt de troubles, affranchi de toute haine, n'ayant aucun ennemi.
« Que le Seigneur soit avec vous tous; je vous salue ici de ma propre main, moi Paul; c'est là mon seing dans toutes mes lettres; j'écris ainsi; la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Ainsi soit-il ». Il dit que c'est là ce qu'il écrit de sa main dans toutes ses lettres, afin qu'on ne puisse pas les falsifier, grâce à ces paroles, qui sont comme une grande signature. « Je vous salue », désigne la prière qu'il fait entendre, montrant par là que tout alors était spirituel dans le commerce, et, quand il fallait saluer, on y regardait au profit des âmes, et le salut était une prière, et non simplement un symbole d'amitié. Et il terminait comme il avait (270) commencé, les affermissant entre cette double muraille aux fondements solides et inébranlables; il achevait son ouvrage en le consolidant. « La grâce », dit-il, « et la paix », en commençant; et, pour finir : « La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Ainsi soit-il ». C'est ce que le Christ disait de son côté à ses disciples : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles ». (Matth. XXVIII, 20.) Mais cela n'arrive qu'autant que nous le voulons. Il ne sera pas du tout avec nous, si nous l'écartons au loin. Je serai, dit-il, avec vous toujours. Donc, n'éloignons pas la grâce. Il veut que nous nous retirions de tous ceux d'entre les frères qui marchent d'une manière déréglée. C'était alors un grand malheur d'être séparé de la société des frères. Voilà donc le châtiment que l'apôtre inflige à tous. C'est dans le même esprit qu'il écrivait ailleurs aux Corinthiens: « Que vous ne mangiez pas même avec lui ». (I Cor. V, 11.) Mais aujourd'hui, ce n'est pas une grande punition pour bon nombre de personnes. Tout est confondu et perverti. C'est avec des adultères, des libertins, des avares , que nous consentons , sans y regarder de si près, à nous rencontrer confusément. S'il fallait autrefois se retirer loin des paresseux, combien davantage fallait-il fuir les autres coupables ! Et ce qui vous prouvera la terreur avec laquelle on se voyait séparé de l'assemblée des frères, le grand profit qu'on recueillait des réprimandes bien reçues, c'est l'histoire de ce pécheur, empoisonné dans l'âme, arrivé au terme de la plus détestable corruption, coupable d'une fornication inconnue aux gentils, et ne sentant même pas son mal (c'est là le dernier degré de la perversité). Eh bien ! cet homme ainsi affecté fut touché, ramené, au point de faire dire à Paul : « Il suffit pour cet homme qu'il ait subi la correction qui lui a été imposée par votre assemblée ». (II Cor. II, 6.) Par conséquent, raffermissez-vous dans la charité pour lui. En effet, à cette époque, un homme écarté de l'assemblée des frères était comme un membre violemment séparé du corps.
4. Et maintenant, voici ce qui fait que ce châtiment était alors si terrible, c'est qu'on regardait comme un grand bien d'être réunis. Comme on voit unis ensemble les habitants d'une même maison, les enfants d'un même père, ceux qui participent à une même table, telle était la vie commune aux saints de chaque église. Etre déchus d'un telle communauté d'affections, c'était un malheur incomparable. Aujourd'hui au contraire on n'en fait aucun cas, parce qu'on ne fait aucun cas du bonheur d'être réunis. Autrefois, c'était un supplice, aujourd'hui la charité s'est refroidie et ce n'est plus un châtiment, et nous nous séparons sans y prendre garde, et cela vient du refroidissement des âmes, car la cause de tous les maux, c'est l'extinction de la charité. Voilà ce qui a ruiné, effacé tout ce qu'il y avait de vénérable, de gloire brillante dans l'Eglise, ce qui devrait faire sa parure et sa joie.
Grande est la force du docteur, quand il peut fonder sur ses vertus à lui, les réprimandes qu'il adresse à ses disciples. Aussi Paul disait : « Vous savez vous-mêmes ce qu'il faut faire pour nous imiter ». (Il Thess. III, 7.) L'enseignement doit résulter plutôt de la conduite que des paroles. Et maintenant qu'on n'accuse pas l'apôtre de vanité et de jactance, il a été forcé de tenir ce langage, utile dans l'intérêt de tous. « Puisqu'il n'y a rien eu », dit-il, « de déréglé dans la manière dont nous avons vécu parmi vous ». Ne voyez-vous pas l'humilité dans ces paroles, quand il parle de gratuité et de modestie ? « Et nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne ». Il montre aussi sans doute, par ces paroles, que ces gens étaient pauvres. Et ne m'objectez pas qu'ils n'étaient pas tous pauvres, car Paul ici parle des pauvres, de ceux qui sont réduits pour vivre à travailler de leurs mains; car plus haut il ne dit pas : Qu'ils reçoivent de leurs parents, mais : « Qu'ils travaillent pour gagner leur pain ». En effet, si moi, le héraut de la doctrine du Verbe, j'ai eu peur de vous être à charge, à bien plus forte raison celui-là doit-il avoir cette peur, qui ne vous . est utile à, rien. En effet, on est alors tout à fait à charge; on est à charge lorsque celui qui donne ne donne pas de grand coeur. Mais ce n'est pas là la pensée principale qu'il exprime, mais celle-ci, que ces personnes (celles qu'il accuse de vivre dans l'oisiveté) n'avaient pas la vie facile. Pourquoi ne travaillez-vous pas? Si Dieu vous a donné des mains, ce n'est pas pour recevoir des autres, mais pour donner aux autres. « Le Seigneur », dit-il, « soit avec vous ». Prière que, nous aussi, nous pouvons faire, si nous accomplissons les actions du Seigneur. Ecoutez le Christ disant à (271) ses apôtres: « Allez et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées, et assurez-vous que je serai a toujours avec vous jusqu'à la consommation des siècles ». (Matth. XVIII, 19, 20.) Paroles qui ne sont pas seulement pour eux, mais aussi pour nous, car que cette promesse ne s'adresse pas à eux seulement, c'est ce qui ressort évidemment de ces expressions : «Jusqu'à la consommation des siècles ». Cette promesse est donc aussi pour tous ceux qui suivent les traces du Sauveur.
Que dit donc le Seigneur à ceux qui ne sont pas des docteurs? Chacun de vous peut être, s'il veut, sinon le docteur d'un autre, au moins son docteur à lui-même. Instruisez-vous vous-même le premier. Si vous vous instruisez de manière à observer ses commandements, vous aurez, par ce moyen, un grand nombre d'imitateurs jaloux. La lampe une fois allumée, peut en allumer d'autres sans nombre ; la lampe éteinte ne s'éclaire plus elle-même, et ne peut allumer d'autres lampes. Il en faut dire autant de la vie passée dans la pureté. Si notre lumière brille, nous ferons et des disciples et des docteurs sans nombre à notre exemple. Mes paroles ne seront pas aussi utiles à ceux qui m'écoutent, que le sera notre vie à tous. Soyez donc, vous n'avez qu'à le vouloir, un homme cher à Dieu, brillant de vertu, et prenez femme, car on peut même en ayant une femme être agréable à Dieu, même en ayant des enfants, et des serviteurs, et des amis. Un tel homme n'aura-t-il pas, je vous le demande, beaucoup plus de moyens d'être utile à tout le monde, que je n'en puis avoir ?
Pour ce qui est de moi, une fois ou deux fois dans le mois on m'écoutera , supposé même qu'on m'écoute une fois, et ce que l'on aura écouté peut-être le gardera-t-on jusqu'au seuil de l'église pour le perdre tout de suite après; au contraire, le spectacle continuel de la vie d'un tel homme est un grand profit : on lui fait un outrage et il ne rend pas l'outrage. N'y a-t-il pas, dans cette clémence, dans cette douceur, quelque chose qui enfonce, qui grave la modestie et la pudeur dans l'âme de qui l'a outragé? Le coupable n'avouera pas tout de suite l'utilité qu'il en aura recueillie ; la colère offusque son jugement.; la honte le couvre; le sentiment de sa faute le retient; toutefois, au fond du coeur, il est touché, et je dis qu'il est impossible que l'homme qui outrage, cet homme fût-il une bête brute, quand il, est en présence d'un homme plein de patience et de douceur, n'en recueille pas une grande utilité. La femme aussi a beaucoup à gagner à voir un homme paisible et modeste, à passer sa vie avec lui ; il en est de même de l'enfant. Donc, chacun de nous peut être un docteur. « Edifiez-vous », dit en effet l'apôtre, « les uns les autres, ainsi que vous le faites ». (I Thess, V, 11.) Pesez ces paroles, je vous en prie. Voilà quelque dommage qui est arrivé dans votre maison; votre femme est toute bouleversée, attendu qu'elle n'a pas grande force et qu'elle est mondaine. Eh bien ! que le mari soit philosophe, se moque du dommage .éprouvé; il la console, il la persuade; elle opposera à cet accident la force d'une âme généreuse. Eh bien, je vous le demande, le mari ne lui sera-t-il pas beaucoup plus utile que tous nos discours ? Tout lé monde peut parler, c'est chose facile ; mais agir dans l'occasion, voilà ce qui est difficile. Voilà pourquoi ce sont les actions surtout qui corrigent l'humaine nature, et la remettent dans l'ordre. Telle; est l'excellence de la vertu, qu'un esclave souvent a été utile à une maison tout entière, sans en excepter le maître.
5. Ce n'est pas sans raison, sans une vue profonde des choses, que Paul s'applique à leur recommander la vertu, l'obéissance envers les maîtres ; ce n'est pas tant pour assurer le service de ces maîtres, que pour prévenir les blasphèmes contre la parole de Dieu, contre la doctrine du Seigneur; du moment qu'on cesse de la blasphémer, on l'admire. Et je sais nombre de maisons à qui a rendu de grands services la vertu des esclaves. Et maintenant si le serviteur, sous la puissance d'un maître, peut le corriger, à bien plus forte raison le maître peut-il corriger les serviteurs. Partagez-vous avec moi, je vous en prie, ce ministère. Je m'adresse à tous à la fois; vous, de votre côté, adressez-vous à chacun en particulier, et que chacun prenne en main le salut de ceux qui l'entourent. Que ce soit le devoir des pères de famille de se mettre à la tête de leur maison, en ce qui concerne ces choses, qui le prouve? Ecoutez, voyez à qui Paul renvoie les femmes : « Si elles veulent s'instruire de quelque chose », dit-il, « qu'elles interrogent leurs maris dans leur maison » (272) (I Cor. XIV, 35), et il ne les envoie pas consulter un docteur. Car, de même que dans les écoles il y a des élèves qui servent de maîtres; ainsi, dans l'Eglise, l'apôtre ne veut pas que tous aillent déranger le docteur. Et pourquoi? C'est que de grands avantages résultent de cette recommandation; non-seulement le docteur se trouve soulagé, mais chaque disciple prenant une part de ses soins, peut bientôt devenir docteur à son tour.
Voyez combien est grand le ministère de la femme : elle garde la maison, prend soin de toutes les affaires domestiques, surveille les servantes, les habille de ses mains ; elle vous rend père, elle vous arrache aux lieux de débauche, elle vo=us aide à observer la continence, elle émousse l'aiguillon de la nature. Eh bien, soyez à votre tour son bienfaiteur. Comment? Dans les choses spirituelles, tendez-lui la main; avez-vous entendu des paroles utiles, portez-les-lui, faites comme l'hirondelle, donnez la becquée à la mère et aux enfants. Quelle démence ne serait-ce pas, à vous, de prétendre à certains égards, au premier rang, de vouloir être le chef, et d'abdiquer en ce qui concerne la doctrine? Le chef doit l'emporter sur ceux qu'il commande, non parce qu'il est plus honoré, mais parce qu'il est plus vertueux ; les honneurs qu'on lui rend, sont le fait de ses subordonnés; ce qu'il faut attendre de celui qui commande, c'est l'éclat de la vertu. Vous jouissez des plus grands honneurs, vous n'y êtes pour rien, vous les avez reçus des autres; si vous avez la splendeur de la vertu, c'est votre ouvrage uniquement à vous. Vous êtes le chef de la femme, eh bien, le gouvernement de tout le corps appartient au chef. Ne voyez-vous pas que la hauteur de la position ne constitue pas la supériorité de la tête sur le corps, autant que la prévoyance, autant que la mission qu'elle a de lui servir comme de pilote et de le gouverner? Dans la tête, les yeux du corps et les yeux de l'âme; c'est la tête qui possède la faculté de discerner et de juger, et le pouvoir de diriger. Et tout le corps est disposé pour lui obéir, elle est faite pour lui commander. C'est dans la tête que tous les sens ont leur principe et leur source; dans la tête, les organes de la voix, la vue, l'odorat, le tact qui, de là, se répand partout; dans la tête, la racine complexe des nerfs et des os. Vous voyez que le gouvernement qu'elle exerce lui donne une supériorité plus haute que l'honneur qu'on lui rend.
Et c'est ainsi que vous devez être les chefs de vos femmes. Ayons sur elles l'avantage, non des honneurs , mais des bienfaits. J'ai montré l'importance des bienfaits que nous recevons d'elles, mais il ne tient qu'à nous, dans l'ordre des choses spirituelles, de les payer de retour, et la victoire est à nous. Dans l'ordre des choses qui regardent le corps, impossible à nous de nous acquitter. Car que pourriez-vous dire? Vous apportez une grande fortune? Mais cette femme la conserve; et ce soin qu'elle prend établit l'équilibre, et ce soin est une nécessité. Pourquoi? Parce que nombre de riches, maîtres d'une grande fortune, faute d'une femme pour la conserver, ont tout perdu. Mais, pour les enfants, c'est un bien commun à vous deux, et c'est, de part et d'autre, l'égalité des bienfaits. Je me trompe, c'est la femme qui a, dans ce ministère, la part la plus pénible, c'est elle qui porte le fruit dans ses entrailles, et l'enfantement la déchire. Ce n'est donc que dans les choses spirituelles seulement que vous pouvez avoir sur elle la supériorité. Ne nous inquiétons pas d'acquérir des richesses, mais de conduire à Dieu les âmes qui nous sont confiées, de pouvoir les lui présenter sans crainte; en les corrigeant, nous travaillerons pour nous-mêmes, de la manière la plus profitable. Celui qui en instruit un autre, n'y gagnerait-il rien, en retirera au moins la componction du coeur, en se voyant lui-même coupable des fautes qu'il reproche à autrui. Eh bien donc, puisque, par cette conduite, nous nous servons nous-mêmes en même temps que nous procurons le bien de nos femmes, et, par leur entremise, le bien de nos familles, puisque, par cette conduite, nous sommes assurés de plaire à Dieu, n'hésitons pas, appliquons-nous à sauver notre âme, à sauver les âmes de ceux qui nous servent; préparons-nous, pour toutes nos couvres, la grande rémunération; amassons les trésors que nous transporterons dans la sainte cité, notre mère, dans la céleste Jérusalem ; puissions-nous n'en jamais déchoir; brillants de la splendeur que donne la sagesse d'une vie consacrée à la vertu, puissions-nous être jugés dignes de voir Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, etc.
Traduit par M. C. PORTELETTE.