I THESSALONICIENS XI

HOMÉLIE XI. N'ÉTEIGNEZ PAS L'ESPRIT, NE MÉPRISEZ PAS LES PROPHÉTIES; ÉPROUVEZ TOUT, ET RETENEZ CE QUI EST BON; ABSTENEZ-VOUS DE TOUT CE QUI A QUELQUE APPARENCE DE MAL. (V, 19-23.)

 

Analyse.

 

1. De la lumière que Dieu nous a donnée pour éclairer nos ténèbres. — Ce qu'en font les hommes. — Contre l'impureté qui l'éteint. — Des diverses passions mauvaises qui rendent la grâce inutile.

2. Du respect pour les prophéties. — De la sanctification. — De la prière. — Humilité de saint Paul demandant aux fidèles de prier pour lui. — Pourquoi le pasteur a raison de tenir aux prières de ceux qu'il dirige. — Amour de saint Paul pour les fidèles.

3. Histoire d'une servante. — Contre l'indifférence envers les pauvres et les malheureux. — Les pauvres, réduits, pour vivre, à faire le métier de prestidigitateurs, de bouffons, au lieu de prier Dieu pour nous ! Supériorité des mendiants, priants et résignés, sur les heureux de ce monde.

4 et 5. Utilité de la présence des pauvres dans les églises. — Ce sont les chiens qui gardent les palais du Seigneur. — Vanité des choses humaines. — De l'égalité devant Dieu.

 

1. Une obscurité épaisse, des nuages ténébreux se sont répandus sur toute la terre, c'est ce que l'apôtre montrait par ces paroles « Nous n'étions autrefois que ténèbres » (Ephés. V, 8) ; et ailleurs . « Mes frères, vous n'êtes pas dans les ténèbres, pour être surpris de ce jour, comme d'un voleur». (I Thess. V, 4.) Donc, puisque c'est la nuit, et, pour ainsi dire, une nuit sans lune; puisque c'est dans cette nuit que nous marchons , le Seigneur nous a donné une lampe brillante, la grâce du Saint-Esprit, qu'il a allumée dans nos âmes. Mais voici ce qui est arrivé de cette lumière : les uns l'ont reçue et l'ont rendue plus éclatante, plus resplendissante, comme ont fait et Paul, et Pierre, et tous ces glorieux saints; les autres, au contraire, l'ont éteinte ainsi les cinq vierges; ainsi ceux qui ont fait le naufrage dans la foi, comme le fornicateur de Corinthe , comme les Galates pervertis. Voilà pourquoi Paul dit maintenant : « N'éteignez pas l'Esprit », c'est-à-dire, la grâce. C'est son habitude d'appeler ainsi la grâce de l'Esprit; et ce qui l'éteint, c'est l'impureté. Supposez que, dans nos lanternes, on verse de l'eau, on mette de la terre : on éteindra la lumière; et il n'est même pas besoin de rien faire de semblable : il suffit d'ôter l'huile; il (240) en est de même de la grâce de l'Esprit; mêlez-y les choses terrestres, les soucis des affaires, vous éteignez l'Esprit, et, à défaut de ce que vous aurez pu faire, il suffit d'ailleurs d'une tentation survenant violemment pour éteindre, comme le fait le vent, la flamme qui n'est pas assez forte, ou qui n'a pas assez d'huile pour la nourrir, ou c'est que vous n'avez pas bouché les ouvertures, fermé la porte, et tout est perdu.

Les ouvertures, qu'est-ce à dire? Il en est de nous comme des lanternes: nos ouvertures sont les yeux et les oreilles. Ne souffrez pas que le vent de la perversité s'y engouffre , parce qu'il éteint la lumière; bouchez vos ouvertures, avec la crainte de Dieu; la bouche est une porte, fermez-la à- clef, et tirez le verrou, afin d'abriter la lumière et de n'avoir pas à craindre l'irruption du dehors. Exemple : on vous a outragés, on, vous a dit des injures : fermez votre bouche, parce que, si vous l'ouvrez, vous excitez le vent. Voyez ce qui se passe dans nos maisons, quand il y a deux portes directement en face l'une de l'autre, que le vent souffle avec violence; si vous fermez l'une, sans établir de courant d'air, le vent n'a pas de prise; toute sa force tombe ; il en est de même ici : les deux portes sont votre bouche et celle de l'homme qui vous outrage et vous injurie. Si vous fermez votre bouche, si vous n'établissez pas de courant d'air, vous faites tomber toute la force du vent; au contraire, ouvrez-la; vous ne pouvez plus maîtriser le vent; donc n'éteignons pas la grâce. Il arrive souvent que, même sans aucune irruption du dehors, la flamme s'éteint; c'est l'huile qui manque ; nous ne faisons pas l'aumône, l'Esprit s'éteint. En effet, l'aumône vient de Dieu vers vous ; elle voit qu'il n'y a, auprès de vous, aucun fruit à faire, et elle s'envole; elle ne reste pas dans une âme insensible à la pitié. Une fois l'Esprit éteint, vous savez ce qui arrive, ô vous tous qui avez marché dans une nuit sans lune. S'il est difficile de trouver, pendant la nuit, le chemin qui conduit d'une terre à une autre terre, comment pourrait-on se diriger; dans le chemin qui conduit de la terre au ciel? Ignorez-vous tous les démons répandus dans cet espace, tous les monstres, tous les génies de la perversité? Eh bien, si nous avons cette lumière dont je parle, ils ne peuvent en rien nous nuire; au contraire, si nous l'éteignons, vite ils se jettent sur nous, vite ils nous dévalisent. Vous savez bien que les brigands éteignent la lumière avant de commettre leurs brigandages. Ces esprits du mal voient clair dans ces ténèbres, parce que leurs oeuvres sont ténébreuses; mais nous, nous n'avons pas l'habitude de cette lumière. Gardons-nous donc de l'éteindre; toute action mauvaise l'éteint, toute querelle, toute mauvaise parole, quelle qu'elle soit. Tout corps d'une nature étrangère au feu en ruine l'essence ; ce qui allume le feu , c'est ce qui a de l'affinité avec lui. Il en est de même pour la lumière; ce qui est résistant, chaud, igné, embrase la flamme de l'Esprit ; n'y portons donc rien de froid, ni rien d'humide, car voilà ce qui éteint le feu spirituel.

On peut encore vous proposer d'autres réflexions. Grand nombre d'hommes, chez ces premiers chrétiens , prophétisaient ; les uns parlaient selon la vérité, les autres ne proféraient que des mensonges. Paul le dit encore dans son épître aux Corinthiens : « C'est pour cela » , dit-il , « que Dieu a donné le discernement des esprits ». (I Cor. XII, 10.) L'esprit impur, le démon aurait voulu faire servir ce don de prophétie à la destruction complète de l'Eglise. Il y avait deux prédictions : celle du démon, celle de l'Esprit; la. première remplie de mensonges, la seconde n'exprimant que la vérité. Impossible de les distinguer, de les reconnaître; on eût dit Jérémie et Ezéchiel. Quand le temps fut venu, Dieu permit de reconnaître, de distinguer les esprits. Il y avait donc à cette époque, chez les habitants de Thessalonique, un grand nombre de prophètes, que Paul désigne, dans un autre passage , par ces paroles : « Ne vous laissez ébranler ni par des discours, ni par des lettres supposées écrites par nous , de manière à croire que le jour du Seigneur est arrivé ». (II Thess. II, 2.) C'est ce qui fait qu’après avoir dit ici : «N'éteignez pas l'Esprit » , il a eu raison d'ajouter ce qui suit : « Ne méprisez pas les prophéties»; ce qui veut dire : S'il y a auprès de vous quelques faux prophètes , ce n'est pas une raison pour écarter les autres, pour vous éloigner d'eux. Gardez-vous d'éteindre les prophètes: Voilà ce que veut dire: «Ne méprisez pas les prophéties ».

2. Comprenez-vous ce qu'il entend par « Eprouvez tout? » Comme il vient de dire (241) « Ne méprisez pas les prophéties », on pouvait s'imaginer qu'il accordait à tous les prophètes indistinctement, l'accès de la chaire. « Eprouvez tout », dit-il; « retenez ce qui est bon», c'est-à-dire les véritables prophéties : « Abstenez-vous de tout ce qui a quelque apparence de mal ». Il ne dit pas, de telle ou telle mauvaise apparence, mais : « De tout ce qui  a quelque apparence de mal » ; mensonges, vérités, éprouvez tout, examinez, distinguez, pour vous abstenir dur mal, et pour vous attacher au bien. C'est ainsi que vous prouverez votre Daine sincère pour ce qui est mal, votre amour pour ce qui est bien. Ne vous contentez pas d'agir à la légère et sans examen ; ne faisons rien qu'après nous être rendu soigneusement un compte exact de tout.

« Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même, en toute manière, afin que tout ce a qui est en vous, l'esprit, l'âme et le corps, se conservent sans tache, pour l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (23) ». Voyez l'affection que montre le maître ; à l'exhortation il joint la prière, et non-seulement l'a prière parlée, mais la prière écrite c'est que le conseil ne suffit pas, il faut encore la prière. Voilà pourquoi, nous aussi, nous vous conseillons, et nous faisons pour vous des prières, ce que savent bien les initiés. Quant à Paul, certes, il avait raison d'agir ainsi, lui qui avait tant de droit de parler à Dieu en toute liberté. Mais nous, nous sommes couverts de honte, et nous n'avons pas auprès de Dieu cette liberté; mais comme nous avons été établis et ordonnés pour agir de cette sorte, malgré notre indignité, nous nous adressons à Dieu, quoique nous ne méritions pas d'être comptés parmi les derniers des disciples. Mais nous savons que la grâce opère, par le moyen des hommes indignes, non en vue d'eux-mêmes, mais en vue de ceux qui en retireront de l'utilité, et nous apportons ce qui dépend de nous. « Qu'il vous sanctifie », dit l'apôtre, « en toute manière, afin que tout ce qui est en vous, l'esprit, Pâme et le corps, se conservent sans tache, par l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Qu'entend-il ici par «Esprit ? » Cela veut dire, la grâce, le don gratuit; car si nous sortons d'ici emportant dans nos mains des lampes brillantes, nous entrerons dans la chambre de l'époux; si nos lampes s'éteignent; non. Voilà pourquoi il dit : « L'Esprit sans tache» ; car lorsque l'esprit demeure sans tache, la grâce aussi demeure. « L'âme », dit-il, « et le corps » ; si, dit-il, ni l'âme ni le corps ne reçoivent aucune souillure.

« Celui qui vous a appelés, est fidèle, et c'est lui qui fera cela en vous (24) ». Voyez l'humilité de l'apôtre : il a prié; ne croyez pas, dit-il, que ce soit un effet de mes prières ; c'est la suite du dessein qui fait que le Seigneur vous a appelés; car, s'il vous a appelés pour le salut, et si c'est le Dieu de vérité, il vous donnera certainement le salut qu'il veut vous donner. — « Mes frères, priez pour nous (26) ». Ah ! quelle humilité ! mais ce que Paul disait par humilité, nous 1e disons, nous, non pas par humilité, mais pour notre plus grande utilité, et parce que nous voulons recevoir de vous un grand profit; priez aussi pour nous, car, si vous ne recevez pas de nous de bien grands, d'admirables services, priez toutefois à cause de l'honneur que procure la prière; priez, en considération du titre que nous portons. Un homme avait des fils, il ne leur était d'aucune utilité ; mais, attendu qu'il était leur père, il leur disait : Un jour entier s'est passé sans que vous m'ayez appelé votre père. Voilà pourquoi nous vous disons, nous aussi, priez pour nous et ce ne sont pas là de vaines paroles; vos prières, je les désire vivement. Si c'est mon devoir de prendre soin de vous tous; si je dois un jour rendre dès comptes, à bien plus forte raison convient-il que j'obtienne vos prières. C'est à cause de vous que je dois un compte plus redoutable ; vous devez donc m'apporter un plus grand secours.

        « Saluez tous nos frères, en leur donnant le saint baiser (26) ». Ah ! quelle ardeur ! Ah ! quel sentiment, quel coeur ! Etant loin dès frères, il ne pouvait pas les saluer en leur donnant lui-même le baiser, il le leur donne donc par correspondance, c'est ce que nous faisons, quand nous disons : Embrassez pour moi un tel. Faites de même, vous aussi, entretenez le feu de la charité. Il n'y a pas pour la charité de grands espaces, elle franchit les distances, elle se montré partout. « Je vous adjure, par le Seigneur, de faire lire cette lettre devant tous les saints frères (27) », paroles qui témoignent encore plus de l'ardeur de la charité que du zèle de l'enseignement. Je veux, dit-il, m'adresser à eux aussi; « l'a grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous. Amen (28) ». Il ne se contente pas de leur ordonner, il les adjure ardemment, afin (242) que dans le cas où ils seraient portés à négliger son ordre, cette considération, qu'il les adjure, les détermine à l'exécuter. Autrefois on n'écoutait qu'en tremblant ces adjurations, aujourd'hui on n'y prend pas garde. Il arrive souvent qu'un esclave, frappé de verges, adjure son maître au nom de Dieu et du Christ de Dieu; on l'entend s'écrier : Chrétien, que, tu meures, personne n'y fait attention, personne ne s'en occupe, personne n'en prend souci. Si au contraire on adjure par la vie d'un fils , aussitôt le maître se faisant violence, grinçant encore des dents, apaise sa colère. On voit un homme, traîné en prison, emporté à travers la place publique, en présence des grecs et des juifs, adjurer, de la manière la plus redoutable celui qui l'entraîne : personne n'y fait attention. Que ne diront pas les grecs, à la vue d'un fidèle adjurant un fidèle , un chrétien qui n'en tient aucun compte , qui de plus le dédaigne ?

3. Voulez-vous que je vous raconte une histoire que j'ai entendue moi-même? Ce n'est pas une fiction que je vous apporte, j'ai entendu le fait de la bouche d'une personne tout à fait digne de foi. Une servante était mariée à un méchant homme, un scélérat, un esclave fugitif; ce malheureux avait commis de grandes fautes, et devait être vendu par sa maîtresse ; il s'était couvert de trop de crimes pour qu'elle pût lui pardonner ; c'était une veuve elle ne pouvait pas le châtier quand il ruinait sa maison, mais elle avait résolu de le vendre. Elle réfléchit ensuite qu'il n'était pas permis de séparer le mari de sa femme; et, quoique celle-ci fût honnête, et lui rendît des services, elle aima mieux la vendre avec son mari que de l'en séparer. La jeune servante se voyant donc dans cette situation, pleine d'angoisses, alla trouver une noble dame, amie de sa maîtresse, et c'est de cette dame que je tiens cette histoire; la servante , lui prenant les genoux et répandant des flots de larmes, et poussant mille cris lamentables, la pria de fléchir sa maîtresse en sa faveur. Après avoir fait entendre beaucoup de paroles, à la fin elle ajouta, comme le moyen le plus énergique de persuasion, une adjuration terrible. Or, voici quelle était cette adjuration : Puissiez-vous voir le Christ au jour du jugement, si vous ne méprisez pas ma prière, et à ces mots elle se retira. Celle à qui cette prière avait été adressée, distraite par quelque affaire, comme il arrive dans la vie, oublia un instant ces paroles ; mais plus tard, tout à coup, dans l'après-midi, à l'heure du crépuscule, elle se souvint de l'adjuration redoutable, et son âme en fut fortement touchée, et elle s'en alla, et elle s'acquitta avec soin de ce dont elle était priée. Cette femme, pendant la nuit, vit tout à coup le ciel ouvert, et Jésus-Christ lui-même; elle le vit comme le Christ pouvait être vu par une femme.

C'est parce qu'elle comprenait l'importance de ces adjurations, c'est parce qu'elle redoutait le Seigneur, qu'elle fut favorisée d'une pareille vision. Ce que j'en dis, c'est pour que nous,comprenions bien ce que les adjurations ont de redoutable, surtout lorsqu'on nous adjure de faire des bonnes oeuvres, de faire l'aumône, de pratiquer la charité. Voici, à terre, des pauvres, des mutilés, ô femme, et ils te voient franchir en courant ton chemin; leurs pieds ne peuvent te suivre ; alors ils se servent comme d'un hameçon pour t’attirer à eux, de l'adjuration; ils étendent les mains, et t'adjurent de leur donner une obole, deux oboles, rien de plus. Mais toi, tu continues ta course; toi qu'on adjure au nom du Seigneur ton Dieu ! Et je suppose qu'on t'adjure parles yeux, ou de ton mari en voyage, ou de ton fils, ou de ta fille; aussitôt tu cèdes, et ton coeur palpite, et ton sang s'échauffe ; si, au contraire on t'adjure au nom du Seigneur, tu poursuis ta course. Je connais beaucoup de femmes, moi, que le nom du Christ ne retient pas dans leur course; mais, qu'on loue leur beauté en s'approchant d'elles, elles fléchissent, elles s'attendrissent, et elles vous tendent la main; elles vont jusqu'à provoquer- chez les pauvres, chez ces infortunés, le rire -à leurs dépens. Comme les paroles passionnées ou sévères ne touchent pas le coeur de ces femmes, les pauvres emploient le moyen qui leur fait plaisir, et voilà le malheureux; celui que la faim tourmente, forcé par notre bassesse de faire l'éloge de leur beauté.

Et, s'il n'y avait pas d'autres désordres, mais il est un autre abus plus révoltant; voilà les pauvres forcés de faire le métier de prestidigitateurs, de bouffons, de personnages ridicules. Quand vous les voyez avec des coupes, des vases de bois de lierre, des gobelets, dans les doigts des timbales, des flûtes, chantant des chansons honteuses, exprimant les salés amours, vociférant, criant; autour d'eux s'arisasse la (243) foule, et les uns leur donnent un morceau de pain, les autres une obole, d'autres encore n'importe quoi, et on les arrête longtemps, et c'est un plaisir, un plaisir pour les hommes, un plaisir pour les femmes. Qu'y a-t-il de plus triste que cela? N'y a-t-il pas là une féconde matière de gémissements? C'est peu de chose, on regarde cela comme peu de chose, et voilà, dans nos moeurs, de grands sujets de péchés. Un chant obscène, une musique qui fait plaisir, amollit l'âme et cette mollesse produit la corruption. Et quand je pense que le pauvre, invoquant Dieu, lui demandant, pour vous, dans ses prières des biens innombrables, n'est auprès de vous en nulle estime, et qu'au contraire celui qui substitue aux prières de niais plaisirs, excite votre admiration !

Maintenant, il me vient à l'esprit quelque chose que je veux vous dire. Qu'est-ce? Quand vous serez tombés dans la pauvreté, dans la maladie, apprenez au moins des mendiants de nos ruelles à bénir le Seigneur. Ils passent toute leur vie à mendier et ils ne blasphèment pas, ils ne s'irritent pas, ils se résignent; toute leur existence de mendiants, ils se la racontent à eux-mêmes, en y mêlant des actions de grâces; ils célèbrent la grandeur et la bonté de Dieu ; et toi, qui vis dans la pleine abondance de toutes choses, tant que tu n'as pas tout attiré à toi, tu taxes de cruauté le Seigneur ! Combien le pauvre nous est supérieur, quelle condamnation un jour ne prononcera-t-il pas sur nous ! Pour nous enseigner à tous ce que c'est que le malheur, en même temps, pour nous consoler, Dieu, sur tous les points de l'univers, a envoyé les pauvres. Vous avez souffert un malheur qui vous afflige ? mais il n'y arien là de comparable au malheur de cet infortuné. Vous êtes borgne? mais il est aveugle. Vous avez eu à supporter une maladie longue? mais il a, lui, une maladie incurable. Vous avez perdu vos fils? mais, lui, il a perdu jusqu'à la santé de son propre corps. Vous avez éprouvé un grand dommage? mais vous n'avez pas encore été réduit à avoir besoin des autres. Donc, rendez grâces à Dieu ; voyez ces infortunés dans la fournaise de la pauvreté, adressant leurs demandes à tous, et recevant d'un si petit nombre. Donc, lorsque vous êtes fatigué de prier, que vous ne recevez rien, pensez en vous-même combien de fois vous avez entendu un pauvre vous appeler sans que vous l'ayez écouté; et ce pauvre ne s'est pas mis en colère, et il ne vous a pas outragé. Pour vous, ce que vous faites, c'est par cruauté ; Dieu, au contraire, c'est par bonté qu'il ne vous écoute pas. Eh quoi ! vous n'écoutez pas, par inhumanité, celui qui est votre compagnon d'esclavage, et vous ne trouvez pas juste que l'on vous réprimande ; et, lorsque par bonté le Seigneur ne vous écoute pas, vous, son esclave, vous le réprimandez ? Voyez-vous l'inégalité du jugement? Voyez-vous l'injustice criante ?

4. Ne nous lassons pas de faire ces réflexions, de considérer ceux qui sont plus bas que nous, ceux qui souffrent de plus grands malheurs, et alors nous bénirons Dieu.. La vie est pleine d'exemples de ce genre, et le sage et l'esprit attentif y peut trouver un grand enseignement. Tenez, sans sortir de nos maisons de prière, voilà pourquoi; et dans les églises, et dans les chapelles élevées aux, martyrs, des pauvres se tiennent sous les vestibules; leur aspect peut nous être d'une grande utilité ; considérez que, dans les palais de la terre, aucun spectacle pareil ne frappe les visiteurs qui entrent; de tous côtés vous ne voyez que personnages considérables , des dignitaires magnifiques, des riches superbes, des hommes dont on vante l'esprit ; dans notre palais, à nous, je veux dire l'Eglise, à l'entrée de nos temples, de nos chapelles de martyrs, ce sont des démoniaques, des manchots, des mutilés, des pauvres, dès vieillards, des aveugles, et ceux qui ont les membres contournés; pourquoi ? pour que le spectacle qu'ils présentent vous soit un enseignement. Et d'abord vous pourriez rapporter du dehors quelque faste orgueilleux, jetez les yeux sur ces infortunés, déposez votre insolence, prenez un coeur contrit avant d'entrer, avant d'entendre la parole; (l’orgueilleux n'est pas écouté dans ses prières). A la vue d'un infortuné vieillard, vous cesserez d'être si fier, de vous applaudir de votre jeunesse ; ces vieillards aussi furent des jeunes gens. La profession des armes, un royal pouvoir 'enflent votre vanité ; réfléchissez que, parmi ces infortunés , il y en a qui furent glorieux dans les palais des rois. Votre santé vous donne de' la confiance; regardez ces malades et réprimez votre vanité. Celui qui fréquente assidûment l'église, tout sain de corps qu'il est, ne s'enorgueillira pas de sa santé; et celui qui souffre recevra une consolation puissante.

 

244

 

Mais ce n'est pas là l'unique raison qui les fait asseoir sous nos portiques; ils eut là aussi pour vous faire pratiquer l'aumône, pour vous attendrir, pour vous apprendre à admirer la bonté de Dieu. Si Dieu n'a pas honte de ces infortunés, s'il les a introduits sous ces portiques, faites de, même à, bien plus. forte raison, vous; ils sont là pour vous apprendre à ne pas vous glorifier des royautés de la terre. Ne rougissez donc pas quand, un pauvre vous appelle ; s'il s'approche de vous, s'il vous prend les genoux, ne le repoussez pas. Les pauvres sont en quelque sorte d'admirables, chiens des palais du, Roi, et je ne leur adresse pas un outrage en les appelant des chiens, au contraire, je prétends par là faire d'eux un, noble éloge ils gardent, le palais du Roi ; donc nourrissez-les. L'honneur remonte jusqu'au Roi. Dans les palais tout est faste insolent, j'entends les palais de la terre; dans les palais du vrai Roi, tout est humilité. Les choses humaines ne sont rien ; les vestibules, des églises suffisent pour vous l'apprendre. La richesse n'a aucun charme, pour, Dieu ; ceux. que vous voyez assis là, suffisent pour vous l'apprendre. Cette assemblée qui séjourne là, c'est comme un avertissement, à la nature humaine, c'est une voix sonore et retentissante qui dit : Les choses humaines ne sont rien qu’ombre et fumée. Si les richesses étaient de vrais biens, Dieu n'aurait pas établi, des pauvres. à ses propres portes; s'il reçoit même des riches ; ne soyez pas étonnés ; ce n'est pas à cause de leurs richesses, qu'il les reçoit, ce n'est pas pour qu,'ils se conservent riches, mais, pour qu'ils. déposent leur vanité. Ecoutez ce que, leur dit, le Christ : « Vous ne pouvez, pas servir Dieu et Mamon (1) » ; et encore : « Il sera difficile aux riches, d'entrer dans le royaume des cieux, ». ; et, encore. : « Il est pus. facile pour un câble d'entrer dans le trou d'une aiguille, que pour un riche dans le royaume des  cieux ». (Matth., VI, 24; XIX, 23, 24,) S'il reçoit les riches, c'est pour qu'ils entendent ces paroles, pour leur apprendre à désirer les éternelles richesses, à soupirer après les biens du ciel. Etonnez-vous, qu'il ne dédaigne pas de  les voir assis sous ces portiques, quand il ne dédaigne pas de les convier à sa table spirituelle, de les admettre; au divin banquet; mais le boiteux, le mutilé, le vieillard en haillons, souillé, couvert d'ulcères,

 

1 Mammon, dieu des richesses chez les Syriens,

 

côte. à côte avec le jeune homme élégant, le superbe décoré de la pourpre , et celui qui porte en tête le diadème, vient à la  table prendre sa part, et il est admis au festin spirituel; et, les uns comme les autres, jouissent des mêmes biens sans différence, sans distinction.

5. Eh quoi ! le Christ ne dédaigne pas, de les appeler à sa table, eu même temps que l'empereur ; ils sont, tous conviés en même temps Et toi peut-être, tu t'avises de faire le dédaigneux, tu ne veux pas qu'on te voie donnant aux pauvres, ou même leur adressant la parole. Ah ! quelle arrogance ! quel orgueil ! Prenez. garde qu'il ne vous; arrive la même chose qu'au. riche d'autrefois. Il faisait le dédaigneux, ce riche; il ne voulait pas voir Lazare, il ne daignait même pas lui donner un abri sous son toit; ce pauvre était dehors, gisant sous le vestibule, et on ne daignait pas lui adresser une parole. Mais voyez, aussi comme au jour où  le riche eut besoin. de ce pauvre, il n'obtint pas son secours. Si nous rougissons de ceux dont le Christ n'a pas rougi; le Christ rougit de nous, qui rougissons de ses amis, emplissez votre table de boiteux,de manchots, et de mutilés ; ce sont eux qui font venir le Christ, ce ne sont pas les riches. Peut-être que mon discours vous fait rire, eh bien ! ce n'est pas moi qui parle ; écoutez le Christ lui-même et ne riez pas, mais frémissez : « Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n'y conviez, ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins riches, de peur qu'ils ne vous invitent ensuite à leur tour, et qu'ainsi ils ne vous rendent ce qu'ils avaient reçu de vos dons ; mais, lorsque vous faites un festin, conviez-y les mendiants, les pauvres, les aveugles, et vous serrez bienheureux, parce qu'ils n’auront pas de quoi vous rendre, car cela vous sera rendu, dans la résurrection, des justes ». (Luc. XII, 14.)

Ajoutez, encore à cela une, gloire plus éclatante, si vous l'aimez cette gloire. Dans les festins du monde règnent l'envie, les jalousies, les accusations, les médisances, et la crainte excessive de manquer aux convenances ; et vous êtes là comme l'esclave du. maître, et; si l’on a invité des convives plus considérables que vous, vous redoutez leurs propos méchants ; dans les. banquets du Seigneur rien de pareil, quels que soient les mets que vous offriez aux pauvres, ils les reçoivent volontiers (245) , et de 1à, pour vous, de grands applaudissements , une gloire plus éclatante, plus d'admiration; on n'applaudit pas autant aux banquets des riches que n'applaudissent aux festins des pauvres, ceux qui en entendent parler. Si vous refusez de me croire, faites-en l'expérience, ô riches, qui conviez des généraux et des chefs d'armée. Conviez des pauvres, remplissez-en votre table, voyez s'ils ne vous applaudissent pas tous, s’ils ne vous chérissent pas tous, s'ils ne vous regardent pas tous comme un père. Les festins du monde ne procurent aucun profit; ceux dont je parle assurent la conquête du ciel et de tous les célestes biens. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur , maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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