190
Analyse.
1-3. Devoirs du maître envers ses disciples. Saint Paul
travaillant, de ses mains, de manière à n'être à charge à personne. De la
manière dont les apôtres parlaient aux fidèles. Eloge de la fermeté, de la
constance des fidèles de Thessalonique. Saint Paul ne se lasse pas de prendre dans
l'histoire du Christ toutes les raisons qui doivent retremper le courage en face des
périls. Invectives contre les Juifs déicides, et poursuivant les chrétiens de
leur haine. Affection de saint Paul pour les fidèles. Grandeur de l'Eglise
plantée, cultivée par lui. Pourquoi saint Paul envoie Timothée à Thessalonique.
4-6. Les persécutions ne doivent pas être, pour la foi, un sujet
de trouble. Le chrétien est destiné à souffrir. Souffrir, voilà le seul
mérite, le seul titre de gloire du chrétien. L'amour du plaisir, cause de la
perte de l'homme et de tous ses malheurs. Nos passions plus cruelles pour nous que
tous les bourreaux. Contre la vaine gloire, l'amour des richesses, la superstition
qui consulte les devins. Consentir aux pertes d'argent, c'est s'enrichir.
Bénir Dieu dans l'adversité. Imiter Job. Etre pauvre, et pouvoir donner
quelque chose au plus puissant des rois, à Dieu même, quelle richesse!
1. Le maître ne doit reculer devant aucune fatigue pour le salut de ses disciples. Car si le bienheureux Jacob travaillait nuit et jour pour garder ses brebis, à bien plus forte raison, celui qui a charge d'âmes, doit-il tout faire, quelque pénible, quelque modeste que soit sa tâche, en vue de son unique but, qui est le salut de ses disciples, et la gloire qui en revient à Dieu. Voyez donc le travail qu'acceptait Paul, ce héraut de Jésus-Christ, cet apôtre de la terre élevé à une dignité si haute; il travaillait de ses mains pour ne pas être à charge aux disciples; car « vous n'avez pas oublié » , dit-il, « mes frères, notre peine et notre fatigue ». Il avait dit auparavant : « Nous aurions pu vous être à charge, comme apôtres du Christ» ; c'est ce qu'il dit encore dans l'épître aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que les ministres des sacrifices mangent de ce qui est offert pour les sacrifices? » (I Cor. IX, 13.) Le Christ a établi que ceux qui annoncent l'Evangile, vivent de l'Evangile. Mais moi, dit-il, je n'ai pas voulu ; j'ai préféré la fatigue. Et ce n'est pas assez dire qu'il travaillait, mais c'était avec un zèle ardent. Voyez ce qu'il dit: « Car vous n'avez pas oublié », il ne dit pas mes bienfaits, mais, « notre peine et notre fatigue; nuit et jour travaillant de manière à n'être à charge à aucun de vous, nous avons prêché l'Evangile de Dieu ». Aux Corinthiens, il adresse d'autres paroles: « J'ai dépouillé les autres églises, en recevant d'elles l'assistance dont j'avais besoin pour vous servir». (II Cor. XI, 8.) Il est bien entendu qu'en d'autres lieux aussi il travaillait; mais il ne parlait pas de ce travail aux Corinthiens ; il prenait une expression plus piquante, comme s'il disait: Ce sont les autres qui m'ont nourri, quand c'était vous que je servais.
Ici, il ne parle pas de la même manière; mais que dit-il? « Nuit et jour travaillant». Aux Corinthiens, il dit: « Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à charge à personne » (Ibid, 9). « Et j'ai reçu l'assistance dont j'avais besoin pour vous servir » : ici au contraire, il montre que les fidèles sont pauvres; dans l'épître aux Corinthiens, il n'en est pas de même. Voilà pourquoi il invoque toujours le témoignage de ceux de Thessalonique «Vous êtes témoins, vous-mêmes », dit-il, « et Dieu avec vous ». La confiance avec laquelle il s'appuie sur le témoignage de Dieu, voilà de quoi les persuader; les autres assertions laissaient dans l'incertitude ceux qui ignoraient les faits. Ne réclamez pas, ne dites pas: C'était Paul qui parlait; Paul s'arme d'un témoignage de beaucoup supérieur au sien, pour les persuader. De là ce qu'il dit: « Vous (191) êtes témoins, vous-mêmes, et Dieu avec vous, de ce qu'il y a eu de saint, de juste et d'irréprochable dans notre conduite envers vous, qui avez embrassé la foi ». Il fallait aussi leur adresser des éloges; voilà pourquoi il leur parle d'une manière qui devait les persuader. Si je n'ai rien reçu ailleurs, dit-il, quoique je fusse dans le besoin, cela est bien plus vrai encore maintenant. « De ce qu'il y a eu de saint, de juste et d'irréprochable dans notre conduite envers vous, qui avez embrassé la foi. Vous savez que nous avons agi envers chacun de vous, comme un père envers ses enfants, vous exa portant, vous consolant ». Après avoir parlé de sa manière de vivre au milieu des hommes, il parle de ce qui tient à la charité, ce qui est une idée plus élevée, et son langage est celui de l'humilité. « Comme un père envers ses enfants, vous exhortant, vous consolant, vous conjurant de marcher d'une manière digne de Dieu, qui vous a appelés au partage de sa royauté et de sa gloire ». Cette expression, « vous conjurant», lui est inspirée par le souvenir de ce que font les pères. Oui, nous vous avons conjurés; et, en cela, nous n'avons pas usé de rigueur, nous nous sommes conduits comme des pères. « Chacun de vous ». Ah ! dans une si grande multitude , personne de négligé , ni petit, ni grand, ni riche, ni pauvre ! « Vous exhortant », dit-il, à la résignation; « vous consolant, vous conjurant ». « Vous exhortant » ; donc les apôtres ne cherchaient pas la gloire. « Vous conjurant » ; certes, ce n'étaient pas des flatteurs; « de marcher d'une a manière digne de Dieu, qui vous a appelés au partage de sa royauté et de sa gloire ». Voyez maintenant ce que ce récit a d'instructif et de consolant. Car si Dieu nous a appelés à sa royauté, s'il nous a appelés à sa gloire, il faut tout supporter. Nous vous exhortons, non pas pour que vous nous fassiez quelque faveur, mais pour que vous obteniez le royaume des cieux.
« C'est pourquoi nous rendons à Dieu, nous aussi, de continuelles actions de grâces, de ce qu'ayant entendu, de notre bouche, la parole de Dieu, vous l'avez reçue, non comme la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu'elle l'est véritablement, la parole de Dieu, efficace en vous qui avez embrassé la foi (13) ». On ne peut pas prétendre, dit-il, que nous, de notre côté, nous fassions toutes choses d'une manière absolument irréprochable, mais que vous, de votre côté, vous vous montriez indignes de notre séjour auprès de vous; car vous ne nous avez pas écoutés comme on écoute des hommes; vous avez été attentifs, comme si vous entendiez les avertissements de Dieu même. Qui le prouve ? De même qu'il démontre qu'il n'a recherché ni la faveur qu'obtiennent les flatteries, ni fa vaine gloire dans ses prédications, et qu'il en donne pour preuves les périls qu'il a courus, le témoignage de ses auditeurs, les oeuvres qu'il a faites, de même il prouve, par les périls qu'ils ont affrontés, la piété avec laquelle ils ont reçu la parole. En effet, comment, leur dit-il, si vous n'aviez pas écouté, comme on écouterait Dieu lui-même, comment pourriez-vous supporter de tels périls? Et voyez à quelle hauteur il les élève: « Car, mes frères, vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée ; vous avez souffert, de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Eglises de la part des juifs, qui ont tué le Seigneur Jésus-Christ, et les prophètes; qui nous ont persécutés; qui ne sont point agréables à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes; qui nous empêchent d'annoncer aux gentils la parole du salut, comblant ainsi la mesure de leurs péchés, car la colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu'à la fin ».(Ibid. 14, 15, 16.)
2. Vous êtes, dit-il, devenus les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont dans la Judée. Grande consolation ; il n'est pas étonnant, dit-il, que les juifs vous traitent comme ils ont traité leurs frères. Et maintenant ce n'est pas une faible marque de la vérité de la prédication, de voir que des juifs mêmes étaient décidés à tout supporter. « Parce que vous avez a souffert »,dit-il,« de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Eglises de la part des juifs ». Il y a plus d'énergie en ce qu'il dit: « Que celles qui sont dans la Judée ». Il montre par là que les fidèles se réjouissaient partout de leurs combats. Il dit donc Vous aussi, vous avez souffert les mêmes traitements ; et maintenant, qu'y a-t-il d'étonnant qu'ils vous aient fait subir les rigueurs qu'ils ont osé exercer contre le Seigneur? Voyez-vous quelle grande consolation il leur apporte?
Et il ne se lasse pas d'exprimer cette idée dans presque toutes ses lettres, vous le verrez, si vous les étudiez avec soin; toujours opposer aux épreuves mille exemples différents empruntés du Christ. Voyez bien, ici, c'est en accusant les Juifs, qu'il rappelle l'histoire du Seigneur, la passion du Seigneur; il savait bien que c'était là la meilleure des consolations. « Qui ont tué le Seigneur », dit-il ; mais peut-être ne le connaissaient-ils pas? Au contraire, ils le connaissaient parfaitement, et après ? N'ont-ils pas encore tué leurs prophètes ? et lapidé ceux dont ils portent partout les livres? Certes, ils ne l'ont pas fait par amour pour la vérité. Donc il n'y a pas seulement une consolation dans les tentations; mais encore un: avertissement qui nous fait voir que les persécuteurs n'agissent point par amour pour la vérité; ce qui est un motif pour les fidèles de ne pas se troubler. « Qui nous ont persécutés », dit-il; et nous aussi, dit-il, nous avons souffert des maux sans nombre. « Qui ne sont point agréables à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes, qui nous empêchent d'annoncer aux gentils la parole du salut». Vous l'entendez: « Qui sont ennemis », dit-il, « de tous les hommes ». Comment cela? C'est que, s'il faut parler à toute la terre, et s'ils nous en empêchent, ce sont, pour toute la terre, des ennemis. Ils ont tué le Christ, les prophètes; ils outragent Dieu ; ce sont, pour toute la terre, des ennemis ; ils nous chassent, nous; qui sommes venus pour le salut du monde. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'ils aient tenu envers vous la même conduite; qu'ils reproduisent ce qu'ils ont fait dans la Judée? « Qui nous empêchent», dit-il, «d'annoncer aux gentils la parole du salut ». L'envie, voilà ce qui fait obstacle au salut de tous. « Comblant ainsi la mesure de leurs péchés, car la colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu'à la fin ». Il n'y a plus lieu de croire qu'il en sera comme par le passé; il n'y a plus pour eux. de retour possible; ils ne mettent plus de bornes à leurs crimes; la colère de Dieu va fondre sur eux. Qui le prouve? La prédiction du Christ, car la consolation des affligés ne consiste pas seulement à voir leurs afflictions partagées, mais à voir le coup qui frappe ceux qui les ont affligés. Si le retard de la vengeance est une douleur, que ce soit une consolation de n'avoir plus à l'attendre. L'apôtre fait plus; il a supprimé le délai en disant : que « la colère » est proche, qu'elle est décidée, qu'elle est prédite.
«Aussi, mes frères, ayant été pour un peu de temps comme des orphelins, loin de vous par le corps, non par le coeur, nous avons désiré, avec d'autant plus d'ardeur, de jouir de votre présence ». Il ne dit pas, séparé, il emploie un mot plus expressif. Plus haut il a parlé de la flatterie pour montrer qu'il ne flatte pas, qu'il ne recherche pas la gloire. De même qu'il a dit plus haut: « Comme un père envers ses enfants, comme une nourrice », de même ici il emploie une expression de choix, «comme des orphelins » ; ce qui se dit des enfants qui n'ont plus de père. Eh quoi ! ceux-ci sont-ils donc orphelins? Non, dit-il, mais c'est nous. Si l'on médite sur la nature de la douleur, de même que des enfants, en bas-âge, dont nul ne prend soin, qui supportent, avant le temps, une perte cruelle, regrettent amèrement leurs parents, non-seulement par affection naturelle, mais parce qu'ils sont dans l'abandon, de même cela est vrai de nous; de là il montre la douleur que son âme ressentait de la séparation. Et si nous pouvons,nous exprimer ainsi, ce n'est pas que nous ayons été loin de vous longtemps, mais « pour un peu de temps », et cela, « par le corps , non par le coeur. Car nous vous portons toujours dans notre pensée». Voyez la force de l'affection. Quoiqu'il les portât toujours dans son coeur, il recherchait leur vue, leur présence. Qu'on ne m'objecte pas ici une sagesse intempestive ; voilà la marque d'une ardente charité: voir, entendre, converser, c'est une grande consolation. « Nous avons désiré avec d'autant plus d'ardeur », qu'est-ce à dire « avec d'autant plus d'ardeur? » Ou cela veut dire: Nous vous étions fortement attachés, ou, comme il est vraisemblable, après une heure d'éloignement, nous désirions voir votre visage. Voyez, considérez le bienheureux Paul; ne pouvant par lui-même satisfaire son désir, il le fait par des intermédiaires ; comme lorsqu'il envoie, aux habitants de Philippes, Timothée ; à ceux de Corinthe, le même encore; il a recours à des intermédiaires, quand il ne peut pas se rapprocher lui-même; sa tendresse en effet avait des transports invincibles; son amitié était indomptable. C'est pourquoi « nous avons voulu vous aller trouver », c'est l'affection qui tient ce langage. Quoiqu'en ce moment, (193) dit-il, je n'aie pas d'autre besoin que celui de vous voir. « Et moi Paul, je l'ai voulu, une et deux fois; mais Satan nous en a empêchés ».
3. Que dites-vous, saint apôtre? Satan vous empêche? Oui; ce n'était pas là l'oeuvre de Dieu. Pour les Romains, il leur dit que Dieu l'en a empêché. (Rom. XV, 22.) Et ailleurs, Luc déclare que l'esprit les a empêchés de venir en Asie. (Act. XVI, 6.) Aux Corinthiens, il dit que c'est l'oeuvre de l'esprit; ici, au contraire, que c'est loeuvre de Satan. Mais quel est cet empêchement qui vient de Satan ? Des épreuves qu'il ne soupçonnait pas, épreuves violentes; c'est que des piéges lui avaient été tendus par les juifs, et il fut retenu dans la Grèce pendant trois mois. (Act. XX, 3.) Il y a certes une différence entre demeurer de propos délibéré, en vertu d'un projet, demeurer de soi-même, et se trouver empêché. Dans l'épître aux Romains, il dit : « C'est pourquoi, n'ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci». (Rom.XV, 23.) Ailleurs : « C'est pour vous épargner que je n'ai point voulu aller à Corinthe ». (II Cor. I, 23.) Ici, au contraire , rien de pareil ; mais quoi ? « Satan nous en a empêchés. Moi Paul, une fois et deux fois ». Voyez quelle recherche de paroles, comme il tient à montrer la vivacité de son affection pour eux : « Moi Paul ». C'est comme s'il disait: Quand même les autres ne l'eussent pas voulu. Les autres se bornaient à vouloir, mais moi j'ai entrepris. « Et certes, quelle est notre espérance, notre joie et la couronne de notre gloire ? N'est-ce pas vous aussi, qui l'êtes devant le Seigneur Jésus-Christ, pour le jour de son avènement? » (Ibid. 19.) Ce sont les Macédoniens, qui sont votre espérance, ô bienheureux Paul? Non, dit-il, pas eux seulement. Voilà pourquoi il s'exprime de cette manière « N'est-ce pas vous aussi? » « Quelle est en effet », dit-il, « notre espérance , notre joie et la couronne de notre gloire ? » Ne reconnaissez-vous pas là le langage des femmes ont les entrailles s'attendrissent, quand elles parlent à leurs enfants tout petits ? « Et la couronne », dit-il, « de notre gloire». Le mot de couronne ne lui suffisait pas pour montrer la splendeur qu'il a en vue , il ajoute : « De notre gloire ». Quel feu ! Jamais un père, une mère, supposez-les ensemble , et confondant leur amour, ne pourraient montrer une tendresse égale à celle de Paul. « Notre joie », dit-il , « et la couronne ». Je tressaille plus de joie , dit-il , pour vous , que pour une couronne. Considérez toute une Eglise, Eglise que Paul a plantée , et qui a poussé des racines ; qui ne tressaillirait pas devant cette nombreuse postérité, cette postérité si belle? Aussi, ce langage n'est pas de la flatterie; car il ne dit pas seulement , vous, mais : Vous avec les autres , « vous êtes notre gloire et notre joie (20) ».
« Ainsi, ne pouvant souffrir plus longtemps de n'avoir point de vos nouvelles, j'ai jugé à propos de rester tout seul à Athènes » , ce qui veut dire : J'ai préféré. « Et je vous ai envoyé Timothée, notre frère et ministre de Dieu dans la prédication de l'Evangile de Jésus-Christ (III, 1, 2) ». Ce qu'il dit , ce n'est pas pour faire l'éloge de Timothée, mais pour leur montrer combien il les honore , en leur envoyant un aide et un ministre de l'Evangile; c'est comme s'il disait : Nous avons arraché à ses travaux, nous avons envoyé un ministre de Dieu, notre aide dans l'Evangile du Christ. Et il ajoute la raison : « Pour vous fortifier et vous exhorter dans votre foi, afin que personne ne s'ébranle par les persécutions qui nous arrivent (3) ». Qu'est-ce à dire ? C'est que les épreuves des maîtres troublent les disciples. Or, il était en proie alors à un grand nombre d'épreuves, comme il le dit lui-même : « Satan nous en a empêchés ». C'est pour les ranimer qu'il leur parle ainsi; comme s'il disait: Une fois, deux fois, j'ai voulu aller vous trouver, sans le pouvoir; ce qui était, pour lui, une grande privation. Or il est vraisemblable que cette absence les avait troublés , car les disciples sont moins tourmentés de leurs propres épreuves que de celles de leurs maîtres. Un soldat s'affecte moins de ses propres blessures que de celles du chef de l'armée. « Pour vous fortifier », dit-il; donc, c'est pour prévenir leur trouble, qu'il a envoyé; ce n'est pas que leur foi fût défectueuse, ni qu'ils eussent quelque chose à apprendre. « Et vous exhorter à demeurer fermes dans votre foi ; sans que personne soit ébranlé des persécutions qui nous arrivent. Car vous savez que c'est à quoi nous sommes destinés. Dès lors même que nous étions parmi vous , nous vous prédisions que nous aurions des afflictions à souffrir; et nous en avons eu, en effet, comme vous le (194), savez (4) ». Il ne faut pas se troubler, dit-il; il n'est rien arrivé d'étrange, d'inattendu cette observation devait suffire pour les ranimer. Comprenez-vous que c'est pour la même raison que le Christ disait aussi à ses disciples ce qui devait arriver? Ecoutez ses paroles : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que, lorsque cela sera arrivé, vous croyiez en moi ». (Jean, XIV, 29.) Car c'est une grande consolation, une bien grande, en vérité, d'être ainsi averti de la bouche des maîtres. Un malade entend son médecin lui dire que ceci, que cela doit arriver, et il ne se trouble pas; supposez, au contraire, un accident imprévu, le médecin lui-même incertain et embarrassé, la maladie plus forte que la médecine, voilà le malade troublé, consterné; il en est de même ici. Paul, qui voyait l'avenir, leur prédit les afflictions, « et nous en avons eu », dit-il, « en effet, comme vous le savez ». Et il ne dit pas seulement que telle affliction a eu lieu, mais qu'il en a beaucoup prédit, et que tout ce qu'il a prédit est arrivé. « C'est à quoi nous sommes destinés ». Par conséquent, non-seulement les épreuves passées ne doivent ni nous troubler ni nous confondre, mais il en doit être de même des épreuves à venir qui pourraient se rencontrer. « C'est à quoi nous sommes destinés ».
4. Ecoutons, si nous avons des oreilles pour écouter. C'est à cela qu'est destiné le chrétien. Le, « c'est à quoi nous sommes destinés », l'apôtre l'applique à tous les fidèles. « C'est à quoi nous sommes destinés », et nous, comme si nous étions destinés à une vie tranquille, nous sommes tout étonnés. Et maintenant de quoi sommes-nous étonnés? Car l'affliction qui nous a saisis, l'épreuve n'a rien que d'humain. C'est le cas de vous dire : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'à répandre votre sang, en combattant contre le péché ». (Hébr. XII, 4.) Je me trompe, ce n'est pas le cas de vous adresser ces paroles. Que faut-il donc vous dire ? Vous n'avez pas encore méprisé les richesses. A ceux qui avaient perdu tous leurs biens, on pouvait adresser les paroles de l'apôtre; mais à ceux qui ont toute leur fortune, que leur dire, sinon, à qui a-t-on ravi ses biens, à cause du Christ? A qui a-t-on donné des soufflets? Qui donc a été outragé? je dis, en paroles. De quoi donc pourriez-vous vous glorifier? Où prendriez-vous le droit de parler? Quand le Christ a tant souffert pour nous qui étions ses ennemis, quelles souffrances pouvons-nous montrer, endurées par nous pour lui? Nos souffrances, néant; les bienfaits reçus de lui, c'est linfini. Où prendrons-nous le droit de parler au dernier jour? Ne savez-vous pas que c'est un corps couvert de blessures, criblé de cicatrices qui recommande le soldat au souverain? S'il n'a rien à montrer, fût-il même irréprochable , ignorez-vous qu'il reste au dernier rang ? Mais ce n'est pas le temps des combats, me répond-on. Mais si c'était le temps des combats; où trouverait-on, répondez-moi, un combattant? Qui s'élancerait dans la mêlée? Qui mettrait en déroute la phalange ennemie? Ah ! personne, je le crains : quand je vois que vous ne parvenez pas à mépriser les richesses en vue du Christ, comment croirais-je que vous sauriez mépriser les coups? Savez-vous, répondez-moi, supporter noblement les outrages, et bénir qui vous fait affront? Vous ne le faites pas, vous n'obéissez pas à la loi. Vous ne faites pas ce qu'on peut faire sans dan. ger, et vous supporterez les coups, dites-moi, malgré la souffrance, malgré la douleur? Ne savez-vous pas qu'il faut, dans la paix, s'exercer à la guerre? Ne voyez-vous pas ces soldats qui sans que la guerre, gronde d'aucun côté, au sein d'une paix profonde, fourbissent leurs armes, suivent les chefs qui leur enseignent la manoeuvre dans les rangs, et s'en vont au soleil , dans de vastes plaines, tous les jours, s'exercer aux combats, avec un zèle ardent? Qui les imite pour les combats spirituels? Personne. Aussi, quand vient la guerre, sans vigueur et sans énergie, nous appartenons à qui veut nous prendre.
Quelle démence que de se figurer que le temps présent n'est pas le temps des combats, lorsque Paul nous crie : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, seront persécutés » (II Tim. III, 12) ; lorsque le Christ nous dit : « Vous aurez à souffrir l'affliction dans le monde » (Jean, XVI, 33); lorsque le bienheureux Paul nous crie encore de sa voix éclatante : « Nous n'avons pas à combattre la chair et le sang, mais... » et encore: « Soyez donc fermes; que la vérité soit la ceinture de vos reins ». (Ephés. VI, 12, 14.) Et nul, dans ces jours d'autrefois, ne lui dit Pourquoi nous armez-vous, je vous le demande, puisqu'il n'y a pas de guerre ?(195) Pourquoi nous créer des affaires sans besoin? Pourquoi faire prendre la cuirasse à des soldats qui pourraient vivre dans le repos et la tranquillité? A qui lui eût fait entendre 'de telles paroles, l'apôtre aurait répliqué : C'est surtout quand il n'y a pas de guerre, qu'il faut penser à la guerre. Quiconque, dans la paix, pense à la guerre, sera terrible à l'heure des batailles; au contraire, celui qui ne sait pas la guerre, s'épouvante, même au sein de la paix. Pourquoi? Parce qu'il pleure en voyant ce qu'il possède , et il s'attriste de ne pouvoir défendre ses biens en combattant. Car tous les biens ales lâches qui ne savent passé battre, appartiennent aux braves habitués aux combats, et voilà une première raison pour vous armer. Ensuite le temps de la guerre, c'est le temps de notre vie. Comment cela, et de quelle manière? Le démon nous assiège tant que notre vie dure. Écoutez ce que dit l'apôtre à ce sujet. Il tourne autour de nous, comme un lion rugissant ( I Pierre , V, 8), pour nous enlever. Les innombrables passions des sens se ruent sur nous , il faut les passer en revue si nous voulons nous soustraire à l'irréflexion qui nous tromperait. Dites-moi , je vous le demande, qui ne combat pas contre nous? Richesses, beauté, plaisirs, pouvoir, envie , gloire, orgueil insolent. Ce n'est pas seulement notre gloire à nous, qui combat contre nous pour nous ravir l'humilité, c'est aussi la gloire des autres, pour nous inspirer une haine envieuse. Et maintenant tous les maux contraires, pauvreté, ignominie; mépris, abandon , privation de toute force , ne nous font-ils pas aussi la guerre? Tous ces ennemis sont en nous ; nous en avons aussi d'extérieurs : les méchancetés , les trahisons, les perfidies, les calomnies, les pièges de toutes sortes; et tous les malheurs que les démons nous ménagent, les principautés, les puissances , les princes de ce siècle de ténèbres, les esprits de perversité. Nous sommes, les uns dans la joie, les autres dans la douleur. Aberration des deux côtés. Mais la santé, mais la maladie. Où trouver ce qui n'est pas une cause de péché? Voulez-vous que je remonte jusqu'à Adam, pour vous dire tout de suite comment tout s'explique? Qu'est-ce qui a perdu le premier homme ? Le plaisir, la gourmandise, l'ambition. Et, après lui, son premier fils? L'envie et la haine. Et les hommes du temps de Noé ? La luxure et tous les maux qu'elle enfante. Et le fils de Noé ? L'oubli de la pudeur, l'effronterie. Et les Sodomites ? L'abomination , la débauche blasée et repue. Et. c'est ce qui arrive souvent à la pauvreté même : aussi un sage disait : « Ne me « donnez ni la richesse ni la pauvreté ». (Prov. XXX, 8.) Faisons mieux, n'accusons ni la richesse, ni la pauvreté , mais la volonté incapable de faire un bon usage soit de la pauvreté, soit de la richesse. «Reconnaissez», dit le sage, « que vous marchez parmi les pièges » . (Ecclés. IX, 38.)
5. C'est donc avec une admirable sagesse que le bienheureux Paul dit: « C'est à quoi à nous sommes destinés ». II ne se contente pas de dire: Nous sommes soumis aux épreuves, mais: « C'est à quoi nous sommes destinés » ; comme s'il disait: C'est pour cela que nous naissons. C'est là notre tâche, c'est là notre vie, et toi, au rebours, tu cherches le repos? Il n'y a pas près de vous de bourreau qui vous déchire le flanc, qui vous force de sacrifier; mais la cupidité est là, l'avarice est là qui nous arrache les yeux. Il n'y a pas de soldat pour mettre le feu à notre bûcher, pour nous étendre sur le gril ardent, mais le feu de nos sens est plus brûlant que les flammes des bourreaux. Il n'y a pas de roi pour nous promettre des biens innombrables et forcer notre consentement, mais il y a l'amour insensé de la gloire, plus puissant à nous séduire. Combat terrible, oui, vraiment épouvantable, si nous voulons conserver la sagesse; la vie présente, elle aussi, a ses couronnes.: écoutez Paul qui vous dit: « Il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice que me décernera le juste juge, et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement ». (II Tim. IV, 8.) Quand vous perdez un enfant chéri, un fils unique, élevé dans l'opulence, qui donnait de belles espérances, qui devait être votre seul héritier, ne pleurez pas, mais bénissez Dieu, glorifiez celui qui a reçu votre enfant, et vous ne le céderez en rien à Abraham. De même qu'il donna son fils à Dieu pour obéir à son ordre, de même, vous, laissez Dieu vous prendre le vôtre, et ne gémissez pas.
Vous êtes tombé dans une maladie grave, et voilà une foule de gens qui veulent vous forcer à recourir à des charmes, à des amulettes, à d'autres moyens encore pour obtenir votre guérison; mais vous, qui craignez Dieu, vous (196) leur opposez l'énergie, la fermeté d'une grande âme, vous aimez mieux tout souffrir que de rien faire qui sente le culte des idoles; eh bien, cette conduite vous vaut la couronne du martyre. N'en doutez pas. Comment cela, et de quelle manière? je vous l'explique. De même que le martyr supporte avec l'énergie d'une grande âme toutes les tortures, plutôt que d'adorer les idoles, de même, vous aussi, vous supportez les douleurs de la maladie, plutôt que de recourir à ce que vous offre le démon, plutôt que de faire ce qu'il veut devons. Mais les douleurs du martyre sont bien plus violentes? Mais celles de la maladie sont plus longues: aussi le résultat est le même. Souvent même elles sont plus violentes. Eh bien, que faites-vous, répondez-moi, quand la fièvre intérieure tourmente votre corps et le brûle, et que, repoussant les conseils qu'on vous donne , vous rejetez bien loin de vous le charme magique, est-ce que vous ne ceignez pas votre front de la couronne du martyre?
Autre circonstance encore : vous avez perdu de l'argent? Des conseillers en foule vous disent d'aller consulter les devins : mais vous, vous n'écoutez que la crainte de Dieu, vous savez ce qu'il défend, et vous aimez mieux perdre votre argent que de désobéir à Dieu. Qu'en résulte-t-il ? Vous obtenez une récompense aussi forte que si vous aviez donné cet argent aux pauvres; si, après avoir subi une telle perte, vous bénissez le Seigneur, si, au lieu d'aller trouver les devins, vous consentez plutôt à ne recouvrer jamais rien, vous obtenez une récompense aussi forte que si vous vous étiez dépouillé pour Dieu. De même que c'est la crainte de Dieu qui fait qu'on se dépouille pour les indigents, de même c'est la crainte de Dieu qui vous a empêché, de rentrer en possession de ce que d'autres vous ont ravi. Il ne dépend que de nous d'être ou de n'être pas blessés dans nos vrais intérêts; nul autre ne peut nous nuire. Si vous le voulez, méditons cette vérité, à propos du vol.
Un voleur a brisé le mur d'une chambre, il s'y est élancé, il a. fait main basse sur de la vaisselle d'or d'un grand prix, sur des pierres précieuses, enfin il a emporté tout un trésor, et ce voleur n'a pas été pris. Voilà un malheur qui paraît lourd à supporter, il semble qu'il y ait là un grave préjudice; il n'en est rien ; il dépend de vous qu'il y ait là, soit préjudice, soit profit. Et comment pourrait-on y trouver un profit, me dites-vous? Je veux essayer de vous en faire la démonstration. Vous n'avez, vous, qu'à vouloir ce qui est arrivé, il y aura un profit considérable; si vous refusez le concours de votre volonté, vous subirez un dommage plus grand que la perte réelle. Il en est ici comme dans l'industrie : la matière première étant donnée , l'ouvrier habile en fait un bon usage ; au contraire, l'ouvrier maladroit la perd, la gâte; il fait si bien qu'elle est, pour lui, une cause de préjudice; il en est de même dans cette circonstance. Comment donc y aura-t-il pour vous un profit? Si vous bénissez Dieu, si vous ne faites pas entendre d'amères lamentations, si vous répétez les paroles de Job: « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté : nu, je suis sorti du ventre de ma mère; nu, je m'en retournerai ». (Job. I, 21.) Que dites-vous : « Le Seigneur m'a ôté? » C'est le voleur qui m'a ôté, me réplique-t-on, et comment pouvez-vous dire : « Le Seigneur m'a ôté? » Cessez de vous étonner c'était à propos de ce que le démon lui avait ôté que Job aussi s'écriait . « Le Seigneur m'a ôté ». Or, si ce saint personnage n'a pas craint de parler ainsi, comment pourrez-vous hésiter, quand un voleur vous aura enlevé quelque chose, à dire que c'est le Seigneur qui vous l'a ôté? Quel homme admirez-vous, répondez-moi, celui qui prodigue son bien aux pauvres, ou Job qui fait entendre ces paroles? Job n'a pas -moins de mérite que celui qui donnerait tout son bien aux pauvres, quoiqu'il ne donnât rien alors. Ne dites pas : Il m'est impossible de faire entendre des actions de grâces, ce n'est pas par ma volonté que l'événement est arrivé ; je ne le soupçonnais, ni ne le voulais quand le voleur m'a pris mon bien; quelle pourrait être ma récompense ? Ni Job non plus ne soupçonnait, ni ne voulait ce qui lui est arrivé, est-il besoin de le dire ? toutefois Job a lutté. Eh bien, vous pouvez, vous aussi, mériter une récompense aussi grande que si vous aviez volontairement sacrifié vos biens.
Et c'est avec raison que nous avons, pour celui qui bénit Dieu, au sein des injustices qu'il subit, plus d'admiration encore que pour celui qui donne volontairement ce qu'il possède. Pourquoi? C'est que ce dernier reçoit des éloges qui le soutiennent, il a sa conscience nourrie de bonnes espérances, et ce n'est que quand il se sent assez fort pour supporter la perte de ses biens, qu'il les rejette loin de lui; le (197) premier au contraire, est encore attaché aux richesses qu'on lui arrache par violence. Or, voilà deux conditions qui ne. sont pas les mêmes : Ne s'être rien réservé de ses biens après y avoir renoncé volontairement ; ou, quand on les possède encore, se les voir arracher. Prononcez les paroles de Job, et vous recevrez des trésors, des trésors bien plus considérables que ceux qui furent accordés à Job. Job n'a reçu que le double de ce qu'il possédait auparavant (Job, XLII, 10); mais à vous, le Christ promet le centuple. La crainte de Dieu vous a fait éviter le blasphème? vous n'avez pas recouru aux devins? dans le malheur, vous avez béni Dieu ? C'est comme si vous aviez pris les richesses en dédain; car une pareille conduite suppose nécessairement le dédain des biens de ce monde. Or il n'y a pas égalité de mérite entre la sagesse lentement acquise qui dédaigne ces biens, et la vertu qui supporte tout le coup d'une perte subite. C'est ainsi que la perte devient un profit, que vous ne recevez aucun préjudice, au contraire que vous recevez du démon un bienfait.
6. Mais maintenant, comment la perte devient-elle un malheur pour vous ? C'est lorsque votre âme est blessée par cette perte. En effet, répondez-moi. Un voleur vous a dépouillé de votre argent? Pourquoi vous dépouillez-vous vous-même de votre salut? pourquoi, aux malheurs qui vous viennent des autres, ajoutez-vous de plus grands malheurs où vous vous: précipitez vous-même? Ce voleur vous a peut-être jeté dans la pauvreté, mais vous êtes le premier à vous faire, dans vos plus chers intérêts, les torts les plus graves; ce voleur vous a privé de choses extérieures à vous, qui plus tard, malgré vous, devaient vous abandonner; mais vous, vous vous enlevez à vous-même votre éternel trésor. Le démon vous a affligé en vous privant de vos biens? Affligez-le à votre tour, vous aussi, en bénissant le Seigneur. Gardez-vous de réjouir le démon ; .si vous allez trouver les devins, vous réjouissez le démon ; si vous bénissez Dieu, vous portez au démon un coup mortel. Et voyez ce qui arrive : vous ne retrouverez pas vos biens, pour avoir été consulter les sorciers, car ils ne sauraient rien vous dire ; si d'aventure ils vous apprennent quelque chose, vous perdez votre âme, vous devenez la risée de vos frères, et vous reperdez de nouveau, et tristement, tous vos biens. En effet le démon qui sait que vous ne supportez pas une perte de ce genre, que c'est pour vous un motif de renier votre Dieu, ne vous rend vos richesses que pour se ménager une nouvelle occasion de vous tromper. Supposez que les devins parfois rencontrent juste, il n'y a pas lieu, pour vous, de vous étonner. Le démon n'a pas de corps; il rôde dans tout l'univers, c'est lui-même qui arme les brigands; car ces oeuvres-là ne se font pas sans le concours du démon. Donc, si c'est lui qui arme les brigands, il sait de même où ils se cachent; car il n'est pas sans connaître ceux qui le servent. Il n'y a donc là rien d'étonnant. Le démon voit qu'une perte vous afflige, il vous en ménage une seconde; s'il voit au contraire votre dédain qui ne fait que rire de pareilles attaques, il renonce à vous harceler par ce moyen. C'est la conduite que nous tenons nous-mêmes avec nos ennemis; nous ne les attaquons que par ce qui peut leur causer de la peine; si nous les trouvons indifférents, nous renonçons à les affliger, dans l'impuissance où nous sommes de les piquer au vif; ainsi fait le démon.
Que dites-vous? Ne voyez-vous pas l'indifférence que montrent pour l'argent les navigateurs; quand la tempête s'élève sur la mer, comme ils jettent tout dans les flots ? Et personne ne se prend à dire : Que fais-tu, ô homme? Agis-tu donc de concert avec la tempête, es-tu le complice du naufrage? Avant que les flots engloutissent ton trésor, c'est toi-même qui le jettes dans le gouffre, de tes propres mains? Avant le naufrage, tu te fais un naufrage toi-même ? Ce seraient là des propos d'un homme grossier, n'ayant aucune idée des hasards de la mer ; au contraire, le matelot expérimenté, sachant ce qui produit le calme, ce qui provoque la tempête, ne fera que rire à de telles paroles : Si je jette, dira-t-il, une proie au gouffre, c'est pour que tout ne soit pas englouti. De même celui qui a l'expérience des choses de la vie humaine et de ses épreuves, au moment où l'esprit risque de faire naufrage, englouti par là corruption, le sage alors se débarrasse de l'argent qui lui reste. On vous a volé, faites l'aumône, et vous rendrez votre barque plus légère. Des brigands vous ont dépouillé ? Eh bien, vous, donnez au Christ ce qu'ils vous ont laissé. Voilà comment vous vous consolerez dans la pauvreté qu'on vous a faite. Rendez votre barque plus légère, ne songez pas à garder ce qui vous reste, votre (198) barque pourrait sombrer. Eh quoi, pour sauver leurs corps, les matelots jettent la cargaison, ils n'attendent pas l'invasion du flot qui submergerait la barque; et vous, pour sauver votre âme, vous ne conjurerez pas le naufrage ? Faites-en l'essai, si vous ne me croyez pas, je vous en conjure, faites-en l'essai, et vous verrez la gloire de Dieu. Quand il vous arrive quelque affliction, faites bien vite l'aumône, bénissez Dieu de ce qui vous arrive, et vous verrez de quelle joie vous serez inondé. Tel est le profit, si mince qu'il soit, dans les choses. de l'esprit, qu'il fait disparaître toute perte dans les choses de ce monde. Tant que vous avez de quoi donner au Christ, vous êtes riche.
Répondez-moi, vous avez été dépouillé, un roi s'approche de -vous, vous tend la main, ne rougit pas de recevoir de vous quelque chose, ne vous regarderez-vous pas comme le plus riche qui soit au monde, vous qui, dans une si grande pauvreté, voyez un roi qui ne rougit pas de vous? Ne vous dépouillez pas vous-même, n'ayez qu'une pensée, celle de vous vaincre vous-même, et vous vaincrez sans peine le perfide démon. Il ne dépend que de vous de faire de grands bénéfices. Méprisons les richesses, afin de ne pas mépriser notre âme. Mais comment arriverons-nous à les mépriser? Ne voyez-vous pas ce qui se passe pour la beauté du corps, et l'amour qu'elle inspire; tant que les yeux en sont frappés, le feu brûle, la flamme s'élève et resplendit; une fois qu'on a détourné ses regards, tout s'éteint, tout est assoupi; est-ce vrai? Il en est de même des richesses : que nul n'amasse des objets dorés, plus de pierres précieuses, plus de colliers, plus de bracelets , plus de cette amorce pour les yeux. Si vous voulez être riche, comme les hommes des anciens jours, ne mettez pas votre richesse dans l'or, mais dans les choses nécessaires, afin d'être toujours prêt à les distribuer aux autres. Renoncez à l'amour des ornements ; les richesses de ce genre sont exposées aux mauvais coups des brigands, et ne nous donnent que des soucis; plus de vases d'or ni d'argent; ayez des provisions de froment, de vin, d'huile; ayez-en, non pour les vendre et en faire de l'argent, mais pour les distribuer aux malheureux. Si nous savons nous détourner de ces biens superflus, nous obtiendrons les biens du ciel. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, en Jésus-Christ, etc.