TOME III.
La patience de Job, principe de sa gloire . Les maux de la
vie présente ne sont rien. Le seul mal véritable, c'est le péché. Il
faut craindre non de mourir, mais d'offenser le Seigneur. Une conscience pure ne
redoute point la mort. La pénitence apaise la colère de Dieu. Pénitence
des Ninivites. Il faut s'abstenir de jurer.
1. Votre courage s'est ranimé, je crois,
depuis hier, depuis que je vous ai montré les trois enfants dans la fournaise de Babylone
et Job assis sur ce fumier plus vénérable que tous les trônes. Quel profit retirer de
la vue d'un trône? On goûte un instant de plaisir; mais c'est un plaisir absolument
stérile. Qu'il est avantageux au contraire de contempler ce fumier où Job est assis !
Cette contemplation, c'est comme une source de sagesse, une exhortation à la patience.
Aussi, même de nos jours, combien passent les mers pour se rendre en Arabie, pour voir ce
fumier glorieux, et baiser cette terre témoin des victoires et des combats de ce saint
homme, arrosée de ce sang plus précieux que tous les trésors. Oui, la pourpre a moins
d'éclat que n'en avait ce corps inondé,. non
du sang d'autrui, mais de son propre sang. Oui, ses ulcères avaient plus de prix que
toutes les pierreries. Notre vie trouve-t-elle quelques ressources dans les pierres
précieuses, et sont-elles indispensables à celui qui les possède? Mais, ces ulcères,
ils relèvent toute âme abattue. Voyez, en effet. Qu'un homme vienne à perdre un fils
unique, objet de toute son affection; en vain lui montrerez-vous toutes les pierreries du
monde, vous ne pourrez le consoler, ni apaiser sa douleur. Rappelez-lui, au contraire, les
ulcères de Job, vous calmerez aussitôt ses souffrances. Dites-lui: « O homme, pourquoi
pleurer? tu viens de perdre un fils unique : ce Saint
patriarche vit mourir tous ses enfants, et fut ensuite frappé dans sa chair. Il était
assis nu sur un fumier; une plaie hideuse couvrait tout son corps et le rongeait peu à
peu; et cependant il était juste, ami de (2) la vérité, pieux; il s'abstenait de toute
action coupable, et il avait Dieu lui-même pour témoin de sa vertu. » Ces paroles
banniront la tristesse de son âme affligée; et ainsi les blessures de l'homme juste
seront plus utiles que les pierres précieuses. Représentez-vous donc, vous aussi, cet
athlète; transportez-vous en esprit devant ce fumier, en présence de Job lui-même assis
au milieu comme une statue d'or ou de pierreries. Je ne sais comment dire; car je ne
trouve point de substance assez riche pour la comparer à ce corps tout couvert de sang.
Oui, la substance la plus riche a moins de prix que sa chair, et les rayons du soleil sont
moins brillants que ses ulcères: les rayons du soleil éclairent nos corps; les ulcères
de Job illuminent les yeux de nos âmes; ils plongent le démon dans les ténèbres.
Aussi, après avoir frappé ce dernier coup, le démon se retira brusquement pour ne plus
reparaître.
Pour vous, mes chers auditeurs, voyez
quels fruits abondants produit la tribulation. Tant que Job fut riche et put jouir en paix de ses biens, le démon trouva moyen de l'accuser,
sans fondement, il est vrai; mais enfin il put dire au
Seigneur : Est-ce que Job vous rend un culte désintéressé? (Job, I, 9.) Mais
quand il l'eut dépouillé, quand il l'eut réduit à l'indigence, il n'osa pas même
ouvrir la bouche. Tant que ce juste fut riche, le tentateur s'apprêtait à le combattre
et menaçait de le renverser; dès qu'il l'eut rendu pauvre, dès qu'il lui eut tout
enlevé, dès qu'il l'eut précipité dans un abîme de souffrances, il prit la fuite.
Tant que son corps fut en bonne santé, l'ennemi leva la main sur lui; mais quand il eut
meurtri sa chair, il s'enfuit désormais vaincu. La pauvreté vaut donc mieux que les
richesses, la faiblesse et la maladie valent mieux que la santé, la tentation est
préférable au repos, si l'on est vigilant : la tentation couvre de gloire celui qui
lutte et redouble son ardeur. Qui a jamais vu, qui a jamais
entendu raconter d'aussi admirables combats? Au pugilat, il suffit d'avoir blessé son
adversaire à la tête pour être vainqueur et recevoir la couronne : mais le démon,
c'est après avoir criblé de blessures le corps du juste, et l'avoir rempli d'ulcères,
qu'il est vaincu et qu'il se retire. Il lui perce le flanc, sans remporter le moindre
avantage; car il ne peut lui ravir le trésor renfermé dans son âme; mais il le rend
plus illustre, et, en le blessant ainsi, il découvre à tous les regards l'homme
intérieur pour nous en montrer toutes les richesses; et au moment où il croyait vaincre,
il se retire couvert d'ignominie et ne prononce plus une parole. Qu'y a-t-il donc, ô
démon? Pourquoi t'enfuir? Tout n'est-il pas arrivé selon tes désirs? N'as-tu pas tué
ses brebis, ses boeufs, ses chevaux, ses mulets? N'as-tu pas fait mourir ses enfants qui
formaient comme une couronne autour de leur père? N'as-tu pas couvert son corps de
blessures? Pourquoi donc te retirer? Oui, dit-il, j'ai fait tout ce que je voulais; mais
ce que je désirais le plus vivement, ce pourquoi j'ai fait tout le reste, n'a pas eu lieu
: il n'a point blasphémé; et c'était là pourtant que tendaient tous mes efforts. Sa
constance a rendu inutiles pour moi et la perte de ses biens, et la mort de ses enfants,
et les plaies de son corps; bien loin d'atteindre mon but, j'ai donné plus d'éclat à la
gloire de mon ennemi. Voyez donc, mes chers auditeurs, quels sont les heureux effets de la
tribulation ! Le corps de Job avait sans doute en partage la force et la beauté;
mais qu'il est digne de nos respects, maintenant qu'il est déchiré par ces blessures! La
laine est belle, même avant d'être teinte; mais une fois qu'elle a pris la couleur de la
pourpre, quelle délicieuse beauté, quel admirable éclat ! Si le démon n'eût
dépouillé le patriarche, nous n'eussions point admiré la puissance du vainqueur; s'il
n'eût percé son corps de mille plaies, nous n'eussions point vu son âme resplendir à
nos regards; s'il ne l'eût jeté sur un fumier, nous n'aurions point connu ses richesses.
Moins vive est la splendeur, moins grande est la gloire qui entourent
le trône d'un roi. Le roi descend de son trône pour mourir; le fumier de Job lui mérite
le royaume des cieux.
2. Quoi de plus propre à tirer nos âmes de leur abattement ! Si je vous mets sous les yeux de tels exemples, ce n'est pas pour exciter vos applaudissements, mais pour vous donner lieu d'imiter la vertu et la patience de ces hommes généreux; je veux vous apprendre par là que le seul mal véritable, c'est le péché; que la pauvreté n'est pas un mal, ni la maladie, ni l'insulte, ni la calomnie, ni le mépris, ni même la mort qui semble être le plus affreux de tous les maux. Ce ne sont là, pour les vrais sages, que des noms vides de sens; le mal véritable consiste à offenser Dieu et à faire ce qui lui (3) déplaît. Qu'y a-t-il de si terrible dans la mort, dites-moi? Craignez-vous donc d'arriver trop vite à ce port sans orage, à cette vie sans tempête? Que lhomme ne vous fasse point mourir, la loi même de la nature ne viendra-t-elle pas briser les liens qui unissent votre âme à votre corps? Et si ce que nous redoutons maintenant n'arrive pas aussitôt, du moins cela ne peut tarder bien longtemps. Je vous tiens ce langage, non pas que je pressente pour vous rien de fâcheux ni de triste; non, mais je rougis de vous voir craindre la mort. Vous espérez des biens que l'il n'a point aperçus, que l'oreille n'a point entendus, que le cour de l'homme ne peut comprendre (I Cor. II, 9), et vous refusez d'en jouir, et on vous voit négligents et comme engourdis ! Que dis-je, engourdis? Mais vous tremblez, mais vous frémissez d'horreur ! Et comment ne serait-ce pas une honte pour vous de craindre la mort, quand saint Paul gémissait d'être obligé de vivre encore et écrivait aux Romains : La créature gémit, et nous aussi, qui avons reçu les prémices de l'Esprit-Saint, nous gémissons. (Rom. VIII, 22, 23.) Et il s'exprimait ainsi non qu'il condamnât la vie présente, mais parce qu'il était pressé par le désir de la vie future. J'ai goûté la grâce, dit-il, et je ne puis plus supporter de retard.; j'ai reçu les prémices de l'Esprit-Saint, et je voudrais le posséder tout entier; je suis monté au troisième ciel, j'ai vu cette gloire ineffable, j'ai vu ce palais resplendissant , j'ai senti quelle privation m'impose ce séjour d'ici-bas, et c'est pourquoi je gémis. Dites-moi, si on vous menait à la cour d'un roi, que l'on vous montrât ces murailles étincelantes d'or, et tant d'autres ornements; si ensuite on vous conduisait dans une pauvre chaumière, avec la promesse de vous ramener bientôt dans ce palais et de vous y laisser pour toujours, ne devriez-vous pas être dévorés d'impatience et supporter avec peine même quelques jours d'attente? Ayez.la même idée et du ciel et de la terre, et plaignez-vous avec saint Paul , non de mourir si tôt, mais d'être obligé de vivre encore. Eh bien ! dites-vous, faites que je ressemble à saint Paul, et la mort ne m'effrayera pas non plus. Et qui vous empêche de ressembler à saint Paul? N'était-il pas pauvre? N'était-il pas faiseur de tentes? N'était-ce pas un homme du peuple? Ah ! s'il eût été riche et de naissance illustre, les pauvres, exhortés à imiter l'Apôtre, auraient peut-être pu objecter leur pauvreté. Mais vous ne pouvez avoir cette excuse. Car il travaillait de ses mains et vivait de ce travail de chaque jour.
Vos parents vous ont formés à la
piété; dès votre enfance on vous a initiés aux saintes lettres; lui au contraire, il
fut blasphémateur, il persécuta les chrétiens, il les outragea, il désola l'Eglise;
mais il se convertit tout d'un coup si parfaitement, qu'il l'emporta sur tous en zèle et
en ferveur : Entendez ce qu'il dit : Soyez mes imitateurs, comme je le suis
moi-même de Jésus-
Ainsi donc vous ne voudriez point mourir comme Jean-Baptiste? car il eut la tête tranchée. Ni comme saint Etienne? car il fut lapidé. Les martyrs, selon vous, ont donc fini misérablement; car les uns sont morts par le feu, les autres par le fer. Les uns ont été jetés à la mer, les autres dans des précipices, les autres livrés en proie aux bêtes féroces. Faire une fin misérable, ô homme, ce n'est point mourir de mort violente, mais mourir dans le péché. Ecoutez le Prophète qui, après avoir médité ce sujet, s'écrie : Quoi de plus affreux (4) que la mort des pécheurs? (Ps. XXXIII, 22.) Il ne s'agit point d'une mort violente, mais bien de la mort dans le péché. Et c'est à juste titre. Après qu'ils ont quitté cette vie, les pécheurs souffrent d'horribles supplices, des tourments qui ne doivent jamais cesser. C'est un ver dont le venin les dévore, un feu qui ne s'éteint point; ce sont les ténèbres extérieures, des liens qui ne se briseront jamais, le grincement de dents; la tribulation, les angoisses, la damnation éternelle.
3. Si tels sont les maux réservés aux pécheurs, que leur importe de mourir chez eux et dans leurs lits? Et au contraire le juste doit-il s'affliger de sortir de ce monde par l'épée ou par le feu, puisqu'il doit entrer en possession de biens immortels? Oui, la mort des pécheurs est affreuse. Ainsi mourut ce riche qui avait méprisé Lazare : chez lui, dans son lit, entouré de ses proches, il mourut de mort naturelle, et une fois mort il endura des tourments que ne put adoucir en rien son bonheur d'autrefois. Il en fut bien autrement de Lazare : à la porte du riche, entouré de chiens qui léchaient ses ulcères, il mourut de mort violente : (qu'y a-t-il en effet de plus horrible que la faim ?) mais une fois mort il eut en partage les biens éternels, qu'il savourait dans le sein d'Abraham. En quoi cette mort violente lui fut-elle donc funeste et quel profit revint au riche d'une mort plus douce? Mais, dites-vous, nous ne craignons pas de mourir de mort violente; nous redoutons de mourir injustement et d'être punis avec les coupables, sans avoir rien fait pour mériter les soupçons qui pèsent sur nous. Que dites-vous, je vous prie? Vous craignez de mourir injustement? Voudriez-vous donc avoir mérité la mort? Et qui serait assez misérable, assez insensé pour préférer une juste mort, quand il est menacé de mourir injustement? Si nous devons craindre la mort, c'est quand nous l'avons méritée par nos crimes. Car mourir injustement, c'est mourir comme les saints. Que d'hommes en honneur auprès de Dieu et célèbres par leur piété ont eu à subir une mort injuste ! Abel d'abord, qui sans avoir péché contre son frère, sans avoir offensé Caïn, mais uniquement pour avoir honoré Dieu, fut cruellement égorgé. Si Dieu le permit, était-ce amour, était-ce haine de sa part? Evidemment c'est qu'il aimait Abel, et qu'il voulait par ce meurtre horrible rehausser encore l'éclat de sa couronne. Vous le voyez donc, il ne faut redouter ni une mort violente, ni une mort injuste, mais la mort dans le péché. Abel mourut injustement; Caïn vécut dans la crainte et dans la douleur. Qui donc eut le sort le plus heureux, celui qui s'était endormi dans la justice ou celui qui vivait dans le péché? Celui qui mourut injustement ou celui qui reçut une juste punition? Voulez-vous que je vous dise pourquoi vous craignez de mourir ? C'est que le désir du royaume céleste n'a point ému nos coeurs, l'amour des biens futurs ne les a point embrasés. Autrement nous n'aurions que du mépris pour les choses présentes, à l'exemple de saint Paul. Nous ne craignons pas l'enfer, et c'est pourquoi nous craignons la mort. Nous ne savons pas ce qu'il y a d'insupportable dans cet éternel supplice; et c'est pourquoi nous craignons la mort au lieu. de craindre le péché. Ah ! si la crainte de l'enfer avait rempli nos âmes, la crainte de la mort n'aurait pu s'y glisser. Et sans avoir besoin d'en chercher bien loin la preuve, je la trouve ici même et dans ce qui s'est passé naguère. Dès qu'on eut publié dans Antioche la levée de ce tribut qui vous paraissait excessif, on s'agita, on discuta, on exhala ses plaintes et son indignation: on se disait les uns aux autres: c'est une vie qui n'est plus tolérable, c'est la ruine de notre cité, personne ne pourra supporter le poids d'une pareille contribution : on se lamentait, comme s'il se fût agi de perdre la vie.
Ensuite, quand par une audace criminelle, des scélérats, foulant les lois aux pieds, eurent renversé les statues et exposé. tous les citoyens à perdre la vie, quand nous vîmes l'Empereur irrité, et que nous pûmes craindre la mort; dès lors plus d'angoisses au sujet de nos biens; mais tous de dire : Ah ! que l'Empereur nous dépouille de nos biens; nous nous passerons de champs et de richesses, pourvu qu'on nous promette la vie sauve. Ainsi avant que la crainte de la mort se fût emparée de nous, ce qui nous tourmentait, c'était la perte de nos richesses; le crime de lèse-majesté une fois commis, nous eûmes peur de mourir et cette crainte fit disparaître nos précédentes appréhensions. De même si la crainte de l'enfer eût passé dans nos âmes, celle de la mort n'y aurait point pénétré. Quand le corps est sous l'empire d'une double souffrance, la plus forte d'ordinaire empêche de sentir l'autre; il en aurait été de même pour nos âmes. Si notre âme avait gardé (5) la crainte des supplices à venir, cette crainte eût comme étouffé celle des maux de la vie présente. Que l'on s'applique à ne point perdre de vue les peines de l'enfer, et on se rira de la mort, et non-seulement on sera délivré des angoisses de cette vie, mais on sera de plus arraché aux flammes éternelles. Si l'on ne cesse de craindre l'enfer on ne tombera jamais dans ce feu dévorant : cette crainte entretenue dans l'âme ne peut manquer de la rendre vertueuse.
N'est-il pas à propos que je vous dise aujourd'hui : Mes frères, ne ressemblez point aux enfants par vos sentiments, mais ressemblez-leur quant à la méchanceté? (I Cor. XIV, 20.) C'est une crainte d'enfants que de redouter la mort, sans craindre le péché, car les petits enfants ont peur d'un masque, et le feu ne les effraye pas; qu'on les porte près d'un flambeau allumé, ils tendent aussitôt la main vers le flambeau et vers la flamme. Un masque, qui n'a pourtant rien de terrible, les glace d'effroi, et le feu, qui est si dangereux, ils ne le craignent point. Nous aussi nous craignons la mort, qui est comme un masque sans danger, et nous ne craignons point le péché qu'il faudrait craindre et dont le feu dévore la conscience. Et ce n'est point la nature, mais l'ignorance qui produit cette erreur. Comprenons bien ce que c'est que la mort, et jamais nous ne la redouterons. Qu'est-ce donc enfin que la mort? Mourir, c'est se dépouiller d'un vêtement. Le corps, n'est-ce point comme un vêtement donné à l'âme, que la mort lui enlèvera pour quelque temps, et que nous reprendrons un jour entouré d'éclat? Qu'est-ce donc que la mort? C'est un pèlerinage, c'est un sommeil un peu plus long que de coutume. Si vous craignez la mort, craignez donc aussi de dormir. Si vous vous affligez de voir mourir vos frères, gémissez aussi de les voir manger ou boire : car si l'un est naturel, l'autre ne l'est pas moins. Non, ne vous affligez point de ce qui est naturel; affligez-vous plutôt à la vue d'actions perverses. Ne pleurez point ceux qui meurent, mais pleurez ceux qui vivent dans le péché.
4. Voulez-vous une autre raison de cette crainte que nous cause la mort? Nous vivons avec trop de négligence, nous n'avons pas une conscience assez pure. S'il en était autrement, rien ne nous eût effrayé, ni la mort, ni la faim, ni la perte de nos biens. Non, rien de tout cela ne peut nuire à l'homme vertueux ni le priver de la joie intérieure; celui que soutient l'espoir des biens à venir, rien ne peut le plonger dans la tristesse. Quelque traitement qu'il endure, jamais l'homme vraiment généreux n'en éprouvera de chagrin. On lui enlèvera ses richesses? Mais il en a d'autres dans le ciel. On le bannira de sa patrie? Mais c'est l'envoyer à la céleste Jérusalem. On le chargera de chaînes? Mais sa conscience est libre, et il ne sent pas ces liens extérieurs. On fera mourir son corps? Mais il ressuscitera un jour. Impossible de blesser personne, si l'on se bat contre une ombre, si l'on frappe de grands coups dans l'air; or, lutter contre le juste, c'est se battre contre une ombre, c'est s'épuiser en vain : on ne pourra lui faire de blessures. Donnez-moi donc la ferme assurance que je posséderai le royaume des cieux, et dès aujourd'hui, si vous le voulez, tranchez-moi la tête : je vous saurai gré de ce meurtre, puisque vous me mettrez si promptement en possession de ces biens. Ce qui nous désole en effet, c'est cette multitude de péchés qui nous empêchera d'arriver à ce royaume céleste.
Eh bien ! cessez de vous lamenter en face de la mort; pleurez vos péchés pour les anéantir. La tristesse, dans les desseins de Dieu, ne doit point avoir pour objet la perte de nos biens, la mort, ni rien d'analogue; elle doit servir à effacer les fautes que nous avons commises. Un exemple vous le montrera. Les médicaments ont été faits en vue des maladies qu'ils peuvent guérir, et non pas en vue de celles qu'ils ne peuvent en rien soulager. Je vais développer ma pensée. Un remède est bon pour les maladies des yeux, mais c'est le seul usage auquel on puisse l'employer; ne doit-on pas dire qu'il a été fait exclusivement pour les yeux, et non pour l'estomac, ni pour les mains, ni pour aucun autre membre? Appliquons à la tristesse ce qui vient d'être dit, et nous trouverons qu'elle n'est d'aucun effet pour les divers accidents de la vie, et que le seul mal dont elle puisse nous guérir, c'est le péché. Il est donc certain qu'elle est uniquement destinée à nous en délivrer. Parcourons les uns après les autres les maux qui nous accablent, appliquons la tristesse comme remède, et voyons quelle en est l'efficacité. Qu'on ait perdu sa fortune, en vain s'affligera-t-on ; on ne réparera point ce dommage. On a perdu un fils, en vain se désolera-t-on, le mort ne ressuscitera (6) point, et cette tristesse ne lui sera d'aucun secours. Que l'on soit flagellé, souffleté, accablé d'outrages; nulle douleur ne fera disparaître l'insulte. C'est une infirmité, c'est une dangereuse maladie qui survient; le chagrin, loin de guérir le mal, ne fait que l'aggraver. Le chagrin n'a servi de rien, vous le voyez. Mais si l'on s'attriste après avoir péché, le péché disparaît, la faute est réparée . Et le Seigneur nous le fait voir manifestement, quand il dit : A cause de son péché je l'ai plongé un instant dans la tristesse; j'ai vu son affliction, sa démarche humiliée, et j'ai corrigé ses voies. (Isai. LVII, 17, 18.) C'est pourquoi saint Paul dit aussi : La tristesse qui est selon Dieu produit le repentir et assure le salut. (II Cor. VII, 10.) Donc, puisque évidemment la tristesse ne peut compenser ni la perte des biens, ni les outrages, ni la calomnie, ni les mauvais traitements, ni la maladie, ni la mort, ni rien d'analogue, et qu'elle n'a de force que pour détruire le péché en l'effaçant, Dieu ne l'a pas créée dans un autre dessein.
Ne nous plaignons donc plus de la perte de nos biens, ne déplorons que nos fautes, et de cette tristesse nous recueillerons les fruits les plus abondants. On vous enlève une partie de vos richesses; n'en concevez aucune douleur; ce serait une douleur inutile. Vous avez péché, attristez-vous; cette tristesse vous sera salutaire; et considérez la puissance et la sagesse de Dieu. Du péché proviennent ces deux maux, la tristesse et la mort : Du jour où vous en aurez mangé, dit le Seigneur, vous mourrez de mort. (Gen. II,17.) Et s'adressant à la femme, il lui dit: Vous enfanterez dans la douleur. (Gen. III, 16.) C'est par ces deux choses que Dieu enlève le péché, et sorties, pour ainsi parler, du sein du péché, elles lui donnent la mort. Que la tristesse et la mort fassent disparaître le péché, on le voit assez par les martyrs; on le voit encore par ces paroles que l'Apôtre adresse aux pécheurs: Il y a parmi vous beaucoup de malades et d'infirmes, et beaucoup aussi se sont endormis dans la mort. (I Cor. XI, 30.) C'est comme s'il disait : après avoir péché, vous mourez, afin que la mort vous délivre du péché. Et l'Apôtre ajoute : Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés; et quand le Seigneur nous juge, c'est afin de nous instruire, de peur que nous ne soyons condamnés avec le monde. (Ibid. vers. 31, 32.) De même que le ver naît du bois et le ronge, de même que la teigne ronge la laine qui l'a produite ; de même aussi, là tristesse et la mort dévorent le péché qui leur a donné naissance.
Ne craignons donc point la mort, mais
craignons seulement le péché, et qu'il soit l'unique objet de notre douleur. Si je vous
tiens ce langage, ce n'est pas que je pressente rien de fâcheux pour vous; mais je
voudrais vous voir ne plus craindre autre chose que le péché, et accomplir toujours par
vos oeuvres la loi de Jésus-
5. Je ne suis point prophète, ni fils de prophète. Cependant, j'en suis sûr, et je le proclame bien haut, si nous changeons de conduite, si nous avons quelque souci de notre âme et que nous abandonnions le péché, il ne nous arrivera rien de triste ni de fâcheux; et cela, parce que Dieu est la clémence même j'en atteste ces villes, ces nations, ces peuples qu'il a sauvés. Il avait menacé la ville de Ninive : Encore trois jours, dit-il, et Ninive sera détruite de fond en comble. (Jonas, III, 4.) Eh bien! dites-moi, Ninive fut-elle renversée? cette ville fut-elle anéantie? Au contraire, elle se releva, elle devint plus illustre, et tant de siècles écoulés n'ont pu détruire sa gloire. Aujourd'hui encore nous la célébrons tous, nous l'admirons tous. N'a-t-elle pas été, dès ce (7) moment, comme un port ouvert à tous les pécheurs, pour les mettre à l'abri du désespoir? Ne les invite-t-elle pas à la pénitence, et en leur montrant ce qu'elle fit pour apaiser la colère de Dieu, ne leur persuade-t-elle pas de ne jamais désespérer de leur salut, mais de mener une vie vertueuse, et de se rassurer par l'espérance de voir cesser leurs angoisses? Le chrétien le plus lâche ne se sentira-t-il pas excité par cet exemple? Dieu ne craignit point de rétracter sa parole, pour laisser subsister Ninive; ou plutôt il n'eut pas à se rétracter. Si les Ninivites avaient continué de pécher, et que la sentence fût demeurée sans effet, il y aurait lieu d'être surpris; mais les Ninivites se convertirent, ils quittèrent leurs désordres, et c'est là ce qui apaisa la colère de Dieu. Qui pourrait donc trouver à redire à cette prophétie, et en taxer les termes de mensonges? Dieu, en effet, se montra fidèle à cette loi qu'il établit dès le principe pour tous les hommes, et qu'un de ses prophètes fut chargé de leur annoncer. Voici ce que je dis aux nations et aux royaumes: Je les arracherai dans leurs racines, je les détruirai de fond en comble, je les anéantirai; s'ils se repentent de leurs fautes, je retirerai aussi les menaces que j'avais prononcées. (Jérém. XVIII, 7, 8.) C'est d'après cette loi qu'il fait grâce aux Ninivites repentants : ils reviennent de leurs désordres, il dépose lui-même son courroux. Il connaissait la vertu de ce peuple, et c'est pourquoi il presse si vivement le prophète. Quel trouble aussi dans cette cité, quand la parole prophétique y eut retenti ! mais, loin de lui nuire, cette crainte lui fut salutaire. Oui, elle enfanta, pour ainsi dire, le salut des Ninivites. Ces menaces les arrachèrent au péril; cette sentence de mort les empêcha de mourir. Quel nouveau, quel admirable prodige! Ce sont des menaces de mort qui enfantent la vie ! La sentence une fois portée reste sans effet, bien différente en cela des sentences prononcées par les juges d'ici-bas.
Dans nos tribunaux, proclamer une sentence, c'est en assurer l'effet; la sentence divine, c'est assez de la promulguer pour lui enlever toute sa force. Si on ne l'eût promulguée, les pécheurs ne l'eussent point entendue; ne l'ayant pas entendue, ils n'eussent point fait pénitence, ils n'eussent pas éloigné d'eux le châtiment, ils n'eussent pas été si merveilleusement délivrés. Et n'est-ce pas, en effet, une délivrance merveilleuse? Le juge porte la sentence, et les coupables l'annulent par le repentir. Ils n'abandonnent point leur ville, comme nous avons fait; mais ils y restent, et cette ville, sur le point de s'écrouler,- ils savent la raffermir sur ses fondements. C'était comme un piège pour eux, et ils en font un rempart; c'était un gouffre, un précipice, et ils en font unie tour capable de les défendre. Le prophète leur annonce que leurs maisons doivent s'écrouler, et ils ne les fuient point, mais ils quittent le péché ; ils ne désertent pas leurs demeures, comme nous faisons maintenant, mais ils sortent des voies perverses qu'ils avaient suivies jusqu'alors. Est-ce que ce sont les murs, disent-ils, qui ont provoqué la colère du Seigneur? C'est nous qui avons fait le mal, préparons donc aussi le remède. Aussi crurent-ils devoir assurer leur salut", non pas en changeant de place, mais en corrigeant leurs murs.
6. Voilà ce que faisaient des Barbares, et nous ne rougissons point, et nous ne nous cachons point, quand, au lieu de les imiter, nous prenons la fuite, quand nous agissons comme des gens plongés dans l'ivresse, quand nous songeons à sauver nos richesses? Le Seigneur est irrité contre-nous, et nous, au lieu d'apaiser sa colère, nous emportons. nos trésors et nous cherchons à les mettre en sûreté, quand nous devrions chercher un asile où pût se réfugier notre âme; ou plutôt nous n'avons pas à chercher; une vie juste et vertueuse la met à l'abri de tout péril. Si nous nous irritons, si nous nous indignons contre un de nos serviteurs, et qu'au lieu de s'excuser il descende à, sa chambre, rassemble ses vêtements et toutes ses hardes pour s'enfuir, souffrirons-nous volontiers d'être ainsi méprisés? Renonçons donc à ce puéril empressement, et que chacun de nous dise au Seigneur : Comment fuir le vent de ta colère, comment fuir ton visage irrité? (Ps. CXXXVIII, 7.) Imitons la sagesse des Ninivites : ils firent pénitence sans savoir cependant si Dieu leur pardonnerait, car la sentence ne disait pas : si vous vous convertissez et que vous fassiez pénitence, j'épargnerai votre ville; mais simplement: Encore trois jours, et Ninive sera détruite. Et ils s'écriaient : Qui sait si le Seigneur n'exécutera point les menaces qu'il a prononcées contre nous? (Jon. III, 4, 9.) Ils ignorent donc ce qui arrivera, et cependant ils s'empressent de faire pénitence; ils ne connaissent pas l'étendue de la divine (8) miséricorde; ils sont incertains, et pourtant ils se convertissent.
Il n'y avait point, pour les instruire, d'autres Ninivites sauvés par la pénitence; ils n'avaient point lu les prophètes, ni entendu les patriarches; personne pour leur donner des conseils, personne pour les exhorter; et par eux-mêmes. ils ne pouvaient se persuader que la pénitence fût capable d'apaiser entièrement la colère de Dieu. Les menaces qu'ils avaient entendues ne le leur faisaient point supposer; ils doutaient, ils hésitaient, et cependant quelle admirable pénitence ! Insensés que nous sommes ! Ils ne peuvent compter sur le pardon, et leur conversion est si parfaite ! et vous qui pouvez compter sur la bonté du Seigneur, qui avez reçu tant de gages de sa sollicitude, qui avez entendu les prophètes et les apôtres, vous que les événements eux-mêmes ont dû instruire, vous ne voulez point vous mesurer avec eux et les égaler en vertu ! Oui, ces hommes firent preuve d'une grande vertu, mais Dieu manifesta encore plus de clémence, et pour s'en convaincre, il suffit de considérer l'énergie des menaces. S'il n'ajouta pas à la sentence Faites pénitence et je vous pardonnerai, c'est qu'il voulait, en évitant de s'expliquer, redoubler la crainte et hâter ainsi la conversion des Ninivites. Le prophète, il est vrai, est couvert de confusion, quand il prévoit ce qui doit arriver, quand il pressent que l'effet ne suivra point ses paroles; mais rien de semblable en Dieu, qui ne veut qu'une chose, le salut des hommes et la conversion de son serviteur.
A peine Jonas a-t-il mis le pied sur le navire, que Dieu soulève les flots de la mer, pour nous montrer que là où règne le péché, là aussi règne la tempête, et que là où règne la désobéissance, là soufflent aussi les vents orageux; ce qui ébranlait la ville de Ninive, c'étaient les péchés de ses habitants. Si le navire était agité, c'est que le prophète avait désobéi. Les matelots précipitèrent Jonas à la mer, et le navire se raffermit. Nous aussi précipitons nos péchés dans l'abîme, et la cité de notre âme reprendra sa fermeté. A quoi nous sert-il de fuir? Le prophète s'enfuit aussi, et loin de lui être utile, cette faite causa son malheur. Il fuyait la terre; mais il ne pouvait échapper à la colère de Dieu. Jonas fuyait la terre, et Dieu amena la tempête sur les flots de la mer. Non-seulement il ne lui fut pas avantageux de fuir, mais il fit courir les plus grands dangers à ceux qui le reçurent parmi eux; il était tranquillement assis dans un navire; matelots et pilotes étaient à leur poste, le navire était muni d tous ses agrès, et Jonas faillit perdre la vie. On le jeta dans la mer; par ce supplice il expia sa faute, et transporté dans un navire immense, dans le ventre d'une baleine, il n'y courut aucun péril. Vous le voyez, un navire n'offre au pécheur aucune garantie de salut; mais l'homme qui a secoué son péché, la mer ne peut l'engloutir, les bêtes féroces ne peuvent le dévorer. Les flots le reçurent donc et ne l'étouffèrent point; une baleine le saisit, et ne le dévora point; mais l'animal et la mer le rendirent à Dieu, comme un dépôt confié à leur garde. Ainsi le prophète apprenait-il à être doux et miséricordieux, à ne point se montrer plus cruel que des matelots sans raison, que les flots irrités, que les animaux eux-mêmes.
Ce ne fut pas en effet dès le principe que les matelots le précipitèrent du vaisseau, ils y furent contraints par la nécessité; quant aux flots et à la baleine, ils furent pleins de douceur à son égard; Dieu le voulait ainsi. Jonas revint donc, prêcha, menaça, persuada, sauva, convertit : il n'eut besoin que d'une seule prédication pour tout rétablir. Il ne lui fallut pas des jours entiers, des exhortations multipliées; ce fut assez de quelques paroles pour amener tous les Ninivites à faire pénitence. Aussi Dieu ne le conduisit pas à Ninive tout au sortir du vaisseau; mais les matelots le livrèrent aux flots de la mer, la mer à la baleine, la baleine le rendit à Dieu, Dieu le transmit aux Ninivites ; et s'il fit passer le prophète fugitif par tant de détours, c'était pour apprendre à tous qu'il est impossible d'échapper aux mains du Seigneur. Qu'importe où le pécheur transporte son péché; partout des maux sans nombre viendront fondre sur lui; et s'il n'est personne qui puisse lui nuire, la nature ;se soulèvera de toute part contre lui. Ne cherchons donc pas notre salut dans la fuite, mais bien dans le changement de vie. Dieu s'indigne-t-il de vous voir rester dans une ville, et veut-il que vous en sortiez ? Non; ce sont vos péchés qui l'irritent. Donc abandonnez le péché; et si vous voulez guérir la blessure, faites-en disparaître la cause. Les contraires se guérissent par les contraires; c'est ce que disent les médecins. Un excès de nourriture a-t-il donné la fièvre ? on a recours à la diète. Est-ce le chagrin qui rend malade? Il faut des distractions. Les (9) maladies de l'âme se traitent de la même manière. C'est l'engourdissement qui a provoqué la colère? Apaisons-la par notre zèle, et faisons voir du changement dans nos moeurs ; le jeûne sera notre auxiliaire et notre allié, et avec le jeûne, l'affliction où nous sommes et la crainte des périls qui nous menacent. Faisons donc .violence à notre âme; jamais il n'y eut de moment plus favorable: nous lui persuaderons aisément tout ce que nous voudrons lui persuader. Quand on tremble, quand on est saisi de frayeur, privé .de toute jouissance, plongé dans la crainte, on peut aisément devenir sage et s'empresser de recevoir dans son cur les précieux germes de la vertu.
7. Persuadons-lui d'abord de fuir les jurements, et de commencer par là sa transformation. Je vous y exhortais déjà hier et avant-hier; j'y reviens encore aujourd'hui, j'y reviendrai demain, et après-demain. Que dis-je? Je ne cesserai de vous en parler, tant que je ne verrai pas de changement en vous. Si l'on ne rougit point d'enfreindre la loi de Dieu, à plus forte raison ne devons-nous point rougir, nous qui vous la rappelons, de vous exhorter si fréquemment. Si l'on redit sans cesse les mêmes choses; c'est la faute non de celui qui parle, mais de ses auditeurs qui oublient si vite les préceptes les plus simples et les plus faciles à observer.
Quoi de plus aisé que de ne pas jurer? Il suffit d'en prendre l'habitude; ici point de fatigue corporelle, ici point de dépenses à faire. Voulez-vous savoir comment on peut triompher d'un vice, et se délivrer d'une mauvaise habitude? En voici le moyen, et il est infaillible. Etes-vous sujets à ce vice, ou bien votre serviteur, vos fils, vos femmes, ont-ils contracté l'habitude de jurer? On les avertit sans cesse et rien ne les corrige; privez-les de nourriture et qu'ils aillent se coucher sans manger. Infligez-leur, infligez-vous à vous-mêmes cette condamnation qui, loin de vous nuire, vous sera très-profitable. C'est le propre des choses spirituelles : elles sont profitables et assurent une prompte correction. Une langue que l'on châtie souvent n'a besoin d'être avertie par personne; elle a de puissants conseillers dans les tourments de la soif et de la faim. Et fussions-nous stupides, ce supplice d'une journée entière nous avertira bien assez pour que nous puissions nous passer de tout autre avertissement. Vous avez applaudi mes paroles ; applaudissez par vos oeuvres. Autrement quel profit retireriez-vous de ce discours? Qu'un enfant aille tous les jours à l'école sans rien apprendre, si nous lui reprochons son ignorance, lui suffira-t-il de répondre : mais, je vais tous les jours à l'école? Et n'est-ce pas là surtout ce qui le condamne? Faisons-nous à nous-mêmes ce reproche, et disons-nous : Que nous revient-il d'aller si souvent à l'église, de nous approcher de cette table sainte, source de tant de grâces, si nous en sortons tels que nous y sommes allés, sans jamais réformer un seul de nos défauts? Que de choses se font non pour elles-mêmes, mais à cause de leurs heureuses conséquences ! Par exemple, on sème, non pour le plaisir de semer, mais bien pour moissonner plus tard. Si l'on ne devait pas récolter, il y aurait perte assurément; que de grains se corrompraient inutilement dans le sein de la terre ! Le marchand ne navigue pas seulement pour le plaisir de naviguer, mais en voyageant il augmente ses richesses. Autrement que de pertes, que d'inconvénients dans tous ces voyages ! Toutes ces réflexions ne peuvent-elles pas nous être appliquées? Nous aussi, nous venons à l'église non pour venir à l'église, pour y rester quelque temps, mais bien pour en retirer quelque profit spirituel. Si nous en sortons sans avoir rien obtenu, cet empressement ne servira qu'à nous condamner. Qu'il n'en soit pas ainsi; épargnons-nous un tel malheur. En quittant ce lieu, examinez, voyez comment vous pouvez observer la loi qui vous est imposée.
Que les amis s'en entretiennent ensemble, que les pères en causent avec leurs fils, les maîtres avec leurs serviteurs; et ainsi, quand vous reviendrez et que vous nous entendrez vous répéter ces conseils, les remords de votre conscience ne vous feront point rougir, mais vous vous réjouirez, vous serez heureux de voir que vous les avez mis à exécution pour la plupart. Ne nous contentons pas d'en faire ici le sujet de nos réflexions. Ce n'est pas une exhortation d'un moment qui peut déraciner le mal; il faut que l'épouse avertisse le mari, que le mari avertisse son épouse, qu'il y ait une sainte émulation, que tous observent à l'envi ce précepte; que celui qui l'observe fidèlement reprenne celui qui le viole et lui communique son ardeur; que celui qui reste en chemin et qui ne s'est pas encore réformé, jette les yeux sur celui qui le devance et s'efforce de (10) l'atteindre. Si telles sont nos pensées, si telle est notre ardeur, bientôt tout le reste sera en voie de prospérité. Ayez à coeur l'uvre de Dieu, et Dieu prendra soin de vos intérêts. Ne me dites pas : Et si quelqu'un nous met dans la nécessité de jurer? S'il refuse de nous croire, à moins que nous ne jurions ? Dès qu'il s'agit de violer une loi, il ne faut point parler de nécessité. Une seule chose est absolument nécessaire, c'est de ne pas offenser Dieu. Eh bien ! Je l'admets encore ! retranchez les serments inutiles, ceux que sans aucune raison, sans aucune nécessité vous proférez chez vous avec vos amis et vos serviteurs ; que ceux-ci disparaissent, et pour ceux-là vous n'aurez plus besoin de mes conseils. Si l'on en vient à craindre, à éviter de jurer souvent, fût-on contraint mille fois de jurer, jamais on ne consentira à reprendre cette funeste habitude. De même que maintenant nos efforts, les inquiétudes, les menaces, la crainte, les avertissements, les conseils ont bien de la peine à nous faire perdre l'habitude de jurer; de même alors, serions-nous mille fois pressés par la nécessité, rien ne pourra nous persuader de transgresser la loi de Dieu. On ne voudrait point porter les lèvres à un breuvage empoisonné; quelque pressante nécessité qu'il y eût, on ne voudrait non plus alors se rendre coupable en proférant des jurements. Qu'il en soit ainsi ! Vous y trouverez des consolations, et un puissant encouragement pour la pratique des autres vertus. N'a-t-on rien fait encore, on s'engourdit et on ne tarde pas à succomber ; mais a-t-on conscience d'avoir accompli même un seul précepte, on a bon espoir pour les autres et on se met avec ardeur à les observer. On réussit pour un second, pour un troisième, et on ne s'arrête plus qu'on ne soit arrivé à la perfection. N'est-il pas vrai que plus on amasse de richesses, plus on les désiré? C'est ce qui arrive surtout quand il s'agit des progrès spirituels. C'est pourquoi je vous presse si vivement de vous mettre à l'uvre, d'établir dans vos âmes le fondement de la vertu; nous vous prions, nous vous supplions de vous rappeler nos paroles non-seulement quelques instants, mais chez vous, mais sur la place publique, mais partout où vous vous trouverez.
Que ne puis-je vivre habituellement avec
vous tous ! Je n'aurais pas eu besoin de vous faire ce long discours : mais cela ne
se peut. En mon absence, souvenez-vous donc de mes paroles, et quand vous êtes à table,
imaginez-vous me voir entrer, croyez que je me tiens devant vous pour faire retentir à
vos oreilles tout ce que je vous dis maintenant; et partout où il sera question de moi,
songez avant tout à ce précepte, et récompensez-moi par là de tout l'amour que je vous
porte. Vous voir corrigés de ce défaut, c'est là tout mon désir, ce sera pour moi la
digne récompense de mes travaux. Si donc vous voulez accroître notre zèle, si vous
tenez à ranimer votre espérance , à acquérir plus de facilité pour les autres
commandements , gravez profondément cette loi dans vos âmes, et vous saurez alors quel
avantage vous offre cette exhortation. Un vêtement d'or est de soi très-beau,
mais si notre corps en est revêtu, il nous paraîtra encore plus beau; ainsi les
commandements de Dieu sont beaux, même quand on se contente de les louer; mais leur
beauté saisit encore davantage, quand on les observe. Ici vous louez un instant les
paroles que nous vous adressons; mais si vous les mettez en pratique tous les jours et en
tout temps, c'est vous-mêmes, c'est nous-mêmes que vous louerez. Et encore ce qui
importe, ce n'est pas de nous décerner de mutuels éloges ,
mais bien d'être agréables à Dieu ; non-seulement nous lui
serons agréables, mais encore nous recevrons de sa libéralité de beaux, d'ineffables
présents. Puissions-nous tous les mériter par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-