ANALYSE. Sur le bruit que des soldats étaient arrivés, le peuple
avait été saisi d'effroi, et le gouverneur de la ville, accourant à l'église, s'était
hâté de rassurer les esprits. Saint
1. Je loue la prudence du gouverneur qui voyant la ville pleine de trouble, et apprenant que tous les habitants voulaient s'enfuir, est accouru ici, a dissipé vos craintes et ranimé vos bonnes espérances. Mais je suis honteux et confus pour vous de ce qu'après nos longs et fréquents discours, il a été nécessaire que la parole d'un étranger vous rassurât. Oui, j'aurais souhaité que la terre m'engloutît dans ses abîmes, lorsque je l'entendais tour à tour rassurer et blâmer votre folle panique. Fallait-il donc que vous reçussiez cette leçon d'un infidèle, vous qui devriez être son maître? Car l'Apôtre ne permet pas qu'un chrétien appelle son frère en jugement devant les infidèles (I Cor. I, 6) ; et vous qui avez si souvent recueilli les instructions de vos pères, vous avez eu besoin qu'un étranger vînt calmer vos frayeurs. Voilà donc pourquoi des méchants et des vagabonds ont troublé toute la cité, et en ont précipité les habitants dans une fuite honteuse. Mais de quel oeil désormais regarderons-nous les infidèles, nous si lâches et si timides? que leur dire, et comment les rassurer au milieu de nos maux, quand nous nous sommes montrés dans cette circonstance plus timides que des lièvres? Eh ! que faire? me direz-vous; car nous sommes hommes. Et c'est parce que vous êtes des hommes et non de vils animaux que vous ne deviez pas vous effrayer. L'animal s'épouvante au moindre bruit, parce qu'en lui la raison ne saurait combattre la crainte; mais vous, ô homme orné de raison et de prudence, comment vous laissez-vous aller à cette même timidité ?
On vous dit que des soldats armés marchent contre la ville : loin de vous troubler à cette nouvelle, fléchissez le genou devant le Seigneur, (81) répandez devant lui vos prières, vos gémissements et vos craintes, et il vous garantira du péril. C'est ainsi que le saint homme Job, sous la pression successive des plus affreux malheurs, et sous le coup de la mort de tous ses enfants, ne fit point entendre les cris ni les murmures du désespoir. Mais il se tourna vers la prière, et sut encore bénir le Seigneur. Imitez ce grand exemple, et si l'on vous dit que des soldats armés entourent la ville, et s'apprêtent à la piller, que Dieu soit votre refuge, et dites : Le Seigneur a donné, le Seigneur a retiré; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait. Que le nom du Seigneur soit à jamais béni! (Job, I, 21.) L'épreuve du malheur n'ébranla point la constance de Job, et son appréhension seule vous renverse. Quelle estime peut-on donc faire de notre courage? un chrétien doit braver la mort, et un faux bruit nous épouvante, un esprit effrayé accueille les craintes les plus chimériques, et les alarmes les moins fondées. Mais un esprit calme et paisible conjure même les maux réels. Considérez le pilote au milieu de la tempête, la mer mugit, les nuées s'amoncèlent, la foudre éclate, et sur le navire règnent le trouble et la confusion. Cependant il se tient tranquillement assis au gouvernail, et d'une main assurée dirige son navire qu'il arrache aux flots et à l'orage. Imitez cette conduite; et si vous jetez en Dieu l'ancre de la sainte espérance, elle vous rendra fermes et inébranlables.
Tout homme, dit J-C., qui entend mes paroles, et ne les accomplit pas, sera semblable à linsensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est descendue, et les fleuves sont venus, et les vents ont soufflé et se sont précipités sur cette maison, et elle est tombée, et sa ruine a été grande. (Matth. VII, 26, 27.) Vous voyez donc que le désastre et le malheur de cet homme sont attribués à sa folie; et peu contents de lui ressembler à cet égard, nous devenons plus insensés encore, car sa maison ne s'est écroulée que sous l'effort des fleuves, des pluies et des vents; nous, au contraire, sans attendre ni l'impétuosité des pluies, ni l'inondation des fleuves, ni le choc des vents, et avant même d'avoir ressenti le moindre mal, nous tombons effrayés et renversés par une seule parole; et soudain toute notre philosophie s'évanouit. Comprenez donc quels sont aujourd'hui mes sentiments, et combien je rougis de votre faiblesse; comprenez combien je me sens humilié et couvert de confusion. Oui, si mes supérieurs ne m'avaient comme fait violence, je n'eusse osé ni paraître dans cette chaire, ni vous adresser la parole, parce que je suis tout honteux de votre pusillanimité. En ce moment même je n'ai pas encore recouvré toute la liberté de mon esprit, tant la confusion et la douleur oppressent mon âme ! Et qui ne se sentirait enflammé d'une juste indignation, en voyant qu'en dépit de toutes mes exhortations il a été nécessaire qu'un infidèle vînt relever votre courage, et vous apprendre à mépriser ces vaines alarmes? Priez donc le Seigneur qu'il daigne délier lui-même ma langue pour que je vous annonce sa parole; puissé-je aussi dissiper une profonde tristesse, et reprendre quelque énergie ! car la honte dont me couvre votre lâcheté m'a presqu'entièrement abattu.
2. Je vous ai parlé, mes chers frères, dans notre dernier entretien, des piéges qui nous environnent, de la crainte et de la tristesse, de la douleur et de la joie, et de cette faux qui vole dans les airs, et vient frapper la maison du parjure (Zach. V, 1) ; de tout ce discours retenez principalement cette image d'une faux qui vole dans les airs, qui frappe la maison du parjure, qui en disperse les pierres et les bois, et qui la détruit entièrement; n'oubliez pas aussi qu'il est contraire au bon sens de jurer par l'Evangile, puisque l'Evangile défend le serment. Il vaut donc mieux perdre quelque chose de ses droits pécuniaires que d'exposer le prochain à un faux serment. D'ailleurs ce désintéressement tournera à la gloire de Dieu; et parce que vous pourrez lui dire Seigneur, je n'ai point, à cause de votre saint nom, déféré le serment au méchant qui me fait tort, il reconnaîtra cet hommage par d'abondantes bénédictions sur la terre et dans le ciel.
Rapportez ces avis à ceux qui ne les auraient pas entendus, et observez-les vous-mêmes; je sais bien qu'ici vous êtes très-réservés, et que vous laissez votre criminelle habitude à la porte de ce saint lieu. Mais je ne me contente point de vous voir ici modestes et retenus. Je veux que vous conserviez au dehors les impressions de piété reçues dans cette enceinte, car c'est surtout au dehors qu'elles vous sont nécessaires. Ceux qui viennent puiser aux fontaines publiques, se gardent bien de vider leurs seaux en revenant à la maison; mais ils les y rapportent avec précaution, de peur que toute (82) leur fatigue ne devienne inutile. A leur exemple, conservez dans l'enceinte de vos demeures un fidèle souvenir de nos instructions. Car si, rassasiés ici du pain de la parole sainte, vous rentrez dans vos maisons vides et affamés, votre âme est comme un vase qui laisse perdre l'eau, et l'abondance du festin spirituel vous devient inutile. L'athlète se reconnaît dans les combats du cirque et non dans les exercices du gymnase : et vous aussi, montrez au dehors votre piété par vos oeuvres bien plus que par votre religieuse attention dans cette enceinte. Aujourd'hui vous applaudissez à mes paroles, mais c'est lorsque vous serez tentés de jurer, qu'il faudra vous les rappeler. Et quand vous serez fidèles à observer en ce point la loi divine, je vous formerai à la pratique de vertus plus excellentes.
Au reste, voilà deux ans que je vous adresse la parole, et je n'ai pu encore vous expliquer cent lignes des saintes Écritures. La cause en est que vous avez besoin que je vous explique vos devoirs particuliers, et vos obligations domestiques, en sorte que la plus, grande partie de nos entretiens est consacrée à corriger vos moeurs. Il ne devrait pas en être ainsi; à vous le soin de vous avancer dans la vertu, et à moi celui de vous expliquer le sens de l'Écriture. Mais tout au plus aurais-je dû y donner un seul jour, car le sujet est toujours le même, et il n'exige point, pour être convenablement développé , une longue et difficile préparation. Quand Dieu parle, la raison humaine doit se taire. Or Dieu a dit: Vous ne jurerez point. (Math. V, 34). Ne venez donc point me demander les motifs de ce commandement. C'est un édit royal; et celui qui l'a porté en connaît les graves raisons. Si le serment nous eût été utile, le Seigneur ne l'eût ni défendu ni prohibé. Les princes promulguent des lois; et toutes ne sont pas également utiles, parce qu'ils sont hommes, et qu'ils ne peuvent comme Dieu, ne rien ordonner quine soit parfaitement juste. Et cependant nous nous y soumettons pour tout ce qui concerné les mariages, les testaments, et les ventes et achats d'esclaves, de maisons et de propriétés. En un mot, dans toutes les transactions nous ne suivons pas notre propre volonté, et nous l'abaissons devant les prescriptions de la loi. Ainsi nous ne sommes point maîtres de disposer de nos biens à notre gré; mais il faut se conformer à la loi, et tout ce qui se fait en dehors de ses dispositions est nul, et de nul effet. Eh quoi ! si nous avons donc tant de respect pour les lois d'un homme, foulerons-nous aux pieds celles de Dieu? Et un tel mépris serait-il digne de grâce et de pardon? Dieu nous a dit: Vous ne jurerez point. Ah ! ne détruisez pas sa loi par des oeuvres toutes contraires, et votre vie s'écoulera dans une paisible tranquillité.
3. Mais c'est assez parler sur ce sujet,
et je veux terminer notre entretien par quelques réflexions sur un passage de l'Épître
de saint Paul à Philémon, épître qu'on vient de nous lire. Or voici ce passage : Paul
enchaîné pour Jésus-
Nous voyons que les magistrats portent les
(83) noms de leurs charges, et même qu'ils les conservent quand ils en sont sortis. Ainsi
ils s'appellent l'un ancien consul, et l'autre ancien préfet. C'est à leur exemple que
l'Apôtre prend le titre d'enchaîné. Et certes il le fait avec juste raison, car
les charges ne sont pas toujours une preuve du mérite personnel; et souvent on les
obtient par la puissance de l'argent, ou par les brigues de ses amis. Mais les fers que
porte l'Apôtre proclament l'excellence de sa vertu, et dénotent son ardent amour pour
Jésus-
Et quelles étaient donc ces chaînes qui
entourent de tant de gloire celui qui les porta? Elles étaient de fer; mais la grâce de
l'Esprit-Saint en faisait comme une guirlande de fleurs, parce qu'il en était lié pour
le nom du
4. Car tels sont les saints : ils songent peu à se délivrer eux-mêmes, et ils n'omettent rien pour gagner leurs persécuteurs. C'est ce qu'on vit alors. Paul est admis à se justifier, et son juge devient presque son disciple. Au reste le roi en convint lui-même, puisqu'il lui dit : Peu s'en faut que vous ne me persuadiez de me faire chrétien. (Act. XXI, 28.) Voilà l'exemple que vous deviez donner aujourd'hui au gouverneur de cette ville. Vous deviez lui faire admirer votre grandeur d'âme, votre résignation et votre calme. De son côté il eût été édifié du bon ordre de nos assemblées; il eût goûté la parole sainte, et tout lui eût appris quelle différence sépare les chrétiens des infidèles. Mais revenons à notre sujet. Lorsqu'après avoir entendu l'Apôtre, le roi Agrippa se fût écrié : Peu s'en faut que vous ne me persuadiez de me faire chrétien, Paul reprit : Plût à Dieu que non-seulement il ne s'en fallût guère, mais qu'il ne s'en fallût rien du tout que vous, et tous ceux qui m'écoutent présentement, devinssiez tels que je suis, à la réserve de ces chaînes. (Act. XXVI, 29.)
Que dites-vous, ô Paul? Un jour vous
écrivez aux Ephésiens : Je vous conjure, moi qui suis dans les chaînes pour le
Seigneur, de marcher dignement dans l'état où vous avez été appelés. (Ephés. IV,
1.) Parlant à Timothée vous lui dites : Je souffre pour Jésus-
Voilà l'objection, et je me hâte d'y
répondre. Ce langage n'accusait point en l'Apôtre un esprit inquiet, ni un coeur timide;
il révélait au contraire une profonde sagesse, et une admirable prudence. Comment? Je
vais le dire. Festus, auquel il s'adressait, ainsi qu'au roi Agrippa, était païen et
infidèle, et par conséquent peu instruit de nos mystères. Il ne voulait donc point
l'effrayer tout d'abord. Mais il se conformait dès lors à cette règle qu'il devait
poser plus tard : J'étais avec ceux qui n'avaient pas la loi, comme si je ne l'avais
pas eue moi-même. (I Cor. IX, 21.) Si Festus, se disait-il à lui-même, entend
parler de chaînes et de persécutions, il se rebutera soudain, parce qu'il n'en connaît
ni la force, ni la douceur: Qu'il devienne d'abord chrétien; et dès qu'il aura goûté
la parole sainte, il courra lui-même au-devant des fers. Jésus-
Et la preuve, c'est qu'il écrit aux
Colossiens : Je me réjouis dans les maux que je souffre, et j'accomplis dans ma chair
ce qui manque à la passion de Jésus-
Ainsi l'Apôtre se glorifie toujours de
ses tribulations, et il s'en pare comme d'un précieux ornement. Et certes, il avait bien
raison. Car ce qui démontre éminemment la puissance divine de Jésus-
5. Or le Seigneur n'est pas à notre égard un cruel plagiaire, mais un bon et tendre père. Il nous remet donc par les tribulations présentes, par la douleur et l'affliction, comme entre les mains de maîtres. sévères; nous devons nous y exercer à la patience, et nous y former à la vertu, en sorte que nous parvenions à cette plénitude de l'âge qui nous donnera droit à l'héritage des cieux. Mais t'est de sa part une sage disposition que de nous rendre d'abord dignes de prétendre à ses trésors célestes, et puis de nous les abandonner. Autrement ce serait plutôt punition que récompense. L'enfant imprudent et prodigue qui devient maître d'un riche patrimoine, court rapidement à sa ruine, parce qu'il use follement de ses richesses. Celui au contraire qui est prudent, probe, économe et simple dans ses goûts, administre sagement la fortune de ses pères, et accroît ainsi la gloire et l'éclat de sa maison. Telle est envers nous la conduite du Seigneur. Lorsque nous aurons acquis la science des choses spirituelles , et que nous serons parvenus, par les divers degrés de l'âge, à la plénitude de l'homme parfait, il nous mettra en possession de tous les biens qu'il nous a promis. Mais aujourd'hui il nous traite en enfants, et nous prodigue ses avis et ses caresses.
Cette disposition de la Providence, qui nous envoie ainsi la douleur avant le plaisir, renferme un autre avantage non moins précieux. Et, en effet, nous ne saurions réellement jouir du bonheur, quand nous savons que l'adversité doit le suivre, parce que l'attente d'un avenir malheureux empoisonne nos joies présentes. Au contraire, l'espérance certaine des biens qui succéderont à nos afflictions, nous les rend plus douces et moins amères. Ce n'est donc point comme mesure de sûreté, mais encore comme source de joie et de consolation que le Seigneur nous dispense d'abord la souffrance; il veut que l'attente des biens futurs fortifie notre faiblesse, et allége le sentiment de nos maux.. L'Apôtre l'avait bien compris; aussi disait-il que les afflictions si courtes et si légères de la vie présente produisent en nous le poids éternel d'une gloire sublime, si nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles. (II Cor. IV, 17.) Il appelle donc ces afflictions légères, non qu'elles le soient en elles-mêmes, mais parce qu'elles le deviennent par l'attente des biens éternels. L'espérance du gain allége pour le marchand les fatigues de la navigation, et la perspective de la couronne rend l'athlète comme insensible aux coups et aux blessures. C'est ainsi qu'en tournant nos regards vers le ciel, et ses biens ineffables, nous acquérons une force nouvelle pour supporter généreusement les peines et les douleurs de la vie.
Retirons-nous donc tout remplis de cette
pieuse maxime. Elle est bien simple et bien courte, mais elle renferme une profonde
sagesse, elle offre à l'homme malheureux et éprouvé une grande consolation, et à
l'homme heureux et voluptueux, une haute leçon de modération. Lorsque vous serez assis
à une table somptueuse, le souvenir de cette maxime réprimera en vous tout excès dans
les viandes et les vins, parce qu'elle vous rappellera que le chrétien doit toujours
vivre dans la crainte et l'anxiété : et vous vous direz à vous-même Paul a été dans
les fers et les prisons, et moi, je m'abandonne aux plaisirs des festins et de
l'intempérance. Comment obtenir mon pardon? je dirai aussi aux femmes qui veulent se (86)
faire admirer, qui aiment le luxe, et qui se parent de chaînes d'or, que le souvenir des
fers du grand Apôtre les excitera à mépriser leurs vains ornements, et à rechercher
avec un vif empressement les chaînes que saint Paul a portées. Les bijoux des femmes ont
souvent causé de grands maux dans l'intérieur des familles: ils y ont fait naître la
discorde, la jalousie, l'envie et la haine; mais les chaînes de l'Apôtre ont expié les
péchés du monde, effrayé le démon, et mis en fuite les légions infernales. C'est par
la vertu de ses fers que Paul convertit le geôlier de sa prison, qu'il émut le roi
Agrippa, et qu'il gagna un grand nombre de disciples. Aussi disait-il : Je soufre pour
Jésus-
6. Instruits de ces vérités, ne fléchissons point sous l'adversité, et sachons même y puiser un courage nouveau, et des forces nouvelles, car l'affliction produit la patience. (Rom. V, 3.) Ainsi au lieu d'éclater en plaintes et en murmures parmi nos épreuves, nous rendrons en toutes choses grâces à Dieu. Nous achevons aussi la seconde semaine du carême, et en soi, c'est peu important; car l'essentiel n'est point d'avoir parcouru ces deux semaines, mais de les avoir utilement employées. 'Examinons donc si nous y avons déployé quelque zèle pour la vertu, si nous nous sommes corrigés de quelque défaut, et si nous avons expié nos péchés. Un usage assez général est de s'informer combien chacun a jeûné de semaines. L'un dit: J'ai jeûné deux semaines; et moi, reprend un autre, trois semaines; et moi, ajoute un troisième, le carême entier. Eh ! quel avantage vous en revient-il, si le jeûne n'a été accompagné de bonnes oeuvres? L'on vous dit: J'ai jeûné tout le carême; eh bien ! répondez: J'avais un ennemi, et je me suis réconcilié; j'avais l'habitude de médire, et je me suis corrigé; j'avais la coutume de jurer, et je me retiens. Il ne sert de rien au marchand d'avoir fourni une longue traversée, si son navire ne revient chargé d'une riche cargaison. Et de même le jeûne ne nous est d'aucune utilité, si nous n'employons fructueusement ce temps de pénitence.
Lorsque l'on se contente du simple jeûne,
le carême passe et le jeûne aussi. Mais ce même jeûne est-il accompagné de la
correction des moeurs, cette correction survit au jeûne, et nous continue ses heureux
avantages. Nous y puisons en effet comme un avant-goût des biens célestes, car si le
méchant trouve dans les remords de sa conscience comme le prélude des tourments de
l'enfer, le juste rencontre dans la paix de son âme, et dans l'allégresse de ses
espérances, les joies anticipées du royaume des cieux. Aussi Jésus-
Et en effet, si vous faites l'aumône, qui pourra vous en ôter le mérite? en vain les armées et les rois, les jaloux et les envieux se répandraient autour de vous, ils ne sauraient vous enlever un trésor que le ciel possède déjà; et votre joie elle-même demeurera éternellement. Le juste, dit le Psalmiste, a répandu ses biens sur le pauvre, et sa justice subsistera dans tous les siècles. (Ps. III, 9.) Et (87) certes, cela est bien vrai, car son aumône repose dans ces celliers célestes où ni la rouille ni les vers ne dévorent, et où les voleurs ne fouillent ni ne dérobent. (Matth. VI, 20.) Si vous avez soin de rendre votre prière pieuse et fervente, qui peut vous en ravir le fruit? Le ciel qui l'a reçu; le met à l'abri de tout larcin et le conserve sain et intact. Si vous rendez le bien pour le mal, si vous n'opposez que la patience aux injures, et la bienveillance aux outrages, ces mérites vous sont acquis pour toujours, personne ne vous ôtera le sentiment délicieux qu'ils apportent avec eux; et toutes les fois que le souvenir s'en représentera à votre esprit, vous goûterez une joie nouvelle et un plaisir nouveau. C'est ainsi encore que le mérite de s'interdire tout jurement, et le soin d'éloigner de nos lèvres la criminelle habitude du serment, n'exigeront que quelques efforts momentanés, tandis que la joie du succès sera éternelle.
Au reste, vous devez être les uns envers
les autres maîtres et instituteurs : en sorte que l'ami éclaire et dirige son ami, le
serviteur son compagnon, et le jeune homme son condisciple. Supposez que l'on vous eût
promis une pièce d'or pour chaque conversion, quels ne seraient pas votre zèle et votre
assiduité, vos instances et votre éloquence ! et aujourd'hui ce n'est ni une pièce
d'or, ni dix, ni vingt, ni cent, ni mille que Dieu vous promet, ce n'est même point tous
les trésors de la terre qu'il vous offre en récompense de votre travail; mais le royaume
des cieux, royaume bien supérieur à tous ceux de ce monde. Que dis-je? il y ajoute un
autre prix non moins précieux. Quel est-il donc? Celui, dit-il, qui sait
distinguer ce qui est précieux de ce qui est vil, sera comme la bouche de Dieu.
(Jér. XV,19.) Quel honneur plus grand pouvait-il nous proposer, et quelle sécurité plus
parfaite de notre salut? Mais aussi quelle excuse alléguer après une telle promesse,
pour nous faire pardonner notre indifférence à l'égard de nos frères? Vous voyez un
aveugle qui tombe dans un précipice, et vous lui tuez la maip, car il vous semblerait
trop inhumain de le laisser périr. Mais vous voyez chaque jour vos frères se précipiter
dans la criminelle habitude du jurement, et vous n'osez leur dire une seule parole. J'ai
parlé, me répondrez-vous, et je n'ai pas été écouté. Eh bien ! parlez de nouveau, et
parlez encore, jusqu'à ce que vous ayez gagné votre frère.