ROMAINS XXI

HOMÉLIE XXI. CAR, COMME DANS UN SEUL CORPS NOUS AVONS PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE TOUS CES MEMBRES N'ONT PAS LA MÊME FONCTION ; DE MÊME, QUOIQUE NOUS SOYONS PLUSIEURS, NOUS NE SOMMES NÉANMOINS QU'UN SEUL CORPS EN JÉSUS-CHRIST, ÉTANT TOUS RÉCIPROQUEMENT MEMBRES LES UNS DES AUTRES (XII, 4, 5, JUSQU'A 13.)

 

Analyse.

 

1. De l'union des membres de l'Eglise. — De la diversité des dons, tous accordés par Dieu, différents de nature, mais tous également considérables.

2. De la sincérité de la charité.

3. De l'horreur du mal. — De la patience et de la persévérance dans la prière.

4. De l'hospitalité. — De la douceur de Jésus envers Juda.

5. Admirable développement sur la compassion envers les pauvres.

 

1. Il reprend la comparaison qui lui a déjà servi, auprès des Corinthiens, à combattre le même vice. En effet, grande est la force de ce remède, et cette comparaison est d'une éloquence énergique pour corriger notre arrogance. D'où vous vient la haute idée que vous avez de vous-même? ou bien, pourquoi un autre se méprise-t-il? ne formons-nous pas tous un seul et même corps, aussi bien les grands que les petits? Si nous n'avons tous qu'une même tête, si nous sommes les membres les uns des autres, d'où vous vient cette (361) arrogance qui vous sépare? pourquoi rougissez-vous de votre frère? S'il est votre membre, vous êtes le sien : ce qui constitue une grande égalité d'honneur. L'apôtre emploie deux arguments de nature à rabaisser les arrogants d'une part, nous sommes les membres les uns des autres, et ce n'est pas seulement le plus petit qui est membre du plus grand, mais 1e plus grand aussi est 'membre du plus petit; d'autre part, nous ne sommes tous qu'un seul corps. Disons mieux, l'apôtre a employé trois arguments : car il montre que tous ont reçu un seul et même don. Loin de vous donc d'avoir de vous-même une haute idée : en effet, c'est de Dieu que tout vous est venu ; et vous n'avez fait que recevoir, ce n'est pas vous qui avez rien trouvé. Aussi, en traitant des dons et des grâces, l'apôtre ne dit pas. Celui-ci a reçu un don plus grand, celui-là un doit moindre; mais que dit-il? Chacun son don différent. En effet, il dit : « Ayant des dons », non pas, plus ou moins considérables, mais « différents ». ( I Cor. VII, 7.) En effet, qu'importe qu'on ne vous ait pas confié les mêmes biens, si le corps est le même? De plus, il commence par un don, et il termine en désignant une vertu. En effet, après avoir parlé de l'esprit de prophétie, du ministère, de privilèges semblables, il termine par l'aumône, par le soin et la protection qu'on déploie pour les autres. Il était vraisemblable que certains fidèles fussent doués de, vertus, sans avoir le don de prophétie; pour les consoler, l'apôtre montre que le premier don est de beaucoup plus considérable, ce qu'il fait également dans la lettre aux Corinthiens, et d'autant plus considérable, qu'il est accompagné de récompense, tandis que le don de prophétie n'est pas accompagné de récompense, étant un pur don, une pure grâce. Aussi dit-il : « Or, comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi (6) ». Il les a suffisamment consolés, il fait plus maintenant; il veut les exciter, les stimuler, en leur montrant qu'ils fournissent eux-mêmes les occasions qui leur valent des dons plus ou moins considérables. Or il prétend que le don vient de Dieu ; ainsi, quand il dit : « Selon que Dieu a mesuré à chacun la foi » ; et encore : « Selon la grâce qui nous a été donnée », ces paroles sont pour rabaisser les orgueilleux. Et maintenant, s'il leur dit que les commencements sont en leur pouvoir, c'est pour exciter les indolents, ce qu'il fait aussi dans l'épître aux Corinthiens, où il se propose ce double but. En effet, lorsqu'il dit : « Recherchez les grâces » (I Cor. XII, 31), il leur montre qu'ils sont eux-mêmes la cause de la diversité des dons ; et au contraire, lorsqu'il dit : « C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant, à chacun ces dons, selon qu'il lui plaît » (Ibid. 11), ce qu'il veut prouver, c'est que l'orgueil ne convient pas à ceux qui les ont reçus :  il se fait des armes de tout pour les guérir de leur mal; c'est encore ce qu'il fait ici. Et maintenant, pour relever ceux qui sont tombés, il dit : « Que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi ». En effet, quoique ce soit une grâce, toutefois elle ne se répand pas au hasard; ceux qui la reçoivent, en déterminent la mesure; la grâce coule dans les âmes selon la capacité que lui présente la foi.

« Que celui qui a reçu le ministère, s'attache au ministère (7) ». Il parle ici d'une manière générale; l'apostolat est un ministère, toute bonne oeuvre spirituelle est un ministère. L'administration domestique et particulière est aussi appelée de ce nom, mais l'apôtre l'emploie ici d'une manière générale. « Que celui qui a reçu le don d'enseigner, s'applique à enseigner ».Voyez l'indifférence avec laquelle il indique une petite fonction d'abord, une grande ensuite : c'est encore une leçon, toujours sur le même sujet, ne pas s'enfler, ne pas s'enorgueillir. — « Que celui qui a reçu « le don d'exhorter, exhorte les autres (8) ». L'exhortation est aussi un mode d'enseignement. « Si vous avez quelque exhortation », dit-il, « à faire au peuple, parlez-lui ». (Act. XIII, 15.) Ensuite, pour montrer qu'il y a peu d'utilité dans la vertu , si on ne la pratique pas comme il convient, il ajoute : « Que celui « qui fait l'aumône, la fasse avec simplicité ». Car il ne suffit pas de donner, mais il faut le faire avec libéralité. Car pour l'apôtre, simplicité signifie toujours libéralité. En effet, les vierges avaient de l'huile, mais, pour n'en avoir pas eu en quantité suffisante, elles perdirent tout. « Que celui qui conduit, le fasse avec vigilance ». Car, il ne suffit pas d'être à la tête, si l'on n'est vigilant et plein de zèle. « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ». Car la miséricorde ne suffit pas, (362) il y faut joindre la générosité de l'âme qui exerce la miséricorde sans chagrin; ce n'est pas assez dire, sans chagrin, mais avec une joie qui éclate et qui brille : ce n'est pas la même chose que l'absence du chagrin et la joie. Ce conseil, il l'a aussi donné avec beaucoup de soin dans ce qu'il écrit aux Corinthiens; pour les exciter à la libéralité, il leur disait : « Celui qui sème peu, moissonnera peu; celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance » (II Cor. IX, 6, 7); et il ajoutait, pour diriger l'âme : « Donner, non avec tristesse, ni comme par force ». Car il faut à la miséricorde ces deux caractères, et qu'elle soit abondante, et qu'elle se fasse avec plaisir. Pourquoi vos gémissements en faisant l'aumône? Pourquoi la peine que vous cause la miséricorde, pourquoi perdre le fruit de votre bonne action? Si vous trouvez la miséricorde pénible, vous n'êtes pas miséricordieux, mais dur et sans humanité. Si c'est vous que vous plaignez, comment pourrez-vous soulager le malheureux qui est dans la douleur? Ce qu'il faut désirer c'est que l'infortune ne conçoive aucun mauvais soupçon, même alors que votre don est fait avec joie. Rien en effet ne semble aussi honteux à l'homme que de recevoir, à moins que la joie manifeste de celui qui donne ne. pré vienne tout soupçon; si vous ne montrez pas que vous recevez plus que vous ne donnez, vous accablerez plus que vous ne soulagerez celui à qui votre don s'adresse. Voilà pourquoi l'apôtre dit : « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ».

2. Quel roi monte sur le trône avec un visage morne ? quel pécheur recevant la rémission de ses péchés, demeure dans l'abattement? Ne faites donc pas attention à votre dépense, mais à ce qui vous ménage cette dépense, au revenu. Si le semeur se réjouit, quelque incertaine que soit la moisson qu'il sème, à bien plus forte raison celui qui ensemence le ciel. Soyez joyeux, et si peu que vous donniez vous donnerez beaucoup; de même, soyez triste et donnez beaucoup, de ce beaucoup vous aurez fait peu de chose. La veuve avec ses deux oboles fit plus que d'autres qui avaient peut-être donné des talents: tant son coeur était généreux. Mais comment, direz-vous, le pauvre réduit à là dernière indigence, peut-il tout dépenser avec joie? Interrogez la veuve, et vous verrez que l'étroitesse du coeur vient de la volonté qui l'anime et non de la pauvreté, et qu'il en est de même pour la vertu, contraire : le pauvre peut avoir le coeur grand, le riche peut l'avoir petit. Voilà pourquoi l'apôtre demande dans l'aumône, la simplicité; dans la miséricorde, la joie; dans la conduite de ses frères, le zèle. Car il ne veut pas que nous nous contentions de soulager les pauvres de notre argent, il veut que nous les servions de nos paroles, de nos actions, de nos personnes, de tout ce que nous avons encore outre tout cela, sans rien excepter. Après avoir parlé de l'assistance la plus importante, de celle qui s'exerce par l'enseignement, de celle qui s'exerce par l'exhortation, (car c'est là la plus nécessaire, d'autant plus qu'elle donne à l'âme sa nourriture), l'apôtre arrive à l'assistance avec de l'argent et par tous les autres moyens.

Ensuite, pour éclairer la pratique de toutes ces vertus, il en montre la mère, qui est la charité. Car il dit : « Que votre charité soit sincère (9) ». Si vous avez cette sincérité, vous ne sentirez pas la dépense, la fatigue du corps, l'ennui de parler; vous supporterez les sueurs, les peines du ministère; vous accorderez tout généreusement, quelle que soit la nature du secours qu'il faille porter, soit de votre personne, soit de votre argent, soit par vos paroles, soit par tout autre moyen, à votre prochain. Et maintenant, de même que l'aumône ne suffit pas à l'apôtre, sans la simplicité; ni l'assistance sans le zèle; ni la miséricorde, sans la joie, de même il ne lui suffit pas de la charité; il veut qu'elle soit sincère, car c'est en cela que consiste la charité; et, si elle se présente , tout le reste l'accompagne. En effet le miséricordieux l'est avec joie , car c'est à lui-même qu'il fait miséricorde; celui qui conduit les autres, les conduit avec vigilance, car c'est lui-même qu'il conduit; et celui qui fait l'aumône , la fait avec libéralité, car c'est à lui-même qu'il donne. Ensuite, comme il y a, même pour mal faire, des amitiés comme celles des libertins ou de ceux qui s'accordent dans les commerces d'argent et dans les rapines, ou de ceux qui s'enivrent ensemble dans les festins; l'apôtre, pour préserver les fidèles de ces souillures, dit : « Abhorrant le mal ». Il ne dit pas: Vous détournant du mal, mais : Haïssant, et, plus que haïssant; l'apôtre dit . Haïssant d'une haine violente, « Abhorrant ». C'est là le sens (363) fréquent de la préposition grecque, d'où vient ab et qui marque l'abstention , la séparation, l'éloignement, l'horreur, l'affranchissement. Souvent , sans faire le mal, on sent le désir de mal faire; l'apôtre chasse ce désir par ce mot « Abhorrant ». Car il veut purifier jusqu'à la pensée, nous inspirer l'aversion profonde pour le mal, la haine qui le combat. N'allez pas croire , s'écrie-t-il , parce que je vous ai dit : « Aimez-vous les uns les autres », que vous deviez pousser cette affection jusqu'à vous entendre les uns avec les autres pour faire le mal. C'est tout le contraire que je vous recommande. Vous devez être étrangers non-seulement à l'action, mais à la disposition mauvaise, et non-seulement y être étrangers, mais vous en détourner avec horreur et la détester. Et cette recommandation ne suffit pas encore à l'apôtre, ii y joint la pratique de la vertu, en disant : « Vous attachant fortement au bien ». Il ne se contente pas de dire, faisant le bien, mais le faisant avec amour; car c'est là le sens du précepte exprimé par le verbe qu'il emploie. C'est ainsi que le Seigneur, en unissant l'homme à la femme, a dit : « L'homme s'attachera fortement à sa femme». (Gen. II, 24.)

L'apôtre donne ensuite les raisons de. l'affection qui doit être réciproque entre nous. « Que chacun ait pour son prochain la tendresse fraternelle (10) ». Vous êtes frères, dit-il, sortis des mêmes entrailles, il est donc juste que vous vous aimiez les uns les autres. C'est ce que disait Moïse, à ceux qui disputaient en Egypte. Vous êtes frères, pourquoi vous faites-vous du mal les uns aux autres? (Exode, II, 13.) En parlant de la conduite avec les étrangers, l'apôtre dit : « S'il est possible, autant qu'il dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes »; mais en parlant des fidèles entre eux : « Que chacun ait pour son prochain », dit-il, « la tendresse fraternelle». Ce qu'il veut, par ces paroles, c'est qu'il n'y ait entre les étrangers et nous, ni querelles, ni haines, ni aversion ; c'est que l'affection règne entre nous, et, plus que la simple affection, la tendresse. Car non-seulement, dit-il, la charité doit être sincère, mais intense, chaleureuse, ardente. Car qu'importe que votre affection soit exempte de perfidie, si elle n'a aucune chaleur? Voilà pourquoi l'apôtre dit : « Que chacun ait pour son prochain la tendresse », ce qui veut dire, une affection chaleureuse. N'attendez pas que le commencement de l'affection vienne d'un autre, soyez le premier à prendre votre élan, à commencer, car c'est ainsi que vous recueillerez la récompense de l'amitié de cet autre frère.

3. Ayant donc donné la raison de l'affection mutuelle qui doit nous unir les uns aux autres, il dit aussi ce qui rend l'amitié solide. « Prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d'honneur ». Car c'est là ce qui engendre et conserve la charité. Rien ne la provoque plus que le désir de surpasser le prochain par des déférences et des marques d'estime. Et ce n'est pas seulement l'amitié, mais la considération qui grandit par ce moyen. Car les biens dont nous avons déjà parlé naissent de la charité, la charité naît de l'estime, de même que par réciprocité l'estime naît de la charité. Ce n'est pas tout; l'apôtre ne veut pas que nous nous contentions de nous honorer, il veut quelque chose de plus : « Ne soyez point lâches dans l'intérêt que vous portez (11) ». C'est cet intérêt qui engendre l'affection, quand nous l'unissons aux témoignages d'honneur et de déférence; car rien ne provoque l'amitié autant que l'honneur que l'on rend à celui que l'on assiste. Il ne suffit pas d'aimer, il faut encore joindre à l'affection la sollicitude : ou plutôt, la sollicitude vient de ce que l'on aime, et l'amour est réchauffé par la sollicitude, et les deux se provoquent réciproquement. Beaucoup de personnes se contentent d'aimer en idée, et ne tendent pas la main. Voilà pourquoi l'apôtre rassemble de toutes parts tout ce qui édifie la charité.

Et comment ne serons-nous point lâches dans l'intérêt que nous portons? «Ayez la ferveur de l'Esprit ». Voyez-vous l'apôtre demandant en toute chose, l'intensité et l'abondance? Il n'a pas dit seulement : donnez; mais avec libéralité ; il n'a pas dit seulement : conduisez; mais il a ajouté : avec vigilance; ni exercez la miséricorde; mais il a dit: avec joie; ni : honorez vos frères, mais il y joint : prenez du souci pour eux; il ne se contente pas de dire : aimez; mais: sincèrement; ni : abstenez-vous du mal; mais : détestez le mal; ni : attachez-vous au bien ; mais : attachez-vous fortement; ni : ayez de l'affection; mais : une affection pleine de tendresse; ni prenez intérêt; mais: ne soyez point lâches dans votre intérêt; ni : avec l'Esprit; mais : la ferveur de l'Esprit, (364) c'est-à-dire, soyez ardents et pleins de vigilance. Car si vous possédez toutes ces vertus, vous attirerez l'Esprit; s'il demeure en vous, il vous inspirera le zèle pour ces vertus, et l'Esprit et la charité vous rendront toutes choses faciles, vous serez embrasé des deux côtés à la fois. Ne voyez-vous pas comme il est impossible d'arrêter les taureaux qui ont le feu sur le corps? Et vous aussi, le démon ne pourra pas vous dompter quand vous brûlerez d'une double flamme. — « Souvenez-vous que c'est le Seigneur que vous servez». Car, par toutes ces vertus, c'est Dieu que vous pouvez servir. En effet, tout ce que vous faites pour votre frère, s'élève jusqu'au Seigneur, et c'est le Seigneur lui-même, comme s'il était lui-même votre obligé, qui vous récompensera. Voyez-vous jusqu'où l'apôtre conduit la pensée de celui opère ces bonnes œuvres?

Ensuite, pour montrer comment s'allume la flamme de l'Esprit, il dit : « Réjouissez-vous dans l'espérance, soyez patients dans les maux, persévérants dans la prière (12) ». Car ce sont là tous les foyers de cette flamme. En effet, après avoir réclamé la dépense d'argent, les fatigues du corps, la conduite vigilante, la sollicitude, l'enseignement, et les autres labeurs, l'apôtre fait bien de répandre sur l'athlète l'huile de la charité, de l'esprit, de l'espérance. Car il n'est rien qui rende l'âme de l'homme aussi virile et prompte à tout qu'une bonne espérance. Ensuite, avant les biens qu'on espère, il accorde une autre récompense. C'est en effet l'espérance des biens à venir qui lui fait dire: « Soyez patients dans les maux ». Avant de goûter ces biens que réserve l'avenir, vous recueillerez des maux présents, un grand fruit, la constance et une vertu éprouvée. L'apôtre indique encore un autre secours : « Persévérants dans la prière ». Ainsi l'amour rend la vertu facile, l'Esprit vient en aide, l'espérance allège le travail, l'affliction donne la constance qui supporte tout avec une généreuse fermeté, et vous avez, outre ces secours, une autre arme, et c'est la plus puissante, la prière et l'assistance qu'obtiennent les humbles supplications : que trouvera-t-on désormais dé pénible dans les préceptes? Rien. Voyez-vous comme l'apôtre a pris soin de fortifier son athlète de toutes les manières, et comme il a réussi à rendre les préceptes tout à fait légers?

Considérez maintenant comme il s'y prend pour recommander l'aumône, non pas simplement l'aumône, mais celle qui se fait aux saints. Il a dit plus haut: « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie »; il a ouvert la main de la charité pour tous. Mais ici, il s'agit des fidèles, voilà pourquoi il ajoute : « Vous associant aux nécessités des « saints (13) ». Il ne dit pas : Fournissez à leurs nécessités, mais : Associez-vous à leurs nécessités, pour montrer que l'on reçoit plus qu'on ne donne, qu'il y a là un marché, car c'est une association. Vous apportez votre argent, mais ils vous communiquent leur crédit auprès de Dieu. « Prompts à exercer l'hospitalité ». Il ne dit pas : Opérant l'hospitalité, mais littéralement: Poursuivant l'hospitalité ; il nous enseigne que nous ne devons pas attendre que ceux qui ont besoin de nous viennent nous trouver; c'est nous qui devons courir après eux et les poursuivre. Ce que fit Loth, ce que fit Abraham : Abraham passait le jour à cette chasse généreuse, et à la vue de l'étranger, il s'élançait, il courait à sa rencontre, se prosternait devant lui en s'abaissant jusqu'à terre, et il lui disait : « Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, ne passez pas la maison de votre serviteur. (Gen. XVIII, 3.) Nous ne faisons pas de même, nous, à la vue d'un étranger ou d'un pauvre, nous fronçons les sourcils, nous ne le croyons même pas digne de notre entretien, et si des milliers de supplications sont parvenues à nous attendrir, nous ordonnons à nos serviteurs de donner un peu d'argent, et nous pensons avoir accompli le devoir dans sa perfection. Il n'en était pas de même d'Abraham; c'était lui qui prenait la figure d'un suppliant et d'un serviteur, sans savoir pourtant quels hôtes il allait recevoir.

4. Nous, au contraire, qui savons parfaitement que c'est le Christ que nous recevons, nous ne trouvons pas dans cette pensée une raison de nous adoucir. Abraham engage, supplie, se prosterne ; nous insultons ceux qui viennent à nous; Abraham remplit le devoir de l'hospitalité faisant tout de sa personne et avec sa femme; nous ne faisons pas notre devoir, nous, même par le moyen de nos serviteurs. Si vous vouliez contempler la table qu'il dressait, vous y verriez la générosité pleine de déférence; non le luxe de la richesse, mais la richesse d'une belle âme. Qu'il y avait de riches alors ! Mais aucun d'eux (365) ne faisait rien de semblable. Qu'il y avait de veuves en Israël ! Mais aucune d'elles ne donna l'hospitalité à Elie. Qu'il y avait encore de riches au temps d'Elisée ! Mais la Sunamite seule cueillit le fruit de l'hospitalité, comme le fit Abraham, en son temps, par l'abondance et l'ardeur (le son âme généreuse. Et ce qui rend surtout Abraham admirable,c'est que sans savoir quels étaient ses hôtes, il exerçait les devoirs de l'hospitalité. Cessez donc, à votre tour, de montrer une curiosité inquiète, puisque c'est le Christ que vous recevez. Si vous voulez toujours vous enquérir curieusement au sujet du nouveau venu, il vous arrivera souvent de négliger un homme estimable, et vous perdrez votre récompense. Or, celui qui reçoit même un homme vil et misérable, n'est pas blâmé pour cela; au contraire, il reçoit également sa récompense. « Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète ». (Matth. X, 41.) Au contraire, celui qui, par une inquiétude intempestive, aura négligé un homme remarquable par sa vertu, sera puni. Gardez-vous donc de vous enquérir curieusement de la vie, et des actions : c'est le comble de la maladresse d'aller, pour un morceau de pain, scruter curieusement toute une vie. Car, est-ce que cet homme, quand ce serait un meurtrier, un brigand, tout ce que vous voudrez, ne vous paraît pas mériter un morceau de pain, un peu d'argent ? Mais le Seigneur votre Dieu fait même lever son soleil pour lui; et vous, vous ne le jugez pas digne de la nourriture d'un jour ?

Je veux ajouter ici encore une autre réflexion qui va beaucoup plus loin: quand vous auriez la preuve que cet homme est souillé de crimes sans nombre, même alors vous seriez inexcusable de lui refuser la nourriture d'un jour. Car vous êtes le serviteur de celui qui dit: « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez ». (Luc, IX, 55.) Vous êtes le serviteur de celui qui prenait soin de ses ennemis quand ils lui lançaient des pierres, ou plutôt. de celui qui s'est laissé mettre pour eux en croix. Ne me dites pas que cet homme en a tué un autre, car quand même il devrait vous tuer, vous ne devez pas abandonner celui qui a faim. Vous êtes le disciple de celui qui, suspendu à la croix, voulait le salut de ses bourreaux; qui disait, sur la croix même : « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ». (Luc, XXIII, 34.) Vous êtes le serviteur de celui qui guérit l'homme par qui il avait été frappé ; qui, sur la croix même, couronna son insulteur. A cette clémence, quelle clémence pourrait se comparer? En effet, les voleurs crucifiés à ses côtés l'avaient d'abord injurié tous les deux; cependant il ouvrit le paradis à l'un d'eux. Il verse des larmes sur ceux qui vont le mettre à mort; il se trouble, il est bouleversé à la vue du traître, non parce que lui-même va être crucifié, mais parce que ce traître va se perdre. Ce qui troublait le Christ, c'est qu'il prévoyait, et la pendaison du traître, et, après la pendaison , le châtiment éternel. Quoiqu'il connût son crime, jusqu'au dernier moment il supporta le misérable, il ne le repoussa pas, il embrassa le traître. Votre Seigneur embrasse, votre Seigneur touche de ses lèvres celui qui va aussitôt répandre son sang précieux, et vous, vous ne croirez pas que le pauvre mérite même un morceau de pain ? Et vous ne respecterez pas la loi établie par le Christ? Ses exemples nous montrent que ce ne sont pas les pauvres seulement que nous devons accueillir, mais même ceux qui nous traînent à la mort. Ne me dites donc pas qu'un tel a commis des crimes, mais méditez ce qu'a fait le Christ, cherchant, si près de la croix, à purifier par son baiser le traître qui allait le livrer. Et voyez ce que ses paroles ont d'incisif : « Judas », lui dit-il, « vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ! » (Luc, XXII, 48.) Quelle dureté n'aurait pas attendrie, fléchie une telle parole? Quel monstre, quel diamant y aurait résisté ? Ce misérable y fut insensible. Ne me dites donc pas : Un tel a tué un tel, voilà pourquoi je me détourne de lui. Quand cet homme devrait plonger son épée dans votre poitrine, sa main dans votre gorge, baisez-lui la main, puisque le Christ baisa la bouche qui causa son supplice et sa mort.

5. Vous aussi, cessez donc de haïr celui qui veut vous perdre ; pleurez sur lui, ayez pitié de lui : ce malheureux mérite toute notre pitié et nos larmes. Nous sommes les serviteurs de celui qui baisa le traître par qui il fut livré (je ne me lasserai pas de le répéter), de celui qui adressa à ce misérable des paroles plus douces que le baiser même. Il ne lui dit pas :

O infâme, ô scélérat, traître, est-ce donc là le retour dont tu nous paies pour de si grands bienfaits? Mais que lui dit-il ? « Judas », il (366) l'appelle de son propre nom, ce qui marquait plus de compassion, de désir de le ramener que de colère. Et il ne lui dit pas : Tu trahis ton Maître, ton Seigneur, ton bienfaiteur , mais : « Le Fils de l'homme ». Quand même ce ne serait ni ton Maître, ni ton Seigneur, celui qui était si doux, si sincère avec toi, jusqu'à te donner un baiser au moment même de ta trahison, quand ce baiser était précisément la marque de ta trahison, est-ce celui-là que tu trahis ? Soyez béni, Seigneur, pour cet exemple d'humilité, de patience admirable que vous nous avez donné. Oui, dira-t-on, tel s'est montré le Seigneur envers Judas; mais, envers ceux qui s'élancèrent sur lui avec des bâtons et des épées, il ne s'est pas montré de même. Eh ! quoi de plus doux que les paroles qu'il leur adressa ? Il pouvait les exterminer tous à la fois : il n'en fait rien; mais il leur dit, de manière à les toucher Pourquoi êtes-vous venus ici, comme si j'étais un voleur, pour me prendre avec des épées et des bâtons ? Il les avait renversés ; ils demeuraient comme privés de sentiment ; il se livra lui-même volontairement; il supporta la vue des fers dont ses mains sacrées étaient entourées , et cela , quand il pouvait tout ébranler, tout jeter par terre.

Et vous, après de tels exemples, vous êtes durs envers le pauvre. Fût-il même, ce pauvre, souillé de mille forfaits, son indigence et la faim qui le presse, devraient, si vous n'étiez tout à fait endurcis, fléchir vos coeurs. Au contraire, vous êtes là, debout, hérissé comme une bête fauve, comme le lion en colère : il faut dire pourtant que les lions n'ont jamais goûté des cadavres; mais vous, à,la vue du malheureux accablé de tant de maux, gisant à vos pieds, vous vous jetez sur lui, vos injures lui déchirent le corps, à la tourmente vous ajoutez la tourmente ; le malheureux qui cherche un refuge dans le port, vous le poussez contre l'écueil , et vous opérez un naufrage plus sinistre que les naufrages dans les mers. Et comment direz-vous à Dieu : Ayez pitié de moi? Vous demandez le pardon de vos péchés, vous qui insultez, non pas le pécheur, mais celui qui a faim; qui voulez le punir des tortures qu'il est forcé de souffrir, et qui, par votre cruauté, surpassez les bêtes féroces? C'est parce que la faim les presse, que ces monstres se saisissent de la nourriture qui leur est propre; mais vous, rien ne vous presse ni ne vous contraint, et vous dévorez votre frère, vous le mordez, vous le déchirez, sinon avec les dents, au moins avec des discours plus cruels que des morsures. Comment pourrez-vous recevoir l'oblation sainte, après avoir teint votre langue du sang humain? Donner le baiser de paix d'une bouche qui ne sait que faire la guerre aux pauvres? Comment pouvez-vous jouir de la nourriture sensible, quand vous amassez envous un tel. poison? Vous ne redressez pas le pauvre ; qui vous force à le broyer sous vos pieds? Vous ne relevez pas le malheureux abattu : qui vous force à le rabaisser plus encore ! Vous ne consolez pas sa tristesse : pourquoi la rendre plus amère ? Vous rie lui donnez pas d'argent; pourquoi vos injures vont-elles l'outrager? Ne savez-vous pas quels châtiments redoutables attendent ceux qui refusent de nourrir les pauvres ? A quels supplices ils sont condamnés? « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ». (Matth. XXV, 41.) Si le refus de les nourrir appelle une pareille condamnation, quels supplices subiront ceux qui, non-seulement refusent de les nourrir, mais vont jusqu'à les outrager ? Quelle torture, quelle gêne ! Gardons-nous donc de nous préparer de si affreux malheurs, il en est temps encore; corrigeons ce vice, cette maladie; mettons un frein à notre langue; qu'il ne nous suffise pas de ne pas outrager, sachons encore consoler les pauvres, et par nos paroles, et par nos actions, afin de nous ménager par avance une grande miséricorde, et d'obtenir les biens qui nous sont annoncés ; puissions-nous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté, etc.

 

 

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