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Analyse.
1. offrir à Dieu son corps comme une hostie vivante et de quelle
manière.
2. Ne pas se conformer à ce siècle dont la figure ne fait que
passer. Se transformer par le renouvellement de l'Esprit. En quoi consiste
ce renouvellement , saint Chrysostome fait remarquer que saint Paul ne dit pas
transfigurez-vous; mais transformez-vous, indiquant ainsi que la vertu n'est pas seulement
une figure qui passe, mais une forme vraie qui demeure.
3. Partout l'apôtre parle un langage humble et bienveillant,
s'effaçant toujours pour laisser paraître le Maître souverain, rappelant les bienfaits
de Dieu plutôt que ses lois et ses prescriptions. Que l'humilité est la source de
tous les biens.
4. Contre la vaine gloire. Que l'orgueil est une véritable
folie.
1. Après avoir beaucoup parlé de la
libéralité de Dieu, montré son ineffable Providence, sa bonté infinie, que personne ne
peut sonder, il la met de nouveau en avant pour déterminer ceux qui ont reçu tant de
dons et tant de bienfaits à s'en rendre dignes par leur conduite. Si grand, si élevé
qu'il soit, il veut bien condescendre à la suppléer, et cela, non à son profit
personnel, mais en vue de leurs propres avantages. Et comment vous étonner qu'il descende
à des prières, quand il parle des miséricordes de Dieu? Puisque, dit-il, les
miséricordes de Dieu ont été pour vous la source d'une multitude de biens,
respectez-les, recourez-y humblement: car elles-mêmes prient pour que vous ne fassiez
rien qui soit indigne d'elles. C'est donc, ajoute-t-il, par elles que je vous supplie, par
elles qui vous ont sauvés; comme si , pour faire honte à quelqu'un qui aurait reçu de
grands bienfaits, on lui amenait en qualité de suppliant, ce bienfaiteur lui-même. Mais
que demandez-vous, dites-moi? « Que vous offriez vos corps en hostie vivante
, sainte, agréable à Dieu, pour que votre culte soit raisonnable ». Après qu'il
a dit « Hostie », pour qu'on ne s'imagine pas qu'il s'agisse d'immoler le corps, il
ajoute : « Vivante ». Puis pour distinguer cette hostie de l'hostie judaïque
, il dit « Sainte, agréable à Dieu , pour que votre culte soit raisonnable » ;
car celle des Juifs était matérielle et peu agréable à Dieu. «Car», disait le
Seigneur, « qui a demandé ces victimes de vos mains? » (Is.
I, 42.) Et souvent ailleurs Dieu semble repousser les victimes de ce genre. Mais il ne
demandait point encore celle-ci, ou plutôt il la demandait, même quand les autres lui
étaient offertes. C'est pourquoi il est écrit : « Je serai honoré par un sacrifice de
louange ». (Ps. XLIX.) Et encore : « Je célébrerai le
nom de mon Dieu par un cantique, qui sera plus agréable à Dieu que le sacrifice d'un
veau, dont les cornes et les ongles commencent à paraître». (Ps. LXIII.)
Ailleurs encore Dieu rejette ce genre d'hosties en disant : « Est-ce que je mange la
chair des taureaux? Est-ce que je bois le sang des boucs? » Et il ajoute : « Offrez à
Dieu un sacrifice de louange et acquittez les voeux que vous avez faits au Très-Haut »,
(Ps. XLIX.) C'est aussi ce que Paul demande ici : « Offrez
vos corps en hostie vivante ».
Mais comment, direz-vous, le corps peut-il
être une hostie? Que votre oeil ne se fixe sur rien de mauvais, et il devient une hostie;
que votre langue ne profère rien de coupable , et elle devient une offrande; que votre
main ne fasse rien contre la loi , et elle devient un holocauste. Ou plutôt cela ne
suffit pas, mais il faut y ajouter la pratique des bonnes (356) oeuvres, afin que la main
fasse l'aumône, que la bouche rende bénédictions pour malédictions, que l'oreille
s'applique avec assiduité à entendre la parole de Dieu. Car l'hostie ne doit rien avoir
d'immonde, elle forme les prémices de tout le reste. Offrons donc à Dieu les prémices
de nos mains, de nos pieds, de notre bouche et de tout le reste; cette hostie plaira à
Dieu, autant que celle des Juifs était impure à ses yeux. « Car », est-il écrit, «
leurs hosties sont pour eux le pain de l'affliction ». (Os. IX, 4.) Il n'en est pas ainsi
de la nôtre. L'hostie judaïque présentait un corps mort; la nôtre rend vivant ce qui
est immolé. Car c'est en mortifiant nos membres que nous pouvons vivre ; c'est la
nouvelle loi du sacrifice ; c'est pourquoi l'espèce de feu qu'on y emploie paraît
extraordinaire Il n'y a plus besoin die bois ni de matière inflammable; notre feu consume
de lui-même , il ne dévore pas la victime; il la fait vivre.
C'était le genre de sacrifice que Dieu demandait autrefois ; aussi le prophète disait-il
: « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un coeur contrit ». (Ps. L.) C'était aussi
celui qu'offraient les trois enfants dans la fournaise : « Il n'y a ni prince, ni
prophète, ni lieu propres à demander et à obtenir miséricorde; mais recevez de nous un
coeur contrit et un esprit humilié ». (Dan. III, 38, 39.)
Et voyez quelle exactitude dans chacun des
termes de Paul! Il ne dit pas : Faites de vos corps une hostie, mais : « Offrez », comme
s'il, disait : Vous n'avez plus rien de commun avec vos corps; vous les avez livrés à un
autre. Ceux qui livrent des chevaux de bataille, n'ont plus rien de commun avec eux. Vous
avez livré vos membres pour la guerre qui se fait au démon, pour cette lutte terrible;
ne les retirez donc plus pour vos usages personnels. Par là, Paul nous enseigne encore
une autre chose c'est que, si on veut les offrir, il faut les offrir éprouvés. Car ce
n'est pas à un homme que nous les offrons, mais à Dieu, le Roi de l'univers; ni pour un
simple combat, mais pour être montés par Dieu même. En effet, Dieu ne dédaigne pas
d'avoir nos membres pour monture, il le désire même vivement; ce que ne voudrait pas un
roi, serviteur comme nous, le Maître des anges s'y résout volontiers. Mais puisque vous
devez les lui présenter, et qu'ils sont une hostie, enlevez-en toute tache; car s'ils en
gardent, ils ne sont plus une hostie. Ainsi l'oeil qui s'est fixé sur une prostituée, ne
peut plus être immolé; on ne peut plus offrir une main souillée par le vol ou
l'avarice, des pieds qui boitent et montent au théâtre, un ventre esclave du plaisir et
qui allume la flamme des passions et des voluptés, un coeur livré à la colère ou aux
amours impudiques, un langage qui profère des paroles honteuses.
2. Il faut donc veiller soigneusement à
ce que notre corps soit sans tache. Car si l'on exigeait de ceux qui offraient les
anciennes hosties les précautions les plus minutieuses, et 'ils ne pouvaient offrir
aucune victime qui eût les oreilles coupées, la queue mutilée, qui fût atteinte de
gale ou de dartre; à bien plus forte raison nous qui n'offrons pas des animaux stupides,
mais nos propres personnes, devons-nous être attentifs, et nous présenter parfaitement
purs, pour pouvoir dire aussi comme Paul : « Car, pour ce qui me regarde, on a déjà
fait des libations sur moi, et le temps de ma dissolution approche ». (II Tim. IV, 6.) Il était en effet plus pur que quelque hostie que ce
fût; voilà pourquoi il se donnait à lui-même le nom de libation. Or, il en sera ainsi
de nous, si nous détruisons le vieil homme, si nous mortifions nos membres terrestres, si
nous crucifions le monde en nous. Pour cela nous n'avons besoin ni de glaive, ni d'autel,
ni de feu; ou plutôt il noua les faut, mais non faits de main d'homme. Tout nous viendra
d'en-haut, le feu et l'épée; et l'autel, ce sera l'étendue
du firmament. Si, quand Elie offrait une hostie visible, une flamme descendue du ciel
consuma tout, l'eau, le bois, les pierres mêmes; à bien plus forte raison vous en
arrivera-t-il autant. Si vous avez encore quelque chose de mou et de charnel, mais que
vous présentiez l'hostie avec un coeur droit, le feu de l'Esprit descendra, consumera
tout cela et achèvera le sacrifice. Mais qu'est-ce qu'un culte raisonnable? Le ministère
spirituel,, une vie selon le Christ. De même que celui qui
exerce une fonction dans la maison du Seigneur et y sacrifie, quel qu'il soit d'ailleurs,
se contient et prend une attitude plus grave; ainsi devons-nous être toute notre vie,
nous qui servons Dieu et lui offrons des sacrifices. Et c'est ce qui arrivera si vous lui
immolez chaque jour des victimes; si, en qualité de prêtre, vous lui présentez
l'offrande de votre corps et de la vertu de votre âme : par exemple, si vous lui offrez
la chasteté, l'aumône; la douceur, la patience à supporter le mal. Par là vous
offrirez un (357) culte raisonnable, c'est-à-dire qui n'aura rien de matériel, rien de
grossier, rien de sensible. Après avoir relevé, par ces expressions, l'esprit de
l'auditeur, avoir montré que chacun exerce le sacerdoce par sa propre chair, par sa
conduite, il indique ensuite la manière de tout faire en règle. Quelle est cette,manière? « Ne « vous conformez point à ce siècle », dit-il,
«mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit (2) ». Car la figure de ce
siècle est basse, vile, passagère; elle n'a rien d'élevé, rien de durable, rien de
droit : c'est un renversement complet de toutes choses. Si donc vous voulez marcher droit,
ne vous conformez pas à la figure de la vie présente; car rien n'y est permanent, rien
n'y est solide. Voilà pourquoi il l'appelle figure; expression qu'il répète ailleurs,
quand il dit : « Car la figure de ce monde passe ». (I Cor. VII, 31.) En effet, elle n'a
rien de stable, ni de fixe; tout y est passager; voilà pourquoi il dit: « A ce siècle
», pour en indiquer le peu de solidité, le défaut de consistance. Parlez-vous de
richesses, de gloire, de beauté de corps, de plaisir, de tout ce qui paraît grand : ce
n'est là qu'une figure, un mensonge, une apparence, un masque; et non une substance
solide. Ne vous y conformez donc pas, dit l'apôtre, mais transformez-vous dans le
renouvellement de l'esprit. Il ne dit pas : Transfigurez-vous, mais : « Transformez-vous
», pour montrer que le monde est une figure, et que la vertu n'en est pas une; mais une
forme vraie, possédant une beauté naturelle, et n'ayant pas besoin d'apprêts
artificiels ni de figures qui paraissent et disparaissent aussitôt : car tout cela est
déjà détruit avant de paraître. Si donc vous rejetez la figure, vous aurez bientôt la
forme vraie.
En effet, il n'y a rien de plus faible que
le vice, rien qui vieillisse si promptement. Mais comme l'homme est exposé à pécher
chaque jour, l'apôtre console son auditeur, en disant Renouvelez-vous vous-même chaque
jour. Faites sur vous-même ce que nous faisons continuellement pour nos maisons, en
réparant les ravages faits par le temps. Vous avez péché aujourd'hui? vous avez fait vieillir votre âme? Ne désespérez pas, ne vous
laissez pas abattre, mais renouvelez-la par le repentir, par les larmes, par la
confession, par la pratique du bien; et, en cela, ne vous relâchez jamais. Mais comment
le pourrons-nous, dites-vous? « Si vous choisissez les meilleures choses, si vous
reconnaissez, combien la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite ». Ou il veut
dire : Renouvelez-vous pour apprendre ce qui est utile à connaître la volonté de Dieu;
ou bien : Vous pouvez vous renouveler si vous apprenez ce qui est utile et quelle est la
volonté de Dieu. En effet, si vous connaissez cette volonté et si vous apprenez à
distinguer la nature dés choses, vous avez trouvé le chemin de toutes les vertus. Mais,
dira-t-on, qui est-ce qui ignore les choses utiles et la volonté de Dieu? Ceux qui ne
soupirent qu'après l'es biens de ce monde; ceux qui regardent la richesse comme digne
d'envie; ceux qui méprisent la pauvreté; ceux qui poursuivent les charges; ceux qui
ambitionnent la gloire extérieure; ceux qui se croient grands, parce qu'ils bâtissent
des maisons magnifiques, qu'ils se procurent de somptueux tombeaux, qu'ils ont des
troupeaux d'esclaves et qu'ils sont entourés d'une multitude d'eunuques. Ceux-là
ignorent ce qui leur est utile, ne connaissent point la volonté de Dieu : deux choses qui
n'en font qu'une.
3. Dieu, en effet, veut ce qui nous est
utile; et ce qui nous est utile, c'est ce que Dieu veut. Or, que veut Dieu? Que nous
vivions dans la pauvreté, dans l'humilité, dans le mépris de la gloire, dans la
tempérance, et non dans les délices; dans l'affliction, et non dans le repos; dans le
deuil, et non dans la dissipation et dans la joie; enfin dans la pratique de toutes les
vertus qu'il nous a commandées. Mais là plupart les repoussent comme des choses
odieuses, tant ils sont éloignés de les considérer comme utiles et comme expression de
la volonté de Dieu! Voilà pourquoi ils ne peuvent,. pas même de loin, aborder les travaux qu'exige la vertu. Comment
ceux qui ne savent pas même ce que c'est que la vertu; qui, au lieu de l'admirer,
admirent le vice; qui préfèrent une prostituée à une femme chaste; comment, dis-je,
ceux-là peuvent-ils se détacher du temps présent? Il nous faut donc, avant tout, une
connaissance exacte et distincte des choses; louer la vertu, même quand nous ne la
pratiquons pas; condamner le vice, même quand nous ne l'évitons pas; afin de conserver
un jugement impartial et sain. C'est ainsi que plus tard nous pourrons marcher et
entreprendre enfin les bonnes oeuvres. C'est pour cela que Paul veut qu'on se renouvelle:
« Afin de connaître quelle est la volonté de Dieu ».
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Il me semble ici s'adresser encore aux
Juifs qui restaient attachés à la loi. Sans doute l'ancienne institution était la
volonté de Dieu, mais d'une manière transitoire, et comme concession faite à leur
faiblesse; tandis que la nouvelle était parfaite et agréable en tout point. Et quand il
l'appelle culte raisonnable, c'est par opposition à l'autre.
« Car je dis, en vertu de la grâce qui
m'a été donnée, à tous ceux qui sont parmi vous, de ne paraître sages plus qu'il ne
faut, mais de l'être avec modération, et selon la mesure de la foi que Dieu a départie
à chacun (3) ». Plus haut il disait : « Je vous conjure par la miséricorde de Dieu »
; ici il dit: « En vertu de la grâce ». Voyez l'humilité, la modestie de
l'apôtre ! Nulle part il ne prétend qu'on doive ajouter foi à sa parole, quand il
donne des avis et des conseils aussi importants; mais tantôt il s'appuie sur la
miséricorde de Dieu, tantôt sur la grâce. Ce n'est point ma parole que j'annonce, leur
dit-il, mais celle de Dieu. Et il ne dit point : Je dis en vertu de la sagesse de Dieu, ni
: Je dis en vertu de la loi de Dieu, mais : « En vertu de la grâce » ; rappelant sans
cesse le souvenir des bienfaits reçus, pour les rendre plus reconnaissants et leur faire
comprendre qu'ils doivent obéir à ce qu'on leur dit. « A tous ceux qui sont parmi vous
». Non-seulement à un tel et à un tel, mais au prince et au
sujet, à l'homme libre et à l'esclave, à l'ignorant et au savant, à la femme et à
l'homme, au jeune homme et au vieillard car la loi est pour tous, puisqu'elle vient du
Maître. C'est ainsi qu'il ôte à son langage ce qu'il pourrait avoir de pénible, en
proposant ses enseignements à tout le monde, même aux innocents, afin que les coupables
acceptent ses reproches et se corrigent plus facilement.
Mais, de grâce, Paul, que dites-vous? «
De ne pas être sages plus qu'il ne faut ». A l'exemple de son Maître, il présente
l'humilité comme la source des biens. De même que le Christ sur la montagne, avant de
commencer son instruction morale, en pose le fondement, en débutant par ces mots : «
Heureux les pauvres d'esprit » (Matth. V, 3) ; ainsi Paul, en
passant du dogme à la morale, établit le principe général de la vertu, en demandant de
nous une merveilleuse hostie; et sur le point d'entrer dans les détails, il part de
l'humilité comme du point capital, en disant : « De ne pas être sages plus qu'il ne
faut », car c'est la volonté de Dieu, « Mais de l'être avec modération ». Ce qui
veut dire : nous avons reçu la prudence pour en user sobrement, et non pour la mettre au
service de l'orgueil. Il ne dit pas : d'être humbles, mais : « D'être sages » ; et ici
la sagesse, peur lui, n'est pas la vertu opposée à la débauche, ni l'exemption de
l'impureté, mais la vigilance et la bonne santé de l'âme: laquelle s'appelle sagesse
parce qu'elle maintient l'esprit sain. Pour montrer donc que sans la modération on ne
peut être sage, c'est-à-dire ferme et sain, mais qu'on
extravague et qu'on est insensé, plus insensé même que le fou furieux, il donne à
l'humilité le nom de sagesse. « Et selon la mesure de la foi que Dieu a départie à
chacun ». Comme la concession des grâces inspirait de l'orgueil à beaucoup, soit chez
les Romains, soit chez les Corinthiens, voyez comme il met à nu la cause de la maladie et
la détruit peu à peu? En effet, après avoir dit qu'il faut être sage avec sobriété,
il ajoute : « Selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun », donnant ici à la
grâce le nom de foi. Puis, par ces mots « A départie », il console celui qui a moins
reçu et contient celui qui a reçu davantage. Car si c'est Dieu qui a départi, et non
point votre mérite, de quoi vous enorgueillissez-vous ?
4. Si on prétend que ce n'est pas à la
foi que l'apôtre donne le nom de grâce, cela prouverait encore mieux qu'il veut humilier
les orgueilleux. Car si la foi, par laquelle on fait les miracles, est le principe du don,
et que le don vienne de Dieu, de quoi êtes-vous fier? Si le
Christ n'était pas venu, s'il ne s'était pas incarné, la foi n'eût pas exercé un tel
empire. Ainsi donc c'est de là que découlent tous les biens. Or si c'est Dieu qui donne,
il sait comment il distribue; car il a créé tous les hommes et il en prend également
soin. Aussi bien que le don, la quantité du don provient de sa bonté. Celui qui a fait
preuve de sa bonté dans l'ensemble, c'est-à-dire en accordant les dons, ne faillira pas
dans la mesure. S'il avait voulu vous témoigner son mépris, il ne vous eût point
accordé le principe de ces dons; et s'il veut vous sauver et vous honorer (c'est pour
cela qu'il est venu et qu'il vous a distribué tant de biens) pourquoi vous agiter et vous
troubler, pourquoi tourner votre sagesse en folie, jusqu'à vous ravaler au-dessous même
de celui qui est naturellement fou? Etre fou (359) naturellement, n'est pas un crime; mais
devenir fou au moyen de la sagesse, c'est s'ôter tout espoir de pardon, c'est s'exposer
à de plus grands châtiments. Tels sont ceux qui s'enorgueillissent de la sagesse et
tombent ainsi dans une extrême folie.
Car rien ne rend insensé comme l'orgueil.
Aussi le prophète donnait-il ce nom à un roi barbare, en disant : « Mais l'insensé
dira des choses insensées ». (Isaïe, XXXII, 6.) Or, pour connaître sa folie à son
propre langage, écoutez ce qu'il dit : « J'établirai mon trône au-dessus des astres du
ciel, et je serai semblable au Très-Haut ». (Id. XIV, 14.) « Je placerai dans ma main
le monde comme un nid, et je l'enlèverai comme des oeufs abandonnés». (Id. X, 4.) Y
a-t-il rien de plus insensé que ce langage ? Et voilà la honte que s'attirent toutes les
paroles de jactance. Si je produisais ici toutes celles de l'orgueilleux
, il vous serait impossible de discerner si elles sont d'un orgueilleux ou d'un fou
: tant il est vrai que ces deux défauts n'en font qu'un ! Un autre barbare dit: «Je
suis un Dieu et non un homme » ; un autre encore : « Dieu pourra-t-il vous sauver et
vous arracher de mes mains ? » (Dan. III, 15.) Et l'Égyptien : « Je ne connais point le
Seigneur, et je ne laisserai point partir Israël ». (Ex. V, 2.) Le prophète parle aussi
d'un insensé de ce genre, qui dit en son coeur « Il n'y a point de Dieu ». (Ps. XIII.) Et Caïn : « Est-ce que je suis le gardien de mon
frère? » (Gen. IV, 9.) Pouvez-vous distinguer si ce sont des
orgueilleux ou des fous qui parlent? L'orgueil, perdant toute mesure et toute intelligence
(d'où lui vient le nom de démence(1) ) fait les insensés et
les présomptueux. Si la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, ne pas
connaître le Seigneur est le commencement de la folie. Donc si la sagesse consiste à
connaître Dieu, la folie à ne pas le connaître, et si ce défaut de connaissance
provient de l'orgueil, (en effet, ne pas connaître Dieu est le commencement de
l'orgueil), donc, dis-je, l'orgueil est une extrême folie.
Tel était Nabal, devenu insensé par orgueil, non vis-à-vis de Dieu, mais à l'égard de l'homme, et qui finit par mourir de peur. Car, quand on a perdu la mesure de l'intelligence, l'âme s'affaiblit et on devient tout à la fois lâche et audacieux. En effet, de même que le
1 aponoia signifie orgueil
et démence
corps est sujet à toutes les maladies,
dès qu'une fois il a perdu son tempérament normal; ainsi l'âme, quand elle a perdit sa
grandeur propre et l'humilité, affaiblie dans sa constitution, devient timide en même
temps qu'audacieuse et insensée, et finit par s'ignorer elle-même. Or, comment celui qui
ne se connaît pas lui-même, connaîtra-t-il ce qui est au-dessus de lui? Comme le
frénétique, n'ayant plus conscience de lui-même, ne voit pas ce qui est devant ses
pieds ; ou comme l'oeil aveuglé plonge tous les membres dans l'obscurité ainsi
arrive-t-il dans l'orgueil. Voilà pourquoi les orgueilleux sont plus à plaindre que les
fous furieux, que ceux qui sont naturellement insensés. Comme eux ils sont ridicules,
comme eux ils sont désagréables ils extravaguent comme eux, mais ils n'excitent point la
même compassion ; comme eux ils ont perdu le sens, mais ils ne rencontrent pas la même
indulgence; on se contente de les haïr; ayant les défauts des furieux et des insensés,
ils ne sont point excusés comme eux; on rit, non-seulement de leurs paroles, mais de leurs façons. Pourquoi,
dites-moi; levez-vous la tête? Pourquoi marchez-vous sur la pointe des pieds? Pourquoi
froncez-vous les sourcils? Pourquoi renflez-vous votre poitrine? Vous ne pouvez pas faire
blanc ou noir un de vos cheveux, et vous marchez en l'air, comme si vous étiez le maître
du monde. Peut-être voudriez-vous avoir des ailes pour ne plus toucher terre; peut-être
voudriez-vous être une merveille? Eh! n'en êtes-vous déjà
pas, une, vous qui êtes homme et essayez de voler? ou plutôt
vous qui volez en désir, et qui vous gonflez en tout sens?
Quel nom vous donnerai-je, pour détruire
en vous cet orgueil ? Si je vous appelle cendre, poussière, fumée, tourbillon de
poussière, j'ai exprimé votre peu de valeur, mais je n'ai pas encore trouvé l'image
exacte que je voudrais; car je voudrais peindre tout à la fois la bouffissure et le vide.
Quelle image trouverai-je donc qui convienne aux orgueilleux? Ils me paraissent ressembler
à de l'étoupe brûlée. En effet, l'étoupe semble s'enfler quand elle est brûlée,
elle prend un volume extraordinaire, mais au moindre contact de la main, elle s'affaisse
entièrement et ne vaut pas même de la cendre. Telles sont les âmes, des orgueilleux;
leur enflure est vide; le premier choc peut les abaisser et les réduire à rien. Car
l'orgueilleux (360) est nécessairement un homme très-faible;
sa hauteur n'a rien de solide ; semblable aux bulles d'eau qui crèvent si aisément, il
est facilement détruit. Si vous ne me croyez pas, amenez-moi un homme plein d'audace et
d'orgueil, et vous le verrez, au premier accident, lâche et sans courage. De même que le
menu bois prend vite feu et est aussitôt réduit en cendre, tandis que le bois solide ne
s'allume pas aussi facilement, mais conserve longtemps sa flamme ; ainsi les âmes fermes,
solides, ne s'enflamment ni ne s'éteignent aisément, tandis que les orgueilleux font
l'un et l'autre dans le même moment.
Convaincus de ces vérités, pratiquons
donc l'humilité. Rien n'égale sa force; elle est plus ferme que le rocher, plus dure que
le diamant; elle est pour nous un rempart plus sûr que les tours, que les villes, que les
murailles ; elle est au-dessus de toutes les ruses du démon; tandis que l'orgueil nous
livre au premier venu ; crève, comme je l'ai dit, plus facilement qu'une bulle d'eau ; se
déchire plus vite qu'une toile d'araignée et s'évapore plus promptement que la fumée.
Afin donc d'être établis sur la pierre ferme, renonçons à l'orgueil
, embrassons l'humilité. C'est ainsi que nous trouverons le repos dans la vie
présente, et que nous jouirons de tous les biens dans le siècle à venir, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, la force, l'honneur
appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. l'abbé DEVOILLE.