ROMAINS XVII

HOMÉLIE XVII. ASSURÉMENT, MES FRÈRES, LA VOLONTÉ DE MON COEUR ET MES SUPPLICATIONS A DIEU ONT POUR OBJET LEUR SALUT. (X, 1, JUSQU'À 13.)

 

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Analyse.

 

1. Oui, les Juifs (je fais des veaux et des prières pour qu'ils puissent se sauver) sont eux-mêmes , avec leur zèle, dépourvus de sagesse; la cause de leur réprobation, parce qu'ils veulent faire valoir leur justice propre, et qu'ils refusent de se soumettre à l'ordre établi par Dieu pour conduire l'homme à la justice.—L'ordre que Dieu a établi consiste dans la foi en Jésus-Christ, qui est le terme et la tin de la loi.

2. Qu'il y a beaucoup de mérite dans la foi. — Bien qu'ils soient déjà accomplis, les faits qui sont l'objet de la foi sont si grands, qu'ils exigent encore la foi pour être crus. — Cependant la foi n'est pas difficile, car si l'incarnation et la résurrection sont difficiles à croire par elles-mêmes, la difficulté disparaît quand on fait réflexion que c'est Dieu qui agit.

3. Les Juifs qui repoussent la foi n'ont donc plus aucune excuse. — Quiconque croira en Jésus-Christ et professera ce qu'il croit, sera sauvé, sans distinction de Juif ni de Gentil, car Dieu est assez riche pour les sauver tous.

4.5. Contre la vaine gloire. — Combien cette passion est tyrannique et impérieuse. — Des maux qu'elle fait souffrir dès cette vie à ceux qui en sont possédés.

 

1. Il va les blâmer plus vivement qu'il ne l'a fait jusqu'ici; voilà pourquoi il leur ôte tout motif de le soupçonner d'inimitié, et prend de grandes précautions. Ne vous blessez pas de mes paroles ni de mes reproches, leur dit-il; car ils ne proviennent pas d'une pensée hostile. En effet il est impossible au même homme de désirer leur salut, non-seulement de le désirer, mais de le demander avec instance, et en même temps de les haïr et d'avoir pour eux de l'aversion. Volonté, ici, signifie ardent désir. Et voyez comme sa prière part du coeur ! Ce qu'il désire, ce qu'il demande avec instance, ce n'est pas seulement qu'ils soient délivrés du châtiment, mais qu'ils soient sauvés. Et ce n'est pas en cela seulement, mais dans ce qui va suivre, qu'il manifeste la bienveillance qu'il leur porte; car il insiste, autant que possible, sur ce qui peut s'excuser, il s'efforce d'en tirer une ombre de défense en leur faveur, et il n'y réussit pas, vaincu par la nature même des choses. « Car », dit-il, « je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science (2) ». II y a donc là matière à excuse, et non à reproche. Si, en effet, ils ne sont pas séparés pour des motifs humains, mais par zèle, ils sont plus dignes de pitié que de châtiment. Mais voyez avec quelle sagesse il ménage les termes, et démontre que leur obstination est déplacée ! « Parce que, ignorant la justice de Dieu ». Encore une expression indulgente; mais ce qui suit renferme un vif reproche et ôte toute excuse. « Et cherchant », ajoute-t-il, « à établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu (3) ».

L'apôtre dit cela pour faire voir qu'ils se sont égarés par esprit de contention et de domination plutôt que par ignorance, et qu'ils ne sont pas même parvenus à établir la justice légale : car c'est là ce qu'il veut dire par ces mots : « Cherchant à établir ». Il ne l'exprime pas clairement; il ne dit point qu'ils ont perdu l'une et l'autre justices, mais il l'insinue avec la prudence et la sagesse qui lui sont propres. Si, en effet, ils cherchent encore à établir la justice selon la loi, il est clair qu'ils ne l'ont pas établie. S'ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu, ils ont aussi perdu la justice selon la loi. Or il appelle celle-ci leur justice propre, ou parce que la loi n'a plus de force, ou parce qu'elle exige des travaux et des(330) fatigues ; et il appelle justice de Dieu celle qui vient de la foi, parce qu'elle est entièrement l'oeuvre de la grâce d'en-haut, qu'elle n'est point le fruit du travail, mais un don de Dieu. Mais ceux qui résistent toujours au Saint-Esprit, en s'obstinant à être justifiés par la loi, ne sont point parvenus à la foi; or, ne venant point à la foi, ne recevant pas la justice qui en provient, et ne pouvant être justifiés par la loi, ils sont complètement déchus. « Car la fin de la loi est le Christ, pour justifier tout croyant (4) ». Voyez la prudence de Paul ! Il avait parlé d'une double justice, de celle de la loi et de celle de la foi. Ceux d'entre les Juifs qui avaient cru et embrassé la justice de la foi, pouvaient craindre comme étant encore néophytes, d'être condamnables, s'ils étaient munis d'une de ces deux justices et dépourvus de l'autre. De plus ils pouvaient encore se promettre d'accomplir la justice de la loi, et dire : Si nous ne l'avons pas accomplie jusqu'ici, nous l'accomplirons certainement à l'avenir. Pour prévenir ces pensées , Paul montre qu'il n'y a qu'une justice, que l'une est absorbée dans l'autre, que celui qui choisit celle de la foi, accomplit aussi celle de la loi, et qu'en rejetant celle-là, on déchoit aussi de celle-ci.

En effet, si le Christ est la fin de la loi, celui qui n'a pas le Christ n'a pas la loi, même quand il paraîtrait l'avoir ; mais celui qui a le Christ a tout, quand même il n'accomplirait pas la loi. La fin de la médecine , c'est la santé. Celui qui peut la rendre est bon médecin, quand même il n'exercerait pas l'art de la médecine; et celui qui ne ,sait pas guérir, n'est pas médecin , parût-il d'ailleurs en exercer l'art: ainsi en est-il pour la loi et la foi; celui qui a celle-ci, a la fin de celle-là; mais celui qui n'a pas la foi, est privé de l'une et de l'autre. En effet, que voulait la loi? Rendre l'homme juste; mais elle ne le pouvait pas, car personne ne l'a accomplie. Justifier l'homme : tel était le but de la loi, tout tendait là : fêtes, commandements, sacrifices, et le reste. Or le Christ a bien mieux atteint ce but par la foi. Ne craignez donc point, dit l'apôtre , d'être transgresseur de la loi, après avoir embrassé la foi ; vous la transgressez quand, à cause d'elle, vous ne croyez pas au Christ; et, au contraire, si vous croyez au Christ, vous accomplissez la loi au-delà même de ce qu'elle exige ; car vous recevez une justice beaucoup plus grande. Mais comme ceci était une assertion, l'apôtre la confirme par l'Ecriture. «Aussi », dit-il, « Moïse écrit que la justice qui vient de la loi... (5) ». Voici ce qu'il veut dire : Moïse nous indique ce que c'est que la justice qui vient de la: loi et- en quoi elle consiste. Quelle est-elle donc, et en quoi consiste-t-elle ? Dans l'accomplissement des commandements. « Celui qui les accomplira », est-il dit, « vivra en eux »: On ne peut être justifié dans la loi qu'en les accomplissant tous; or personne ne l'a pu.

2. Cette justice est,donc tombée. Parlez-nous de l'autre, ô Paul ! de celle qui vient de la grâce. Quelle est-elle, et en quoi consiste-t-elle ? Ecoutez la description exacte qu'il en fait. Après avoir convaincu la première d'impuissance, il en vient enfin à celle-ci. « Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parlé ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera an ciel? c'est-à-dire, pour en faire descendre le Christ : ou, qui descendra dans l'abîme? c'est-à-dire, pour rappeler le Christ d'entre les morts. Mais que dit l'Ecriture : « Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur ; c'est la parole de foi que nous annonçons. Parce que si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus, et si en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé (6-8) ». Pour que les Juifs ne disent pas : Comment ceux qui n'ont pas trouvé la moindre des deux justices, ont-ils trouvé la plus grande? Il donne un argument irréfutable : c'est que celle-ci est une voie plus facile que celle-là. La justice de la loi exige l'accomplissement de toutes les prescriptions: « Quand tu auras tout accompli, c'est alors que tu vivras ». Mais la justice qui vient de la foi ne dit pas cela. Que dit-elle donc? « Si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus et si en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé». Ensuite, pour ne pas la rendre méprisable en la montrant si facile et si simple, voyez comme il s'étend sur ce chapitre. Il n'en vient pas immédiatement à ce que nous avons dit : que dit-il donc? « Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parle ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? c'est-à-dire, pour en faire descendre le Christ; ou, qui descendra dans l'abîme? c'est-à-dire pour rappeler le Christ d'entre les morts ».

 

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En effet, comme la vertu pratique a pour obstacles la lâcheté et la mollesse, ennemie du travail, et que l'âme a besoin d'une grande vigilance pour ne pas succomber; ainsi, quand il s'agit de croire, les raisonnements viennent jeter le trouble et le désordre dans l'esprit d'un grand nombre, et il faut une volonté énergique pour les écarter. C'est pourquoi il les produit lui-même, ces raisonnements, et fait encore ici ce qu'il a fait à l'occasion d'Abraham. En effet, après avoir prouvé qu'Abraham a été justifié par la foi, pour ne pas laisser croire que le patriarche a été récompensé sans raison et au hasard, comme si sa foi eût été chose sans valeur, il relève la qualité même de cette foi, en disant : « Qui ayant espéré contre l'espérance même , a cru qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations, et sa foi ne faiblit point; il ne considéra ni son corps éteint, ni l'impuissance de Sara ; il n'hésita point en défiance de la promesse de Dieu; mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, a pleinement assuré que tout ce qu'il a promis, il est puissant pour le faire ». (Rom. IV, 18, 99, 20, 21.) Et il a prouvé qu'il faut de la force et une âme élevée, qui espère contre l'espérance et ne se heurte point contre les choses visibles. Ici il en fait autant, et montre qu'il faut un esprit sage, une âme grande et capable de s'élever jusqu'au ciel. Il ne dit pas simplement : Ne dis point, mais : « Ne dis point en ton coeur », c'est-à-dire, ne t'avise pas d'hésiter et de dire en toi-même : Comment cela se peut-il? Voyez-vous comme c'est là surtout le propre de la foi de laisser toutes les conséquences terrestres pour s'attacher à ce qui est au-dessus de la nature, de rejeter tous les vains raisonnements pour tout attendre de la puissance de Dieu ?

Cependant les Juifs ne se contentaient pas de dire cela, ils prétendaient qu'on ne peut pas être justifié par la foi. Mais Paul, pour établir le contraire, cite un fait accompli, afin de démontrer que: ce fait était tellement élevé que même, depuis qu'il est accompli, il exige encore de la foi, et de -prouver par là que la foi mérite récompense. Il emploie pour cela les paroles de l'Ancien Testament, toujours pour écarter de lui l'accusation d'innovation et d'hostilité contre la loi. Car ce qu'il dit ici de la foi, Moïse le leur avait dit de la loi, pour leur montrer que Dieu leur avait fait une grande grâce. Vous ne pouvez, leur dit-il, objecter qu'il faut monter au ciel ou traverser l'étendue de la mer pour recevoir les commandements ; ces commandements si grands, si sublimes, Dieu nous les a rendus faciles. Que signifient ces mots : « Près de toi « est la parole ? » c'est-à-dire, elle est facile : car ton salut est dans ton esprit et sur ta langue. Il n'est pas nécessaire de faire une longue route, de traverser la mer ou de passer les montagnes, pour être sauvé; si vous ne voulez pas franchir le seuil de votre maison, vous pouvez rester assis chez vous et vous sauver : car le principe du salut est dans votre bouche et dans votre coeur.

Ensuite Paul, pour faciliter encore la foi, dit: « Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ». Considérez la dignité de celui qui agit, et vous ne verrez plus de difficulté dans les choses. La résurrection prouve donc clairement que le Christ est le Seigneur : ce que Paul avait dit au commencement de son épître : « Qui a été désigné Fils de Dieu par la résurrection d'entre les morts ». Or que la résurrection soit facile, la puissance de celui qui l'opère, le démontre aux plus incrédules. Donc puisque la justice de la foi est plus grande, qu'elle est facile, aisée à embrasser, et qu'on ne peut d'ailleurs être justifié autrement, n'est-ce pas un excès d'obstination de laisser ce qui est facile pour s'attacher à l'impossible? Car ils ne sauraient dire qu'ils rejettent la justice de la foi à cause de ses difficultés.

3. Voyez-vous comme Paul leur ôte tout motif d'excuse? Comment, en effet, seraient-ils pardonnables de laisser ce qui est facile pour s'attacher à ce qui est difficile, de négliger ce qui procure le salut pour embrasser ce qui ne peut sauver? Ce ne peut être autre chose que l'effet d'un esprit de, contention et en révolte contre Dieu. Car la loi est pénible et la grâce facile; malgré des efforts infinis, la loi ne sauve pas; la grâce procure sa justice propre et celle de la loi. Comment donc les excuser de repousser la grâce pour s'attacher inutilement et sans résultat à la loi. Puis , comme il a avancé une chose importante, il l'appuie sur le témoignage de l'Ecriture. « En effet, l'Ecriture dit: Quiconque croit en lui, ne sera point confondu. Car il n'y a point de distinction de Juif et. de Grec; parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent. Car quiconque (332) invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé (11-13) ». Le voyez-vous produire des témoignages en faveur de la foi et de la confession ? En effet, ces mots : « Quiconque croit», désignent la foi; et ceux-ci : « Quiconque invoquera », se rapportent à la confession. Ensuite, pour indiquer que la foi est commune à tous, et pour réprimer leur orgueil, il rappelle brièvement ce qu'il a longuement expliqué plus haut, à savoir qu'il n'y a point de différence entre le Juif et l'incirconcis. «Car », dit-il, « il n'y a point de distinction de Juif et de Grec ». Et ce qu'il avait dit du Père; en en donnant la preuve, il le répète ici du Fils. En effet, comme il avait dit plus haut dans sa démonstration : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Ne l'est-il pas aussi des Gentils? Oui certes, des Gentils aussi, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu» ; de même il dit ici : « Parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent ». Voyez-vous comme il nous montre le désir ardent que Dieu a de notre salut, puisqu'il le regarde comme sa richesse propre; en sorte qu'ils ne doivent ni désespérer, ni se regarder comme exclus du pardon , pourvu qu'ils veuillent se repentir? En effet, celui qui regarde notre salut comme sa propre richesse, ne cessera pas d'être riche, puisque cette richesse consiste précisément à répandre ces dons sur tous. Et comme ce qui les troublait le plus, c'était, après avoir occupé le premier rang sur la terre, de descendre de ce trône de gloire, en vertu de la foi, et de n'avoir rien de plus que les autres, souvent il leur cite les prophètes qui célèbrent cette égalité d'honneur. « Quiconque croit en lui », dit-il, « ne sera point confondu » ; et encore : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ».Toujours : « Quiconque», afin qu'ils ne puissent rien objecter.

Mais il n'y a rien de pire que la vaine gloire; c'est là, c'est là surtout ce qui les a perdus. C'est pourquoi le Christ leur disait : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » (Jean, V, 44.) Outre la ruine, cette passion entraîne encore un immense ridicule, et, même avant le châtiment à venir, elle nous jette ici-bas dans une multitude de maux. Pour vous en convaincre, laissons un moment de côté le ciel dont elle nous exclut, l'enfer où elle nous précipite, et examinons, si vous le voulez, la question au point de vue terrestre. Qu'y a-t-il de plus coûteux ? Qu'y a-t-il de plus honteux et de plus difficile ? Que cette maladie soit coûteuse, on le voit par les dépenses inutiles et stériles qui se font pour les théâtres, les hippodromes et autres largesses déplacées, par la construction de maisons splendides et magnifiques, et tant d'autres prodigalités superflues qu'il n'est pas possible d'énumérer. Il est évident pour tout le monde qu'un malade aussi dépensier, aussi ami du luxe, doit nécessairement être voleur et ambitieux. Pour nourrir le monstre, il jette la main sur le bien d'autrui. Que dis-je, sur le bien? Ce feu ne dévore pas seulement les biens, mais aussi les âmes; il ne tue pas seulement pour le temps, mais aussi pour l'éternité. La vaine gloire est la mère de l'enfer; c'est elle qui allume cette flamme violente et crée te ver empoisonneur. Ne la voit-on pas étendre son empire jusque chez les morts ? Et y a-t-il quelque chose de pire? Toutes les autres passions s'éteignent à la mort; celle-là exerce encore des violences même après la mort, et s'efforce de montrer sa nature jusque dans un cadavre. Quand des mourants ordonnent qu'on leur dresse des tombeaux magnifiques où toute leur fortune doit s'absorber, quand ils veillent à ce qu'on déploie à leurs funérailles un luxe extravagant, tandis que pendant leur vie ils répondent par des injures aux pauvres qui leur demandent une obole ou un morceau de pain , pour fournir après leur mort une curée abondante aux vers du sépulcre : est-il besoin de chercher d'autres traits pour peindre cette tyrannique maladie ? C'est d'elle que naissent les amours illicites : car ce n'est pas la beauté de la figure, ni la jouissance de l'union charnelle qui en entraîne un grand nombre dans l'adultère, mais le désir de pouvoir dire : J'ai séduit une telle.

4. A quoi bon passer en revue les autres maux qui pullulent de cette racine? J'aimerais mieux être l'esclave de mille barbares que de la vaine gloire : car les barbares n'exigent pas de leurs prisonniers ce qu'elle exige de ses sujets. Sois, dit-elle, l'esclave de tous, qu'ils soient au-dessus ou au-dessous de toi; méprise ton âme, néglige la vertu, ris de la liberté, sacrifie ton salut; si tu fais quelque bien , que ce ne soit pas pour plaire à Dieu, mais par ostentation, afin d'en perdre la (333) récompense; que tu fasses l'aumône ou que tu jeûnes, portes-en la peine, mais aie soin d'en perdre le profit. Quoi de plus cruel que ces ordres ? De là vient la jalousie, de là l'orgueil, de là l'avarice, mère de tous les maux. Car ces essaims de domestiques, ces satellites étrangers, les parasites, les flatteurs, les chars revêtus d'argent, et tant d'autres choses encore plus ridicules ne sont pas pour le plaisir ou pour le besoin , mais uniquement pour la vaine gloire. Soit, direz-vous; il est évident pour tout le monde que cette passion est mauvaise; mais ce qu'il faut nous dire, c'est le moyen de l'éviter. Le meilleur moyen, c'est de vous bien convaincre que c'est une maladie terrible; ce sera un excellent commencement de conversion; car dès que le malade est convaincu de sa maladie, il s'empresse de chercher un médecin. Si vous cherchez un autre moyen d'échapper, tenez sans cesse vos yeux vers Dieu et contentez-vous de sa gloire. Si le mal vous chatouille encore et vous porte à vous vanter de vos mérites devant vos frères, songez qu'il n'y a là aucun profit, étouffez ce désir coupable et dites à votre âme : Tu as mis tarit de temps à enfanter tes bonnes actions, et tu n'a pas eu la force de les tenir sous le voile du silence, mais tu les a divulguées; quel avantage en as-tu retiré? Aucun: pas autre chose qu'une perte complète, que la perte de ce que tu avais si laborieusement recueilli.

Songez de plus que le suffrage et l'opinion populaire sont viciés, non-seulement viciés , mais bientôt flétris. On peut vous admirer une heure; puis, le moment passé, on oublie tout; on vous a enlevé la couronne que Dieu vous préparait et on vous retire celle que l'ou vous offrait. Si celle-là nous fût restée, t'eût été chose misérable de l'échanger contre l'autre ; mais comme elle nous a échappé , comment nous excuserons-nous d'avoir sacrifié celle qui ne passe pas à celle qui passe , d'avoir perdu tant d'avantages pour obtenir les éloges de quelques hommes? Et quand le nombre des approbateurs serait considérable, on n'en serait pas moins malheureux; on le serait même d'autant plus qu'ils seraient plus nombreux. Si ce que je dis vous étonne , écoutez le témoignage du Christ : « Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous ». (Luc, VI, 26.) Et c'est juste. Si, dans tous les arts, il faut s'en rapporter au jugement des artistes eux-mêmes, comment, en fait de vertu, s'en rapporter à la foule, et non avant tout à celui qui sait tout, et qui peut vous applaudir et vous couronner? Ecrivons donc sur nos murs, sur nos portes, dans nos coeurs, et répétons-nous souvent à nous-mêmes cette parole : Malheur à nous , quand tous les hommes disent du bien de nous ! Car ceux-là mêmes qui vous louent, vous accusent de vaine gloire, d'ambition , d'amour de la -renommée. Il n'en est pas ainsi de Dieu ; s'il vous voit épris de sa gloire. il vous approuve, il vous admire, il fait votre éloge. Et l'homme, au contraire, vous faisant son esclave, de libre que vous étiez, vous donnant d'un seul mot une louange menteuse, vous enlève votre vraie récompense et vous met à ses ordres, au-dessous de l'esclave qu'on achète. En effet, celui-ci n'obéit que sur l'ordre de son maître ; et vous, vous obéissez sans ordre. Car vous n'attendez pas qu'on vous commande ; dès que vous savez comment plaire aux autres, vous faites tout, bien qu'on ne vous ordonne rien. Quel enfer ne méritons-nous pas, nous qui faisons plaisir à des méchants, qui leur obéissons sans qu'ils nous commandent, et quine montrons point la même docilité à l'égard de Dieu, quoique chaque jour il nous donne des ordres et nous adresse des exhortations.

Du reste, si vous aimez la gloire et la louange, fuyez celles qui viennent des hommes, et vous obtiendrez la gloire; détournez-vous de la renommée, et vous recevrez mille louanges et de Dieu et des hommes. Car nous avons coutume de ne glorifier personne autant que celui qui méprise la gloire, de ne louer, de n'admirer personne autant que celui qui dédaigne d'être admiré et loué. Or, si nous agissons ainsi, à bien plus forte raison le Dieu de l'univers. Or, s'il vous glorifie et vous loue, n'êtes-vous pas le plus heureux des hommes? Autant il y a de distance entre la gloire et le déshonneur, autant il y a de différence entre la gloire d'en-haut et la gloire humaine; que dis-je? La différence est bien plus grande, elle est infinie. Car si la gloire humaine, prise en elle-même et sans comparaison avec d'autre , est déjà honteuse et hideuse à voir, combien paraîtra-t-elle plus laide encore, comparée à celle d'en-haut? Les esclaves de la vaine gloire sont comparables à une prostituée qui se livre à tout venant; ils sont même plus ignobles (334) qu'elle. En effet, quelquefois les femmes perdues dédaignent certains de leurs amants ; mais vous, vous vous prostituez à tout le monde, aux esclaves fugitifs, aux voleurs, aux coupeurs de bourse. Car ce sont ces gens et d'autres du même genre qui composent les théâtres où on vous loue; des êtres qui sont, chacun en particulier, l'objet de vos mépris , vous les préférez à votre propre salut, quand ils sont réunis, et vous vous ravalez bien au-dessous d'eux.

5. Et comment ne seriez-vous pas plus ignobles qu'eux, vous qui avez besoin de leurs éloges, et qui n'êtes pas satisfait si vous ne recevez de la gloire des autres? Outre ce que nous avons dit, vous ne songez donc pas qu'étant ainsi en évidence et exposé à tous les regards, vous aurez des milliers d'accusateurs quand vous commettrez une faute ; tandis qu'étant inconnu , vous seriez au moins en sécurité? Oui, dites-vous, mais aussi quand je fais le bien, j’ai des milliers d'admirateurs. Eh ! c'est là le danger que la maladie de vaine gloire vous nuise, non-seulement quand vous faites le mal, mais aussi quand vous faites le bien; dans le premier cas, en scandalisant une foule de personnes, dans le second, en vous privant de votre récompense. Dans l'ordre social, c'est une chose déplorable et ignominieuse que d'aimer la gloire; mais quand vous portez cette maladie dans l'ordre spirituel, quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui ne voulez pas même rendre à Dieu l'honneur que vous recevez dé vos serviteurs ? En effet, le serviteur a l'oeil fixé sur les yeux de son maître, le mercenaire sur celui de qui il attend son salaire, le disciple sur celui qui lui fait la leçon; et vous, au contraire, laissant de côté Dieu , le maître qui vous a pris à gage, vous avez l'œil fixé sur vos compagnons de service, bien que vous sachiez que Dieu se souviendra de vos bonnes actions après cette vie, tandis que l'homme ne s'en occupe que dans le temps; et quand vous avez des spectateurs assis dans le ciel , vous en cherchez sur la terre.

Un athlète désire être couronné là où il a combattu; et vous qui combattez en haut, vous voulez être couronné en bas. Y a-t-il une folie pire que celle-là ? Maintenant examinons, s'il vous plaît, les couronnes : l'une est formée par l'orgueil, l'autre par la jalousie, celle-ci par la fausseté et l'adulation, celle-là par l'argent , une autre par l'esprit de servilité. Comme les enfants dans leurs jeux se mettent réciproquement des couronnes d'herbe sèche; puis rient, par derrière, de celui qui est ainsi couronné sans s'en apercevoir ; ainsi ceux qui vous louent, vous mettent une couronne d'herbe sèche, puis se moquent de vous entre eux; et plût au ciel que ce ne fût que de l'herbe sèche, mais cette couronne est extrêmement nuisible et détruit tous nos mérites. Considérez donc son peu de valeur et évitez la perte qu'elle entraîne. A combien pensez-vous que se montent vos approbateurs? A cent, à deux cents, à trois cents, à quatre cents? Mettons plus encore, et si vous le voulez, dix fois , vingt fois autant; qu'ils soient deux mille, quatre mille; que dix mille même, si cela vous plaît, fassent retentir des applaudissements à votre honneur; ils ne ressembleront qu'à une troupe de geais qui crient; bien plus, si vous songez au théâtre des anges, ils vous paraîtront plus vils que des vers de terre, et leurs applaudissements plus faibles que des toiles d'araignées, que de la fumée, que des songes.

Ecoutez comment Paul, qui l'avait si bien compris, les repousse, bien loin de les rechercher: «Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie , si ce n'est dans la croix du à  Christ ! » (Gal. VI, 14.) Et vous aussi , cherchez cette gloire, pour ne pas irriter le Maître. Car ce n'est pas seulement vous, mais Dieu aussi que vous outragez par cette conduite. Si vous étiez peintre, que vous eussiez un élève et que cet élève, dédaignant de vous montrer son tableau, allât simplement l'exposer aux regards des observateurs, vous en seriez indigné. Or si c'est là une injure entre serviteurs, à bien plus forte raison envers le Maître. Si vous voulez apprendre un autre moyen de mépriser la vaine gloire, élevez-vous en esprit, riez du monde visible, augmentez en vous l'amour de la vraie gloire. Emplissez-vous de sagesse spirituelle , dites à votre âme comme Paul : « Ne sais-tu pas que nous jugerons les anges? » Et après l'avoir ainsi relevée, grondez-la et dites-lui : Toi qui dois juger les anges, tu veux être jugée par des hommes impurs, être applaudie des danseurs, des comédiens, des gladiateurs, des cochers? Car voilà la célébrité qu'on poursuit.

Mais vous, prenez un vol qui vous élève au-dessus de ces clameurs, imitez Jean, (335) l'habitant du désert, voyez comme il méprise la foule; comme l'aspect des flatteurs ne l'émeut pas; comme, en voyant tous les habitants de la Palestine l'entourer saisis d'admiration et d'étonnement, il ne s'enorgueillissait point de tant d'honneurs, comme, au contraire, il s'élevait contre eux, et traitant ce peuple comme un enfant, il les réprimandait en disant : « Serpents, race de vipère ». (Matth. III, 7.) Cependant c'était à cause de lui qu'ils accouraient, c'était pour voir cette tête sacrée qu'ils abandonnaient les villes; mais rien de tout cela ne l'amollissait : tant il était ennemi de la gloire et exempt d'orgueil.

Ainsi encore Etienne voyant ce même peuple, non plus l'entourant de respect, mais saisi de fureur et grinçant les dents, s'élevait au-dessus de cette tempête et disait : « Hommes à tête dure et aux coeurs incirconcis ». (Act. VII.) Ainsi Elie, en présence de deux armées, du roi et de tout le peuple, disait : « Jusqu'à quand boiterez-vous des deux côtés? » (III Rois, XVIII, 21.) Mais nous , nous flattons tout le monde, nous nous mettons au service de tout le monde, afin d'acheter l'honneur au prix de notre servilité. Voilà pourquoi tout est sens dessus dessous, nous perdons la grâce, le christianisme est trahi, et on néglige tout pour acquérir l'estime de la foule. Chassons donc ce vice, et nous saurons alors ce que c'est que la liberté, le port, le calme. Car l'ami de la vaine gloire ressemble aux gens battus de la tempête; toujours il tremble, toujours il craint, ayant mille maîtres à servir; tandis que celui qui est exempt de cette tyrannie, ressemble à ceux qui sont au port et jouissent d'une sécurité parfaite. Tout autre est la situation de celui-là; plus il est connu, plus il a de maîtres, obligé qu'il est de les servir tous. Comment donc nous débarrasserons-nous de ce terrible esclavage ? En aimant l'autre gloire, la véritable gloire. Car comme ceux qui aiment les corps sont détachés d'une figure moins belle par une figure plus belle; ainsi, par son éclat, la gloire céleste pourra détacher les amants de la gloire terrestre. Contemplons-la donc, apprenons à la bien connaître, afin que, saisis d'admiration pour sa beauté, nous ayons horreur de la difformité de l'autre, et que nous goûtions en elle une grande et perpétuelle volupté. Puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire , l'empire, l'honneur appartiennent au Père et en même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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