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Analyse.
1. Nouvelle et plus grande preuve encore de l'amour que saint Paul
avait pour Jésus-Christ. Comment il désirait d'être anathème pour ses frères
ou plutôt pour Jésus-Christ lui-même.
2. C'était par ce désir de faire cesser les blasphèmes des
Juifs contre Dieu, et par conséquent par amour pour Dieu que saint Paul souhaitait
d'être anathème.
3. Les Juifs reprochaient à Dieu de ne pas accomplir les
promesses faites à leurs pères; saint Paul leur répond que les promesses de Dieu se
sont au contraire parfaitement accomplies.
4. Ce ne sont pas ceux qui descendent d'Abraham selon la chair,
qui sont ses enfants et lis enfants de Dieu, mais ceux qui naissent en vertu de la
promesse.
5. Pourquoi Dieu a-t-il fait aux Juifs des promesses quand il
prévoyait qu'ils se rendraient indignes d'en recevoir l'accomplissement? Saint
Paul répond à cette objection non pas en expliquant ce mystère, mais en proposant à
son tour des questions dont ses adversaires ne peuvent donner la solution.
6. Dieu seul connaît ceux qui sont dignes, lui seul choisit et
connaît les motifs de son élection. 7. Qu'il ne faut pas demander de comptes à Dieu.
8. Que Dieu ne détruit pas le libre arbitre.
9. Mystère de la vocation des Gentils conforme à la gloire de
Dieu et prédit par les prophètes.
10. C'est parce que les Juifs avaient l'attention tournée vous
les prescriptions de Moisa, qu'ils se sont heurtés contre la pierre, parce qu'ils se sont
obstinés à chercher leur salut dans leur loi, au lieu de le demander à la foi en
Jésus-Christ.
1. N'avez-vous pas trouvé magnifique, au-dessus de la nature, ce que je vous ai dit, dans la dernière instruction, sur l'amour de Paul envers le Christ ? C'est en effet quelque chose de grand en soi et qui surpasse toute expression ; et cependant ce qu'il dit aujourd'hui le dépasse encore autant que ce que nous disions hier est au-dessus de nos pensées. Je ne croyais pas qu'on pût rien dire de plus, et néanmoins ce qu'on vient de lire aujourd'hui m'a semblé bien plus éclatant que tout le reste; et l'apôtre, en ayant la conscience, l'a déclaré dès le. début, comme devant aborder un sujet plus élevé et exciter l'incrédulité chez un grand nombre. Il commence donc par attester ce qu'il va dire; c'est l'usage ordinaire de ceux qui ont à communiquer des choses incroyables pour la multitude, et dont ils sont eux-mêmes pleinement convaincus. « Je dis la vérité et je ne mens pas; et ma conscience me rend témoignage, qu'il y a une grande tristesse en moi et une douleur continuelle dans mon coeur. Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème à l'égard du Christ ». (1-3.)
Que dites-vous, Paul? Ce Christ que vous aimez, dont ni le ciel, ni l'enfer, ni les choses visibles, ni les choses invisibles, ni tant d'autres choses, ne pourraient vous séparer, vous voudriez être anathème à son égard? Qu'est-il donc arrivé?. Etes-vous changé? Avez-vous perdu cet amour? Non, répond-il , ne craignez rien; je l'ai plutôt augmenté. Comment donc désirez-vous être anathème , et demandez- vous un éloignement, une séparation après laquelle il n'y en a plus de possible? Parce que je l'aime ardemment, dit-il. Comment? de quelle manière? dites-le moi; car cela ressemble fort à une énigme. Mais d'abord, s'il vous plaît, apprenons ce que c'est que l'anathème, puis nous l'interrogerons là-dessus, et nous comprendrons ce mystérieux, ce prodigieux amour.
Qu'est-ce donc que l'anathème? Ecoutons-le dire : « Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur (317) Jésus-Christ, qu'il soit anathème ! » (I Cor. XVI, 22), c'est-à-dire qu'il soit séparé de tous, étranger à tous. Car comme personne n'oserait porter la main sur un objet consacré à Dieu, ni même s'en approcher de trop près; ainsi l'apôtre retranchant, repoussant au loin celui qui est séparé de l'Eglise, lui donne ce nom d'anathème par antithèse, et ordonne que chacun s'en écarte et le fuie avec horreur. Personne n'osait, par respect, s'approcher d'un objet consacré ; par un sentiment contraire, tout le monde s'éloignait de celui qui était retranché de l'Eglise. En sorte qu'il n'y avait bien qu'une seule et même séparation pour l'un et l'autre cas, mais le genre n'était pas le même; l'un était le contraire de l'autre. Dans le premier cas, on respectait un objet parce qu'il était consacré â Dieu ; dans le second, on s'éloignait d'un homme séparé de Dieu et retranché de l'Eglise. Voilà donc ce que Paul entend quand il dit : « Je désirais ardemment être anathème à l'égard du Christ ». Il ne dit pas simplement : Je voulais, mais en termes plus énergiques : «Je désirais ardemment ».
Que si vous vous troublez de ces expressions comme trop faibles, considérez la chose en elle-même : Voyez non-seulement ce désir d'être séparé, mais la raison même de ce désir, et vous comprendrez l'excès de cet amour. En effet, il a circoncis Timothée; néanmoins nous ne nous occupons pas de l'acte, mais de son intention et du motif qui l'animait, et nous ne faisons que l'en admirer davantage.
Non-seulement il a circoncis, mais il s'est rasé et il a sacrifié ; pour cela nous ne l'avons certes pas appelé Juif ; c'est par là même, au contraire, que nous avons vu qu'il s'éloignait davantage du Judaïsme, qu'il était sincère et véritable disciple du Christ. Si donc en le voyant circoncire et sacrifier,nous ne le condamnons point comme judaïsant, si nous le glorifions au contraire pour s'être par là même séparé du Judaïsme ; ainsi en le voyant désirer ardemment d'être anathème, ne vous troublez pas, mais exaltez-le davantage quand vous saurez la raison de son désir. Si en effet nous ne remontons pas aux causes, nous appellerons Elie homicide, et Abraham non-seulement homicide, mais homicide de son fils ; nous accuserons Phinéès et Pierre de meurtres ; et ce n'est pas seulement à l'égard des saints, mais à l'égard de Dieu même, qu'on sera entraîné à beaucoup d'absurdités, faute d'observer cette règle. Pour éviter cet inconvénient, dans tous les cas de ce genre, rapprochons d'abord la cause, l'instruction, le temps ét toutes les circonstances propres à justifier l'action, puis examinons la question. Et c'est précisément ce que nous devons faire ici pour cette âme bienheureuse. Quelle est donc la cause ? Jésus lui-même, l'objet aimé. Or, Paul ne dit pas que ce soit pour luit : je désirerais ardemment, dit-il, être anathème pour mes frères. C'est là un effet de son humilité ; il ne veut pas avoir l'air de faire pour le Christ la grande chose qu'il exprime, aussi dit-il : « Qui sont mes proches », afin de dissimuler la grandeur de la chose ; mais, pour vous convaincre que c'est le Christ qu'il a en vue, écoutez la suite. Après avoir dit: « Qui sont mes proches», il ajoute : «Auxquels appartient l'adoption; la gloire, l'alliance, la loi, le culte et les promesses ; dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen (4, 5) ».
2. Mais quoi ? direz-vous, s'il désirait être anathème afin que d'autres eussent la foi, il devait aussi faire le même voeu pour les gentils; et s'il ne prie que pour les Juifs, c'est une preuve qu'il n'agit pas par amour pour le Christ, mais en vertu du lien de parenté. Je réponds que s'il n'eût prié que pour les gentils, on n'aurait pas si bien reconnu que c'était Jésus-Christ qu'il avait en vue ; mais en priant pour les Juifs seuls, il fait voir qu'il n'a absolument en vue que la gloire du Christ. Je sais que vous verrez, là, un paradoxe ; cependant, si vous restez calmes, je vais essayer de vous le démontrer. Ce n'est pas sans raison qu'il a parlé ainsi : car comme, tous les Juifs accusaient Dieu en disant : qu'ayant eu l'honneur d'être appelés fils de Dieu, ayant reçu la loi, ayant connu Dieu avant tout le monde, ayant joui d'une si grande gloire, ayant servi Dieu en face de tout l'univers, ayant reçu les promesses, étant les pères des mêmes tribus, et (ce qui était bien plus encore ) étant les ancêtres du Christ (comme l'apôtre le dit : « De qui est sorti selon la chair, le Christ même »,) que malgré tout cela, ils avaient été rejetés, déshonorés, et qu'à leur place ou avait substitué des gentils qui n'avaient jamais connu Dieu comme, dis-je, ils tenaient ce langage et qu'ils (318) blasphémaient contre Dieu, Paul qui entendait tout cela, qui s'en trouvait blessé et pleurait sur l'outrage fait à la gloire de Dieu, désirait ardemment être anathème, si cela eût été possible, pour les sauver, pour faire cesser les blasphèmes et empêcher que Dieu ne parût avoir trompé les descendants de ceux à qui il avait promis les dons.
Et pour vous faire comprendre que c'est là ce qui l'afflige et que son désir est bien qu'on ne croie pas Dieu infidèle à la promesse faite à Abraham en ces termes : « Je te donnerai cette terre, à toi et à ta race » (Gen. XII, 7) ; à ce qu'il vient de dire, il ajoute : « Non que la parole de Dieu soit restée sans effet » montrant par là qu'il se résigne à souffrir tout cela à cause de la parole de Dieu , c'est-à-dire pour la promesse faite à Abraham. Car comme Moïse semblait intercéder pour les Juifs, et en réalité, n'avait en vue que la gloire de Dieu : « Déposez », disait-il, «votre colère, pour qu'on ne dise pas que leur Dieu les a fait sortir pour les détruire dans le désert, parce qu'il ne pouvait pas les sauver » (Deut. IX, 28); ainsi fait Paul. Je voudrais, dit-il, être anathème, pour qu'on ne dise pas que la parole de Dieu est restée sans effet, que ses promesses étaient menteuses, que ce qu'il a dit ne s'est pas accompli. Il ne parle donc pas pour les Gentils (car la promesse n'était pas pour eux, et ils n'avaient point servi Dieu.: aussi Dieu n'était-il point blasphémé à cause d'eux); mais il formait ce voeu en faveur des Juifs, qui avaient reçu la promesse et auxquels il était lié par des noeuds plus étroits. Voyez-vous donc que s'il eût désiré être anathème pour les Gentils, il eût moins évidemment cherché la gloire du Christ; tandis qu'en désirant l'être pour les Juifs, il fait parfaitement voir que c'est pour le Christ qu'il forme ce voeu.
Aussi dit-il : « Auxquels appartiennent l'adoption, la gloire, le culte et la promesse ». En effet, dit-il, ils ont reçu la loi qui parle du Christ; ils ont reçu les promesses, qui toutes se rapportent à lui; lui-même en est sorti, aussi bien que les pères qui ont reçu les promesses ; et pourtant tout le contraire est arrivé, et ils ont perdu tous leurs biens. Voilà pourquoi, ajoute-t-il, je suis affligé, et s'il était possible d'être séparé de la compagnie du Christ, d'être privé, non pas de son amour (loin de là, puisqu'il faisait tout pour l'amour), mais de la jouissance du ciel, mais de la gloire, j'y consentirais pour que Dieu ne fût plus blasphémé , pour ne plus entendre dire que c'est une comédie, qu'autres ont été les promesses, autres les événements; qu'il est né des uns et qu'il a sauvé les autres; qu'il avait fait des promesses aux ancêtres des Juifs, puis qu'il a abandonné leurs enfants et appelé à la possession des biens des hommes qui ne l'avaient, jamais connu ; que cependant les Juifs se fatiguaient à méditer la loi et à lire les prophéties, tandis que les païens, ramenés hier de leurs autels et de leurs idoles, leur ont été préférés, que ce n'est point là une Providence. Afin donc, dit-il, que tout cela ne se répète plus de mon Maître, bien que cela soit injuste, je renoncerais volontiers au royaume du ciel, à cette gloire ineffable, je supporterais tous les maux, et je regarderais comme une très-grande compensation de toutes mes peines de ne plus entendre ainsi blasphémer mon bien-aimé. Si vous ne comprenez pas encore la pensée de l'apôtre, songez que souvent bien des pères en font autant pour leurs enfants, se résignant à se séparer d'eux pour les voir glorieux, et préférant cette gloire même à leur compagnie. Mais comme nous sommes à une grande distance de cet amour, nous ne pouvons pas même comprendre ce qui s'en dit.
Il en est qui sont si peu dignes d'entendre le langage de Paul, et qui sont si loin de son ardent amour, qu'ils s'imaginent que ses paroles s'appliquent à la mort temporelle. De ceux-là je dirai qu'ils ne connaissent pas plus Paul que les aveugles la lumière du soleil, et bien moins encore. Comment celui qui mourait tous les jours, qui courait des périls. sans nombre, qui s'écriait : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? Est-ce la tribulation? Est-ce l'angoisse? Est-ce la faim? Est-ce la persécution? » (Rom. VIII, 35) ; qui, non content de cela, montait au-dessus du ciel et du ciel des cieux, au-dessus des anges et des archanges; qui parcourait toutes les sphères célestes, et embrassait le présent et l'avenir, le visible et l'invisible, la tristesse et la foie et tout ce qui s'y rattache; qui n'oubliait rien de ce qui existe, n'esp était point satisfait, et supposait encore une autre création qq -n'existe pas, pour tout sacrifier à son amour pour Jésus-Christ ; comment, dis-je, après tout cela, viendra-t-il parler de la mort (319) temporelle comme de quelque chose d'important? 3. Non, non, ce n'est pas cela; une telle pensée vient de vers de terre rampant dans le fumier. Si c'était là ce qu'il a voulu dire, comment aurait-il désiré d'être anathème à l'égard du Christ? Car cette mort l'eût réuni plus tôt à la compagnie du Christ et mis en possession de la gloire éternelle. Il en est d'autres qui osent encore avancer des choses plus ridicules. Ce n'est pas de mourir qu'il souhaitait, disent-ils, mais d'être la possession , le bien propre du Christ. Et quel homme si vil, si déchu, qui n'en souhaite autant? Comment aurait-il pu l'être pour ses proches? Laissons donc de côté ces fables et ces niaiseries (car elles ne valent pas la peine d'être réfutées, pas plus que les puérilités que bégayent les enfants) ; revenons au discours de l'apôtre, pour nous délecter dans cet océan d'amour, y nager au large et en toute liberté ; pour contempler cette flamme immense, car tout ce qu'on en peut dire est au-dessous du sujet. En effet, cet amour est plus vaste qu'aucun océan, plus violent que quelque flamme que ce soit, et aucun langage ne saurait l'exprimer dignement; celui-là seul l'a connu qui l'a si bien éprouvé.
Répétons donc encore ces paroles : « Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème». Qu'est-ce que cela veut dire : « Moi-même? » Moi qui suis le docteur universel, qui ai obtenu des succès sans nombre,, qui attends mille couronnes, qui ai aimé le Christ jusqu'à préférer son amour à tout le reste, qui brûle pour lui chaque jour, et mets cet amour au-dessus de tout. Car il n'avait pas seulement à coeur d'être aimé du Christ, mais de l'aimer ardemment ; et c'était là son principal souci. Aussi n'avait-il point d'autre vue, et supportait-il tout facilement; en toutes choses il ne visait qu'à ce point : assouvir ce bel amour. Voilà quels sont ses voeux ; mais comme cela ne devait pas être, comme il ne. devait pas être anathème, il s'efforce de repousser les reproches, de reproduire les objections qui courent de bouche en bouche et de les réfuter. Mais avant d'entreprendre cette justification, il en pose d'abord les fondements. En effet, quand il dit: « Auxquels appartiennent l'adoption, la gloire, la loi, le culte et les promesses » , il n'entend pas autre chose, sinon que Dieu voulait les sauver (c'est ce que Dieu lui-même a prouvé par tout ce qu'il a fait autrefois, par l'origine du Christ né d'eux, et par les promesses faites à leurs pères) ; mais eux, par leur ingratitude propre , on a rejeté les bienfaits. Voilà pourquoi Paul établit des faits, qui prouvent uniquement la bonté de Dieu, mais ne font point leur éloge : en effet, l'adoption était un don gratuit , aussi bien que la gloire, les promesses et la loi. En pensant à tout cela,.et considérant quel immense intérêt Dieu et son Fils attachaient à leur salut, il pousse un grand cri et dit : « Qui est béni dans les siècles, Amen » ; rendant ainsi grâces de tout au Fils unique de Dieu. Qu'importe, nous dit-il, que les autres blasphèment? Nous qui connaissons ses secrets, sa sagesse infinie, sa grande providence, nous savons parfaitement qu'il mérite d'être glorifié, et non blasphémé.
Non content du témoignage de sa conscience, il essaye encore du raisonnement, et les attaque en termes énergiques, mais non avant d'avoir détruit leur soupçon. Pour ne pas avoir l'air de parler à des ennemis, il dit plus bas : « Mes frères, le désir de mon coeur et mes supplications à Dieu ont pour objet leur salut » (Rom. X, 1); et ici même, entre autres choses qu'il dit contre eux, il prend soin d'éviter de paraître agir par un sentiment hostile ; c'est pourquoi il ne dédaigne pas de les appeler ses proches et ses frères. Car bien que, dans tout ce qu'il dit, il n'ait en vue que le Christ, cependant il cherche à se concilier leur esprit, il prépare la voie à ce qu'il va dire, éloigne de lui tout soupçon à l'occasion des reproches qu'il doit leur adresser, et enfin il aborde la question controversée dans la foule.
Beaucoup, en effet , comme je l'ai déjà dit, demandaient pourquoi ceux qui avaient reçu la promesse étaient déchus, et comment ceux qui n'en avaient jamais ouï parler, étaient sauvés avant eux. Pour détruire cette difficulté, il donne la solution avant l'objection. De peur qu'on ne dise : Quoi ! vous vous inquiétez plus de la gloire de Dieu que Dieu lui-même ! Ou encore : A-t-il besoin de votre aide pour que sa parole ne reste pas sans effet? Pour prévenir ces questions, il dit : Si j'ai affirmé cela, « Ce n'est pas que la parole de Dieu soit restée sans effet», mais j'ai voulu montrer mon amour pour le Christ même. Après tout ce qui s'est passé, nous ne sommes pas embarrassés de justifier Dieu, et de montrer que sa promesse est restée debout. Dieu a dit à Abraham : « Je te donnerai cette terre , (320) pour toi et pour ta race » (Gen. XII, 7) ; et encore : « En ta race seront bénies toutes les nations (Ib. 3) » ; voyons maintenant, ajoute l'apôtre, quelle est cette race : car tous ceux qui sont sortis d'Abraham ne sont pas de sa race; c'est pourquoi il dit : « Mais tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas israélites; ni ceux qui appartiennent à la race d'Abraham ne sont pas tous ses enfants... (7) ».
4. Or, quand vous saurez quelle est la race d'Abraham, vous verrez que c'est à elle qu'a été faite la promesse, et que cette promesse n'est point tombée à vide. Dites-moi donc quelle est cette race ? Ce n'est pas moi qui me charge de répondre, mais l'Ancien Testament lui-même, qui nous dit : « En Isaac sera ta postérité ». (Gen. XXI, 12.) Qu'est-ce que cela veut dire : « En Isaac ? » Interprétez : « C'est-à-dire, ce ne sont pas les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu; mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés dans la postérité (18) ». Et voyez la prudence de Paul et sa haute sagesse ! Dans son explication il ne dit pas : Ce ne sont point les enfants de la chair qui sont enfants d'Abraham, mais : « Enfants de Dieu » ; rattachant ainsi le passé au présent, et montrant qu'Isaac n'était pas simplement l'enfant d'Abraham. Voici donc ce qu'il veut dire : Ceux qui sont engendrés à la manière d'Isaac, ceux-là sont les enfants de Dieu et la postérité d'Abraham. Aussi Dieu a-t-il dit : « En Isaac sera ta postérité », pour nous apprendre que ceux qui sont engendrés à la manière d'Isaac , sont principalement la postérité d'Abraham. Comment donc Isaac a-t-il été engendré? Non selon la loi de nature, non selon la puissance de la chair, mais en vertu de la promesse. Qu'est-ce à dire : en vertu de la promesse? « En ce temps, je viendrai à toi, et Sara aura un Fils ».
C'est donc la promesse et la parole de Dieu qui a formé et engendré Isaac. Qu'importe qu'il y ait eu les entrailles et le sein d'une femme? Ce n'est pas la vertu des entrailles, mais celle de la promesse qui a enfanté Isaac. Ainsi sommes-nous aussi enfantés par la parole de Dieu : car, dans la piscine des eaux, ce sont les paroles de Dieu qui nous engendrent et nous forment : nous sommes engendrés, quand on nous baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Cette génération n'est point l'effet de la nature , mais de la promesse de Dieu. En effet, comme Dieu a accompli la génération d'Isaac, après l'avoir annoncée d'avance ; ainsi a-t-il réalisé la nôtre, après l'avoir fait prédire longtemps d'avance par tous les prophètes. Voyez-vous quelle grande chose Dieu a révélée, et avec quelle facilité il a accompli la magnifique promesse qu'il avait faite ? Si les Juifs objectent que ces paroles : « En Isaac sera ta postérité», signifient que tous ceux qui sont nés d'Isaac sont cette postérité, il faudrait alors y comprendre les Iduméens et tous ceux qui sont nés d'Esaü; car leur père Esaü était fils d'Isaac. Or, non-seulement on ne les compte point pour enfants de celui-ci, mais on les considère comme tout-à-fait étrangers. Voyez-vous que ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, et que déjà autrefois, dans l'ordre même de la nature, était figurée la régénération par le baptême? Si vous me parlez de sein maternel, moi je vous parlerai de l'eau. Mais comme ici tout est l'oeuvre de l'Esprit, ainsi là tout était l'effet de la promesse car le sein maternel était plus glacé que l'eau à cause de la stérilité et de la vieillesse. Comprenons donc bien notre noblesse et montrons-nous en dignes par notre conduite; car il n'y a rien, là, de charnel ni de terrestre. Ne le soyons donc point nous-mêmes. Ce n'est point le sommeil, ni la volonté de la chair, ni l'union charnelle, ni l'aiguillon de la passion, mais la bonté de Dieu qui a tout fait. Et comme là, dans un âge qui ôtait tout espoir, de même ici, dans la vétusté du péché, est tout-à-coup survenu l'homme nouveau, et nous sommes tous devenus enfants de Dieu et descendants d'Abraham. « Et non-seulement elle, mais aussi Rebecca « qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père ». La question était importante; aussi emploie-t-il beaucoup de raisonnements, et cherche-t-il par tous les moyens à résoudre la difficulté. Si c'était chose inouïe, étrange, qu'après tant de promesses, les Juifs fussent privés des résultats, il est bien plus extraordinaire que noirs prenions possession de leurs biens, nous qui n'avions rien de pareil à attendre. C'est comme si le fils d'un roi, à qui la succession au trône aurait été promise, se voyait rejeté parmi les hommes obscurs, tandis que l'empire qui lui était dû passerait aux mains d'un condamné, d'un homme rempli de vices et sorti de prison. Que pourriez-vous dire à cela? demande Paul. Que le fils était indigne? Mais (321) ce criminel l'est aussi, et beaucoup plus. Il fallait donc qu'ils fussent ou punis ou honorés tous les deux. C'est quelque chose de ce genre, de plus étonnant même, qui a eu lieu à l'occasion des Gentils et des Juifs. Que tous étaient indignes, l'apôtre l'a fait voir plus haut, en disant : « Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu » (Rom. III, 23) ; mais l'étrange c'est que, tous étant indignes, les Gentils seuls soient sauvés. Après tout cela, on peut encore faire une objection et dire : Si Dieu ne devait pas accomplir ses promesses, pourquoi les a-t-il faites? Les hommes, ignorant l'avenir, sujets à beaucoup de déceptions, peuvent promettre à des sujets indignes; mais pourquoi Dieu, qui connaît le présent et l'avenir, et qui savait parfaitement qu'on se rendrait indigne de ses promesses et qu'on n'en recueillerait point les fruits, pourquoi les a-t-il faites?
5. Comment Paul résout-il cette objection ? En faisant voir quel est l'Israël, à qui les promesses ont été faites. Une fois cette explication donnée, il devient évident que les promesses ont été toutes accomplies. C'est ce qu'il déclare quand il dit : « Tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas Israélites ». C'est pourquoi il ne donne pas le nom de Jacob, mais celui d'Israël, qui était le symbole de la vertu du juste, nom qui lui avait été donné d'en-haut, et était la preuve que Dieu lui était apparu. Et cependant, direz-vous, tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Si tous ont péché, comment les uns sont-ils sauvés et les autres perdus? Parce que tous n'ont pas voulu venir. En ce qui regarde Dieu, tous ont été sauvés, puisque tous ont été appelés. Cependant ce n'est point là ce que dit l'apôtre; mais il résout la difficulté par d'autres exemples; comme plus haut il introduit une autre question, et détruit une très-grave objection par une autre objection.
En effet, quand il s'agissait de savoir comment, le Christ étant justifié, tous les hommes ont obtenu la même justification, il produit le fait d'Adam, en disant : « Si par le péché d'un seul, la mort a régné, à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce, régneront-ils dans la vie ». (Rom. V, 10.). Il ne résout point la difficulté en ce qui regarde Adam, mais il répond et il se place à son propre point de vue, et montre qu'il est bien plus raisonnable que le Christ, qui est mort pour eux, exerce sur eux librement son empire. En effet beaucoup pensent qu'il n'est guère juste que tous soient punis pour le péché d'un seul; mais que tous soient justifiés par le mérite d'un seul, voilà qui est bien plus conforme à la raison et bien plus digne de Dieu. Cependant Paul ne résout pas la première question; car plus elle est obscure, mieux le Juif est réduit au silence; son embarras se reporte sur le, fait d'Adam, et l'autre point qui regarde le Christ en devient plus clair. De même ici, l'apôtre tire sa solution d'autres objections : car c'est aux Juifs qu'il a affaire. Il ne rend donc point raison des exemples qu'il produit; il n'y est point obligé, puisqu'il combat les Juifs; mais il s'en sert pour faire ressortir l'évidence de ce qu'il affirme. Pourquoi vous étonner, leur dit-il, que, parmi les Juifs, les uns soient sauvés et que les autres ne le soient pas? Vous pouvez en voir autant chez les anciens patriarches. Pourquoi Isaac seul porte-t-il le nom de descendant, bien qu'Abraham fût aussi père d'Ismaël et de beaucoup d'autres enfants? Est-ce parce qu'Ismaël était né d'une servante ? Mais qu'est-ce que cela fait par rapport au père? Du reste je ne discute pas là-dessus; qu'on chasse Ismaël à cause de sa mère, soit; mais que dirons-nous de ceux qui sont nés de Cétura? n'étaient-ils pas libres et nés de femme libre ? Pourquoi n'ont-ils point partagé les privilèges d'Isaac? Mais pourquoi parler de ceux-là? Rébecca fut la seule femme dIsaac; elle eut deux fils, et les eut de lui; et cependant ces deux enfants, engendrés du même- père, de la même mère, d'une même couche, ayant le même père, la même mère, et, de plus, jumeaux, n'eurent point le même sort. Ici, on ne peut pas, comme pour Ismaël, objecter que la mère était servante ; ni que l'un est né d'une mère et l'autre d'une autre, comme pour Sara et Cétura, puisqu'ils sont sortis du même sein, à la même heure. C'est pourquoi Paul, comme passant à un exemple plus évident, dit : « Non-seulement » cela est arrivé pour Isaac, « mais aussi Rébecca qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père. Car avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune, selon qu'il est écrit : J'ai aimé Jacob, et j'ai haï « Esaü (10-13) ».
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Pourquoi donc l'un était-il aimé et l'autre haï? Pourquoi l'un servait-il et l'autre commandait-il? Etait-ce parce que l'un était méchant et l'autre bon ? Mais, avant qu'ils fussent nés, l'un était honoré et l'autre condamné ; avant qu'ils fussent nés, Dieu avait dit: « L'aîné servira sous le plus jeune ». Pourquoi Dieu a-t-il dit cela ? Parée qu'il n'a pas besoin, comme l'homme, d'attendre les faits pour savoir qui sera bon ou méchant, mais qu'il le sait d'avance. Et c'est là ce qui est arrivé pour les Juifs, d'une manière plus étonnante encore. A quoi bon en effet parler d'Esaü et de Jacob, dont l'un était méchant et 1'autre,bon ? Le péché était commun à tous les Israélites car tous avaient adoré le veau d'or. Et pourtant les uns obtiennent grâce, les autres non. « Car », dit le Seigneur, « j'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde (15) ». On en voit autant pour les punitions. Par exemple, que direz-vous de Pharaon, qui fut puni, et si sévèrement puni? Qu'il était cruel et indocile? Etait-il donc le seul? N'y en avait-il point d'autres? Comment donc a-t-il été si sévèrement puni? Et pourquoi Dieu a-t-il appelé à la place des Juifs un peuple qui n'était pas un peuple, et encore, n'a-t-il point accordé à tous le même honneur? Il est écrit : « Quand ils seraient aussi nombreux que les grains de sable de la mer, ce sont leurs restes qui seront sauvés ». (Id. X, 22.) Et pourquoi les restes seulement? Voyez-vous comme il fait surgir les difficultés du sujet? Et il a raison ; ne vous pressez pas de donner une solution, quand vous pouvez jeter votre adversaire dans l'embarras. S'il est lui-même convaincu d'être aussi incapable de répondre, pourquoi vous exposeriez-vous à des dangers inutiles ? Pourquoi l'enhardiriez-vous, en assumant sur vous tout le poids de la question?
6. Dites-moi en effet, ô Juif! qui avez tant de questions embarrassantes, et n'en pouvez résoudre aucune, comment pouvez-vous nous faire des difficultés à l'occasion de la vocation des Gentils? Cependant je puis vous donner, moi, la raison légitime pour laquelle les Gentils ont été appelés et pour laquelle vous êtes déchus. Quelle est cette raison? Parce qu'ils sont nés de la foi et vous, pour ainsi dire, des oeuvres de la loi. Ces discussions vous trahissent donc de toute manière. « Car ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ». (Rom. X, 8.) C'est ainsi, pour tout dire en un mot, que cette âme bienheureuse, donne la solution de tout le passage; et pour le faire mieux voir, examinons chaque point en détail, sans perdre de vue que le but du bienheureux est de démontrer par tout ce qu'il à dit que Dieu seul connaît ceux qui sont dignes; qu'aucun homme n'en est capable, et que celui qui semble le plus éclairé sur ce point se trompe souvent dans ses jugements. Celui qui pénètre lés pensées les plus secrètes, sait parfaitement qui sont ceux qui méritent la couronne et ceux qui sont dignes du châtiment et du supplice. Aussi souvent en a-t-il condamné sur preuves qui passaient pour justes aux yeux des hommes, et en a-t-il couronné qui étaient réputés méchants , après avoir démontré qu'ils ne litaient point; décidant, non d'après l'opinion de ses serviteurs, mais d'après son juste et impartial jugement, et n'attendant point le résultat des oeuvres pour distinguer le méchant et celui qui ne l'est pas: Mais pour ne pas obscurcir la question,, revenons aux paroles de l'apôtre.
« Non-seulement elle, mais aussi Rébecca, « qui eut deux fils à la fois ». Je pourrais, dit-il, parler aussi des fils de Cétura, mais je les passe sous silence; et pour triompher pleinement, je mets en scène deux fils nés d'un même père et d'une même mère. En effet, tous les deux étaient enfants de Rébecca et d'Isaac, le fils légitime, le juste éprouvé, l'homme honoré entre tous, dont Dieu a dit : « C'est en Isaac que sera ta postérité » ; celui qui est devenu le père de nous tous. Or, s'il était notre père, nécessairement ses enfants devaient aussi être nos pères; et cependant ils ne l'ont pas été. Voyez-vous comme le fait n'a pas seulement eu lieu pour Abraham, mais aussi pour son fils, et comment toujours la foi et la vertu éclatent et restent le caractère de la vraie parenté? Par là nous apprenons que les enfants d'Abraham ne portent pas ce nom seulement pour être nés de lui, mais encore parce qu'ils se sont rendus dignes de la vertu de leur père. Si en effet la génération eût suffi, Esaü aurait dû partager le sort de Jacob, car lui aussi, était sorti d'un sein desséché, et sa mère était stérile. Mais une autre condition encore était exigée, la bonne conduite, et ceci n'est pas sans dessein, mais a pour but le règlement de notre vie. L'apôtre ne dit pas : L'un (323) a été préféré, parce qu'il était bon et que l'autre était méchant; autrement on lui aurait aussitôt objecté : Quoi ! les gentils étaient-ils bons et les circoncis ne l'étaient-ils point? C'était la vérité ; cependant il ne le dit point encore, de peur de trop déplaire; mais il rejette tout sur la prescience de Dieu , que l'homme le plus insensé n'oserait contester. « Car », dit-il, « avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, il lui, fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune ».
C'était là l'effet de la prescience, de choisir dès la naissance; afin, dit l'apôtre, qu'on vît clairement que l'élection a été faite par décret et par prescience; dès le premier jour, Dieu a su et déclaré que l'un serait bon et que l'autre ne le serait pas. Ne me dites donc point, continue-t-il, que vous avez lu la loi et les prophètes, et que, depuis tant de temps,, vous êtes les serviteurs de Dieu. Celui qui sait éprouver l'âme, sait quel est celui qui mérite d'être sauvé. Laissez donc l'élection à l'Incompréhensible; car lui seul sait récompenser avec justice. Combien, à en juger par les oeuvres apparentes, eussent semblé préférables à Matthieu? Mais celui qui connaît les secrets, qui sait apprécier les dispositions de l'âme, découvrit la perle enfouie dans- la boue; et, laissant là les autres, et admirant la beauté de celui-ci, il le choisit et aidant du secours de sa grâce sa généreuse volonté, il fit voir en, lui un juste éprouvé. En effet si, dans les arts futiles ou en toute autre matière, ceux qui sont capables de juger, ne règlent pas leurs choix sur l'opinion des ignorants, mais d'après leurs propres connaissances, souvent méprisent ce que ceux-là estiment et estiment ce que ceux-là méprisent; comme les dompteurs de chevaux, par exemple, en agissent ainsi avec les chevaux; et aussi les experts en fait de pierres précieuses ou tout autre ouvrier dans ce qui concerne son métier à plus forte raison Dieu, qui est bon, qui est la sagesse infinie, qui seul sait tout parfaitement, ne cédera point à l'opinion des hommes, mais décidera en tout d'après sa propre sagesse, toujours exacte , toujours infaillible. Voilà pourquoi il a choisi un publicain, un larron, une prostituée, et dédaigné et rejeté des prêtres, des anciens et des magistrats.
7. On en peut voir autant à l'égard des martyrs. Un grand nombre de ceux qui étaient descendus au dernier degré de l'abjection, ont été couronnés à l'heure des combats; et d'autres, au contraire, que l'on tenait en grande estime, ont été supplantés et sont tombés. N'en demandez donc point compte au Créateur et ne dites pas : Pourquoi l'un est-il couronné et l'autre puni? Dieu sait tout faire avec justice; c'est pourquoi il disait : « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü ». Le résultat vous a fait voir qu'il agissait en toute justice; mais lui voyait tout clairement avant le résultat. Dieu ne cherche pas seulement la démonstration par les oeuvres, mais aussi la générosité de la volonté et le sentiment de la reconnaissance. Celui qui les a, peut tomber par l'effet des circonstances, mais il se relèvera bientôt; et quand il persévérerait dans le mal, Dieu qui sait tout, ne le dédaignera pas et le ramènera promptement à lui; tandis que celui qui est gâté en lui-même, semblât-il faire quelque chose de bien, périra, parce qu'il le fait avec une intention mauvaise. Ainsi David coupable de meurtre et d'adultère, s'est bientôt lavé de ces crimes, parce qu'il les avait commis par l'entraînement des circonstances et sans préméditation ; tandis que le Pharisien, qui n'est ni adultère ni meurtrier, mais qui se glorifie du bien qu'il a fait, en perd tout le fruit par sa mauvaise volonté.
Que dirons-nous donc? Y a-t-il en Dieu de a l'injustice? Nullement (14) ». Par conséquent il n'y en a ni à notre égard, ni à l'égard des Juifs. Puis l'apôtre ajoute quelque chose de plus obscur : « Car Dieu dit à Moïse : J'aurai pitié de qui j'ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ». Puis il fortifie l'objection en la coupant par le milieu et en la résolvant, puis en soulevant une autre difficulté. Or, pour éclaircit sa pensée, il faut nécessairement l'expliquer. Dieu, dit-il, l'a déclaré avant l'enfantement : « L'aîné servira sous le plus jeune ». Quoi donc? Dieu est-il injuste ? nullement. Ecoutez la suite : dans l'exemple précédent la vertu et le vice faisaient la différence : mais dans celui-ci le péché est commun à tous les Juifs, à savoir la fabrication du veau d'or, et pourtant les uns ont été punis et les autres ne l'ont pas été; voilà pourquoi Dieu dit : « J'aurai pitié de qui j'ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ». (Exode, XXXIII, 18.) Ce n'est point à vous, ô Moïse, de savoir ceux qui sont dignes de pitié; laissez-moi ce soin. Or, si cette connaissance n'appartenait point à Moïse, (324) beaucoup moins nous appartient-elle. Voilà pourquoi Paul ne se contente pas de citer simplement ces paroles, mais rappelle celui à qui elles ont été adressées : « Dieu dit à Moïse » ; pour faire rougir son contradicteur par la dignité du personnage. Après avoir donné la solution des difficultés, il coupe au court, en produisant une autre objection en ces termes: « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l'Écriture dit à Pharaon : Voilà pourquoi je t'ai suscité : c'est pour faire éclater en toi ma puissance, et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre (16,17)».
Comme là, nous dit l'apôtre, les uns furent sauvés et les autres punis; de même ici Pharaon était réservé pour le but qu'on vient de dire. Puis il ramène encore l'objection : « Donc il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. Certainement vous me direz : De quoi se plaint-il encore? Car qui résiste à sa volonté (18, 19)? » Voyez-vous comme il s'efforce de toutes manières de faire ressortir la difficulté? Et il n'en donne pas d'abord là solution, et cela fort à propos; mais il ferme d'abord la bouche à celui qui fait la question, en disant : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu? »
Son but en ceci est de réprimer sa curiosité déplacée et excessive, de lui mettre le frein, de lui apprendre ce que c'est que Dieu, ce que c'est que l'homme, que la Providence est incompréhensible, qu'elle surpasse l'intelligence humaine et qu'il faut que tout lui obéisse; afin qu'après en avoir convaincu l'auditeur, et avoir contenu et calmé son esprit, il amène la solution sans difficulté et fasse accepter sa parole. Il ne dit pas que ces questions sont insolubles. Que dit-il donc? qu'il est injuste de les soulever; qu'il faut se soumettre à la parole de Dieu, ne point la scruter avec curiosité, quand même nous n'en comprendrions pas la raison. Voilà pourquoi il dit : « Qui es-tu, pour contester avec Dieu? » Voyez-vous comme il comprime, comme il abat l'orgueil? « Qui es-tu? » Partages-tu la puissance? Es-tu juge avec Dieu? En comparaison de lui, tu ne peux pas être quelque chose, ni ceci ni cela, mais rien. Cette expression : « Qui es-tu? » est bien plus humiliante que celle-ci : tu n'es rien. D'ailleurs par la forme interrogative il montre une plus grande indignation. Il ne dit pas non plus : Qui es-tu pour répondre à Dieu? mais : « Pour contester », c'est-à-dire pour contredire, pour tenir tête. Car dire : Il fallait ceci, ou il ne fallait pas cela, est le propre d'un contradicteur. Voyez-vous comme il épouvante, comme il frappe de terreur, et dispose ses auditeurs à trembler plutôt qu'à soulever des questions ou à scruter trop curieusement? C'est là le talent d'un excellent maître, de ne pas toujours céder au désir de ses disciples, mais de les amener à sa propre manière de voir, d'arracher d'abord les épines, puis de jeter sa semence, et de ne pas répondre immédiatement aux questions qu'on propose. « Le vase dit-il au potier : Pourquoi m'as-tu fait ainsi? N'a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même massé d'argile un vase d'honneur et un autre d'ignominie? (20, 21) ».
8. Il ne dit point ceci pour supprimer le libre arbitre, mais pour montrer jusqu'à quel point il faut obéir à Dieu. En fait de comptes à demander a Dieu, il faut être dans la disposition du vase d'argile. Non-seulement il ne faut pas contredire; pas soulever de questions, mais pas même dire un mot, pas même avoir une pensée, et ressembler à cet objet inanimé, qui obéit aux mains du potier et se laisse porter où il lui plaît. C'est uniquement pour cela, c'est-à-dire pour nous apprendre à obéir et à nous taire, et non pour nous tracer une règle de conduite partout applicable, que l'apôtre a choisi cet exemple. C'est du. reste une observation générale : qu'il ne faut pas tout prendre dans un exemple, mais choisir ce qu'il y a d'utile, ce qui forme proprement le but, et laisser le reste. Ainsi quand l'Écriture dit : « Il s'est couché et a dormi comme un lion » {Nom. XXIV, 9); nous ne voyons là que l'idée d'une force indomptable, le côté terrible, et non le caractère sauvage ou toute autre face de la nature du lion. Dans cet autre passage : « J'irai au devant d'eux comme une ourse qui hésite » (Os. XIII, 9); nous ne devons voir que l'idée de vengeance; et dans ces expressions « Notre Dieu est un feu dévorant » (Deut. IV, 24.), il ne faut chercher que la pensée d'un supplice qui consume. De même ici faut-il interpréter les idées d'argile, de potier et de vase.
Et quand l'apôtre ajoute : « N'a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même masse d'argile un vase d'honneur et un vase (325) d'ignominie? » Gardez-vous d'entendre cela d'un travail d'ouvrier ni d'une nécessité imposés à la volonté, mais du pouvoir de la Providence et de ses différentes manières d'agir. Et si nous ne l'entendions pas ainsi, il s'en suivrait plus d'une absurdité. En effet, si cela voulait dire que la volonté est forcée, Dieu serait l'auteur du bien et du mal, et. l'homme ne pourrait jamais être coupable : en quoi Paul se contredirait, lui qui partout attribue du mérite à la bonne volonté. L'apôtre n'a donc point d'autre but ici que de convaincre l'auditeur qu'il faut en tout céder à Dieu, et ne jamais lui demander compte de rien. De même, nous dit-il, que 1e potier fait de la même masse ce qu'il lui plaît, sans que personne y trouve à redire : ainsi ne jugez point témérairement ne scrutez point, quand, dans la même race d'hommes, Dieu punit les uns et honore les autres ; mais adorez simplement et imitez l'argile; et comme l'argile obéit à la main du potier, ainsi soumettez-vous à la volonté de Celui qui règle tout cela. Car il ne fait rien au hasard, rien sans but, bien que vous ne pénétriez pas les secrets de sa sagesse. Vous permettez au potier de faire des vases différents avec la même masse et vous ne l'en blâmez point; et vous demandez compte à Dieu de ses punitions et de ses récompenses vous ne lui permettez pas de discerner qui est digne ou indigne, et parce que la niasse est composée d'une même substance, vous voulez que les volontés soient toutes les mêmes ? Quelle folie que celle-là ! Or, dans le vase à potier, l'honneur ou l'ignominie ne sont pas le résultat de la masser mais de l'usage auquel le vase est employé; ainsi en est-il en fait de volontés. Du, reste, comme je l'ai dit, le seul point à saisir dans cet exemple est celui-ci qu'il ne faut pas disputer avec Dieu, mais tout abandonner à son incompréhensible sagesse. D'ailleurs il faut que les exemples dépassent le but que l'on se propose et pour lequel on les produit, afin de frapper davantage l'auditeur; car s'il en était autrement, s'ils n'étaient pas hyperboliques, ils ne pourraient pas frapper le contradicteur et le couvrir de confusion. C'est donc par une habile exagération que Paul a réfuté une objection déplacée; après quoi il aborde la solution. Quelle est cette solution ?
« Que si Dieu voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits ; afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, en nous qu'il a de plus appelés, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils (22-24»). Voici ce que cela veut dire : Pharaon était un vase de colère, c'est-à-dire un homme qui excitait la colère de Dieu par sa dureté personnelle; car après avoir été l'objet d'une longue patience, il n'en était pas devenu meilleur et était resté incorrigible, voilà pourquoi Paul l'appelle non-seulement vase de colère mais propre à être détruit, c'est-à-dire préparé pour la destruction, par lui-même, cependant, et de sa faute. Car Dieu n'avait rien négligé de ce qui pouvait le corriger, . et lui n'avait rien , négligé de ce qui pouvait le perdre et lui ôter tout espoir de pardon. Bien que Dieu sût cela, il déploya néanmoins une grande patience à son égard, dans le désir de l'amener à pénitence ; en effet sans ce désir, il n'eût pas montré tant de longanimité. Mais comme Pharaon ne voulut point user de cette patience pour venir à résipiscence, qu'il se prépara lui-même à être un vase de colère, Dieu se servit de lui pour l'instruction des autres, pour les rendre plus vigilants par le châtiment qu'il lui infligea; et faire ainsi éclater sa puissance. Que Dieu n'aime point à manifester ainsi sa puissance, mais qu'il préfère la signaler par des bienfaits, par des actes de libéralité, c'est ce que Paul a fait voir plus haut de toutes les manières. Car si Paul lui-même n'aime pas à être puissant de cette façon ; « Non pas », dit-il quelque,part, « pour que nous paraissions nous-mêmes approuvés, mais que vous fassiez-vous, ce qui est bon » (II Cor. XIII, 7) ; à bien plus forte raison Dieu. Mais Dieu ayant montré une grande patience pour amener Pharaon au repentir, et Pharaon ne s'étant point converti, Dieu le supporte encore longtemps, pour faire éclater tout à la fois sa bonté et sa puissance, puisque ce prince ne voulait pas profiter de tant de longanimité. De même donc que Dieu a prouvé sa puissance en punissant un incorrigible ; ainsi a-t-il fait voir sa bonté en prenant pitié de ceux qui avaient grandement péché, mais qui s'étaient repentis.
9. L'apôtre ne dit pas : La bonté, mais « La gloire », pour montrer que c'est là qu'éclate principalement la gloire de Dieu et que Dieu y tient plus qu'à tout le reste. Mais quand il dit: « Qu'il a préparés pour la gloire », il n'entend (326) point tout attribuer à Dieu; car, si cela était, rien n'empêcherait que tous fussent sauvés; mais il veut encore une fois indiquer la prescience, et effacer la distance entre les Juifs et les gentils. Il tire aussi de là un moyen de défense qui n'est pas sans valeur. En effet, ce n'est pas seulement chez les Juifs, mais aussi chez les gentils que les uns sont perdus et les autres sauvés. Aussi ne dit-il pas : Tous les gentils, mais: « D'entre les gentils » ; ni Tous les Juifs, mais : « D'entre les Juifs ». Comme donc Pharaon est devenu vase de colère par sa propre iniquité ; ainsi les autres sont devenus des vases de miséricorde par leurs bonnes dispositions. Si le principal appartient à Dieu , nous avons cependant aussi fourni quelque petite chose. Voilà pourquoi Paul ne dit pas: Des vases de mérites, ni: Des vases de confiance; mais: « Des vases de miséricorde », pour montrer que tout doit être rapporté à Dieu. Quant à ces mots : « Cela ne dépend ni de celui qui vent, ni de celui qui court », bien qu'ils soient là en forme d'objection, ils ne nous causeraient aucun embarras, même quand Paul les aurait dits pour son propre compte. En disant : « Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court », il ne détruit point la liberté ; mais il indique que tout ne dépend pas d'elle et qu'elle a besoin de la grâce d'en-haut. il faut en effet vouloir et courir , mais ne point compter sur ses propres efforts, et seulement sur la bonté de Dieu: ce qu'il exprime ailleurs en ces termes : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi ». (I Cor. XV, 10. Il a aussi raison de dire : « Qu'il a préparés pour la gloire ». Car, comme on leur faisait un crime d'avoir été sauvés par la grâce, et qu'on croyait par là les couvrir de honte, il combat victorieusement cette opinion. En effet, si Dieu en a retiré de la gloire, à bien plus forte raison eux-mêmes par qui Dieu a été glorifié.
Et voyez la reconnaissance de Paul et sa grande sagesse ! Il pouvait ne pas choisir Pharaon comme exemple de punition, mais ceux des Juifs qui avaient été punis, et par là se mieux faire comprendre, en montrant que chez les mêmes ancêtres, pour les mêmes péchés, les uns ont été détruits et les autres ont obtenu miséricorde; il aurait ainsi prouvé qu'il n'y a pas lieu de s'étonner si quelques gentils se sauvent, quand des Juifs périssent.
Mais pour ne pas les blesser, il fait voir la punition chez un étranger, pour se dispenser de les appeler vases de colère, et il leur montre dans leur propre nation ceux qui ont obtenu miséricorde. Pourtant il justifie Dieu suffisamment, puisque connaissant parfaitement Pharaon et le voyant se faire lui-même vase de colère, Dieu a cependant fait tout ce qui était en lui, usé de tolérance, de longue patience, non-seulement de longue, mais de grande patience, tandis qu'il n'en a point agi de même à l'égard des Juifs. Pourquoi donc les uns ont-ils été des vases de colère, et les autres des vases de miséricorde? A cause de leur propre volonté. Mais Dieu étant infiniment bon, s'est montré tel à l'égard des uns et des autres. Il n'a pas eu seulement pitié de ceux qui ont été sauvés, mais, autant qu'il était en lui, de Pharaon lui-même; car il a déployé la même patience avec les uns et les autres; que si ce prince n'a pas été sauvé, la faute en est à sa volonté; car, de la part de Dieu, il n'a rien eu de moins que ceux qui ont été sauvés.
Après avoir ainsi résolu la question par des faits, et pour s'appuyer encore sur d'autres preuves, Paul cite le témoignage des prophètes qui ont exprimé cela d'avance. En,effet Osée, dit-il, a écrit depuis longtemps : « J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple; celle qui n'est pas bien-aimée, bien-aimée (25) ». Pour qu'on ne lui dise pas: Vous nous trompez en parlant ainsi, il appelle en témoignage Osée, qui s'écrie: « J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple ». Quel est donc ce peuple qui n'est pas son peuple? Les gentils, évidemment. Qui est celle-là qui n'est pas bien-aimée? Les gentils encore. Et pourtant il les appelle « Mon peuple, bien-aimée», et déclare qu'ils seront fils de Dieu « Car ils seront appelés enfants du Dieu vivant (26) ». Si on objecte que ces textes doivent s'appliquer aux Juifs qui auront cru, l'argument subsiste encore. Car s'il s'est opéré un tel changement chez les ingrats qui ont abusé de tant de bienfaits, chez les rebelles, chez ceux qui ont, perdu le titre de peuple de Dieu, qui empêche que ceux qui sont étrangers, non après avoir été adoptés, mais dès le commencement, soient appelés, répondent à l'appel et jouissent des mêmes avantages? Après avoir cité Osée, il ne s'en tient pas là, mais il invoque encore le témoignage d'Isaïe qui parle tout à (327) fait dans le même sens: Et « Isaïe », nous dit-il, « s'écrie à l'égard d'Israël », c'est-à-dire déclare en toute confiance et sans crainte d'être démenti. Pourquoi donc nous accusez-vous, quand ces prophètes élèvent la voix d'avance plus haut que le son de la trompette? Or que crie Isaïe? « Le nombre des enfants d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé (27) ».
Voyez-vous qu'Isaïe non plus ne dit pas que tous seront sauvés, mais seulement ceux qui seront dignes de l'être? Je n'ai point égard à la multitude, je n'a point de respect pour une race si répandue; je ne sauve que ceux qui s'en seront rendus dignes. Il ne parle pas seulement du sable de la mer, mais il leur rappelle l'ancienne promesse, dont-ils se sont montrés indignes. Pourquoi vous troubler comme si les promesses étaient sans effet, quand tous les prophètes déclarent que tous, ne seront pas sauvés? Ensuite il explique comment le salut aura lieu. Voyez-vous l'exactitude du prophète, et la prudence de l'apôtre, quel témoignage il produit et avec quel à-propos? Non-seulement il nous montre que quelques-uns seront sauvés et non tous, mais encore il nous fait voir comment ils le seront. Comment donc seront-ils sauvés? Et comment Dieu les jugera-t-il dignes de ce bienfait? « Or », nous dit l'apôtre, citant toujours le prophète, « Le Seigneur accomplira cette parole et l'abrégera avec équité; oui, le Seigneur abrégera cette parole sur la terre ». Voici ce qu'il veut dire : Il n'y a pas besoin des circuits, des travaux, des fatigues imposées par les prescriptions de la loi; le salut s'opérera par une voie très-abrégée. Telle est la foi; elle sauve en peu de mots. « Si vous confessez de bouche le Seigneur Jésus, et si en votre coeur vous croyez que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvé ». (Rom. X, 9.)
10. Comprenez-vous le sens de ces mots : « Le Seigneur abrégera cette parole sur la terre? » Et l'étonnant, c'est que ce peu de paroles a non-seulement procuré le salut, mais apporté la justification. « Et comme Isaïe l'avait dit d'avance : Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe (29) ».Ici, il indique autre chose, à,savoir que le petit nombre qui est sauvé ne l'est point par lui-même. Ceux-là aussi auraient été perdus et auraient subi le sort de Sodome, c'est-à-dire une destruction complète. En effet ceux de Sodome ont tous radicalement péri, ils n'ont pas laissé le moindre rejeton; et les autres auraient éprouvé leur sort, si Dieu n'avait usé d'une grande bonté et ne les eût sauvés par la foi. C'est aussi ce qui est arrivé pour la captivité de Babylone ; ceux qui ont été emmenés et qui ont péri, formaient l'immense majorité ; bien peu ont été sauvés.
« Que dirons-nous donc », continue l'apôtre. « Que les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, mais la justice qui vient de la foi ; et qu'Israël, au contraire, en suivant la loi de justice, n'est point parvenu à la justice (30, 31) »: Ici la solution est parfaitement claire. Après avoir montré, par les faits mêmes, que « tous ceux qui descendent d'Israël, ne sont pas Israélites »; après l'avoir aussi démontré par les pères de Jacob et d'Esaü, puis par les prophètes, il fortifie l'objection et lui donne une vigoureuse solution par Osée et Isaïe. En effet, il y a deux points dans la question : les Gentils ont embrassé la justice, et ils l'ont embrassée sans l'avoir cherchée, c'est-à-dire sans effort de leur part. D'un autre côté, en ce qui concerne les Juifs, il y avait deux difficultés Israël n'est point parvenu à la loi de justice, et il n'y est point parvenu bien qu'il la cherchât. Aussi l'apôtre emploie-t-il ici des expressions plus énergiques; car il ne dit pas : Ont obtenu la justice, mais': « Ont embrassé ». Et c'est là l'étrange, l'extraordinaire : que celui qui cherchait ne soit pas parvenu et que celui qui ne cherchait pas ait embrassé. En disant «Qui suivait », il leur fait une concession; mais plus tard il leur porte un coup mortel. Comme il a une victorieuse solution à donner, il ne craint pas de fortifier l'objection. C'est pourquoi il ne parle pas de la foi ni de la justice qui en dérive, mais il leur montre que même avant la foi, même dans leur propre domaine , ils étaient déjà vaincus et condamnés. Oui, dit-il, oui, ô Juif, tu n'as pas même rencontré la justice de la loi, car tu l'as violée, cette loi, et tu as encouru la malédiction ; et ceux-là, qui ne sont point venus par la loi, mais par une autre voie, ont trouvé une justice bien plus grande, celle de la foi : ce qu'il avait déjà exprimé plus haut, eu disant : « Car si Abraham a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu » (Rom. II, 4) ; indiquant par (328) là que la justice par la foi l'emporte sur l'autre.
Je disais donc plus haut qu'il y avait deux difficultés; maintenant voilà trois questions les gentils ont trouvé la justice, ils l'ont trouvée sans la chercher, ils l'ont trouvée plus grande que celle de la loi. Dans le sens contraire, les mêmes difficultés se reproduisent pour les Juifs : Israël n'a pas trouvé, il n'a pas trouvé bien qu'il cherchât, il n'a pas même trouvé la moindre de ces justices. Après avoir ainsi jeté l'auditeur dans l'embarras, il donne enfin une solution abrégée, et rend raison de tout ce qu'il a dit. Quelle est cette raison ? « Parce que ce n'est point par la foi, mais comme par les oeuvres (32) ».
Voilà la solution la plus claire de tout le passage; s'il l'eût donnée dès le début, elle n'eût point été si facilement acceptée; mais comme il la présente après beaucoup d'hésitations, de doutes, de preuves et de démonstrations, qu'il a usé de mille correctifs, il l'a rendue bien plus intelligible et plus acceptable. Voilà, dit-il; la cause de leur perte : « Parce qu'ils ont voulu être justifiés, non par la foi, mais comme par les uvres de la loi». Il ne dit point : Par les oeuvres, mais « Comme par les uvres de la loi » , pour montrer qu'ils n'ont pas même eu cette espèce de justice. « Car ils se sont heurtés contre la pierre de l'achoppement, comme il est écrit : « Voici que je mets en Sion une pierre d'achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en lui ne sera point confondu (33) ».
Voyez-vous comme la confiance et le don universel sont les fruits de la foi ? Car ces paroles ne s'appliquent pas seulement aux Juifs, mais à tout le genre humain. Tout homme, dit l'apôtre, citant toujours Isaïe, fût-il Juif, Grec, Scythe, Thrace, ou tout ce que l'on voudra, s'il croit, jouira d'une grande sécurité. Ce qu'il y a d'étonnant dans le prophète, c'est qu'il ne dit pas seulement qu'on croira, mais aussi qu'on refusera de croire ; car c'est là le sens de ce mot : se heurter. De même donc que plus haut, il a indiqué que les uns seraient perdus et les autres sauvés, en disant : « Le nombre des enfants d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé », et encore : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome, et semblables à Gomorrhe », puis : « Il a appelé, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les Gentils » : De même, ici, il parle de ceux qui croiront et de ceux qui se heurteront; or, on ne se heurte que parce qu'on ne fait pas attention et qu'on a l'esprit à autre chose. C'est donc parce que les Juifs avaient l'attention tournée vers la loi, qu'ils se sont heurtés contre la pierre. Il parle de pierre d'achoppement et de pierre de scandale, à raison de la volonté et de la fin de ceux qui n'ont pas cru.
Tout ce que nous venons de dire est-il clair, ou a-t-il encore besoin de beaucoup d'explications? Il me semble, à moi, que. tout cela est aisé à comprendre pour ceux qui ont fait attention; et s'il en est qui n'aient pas compris, ils peuvent venir en particulier interroger et s'instruire. J'ai prolongé ces explications pour ne pas être obligé d'interrompre le discours et de nuire, par là, à sa clarté. C'est pourquoi je termine ici, sans traiter aucun point de morale comme c'est mon habitude, ne voulant pas affaiblir en vous le souvenir de ce que j'ai dit. Il est donc temps de conclure et de rendre gloire à Dieu, le maître de tout. Rendons-la lui, moi en finissant de parler, vous en cessant d'écouter, parce que l'empire, la force et la gloire sont à lui, dans les siècles. Ainsi soit-il.