Analyse.
1. Tous les hommes ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu.
2. La justice de Dieu s'est manifestée sans la loi et par la foi
dans tous ceux qui ont cru.
3. Ne rejetons pas cette justice, nous y trouverons deux avantages
: le premier , qu'un si grand bien nous coûte fort peu, puisque nous n'avons qu'à croire
; le second , que c'est un bien que Dieu nous offre à tous dans sa munificence.
Les Juifs ne peuvent plus se glorifier d'aucun avantage sur les autres nations.
4. L'homme est justifié sans les oeuvres de la loi mosaïque, il
est raisonnable qu'il en soit ainsi, car Dieu n'est pas seulement le Dieu des Juifs, mais
le Dieu de tous les hommes. La foi néanmoins ne détruit pas la loi, au contraire,
elle la complète. La loi a préparé la voie à la foi, et la foi a rempli le but
de la loi.
5-8. Mais puisque nous savons qu'outre la foi qui nous justifie,
nous avons encore besoin d'une bonne vie, rendons-nous dignes d'un don si précieux en
conservant entre nous une charité naturelle. Eviter l'envie, fléau de l'Eglise.
Faire l'aumône.
1. Il a accusé les Gentils, il a accusé
les Juifs; il était naturel qu'il parlât ensuite de la justice par la foi. En effet, si
la loi dé nature n'a servi à rien, si la loi écrite n'a, pas servi davantage, si toutes
les deux ont tourné au détriment de ceux qui n'ont point su en user et sont devenues
pour eux la cause de plus grands châtiments : le salut par la grâce était donc
nécessaire. Parlez-en donc, Paul, et faites-le nous voir. Mais il n'ose pas encore, se
défiant de la violence des Juifs; il en revient alors à les accuser, et en premier lieu
introduit pour accusateur David, qui expose longuement ce qu'Isaïe, a exprimé en peu, de
mots. Par là il leur met un frein
puissant qui les empêchera de regimber; en sorte que, déjà contenus vigoureusement par
les accusations des prophètes, pas un de ses auditeurs ne puisse se soustraire à ce
qu'il va dire sur la foi. Le prophète pose d'abord trois points extrêmement graves: tous
ont fait le mal; ils l'ont fait d'une manière absolue, sans mélange de bien, ,ils l'ont fait de toute l'étendue de leur pouvoir. Et pour qu'ils
ne disent pas : Que nous importe, si cela s'adresse à d'autres? Il ajoute : « Or, nous
savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi...
(19) ». C'est pourquoi après Isaïe, qui, (230) de l'avis de tous, s'adressait à
eux, il introduit David pour leur montrer que l'un se rattache à l'autre. Quelle
nécessité, leur dit-il, à ce que le prophète en accusât d'autres que vous, lui qui
avait été envoyé pour vous corriger? Car la loi n'avait été donnée qu'à vous. Mais
pourquoi Paul ne dit-il pas : Nous savons que tout ce que le prophète dit; mais : « Que
tout ce que la loi dit? » Parce qu'il a l'usage de donner à tout l'Ancien Testament le
nom de loi. En effet il dit ailleurs: « N'entendez-vous pas la loi? Abraham eut deux fils
». (Sal. IV, 21, 22.) De même ici il appelle les Psaumes la loi, en disant : « Nous
savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi ».
Ensuite il montre que cela n'a pas été
dit simplement en manière de reproche, mais afin que la loi préparât les voies à la
foi. Tel est l'accord entre l'Ancien et le Nouveau Testament que les « reproches et les
louanges avaient certainement pour but d'ouvrir aux auditeurs, d'une manière éclatante,
la porte de la foi. En effet, comme la principale cause de la perte des Juifs a été la
haute idée qu'ils avaient d'eux-mêmes (ce que l'apôtre leur reproche plus bas en ces
termes : « Ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont
pas soumis à la justice de Dieu) ». (Rom. X, 3.) La loi et les prophètes combattaient
d'avance leur présomption, comprimaient leur orgueil, afin que, réfléchissant sur leurs
fautes, dépouillant toute arrogance, et se voyant exposés aux derniers périls, ils
courussent avec grand empressement à celui qui leur offrait la rémission de leurs
péchés et accueillissent la grâce par la foi. C'est à quoi Paul fait allusion ici,
quand il dit : « Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui
sont sous la loi, en sorte que toute bouche soit fermée et que tout le monde soit jugé
digne des vengeances de Dieu ».
Ici il fait voir qu'ils n'ont point cette
solide gloire que procurent les bonnes uvres, et qu'ils sont seulement fiers et
insolents en paroles. Aussi emploie-t-il ce mot propre : « En sorte que toute bouche soit
fermée ». Signalant par là leur imprudente et intolérable jactance, et indiquant en
même temps que leur langue est enfin refrénée; car elle avait la violence d'un torrent,
mais le prophète lui a mis le frein. Et. par ces mots : « En
sorte que toute bouche soit fermée », il ne veut pas dire qu'ils ont péché exprès
pour qu'on leur fermât la bouche ; mais il veut seulement les convaincre de péché, afin
qu'ils n'ignorent pas qu'ils sont pécheurs. « Et que tout le monde soit jugé digne des
vengeances de Dieu ». Il ne dit pas, tout Juif, mais toute la nature ». D'un côté, ces
expressions : « En sorte que toute bouche soit fermée », est une allusion aux Juifs,
mais une allusion voilée, pour ne pas paraître trop rude; de l'autre, celles-ci : « Et
que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu », s'adressant tout à la fois
aux Juifs et aux Gentils. Et ce n'est pas là un faible moyen de rabattre leur orgueil,
que de leur montrer que sur ce point ils n'ont rien de plus que les gentils, et qu'ils
sont livrés à la même perdition à l'égard du salut, car on appelle proprement upodixos; celui qui étant accusé ne peut se défendre
lui-même, mais a besoin des secours d'autrui, comme nous étions nous-mêmes après avoir
perdu tous les moyens de salut : « Car par la loi on « a la connaissance du péché ».
De nouveau il revient à la loi, mais avec ménagement; car ce n'est point elle qu'il
accuse, mais la lâcheté des Juifs; et comme il va parler de 1a foi, il tient à prouver
ici que la loi était très-affaiblie. Si vous vous glorifiez
de la loi, leur dit-il, elle vous couvre de honte : car elle accuse vos péchés.
Cependant, il ne parle pas si rudement, mais avec plus d'indulgence : « Car par la loi on
a la connaissance du péché (20) ». Donc, le châtiment en sera plus grand, mais
pour les Juifs. La loi a eu pour effet de vous faire connaître le péché; c'était à
vous à l'éviter; pour ne l'avoir pas fait, vous vous êtes attiré une punition plus
sévère, en sorte que le secours même que vous offrait la loi est devenu pour vous
l'origine d'un châtiment plus dur.
2. Après avoir ainsi augmenté leurs
craintes il revient à parler de la grâce, pour leur inspirer un vif désir de la
rémission de leurs péchés, et il dit : « Tandis que maintenant, dans la loi, la
justice de Dieu a été manifestée (21) ». Il énonce là une grande chose et qui a bien
besoin d'être prouvée. Si en effet ceux qui vivaient sous la loi non-seulement
n'ont point échappé au châtiment, mais se le sont attiré plus sévère, comment
pourra-t-on, en dehors de la loi, non-seulement éviter la
punition, mais même être justifié? Voilà (231) les deux points principaux qu'il
établit : être justifié et obtenir tous ces biens sans la loi. Aussi ne dit-il pas
simplement la justice, mais « La justice de Dieu», relevant, par la dignité du
personnage, la grandeur du don et la certitude de l'accomplissement de la promesse,
puisque tout est possible à Dieu. Il ne dit point non plus : a été donnée mais : « A
été manifestée », pour échapper au reproche d'innovation; car la manifestation est
comme la révélation d'une chose ancienne et cachée. Et non-seulement
ici, mais plus bas encore, il montrera que ce n'est point là une nouveauté. En effet,
après ce mot : « A été manifestée », il ajoute : « Etant confirmée par le
témoignage de la loi et des prophètes ».
Ne vous troublez pas, leur dit-il, parce
qu'elle est donnée maintenant, comme si c'était une chose nouvelle et inouïe ; car elle
a déjà été prédite autrefois par la loi et par les prophètes. Il s'est déjà servi
de cette preuve pour d'autres sujets ; il s'en servira encore. Plus haut il a produit ce
texte d'Habacuc : « Le juste vit de foi ». (Rom. I, 17.) Puis il a parlé d'Abraham
et de David, à propos d'autres questions. Ces personnages jouissaient d'une grande
autorité chez les Juifs; car l'un était patriarche et prophète, et l'autre roi et
prophète, et c'était à eux qu'avaient été faites les promesses relatives à ce sujet.
Aussi Matthieu, au début de son Evangile, les mentionne-t-il d'abord tous les deux, et
donne ensuite les générations par ordre. En effet, après avoir dit : « Livre de la
généalogie de Jésus-Christ », il ne fait point suivre le nom d'Abraham, de ceux
d'Isaac et de Jacob; mais il nomme David avec Abraham , et
même, chose étonnante ! avant Abraham, puisqu'il dit :
« Fils de David, fils d'Abraham » ; après quoi il énumère Isaac, Jacob et tous leurs
descendants. C'est aussi pour cela que l'apôtre les cite souvent et dit ici : « La
justice de Dieu étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ». Et
pour qu'on ne dise pas : Comment serons-nous sauvés, nous qui ne contribuons en rien à
ce dont il s'agit? il montre que ce que nous y apportons n'est
pas peu de chose, à savoir la foi. Aussi après avoir dit : « La justice de Dieu
», il ajoute : « Par la foi, pour tous ceux et sur tous ceux qui croient... (22) ».
Ici encore le Juif se trouble, en voyant
qu'il n'a rien de plus que les autres et qu'il est compris dans le dénombrement de toute
la terre. Pour y obvier, l'apôtre le comprime par la crainte, en ajoutant : « Car il n'y
a point de distinction, parce que tous ont péché (23) ». Ne me dites pas qu'un tel est
Grec, qu'un tel est Scythe, qu'un tel est Thrace ; car tous sont de même condition. Si
vous avec reçu la loi, vous n'y avez appris qu'une chose : à connaître le péché, et
non à le fuir. Ensuite, pour qu'on n'objecte point : Si nous avons péché, ce n'est pas
comme eux, il continue : « Et sont privés de la gloire de Dieu ». Ainsi, bien que tu
n'aies point commis les mêmes péchés que les autres, tu es également privé de la
gloire : car tu es de ceux qui ont péché; or celui qui a péché ne compte point parmi
les glorifiés, mais parmi ceux qui sont couverts de confusion. Pourtant ne crains pas :
Si je dis cela, ce n'est pas pour te jeter dans le désespoir, mais pour te faire
comprendre la bonté du Maître. Aussi ajoute-t-il : « Etant justifiés gratuitement par
la grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi
propitiation par la foi en son sang pour montrer sa justice (24, 25) ».
Voyez que de preuves à l'appui de sa proposition ! D'abord la
dignité de la personne; ce n'est point l'oeuvre d'un homme qui serait sujet à
défaillir, mais celle de Dieu qui peut tout: « C'est la justice de Dieu », dit-il. En
second lieu la loi et les prophètes. Ne t'effraies donc point de ce mot : « Sans la loi
», car la loi y consent. En troisième lieu, les sacrifices de l'Ancien Testament; ce qui
lui fait dire : « En son sang » , leur rappelant par là les
brebis et les veaux qu'on immolait. Si le sang des animaux, leur dit-il, purifiait du
péché, à bien plus forte raison celui-ci. Il ne dit pas simplement délivrance, mais «
Rédemption », afin que nous ne retournions jamais à l'ancienne servitude ; et pour cela
il l'appelle « Propitiation » , afin de montrer que si la figure avait déjà tant de
puissance, la réalité en aura bien davantage. Et pour prouver encore qu'il n'y a là
rien de nouveau, rien de récent, il dit : « A établi ». Après avoir par ces
expressions : « Dieu a établi », indiqué que c'est l'oeuvre du Père, il montre quelle
est aussi celle du Fils; le Père a proposé, mais le Christ a tout opéré dans son sang
« Pour montrer sa justice». Qu'est-ce que cela veut dire : « Montrer sa justice? »
Comme la richesse se prouve non-seulement par ce qu'on (232)
est riche soi-même, mais parce qu'on enrichit les autres; comme la vie se manifeste non-seulement en ce que l'on vit soit-même,
mais en ressuscitant les morts ; de, même la puissance se démontre non-seulement
parce que l'on peut soi-même, mais parce que l'on rend la force aux faibles. Ainsi la
justice se fait voir non-seulement en ce que l'on est juste
soi-même, mais en ce que l'on rend justes immédiatement des hommes consommés dans
l'iniquité. Du reste, Paul interprète lui-même le mot « montrer », quand il ajoute :
« Afin qu'il soit juste lui-même et qu'il justifie celui qui a la foi en Jésus (26) ».
3. Soyez sans défiance; c'est de la foi
non des oeuvres que procède la justice. Ne fuyez point la justice de Dieu; elle a un
double avantage : elle coûte peu et elle est offerte à à
tout le monde. Ne soyez point honteux, ne rougissez pas : car si Dieu montre ici son
action, si, pour ainsi dire, il s'en félicite et s'en vante, pourquoi seriez-vous
honteux, pourquoi rougiriez-vous de ce, dont Dieu se glorifie? Après avoir donc relevé
son auditeur en lui disant que ce qui s'est fait est la manifestation de la justice de
Dieu, il presse d'autre part le lâche, le timide, d'approcher, en disant : « Par la
rémission ou l'anéantissement des péchés précédents ». Voyez-vous comme il leur
rappelle souvent leurs fautes? Plus haut, il a dit : « Car par la loi, on a la
connaissance du péché », puis : « Tous ont péché »; et ici son langage est plus énergique.: En effet il ne dit pas : par les, péchés, mais : «
Par l'anéantissement », c'est-à-dire par la mortification, la destruction. Car il n'y
avait plus d'espoir de guérison ; comme un corps paralysé, l'âme morte avait besoin
d'une main supérieure. Et ce qui est plus grave, et qu'il donne comme une circonstance
aggravante, c'est que la rémission a eu lieu dans la tolérance de Dieu. Vous ne pouvez
pas, leur dit-il, nier que vous ayez rencontré une grande patience et une grande bonté.
Ces mots : « En ce temps », indiquent précisément cette patience et cette bonté.
C'est, leur dit-il, quand nous étions désespérés, quand le moment de la sentence
était venu, quand le mal était augmenté et que la mesure des péchés était comble,
c'est alors que Dieu a fait éclater sa puissance pour nous apprendre à quel point la
justice surabonde en lui. Si la chose eût eu lieu au commencement, elle eût paru moins
étonnante, moins prodigieuse que maintenant, où tous les remèdes ont été démontrés
impuissants.
« Où est donc le sujet de la gloire? Il
est exclu », dit-il. « Par quelle loi? Des oeuvres? Non,
mais par la loi de la foi (27} ». Paul fait de grands efforts pour montrer que la foi a une vertu què la loi n'eût pu même
imaginer. Après avoir dit que Dieu justifie l'homme par la foi, il prend encore la loi à
partie. Il ne dit pas : Où sont les bonnes actions des Juifs? Où Sont leurs oeuvres de
justice? mais : « Où est donc le sujet de gloire? » Leur
démontrant de toute manière qu'ils ne font que se vanter comme s'ils avaient plus que
les autres, mais qu'ils ne produisent aucune oeuvre. Et après avoir dit,: « Où est donc le sujet de la gloire ? » il ne répond pas : il
a disparu, il est; détruit, mais : « Il est exclu », ce qui marque surtout
l'inopportunité; une chose qui a fait son temps. Car de même que quand l'heure du
jugement arrive, il n'est plus temps de se repentir, ainsi, l'arrêt une fois prononcé , tout étant sur le point de périr, et celui qui devait
guérir tous les maux par la grâce étant arrivé, ils ne pouvaient plus prétexter
qu'ils se corrigeraient par le moyen de la loi. S'ils l'avaient pu, ils auraient dû le
faire avant la venue du Christ; mais celui qui sauve par la loi étant arrivé, le temps
des combats était passé; et comme tout était convaincu d'impuissance, il procure le
salut par la grâce.
Il est venu maintenant pour qu'on ne dise pas comme, on l'aurait dit
s'if était venu dès le commencement, qu'on aurait pu se sauver au moyen de la loi par
ses propres efforts et ses propres mérites. Pour ôter ce prétexte à ces bouches
impudentes, il a tardé longtemps, de manière à sauver par sa grâce, quand il a été
démontré clairement et de toutes les manières que les hommes ne pouvaient se suffire à
eux-mêmes. Aussi après avoir dit plus haut: « Pour montrer sa justice.»., il a ajouté : « En ce temps » , s'il en est qui disent le
contraire, ils ressemblent à un grand criminel qui, n'ayant pu se justifier devant le
tribunal, aurait été condamné et sur le point de subir son supplice, et qui après
avoir été gracié par la bonté du roi, devenu libre, se vanterait impudemment de
n'être pas coupable. Il fallait démontrer son innocence, avant d'être gracié; plus
tard, il n'est plus temps de se glorifier. C'est le cas des Juifs. Comme ils s'étaient
(233) perdus eux-mêmes, le Christ est venu pour réprimer leur insolence. Celui, qui se
dit : « Le maître des enfants », qui se glorifie dans sa loi, qui s'appelle « Le
docteur des ignorants » et qui a aussi besoin qu'eux de maître et de Sauveur, celui-là
n'a pas de raison de se glorifier. Car si déjà auparavant la circoncision était devenue
incirconcision, à plus forte raison maintenant : les deux époques la rejettent. Après
avoir dit: « Est exclus », il dit comment. Et comment? « Par quelle loi? Des oeuvres?
Non, mais par la loi de la foi ».
4. Voilà qu'il appelle la foi une loi,
adoptant volontiers ces dénominations, pour écarter toute apparence de nouveauté. Or,
quelle est la loi de la foi? Le salut par la grâce Ici il fait voir la puissance de Dieu,
qui non-seulement a sauvé, mais justifié, mais procuré des
motifs de gloire, et cela sans les oeuvres et en ne demandant que la foi. L'apôtre parle
ainsi pour inspirer la modestie au Juif croyant, et contenir, et attirer celui qui ne
croit pas. En effet celui qui est sauvé, s'il est tenté de se glorifier de la loi,
apprendra qu'elle lui ferme la bouche, qu'elle l'accuse, qu'elle était un obstacle à son
salut, qu'elle lui ôtait out sujet dé gloire; et celui qui ne croit pas, devenu humble
par les mêmes motifs, pourra arriver à la foi. Voyez-vous comme la foi est puissante? comme elle détache du passé, en ne souffrant pas qu'on s'en
glorifie ?
« Nous reconnaissons donc que l'homme est
a justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi (18) ». Après avoir montré que ceux
qui croient s'ont supérieurs aux Juifs, il parle de la foi avec une grande liberté et
calme le trouble qui semblait en résulter. En effet deux choses troublaient ici les Juifs
: l'une que ceux qui n'avaient pu, être sauvés par les oeuvres, le fussent sans les
oeuvres; l'autre que les incirconcis jouissent à juste titre des mêmes avantages que
ceux qui avaient si longtemps vécu sous la loi : et ce dernier point les révoltait bien
plus que l'autre. C'est pourquoi Paul, après avoir prouvé le premier, passe au second,
qui troublait tellement les Juifs que, même après avoir reçu la foi, ils en firent une
matière de reproche à Pierre, à l'occasion de Corneille et de ce qui le concernait
lui-même. Que dit-il donc? « Nous reconnaissons que l'homme est justifié par la foi,
sans les oeuvres de la loi ». Il ne dit pas le Juif, l'homme qui était sous la loi, mais
« L'homme », en terme générique, étendant ainsi son langage, et ouvrant au monde
entier les portes du salut.
Puis, à ce propos, il résout une
objection qui n'avait pas encore été posée Car comme il était vraisemblable que les
Juifs, entendant dire que tout homme est justifié par la foi, en seraient blessés et
scandalisés, il ajoute : «Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? » Comme s'il disait:
Pourquoi trouves-tu absurde que tout homme soit sauvé? Dieu est-il partial? Par là il
leur fait sentir qu'en voulant faire tort aux gentils, c'est la gloire de Dieu même
qu'ils attaquent, puisqu'ils ne veulent pas qu'il soit le Dieu de tous. Or s'il est le
Dieu de tous, il pourvoit à tous; et s'il pourvoit à tous, il les sauve tous également
par la foi. C'est ce qui lui fait dire : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Ne
l'est-il pas aussi des Gentils?
Oui, certes, des Gentils aussi (29) », Car il n'est pas Dieu en
partie, comme les divinités fabuleuses des grecs, mais le Dieu universel et unique. C'est
pourquoi, Paul ajoute : « Puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu » : c'est-à-dire un seul
Maître des uns et des autres.
Que si vous me parlez de l'ancien ordre des choses, je vous dirai
que, même alors, la Providence était pour tout le monde, quoique d'une autre manière :
en effet la loi écrite vous avait été donnée, à eux la loi naturelle; et ils
n'étaient pas moins bien partagés que vous. Ils pouvaient même l'emporter, s'ils
l'eussent voulu. C'est à quoi il fait allusion quand il ajoute « Qui justifiera les
circoncis par la foi et les incirconcis parla foi (30) », leur rappelant ainsi ce qu'il
leur a dit plus haut sur la circoncision et sur l'incirconcision, quand il leur a prouvé
qu'entre ces deux choses il n'y avait point de différence. Or s'il n'y avait point de
différence alors, à plus forte raison maintenant; et pour le prouver plus clairement, il
fait voir, que l'un et l'autre ont besoin de la foi. « Nous détruisons donc la loi
par la foi? Loin de là : au contraire, nous établissons la loi ». Voyez-vous cette
prudence habile et vraiment admirable? Par le fait même de cette expression : « Nous
établissons », il indique que la loi n'existe plus, qu'elle est détruite.
Voyez aussi quel puissant génie que celui
de Paul, et avec quelle facilité il prouve ce qu'il veut ! Il démontre ici non-seulement que la foi ne ruine pas la loi, mais qu'elle lui vient
en aide au contraire, de même que la loi a préparé (234) les voies à la foi. Car comme
la loi rendait d'avance témoignage à la foi (il a dit plus haut : « Etant
confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes) » : ainsi la foi a raffermi la
loi chancelante. Et comment, direz-vous, l'a-t-elle raffermie? Quel était le but de la
loi, et à quoi tendaient toutes ses prescriptions? A rendre l'homme juste. Or, elle ne
l'a pas pu : « Car », dit l'apôtre, « Tous ont péché ». Or la foi est venue et l'a
pu; puisqu'en croyant on devient juste. Donc elle a réalisé l'intention de la loi et
atteint le but que celle-ci se proposait en tout. Elle ne l'a donc pas abrogée, mais
complétée. Paul démontre ici trois choses : qu'on peut être justifié sans la loi, que
la loi n'a pas pu justifier et que la foi n'est point en opposition avec la loi. Comme ce
qui troublait le plus les Juifs était que la foi parût contraire à la loi, il prouve
plus que le Juif ne demande, à savoir que la foi, loin de contrarier la loi, est son
auxiliaire et sa coopératrice; ce que le Juif désirait surtout entendre.
5. Mais puisque après cette grâce par
laquelle nous avons été justifiés, il est nécessaire de bien vivre, montrons un zèle
digne d'un si grand don, et nous le montrerons si nous cultivons avec soin la charité,
source de tous les biens. Or; la charité ne consiste pas simplement en paroles ni en
salutations, mais en assistance et en oeuvres. Comme soulager la pauvreté, secourir les
malades, délivrer du danger, tendre la main à ceux qui sont dans l'embarras, pleurer
avec ceux qui pleurent, se réjouir avec ceux qui se réjouissent : car ceci est encore
l'effet de la charité; bien qu'il semble que ce soit peu de chose de se réjouir avec
ceux qui se réjouissent, c'est cependant quelque chose de grand et qui demande de la
philosophie. Vous trouverez bien des gens capables de supporter des épreuves amères, et
qui ici se montreront faibles; beaucoup pleureront avec ceux qui pleurent, et ne sauront
pas se réjouir avec ceux qui se réjouissent, s'attristeront même de la joie des autres
: ce qui est proprement l'effet de la jalousie et de l'envie. Ce n'est donc pas un petit
mérite de se réjouir avec un frère qui se réjouit; il est même plus grand que
l'autre. Plus grand non-seulement que celui de pleurer avec
ceux qui pleurent, mais même que de tendre la main à celui qui est dans le péril.
Beaucoup en effet partageront le danger
avec ceux qui y sont, qui souffriront de la prospérité d'autrui : tant l'envie est
tyrannique ! Pourtant l'un exige de la peine et de la fatigue, tandis que l'autre est un
simple effet de la volonté et du bon désir. Mais beaucoup supportent ce qui est plus
pénible et faiblissent devant ce qui est plus facile, sèchent même de dépit et se
consument lorsqu'ils en voient d'autres s'attirer la considération publique et servir
l'Eglise par la prédication ou autrement. Y a-t-il quelque chose de pire? Ici ce n'est
pas seulement à un frère, mais à la volonté de Dieu qu'on s'en prend. Songez-y bien et
guérissez-vous de cette maladie, sinon par égard pour le prochain, au moins pour vous
délivrer de maux sans nombre. Pourquoi introduire la guerre dans votre esprit? Pourquoi
remplir votre âme de trouble? Pourquoi soulever des tempêtes? Pourquoi tout bouleverser
de fond en comble? Comment, avec de telles dispositions, obtenir le pardon de vos
péchés? Car si Dieu ne remet point les péchés à ceux qui ne pardonnent pas les
offenses qu'on leur a faites, comment vous les remettra-t-il à vous qui cherchez à nuire
à ceux qui ne vous ont point fait de mal ? En effet, c'est là le comble de la
méchanceté : de tels hommes combattent contre l'Eglise avec le démon. Peut-être
font-ils bien pis encore : car il est possible de se garantir du démon, tandis qu'eux,
prenant le masque de l'amitié, mettent en secret le feu au bûcher, se jettent les
premiers dans la fournaise et sont atteints d'une maladie qui non-seulement
ne saurait être prise en pitié, mais ne peut exciter que le mépris.
Car pourquoi, je vous prie, êtes-vous
pâle, tremblant, saisi de crainte? quel malheur vous est donc
arrivé? Votre frère est devenu illustre, éclatant, glorieux? Il fallait mettre une
couronne, vous réjouir, et rendre grâces à Dieu de ce qu'un membre de la famille avait
acquis tant de lustre et de célébrité; et vous vous affligez de ce que Dieu est
glorifié! Voyez-vous où tend cette guerre? Mais, dites-vous, ce n'est pas de la gloire
de Dieu, mais de celle d'un frère que je m'afflige. Mais, par ce frère, la gloire
remonte à Dieu; c'est donc à Dieu que vous déclarez la guerre. Ce n'est point 1à,
dites-vous encore, ce qui me fait de la peine seulement c'est par moi que je voudrais voir
Dieu glorifié. Alors réjouissez-vous du bonheur de votre frère, et Dieu sera glorifié
par vous, et tous diront : Béni soit le Maître qui a (235) de tels serviteurs, exempts
de tout sentiment d'envie et jouissant mutuellement de leur bonheur. Et que parlé-je d'un
frère? Quand même celui par qui Dieu se glorifie serait votre ennemi, vous devriez, à
cause de cela même, vous en faire un ami : et, au contraire, d'un ami vous vous faites un
ennemi, parce que Dieu tire sa gloire de ses bonnes actions. Si quelqu'un guérissait
votre corps d'une maladie, cet homme fût-il votre ennemi, prendrait dès lors le premier
rang parmi vos amis; et si quelqu'un embellit le corps du Christ, c'est-à-dire l'Eglise,
d'ami qu'il était vous vous en faites un ennemi? Et de quelle autre manière
pourriez-vous déclarer la guerre, au Christ? C'est pourquoi, tout homme entaché de ce
vice, fît-il d'ailleurs des miracles, fût-il vierge,
jeûnât-il, couchât-il sur la dure, et par là égalât-il la vertu des anges, est le
plus scélérat des hommes, est plus criminel que l'adultère, que le fornicateur, que le
voleur, que le violateur des tombeaux.
6. Et pour que personne ne m'accuse
d'exagération, je vous poserai volontiers une question. Si quelqu'un prenant une torche
et un hoyau, venait brûler ce temple et miner cet autel; chacun de ceux qui sont ici ne
le lapiderait-il pas comme sacrilège et criminel ? Quel pardon méritera donc celui qui
porte une flamme bien plus dévorante, l'envie veux-je dire, une flamme qui ne consume pas
un édifice de pierre, un autel d'or, mais qui renverse et détruit quelque chose de bien
plus précieux que des murailles et qu'un autel, l'édification, fruit de l'enseignement
des maîtres? Et qu'on ne me dise pas que les efforts de l'envieux sont souvent sans
résultat. On doit juger d'après l'intention, et bien que Saül n'ait pas tué David, il
n'en est pas moins homicide. Vous ne pensez donc pas, dites-moi, que quand vous combattez
contre le pasteur, vous tendez des piéges aux brebis : à ces brebis pour lesquelles le
Christ a versé son sang, pour lesquelles il nous ordonne de tout faire et de tout
souffrir? Vous ne vous rappelez donc pas que votre maître a cherché votre gloire et non
la sienne, tandis que vous ne cherchez point la sienne, mais la vôtre? Et pourtant vous
trouveriez la vôtre en cherchant la sienne ; et en cherchant la vôtre avant la sienne,
vous ne la trouverez point.
Quel sera donc le remède à ce mal?
Prions tous ensemble, prions tous d'une voix pour
ces malheureux, comme pour des
énergumènes. Ils sont même plus à plaindre que des énergumènes, parce que leur mal
est volontaire. Il faut, pour le guérir, des prières, beaucoup de supplications. Si
celui qui n'aime pas son frère, ne peut. acquérir aucun
mérite, donnât-il tout ce qu'il possède, souffrit-il le martyre; songez quel sera le
-châtiment de celui qui déclare la guerre à un homme qui ne lui a point fait de mal. Il
est pire que les païens. Car si, en aimant ceux qui nous aiment, nous ne faisons rien de
plus que les païens, où placer, je vous le demande, celui qui porte envie à ses amis?
La jalousie est même pire que la guerre. En effet, dès que le motif de la guerre a
cessé, celui qui la faisait, dépose ses sentiments d'hostilité; mais l'envieux ne
devient jamais ami. Le premier fait une guerre ouverte, le second une guerre cachée;
celui-là a souvent de justes motifs, celui-ci n'en a pas
d'autre que sa fureur et sa volonté diabolique. A quoi comparer une telle âme? A quelle
vipère? à quel aspic? à quel ver?
à quelle mouche venimeuse ? Rien de plus scélérat, rien de
plus méchant qu'elle. Voilà ce qui détruit les Eglises, voilà la source des
hérésies; voilà ce qui arma la main d'un frère, le détermina à se baigner dans le
sang du juste, viola les lois de la nature, ouvrit la porte à la mort, consomma la
malédiction première, fit perdre de vue à cet infortuné sa propre naissance, le
souvenir de ses parents et de tout le reste, et poussa sa fureur et sa folie au point
qu'il ne cédât pas même à la voix de Dieu qui lui disait: « Son recours sera en toi
et tu le domineras (1) ». (Gen. IV, 7.) Pourtant Dieu lui remettait son péché et lui
soumettait son frère ; mais cette maladie est si difficile à guérir, que, malgré
l'application de mille remèdes, elle jette encore son venin.
De quoi donc souffres-tu, ô le plus
misérable des hommes ? De ce que Dieu est honoré ? Mais c'est une disposition satanique.
De ce que ton frère est. considéré? Mais tu peux le
dépasser. Que si tu veux l'emporter sur lui, ne le tue pas, ne le fais pas disparaître;
laisse-le vivre, pour avoir un motif d'émulation et triompher d'un être vivant; par là
la couronne sera brillante un jour; mais en lui donnant la mort aujourd'hui, tu te
prépares une sentence pire
1 C'est ainsi que saint Chrysostome entend ce passage ; voir la
XVIIIe homélie sur la Genèse.
236
que si tu avais été vaincu. Mais la
jalousie ne voit rien de cela. Comment peux-tu aimer la gloire au milieu d'une si grande
solitude ? Car ils étaient seuls alors sur la terre. Mais cela même n'a pu le retenir;
rejetant tout de son âme, il s'est rangé avec le démon et s'est mis en devoir de
combattre : car c'était le démon qui commandait à Caïn. Ce n'était pas assez pour lui
que l'homme fût devenu mortel, il voulait un genre de mort plus tragique, et il a
persuadé à Caïn de tuer son frère. Insatiable de nos maux, il était impatient, il
avait hâte de voir la sentence exécutée. Comme si quelqu'un tenant son ennemi dans les
chaînes et voyant l'arrêt porté contre lui, était pressé de le voir égorgé, dans
l'intérieur de la prison, avant la sortie de la ville, avant même le moment fixé; tel
était le démon. Ayant appris que l'homme devait retourner en terre ,
il brûlait de voir, quelque chose de plus : le fils mourant avant le père, un frère
meurtrier de son frère, une mort prématurée et violente.
7. Voyez-vous à combien de choses s'est
prêtée l'envie ? Comme elle a assouvi l'insatiable avidité du démon, comme elle lui a
servi un festin tel qu'il le désirait? Pourquoi donc cette maladie? Car à moins d'être
débarrassés de cette faiblesse, il est, impossible d'échapper au feu qui a été
préparé pour le démon. Or, nous nous ,en. débarrasserons en songeant combien le Christ nous a aimés et nous a
recommandé de nous aimer les uns les autres. Comment nous a-t-il aimés? Il a donné son
précieux sang pour nous qui étions ses ennemis et lui avions fait les plus grandes
injures. Faites-en autant à l'égard de votre frère : car le Christ lui-même nous a dit
: « Je vous donne un commandement nouveau : c'est que vous vous aimiez les uns les
autres, comme je vous ai aimés ». (Jean, XIII, 34.) Bien plus, la mesure ne se borne pas
là : car il a fait cela pour ses ennemis. Vous ne voulez pas verser votre sang, pour
votre frère? Mais pourquoi verser le sien, diamétralement à l'opposé du précepte?
Pourtant le Christ n'était point obligé de faire ce qu'il a fait, et vous, en le
faisant, vous n'accomplissiez qu'un devoir. Celui à qui on avait remis dix mille talents,et qui exigeait cent deniers, n'a pas été puni seulement pour
cette exigeante, mais parce que le bienfait ne l'avait pas rendu meilleur, parce qu'il
n'avait point suivi l'exemple du maître, en remettant, lui aussi, sa dette, car c'était
une dette contractée par un serviteur, si dette il y avait. En effet, tout ce que nous
faisons est fait en acquit. de dettes. Aussi le Christ a-t-il
dit « Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites: Nous sommes des
serviteurs inutiles; nous avons fait ce que nous devions faire ». (Luc XVII, 10.) Donc en
donnant des preuves de charité, en distribuant de l'argent aux pauvres, nous acquittons
une dette, non-seulement parce que Dieu nous a le premier fait
du bien, mais parce que, quand nous donnons, nous ne donnons que ce qui vient de lui.
Pourquoi donc vous priver de ce qu'il veut que vous possédiez? Car c'est pour que vous
conserviez ces biens qu'il vous or; donne de les distribuer à d'autres, tant que vous les
possédez seul, ils ne sont point à vous vous n'en êtes vraiment propriétaire que quand
vous les donnez à d'autres.
Est-il rien qui égale l'amour de
Jésus-Christ. Il a versé son sang pour dés ennemis, et nous refusons de donner de
l'argent pour notre bienfaiteur, le sang qu'il a verse était le sien, et l'argent que
nous refusons n'est pas le nôtre: il a donné avant nous, nous refusons après lui, il a
agi pour notre salut, nous n'agissons pas même dans notre propre intérêt car, lui, il
ne profite en aucune façon de notre charité et c'est à nous qu'en revient tout
l'avantage. Si donc nous recevons l'ordre de donner ces biens, c'est afin de ne pas les
perdre nous-mêmes. Dieu agit avec nous comme on agirait avec un petit enfant en lui
donnant une pièce d'argent, avec recommandation de la garder soigneusement ou de la
confier à un domestique pour qu'elle ne soit pas volée. Donnez vos biens aux pauvres,
nous dit-il, de peur que quelqu'un ne vous les enlève, un calomniateur, le diable, un
voleur, et en dernier lieu, la mort. Tant que vous les conservez, ils ne sont pas sûrs;
si vous me les donnez dans la personne des pauvres, je vous les garderai tous
soigneusement et vous les rendrai avec usure en temps convenable,.
Ce n'est pas pour Vous en priver que je les reçois, mais pour les augmenter, pour les
conserver plus soigneusement, et vous les réserver pour le temps où il n'y aura plus
personne qui veuille prêter ni se laisser toucher de compassion.
Y aurait-il une dureté plus grande que la
nôtre, si, après de telles promesses, nous refusions de lui prêter? Voilà pourquoi
nous nous en allons vers lui, délaissés, nus et pauvres, (237) n'ayant plus ce qu'on
nous avait confié parce que nous ne l'avons pas remis au meilleur des gardiens. Voilà ce
qui nous attirera le dernier châtiment. Que pourrons-nous répondre, quand on nous
accusera de nous être perdus nous-mêmes ? Quelle excuse présenterons-nous ? Quelle
justification ? Pourquoi n'avoir pas donné? Vous n'êtes pas sûr de recouvrer? Est-ce
raisonnable? Celui qui donne à qui n'a rien donné, ne peut-il pas à plus forte raison
rendre à qui lui a donné?
Mais vous jouissez de la vue de votre
argent. Raison de plus pour le donner, afin d'en jouir davantage, là où personne , ne pourra plus vous l'enlever tandis qu'en le gardant
maintenant, vous êtes exposé à mille dangers. Le démon, semblable à un chien,
s'élance contre les riches, comme s'il voulait arracher un gâteau de la main d'un
enfant. Donnons donc au Père. Quand le démon verra cela, il prendra aussitôt la fuite :
et dès qu'il sera retiré, le Père vous donnera tout en sécurité, puisque le démon ne
peut plus mettre le trouble dans le siècle à venir. Les riches sont absolument comme les
petits enfants incommodés par les chiens : tout le monde aboie autour d'eux, les
déchire, les tiraille, et non-seulement les hommes, mais
encore les passions ignobles, la gourmandise, l'ivrognerie, la flatterie, tous les genres
de débauche. Quand nous voulons prêtera intérêt, nous recherchons soigneusement ceux
qui donneront le plus et se montreront reconnaissants. Ici nous faisons tout le contraire
: nous laissons de côté Dieu qui est plein de reconnaissance, qui ne donne pas seulement
le douze, mais le cent pour cent, pour recourir à des gens qui ne nous rendront pas même
le capital.
8. Que nous rendra
en effet notre ventre, quand il aura consommé la plus grande partie de nos biens? Du
fumier, de l'ordure. Que nous rendra la vaine gloire ? De
l'envie et de la jalousie. Que nous rendra la parcimonie? Le
souci et l'inquiétude: Que nous rendra la débauche ? L'enfer et le ver empoisonneur. Car
voilà les débiteurs des riches et voilà les intérêts qu'ils rendront pour le capital
: les maux présents et les maux à venir. Est-ce à eux que nous prêterons, je vous le
demande, au prix d'un tel châtiment? Et nous ne confierons rien au Christ qui nous offre
le ciel, la vie immortelle, des biens ineffables? Quelle sera notre excuse ? Pourquoi ne
donnez-vous pas à celui qui rendra tout et avec usure? C'est peut-être parce qu'il ne
rendra que dans longtemps? Mais il rend déjà en cette vie; car il ne ment pas celui qui
a dit : « Cherchez le royaume de Dieu , et toutes ces choses
vous seront données par surcroît ». (Matth. VII, 33.)
Voyez-vous cet excès de libéralité? Les biens à venir vous sont réservés, nous dit-il , et ne diminueront point; et je vous donne encore ceux d'ici-bas
par addition et par surcroît, de plus ce long délai augmente la somme de vos richesses :
car l'intérêt se multiplie. Nous voyons les prêteurs d'argent se conduire ainsi ils
préfèrent ceux qui empruntent à long terme. En effet celui gui rembourse
immédiatement, intercepte le cours de l'intérêt tandis que celui qui conserve longtemps
le capital, grossit le profit.
Ainsi à l'égard des hommes nous
supportons les délais, nous prenons même à tache de les prolonger; et avec Dieu nous
sommes pusillanimes jusqu'à être insouciants, jusqu'à tergiverser? Et pourtant, comme
je l'ai dit, il nous rend déjà ici-bas, puis nous réserve encore, dans l'autre vie, le
tout et quelque chose de plus, pour la raison que j'ai donnée. En effet, la grandeur et
la beauté, du don surpasse de beaucoup cette pauvre vie terrestre. Car il n'est pas
possible de recevoir, dans un corps corruptible et mortel , les
couronnes que rien ne saurait flétrir, ni de posséder ce repos immuable, imperturbable,
dans la vie présente si pleine de trouble, de tumulte, et sujette à tant de changements.
Si un débiteur s'engageait à vous rembourser sur la terre étrangère, là où vous
n'auriez point de domestique ni aucun moyen de transport pour votre pays
, vous le prieriez instamment de vous payer à votre retour chez vous, et non sur
la terre étrangère ; et vous voudriez recevoir ici les biens spirituels, des trésors
infinis? Quelle est donc votre folie? Si on vous paye ici-bas, ce ne sera qu'en choses
corruptibles; mais si vous attendez le temps convenable, vous recevrez des biens
incorruptibles et sans mélange. Ici-bas vous recevrez du plomb, et là, de l'or
éprouvé. De plus Dieu ne vous prive pas des biens présents. Car à la promesse des
biens à venir, il en a ajouté une autre, en disant : Quiconque aime les choses
célestes, recevra le centuple en ce monde et possédera la vie éternelle. (Matth. XIX, 29.)
Si donc nous ne recevons pas le centuple ,
(238) la faute en est à nous qui ne prêtons pas à celui qui peut nous le donner; car
tous ceux qui lui prêtent, si peu que ce soit, le reçoivent. Dites-moi un peu , qu'est-ce que Pierre avait donné de si grand ? N'était-ce pas
seulement un filet brisé , une ligne, un hameçon? Et pourtant
Dieu lui a ouvert les maisons du monde entier, lui a aplani la terre et la mer, en sorte
que tous l'appelaient chez eux; bien plus , on vendait tout ce
qu'on avait et on en déposait le prix, non pas en ses mains (on ne l'eût osé) mais à
ses pieds : tant on avait de générosité et de respect pour lui ! Mais c'était Pierre,
direz-vous. Qu'importe, ô homme? Ce n'est pas seulement à Pierre que le Christ a fait
ces promesses; il n'a pas dit : Toi seul, Pierre, recevras le centuple, mais : «
Quiconque aura quitté sa maison ou ses frères, recevra le centuple ». Car il n'y a
point chez lui d'acception de personne, mais différence de mérites.
Mais, direz-vous, j'ai une multitude d'enfants , et je désire les laisser riches. Pourquoi donc les
appauvrissez-vous ? En leur laissant tout, vous confiez votre fortune à une garde peu
sûre; mais si vous leur donnez Dieu pour cohéritier et pour tuteur, vous leur laissez
d'immenses trésors. De même que quand .nous nous vengeons, Dieu ne prend pas notre
causé en main, tandis que si nous nous abandonnons à lui, notre attente est dépassée; ainsi , en fait de richesses, si nous nous livrons à l'inquiétude,
sa Providence se retire de nous; et si nous nous abandonnons à lui sans réserve, il
mettra en parfaite sécurité et nos biens et nos enfants. Et qu'est-ce que cette conduite
a d'étonnant en Dieu, quand nous la voyons même chez les hommes? Si, à l'heure de la
mort, vous ne donnez aucun de vos proches pour tuteur à vos enfants ,
celui qui serait le mieux disposé à demander cette charge en est retenu par la crainte
et par la honte; mais si vous vous déchargez sur lui de ce souci, il s'estimera très-honoré et répondra dignement à votre confiance.
9. Si donc vous voulez laisser de grandes
richesses à vos enfants , laissez-leur la Providence de Dieu.
Lui qui a créé votre âme, qui a formé votre corps, qui vous a donné la vie sans vous,
quand il vous verra déployer une si grande libéralité, et lui confier vos biens et vos
enfants, pourrait-il ne pas leur ouvrir tous ses trésors? Si Elie, pour avoir été
nourri d'un peu de farine, et voyant qu'une femme le préférait à ses enfants, fit voir
des aires et des pressoirs dans la chaumière d'une veuve, songez quelle sera pour vous la
générosité du maître d'Elie ! Ne nous inquiétons pas de laisser nos enfants riches,
mais vertueux. Car s'ils mettent leur confiance dans les richesses, ils négligeront tout
le reste, ne s'étudiant qu'à cacher des moeurs corrompues à l'abri de l'opulence; mais
s'ils se voient privés de cette consolation, ils mettront tous leurs soins à demander à
la vertu une compensation à la pauvreté. Ne' leur laissez donc pas la richesse, afin de
leur laisser la vertu. Car ce serait le comble de la déraison de ne rien laisser à leur
disposition pendant notre vie, et de procurer à leur jeunesse après notre mort les
moyens de vivre dans la licence. Du moins, pendant que nous vivons, nous pouvons leur
faire rendre des comptes, réprimer leurs excès, et leur mettre le frein; mais si, après
notre mort, avec l'abandon où nous les laissons, et malgré leur jeunesse, nous leur
fournissons les . ressources de la
richesse , nous poussons ces infortunés sur la voie de nombreux précipices; nous jetons
le feu sur le feu, nous versons l'huile dans une fournaise embrasée.
Donc, si vous voulez leur laisser une
fortune assurée, faites que Dieu soit leur débiteur et
confiez-lui leurs créances. Si ce sont eux qui touchent votre argent, ils ne sauront à
qui le donner, ils tomberont souvent entre les mains des calomniateurs et des ingrats;
mais si par précaution vous le prêtez à Dieu, le trésor demeurera en sûreté et le
remboursement se fera sans aucune difficulté. Car Dieu nous est reconnaissant, même
quand il nous paye sa dette; il voit de meilleur oeil ceux qui lui prêtent que ceux qui
ne lui prêtent pas, et plus il doit, plus il aime. Si donc vous voulez l'avoir toujours
pour ami, prêtez-lui beaucoup. Un prêteur à moins dé plaisir à avoir des débiteurs,
que le Christ n'en a à avoir des créanciers ; il fuit ceux à qui il ne doit rien et
court à ceux à qui il doit. Faisons donc tout au monde pour le constituer notre
débiteur voici le moment favorable pour lui prêter, puisqu'il est dans le besoin. Si
vous ne lui donnez pas maintenant, il n'aura pas besoin de vous après cette vie. C'est
ici qu'il a soif, c'est ici qu'il a faim : il a soif de votre salut; c'est pour cela qu'il
mendie, qu'il est nu et (239) errant, dans le but de vous procurer la vie éternelle.
Ne le dédaignez donc pas : il ne demande pas à être nourri, mais à nourrir; à être vêtu, mais à vêtir, à vous préparer un manteau d'or, un vêtement royal. Ne voyez-vous pas les médecins les plus dévoués, quand ils font prendre un bain aux malades , le prendre eux-mêmes, bien qu'ils n'en aient pas besoin? Ainsi le Christ fait tout pour vous qui souffrez. Voilà pourquoi il n'exige rien de vous par force, afin de vous rendre davantage , pour vous apprendre que, s'il demande, ce n'est pas pour ses besoins, mais pour. les vôtres. Voilà pourquoi, il vient à vous en haillons et vous tend la main ; si vous lui donnez une obole, il ne se détourne pas; si vous le méprisez, il ne s'éloigne pas, mais se rapproche encore; car il désire, il désire, vivement notre salut. Méprisons donc les richesses pour n'être point méprisés par le Christ; méprisons les richesses, pour les posséder elles-mêmes. Car si nous les conservons ici-bas , nous les perdrons entièrement, et pour cette vie et pour l'autre; mais si nous les distribuons généreusement, nous jouirons clans les deux vies d'une grande abondance. Que celui donc qui veut devenir riche, s'appauvrisse pour s'enrichir; qu'il dépense pour amasser; qu'il disperse pour recueillir. Que si cette doctrine vous semble nouvelle et étrange, voyez l'homme qui sème , et dites-vous à vous-même que le seul moyen qu'il ait de multiplier son grain est de disperser celui qu'il a , de répandre ce qui est sous sa main. Semons donc, nous aussi, et cultivons le champ du ciel, afin de nous procurer une moisson abondante et d'obtenir les biens éternels. par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui la- gloire, l'empire, l'honneur, appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.