Analyse
1 et 2. La simple connaissance extérieure de la loi sans
l'application à s'y conformer, ne servira de rien au Juif, et il en est de même de la
circoncision.
3. Ce n'est qu'à l'homme vertueux qu'elle donne un avantage
particulier.
4. Objection : quel avantage reste-t-il donc au Juif ?
Réponse.
5. Autre objection : Mais si nos prévarications ont servi à
faire paraître la justice de Dieu, Dieu n'est-il pas injuste de faire tomber sur nous sa
colère ? Réponse.
6. C'est par la pureté de leur vie que les chrétiens
convertiront les infidèles. Que l'avarice est une véritable idolâtrie.
1. Après avoir dit que rien ne manque au
Gentil pour se sauver, s'il observe la loi , et avoir établi
son admirable comparaison, il expose les avantages des Juifs et ce qui leur inspirait de
l'orgueil par rapport aux Grecs. Et d'abord leur nom, qui était très-respectable,
comme l'est maintenant celui du christianisme, et qui à lui seul formait une grande
différence : aussi commence-t-il par là. Et voyez comme il montre le néant de cet
avantage. Il ne dit pas : Toi qui es Juif, mais, « toi qui portes le nom de Juif et te
glorifies en Dieu », c'est-à-dire, comme objet de son amour et son privilégié entre
tous les hommes. Il me semble ici les railler légèrement de leur orgueil et de leur
grande vanité, en ce qu'ils ne profitaient point du don pour leur salut, mais en
abusaient pour s'élever au-dessus des autres et les mépriser. « Et qui connaît la
volonté de Dieu et discerne ce qui est le plus utile ». Sans les oeuvres, c'est là un
défaut. Et pourtant cela semblait un avantage : Aussi fait-il soigneusement là
distinction. Il ne dit pas : qui fais, mais, « Qui connais et discernes », sans
pratiquer, sans agir. « Tu te flattes d'être le guide des aveugles ». Ici encore il ne
dit pas : Qui es le guide des aveugles, mais . « Qui te
flattes », qui te vantes de l'être : car la présomption des Juifs était grande. Aussi
emploie-t-il à peu près les expressions dont les Juifs se servaient eux-mêmes dans leur
jactance. Voyez dans les Evangiles ce qu'ils disent: « Tu es né tout entier dans le
péché et tu nous enseignes ? ». (Jean, IX, 34.). Et ils se montraient fiers à
l'égard de tout le monde. C'est ce que Paul continue à leur reprocher, en élevant les
Gentils et en les abaissant eux-mêmes, afin de mieux les atteindre et de donner plus de
poids à son accusation.
Aussi va-t-il encore plus loin en variant
ses expressions. « Tu te flattes d'être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui
sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants
, ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ». Il ne dit pas :
Dans la conscience, dans les actions, dans les bonnes oeuvres, mais : « Dans la loi». Et
après avoir dit cela, il fait ce qu'il a fait pour les Gentils. En effet, comme il a dit
plus haut . « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même »,
de même il dit ici : « Toi donc qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas
toi-même ? » Mais là il a été plus sévère, ici il est plus doux. Il ne dit point :
Et pour cela tu mérites un plus grand châtiment, parce que tu n'uses convenablement
d'aucun des grands biens qui t'ont été confiés; mais (223) il procède par
interrogation pour les faire rougir et dit : « Toi donc qui instruis les autres, tu ne
t'instruis pas toi-même? » D'autre part voyez encore la prudence de Paul ! Il
rappelle ceux des privilèges des Juifs qui n'étaient point le résultat de leur zèle,
mais des dons d'en-haut, et fait voir que non-seulement
ils sont inutiles à ceux qui les négligent, mais qu'ils entraînent une aggravation dans
le châtiment. Car ce n'est point â cause de leurs mérites qu'ils sont appelés Juifs ,
qu'ils ont reçu la loi, et tous, les autres bienfaits énumérés plus haut ; mais c'est
un effet de la grâce divine. Dès l'abord il avait dit qu'il né sert à rien d'avoir
écouté la loi, si on ne la pratique : « Ce ne sont que ceux qui écoutent la loi qui
sont justes devant Dieu ».
Maintenant allant beaucoup plus loin, il
fait voir que non-seulement l'audition, mais (ce qui est bien
plus que l'auditions) l'enseignement même de la loi ne sert de rien au maître, s'il ne
pratique ce qu'il enseigne; que non-seulement cet enseignement
ne servira à rien, mais attirera un plus grand châtiment. Et il choisit à propos ses
expressions, il ne dit pas : « Tu as reçu-la loi, mais : « Tu te reposes sur la loi »,
car le Juif n'était point obligé de courir çà et là et de chercher ce qu1l avait à
faire, il trouvait sans peine dans la loi le chemin qui conduit à la vertu. Si les
Gentils ont le raisonnement naturel, par où ils l'emportent sur les Juifs; puisqu'ils
accomplissent tout sans avoir entendu aucun précepte positif, il n'en est pas moins vrai
que ceux-ci ont. plus de facilité. Si vous dites
. Je n'écoute pas seulement, mais j'enseigne, vous ne faites qu'ajouter une raison
de plus pour être puni. Et comme leur orgueil s'en gonflait, il leur montre qu'il n'en sont que ridicules. En effet, quand il dit : « Guide des
aveugles, docteur des ignorants, maître des enfants », il fait allusion à leur orgueil,
car ils abusaient étrangement de leurs prosélytes (c'était le nom qu'ils leur
donnaient).
2. Aussi parle-t-il sous toutes les formes
de ce qui' semblait leurs gloires; parce qu'il sait que ce sont autant de motifs de plus
pour l'accusation. « Ayant la règle de la science et de la
vérité dans la loi ». C'est comme si quelqu'un ayant l'image du roi n'en reproduisait
aucun trait, tandis que ceux à qui elle n'aurait point été confiée la copieraient-
fidèlement, Après avoir rappelé les avantages qu'ils ont reçu de Dieu, il mentionne
les vices que leur reprochaient les prophètes : « Toi qui instruis les autres, tu ne
t'instruis pas toi-même? toi qui prêches de ne point
dérober, tu dérobes? toi qui dis qu'il ne faut pas être
adultère, tu es adultère? toi qui as en horreur les idoles,
tu commets le sacrilège? » Il était sévèrement défendu de toucher à rien de ce qui
appartenait aux idoles, comme étant abominable ; mais, dit l'apôtre
, la tyrannie de l'avarice vous a fait fouler cette loi aux pieds. Ensuite il
réserve pour la fin le reproche le plus grave, disant: « Toi qui te glorifies dans la
loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ? »
Il y a ici deux reproches, ou plutôt
trois ils déshonorent, ils déshonorent par ce qui leur a été accordé à titre
dhonneur, ils déshonorent celui qui les a honorés : ce qui est le comble de
l'ingratitude. Et pour ne pas avoir l'air de faire ces reproches dé son chef, il cite le
prophète qui les accuse ici en abrégé, sommairement et comme en gros, mais plus tard en
détail; ici encore Isaïe, puis ensuite David, après qu'il aura produit plusieurs
réfutations. Pour preuve, leur dit-il, que ce n'est pas moi qui vous accuse, écoutez
Isaïe : « A cause de vous le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ». (Isaïe,
LII, 5.) Voici encore deux autres accusations. Non-seulement,
dit-il, ils outragent Dieu, mais ils le font encore outrager par les autres. A quoi vous
sert donc d'instruire , si vous ne vous instruisez pas
vous-mêmes? Plus haut il s'était contenté de dire cela, maintenant il le tourne dans le
sens contraire; car non-seulement vous ne vous instruisez
point vous-mêmes, mais vous n'apprenez pas aux autres ce qu'ils doivent faire, chose bien
pire encore, non-seulement vous ne leur apprenez pas la loi,
mais vous leur enseignez tout le contraire, à blasphémer Dieu, ce qui est l'opposé de
la loi.
Mais, direz -vous,
la circoncision est une grande chose. J'en conviens, pourvu cependant qu'elle soit
accompagnée dé la circoncision intérieure. Et voyez la prudence de Paul, avec quel à
propos il amène la question de la circoncision. Il n'a point commencé par là, parce
qu'on en avait une haute idée; mais après leur avoir prouvé qu'ils ont péché en
matière plus grave et qu'ils ont fait blasphémer Dieu ; assuré que l'auditeur les
condamne et leur ayant ôté leur privilège , il (224) parle
de la circoncision, dans la confiance que personne n'osera plus la soutenir, et il dit «
A la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ». Il avait pourtant un
autre moyen de la rejeter ; il pouvait dire : Qu'est-ce que la circoncision? Est-elle un
mérite pour celui qui l'a reçue? est-elle une preuve de bonne
volonté? On la donne avant l'âge de raison ; ceux qui étaient dans le désert, sont
restés longtemps incirconcis ; on voit d'ailleurs en plus d'un endroit qu'elle n'est pas très-nécessaire. Ce n'est cependant point par ce côté qu'il la
rejette, mais par où il fallait surtout l'attaquer, par Abraham. C'était là le plus
beau triomphe, de la montrer méprisable là où elle leur paraissait respectable. Il
aurait pu dire que les prophètes ont souvent appelé les Juifs incirconcis, mais
c'étaient là la faute de ceux qui la recevaient et non celle de la circoncision
elle-même. La question était de prouver qu'elle était sans. vertu
dans une vie parfaite, et c'est ce qu'il va faire. Jusqu'ici il n'a point parlé du
patriarche, mais après avoir d'abord déconsidéré la circoncision par d'autres motifs,
il porte plus tard son attention sur Abraham, à l'occasion de la foi
, et dit : « Quand la foi a-t-elle été imputée à Abraham ? Dans la
circoncision, ou avant la circoncision ? » (Rom. IV, 10.)
Tant que la circoncision combat le païen
et l'incirconcis, il ne veut pas tenir ce langage, pour ne pas blesser trop vivement; mais
quand elle est opposée à la foi, alors il l'attaque résolument. En attendant, la lutte
est contre l'incirconcision; c'est pourquoi il est moins vif et dit : « A la vérité la
circoncision est utile, si tu observes la loi; mais si tu la violes, la circoncision
devient incirconcision (18, 25) ». Il suppose ici deux circoncisions et deux
incirconcisions, comme il y a deux lois. Car il y a la loi naturelle et la loi civile, et
un intermédiaire entre elles, la loi dans les ,uvres. Et
voyez comme il indique et met en avant ces trois lois. « En effet. », dit-il, «quand
les Gentils qui n'ont pas la loi » : De quelle loi s'agit-il.? de
la loi écrite. « Font naturellement ce qui est selon la loi ». Selon quelle loi? selon la loi par. les oeuvres. « N'ayant
pas la loi ». Laquelle? la loi écrite. « Ils sont à
eux-mêmes la loi ». Comment cela? en suivant la loi
naturelle. «Montrant ainsi l'uvre de la loi » : De quelle loi ? de la loi par les couvres. La loi écrite est extérieure, la loi
naturelle est intérieure; mais la troisième est dans les actes. Ainsi l'une est
exprimée par l'Ecriture, l'autre par la nature, et la troisième par les couvres. C'est
cette dernière qui est nécessaire, puisque c'est pour elle qu'existent les deux autres,
la loi écrite et la loi naturelle; et sans elle, celles-ci sont inutiles et même très-nuisibles. Et c'est ce que l'apôtre indique en parlant de la
loi naturelle : « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même » ; puis de la loi
écrite : « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ? » De même il y a
deux incirconcisions, l'une de la nature et l'autre des couvres; et deux circoncisions :
l'une dans la chair et l'autre dans la volonté. Par exemple, quelqu'un est circoncis le
huitième jour, voilà la circoncision de la chair; quelqu'un accomplit toutes les
prescriptions légales, voilà la circoncision ,du cur,
celle que Paul demande surtout, aussi bien que la loi elle-même.
3. Voyez donc comme après l'avoir d'abord
admise en parole, il la supprime en effet. Il ne dit point : la circoncision est
superflue, inutile, stérile; que dit-il donc? «A la vérité la circoncision est utile
si tu observes la loi ». Il l'avait admise, en disant : J'en conviens, je ne dis pas le
contraire, la circoncision est bonne; mais quand ? quand elle
est jointe à l'observation de la loi. « Mais si tu la violes, ta circoncision devient
incirconcision ». Il ne dit pas : Elle est inutile, pour ne pas avoir l'air de la
déshonorer; mais en en dépouillant le Juif, il l'attaque par le fait. L'injure alors ne
s'adresse plus à la circoncision, mais à celui qui l'a perdue par sa lâcheté. Paul
agit dans cette circonstance comme les juges qui privent d'abord de leurs honneurs et
punissent ensuite les hommes constitués en dignités, lorsqu'ils sont convaincus de
quelques grands méfaits. Car après avoir dit : « Si tu la violes », il ajoute : « La
circoncision devient incirconcision » ; et après avoir déclaré le Juif incirconcis, il
n'hésite plus à le condamner. « Si donc l'incirconcis garde les préceptes de la loi , son incirconcision ne devient-elle pas circoncision (26) ? »
Voyez ce qu'il fait : il ne dit point que
l'incirconcision l'emporte sur la circoncision : 'ce langage eût vivement déplu à ses
auditeurs mais il dit que l'incirconcision devient circoncision. Ensuite il demande ce que
c'est que la circoncision, ce que c'est que l'incirconcision; (225) il répond que la
circoncision ce sont les bonnes oeuvres, l'incirconcision, les mauvaises ; et comme il a
d'abord fait passer à la circoncision l'incirconcis qui fait le bien, et à
lincirconcision le circoncis qui vit dans le mal; il donne ainsi naturellement la
victoire à l'incirconcis. Il ne dit cependant pas : à l'incirconcis, mais il exprimé la
chose même, en disant: « Son incirconcision ne devient-elle pas circoncision? » Il ne
dit pas ; est imputée, mais « devient », ce qui est plus expressif; de même que
plus haut il n'a pas dit : La circoncision est imputée à incirconcision, mais «
devient» incirconcision . « Et celui qui est
naturellement circoncis condamnera ». Voyez-vous qu'il reconnaît deux incirconcisions,
l'une de la nature et l'autre de la volonté? Ici cependant il parle de celle de 1à
nature, mais il ne s'en tient pas, là, car il ajoute : «Celui qui accomplit la loi te
condamnera, toi qui , avec la lettre et la circoncision, es
prévaricateur de la loi (27) ». Voyez la délicatesse de sa prudence. Il ne dit pas que
1'incirconcision naturelle, jugera la circoncision, mais il l'amène sur le point même
où elle est victorieuse. Puis quand il y a défaite; ce n'est pas la circoncision
elle-même qu'il déclare vaincue, mais le Juif circoncis, évitant les expressions qui
pourraient blesser son auditeur. Et il ne dit pas : toi qui as la loi et la circoncision,
mais en termes plus doux : « Toi qui, par la lettre et la circoncision, es
prévaricateur de la lettre », c'est-à-dire cette incirconcision venge la circoncision,
car celle-ci a été outragée; elle vient au secours de,la
loi, car la loi a été violée; et il dresse ainsi un glorieux trophée. C'est en effet
un- éclatant triomphe que de faire juger le Juif non par le Juif, mais par l'incirconcis,
comme il a été dit : « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette
génération » (Matth. XII, 41). Il ne déshonore donc
point la loi qu'il respecte beaucoup au contraire, mais le transgresseur de la loi.
Ensuite, après avoir démontré tout cela , il définit hardiment ce que c'est que le Juif : et fait voir
que ce n'est point le Juif, mais. celui quine l'est pas; que ce
n'est pas la circoncision, mais l'incirconcis, qu'il repousse. Il semble prendre en mains
la cause de la circoncision, mais en jugeant d'après le fait, il la déprécie. Non-seulement il démontre qu'il n'y a pas de différence entre le
Juif et l'incirconcis, mais que celui-ci l'emporte, s'il veille attentivement sur
lui-même, et qu'il est le vrai Juif; c'est pourquoi il ajoute : « Car le Juif n'est pas
celui qui le paraît au dehors, ni la circoncision celle qui se voit à l'extérieur sur
la chair ». Ici il s'adresse à ceux qui font tout pour l'apparence. « Mais le Juif est
celui qui l'est intérieurement , et la circoncision est celle
du coeur, faite en esprit et non selon la lettre... (28, 29) ».
4. Par ces paroles il exclut tout ce qui
est corporel. La circoncision, les sabbats, les sacrifices ,
les purifications étaient extérieurs toutes choses qu'il a en vue , quand il dit :
« Car le Juif n'est pas celui qui le paraît au dehors». Mais comme la circoncision
avait une grande importance, au point que. le sabbat même lui
cédait la place, c'est avec raison qu'il s'étend davantage sur elle. En disant « Celle
du coeur », il ouvre la voie aux institutions de l'Eglise et prépare à la foi : car
c'est celle qui est dans le coeur et dans l'esprit que Dieu approuve. Et pourquoi n'a-t-il
pas démontré que le gentil qui fait le bien n'est pas au-dessous du Juif qui fait le
bien, mais seulement que le gentil qui fait le bien l'emporte sur le Juif prévaricateur?
Pour rendre sa victoire incontestable. Car, ce point une fois admis, la circoncision de la
chair est nécessairement mise de côté, et la nécessité des oeuvres devient évidente.
En effet si le Grec se sauve sans cela, et si le Juif se perd avec cela, c'en est fait du
judaïsme. Or pour Paul le gentil n'est point l'idolâtre, mais l'homme pieux, vertueux , non assujetti aux observances légales. « Qu'est-ce, donc
que le Juif a de plus ? » (III, 1.)
Après qu'il a tout rejeté, la
connaissance de la loi, l'enseignement, le nom de Juif, la circoncision
, et tout le reste , en disant : « Le Juif n'est pas celui qui le paraît au
dehors , mais celui qui l'est intérieurement », il voit se dresser une objection et il
se met en devoir de lui faire face. Quelle est-elle? Si tout cela, dira-t-on, ne sert à
rien, pourquoi la nation a-t-elle été appelée et la circoncision a-t-elle été
donnée? Que fait Paul, et comment la réfute-t-il? Comme il a réfuté les autres. Car
comme plus haut il ne fait point l'éloge des Juif,, ne vante point leurs mérites , mais
seulement les bienfaits de Dieu, puisque le nom de Juif, la connaissance de la volonté
divine , l'appréciation des choses utiles, n'étaient point (225) l'effet de leur
volonté, mais un don de la grâce ce que le prophète leur reprochait déjà quand il
disait : « il n'a point traité ainsi toutes les nations, et ne leur a point manifesté
ses jugements » (Ps. CXLVII); et Moïse: «Demandez si rien de semblable s'est jamais
passé, si une nation a jamais entendu, sans mourir, la voix du Dieu vivant sortir du
milieu des flammes » (Deut. V, 26) ; ce que Paul, dis-je, a déjà fait alors, il le fait
encore ici. En effet, comme quand il parlait de la circoncision , il ne disait pas qu'elle
était inutile sans les oeuvres, mais qu'elle était utile, avec les oeuvres, rendant
ainsi la même idée en termes plus doux; et encore comme après avoir dit: « Si tu
violes la loi », il n'a pas ajouté; ta circoncision ne te sert à rien, mais : « Ta
circoncision devient une incirconcision »; puis plus bas : « L'incirconcis ne jugera pas
la circoncision, mais te jugera toi, prévaricateur de la loi »; ménageant ainsi la loi,
et accusant les hommes : de même fait-il encore ici.
Car s'étant posé à lui-même
l'objection, en disant : « Qu'est-ce donc que le Juif a de plus? » Il ne répond pas ;
Rien, mais il effleure le sujet et détruit par la suite l'objection en démontrant que
cette prééminence même a été pour eux une source de châtiments. Comment cela? Je
vais vous le dire, après avoir reproduit l'objection : « Qu'est-ce donc que le Juif a de
plus, et à quoi sert la circoncision? Beaucoup de toute manière. Premièrement, parce
que c'est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés... (2) ». Le voyez-vous,
comme je vous l'ai déjà dit, rappelant les bienfaits de Dieu sans faire aucune mention
de leurs mérites. Qu'est-ce à dire : « Ont été confiés? » Parce qu'on leur
avait confié la loi , parce que Dieu les avait estimés au
point de les rendre dépositaires de ses oracles. Je sais que quelques-uns appliquent ces
mots: « Ont été confiés » aux oracles mêmes et non aux Juifs, ce qui voudrait dire
la loi a été confiée : mais la suite ne permet pas cette interprétation. D'abord Paul
parle ici par manière d'accusation, et montre aux Juifs qu'ils ont reçu de Dieu de
grands bienfaits et se sont montrés extrêmement ingrats. D'ailleurs ce qui suit en donne
la preuve, puisqu'il ajoute : « Car qu'importe si quelques-uns d'entre eux n'ont pas
cru ? » S'ils n'ont pas cru, dira-t-on, comment les oracles leur ont-ils été confiés ?
Que veut donc; dire l'apôtre? Que Dieu leur a confié sa parole, mais non qu'ils y ont
cru : autrement quel sens aurait la suite? Car il ajoute : « Qu'importe si quelques-uns
d'entre eux n'ont pas cru? » Ce qui vient après prouve encore le même sens : « Leur
infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu? Non , sans doute (3) ». Il
affirme donc que ce qui leur a été confié est un don de Dieu. Voyez encore ici sa
prudence. Il ne leur adresse toujours pas de reproche de lui-même, mais sous forme
d'objection, comme s'il disait: Peut-être direz-vous : A quoi bon cette circoncision? Car
ils n'en ont point usé convenablement; la loi leur a été confiée et ils n'y ont pas
cru. Cependant l'accusateur n'est pas violent : c'est en paraissant chercher à justifier Dieu , qu'il fait tomber sur eux tout le reproche. Pourquoi, dit-il,
objectez-vous qu'ils n'ont pas cru? Qu'importe à Dieu? L'ingratitude de ceux qui ont
reçu ses bienfaits détruit-elle ces bienfaits? Fait-elle que d'honneur ne soit pas un
honneur? Car c'est le sens de ces mots : « Leur infidélité rendra-t-elle vaine la
fidélité de Dieu? Non sans doute ». C'est comme si on disait : J'ai accordé un honneur
à un tel; s'il ne, l'a point accepté, on ne saurait m'en faire un reproche ; cela ne
détruit point ma bienveillance, mais prouve son insensibilité. Et Paul ne se contente
pas e cela, il dit beaucoup plus, à savoir que non-seulement
l'incrédulité des Juifs n'est point un motif de reproche envers Dieu, mais qu'elle fait
mieux ressortir sa bonté et d'honneur qu'il leur a fait, puisqu'il a honoré un peuple
qui devait le déshonorer.
5. Voyez-vous comme il transforme en
sujets d'accusation les choses mêmes dont ils se glorifiaient. En effet Dieu les a
tellement honorés, que la .prévision même de l'avenir n'a point empêché sa
bienveillance, et ils se sont servis pour l'outrager de l'honneur même qu'il leur
accordait. D'après ces mots: « Qu'importe, si quelques-uns n'ont pas cru? » Il paraît
que tous -ont été incrédules. Pour ne pas emprunter le langage de l'histoire et
paraître leur ennemi par la violence du reproche, il prend la forme du raisonnement et du
syllogisme pour exprimer la réalité des faits,, disant : «
Dieu est vrai et tout homme est menteur (4) ». C'est-à-dire .
Je ne nie pas que quelques-uns aient été incrédules; mais supposez.,
si vous le voulez, que tous l'ont été;. faisant ainsi une
concession en passant, (227) pour ne pas paraître blessant ni suspect. Mais cela même,
ajoute-t-il, justifie Dieu. Qu'est-ce à dire, justifie? Si l'on établissait un jugement
et une enquête sur les bienfaits que Dieu a accordés aux Juifs et sur le retour dont ils
l'ont payé, la victoire serait à Dieu et il apparaîtrait juste en tout. Après avoir
démontré cela par tout ce qu'il vient de dire, il invoque le témoignage du prophète
qui dit: « Afin que vous soyez reconnu fidèle dans vos paroles et victorieux quand on
vous juge ». (Ps. 50.) Il a fait pour eux tout ce qui était en lui et ils n'en sont pas
devenus meilleurs. L'apôtre présente ensuite une autre objection qui naît du sujet : «
Que. si notre iniquité relève la justice de Dieu, que
dirons-nous? Dieu n'est-il pas injuste d'envoyer sa colère? (Je parle humainement.) Point
du tout... (5,6) »: Il réfute l'absurde par l'absurde.
Mais comme ceci est obscur, il est
nécessaire de l'éclaircir. Que dit-il donc ? Dieu a honoré les Juifs, et les Juifs
l'ont déshonoré. Cela lui donne la victoire et fait voir combien il a été bon
d'honorer un tel peuple. Mais, dira-t-on, si en l'outrageant et en le déshonorant
, nous lui avons assuré la victoire et fait éclater sa justice. Pourquoi
sommes-nous punis, nous qui lui avons prouvé le triomphe par nos propres injures? Comment
l'apôtre répond-il? Je l'ai déjà dit: Par une autre absurdité : Si, dit-il, tu as
été la cause de sa victoire et que tu sois néanmoins puni, c'est une injustice; mais
s'il n'est pas injuste et que tu sois puni, c'est que tu n'es pas la cause de sa victoire.
Et voyez cette prudence apostolique ! Après avoir dit: « Dieu n'est-il pas injuste
d'envoyer sa colère? » Il ajoute : « Je parle, humainement », c'est-à-dire pour
employer le raisonnement humain: car le juste jugement de Dieu surpasse de beaucoup ce qui
nous paraît juste, et renferme d'autres motifs mystérieux. Et comme ce langage était
obscur, il répète encore la même chose: « Car si par mon infidélité, la vérité de
Dieu a éclaté davantage pour sa gloire, pourquoi suis-je encore jugé comme pécheur?...
(7) ».
C'est-à-dire : Si par vos
désobéissances vous avez fait ressortir la bienveillance , la
justice et la bonté de Dieu, non-seulement vous ne méritez
pas d'être puni, mais vous avez droit à une récompense. Or s'il en est ainsi, voici
l'absurdité qui en découlera, absurdité qui a cours chez un grand nombre : à savoir,
que le bien naît du mal et que le mal est la source du bien ,
en sorte qu'il faudrait nécessairement de deux choses l'une : ou qu'en punissant, Dieu se
montrât injuste, ou qu'en ne punissant pas, il triomphât par le fait de nos iniquités:
deux conséquences souverainement absurdes. En le démontrant, Paul attribue aux Grecs
l'invention de ces croyances, et pense que pour réfuter de telles assertions il suffit
d'en nommer les auteurs. Car alors ils disaient pour se moquer de nous : Que nous faisons
le mal pour que le bien en résulte. Ce que Paul établit clairement par ces
paroles : « Et ne ferons-nous pas le mal pour qu'il en arrive du bien, conformément
au blasphème qu'on nous impute, et à ce que quelques-uns nous font dire? La condamnation
de ceux-là est juste... (8) ». En effet, comme il avait dit : « Où le péché a
abondé, la grâce a surabondé ». (Rom. V, 20) , ils le
tournaient en dérision et donnant à sa parole un autre sens, ils prétendaient qu'il
faut s'attacher au mal pour en faire sortir le bien. Ce n'était point là ce que Paul
entendait; et pour corriger cette fausse interprétation , il
dit.: « Quoi donc? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? A Dieu ne
plaise ! » (Rom. VI,1, 2.) Car j'ai parlé des temps
passés, dit-il, et non dans le but de faire admettre et pratiquer cette doctrine. Et pour
écarter tout soupçon là-dessus, il déclare la chose impossible. « Car », dit-il, «
comment nous qui sommes morts au péché, vivrions-nous encore dans le péché? »
6. Il attaque donc volontiers les Grecs,
parce que leur vie était horriblement corrompue; quant aux Juifs, si leur conduite
semblait négligée, ils avaient de puissantes garanties, la loi, la circoncision, leur
commerce familier avec Dieu, le titre de docteurs universels. Aussi Paul les
dépouille-t-il de ces privilèges, leur démontre-t-il qu'ils n'en seront que plus punis
pour les avoir possédés, et c'est par là qu'il conclut ici son discours. En effet,
s'ils ne sont pas punis pour avoir fait ce qu'ils ont fait, il faut nécessairement
admettre cette parole blasphématoire : « Faisons le mal pour qu'il en arrive du bien ».
Or, si c'est là une impiété, si ceux qui la profèrent seront punis (et c'est ce qu'il
a établi en disant : « La condamnation de ceux- là est juste »), il est évident
qu'ils seront punis. Mais si ceux qui tiennent ce langage méritent (228) un châtiment,
à bien plus forte raison ceux qui le mettent en pratique; et s'ils méritent un
châtiment, c'est qu'ils ont péché. Car ce n'est pas un homme qui punit, un homme dont
le jugement pourrait être suspect; mais Dieu qui agit toujours avec justice. Or, s'ils
sont justement punis, c'est que les reproches qu'ils nous adressaient en plaisantant
étaient injustes ; car Dieu a tout fait et fait encore tout pour rendre éclatantes et
droites nos institutions. Ne nous relâchons donc pas; et par là nous pourrons arracher
les Grecs à leur erreur.
Mais si nous sommes sages en paroles et
déréglés dans notre conduite, de quel oeil les verrons-nous? Quel langage leur
tiendrons-nous sur les dogmes? Ils diront à chacun de nous : Toi qui ne fais pas le
moindre bien, comment oses-tu prêcher la perfection ? Toi qui ne sais pas encore que
l'avarice est un mal, que viens-tu raisonner sur les choses célestes? Mais tu sais que
c'est un mal? Tu n'en es que plus coupable alors, puisque tu ne pèches pas par ignorance.
Mais pourquoi parler des Gentils? Nos propres lois nous ôtent le droit d'élever la voix,
quand notre conduite est déréglée. « Car, » il est écrit : « Dieu a dit au
pécheur : Pourquoi parles-tu de ma loi? » (Ps. XLIX.) Les
Juifs avaient été emmenés en captivité, et quand les Perses les suppliaient et les
pressaient de chanter leurs divins cantiques, ils répondaient : « Comment
chanterons-nous les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère?» (Ps. CXXXVI.) Que s'il n'était pas convenable de chanter les cantiques
du Seigneur sur une terre étrangère, combien cela est-il moins permis à une âme
étrangère? Or, telle est l'âme sans pitié. Car si la loi commandait le silence à des
captifs, devenus esclaves des hommes sur une terre étrangère; à combien plus forte
raison doivent se taire les esclaves du péché, assujettis à une autre règle de vie?
Pourtant ces Juifs avaient leurs instruments : « Nous avons », disaient-ils, « suspendu
nos instruments aux branches des saules (16) », et il ne leur était point permis de s'en
servir. Donc, bien que nous ayons une bouche et une langue, qui sont les instruments de la
parole, nous ne devons point nous en servir, tant que nous sommes esclaves du péché, le
plus impérieux des maîtres étrangers.
En. effet,
dites-moi un peu, vous qui êtes voleur et avare, que pouvez-vous dire au Grec? Renonce à
l'idolâtrie? Apprends à connaître Dieu? Ne cherche point l'or et l'argent? Mais ne se
mettra-t-il pas à rire et à vous dire Commence par t'appliquer ce langage ? Car qu'un
gentil ou un chrétien soit idolâtre, ce n'est pas la même chose. Comment pourrons-nous
détourner un païen de cette idolâtrie, quand nous y sommes livrés nous-mêmes? Nous
sommes plus près de nous que le prochain. Comment persuaderons-nous les autres, si nous
ne nous persuadons pas nous-mêmes? Si celui qui ne sait pas gouverner sa maison, ne sera
point chargé de gouverner l'Eglise, celui qui ne sait pas régler son âme, pourra-t-il
corriger celle des autres ? Ne me dites pas que vous ne vous prosternez point devant une
statue d'or; mais prouvez-moi que vous ne faites pas ce que l'or vous commande. Car il y a
bien des espèces d'idolâtrie : l'un sert Mammon comme son maître, l'autre son ventre,
un troisième quelque passion plus coupable encore. Mais vous ne leur immolez point de
boeufs à la manière des gentils ? Vous faites bien pire : vous leur sacrifiez votre
âme. Mais vous ne fléchissez pas le genou, vous n'adorez pas? Sans doute, mais vous
faites avec bien plus de docilité tout ce que vous commandent votre .
ventre, l'or ou toute autre passion tyrannique; et c'est en
cela même que les Grecs sont abominables, parce qu'ils ont divinisé les passions :
l'amour sous le nom de Vénus, la colère sous celui de Mars, l'ivrognerie sous celui de
Bacchus.
Si vous ne leur taillez point de statues comme eux, vous ne vous inclinez pas avec moins d'ardeur devant ces mêmes passions, faisant ainsi, des membres du Christ, des membres de prostituée et vous plongeant encore dans d'autres iniquités. C'est pourquoi je vous exhorte ,à comprendre l'excès de cette démence et à fuir l'idolâtrie, puisque c'est le nom que Paul donne à l'avarice (Col. III, 5). Et ce n'est pas seulement la cupidité qui s'attache à l'orgueil qu'il faut fuir, mais aussi celle qui a pour objet le désir impur, les vêtements, la table, ou toute autre chose. Car nous serons bien plus sévèrement punis, si nous n'obéissons pas aux lois du Christ. En effet, il est écrit : « Le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne l'a pas exécutée, recevra un grand nombre de coups ». (Luc, XII, 47.) Afin donc d'éviter ce châtiment et d'être utiles (229) à nous-mêmes et aux autres, chassons de notre âme tous les vices et embrassons la vertu. Par là nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui la gloire, l'honneur, la force appartiennent an Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.