ANALYSE.
1 C'est par les épreuves et les tribulations que l'homme devient
meilleur et semblable à ce juste du poète païen; rien ne doit lébranler.
L'homme, être raisonnable, n'est pas destiné à une vie molle et oisive, mais il doit
lutter et combattre constamment, sans se laisser jamais abattre, à l'exemple de Daniel et
des trois jeunes hommes dans la fournaise.
2. La raison de sa confiance, c'est qu'il a pour protecteur un
chef invincible qui ne permettra pas que les biens des justes, si enfants, soient aux
mains des pécheurs. Il est si bon, du reste, qu'il ne nous punit que faiblement sur cette
terre, pour nous rappeler à lui et nous faire mériter les
récompenses éternelles. Mais il demande de nous un coeur droit ,
une lime franche et sans dissimulation : c'est à ces coeurs et à ces âmes qu'il promet
la paix sur la terre et au ciel.
l. Que signifie: « de Sion? » Pourquoi n'avoir pas dit simplement : « Comme une montagne, » au lieu de nommer cette montagne? C'est pour nous apprendre que nous ne devons pas perdre courage dans les épreuves ni en être accablés ; mais mettre en Dieu toute notre espérance et tout supporter avec courage, les guerres, les combats et les troubles. De même que cette montagne , qui avait été autrefois déserte et sans habitants , était revenue à sa prospérité première , et. dans son premier état, s'était de nouveau peuplée d'habitants et avait vu s'opérer des miracles; ainsi l'homme fort, malgré les malheurs sans nombre qui l'accablent, ne sera jamais renversé. Ne recherchez donc pas une vie exempte de soucis et de peines, hais courageuse au milieu des dangers. Il y a bien de la différence entre rester tranquillement au port, et traverser la mer en fureur. Dans le premier cas on devient mou , lâche et énervé; tandis que celui qui a eu à lutter contre les rochers cachés dans la mer, contre les écueils du rivage , la violence des vents et une foule d'autres périls et qui en a triomphé, a rendu son âme plus courageuse. C'est que cette vie ne nous a pas été donnée pour que nous la passions dans l'oisiveté , ou le découragement et à l'abri de l'adversité, mais afin que la souffrance nous rende plus illustres. Ne recherchez donc pas une existence oisive et inutile, semée de plaisirs et de délices. Ce n'est point là le désir d'un homme fort, d'un être raisonnable, mais plutôt d'un ver de terre , d'un animal sans intelligence. Priez surtout afin que vous n'entriez point en tentation ; que s'il vous arrive parfois d'y tomber, n'en soyez ni attristés, ni troublés, mais faites tous vos efforts pour en sortir meilleurs. Voyez un vaillant soldat: quand le clairon l'appelle il ne pense qu'au triomphe, à la (186) victoire, aux couronnes, aux exemples de ses ancêtres qui se sont signalés. Vous aussi, quand la trompette spirituelle sonne, résistez avec le courage d'un lion: qu'on vous oppose le fer ou le feu , avancez. Les éléments eux-mêmes savent respecter les mâles courages. Les bêtes féroces, elles aussi, ont coutume de craindre les hommes valeureux, et malgré la faim . malgré la nature qui les aiguillonne et les excite, elles oublient tout en présence du juste , elles mettent un frein à leur courroux. Soyez donc remplis d'une sainte ardeur et vous ne craindrez pas les flammes, quand même vous les verriez s'élever jusqu'au ciel. Vous avez un chef généreux et tout-puissant qui d'un simple signe peut faire disparaître tout ce qui vous importune. Il tient tout en son pouvoir: le ciel, la terre, la mer, les animaux sauvages, et le feu. Il peut tout transformer, tout mouvoir à son gré. Je vous demande donc d'où peuvent venir vos craintes, sinon de votre lâcheté et de votre nonchalance personnelle. La mort n'est-elle pas le plus grand de tous les maux? Eh bien ! ce n'est cependant qu'une dette que nous payons à la nature. Pourquoi ne travaillez-vous pas à vous la rendre profitable? Puisqu'il faut bon gré, mal gré , avancer dans cette vie, pourquoi ne serait-ce pas à notre avantage ? Aux rudes épreuves de ce monde succéderont les biens de l'éternité, qui seront une source de jouissances infiniment au-dessus de la douleur présente. Que si ces épreuves vous paraissent insupportables, songez à ceux qui , sans aucune récompense, se consument à la longue, en proie à une faim continuelle , à des maladies incurables et longues qui leur font souvent souhaiter la mort. On en a vu qui se sont poignardés, d'autres qui se sont pendus pour en finir avec la vie. Pour vous, qui avez devant les yeux et le ciel et les biens qu'il renferme, vous ne craignez pas, vous ne tremblez pas d'être mous et lâches, surtout quand vous avez un aide aussi puissant! Ecoutez donc le Prophète qui vous crie: « Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur sont fermes comme la montagne de Sion; » voulant nous faire entendre par cette montagne , que notre confiance cri Dieu doit être immuable, solide, invincible et inexpugnable. Car, de même que les machines les plus nombreuses et les plus puissantes ne sauraient ni renverser, ni ébranler cette montagne, ainsi celui qui a placé en
Dieu son espérance, résistera à toutes les attaques: il n'y a pas de montagne, en effet, dont la force puisse être comparée à la confiance en Dieu. « Celui qui demeure dans Jérusalem ne sera jamais ébranlé. » Une autre leçon porte « Il sera inébranlable à tout jamais celui qui demeure près de Jérusalem. »
Mais quoi ? Daniel et les trois enfants ne lurent-ils pas ébranlés? Nullement, car s'ils furent expatriés, conduits en captivité, ils ne furent pas ébranlés un seul instant. Et au milieu d'une si grande perturbation de toutes choses, malgré la violence des flots, ils étaient immobiles comme le rocher et restaient tranquilles dans le port, sans éprouver rien de pénible. N'appelez pas ébranlement , l'émotion causée par les événements de la vie. Etre ébranlé, c'est donner la mort à son âme , perdre sa vertu ; ce qui n'a pas lieu pour ceux qui sont sobres et vigilants au milieu des périls; leur sagesse au contraire, y puise une nouvelle vigueur et ils en sortent avec plus d'éclat. Si vous voulez entendre dans un sens anagogique ces paroles: « Celui qui demeure dans Jérusalem ne sera jamais ébranlé , » représentez-vous la cité céleste. Ceux qui y sont parvenus sont à l'abri des épreuves. Il n'y a rien qui puisse les faire déchoir, ni passions, ni plaisirs, ni occasion de pécher, ni douleur, ni ennui, ni danger: tout cela est bien loin. « Jérusalem est environnée de montagnes et le Seigneur est autour de son peuple pour le défendre dès maintenant et pour toujours (2). » Ces paroles signifient que Jérusalem tire un grand secours de sa position même, mais le Prophète ne veut pas qu'elle s'y confie, et il l'élève jusqu'à un autre secours inexpugnable , qui est Dieu.
2. Sans doute, dit le Psalmiste, les montagnes la défendent, mais il lui faut encore un protecteur qui la rende inexpugnable, selon cette parole d'un autre interprète: « Le Seigneur environne son peuple. » En d'autres termes, ne vous fiez pas à la hauteur des montagnes, car ce qui rend Jérusalem inexpugnable, c'est que « le Seigneur ne laissera pas toujours le sort des justes sous la verge des pécheurs(2). » Montrant ainsi aux justes un motif légitime d'attendre le secours de Dieu, et de s'y confier. Quel est ce motif ? C'est que le Seigneur ne laissera pas les biens des justes aux mains des pécheurs: paroles bien propres à nous faire confier dans l'assistance divine et (187) à persévérer dans la vertu, puisque c'est le moyen de jouir à jamais de son secours et de conserver nos biens. Il résulte de là, en effet, qu'il ne tient qu'à nous d'avoir la paix et de n'être pas dépouillés. Ici « la verge des pécheurs, » signifie le règne de nos ennemis et ce verset peut s'entendre ainsi : il ne permettra pas que les pécheurs s'emparent de l'héritage des justes. Si parfois le contraire a lieu pour un temps, c'est à titre de correction, de châtiment et de leçon. « De peur, que les justes a n'étendent la main vers l'iniquité.» Ou bien : « C'est pourquoi les justes n'étendent point les mains vers l'iniquité. » Comme il a été dit que le Seigneur les défendrait, les vengerait; repousserait leurs ennemis, et les maintiendrait dans leurs possessions, le Psalmiste semble ajouter maintenant: Châtiés par les épreuves et rendus meilleurs par les biens qu'ils auront reçus, les justes auront, pou r persévérer dans la vertu, un double motif qui les préservera du mal. Tout a donc été fait pour rendre leur âme meilleure ; l'adversité a servi à la corriger, et les faveurs reçues à augmenter son zèle. « Faites donc du bien, Seigneur, » ou bien, « accordez vos bienfaits à ceux qui sont bons et dont le coeur est droit (4). » Mais pour ceux qui se détournent dans les voies obliques, le Seigneur les joindra à ceux qui commettent l'iniquité (5).» C'est ainsi qu'en toute circonstance les biens que nous recevons, les châtiments que nous encourons, dépendent de nous. Toutefois, la bonté de Dieu n'en brille pas avec moins d'éclat, car elle triomphe de nos résistances par des récompenses qu'elle nous distribue avec une largesse extraordinaire. Tombons-nous en faute? elle ne nous inflige qu'une faible peine; tandis qu'elle paye le bien que nous avons fait par une récompense infiniment au-dessus de nos mérites.
Par « coeurs droits » on entend ici les coeurs simples, ennemis de la dissimulation, ignorant les détours ou les feintes. Dieu attache un tel prix à la droiture que partout il la met en première ligne. Telle est aussi la vertu, simple et franche, contrairement au vice qui est hideux, ami des détours et de l'obscurité. Des exemples feront mieux ressortir la chose. Voyez celui qui veut monter et dresser des embûches : que d'essais, que de tentatives variées, de discours trompeurs! quel artifice ! quelle éloquence ! Chez celui qui dit la vérité, au contraire, il n'y a ni travail, ni difficulté, ni feinte, ni art, ni fourberie, ni rien de semblable, car la vérité se montre assez par elle-même. Et comme les corps difformes ont besoin de beaucoup d'art et de déguisements pour masquer leur laideur naturelle, tandis que ceux qui sont naturellement beaux, se prisent assez, sans avoir besoin d'un éclat emprunté, ainsi en est-il de la vérité et du mensonge, de la vertu et du vice. D'où il résulte clairement, qu'indépendamment de la justice divine, le vice porte avec lui son supplice et la vertu sa récompense. Et' de même que celle-ci a en elle des récompenses qui précèdent les couronnes immortelles, ainsi le vice contient un châtiment qui devance la punition de Dieu. Car en fait de châtiment, y en a-t-il de plus grave que le péché lui-même ?Aussi saint Paul parlant de ceux qui exercent des métiers infâmes, en prostituant la fleur de l'âge et en renversant les lois de la nature, a-t-il proclamé que leurs actions étaient leur plus grand supplice, même avant tes châtiments de Dieu : « Les hommes commettant avec les hommes une infamie abominable, et recevant ainsi en eux-mêmes la juste peine qui était due à leur erreur. » (Rom. I, 27). Appelant ainsi récompense du péché, le péché lui-même et les excès auxquels il porte. « Que la paix soit sur Israël. » Le Psalmiste termine par une prière. Telles sont les âmes des saints : à l'exhortation, aux conseils, ils joignent la prière pour donner à leurs auditeurs le plus grand secours possible. Il s'agit ici non. de la paix terrestre, mais de celle qui est infiniment au-dessus. Le Prophète dit d'où elle vient et il demande que l'âme ne se jette pas dans un trouble funeste en entrant en guerre avec elle-même. Recherchons-la, nous aussi, cette paix, afin de pouvoir obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !