ANALYSE.
Dieu, quelque part qu'on l'invoque, exauce toujours nos prières.
Mais c'est à la condition qu'on s'abandonnera ! lui sans
réserve, n'ayant d'autre espérance que dans son secours. Il faut surfont se présenter
à lui avec les sentiments de l'humilité la plus profonde, car il ne hait rien tant que
l'orgueil.
On voit briller partout l'heureux fruit de la captivité , car ceux qui étaient attachés aux choses temporelles et qui mettaient leur confiance dans les Assyriens et les Egypliens , aussi bien que dans la puissance de leurs murailles et la quantité de leurs richesses, ont abandonné toutes ces espérances, pour se réfugier sous la main invincible du Seigneur, en laquelle seule ils espèrent, l'esprit tourné en haut et détaché des choses de ce monde. Comme ils ne peuvent plus aller, selon leur coutume, dans le temple qui a été détruit, ils invoquent enfin le Dieu du ciel. Quand nous disons qu'il habite dans le ciel, nous ne prétendons pas qu'il puisse être circonscrit dans un lieu: loin de nous une pareille idéel car il remplit tout. Mais c'est que le ciel est plus spécialement le siège de sa puissance et le lieu de son repos. N'est-il pas écrit aussi qu'il demeure parmi les hommes ? « J'habiterai en eux et je m'y promènerai. » (II Cor. VI, 16.) Donc, pendant que les Juifs demeuraient parmi les barbares, ils reçurent une grande leçon, car dans le dénuement où ils étaient, de toutes les choses de la vie, ils virent clairement comment Dieu , quelque part qu'on l'invoque, exauce promptement nos prières. Comme le rayon d'un nouveau genre de vie allait briller bientôt à leurs regards, le Prophète prélude aux événements futurs en soulevant peu à peu et d'une manière énigmatique le voile qui les cache.
« Comme les yeux des serviteurs sont attachés sur les mains de leurs maîtres et comme les yeux de la servante le sont sur les mains de sa maîtresse, de même nos yeux sont fixés vers le Seigneur notre Dieu, en attendant qu'il ait pitié de nous (2). » Ici encore, quelle piété ferme et solide ! Ils n'ont pas une espérance d'un instant, mais ils y demeurent constamment attachés et comme enchaînés. Aussi , par l'exemple qu'ils ont apporté , ils veulent nous faire comprendre qu'ils D'espèrent pas d'autre assistance ni d'autre secours, et que c'est vers Dieu seul qu'ils tournent leurs regards. C'est ainsi que la servante et le serviteur n'ont d'autre ressource pour préparer la nourriture, les vêtements et les autres choses (180) nécessaires que d'avoir recours à leurs maîtres. Ils ne se retirent point, ils attendent jusqu'à ce qu'ils aient reçu ce qu'il faut,, et après avoir reçu, ils rendent grâces, c'est là un devoir auquel ils ne manquent jamais. Voilà pourquoi le Psalmiste, pour nous faire comprendre que les Juifs ont les yeux tournés vers le Seigneur. et cela assidûment, qu'ils n'ont pas d'autre espérance et qu'ils sont tellement attentifs à attendre son secours qu'ils le regardent seul comme l'auteur de tout bien, a rappelé l'exemple de la servante et des serviteurs.
Remarquez comment ceux qui, avant leurs malheurs, avaient besoin d'être excités à recourir à Dieu et qui recevaient ces exhortations avec ennui et dégoût, sont devenus meilleurs. C'est à un point que maintenant ils ne veulent plus se passer de lui ; mais fidèles à son service ils l'invoquent jusqu'à ce qu'il ait pitié d'eux. Ils ne disent pas : En attendant qu'il nous ait satisfaits ou récompensés, mais, «Jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous. » Vous donc, chrétiens, persévérez avec constance dans vos prières, que vous receviez ou non ce que vous demandez. et quand même vous ne seriez pas exaucés tout de suite, ne vous retirez point, vous le serez plus tard. Si la persévérance de la veuve fléchit ce juge cruel dont parle l'Evangile (Luc, XVIII), quelle excuse feront valoir ceux qui sont si portés au découragement, à la paresse, au silence ? N'avez-vous pas remarqué comme les servantes sont sous la dépendance de leurs maîtresses, fixant sur elles leurs pensées et leurs regards? Qu'il en soit de même pou nous à l'égard de Dieu. Attachons-nous à lui seul, et mettant tout le reste de côté, soyons au nombre de ses serviteurs. Alors, tout ce qui nous sera utile, nous l'obtiendrons sûrement.
« Ayez pitié de nous; Seigneur, ayez pitié de nous, parce que nous sommes remplis de confusion et dans le dernier mépris (3). En « effet, notre âme est toute remplie (4). » Voilà bien le langage du coeur contrit. Les Juifs s'appuient sur la miséricorde du Seigneur pour demander leur salut, et cette miséricorde ils ne croient point la mériter, alors ils invoquent les grands châtiments qu'ils ont endurés, selon ce mot de Daniel : « Nous sommes réduits à un plus petit nombre que toutes les autres nations qui sont sur la terre. » (Dan. III, 37.) Ils s'écrient dans leurs prières : Nous avons enduré la dernière misère, nous avons été dé
pouillés de notre patrie et de notre liberté, conduits en esclavage chez tes barbares, depuis longtemps nous vivons dans l'opprobre, consumés par la faim, la soif et les privations de toutes sortes, nous n'avons cessé d'être conspués, foulés aux pieds; épargnez-nous donc, ayez donc pitié de nous. Mais que signifient ces mots : « Notre âme est toute remplie? » C'est-à-dire, notre âme a été fondue, anéantie par la grandeur de nos maux. Il y en a que l'excès du malheur trouve courageux, mais il n'en a pas été de même pour nous, l'affliction nous est insupportable et nous abat. C'est ainsi que Dieu leur fait payer par l'adversité l'abus qu'ils ont fait des honneurs, car il a coutume d'agir de la sorte en toute circonstance. Ainsi, avait-il puni Adam en le chassant du paradis terrestre, pour avoir abusé des avantages de ce séjour, et Eve trouva dans la servitude et la dépendance le remède à la faute qu'elle avait commise en voulant s'égaler à Dieu. De même, les Juifs que la liberté et une longue sécurité dans leurs foyers avaient rendus pervers et dissolus furent corrigés par l'excès contraire. Et maintenant qu'ils implorent la miséricorde de Dieu, ils lui disent : « Notre âme est toute remplie de confusion , étant devenue un objet d'opprobre aux riches et de mépris aux superbes. » Une autre version porte : « Notre âme est bien rassasiée des blâmes de ceux qui sont dans l'abondance et des mépris des superbes; » une troisième : « des railleries des arrogants, » ou bien, « du mépris de ceux qui sont dans l'abondance. » Mais toutes ces expressions ont le même sens et nous montrent les Juifs déplorant leur malheur en disant : « Notre âme est rassasiée de mépris. »
Les Septante renferment un autre sens que voici : Puissent nos maux, en accablant nos ennemis, leur faire éprouver ce qu'ils nous ont fait et rabattre ainsi leur force et leur orgueil ! C'est du reste, ce que nous voyons fréquemment., car le Seigneur a coutume d'abaisser les esprits superbes et d'humilier ceux qui s'élèvent., afin de les détourner de la voie qui les conduirait à leur perte. C'est qu'il n'y a rien de pire que l'orgueil. C'est là, en effet, que sont venues les tentations et les peines, la mort et tous les malheurs qui nous accablent, de là les souffrances et les maladies qui sont comme autant de freins destinés à réprimer l'âme superbe et enflée par l'orgueil. Ne vous (181) troublez donc pas, mes très-chers, lorsque vous êtes tentés, mais souvenez-vous de cette parole du Prophète : « Il est bon que vous m'ayez humilié, afin que j'apprenne vos ordonnances pleines de justice. » (Ps. CXVIII, 71.) Recevez le malheur comme un remède et sachez profiter de la tentation, alors vous pourrez acquérir une plus grande tranquillité. Puissions-nous en être trouvés dignes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.