ANALYSE.
1. Comme doit être entendu, en particulier, le texte ci-dessus,
et en général l'Ecriture sainte.
2. Jésus-Christ a vaincu le diable ; comparaison des bienfaits
accordés aux Juifs avec ceux dont les Chrétiens ont été comblés ; réfutation des
Anoméens.
3. La toute-puissance de Jésus-Christ éclate dans les moyens
qu'il a pris pour subjuguer le monde. S'il ne descendit pas de la croix, ce fut
pour rendre son triomphe plus glorieux.
4. Ce qu'il faut entendre par ces mots Eligit
nobis hereditatem suam Jacob, quam dilexit;
et Ascendit Deus in jubilo.
5. Cette trompette dont il est ici parlé n'est autre que la
commune voix des Apôtres. Siéger, pour Dieu, est la même chose que régner et
régner saintement.
1. Ce psaume traite aussi le même sujet, car il célèbre les victoires remportées et les tropliées conquis sur l'ennemi, il invite la terre tout entière à bénir ces heureux événements. Mais peut-être quelques personnes trouverontelles que c'est là pour des exhortations parties
du Saint-Esprit un exorde peu convenable, peu convenable aussi cette invitation qu'il nous fait d'applaudir à grand bruit, et de pousser des cris retentissants. En effet, te dira-t-on, cela n'est guère digne de ceux qui se réunissent dans cette enceinte pour y recevoir (56) un auguste enseignement: applaudir et claquer des mains, c'est plutôt le fait d'un habitué de théâtre ou de banquets, tandis que ce qui convient à des hommes élevés dans la grâce du Saint-Esprit c'est le calme et la décence. Quel est donc le sens, de cette parole, de quels cris, de quels applaudissements veut donc parler le Prophète ? Car c'est là l'habitude des soldats qui entrent en ligne de bataille et se préparent à combattre, je parle de ces cris et de ce grand bruit qu'ils font entendre pour intimider l'ennemi, tumulte bien étranger à la sérénité de l'âme chrétienne. Or le psaume nous commande de faire ces deux choses, d'applaudir et de crier. Que signifie cela? Ce n'est pas autre chose qu'une démonstration de joie, qu'un symbole de victoire. Ailleurs le prophète ne nous montre-t-il pas aussi les fleuves applaudissant ? « Les fleuves,» dit-il., « battront des mains à cette vue. » ( Ps. XCVII , 9. ) Isaïe en dit autant des arbres (Isaïe, LV, 12 ) ; il nous représente aussi les collines et les montagnes bondissant ( Ps. CXIII, 4), non pas pour nous faire croire que les collines et les montagnes bondissent, ou due les fleuves applaudissent et qu'ils ont des mains (ce serait le comble de la sottise), mais pour nous peindre une joie excessive. C'est ce qu'on peut voir même chez les hommes. Et pourquoi n'a-t-il pas dit : Réjouissez-vous et bondissez, mais : Battez des mains, et poussez des cris de joie ? Parce qu'il nous fait comprendre que c'est le signe d'une joie extrême. De même que le Christ, quand il dit ( Matth. VI,17) : « Mais vous, lorsque vous jeunez, parfumez votre tête, et lavez, votre visage, » ne nous invite pas à faire usage es essences ( car nul parmi nous n'a cette habitude), mais à témoigner que nous sommes dans la joie et que la gaîté règne dans notre ceèur (il veut en effet qu'on jeûne non pas avec la tristesse, mais avec la joie peinte sur le visage), de même en cette circonstance on nous ordonne, non pas de battre des mains, mais de montrer notre joie et notre bonheur en chantant le psaume. Il serait juste de rechercher plutôt dans ce psaume le sens anagogique , en se mettant au-dessus du fait historique. Car s'il commence et s'il débute par des images sensibles, il mène cependant l'auditeur dans les régions de l'idée pure.
Ce que j'ai dit plus haut, je vais le répéter il est des expressions qu'on doit prendre au
pied de la lettre, il en est d'autres qu'on ne doit admettre qu'avec un sens différent du sens littéral; comme dans ce cas-ci : « Les loups et les brebis paîtront ensemble. » (Isaïe, II, 6.) Nous n'irons pas croire qu'il s'agisse en réalité de loups et dé brebis, pas plus que de paille, de boeufs ou de taureaux. C'est une image qui, par la comparaison avec les animaux, nous sert à caractériser les moeurs des hommes. D'autres passages ont une double acception, une sensible pour l'imagination, et une intelligible pour l'entendement : comme nous faisons quand nous interprétons dans le sens mystique ce qui concerne le fils d'Abraham. Nous savons qu'il fut offert en sacrifice (Gen. XXII), et dans ce sacrifice du Fils notre esprit distingue un sens caché, il devine qu'il s'agit de la Croix. De même l'immolation de l'agneau pascal en Egypte est pour nous une image de la Passion. (Exod. XII.) C'est aussi ce que nous devons faire dans la circonstance présente. Car on ne parle pas seulement des Arabes et des peuples voisins, c'est un appel qui s'adresse à toutes les nations : « Parce que le Seigneur est le Très-Haut, celui qu'on doit redouter, parce qu'il est le grand Roi qui règne sur toute la terre. » Dès le début l'attention de l'auditeur s'éveille à l'annonce de tant de biens, et devant cette convocation solennelle de la terre entière, devant cette fête à laquelle Dieu et le Saint-Esprit prennent part, pour ainsi dire, devant cette sainte doctrine qui descend des cieux vers nous. Aussi nous dit-on « Applaudissez » c'est-à-dire « réjouissez-vous, bondissez de joie. » Telle est en effet l'invitation que nous adresse l'Evangile quand il dit : « Bondissez de joie. »(Luc, VI, 23.) En réalité il ne nous invite pas à sauter, à bondir (ce serait une inconvenance) : il nous peint la joie dans toute sa vivacité. Et certes l'événement dont il s'agit mérite qu'on s'en réjouisse beaucoup. Car toutes les terres que voit le soleil, l'Evangile les a parcourues, et l'univers a été sauvé, et ceux qui auparavant étaient les esclaves de l'erreur ont suivi une religion supérieure au culte des Juifs. « Vous toutes, ô nations, battez des mains !» Que ces mains, dit-il, ces mains impures, sacrilèges, que souillait chaque jour le sang répandu dans d'immondes sacrifices, ces mains avec lesquelles vous avez immolé des enfants, ces mains qui n'ont pas reculé devant l'infamie, qui ont violé la nature elle-même, que ces mains applaudissent aujourd'hui. (57) « Témoignez à Dieu votre allégresse par des cris ! » Que cette langue qui a servi à vos impuretés, qui a prononcé des blasphèmes, que cette langue répète avec des cris de joie l'hymne du triomphe. Les soldats , quand ils voient plier les bataillons ennemis, ont coutume non pas de continuer à combattre corps à corps, mais d'élever la voix tous ensemble pour achever d'abattre par leurs cris de victoire le courage de leurs ennemis, déjà ébranlé. Terminer la guerre en cessant d'employer la force, en se contentant de pousser des cris sans se servir de ses bras et de ses armes, n'est-ce pas la meilleure preuve d'une brillante victoire et du triomphe ?
2. C'est donc le Christ qui a tout fait: il a mis fin à cette guerre redoutable, il a enchaîné le puissant ennemi, il lui a ravi ses armes. Et comme il aime les hommes, il permet à ceux qui n'ont pas été à la peine de jouir des fruits de sa victoire et de ses trophées, il veut qu'ils se préparent à chanter l'hymne du triomphe comme ceux qui ont coopéré à la victoire. Ecrions-nous donc de notre voix la plus éclatante : «ô mort, où est ton aiguillon? Enfer, où est ta victoire? » (I Cor. XV, 55.) Et. « Dieu est monté au ciel au milieu des cris d'allégresse (6). » Ainsi s'exprime notre psaume. Et ailleurs . « Tu remontas sur les hauteurs du ciel , tu as fait la captivité captive ; tu as reçu des présents parmi les hommes. » (Ps. LXVII, 49 ; Eph. IV, 8). Les Juifs eux aussi entonnèrent jadis un chant de triomphe quand l'armée des Egyptiens fut submergée : « Chantons le Seigneur, »disaient-ils, « car il a fait éclater sa gloire. » (Exod. XV, 1. ) Mais notre chant de triomphe est bien au-dessus du leur; il célèbre non pas la chute des Egyptiens engloutis sous les flots, mais celle des démons, non pas la défaite de Pharaon, mais celle du diable : ce ne sont pas des armes sensibles qui ont été prises, mais c'est le mal' qui a péri, non dans les vagues de la mer Rouge, mais dans les eaux du baptême où l'on prend une nouvelle vie : ce ne sont pas des Juifs qui se dirigent vers la Terre promise, mais des Chrétiens qui quittent la terre pour le ciel, ils ne mangent pas la manne (Exod. XVI, 14), mais ils se nourrissent du corps de leur Seigneur (Jean, VI, 31 ), ils boivent, non pas l'eau qui coule du rocher, mais le sang qui jaillit du côté du Sauveur. (Exod. XVII, 6.) Aussi est-il dit : « Battez des mains » parce que, débarrassés de votre prison de pierre et de bois, vous avez porté vos pas dans les cieux et dans les cieux des cieux, que vous vous êtes ténus debout devant le trône même du roi. « Poussez donc des cris d'allégresse » en l'honneur de Dieu c'est-à-dire, à lui vos actions de grâce, à lui tout l'honneur de la victoire, à lui tout l'honneur du triomphe ! Ce n'était pas une guerre semblable à celle que se font les hommes entr'eux, ce n'était pas un combat sensible, ce n'était pas une lutte entreprise pour conquérir des choses nécessaires à la vie du corps, c'était une lutte qui avait pour objet la conquête du ciel lui-même, la conquête des biens que contient le ciel. C'est lui qui dirigeait cette guerre, c'est lui qui nous permet de prendre part à sa victoire. « Car le Seigneur est le Très-Haut, le Dieu terrible, le grand Roi qui règne sur toute la terre. »
Où sont-ils maintenant ceux qui veulent détruire la gloire du Fils unique ? Voici qu'on dit du Fils ce qui a été dit du Père, on l'appelle grand roi: « Ne jurez pas, » est-il dit, « ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu, ni par Jérusalem, parce que c'est là ville du grand roi. » (Matth. V, 34, 35.) Et ailleurs : « Il est le Dieu fort, le Dieu puissant. » (Isaïe, IX, 6.) Ce qui se dit d'un roi. Quand donc vous entendrez dire que votre Seigneur a été mis en croix, qu'il a été enseveli, qu'il est descendu aux enfers, ne soyez pas abattus, ne vous désespérez pas: car il est très-élevé, il est très-élevé de sa nature. Or ce qui est naturellement élevé ne saurait déchoir de son élévation,, et devenir bas et rompant: au milieu même de son abaissement, son élévation subsiste et se fait voir. Car c'est précisément après sa mort qu'il a montré surtout combien il était puissant contre la mort. « La lumière brille dans les ténèbres, » est-il dit, «et les ténèbres ne l'ont pas comprise.» (Jean, I, 5.) De même son élévation a brillé dans son abaissement. Voyez-le en effet ébranlant le monde du fond des enfers. Alors le soleil détourne ses rayons, les rochers se fendent, le voile du temple se déchire, la terre tremble, Judas se pend, Pilate et sa femme sont saisis d'effroi, le juge lui-même cherche à s'excuser. Quand donc vous entendrez dire qu'il a été lié et fouetté, ne rougissez pas : voyez plutôt comme il fait éclater sa force au milieu des fers. «Qui cherchez-vous?» (Jean, XVIII, 4.) Il dit, et sa parole les renverse à ses pieds. Voyez-vous combien il est redoutable, lui (58) dont la voix et le geste font de tels prodiges? Quand donc vous le verrez mort, représentez-vous la pierre du sépulcre soulevée, les anges debout avec crainte autour de son tombeau, les barrières de l'enfer brisées, la mort anéantie, les prisonniers délivrés, et alors vous comprendrez combien il est redoutable. S'il a fait, au jour de son humiliation, des choses si extraordinaires au ciel, sur la terre et dans les enfers, que ne fera-t-il pas le jour où il doit nous apparaître ? Ecoutez ce que disent, au temps de son humiliation, ces démons qui écumaient de rage, qui brisaient tous les liens, qui rendaient impraticable la route où ils avaient fixé leur séjour: « Fils de Dieu, qu'y a-t-il entre vous et nous ? Etes-vous venu ici avant le temps pour nous tourmenter? » (Matth. VIII, 29. ) S'ils ont parlé ainsi dans ce temps-là, que diront-ils quand il apparaîtra, quand les puissances des cieux seront ébranlées, que le soleil rentrera dans les ténèbres, que la lune refusera sa lumière ?(Math. XXIV, 29. ) Aussi est-il appelé « le Très-Haut, le redoutable. » Ce n'est pas tout: quelle parole sera digne de raconter ce grand jour, quand il enverra ses anges sur toute la surface de la terre, quand tout chancellera, quand la terre tremblante s'ouvrira pour rendre les morts déposés dans son sein, quand les corps se dresseront par milliers, quand le ciel se repliera sur lui-même comme un tapis qu'on enroule, quand on établira le redoutable tribunal, quand on verra couler les fleuves de feu, quand les registres seront ouverts, quand ce que chacun a fait dans les ténèbres paraîtra au grand jour, quand les pécheurs commenceront à subir leurs peines, leurs supplices épouvantables, quand viendront les puissances au front menaçant, quand les longues épées effilées seront tirées du fourreau, quand les coupables seront entraînés vers la géhenne, quand tous, rois, chefs d'armées, consuls, gouverneurs de provinces seront payés suivant leurs mérites, quand s'avancera le peuple innombrable des anges, quand les martyrs, les prophètes, les apôtres, les pontifes, les moines s'avanceront par troupes, quand seront distribuées ces récompenses ineffables, ces prix, ces couronnes, ces biens que l'esprit ne peut concevoir? (Dan. VII, 9. )
3. Quelle parole pourra reproduire ce tableau ! Si le Prophète qui a entrepris de raconter la création s'est avoué vaincu et a reculé devant sa tâche en disant : « Qu'ils sont grands tes ouvrages, ô Seigneur (Ps. XCI, 5) ! si saint Paul, ne considérant la Providence que sous un seul aspect, s'est écrié : « O profondeur des trésors (Rom. II, 33) ! » que dira celui qui voudra peindre ce grand jour? Le Prophète ayant prévu tout cela, disait : « Le Seigneur est très-haut, il est redoutable, il est le grand roi qui règne sur toute la terre, » faisant allusion à la délivrance universelle. Sans doute avant ce moment-là il n'en était pas moins le grand roi, mais on ne le savait pas. Car « le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu.» (Jean, I, 10. ) Aujourd'hui il a mis ordre à cela, et c'est en nous unissant à lui qu'il s'est fait reconnaître pour le grand roi. Comment ne serait-il pas le grand roi, lui qui prit de pauvres pêcheurs, dépourvus d'instruction, sans éducation, au nombre de onze, tous gens obscurs, sans patrie, plus muets que leurs poissons, qui ne portaient qu'un seul vêtement, n'avaient point de chaussures, étaient nus, et les envoya aux quatre coins du globe (Matth. X, 9 ; Luc, X, 4), et qui soumit l'univers comme s'ils n'avaient eu qu'à donner des ordres ? En vérité voici encore qui est le fait d'un grand roi: il a purgé la terre de l'erreur, en un instant il a ramené la vérité, il a détruit la tyrannie du diable, lui qui, même avant d'avoir des sujets, était un grand roi sans avoir besoin d'exercer sa puissance sur des esclaves, sans avoir besoin de revêtir un brillant costume : il était grand roi par sa propre nature. « Moi, » dit-il, «je suis né pour cela. » (Jean, XVIII , 37.) Voici encore qui révèle un grand roi: sa majesté n'est pas une majesté empruntée, il n'a besoin de personne pour être roi, il fait tout ce qu'il veut. « Allez, » dit-il, « et « instruisez toutes les nations (Marc, XVI, 15), » et l'effet a suivi sa parole. « Je le veux, sois purifié. (Math. VIII, 3.) Je te le dis, démon « sourd, retire-toi de lui. Tais-toi, ferme la bouche. (Marc, IX, 24 ; et IV, 39.) Allez au feu qui a été préparé pour le diable. Avancez-vous, et recevez pour votre part la royauté qui vous était destinée avant que les fondements du monde fussent jetés. » (Matth. XXV, 41 et 31.) Voyez-vous comme son pouvoir, comme sa toute puissance éclatent de toutes parts? Il a su si bien se rendre maître de ses sujets qu'il leur a persuadé qu'il vaut mieux sacrifier sa vie que de lui désobéir. Un roi se fait honorer par ses sujets, lui comble ses sujets d'honneurs. Aussi les autres rois ne sont-ils rois que de nom, (59)
tandis qu'il est roi en réalité. Il est un grand roi lui qui a fait descendre le ciel sur la terre, qui des barbares a fait des philosophes et leur a inspiré le désir d'imiter les anges. « Il nous a assujetti les peuples, et a mis les nations sous nos pieds. » O prodige ! à ceux qui l'ont mis en croix, il a persuadé qu'ils devaient l'adorer, à ceux qui l'insultaient, qui le blasphémaient, qui étaient attachés à des idoles de pierre, il a enseigné qu'il fallait sacrifier leur vie pour ses doctrines. Si les apôtres ont réussi, ils l'ont dû non pas à eux-mêmes mais à celui qui leur ouvrait le chemin, et qui donnait l'élan à leur âme. Et comment le pêcheur ou le faiseur de tentes auraient-ils changé la face de ce globe immense, si sa parole n'avait supprimé les obstacles? Magiciens, tyrans, orateurs, philosophes, en un mot tous leurs adversaires étaient devant eux comme de la poussière et comme de la fumée qu'ils ont dispersées et dissipées: c'est ainsi qu'ils ont semé la lumière de la vérité, sans avoir recours aux armes ou aux richesses, et en se servant de la parole toute seule; ou plutôt leur parole n'était pas toute seule, elle était plus puissante que toute action. Et comment ? Ils invoquaient le nom du Crucifié et la mort disparaissait, et les démons prenaient la fuite, les maladies cessaient, les infirmes recouvraient la santé, le mal était chassé, les dangers supprimés, les éléments confondus.
Quand donc on nous dira : Pourquoi ne s'est-il pas secouru lui-même sur la croix? répondons que ceci même est plus admirable. Car les conséquences n'auraient pas été les mêmes s'il était descendu de la croix , au lieu d'y rester pour qu'ensuite son nom eût le pouvoir de ressusciter un si grand nombre de morts. Ce qui prouve qu'alors, s'il resta sur la croix , ce fut de sa propre volonté, ce sont les événements qui suivirent. Celui qui arracha à la mort ceux dont elle s'était emparée avait encore plus la: puissance de la chasser avant qu'elle se fût abattue sur lui: lui, qui donna la vie aux autres, pouvait encore plus se la donner à lui-même, ce qu'il fit lorsque trois jours après il usa de sa toute-puissance pour se ressusciter. Et cela il l'a prouvé par ce qui suivit, puisque son nom, lorsqu'il s'est agi du corps des autres, a eu assez de pouvoir pour mettre la mort en fuite quand on l'a invoqué, on ne saurait mettre en doute que, quand il s'est agi de lui-même, il aurait pu déployer sa puissance et dompter la mort. « Il nous a assujetti les peuples et a mis les nations sous nos pieds. » Voyez la sagesse du Prophète qui dit tout avec exactitude. Car cette réflexion des apôtres : « Pourquoi nous regardez-vous, comme si c'était par notre puissance ou par notre piété que nous avons fait marcher ce boîteux (Act. III, 12) ? » nous la retrouvons longtemps auparavant chez le Prophète. Ces mots « sous nos pieds » montrent l'assujettissement, ou plutôt un grand assujettissement. Et si vous voulez savoir la mesure de cet assujettissement, écoutez : « Tous ceux qui se trouvaient posséder des champs ou des maisons, les vendaient et en apportaient le prix qu'ils déposaient aux pieds des apôtres. » (Act. IV, 34.) D'autres sacrifièrent et leurs richesses et leur vie. Car il est dit: « Ils ont exposé leur tête pour me sauver la vie. » (Rom. XVI, 4.) Dans une autre épître il est encore dit : « Vous étiez prêts, si cela eût été possible , à vous arracher les yeux pour me les donner. » (Gal. IV, 15.) En écrivant aux Corinthiens le même saint Paul leur disait
« Considérez coin bien cette tristesse, selon Dieu, que vous avez ressentie, a produit en vous non-seulement de soin et de vigilance, mais de satisfaction envers vous-mêmes, d'indignation contre cet incestueux, de crainte de la colère de Dieu, de désir de nous revoir, de zèle pour nous défendre, d'ardeur à venger ce crime. » (II Cor. VII, 11.) Tellement on craignait, on redoutait les apôtres ! Saint Luc lui aussi écrivait : « Aucun des autres n'osait se joindre à eux, mais le peuple leur donnait de grandes louanges. » (Act. V, 13.) Ailleurs, il est dit : « Que voulez-vous? Irai-je vers vous la verge à la main, ou avec un esprit de douceur et de charité ? » (I Cor. IV, 21.)
4. Avez-vous vu l'autorité et la puissance des apôtres? Or tout cela était l'oeuvre des paroles qu'il avait prononcées en les congédiant : « Je suis avec vous. » (Matth. XXVIII, 20.) C'était lui qui marchait devant eux et détruisait les obstacles, c'était lui qui apprivoisait tous les coeurs et qui changeait la résistance en docilité. Cependant la guerre régnait partout , ce n'étaient partout qu'écueils et que précipices, on ne savait où appuyer le pied, où se tenir ferme. Tous les ports étaient fermés, toute maison close, toutes les oreilles sourdes. Cependant à peine s'étaient-ils avancés et avaient-ils parlé qu'ils avaient renversé les remparts élevés par (60) leurs ennemis à qui ils persuadaient de sacrifier leur vie et de braver désormais tous les dangers pour la doctrine qu'ils venaient leur enseigner. « Il a choisi dans nous son héritage; savoir, la beauté de Jacob qu'il a aimée. » Un autre dit « la glorification de Jacob. » Voyez combien cette prophétie est exacte. Plus haut il a été dit : « Il nous a assujetti les peuples et les nations. » D'abord en effet les Juifs se sont approchés, d'abord au nombre de trois mille, puis au nombre de cinq mille, ensuite est venu le tour des nations. Car Jésus disait aussi : « J'ai d'autres brebis, et il me faut les amener, et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur. » (Jean, X, 16.) Ensuite pour que ces mots : « Il a choisi dans nous son héritage, » ne vous troublent ni ne vous inquiètent, et ne vous donnent pas l'idée de vous écrier : Comment donc se fait-il que les Juifs soient encore incrédules ? il y a joint un correctif destiné à vous sortir d'embarras. Quant à lui c'était surtout les Juifs qu'il avait en vue, et, en ce qui le concerne, il n'en a laissé aucun. Si vous voulez connaître toute sa pensée, écoutez ce qui suit immédiatement, car il ajoute « à savoir la beauté de Jacob, qu'il a aimée . » Par ces mots il me semble désigner les fidèles, comme saint Paul lorsqu'il disait : « Ce n'est pas que la parole de Dieu soit tombée, hors du sillon : car tous ceux qui descendent d'Israël, ne sont pas pour cela Israélites; mais Isaac sera ton fils. C'est-à-dire que les enfants selon la chair ne sont pas pour cela les enfants de Dieu; mais que ce sont les enfants de la promission qui sont comptés au nombre de ses enfants. » (Rom. IX, 6-8 (1).) On peut dire que les fidèles sont la beauté du peuple. En effet, quoi de plus beau que ceux qui ont cru ?
Il appelle une nation son héritage, non qu'il ait jamais négligé les autres, mais il veut montrer l'intensité de son amour pour ce peuple, son désir de se l'attacher, la façon particulière dont il se l'était approprié, et la providence spéciale qui s'étendait sur lui. Et pour mieux vous rendre compte de la véracité du Prophète, voyez comme il se sert du langage populaire, de ce langage usité dans les marchés. Bien souvent ceux qui viennent acheter appellent « beaux » les objets qui sont de meilleure qualité que les autres.
1 Saint Jean Chrysostome a passé quelques mots de l'épître aux Romains.
C'est donc pour montrer que tous ne seront pas sauvés qu'il dit « à savoir la beauté de Jacob. » Pensée qu'on découvre encore dans les Evangiles à travers mille paraboles. Dieu « est monté au milieu des cris de joie (6). » On n'a pas dit Dieu a été enlevé, mais « est monté : » montrant par là qu'il n'a pas eu besoin d'une main étrangère pour s'élever en haut, mais qu'à lui seul il a su se frayer sa route. Elie qui eut moins de chemin à parcourir que le Christ, fut entraîné par une force autre que la sienne. (IV Rois, II, 11.) Car il n'était pas au pouvoir d'un simple mortel de se transporter sur une route interdite à tous les hommes. Le Fils unique est monté par l'effet de sa propre puissance. C'est ce qui fait dire à saint Luc : « Et ils le regardaient fixement pendant qu'il s'élevait vers les cieux. » (Act. I, 10.) Il n'a pas dit : pendant qu'on l'enlevait ou pendant qu'on l'emportait, car il s'élevait tout seul. Et si, avant qu'il fût mis en croix, les eaux l'ont porté quand il était encore enfermé dans un corps lourd et sur lequel avaient prise les maux de l'humanité, quoi d'extraordinaire s'il a fendu les airs quand il n'avait gardé que la partie incorruptible de son être ?
Mais pourquoi ces mots : « Au milieu des cris de joie? » Est-ce qu'on a poussé des cris de joie quand il est monté? Tout s'est passé en silence, et il n'y avait de présents que ses onze disciples. Vous voyez bien qu'il ne faut pas prendre les Ecritures au pied de la lettre, il faut encore comprendre le sens caché qu'elles renferment. Ce que je disais, en commençant l'explication de. ce psaume que cette expression : « cris de joie, » désignait quelque autre chose, à savoir la victoire et le triomphe, je dois le répéter à l'occasion de ce passage, où il est dit, qu'il monta « au milieu des cris de joie, » c'est-à-dire au sein de la victoire, après avoir terrassé la mort, renversé le péché mis les démons en fuite, banni l'erreur, après avoir tout changé pour tout améliorer, après avoir rendu à l'humanité son ancienne patrie, ou plutôt une patrie bien plus belle. Quand il s'est montré, rien ne lui a résisté, ni la tyrannie du péché, ni là puissance de la mort, ni la force de la malédiction, ni l'intensité de la corruption et du mal, ni aucune des choses semblables; mais il a brisé tout cela comme une toile d'araignée , et les phalanges des démons , et les efforts du diable, il a tout vaincu et ne s'en est allé qu'après avoir mené (61) à bonne fin tout ce qu'il avait entrepris.
5. C'est pourquoi saint Paul, racontant le triomphe du Sauveur, disait : « Ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues par sa croix. » (Coloss. II, 15.) Et ailleurs : « Il a effacé par son sang la cédule qui s'élevait contre nous dans ses décrets ; il a entièrement aboli cette cédule qui nous était contraire, il l'a abolie en l'attachant à sa croix. (Ibid. 14.) Et le Seigneur dans « la voix de la trompette. » C'est toujours la même figure, on veut parler d'une brillante victoire. Ici il faut ajouter quelque autre chose à l'expression, une idée de bruit, d'éclat, d'évidence. Cependant, quand cet événement eut lieu, nul ne s'en aperçut, mais il se manifesta plus tard avec tant d'éclat, qu'on eût dit le son d'une trompette retentissante, ou quelque son bien plus perçant encore. Car cet événement, si secret alors, a été connu de presque tous ceux qui habitent la terre, et il s'est si bien révélé par la force des choses, qu'on eût dit le son d'une trompette retentissante, ou quelque son bien plus perçant encore. Car les sons de la trompette n'auraient pas été aussi puissants pour appeler tous les hommes à ce spectacle, que le fut plus tard la voix même des choses quand elle fit connaître l'ascension du Sauveur; ce miracle, elle le proclama avec un bruit plus éclatant que tous les bruits de la foudre. La terre n'aurait pas entendu le tonnerre aussi distinctement que la proclamation de ce miracle se fit entendre de ceux qui vivaient alors, aussi distinctement qu'elle se fera entendre de ceux qui vivront plus tard. Le tonnerre ne se fait entendre que dans le moment présent, tandis que la voix des choses a transmis le souvenir de ce miracle à toutes les générations avec plus d'éclat que la trompette, avec plus de retentissement que le tonnerre.
On ne se tromperait pas si l'on disait que la bouche des apôtres était une trompette, non pas une trompette d'airain, mais une trompette plus précieuse que l'or, plus précieuse que les diamants. Pourquoi cette expression : « Dans la voix de la trompette? » C'était pour montrer son esprit de concorde, comme le témoigne aussi saint Paul : « Ainsi, soit que ce soit moi, ou eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons. » (I Cor. XV, 11.) Et ailleurs : « Toute la multitude de ceux qui croyaient n'avait qu'un coeur et qu'une âme. » (Act. IV, 32.) Le son de cette trompette n'appelait pas les hommes au combat, mais il leur annonçait le triomphe et la bonne nouvelle. Dans les armées, quand on part pour la guerre, les trompettes avec les étendards donnent le signal et la direction de la marche; les soldats présents dans le rang sont animés et parce qu'ils voient et par ce qu'ils entendent : c'est aussi ce qui se passait alors. Dans chaque ville où pénétraient les apôtres, leur trompette retentissait et tous accouraient pour entendre. « Chantez à la gloire de notre Dieu; chantez, chantez à la gloire de notre Roi, chantez (7). Chantez avec sagesse, parce que Dieu est le roi de toute la terre (8). Dieu a régné sur les nations (9). » Après avoir décrit la grandeur du triomphe, l'auteur du psaume invite la terre à témoigner sa joie et son zèle : aussi répète-t-il deux fois le même mot. Il ne dit pas simplement de chanter, il dit aussi : « Chantez avec beaucoup de sagesse. » Que faut-il entendre par ces mots : « Chantez avec sagesse? » C'est-à-dire après avoir pris connaissance des faits, et compris la grandeur des événements. Pour moi, je crois que ces mots : « avec sagesse, » cachent encore une autre signification : ce n'est pas seulement notre voix, ce n'est pas seulement notre langue , mais aussi nos actions et notre vie qui doivent chanter à la gloire de Dieu. Car Dieu, dit-il, « a régné sur les nations, » et comme dit un autre : « Au-dessus des nations. » De quelle royauté veut-il parler là? non pas de cette royauté qui appartient à Dieu par le droit de la création, mais de cette royauté qui lui appartient pour l'avoir appelé à lui. Auparavant sans doute il régnait sur toutes choses, puisqu'il a fait et créé toutes choses : mais aujourd'hui il règne sur des sujets dociles et reconnaissants. Ce qui doit surtout provoquer nos actions de grâces et exciter notre admiration, c'est que celui qui, auparavant, était insulté par les Juifs, a opéré dans le monde un tel changement, qu'on le chante en tous lieux, et que ceux qui n'ont pas lu les prophètes, qui n'ont pas été élevés dans la Loi, qui vivaient à la manière des bêtes sauvages, ont été changés tout d'un coup, ont rejeté toutes les séductions de l'erreur et se sont soumis. Et ce n'est pas deux ou trois, ou quatre nations. ni dix, qui (62) se sont ainsi converties, c'est toute la terre.
« Il est assis sur son trône! » Oui, il règne, il commande. Et le Psalmiste a bien dit sur son saint trône. Car, il ne règne pas seulement, il règne aussi avec sainteté? Qu'est-ce à dire , il règne avec sainteté ? Oui , avec pureté. Les hommes qui parviennent à la royauté, usent de leur puissance même pour commettre l'injustice; mais sa royauté à lui est exempte de telles souillures, elle est pure, elle est sainte. Ni la tromperie, ni rien de pareil ne corrompt ni ne circonvient son tribunal qui est sans tache, qui est pur d'une rayonnante pureté, qui défie toute comparaison et qui brille d'une gloire ineffable. « Les princes des peuples se sont assemblés et unis avec le Dieu d'Abraham, parce que les puissants de Dieu sur la terre ont été extraordinairement élevés (10). »
6. Dans ce passage on nous montre tout l'essor de l'Evangile qui ne s'est pas adressé seulement aux particuliers , mais encore à ceux-là même qui portent le diadème et qui sont assis sur le trône royal. Ensuite pour nous montrer qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu pour l'Ancien comme pour le Nouveau Testament, il est dit « avec le Dieu d'Abraham, » pour : avec le Dieu de vos pères, avec celui qui leur a donné la loi. C'est pourquoi Jérémie a dit : « Je vais faire une nouvelle alliance avec vous, non selon l'alliance que je fis avec vos pères, en ce jour où je les pris par la main pour les emmener hors de la terre d'Egypte (Jér. XXXI, 31, 32), » montrant par là que l'ancienne et la nouvelle loi n'ont qu'un seul et même auteur qui est notre Dieu. Baruch lui aussi a dit : « Celui-ci est notre Dieu, on n'en comptera pas d'autre après lui. Il a trouvé toutes les voies de la science et il a guidé Jacob, son fils, et Israël, son bien-aimé; après cela il a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes (Baruch. III, 36-38), » montrant par là que Celui qui a donné la loi est le même qui s'est fait chair et que Celui qui s'est fait chair est aussi le même qui a donné la loi. Le Prophète dit encore ceci «Ils se sont assemblés et unis avec le Dieu d'Abraham. » Le texte hébreu, au lieu de «avec le Dieu d'Abraham, » porte : « Em Elôï Abraam. » Et comment cela s'est-il fait ? « Parce que les puissants de Dieu sur la terre ont été extraordinairement élevés. » Quels sont ceux qui représentent la puissance de Dieu ? Ne sont-ce pas les apôtres , s'il est vrai que de tous les hommes ils ont fait des fidèles (1) ? Puisqu'il est dit que leur puissance a brillé d'un tel éclat et qu'ils ont tout vaincu. Et c'est avec raison qu'ils sont appelés puissants. Comment ne le seraient-ils pas, eux qui ont livré bataille à la terre entière, aux démons, au diable, aux cités, aux nations, aux tyrans, aux châtiments, aux supplices, aux grils (2), aux fournaises, aux coutumes, à la tyrannie de la nature (3), qui ont tout vaincu, qui se sont élevés au-dessus de tout et n'ont été arrêtés par rien ? Comment ne le seraient-ils pas, eux qui même après leur mort ont déployé une si grande force ? Comment ne le seraient-ils pas, eux dont les paroles plus fermes que le diamant, loin de céder sous les efforts du temps, vont gagnant du terrain de jour en jour, répandant la bonne nouvelle partout, et dans toutes les directions, et jusqu'aux extrémités de la terre habitée ? Pour toutes ces choses, rendons grâces à Dieu qui aime les hommes, car c'est à lui qu'appartiennent la gloire et la puissance, et maintenant et toujours , et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
1. Passage controversé. La traduction latine , quinam sunt autem Dei fortes, nisi apostoli, fidèles omnes ? ne rend pas le et du grec et semble ranger tous les fidèles au nombre de ceux qui représentent la puissance de Dieu.
2. Il y a dans le texte poêle à frire. Comme il s'agit du supplice du feu, j'ai cru pouvoir y substituer le mot gril.
3. Un manuscrit ajoute aux princes, aux rois, à la faim et à la soif, à la mort.