ANALYSE.
1-2. Qu'il ne faut pas se fier aux ressources humaines qui ne sont
rien , mais a Dieu qui fait tout ce qu'il lui plaît avec la
plus grande facilité. La bonté de Dieu est comme un grand fleuve qui verse ses
eaux sur le monde.
3. De la paix apportée sur la terre par le Christ. La
colère de Dieu désignée par le feu.
1. Le prophète use de la méthode qui lui est familière, il détourne l'auditeur des choses de cette vie, et il l'élève à l'espérance des biens supérieurs. Ne me parlez ni d'armes, ni de remparts, ni de fossés, dit-il, ni de vos richesses surabondantes, ni de votre habileté dans l'art de la guerre, ni de la multitude de vos chevaux, ni de vos ares, de vos flèches, dé vos cuirasses, de vos nombreux auxiliaires, de vos superbes phalanges, de vos corps robustes, de votre expérience, des forces de l'ennemi. Tout
cela n'est qu'une toile d'araignée, une ombre, moins encore. Voulez-vous que je vous montre une puissance inexpugnable, un refuge imprenable, une forteresse inviolable, une tour inébranlable? recourez à Dieu, assurez-vous sa protection puissante. Elle est belle et juste l'expression : « Dieu est notre refuge et notre force, » elle montre que c'est tantôt en fuyant, tantôt en résistant et en combattant que nous remportons la victoire. C'est qu'en effet il faut faire ces deux choses suivant l'occasion, (52) et marcher en avant et battre en retraite. Saint Paul agissait de la sorte : tantôt il cédait à ses adversaires, tantôt il leur résistait et marchait contre eux armé de la parole de vérité. Le Christ lui-même en usait ainsi pour notre instruction. Faisons de même nous aussi, sachons discerner avec exactitude l'opportunité des temps, craignons la tentation, et pour n'y pas entrer, faisons la prière qui se trouve dans l'Evangile; mais, une fois la tentation venue, plus de faiblesse, mais une résistance généreuse. « Notre auxiliaire puissant dans les afflictions qui vous ont visités. » Ce que j'ai déjà dit bien souvent, je le répète encore : Dieu ne nous préserve pas toujours des assauts des tribulations, mais dès qu'elles nous assaillent, il nous assiste pour nous donner une fermeté dans le bien qui soit à toute épreuve. Quant au mot du texte qui signifie « puissamment, » c'est à « Auxiliaire » qu'il faut le joindre. En effet, ce n'est pas un secours tel quel qu'il nous prête, c'est un secours surabondant, un secours qui nous procure plus de consolations que les afflictions ne nous apportent de peine. Il ne proportionne pas strictement son aide à la gravité de nos périls, il dépasse toujours cette mesure. « C'est pourquoi nous ne serons pas saisis de crainte, » dit le Prophète, « quand la terre serait bouleversée. » Voyez-vous comment le secours accordé surpasse l'épreuve soufferte, avec quelle surabondance il arrive? Le Psalmiste ne dit pas seulement : nous échapperons au danger, nous ne périrons pas, mais : nous n'éprouverons pas même ce qui. semble le propre de la nature, je veux dire la terreur et la crainte. D'où vient cela? de la surabondance de secours qui nous arrive.
Par ces mots de « terre, » de « montagnes, » de « coeur des mers, » le Psalmiste ne veut pas parler proprement des éléments, ce sont des expressions figurées pour dire des dangers insurmontables. Quand même, dit-il, nous aurions devant nos yeux une confusion , un bouleversement universels, immenses, des événements tels que le monde n'en vit jamais, une collision formidable éclatant au sein de la créature divisée, la nature troublée; ses limites déplacées, les fondements du monde ébranlés, les éléments rentrant dans le chaos, en un mot la perturbation la plus effrayante qui se puisse imaginer, non-seulement nous serions sauvés, mais nous ne craindrions pas même pour notre salut. Et pourquoi? parce que le Maître de toutes choses nous donne son recours, nous tend la main, nous assiste. Si la menace de semblables catastrophes ne saurait nous faire céder et faiblir, combien moins le pourraient des ennemis s'avançant contre nous, même en bataille rangée. « Leurs eaux ont fait un grand bruit et ont été agitées. Les montagnes ont été ébranlées dans sa force (4). » Selon un autre interprète : « Le bruit et le tumulte des eaux et l'ébranlement des montagnes se font dans la glorification de Dieu. » Après avoir dit qu'ils ne craindraient pas même au milieu d'une collision de tous les éléments, le Psalmiste parlé de la puissance de Dieu, et dit que rien ne résiste à sa force. C'est comme s'il disait : nous avons raison de ne rien craindre, car ce qu'il fait maintenant ne diffère pas de ce qu'il fait toujours, c'est-à-dire qu'il publie sa puissance par les phénomènes de la création comme par les événements de l'histoire:
Ce que dit le Psalmiste revient à ceci : il secoue, il agite, il transforme tout, comme il lui plaît; tellement tout. lui est aisé et facile. Et il me semble qu'il a en vue, quand il parle ainsi, des multitudes de vaillants hommes, des ennemis de haute puissance, des adversaires disposant d'un peuple innombrable. Telle est la puissance de Dieu, veut dire le Psalmiste, qu'il n'a simplement qu'à vouloir pour que toutes ces choses existent. Comment donc pourrions-nous craindre, ayant un tel maître? « Changement de rhythme (1). » Un autre interprète met : « Toujours. Le cours impétueux (5); » suivant un autre : « les divisions du fleuve ; » suivant l'hébreu : « phalagau, a réjouissent la cité de Dieu; le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. » Suivant un autre
« sanctuaire de l'habitation du Très-Haut. « Dieu est au milieu d'elle; elle ne sera point ébranlée; Dieu la protégera dès l'aube du jour (6) ; » suivant un autre: « dès l'aurore; » suivant un autre : d au premier signe du ma« tin. » Après avoir parlé de la puissance de Dieu, dé sa force irrésistible, de la facilité avec laquelle il fait toutes choses, l'auteur passe à la protection dont sa providence couvre les Juifs, et en peu de mots il nous met sous les yeux les biens qu'il leur a départis. Comme s'il
1 Les Septante, Théodotion et Symmaque traduisent par diapsatma (qua vote designari volunt canendi vices aut flexus, dit Bossuet, dissert. de Psal.), et Aquila par Aei , le mot hébreu Sela que l'on trouve souvent au milieu et quelquefois à la fin des psaumes.
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disait: or ce Dieu si puissant, si fort, si redoutable, qui porte et conduit tout, qui secoue, remue tout, a comblé notre cité de mille bienfaits. Car le mot « fleuve » est mis ici pour exprimer l'abondance des largesses d'en-haut et leur inépuisable épanchement. Tous les biens, semble-t-il dire, coulent sur nous comme de sources intarissables. De même qu'un fleuve divisé en mille canaux arrose les contrées subjacentes, ainsi la bonté de Dieu s'épanche de toutes parts sur nous, à flots abondants et tumultueux, remplissant tout de ses ondes bienfaisantes. Avec une entière sûreté, un secours incessant, elle nous procure encore une grande joie spirituelle; ce que le Psalmiste veut dire par les mots : « Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. » Et ce n'est pas là le moindre des bienfaits pour une ville, qu'elle soit appelée le tabernacle de Dieu.
2. Et l'expression de « Très-Haut» n'est pas mise là au hasard, elle fait entendre que celui qui est élevé, celui qu'aucun lien ne peut contenir, que la substance illimitée ! a daigné appeler la ville des Juifs son sanctuaire et qu'il l'embrasse de toutes parts. C'est ce que veulent dire ces mots: « Au milieu d'elle , » ainsi que ceux-ci qu'on lit ailleurs: « Voici que je suis avec vous. » (Matth. XXVIII, 20.) Il l'enveloppe de toutes parts; c'est pourquoi, non seulement elle ne souffrira aucun dommage, mais elle ne sera pas même ébranlée, la raison en est qu'elle peut compter sur le secours le plus prompt, son protecteur étant toujours disposé et prêt à agir. Car voilà le sens de ces mots, « Dès l'aube du jour; » ils marquent qu'il s'agît d'un protecteur qui n'est jamais en retard, qui ne vient point avec lenteur, dont la force est toujours jeune, vigoureuse, et qui ne manque jamais quand l'heure est venue. « Les nations ont été troublées (7); » un autre « les nations se sont rassemblées. Les royaumes ont penché. Le Très-Haut a fait entendre sa voix; la terre a été ébranlée. »
Ici le Psalmiste montre l'énergie des secours. Il ne s'agit pas d'assaillants tels quels; mais des rois, des nations se liguent de toutes parts pour bloquer, pour assiéger une seule ville, et celle-ci non-seulement ne souffre aucun dommage, mais elle surmonte, elle dompte et renverse les assaillants. C'est ce que veut dire ce passage : « Les royaumes ont penché , le Très« Haut a fait entendre sa voix. » Comme si on
1 Je lis aphraktos , au lieu d aphrastos.
disait : le seul son de sa voix prend les villes; expression grossière et plus digne de l'homme à qui elle s'adresse que de Dieu, à qui, elle s'applique. Dieu n'a pas besoin de voix ni de cri pour vaincre mais seulement de sa volonté. Cependant cette dernière manière de parler de Dieu succède à de plus grossières encore, et c'est pour élever les esprits à de plus hautes conceptions que le Psalmiste l'emploie. Ayant partout représenté Dieu comme un guerrier couvert de ses armes, il veut montrer que ce ne sont là que des métaphores, des figures, des façons de parler appropriées à la faiblesse humaine. (Dieu n'a pas besoin d'armes) , et c'est pour cela qu'il ajoute: « qu'il a fait entendre sa voix et que la terre a été ébranlée;» ce qui signifie qu'il ébranle les villes, les nations et les contrées et jusqu'aux éléments. Par la terre l'Ecriture a aussi coutume de désigner les multitudes qui l'habitent, comme lorsqu'elle dit: « Et toute la terre était une seule langue (Gen. II, 1.) Le Seigneur des puissances est avec nous ; le Dieu de Jacob est notre défenseur. » Au lien de: «Des puissances, » l'hébreu dit Sabaoth (8).
Voyez comment le Psalmiste passe de la terre au ciel et comment il élève subitement sa parole jusqu'aux peuples innombrables des anges, aux nations des archanges, aux puissances d'en-haut. Que me parlez-vous encore et d'armées, et de barbares, et d'hommes mortels ? semble dire le Psalmiste. Pour vous faire une idée de la force de Dieu, songez à la royauté qu'il exerce , et aux armées innombrables des puissances invisibles qui sont rangées sous son commandement dans les cieux. Et ce terme de « puissances , » est très-bien choisi pour exprimer la force de ces habitants du ciel. Le Psalmiste l'emploie encore dans un autre endroit, disant: « Les puissants par la force, ceux qui exécutent sa volonté. » (Ps. CII, 20.) Les anges en effet sont très-forts, puisqu'un seul d'entre eux étant sorti des rangs de l'armée du ciel tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes. Que nous fait, direz-vous, la force de Dieu , s'il ne veut pas nous tendre la main? C'est pour que vous n'ayez pas cette crainte que le Psalmiste ajoute :: « Notre défenseur. » Donc il a non-seulement le pouvoir mais encore la volonté de nous secourir. Mais peut-être n'en sommes-nous pas dignes? Ne craignez rien, sa bienveillance est. un héritage que nous ont laissé nos pères; c'est ce que le Psalmiste (54) insinue par les mots: « le Dieu de Jacob; » comme s'il disait: c'est son habitude constante, dès la plus haute antiquité, dès l'origine. « Changement de rhythme ; » un autre: « Toujours. Venez et voyez les couvres de Dieu, qu'il a fait paraître comme des prodiges sur la terre (9) , en abolissant les guerres jusqu'aux extrémités de la terre (10). Il rompra l'arc, il brisera l'arme (un autre dit: il a brisé), et il brûlera les boucliers dans le feu. » Un autre dit: « il consumera les chars dans le feu. »
Le Psalmiste a parlé de la terre, de la mer, des montagnes, de la joie céleste descendue. dans les âmes, du secours d'en-haut, et maintenant il s'adresse aux spectateurs eux-mêmes, il les prend comme sujet de son discours, et pour les remplir de joie en même temps que pour exciter leur amour envers le Seigneur, il mentionne les trophées, il célèbre les victoires qu'il a remportées pour eux. Et il a eu raison de dire « prodiges, » au lieu de trophées et de victoires. Car les faits qu'il rappelle ne s'étaient pas accomplis selon les lois de la nature; le sort du combat n'avait été décidé ni par les armes, ni par la forée du corps, mais paria seule volonté de Dieu, que la voix des . événements eux-mêmes désignait clairement comme le général de son peuple.. Puisque les faibles triomphaient des forts, une poignée d'hommes, d'une multitude, ceux qui étaient assujettis de ceux qui les tenaient sous le joug, le Psalmiste a bien raison de nommer de tels événements, des prodiges, puisqu'ils s'étaient accomplis d'une manière surprenante, et qu'ils s'étaient étendus jusqu'aux extrémités de la terre.
3. On ne se tromperait pas non plus si l'on voulait prendre ces choses dans le sens anagogique, et les appliquer au temps présent. Et en effet, Dieu a mis fin â une grande guerre, celle des démons, et il a étendu partout sur la terre le règne de la paix, il n'y a pas jusqu'à la guerre sensible et proprement dite qu'il n'ait apaisée. C'est ce qu'Isaïe annonçait en disant : « Ils convertiront leurs épées en charrues, et leurs lances en faux; et une nation ne tirera pas l'épée contre une nation, et ils ne s'exerceront plus à la guerre. » (Isaie, II, 4.) Avant la venue du Christ en effet, tous les hommes portaient les armes, il n'y en avait point qui fussent exempts de cette charge,.et les villes combattaient contre les villes, ce n'étaient partout que guerres et conflits sanglants. Aujourd'hui la plus grande partie de la terre est en paix, la grande majorité du genre humain vit dans la sécurité, s'occupant des arts, cultivant la terre, et parcourant la mer. La milice n'occupe plus qu'un petit nombre d'hommes chargés de porter les armes pour les autres. Ce petit nombre serait même inutile, si notre conduite était ce qu'elle devrait être, si nous n'avions pas besoin des avertissements, des calamités. Par « le feu, » le Psalmiste entend ici la colère de Dieu; et il parle d'un fait qui s'est passé réellement, savoir que les Israélites, ayant vaincu. leurs ennemis, brûlèrent leurs armes et leurs chars; Ezéchiel en parle aussi (Ezéch. XXXIX, 10), et tous les hommes instruits savent cette histoire. « Reposez-vous et connaissez que je suis Dieu. Je serai élevé au milieu des nations, je serai élevé au milieu de toute la terre (44). » Un autre dit « Soyez guéris et connaissez; » un autre : « Cessez, afin que vous connaissiez; » l'hébreu dit : « Ouarpthou ouadou. »
Ici l'auteur me semble s'adresser aux gentils et leur dire ceci : connaissez la force de Dieu, et sa puissance qui s'étend sur toute la terre mais pour cela vous avez besoin de repos, vous avez besoin d'une âme saine. La leçon « Cessez, etc., »donne le même sens : abandonnez l'erreur, défaites-vous de vos mauvaises habitudes ; levez un peu la tête au-dessus de l'obscurité dans laquelle vous tient courbés la pratique de tous les vices, respirez un instant, afin que, guidés par le lumineux enseignement des prodiges, et jouissant du calme de l'âme, vous appreniez à connaître le Dieu dé l'univers. Les miracles ne suffisent point quand l'âme n'est pas bien disposée. Les Juifs ont vu des miracles, et ils n'en ont retiré aucun profit pour leur salut. De même que les rayons du soleil ont besoin pour opérer la vision, de tomber dans des yeux limpides et sains, ainsi les miracles ne peuvent rien sans la disposition de l'âme. Voilà pourquoi, après avoir parlé des miracles, le Psalmiste exhorte ceux qui veulent en recueillir quelque avantage, à se débarrasser des maux qui les enveloppent pour arriver à la connaissance de Dieu, souverain maître de toutes choses. « Reposez-vous et connaissez que c'est moi qui suis Dieu, » et non pas vos simulacres et vos statues. « Reposez-vous » donc et je vous présenterai de nombreuses preuves. Voilà en effet ce que (55) signifie ce passage : « Je serai élevé parmi les nations, je serai élevé au milieu de la terre; » c'est-à-dire, par mes oeuvres, vous seront manifestées mon élévation et ma grandeur. Car l'élévation est le propre de cette nature sans mélange et ineffable. Mais puisqu'elle vous est cachée, je vous la montrerai par mes oeuvres, non-seulement à Jérusalem et dans la Palestine, mais jusque parmi vous, les gentils. Il s'élève donc en les domptant, en les subjuguant par les miracles qu'il opère partout, miracles à Babylone, miracles en Egypte, miracles dans le désert, afin de les amener à la connaissance de lui-même. « Le Seigneur des puissances est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur (12). » Ainsi donc ce Dieu, qui est partout grand, partout élevé, un tel Dieu est avec nous. Ne craignez donc pas, ne vous troublez pas, ayant avec vous un si invincible Maître, à qui convient tout honneur et toute gloire, avec le Père qui est sans commencement, et avec son Esprit vivificateur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. Jeannin