PSAUME X

EXPLICATION DU PSAUME X. POUR LA FIN, POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE VICTOIRE POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : POUR L'AUTEUR DE LA VICTOIRE.

 

Tome VI

 

ANALYSE.

 

1. De l'espoir en Dieu : force qu'il donne aux justes.

2. Faiblesse des méchants.

3. Vanité des ressources humaines.

 

1. « C'est dans le Seigneur que je me confie : comment direz-vous à mon âme : Passe sur la montagne ainsi qu'un passereau (1). Car voici que les pécheurs ont tendu leur arc, ont préparé leurs traits dans leur carquois, afin d'en percer, dans l'obscurité, les hommes droits de coeur, comme dans les ténèbres. » D'après un autre (2) : « Car les choses que vous aviez consommées, ils les ont détruites. » Un autre dit : « Parce que les lois ont été enfreintes ; » un autre, « parce que les préceptes seront broyés (3). » Grande est la puissance de l'espoir en Dieu; c'est une sûre forteresse, un inexpugnable rempart, une invincible alliance, un port tranquille, une tour imprenable, une arme irrésistible, une puissance sans rivale qui trouve des ressources dans les difficultés mêmes. Grâce à lui, on n'a pas besoin d'armes pour triompher d'adversaires armés; des femmes remportent la victoire sur des hommes ; des enfants n'ont pas de peine à vaincre tes ennemis les plus aguerris. Et faut-il s'étonner que ceux qui espèrent remportent l'avantage dans de simples (2) combats quand l'univers lui-même n'a pu leur résister? Les éléments ont méconnu leur propre nature pour servir leurs intérêts; des bêtes féroces ont perdu leur férocité; une fournaise son ardeur. L'espoir en Dieu opère toutes les métamorphoses. Dents aiguës, prison étroite, naturels farouches irrités encore par la faim, tout cela menaçait- le prophète , qu'aucune cloison ne protégeait contre des monstres dévorants; mais l'espoir en Dieu, plus fort que tous les freins, brida ces gueules meurtrières et les contraignit à se détourner. Aussi David, réfléchissant à cela, répond-il à ceux qui lui conseillent de fuir, de se sauver, de chercher son salut dans un lieu sûr : « C'est dans le Seigneur que je me confie : Comment direz-vous à mon âme?» Qu'entendez-vous par là? Le maître de la terre, veut-il dire : Voilà mon allié. Celui qui fait tout sans aucune peine, celui-là est mon guide, mon protecteur, et vous m'exhortez à chercher une retraite, c'est sur le désert que vous comptez pour protéger mes jours ! Est-ce que le désert est an auxiliaire plus sûr que Celui qui peut tout et ne connaît point d'obstacles? Revêtu d'une si forte armure, vous voulez que je fuie comme si j'étais nu et désarmé ; vous m'engagez à m'expatrier! Mais si vous voyiez un homme à la tête d'une armée, défendu par des remparts et des soldats, vous ne l'exhorteriez pas à se réfugier au désert, ou un tel conseil ferait de vous un objet de risée; et vous renvoyez, vous condamnez à fuir celui qui a pour auxiliaire le Maître du monde, vous lui prescrivez l'exil à cause de la guerre que lui font les pécheurs. J'omettais, en effet, cette autre raison qui me dissuade de prendre la fuite. Quand on a Dieu pour allié et des pécheurs pour ennemis, peut-on prendre l'alarme au moindre bruit, à la façon des oiseaux? Et celui qui donne un tel conseil ne devrait-il pas rougir? Ignorez-vous que l'armée qui m'est opposée ne vaut os une toile d'araignée. Si l'ennemi d'un monarque terrestre est partout en péril; s'il a peur, s'il tremble, en quelque endroit qu'il se trouve, que dire de celui qui a pour ennemi le Dieu de l'Univers? En quelque lieu qu'il se rende, il a pour adversaire tout le monde et la création même. Car si les amis de Dieu inspirent de la crainte aux éléments, aux bêtes féroces, et du respect à toute la création, les ennemis de Dieu sont en butte aux attaques et aux mépris des êtres inanimés eux-mêmes. Aussi les a-t-on vus, les uns dévorés par les bêtes avant d'avoir touché la terre, les autres consumés par le feu. Mais ils ont des flèches, des carquois et sont tout prêts à combattre. Eh bien ! répond David, ils ont préparé leurs carquois mais ils n'en sont ni plus forts ni plus redoutables. Si je voyais un homme armé d'un arc détendu, je n'en aurais pas peur. En effet, à quoi bon des armes qui n'ont pas la force de nuire? De même ici, soyons tranquilles, puisque la faveur de Dieu manque à nos ennemis. Mais ils trament des stratagèmes, et suivent une voie oblique pour nous attaquer. Ce sont justement ces menées ténébreuses qui m'enhardissent le plus à les braver. Rien de plus faible que le fourbe. Il n'est pas besoin d'armes pour en triompher : il succombe sous ses propres coups et périt victime de ses artifices. Or qu'y a-t-il de plus faible qu'un homme qui se prend clans ses propres piéges? Autre motif de confiance : ce ne sont pas seulement des pécheurs qui s'attaquent perfidement à des hommes secourus de Dieu; ce, sont encore (les agresseurs de l'innocence. Et rien ne saurait contribuer davantage à les affaiblir. Ils ressemblent à ces animaux qui regimbent contre l'aiguillon : ils se blessent eux-mêmes, sans pouvoir endommager l'aiguillon qui les presse. Enfin, il est une dernière raison qui ôte à cette guerre tout péril pour nous. Quelle est-elle? « Ce que vous aviez consommé ils l'ont détruit (4). »

Voici le sens de ces paroles : ils vous combattent, ils vous font la guerre afin de ruiner votre loi, vos préceptes: ils veulent les détruire, ces préceptes, quand ils sont consommés. Ou encore il veut dire que ses ennemis sont des transgresseurs de la loi. Et comment seraient-ils forts, s'ils marchent au combat après avoir méconnu vos préceptes? En effet, c'est parce qu'ils les méconnaissent, qu'ils attaquent des justes, et ourdissent contre eux des trames perfides.

2. C'est ainsi qu'il met d'abord en lumière la faiblesse de ses ennemis, en montrant quelle en est la cause propre à eux seuls; en effet il ne dit pas : ils manquent d'argent, de places fortes, d'alliés, de villes, d'expérience dans la guerre : il passe dédaigneusement sur ces considérations qui lui semblent méprisables, et insiste uniquement sur ce point, que ce sont des hommes injustes, qu'ils attaquent l'innocence, qu'ils renversent les lois de Dieu. Il passe (3) ensuite à l'armée des justes, et tire de là une ' nouvelle preuve de la faiblesse de leurs ennemis. — Servons-nous également de cette mesure pour apprécier la force et la faiblesse et n'allons point nous effrayer de ce qui est un sujet de crainte pour le sot vulgaire. — Qu'entendons-nous dire en effet? C'est un homme redoutable et sans scrupules, armé d'opulence et de pouvoir. Raison de plus pour que je le brave: ce sont là des principes de faiblesse. Mais il sait ourdir une trame, dira-t-on. — Ce n'est qu'un nouveau principe d'affaiblissement.

Comment se fait-il donc que de pareils hommes restent si souvent vainqueurs? C'est que vous ne savez pas lutter : c'est que vous combattez pour ces mêmes avantages prétendus qui font leur faiblesse, la gloire et la puissance. Fuyez ces causes de guerre et recourez à d'autres armes, à la modestie contre l'orgueilleux, à la pauvreté contre l'avare, à la tempérance contre le voluptueux, à la bonté contre l'envieux: par là vous vaincrez sans peine. Pour revenir à ce que je disais, voyons maintenant comment David , après avoir fait ressortir la faiblesse de ses adversaires, décrit l'armure du juste. Qu' «a fait le juste? » poursuit-il. Vous savez à quels ennemis il avait affaire : vous voulez maintenant savoir comment il s'arma? Ecoutez. — « Le Seigneur est dans son saint temple : le Seigneur, dans le ciel est son trône (5). »

Voyez-vous avec quelle brièveté il fait mention de cette alliance. Qu'a fait le juste? demandez-vous: il s'est réfugié auprès du Dieu qui est au ciel, du Dieu qui est partout. Au lieu de tendre son arc, de préparer son carquois, à l'exemple de son adversaire, de ranger son armée dans les ténèbres, il s'est retranché derrière son espoir en Dieu, comme derrière un rempart contre toutes les attaques; il a opposé à l'ennemi celui qui n'a besoin de rien de pareil, ni circonstances, ni lieux favorables, ni armes, ni argent, et qui, d'un signe, accomplit toutes ses volontés. Voyez-vous quelle invincible et commode assistance? — « Ses yeux regardent vers le pauvre, ses paupières examinent les fils des hommes. —Le Seigneur examine le juste et l'impie; celui qui aime l'injustice, trait son âme (6). » Suivant d'autres: « Ses paupières éprouvent; » ou: « le Seigneur est un examinateur équitable; » ou « il éprouve le juste et l'impie, et celui qui aime l'injustice est haï de son âme. »

Tel est l'allié, l'auxiliaire prêt à secourir David : un être qui est partout, voit, tout, considère tout, qui a pour principal office, qu'on le prie ou non , de veiller sur nous, de pourvoir à nos intérêts, de réprimer l'injustice, de secourir les opprimés, de donner aux uns la récompense de leurs bonnes oeuvres, d'infliger aux autres les supplices dus à leurs péchés. Rien .:e lui échappe; car ses regards s'étendent sur toute la terre. Et ce n'est pas assez pour lui de savoir ce qui s'y passe, il veut encore y remettre l'ordre. De là ce nom de juste qui lui est donné ailleurs. S'il est juste, il ne se résignera pas à laisser aller ainsi les choses. Il se détourne des méchants, il approuve les justes. Le Psalmiste poursuit en montrant la même chose qu'il a déjà fait voir dans le précédent psaume, à savoir qu'il suffit de leurs vices mêmes pour perdre les méchants. « Celui qui aime l'injustice hait son âme. » — Le vice, en effet, est une chose hostile à l'âme, funeste et pernicieuse: de telle façon que le méchant est puni avant d'être livré au supplice. Vous voyez comment il montre que tout conspire contre ses ennemis, et l'allié qui le secourt, et leurs armes, à eux, qui se retournent contre eux-mêmes, leurs boucliers qui les surchargent et les écrasent. Vous voyez de plus avec quelle facilité il s'est assuré l’assistance de son allié. Il n'est pas besoin de sortir de cirez soi, de courir, de dépenser de l'argent : Dieu est partout, il voit tout. « Il fera pleuvoir des pièges sur les pécheurs : le feu, le soufre et le souffle de la tempête seront leur part de breuvage (7). Parce que Dieu est juste, et « qu'il a pris en affection la justice; son visage a vu la droiture (8). » Un autre dit: « Il fera pleuvoir les charbons sur les coupables. » Un autre : « Leur visage verra la droiture; » entendez la droiture des justes ou celle de Dieu lui-même.

Après avoir fait connaître la punition que le vice trouve en lui-même, sachant que beaucoup la méprisent, il ébranle maintenant le coeur des méchants par la crainte des châtiments d'en-haut, en se servant pour cela d'un langage. expressif et de termes propres à inspirer l'effroi. Il les menace du feu, du soufre, du souffle de la tempête, de charbons tombés du ciel, voulant indiquer par ces mots figurés, ce que le, châtiment a d'inévitable, le supplice d'effrayant, les coups, de subit et de désastreux.

3. Qu'est-ce à dire « leur part de breuvage? » c'est-à-dire leur lot, leur propriété; c'est de cela qu'ils vivront, c'est là qu'ils trouveront la mort : le motif vient ensuite : c'est que celui qui voit tout ne consentira pas à laisser de pareils crimes impunis. De là, ces paroles d'un autre prophète: « Votre oeil est pur, afin de ne pas voir les iniquités; et vous ne pourrez regarder les maux. » C'est ce que David lui-même exprime en disant : « Parce que le Seigneur est juste et qu'il a pris en affection la justice. » Tel est, en effet., le caractère le plus sensible de la divinité; approuvez la justice, la droiture; pour ce qui est contraire à ses vertus, elle ne saurait jamais en soutenir la vue.

Voilà pourquoi il disait, en commençant ce psaume : « C'est en Dieu que je me confie,  comment direz-vous à mon âme. Passe sur les montagnes ainsi qu'un passereau? » En effet, ceux qui placent leur confiance dans les biens de ce monde sont tout pareils au passereau qui. dans la solitude où il doit trouver la sécurité, est aisément pris par le premier venu. Tel est l'homme qui se fie à ses richesses. Ainsi que le passereau se laisse attraper parles petits enfants, par la glu, les piéges, et de mille façons; de même le riche est victime, soit des siens, soit de ses ennemis; et son salut est encore plus menacé, à cause du grand nombre d'embûches que lui tendent les hommes, et, par-dessus tout, ses mauvaises passions; c'est un nomade que la crainte chasse de chez lui à tous moments devant des licteurs furieux, un roi irrité, des courtisans perfides, des amis infidèles ; s'il voit surgir des ennemis, il est dans d'inexprimables alarmes; et, jusqu'au sein de la paix, il redoute encore les attaques; car la richesse qu'il possède est éphémère et périssable. Aussi ne cesse-t-il de voltiger, de changer de place, de chercher les déserts, les montagnes, de vivre dans l'obscurité; que dis-,je? le jour même n'est pour lui qu'une obscurité profonde où il ourdit des ruses. Mais il n'en est pas de même du juste. « Car les voies des justes resplendissent comme la lumière. » (Prov. IV, 18.) Ils ne songent ni à nuire, ni à conspirer contre autrui; leur âme est dans la paix. Au contraire, les hommes artificieux sont toujours dans les ténèbres et dans les alarmes comme les voleurs, les brigands, les adultères; en plein jour même, ils ne voient que ténèbres, dans la crainte qui agite leur âme. Comment s'y prendre pour dissiper ces ténèbres? Il faut s'affranchir de toutes ces pensées et s'attacher uniquement à l'espoir en Dieu, de quelques péchés qu'on puisse être chargé. « Regardez vers les anciennes générations, et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu. » Il ne dit pas quel juste? mais « Qui? » juste ou pécheur. La merveille est, en effet, que les pécheurs mêmes, s'ils savent se cramponner à cette ancre, résistent désormais à tous leurs ennemis. C'est que rien n'indique mieux l'amour de Dieu que de se fier à sa bonté quand on succombe sous un pareil fardeau. Autant est maudit celui qui met son espoir dans l'homme, autant est bienheureux celui qui place en Dieu son espérance. Renoncez donc à tout, pour vous affermir sur cette ancre. En effet, Dieu voit tout; il juge les actions des justes, et, non content de les juger, il les fait encore réussir. C'est pourquoi David, après avoir parlé de la justice divine, fait intervenir aussi le châtiment par ces expressions « feu, tempête; » s'il le fait, c'est pour leur bien, c'est pour les rendre plus sages par la considération des supplices. Par tous ces motifs, allons à lui, et ne cessons de diriger vers lui nos regards. Nous obtiendrons ainsi tous les biens en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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