ANALYSE.
1. Erreur des Anoméens. Erreur des Juifs.
2. Miracle des enfants doués subitement de la parole : sa
nouveauté, son importance.
3. - 4. -5 . Malheurs des Juifs,
conséquence du crucifiement. Que leur dispersion atteste la divinité de
Jésus-Christ. Que Dieu ne les a point dispersés pour qu'ils répandissent leur
religion dans tout l'univers, mais afin de les punir.
6. Que tout le monde sensible est fait en vue de lhomme.
Bienfaisance de Dieu à notre égard.
7. Gloire de l'homme, encore augmentée malgré le péché :
pourquoi son empire sur le, animaux a été diminué. 8. En quoi consiste cette
diminution. A quoi servent les bêtes féroces. Erreur de Paul de Samosate.
9. Egalité du Père et du Fils : qu'il n'y a entre eux qu'une
distinction de personne.
1. Dans le psaume précédent David disait « Je rendrai hommage au Seigneur selon sa justice, et je célébrerai le nom du Seigneur Très-Haut ; » ici il remplit sa promesse, il lui chante un hymne. Dans l'autre psaume il parle au singulier : « Seigneur mon Dieu, c'est en vous que j'ai espéré , sauvez-moi. » Ici , il emploie le pluriel. « Seigneur, notre Seigneur, que votre nom est admirable! » Mais faites silence, et prêtez une oreille attentive. Si dans un théâtre où retentissent des chants sataniques, on garde un calme si profond, pour ne rien perdre de ces pernicieuses mélodies ; et cela, quand le choeur est composé de mimes, de danseurs, et dirigé par un musicien profane, quand la musique est oeuvre de Satan et principe de perdition, quand les chants s'adressent à quelque odieux et abominable démon : ici, où le chur est composé d'hommes religieux, où le chef du chur est un Prophète, où la mélodie , loin d'être suggérée par Satan est inspirée par l'Esprit-Saint, où le chant enfin n'est point adressé à un démon, mais à Dieu : comment ne serait-ce pas un devoir de rester parfaitement tranquille, et d'écouter avec une crainte religieuse ? Les puissants d'en-haut figurent avec nous dans ce concert. Les choeurs célestes, les chérubins, les séraphins n'ont pas d'autre occupation que la nôtre : ils louent Dieu perpétuellement. La terre en a vu quelques-uns descendre ici-bas pour associer leurs voix à celles de simples pasteurs. Prêtons donc l'oreille à ce nouveau chant. Ceux qui célèbrent un des monarques de la terre, lui parlent de sa puissance, de ses trophées , de sa victoire : ils comptent les (579) peuples vaincus : ils appellent leurs héros destructeurs de villes, vainqueurs des barbares, que sais-je encore? C'est un hymne pareil que chante notre bienheureux. Il parle d'une victoire, d'un trophée, de guerres terminées, guerres d'un genre bien plus terrible. Et voyez comment il débute : «Seigneur, notre Seigneur. » De ceux qui ne croient pas en lui il n'est le Seigneur que d'une façon : mais il est doublement le nôtre; et parce qu'il nous a tirés du néant, et parce que nous le reconnaissons pour ce qu'il est. Considérez aussi comment tout d'abord David rappelle en un mot la bienfaisance de Dieu à notre égard. Rappelez-vous comment Dieu est devenu voire Seigneur; songez que des hommes séparés de lui, et morts , pour ainsi dire, ont été reconquis par sa grâce et ressuscités ; et alors vous comprendrez comment ce mot rappelle à lui seul la bienfaisance divine.
Dans l'étonnement que lui cause cette merveille, le Prophète s'écrie : « Que votre nom est admirable ! » Il veut dire votre nom est tout à fait admirable. Dans quelle mesure il est admirable, il ne l'a pas dit : il ne s'agit point ici de marquer une mesure, mais d'indiquer une grandeur qui dépasse l'imagination. Que dire maintenant de ceux qui prétendent scruter l'essence divine? Si le nom seul de Dieu cause au Prophète un tel étonnement , qu'il demeure interdit, comment excuser ceux qui se vantent de connaître son essence ? le Prophète ne peut comprendre à quel point ce nom est admirable : « Que votre nom est admirable ! » Par ce seul nom, en effet, la mort fut vaincue, les démons furent enchaînés, les cieux rendus accessibles , les portes du paradis ouvertes; l'Esprit fut envoyé ici-bas, les esclaves devinrent libres, les ennemis furent des fils; les étrangers, des héritiers; les hommes des anges. Des anges, ai-je dit? Dieu est, devenu homme, et l'homme est devenu Dieu ; le ciel accueillit une espèce terrestre ; la terre reçut Celui qui siège au-dessus des chérubins avec l'armée des anges. La cloison fut enlevée, la barrière abattue, les choses divisées se réunirent, les ténèbres furent supprimées, la lumière brilla, la mort fut engloutie. Ce sont toutes ces pensées et d'autres encore qui arrachent au Prophète ce cri : « Que votre nom est admirable sur toute la terre ! » Que penserons-nous maintenant des enfants des Juifs qui osent se refuser à la vérité? Volontiers je leur demanderais de qui il est question dans ce passage. Du souverain Maître, répondront-ils, mais son nom n'était pas admirable sur toute la terre. Et c'est ce dont témoigne Isaïe en disant : « A cause de vous mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Isaïe, LII, 5.) Mais si ceux qui l'honoraient donnaient lieu à d'autres de le blasphémer, où donc était-il admirable ? Qu'il est admirable en vertu de sa nature , cela est clair : mais aux yeux des hommes d'alors, de la plupart au moins, loin d'être admirable, il était un objet de mépris. Il n'en est plus de même aujourd'hui. Lorsqu' a paru le Fils unique, son nom est devenu admirable en tous lieux avec le Christ. « Du lever du soleil à son couchant, » est-il écrit, « mon nom a été glorifié parmi les nations.» (Malach. I, 11.) Et ailleurs : « En tous lieux on offre à mon nom de l'encens et un sacrifice pur. Mais vous, vous le profanez. » (Ib.12.) Un autre dit : « Toute la terre a été remplie de la connaissance du Seigneur. » (Isaïe, XI, 9.) Et encore : « Ils viendront disant : Nos pères ont eu de fausses idoles. » (Jér. XVI, 19.)
2. Voyez-vous que tout cela est dit au sujet du Fils ? Car c'est son nom, à lui, qui est devenu admirable sur toute la terre, « Parce que votre magnificence a été élevée au-dessus des cieux. » Un autre dit : « Vous qui avez placé votre louange au-dessus des cieux. » Il a parlé de la terre : il passe maintenant au ciel, fidèle à sa coutume, de montrer que tout l'univers bénit son Maître. C'est ainsi qu'en -cet endroit il représente Dieu comme admirable là-haut, admirable ici-bas. En effet, ce ne sont pas seulement les hommes, ce sont les anges encore qui célèbrent les choses accomplies, et rendent grâces pour les bienfaits octroyés aux hommes : ce qu'ils ont fait tout d'abord, quand ils se formaient en choeur sur la terre. Il veut donc ou faire entendre cela même que les anges aussi chantent le Seigneur, ou représenter la grandeur de Dieu. En effet, quand l'Ecriture veut exprimer la grandeur, elle rapproche ces deux éléments : par exemple, quand elle dit : « Comme le ciel est élevé par rapport à la terre. » Et encore : « Autant que le levant est éloigné du couchant, il a écarté de nous nos iniquités. » (Ps. CII, 11,12.) Ici donc il admire ce qui s'est passé; tant de grandeur, de sublimité l'étonne: ce qu'il y avait de plus humble devient ce qu'il y a de plus élevé. «Vous avez formé dans (580) la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle une louange parfaite. » (3.) Un autre dit : « Vous vous êtes servi de la bouche des enfants pour fonder votre puissance. » Un autre : « pour constituer votre .pouvoir. » Le sens est : Vous avez déployé votre puissance en cela surtout, que vous avez donné des forces à la faiblesse, et délié pour l'hymne de gloire des langues balbutiantes. Il prédit par là le cantique des enfants dans le temple. Et pourquoi donc omettre tant d'autres prodiges, résurrections, guérisons de lépreux, expulsion de démons, pour faire mention de ce prodige accompli chez les enfants? Parce que les premiers de ces prodiges avaient eu des précédents analogues, sinon semblables, et d'une certaine conformité, sinon vraiment pareils. Un mort se réveilla à la voix d'Elisée, un lépreux fut guéri, un démon chassé grâce à David, lors de la possession de Saül : Mais alors pour la première fois on ouit parler des enfants à la mamelle. Et afin que les Juifs n'aient pas l'impudence de prétendre qu'il s'agit en cet endroit de faits contemporains de l'Ancien Testament, il a fait choix d'un miracle jusqu'alors inouï. D'ailleurs cet événement était une image qui figurait les apôtres : car eux aussi, bien qu'incapables de parler et plus muets que des poissons, finirent par prendre tout l'univers dans leurs filets. Mais la preuve que la puissance de Dieu éclate surtout en cela, la voici dans l'Ancien Testament même : Voyez ce que le prophète dit du Père lui-même. Dieu dit, parlant à Moïse : « Qui a fait le muet et le sourd, le clairvoyant et l'aveugle? » (Exod. IV, 11.) Et encore « Donnant des langues déliées à ceux qui parlent difficilement.» (Isaïe, XXV, 6.) Et ailleurs: « Dieu me donne la langue d'instruction, afin que je sache quand il convient de parler. » (Ib. 4.) Il dit encore au commencement: «Venez, descendons et confondons leurs langues.» (Gen. XI, 7.) Voilà une forte et solide preuve. Les autres pouvaient laisser encore, sinon quelque raison, du moins certain prétexte de clouter, à la mauvaise foi : ici, rien de pareil c'est la nature qui, de son propre mouvement, entre en contradiction avec elle-même. Voilà pourquoi l'écrivain sacré ne se borne pas à désigner les enfants par un mot qui pourrait s'appliquer aussi aux esprits simples ou aux innocents, et ajoute : « Et ceux qui sont encore à la mamelle, » caractérisant l'enfance par la façon dont on la nourrit. « Ceux qui sont encore à la mamelle, » dit-il, ceux qui ne goûtent pas encore aux aliments solides. Aussi, ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas seulement qu'ils aient parlé et d'une voix distincte, c'est encore que leurs paroles aient été toutes chargées de bénédictions. Ce que ne savaient pas encore les apôtres, ces enfants le chantaient. Une autre conclusion qui ressort de là, c'est que les hommes qui s'approchent des dogmes doivent devenir enfants par le coeur. « Si l'on ne reçoit pas le royaume des cieux dans les dispositions d'un enfant, on ne pourra pas y pénétrer. » (Matth. XVIII, 3.)
« A cause de vos ennemis. » Il indique après cela la raison de ce miracle : Les autres n'arrivèrent point à « cause des ennemis, » mais afin de rendre service à ceux qui les verraient, et d'instruire le reste des hommes par leur entremise. Mais ce ne fut point la seule raison de ce nouveau miracle; il eut encore pour but de fermer la bouche aux ennemis, à ces ennemis qu'un autre désigne plus distinctement par ces mots : « A cause de ceux qui vous enchaînent. » Ce sont eux, en effet, qui le lièrent, quand on le conduisit à la croix. « Pour détruire l'ennemi et celui qui veut se venger.» Un autre dit : « Pour arrêter l'ennemi et celui qui se venge, » désignant par là le peuple juif. En effet, les Juifs persécutaient le Christ comme un ennemi, et ils feignaient d'agir ainsi pour venger le Père. Voulant leur fermer ce refuge, il dit : « Celui qui me hait, hait « aussi mon Père (Jean, XV, 23),» et encore : « Celui qui croit en moi, croit en Celui qui a m'a envoyé. » (Ib. XII, 44.) Associant là-haut et ici-bas son Père à ses honneurs- et à ses affronts. Et voyez l'exactitude du prophète. Il ne dit pas pour punir, mais « pour détruire, » ce qu'un autre rend par ces mots « pour arrêter, » c'est-à-dire pour réprimer leur impudence, non pour les instruire : car leur maladie était incurable. A la vue d'un tel miracle, ne trouvant plus rien à dire, ils se tournaient vers lui disant : « N'entendez-vous pas ce que disent ceux-ci? » (Matth. XXI, 16.) Au lieu d'adorer, d'admirer, ils étaient dans une grande perplexité, et au lieu de redire entre eux : N'entendez-vous pas ce que disent ces hommes? C'est au Christ qu'ils le disaient. Et pourquoi la voix des anges ne se fit-elle pas entendre plus tôt? Parce que les Juifs auraient cru être dupes d'une illusion, tandis qu'à cet autre miracle ils ne pouvaient rien objecter. (581) Cependant que disaient ces petits enfants ? Rien qui pût leur être importun ou pénible, rien qui dût les choquer; mais ce qu'il y avait de plus propre à attester l'accord du Fils et du l'ère. « Béni soit, » disaient-ils, « celui qui vient au nom du Seigneur. » (Matth. XXI, 9.)
3. Alors il confondit leur impudence ; plus tard, il détruisit leur ville, et il n'est pas une région de l'univers où les Juifs n'aient porté leur infortune. De même qu'un homme mutilé court en tous lieux , étalant ses blessures; de même que les juges lorsqu'ils ont puni de mort plusieurs meurtriers, empalent un d'entre eux comme si ce dernier supplice infligé à un cadavre était propre à corriger les vivants ainsi Dieu fit des Juifs, non morts, mais vivants, un exemple, en les dispersant. Et ceux qui habitaient autrefois un même pays, sont aujourd'hui disséminés par toute la terre. Que si vous en cherchez la raison, vous n'en trouverez point d'autre que le crucifiement du Christ. En effet, pour quel motif n'eurent-ils point le même sort que précédemment ? Précédemment ils furent déportés dans une région unique, et pour quelques années seulement: cette fois il n'en est pas de même : leur châtiment n'aura pas de fin. Demandez-leur maintenant pourquoi ils ont crucifié le Christ ? Ils vous diront parce que c'était un imposteur. S'il en était ainsi, ils auraient dû être comblés d'honneurs et entrer en possession d'une plus vaste contrée : car ils auraient fait une chose agréable à Dieu. En effet, celui qui fait justice d'un imposteur, fait justice d'un ennemi de Dieu, et mérite d'être honoré en récompense de son action... Phinéès, pour avoir seulement fait périr une prostituée fut honoré par le Seigneur, au point d'être jugé digne du sacerdoce: et vous, bien plus dignes que lui d'être honorés, si, en effet, vous avez fait périr un imposteur, vous errez en tout lieu comme des vagabonds sans patrie ? Si vous avez subi un pareil sort, c'est que vous avez crucifié un maître, un bienfaiteur, un précepteur de vérité. Si Jésus était un imposteur, un ennemi de Dieu, un faux Dieu, convoitant les honneurs du Dieu véritable, vous devriez être rémunérés mieux que Phinéès, que Samuel, et tant d'autres, pour avoir déployé un si grand zèle dans l'intérêt de la loi. Et voici que vous êtes plus sévèrement traités aujourd'hui que dans lé temps où vous étiez idolâtres, impies, où vous égorgiez des enfants; vos épreuves ne finissent pas; proscrits, fugitifs, asservis aux lois des Romains, vous parcourez la terre et les mers, errants, sans patrie, sans maisons, esclaves, déchus de la liberté, du sacerdoce, de toutes vos prérogatives passées, dispersés au milieu des barbares et d'une quantité de peuples divers, haïs, abhorrés de tous les hommes et exposés de toutes parts à toutes les injures. Ah ! certes, vous êtes bien mal récompensés, d'avoir livré à la mort un ennemi de Dieu. Sottise et folie ! Votre sort n'est pas celui des hommes qui font périr les ennemis de Dieu ; c'est celui des assassins qui égorgent ses amis. Mais, diront-ils, mon ami, nous ne disons pas cela, c'est pour nos péchés que nous sommes frappés ainsi. Vous en convenez donc, têtes indociles? Et quels sont ces péchés, dis-moi ? Est-ce donc la première fois que vous péchez ? Pourtant aujourd'hui vous êtes devenus plus sages. Mais laissons ce point: voici ce que je veux vous demander à présent : Pourquoi précédemment toutes les fois que vous péchiez, obteniez-vous de Dieu miséricorde et n'obtenez-vous plus la même grâce aujourd'hui, aujourd'hui, dis-je, que vos fautes sont moins graves? Alors vous vous faisiez initier au culte de Belphégor, vous vous prosterniez devant le veau d'or, vous égorgiez vos fils, vous massacriez vos filles, et cela, quand les avertissements d'en-haut ne vous manquaient pas; et aujourd'hui que vous ne voyez ni la mer s'entr'ouvrir, ni les rochers se fendre, ni les prophètes vous visiter, aujourd'hui que vous n'êtes plus l'objet de la sollicitude constante de la Providence, vous montrez néanmoins plus de sagesse. Comment se fait-il donc que vos péchés étant moindres et votre vertu plus grande, votre punition, votre châtiment redoublent de sévérité ? N'est-il pas sensible pour les hommes les moins intelligents qu'au contraire votre faute est plus grave aujourd'hui? Tant que vous vous êtes bornés à pécher contre les serviteurs, à tuer, à lapider les prophètes, vous avez obtenu l'indulgence; mais du jour où vous avez porté les mains sur le Maître, votre plaie est devenue incurable. Aussi , quatre cents ans se sont écoulés depuis que l'emplacement même de votre ville a disparu avec le sacerdoce, la royauté, depuis la confusion de vos tribus, depuis que tous vos titres de gloire sont effacés, au point de ne pas laisser un vestige; ce que l'on n'avait jamais vu. Au commencement même après la ruine du temple, (582) les prophètes, les dons de l'Esprit demeuraient parmi vous avec les miracles. Aujourd'hui , afin que vous compreniez bien que Dieu s'est détourné de vous pour jamais , ces choses mêmes ont disparu pour faire place à l'esclavage, à la captivité, à une déchéance complète, et ce qu'il y a de pis, à l'abandon de Dieu.
4. Dieu a fait comme un maître, qui, après avoir fouetté maintes fois son esclave sans le corriger, le dépouille de ses vêtements et l'abandonne à lui-même, nu, vagabond, dénué de tout, mendiant, partout proscrit. Tel n'était pas auparavant votre sort, vous aviez des prophètes jusqu'en Egypte, jusque dans Babylone et dans le désert; en Egypte, Moïse ; à Babylone, Daniel et Ezéchiel ; en Egypte encore, Jérémie. Les miracles succédaient aux miracles et la gloire de votre nation s'augmentait; les vôtres, en captivité , étaient plus grands que des rois. Mais tout cela est passé, il ne reste qu'un châtiment pire que les précédents, non-seulement par sa durée, ruais encore par l'abandon complet où vous êtes laissés. Pourquoi donc, dites-moi, étiez-vous si favorisés de la Providence lorsque vous étiez plus coupables, et êtes-vous plus sévèrement châtiés, aujourd'hui que vous avez déployé, s'il faut vous en croire, votre zèle pour la loi? En prétendant cela, vous accusez Dieu d'injustice; vous le représentez honorant les coupables et humiliant les hommes vertueux. Si vous avez fait une bonne action comme vous le prétendez, si votre victime n'était qu'un imposteur, Dieu qui est juste aurait dû vous récompenser et non vous punir; s'il vous punit, il est clair que vous êtes plus coupables que jamais. Mais si vous n'êtes plus impies comme autrefois, si vous n'égorgez plus d'enfants, quelle est donc cette faute pire que vous expiez par un pire châtiment? N'est-il pas évident gaie le crucifiement est comme le couronnement de vos crimes? Voilà ce qui vous a perdus plus que l'idolâtrie, que lérection du veau d'or, que les égorgements d'enfants. Car ce n'est pas la même chose d'égorger son enfant ou de crucifier son maître. Aussi, lorsque vous immoliez vos fils, Dieu vous a été clément, mais du jour où vous avez fait périr le Fils de Dieu, votre maître, votre crime a été irrémissible.
Combien d'années s'est-il écoulé depuis la sortie d'Egypte jusqu'à la venue du Christ? Environ quinze cents années et plus. Comment se fait-il donc, que durant tout ce temps, le Seigneur ait supporté vos fautes, et qu'il vous rejette aujourd'hui, aujourd'hui que te moment serait venu de vous couronner, quel qu'ait pu être jusqu'ici le nombre de vos crimes? Jamais vous n'avez rien pu faire de plus méritoire que d'immoler un imposteur. De plus, vous paraissez aujourd'hui observer fidèlement le sabbat, vous n'adorez plus les idoles, vous vous piquez d'observer toutes les prescriptions de la loi. Et c'est quand votre vie est plus pure, quand vous avez fait de plus la bonne oeuvre que vous dites, c'est alors que vous êtes en butte à toutes les infortunes! Quelle pire folie, quelle plus abominable démence que celle qui vous porte à blasphémer Dieu pour vous justifier? Si votre conduite vis-à-vis du Christ était un titre pour vous, loin d'être un péché plus détestable que tous les autres, pourquoi cette sévérité à l'égard des justes, cette indulgence pour les pécheurs? Un homme quelque peu intelligent, Dieu à plus forte raison, ne consentirait jamais à se conduire de la sorte. Mais que répondent-ils à cela? Nous avons été dispersés, pour devenir les instituteurs de l'univers. Niaiserie, sottise, que cette réponse. Avant de devenir le maître des autres, il faut commencer par se bien conduire soi-même; c'est alors seulement qu'on peut être chargé d'une telle mission; et tel fut le cas des prophètes, des apôtres. Mais les juifs égarés eux-mêmes et chargés de toutes les iniquités, comment auraient-ils pu être chargés d'enseigner? Considérons donc quelle était leur vie, dès avant cette époque. Nous verrons qu'ils étaient plus farouches que des bêtes fauves. Ce n'étaient que parricides, infanticides, idolâtres, ravisseurs du bien d'autrui; les prophéties l'attestent en maint. endroit. Jérémie disait pour faire voir votre luxure : « Ils sont devenus comme des chevaux ardents pour les femelles; chacun hennit en voyant la femme du prochain. » (Jér. V, 8.) Quelle abominable impureté ! Ce n'étaient plus des hommes, ces êtres (lui s'accouplaient avec les femmes d'autrui; aussi nomme-t-il leur fureur hennissement. Ce n'est pas seulement la fornication, c'est encore l'adultère qu'il leur reproche , et une promiscuité comparable à celle des brutes. Un autre prophète dit : « Le père et le fils se sont approchés de la même femme. » (Amos, II, 7.) Est-ce donc pour cela, dis-moi, que Dieu vous a institués nos (583) maîtres, pour nous enseigner la fornication, l'adultère, l'inceste? Et Ezéchiel : « Vous n'avez pas même agi selon les lois des Gentils. » (V, 7.) Eh quoi! Ces hommes pires que les Gentils; Dieu les choisit pour ses envoyés? Et leurs homicides, qui pourrait en supporter l'idée! Ils immolaient aux démons leurs fils, leurs filles, et les brûlaient. C'est ce que nous apprend David par ces mots . « Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons. » (Ps. CV, 37.) Est-ce pour cela que Dieu les a envoyés, pour que le genre humain apprît d'eux, qu'il faut égorger ses fils et ses filles? Vous ne rougissez pas, vous ne vous voilez pas la face, vous qui osez forger de pareilles inventions? Un autre dit : « Ils mêlent le sang au sang, malédiction, mensonge, vol, homicide, adultère , se sont répandus dans le monde. » (Osée, IV, 2.) Un autre dit : « Tu t'es fait un front de prostituée; tu as dépouillé toute pudeur aux yeux de tous. » (Jér. III, 5.) Un autre : « Vos princes sont comme les loups de l'Arabie. » (Ezéch. XXII, 27.) Un autre : « Il n'est personne qui comprenne, personne qui cherche Dieu. » (Soph. III, 3.) « Tous sont dévoyés, tous sont tombés à rien. » (Ps. XIII, 2, 3.)
5. Voilà donc ce que vous êtes venus enseigner, l'impudeur, la démence, la fornication, l'adultère, le meurtre, tous les genres de vice? Vous voulez nous forcer encore d'étaler vos crimes, à tous les yeux? C'est vous qui êtes « portés dans le sein, et instruits jusqu'à la vieillesse. » (Isaï, XLVI, 3.) C'est vous qui êtes les aveugles, et qui vous jetez mutuellement dans la fosse. « Si un aveugle sert de guide à un aveugle, tous deux tomberont dans la fosse. » (Matth. XV, 14; Luc, VI, 39.) Vous qui avez eu tant de prophètes sans jamais devenir meilleurs, étiez-vous faits pour devenir les précepteurs d'autrui? Ne cesserez-vous pas de déraisonner ainsi, au lieu de convenir de votre perversité? Voilà ce qui vous a toujours perdus : ne vouloir jamais remonter à l'origine de vos maux. Aussi pareil aux juges qui font suivre ceux que l'on fouette par des crieurs chargés de proclamer leur crime, vol ou rapine à main armée : Dieu vous a fait constamment escorter par des prophètes qui vous révélaient la cause de vos châtiments. Encore aujourd'hui ils vous suivent par toute la terre dans votre esclavage, et vous répètent les mêmes cris. Entrez clans les synagogues: vous entendrez les mêmes paroles assidûment redites. David faisant allusion au futur jugement, ou plutôt au brigandage de Caïphe, dit que telle est la cause de votre perte. Après avoir dit : « Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous (Ps. II, 3), » il ajoute: « Alors il leur parlera dans sa colère, et dans son courroux il les troublera.» (Ibid. V, 5.) Après ces mots : « Il fut conduit comme une brebis à l'immolation, » Isaïe poursuit en ces termes : « Et je donnerai les méchants pour sa sépulture, et les riches pour sa mort. » (Isaïe, LIII, 9.) Et ailleurs, en parlant de la vigne : « J'ai attendu afin qu'il fît justice; mais il a fait iniquité et non justice, et a poussé un cri. » (Ibid. V, 7.) Quel cri? « Crucifie, Crucifie. » (Luc, XXIII, 21.) Et il ajoute : « A cause de cela je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds : et je recommanderai aux nues, de ne pas verser sur lui la pluie. » (Isaïe, V, 5-6.) La raison de votre dispersion n'est donc pas celle que vous dites, mais bien le crime du crucifiement : les Prophètes le démontrent. Et, afin que vous compreniez la puissance du Christ, et que vous vous instruisiez par vous-mêmes de ce que les prophètes n'ont pas su vous persuader, consultez le témoignage des faits. La puissance du Christ a opéré en vous-mêmes le miracle que n'avaient pas su faire les prescriptions de la loi. Tant que vous avez eu la loi, vous avez tué, égorgé vos enfants, commis l'adultère mais du jour où le Soleil de la justice a brillé, l'empire du mal a diminué parmi vous-mêmes, et votre émulation vis-à-vis de nous vous a rendus plus vertueux.
Si Dieu vous a dispersés, c'est pour vous faire mesurer la grandeur de l'empire qu'il a fondé ici-bas; s'il a ruiné votre temple, c'est pour vous arracher, en dépit de vous-mêmes, à l'iniquité. Et là où fut détruit le temple, là le Christ fut enseveli, afin que, fuyant loin de son sépulcre , vous pussiez voir le trophée élevé par sa puissance, et la réalisation de la parole qui dit : « Il ne restera pas ici pierre sur pierre. » (Matth. XXIV.) En effet, partout il a dis trophées, partout des monuments de son pouvoir. Mais, si c'était un impie, un ennemi de Dieu, comme vous le prétendez, quels qu'aient pu être vos excès à son égard, vous n'auriez pas dû subir un pareil châtiment; sinon, ce n'était pas tout au moins le montent, car cela est propre ~ faire croire que tel est le motif de (584) votre punition. N'avez-vous pas entendu Dieu vous dire, lorsque vous étiez en captivité : « Si j'agis de la sorte, ce n'est pas à cause de vous, c'est pour que mon nom ne soit pas profané ? » Cependant votre méchanceté était alors à son comble. Néanmoins Dieu vous dit : Pour que les infidèles ne croient pas que je suis faible, je néglige vos péchés et je vous conserve. Eh bien ! si dans ces circonstances, il épargna les coupables, afin que son nom ne fût pas profané ; comment n'aurait-il pas fait la même chose dans le cas présent ? Quelques crimes que vous eussiez pu commettre, vous ne deviez point subir un pareil traitement, si le Christ était vraiment un imposteur , un traitement propre à faire croire que vous étiez frappés à cause de lui. Loin de là, vous auriez dû être sauvés, et, en tout cas, je le répète, le moment était mal choisi. Mais, dans le fait, ces deux choses sont arrivées en même temps. A peine la croix eut-elle paru , les apôtres se mirent en campagne, et bientôt une guerre terrible vint menacer votre capitale alors on vit se confirmer le mot des Evangiles : « Malheur aux femmes qui allaitent et « à celles qui sont enceintes (Matth. XXIV,19) ! » et tant d'autres. Alors se réalisa la prédiction « En ce temps il y aura une affliction telle qu'on n'en a jamais vu. » (Luc, XXI, 23.) Des femmes mangèrent leurs enfants, les ennemis éventrèrent des cadavres , l'incendie allumé par les barbares dévora tout, le sang coula à torrents, on vit des tragédies inouïes; le malheur des Juifs remplit l'univers. Instruits par ces souvenirs, reconnaissez enfin votre Maître. Vous avez massacré des prophètes, avez-vous été punis de la sorte? Vous avez ruiné des autels, pareil malheur vous est-il arrivé? Vous avez adoré le veau d'or, vous vous êtes fait initier au culte de Belphégor, vous avez méconnu la nature, avez-vous eu à combattre de pareils ennemis? N'est-il pas vrai qu'ingrats parmi les bienfaits dont vous étiez comblés, vous subsistiez néanmoins? D'où vous viennent donc aujourd'hui ces malheurs qui n'auront pas de fin? N'est-il pas clair qu'ils proviennent de ce que vous vous êtes attaqués au Maître et non plus aux serviteurs. Voilà pourquoi vos maux ne finissent pas, ne finiront jamais. S'ils devaient finir, les prophètes l'auraient dit. Mais ils ont parlé de la captivité, et jamais du retour, malgré leur coutume de mêler les biens et de marquer la durée des épreuves. Ainsi, Jérémie annonce soixante-dix années, et Daniel, trois semaines et demi (1); et il est écrit que la servitude en Egypte durera 430 ans. Quant à la captivité actuelle, la durée, la fin n'en sont indiquées nulle part, mais votre maison est déserte, et chaque jour voit s'augmenter vos maux.
6. Réfléchissez bien en vous-mêmes à tout cela , développez ce qui vient d'être dit (« Fournissez une occasion au Sage, » est-il écrit, « et il sera plus sage. » (Prov. IX, 9.) Et vous pourrez facilement convaincre les Juifs d'impudence et d'ingratitude. « Parce que je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. » (4.) Un autre dit : « Car je vois les cieux , la lune et les astres que vous avez fondés. » Un autre interprète : « que vous avez disposés; » un autre : « que vous avez établis à leur place. » Après avoir dit que Dieu a détruit les ennemis, il donne la preuve de cette glorieuse victoire. Vous, le Crucifié, dit-il, vous, le condamné à mort, vous êtes apparu comme le créateur de l'univers. De là ces mots : « Je verrai les cieux : » par là il fait voir que si précédemment cela était généralement ignoré, tous le sauront désormais. Et pourquoi ne passe-t-il pas en revue toutes les parties de l'univers? C'est qu'après avoir parlé des plus importants parmi les objets visibles, il n'avait pas besoin de nous instruire au sujet des autres. Ses ennemis ont donc été détruits si complètement que celui qu'ils persécutaient, celui qu'ils avaient fait périr, s'est révélé comme le créateur de toutes les choses sensibles. Et pourquoi n'avoir pas dit de vos mains, mais de vos doigts ? C'est pour montrer que les objets visibles ne lui ont pas coûté de peine; c'est aussi faire allusion à cette merveille de la création, que les astres ne tombent pas de la place où ils sont suspendus : cependant il n'est pas dans la nature des fondements d'être suspendus en l'air, mais de reposer en bas. Mais cet habile et merveilleux créateur a presque partout, dans ses ouvrages, franchi les limites de l'ordre naturel. Et pourquoi ne dit-il rien des puissances incorporelles, pourquoi s'en tient-il à cette preuve de l'industrie divine ? Parce que dans ce temps-là, Dieu ne voulait instruire les hommes que de ce qui regarde les choses apparentes. Voilà pourquoi le Père, dans ses fréquents entretiens avec les Juifs, ne leur dit pas : C'est moi qui ai fait les anges et les chérubins.
1. Erreur imputable soit à l'orateur, soit aux copistes.
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« C'est moi, » dit-il, « qui ai déployé le ciel, c'est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui l'a consolidée. » (Isaïe, XLVIII, 13.) Il ne parle jamais que des choses visibles, ne considérant en toute chose que le salut de ceux qui l'écoutent. En effet ces hommes grossiers étaient plus sensibles à ce qui frappe la vue qu'à ces choses qu'elle ne peut atteindre. C'est pourquoi Paul, toutes les fois qu'il s'avance pour prendre la parole, commence par entretenir ses auditeurs des créatures visibles « Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment. » (Act. XVII, 24.) Les pluies annuelles, l'espèce humaine, voilà ce qui lui fournit constamment le début de ses discours. Si je dis que Dieu a fait les chérubins, j'ai deux choses à démontrer: qu'il y a des chérubins et qu'il en est le créateur, quand il s'agit au contraire d'objets visibles, il me suffit de prouver qu'il les a faits. Le discours en devient plus aisé ; car alors il s'appuie sur le témoignage de la vue. La grandeur, la beauté, l'utilité, l'ordre, la proportion sont choses que l'auditeur peut voir. Il me reste seulement à établir que Dieu en est l'auteur. Et pourquoi ne fait-il pas mention du soleil, mais seulement de la lune et des astres? En parlant de ceux-ci, il fait entendre aussi le soleil. Comme il y a des gens qui éliminent la nuit de la création divine, il indique en nommant la lune, que Dieu en est aussi l'auteur. La diversité des astres est infinie, et il serait long d'énumérer toutes les phases de la lune.
« Qu'est-ce que l'homme pour que vous e vous souveniez de lui, ou le fils de l'homme. « pour que vous le visitiez (1)? » (5.) Après avoir parlé de la création, et avoir élevé l'esprit du particulier au. général, il passe à la sollicitude de la Providence pour les hommes. Ce qu'il dit ici concerne spécialement l'homme. Sans doute ce qui précède touchant la Providence le concerne également : car toute la création est faite en vue de l'homme. Mais il aborde ici une autre forme de providence, et il ne se borne pas à en parler avec une infinie gratitude, il remercie le Seigneur au nom de l'univers ; il rappelle ses bienfaits d'une manière générale, et insiste sur les soins tout particuliers qu'il a pris du genre humain. En effet, si l'homme n'était rien dès l'origine, à plus forte raison en était-il ainsi lors de la venue
1 Le saint orateur indique ici deux légères variantes qui disparaîtraient dans une traduction.
du Christ, après tant d'horribles péchés. Le Psalmiste montre que la venue du Christ n'est pas étrangère à la miséricorde, qu'elle est due à une suprême bonté. Comme un bon médecin, il a laissé ceux qui étaient en santé pour venir à nous, êtres malades, créatures de néant. De là cette expression : « Qu'est-ce que l'homme? » En d'autres termes l'homme n'est rien, n'est que misère. A la vue d'une telle sollicitude, d'une si admirable providence, de tant d'oeuvres accomplies pour sauver le genre humain, David se demande avec étonnement et stupeur quel est donc cet être que Dieu a jugé digne de pareils soins. Songez que toutes les choses visibles ont été faites pour lui ; songez que depuis Adam jusqu'à la venue du Christ tout a été réglé pour son intérêt, songez que le paradis, les préceptes, les châtiments, les miracles, les supplices et les bienfaits qui suivirent la loi, que tout cela a été combiné en vue de l'homme; que le Fils de Dieu s'est fait homme à cause de lui. Et qui pourrait dire les biens qui lui sont réservés dans la vie future ? C'est parce qu'il se rappelle tout cela que David s'écrie : Qu'est-ce que l'homme pour que vous l'ayez jugé digne de si grands bienfaits?
7. En effet, si l'on réfléchit à tout ce qui s'est fait ou se fait en vue de cette créature, à tout ce qui lui. est encore promis, on se sent pénétré d'effroi; et c'est alors qu'on peut juger comme il faut, à quel point elle est chère à Dieu. « Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des anges. » (6.) D'autres disent : « Un peu au-dessous de Dieu. » Le texte hébreu est Outhasreou mat me Eloim. Il rappelle ici la condamnation, l'ancienne faute, la mort. Mais la mort même fut vaincue par la venue du Christ. « Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur. » Un autre dit: « Vous le couronnerez de gloire et de noblesse. » On peut prendre ses paroles soit dans le sens historique, soit dans le sens anagogique : David parle du pouvoir dont l'homme fut investi dès sa naissance : il parle aussi des biens que lui procura dans la suite la venue du Christ. A l'origine, Dieu dit à l'homme : « Votre crainte sera sur tous les animaux. » (Gen. IX, 2.) Et encore . « Qu'ils règnent sur les poissons de la mer ! » (Gen. I, 26.) Plus tard il dira : « Marchez sur les serpents et les scorpions. » (Luc, X,19.) Mais David omet ce dernier point, et s'attache de préférence à des considérations (586) moins élevées, laissant aux esprits pénétrants le soin de trouver les autres. En effet, l'époque du Nouveau Testament est plus honorable et plus glorieuse pour l'homme : c'est alors qu'il a le Christ pour chef, qu'il devient son corps, son frère, son cohéritier, que, de corps, il est son semblable; c'est alors qu'il surpasse en gloire Moïse même, ainsi que Paul l'a montré, puisque Moïse se voilait la face, tandis que nous contemplons tous aujourd'hui la gloire de Dieu à visage découvert. De là ces mots : « Ce qu'il y a d'éclatant dans cette partie n'a pas été véritablement glorieux à cause de la gloire éminente de l'autre. » (II Cor. III, 10.) Le Prophète fait donc allusion à cette gloire. En effet, qu'est-ce qui pourrait égaler la gloire d'unir nos voix aux voix des anges , d'être adoptés, de voir le Fils unique lui-même immolé pour nous? quelle pourpre, quel diadème n'est effacé par le privilège de mépriser la mort, de revêtir l'impassibilité des puissances incorporelles, nous, méprisés naguère, obscurs, rebutés? Adam, sans avoir fait ni bien ni mal fut honoré dès sa naissance. Comment aurait-il pu agir avant d'exister? Mais nous, après avoir commis une infinité de crimes, nous jouissons d'honneurs incomparablement plus grands. « Je ne vous appelle plus serviteurs, » est-il écrit : « car vous êtes mes amis. » (Jean, XV, 15, 14.) Les anges ne rougissent plus à cause de nous : que dis-je? ils s'entremettent pour notre salut. En effet, Philippe reçut la visite d'un ange, ainsi que beaucoup d'autres : des anges annoncèrent à des hommes la Bonne Nouvelle. Nous ne sommes plus des héritiers d'ici-bas; nous sommes associés au patrimoine des cieux, nous partageons le domaine du Christ, du Fils unique. Tout cela est renfermé dans ce qui est écrit de notre gloire et de nos honneurs. Aussi le Psalmiste dit-il : « Vous le couronnerez de gloire et d'honneurs, » parce qu'il prédit l'avenir.
« Et vous l'avez établi sur les ouvrages de vos mains. » Un autre dit : « Et vous lui avez donné l'empire sur les ouvrages de vos mains. » (P. VIII, 7.) « Vous avez tout mis sous ses pieds. Les brebis et tous les bufs, avec les troupeaux de la campagne. » Suivant un autre: «Avec les bêtes sauvages. » (Ibid. 8.) « Les oiseaux du ciel, et les poissons de l'Océan qui traversent les chemins des mers. » (Ibid 9.) « Seigneur, notre Seigneur, que votre nom est admirable sur toute la terre! » (Ibid. 10.) Comme en parlant de la création, il ne se contente pas de toucher aux puissances d'en-haut, et aborde aussi les choses sensibles . ainsi, lorsqu'il expose les honneurs accordés à l'homme, il indique par une simple allusion les choses mystérieuses et incorporelles dont il a fait mention, et insiste principalement sur les avantages sensibles, comme plus propres à frapper les esprits grossiers. Quels sont ces avantages? L'empire donné à l'homme sur ce monde.
Et ce qu'il y a d'admirable, ce que le Psalmiste indique surtout, c'est que l'homme comblé d'honneurs avant sa faute, n'en soit pas déchu après son péché. « Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des anges, » c'est-à-dire, vous avez puni son péché de la mort. Mais vous n'avez point pour cela dépouillé ce condamné à mort des présents que vous lui aviez faits. En conséquence, il montre aussitôt après l'ineffable bonté de Dieu, qui, malgré l'abaissement où nous sommes tombés par suite de notre péché, a permis que nous fussions couronnés de gloire, et n'a diminué en rien notre empire. Ou du moins s'il en a retranché quelque chose, c'est encore un effet de sa sollicitude. Avant sa désobéissance , l'homme étendait son autorité jusque sur les bêtes. Après la désobéissance, il perdit quelque chose de ce pouvoir. Encore aujourd'hui il a des moyens pour les rendre dociles; ruais il faut qu'il les effraye, les épouvante. Dieu ne lui a pas ôté tout son pouvoir, il ne lui a pas non plus laissé ce pouvoir tout entier. Les animaux nécessaires soit à la nourriture, soit à l'industrie de l'homme, sont restés sous sa domination : mais il n'en est plus ainsi des bêtes sauvages, qui lui font une guerre destinée à lui rappeler la faute autrefois commise par Adam , notre premier père. De sorte que cette révolte même est pour nous un grand avantage. Quel profit nous reviendrait-il de la docilité des lions, de la domesticité des panthères? Rien qu'orgueil et vanité. Voilà pourquoi Dieu a permis que ces animaux-là s'affranchissent de notre autorité, tout en nous assujettissant ceux qui peuvent nous être utiles, le boeuf qui laboure, la brebis qui revêt la nudité de notre corps, les bêtes de somme nécessaires pour le transport, les oiseaux, les poissons, qui font l'ornement de nos tables.
8. Dieu agit vis-à-vis de nous comme un (587) père de famille, qui, en déshéritant son fils, ne le dépouille pas de tout son patrimoine, mais d'une partie seulement, afin de le corriger que dis-je? sa conduite fut directement contraire. Le père qui déshérite son fils le prive de la plus grande partie et ne lui laisse que la plus faible : au contraire, Dieu nous a laissé la plus forte part et ne nous a retiré qu'une fraction minime, encore est-ce pour notre avantage, afin que nous ne triomphions pas trop facilement de toutes les autres créatures. Mais en cela encore, vous avez une marque de la sollicitude de Dieu : en aiguisant notre intelligence, en abattant notre orgueil, en nous interdisant une fâcheuse oisiveté (car l'homme s'abandonnerait à la mollesse, si tout lui venait de soi-même), il a mêlé l'existence de quelques difficultés, il a empêché que le travail ne nous fût nécessaire pour tout, ni, pour tout, superflu. Il a fait en sorte que les choses nécessaires nous fussent données sans peine et sans fatigue; les choses de luxe, au contraire, au prix des fatigues et de la peine, afin de diminuer, en cela aussi, l'excès de notre sécurité.
Que si l'on vient nous dire : Mais à quoi servent les bêtes féroces? nous répondrons : D'abord à nous inspirer de l'humilité, à nous fortifier par la lutte, à réveiller chez le plus vain le souvenir de sa bassesse, devant une brute, qui lui fait peur. En outre, beaucoup de maladies trouvent là des remèdes. Mais celui qui nous demande pourquoi il y a des bêtes féroces, nous demanderait-il aussi ce que font en nous la bile ou la pituite ? Ces choses aussi, pour peu qu'on les irrite, nous attaquent avec plus de fureur que les bêtes féroces, et exercent leurs ravages dans tout notre corps. La colère aussi nous fait la guerre, et pareillement la concupiscence, et ces deux ennemis sont plus acharnés que des bêtes sauvages contre ceux qui ne savent pas les brider ou les contenir. Que dis-je? le courroux, la colère? Nos yeux mêmes nous causent parfois plus de maux que les bêtes féroces, en faisant pénétrer dans notre cur les traits redoutables de l'amour. Et cependant, nous n'irons pas dire pour cela : A quoi bon? Au contraire, nous, saurons gré au Maître de tout ce qu'il a fait. La bête est pour l'homme ce qu'est le fouet pour un enfant. Si, parmi tant de dangers, l'orgueil enfle encore tant de coeurs, ce frein ôté, jugez des progrès que ferait le vice. Voilà pourquoi notre corps est ce qu'il est, exposé aux infirmités, aux souffrances, assiégé par mule fléaux; pourquoi la terre n'accorde ses biens qu'au travail; pourquoi la vie entière est arrosée de sueurs. C'est parce que la vie présente n'est qu'une école, c'est parce que le repos et l'oisiveté perdent la plupart des hommes, que Dieu a mêlé à notre existence, le travail et la peine, comme un frein destiné à réprimer l'excitation de nos pensées. Mais voyez : les animaux qui nagent dans l'abîme des eaux, ceux qui s'élèvent dans les airs, le Seigneur les a soumis eux-mêmes à votre industrie. Et pourquoi David ne passe-t-il pas en revue toutes les choses visibles, les plantes, les graines, les arbres? En nommant la partie il fait entendre le tout, et laisse aux hommes studieux le soin de rechercher le reste. Puis il termine ainsi qu'il a commencé: « Seigneur, notre Seigneur ! » avant et après sa description, les mêmes expressions reviennent. Persistons donc, nous aussi, à redire la même chose, à admirer la Providence de Dieu, sa sagesse, sa bonté, sa sollicitude pour nos intérêts. Voilà ce que nous avions à dire pour compléter l'interprétation. Maintenant, si vous le voulez, nous en viendrons à la controverse, et nous demanderons aux Juifs en quelles circonstances on a entendu chanter de petits enfants, à quelle époque un tel chant a détruit l'ennemi, enfin, quand le nom de Dieu a été admirable. Ils ne sauraient citer un autre moment que celui dont nous avons parlé, moment où reluit la puissance de la vérité avec plus d'éclat que le soleil. Voilà pourquoi le Psalmiste dit: « Je verrai les cieux ouvrages de vos doigts. » D'ailleurs Moïse avait dit précédemment : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre.»
En voilà assez à l'adresse des Juifs, avec ce que nous avons dit plus haut : mais il est des hommes qui, imitant et adoptant leur doctrine, hormis en ce qui touche la circoncision (je parle des disciples de Paul de Samosate), prétendent que le Christ exista seulement du jour où il sortit du sein de Marie : Demandons-leur donc, à eux aussi, comment il se fait que le Christ ait créé les cieux , s'il est vrai qu'il n'existe que depuis cette époque. En effet, selon le prophète, Celui qui fit parler des enfants à la mamelle est aussi le créateur des cieux. Que s'il créa les cieux, il existait donc avant les cieux; et loin de devoir à Marie son origine, il lui est antérieur. Considérez ici la sagesse du Prophète ! Il n'en fait pas (588) seulement un créateur, mais un créateur qui produit ses oeuvres sans peine. De là : « Je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts : » non que Dieu ait des doigts; mais le Psalmiste veut montrer que les créatures visibles n'ont coûté aucun effort, et c'est pour cela qu'il désigne des choses qui nous surpassent par des noms qui nous sont familiers. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : « Celui qui mesure le ciel à l'empan et la terre avec la paume de sa main. » (Isaïe, XL, 10.) Ce n'est pas qu'il ait en vue alors ni l'empan, ni la paume de la main, mais c'est qu'il veut représenter l'infinie puissance de Dieu. Comment donc quelques-uns osent-ils faire du Fils un ministre? Celui qui n'a pas même mis en oeuvre tous ses moyens quand il s'agissait de créer le ciel, que dis-je : tous ! pas même la plus faible partie : comment celui-là serait-il un simple ministre? et comment serait-il un ministre si « ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement? » Que devient ce mot : « Pareillement, » si l'un est ministre et l'autre créateur? Et comment le Psalmiste peut-il attribuer les oeuvres mêmes à ce ministre, en disant, par exemple: « Au commencement, Seigneur, tu as fondé la terre, et les cieux sont des ouvrages de tes mains; » ou comme ici : « Je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. » Les ouvrages ne sont point dus aux ministres, mais aux créateurs; qu'il y ait eu, ou non, un ministre, c'est toujours au créateur que l'oeuvre est attribuée. Donc les paroles de Moïse lui-même concernent aussi le Fils. Je veux dire : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre; » et: « Qu'ils dominent sur les poissons de la mer. » (Gen. I , 1 et 26.) Car celui qui mit sa louange dans la bouche des petits enfants à la mamelle, est le même qui visita l'homme.
9. Ce que Moïse dit du Père, Paul l'applique au Fils, montrant par là leur complète égalité. En conséquence , puisqu'il était indifférent aux Saints d'appliquer au Fils ce qui est dit du Père, et réciproquement : « Tout cela a été fait par lui. » (Jean, I, 3.) Que devient cette appellation du ministre? elle ne signifie plus rien. Mais, dira-t-on : « Par lui, » cela signifie par son entremise (1). Mais si la même expression est employée aussi en parlant du Père ? Ecoutez plutôt : « Il est fidèle, le Dieu par qui
1 La différence des langues nous a contraint d'amplifier un
peu ce que saint Jean ne fait qu'indiquer; la nuance est celle qui existe en latin entre a
quo et per quem
vous avez été appelés à la société de son Fils. » (I Cor. I, 9.) Et encore : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu. » (II Tim. I, 1.) Et ailleurs : « Puisque c'est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses. » (Rom. XI, 36.) Mais, pourquoi l'appelez-vous ministre ? Par déférence pour le Père. Pourtant le Fils a dit : « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père. » (Jean. V, 23.) Pour celui qui n'honore pas le Fils, il est clair qu'il n'honore pas non plus le Père. Quoi donc, dira-t-on ? J'appellerai Père le Fils? Nullement. Jésus n'a pas dit : Afin que vous m'appeliez Père; mais bien, afin que vous honoriez le Fils éternel comme le Père. Appeler Père le Fils, ce serait tout confondre. La distinction subsiste : mais les honneurs sont communs. Si le Père est ici nommé avec le Fils, c'est justement pour prévenir la confusion des personnes. Mais si la substance de l'un n'était pas celle de l'autre, comment réclamerait-elle les mêmes honneurs? On dira : Pourquoi donc le Christ parle-t-il souvent un langage si humble ? C'est pour nous enseigner l'humilité, c'est à cause de l'enveloppe de chair dont il était revêtu, c'est à cause de la stupidité des Juifs, c'est parce que l'espèce humaine ne peut être amenée à la vraie doctrine que pas à pas; c'est en considération du peu de lumières des auditeurs : d'ailleurs il approprie souvent son langage aux opinions de ceux qui l'écoutent. En effet, les choses sublimes ne sont pas pour ceux-là seuls qui sont dignes de les entendre : ou plutôt, quoi que l'on puisse dire de la divinité, on demeure toujours bien au-dessous de sa grandeur, on emploie nécessairement le langage de la condescendance. Prenons un exemple : Dieu est grand? Mais c'est parler petitement de Dieu : la grandeur , quelle qu'elle soit, est bornée; or Dieu est infini. Et c'est encore en parler petitement. Je sais qu'il n'a point de limites; mais ce qu'il est, où il est, c'est ce que j'ignore. Appelez-le sage, bon, et cela infiniment; c'est encore parler un langage indigne de lui, si l'on n'attache aux termes une signification convenable. Par conséquent, si des expressions si fortes restent encore au-dessous de la vérité, comment justifier ceux qui voudraient les affaiblir? Fuyons leurs entretiens, et bien persuadés de l'éternité du Fils unique, de son pouvoir créateur, de son absolue souveraineté , de sa consubstantialité (589) parfaite avec le Père, de sa condescendante Providence, des mille formes que prend sa sollicitude à notre égard (tels sont, en effet, avec bien d'autres, les enseignements renfermés dans ce psaume, pour l'usage des esprits attentifs) , gardons la pureté des dogmes, et signalons-nous par une conduite digne de notre foi, afin d'obtenir les biens futurs, desquels puissions-nous tous être comblés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire et honneur, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.