ANALYSE.
1. Que le langage de l'Ancien Testament s'explique en beaucoup
d'endroits par la condescendance divine.
2. Que le péché est atténué ou aggravé par les circonstances
: divers exemples.
3. Conditions nécessaires pour la guérison des maladies de
l'âme.
4. Pénitence de David : exemple proposé aux fidèles.
5. Angoisses salutaires de la pénitence. Fuite des
mauvaises sociétés.
6. De la vigilance à réprimer les moindres atteintes du péché.
1. Quand vous entendez employer en parlant de Dieu, ces expressions « colère, courroux, » n'allez pas vous représenter quelque chose d'humain : ce langage est celui de la condescendance. La divinité est exempte de toute imperfection pareille: mais elle a recours à ces termes afin de frapper les esprits grossiers. Nous aussi, voulons-nous parler à des barbares, nous leur parlons dans leur langue; nous adressons-nous à un petit enfant, nous balbutions comme lui; quand bien même nous serions les plus grands savants de la terre, nous condescendons de la sorte à sa faiblesse. Et faut-il s'en étonner, quand nous allons jusqu'à feindre la colère et en simuler les signes devant le même enfant, pour le corriger? C'est ainsi que Dieu, afin de frapper les hommes grossiers, se sert des termes dont j'ai parlé. Ce qu'il a en vue n'est point de parler dignement de lui-même, mais de rendre service à ceux qui l'entendent. Il montre bien ailleurs qu'il est insensible à la colère en disant : « Est-ce moi, n'est-ce pas eux-mêmes qu'ils mettent en colère? » (Jér. VII, 19.) Mais comment vouliez-vous qu'il se fît entendre des Juifs ? pouvait-il leur dire qu'il ne s'irrite pas contre les méchants, ne les hait point, car la haine est une passion; qu'il ne voit pas les choses humaines, car voir est un acte corporel ? qu'il n'entend pas, car entendre aussi procède de la chair ? Mais t'eût été donner naissance à cette autre opinion détestable, que la Providence ne veille pas sur l'univers, en se refusant à laisser attribuer ces actes à Dieu, beaucoup des hommes d'alors en seraient venus, à méconnaître absolument la Divinité; et cette notion une fois obscurcie, tout était perdu : tandis que l'autre opinion pouvait facilement être amendée. Celui qui est persuadé de l'existence de Dieu, et s'en forme d'ailleurs une idée indigne et grossière, se convaincra,avec le temps, que l'essence divine répugne à une; pareille conception : mais celui qui croit que Dieu est sans providence, qu'il ne s'occupe point des créatures, ou même qu'il n'existe point, que gagnera-t-il à ce qu'on lui révèle la nature (552) impassible de la divinité? Aussi Dieu, après avoir commencé par tenir aux Juifs ce langage, après avoir déposé dans leur esprit la notion de son existence, réforme peu à peu leurs erreurs, et les amène progressivement à la doctrine qui est la nôtre, au langage sublime de la vérité, à la croyance qu'il est inaccessible aux passions. En effet, un autre prophète dit: « Il ne sentira ni la « faim, ni la fatigue.» (Isaïe, XL, 28.) Et le même, qui avait parlé de la colère de Dieu, montre ailleurs, dans les termes suivants, que la divinité est impassible : « Est-ce moi, n'est-ce pas eux-mêmes qu'ils mettent en colère? » Un autre avait dit que Dieu est dans le temple; mais le même dit ailleurs : « Il n'y a pas en toi d'homme saint, et je n'entrerai pas dans la ville. » (Osée, XI, 9.) C'est-à-dire que Dieu n'est pas renfermé dans un lieu. Un autre passage indique aux hommes intelligents, sinon à tous les hommes, que l'être affranchi des passions impérieuses qui sont nécessaires à la vie, est, à plus forte raison, exempt des autres. C'est ce qu'on peut conclure de ces paroles : « Tu ne seras pas comme un homme endormi. » (Jér. XIV, 9.) Partout apparaît l'idée de l'impassibilité divine. Ici même, en entendant ce mot de courroux, n'allez point vous figurer une passion. Si les hommes adonnés à l'étude de la sagesse restent, dans une certaine mesure, insensibles à la colère, à plus forte raison en est-il ainsi de la substance impérissable, incorruptible, ineffable, incompréhensible. Les médecins, qui emploient le fer et le feu, n'agissent point ainsi par colère, mais en vue d'une guérison , ils ne sont point irrités contre leurs malades : ils en ont pitié, ils veulent porter remède à leurs maux. Le Psalmiste donc, en disant : « Ne me reprenez point dans votre colère, » veut dire : Ne me demandez point un compte sévère de mes fautes, ne punissez point mes prévarications. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. » Ce cri nous convient à tous, quels que puissent être la multitude de nos bonnes couvres, le degré de notre justice. De là ces paroles qu'on rencontre plus loin chez le même: « Tout ce qui vit ne sera point justifié en votre présence. » (Ps. XIV, 2.) Et encore : « Si vous observez les iniquités, qui restera debout? » (Ps. CXXIX, 3.) Paul dit aussi: « Je n'ai conscience de rien, mais ce n'est point en cela que je suis justifié. » (I Cor. IV, 4) Et un autre : « Qui se vantera de posséder un coeur pur? qui prétendra être exempt de souillure?» (Prov. XX, 9.) Ainsi nous avons tous besoin de la miséricorde, mais nous ne la méritons pas tous également. En effet, tout en étant la miséricorde, elle ne se donne qu'à celui qui la mérite. Dieu le dit à Moïse: « J'aurai pitié de celui dont j'aurai pitié, je ferai miséricorde à celui à qui je ferai miséricorde. » (Exod. XXXIII, 19.) Ainsi celui qui aura mérité de quelque façon la miséricorde pourra dire : « Ayez pitié de moi; » mais celui qui se sera interdit à lui-même ce recours, aura beau tenir le même langage; car si la miséricorde devait être accordée à tous, il n'y aurait plus de châtiment pour personne. Mais la miséricorde elle-même nécessite un certain jugement préalable; elle se donne à celui qui la mérite, qui est en état d'en jouir.
2. Beaucoup du moins ont commis les mêmes fautes, qui n'ont pas été punis du même châtiment, parce qu'ils n'avaient pas les mêmes raisons à produire : si vous voulez, nous nous arrêterons à présent sur ce point. Tous les Juifs péchèrent, tous tombèrent dans l'idolâtrie; mais ils rie furent pas également punis: les uns furent frappés, les autres obtinrent leur pardon. En effet, ce n'est pas l'acte seul qui est considéré dans le péché, c'est encore l'intention, la circonstance, le motif, enfin ce qui a suivi la faute : s'il y a eu endurcissement ou repentir, tentation ou fraude et préméditation. Beaucoup de points sont à rechercher, en ce qui touche à la différence des conjonctures, à la législation régnante. Par exemple, on a péché sous l'ancienne loi, on pèche sous la nouvelle : mais la punition n'est pas la même dans les deux cas; elle est plus rigoureuse dans le second. C'est ce que Paul fait entendre par ces paroles: « Celui qui viole la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de l'alliance? » (Héb. X, 28-29.) Par ces mots : « Combien pensez-vous que mérite de plus affreux supplices, » il indique un surcroît de rigueur. On a péché avant la loi, on a péché sans la loi. Les premiers de ces pécheurs sont moins sévèrement punis. Ce que l'Apôtre fait entendre, en disant : « Ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi. » (Rom. II, 12.) Qu'est-ce à dire ? C'est à dire qu'ils ont la nature pour accusatrice, et que les autres en ont une (553) seconde encore qui est la loi; que plus on a reçu d'instruction, plus on subira une peine rigoureuse. La même différence s'observe eu ce qui concerne les dignités : c'est ce que montre clairement le sacrifice. La victime était la même pour racheter le péché du peuple tout entier que pour expier celui du prêtre seul. On voit par là que, plus le rang est élevé, plus le châtiment est rigoureux. La femme du commun, qui s'était prostituée, périssait. La fille du prêtre était brûlée. Il y a encore une autre cause d'allégement ou d'aggravation: pour la peine de deux pécheurs, par exemple, l'un est châtié en ce monde, l'autre vit au sein des plaisirs. Celui-ci sera puni plus rigoureusement là-haut, celui-là avec plus de douceur, s'il n'est pas absolument déchargé de sa dette. Le Christ indique cela, lorsqu'il nous montre Abraham disant au riche : « Tu as reçu tes biens, celui-ci ses maux, et maintenant celui-ci est consolé, et toi, tu souffres. » (Luc, XVI, 25.) Cet homme, à cause de ses souffrances, avait été relevé de tout châtiment, d'autres ne le sont qu'en partie, et leur punition est seulement allégée. On trouvera de même que le degré d'intelligence met une différence entre les châtiments, si l'on fait attention à cette parole : « Le serviteur, qui sait la volonté de son maître et ne l'accomplit pas, recevra des coups nombreux; celui qui ne la connaît pas et ne l'accomplit pas, recevra peu. » (Id. XII, 47-48.) On relèverait bien d'autres raisons qui modifient le châtiment, la miséricorde, la charité. Prenons, par exemple, le premier homme. Eve pécha, Adam pécha, et leur faute fut pareille. Tous deux avaient mangé du fruit de l'arbre, mais ils ne furent point également punis. Caïn commit un meurtre, Lamech aussi; mais l'un obtint miséricorde, l'autre fut châtié. Quelqu'un avait ramassé du bois le jour du sabbat, il fut puni inexorablement. David avait été homicide, adultère, et il fut traité charitablement. Appliquons-nous à cette recherche, cela vaut mieux que de donner son attention aux propos frivoles de la place publique. Ici trouver n'est pas le seul avantage, chercher sans trouver est encore un profit. Car la difficulté même nous donnera de l'occupation, et réclamera tout notre temps.
Pourquoi donc (je reviens à notre sujet), lorsque tous les Juifs avaient contribué à l'érection du veau d'or, les uns furent-ils punis, les autres, non? C'est que les uns se repentirent et allèrent jusqu'à oublier la nature, lorsqu'ils égorgèrent leurs proches par piété; les autres persévérèrent dans le crime. Le péché était égal, ce qui le suivit ne fut point pareil des deux côtés. Et pourquoi la peine infligée à, Adam et Eve ne fut-elle point la même pour un même péché? Parce que ce n'était point la même chose d'être trompé par une femme ou par un serpent. Ecoutez comment Paul entend la tromperie : « Adam ne fut pas trompé; mais a sa femme trompée tomba dans le péché. » ( I Tim. II, 14.) Et pourquoi celui qui avait ramassé le bois n'obtint-il pas d'indulgence? Parce qu'il y avait une grande iniquité à transgresser le précepte dès le début, et qu'il fallait inspirer une vive crainte aux autres. La même chose arriva pour Saphire et pour Ananie. En conséquence, lorsqu'il nous arrive à nous-mêmes de pécher, examinons si nous sommes dignes de miséricorde, si nous avons fait quelque chose pour obtenir compassion, si nous nous sommes repentis, améliorés, corrigés. En effet, le salut accordé au repentir est un salut dû à la miséricorde. C'est par là que David lui-même demande à être sauvé, à force de larmes, de gémissements. « Je laverai,» dit-il, « chaque nuit ma couche, je mouillerai mon lit de mes larmes. » (Ps. VI, 7.) Mes larmes, c'est-à-dire ma componction. « Mes os ont été troublés » (Ibid. 3), « et mon âme a été dans un grand trouble. » (Ibid. 4.) Il n'en vient pas tout de suite à son objet, il allègue la fragilité de sa nature en disant : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. » Il parle ainsi, pour montrer que cela ne suffit pas; si cela suffisait, nous serions tous sauvés par là; car nous sommes tous des hommes.
3. Mais, à vrai dire, s'il faut presser le sens de ses paroles, ce n'est pas là peut-être ce qu'il veut exprimer. Il fait plutôt allusion à la faiblesse qui résulte des tentations, et il s'en fait justement un titre pour obtenir miséricorde et clémence. Du moins, il y fait allusion dans la suite en disant : « J'ai vieilli parmi tous mes ennemis. » (Ibid. 8.) En effet, la tribulation endurée avec gratitude, a le don d'attirer sur nous de grandes grâces et de nous rendre Dieu propice. Ce sont donc ces grâces qu'il me paraît avoir en vue, lorsqu'il dit : « Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. » Il ne dit pas: pardonnez-moi, ni faites-moi rémission, mais bien : « (554) Guérissez-moi. » Il demande que ses précédentes blessures soient cicatrisées. En disant « Mes os, » il désigne sa force en général; le trouble, c'est la peine, le châtiment, les coups portés: Guérissez-moi, Seigneur, parce que « mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. » On distingue ces trois choses quand il s'agit de guérir le corps, ou plutôt on en distingue quatre ou cinq; le médecin, son art; le malade, la maladie; la vertu des remèdes; de l'opposition de ces choses, résulte une espèce de combat; si le médecin, la médecine, les remèdes ont pour auxiliaire la volonté du malade, ils triomphent de la maladie. Si, au contraire, le malade refuse de les assister, il se livre lui-même à la maladie; quelquefois même il prend parti pour elle contre le médecin, les remèdes et la médecine, et alors il se tue. C'est la même chose dans le cas présent, ou plutôt, c'est quelque chose de bien plus extraordinaire. Souvent, dans les maladies que traitent les médecins, le malade se range du côté de la médecine et des remèdes, sans y rien gagner, parce que sa constitution est affaiblie, parce que l'art est devenu impuissant, parce que les remèdes ont perdu leur vertu sous l'influence de quelque conjoncture funeste. Il n'en est pas ainsi quand c'est Dieu qui est le médecin; pour peu que vous soyez avec lui, votre plaie est infailliblement guérie. Car ce n'est pas ici un art humain sujet à l'incertitude, mais une divine efficace, plus forte que les tempéraments, les maladies, les infirmités morales et toutes les imperfections. C'est pourquoi David s'adresse à Dieu comme à un médecin, et lui dit en gémissant : « Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés. » Quelques-uns prétendent qu'il a ici en vue le trouble produit par le péché. En effet, comme on voit des vents furieux, une fois déchaînés sur la mer, la bouleverser, porter à la surface le sable qui était au fond, et mettre en danger les navigateurs; ainsi notre âme se trouble quelquefois, notre corps est agité, la tempête ébranle tout notre être, le tumulte règne sur notre navire, les ténèbres l'enveloppent, tout quitte sa place, la confusion se met partout. C'est ce qui arrive surtout dans les passions dissolues; la même chose se passe encore dans la colère et dans les infortunes. Tout cela trouble notre âme et nos os, nos prunelles sortent de leur orbite, nos yeux même ségarent; ainsi que les chevaux courent en désordre quand le cocher a perdu son sang-froid, ainsi quand la raison est aveuglée, tout se confond, tout s'égare, tout sort de sa propre vie. Mais, comment naît ce trouble? c'est ce qu'il est nécessaire maintenant d'expliquer.
Si c'est la fureur des vents qui soulève les flots, il n'en est pas ainsi dans notre âme; ici, la cause du désordre n'est point un hasard extérieur, mais notre propre nonchalance. C'est à nous qu'il appartient de le prévenir ou de le permettre. Par exemple, une fois la concupiscence éveillée, si vous évitez d'attiser la flamme, d'alimenter le foyer, la fournaise est vite éteinte. Or, vous l'éviterez, si vous détournez vos regards des visages séduisants, si vous ne leur permettez pas de s'attacher curieusement sur les belles formes, si vous fuyez les théâtres d'iniquité. Si vous savez sevrer la chair, préserver votre pensée de l'ivresse, la flamme ne s'élèvera point, la fournaise ne s'échauffera pas, vous ne stimulerez pas en vous la férocité de la brute, vous ne laisserez pas l'orage altérer la pureté de votre âme. Est-ce donc assez, dira-t-on, pour échapper à l'incendie du péché? Non, cela ne suffit point, il faut y joindre encore autre chose; des prières continuelles, de vertueuses fréquentations, un jeûne modéré, un régime frugal, des occupations régulières, avant toute chose, la crainte de Dieu, l'idée du jugement futur, des redoutables supplices, des récompenses promises. Par tous ces moyens, vous pouvez refréner la rage de la concupiscence, et calmer en vous la tempête. « Mais vous, Seigneur, jusques à quand? Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme, sauvez-moi par l'effet de votre miséricorde. » (Ps. VI, 5.) Il répète constamment ce mot « Seigneur, » comme pour s'en faire un titre à la grâce et au pardon; et, en effet, voilà notre plus ferme espérance; elle réside dans la bonté ineffable de Dieu, dans son penchant naturel à l'indulgence. Quant à cette expression « Jusques à quand, » il ne faut pas l'imputer au découragement ni à l'amertume; elle ne marque que l'excès des souffrances d'un homme accablé sous le faix des épreuves.
4. « Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme. » Ici il demande en même temps à Dieu de diriger vers lui ses regards et de défendre son âme. Les justes ne tiennent à rien autant qu'à se réconcilier avec Dieu, à se le rendre bienveillant, propice, à faire qu'il ne (555) se détourne pas d'eux. Après cela vient une seconde prière pour le salut de son âme. La plupart des hommes, surtout des hommes grossiers, ne songent qu'à une chose, à jouir ici-bas de la prospérité. Il n'en était pas ainsi de ces justes; ils songeaient surtout au salut de leur âme, lequel passait avant toute autre chose à leurs yeux. « Parce qu'il n'y a dans la mort personne qui se souvienne de vous; dans l'enfer, qui vous rendra témoignage? » (Ib. 6.) Voyez tout ce qu'il allègue pour être sauvé. « Je suis faible, » dit-il, « mes os ont été troublés; » si j'adresse au Seigneur une pareille requête, c'est qu'il n'y a dans la mort personne qui se souvienne de lui. Il n'entend point par là que le présent soit tout pour nous; à Dieu ne plaise ! Il connaît la promesse de la résurrection. Il veut dire qu'après le départ d'ici-bas, le repentir devient inutile. Le riche aussi confessait ses fautes et s'en repentait, mais en vain, parce qu'il n'était plus temps. Les vierges aussi auraient voulu recevoir de l'huile, mais personne ne leur en donna. David souhaite donc de pouvoir en ce monde expier ses péchés, afin de comparaître avec confiance au redoutable tribunal. Il fait voir ensuite que la bonté divine réclame le concours de nos uvres, qu'en vain nous allèguerions notre faiblesse, notre trouble, la clémence de Dieu, ou ce dernier motif qu'il vient de faire valoir, si, de notre côté, nous n'avons pas fait tout notre possible, et voici comment il s'exprime aussitôt après: « Je me suis fatigué dans mes gémissements; j'arroserai chaque nuit ma couche; je mouillerai mon lit de mes larmes. » (Ib. 7.)
Ecoutez, hommes d'humble condition, quelle fut la pénitence de ce roi vêtu de la pourpre; écoutons et soyons pénétrés de componction. C'est peu de souffrir, il se fatigue à force de gémissements; c'est peu de pleurer, il arrose sa couche, et non pas un, deux, trois jours, mais tous les jours sans exception ; et il ne parle pas seulement du passé, mais encore de l'avenir. Gardez-vous donc de croire, qu'après l'avoir fait une fois, il se soit ensuite abandonné au relâchement; il ne cessa d'agir de la sorte sa vie durant. Ce n'est pas comme nous,qui après un repentir d'un jour (quand il a duré tout un jour), nous abandonnons à la gaité, au plaisir, au relâchement. David ne cessait de verser des larmes. Imitons cette assidue pénitence. Car si nous refusons de pleurer ici-bas, ailleurs il nous faudra pleurer et gémir; et ce sera chose inutile, tandis qu'en ce monde ce serait pour notre bien; là, ce sera pour notre honte, ici, ce serait avec honneur. Que c'est là une nécessité, c'est ce que le Christ nous révèle en ces termes: «Là seront les pleurs elles grincements de dents. » (Matth. VIII, 12.) Mais il n'en est pas ainsi de ceux qui pleurent ici-bas : ils trouveront d'abondantes consolations: «Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. Malheur à vous, riches, parce que vous recevez votre consolation.» Vous qui dormez sur des lits d'argent, écoutez quelle était la couche de ce roi : elle n'était point décorée d'or, ni incrustée de pierres précieuses, mais arrosée de larmes. Ses nuits n'étaient pas des nuits de repos, mais des nuits de gémissements et de lamentations. Distrait par mille soucis durant le jour, il consacrait à la pénitence le temps que tout le monde réserve pour le repos; et c'est alors qu'il gémissait tout à son aise. Il est toujours beau de pleurer, mais jamais autant que pendant la nuit , lorsque nul importun n'est là pour nous troubler dans ces étranges délices, et que nous pouvons nous en rassasier à notre gré et sans être dérangés. Ceux qui en ont fait l'épreuve savent ce que je dis, et quel bonheur procurent ces torrents de larmes. Voilà ce qui peut éteindre le feu inextinguible, et tarir le fleuve qui coule devant le tribunal. Voilà pourquoi Paul aussi pleura nuit et jour durant trois années, dans son zèle à porter remède aux maux d'autrui : mais nous, nos propres maux nous laissent indifférents; nous nous livrons à la gaîté, au plaisir, et, la nuit venue, nous tombons dans un profond sommeil. Ce sommeil-là est pareil à la mort : mais d'autres passent la nuit dans des veilles pires que la mort, tout occupés à ce moment de créances, d'intérêts, d'entreprises contre le prochain. Autrement font les sages: ils cultivent leurs âmes, les arrosent d'une pluie de larmes, qui fait fructifier en elles les germes de la vertu. Point de vice, point de débauche qui ait accès dans une couche baignée de larmes pareilles. Celui qui les répand regarde comme rien les choses de la terre : il fortifie son âme contre toute attaque, il rend sa pensée plus sereine que la lumière du jour. Et n'allez pas croire que je ne parle ici que pour des moines : mon exhortation s'adresse aux hommes du siècle, à eux principalement : car ce sont eux qui ont le plus besoin des remèdes de la pénitence, (556) L'homme qui gémit de la sorte se lèvera portant dans son âme la sérénité d'un port paisible, libre désormais de toute passion; c'est avec un bonheur sans mélange, avec une confiance parfaite qu'il se rendra alors à la maison de Dieu; c'est avec joie qu'il conversera avec son prochain ; car la colère sera loin de son coeur ; il ne sentira ni l'aiguillon de la concupiscence , ni celui de la cupidité ou de la jalousie , ni rien de semblable : Car les gémissements et les larmes de la nuit auront refoulé dans leurs tanières ces monstres furieux. « Le courroux a troublé mes yeux. » (Ps. VI, 8.) Voyez-vous la contrition de cette âme? Après avoir parlé de son repentir, il revient sur ses maux, sur le trouble de ses pensées, sur la crainte de la colère divine.
5. Il entend ici par oeil cette portion
raisonnable et perspicace de l'âme, que trouble ordinairement en nous la conscience de
nos fautes. Comme il ne cessait d'avoir ses fautes devant les yeux, il se représentait
aussi la colère de Dieu, et vivait dans la crainte, les angoisses, le tremblement, et non
comme tant d'autres, dans l'insensibilité. Un tel trouble engendre le calme; une telle
crainte est un principe de sécurité. Quiconque éprouve ces angoisses échappe à tout
orage; faute d'avoir l'âme en cet état, on sera exposé à toute la fureur des vagues.
Et de même qu'une barque sans lest, livrée aux assauts des vents furieux, ne tarde pas
à être engloutie : ainsi l'âme qui vit dans l'apathie doit s'attendre à d'innombrables
maux. Aussi le bienheureux Paul, ayant en vue ce genre de douleur, disait-il : « Ceux
qui, devenus insensibles, se sont livrés à l'impudicité, à toutes sortes de
dissolutions, à l'avarice. » (Ephés. XIV, 19.) Ainsi qu'un pilote garantit la
sécurité de tous les passagers, tant qu'il est lui-même inquiet sur leur sort, et leur
cause, au contraire, de vives alarmes, s'il vient à perdre ce souci et à s'endormir; de
même l'homme qui vit dans les angoisses, le trouble, le tremblement, met en repos sa
propre pensée, tandis que celui qui s'abandonne au. sommeil de l'insouciance cause le
naufrage de son esquif. « J'ai vieilli parmi tous mes ennemis. » Qu'est-ce à dire : «
J'ai vieilli? » C'est-à-dire, j'ai perdu ma force sous leurs coups. Ce monde est un lieu
de combats, mille ennemis désolent notre vie; et les fautes où nous tombons ne font que
les rendre plus forts. Il faut donc travailler de toutes nos forces à leur échapper, et
fuir toute réconciliation avec eux : c'est le plus sûr moyen de nous sauver. Paul fait
allusion à cette phalange d'ennemis en disant : « Nous n'avons point à lutter contre la
chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce
monde de ténèbres. » (Ibid. VI, 12.) Si telle est la phalange de nos ennemis, toujours
et sans cesse, il faut être en armes et fuir les assauts du péché. Car il n'y a rien de
si belliqueux par nature que le péché. Aussi Paul nous dit-il, pour nous exhorter à
sortir de l'endurcissement : « Ne vous conformez point à ce siècle, mais
transformez-vous par le renouvellement de votre esprit. » (Rom. XII, 2.) Ainsi, quand le
péché vous aura fait vieillir, rajeunissez-vous par la pénitence. « Retirez-vous de
moi, vous « tous, qui opérez l'iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes
gémissements. » (Ps. VI, 9.) « Le Seigneur a entendu ma demande, le Seigneur a
accueilli ma prière. » (Ibid. 10.) Encore une méthode excellente pour arriver à la
vertu : fuir les méchants. Le Christ nous le recommande si fortement, qu'il nous prescrit
de nous séparer des amis qui sont pour nous comme des membres de notre corps, pour peu
qu'ils nous scanda
6. Voilà le fruit de la pénitence, voilà l'avantage des larmes. L'âme ainsi contrite est désormais détachée de toute passion. Suivons cet exemple: et eussions-nous pour ami un homme couronné du diadème, si cette amitié nous est funeste, sachons la fouler aux pieds. Car rien n'est plus méprisable qu'un homme, monarque ou autre, une fois qu'il vit dans l'iniquité tandis que, d'autre part, le dernier captif est supérieur à tous les rois, si la vertu habite en lui. « Parce que le Seigneur a entendu la voix de mes pleurs. » Il ne dit pas simplement: a entendu ma voix, mais bien : « a entendu la voix de mes pleurs. » Vous voyez comment lui-même il n'épargne rien de son côté, ni sa (557) voix, ni ses pleurs, par voix, entendant ici, non pas un cri, à proprement parler, mais une direction (le la pensée, et par pleurs, non-seulement ceux que les yeux répandent, mais encore ceux qui viennent de l'âme ! En effet, celui qui montre du repentir et qui est entendu de Dieu, n'a pas de peine non plus à consommer cette autre bonne oeuvre, la rupture de tout commerce avec les méchants.
« Que tous mes ennemis rougissent et rentrent en eux-mêmes. Qu'ils se détournent en arrière, et soient confondus sur-le-champ. » (11.) Voilà la plus utile des prières, rougir et revenir sur ses pas. Ceux qui courent au mal n'ont qu'à être pris de honte et à rebrousser chemin pour se corriger de leur perversité. Nous voyons un homme prêt à tomber dans un précipice ; nous l'arrêtons dans sa course, en lui criant : Où vas-tu, mon ami? Un abîme est devant toi. C'est ainsi que David presse les méchants de revenir sur leurs pas. Un cheval emporté, si l'on ne se hâte de le retenir, aura bientôt péri. De même encore, le venin des reptiles, finit par infecter tout le corps qu'ils ont blessé, si les médecins ne s'empressent d'en réprimer les progrès, et d'en arrêter ainsi les ravages. Faisons de même, nous aussi, et hâtons-nous de guérir nos infirmités, si nous ne voulons pas que le temps envenime le mal. Car la blessure du péché, pour peu qu'on la néglige gagne du terrain ; et la maladie ne se borne pas à une simple plaie, elle finit par engendrer la mort éternelle , tandis que si nous extirpons le mal dans son principe, nous ne serons pas exposés à le voir grandir. Songez-y bien : celui qui aura pris l'habitude de n'attaquer personne, ignorera la lutte ; s'il ignore la lutte, il saura aimer ; s'il sait aimer, il n'aura point d'ennemi; s'il n'a point d'ennemi, et ne montre que de la charité, il sera paré de toutes les vertus. N'allons donc point négliger les débuts, si nous ne voulons que nos maux s'augmentent. Si Judas avait réprimé en lui la passion des richesses, il n'aurait pas été sacrilège ; s'il n'était point tombé dans ce crime, il n'aurait point été précipité au plus profond de l'abîme. C'est pourquoi le Christ ne se borne point à réprimer la fornication ni l'adultère, il va jusqu'à défendre les regards déréglés; il arrache pour ainsi dire la racine même du mal , afin de rendre plus aisée la défaite du vice. Il agit de même à l'égard des Juifs, b;en qu'avec des formes plus grossières, et comme sous le voile de l'allusion, parce qu'il avait affaire à des hommes charnels. Comment cela, de quelle façon? Il interdit l'accouplement des animaux d'espèces différentes. Il interdit de boire le sang des bêtes; il interdit de garder les gages après la chute du jour, et par là il réprima de grands crimes : d'une part, la sodomie, d'autre part, le meurtre, enfin la cruauté et la barbarie. Mais aujourd'hui la négligence , l'impudence sont au comble : aussi tout est bouleversé. Par conséquent, dès que vous recevez la plus faible atteinte, au lieu de considérer que c'est peu de chose, songez au résultat funeste qu'elle peut avoir, si vous en laissez les ravages s'étendre. Pour peu que nous voyions dans une maison quelques étoupes allumées, nous voilà dans le trouble et l'effroi : ce n'est pas ce commencement d'incendie qui nous épouvante, ce sont les suites qu'il pourrait avoir; voilà pourquoi nous courons éteindre ce foyer jusqu'à la dernière étincelle. Eh bien ! le vice est pour l'âme un fléau plus dévorant que ce feu. Songeons donc à l'arrêter dès sa naissance. Car pour peu que nous nous relâchions, il nous sera plus malaisé ensuite d'en triompher. C'est ainsi encore que sur un vaisseau, les nautoniers pour s'émouvoir n'attendent pas que la mer soulève ses vagues au-dessus de leurs têtes : ses menaces mêmes les alarment. Ne voyons donc pas les plus petits de nos péchés avec indifférence; réprimons-les, au contraire, de toute notre force, afin d'échapper aux fautes plus graves, et d'obtenir les récompenses éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.