Analyse.
1. Dans l'origine, les noms d'évêques, de prêtres et de diacres
nétaient pas parfaitement distincts pour le sens, et se prenaient souvent les uns
pour les autres.
2. Venir en aide à ceux qui travaillent et qui souffrent pour
l'Evangile, c'est partager leur couronne.
3. Dans les bonnes oeuvres, c'est Dieu qui agit et nous-mêmes
avec Dieu.
4 et 5. Avec quel soin il
faut que les fidèles secourent de leurs biens leurs pasteurs, et que dans ces secours ils
reçoivent plus qu'ils ne donnent. De la vertu de cette veuve qui reçut Elie dans
sa maison. Qu'il faut donner simplement, sans trop examiner si ceux à qui on donne
le méritent.
1. Ici, et comme s'il écrivait à des personnes d'une dignité égale à la sienne, Paul ne joint pas à son nom sa qualité d'apôtre; il prend un autre titre, mais bien grand, et quel est-il? Au lieu d' « apôtre », il écrit « serviteur ». C'est certainement une haute dignité , c'est le premier de tous les biens, que de pouvoir non pas être nommé seulement, mais être en réalité serviteur de Jésus-Christ.
Qui dit serviteur de Jésus-Christ, dit homme libre de tout péché; et par cela même qu'il est serviteur vrai et légitime, il ne voudrait jamais être asservi à un autre maître, puisqu'alors il ne serait plus qu'à demi le serviteur de Jésus-Christ.
Quand il écrit aux Romains, Paul reprend la même suscription : « Paul serviteur de Jésus-Christ » ; au contraire dans les épîtres aux Corinthiens et à Timothée, il se nomme « apôtre ». Pourquoi? ce n'est pas sans doute pour cette raison, que de simples fidèles valussent mieux que Timothée ! Erreur évidente ! C'est plutôt parce que, de tous ceux qu'il honore de ses lettres, les Philippiens se trouvent (6) être les plus honorés et les plus aimés: il attestera même bientôt leur grande vertu. D'ailleurs, il déclare sa dignité d'apôtre quand il veut, dans son épître, établir ou régler quelque affaire très-grave. Mais, à l'égard des Philippiens, il n'a pas à leur mander autre chose que ce qu'ils savaient déjà.
« Aux saints en Jésus-Christ qui sont à Philippes ». Comme vraisemblablement les juifs s'adjugeaient à. eux-mêmes le nom de « saints », d'après l'ancien oracle qui les désignait comme le peuple saint et choisi (Deut. (VII, 6), l'apôtre a soin d'ajouter pour cette raison : « Aux saints en Jésus-Christ ». Car désormais voilà seulement les saints; les autres à l'avenir ne sont que des profanes.
« Aux coévêques et diacres... » Qu'est-ce à dire? Une seule cité avait-elle donc plusieurs évêques? Non; mais sous ce nom il a désigné les prêtres. Ces noms, alors, étaient communs et réciproques; l'évêque même s'appelait diacre. Témoin cette ligne à Timothée : « Rem« plissez votre diaconie », bien qu'il fût évêque, puisque ce caractère épiscopal ressort de ces autres paroles au même disciple : « N'imposez légèrement les mains à personne » ; ailleurs au contraire il lui écrit : (La grâce) « Je rends grâces à Dieu, chaque fois que je vous a été donnée par l'imposition des mains des prêtres », et pourtant des simples prêtres n'auraient pu ordonner un évêque. De même écrivait-il à Tite : « Je vous ai laissé en Crète, afin que vous y établissiez des prêtres en chaque ville, selon l'ordre que je vous en ai donné, choisissant celui qui sera irréprochable, qui n'aura épousé qu'une femme » ; autant de traits qui désignent l'évêque, puisqu'il ajoute, immédiatement après le texte précédent : « Car il faut que l'évêque soit irréprochable, comme étant le dispensateur et l'économe de Dieu; qu'il ne soit pas orgueilleux... » Ainsi, jadis, comme je le disais, les prêtres étaient appelés ou évêques ou diacres de Jésus-Christ; et les évêques s'appelaient prêtres : tellement que même de nos jours, plusieurs évêques écrivent à leurs ministres inférieurs : A notre coprêtre, codiacre ; bien qu'avec le temps, chaque dignitaire ait, enfin reçu son nom particulier, et que l'un s'appelle désormais évêque, l'autre, prêtre.
« Aux coévêques », continue-t-il, « et aux diacres; que Dieu notre Père et Jésus-Christ notre Seigneur, vous donnent la paix ». On peut ici faire une question. Pourquoi ne s'adressant jamais au clergé d'autres cités, par exemple, à ceux de Rome, de Corinthe, d'Ephèse, mais saluant en général en ces termes « A tous les saints, ou à tous les fidèles, à tous « nos bien-aimés », pourquoi ici écrire au clergé ? Sans doute parce que c'étaient des clercs qui lui avaient remis la lettre des Philippiens, porté leur aumône, et député Epaphrodite.
« Je rends grâces à mon Dieu, toutes les fois « que je me souviens de vous ». Il a écrit ailleurs : « Obéissez à vos prélats et soyez-leur « soumis; car eux à leur tour veillent sans «cesse comme devant rendre compte de vos « âmes; qu'ils aient donc à le faire avec bon« heur, et non avec gémissement». Autant les fautes des disciples doivent faire gémir, autant la joie à parler d'eux démontre leurs progrès dans le bien. Voici donc sa pensée: Toutes les fois que je me souviens de vous, je rends gloire à Dieu. S'il remercie, c'est qu'il garde la mémoire de leurs grandes vertus. Je glorifie Dieu, et, ajoute-t-il, je le prie. Car, de ce que vous êtes entrés dans le chemin de la vertu, il ne suit pas que je doive cesser de prier pour vous; au contraire , je persévère dans ma prière : « Je rends grâces à Dieu, chaque fois que je me souviens de vous » et. toujours, et dans « toutes mes prières pour vous tous , et c'est avec joie que je prie ». Je me souviens « toujours », et non pas seulement à l'instant de mon oraison. C'est avec raison qu'il ajoute Je le fais « avec joie » ; car il se peut qu'on prié avec tristesse , comme lui-même ailleurs le témoigne : Oui, dit-il aux Corinthiens, «c'est avec peine, avec serrement de cur, à travers bien des larmes que je vous ai écrit ». .(Je rends grâces à Dieu) « de ce que vous avez participé à la propagation de d'Evangile » (par vos aumônes) « depuis le premier jour jusqu'à présent ».
2. C'est un grand éloge que celui que donne aux Philippiens ce passage de l'apôtre ; c'est un éloge très-grand, et qui d'ordinaire ne s'accorde qu'aux apôtres et aux évangélistes. Loin de borner votre zèle, semble-t-il dire, à cette unique cité, qui seule, après tout, vous a été commise et confiée , vous ne négligez aucun moyen de prendre part à mes travaux , partout présents, et concentrant en union avec moi toutes vos pensées et toute votre action à la prédication de l'Evangile. Et ce n'est pas à tel ou tel instant (7) et par intervalles, c'est toujours, c'est depuis l'époque où vous avez reçu la foi, jusqu'au jour présent, que vous prenez une part ardente au zèle et au prosélytisme des apôtres. Et cependant, à l'encontre, voyez comme ses collaborateurs de Rome l'avaient quitté; écoutez comme il se plaint à Timothée, d'ailleurs : « Vous n'ignorez pas », lui dit-il, «que tous ceux qui sont en Asie se sont éloignés de moi » ; et encore : « Démas m'a abandonné , et dans mon premier procès, personne ne m'a assisté ». Au contraire, il atteste que les Philippiens, malgré les distances des lieux, ont pris part à toutes ses traverses; qu'ils lui envoyèrent des messagers, lui fournirent aide et secours dans la mesure de leurs forces et de ses besoins, sans oublier ni négliger quoique ce fût. Et vous le faites, ajoute-t-il, non-seulement en ce jour, mais sans cesse et toujours, m'aidant de tout moyen. Voilà l'aide qu'il désigne sous le nom de « communion au. saint « Evangile ».
C'est qu'en effet, quand le prédicateur annonce la sainte parole, vous qui lui prêtez votre concours, vous aurez avec lui mêmes couronnes. Dans les combats simulés des jeux profanes, la couronne n'est pas décernée seulement au combattant, mais à son maître instructeur, mais à ses seconds mêmes, à tous ceux enfin qui ont formé le vaillant athlète. Puisqu'il leur doit, en effet, force, soulagement, n'est-il pas juste qu'il les fasse participer à sa victoire? De même encore dans les guerres sérieuses, l'auteur d'un coup heureux n'est pas seul admis à recueillir la gloire et les trophées : on ne ferait pas cette injure à tous ceux qui lui ont prêté leur utile concours; on reconnaît, on avoue , en les couronnant avec lui, que leur oeuvre et leur service les ont comme associés au combat. Par la même raison, se mettre au service des saints est une oeuvre noble et puissante, loin d'être à dédaigner : elle nous donne droit avec eux aux récompenses que Dieu leur tient en réserve.
Un riche, par exemple, s'est dépouillé d'une immense fortune pour l'amour de Dieu; il s'est fait son serviteur de coeur et d'âme, s'acquittant désormais de tous les devoirs d'une vertu parfaite, évitant avec scrupule toute parole, toute pensée même , toute occasion capable d'offenser Dieu. Eh bien , vous qui êtes loin d'atteindre à la vertu héroïque de cet homme parfait, vous pouvez cependant espérer une portion de la récompense qui l'attend. Et comment? Aidez-le par vos paroles et par vos actes; soutenez-le, en lui donnant le nécessaire , en vous constituant le serviteur attentif de tous ses besoins. Vous méritez dès lors avec lui, parce que, grâce à vous, cette vie rude et méritante lui est devenue plus facile.
Si donc vous admirez les saints habitants du désert, ou ceux qui ont embrassé un genre de vie tout angélique, ou, ceux encore qui, dans l'Eglise, pratiquent les mêmes vertus; si vous les admirez, dis-je, et si vous gémissez de vous voir si fort devancés par de nobles exemples, il vous reste un moyen d'entrer en communauté de mérite avec eux : prêtez-leur aide et assistance. C'est, en effet, un trait de la bonté de Dieu qu'il veut bien élever par une autre route à la hauteur des parfaits, ces chrétiens simples et moins zélés, qui n'ont point la force d'embrasser cette vie âpre et rude, mais si glorieuse. Saint Paul leur explique, cette puissance de l'association ; ils nous font, dit-il, une part dans leurs biens de la chair, et nous leur faisons part des biens de l'esprit.
Dieu lui-même, pour nos vertus si misérables et sans aucun prix, veut bien nous donner un royaume; ses saints, après lui et comme lui, nous donnent les biens spirituels en échange de services bien minces et purement charnels. Ou plutôt, c'est Dieu qui , par ses serviteurs , nous donne et les biens spirituels et les dons de la gloire. Vous ne pouvez supporter le jeûne , la solitude , vous ne pouvez coucher sur la dure, vous ne pouvez passer de longues nuits sans sommeil? Vous partagerez la récompense due à ces exercices de l'homme parfait, si vous faites de son travail votre propriété même; si l'athlète est l'objet de vos soins continus, de vos larges aumônes, si vous lui facilitez les saints combats de la perfection. Lui, fait face à l'ennemi, il lutte, il reçoit les coups : et vous, quand il reviendra de la bataille, soignez-le, recevez-le dans vos ,bras, essuyez sa sueur, pansez ses plaies, consolez et relevez cette grande âme fatiguée. Servir ainsi les saints avec un zèle empressé, c'est se créer un droit à partager avec eux le salaire éternel. Jésus-Christ lui-même l'enseigne : « Faites-vous des amis avec l'argent d'iniquité, afin qu'ils vous reçoivent dans « les tabernacles éternels ». (Luc, XVI, 9.) Vous voyez comment les Philippiens ont su (8) s'assurer une part aux mérites de saint Paul?« Depuis le premier jour jusqu'à cette heure » ; telle est, dit-il, la raison de ma joie. « Votre communion avec nous » ; et je suis heureux non-seulement du passé , mais de l'avenir; car je pressens ce que vous ferez, d'après l'expérience de ce que vous avez fait. Il poursuit en effet : « J'ai une ferme confiance que celui qui a commencé le bien en vous, ne cessera de le perfectionner jusqu'au jour de Jésus-Christ (6) ».
3. Voyez comme il leur enseigne la pratique de la modestie. Comme il leur a rendu un important témoignage, il craint que l'humaine faiblesse ne succombe à l'orgueil, et il s'empresse de leur apprendre à reporter tout à Jésus-Christ, le passé comme l'avenir. Comment ? Il se garde bien de dire J'ai confiance qu'ayant si bien commencé, vous finirez de même. Que dit-il donc? « Celui qui a commencé le bien en vous, ne cessera de le perfectionner ». Sans doute il ne refuse pas d'avouer qu'ils ont quelque part dans la bonne oeuvre : «Je suis heureux », dit-il au contraire, « de votre participation », comme s'ils ne devaient qu'à eux-mêmes cette sainte conduite. Mais, cependant, il ne dit pas que la vertu vienne d'eux seuls, il en attribue à Dieu le principe tout d'abord : « C'est lui » , dit-il, «j'en ai la confiance, qui a commencé le bien en vous; c'est lui encore qui ne cessera de « le perfectionner jusqu'au jour de Jésus-Christ ». Lui, c'est Dieu. Et il en sera ainsi, ajouta-t-il , non-seulement de vous, mais de tous ceux qui vous suivront, je l'espère.
Après tout, ce n'est pas un mince éloge pour un homme, que Dieu daigne opérer en lui. Car s'il ne fait acception de personne, et certes c'est son caractère divin; s'il ne voit dans chacun de nous, pour se déterminer à nous aider, que notre bon propos à remplir notre devoir, il est assez clair que c'est nous-mêmes qui lui donnons sujet de nous seconder ainsi. Sous ce rapport, l'apôtre est loin de retirer aux Philippiens leur mérite. En effet, si Dieu agissait en nous seul et par caprice, rien n'empêcherait que les gentils et même tous les hommes sans exception ne fussent l'objet de sa grâce au. même degré, s'il les remuait, osé-je dire, comme le bois ou la pierre, sans chercher aucune coopération de notre part. Ainsi, quand l'apôtre ajoute : « Dieu perfectionnera », ici même il fait encore leur éloge, avouant qu'ils ont attiré sur eux la grâce de Dieu qui les aidera à vaincre l'humaine nature. Un autre mérite ressort encore ici : vos bonnes oeuvres ont ce caractère qu'elles ne présentent rien de l'homme, mais qu'elles ont besoin de la force de Dieu. Au reste, si Dieu perfectionne, vous n'aurez pas à travailler beaucoup ; vous devez donc avoir confiance, facilement vous atteindrez la perfection , puisque vous serez aidés de lui.
« Et il est juste que j'aie ce sentiment de a vous tous, parce que je vous porte dans mon cur, comme ayant tous part à ma grâce, par celle que vous avez prise à mes liens, à ma défense, et à l'affermissement de l'Evangile (7) ». Voilà bien la sainte passion d'une âme ardente : il portait les Philippiens dans son coeur; et jusque dans la prison et les fers, il gardait leur souvenir : ce n'est pas pour ces pieux fidèles un éloge vulgaire, que d'être ainsi gravés dans la mémoire d'un si grand saint. L'affection de Paul n'avait point son motif dans un mouvement irréfléchi; il s'appuyait sur la raison et le jugement. Pour être aussi vivement aimé de lui, il fallait, évidemment, le mériter par une grande et admirable vertu.
« Jusque dans ma défense et dans l'affermissement de l'Evangile ». Après ce trait, n'admirons plus qu'il les portât dans son cur, même au fond de son cachot : à l'heure même où je comparaissais devant les tribunaux, dit-il, pour y plaider ma cause, vous n'étiez pas sortis de mon esprit. Telle est, en effet, la puissance de l'amour spirituel, qu'il ne puisse céder aux rigueurs d'un temps malheureux, mais qu'embrasant l'âme à tout jamais, il ne puisse être vaincu par le malheur ni par la souffrance. Jusque dans la fournaise de Babylone , au milieu de cet épouvantable brasier , une douce rosée rafraîchissait les bienheureux enfants : ainsi la sainte amitié, dès qu'elle a saisi l'âme, mais une âme aimante et agréable à Dieu, éteint toute autre flamme, et répand une admirable rosée.
« Et dans l'affermissement de l'Evangile ». Ainsi les chaînes apostoliques étaient l'affermissement de l'Evangile, et comme son bouclier et sa défense. Cette parole est juste et profonde. S'il n'avait pas, en effet, glorifié et (9) aimé ses chaînes, il n'aurait paru qu'un imposteur. Mais maintenant qu'il subissait volontiers les fers et la souffrance , tous les maux réunis, il montre assez qu'il ne souffrait pas pour une cause humaine, mais pour la cause de Dieu, son grand rémunérateur. Nul n'aurait ainsi choisi la mort et tous les dangers ; nul n'aurait affronté la colère d'un empereur comme celui-là, de Néron, s'il n'avait vu plus haut un empereur bien autrement grand. Les chaînes étaient donc la confirmation de l'Evangile. Admirez comme, pour arriver plus pleinement et plus parfaitement à son but, l'apôtre fait voir en toutes choses le côté contraire aux vues humaines. Ce que l'on regardait comme faiblesse ou déshonneur, lui, le déclare être la confirmation de l'Evangile ; comme si l'apôtre avait dû être faible sans ces épreuves qui les effraient. Ensuite, il veut montrer que son amitié pour eux n'est pas un aveugle parti pris, mais une affection raisonnée. Quelle preuve en donne-t-il? Ecoutez. « Je vous porte dans mes chaînes et jusque dans ma défense, parce que, en union intime avec moi, vous avez partagé ma grâce ». Qu'est-ce à dire? Etait-ce donc une grâce pour l'apôtre, que les fers, l'exil perpétuel, les innombrables supplices? Oui : car, est-il dit, « ma grâce vous suffit, et ma force se montre tout entière dans l'infirmité; aussi», ajoute l'apôtre , « je me complais dans les infirmités et dans les outrages ». (II Cor. XII, 9, 10.) Quand donc je vous vois montrer votre vertu par vos oeuvres, et participer à cette grâce aussi , et même avec joie, je conçois aussi pour vous les mêmes espérances. Je vous connais par expérience, j'ai vu surtout vos bonnes oeuvres; malgré la distance qui nous sépare, vous vous efforcez de partager mes tribulations et ensuite ma récompense, en sorte que tout en restant éloignés du combat , vous aurez dans la victoire une part égale à la mienne, moi qui suis au milieu de la mêlée; il est donc juste que je vous rende ce témoignage.
Mais pourquoi ne dit-il pas simplement « Vous participez » ; mais : « Vous participez dans l'union la plus intime avec moi? » C'est comme s'il disait : Je vous fais votre part, afin d'avoir moi-même la mienne dans cet Evangile, c'est-à-dire aux biens qu'il nous promet. Chose admirable, d'ailleurs, que tous ces pieux fidèles aient eu des sentiments assez
généreux pour être appelés par Paul lui-même ses copartageants: Telle est , en effet , son expression : « Tous avec moi vous avez part à la grâce ». De tels commencements me garantissent votre persévérance dans ces généreuses dispositions. Il est impossible qu'un début si glorieux s'éteigne et se dissipe comme une vaine fumée : d'avance il promet une fin glorieuse.
4. Nous pouvons donc, indirectement, participer à la grâce apostolique des dangers et des tribulations : je vous en supplie, mes frères, sachons y prendre notre part. Combien parmi ceux qui sont ici voudraient..., ou plutôt tous sans exception , ne voudriez-vous pas partager avec Paul ces biens que l'éternité nous garde? Or, ce but magnifique, facilement vous pouvez l'atteindre , si vous le voulez; oui, à ceux qui représentent le ministère apostolique, à ceux qui souffrent pour Jésus-Christ, veuillez prêter aide et secours. Voyez-vous un frère en danger? Tendez-lui la main. Apercevez-vous un de vos maîtres en plein combat? Assistez-le. Mais, répondez-vous, aucun ne peut être comparé avec Paul. Quoi ! sitôt l'orgueil ! sitôt le jugement téméraire ! Que personne n'approche de ce grand Paul, je vous le concède. Mais cependant, d'après Jésus-Christ, « celui qui reçoit le prophète en son nom de prophète, recevra la récompense du prophète ». Les Philippiens étaient-ils donc admirables, par la raison qu'ils aidaient Paul personnellement? Nullement ; mais c'est qu'ils entraient en communion avec l'apôtre, avec le héraut de l'Evangile. Paul ne méritait tant d'honneur que parce qu'il souffrait pour Jésus-Christ. Grand comme l'apôtre, nul ne peut l'être; et que dis-je? comme lui ! de lui, d'un tel saint, nul n'approche. Mais la prédication est la même aujourd'hui qu'alors.
Au reste, les Philippiens prenaient part à ses travaux, non pas seulement depuis qu'il était dans les fers , mais dès le principe. Voici ses propres termes : « Or, vous savez, mes frères de Philippes, qu'après avoir commencé à vous prêcher l'Evangile, aucune église ne m'a fait part de ses biens en reconnaissance de ceux que j'apportais : vous seuls exceptés, cependant ». Et pourtant sans parler des dangers proprement dits, le Maître de la parole rencontre bien des ennuis : veilles, fatigues de la parole et de (10) l'enseignement, dures critiques et accusations, plaintes, reproches, jalousies. N'est-ce rien, dites-moi, que de s'exposer à mille contradictions, lorsqu'après tout on aurait le droit absolu de ne penser qu'à soi et à ses intérêts personnels ?
Hélas ! où en suis-je? Enfermé dans une alternative redoutable, j'hésite,. je ne sais que résoudre. D'un côté, je désire vous exhorter, .vous déterminer à prendre soin des saints de Dieu et à les aider de tous vos efforts reconnaissants ; de l'autre, je crains que mon langage ne semble pas dicté par l'intérêt que je vous porte , mais plutôt par celui de mes clients....
Hé bien ! sachez que c'est pour vous et non pour eux que je plaide en ce moment, et si vous daignez m'écouter, les raisons que j'apporte vous auront bientôt convaincus. Les avantages de l'aumône sont beaucoup plus grands pour vous que pour eux; si vous faites l'aumône, vous ne donnez, après tout, que de ces richesses dont bientôt, bon gré mal gré, vous devez subir la privation, le dépouillement. Ce que vous recevez, au contraire, est d'un prix immense, j'ose dire même, hors de comparaison. Quand vous donnez, n'avez-vous pas la confiance de recevoir? Si tel n'est pas votre sentiment, ne donnez pas, je vous le dis, tant j e suis loin de parler pour les pauvres. Non, si quelqu'un ici n'est pas tout d'abord convaincu qu'en donnant, il recevra: davantage et fera un gain magnifique, qu'il sera bien plus l'obligé que le bienfaiteur, alors qu'il ne donne pas ! Sa conviction est-elle qu'il dépense sans recevoir, qu'il s'abstienne! Pour ma part, ma grande inquiétude dans ce moment n'est pas de trouver la nourriture des saints : si vous ne donnez pas, un autre donnera. Mon seul désir, le voici : puissiez-vous avoir un doux remède contre vos péchés ! En ne donnant pas avec ces dispositions, vous n'avez pas de remède à attendre. L'aumône, en effet, ce n'est pas le don , c'est l'empressement et la joie à donner, c'est la reconnaissance envers celui qui reçoit. Paul l'a prononcé : « Rien par force, rien avec regret : « Dieu aime qu'on donne avec joie ». Pour ne pas donner ainsi, conservez plutôt : ce serait une perte et non pas une aumône.
Si donc vous êtes persuadés que vous gagnez et non pas vos obligés, ne soyez pas moins convaincus que le profit pour vous est incomparable. Leur corps sera nourri : votre âme deviendra belle et splendide. En acceptant, leurs péchés ne sont pas effacés; vous retranchez de vos comptes de nombreuses offenses. Ainsi , prenons part à leurs travaux, à leurs combats, afin de partager un jour leur couronne. On a vu des particuliers adopter des rois et des empereurs, avec ridée qu'ainsi ils recevaient autant qu'ils donnaient (1). Adoptez, vous, Notre-Seigneur Jésus-Christ : vous placez ainsi votre fortune en toute sûreté. Voulez-vous être aussi les coassociés de saint Paul ?... Mais que parlé-je de Paul, quand au fond c'est Jésus-Christ lui-même qui reçoit.
5. Mais je veux vous convaincre encore que votre seul intérêt m'ouvre la bouche, que j'agis pour vous et non pour les autres. Ainsi, parmi les prélats de l'Eglise, en est-il qui vive dans l'aisance, hors de tout besoin, fût-il d'ailleurs un saint, ne lui donnez rien : préférez-lui cet autre ministre de Dieu, moins admirable peut-être , mais qui n'a point le nécessaire. Pourquoi? Ah l c'est qu'ainsi le veut Notre-Seigneur lui-même, quand il dit : « Quand vous donnez un repas , un banquet, n'invitez pas vos amis ni vos parents, mais plutôt les infirmes, les boiteux, les aveugles, ceux enfin qui ne pourront vous rendre la pareille ». (Luc, XIV, 12, 13.) Ainsi les invitations ne doivent pas se faire au hasard : préférez les gens affamés, altérés, nus ; les étrangers., les riches tombés dans la misère. Car le Seigneur n'a pas dit simplement : Vous m'avez nourri ; il ajoute : Vous avez nourri ma faim : « J'avais faim » , dit-il, « vous m'avez vu, et vous m'avez donné à manger ». (Matth. XXV, 35.) Telle est sa maxime en son entier. Or s'il faut nourrir celui qui a faim, par cela seul qu'il a faim , à plus forte raison, si le nécessiteux est un saint. S'il est saint, mais sans nécessité, ne donnez pas; vous n'y trouveriez aucun bénéfice pour vous, puisque le commandement de Jésus n'est pas pour lui ; je dirai mieux, recevant sans avoir besoin, il n'est plus un saint. Reconnaissez-vous que mon langage s'inspire ici non pas d'un vil motif d'intérêt, ruais uniquement de votre propre avantage ?
Nourrissez donc l'affamé pour ne pas nourrir
1 Rien n'était plus commun, sous les empereurs romains, que ces adoptions étranges du souverain par les particuliers; ceux-ci les faisaient héritiers de leurs biens, pour sauver à la fois et leurs fortunes et leurs vies, objets des convoitises impériales.
un jour le feu de l'enfer. Le nécessiteux qui s'alimente d'une partie de vos biens, sanctifie toutes vos autres richesses. Rappelez-vous comment une veuve a nourri le prophète Elie elle a bien moins donné que reçu; elle a été nourrie plutôt que nourricière. De nos jours cela arrive aussi, et mieux encore. Ce n'est plus seulement une mesure de farine ou d'huile ; mais quoi? Le centuple, mes frères, et la vie éternelle qui nous est donnée en échange de nos minces largesses : la miséricorde est si bien la nature même de Dieu ! Pensez donc à la nourriture spirituelle; déposez dans la vie présente un levain pur et fécond ! C'était une veuve, la famine régnait : rien ne l'arrête; elle avait des enfants, et l'amour maternel ne la retient pas. Sa générosité l'élève aussi haut que la veuve de l'Evangile qui laissa tomber deux oboles dans le tronc du temple. Elle ne s'est pas dit à elle-même Quel avantage me vaudra ma conduite? Cet homme, qui me demande, s'il avait usé de ses forces, n'aurait pas faim ; il eût pu conjurer cette sécheresse, et ne pas partager la misère générale ! Sans doute il a mérité lui-même la colère de Dieu ! Elle n'a pas eu de semblables pensées. Voyez-vous comme il est beau d'être bienfaisant en toute simplicité et sans s'inquiéter avec- excès de la personne qui souffre le besoin? Si elle avait voulu trop approfondir; son esprit aurait hésité, elle n'aurait pas eu la foi. Ainsi Abraham, s'il avait voulu creuser et s'inquiéter, n'aurait pas reçu les anges. Car-il est impossible, je le répète, impossible d'être bienfaisant pour un saint, quand on s'arrête à des doutes éternels. Au contraire on s'expose à obliger des trompeurs. Et pourquoi? Le voici : l'homme pieux ne cherche pas à paraître tel, il ne s'enveloppe pas de ce manteau, dût-il être méprisé. L'imposteur, au contraire, qui s'en fait un art, a bien soin de se cacher derrière un masque de piété impénétrable. Aussi, tout en faisant le bien à des gens qui ne paraissent point être saints et pieux, on a la chance d'obliger les personnes pieuses, tandis qu'en cherchant trop ceux qui ont la réputation de vertu, on tombe souvent à faire du bien à des impies. Je vous en prie donc, agissons en toute simplicité. Supposons, en effet, que voilà un imposteur qui s'avance : vous n'avez pas mission de faire son examen. « Donnez » , dit Jésus, « à quiconque vous demande» ; et ailleurs « N'oubliez pas le condamné à mort ! » Bien de ces gens qui subissent la peine capitale, n'y sont condamnés qu'après avoir été surpris en flagrant délit de crime. Et toutefois on vous dit : « Ne l'oubliez pas ! » Ainsi deviendrons-nous semblables à Dieu; ainsi vraiment admirables à ses yeux, nous pourrons conquérir les biens immortels ; puissions-nous tous y parvenir, etc., etc.