ANALYSE.
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1. Dieu veut être aimé par les oeuvres. Contre les sabelliens et ceux qui nient le Saint-Esprit. Pourquoi, Jésus-Christ étant présent, le Saint-Esprit n'est point descendu.
2. Combien était grande, dans les apôtres, la vertu du Saint-Esprit.
3. Jésus-Christ raffermit ses disciples.
4. Mon Père est plus grand que moi : encore une parole de condescendance. En quoi le Père est plus grand que le Fils.
5. Combien la grâce du Saint-Esprit est forte, puissante et efficace. Description des effets qu'elle produit dans l'âme. Tout ce qui est spirituel procure de grands biens; tout ce qui est terrestre et charnel cause de grandes pertes. L'homme peut n'être pas inférieur aux anges. Les natures incorporelles ne sont pas invincibles au vice : il s'est trouvé des anges plus méchants que les hommes et les brutes. La chair ne rend point la vertu impossible : la multitude des saints le prouve. S'excuser sur la chair ; excuse frivole. On peut lier le corps, on ne saurait nous ôter la liberté. Ce n'est point le corps qui produit le vice, c'est la lâcheté de lâme. Les vices ne sont point naturels. Soumettre la chair à l'esprit, c'est le moyen d'acquérir les biens éternels.
1. Il faut des couvres, et non de vaines et fastueuses paroles: c'est là de quoi nous avons un besoin continuel. Il est aisé à chacun de dire et de promettre: mais de faire, il ne l'est pas de même. Pourquoi dis-je cela? C'est parce qu'aujourd'hui nous entendons dire à bien des gens, qu'ils craignent le Seigneur et qu'ils l'aiment; et nous voyons qu'ils démentent leurs paroles par leurs couvres. Or, Dieu veut être aimé par les oeuvres. C'est pour cela qu'il disait à ses disciples: « Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements ». Ayant dit: « Quoi que vous me demandiez, je le ferai » : de peur que ses disciples ne crussent qu'il leur suffisait de demander, il a ajouté : si vous m'aimez, alors je le ferai. Et comme ces paroles : « Je m'en vais à mon Père », les avaient sans doute jetés dans le trouble, Jésus leur dit . ce n'est point m'aimer que de vous troubler de la sorte : pour m'aimer, il faut être soumis et obéissant à ma volonté. Je vous ai fait un commandement, c'est de vous aimer les uns les autres (Jean, XIII, 33); c'est de faire les uns aux autres ce que je vous ai fait (Ibid. 15) : votre amour consiste à faire toutes ces choses, et à être soumis à celui que vous aimez.
«Et je prierai mon Père, et il vous donnera un autre consolateur ». Ce sont là les paroles d'un Maître charitable qui veut bien s'abaisser pour s'accommoder à la faiblesse de ses disciples. Comme il n'y avait nullement à douter, que, ne le connaissant pas bien encore, ils désireraient et rechercheraient avec une ardeur extrême sa compagnie, ses entretiens, sa présence corporelle, et qu'ils seraient inconsolables de son absence, il leur dit : « Je prierai mon Père, et il vous donnera un autre paraclet » ; c'est-à-dire, un autre, tel que je suis moi-même.
Que les sectateurs de Sabellius et ceux qui nient la divinité du Saint-Esprit soient couverts de honte et de confusion en entendant ces paroles. Car il est admirable et tout à fait étonnant que, dans ce peu de paroles, Jésus-Christ ait renversé d'un seul coup toutes les hérésies qui sont opposées à l'existence du Saint-Esprit. En effet, quand il dit « un autre» [474] il marque la distinction et la différence de son «hypostase », ou de sa personne, et lorsqu'il dit « paraclet » , il montre que la substance est la même.
Pourquoi le Sauveur dit-il : « Je prierai mon Père? » C'est parce que, s'il avait dit : Je l'enverrai, ils ne l'auraient pas si bien cru. Maintenant, il veut seulement qu'on croie au Saint-Esprit; et c'est à quoi il sattache dans la suite, il déclare que c'est lui qui l'envoie : « Recevez », dit-il, « le Saint-Esprit ». Mais il dit ici qu'il priera son Père de l'envoyer, afin que sa parole leur parût plus digne de foi , et qu'ils la crussent plus fermement. Jean-Baptiste dit de lui : « Nous avons tous reçu de sa plénitude ». (Jean, 1, 16.) Or, ce qu'il avait en soi, comment l'aurait-il reçu d'un autre? Et encore : « C'est lui qui vous baptisera dans « le Saint-Esprit et dans le feu »: (Matth. (III, 11.) Mais Jésus-Christ, qu'aurait-il eu de plus que les apôtres, s'il avait dû prier son Père pour leur donner le Saint-Esprit, eux qu'on a souvent vu le donner sans prier auparavant ? Comment le Saint-Esprit se répand-il de lui-même, si c'est par l'effet d'une prière que le Père J'envoie? Comment est-il envoyé par un autre, cet Esprit-Saint, qui est présent partout, qui distribue à chacun ses dons, selon qu'il lui plait (1 Cor. XII, 11); qui dit avec autorité : « Séparez-moi Paul et Barnabé ? » (Act. XIII, 11.) Mais ces ministres, Paul et Barnabé, étaient actuellement appliqués au service de Dieu, et néanmoins, le Saint-Esprit les a appelés pour les faire travailler à son oeuvre; véritablement, ce n'était pas pour les tirer de leur fonction et les appliquer à tune oeuvre différente, mais c'était pour montrer sa puissance et son autorité.
Que signifie donc, direz-vous, cette parole « Je prierai mon Père? » Que le temps de l'avènement du Saint-Esprit était arrivé. Jésus-Christ ayant purifié ses disciples par le sacrifice de la croix, le Saint-Esprit est incontinent descendu sur eux. Pourquoi ne descendit-il pas lorsque Jésus était avec eux ? Parce que le sacrifice n'avait pas encore été offert. Mais maintenant que le péché est effacé, et que les disciples, se préparant à combattre, allaient être exposés à de grands périls, il a fallu leur envoyer le Saint-Esprit pour les encourager et les animer aux combats. Et pourquoi n'est-il pas descendu aussitôt après la résurrection? C'est afin que, par le retard même , les disciples en ayant un plus grand désir, le reçussent avec plus de fruit et avec une plus grande abondance de grâces. Tant que Jésus-Christ a demeuré avec eux, ils n'ont point ressenti de peines ni d'afflictions; mais sitôt quil s'est retiré, cette séparation les jetant dans une grande crainte et dans l'effroi, a allumé leur amour et excité en eux un violent désir de recevoir l'Esprit consolateur.
« Il demeure avec vous » ; c'est-à-dire, il ne se retire même pas après la mort. Mais, de peur que les disciples, entendant parler d'un consolateur, ne pensent à une nouvelle incarnation, et ne se flattent de le voir avec les yeux de la chair, le Sauveur les détourne de cette grossière pensée, en disant : « Que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit point ». Le Saint-Esprit ne demeurera point avec vous comme moi, mais il habitera dans vos âmes; c'est là ce que signifie ce mot : « Il sera en vous ». Jésus-Christ l'appelle l'Esprit de vérité , et par ces figures il marque, il découvre les figures de l'ancienne loi. « Afin qu'il soit avec vous »; que veut dire cela : « Avec vous? » Ce qu'il dit lui-même : « Je suis avec vous ». Et il insinue encore ceci il n'aura pas à souffrir ce que j'ai souffert, et il ne se séparera point de vous. « Que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit point ». Quoi donc? Est-ce que le Saint-Esprit était du nombre des choses visibles ? Nullement : mais ici Jésus-Christ, par le mot de vision , entend la connaissance, car il ajoute : « Et qu'il ne le connaît point ». Et il l'ajoute , parce qu'il a coutume d'appeler vision l'exacte connaissance. Comme, de tous les sens, 1'il est celui qui fait le mieux connaître les choses, c'est aussi par ce sens que Jésus-Christ marque l'exacte connaissance. Au reste, le Sauveur appelle ici le monde les méchants, et il console ses disciples, en leur faisant connaître qu'il leur apporte un don excellent.
Voyez, mes frères; combien il relève la grandeur et l'excellence de ce don. Il dit : « C'est un autre » ; il ajoute : « Il ne vous laissera point »; il dit : « Il sera avec vous, de même que moi » ; il dit encore : « Il demeure avec vous ». Mais par toutes ces promesses il n'a point chassé leur tristesse, ils le voulaient lui-même, et ils demandaient encore qu'il demeurât avec eux. Pour les consoler donc pleinement, il leur dit : « Je ne [475] vous laisserai point orphelins, je viens (1)à vous (18) ». Ne craignez point, dit-il, ne vous abattez point : je ne vous ai pas dit que je vous enverrai un autre consolateur pour vous laisser toujours. Je ne vous ai pas dit : Il demeure avec vous pour ne vous plus voir sûrement, je viens aussi à vous, « je ne vous laisserai point orphelins » . Les ayant d'abord appelés : « Mes petits enfants », il leur dit maintenant : « Je ne vous laisserai point orphelins ».
2. Au commencement donc, Jésus-Christ a dit à ses disciples : « Vous viendrez où je vais »; et : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ». Mais comme il y avait longtemps à attendre, maintenant il leur donne le Saint-Esprit. Et comme ils ne comprirent point ce qu'il leur disait, ils n'en reçurent pas une assez grande consolation; c'est pourquoi le Sauveur ajoute : « Je ne vous laisserai point orphelins : » et c'est là ce qu'ils désiraient le plus. Mais encore ce mot : « Je viens à vous », marquant sa présence, de peur qu'ils ne demandent encore une présence sensible, telle qu'ils l'avaient eue auparavant, Jésus-Christ, à la vérité, ne leur explique pas clairement de quelle manière il leur sera présent, mais il le leur insinue. Après avoir dit : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus (19) », il ajoute : Mais pour vous, vous me verrez ». C'est comme s'il disait : véritablement, je viens à vous, mais non pour demeurer toujours avec vous comme auparavant. Et de peur qu'ils ne lui fissent cette objection : Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs : « Vous ne me verrez plus? » il la prévient et la résout, en disant : « Je viens à vous » seulement. L'Esprit-Saint sera aussi de même.
« Parce que je vis, et que vous vivrez aussi ». La croix, ma mort ne nous séparera pas pour toujours, mais elle ne me cachera que pour un temps fort court. Il me semble que le Sauveur ne parle pas seulement ici de la vie présente, mais encore de la vie future. « En ce jour-là vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous ». En mon Père, par ma substance; en vous, par mon union avec vous et par le secours que vous recevrez d'en-haut. Comment, et de quelle manière, je vous prie, Jésus-Christ sera-t-il avec ses disciples? Comment et de quelle
1. Je viens, texte grec. Le latin dit : Je viendrai.
manière dès choses contraires peuvent-elles convenir et s'allier ensemble? Car il y a une grande, ou plutôt une infinie distance entre Jésus-Christ et ses disciples. Ne vous étonnez pas d'entendre les mêmes paroles et les mémés expressions. L'Ecriture, en parlant de Dieu et des hommes, a coutume de se servir des mêmes paroles et des mêmes termes, mais elle en fait une application très-différente; elle nous donne le nom de dieux et d'enfants de Dieu (1), mais ces noms et ces titres n'ont pas, quand on nous les applique, la même force et le même sens que quand on les donne à Dieu. L'Ecriture appelle aussi le Fils image et gloire comme nous, mais il y a une grande différence entre l'une et l'autre. Et elle dit encore : « Et vous, vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ». (I Cor. III, 23.) Mais toutefois Jésus-Christ n'est pas de même à Dieu que nous sommes à Jésus-Christ.
Enfin, quel est le sens de ces paroles? Le voici : Lorsque je serai ressuscité, alors vous saurez que je ne suis jamais séparé de mole Père, et que j'ai la même vertu et le même pouvoir; vous connaîtrez que je suis toujours avec vous, les uvres mêmes que vous ferez rendront un témoignage public et de mon secours, et de mon assistance continuelle vous le connaîtrez, que je suis toujours avec vous, parce que vous verrez vos ennemis renversés et humiliés; parce que vous agirez avec confiance et parlerez avec liberté, parce que je vous délivrerai dé ceux qui vous chagrineront et vous affligeront ; vous le connaîtrez, que je suis avec vous, parce que vous verrez la prédication tous les jours plus florissante et que tout le monde se soumettra à la sainte et pieuse doctrine que vous répandez. « Comme mon Père m'a envoyé , je vous ai aussi envoyés ». (Jean, XVII, 18.) Ne remarquez vous pas encore ici, mes frères, que la même expression n'a pas, dans ces deux membres, la même force ni la même signification ? Si nous la prenions dans le même sens, il n'y aurait point clé différence entre les apôtres et Jésus-Christ. Et enfin, pourquoi le Sauveur dit-il : « Vous connaîtrez alors? » C'est parce qu'alors ils ont vu que leur Maître était ressuscité, et qu'il demeurait avec eux c'est parce qu'alors ils ont reçu la plénitude de la foi, ils ont appris la véritable doctrine,
1. J'ai dit : Vous êtes des Dieux, et vous êtes tous enfants du Très-Haut. (Ps. LXXXI, 6.)
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car la vertu du Saint-Esprit était grande et puissante en eux; c'était elle qui leur enseignait toutes choses.
« Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime (21) ». Il ne suffit pas seulement de les avoir, mais il faut encore les garder exactement. Mais pourquoi Jésus-Christ répète-t-il cela si fréquemment à ses disciples, comme quand il leur dit: « Si vous m'aimez , gardez mes commandements (15) » ; et : « Celui qui a mes commandements et qui les garde » ; et: Si quelqu'un écoute ma parole et la garde, c'est a celui-là qui m'aime. Celui qui ne m'écoute pas ne m'aime point ? » Je crois qu'il fait allusion à leur tristesse. Comme il leur avait fait de longs discours sur la mort, disant : « Celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour la vie éternelle » (Jean, XII, 25) ; et: « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi » (Matth. X, 38) ; et qu'il devait beaucoup encore leur en parler, il leur fait cette réprimande : Vous croyez que c'est votre amour pour moi qui vous rend tristes; ne vous point attrister, ce serait m'en donner un plus grand témoignage et une plus grande preuve. Voulant donc produire cet effet dans leur coeur, il résume par là ce qu'il leur a dit. « Car si vous m'aimiez», leur dit-il, « vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père (28) ». Maintenant donc, ce n'est point l'amour, c'est la crainte qui vous rend tristes. Vous abattre et vous attrister de la sorte, est-ce me marquer que vous vous souvenez de mes commandements? Si vous m'aimiez véritablement, vous courriez de vous-mêmes à la croix et à la mort, puisque ma doctrine vous exhorte à ne rien craindre de la part de ceux qui tuent le corps. (Matth. X, 28.) Voilà ceux que mon Père aime et que j'aime aussi. « Et je me découvrirai moi-même à eux (22) ». Alors « Jude » lui dit: « D'où a vient que vous vous découvrirez vous-même à nous? »
3. Ne le voyez-vous pas, mes chers frères, que l'âme des disciples était accablée de crainte et de frayeur? Jude est tout ému et tout troublé ; il s'imagine qu'il verra son Maître comme nous voyons les morts, en songe. Jésus-Christ donc, pour effacer de son esprit ces sortes d'idées, lui répond : « Mon Père et moi nous a viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (23) ». C'est comme s'il disait : Ainsi que mon Père se découvre lui-même, ainsi, je me découvrirai moi-même. Et le Sauveur ne se contente pas de tirer Jude de ses fausses idées par cette parole : « Mon Père et moi nous viendrons »; mais en ajoutant encore : « Et nous ferons en lui notre demeure», il les chasse absolument. En effet, ce séjour exclut l'idée d'un songe.
Pour vous, mon cher auditeur, considérez, je vous prie, ce disciple qui, dans son agitation et son trouble, n'ose pas ouvertement déclarer ce qu'il pense et ce qu'il aurait bien voulu demander. Il n'a point dit : Malheur à nous ! vous allez mourir, et vous vous ferez voir à nous, comme les morts apparaissent. Non, il ne s'est pas expliqué de cette manière, ruais il a dit : « D'où vient que vous vous découvrirez vous-même à nous, et non pas au monde? » Jésus-Christ leur dit donc: «Je vous aime, parce que vous gardez mes commandements ». Il les prévient et leur prédit ces choses, afin qu'ils ne croient pas voir un fantôme, lorsqu'ils le verront dans la suite; et de peur qu'ils ne s'imaginent qu'il leur apparaîtra de la manière que j'ai dit, il leur explique la raison pour laquelle il demeurera avec eux. C'est, dit-il, parce que vous gardez mes commandements; il leur prédit encore que le Saint-Esprit se fera voir à eux, et demeurera avec eux de la même manière que lui. Que si les apôtres, après avoir si longtemps demeuré et conversé avec Jésus-Christ, ne peuvent pas le voir sans effroi dans sa substance spirituelle, ni même comprendre ce que c'est, ils en auraient été bien plus en peine, et dans une plus grande terreur, si au commencement il leur avait apparu de même et dans cette forme spirituelle? Voilà pourquoi il mange avec eux, de peur qu'ils ne le prennent pour un fantôme. Si, le voyant marcher sur les eaux, ils crurent que c'était un fantôme (Marc, VI, 49), encore qu'il eût le même visage et la même figure, et qu'il ne fût pas bien loin d'eux; dans quels soupçons et quelles imaginations ne seraient-ils pas tombés, s'ils l'avaient vu ressusciter aussitôt après qu'ils l'avaient vu prendre et ensevelir? Si donc il leur dit souvent qu'il leur apparaîtra, et comment, et pour quelle raison; c'est afin qu'ils ne regardent pas sa résurrection comme une illusion, et qu'ils ne le prennent pas pour un fantôme.
« Celui qui ne m'aime point, ne garde point [477] mes paroles : et la parole que vous avez en« tendue, n'est point ma parole, mais celle de celui qui m'a envoyé (24) ».C'est pourquoi celui qui ne garde point ces paroles, n'aime ni mon Père, ni moi; si l'observance des commandements est le témoignage et la preuve de l'amour, et si ces commandements sont de mon Père, celui qui les garde n'aime pas seulement le Fils, mais encore le Père. Mais comment la parole peut-elle être votre parole et ne l'être point ? Cela signifie : Je ne dis rien sans mon Père; je ne dis rien quine soit conforme à sa volonté.
« Je vous ai dit ceci, demeurant encore avec vous (25) ». Ces paroles étaient obscures; les disciples ne comprenaient point les unes, et doutaient sur le plus grand nombre. Jésus-Christ, pour les empêcher de se troubler encore, et de dire : Quels sont ces commandements que vous nous donnez? les tire de toute inquiétude, en ajoutant : « Mais le Consolateur que mon Père enverra en a mon nom, sera celui qui vous enseignera « (26).» Peut-être, ce que je vous dis maintenant est obscur; mais ce docteur vous enseignera clairement toutes choses. Et ce mot: «L'Esprit-Saint demeurera avec vous », leur insinue qu'il doit s'en aller. Après, de peur qu'ils ne s'attristent, il leur dit que tant qu'il demeurera avec eux, et que le Saint-Esprit ne viendra point, ils ne pourront s'élever à rien de grand et de sublime.
Jésus-Christ leur dit ces choses pour les disposer à supporter courageusement son départ et une absence qui leur doit procurer de si grands biens. Il nomme souvent le Consolateur, à cause de la tristesse et de l'affliction où il les voit maintenant. Comme donc ce qu'ils ont entendu, comme la pensée de tant d'afflictions, de guerres et du départ de leur Maître les agite et les trouble, voyez, mes frères, voyez comment le divin Sauveur les console de nouveau, en disant : « Je vous laisse la paix (27) ». Et c'est de même que s'il leur disait : Quelle perte, quel dommage peuvent vous causer les guerres et les troubles de ce monde, si vous avez ma paix? Cette paix est bien différente des autres. La paix du monde est souvent inutile et pernicieuse, elle ne nous apporte aucun bien. Mais moi, je vous en donne une qui vous fera vivre dans une concorde mutuelle, une paix qui vous rendra plus fermes et plus courageux. Et encore comme cette expression : « Je vous donne la paix», marquait son départ, et pouvait les troubler, il leur dit de nouveau: « Que votre coeur ne se trouble point, et qu'il ne soit point saisi de frayeur ». Vous le voyez bien, mes frères, que le trouble des disciples venait en partie de leur amour et en partie aussi de leur crainte. « Vous m'avez ouï dire: Je m'en vais à mon Père, et je reviens à vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père, parce que mon Père « est plus grand que moi (28) ». Quelle joie, quelle consolation cette parole ne devait-elle pas répandre dans leur coeur?
4. Que veut dire cette parole : « Mon Père est plus grand que moi? » Elle nous apprend que les disciples n'avaient nulle connaissance encore de la résurrection, et qu'ils n'avaient point de Jésus-Christ l'opinion qu'il en fallait avoir. Et comment auraient-ils eu cette opinion, eux qui ne savaient même pas qu'il ressusciterait? Mais, au contraire, ils croyaient que le Père était grand. Voici donc ce que veut dire le Sauveur à ses disciples: Si vous craignez pour moi, comme si je ne pouvais pas seul me défendre et me soutenir contre mes ennemis, et si vous n'espérez pas que je puisse me faire voir à vous après mon crucifiement, après ma mort, néanmoins m'entendant dire que je vais à mon Père, vous devez enfin vous réjouir, puisque je vais à celui qui est plus grand, et capable de porter remède à tous les maux que je vous ai prédits. « Vous avez ouï que je vous ai dit» : Pourquoi Jésus-Christ a-t-il ajouté ces paroles ? Pour dire : J'ai tant de confiance à mes oeuvres, que je ne crains pas de vous faire ces prédictions.
« Je vous dis ceci dès maintenant, et je vous l'ai prédit avant qu'il arrive, afin que lors« qu'il arrivera, vous » me « reconnaissiez » pour « ce que je suis (1) (29) ». C'est comme s'il disait : Le sauriez-vous, si je ne vous le disais pas? Et je ne vous le dirais pas, si je n'avais confiance (2). Ne le voyez-vous pas, que ce discours est accommodé à la portée des auditeurs? Lorsque Jésus-Christ dit: « Croyez-vous que je ne puisse pas prier mon Père, et qu'il ne m'enverrait pas ici en même temps plus de
1. Ce passage est composé et de ce verset 29, chap. XIV, et du verset 29 du chap. XIII.
2. Si je n'avais de la confiance en vous, c'est-à-dire : Si je ne sa. vais que mes uvres vous ont fait connaître qui je suis.
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douze légions d'anges? » (Matth. XXVI, 53), il parle selon l'opinion de ses auditeurs. Il faudrait avoir perdu l'esprit, pour dire que Jésus-Christ n'aurait pas pu se secourir lui-même, et qu'il avait besoin des anges. Mais comme ils le croyaient un, homme, il a dit que son Père lui enverrait douze légions d'anges. Et cependant, par une seule question qu'il a faite à ceux qui étaient venus pour le prendre, il les a tous fait tomber à la renverse.
Si quelqu'un dit que le Père est plus grand, comme principe du Fils (1), nous ne le contredirons point : mais cela ne dit pas que le Fils soit d'une autre substance. Quand le Fils dit : « Mon Père est plus grand que moi »,voici ce qu'il nous veut faire entendre; tant que je serai ici avec vous, vous pouvez raisonnablement croire que nous sommes en péril; mais si je m'en vais, ayez cette confiance que nous sommes en sûreté: car personne ne peut ni surmonter, ni vaincre celui à qui je vais. Jésus-Christ disait tontes ces choses, pour se proportionner à la faiblesse de ses disciples. Pour moi, dit-il, je suis dans une pleine assurance, je ne crains rien, je ne me soucie point de la mort. Voilà pourquoi il ajoute : « Je vous dis maintenant ces choses avant qu'elles arrivent (30) ». Comme vous ne pouvez point encore comprendre le discours que je vous tiens là-dessus, je vous console par mon Père, que vous appelez grand.
Le Sauveur, après avoir donc consolé ses disciples, va encore les entretenir de choses tristes et affligeantes. Je ne vous parlerai plus guère. Pourquoi? « Car le prince du monde va venir, et il n'a rien en moi » qui lui appartienne (2). Jésus-Christ appelle le diable le prince du monde , et par monde il entend les méchants. Le prince du monde ne commandé pas dans le ciel ni sur la terre; s'il y régnait, il renverserait tout, il mettrait tout dans le désordre et dans la confusion. Il domine seulement sur ceux qui se sont livrés à lui : c'est pourquoi le Sauveur l'appelle le prince des ténèbres de ce siècle, et ici il appelle ténèbres les mauvaises oeuvres.
1. Comme principe du Fils. C'est là la seule raison et le seul endroit par lequel on peut dire le Père plus grand, ou plutôt, ou pas plus grand, mais Premier, comme chacun le voit visiblement. Le Père n'est pas par sa nature plus grand que son Fils, mais il est seulement Premier. Voilà le sentiment de saint Chrysostome, et ce qu'il veut nous faire entendre, dit ici le R. P. Dom Bernard de Montfaucon.
2. Il n'a rien en moi : c'est-à-dire : Il n'a aucun droit sur moi, n'ayant droit que sur les pécheurs.
Quoi donc ! Est-ce le diable qui vous fait mourir? Non: il ne peut rien sur moi. Pourquoi donc les Juifs voua font-ils mourir? Parce que je le veux bien: « Et afin que le monde connaisse que j'aime mon Père (31) ». Je souffre la mort, non que j'y sois sujet, non que je doive quelque chose au prince du monde; mais à cause de l'amour que j'ai pour mon Père. Jésus-Christ dit ces choses, afin de relever le tueur de ses disciples et de les encourager dé nouveau, afin qu'ils sachent qu'il ne va point à la mort malgré lui, mais volontairement, mais parce qu'il méprise le diable. Il ne lui suffit pas d'avoir dit: « Je suis encore avec vous un peu de temps » (Jean, VII, 33); mais il le répète souvent, quoique ce discours fût triste et affligeant. D'ailleurs , comme de juste , jusqu'à ce qu'il les y ait habitués, il y mêle des choses plus douces et plus agréables ; c'est pourquoi tantôt il dit: « Je m'en vais et je viens » ; tantôt: « Afin que là où je suis, vous y soyez aussi » ; tantôt: « Vous ne pouvez maintenant me suivre, mais vous me suivrez après ». Et encore: « Je m'en vais à mon Père » ; et: « Mon Père est plus grand que moi » ; et aussi: « Je vous le dis maintenant avant que cela arrive » ;et derechef: « Je ne souffre point la mort par nécessité, mais pour l'amour de mon Père». Le Sauveur dit donc toutes ces choses, pour faire connaître à ses disciples que la mort n'a rien de fâcheux pour lui , rien de nuisible, puisque son Père veut qu'il meure, quoiqu'il l'aime et qu'il en soit aimé. Il fait souvent mention de sa passion, de sa mort, de ces tristes objets, en y mêlant des idées consolantes, pour préparer leur esprit. Ces paroles: « L'Esprit-Saint demeurera avec vous » ; et: « Il vous est utile que je m'en aille », sont de vraies paroles de consolation. C'était encore pour consoler ses disciples qu'il leur avait dit auparavant bien des choses touchant le Saint-Esprit , savoir: « Il est dans vous » ; et: « Le monde ne peut le recevoir » ; et: « Il vous fera ressouvenir de toutes choses ». Et: « C'est l'Esprit de vérité, c'est l'Esprit-Saint, et le Consolateur ». Et encore: « Il vous est utile que je m'en aille », afin qu'ils ne tombassent point dans l'abattement, comme des gens délaissés et dépourvus de toute aide et de tous secours. Jésus-Christ dit qu'il leur est utile qu'il s'en aille, et par là il leur fait connaître qu'il les rendra spirituels.
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5. Et certes, nous le voyons de nos yeux, ce prodigieux changement : ces disciples , qui étaient auparavant si timides et si craintifs, ayant dans la suite reçu le Saint-Esprit, se jetaient au milieu des périls, des épées, des bêtes féroces, des mers, et s'exposaient hardiment à toutes sortes de supplices ; des gens sans littérature ni étude, des hommes du commun du peuple parlaient avec tant de constance et de fermeté, qu'ils étonnaient leurs auditeurs. (Act. IV, 13.) En effet, de floue qu'ils étaient auparavant, l'Esprit-Saint les rendit de fer, en fit des aigles, et ne permit pas que rien d'humain fût capable de les renverser.
Telle est la grâce de l'Esprit-Saint: telle est sa force et son efficace. Si dans un coeur elle trouve de la tristesse , elle la dissipe ; si elle y trouve de mauvais désirs, elle les consume et les éteint. Elle bannit la pusillanimité, et ne soutire pas que nous ayons désormais la moindre crainte, mais elle nous élève jusqu'au ciel, pour ainsi dire , en rendant toutes les choses célestes présentes à nos regards. Voilà pourquoi les disciples disaient qu'ils n'avaient rien (Act. II , 41 et suiv.) : voilà pourquoi ils possédaient toutes choses en commun, ils persévéraient dans les prières avec joie et simplicité de coeur : c'est là surtout ce que demande le Saint-Esprit. Car « les fruits de l'Esprit sont la joie, la paix, la foi, la douceur ». (Gal. V, 22 .)
Cependant, direz-vous, souvent les hommes spirituels sont dans la tristesse : mais cette tristesse est plus douce et plus agréable que la joie. Caïn a été attristé, mais la tristesse qu'il a eue était toute mondaine. Paul aussi a été attristé, mais la tristesse qu'il a eue a été selon Dieu. Tout ce qui est spirituel produit de grands biens; tout ce qui est terrestre cause de très-grands dommages.
Attirons donc sur nous, mes frères, la grâce invincible et toute-puissante du Saint-Esprit. Nous l'attirerons en nous par l'observation des commandements, et nous ne serons en rien inférieurs aux anges; les anges, quoiqu'incorporels, ne sont point invincibles; s'ils l'étaient, aucune nature incorporelle n'eût été méchante. Mais partout , et parmi les anges comme parmi les hommes, la volonté et le libre arbitre sont la cause du dérèglement et de tous les désordres. Voilà pourquoi , parmi même les natures incorporelles , il s'en est trouvé de pires et de plus méchantes que les hommes, et que les brutes mêmes (1). Voilà pourquoi, parmi les natures corporelles , il s'en est trouvé plusieurs meilleures que les incorporelles. Tous les justes habitaient la terre, vivaient dans des corps, quand ils ont fait leurs bonnes oeuvres; c'est qu'ils habitaient la terre comme étrangers , et le ciel comme citoyens.
Ne dites donc pas : Je suis environné de chair, je ne puis vaincre, je ne puis entreprendre des travaux pour la vertu : gardez-vous d'accuser le Créateur; si la chair rend la vertu impossible, nous ne sommes point coupables; mais que la chair ne rend point la vertu impossible, la multitude des saints le démontre visiblement. La nature charnelle n'a point empêché Paul d'être aussi grand et aussi vertueux qu'il l'a été, ni Pierre de recevoir les clefs du ciel. Enoch , malgré la chair dont il était revêtu, a été transporté et n'a plus reparu. Elie a aussi été enlevé de même en dépit de la chair; Abraham, Isaac et Jacob ont brillé dans la chair ; Joseph , revêtu d'une chair, a vaincu une femme impudique. Et que dis-je, la chair ? Les chaînes mêmes qui peuvent la garrotter ne sont point un obstacle. « Encore que je sois dans les chaînes », dit saint Paul, « la parole de Dieu n'est point enchaînée ». (II Tim. II, 9.) Mais, que dis-je encore, les liens et les chaînes? Ajoutez encore les prisons, les clefs et les verroux, rien de tout cela n'est un obstacle à la vertu : l'apôtre nous l'apprend par son exemple. Le lien qui lie l'âme, ce n'est point une chaîne de fer, c'est la crainte, c'est le désir des richesses, et une infinité d'autres maladies. Voilà ce qui nous enchaîne , notre corps fût-il en liberté.
Mais , direz-vous, ces maladies, ces sortes de chaînes, c'est le corps qui les produit: frivoles excuses, vains prétextes. Si ces maladies venaient du corps, tous en seraient infectés. Comme nous ne pouvons éviter la lassitude , le sommeil, la faim, la soif, parce que ces choses sont naturelles ; de même, si ces sortes de maladies étaient véritablement telles que vous le prétendez, personne ne serait exempt de leur tyrannie. Que si plusieurs s'en garantissent, il est évident que ces vices naissent de la lâcheté de l'âme. Arrachons-les donc, et n'accusons point la chair, mais soumettons-la à l'empire de l'âme, afin que , l'ayant
1. Ceux mêmes qui servent Dieu ne sont pas stables, et il a trouvé du dérèglement jusque dans ses anges. (Job, IV, 18.)
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accoutumée à obéir, nous acquérions les biens éternels, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.