ANALYSE.
427
1. Prophétie involontaire du grand prêtre Caïphe.
2. Jésus-Christ fuit d'une manière humaine. Jésus chez Lazare.
3. Quel mal c'est que l'avarice. Description des maux qu'elle cause à ceux qui en sont infectés. L'avarice est une idolâtrie, en quoi et comment? Quel est son empire ?
1. « Les nations se sont elles-mêmes engagées dans la fosse qu'elles m'avaient creusée. « Leur pied a été pris dans le même piége «,qu'ils avaient tendu en secret ». (Ps. Ix, 15 , 16.) Voilà, mes frères, voilà ce qui est arrivé aux Juifs. Ils disaient : Il faut faire mourir Jésus, de peur que; les Romains ne viennent et ne ruinent notre ville et notre nation. Ils l'ont fait mourir, et aussitôt ces calamités sont tombées sur eux: et ce qu'ils avaient,fait pour les éviter est justement ce qui lés leur a attirées. Mais ce Jésus qu'ils ont immolé à leur crainte et à leur fureur, vit dans le ciel , et ceux qui ont assouvi leur haine et leur passion, ont été précipités dans -l'enfer ; tout autre, cependant, avait été leur pensée. Depuis ce jour., dit l'évangéliste, les Juifs cherchaient à faire mourir Jésus; car ils disaient: « Les Romains viendront et ruineront notre nation. Mais l'un d'eux, nommé Caïphe, qui était le grand prêtre de cette année-là , leur dit: Vous n'y entendez rien ». Celui-ci était plus impudent que les autres; les autres doutaient, et proposant leurs avis, disaient: « Que faisons-nous? » Maïs celui-ci jette le masque , il ne ménage rien: il s'écrie effrontément: « Vous n'y entendez rien , et vous ne considérez pas qu'il vous est avantageux. qu'un seul homme pleure et que toute la nation ne périsse point. Or, il ne disait pas ceci de lui-même mais, étant grand prêtre cette, année-là, il prophétisa (51) ».
Voyez-vous, mes frères, combien est grande la puissance sacerdotale ? Caïphe , pour avoir été élevé par le sort au pontificat, encore qu'il en fût indigne, prophétisa sans savoir ce qu'il disait. La grâce se servit seulement de sa bouche; mais elle ne toucha point à son coeur impur. Plusieurs autres ont aussi prédit ce qui devait arriver, quoiqu'ils fussent des indignes, comme Nabuchodonosor, Pharaon , Balaam, là raison, pour tous, en est évidente.
Mais voici ce que veut dire ce pontife : vous demeurez tranquillement assis sur vos siéges, vous traitez bien mollement une affaire de cette conséquence; vous ne pensez pas que, quand ii s'agit du salut commun de tout un peuple, là vie d'un seul homme. n'est à compter pour rien. Remarquez combien est grande la vertu de l'Esprit-Saint. D'un esprit impur', d'un méchant, il a pu tirer les paroles d'une prophétie admirable. Au reste , l'évangéliste appelle les nations enfants de Dieu, sur ce qui devait arriver, comme Jésus-Christ le prédit lui-même, en disant : « Et j'ai encore d'autres brebis » (Jean X, 16), les appelant de ce nom, parce qu'un jour elles deviendraient ses brebis. Que signifient ces paroles : « Etant le grand prêtre de cette année-là ? » Parmi bien d'autres coutumes corrompues, les [428] Juifs avaient encore introduit celle-ci : le sacerdoce n'était plus à vie, il était seulement annuel. Par là les dignités étaient devenues vénales; et néanmoins, dans cette corruption même où ils étaient tombés, le Saint-Esprit les assistait encore. Mais lorsqu'ils eurent mis la main sur Jésus-Christ, alors ce divin Esprit les abandonna,, et se transporta sur les apôtres. Le voile du temple, qui se déchira en deux (Matth. XXVII, 51), fut une marque de cet abandon. Jésus-Christ a aussi fait entendre sa voix, en disant : « Le temps s'approche que votre maison demeurera déserte ». (Id. XXIII, 38.) Et Josèphe, qui est venu quelque temps après, rapporte, dans son histoire, que les anges qui demeuraient avec eux leur avaient déclaré que s'ils ne changeaient de vie et ne devenaient meilleurs, ils se retireraient. Tant que la vigne a subsisté, toutes choses se sont passées parmi eux selon qu'elles avaient coutume de se passer; mais quand ils eurent tué l'héritier, il n'en a plus été de même, ils ont tous péri; et Dieu ôtant en quelque sorte à ce fils ingrat, c'est-à-dire, aux Juifs, la robe brillante dont il l'avait revêtu, il l'a donnée à de bons serviteurs, aux gentils qui se sont convertis à la foi, et les Juifs, il les a laissés seuls et dans la nudité.
Au reste, ce n'était pas une chose peu merveilleuse et peu étonnante que ce fût un ennemi qui prophétisât un événement si considérable et si prodigieux. Une pareille prédiction était capable d'attirer et de gagner le peuple ; en effet, il arriva tout le contraire de ce que désirait lé pontife. Car, par cela même que Jésus-Christ est mort, les fidèles, ceux qui ont cru en lui, ont été délivrés du supplice auquel ils étaient condamnés. Que veulent dire ces paroles : «Pour rassembler et réunir ceux qui sont proches, et ceux qui sont éloignés (52) ? » Il les a tous réunis en un seul corps : celui qui est à Rome regarde les Indiens comme ses membres. Quoi de comparable à une pareille réunion? et le chef de tous est Jésus-Christ. « Ils ne songèrent plus, depuis ce jour-là, qu'à trouver le moyen de le faire mourir (53) ». Auparavant ils cherchaient, car l'évangéliste dit: « Les Juifs donc cherchaient à le faire mourir ». (Jean, VII, 11.) Et Jésus-Christ leur dit : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir? » (Ibid. 20. ) Mais alors ils cherchaient seulement (Id. V, 18) ; et maintenant leur résolution est prise, et ils ont mis la main ,à l'oeuvre. « C'est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs (54) ». Ici encore Jésus pourvoit à sa sûreté d'une manière humaine, et souvent il fait de même.
2. J'ai déjà dit le sujet pour lequel Jésus-Christ s'est souvent enfui et s'est éloigné de ses ennemis. Maintenant il se retire à Ephrem, près du désert, et s'y tient avec ses disciples. Mais quel pensez-vous, mon cher auditeur, que fut le trouble dés disciples, voyant leur Maître s'enfuir de la sorte, et pourvoir à sa sûreté d'une manière humaine? Personne alors
ne l'accompagna ; comme la Pâque était proche, tous les Juifs accouraient en foule à Jérusalem. Ainsi, lorsque tous étaient dans la joie, en fêtes et en réjouissances; alors les disciples se cachaient et se voyaient en péril; mais néanmoins. ils demeuraient fermement attachés à leur Maître; pendant que les Juifs célébraient la Pâque et la scénopégie, ils restaient cachés dans la Galilée. Mais aussi c'est alors qu'était seuls avec leur Maître, et obligés de fuir et de se cacher, ils avaient l'avantage de lui marquer tout leur attachement et leur amour. C'est pourquoi saint Luc rapporte que Jésus leur dit : « j'ai demeuré avec vous dans les tentations (1) » (Luc, XXII, 28) ; voulant leur faire connaître que c'était sa grâce qui les fortifiait et les rendait si fermes.
« Car plusieurs de ce quartier-là allèrent à Jérusalem pour se purifier. Et les princes des prêtres et les pharisiens avaient donné ordre de le prendre (55, 56) ». Belle manière de se purifier avec une volonté délibérée de faire mourir Jésus, et de tremper les mains dans son sang ! « Et ils disaient « Que vous en semble-t-il ? viendra-t-il à la fête? » (Ibid.) Au grand jour de Pâques, ils tendaient des pièges à Jésus : d'un temps de fête et de joie, ils faisaient un temps de meurtre et de carnage ; c'est comme s'ils avaient dit : La fête l'appelle ici, il faut qu'il vienne tomber dans nos piéges. O quelle impiété ! Lorsqu'il fallait donner des marques d'une plus grande piété, et délivrer les plus grands criminels, alors même ils tâchent de prendre l'innocent. Mais de plus, ayant tenté
1. On lit autrement ce passage, et dans le texte grec et dans le latin. Saint Chrysostome l'a apparemment lu de même dans son manuscrit, ou bien il l'a voulu accommoder à son sujet. Nos deux textes, le grec, et le latin disent : « C'est vous qui rites toujours demeurés fermes avec moi dans mes tentations ».
429
dautres fois de le prendre, non-seulement ils ne l'avaient pu, mais encore ils s'étaient fait moquer d'eux. S'il s'est souvent échappé de leurs mains, lorsqu'ils croyaient le tenir; s'il les a empêchés de le faire mourir, et les a laissés en doute et en suspens, c'était afin de lés amener au repentir .et à la componction, en leur faisant ainsi connaître sa vertu et sa puissance; afin qu'ils sussent, quand ils lauraient pris, que ce n'était point par leur propre force qu'ils le tenaient; mais parce qu'il avait bien voulu se livrer volontairement à eux. En effet, il leur fut alors impossible de le prendre, quoiqu'il fût à Béthanie, proche de Jérusalem; et lors même qu'ils l'eurent pris, il les renversa tous et les fit tomber par terre. (Jean, XVIII, 6.)
« Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, qu'il avait ressuscité d'entre les morts. (Chap. XII, 1.) Et il mangea chez eux, Marthe servait et Lazare mangeait avec lui (1) (2) ». Que Lazare, beaucoup de jours après sa résurrection, fût en vie et mangeât, c'était là un signe et un témoignage bien sûr d'une véritable résurrection. Du texte qui précède il résulte clairement que le repas avait lieu dans la maison de. Marthe; Lazare et ses sueurs accueillent Jésus comme des personnes qui l'aiment et en sont aimées. Quelques-uns disent pourtant que le souper fut préparé dans une autre maison; Marie ne servait point, uniquement occupée à écouter Jésus-Christ. Encore ici, elle montre des dispositions plus spirituelles. Elle s'abstient .de servir, comme si elle n'était qu'invitée. Elle réserve pour Jésus-Christ seul son service et ses hommages, et ne se comporte point envers lui comme envers un homme, mais comme envers Dieu (3). Voilà pourquoi elle répandit des parfums sur ses pieds et elle les essuya de ses cheveux ; ce qui faisait visiblement voir qu'elle n'avait pas la même opinion de Jésus-Christ que les autres.
Mais Judas, par un feint scrupule de piété, lui en fit des reproches. Que répondit donc Jésus-Christ ? « Marie a fait une bonne oeuvre », lorsqu'elle a répandu des parfums sur mon corps, « elle l'a fait pour m'ensevelir (2) (7)». Pourquoi Jésus ne reprit-il pas son disciple
1. Autrement : Lazare était un de ceux qui furent à table avec lui.
2. Le mot : entaphtasmos, que je lis dans mon texte; ou le verbe tenphiazien, qui est dans de Nouveau Testament grec, signifient préparer un corps pour l'ensevelir : « Marie a fait cette action pour prévenir ma sépulture », pour préparer mon corps à la sépulture, pour lui rendre les derniers devoirs : ou encore, pour faire mes funérailles.
429
davoir désapprouvé laction de cette femme, et ne dit-il point, comme l'évangéliste, qu'il l'avait blâmée pour voler l'argent? C'est parce qu'il voulut lui inspirer de la honte par sa patience. Mais Jésus connut Judas pour un traître, c'est de quoi on ne peut douter, puisqu'il l'avait déjà repris bien des fois, en disant: Tous ne croient pas, et « un de vous autres est un démon ». (Jean, VI, 71.) Jésus fit donc connaître qu'il savait que Judas était un traître, mais il ne le réprimanda pas ouvertement; il l'épargne et le traite avec douceur, parce qu'il voulait le détourner de son dessein. Mais pourquoi un autre évangéliste rapporte-t-il que tous les disciples avaient parlé de même? Il est vrai, les disciples et celui-ci se choquèrent tous de cette action, mais non point dans une même pensée.
Que si, quelqu'un demande pourquoi Jésus-Christ confia la bourse des pauvres à un voleur, et en commit la dispensation à un avare, nous répondrons que Dieu seul connaît les choses secrètes. Mais de plus, s'il m'est permis de dire mon sentiment et de hasarder une conjecture, le répondrai que le Sauveur en usait de la sorte pour ôter à Judas tout sujet d'excuse. En effet, il ne pouvait même pas prétexter que c'était l'amour de l'argent qui le poussait à trahir son Maître, puisqu'ayant la bourse en sa disposition, il lui était aisé de satisfaire sa malheureuse cupidité ; mais il fallait qu'il confessât que son extrême méchanceté le portait à commettre ce crime, et c'est pour l'arrêter et le corriger que Jésus-Christ usait de tant d'indulgence à son égard. C'est encore pour cette raison qu'il ne le reprenait pas de ses larcins, quoiqu'il ne les ignorât point, et qu'il lui laissait les moyens d'assouvir sa misérable passion, pour lui ôter toute excuse.
« Laissez-la faire. », dit Jésus, « elle a répandu ce parfum pour m'embaumer», elle prévient ma sépulture de quelques jours. Le Sauveur, parlant ainsi de sa sépulture, avertit et reprend de nouveau le traître de son dessein. Mais cet avertissement ne le toucha point, cette parole n'amollit pas son coeur, quoiqu'elle fût pourtant capable d'inspirer de la compassion et de la pitié; car Jésus semblait dire: Je vous suis à charge et incommode, mais patientez un
430
peu et je vais m'en aller. Car, c'est ce quil a en en vue lorsqu'il a dit: «Vous ne m'avez pas pour toujours». Mais rien de tout cela n'a pu fléchir cet homme féroce, ni arrêter sa fureur; encore que Jésus eût dit et fait bien d'autres choses, qu'il, eût lavé ses pieds dans cette nuit et qu'il l'eût fait asseoir à sa table, ce qui aurait pu amollir le coeur même dès plus grands voleurs, et qu'il eût dit bien des paroles capables d'attendrir une pierre même; et de plus, ce ne fut pas longtemps avant sa mort que le Sauveur fit et dit toutes ces choses,mais le jour même qu'il allait mourir, de peur que le temps ne les lui fît oublier. Cependant ce traître résiste à tout et se rend inutiles tores les bienfaits du Seigneur.
3. C'est que l'avarice est un horrible; oui, un horrible fléau : elle ferme les yeux, elle bouche les oreilles de celui qui en est possédé et le rend plus cruel que les bêtes féroces : elle ne lui permet d'avoir nulle attention nulle considération pour quoi que ce soit, ni pour la conscience, ni pour l'amitié, ni pour la société, ni pour son propre salut; elle le détache de tout pour l'asservir au joug pesant de sa propre autorité: Et ce, qu'il y a de pire clans cet esclavage , c'est qu'elle persuade à ceux dont elle fait ses esclaves qu'ils sont ses obligés; c'est qu'on s'y complaît d'autant plus qu'on est plus asservi. Voilà par où l'avarice devient une maladie incurable : voilà par où cette bête sauvage est si difficile à prendre et à apprivoiser. Par elle, Giézi, de disciple et de prophète, devint lépreux ; elle perdit Ananie, elle fit un traître de Judas. L'avarice a corrompu les princes des prêtres et les sénateurs, leur a fait recevoir des présents, et les a mis au rang des voleurs : elle a engendré une multitude de maux, inondé les chemins de sang, rempli les villes de pleurs et de gémissements : c'est elle qui souille les repas et y introduit tés mets défendras. Voilà pourquoi saint Paul appelle l'avarice une idolâtrie (Ephés. V, 5) : et encore, par cette qualification, il n'en a point détourné les hommes.
Mais pourquoi l'apôtre appelle-t-il l'avarice une idolâtrie? C'est parce que bien des riches n'osent se servir de leurs richesses, qu'ils les gardent précieusement et les remettent à leurs neveux et à leurs héritiers sans y avoir, touché , qu'ils n'osent même pas y toucher-, comme à dés offrandes faites à Dieu. Et s'ils sont quelquefois obligés de s'en servir, ils le
font avec réserve et avec respect, comme s'ils touchaient à des choses sacrées auxquelles il né leur serait point permis de toucher. Mais encore comme un idolâtre garde et honore son idole, vous de même vous enfermez votre or sous de bonnes portes et de fortes serrures; votre coffre; vous vous en faites un temple, vous vous en faites un autel où vous déposez: votre trésor et le mettez dans des vases d'or. Vous n'adorez pas l'idole comme lui, mais vous lui prodiguez les mêmes soins. Un homme ainsi préoccupé de la passion d'avarice, donnera plutôt ses yeux et sa vie que , son idole. Voilà ce que font les avares qui sont passionnés pour ;l'or.
Mais, direz-vous, je n'adore point l'or. La gentil non plus n'adore point l'idole, mais le démon qui demeure en elle. Vous, de même, vous n'adorez pas votre or; mais le démon qui, par vos yeux avidement fixés sur l'or et par votre cupidité, est entré dans votre âme, vous l'adorez. Car l'amour des richesses est pire. que le démon : c'est un dieu à qui plusieurs obéissent avec plus de zèle que les gentils n'obéissent à leurs idoles. Ceux-ci n'obéissent pas aux leurs en bien des. choses, mais les autres leur sont soumis en tout, et font aveuglément tout ce qu'elles leur prescrivent.
Que commande l'avarice? Soyez,, dit-elle, ennemi de tout le monde, oubliiez les devoirs de la nature , négligez le service de Dieu vous-même, sacrifiez-vous à moi : et ils lui obéissent en tout. On immole aux idoles des boeufs et des moutons; mais l'avarice veut un autre sacrifice ; elle dit : immolez-moi votre âme, et l'avare lui immole son âme. Ne voyez. vous pas quels autels on élève à lavarice, quels sacrifices elle reçoit ? Les avares ne seront point héritiers du royaume de Dieu (I Cor. VI, 70); et ils ne craignent et ils ne tremblent point. Mais toutefois cette passion est la plus faible de toutes : elle n'est point nés avec nous, elle ne nous est point naturelle : si elle venait de la nature, elle aurait établi son règne dès le commencement du monde. Or, au commencement il n'y avait point d'or, personne n'aimait l'or.
Mais voulez-vous savoir d'où naît cette passion? comment elle a crû, comment elle s'est étendue ? Le mal s'est propagé parce que les hommes ont porté envie aux riches qui avaient vécu avant eux, et le spectacle de la [431] prospérité d'autrui a stimulé jusqu'à l'indifférence. Voyant que d'autres ont eu de magnifiques maisons, de vastes domaines; des troupes de valets, des vases d'argent, des armoires pleines d'habits, on n'épargne rien pour les surpasser; de sorte que les premiers venus irritent la cupidité des seconds, et ainsi de suite. Mais, si les premiers avaient voulu vivre dans la modération et dans la frugalité, ils n'auraient pas servi de maîtres et de modèles à ceux qui . sont venus après eux. Toutefois, ceux qui les suivent, et qui imitent leur luxe, ne sont pas pour cela excusables, ils ont d'autres modèles; il se trouvé encore des gens qui méprisent les richesses. Et qui est-ce qui, les méprise ? direz-vous. Effectivement, ce qui est le plus fâcheux, c'est que ce vice a tant de force et d'empire qu'il semble invincible : on croit que tout est soumis à ses lois, et qu'il n'est personne qui suie la vertu contraire, je veux dire la modération, la tempérance. Je pourrais néanmoins en compter plusieurs, et dans les villes et sur les montagnes : mais de quoi cela vous servirait-il? Vous ne changeriez point, vous n'en deviendriez pas meilleurs. De plus je ne me suis pas proposé de traiter aujourd'hui cette matière, et je ne dis pas qu'il faille répandre ses richesses et s'en dépouiller. Je le voudrais pourtant bien, mais parce que cela paraît trop difficile, je ne vous y obligerai pas. Seulement je vous exhorte à ne point désirer le bien d'autrui, et à faire part aux pauvres des biens, que vous possédez.
Au reste, quand nous voudrons faire cette recherche, nous trouverons bien des gens qui ce contentent de ce quils ont, qui ont soin de leur bien, et qui vivent d'un honnête travail. Pourquoi ne les imitons-nous pas, et ne suivons-nous pas leur exemple? Rappelons dans notre mémoire ceux qui ont été avant nous. Leurs terres, leurs héritages, ne subsistent-ils pas, seuls monuments qui rappellent encore leurs noms? Voilà, disons-nous, les bains d'un tel , voilà sa maison. de campagne, son lieu de plaisance : aussitôt que nous voyons ces objets, ne poussons-nous pas quelques gémissements en nous représentant les soins et lés peines qu'il s'est données, les rapines et les vols,dont il s'est rendu coupable? Mais cet homme à disparu d'ici-bas; d'autres à qui il n'aurait jamais pensé , et peut-être même ses ennemis ; jouissent de ses biens pendant qu'il souffre les plus cruels tourments: Un même sort nous attend : nous mourrons indubitablement, et nous aurons tous une même fin. Dites-moi, je vous prie, ces riches auxquels vous pensez maintenant; lorsqu'ils étaient sur la .terré:, quelles- haines ne se sont-ils pas attirées, quelles dépenses n'ont-ils pas faites, combien de, querelles et d'inimitiés n'ont-ils pas essuyées? Et quel fruit leur en revient-il? Un supplice éternel, nul espoir de consolation, des reproches de tout le monde, non-seulement pendant leur vie, mais maintenant encore après leur mort.
Enfin, lorsque vous voyez dans les maisons les portraits de ces hommes opulents, quels sont, vos sentiments et vos pensées? Admirons-nous, ou plutôt ne versons-nous pas des larmes ? Le prophète, a bien eu raison de le dire : « C'est en vain que se trouble et s'inquiète tout homme qui vit (Ps. XXXVIII, 9) » sur la terre : car le soin des choses de ce monde est véritablement. un trouble et une . inquiétude vaine et inutile, mais il en sera tout autrement dans les demeures et les tabernacles éternels. Ici l'un a travaillé, et l'autre jouit du fruit de son travail : mais là-haut chacun jouira de ses peines et de ses travaux, et en recevra une ample récompensé. Faisons donc tous nos efforts, et n'épargnons rien pour acquérir cet héritage : préparons-nous-y des maisons; afin que nous nous reposions avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire, et au l'ère et du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.