ANALYSE
1. Guérison de l'aveugle-né. Nul n'est puni pour le péché de ses parents.
2. Jésus-Christ, en rendant la vue à l'aveugle-né, prouvait aux Juifs qu'il est le Créateur.
3. Contradiction apparente; expliquée. Saint Paul appelle nuit ce que Jésus-Christ appelle jour, et jour ce qu'il appelle nuit. Félicité de la céleste patrie. Ce qu'il faut faire pour y parvenir. Les pauvres nous bâtissent des maisons dans le ciel. Répandre ses biens sur eux.
1. « Comme Jésus passait, il vit un homme qui était aveugle dès sa naissance (1) ». Jésus-Christ, dans son humanité, son zèle pour notre salut, et sa volonté de fermer la bouche aux méchants, ne négligeait rien de ce qu'il lui appartenait de faire, même quand il ne rencontrait qu'indifférence autour de lui. C'est parce que le prophète savait cela qu'il a dit: « Afin que vous soyez reconnu juste et véritable dans vos paroles; et que vous demeuriez victorieux , lorsqu'on jugera de votre conduite » . (Ps. L, 5.) Voilà pourquoi maintenant les Juifs ne pouvaient atteindre à la sublimité de ses paroles, que dis-je? lorsqu'ils [371] l'appelaient démoniaque, et qu'ils cherchaient à le faire mourir; étant sorti du temple, il guérit un aveugle, afin d'apaiser leur fureur même par son absence, afin d'amollir la dureté de leur coeur, et d'adoucir leur inhumanité par un miracle, et aussi de persuader sa doctrine, de lui donner plus de foi et de créance : et le miracle qu'il fait n'est ni commun ni ordinaire, mais tel que jusqu'alors on n'en avait point vu de pareil. « Depuis que le monde est», dit l'aveugle, « on n'a jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né ». Car peut-être quelqu'un a ouvert les yeux, d'un aveugle, mais non pas d'un aveugle-né.
Or, que Jésus, étant sorti du temple, soit venu exprès et dans l'intention d'opérer le miracle, ce qui le prouve manifestement, le voici : Il est allé chercher l'aveugle, et l'aveugle ne l'est point venu chercher. Et encore : Il l'a regardé avec tant d'attention, que ses disciples l'ayant aperçu, se portèrent à lui faire cette demande : « Maître, est-ce le péché de cet homme, ou le péché de ceux qui l'ont « mis au monde, qui est cause qu'il est né aveugle? » Question fondée sur une fausse supposition : car, avant de naître, comment cet homme aurait-il pu commettre quelque péché? Pourquoi aurait-il été puni pour le péché de ses pères? Sur quoi donc les disciples se sont-ils portés à faire cette question? Jésus-Christ, ayant auparavant guéri le paralytique, lui dit : « Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l'avenir ». (Jean, V, 14.) De là les disciples connurent que cet homme était devenu paralytique en punition de son péché, et ils raisonnèrent entre eux de la sorte. Que cet homme soit tombé dans la paralysie à cause de ses péchés, soit, cela peut être; mais que direz-vous de celui-ci? est-ce pour ses péchés qu'il est ainsi frappé d'aveuglement? C'est ce qu'on ne peut dire, car il est né aveugle. Peut-être ce sont les, péchés de ses parents qui lui ont attiré cette disgrâce? Mais c'est encore là ce qu'on ne peut dire : car le fils n'est point puni pour les fautes de son père. Si nous voyons maltraiter un enfant,. nous disons : Qu'est-ce que cela signifie? Qu'a donc fait cet enfant? Ce n'est pas là interroger, mais seulement manifester de l'étonnement et du doute. De même les disciples parlaient, de la sorte, non tant pour interroger que pour exposer leur doute. Que répondit donc Jésus-Christ? « Ce n'est point qu'il ait péché, ni ceux qui l'ont mis au monde (33) ». Et il ne dit pas cela pour marquer qu'ils soient tout à fait exempts de péché; car il n'a pas seulement dit : « Ce n'est point qu'il ait péché, ni ceux qui l'ont mis au monde », mais il a ajouté . « Ce qui est cause qu'il est né aveugle, c'est afin que le Fils de Dieu soit glorifié ». Cet homme-ci a péché, et ses parents ont péché aussi, mais ce n'est point là ce qui est cause de son aveuglement.
Enfin Jésus-Christ, parlant en ces termes, n'a pas .voulu nous faire entendre que véritablement celui-ci n'était point aveugle pour cette cause, mais que d'autres l'étaient, à savoir, pour le péché de leurs parents; car il n'est pas permis de punir l'un pour le péché de l'autre. En effet, si nous l'accordions, il faudrait convenir aussi que cet homme avait péché avant de naître. De même donc que le Sauveur disant : « Ce n'est point qu'il ait péché », n'entend pas qu'il y ait des hommes qui pèchent dès leur naissance, et qui soient punis pour cela; ainsi lorsqu'il dit : « Ni ceux qui l'ont mis au monde», il ne veut pas dire qu'il y ait quelqu'un de puni pour les péchés de ses pères. Il ôte ce soupçon par la bouche d'Ezéchiel : « Je jure par moi-même, dit le Seigneur, qu'on n'entendra point dire cette parabole : Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en sont agacées ». (Ezéch. XVIII, 34.) Moïse dit aussi « On ne fera point mourir le père pour l'enfant». (Deut. XXIV, 16.) De plus, l'Ecriture Ait d'un certain roi, qu'il ne fit point mourir les enfants pour les pères, afin de se conformer à la loi de Moïse.
Que si quelqu'un me fait cette objection pourquoi donc l'Ecriture dit-elle : « Dieu punit les crimes des pères sur les enfants, jusqu'à la troisième et quatrième génération ? » (Exod. XX, 5; Deut. V, 9) ; nous répondrons que cette sentence n'est point générale, et qu'elle est prononcée contre quelques-uns des Juifs qui étaient sortis de l'Egypte, et en voici le sens : Comme ceux que j'ai tirés de la captivité de l'Egypte sont devenus, même après avoir vu tant de miracles et de prodiges, plus méchants encore que leurs pères, qui toutefois n'avaient rien vu de si grand ni de si admirable, ils seront punis de même qu'eux, dit le Seigneur, parce qu'ils ont commis les mêmes crimes. Et si l'on examine ce passage avec [372] soin et avec attention, on connaîtra fort bien que c'est ainsi qu'il le faut entendre. Pourquoi cet homme est-il donc né aveugle? « Afin », dit l'Ecriture, « que la gloire de Dieu éclatât ». D'où naît encore une autre question, savoir : si la gloire de Dieu ne pouvait se manifester que par l'aveuglement de cet homme? Certes, l'Ecriture ne dit point que la puissance de Dieu n'a pu autrement se montrer, car sûrement elle le pouvait; mais c'est afin qu'elle se manifestât encore dans ce miracle. Quoi ! direz-vous, cet homme a donc reçu cette disgrâce pour faire éclater la gloire de Dieu ? Mais quel mal, je vous prie, lui en est-il arrivé? Et si le Seigneur n'avait point voulu qu'il vint au monde, qu'auriez-vous à répliquer?
Mais moi, je dis que de cet aveuglement même, est résulté pour lui un bien : car il a vu des yeux de l'âme. De quoi a-t-il servi aux Juifs d'avoir des yeux? En voyant ils ont été comme des aveugles qui ne voient point, et ils se sont attiré un plus grand supplice. Mais la cécité, quel tort a-t-elle fait à celui-ci? pour avoir été aveugle, il a reçu la vue. Comme donc les maux de cette vie ne sont point de vrais maux, de même les biens ne sont pas de vrais biens. Mais le péché seul est un mal, la cécité, au contraire, n'est point un mal. Or, celui qui tire toutes choses du néant, « est le maître », il a pu laisser cet aveugle en cet état. Toutefois quelques-uns disent que ce mot « afin que b, n'est point ici une particule causale, et qu'il marque seulement l'événement qui suivit : comme lorsque Jésus-Christ dit : « Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ». (Jean, IX, 39.) Car le Sauveur n'est pas venu, afin que ceux qui voyaient devinssent aveugles. Et encore: « Car ils ont connu », dit saint Paul, « ce qui se peut découvrir de Dieu; et ainsi ces personnes sont inexcusables ». (Rom. I, 19, 20.) Néanmoins, Dieu ne leur a pas découvert ses perfections, pour les rendre inexcusables, mais pour leur donner un moyen de se justifier. Et derechef, en un autre endroit : « Or, la loi est survenue, afin que le péché abondât ». (Rom. V, 20.) Et cependant la loi n'est pas survenue pour porter l'homme au péché, mais, au contraire, pour le retenir et l'empêcher d'y tomber.
2. Vous voyez, mes frères, que partout la particule: « Afin que » , n'est que pour marquer l'événement, ou ce qui est arrivé en conséquence. Tel qu'un habile architecte, Dieu a d'abord achevé une partie de la maison qu'il a voulu construire, il a laissé l'autre imparfaite, afin qu'en la finissant ensuite, il fermât la bouche aux incrédules relativement à l'origine de tout l'ouvrage. Ainsi il joint en. semble les différentes parties de notre corps, il achève ce qui y manquait, et il y travaille comme à une maison qui serait prête à tom. ber, lorsqu'il rend saine la main qui est desséchée, lorsqu'il affermit les membres du paralytique, qu'il fait marcher les boiteux, qu'il guérit les lépreux, qu'il rend la santé aux malades, qu'il fortifie les jambes faibles, qu'il ressuscite les morts , qu'il ouvre les yeux qui étaient fermés, qu'il en donne à ceux qui n'en avaient point. Il répare donc tous les défauts de notre faible nature , et c'est par où il découvre, il manifeste sa puissance. Au reste, quand Jésus dit: Afin que la puissance de. Dieu éclate, c'est de lui qu'il parle, et non du Père. Car la puissance du Père était parfaitement connue.
Or, comme les Juifs avaient ouï dire que Dieu, pour former l'homme, avait pris du limon de la terre; pour cette même raison, Jésus-Christ se servit aussi de boue. S'il eût dit: C'est moi qui ai pris de la boue, et qui en ai formé l'homme, cette parole aurait choqué ses auditeurs. Mais en le faisant voir par l'oeuvre même qu'il opère, il a réfuté toutes les objections. Le Sauveur, donc, ayant pris de la poussière, la délaya avec sa salive, et par là il découvrit sa puissance , qui était cachée, et la fit éclater. En effet, il n'y avait pas peu de gloire à se faire connaître pour le Créateur. Car de là s'ensuivait tout le reste, une partie faisant croire le tout. La créance ne faisait ainsi que descendre du plus au moins. En effet, de toutes les choses créées, l'homme est ce qu'il y a de plus éminent, et l'oeil est le plus précieux de tous ses organes: voilà pour. quoi, dans la miraculeuse guérison dont nous parlons, le Sauveur ne créa pas simplement l'oeil, mais le créa de la manière que nous venons de rapporter. Car, quoique l'il soit un fort petit organe, néanmoins il est nécessaire au corps. Saint Paul le déclare par ces paroles : « Et si l'oreille disait: Puisque je ne suis pas oeil, je ne suis pas du corps; ne [373] serait-elle point pour cela du corps? » (I. Cor. III,16.) Tout ce qui est en nous manifeste la divine puissance de celui qui l'a formé; mais 1'il la fait beaucoup plus éclater, puisque c'est lui qui gouverne tout le corps , qui en fait la beauté , qui est le bel ornement du visage, et la lampe qui éclaire tous les membres. Loeil est au corps ce qu'est le soleil au monde. Si vous éteignez la lumière du soleil, vous mettez tout dans le trouble et la confusion , vous perdez tout. Si vous éteignez les yeux, les pieds et les mains sont inutiles, l'âme l'est aussi. La perte des yeux entraîne avec soi la ruine de la raison. En effet, c'est par eux que nous sommes parvenus à la connaissante de Dieu. « Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent ». (Rom. I, 20.) L'oeil n'est donc pas seulement la lampe du corps (Matth. VI, 22 et suiv.) mais il l'est plus encore de l'âme gaie du corps. C'est pourquoi il est placé en haut comme sur un trône royal, et il est élevé au-dessus des autres sens. Jésus-Christ forme donc l'oeil. Ensuite, afin que vous ne croyiez point qu'il ait eu besoin de la matière pour faire l'oeuvre qu'il voulait opérer, et que vous appreniez qu'au commencement, quand il a créé toutes choses, la boue dont il s'est servi ne lui était point nécessaire : car celui qui de rien a produit les substances les plus grandes et les plus excellentes pouvait , à plus forte raison, former celle-ci sans faire usage d'aucune matière, s'il l'avait voulu. Pour vous apprendre, dis-je , qu'il n'en a nullement eu, besoin, et vous montrer que c'est lui qui , au commencement , a créé toutes choses , ayant appliqué la boue sur la place de l'il, il dit: Allez, « lavez-vous (7) », afin que vous sachiez que, pour former des yeux, il ne m'est pas nécessaire d'avoir en main de la boue , et que je ne m'en sers que pour faire éclater ma gloire et ma puissance.
Le Sauveur donc, pour montrer qu'il parle de sa propre personne , lorsqu'il dit: « Afin que la gloire de Dieu éclate », a ajouté: « Il faut que je fasse les oeuvres de celui qui m'a envoyé (4) » ; c'est-à-dire , il faut que je me fasse connaître moi-même, et que je produise tout ce qui est capable de prouver que je fais les mêmes couvres que mon Père fait: non de semblables, mais les mêmes; ce qui marque une plus grande égalité, et ne se peut dire que de ceux qui n'ont pas même entre eux la moindre inégalité. Qui donc osera maintenant combattre cette égalité du Fils, voyant qu'il est capable des mêmes oeuvres que le Père a le pouvoir de faire? En effet, non-seulement il a formé des yeux, non-seulement il en a ouvert, mais il a donné la faculté de voir, ce qui. prouve manifestement qu'il a aussi inspiré l'âme. Car si l'âme n'agit, quelque sain, quelque entier que l'oeil soit, jamais il ne verra rien. C'est pourquoi il a aussi communiqué à l'âme la faculté d'agir, et il a donné à cet homme un oeil composé d'artères, de nerfs , de veines , de sang , et de toutes les autres choses dont notre corps est construit.
« Il faut que je fasse des couvres pendant qu'il est jour ». Que signifient ces paroles? Quelle suite ont-elles ? Elles en ont une véritable. Car Jésus-Christ veut dire ceci : Pendant qu'il est jour, pendant que les hommes peuvent croire en moi, et que je vis, il faut que je fasse dés oeuvres. « La nuit vient », c'est-à-dire le temps approche « où l'on ne pourra rien faire ». Le Seigneur n'a point dit: Dans lequel je ne pourrai point agir, mais : « Où l'on ne pourra rien faire », c'est-à-dire dans lequel il n'y aura plus ni foi, ni couvre, ni pénitence. Et comme Jésus appelle la foi une couvre, ils lui disent : « Que ferons-nous pour faire des couvres de Dieu ? » (Jean, VI, 28.) Il répond : « L'oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ». (Ibid. 29.) Pourquoi donc personne alors ne pourra-t-il faire cette oeuvre ? Parce qu'alors la foi ne subsistera plus, et que tous écouteront, soit qu'ils le veuillent ou qu'ils ne le veuillent pas.
Et afin que les Juifs ne pussent pas dire que Jésus-Christ agissait par un mouvement d'ambition et de vanité, il leur montre que tout ce qu'il fait c'est pour eux, c'est pour leur salut qu'il le fait; puisque c'est seulement en ce monde qu'on peut croire et opérer des couvres, et qu'en l'autre la foi ne leur servira de rien, qu'ils ne pourront plus ni travailler ni mériter. Voilà pourquoi le divin Sauveur guérit l'aveugle, sans même que celui-ci vînt le chercher ni l'en prier. Mais toutefois ce qui a suivi sa guérison, je veux dire sa foi et sa fermeté, prouvent manifestement qu'il était digne de cette grâce; que s'il avait vu, il serait venu trouver Jésus et aurait cru en lui ; [374] et que s'il avait ouï dire à quelqu'un qu'il était présent, il n'eût pas manqué d'accourir. Il pouvait, en effet, penser et dire en lui-même : Qu'est-ce que cela signifie? Jésus a fait de la boue, il en a oint mes yeux et m'a dit : « Allez, lavez-vous? » Est-ce qu'il ne pouvait pas me guérir en m'envoyant alors à la piscine de Siloé? Souvent je m'y suis lavé avec les autres et cela ne m'a servi de rien. Si véritablement il avait le pouvoir de me rendre la vue, il m'aurait guéri sur-le-champ, sans m'envoyer courir. C'est ce que Naaman disait aussi à Elisée (IV Rois, V, 11) : le prophète lui ayant ordonné de se laver dans le Jourdain, il n'y avait point de foi. Et cependant Elisée jouissait d'une très-grande réputation. Mais cet aveugle ne fut pas incrédule, il ne disputa point, il ne dit point en lui-même : Que veut dire cela ? Fallait-il qu'il mît de la boue sur mes yeux? C'est plutôt là de quoi m'aveugler. Qui a jamais recouvré la vue de cette manière ? Mais il n'eut aucune de ces pensées. Maintenant, mes frères, remarquez-vous cette foi et cette fermeté d'âme?
« La nuit vient » : Par là Jésus-Christ fait connaître qu'après même qu'il aura été élevé sur une croix, qu'après sa mort il aura soin encore des pécheurs, et qu'il en attirera plusieurs. « Il est encore jour », mais après que le jour sera passé, il retranchera, 'il rejettera absolument les méchants; c'est ce qu'il déclare formellement en ces termes : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (5) ». Et il le dit aussi ailleurs : « Croyez, pendant que vous avez la lumière ». 3. Pourquoi saint Paul a-t-il donc appelé nuit la vie présente, et jour celle qui la suivra? Néanmoins il n'avance rien de contraire aux paroles de Jésus-Christ; loin de là, il dit les mêmes choses, non selon la terre, mais selon le sens, savoir : « La nuit est passée, il fait jour ». (Rom. XIII, 12.) Car le temps présent il l'appelle nuit, à cause de ceux qui sont assis dans les ténèbres, ou par comparaison de cette vie pleine de ténèbres à la vie lumineuse, dont on jouira dans le ciel; mais Jésus-Christ appelle le temps futur une nuit, parce qu'alors (1) on ne péchera plus.
L'apôtre appelle au contraire une nuit la vie présente, parce que ceux qui vivent dans l'iniquité et l'incrédulité sont dans les ténèbres. Adressant donc la parole aux fidèles; il
1. Alors, c. à d. dans ce temps futur.
dit : « La nuit est passée, il fait jour ». Parce qu'ils sont destinés à jouir un jour de cette lumière : mais leur première vie, il l'appelle une nuit; c'est pourquoi il leur dit : « Quittons donc les oeuvres de ténèbres ». (Ibid.) Remarquez qu'il leur déclare qu'ils étaient dans la nuit; pour cette raison il ajoute « Marchons avec bienséance et avec honnêteté, comme on marche durant le jour », afin que nous puissions jouir de la lumière « qui nous est annoncée ». Car si la lumière, «que nous présente maintenant la prédication de l'Évangile », est si lumineuse et si éclatante, songez à ce que sera celle dont vous jouirez dans le ciel ? Soyez-en persuadés : autant les rayons du soleil éclipsent la lumière des lampes, autant, ou plutôt beaucoup plus, la lumière céleste que nous vous annonçons surpassera celle-ci. Et c'est là ce que voulait dire le Sauveur par ces paroles : « le soleil s'obscurcira » (Matth. XXIV, 29) : c'est-à-dire, il sera éclipsé par la splendeur de la lumière nouvelle.
Que si maintenant, pour avoir des maisons bien éclairées, bien aérées, nous dépensons notre argent et nos peines à bâtir ; ne pensez. vous pas que nous devions épuiser jusqu'à nos dernières forces, pour nous édifier dans le ciel de splendides demeures, là où habite l'ineffable lumière? En bâtissant ici-bas, nous nous exposons à des querelles et à des procès pour des bornes et des cloisons, au lieu que là-haut il ne nous peut rien arriver de semblable : l'envie et la jalousie n'y étant point à craindre, personne ne nous fera de procès pour les limites. Mais, de plus, cette maison que nous construisons ici-bas, nécessairement il faudra la quitter; et l'autre, nous l'habiterons éternellement : l'une dépérit et le temps la dévore, elle est sujette à bien des accidents; l'autre est stable et demeure toujours dans son premier état : le pauvre ne peut bâtir celle-ci; l'autre, pour deux oboles même on la construit, comme fit la veuve que vous connaissez tous. (Marc , XII, 12.) C'est pourquoi je sèche, je meurs de tristesse et de douleur, de voir qu'ayant à espérer de grands biens, nous soyons si lâches et si négligents à nous les procurer, et que nous n'omettions rien pour nous établir ici dans de belles maisons, tandis que nous ne nous soucions point de nous préparer dans le ciel le moindre logement.
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Dites-moi, je vous prie : dans ce monde, où voudriez-vous avoir votre maison? Est-ce au désert, ou en quelque petit bourg? Non, mais, je pense, dans une grande capitale, là où se fait un plus grand commerce, où éclate une plus grande splendeur. Et moi, je vous mène dans une ville dont Dieu est l'architecte et l'ouvrier. Je vous en conjure, mes chers frères, bâtissons-y; bâtissons où il en coûte et moins de dépense et moins de travail. Ce sont les mains des pauvres qui construisent ces maisons, et voilà la vraie manière de bâtir : ce qui se fait en ce monde n'est bon qu'à attester notre extrême folie. Si quelqu'un vous engageait à faire un voyage en Perse, pour voir le pays et vous en revenir aussitôt après; et s'il vous conseillait en même temps d'y bâtir des maisons, ne le jugeriez-vous pas bien fou de vous porter à une vaine et inutile dépense? Pourquoi bâtissez-vous donc sur cette terre, d'où vous devez sortir sous peu de jours?
Mais, direz-vous, ces maisons que je fais bâtir, je les laisserai à mes enfants. Eh ! vos enfants doivent bientôt vous suivre, s'ils ne vous devancent pas : et il en sera de même de leur postérité, et en ce monde même, c'est un sujet de chagrin et d'affliction que de se trouver sans héritier. Mais dans le royaume céleste vous n'avez rien de pareil à craindre : l'héritage que vous y posséderez ne sera sujet à aucun changement, il vous demeurera entier à vous, à vos enfants et à vos petits-fils, s'ils imitent votre vertu. C'est Jésus-Christ qui construit l'édifice; avec un si habile architecte, on n'a nullement besoin d'inspecteurs; on est exempt de toute inquiétude. Dieu se charge lui-même de tout; de quoi auriez-vous à vous mettre en peine? C'est lui qui assemble les matériaux, qui élève la maison. Et ce n'est point là seulement ce qui est admirable, mais c'est qu'il la construit selon vos désirs, ou plutôt, beaucoup mieux encore que vous ne le pourriez désirer. Car il est excellent architecte, et il s'attache à vous procurer toutes sortes de commodités et d'avantages. Si, étant pauvre, vous voulez bâtir cette maison, ne craignez point, elle ne vous suscitera ni envie, ni jalousie; l'envieux ne 1a voit point, mais seulement les anges qui se réjouissent de vos félicités. Personne ne pourra anticiper sur les bornes de votre héritage, parce gaie vous n'aurez point de voisin qui soit attaqué de cette maladie. Là, vos voisins, ce seront les saints, Pierre, Paul, tous les patriarches, les martyrs, la compagnie des anges et des archanges. C'est pourquoi, mes très-chers frères, répandons nos biens et nos richesses sur les pauvres, afin d'acquérir ces demeures. Plaise à Dieu que nous les obtenions tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.