HOMÉLIE L

HOMÉLIE L.

ALORS QUELQUES GENS DE JÉRUSALEM COMMENCÈRENT A DIRE : N'EST-CE PAS LA CELUI QU'ILS CHERCHENT POUR LE FAIRE MOURIR? —  ET NÉANMOINS LE VOILÀ QUI PARLE DEVANT TOUT LE MONDE SANS QU'ILS LUI DISENT RIEN. — EST-CE QUE LES SÉNATEURS ONT VRAIMENT RECONNU QU'IL EST VÉRITABLEMENT LE CHRIST (1) ? — MAIS NOUS SAVONS CEPENDANT D'OU EST CELUI-CI. (VERS. 25, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 36.)

 

ANALYSE.

 

1. Les Juifs se contredisent au sujet de Jésus-Christ.

2. Jésus-Christ les démasque et leur montre qu'ils refusent de le recevoir bien qu'ils sachent qu'il est le Messie.

3. Jésus prédit sa mort, ce qui est au-dessus de l'homme. — Nous devons craindre, que nos péchés ne nous empêchent d'aller où est Jésus-Christ : c'est de ses disciples que le Sauveur dit : Je désire que là où je suis , ils y soient aussi avec moi. — Si l'huile de la charité nous manque, il nous en arrivera de même qu'aux vierges folles. — Ce qui resserre et ce qui éteint le Saint-Esprit dans les âmes. — L'inhumanité, la cruauté, la rapine, l'avarice éteignent l'Esprit-Saint dans les âmes par les chagrins et la tristesse que lui causent ces vices. — Ceux qui n'auront pas exercé la charité envers les pauvres, entendront cette terrible parole : Je ne vous connais point.

 

1. Dans les divines Ecritures, rien n'est inutile, tout a été dicté par le Saint-Esprit; c'est pourquoi examinons-en avec soin toutes les paroles: souvent l'intelligence dé tout un passage dépend d'un seul mot, comme il arrive maintenant ici. « Plusieurs personnes de Jérusalem disaient: N'est-ce pas là celui qu'ils a cherchent pour le faire mourir? Et néanmoins, le voilà qui parle devant tout le monde, sans qu'ils lui disent rien ». Pourquoi nommer les gens de Jérusalem? L'évangéliste montre en cela que ceux pour qui Jésus-Christ avait principalement fait tant de miracles, étaient les plus misérables de tous les hommes, puisqu'ayant vu de leurs propres yeux le plus grand témoignage de sa divinité, ils renvoyaient tout au jugement partial de leurs princes. N'était-ce pas là, en effet, la plus grande marque de sa divinité ? Ces hommes furieux et enragés, qui ne respiraient que le meurtre, courent de toutes parts et cherchent

 

1. Le texte grec et saint Chrysostome lisent ainsi.

 

Jésus pour le faire mourir; ils l'ont entre leurs mains , et aussitôt ils s'arrêtent. Qui en aurait pu faire autant? qui, sur-le-champ, aurait pu réprimer une pareille fureur?

Néanmoins, après tant de miracles, volez leur folie, voyez leur rage: « N'est-ce pas là »,disent-ils encore, « celui qu'ils cherchent pour « le faire mourir ? » Remarquez de quelle manière ils se condamnent eux-mêmes: « Qu'ils cherchent pour le faire mourir, et ils ne lui disent rien». Et non-seulement ils ne disent rien , mais, lors même qu'il parle devant tout le monde, .qu'il dit librement ce qu'il veut, qu'il les pique et les irrite , ils ne l'en empêchent point, ils ne l'arrêtent pas. « Ont-ils vraiment reconnu qu'il est le Christ? » Mais vous-mêmes, qu'en pensez-vous? quel jugement portez-vous de lui? Le jugement contraire, répondent-ils; voilà pourquoi ils disaient: « Mais nous savons cependant d'où est celui-ci ». O méchanceté ! ô contradiction ! Ils n'en jugent pas comme les princes, mais 343] ils en portent un autre, jugement injuste et digne de leur folie. « Nous savons », disent-ils, « d'où il est » : ou, « que quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est ». (Matth. II, 4, 5.) Mais vos princes des prêtres, interrogés sur le lieu de sa naissance , répondirent que c'était dans. Bethléem qu'il devait naître.

D'autres encore viennent dire: « Nous savons que Dieu a parlé à Moïse : mais , pour celui-ci, nous né savons d'où il est ». (Jean, IX, 29.) Voyez ces paroles de gens ivres. Et derechef: « Le Christ viendra-t-il de Galilée? (Jean, VII, 41). « Ne viendra-t-il pas de la petite ville de Bethléem ? » (Ibid. 42.) Ne remarquez-vous pas le jugement de ces insensés. Nous savons, nous ne savons pas: Il viendra de la petite ville de Bethléem : « Mais quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est ». Est-il rien de plus visible que la contradiction de ces paroles? La seule chose qu'ils avaient en vue, c'était de ne point croire.

Mais, à tous ces discours, que répond Jésus-Christ? « Vous me connaissez, et vous savez d'où je suis : et je ne suis pas venu de moi-même; mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point.

Et encore : « Si vous me connaissiez , vous connaîtriez aussi mon Père ». (Jean, VIII, 19.) Comment donc Jésus-Christ .dit-il ici qu'ils le connaissent et qu'ils savent d'où il est; et ailleurs, qu'ils ne connaissent ni lui, ni son Père? Le divin Sauveur ne. se contredit point, loin de nous une telle pensée ! Il est parfaitement d'accord avec lui-même : il parle d'une autre connaissance, quand il dit: Vous ne me connaissez pas. Comme lorsque l'Ecriture dit « Les enfants d'Héli étaient des enfants impies (1), «qui ne connaissaient point le Seigneur». (I Rois, I, 12:) Et encore: « Mais Israël ne m'a point connu ». (Isaïe, I, 3.) De même que saint Paul dit: « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres » . (Tit. I, 16.) On peut donc connaître et ne pas connaître. Voici ce que veut dire Jésus-Christ: Si vous me connaissiez, vous saviez que je suis le Fils de Dieu. Ce mot: « D'où je suis », ne désigne point ici le lieu , comme le démontre ce qui suit: « Et je ne suis pas venu de moi-même, mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point ». Il parle ici de cette ignorance que

 

1. « Impies. » ou « pestilentiels »; la Vulgate dit « de Bélial », ce qui emporte le même sens.

 

marquent les oeuvres, et dont l'apôtre dit « Ils font profession de connaître Dieu , mais ils le renoncent par, leurs oeuvres ». Car leur péché n'était pas un péché d'ignorance, mais de méchanceté et de mauvaise volonté. Ce qu'ils savaient fort bien, ils voulaient l'ignorer.

Mais quelle suite y a-t-il en ceci? Pourquoi, pour les réfuter, se sert-il de leurs paroles? Ils disaient . « Nous savons cependant d'où est celui-ci », et Jésus leur répond : « Vous me connaissez ». Que disaient-ils ? Disaient-ils qu'ils ne le connaissaient pas? Au contraire, ils disaient : « Nous savons ». Mais quand ils disaient qu'ils savaient d'où il était, ils ne voulaient dire autre chose, sinon qu'il était de la terre et le fils d'un charpentier. Mais le divin Sauveur les élevait au ciel, en disant: Vous savez d'où je suis, c'est-à-dire : Je ne suis pas venu d'où vous pensez, mais d'où est celui qui m'a envoyé. En effet, lorsqu'il dit: « Je ne suis pas venu de moi-même », il insinue ceci, savoir : qu'ils savaient qu'il était envoyé du Père, quoiqu'ils ne voulussent pas le reconnaître. Jésus-Christ les réfute de deux manières : premièrement, il publie devant tout le monde et crie à haute voix ce qu'ils disaient en secret, afin de les couvrir de confusion ; en second lieu, il découvre et manifeste leur pensée; c'est comme s'il disait : Je ne suis pas une personne vulgaire, je ne suis pas venu sans raison; mais : « Celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point ». Que signifient ces paroles : « Celui qui m'a envoyé, est véritable? » S'il est véritable, il m'a envoyé pour la vérité. S'il est véritable, il s'ensuit que celui qui a été envoyé est véritable lui-même.

2. Jésus-Christ le prouve encore d'une autre manière , les prenant par leurs propres paroles. Comme ils disaient : « Quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est » ; par là il leur montre qu'il est le Christ. Car en disant : « Personne ne saura », ils songeaient à la différence des lieux; et c'est par où il fait voir qu'il est le Christ, puisqu'il est sorti du Père ; et partout il rend témoignage qu'il n'appartient qu'à lui seul de connaître le Père, disant : « Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui qui est né du Père ». (Jean, V, 1, 46.) Ces paroles allumaient leur colère : lorsqu'il leur disait : Vous ne le connaissez point, et qu'il les convainquait qu'ils savaient véritablement [344] qui il était, « qu'il était le Messie et le Fils de Dieu », mais qu'ils feignaient de ne le point savoir; rien n'était plus propre à les piquer, à les enflammer de colère.

« Ils cherchaient donc les moyens de le prendre ; et » néanmoins « personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue (30) ». Remarquez-vous bien, mes frères, qu'une main invisible les retenait et qu'elle réprimait leur violence. Et pourquoi saint Jean n'a-t-il pas dit que leur fureur s'était apaisée, parce que Jésus-Christ les avait invisiblement retenus, mais seulement que son heure n'était pas encore venue? L'évangéliste a voulu parler d'une manière humaine et plus simple, afin qu'on crût aussi à l'humanité de Jésus-Christ. En effet, comme partout il raconte de lui des choses grandes et élevées, c'est pour cette raison qu'il en mêle aussi de pareilles çà et là. Mais quand le Sauveur dit : « Je suis de lui », il ne parle pas comme un prophète qui l'est par grâce, il le dit parce qu'il voit le Père et qu'il est avec lui.

« Pour moi, je le connais », dit-il, « parce que je suis » né « de lui (29) ». Faites-vous bien attention, mes frères, qu'en toute occasion il prouve ce qu'il a déjà dit : « Je ne suis pas venu de moi-même » ; et : « Celui qui a m'a envoyé est véritable? » C'est de peur qu'on ne le croie séparé de Dieu. Et remarquez en même temps l'utilité de ces paroles simples et grossières. En effet, après cela, continue l'évangéliste, plusieurs disaient: « Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci (31) » Quels miracles? Il y en avait trois : celui du vin, celui du paralytique, celui du fils de l’officier ; l'évangéliste n'en rapporte pas davantage : d'où l'on voit manifestement, comme je l'ai souvent fait remarquer, que les évangélistes ont omis    bien des choses, et se bornent aux miracles, à propos desquels se déclara la malice des prince. Ils cherchaient donc les moyens de le prendre et de le faire mourir. Qui? Ce n'est pas le peuple qui n'aspirait point au gouvernement et dont le coeur n'était pas empoisonné de l'envie, mais ce sont les prêtres. Car pour le peuple il disait : « Quand le Christ viendra, fera-t-il a plus de miracles? » Néanmoins, ce n'était point là une foi saine et irrépréhensible, mais une foi appropriée à l’intelligence d'une telle multitude. Dire : « Quand le Christ viendra », ce n'est point là parler comme des gens qui croient que celui-ci est le Christ. Ou il en faut convenir, ou attribuer ce propos à une intervention secourable du peuple, et dire que, lorsque les sénateurs et les princes des prêtres faisaient tous leurs efforts pour faire entendre que Jésus n'était point le Christ, le peuple dit: Supposons que cet homme ne soit point lé Christ, le Christ lui sera-t-il supérieur? Comme je l'ai souvent dit : ce n'est ni la doctrine, ni les sermons, ce sont les miracles qui attirent la populace et là font accourir.

« Les pharisiens entendirent ces discours que le peuple tenait de lui, et les princes » des prêtres avec eux; envoyèrent des archers pour le prendre (31) ». Ne le voyez-vous pas, mes frères, que la violation du sabbat n'était qu'un prétexte? Voilà. ce qui les irritait le plus: les discours du peuple. Car, à présent qu'ils n'ont rien à blâmer, ni dans ses paroles, ni dans ses oeuvres, toutefois ils veulent s'emparer de lui à cause de ces propos de la foulé. Et comme la crainte d'un soulèvement lés intimide et les retient, ils envoient des archers tenter l'expédition. Quelle violence ! quelle fureur ! ou plutôt, quelle infamie ! Souvent, ils avaient eux-mêmes essayé de le prendre, et comme ils ne l'avaient pu, ils en donnent la commission à des archers, pour assouvir, par un moyen quelconque, leur fureur et leur rage. Et cependant, Jésus avait été assez longtemps à discourir avec eux auprès de la piscine, sans qu'ils eussent fait la même tentative; véritablement ils avaient cherché les moyens de le prendre, mais ils n'avaient point osé mettre la main sur lui. Maintenant qu'ils voient tout le peuple près d'accourir à Jésus-. Christ, ils ne peuvent plus se posséder.

Que répond donc Jésus-Christ? « Je suis encore avec vous un peu de temps (33) ». Il pouvait, d'une. seule parole, dompter et épouvanter ces hommes, et,il leur fait une réponse des plus humbles; c'est comme s'il leur disait: Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir? pourquoi me persécutez-vous? Attendez un peu, et sans que vous ayez besoin de faire tant d'efforts, ni d'user de violence, je me livrerai moi-même entre vos mains. Après quoi, de peur qu'on ne crût qu'en disant : « Je suis encore avec vous un peu de temps », il parlait de la, mort commune â tous, les hommes, comme, en effet, ils le pensèrent; pour leur ôter cette opinion qu'après sa mort il n'agirait plus, il a ajouté : « Et vous ne pouvez venir [345] où je suis (34) ». Or, s'il avait dû demeurer dans la mort, sûrement ils auraient pu l'y aller joindre, car la mort est un pays où nous allons tous. Ainsi, par ces paroles, Jésus gagnait les plus simples, il retenait dans la crainte et le respect les plus violents et les plus emportés, et ceux qui étaient le plus soigneux de s'instruire, il les excitait à se hâter de venir l'écouter, parce qu'il né devait plus rester ici-bas que peu de temps, et qu'ils n'auraient pas toujours le bonheur d'entendre une si excellente et si admirable doctrine? Le Sauveur n'a pas dit seulement : Je suis ici, mais encore : «Je suis avec vous », c'est-à-dire, dussiez-vous me persécuter, me tourmenter, je ne cesserai pas un seul moment d'avoir soin de vous et de vous prêcher ce qu'il vous est nécessaire de savoir pour votre salut.

« Et je vais » ensuite « vers Celui qui m'a envoyé ». Ces paroles pouvaient les épouvanter et les inquiéter. Car il leur prédit qu'ils auraient besoin de lui. Vous me chercherez, dit-il, non-seulement vous ne m'oublierez pas, mais encore « vous me chercherez et vous ne me trouverez point ». Et quand les Juifs l'ont-ils cherché ? Saint Luc rapporte que les femmes l'avaient pleuré (Luc, XXIII, 27), et il est probable que beaucoup d'autres, et sur le moment, et lors de la ruine de Jérusalem, souhaitèrent la présence de Jésus-Christ par le souvenir qu'ils avaient de lui et de ses miracles. Au reste, le divin Sauveur dit toutes ces choses pour les attirer et les gagner. En effet, le peu de temps qu'il devait être avec eux, le regret qu'ils auraient de lui, après qu'il s'en serait allé, lorsqu'ils ne pourraient plus le trouver; c'était là de quoi les engager à s'attacher à lui pour profiter de ces derniers moments. S'il ne devait pas arriver qu'ils regrettassent sa présence, ce qu'il leur disait n'avait rien d'extraordinaire, ni d'intéressant : si, au contraire, ils devaient souhaiter sa présente, sans qu'il leur fût impossible de le retrouver, ce qu'il leur disait n'aurait pas été capable de les troubler et de les inquiéter si fort.

3. Et encore, s'il avait dû demeurer beaucoup de temps avec eux, peut-être seraient-ils devenus indolents et paresseux. Mais, par ce discours, maintenant il les presse de toutes parts, et il les effraie. Ces paroles : « Je vais vers Celui qui m'a envoyé», leur font connaître qu'il n'a rien à craindre de leurs pièges, et qu'il souffrira la mort volontairement. Jésus-Christ a donc prédit deux choses: et qu'il s'en irait dans peu, et qu'ils ne pourraient le venir trouver : certes, il est au-dessus de l'esprit humain de prédire ainsi sa mort. Ecoutez ce que dit David : « Faites-moi connaître, Seigneur, » quelle est « ma fin, et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui m'en reste » encore. (Ps. XXXVIII, 5, 6.) C'est là sûrement ce que personne ne sait : au reste, Jésus-Christ confirme l'une des choses par l’autre : « La prédiction qu'ils ne le trouveraient point, par celle de sa mort ». Pour moi, je pense que le Sauveur dit énigmatique ment ceci aux archers, et que ces paroles les regardent, qu'il les leur adresse pour les gagner tout à fait, leur faisant connaître qu'il savait pourquoi ils étaient venus, comme s'il leur disait.: attendez un peu, et après j'irai avec vous.

« Les Juifs disaient donc entre eux: où est-ce qu'il ira (35) ? » Cependant des gens qui auraient désiré avec passion qu'il s'en allât, et fait tout ce qu'ils pouvaient pour ne l'avoir plus devant leurs yeux, n'auraient pas dû s'enquérir de ceci, mais dire : nous nous réjouissons que vous vous en alliez : et quand cela arrivera-t-il? Mais ces paroles les inquiètent; voilà pourquoi ils se demandent les uns aux autres, dans la faiblesse de leur esprit: où est-ce qu'il s'en ira? « Ira-t-il vers la dispersion des gentils? » Que signifie cela? « Vers la dispersion des gentils? » C'est ainsi que les Juifs appelaient les gentils, parce qu'ils étaient dispersés partout, et qu'ils se mêlaient librement les uns avec les autres. Dans la suite, les Juifs ont aussi souffert la même confusion et la même ignominie : car ils sont eux-mêmes devenus une dispersion. Autrefois, toute la nation était unie ensemble dans un même lieu, et l'on n'aurait pu trouver un Juif autre part que dans la Palestine : voilà pourquoi les Juifs appelaient les gentils la dispersion : c'était un reproche qu'ils leur faisaient, se glorifiant d'être tous réunis ensemble, et s'en applaudissant extrêmement.

Que veulent donc dire ces paroles : « Vous ne pouvez venir où je vais », et dans un temps auquel les Juifs se mêlaient partout avec les gentils dans le monde entier? Si Jésus-Christ avait voulu désigner les gentils, il n'aurait pas dit : je vais où vous ne pouvez venir. Niais lorsque les Juifs dirent : « Ira-t-il vers la [346] dispersion des gentils? » ils n'ajoutèrent point, pour les perdre et les exterminer, mais pour les instruire : ainsi leur colère était déjà apaisée, et ils avaient pris confiance dans la parole de Jésus. S'ils n'y avaient point cru, ils ne se seraient pas demandé entre eux ce qu'il voulait dire : mais en voilà assez sur ce qui les concerne.

Nous avons à craindre, mes chers frères, qu'elle ne s'applique à nous-mêmes., cette parole : vous ne pouvez venir où je suis, à cause des péchés dont notre vie est chargée. Car, de ses disciples, Jésus-Christ dit : « Je désire que là où je suis, ils y soient aussi avec moi ». (Matth. XVII, 24.) Mais de nous, j'ai peur qu'il ne dise le contraire, qu'il ne nous dise: « Vous ne pouvez venir où je suis ». Ce qu'il ne nous est pas permis de faire, nous le faisons comment pourrons-nous aller où il est? Dans ce monde, le soldat qui manque de respect au roi, perd le droit de le voir : il est dégradé et condamné au dernier supplice. Si donc nous ravissons le bien d'autrui, si nous nous livrons à l'avarice, si nous commettons l'iniquité, si nous sommes violents et emportés, si nous ne faisons pas l'aumône, nous ne pourrons point aller là où est Jésus-Christ. Mais il nous arrivera la même chose qu'aux vierges folles (Matth. XXV), qui ne purent entrer avec lui aux noces et qui furent obligées de se retirer, leurs lampes s'étant éteintes , c'est-à-dire, l'huile de la charité et des bonnes oeuvres leur ayant manqué. Car le feu de la charité que le Saint-Esprit allume subitement en nous, si nous voulons, nous le rendons plus ardent, et si nous ne voulons pas, nous l'éteignons aussitôt ; mais aussi, dès qu'il sera éteint, il n'y aura plus que des ténèbres dans nos âmes. Comme la lampe qui est allumée répand une grande lumière, de même quand elle vient à s'éteindre, tout n'est que ténèbres. Voilà pourquoi l'Ecriture dit : « N'éteignez pas l'Esprit ». (1 Thess. V,19.) Or, on l'éteint, cet esprit, lorsque l'huile manque, lorsqu'un souffle plus impétueux que le vent vient à l'assaillir; lorsqu'on le comprime et qu'on l'étouffe : car on éteint aussi le feu de cette manière. Or, on étouffe, on comprime cet esprit, en se livrant aux pensées du siècle; on l'éteint, en s'abandonnant aux passions déréglées. Mais surtout, rien, n'est plus capable de l'éteindre que l'inhumanité , la cruauté, les rapines. Si, à défaut d'huile, nous versons par-dessus de l'eau froide, c'est-à-dire l'avarice qui glace par la tristesse les âmes de ses victimes, comment ensuite pourrons-nous le rallumer? Nous sortirons donc de ce monde, emportant avec nous beaucoup de cendres et une fumée qui nous accusera d'avoir éteint notre lampe. Car où il y a de la fumée, là nécessairement il y a eu du feu, et un feu qu'on vient d'éteindre.

Mais à Dieu ne plaise qui aucun de vous n'entende cette foudroyante parole : « Je ne vous connais point ! » (Matth. XXV, 12.) Et qu'est-ce qui la provoque, cette terrible parole? sinon d'avoir vu le pauvre et de n'avoir pas fait attention à lui? Si nous avons méconnu Jésus-Christ affamé, il ne nous connaîtra pas non plus lui-même, nous qui aurons été sans pitié. Et certes ce sera justice. Car celui qui méprise le pauvre et ne l'assiste pas de ses biens, comment espérerait-il participer à des biens qui ne lui appartiennent pas? C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, faisons tout ce que nous pouvons, mettons tout en oeuvre pour que l'huile ne nous manque pas. Garnissons bien nos lampes, afin d'entrer avec l'époux dans la chambre nuptiale. Je prie Dieu de nous y faire tous entrer, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles éternels! Ainsi soit-il.

 

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