HOMÉLIE XXX

HOMÉLIE XXX.

CELUI QUI EST VENU D'EN-HAUT, EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI TIRE SON ORIGINE DE LA TERRE, EST DE LA TERRE, ET SES PAROLES TIENNENT DE LA TERRE. (VERS. 31, JUSQU'AU VERS. 34)

 

ANALYSE.

 

239

 

1. Efforts de saint Jean-Baptiste pour amener ses disciples à Jésus-Christ.

2. On ne peut rejeter Jésus-Christ sans accuser de mensonge Dieu qui l'a envoyé.

3. Il ne faut pas lire ou écouter légèrement les paroles de la sainte Ecriture : peser toutes les paroles; et observer toutes les circonstances. — Les paroles de la sainte Ecriture sont des armes , mais il faut savoir les manier et s'en servir. — Quand, on défend mal les vérités de la religion, on est la risée et la fable des païens et des hérétiques. — Pour les affaires de ce monde chacun est adroit et habile ; pour la grande affaire du salut, nous ne sommes que des lâches. — Les Livres saints n'ont pas seulement été écrits pour les anciens, mais encore pour nous.

 

1. L'amour de la gloire est un vice très-pernicieux; oui, dis-je, très-pernicieux, et la source de toutes sortes de maux l C'est fine épine que difficilement on arrache, une bête qu'on ne peut apprivoiser, une hydre à cent têtes armée contre ceux mêmes qui la nourrissent. Comme les vers rongent le bois qui les nourrit, comme la rouille dévore le fer d'où elle naît, et la teigne mange la laine, ainsi la vaine gloire donne la mort à l'âme sa nourrice. C'est pourquoi il nous faut être bien vigilants et attentifs pour arracher et détruire ce vice. Voyez ici encore tout ce que dit Jean-Baptiste à ses disciples, parce qu'il les voit infectés de cette maladie et qu'il a peine à les calmer. A ces premières paroles que vous avez entendues, il ajoute encore celles-ci pour les apaiser : « Celui qui est venu d'en-haut est au-dessus de tous; celui qui tire son origine de la terre est de la terre, et ses paroles tiennent de la terre». Puisque partout, dit-il, vous exaltez mon témoignage, puisque vous publiez que je suis très-digne de foi, vous devez savoir que ce n'est pas à celui qui est de la terre à rendre digne de foi celui qui est venu d'en-haut; mais ce mot : « Il est au-dessus de tous », que signifie-t-il? Que celui qui est venu du ciel n'a besoin de personne, qu'il se suffit à lui-même, et que saris comparaison il est le plus grand de tous. Au reste, Jean-Baptiste dit de soi qu'il est de la terre et que ses paroles tiennent de la terre, non qu'il parlât de son propre mouvement, mais dans le sens auquel Jésus-Christ dit: « Si vous ne me croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre» (Jean, III, 12), désignant ainsi le baptême, non qu'il soit terrestre, mais parce qu'il le comparait alors à son ineffable génération ; en cet endroit de même, Jean-Baptiste dit qu'il parle en habitant de la terre, par comparaison de sa doctrine à celle de Jésus-Christ; car ces mots : «Ses paroles tiennent de la terre », signifient seulement que ce qu'il dit est bas et grossier, et pour ainsi dire semblable aux choses de la terre, si on le compare avec la sublimité et l'excellence de la doctrine que Jésus-Christ enseigne : « Puisqu'en lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse ». (Col. II, 3.) Mais encore ces paroles : « Celui qui tire son origine de la terre, est de la terre », font voir évidemment elles-mêmes qu'il ne veut point parler de pensées humaines; en effet, il n'était pas tout entier de terre; la meilleure partie de son être venait du ciel, car il avait une âme et il participait à l'esprit, et ces choses ne sont pas de la terre: Comment dit-il donc qu'il est de la terre? Cette façon de parler ne signifie rien de plus, que ceci : Je suis peu de chose, puisque je [240] rampe à terre et que je suis né sur la terre. Le Christ, au contraire, nous est venu d'en-haut.

Enfin Jean-Baptiste ayant guéri, par tous ces discours, la maladie de ses disciples, parle ensuite de Jésus-Christ avec plus d'assurance; en parler auparavant, t'eût été jeter ses paroles en l'air et les prodiguer en pure perte, puisqu'elles n'auraient point trouvé d'entrée dans l'esprit de ses disciples. Mais après qu'il a arraché les épines, alors il sème avec confiance en disant : « Celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous. Et il rend témoignage de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage (32) ». Jean, après avoir parlé de Jésus-Christ en termes sublimes, baisse ensuite le ton ; car ce mot : « Ce qu'il a entendu et ce qu'il a vu », appartient au langage des hommes. Ce que Jésus-Christ savait, il ne l'avait point appris par la vue ni par l'ouïe, mais il le tenait de sa propre nature; étant sorti parfait du sein de son Père, il n'avait pas besoin de maître ainsi qu'il le dit lui-même: « Comme mon Père me connaît, je connais mon Père ». (Jean, X,15.) Que signifie donc ceci : « Il dit ce qu'il a entendu, et il rend témoignage de ce qu'il a vu? » Comme c'est par ces sens que nous apprenons parfaitement toutes choses, et qu'on nous regarde comme des maîtres dignes de foi sur les choses,que nous avons ou vues ou entendues, parce qu'alors on est persuadé que nous n'inventons point et que nous ne disons rien de faux; c'est pour se conformer à notre usage que Jean-Baptiste a dit : « Jésus-Christ rend témoignage de ce qu'il a entendu et de ce qu'il a vu », pour faire voir qu'il n'y a point en lui de mensonge et qu'il ne dit rien que de vrai. Ainsi, souvent nous-mêmes, nous avons la curiosité d'interroger celui qui nous raconte quelque chose, et de lui dire : l'avez-vous vu, l'avez-vous entendu vous-même? S'il l'assure, nous regardons alors son témoignage comme véritable. Ainsi Jésus-Christ dit: « Je juge selon ce que j'entends » (Jean, V, 30) ; et : « Je ne dis que ce que j'ai appris de mon Père » (Jean, VIII, 26) ; et : « Nous rendons témoignage de ce que nous avons vu » (Jean, III, 11), et plusieurs autres choses semblables, non pour nous faire entendre que ce qu'il dit il l'a appris (le croire serait le comble de la démence) ; mais de peur que les Juifs n'eussent l'insolence de regarder comme suspect aucune de ses paroles; car, attendu qu'ils n'avaient pas encore de lui l'opinion qu'ils devaient avoir, il s'autorise souvent de son Père pour persuader ce qu'il dit.

2. Mais pourquoi s'étonner qu'il cite le témoignage de son Père, puisque souvent il a recours aux prophètes et aux Ecritures, comme lorsqu'il dit : « Ce sont elles qui rendent témoignage de moi? » (Jean, 10, 39.) Il emprunte le témoignage des prophètes, dirons-nous pour cela qu'il est au-dessous d'eux? A Dieu ne plaise ! Il se proportionne à la faiblesse de ses auditeurs. Il dit qu'il rapporte ce qu'il a appris de son Père, non qu'il ait besoin d'un docteur, mais afin de prouver qu'il ne dit rien de faux. Ainsi ce que dit Jean-Baptiste, vous devez l'expliquer de cette manière : j'ai besoin de ses leçons, puisqu'il est venu du ciel et qu'il nous apporte une doctrine céleste, que lui seul entend parfaitement. Car voilà ce que signifie ce mot : Il a entendu et il a vu. « Et personne ne reçoit son témoignage ». Mais il a eu des disciples, et plusieurs écoutaient assidûment sa parole; pourquoi donc dit-il : « Personne ne reçoit? » c'est-à-dire : Il y en a peu qui le reçoivent. S'il avait voulu dire : « Personne », pourquoi aurait-il ajouté: « Celui qui a reçu son témoignage a attesté que Dieu est véritable (33)? » Ici Jean-Baptiste reproche à ses disciples leur peu de foi en Jésus-Christ : en effet, par ce qui suit on voit clairement qu'ils ne crurent pas même après ces paroles. Voilà pourquoi étant en prison, il les envoya à Jésus, afin de les lui mieux attacher. Et alors néanmoins ils ne crurent pas encore tout à fait en lui, comme Jésus-Christ le fait connaître par ces paroles: « Heureux celui qui ne prendra point de moi un sujet de scandale et de chute ! » (Matth. XI, 6.) Jean-Baptiste n'a donc point eu d'autre raison de dire: « Et personne ne reçoit son témoignage », que dans l'intention d'instruire ses disciples; c'est comme s'il disait quoiqu'il y en ait peu qui doivent croire en lui, ne pensez pas que ce qu'il dit ne soit pas véritable, car il rend témoignage de ce qu'il a vu. Au reste, il le dit aussi pour censurer l'aveuglement des Juifs, de même qu'au commencement de son évangile, saint Jean les réprimande en disant: « Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu » (Jean, I, 11) : par la faute, non de celui qui est venu, mais de ceux qui ne l'ont pas voulu recevoir: « Celui [241] qui a reçu son témoignage, a attesté que a Dieu est véritable (33) »; par ces paroles il les effraie et les épouvante, car il leur fait voir que celui qui rejette le Fils ne le rejette pas lui seul, mais encore son Père; c'est pourquoi il ajoute : « Celui que Dieu a envoyé ne dit a que des paroles de Dieu (34) ». Puis donc qu'il ne dit que des paroles de Dieu, celui qui croit en lui, croit en Dieu, et celui qui ne croit pas en lui, ne croit point en Dieu. Mais ce mot : « Il a scellé », veut dire : il a fait connaître. Après quoi ayant ainsi augmenté leur crainte, il ajoute : « Que Dieu est véritable », pour marquer qu'on ne peut rejeter Jésus-Christ, ou ne pas croire en lui, sans accuser de mensonge Dieu qui l'a envoyé. Puis donc que Jésus-Christ ne dit rien qui ne vienne de son Père, celui qui ne l'écoute point, n'écoute point son Père qui l'a envoyé.

Ne voyez-vous pas ici , mes frères, avec quelle force Jean-Baptiste frappe encore sur ses disciples? Jusque-là ils ne croyaient pas qu'il y eût du mal à ne pas croire en Jésus-Christ. Voilà pourquoi il leur représente vivement l'extrême péril auquel s'exposent les incrédules; afin qu'ils apprennent que n'écouter pas Jésus-Christ, c'est la même chose que de ne pas écouter son Père. Il poursuit, et se proportionnant à leur portée, il leur dit : « Parce que Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure ». Il se sert encore, comme j'ai dit, d'expressions basses et grossières, accommodant ainsi son langage à leur intelligence; autrement il n'aurait pu exciter en eux la crainte. S'il avait dit de Jésus-Christ des choses grandes et élevées, ils ne l'auraient pas cru, ils l'auraient repoussé avec mépris : voilà pourquoi il rapporte tout au Père, parlant quelquefois de Jésus-Christ comme d'un homme.

Mais que signifie ceci : « Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure ? » Nous, dit Jean-Baptiste, nous recevons les dons du Saint-Esprit par mesure: car, par le Saint-Esprit il entend ici les dons. En effet, ce sont les dons qui sont distribués. Mais Jésus-Christ a en lui-même tous les dons, ayant reçu toute la plénitude du Saint-Esprit sans mesure. Or, si ces dons sont immenses, à plus forte raison sa substance est-elle immense. Ne voyez-vous pas aussi que le Saint-Esprit est immense « comme le Père? » Celui donc qui a reçu toute la vertu du Saint-Esprit, qui connaît Dieu, qui dit: « Nous disons ce que nous avons entendu, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu », comment nous pourrait-il paraître suspect? il ne dit rien qui ne soit de Dieu, rien qui ne soit du Saint-Esprit : mais cependant Jean-Baptiste ne parle point de Dieu le Verbe; l'autorité qu'il donne à sa doctrine, il la tire toute du Père et du Saint-Esprit. Ses disciples connaissaient un Dieu, ils savaient qu'il y a un Saint-Esprit, quoiqu'ils n'en eussent pas une juste idée : mais qu'il y eût un Fils, ils l'ignoraient. C'est pour cela que, voulant donner de l'autorité à ce qu'il dit, et le persuader, il a toujours recours au Père et au Saint-Esprit. Car séparer cette raison « qui oblige Jean-Baptiste d'en user ainsi », et recevoir la doctrine en soi, comme elle se présente, ce serait se tromper beaucoup et s'écarter extrêmement de l'idée qu'on doit avoir de la dignité de Jésus-Christ. En effet, le motif de leur foi en Jésus-Christ ne devait pas être qu'il avait la vertu du Saint-Esprit, puisqu'il n'a nullement besoin du secours du Saint-Esprit, et qu'il se suffit à lui-même : Jean-Baptiste se conforme donc ainsi à l'opinion des simples, pour les élever peu à peu à de plus hauts et de plus grands sentiments.

Au reste, je dis ceci, mes chers frères, pour vous faire connaître que nous ne devons pas légèrement passer sur les paroles de la sainte Ecriture, qu'il faut faire attention au but et à l'intention de celui qui parle, à l'esprit et à la faiblesse de ses auditeurs, et examiner bien d'autres choses. Car les docteurs ne découvrent et n'expliquent pas clairement tout, comme ils le voudraient, mais ils tempèrent beaucoup de choses, selon la portée de leurs disciples. C'est pourquoi saint Paul dit : « Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels , mais comme à des personnes encore charnelles : je ne vous ai nourris que de lait, et non de viandes solides »(I Cor. III, 1, 2.) Je voudrais, dit-il, vous parler comme à des hommes spirituels, et je ne l'ai pu, pourquoi? Ce n'est pas qu'il en fût lui-même incapable, c'est qu'ils n'auraient pu l'entendre, s'il leur avait parlé comme à des hommes spirituels. De même Jean-Baptiste voulait enseigner de grandes choses à ses disciples, mais ils ne pouvaient encore les comprendre; voilà pourquoi il s'attache si fort aux expressions les plus simples et les plus basses.

3. Il faut donc observer toutes choses avec [242] soin; car les paroles de l'Ecriture sont des armes spirituelles. Mais si nous n'avons pas l'adresse de les bien manier, ni d'en équiper nos disciples comme il faut, elles ne perdent rien, à la vérité, de leur vertu propre, mais elles nous deviennent inutiles. Supposons qu'il y ait ici une forte cuirasse, un casque, un bouclier, une pique: qu'ensuite quelqu'un les prenne, et qu'il se mette la cuirasse aux pieds, le casque non sur la tête, mais sur les yeux, le. bouclier, non sur la poitrine, mais sur les jambes: pourra-t-il s'en aider? ou plutôt n'en sera-t-il pas embarrassé? Sans aucun doute. Mais ce n'est pas la faute des armes; c'est la sienne, celle de son ignorance, puisqu'il ne sait ni s'en revêtir ni s'en servir. Il en est de même. des saintes Ecritures : si nous en confondons l'ordre , elles n'en auront pas moins en soi leur force et leur vertu, mais elles ne nous serviront de rien. J'ai beau vous répéter ces vérités, et en public et en particulier; c'est peine perdue : toujours je vous vois attachés aux affaires du siècle, toujours je vous vois mépriser les choses spirituelles : voilà pourquoi nous nous mettons peu en peine de bien vivre, et, lorsque nous combattons pour la vérité, nous sommes sans force et nous devenons la fable et la risée des gentils, des Juifs et des hérétiques. Quand bien même vous seriez aussi négligents dans les autres choses, on ne devrait même pas vous le pardonner. Mais dans les affaires séculières chacun de vous est plus subtil et plus perçant qu'une épée, tant l'artisan que le magistrat mais dans les choses nécessaires et spirituelles nous sommes d'une extrême négligence, traitant les bagatelles comme des affaires sérieuses, et n'attachant pas même une importance secondaire aux plus pressants de nos intérêts. Ignorez-vous que ce qui est écrit dans les livres saints ne l'est pas pour les anciens, , pour nos pères seulement, mais aussi pour nous? La voix de saint Paul qui dit : « Tout ce qui est écrit a été écrit pour nous servir d'instruction, à mous autres qui nous trouvons à la fin des temps, afin que nous concevions une espérance ferme par la patience et par la consolation que les Ecritures nous donnent » (Rom. XV, 4; 1 Cor. X, 11); cette voix, dis-je, n'est-elle pas venue jusqu'à vous?

Je parle inutilement, je le sais bien; mais je ne cesserai point de parler. En le faisant, je me justifierai devant Dieu, quand bien même personne ne m'écouterait. Prêcher devant des gens dociles et attentifs, c'est une peine allégée : mais prêcher souvent sans être écouté, et néanmoins, sans se rebuter, prêcher toujours, c'est se rendre digne d'une plus grande récompense; parce que, quelque dégoût qu'il y ait à n'être point. écouté, on ne laisse pas de remplir son ministère selon la volonté de Dieu. Toutefois , quoique votre négligence doive nous procurer une plus grande récompense, nous aimons mieux l'avoir moindre et être plus sûrs de votre salut : car votre avancement et votre profit est une grande récompense à nos yeux. Au reste, si nous vous représentons maintenant ces choses , mes chers frères, ce n'est pas pour vous chagriner ni pour vous faire de la peine, mais pour vous exposer la vive douleur que votre tiédeur nous cause. Puisse le ciel nous guérir tous de ce vice, afin que nos coeurs étant embrasés de l'amour des choses spirituelles, nous acquérions les biens célestes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit la gloire au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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