HOMÉLIE XXVIII

HOMÉLIE XXVIII.

CAR DIEU N'A PAS ENVOYÉ SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS AFIN QUE LE MONDE SOIT SAUVÉ PAR LUI. (VERS. 17, JUSQU'AU VERS. 21.)

 

ANALYSE.

 

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1. Plus la miséricorde du Seigneur est grande, plus seront grands ses châtiments. — Dieu a ouvert les portes de la pénitence à tous les hommes. — Deux avènements de Jésus-Christ.

2. et 3. Celui nui ne croit pas en moi est déjà condamné. — Qui sont ceux gui s'éloignent de Jésus-Christ ? - Les grands pécheurs: Les homme obstinés dans leur incrédulité, attachés à leurs dérèglements et à leurs vices. — Pour être chrétien, il faut joindre la bonne vie à la pureté de la doctrine. —- Raison pourquoi les gentils ne peuvent se résoudre d'embrasser la foi. — Les philosophes païens exerçaient la vertu par vaine gloire. — Ceux qui se sont éloignés de Jésus-Christ n'ont nul moyen d'excuse —  Pour se bien convertir, il faut se prescrire auparavant une règle pour bien vivre. — Nul gentil n'est exempt de tous vices. — L'amour de la vaine gloire a perdu et perd bien des hommes. — La vaine gloire est le plus dangereux de tous les vices : la fuir; elle détruit tout ce que la vertu peut opérer de bon. — Celui qui l'a en vue, perd tout le fruit de ses bonnes Œuvres. — Pour acquérir la gloire des hommes et celle qui vient de Dieu, il ne faut désirer et ne rechercher que celle-ci uniquement.

 

1. Beaucoup d'hommes sans vertu, abusant de la clémence de Dieu pour multiplier leurs péchés et croître en paresse, osent tenir ce langage : Il n'y a point d'enfer, il n'y a point de supplice, Dieu remet tous les péchés. Mais un sage leur ferme la bouche par ces paroles «Ne dites pas : La miséricorde du Seigneur est grande, il aura pitié du grand nombre de mes péchés. Car la miséricorde et la colère sont en sa présence, et son indignation s'allumera sur les pécheurs ». ( Eccli. V, 6, 7.) Et ailleurs : « Plus sa miséricorde est grande, et plus seront grands ses châtiments ». (Ibid. XVI, 13.) Mais que devient, direz-vous, la miséricorde , si nous devons tous recevoir le châtiment en proportion de nos péchés? Le prophète et saint Paul déclarent que nous devons tous recevoir selon nos mérites. écoutez-les; le prophète lé dit en ces termes : « Seigneur, vous rendrez à chacun selon ses oeuvres » (Ps. LXI, 11) ; l'apôtre en ceux-ci : « Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres ». (Rom. II, 6.)

Mais néanmoins, que la clémence de Dieu soit grande, le partage qu'il a fait de notre vie en deux, l'une pour les combats, l'autre pour les couronnes, le démontre et ne permet pas d'en douter ; car en cela même il fait éclater sa grande miséricorde. Comment ? Parce que, ayant commis un nombre infini de péchés, et que n'ayant point cessé depuis l'enfance jusqu'à l'extrême vieillesse de souiller notre âme de crimes, nous ne sommes point punis de tant de fautes, et qu'il nous accorde le pardon par le baptême de la régénération, en nous donnant la justice, la pureté et la sainteté. Mais, direz-vous, si celui qui a reçu la grâce du baptême dès son enfance, tombe ensuite dans mille péchés? S'il y tombe, il est certainement plus coupable, et aussi mérite-t-il un plus grand châtiment : si, après le baptême, nous nous laissons aller à toutes sortes d'excès et de crimes, les péchés que nous commettons alors seront beaucoup plus sévèrement punis que ceux que nous avons commis auparavant, quoique les uns et les autres soient de la même espèce et de la même qualité. Saint Paul le déclare et en donne la raison. par ces paroles : « Celui », dit-il, « qui a violé la loi de Moïse, est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc , croyez-vous, que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui [230]  aura tenu pour une chose vile et profane le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié, et qui aura fait outrage à l'esprit de la grâce». (Héb. X, 28, 29.) Cet homme sera donc digne d'un plus grand supplice mais cependant Dieu lui a ouvert les portes de la pénitence, et lui a fourni plusieurs moyens de laver ses péchés, s'il veut s'en servir et en profiter.

Considérez, je vous prie, mes frères, combien le Seigneur nous a donné de témoignages et de preuves de sa clémence. Premièrement, par la grâce du baptême, il nous a remis tous nos péchés; et en second lieu, après même une si grande grâce, il ne punit pas encore le pécheur qui s'est rendu digne du supplice, mais il lui laisse le temps de se corriger et de faire pénitence. C'est pourquoi Jésus-Christ dit à Nicodème : « Dieu n'a pas envoyé son Fils « dans le monde pour juger le monde, mais pour sauver le monde ». (Jean, III, 17.) .Car il y a deux avènements de Jésus-Christ : l'un est déjà arrivé, l'autre doit arriver; mais ils ne sont pas tous les deux pour la même cause et la même fin : Jésus-Christ est venu d'abord, non pour juger nos péchés, mais pour les remettre; la seconde fois, il viendra, non pour les remettre, mais pour les juger. Voilà pourquoi le divin Sauveur dit du premier avènement : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde ». Mais du second, il dit : « Quand le Fils viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche; et alors celles-là iront dans la vie éternelle, et ceux-ci dans le supplice éternel ». (Matth. XXV, 3,1 et suiv.)

Mais toutefois le premier avènement était aussi pour juger, quant à ce que demande la justice. Pourquoi? Parce que, avant son avènement, il y avait une loi naturelle, des prophètes, et de plus la loi, écrite, la doctrine, des instructions, des promesses, des miracles, des supplices, et plusieurs autres choses qui pouvaient corriger les hommes et les retenir dans leur devoir. Demander compte de toutes ces choses , eût été dans l'ordre. Mais comme Jésus-Christ est clément, il n'a point, jugé, il n'a pas fait rendre compte, et il a tout pardonné. S'il eût fait rendre compte, s'il eût jugé, tous les hommes auraient péri. « Car tous ont péché » , dit l'Écriture, « et ont besoin de la gloire de Dieu ». (Rom. III, 23.) Ne voyez-vous pas son immense miséricorde?

« Celui qui croit dans le Fils n'est pas con« damné; mais celui qui ne croit pas est déjà  condamné (18) ». Mais si Jésus-Christ n'est pas venu alors pour juger le monde, comment celui qui ne croit pas est-il déjà condamné, puisque le temps du jugement n'est point encore arrivé? Jésus-Christ dit cela, ou parce que l'incrédulité qui n'est pas suivie de la pénitence est elle-même un supplice; car être hors de la lumière, c'est en soi un grand supplice : ou pour prédire ce qui arrivera. En effet, comme un homicide est déjà condamné par la nature de son crime , quoiqu'il ne le, soit pas encore par la sentence du juge, il en est de même pour l'incrédulité , puisqu'Adam est mort le jour qu'il a mangé du fruit de l'arbre défendu , son arrêt de mort lai ayant été ainsi prononcé : « Au même temps que vous aurez mangé du fruit de cet arbre, vous mourrez». (Gen. II, 17.) Néanmoins il vivait: comment donc était-il mort? Il était mort par la sentence même, et parla nature de son action: celui qui s'est rendu coupable d'un crime qui mérite le supplice est dès lors sous le coup du supplice, sinon réellement, du moins parla sentence qu'a prononcée la loi.

Mais, de peur qu'en entendant ces paroles: « Je ne suis pas venu pour juger le monde », quelqu'un ne s'imaginât pouvoir impunément pécher, et ne devînt plus négligent et plus paresseux, Jésus-Christ ôte ce vain prétexte à la négligence, en disant: « Il est déjà condamné ». Comme le temps du jugement futur n'était point encore arrivé, Jésus-Christ fait intervenir l'image et la crainte du supplice. Certes, voilà un témoignage d'une grande bonté. Non-seulement Dieu donne son Fils, mais encore il diffère le temps du supplice, afin que les pécheurs et les incrédules puissent laver leurs péchés.

« Celui qui croit en Jésus-Christ n'est pas condamné ». Celui qui croit, non celui qui examine curieusement, relui qui croit, non celui qui raisonne. Mais si sa vie est impure et se oeuvres mauvaises ? D'abord , des hommes de cette espèce, saint Paul dit qu'ils ne sont pas véritablement fidèles: « Qu'ils font profession de connaître Dieu; mais qu'ils le renoncent par leurs oeuvres». (Tit. I,16.) Au reste, ce divin Sauveur déclare ici que ce n'est pas sur ce point qu'ils seront jugés; qu'ils seront condamnés et; plus sévèrement punis pour leurs [231] oeuvres ; mais, qu'ayant cru, ils ne seront pas punis comme infidèles.

2. Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ, qui a commencé son discours par des choses étonnantes et terribles, y revient encore ici. Au commencement il avait dit : « Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » ; il dit maintenant: « Celui qui ne croit pas en moi est déjà condamné » ; c'est-à-dire, ne croyez pas que le retardement du supplice soit favorable au pécheur, s'il ne change de vie: car il n'y aura point de différence entre celui qui n'aura pas cru, et ceux qui sont déjà condamnés et punis.

« Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière (19) » ; c'est-à-dire, ils sont punis, parce qu'ils n'ont pas voulu sortir des ténèbres et accourir à la lumière: par ces paroles il leur ôte toute excuse. Si j'étais venu, dit-il, pour leur faire rendre compte et les punir, ils pourraient dire: c'est pour cela même que nous nous sommes éloignés de vous. Mais je suis venu pour les tirer des ténèbres et les amener vers la lumière. Qui donc aura pitié d'un homme qui refuse de passer des ténèbres à la lumière? En effet, dit-il, ils n'ont aucun reproche à nous faire, ils ont reçu de nous mille bienfaits, et ils nous fuient, et ils s'éloignent de nous. Jésus-Christ, les accusant encore de cette même conduite , disait: « Ils m'ont haï sans aucun sujet» (Ps. XXXXIV, 22); et ailleurs: « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé , ils n'auraient point le péché » (Jean, XV, 22) qu'ils ont: car celui qui, en l'absence de la lumière , reste dans les ténèbres, est en quelque sorte digne d'excuse et de pardon; mais celui qui , après que la lumière est venue, se tient dans les ténèbres, montre visiblement sa mauvaise volonté et son obstination. Et comme il devait paraître incroyable à plusieurs qu'il y eût des hommes capables de préférer lés ténèbres à la lumière; contre le sentiment général, l'évangéliste nous découvre la raison de cette méchante disposition. Quelle est-elle? C'est, dit-il, «parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne s'approche point de la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient condamnées (20) ». Et cependant Jésus-Christ n'est pas venu pour juger ni pour demander compte , mais pour remettre et pardonner les péchés, et pour sauver par la foi.

Pourquoi se sont-ils donc éloignés? Si Jésus-Christ s'était assis dans son tribunal pour les juger, ils auraient eu. une espèce d'excuse celui qui se sent coupable de crimes, fuit ordinairement son juge ; mais si le juge accorde le pardon, tous les criminels s'approchent de lui. Puis donc que Jésus-Christ est venu pardonner les péchés, ceux qui se sentaient le plus coupables étaient aussi ceux qui devaient accourir à lui avec le plus d'empressement; plusieurs même l'ont fait : car les publicains et les pécheurs venant trouver Jésus, mangeaient avec lui. De qui veut donc parler Jésus-Christ? De ceux qui avaient tout à fait résolu de persévérer dans, leur méchanceté. En effet, il est venu pour remettre les péchés passés et pour affermir et fortifier ceux qui prenaient la résolution dé ne plus pécher à l'avenir'; mais comme il y a des hommes assez mous et assez lâches, quand il s'agit de la vertu et des peines qu'elle exige, pour persister obstinément dans leurs péchés jusqu'au dernier soufflé de vie, ce sont ceux-là qu'il veut censurer ici.

Le christianisme demande à ses disciples qu'ils joignent la bonne vie à la pureté de la doctrine. Ces gens craignent de nous approcher, dit Jésus, parce qu'ils ne veulent pas vivre dans la pureté et dans la sainteté. Personne ne reprend', ceux qui vivent dans (erreur des gentils, à cause de leurs excès : ceux qui adorent les dieux du paganisme, et célèbrent des fêtes aussi, infâmes, aussi ridicules que le sont leurs dieux mêmes, ont une conduite digne de la doctrine qu'ils professent mais ceux qui adorent Dieu, s'ils sont des lâches, s'ils vivent mal ; il n'est personne qui ne leur adresse des réprimandes et des reproches : tant la vérité est en admiration, même parmi ses ennemis.

Considérez donc, mes frères, avec quelle exactitude et quelle précision Jésus-Christ parle : il ne dit pas : celui qui fait le mal ne s'approche point dé la lumière, mais celui qui persévère dans le mal; en d'autres termes, celui qui se plaît à se vautrer toujours dans la boue du péché, ne veut point se soumettre à mes lois : il se tient à l'écart, pour se livrer librement à la volupté et faire toutes les autre choses que je défends; S'il s'approchait de [232]  moi, il serait comme un voleur que la lumière découvre aussitôt. Voilà pourquoi il fuit mon empire. Et véritablement nous entendons dire à bien des gentils, que la raison pour laquelle ils ne peuvent se résoudre à embrasser notre religion, c'est qu'ils ne sauraient s'abstenir de l'ivrognerie, de la fornication et d'autres vices semblables.

Quoi donc ! direz-vous, est-ce qu'il n'y a pas des chrétiens dont la vie n'est pas meilleure que celle des païens? est-ce qu'il n'y a pas des païens qui vivent philosophiquement? Qu'il y ait des chrétiens qui font le mal, je le sais aussi bien que vous ; mais qu'il y ait des gentils qui fassent le bien, c'est ce qui n'est pas également venu à ma connaissance. Et ne me parlez pas de ceux qui sont naturellement modérés, modestes et ornés de belles qualités; car ce n'est point là en quoi consiste la vertu mais parlez-moi de ceux qui, étant violemment agités par les passions, vivent néanmoins philosophiquement. Certes, vous ne m'en trouverez point. En effet, si la promesse d'un royaume, si la menace d'un enfer et bien d'autres semblables vérités, peuvent à peine retenir les hommes dans l'exercice de la vertu ; combien plus difficilement la pratiqueront-ils, ceux qui ne croient rien de tout cela? Que si quelques-uns contrefont la vertu, c'est par un esprit de vanité : or, ceux qui se contrefont ainsi, et qui exercent la vertu par vaine gloire, ne s'abstiendront pas, s'ils espèrent échapper aux regards, de satisfaire leurs mauvaises inclinations. Mais, toutefois, afin qu'on ne pense pas de nous que nous aimons à contester, nous vous accordons que parmi les gentils il s'en rencontre quelques-uns qui vivent bien ; car cela ne détruit nullement ce que nous avons avancé, puisque nous n'avons entendu parler que de ce qui arrive communément, et non pas de ce qui peut se rencontrer quelquefois.

3. Considérez encore que Jésus-Christ leur ôte d'ailleurs tout prétexte et toute excuse, en disant que la lumière est venue dans le monde : l'ont-ils cherchée, dit-il, cette lumière? Se sont-ils donné quelque peine, quelque mouvement pour la trouver? La lumière s'est elle-même présentée à eux, et. ils n'ont pas même fait un pas vers elle. Mais comme ils peuvent alléguer la mauvaise vie de quelques chrétiens et s'en faire une excuse, nous leur répondrons qu'il n'est pas ici question de ceux qui sont nés chrétiens et qui ont reçu de leurs pères la véritable religion, quoique le plus souvent leur mauvaise vie finisse par les écarter de la vraie foi. Néanmoins je ne crois pas que ce soit d'eux que parle maintenant Jésus-Christ, je pense au contraire qu'il a en vue ces gentils ou ces Juifs qui auraient dû se convertir et embrasser la vraie foi. Car il fait voir. qu'aucun de ceux qui vivent dans l'infidélité, ne peut approcher de la foi, qu'il ne se soit auparavant prescrit une règle de bonne vie, et que personne ne demeurera dans l'in. crédulité, si auparavant il n'a résolu de persévérer dans le mal. Ne me dites pas : cet homme est chaste, il ne vole pas le bien d'autrui, parce que ce n'est point en ces choses seulement que consiste la vertu. En effet, de quoi lui servira-t-il d'être chaste , de ne point voler, si d'ailleurs il est passionné pour la vaine gloire, ou si, par complaisance pour ses amis, il demeure dans l'infidélité? ce n'est pas là bien vivre. L'esclave de la gloire ne pèche pas moins que le fornicateur, ou plutôt il commet beaucoup plus de péchés et de beaucoup plus grands.

Mais faites-moi connaître quelqu'un qui soit exempt de tous vices et de tous péchés et qui néanmoins reste païen : je vous en défie: jamais vous ne m'en pourrez trouver un seul. Ceux d'entr'eux qui ont le plus brillé et qu'on dit avoir méprisé les richesses et la bonne chère, ont été, plus que les autres, esclaves de la gloire, qui est la source de toutes sortes de maux. Voilà par où les Juifs ont persévéré dans leur malice et dans leur méchanceté, et c'est aussi la raison pour laquelle Jésus-Christ leur fait ce reproche : «Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire qui vient des hommes? » (Jean, V, 44.) Mais pourquoi n'a-t-il point parlé de cela à Nathanaël, à qui il enseignait la vérité, et ne lui a-t-il pas tenu de longs discours? c'est parce que l'âme de celui-ci n'était point infectée de cette passion, et qu'il était venu le trouver avec un coeur simple, disposé à faire ce qu'il lui ordonnerait : et qu'il employait, à écouter sa doctrine et ses instructions, le temps que les autres donnent au repos et au sommeil. A la vérité il était venu trouver Jésus à la sollicitation de Philippe; cependant le divin Sauveur ne le rebuta pas; en effet, c'est à lui qu'il dit : « Vous verrez un jour les cieux ouverts, et les anges de Dieu monter et descendre», [233] (Jean, 1, 51.) Mais à Nicodème il ne dit rien de cela, il l'entretient de l'incarnation et de la vie éternelle, parlant diversement à chacun selon les dispositions de son coeur : Nathanaël, qui entendait les prophètes, et qui n'était pas si craintif, dut se tenir pour content de ce qu'il lui dit; quant à Nicodème. qui était encore timide et craintif, il ne lui révèle pas tout sur-le-champ, mais il ébranle son âme pour chasser la crainte par la crainte; il lui fait entendre que celui qui ne croit pas est déjà condamné; que ne pas croire, c'est l'effet d'une mauvaise volonté. Et comme il tenait grand compte de la gloire humaine et même plus que des supplices, car, dit l'Ecriture, « Plu« sieurs des sénateurs crurent en lui, mais à « cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître a publiquement » (Jean, II, 42), il en tire un argument propre à le toucher, et, par ses paroles, lui fait connaître qu'on ne peut avoir d'autre raison de ne pas croire en lui que de mener une vie déréglée et impie. Il est à remarquer que dans la suite Jésus-Christ dit a Je suis la lumière du monde » (Jean, VIII, 12), et qu'ici il dit seulement : « La lumière est venue dans. le monde ». (Jean, III, 19.) La raison en est qu'au commencement il parlait d'une manière obscure, dans la suite il s'exprime plus clairement. Mais de plus la crainte de l'opinion publique retenait cet homme et l’intimidait. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne lui parle qu'avec réserve.

Fuyons donc la vaine gloire: elle est le plus fort et le plus dangereux de tous les vices, c'est d'elle que naissent l'avarice et l'amour des richesses; c'est elle qui enfante les haines, les guerres, les différends. Car celui qui désire d'avoir plus qu'il n'a ne peut jamais se fixer ni demeurer en repos; et l'on n'ambitionne toutes les autres choses que parce qu'on aime la vaine gloire. Pourquoi, je vous prie, cette troupe d'eunuques, cette foule d'esclaves et de serviteurs; pourquoi tout cet étalage, une si grande pompe, un si grand faste? Est-ce pour autre chose que pour s'attirer plus de spectateurs et de témoins de sa folle magnificence? Si donc nous extirpons la vanité en arrachant la racine du mal, nous en emporterons aussi les branches, et rien n'empêchera que nous ne vivions sur la terre comme si déjà nous étions dans le ciel. L'amour de l'ostentation n'entraîne pas seulement au mal ceux qu'il possède; il s'insinue et se glisse encore adroitement jusque dans la vertu, et s'il n'est pas assez fort pour nous en éloigner, il nous persécute jusque dans son sein en nous imposant des labeurs que rien ne vient rémunérer. Car celui qui a en vue la vaine gloire, soit qu'il jeûne, soit qu'il prie, soit qu'il fasse l'aumône, en perd toute la récompensé. Se macérer en vain, s'exposer aux ris et à la moquerie des hommes, et perdre la gloire céleste, la récompense du ciel, est-il rien de plus misérable, est-il une perte qui soit comparable à celle-là? On ne peut acquérir ensemble et la gloire humaine et la gloire du ciel, quand on les recherche toutes deux. Car autrement nous pouvons obtenir l'une et l'autre. Ne les désirons pas toutes les deux, mais ne recherchons que la gloire du ciel; si nous les aimons l'une et l'autre, nous ne les obtiendrons pas à la fois, cela est impossible ; c'est pourquoi, si nous voulons acquérir la gloire, fuyons la gloire du monde, désirons, recherchons celle qui vient de Dieu seul ; de cette sorte nous obtiendrons et la gloire présente et la gloire future. Fasse le ciel que nous jouissions de celle-ci, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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