HOMÉLIE XXIII

HOMÉLIE XXIII.

CE FUT LA LE PREMIER DES MIRACLES DE JÉSUS, QUI FUT FAIT A CANA, EN GALILÉE (VERSET 11, JUSQU'AU VERSET 22.)

 

ANALYSE.

 

1. Le changement de l'eau en vin est le premier miracle opéré par Jésus-Christ. — Sur quels témoigna es se fonde la vérité de ce miracle, qui porte les disciples à la foi.

2. Jésus-Christ chasse les vendeurs du temple : il a encore une autre fois la même action, mais dans les derniers jours de sa prédication.

3. Pourquoi Jésus-Christ a fait des prédications obscures. — Les apôtres n'ont pas connu la résurrection. — Jésus-Christ ne la leur a point révélée, pourquoi ? — On croit ce qui est prouvé par des faits: ce qui ne l'est que par des paroles, peu le croient. — Le Saint-Esprit donné aux apôtres pour lés faire ressouvenir de tout ce que Jésus-Christ leur avait dit. — Il les a fait ressouvenir, et Jésus-Christ les a enseignés. — Combien était grande la vertu des apôtres. — Leur éloge. — Belle exhortation à l'aumône : sans elle on ne peut entrer à la porte du ciel.

 

1. Le diable fait tous ses efforts pour nous tenter, il nous serre de près et nous tend de tous côtés des piéges pour nous perdre., Il faut donc veiller et lui fermer toutes les portes; s'il trouve la moindre entrée, bientôt il s'en fera une plus grande, et peu à peu il y fera passer toutes ses forces. Si nous faisons donc quelque état de notre salut, ne le laissons même pas

approcher dans les petites choses, afin de le prévenir pour les plus grandes. Il serait, en effet, d'une extrême folie, sachant combien il est vigilant et attentif à perdre notre âme, de n'apporter pas une égale vigilance et une pareille attention au soin de notre salut. Je ne dis pas ceci sans sujet : je le dis, parce que je crains que le loup ne soit maintenant, à notre  [207]

insu, au milieu de la bergerie, prêt à ravir la brebis qui, ou par négligence, ou par malice, s'est séparée du troupeau. Encore si les blessures étaient visibles, ou si c'était le corps qui reçût les plaies, il ne serait pas nécessaire de nous tant prémunir contre les embûches que nous dresse notre ennemi : mais comme l'âme est invisible, comme c'est à elle que sont portés les coups, nous avons besoin d'une grande vigilance à nous examiner, « car nul homme ne connaît ce qui est en l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ». (I Cor. II, 11.)

Ma voix se fait entendre de vous tous, mon discours vous présente des remèdes communs à tous; mais c'est à chacun de mes auditeurs de prendre ce qui est propre à guérir et à chasser sa maladie. Je ne connais ni ceux qui sont malades, ni ceux qui sont en santé : voilà pourquoi je parle de tout, je dis ce qui convient à chacune des maladies de l'âme : je parle tantôt de l'avarice, tantôt des délices de la table, tantôt de l'incontinence : ensuite je loue l'aumône, et je vous exhorte à la faire ; de là je passe à d'autres sortes de bonnes oeuvres. Car j'appréhenderais, si je m'attachais à un seul point, que le remède proposé ne convînt point à vos maux: Si je n'avais ici qu'une seule personne qui m'écoutât, je ne me croirais pas obligé d'embrasser tant de sujets différents; mais comme il y a toute apparence que, parmi une si grande foule d'auditeurs, il se trouve aussi beaucoup de maladies différentes, nous n'avons pas tort de diversifier nos instructions et de parler sur différents sujets : la parole se répandant sur  tous, trouvera certainement à qui être utile. C'est pour cette raison que l'Ecriture, adressant la parole universellement à tous les hommes, varie les sujets et traite d'une infinité de matières. Au reste, il ne se peut pas que toutes sortes de maladies ne se rencontrent dans une si grande multitude, quoiqu'elles ne se trouvent pas toutes dans chacun en particulier. Songeons donc à nous en purifier, et puis prêtons l'oreille à la parole divine; aujourd'hui , écoutons avec un esprit extrêmement attentif l'explication du texte qui vient d'être lu.

Quel est ce texte ? « Ce fut là le premier des miracles de Jésus, qui fut fait à Cana en Galilée ». Dernièrement je dis que quelques-uns croient que ce n'est point là le premier miracle. Oui, disent-ils, le premier miracle, si l'on ne parle que de Cana en Galilée. Pour moi, je ne voulus pas m'arrêter à disputer curieusement là-dessus, mais je disque Jésus-Christ n'a commencé à faire des miracles qu'après son baptême : nous avons déjà fait connaître qu'il n'en a fait aucun auparavant. Or, que ce soit là le premier miracle que Jésus a fait après son baptême, ou qu'il en ait fait quelqu'autre, c'est ce que je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rechercher et d'examiner.

« Et par là il fit connaître sa gloire ». Comment, et de quelle manière? car peu de gens firent attention à ce qui se passait; les serviteurs , le maître d'hôtel et l'époux seuls y prirent garde : comment donc fit-il connaître sa gloire? Il y contribue du moins pour sa juste part. Que si alors ce miracle ne fut pas connu, sûrement dans la suite tous en ont ouï parler ; car jusqu'à ce temps encore tout le monde en parle, loin qu'il soit demeuré caché. Mais la suite fait voir que le jour même tous ne l'ont pas connu. Saint Jean, après avoir dit : « Il fit connaître sa gloire », ajoute : « Et ses disciples crurent en lui », ses disciples qui déjà l'admiraient. Ne voyez-vous pas qu'il était surtout nécessaire de faire des miracles, lorsqu'il se trouvait là des hommes sages et attentifs? car de tels hommes devaient être particulièrement disposés à croire et à prêter une exacte attention à ce qui se passait. Et comment Jésus aurait-il été connu sans les miracles? certainement la doctrine, et la prophétie jointe au miracle, suffisaient pour inculquer les choses dans l'esprit des auditeurs; afin qu'y étant déjà faits et accoutumés ils fussent plus soigneusement attentifs aux oeuvres qu'ils voyaient. Voilà pourquoi souvent les évangélistes disent de certains lieux que Jésus n'y avait point fait de miracles, à cause de la corruption et de la méchanceté des habitants.

« Après cela il alla à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, mais ils y demeurèrent peu de jours (12) ». Pourquoi alla-t-il à Capharnaüm avec sa mère? car il n'y fit aucun miracle, et les habitants de cette ville ne lui étaient point affectionnés, c'étaient des gens très-corrompus. Jésus-Christ lui-même l'a fait connaître, en disant : « Et toi, Capharnaüm, qui t'es élevée jusqu'au ciel, tu seras précipitée dans le fond des enfers ». (Luc, X,15.) Pourquoi donc y alla-t-il ? Il y fut, à ce qu'il me le paraît, parce qu'il devait aller [208] peu après à Jérusalem; il y fut alors, parce qu'il ne voulait pas mener partout avec lui sa mère et ses frères. Y ayant donc été, il s'y arrêta quelque temps par considération pour sa 'mère, et l'y ayant laissée, il opéra encore des miracles (43). C'est pourquoi l'évangéliste dit qu'ayant demeuré quelque temps à Capharnaüm, il alla de là à Jérusalem. Jésus fut donc baptisé peu de jours avant la Pâque. Et à Jérusalem que fait-il? une action de grande autorité (14, 15). Il chassa du temple tous les marchands qu'il y trouva, les changeurs, ceux qui vendaient des colombes, et des boeufs, et des moutons, et qui se tenaient là pour leur trafic.

2. Un autre évangéliste rapporte qu'en chassant ces gens, il avait dit : « Ne faites pas de la « maison de mon père une caverne de voleurs». (Matth. XX,13; Marc, XI,17; Luc, XIX, 46.) Et saint Jean dit : « Une maison de trafic (16) ». En quoi pourtant ils ne se contredisent point. Mais ils nous apprennent que Jésus a chassé du temple ces vendeurs à deux reprises; cette première fois au commencement de la prédication, l'autre lorsqu'il approchait du temps de sa passion : c'est pour cela que, parlant alors plus durement, il dit: Pourquoi faites-vous de la maison de mon Père une caverne? ce qu'il ne fait pas dans cette première occurrence, où sa réprimande est plus modérée: ce qui explique qu'il ait recommencé.

Et pourquoi, direz-vous, Jésus-Christ les a-t-il ainsi chassés, et avec une violence qu'il n'a montrée en aucune autre occasion, lors même que les Juifs le chargeaient d'outrages et d'injures, l'appelaient samaritain et démoniaque? Car il ne s'en tint pas aux paroles, il alla jusqu'à prendre un fouet pour chasser ces hommes. Mais les Juifs, si prompts à la colère, quand ils le voyaient faire du bien aux autres, se conduisent autrement après ce châtiment qui aurait dû, ce semble, les exaspérer. En effet, ils ne firent point de reproches à Jésus, ils ne l'outragèrent point; mais que lui dirent-ils? « Par quel miracle nous montrez-vous que vous avez droit de faire de telles choses? (18) ». Ne remarquez-vous pas leur furieuse jalousie, et comment le bien fait à autrui les indignait bien davantage? Jésus-Christ donc reproche aux Juifs, tantôt d'avoir fait du temple une caverne de voleurs, indiquant par là que ce qu'on y vendait avait été volé, et provenait de rapine et d'avarice, et qu'ils s'enrichissaient de la misère d'autrui; tantôt qu'ils en avaient fait une maison de trafic, par allusion à leurs commerces honteux.

Mais pourquoi Jésus fit-il cela? Parce qu'il devait guérir des malades le jour du sabbat et faire bien des choses qu'ils regarderaient comme une violation de la loi ; il le fit pour ne point paraître en cela un rival, un ennemi de son Père ; par là il prévint tous ces soupçons; celui qui avait fait paraître tant de zèle pour l'honneur du temple, ne pouvait pas aller à l'encontre du Maître qui y était adoré. Les premières années de sa vie, dans lesquelles il avait vécu selon la loi, suffisaient pour prouver qu'il respectait le Législateur, et qu'il ne venait point substituer une loi à la sienne. Mais comme ces premières années pouvaient être oubliées, ou parce que tous n'en avaient pas connaissance, ou parce qu'il avait été élevé dans une pauvre maison, il fait cette action d'éclat en présence de tout le monde (la Pâque des Juifs était proche), en quoi il s'exposa à un grand péril : car non-seulement il chassa les vendeurs, mais aussi il renversa leurs bureaux et jeta par terre leur argent, afin qu'ils peu-, sassent en eux-mêmes que celui qui, pour la gloire du temple, s'exposait au péril, n'en méprisait pas le Maître. Si ce zèle qu'il faisait éclater eût été seulement feint et simulé, il s'en serait tenu à des remontrances et à des exhortations; mais il se jette au milieu du danger : certes, l'action est hardie. En effet, ce n'était pas peu de chose que de s'exposer à la fureur de forains, de gens brutaux, comme étaient ces marchands; d'outrager cette foule sans raison, et- de l'animer contre soi ; certes, on ne peut pas dire que ce fut là l'action d'une personne qui feint, qui déguise, mais bien d'un homme qui affronte toutes sortes de périls pour la gloire de la maison de Dieu. C'est pourquoi Jésus-Christ fait connaître son union avec le Père, non-seulement par ses actions, ruais encore par ses paroles; car il n'a pas dit: la sainte maison, mais la maison de mon Père. Il appelle Dieu son Père, et ils ne s'en scandalisent point, ils ne s'en fâchent pas, c'est qu'ils croyaient alors qu'il le disait par simplicité. Mais lorsque dans la suite il parla plus clairement pour établir qu'il était égal au Père, ils se mirent en fureur.

Que dirent-ils donc ?    « Par quel miracle nous montrez-vous que vous avez droit de faire de telles choses ? » O folie extrême ! Il [209] était besoin d'un miracle pour les obliger de mettre un terme à ces mauvaises pratiques, par lesquelles ils déshonoraient la maison du Seigneur? Ce grand zèle pour la maison de Dieu n'était-il pas un très-grand miracle et suffisant pour prouver sa vertu et sa puissance ? Au reste, cette action fit connaître les bons. Car ses « disciples se souvinrent qu'il est écrit : Le zèle de votre maison me dévore (17) ». Mais les Juifs ne se souvinrent pas de la prophétie; ils disaient : « Quel miracle nous montrez-vous? » Affligés de se voir arrêtés dans leurs trafics sordides et honteux, et comptant par là lui lier les mains, ils. sollicitent de lui un miracle pour avoir lieu de s'inscrire en faux contre ce qu'il ferait; c'est pourquoi il ne leur en donne point. Déjà, quelque temps auparavant, ils étaient venus le trouver pour lui en demander un, et il leur avait fait la même réponse : « Cette nation corrompue et adultère demande un prodige, et il ne lui en sera point donné d'autres que celui du prophète Jonas ». (Matth. XVI, 4.) Mais sa première réponse était plus claire , celle-ci est plus enveloppée; il en use ainsi à cause de leur folie. Celui qui prévenait ceux qui ne demandaient pas et leur donnait des miracles, n'aurait pas repoussé ceux qui lui en demandaient un, s'il n'avait connu leur fourberie et leur méchanceté. La manière même dont ils demandent, de quelle méchanceté et de quelle malignité ne témoigne-t-elle pas ? Faites-y attention, je vous en prie; ils devaient louer son zèle et son amour, et admirer le grand soin qu'il prenait de la maison de Dieu, et au contraire ils le blâment, ils soutiennent qu'il leur est permis de vendre, et qu'il n'a pas le droit de les en empêcher, s'il ne le leur montre par un miracle.

Que leur répondit donc. Jésus-Christ? « Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois «jours (19) ». Il dit ainsi bien des choses qui sont obscures pour ceux qui les entendent, mais qui sont claires pour ceux qui viendront dans la suite. Pourquoi? Afin que l'accomplissement de sa prédiction prouvât un jour la connaissance qu'il avait de l'avenir, et c'est ce qui arriva pour cette prophétie : « Après qu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples ose ressouvinrent qu'il leur avait dit cela, et ils crurent à l'Ecriture et à la parole que Jésus-Christ avait dite (22) ». Quand Jésus-Christ disait ces choses, les uns hésitaient sur

le sens de ses paroles, les autres disputaient, disant: «Ce temple a été quarante-six ans à bâtir et vous le rétablirez en trois jours? (20)». En disant quarante-six ans , ils font voir qu'ils parlent de la dernière construction du temple; car la première fut finie en vingt années.

3. Pourquoi donc ne résout-il pas cette énigme, et n'a-t-il pas dit : Je ne parle pas de ce temple, mais du temple de mon corps? L'évangéliste , écrivant longtemps après , a donné cette explication, mais Jésus-Christ n'en a dit mot; pourquoi? Parce que les Juifs n'auraient pas ajouté foi à ses paroles. En effet, si alors les disciples mêmes ne pouvaient pas comprendre ce qu'il disait, le peuple l'aurait bien moins compris. « Après que Jésus fut ressuscité d'entre les morts », dit saint Jean, ils se ressouvinrent, et ils crurent à la parole et à l'Ecriture ». Jésus-Christ proposa alors deux choses à croire : la résurrection, et, ce qui est plus grand, que celui qui était dans ce corps qu'ils voyaient était Dieu ; il leur insinue l'un et l'autre, en disant : « Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois jours ». Saint Paul ayant ces paroles en vue, dit qu'elles ne sont pas une faible preuve de la divinité, ce qu'il explique en ces termes : « Qui a été prédestiné » pour être « Fils de Dieu dans » une souveraine « puissance, selon l'Esprit de « sainteté , par sa résurrection d'entre les morts » ; touchant, dis-je, « Jésus-Christ Notre-Seigneur ». (Rom. I, 4.)

Pourquoi là, et ici, et ailleurs, Jésus-Christ donne-t-il cette preuve, disant tantôt: « Quand j'aurai été élevé ». (Jean, XII, 32.) Et: « Quand vous aurez élevé en haut le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez qui je suis». Et tantôt: « Il ne lui sera point donné d'autre prodige a que celui de Jonas ». Et ici encore : « Je le rétablirai en trois jours? » Il la donne, cette preuve, parce que c'est elle principalement qui fait connaître qu'il n'était pas simplement un homme, qu'il pouvait triompher de la mort, détruire sa longue tyrannie, et finir en peu de temps une guerre si difficile. Voilà pourquoi il dit : « Alors vous connaîtrez ». Quand, alors? Lorsqu'après ma résurrection j'attirerai tout le monde, alors vous connaîtrez que, comme Dieu et vrai Fils de Dieu, « j'ai voulu être élevé sur une croix », pour venger l'outrage que les hommes ont fait à mon Père.

 

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Mais pour quelle raison Jésus-Christ ne dit-il pas quels miracles il faudrait pour les empêcher de faire le mal, et leur en promit-il un? Parce que s'il leur avait tenu ce premier discours, il les aurait bien plus irrités, et que de l'autre manière il les étonna davantage. Toutefois ils ne répliquèrent rien, car jugeant qu'il disait quelque chose d'incroyable, ils n'eurent plus la force de l'interroger, et comme si ce qu'il avait dit eût été impossible, ils le laissèrent tomber. S'ils avaient eu un peu de sens, quelque incroyable que leur eût paru cette assurance, après lui avoir vu faire beaucoup de miracles, ils l'auraient alors interrogé, alors ils l'auraient prié de les tirer de leur doute ; mais comme ils n'étaient que des fous et des insensés, à de certaines choses ils ne donnaient pas même la moindre attention ; à d'autres ils prêtaient l'oreille , mais avec un esprit malin et corrompu. Voilà pourquoi Jésus-Christ leur parlait énigmatiquement et par figures.

Maintenant on demande pourquoi les disciples n'ont pas connu que Jésus-Christ ressusciterait d'entre les morts? C'est parce qu'ils n'avaient pas encore reçu la grâce du Saint-Esprit : entendant donc souvent parler de la résurrection, ils n'y comprenaient rien; mais ils recherchaient en eux-mêmes ce que cela pouvait être. En effet, ce que disait Jésus-Christ était étonnant et inouï : que quelqu'un pût se ressusciter soi-même, et se ressusciter de cette manière. C'est pourquoi Pierre fut repris, parce que n'ayant aucune connaissance de la résurrection, il disait à Jésus-Christ : « Epargnez-vous à vous-même tous ces maux ». (Matth. XVI, 22.) Avant sa résurrection, Jésus-Christ n'a point révélé à ses disciples ce mystère, de peur qu'il ne fût pour eux un sujet de scandale, et qu'ils ne doutassent de la réalisation d'une prédiction aussi étrange, ignorant encore qui était Jésus.

Car, si personne ne fait difficulté de croire ce dont les oeuvres mêmes et les faits donnent clairement la preuve, il y avait toute apparence qu'à l'égard de ce qui ne serait fondé que sur la parole seule, tous n'auraient pas la même foi. Voilà pourquoi Jésus-Christ permit d'abord que son langage demeurât obscur mais quand il amena ses paroles à réalisation, alors il en donna l'intelligence et il répandit sur ses disciples la grâce du Saint-Esprit avec tant de profusion, qu'aussitôt ils comprirent toute la vérité. Le Saint-Esprit, disait-il, « vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit ». (Jean, XIV, 26.) En effet, des disciples, qui dans un seul soir perdent tout le respect qu'ils avaient eu jusque-là pour leur maître, qui l'abandonnant, s'enfuient tous; qui soutenaient qu'ils ne le connaissaient point, se seraient très-difficilement souvenus de ce qu'ils avaient ouï, et de ce qu'ils avaient vu depuis longtemps, s'ils n'avaient reçu de l'Esprit-Saint une grâce abondante.

Mais, direz-vous, si c'est le Saint-Esprit qui devait les instruire, quelle nécessité y avait-il qu'ils demeurassent avec Jésus-Christ, ne comprenant pas ce qu'il leur disait? c'est parce que le Saint-Esprit ne leur arien révélé, mais seulement les a fait ressouvenir de tout ce que Jésus-Christ leur avait dit. Au reste, que le Saint-Esprit fût envoyé pour rappeler la mémoire de tout ce qu'avait dit Jésus-Christ, cela ne contribuait pas peu à sa gloire, Certainement c'est par un pur bienfait de Dieu, qu'au commencement la grâce du Saint. Esprit s'est répandue sur eux avec tant de profusion et d'abondance ; mais c'est ensuite par leur vertu qu'ils ont conservé un si grand don. Car leur sainteté rendait leur vie illustre, leur sagesse éclatait, leur travail était continuel: ils méprisaient la vie présente, ils ne faisaient aucun cas des choses de ce monde; ils étaient au-dessus du reste des hommes, et s'envolant en haut avec la légèreté des aigles , ils s'élevaient jusqu'au ciel par leurs oeuvres.

Nous-mêmes aussi, mes frères, imitons-les: n'éteignons pas nos lampes, mais conservons les brillantes par nos aumônes. C'est ainsi qu'on entretient la lumière de ce feu. Faisons donc provision d'huile dans des vases pendant que nous vivons. Après notre départ de ce monde nous ne pourrons point en acheter, ni en recevoir d'ailleurs que des mains des pauvres : faisons-en, dis-je, une bonne provision, si nous voulons entrer avec l'Epoux dans la chambre nuptiale : que si nous ne la faisons pas, nécessairement nous demeurerons dehors. Car, quand même nous ferions mille bonnes oeuvres, il est impossible, il est, dis-je, impossible d'entrer sans l'aumône dans la porte du royaume du ciel. C'est pourquoi répandons largement nos aumônes sur les pauvres, afin que nous jouissions de ces biens ineffables, que je vous souhaite, par la grâce et la [211] miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, en tous lieux, la gloire et l'empire,maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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