HOMÉLIE XVII

HOMÉLIE XVII.

CECI SE PASSA A BÉTHANIE, AU DELA DU JOURDAIN, OU JEAN BAPTISAIT. — LE LENDEMAIN JEAN VIT JÉSUS QUI VENAIT A LUI, ET IL DIT : VOICI L'AGNEAU DE DIEU, VOICI CELUI QUI ÔTE LE PÉCHÉ DU MONDE. VERS. 28, 28, JUSQU'AU VERS. 35

 

ANALYSE.

 

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1. Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers; voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché da monde; ces paroles de Jean-Baptiste sont d'admirables témoignages rendus à la grandeur de Jésus-Christ.

2. Jésus-Christ n'avait besoin d'aucun baptême.

3 et 4. On a faussement avancé que Jésus-Christ avait fait des miracles dans son enfance.— Pourquoi les Juifs n'ont point cru en Jésus-Christ, ayant ouï la prédication de saint Jean-Baptiste, et vu tant de prodiges et de miracles. — Quoiqu'il y ait eu des visions sous des figures sensibles, tous cependant ne les ont pas vues. — Si l'on ne voit pas que saint Jean-Baptiste ait rendu en témoignage à Jésus-Christ, qu'il était le Fils de Dieu, c'est que tout n'est pas écrit. — Fidélité des évangélistes. — Contre les Gentils du temps de saint Chrysostome. — On trouve des défenseurs du théâtre, on n'en trouve point de la vérité et de la religion. — Ecrits des philosophes contre les chrétiens du temps du saint Docteur.

 

1. C'est un grand bien de parler hardiment et avec une entière liberté ; de mépriser tout, quand il s'agit de confesser Jésus-Christ : ce bien est si grand et si admirable, que le Fils unique de Dieu fera lui-même l'éloge de celui qui l'aura ainsi confessé devant les hommes. Et certes, il n'y a point de proportion dans la récompense. Vous le confessez et le reconnaissez sur la terre, et lui vous reconnaîtra dans le ciel (Matth. X, 32) : vous le reconnaissez devant les hommes, et lui vous reconnaîtra devant son Père et devant tous les anges. Tel était Jean-Baptiste: il ne regardait ni à la multitude, ni à la gloire, ni à quoi que ce soit; mais toutes ces choses, il les foulait aux pieds, et, avec cette liberté qui convenait à son ministère, il prêchait Jésus-Christ devant tout le mondé. Car, si l'évangéliste marque le lieu où Jean prêchait, c'est pour montrer la liberté avec laquelle ce héraut faisait tonner et retentir sa voix. Ce n'est point dans sa maison, ni dans un coin reculé, ni dans le fond d'un désert, mais c'est sur les bords du Jourdain, au milieu d'une multitude d'hommes, et en présence de tous ceux qu'il baptisait; car les Juifs y étaient : c'est là, dis-je, qu'il fit cette admirable confession, pleine d'une très-grande, très-profonde et très-sublime doctrine, par où il déclara qu'il n'était Pas digne lui-même de dénouer les cordons des souliers de Jésus-Christ !

Mais comment l'évangéliste marque-t-il le lieu? par ces paroles : « Ceci se passa à Béthanie ». Sur quoi il est à observer que les meilleurs textes portent à Béthabara. Car Béthanie n'est pas au delà du Jourdain, ni dans le désert, mais proche. de Jérusalem.

Saint Jean marque aussi le lieu pour d'autres raisons. Comme il avait à raconter des choses qui n'étaient point anciennes, mais qui s'étaient tout récemment passées, il en prend à témoin ceux qui s'y étaient trouvés présents et qui les avaient vues. Etant bien sûr qu'il n'ajoutait rien à la vérité, et qu'il rapportait véritablement et simplement les choses comme elles s'étaient passées, il tire sa preuve du lieu qui ne pouvait point être, comme j'ai dit, une faible démonstration de la vérité.

« Le lendemain Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit : Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ». Les évangélistes se sont partagés les temps. Saint Matthieu passant légèrement sur le temps qui a précédé l'emprisonnement de Jean-Baptiste, se hâte de venir à ce qui s'est fait après : Saint Jean l'évangéliste, non-seulement ne passe pas en peu de mots sur ces faits, mais il y insiste [179] particulièrement. Saint Matthieu, après. que Jésus est sorti du désert, laissant ce qui s'est passé dans l'intervalle, par exemple : les interrogations des envoyés des Juifs, les réponses de Jean-Baptiste, et toutes les autres choses, vient tout à coup à sa prison : «Jésus»,dit-il, « ayant ouï dire que Jean avait été mis en prison, se retira de là ! »: Mais saint Jean ne fait pas de même, il ne parle point du départ de Jésus pour le désert, comme ayant été rapporté par saint Matthieu; mais il raconte ce qui s'est passé après que Jésus fut descendu de la montagne, et, omettant bien des circonstances, il ajoute : « Car alors Jean- n'avait pas encore été mis en prison ». (Jean, III, 24.)

Et pourquoi, direz-vous, Jésus vint-il alors auprès de Jean, non une fois, mais deux? Saint Matthieu le fait venir, parce qu'il le fallait, pour recevoir le baptême, et Jésus le déclare, en disant : « C'est ainsi que nous devons accomplir toute justice ». (Matth. III, 15.) Mais Jean dit qu'il vint une seconde fois, après qu'il eut reçu le baptême; ce qu'il fait visiblement connaître par ces paroles : «J'ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe, et demeurer sur lui». (Jean, I, 32.) Pourquoi vient-il donc à Jean? non-seulement il vint à lui, mais il fit une marché pour venir le trouver : « Jean vit Jésus», dit-il, « qui venait à lui ». Pourquoi donc est-il venu ? C'est parce que Jean l'ayant baptisé avec plusieurs autres, on aurait pu croire qu'il était venu à lui pour le même sujet qu'eux, c'est-à-dire pour confesser ses péchés, et en faire pénitence en les lavant dans le fleuve : il fut le voir une seconde fois, pour lui donner lieu par là d'effacer un pareil soupçon. Car lorsque Jean dit : et Voici l'agneau de Dieu qui ôte le « péché du monde » , il éloigne et dissipe entièrement cette fausse opinion. Il est évident, en effet, que celui qui est si pur, qu'il peut laver les péchés des autres, ne, vient point pour confesser ses péchés; mais pour donner occasion à cet admirable prédicateur d'imprimer plus profondément dans l'esprit de ses auditeurs ce qu'il avait dit auparavant, en le leur répétant une seconde fois, et d'y ajouter encore quelqu'autre chose.

2. Jean dit : «le voici », parce que plusieurs le cherchaient depuis longtemps à cause de ce qu'ils avaient entendu dire. Il le montre présent, et il dit : « le voici », pour leur faire

 

1. « De là » i. e. dans la Galilée. (Matth. IV, 12.)

 

connaître que c'était là celui même qu'on cherchait depuis si longtemps. « Celui-ci est l'agneau » , il l'appelle agneau, rappelant ainsi à l'esprit des Juifs la prophétie d'Isaïe (Is. XVI, 1, LIII, 7), et encore l'agneau figuratif qu'on immolait du temps de Moïse , pour les mieux conduire à là vérité par la figure. Et certes, cet agneau n'a pris, ni effacé le péché de personne, mais celui-ci a pris et effacé les péchés de tout le monde : ce monde qui était prêt à périr, il l'a tout à coup délivré de la colère de Dieu. (1 Thess. I, 10.) « C'est celui-là même de qui j'ai dit : Il vient après moi un homme, qui est avant moi (1) (30) ». Ne voyez-vous pas ici, mes frères, l'explication que donne saint Jean à ce qu'il a dit ci-dessus? Après avoir appelé Jésus agneau, et dit de lui qu'il ôte le péché du monde, il dit maintenant : « Il est avant moi », par où il fait entendre que le mot : « avant », doit s'expliquer par là: que c'est lui qui ôte le péché du monde, que c'est lui qui baptise dans le Saint-Esprit. Mon avènement n'a rien opéré de plus, que de vous annoncer le commun bienfaiteur de tout l'univers, et de vous administrer le baptême de l'eau ; mais l’avènement de celui-ci purifie tous les hommes, et donne l'efficace vertu du Saint-Esprit. Celui-ci est avant moi, c'est-à-dire il est plus grand, plus illustré que moi, « parce qu'il est plus ancien que moi ». Que ceux qui ont adopté les folles erreurs de Paul de Samosate (2) rougissent de combattre une vérité si claire et si évidente !

« Pour moi je ne le connaissais pas (31) ». Voyez comment il ôte tout soupçon par ce témoignage, montrant qu'il ne parlé point ainsi de lui par faveur et par amitié; mais que c'est par la révélation que Dieu lui en a faite. « Je ne le connaissais pas » , dit-il, comment êtes-vous donc un témoin digne de foi? Comment le ferez-vous connaître aux autres , si vous-même, vous ne le connaissez pas? Jean-Baptiste n'a point dit : je ne le connais pas; mais : « Je ne le connaissais pas », en sorte que par cela même il se montre très-digne de foi. Comment, en effet, aurait-il eu de la complaisance pour celui qu'il ne connaissait pas? « Mais je suis venu baptiser dans l'eau, afin qu'il soit connu dans Israël ». Jésus-Christ

 

1. « Avant » . i. e. Plus grand, plus considérable, comme le saint Docteur l'explique quelques lignes après.

2. Paul de Samosate enseignait que le Fils n'avait point d'hypostase, ou qu'il n'était point une personne, avant qu'il naquit de Marie.

 

 

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n'avait donc pas besoin du baptême de Jean Et ce bain n'a été institué que pour acheminer tous les autres hommes à la foi en Jésus-Christ. Car Jean-Baptiste n'a point dit : je suis venu baptiser pour rendre purs ceux que j'aurai baptisés, ni pour les délivrer de leurs péchés; mais, « afin qu'il soit connu dans Israël».

Mais quoi ! est-ce que sans le baptême de Jean, on ne pouvait ni prêcher, ni attirer le peuple? Je réponds que cela n'eût pas été si facile. Si le baptême n'eût pas accompagné la prédication, tous n'auraient pas accouru de même, et ils n'auraient point connu la prééminence d'un baptême sur l'autre, sans en faire la comparaison. Si le peuple sortait des villes, ce n'était point pour aller entendre la prédication de Jean-Baptiste. Pourquoi donc? Afin que, confessant leurs péchés, ils fassent baptises. Mais, une fois arrivés, ils apprenaient à connaître Jésus-Christ, et aussi la différence des baptêmes : le baptême de Jean était plus excellent que celui des Juifs, et voilà pourquoi tous y accouraient, mais cependant ce baptême était lui-même imparfait.

Comment donc l'avez-vous connu ? c'est, dit-il, par la descente du Saint-Esprit. Mais de peur que quelqu'un ne fût par là induit à croire qu'il avait eu besoin du Saint-Esprit, comme nous-mêmes nous en avons besoin, écoutez comment il ôte encore ce soupçon , faisant voir que le Saint-Esprit était seulement descendu pour lui révéler qu'il devait prêcher Jésus-Christ. Car ayant dit : « Pour moi, je ne le connaissais pas », il a ajouté : « mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit (33) ». Ces paroles ne vous font-elles pas voir, mes frères, que le Saint-Esprit est uniquement descendu pour faire connaître Jésus-Christ? Le témoignage de Jean-Baptiste était sans doute par lui-même exempt de tout soupçon; mais le saint précurseur, pour donner encore plus de poids et de créance à son témoignage, le rapporte à Dieu et au Saint-Esprit. Comme la vérité qu'il avait annoncée, que Jésus-Christ seul ôtait tous les péchés du monde, et qu'il était si grand et si puissant qu'il suffisait seul pour opérer une si grande rédemption , était si excellente et si admirable, qu'elle pouvait jeter tous les auditeurs dans l'étonnement, il la fortifie et la confirme; il la confirme en faisant voir que

Jésus-Christ est le Fils de Dieu, qu'il n'avait nullement besoin du baptême, et que le Saint-Esprit n'est descendu que pour le faire connaître. Car il n'était pas au pouvoir de Jean de donner le Saint-Esprit, ce que déclarent ceux qui avaient reçu de lui le baptême ; puisqu'ils disent: « Nous n'avons pas seulement ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit ». (Act. XIX, 2.) Jésus-Christ n'avait donc besoin, ni du baptême de Jean, ni d'aucun autre; mais plutôt le baptême avait besoin de la puissance de Jésus-Christ car ce qui lui manquait encore était le bien suprême, je veux parler du don de l'Esprit fait au baptisé. C'est Jésus-Christ qui, par son avènement, a apporté au monde le don du Saint-Esprit.

« Et Jean rendit alors ce témoignage, en disant : J'ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe, et demeurer sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit; je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu n (32, 33, 34) ». Jean répète souvent : « Je ne le connaissais pas », et ce n'est pas sans raison; c'es. parce qu'il lui était parent selon la chair. « Sachez », dit l'Ecriture, «qu’Elisabeth, votre cousine, a conçu aussi elle même un fils ». (Luc, I, 36.) De peur donc qu'il ne parût rendre ainsi de lui des témoignages si avantageux à cause de sa parenté, il dit souvent : « Je na le connaissais pas ». Et véritablement il ne le connaissait pas, puisqu'éloigné de la maison de son père, il passait sa vie dans le désert.

Mais pourquoi , s'il ne le connaissait pas avant la descente du Saint-Esprit, et si ce n'est qu'alors qu'il l'a connu pour la première fois, « se défendait-il » avant le baptême, en disant : « C'est moi qui dois être baptisé par vous? » (Matth. III, 14.) C'était là effectivement un signe qu'il lui était parfaitement connu. Mais ce n'était que depuis peu, et même il n'en aurait pu être autrement car ces miracles qui s'étaient faits dans l'enfance de Jésus, comme à l'égard des Mages, et d'autres semblables, étaient arrivés longtemps auparavant. Jean lui-même étant encore enfant : et pendant tout le temps qui avait suivi, Jésus était demeuré inconnu à tout le monde. En effet, s'il eût été connu, Jean n'aurait pas dit : [181] « Je suis venu baptiser, afin qu'il soit connu dans Israël ».

3. Il est donc évident que les miracles qu'on attribue à Jésus-Christ dans son enfance sont faux, et qu'ils ont été inventés et imaginés. Si Jésus avait fait des miracles dès son enfance, Jean l'aurait connu, et tout le reste du peuple n'aurait pas eu besoin d'un docteur pour le lui faire connaître. Or, voici que Jean dit lui-même que s'il est venu, c'était afin que Jésus fût connu dans Israël, et c'est pour cela aussi qu'il disait : « C'est moi qui dois être baptisé par vous ». Ensuite, comme le connaissant mieux, il l'annonce au peuple, en disant : « C'est celui-là même de qui j'ai dit : Il vient a après moi un homme qui est avant moi, et qui m'a envoyé baptiser dans l'eau ». Il a envoyé Jean pour se faire connaître dans Israël, et lui-même s'est révélé à Jean avant la descente du Saint-Esprit. Voilà pourquoi celui-ci disait avant que Jésus fût venu à lui : « Celui qui est avant moi vient après moi ». Jean ne le connaissait donc pas avant qu'il vînt auprès du Jourdain, et qu'il baptisât tout le peuple mais il le connaissait quand il vint pour se faire baptiser. Le Père lui-même le révéla au prophète, et le Saint-Esprit le fit connaître aux Juifs pendant qu'on le baptisait. Car c'est pour eux que le Saint-Esprit descendit. En effet, de peur qu'on ne méprisât le témoignage de Jean, qui disait : « Il est avant moi », et: « Il baptise dans le Saint-Esprit », et : « Il jugera le monde » ; le Père annonçant son Fils fit entendre sa voix; le Saint-Esprit vint, qui fit tomber cette voix sur la tête de Jésus-Christ. Comme Jean baptisait, comme Jésus était baptisé, quelqu'un de ceux qui étaient présents aurait pu croire que c'était à Jean que s'appliquaient ces paroles; le Saint-Esprit vint ôter ce soupçon. Lors donc que Jean dit : « Je ne le connaissais pas », il faut entendre cela du temps passé, et non de celui qui avait précédé immédiatement le baptême; autrement, comment se serait-il défendu en disant : « C'est moi qui dois être baptisé par vous? » Comment aurait-il dit de lui de si grandes choses?

Pourquoi donc, direz-vous, les Juifs n'ont-ils point cru en Jésus-Christ? Jean n'était pas le seul qui eût vu le Saint-Esprit sous la figure d'une colombe. Qu'ils l'aient vu, je veux bien l'admettre. Toutefois ces prodiges , pour être bien vus, n'ont pas tant besoin des yeux du corps que des yeux de l'âme : autrement on les regarde comme de vaines illusions et de pures imaginations. Si les Juifs, quand ils ont vu Jésus-Christ faire des miracles, quand ils l'ont vu toucher de ses mains les corps des malades et des morts, et les rappeler à la vie, à la santé, par le seul attouchement, ont été tellement possédés de l'ivresse de l'envie , qu'ils n'ont pas craint de publier le contraire de ce qu'ils venaient de voir, comment se seraient-ils guéris de leur incrédulité pour une simple apparition du Saint-Esprit? Mais quelques-uns répondent que tous n'ont pas vu ces choses, mais seulement Jean et ceux qui étaient dans de bonnes dispositions. Quoiqu'en effet tous ceux qui avaient des yeux pussent voir le Saint-Esprit descendre en forme de colombe, il ne s'ensuit pas pourtant de là que tous l'aient manifestement vu. Zacharie, Daniel et Ezéchiel, ont vu bien des choses sous des figures sensibles, et toutefois ils n'ont point eu de compagnons ni de témoins de leurs visions. Moïse aussi a vu bien des choses, et de telles choses que nul autre que lui ne les a vues. Tous les disciples n'ont pas été jugés dignes de voir la transfiguration de Notre-Seigneur sur la montagne : bien plus, tous n'ont pas vu sa résurrection. Saint Luc le déclare en disant : « Il s'est montré aux témoins que Dieu avait choisis avant tous les temps ». (Luc, X, 41.)

« Je l'ai vu », dit saint Jean, « et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu (34) ». Mais où l'a-t-il rendu ce témoignage qu'il est le Fils de Dieu? Il l'a appelé Agneau et il a dit qu'il devait baptiser dans le Saint-Esprit, mais jamais il n'a dit qu'il était le Fils de Dieu. D'ailleurs les autres évangélistes écrivent qu'il a cessé de prêcher après le baptême, et passant sur ce qui s'est fait dans cet intervalle de temps, ils rapportent les miracles que Jésus a opérés après que Jean-Baptiste fut pris et mis en prison. D'où nous pouvons conjecturer qu'ils ont passé sous silence ces choses et bien d'autres encore. (Jean, XXI, 25.) Saint Jean lui-même nous en avertit à la fin de son Evangile ; les évangélistes ont été si éloignés de rien inventer à la gloire de Jésus-Christ, qu'au contraire, ce qui paraissait le rabaisser, ils l'ont tous rapporté comme de concert, et l'on ne trouvera pas qu'aucun d'eux en ait rien omis ; mais, à l'égard des miracles, quelques-uns n'ont point parlé de ceux dont les [182] autres avaient déjà fait mention, et il y en a aussi qu'ils ont omis tous ensemble.

Je ne dis pas ceci sans sujet, je le dis pour réprimer l'impudence des gentils. Car ce que je viens d'exposer sur le caractère des évangélistes suffit pour montrer leur zèle et leur amour pour la vérité, et pour prouver qu'ils n'ont rien écrit par faveur ou par complaisance. Vous pourrez vous servir de cette raison, entre autres, pour les réfuter. Mais donnez-y tous vos soins et toute votre attention. il serait absurde et honteux, quand on voit les médecins, les corroyeurs, les tisserands, en un mot les hommes de toute profession apporter tous leurs soins à plaider la cause de leur industrie, que celui qui se vante d'être chrétien ne pût pas même dire un seul mot pour la défense de sa foi. Cependant, si un artisan néglige de faire valoir son talent, il ne risque que de perdre de l'argent; mais, en négligeant de défendre sa foi, c'est son âme que l'on tue. Et cependant nous sommes dans de si misérables dispositions, que nous donnons à la première de ces choses toute notre application; et qu'à l'égard de ces soins nécessaires, qui sont le fondement de notre salut, nous les négligeons, nous les méprisons comme s'ils n'avaient aucune importance.

4. Voilà, mes frères, voilà ce qui fait que les gentils persistent à prendre au sérieux leurs erreurs; car eux, qui ne se fondent et ne s'appuient que sur le mensonge , n'omettent rien pour colorer et couvrir la turpitude de leurs dogmes; et nous, au contraire, qui faisons profession d'aimer et de suivre la vérité, nous ne savons même pas ouvrir la bouche pour la défendre ; comment de là ne prendraient-ils pas occasion d'accuser notre doctrine de faiblesse ? Comment ne regarderaient-ils pas notre religion comme fausse et insensée? Comment ne blasphémeraient-ils pas Jésus-Christ comme un fourbe et un séducteur, qui a su profiter de la folie de plusieurs pour nous tromper tous ? Oui, mes chers frères, oui, c'est nous qui sommes la cause de ces blasphèmes, pour n'avoir pas voulu consacrer nos veilles à étudier les preuves qui servent à défendre notre religion, pour avoir négligé cette occupation comme une chose superflue et inutile, et ne nous être attachés qu'aux biens de la terre. Et certes, celui qui aime un danseur, ou un cocher (1), ou

 

1. Ces cochers, dont parle ici saint Chrysostome, étaient ceux qui dans les jeux publics du cirque disputaient avec leurs concurrents, à qui remporterait le prix de la course des chariots.

 

un athlète qui se prépare à combattre contre les bêtes, met tout en ceuvre et n'oublie rien pour qu'ils soient victorieux dans leurs combats ; il les loue extrêmement, il est tout prêt à les défendre contre ceux qui osent les blâmer, et charge de mille injures leurs ennemis. Mais quand il s'agit de la défense du christianisme, tous baissent la tête, se grattent, bâillent et s'en vont bafoués.

De quelle indignation, de quelle horreur n'êtes-vous pas dignes, vous qui faites état d'un danseur plus que de Jésus-Christ? Quoi 1 vous êtes tout prêt à défendre par mille raisons ces sortes de gens , encore qu'ils soient les plus infâmes de tous les hommes,: et quand il s'agit de prendre la défense des miracles de Jésus-Christ qui ont converti l'univers, on ne voit même pas que vous y pensiez un instant, ni que vous vous en mettiez en peine. Nous croyons en Dieu le Père, en Dieu le Fils, en Dieu le Saint-Esprit, en la résurrection de la chair, en la vie éternelle. Si donc quelque gentil vous interroge et dit : Qui est ce Père? Qui est ce Fils? Qui est ce Saint-Esprit? Et comment, vous qui dites qu'il y a trois Dieux, nous reprochez-vous d'admettre la pluralité des dieux? Que direz-vous? que répondrez-vous? Comment repousserez-vous cette objection ? Et encore : Que répondrez-vous, si votre silence leur donne lieu de vous faire cette autre question : Quelle est cette résurrection? Est-ce dans ce corps que nous ressusciterons? Est-ce dans un autre? Si c'est dans celui-ci, quel besoin a-t-il de se dissoudre? A ces questions, que répondrez-vous? Mais que répliquerez-vous s'il vous objecte ceci : Pourquoi Jésus-Christ n'est-il pas venu plus tôt? N'est-ce qu'à présent qu'il s'avise de prendre soin du genre humain, et l'a-t-il négligé dans tout le temps passé? Et s'il vient à examiner plusieurs autres articles de notre foi, que lui repartirez-vous? Je n'en dis pas davantage : il ne convient pas de multiplier les questions sans en donner la solution, de peur qu'elles ne soient un sujet de scandale et de chute pour les simples. En effet, en voilà assez pour vous tirer de votre profond assoupissement.

Eh bien ! si l'on vous fait donc ces questions et que vous ne soyez pas même en état d'en comprendre les termes, pensez-vous, je vous prie, que vous serez légèrement punis, vous [183]  qui aurez tant contribué à égarer ceux qui sont dans les ténèbres? Je voudrais, si vous en aviez le loisir, vous apporter et vous lire ici un écrit qu'a composé contre nous un exécrable philosophe païen, et aussi celui d'un autre beaucoup plus ancien, afin de vous réveiller par cette lecture, et de chasser votre extrême paresse. Quand ces philosophes ont passé tant de nuits sans dormir pour nous attaquer, quel pardon pouvons-nous espérer si nous ne savons pas même repousser les traits qu'ils ont lancés contre nous? Pourquoi Dieu nous a-t-il créés et mis au monde? N'entendez-vous pas l'apôtre qui vous dit : « Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l'espérance que vous avez ». (I Pierre, III, 15.) Saint Paul aussi vous donne le même avertissement : « Que la parole de Jésus-Christ » , dit-il , « demeure en vous avec plénitude ». (Col. III, 16.) A cela que répondent ces étourdis, ces insensés? Soit bénie toute âme simple , et « celui qui marche simplement marche en assurance ». (Prov. X, 9.) Ils appliquent mal les passages de l'Ecriture : et voilà la cause de tous les maux, que bien des gens ne sachent point les employer à propos. Par exemple, à l'endroit cité, l'Ecriture ne parle point d'un homme insensé, ni de l'ignorant, mais de celui qui n'est ni méchant ni artificieux : du sage. S'il fallait entendre ce passage selon l'application qu'ils en font, ce serait en vain qu'il est dit : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes ». (Matth. X, 16.) Mais pourquoi nous arrêter davantage à des choses dont vous ne ferez aucun profit? Aux reproches que nous vous avons déjà faits, nous en pourrions ajouter bien d'autres encore sur vos moeurs et sur la conduite de votre vie. Car de quelque côté qu'on nous envisage, on ne voit en nous que misères et sujets de risée ; toujours prêts à reprendre les autres, nous sommes des lâches et des paresseux quand il s'agit de nous corriger des imperfections qu'on relève en nous. C'est pourquoi, je vous en conjure , rentrons en nous-mêmes et ne nous bornons pas à censurer; cela ne nous suffirait pas pour apaiser la colère de Dieu et nous le rendre propice; mais attachons-nous à nous perfectionner en toutes choses, afin qu'après avoir vécu en vue de la gloire de Dieu, nous jouissions de la gloire future ; puissions-nous tous l'obtenir, par 1a grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire et l'empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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