HÉBREUX XXVIII

HOMÉLIE XXVIII. LES SAINTS ONT ÉTÉ VAGABONDS, COUVERTS DE PEAUX DE CHÈVRES ET DE BREBIS, MANQUANT DE TOUT, AFFLIGÉS, PERSÉCUTÉS. (CHAP. XI, 37 , JUSQU'À XII, 3.)

 

Analyse.

 

1-3. Vertus d'Elie et des autres saints du désert; leur vie semblable, pour les peines, à celle des Hébreux. — L'exemple des saints nous anime : celui de Jésus-Christ nous transporte.

4 à 7. La souffrance nous est enseignée par la passion de Jésus-Christ et par ses exhortations. — La pauvreté, que saint Paul nous apprend par ses paroles et ses exemples. — L'enfer, indiqué en passant comme le plus grand de tous les maux; le ciel, comme le plus grand de tous les biens. — Le luxe des valets et des équipages surtout pour les femmes. — Très-curieux détails. — Le luxe des vêtements, toujours pour les femmes. — Longue et magnifique apostrophe, où toutes les philip. piques modernes peuvent s'inspirer. — La beauté vraie et la virginité de l’âme. — Idées sublimes.

 

1. Il est un sentiment que .j'éprouve toujours, mais surtout quand je réfléchis aux exemples de droiture et de vertu des saints. Je me prends à désespérer de moi, à me décourager, en voyant que nous n'acceptons pas même en rêve d'entreprendre les oeuvres et la conduite dont les saints ont fait l'expérience pendant toute leur vie ; eux qui ont enduré de perpétuelles afflictions, non-seulement pour l'expiation de leurs péchés, mais par le seul amour de la vertu. Et tenez, étudiez seulement Elie, auquel en ce jour notre sujet nous ramène ; car c'est de lui que l'apôtre a écrit : « Les saints ont été vagabonds sous de pauvres vêtements». C'est par ce Prophète qu'il clôt la liste des exemples qu'il propose aux Hébreux ; et il n'a garde de l'oublier, parce qu'il leur est en quelque sorte un fait personnel et familier. Il vient de dire en parlant des apôtres, qu'on les a vus mourir sous le tranchant de l'épée ou sous les pierres de la lapidation; mais il revient aussitôt à Elie, qui a subi les mêmes épreuves que les Hébreux. Sans doute qu'il ne leur suppose pas autant d'enthousiasme pour les apôtres, et c'est pourquoi il les ramène à ce Prophète qui fut enlevé vivant au ciel et qui avait joui d'une immense admiration, afin d'être plus sûr de les consoler et de les ranimer.

« On les a vus », dit-il, « errants, couverts de peaux de brebis et de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne (38) ». Ils n'avaient pas de vêtements, remarque-t-il, point de patrie, point de maison, pas même de retraite, tant était grande leur tribulation; semblables, en ce dernier trait, à Jésus-Christ qui disait : « Le Fils de l'homme n'a pas (569) un lieu où reposer sa tête ». (Matth. VIII, 20.) Qu'ai-je dit : Pas de retraite? Ils n'avaient pas même une halte ici-bas. En vain s'étaient-ils réfugiés dans la solitude, ils n'y trouvaient point de repos. Car l'apôtre ne dit pas : Ils séjournaient dans la solitude ; non, mais, arrivés là, ils fuyaient encore; ils se voyaient chassés de ces lieux, et non-seulement de tout pays habité, mais même des contrées inhabitables; et l'apôtre rappelle les lieux où ils passèrent, en même temps que les événements qui vinrent les y poursuivre. — « Privés de tout, affligés ». On vous accuse pour Jésus-Christ, dit l'apôtre ; Elie le fut comme vous. Quel grief avait-on contre lui pour l'accuser, le bannir, le poursuivre, le réduire à combattre avec la faim ? Les Hébreux souffraient précisément alors des tribulations de même genre, comme il est raconté ailleurs : « Les disciples résolurent d'envoyer des aumônes à ceux de leurs frères qui étaient affligés. Ils statuèrent a que chacun, selon son pouvoir, enverrait pour aider l'es frères qui habitaient en Judée, en prenant sur leur propre nécessaire ». (Act. XI, 29.) «Affligés », ajoute-t-il, c'est-à-dire maltraités, condamnés à de rudes voyages, exposés à maints périls. — « Ils étaient vagabonds » : En quel sens? Il l'explique : « Errant dans les déserts, « les montagnes, les cavernes et les antres de la « terre ». Semblables, dit-il, à des fugitifs et des émigrants, à des contumaces convaincus de crimes abominables, indignes même de voir le soleil; et la solitude ne leur procurait point un refuge, mais il leur fallait chercher toujours de nouvelles cachettes, s'enfouir dans la terre, vivre dans une crainte perpétuelle.

« Cependant toutes ces personnes à qui l'Ecriture rend un témoignage si avantageux à cause de leur foi, n'ont point reçu la récompense promise, Dieu ayant voulu, par une faveur particulière, qu'ils ne reçussent qu'avec nous 1'accomplissement de leur bonheur (39, 40) ». Quelle est donc la récompense d'une foi si grande? Quel en sera le prix? Il sera tel qu'aucun discours ne saurait l'exprimer. Car Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment une félicité que l'oeil n'a point vue, que l'oreille n'a point entendue, que le coeur de l'homme ne pourrait comprendre.

« Mais ils ne l'ont pas encore reçue » ; ainsi ils l'attendent encore, après être morts dans des tribulations si douloureuses. Depuis tant d'années qu'ils ont cessé de vivre, ils n'ont pas encore reçu; et vous seriez affligés de ne pas recevoir déjà, vous qui combattez encore ? Représentez-vous cette position étonnante d'Abraham et de Paul, attendant la consommation de votre bonheur pour recevoir alors leur pleine récompense. Car le Sauveur leur a dit qu'ils ne l'auraient pas, sales que nous soyons là pour la recevoir avec eux, comme un père dit à ses enfants qui ont fini leur travail, qu'ils ne se mettront pas à table avant que leurs frères soient venus. Et toi, tu t'affliges de n'avoir pas encore touché ton salaire? Que fera donc Abel qui a vaincu avant nous et n'a pas reçu la couronne? Que fera Noé, qui a vécu dans ces temps lointains, et qui t'attend, toi et ceux qui viendront après toi ? Vois-tu bien que nous leur sommes préférés et que notre condition est plus heureuse que la leur? Dieu, dit saint Paul, a prévu et préparé pour nous un sort meilleur. Pour qu'ils ne parussent pas, cri effet, de meilleure condition que nous-mêmes, s'ils avaient été couronnés les premiers, Dieu a déterminé une époque où nous serons couronnés tous ensemble. Le héros vainqueur tant d'années avant toi, reçoit avec toi la couronne. Admire sa sollicitude et sa bonté. L'apôtre ne dit pas : Afin qu'ils ne fussent pas couronnés sans nous; mais : « Afin qu'ils ne reçussent pas sans nous la consommation de leur bonheur ». Ils ne la recevront qu'alors. Ils nous ont précédés au combat, ils ne nous ont pas devancés pour les couronnes. Dieu ne leur a fait aucun tort, et il nous fait un grand honneur. Pour eux, ils nous attendent comme des frères. Si- nous ne sommes tous qu'un seul corps, il y a pour. ce corps plus de plaisir à être couronné ensemble que par parties. En ce point même les justes sont admirables de se réjouir du bonheur de leurs frères comme s'il leur était propre. C'est donc encore un désir de leur âme qui se réalise, que d'être ainsi couronnés avec leurs membres. Etre ainsi tous ensemble glorifiés, c'est un plaisir ineffable (1).

2. « Puis donc que nous sommes environnés d'une si grande nuée de témoins ». (XII, 1.) L'Ecriture, souvent, emprunte des motifs de consolation aux accidents mêmes et aux peines qui nous arrivent. Ainsi on lit dans le prophète Isaïe : « Il vous délivrera de la chaleur, de la sécheresse et des pluies violentes ». (Isaïe, IV, 6.) Et dans le roi David : « Le soleil ne vous fatiguera pas pendant le jour, ni la lune pendant la nuit ». (Ps. CXX, 6.) C'est ce que dit ici saint Paul : « Ayant donc sur nos têtes une si grande nuée de témoins ». Le souvenir. de tous ces saints, comparable à un nuage qui donnerait de l'ombre au voyageur exposé, brûlé par un soleil trop ardent, soulage et ranime une âme fatiguée. Et l'apôtre ne dit pas : Un nuage élevé bien haut et loin de nos têtes, mais au contraire, « posé sur nous » ; ce qui est bien autrement agréable, et qui doit, selon lui,

 

1 Après avoir donné de nombreux exemples de la puissance de la foi sous l'Ancien Testament, l'apôtre pour conclusion fait voir en quelques mots comment cette vertu néanmoins était encore quelque chose de borné, et jusqu'à quel point la vertu de la foi dans les temps chrétiens lui est supérieure. Tous ces saints personnages, dit-il, ont bien, en vertu de leur foi, obtenu leur justification, mais ils n'ont pas été mis en possession de l'objet des promesses faites à leur foi dans son sens le plus élevé, parce que Dieu avait décrété que l'objet des promesses, dans son sens le plus élevé, le bien le plus excellent, à savoir le royaume du ciel, ne commencerait que plus tard, et qu'il serait également notre partage, afin que tous, nous ici bas, eux dans l'autre vie, nous puissions y entrer, et parvenir enfin tous ensemble à la consommation. Il faut ici prendre la promesse dans son objet le plus élevé, le royaume du ciel, dans toute l'étendue de son acception, depuis son commencement en ce monde jusqu'à sa consommation au jour de la consommation et du jugement. La consommation n'aura lieu qu'en ce jour, parce que ce ne sera qu'alors que s'effectuera la rédemption du corps (Augustin, Jérôme, Chrysostome). Du reste l'apôtre a déjà dit ci-dessus (IX, 8) que tant qu'a subsisté l'ancienne alliance, et que Jésus-Christ n'a point eu consommé son sacrifice, le ciel était fermé ; d'où il suit que les anciens patriarches avaient été, il est vrai, justifiés, mais qu'ils ne pouvaient encore jouir du fruit de la justification ; il a fallu qu'ils attendissent le sacrifice de Jésus-Christ afin d'entrer ensuite avec lui dans le ciel. (J. F. D'Allioli).

 

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nous montrer qu'ainsi placé sur tout notre horizon, il nous procurera plus d'ombre et de sécurité. — Quelle est « cette nuée », et quel, ce nombre de « témoins? » Il s'agit de témoins empruntés soit à l'Ancien, soit au Nouveau Testament. Les premiers aussi ont été vraiment martyrs, témoins attestant avec courage la grandeur de Dieu; ainsi les trois enfants, ainsi Elie et tous les prophètes.

« Dégageons-nous de tout ce qui appesantit ». Qu'est-ce que tout ce fardeau ? La somnolence, la négligence, tout le bagage, en un mot, des pensées humaines. « Et le péché si facile à environner ». Cette expression a deux sens :  Le péché facilement nous entoure et nous assiége; ou bien, et je préfère l'entendre ainsi, le péché facilement sera par nous-même environné et battu; car, si nous le voulons, il nous est aisé de le vaincre. — « Courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte ». Il ne dit pas : Combattons, luttons, faisons la guerre ; mais ce qui est plus doux que tout cela, car il ne nous propose qu'une course. Il ne nous dit pas davantage : Soyons les premiers à courir; mais seulement : Fournissons une carrière soutenue et persévérante, et ne nous montrons pas lâches ni énervés. Courons, dit-il, dans la lice devant nous ouverte.

Enfin la consolation principale, la souveraine exhortation, le premier et le dernier de tous les exemples, l'apôtre le propose, c'est Jésus-Christ. « Jetant les yeux sur Jésus-Christ, l'auteur et le consommateur de notre foi (2) » ; c'est bien ce que Jésus-Christ disait constamment de lui-même à ses disciples : « S'ils ont appelé le maître Béelzébuth, combien plus ses serviteurs! » Et ailleurs : « Le disciple n'est pas au-dessus du Maître, ni l'esclave au-dessus de son propriétaire ». (Matth. X, 24, 25.) Donc, regardons-le, dit saint Paul, afin d'apprendre à courir; oui, voyons toujours Jésus-Christ. En effet, de même que pour apprendre un art ou pour nous dresser à une lutte quelconque, le regard fixé sur un maître nous grave dans l'esprit ses procédés, et notre vue lui dérobe tous ses secrets ; ainsi, dans la vie présente, si nous voulons fournir notre course, et surtout la fournir honorablement, nous regardons vers Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi. Et pourquoi ces deux titres? C'est qu'il nous a donné la foi, qu'il nous en a versé le principe. C'est encore une de ses paroles à ses disciples

« Vous ne m'avez pas choisi; c'est moi qui ai fait choix de vous ». (Jean XV, 16.) Paul disait de même : « Je le connaîtrai alors, comme j'ai été connu de lui ». (I Cor. XIII, 12.) Et si Jésus a déposé en nous le principe et le germe, c'est lui encore qui nous donnera la fin et le fruit.

« Jésus au lieu d'une vie heureuse et tranquille qui lui était proposée, a souffert la croix, en méprisant la honte et l'ignominie ». Comprenez qu'il lui était permis de ne pas souffrir, s'il l'eût préféré ; car il n'a pas commis de péché, et le mensonge ne fut jamais trouvé dans sa bouche (Isaïe, LIII, 9) ; lui-même l'atteste au saint Evangile : « Le prince de ce monde est venu, mais il n'a aucune prise sur moi ». (Jean, XIV, 30.) Il était donc libre de ne pas marcher au Calvaire. Car, disait-il, « j'ai le pouvoir de déposer mon âme et le pouvoir aussi de la reprendre ». (Jean, X, 18.) Si donc, sans nécessité aucune de subir la croix, il a voulu pour nous monter en croix, combien plus est-il juste que nous souffrions tout pour lui? — La joie lui était proposée, dit saint Paul, et il a subi la mort, « méprisant l'opprobre ». En quoi, ce mépris de l'opprobre? C'est qu'il a choisi, dit l'apôtre, une mort infâme. — Je comprends, direz-vous, qu'il soit mort; mais pourquoi si honteusement? — Uniquement pour nous apprendre à regarder comme rien toute gloire qui vient des hommes. Sans avoir jamais été assujetti au péché, il a choisi une mort semblable, pour nous apprendre à être bardis contre elle, à l'estimer comme le néant. — Enfin, pourquoi l'apôtre ne dit-il pas : Méprisant « la tristesse », mais l'opprobre et la honte? Parce qu'il affronta la mort sans tristesse.

Or, écoutez quelle fut la fin, pour Jésus? « Et maintenant il est assis à la droite de Dieu ». Vous voyez le prix du combat que saint Paul décrit autrement ailleurs: « C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, de sorte qu'au nom de Jésus, tout genou fléchit ». (Philip. II, 9.) Il parle de la sainte humanité de Jésus. Ainsi, bien évidemment, quand même on ne nous proposerait aucun prix de la victoire, un tel exemple suffirait pour nous déterminer à soutenir chacun vaillamment notre lutte et notre combat. Mais maintenant, des récompenses aussi nous sont offertes, et non des prix tels quels, mais de grands, mais d'ineffables prix. Ainsi, quelle que soit la souffrance qui nous ait visités, pensons à Jésus, plutôt même qu'à ses apôtres. Pourquoi ? C'est que toute la vie du Sauveur fut remplie d'amertume. Toujours il entendit d'horribles accusations de folie, de séduction, de faux miracles; les juifs disaient tantôt : « Cet homme ne vient pas de Dieu »; tantôt : «Non, il séduit les masses » ; tantôt : « Ce séducteur disait quand il vivait encore : Je ressusciterai dans trois jours ». Ils l'accusaient de jonglerie et de magie, disant : « C'est par Béelzébuth qu'il chasse les démons » ; ils le taxaient de fou, de possédé du diable : « N'avons-nous pas raison de dire qu'il est fou et possédé du démon ? » (Jean, IX, 16 ; VII, 12; X, 20 ; Matth. XXVII, 63; XII, 24.) Et il entendait cet affreux langage, pendant qu'il les accablait de ses bienfaits, qu'il faisait des miracles, et montrait les oeuvres d'un Dieu. Qu'on eût ainsi parlé de lui, s'il n'avait rien fait, on serait moins surpris. Mais qu'enseignant une doctrine de vérité, il s'entendît appeler séducteur; que chassant les démons, il s'entendît insulter comme possédé du démon; qu'on l'appelât menteur et hypocrite, lui qui démolissait toute fourberie, n'est-ce pas étonnant et incroyable? Telles étaient pourtant leurs accusations de tous les jours.

3. Voulez-vous entendre les plaisanteries et les moqueries qu'on lui décochait? La moquerie est bien ce qui nous mord le plus vivement au coeur. Eh bien ! voici, d'abord, contre sa naissance. « N'est-il pas », disaient les juifs, « n'est-il (571) pas le fils d'un charpentier? ne connaissons-nous pas et son père et sa mère? Tous ses frères ne sont-ils pas parmi nous? » (Matth. XIII, 55.) Plaisantant le Seigneur sur sa patrie, ils le disaient natif de Nazareth, et ajoutaient : « Informez-vous, et soyez sûr qu'il ne sort point de Prophète de la Galilée ». (Jean, VII, 52.) Toutes ces calomnies le trouvaient patient toujours! Ils ajoutaient : « L'Ecriture ne dit-elle pas que le Messie doit venir du bourg de Bethléem? » (Jean, VII, 42.) — Voulez-vous entendre les moqueries insultantes qu'on employait à son égard? Venant, dit l'Ecriture, jusqu'au pied de la croix, ces gens l'adoraient, le frappaient, lui lançaient des soufflets et disaient : « Dis-nous qui t'a frappé? » Et lui offrant du vinaigre : « Si tu es le Fils de Dieu », s'écriaient-ils, « descends de la croix». (Matth. XXVI, 68 et XXVII, 40.) Déjà un serviteur du grand prêtre lui avait donné un soufflet, et il n'avait répondu qu'un mot : a Si j'ai mal a parlé, faites voir ce que j'ai dit de mal; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous? » Pour mieux l'insulter, ils lui mirent une chlamyde de pourpre et lui crachèrent au visage, sans cesser de l'accabler de questions perfides et de tentations. — Voulez-vous constater les accusations publiques ou secrètes, celles mêmes que ses disciples formulaient contre lui, puisque lui-même leur demandait : « Voulez-vous aussi vous en a aller? Possédé du démon » (Jean, VI, 68, et VII, 30), c'était un mot que prononçaient de lui ceux mêmes qui avaient cru en lui. Enfin, répondez-moi, n'est-il pas vrai qu'il en était réduit à s'enfuir, tantôt en Galilée, tantôt en Judée ? Ne fut-il pas dès le berceau ballotté par toutes sortes d'épreuves? Ne fallut-il pas qu'encore enfant, sa mère l'emportât en Egypte? C'est en souvenir de tant de douleurs que saint Paul a dit : « Jetons les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi, qui, au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, a souffert la croix a en méprisant la honte et l'ignominie, et qui maintenant est assis à la droite du trône de Dieu ». Jetons donc nos regards sur lui, et sur ses disciples; lisons les souffrances de Paul; écoutons-le, qui nous dit : « Il nous a fallu grande patience dans les maux, dans les tribulations, dans les nécessités pressantes, dans les persécutions, les angoisses, les plaies, les prisons, les séditions, les jeûnes, les travaux, la chasteté, la science » ; et ailleurs: « Jusqu'à cette. heure nous souffrons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements; nous n'avons point de demeure stable; nous travaillons avec beaucoup de peine, de nos propres mains; on nous maudit, et nous bénissons; on nous persécute, et nous le souffrons ; gon nous dit des injures, et nous répondons par ides prières». (II Cor. VI, 4;  I Cor. III, 11.) Quelqu'un a-t-il souffert la moindre partie de maux pareils? On nous traite, dit-il, en séducteurs, en infâmes, en êtres vils et qui n'ont rien. Et ailleurs : « J'ai reçu des juifs, en cinq fois différentes, trente-neuf coups de fouet ; j'ai été battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé une fois, j'ai passé une nuit et un jour au fond de là mer,  j'ai fait maints pénibles voyages, avec afflictions, angoisses, famine ». (II Cor. XI, 24.) Or, entendez-le vous dire aussi combien une telle vie plaisait à Dieu : « Pour cela j'ai trois fois prié le Seigneur, et il m'a répondu : Ma grâce te suffit; car ma puissance éclate dans l'infirmité». Aussi ajoute-t-il : « Je me complais dans mes infirmités, dans les afflictions, les nécessités, les angoisses, les plaies, les prisons, afin que la vertu puissante de Jésus-Christ habite en moi ». (II Cor. XII, 8.) Enfin écoutez la parole même de Jésus-Christ : « Vous aurez l'affliction en ce monde ». (Jean, XVI, 33.)

« Pensez donc en vous-mêmes à celui qui a souffert une si grande contradiction des pécheurs qui se sont élevés contre lui; afin que vous ne vous découragiez pas et que vous ne tombiez point dans l'abattement (3) ». Saint Paul a bien droit de tenir ce langage. Car si les souffrances du prochain nous animent, combien plus d'ardeur et d'amour doit réveiller en nous la passion de Notre-Seigneur? Quel merveilleux effet doit-elle produire? — Et remarquez comment saint Paul, en négligeant le détail des peines du Sauveur, les résume toutes en ce mot: « Contradiction »; soufflets sur les joues, moqueries, insultes, reproches, railleries; l'apôtre ne fait qu'indiquer ces horreurs par ce mot contradiction ; et pourtant en dehors de celles-là, il y a toutes celles encore qui ont accompagné son enseignement évangélique.

Pensons, mes frères, pensons toujours à cette vie et à cette passion du Sauveur; occupons-en nos coeurs et le jour et la nuit, sachant que nous en recueillerons des fruits immenses, et des avantages inappréciables. Oh oui ! c'est une grande, c'est une ineffable consolation que les souffrances de Jésus-Christ, que celles encore de ses apôtres. Notre-Seigneur savait si bien que cette voie est la meilleure pour la vertu, que sans être obligé, lui, d'embrasser cette route, il y est entré tout d'abord; tant il regardait l'affliction comme une grâce, comme la mère d'un plus grand repos et d'une douce paix dans le monde à venir. Au reste, entendez-le : « Si quelqu'un ne porte pas sa croix et ne marche pas derrière moi, il n'est pas digne de moi ». (Matth. X, 38.) Comme s'il disait . Si tu es mon disciple, prouve que tu l'es en effet imite ton maître. Que s'il est venu par la route de l'application, tandis que tu prétends marcher par celle du repos et des loisirs, non, ce n'est plus sa voie que tu veux suivre, mais un tout autre chemin. Comment le suivre saris être sur ses traces.? Comment es-tu un disciple sans marcher derrière ton maître? Paul t'a condamné dans les mêmes termes : « Nous sommes les faibles; et vous, les  forts ; nous sommes les gens méprisés ; vous, les honorés ! » ( I Cor. IV, 10.) Comment est-il raisonnable que nous suivions des directions si opposées quand vous êtes nos disciples, et que nous sommes vos maîtres? Donc la souffrance, mes frères, est une grande puissance : car elle produit ces deux grands effets, qu'elle efface nos péchés et qu'elle nous donne force et vigueur.

4. Mais n'arrive-t-il pas, direz-vous, qu'elle renverse et qu'elle ruine ? — Non, la souffrance ne (572) produit point ces malheurs; n'en accusons que notre lâcheté. Si nous sommes sobres et vigilants, si nous prions Dieu de ne pas permettre que nous soyons tentés au-delà de nos forces; si nous nous tenons toujours étroitement attachés à liai, nous serons toujours debout, nous ferons face à l'ennemi. Tant que nous aurons Dieu pour auxiliaire, en vain les tentations souffleront plus impétueuses que tous les vents à la fois, elles ne seront pour nous que pailles et feuilles légères, qu'un rien dissipe au hasard. Ecoutez la parole de Paul : « En tous ces combats nous sommes vainqueurs ». Et ailleurs : « J'estime que toutes les souffrances de ce siècle ne sont point dignes d'être comparées avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous ». (Rom. VIII, 37 et 18.) Et ailleurs « Notre tribulation présente, légère en elle-même, et purement momentanée, nous produira un excès incroyable, un poids ineffable de gloire éternelle ». (II Cor. IV, 16.) Remarquez quels périls affreux, quels naufrages, quelles afflictions sans nombre il qualifie de maux légers. Soyez l'émule de ce coeur de diamant enveloppé d'un corps fragile et souffreteux.

Vous êtes dans la pauvreté, peut-être ! Mais non toutefois dans une misère comme celle de Paul, qui luttait avec la faim, la soif et la nudité. Car il ne souffrit point tous ces maux seulement un jour par rencontre, mais continuellement il les endura. Et la preuve? Vous la trouverez dans sa parole

« Jusqu'à ce jour nous ne cessons de subir la « faim, la soif, la nudité ». (I Cor. IV, 11.) Et cependant quelle gloire il avait déjà acquise dans la prédication, lorsqu'il était encore réduit à toujours ainsi souffrir ! car il avait dépensé vingt années déjà dans l'enseignement de l'Evangile, quand il écrivait ces mots : « Je connais », en effet, dit-il, « un homme qui fût ravi au paradis il y a quatorze ans, est-ce avec ou sans son corps, je ne sais ». (II Cor. XII, 2.) Et ailleurs : « Trois ans après je montai à Jérusalem » (Gal. I,18) ; et dans un autre passage : « Il me serait plus avantageux de mourir, que de permettre à personne d'atténuer ma gloire ». Et ce texte se lie à celui-ci : « Nous sommes devenus comme les balayures de ce monde ». (I Cor. IX, 15; IV, 13.)

Quoi de plus pénible que la faim, que le froid, que les complots imaginés même par des frères, qu'il appelle de faux frères ? N'osait-on pas l'appeler la peste du monde, un imposteur, un démolisseur ? N'était-il pas déchiré par les fouets cruels? Appliquons à ces exemples, mes frères, nos méditations, nos pensées, nos souvenirs, et jamais nous n'éprouverons de découragement, d'abattement, quand même l'injustice nous opprimerait, quand tous nos biens nous seraient volés et qu'on nous ferait subir des maux à l'infini. Qu'il nous soit donné seulement de trouver au ciel une moisson d'estime et d'honneur, et tout devient supportable. Puissions-nous faire dignement nos affaires d'outre-tombe, et celles d'ici -bas nous paraîtront sans valeur; quelles qu'elles soient, elles ne sont que des ombres et des rêves.

Car ce qu'on peut attendre ou redouter sur la terre n'a rien de sérieux ni en soi, ni dans la durée. Que voulez-vous comparer, en effet, avec ces terreurs si légitimes et si effrayantes de l'avenir; avec ce feu qui ne peut s'éteindre; avec ce ver qui ne peut mourir? Est-il un mal du siècle qui égale le grincement des dents, les chaînes, les ténèbres extérieures, les fureurs, la désolation, les angoisses de ces supplices? Mais vous comparez la durée, peut-être? — Eh ! que font dix mille ans auprès des siècles infinis et interminables ? Ce qu'est une petite goutte d'eau, n'est-ce pas, en présence du grand abîme.

Préférez-vous comparer bonheur avec bonheur? Celui du ciel est infiniment supérieur. « L'oeil de l'homme n'a point vu », dit l'Ecriture, « son oreille n'a point entendu, son coeur ne pourra jamais comprendre cette félicité souveraine ». (I Cor. II, 9.) Et sa durée se prolongera dans l'infinité des siècles. Pour elle, par conséquent, ne serait-il pas avantageux d'être mille fois déchirés vivants, tués, brûlés, de subir mille morts enfin, de supporter en paroles et en faits tout ce qu'il y a de plus rude et de plus affreux? Devrions-nous passer, si c'était possible, toute la vie présente dans les flammes dévorantes, qu'il faudrait ainsi fout accepter pour gagner les biens que Dieu nous garde.

Mais que parlé-je ainsi à des hommes qui loin de consentir à mépriser l'argent, le poursuivent et s'y attachent comme à la seule richesse immortelle, à des hommes qui, pour avoir donné quelque petite chose sur une fortune immense, croient avoir tout fait? Non, ce n'est pas là l'aumône. L'aumône vraie, c'est le fait de cette veuve qui verse tout généreusement, jusqu'à sa dernière obole. Si vous n'avez pas le coeur de donner autant qu'une pauvre veuve, donnez du moins votre superflu, gardez le nécessaire, et rien au delà : mais personne ne sait faire le sacrifice même du superflu. J'appelle superfluité ce nombreux personnel qui vous sert, ces vêtements de soie qui vous couvrent. Rien n'est moins nécessaire, rien moins utile même que ce dont nous pouvons nous passer pour vivre; voilà, oui, des superfluités, et pour le dire une fois, de véritables excès.

Voyons toutefois, s'il vous plaît, quel est l'indispensable nécessaire de la vie. Avec deux serviteurs seulement, nous pouvons vivre. Car puisque plusieurs personnes, à nos côtés, vivent sans serviteur aucun , quelle excuse avons-nous, si deux domestiques ne peuvent nous suffire? Nous pouvons très-bien nous loger dans une maison de briques, pourvu qu'elle ait trois appartements voilà le suffisant assurément. Car n'y a-t-il pas des pères de famille, ayant femme et enfants, qui se contentent d'une seule habitation ? Or, si vous le voulez absolument, on vous accorde des domestiques.

Mais, dira une grande dame, n'est-il pas honteux pour une personne d'un certain rang, de paraître en public avec deux domestiques seulement? — Arrière cette honte. Non, une femme de haut rang n'a pas à rougir de paraître avec deux domestiques seulement; mais elle devrait rougir de se montrer avec plus nombreuse escorte. Vous riez peut-être en m'écoutant ici; eh bien ! je (573) répète, sa honte devrait être de parader avec toute une escorte. Quoi! pareils à des marchands de moutons, ou à ces cabaretiers qui vendent des esclaves, vous vous feriez une espèce de gloire à paraître avec un nombreux cortège de serviteurs! Faste et vaine gloire, en vérité; lorsque la modestie, en cela, est une preuve de sagesse et d'honorabilité. Non, il ne faut pas que voire dignité se prouve par la multitude de vos suivants : où est la vertu, à posséder toute cette valetaille ? Ce n'est certes point une vertu de l'âme; et ce qui ne prouve point une âme vertueuse, ne démontre pas non plus une âme bien née. Quand une dame est contente de peu, elle prouve mieux sa dignité native; quand elle a besoin de tant d'accessoires, elle n'est qu'une servante, plus abaissée même qu'une esclave.

5. Répondez-moi? Les anges ne parcourent-ils pas notre terre habitée, seuls et sans avoir besoin de quelqu'un qui les suive ? Et, parce que nous avons ce besoin nous-mêmes, estimerons-nous inférieurs ceux qui peuvent s'en passer? S'il est donc dans la nature de l'ange de n'avoir ainsi besoin ni de laquais, ni de suivant, quelle est, parmi les femmes, celle qui se rapproche le plus de cette nature,angélique? Est-ce celle à qui tant de serviteurs sont indispensables, ou celle qui se contente d'en avoir bien peu? Et mieux que cette dernière encore, celle qui n'en a pas du tout, n'a-t-elle pas le bonheur de se montrer sans être remarquée? Etre remarquée, en effet, ne voyez-vous pas que, pour une femme, c'est une honte ? Or quelle est celle qui attire les regards de toute une place publique ? Est-ce celle qui porte une toilette brillante, ou celle qui est vêtue simplement, sans parure, sans luxe ni apprêt? Laquelle encore fait tourner de son côté tous les yeux de la foule stationnant au forum ? Est-ce celle qui se fait traîner par des mules aux housses dorées, ou bien celle qui marche sans appareil, naturellement, mais avec bienséance et distinction? Celle-ci ne passe-t-elle pas inaperçue de tous nos regards, tandis qu'on se presse pour voir l'autre, et que même on se demande : Qui est-elle ? D'où sort-elle? Ne parlons pas des jalousies qu'elle excite. Mais, dites-moi seulement : Où est la honte? Est-ce de se faire remarquer ou de passer sans être vue? Quand est-ce qu'il faut rougir davantage quand tous les yeux sont sur elle , ou quand nul ne l'aperçoit? Quand tout le monde s'informe de ce qu'elle est, ou bien quand on ne s'occupe même pas de sa personne ?

Voyez-vous comme nous faisons tout, non pour une sainte honte, mais pour la vaine gloire ? Mais, comme il est impossible de nous soustraire entièrement à ces préjugés, qu'il me suffise de vous rappeler que la honte véritable n'est pas là. Le péché ! voilà vraiment la chose honteuse , bien que personne ne l'estime ainsi, et qu'on attache plus volontiers l'idée de honte à n'importe quoi plutôt qu'au péché! Quant aux vêtements, femmes chrétiennes, ayez-en pour l'usage et non pour le superflu. Et pour ne pas vous gêner ici la conscience trop étroitement, mon avis et ma déclaration se bornent à proscrire, comme dépassant vos besoins, les parures d'or et les tissus trop fins. Et cet arrêt n'est pas de moi. Pour vous prouver qu'ici vous n'entendez pas mes paroles, écoutez saint Paul qui lui-même prononce, qui défend aux femmes de se parer avec des cheveux frisés, avec de l'or, avec des perles, avec vos vêtements précieux et magnifiques. (I Tim. II, 9.) Dites-nous alors, apôtre de Jésus-Christ, comment elles doivent se parer? Car elles sont capables de dire que les parures d'or sont seules des objets de luxe et de prix; mais que les soieries ne sont ni de prix ni de luxe. Dites-nous donc, comment voulez-vous qu'elles soient parées? — «Quand nous avons le vêtement et la nourriture, sachons-nous en contenter ». (I Tim. VI, 8.) Donc, que le vêtement soit suffisant pour nous couvrir; Dieu ne nous les a donnés que pour protéger notre nudité. Or, un vêtement peut remplir ce but, quand même il serait de nulle valeur.

Vous riez peut-être, vous qui portez des vêtements de soie : en vérité, le sujet prête à rire ! Que commande saint Paul et que faisons-nous? Car je ne m'adresse plus seulement aux femmes, mais aussi aux hommes. Tout ce que nous avons au-delà de la règle apostolique, est superflu. Les pauvres seuls ne possèdent pas de superflu ; hélas ! peut-être parce qu'ils sont forcés de s'en passer; car s'ils pouvaient s'en procurer, ils ne s'en feraient pas faute plus que les autres. Mais enfin, soit en réalité, soit en apparence et par le sort, ils n'ont pas de superflu.

Portons donc des vêtements qui remplissent simplement leur but. A quoi bon, en effet, y prodiguer l'or? Ces oripeaux conviennent aux acteurs; laissez-leur ce costume; c'est celui aussi des femmes perdues à qui tout; convient pour attirer les yeux. Qu'elle se pare, l'actrice qui va paraître sur la scène , celle encore qui est danseuse de profession; tout leur va, pour entraîner les hommes. Mais que la femme qui professe une vraie piété s'éloigne de telles parures, et qu'elle s'en réserve une autre bien plus noble et plus riche.

Oui, femme chrétienne, tu as un théâtre aussi ; pour ce théâtre , sache te parer; pour lui, revêts tout un monde d'ornements. Quel est ton théâtre ? Le ciel, avec le peuple des anges pour spectateurs, et ce peuple comprend aussi et les vierges, et les femmes du monde ou du siècle. Toute femme qui croit en Jésus-Christ paraît de droit sur ce théâtre. Parlons-y un langage digne de charmer de tels spectateurs. Revêts-toi d'ornements capables de les transporter de joie. Car, dis-moi; si une de ces actrices éhontées, renonçant à ses parures d'or, à ses vêtements somptueux, à son rire effronté , à ses paroles séduisantes et obscènes , prenait tout à coup une robe sans valeur; si elle paraissait sur les planches sans aucun éclat d'emprunt, et qu'on l'entendît parler un langage pieux, religieux , et faire une exhortation à la tempérance et à la pudeur, sans plus un mot qui fasse rougir, est-ce que toute l'assistance ne se lèverait pas d'indignation ? Un théâtre comme celui-là ne serait-il pas déserté ? ou plutôt ne chasserait-on pas cette convertie , parce qu'elle (574) ne parlerait plus la langue de ce théâtre satanique?

Eh bien ! à votre tour, si vous entrez au théâtre du ciel avec les ornements de la femme perdue, tout le céleste auditoire vous chassera. Il ne faut point là de vêtements d'or, mais d'autres, et bien différents. De quel genre, alors? De ceux dont parle le Prophète : « Elle est entourée de franges d'or, de splendides broderies » (Ps. XLIV, 14) ; il ne s'agit point de faire ressortir la blancheur et l'éclat de votre teint, mais d'orner votre âme ; car elle seule, au ciel, dispute le prix. « Toute la gloire de la fille du roi est au dedans d'elle-même », ajoute-t-il. Prenez ces vêtements glorieux, qui doivent vous affranchir d'autres peines sans nombre , mais qui en particulier délivrent un mari d'inquiétude, et vous-même de souci.

6. Une femme est d'autant plus respectable aux yeux de son mari, qu'elle sait davantage restreindre ses besoins. Car l'homme , en général , garde toujours un secret et profond mépris pour ceux qui ont besoin de lui ; s'il voit au contraire qu'il ne soit pas indispensable, il rabaisse son orgueil, et bientôt vous traite et vous honore comme un égal. Que votre mari vous voie donc, femmes chrétiennes, n'avoir pas besoin de lui et mépriser même ce qu'il offre ; aussitôt , malgré ses hautes prétentions et l'ambition dédaigneuse de son caractère, il vous respectera plus que si vous portiez des ornements d'or, et désormais vous ne serez plus sa servante , comme on l'est nécessairement, comme il faut bien être l'humble sujet de ceux dont on a trop besoin ; tandis que si l'on sait se refuser noblement le superflu, on recouvre désormais son indépendance. Qu'il sache donc, votre époux, que lorsque vous lui accordez une certaine obéissance , c'est le motif de la crainte de Dieu qui vous détermine, et non pas les dons qui partent de la main d'un mari. En effet, tant qu'il vous donne beaucoup, en vain lui rendez-vous aussi grand honneur: il croit toujours en mériter davantage ; si , au contraire, vous savez vous suffire, il vous est reconnaissant du peu même que vous lui accordez : il n'a rien à vous reprocher. D'ailleurs vous ne le forcez point à voler le bien du prochain pour la triste nécessité de vous suffire.

Sous un autre point de vue, est-il rien de plus déraisonnable que d'acheter des parures d'or, pour les souiller bientôt dans les bains et les places publiques? Encore ces folies dorées s'expliquent-elles pour ces lieux profanes des thermes ou de l'agora; mais elles sont ridicules et insensées, quand on s'en décore pour poser jusque dans l'église. Que vient-elle faire ici avec ces ornements d'or, cette femme qui doit y entrer précisément pour entendre que ni l'or, ni l'argent, ni les habits précieux n'embellissent une vraie chrétienne? Oui, femme chrétienne, pourquoi entrer ici ? Serait-ce comme pour combattre saint Paul et pour montrer que quand même il te ferait mille fois la leçon, tu refuses de te convertir? Serait-ce pour nous convaincre que, nous aussi, prédicateurs de l'assemblée sainte , nous perdons notre temps à redire ses avis?

Car, réponds-moi. Qu'un gentil ou qu'un infidèle entende lire ce passage de saint Paul qui interdit aux femmes dé se parer avec l'or, l'argent, les perles, les tissus précieux; que cet homme soit d'ailleurs marié à une femme chrétienne, et qu'il l'aperçoive ensuite heureuse de se parer de cette manière , fière de s'entourer d'or pour venir à l'église; ne dira-t-il pas en lui-même, en voyant cette femme qui se pare et se prépare dans son cabinet de toilette : Pourquoi donc fait-elle dans ce cabinet une si longue séance? Pourquoi ces longs apprêts? Pourquoi prend-elle aujourd'hui ses bijoux d'or? Où veut-elle aller enfin? A l'église? Mais qu'y faire? Pour entendre que tout ce luxe est condamné? A cette idée, à ce spectacle, l'infidèle ne va-t-il pas rire, et rire aux éclats? Ne va-t-il pas croire que toute notre religion n'est qu'un jeu et une duperie?

Ecoutez donc, et mes avis et ma prière: laissons aux pompes mondaines ces ornements d'or ; laissons-les aux théâtres et aux décors exposés dans les boutiques des marchands ; gardons-nous de vouloir ainsi embellir l'image de Dieu; et plutôt rehaussons-la de grâce vraie et de dignité, de cette dignité qui ne s'allie jamais avec le faste et les ornements malséants.

Voulez-vous même gagner l'honneur et l'estime des hommes? Voilà le moyen d'y parvenir. On admirera toujours moins la femme d'un opulent du siècle quand elle portera ces soieries et ce luxe, qu'on rencontre partout, que quand elle se présentera sous une mise simple et commune, avec la simple robe de laine. Ce genre, tout le monde l'admire; cette mise, chacun y applaudit. Car dans cette toilette qui prodigue les broderies d'or et les tissus précieux, la femme riche a bien des rivales ; elle surpasse l'une , mais l'autre la surpasse; et dût-elle les vaincre toutes, l'impératrice au moins aura sur elle la victoire. Avec la simplicité , au contraire , elle triomphe de toutes les autres femmes, même de l'épouse d'un roi ou d'un empereur : seule, et jusque dans l'opulence, elle a choisi l'extérieur des pauvres.

Ainsi, supposé que nous aimions la gloire, la voici plus grande et plus pure. Mais je ne parle pas seulement aux veuves et aux riches : les veuves n'auraient l'air d'être modestes qu'à cause de la gêne qu'apporte le veuvage ; je m'adresse aussi aux femmes mariées. — Je ne plairai donc plus à mon mari, dira l'une d'elles? — Ah ! tu ne désires pas plaire à ton époux, mais à une foule de misérables femmelettes ; ou plutôt loin de vouloir leur plaire, tu cherches à les faire sécher de dépit, à faire ressortir leur pauvreté. Que de blasphèmes se prononcent à cause de toi !... Malheur à la pauvreté, s'écrieront-elles; Dieu déteste les indigents; Dieu n'aime pas les pauvres! Une preuve, d'ailleurs, une preuve évidente que tu ne cherches pas à plaire à ton mari, que ce n'est pas là le motif de ta toilette, c'est la propre conduite en ceci. A peine rentrée dans ton appartement, tu dépouilles aussitôt toutes tes parures, robes, bijoux, perles; tu ne les portes pas chez toi.

Si vraiment vous voulez plaire à vos maris, vous en avez les moyens, je veux dire la douceur, (575) les prévenances, la sagesse. Croyez-moi bien, femmes chrétiennes, lors même que votre mari montrerait les penchants les plus malheureux et les plus abjects, voici les moyens qui le regagneront: douceur, bonté, modestie, sagesse, mépris d'un vain luxe et d'une dépense exagérée, humilité et soumission. En vain imagineriez-vous mille inventions de toilette , vous ne maintiendrez pas un mari impudique et débauché. Elles le savent, celles qui sont partagées d'époux semblables. En vain voudrez-vous employer la parure ; s'il est incontinent, il est vite adultère. et s'il est sage et pudique, ce n'est pas votre toilette qui le captive; c'est au contraire votre modestie. Votre luxe même l'ennuie et .l'inquiète, parce qu'il lui donne l'idée que vous êtes esclave de ces vaines parures et d'un monde insensé. J'accorde qu'un mari, doux et modéré, vous respectera et ne vous exprimera point cette pensée ; mais dans son coeur il vous condamne , mais il n'est pas maître d'étouffer un sentiment de jalousie. De jalousie ! ô femme, de jalousie contre vous, et parce que vous l'éveillez vous-même. N'est-ce pas assez pour vous faire repousser à l'avenir tout vain plaisir de luxe ?

7. Peut-être ne m'entendez-vous ici qu'avec chagrin ; peut-être la colère vous fait dire : Voilà qu'il irrite les maris contre leurs femmes ! Non, je neveux pas irriter les maris; mais je désire, épouses chrétiennes, que vous-mêmes de bon coeur, vous fassiez ce sacrifice, non pour eux, mais pour vous; non pour les délivrer de préoccupations jalouses, mais pour vous délivrer vous-mêmes de ces fantômes de la vie mondaine. Vous voulez être belle; je demande aussi pour vous la beauté, oui, la beauté que Dieu cherche, la beauté qui charme le souverain Roi. Quel ami voulez-vous, Dieu ou les hommes? Si vous êtes ainsi vraiment belle, Dieu sera épris de vos attraits; si vous avez l'autre beauté sans celle-ci, il vous prendra en horreur, et vous ne serez aimée que par des hommes criminels. Car il ne peut être honnête, celui qui aime une femme enchaînée par le mariage : et c'est le triste effet d'une parure tout extérieure. Autant l'une, celle de votre âme, veux-je dire, gagne le coeur de Dieu, autant l'autre éprend des hommes criminels.

Voyez-vous que votre seul intérêt m'inspire, que je suis dévoué à votre bien, à votre véritable beauté? Ah oui! vous serez vraiment, d'après moi, et belles et glorieuses; car la vraie gloire d'une noble femme, c'est que vous ayez pour vous aimer, non pas les hommes du crime, mais Dieu, mais le Seigneur du monde entier. Ayant si haut votre ami principal, à qui ressemblerez-vous ? aux anges mêmes dont vous conduirez les choeurs. Car si la personne aimée du roi est, plus qu'aucune autre, proclamée bienheureuse, quelle sera la dignité de celle que Dieu même aimera d'un amour tendre ? Nommez, si vous le voulez, nommez et comparez l'univers avec cette beauté : l'univers n'en sera jamais digne !

Cultivons donc cette beauté; ornons-nous de cette parure, pour arriver au ciel, aux banquets de l'Esprit, jusqu'au lit nuptial de cet époux sur lequel aucune mort n'a plus d'empire. La beauté charnelle est attaquée par toute sorte d'ennemis; gardât-elle son éclat; fût-elle, par impossible, à l'abri de la maladie et des chagrins, elle ne dure pas vingt ans. Sa céleste rivale, au contraire, garde toujours et sa force et sa fleur. Ici, point de tristes changements à redouter : la vieillesse ne se hâte point de lui apporter les rides; la mort ne tombe pas sur elle pour la flétrir; les amertumes de l'âme ne peuvent la corrompre: elle triomphe de tous ses ennemis. La beauté du corps s'est évanouie avant même de paraître ; et pendant qu'elle parait, elle a peu d'admirateurs. Ne la cultivons pas, mais plutôt aimons et embrassons celle qui doit un jour mettre en nos mains les lampes allumées, et nous conduire jusqu'en la chambre de l'Époux. Ce bonheur est promis, non pas à la virginité proprement dite seulement, mais aux âmes virginales surtout; car si les vierges seules y avaient droit, cinq sur dix n'en auraient pas été exclues. C'est donc la récompense de tous ceux qui ont l'âme virginale, de tous ceux qui savent s'affranchir des pensées du siècle , puisque ces idées sont les corruptrices des âmes.

Oui, si nous savons conserver l'intégrité et la pureté de nos coeurs, nous irons là-haut, et là-haut on nous recevra. « Je vous ai fiancés, disait saint Paul, comme on ferait d'une seule vierge à un seul mari, comme une chaste épouse pour Jésus ». (II Cor. XI, 2.) Ces paroles s'adressaient non pas aux vierges seulement, mais à toute l'Eglise, à tous ses fidèles enfants. Gardez-vous une âme sans tâche? vous êtes vierge, bien que vous ayez un époux ; oui, vous l'êtes, et de cette virginité que je proclame vraie et admirable. La virginité du corps n'est que la compagne, que l'ombre de cette virginité seule véritable.

Cultivons-la, et par elle nous pourrons joyeusement partir au-devant de l'Époux, et entrer avec nos lampes brillantes de lumière , pourvu que l'huile n'y manque pas, pourvu que faisant fondre et sacrifiant tout vain ornement d'or, nous sachions les convertir en cette huile précieuse qui nourrit la flamme d'une lampe étincelante. Cette huile, c'est la charité envers le prochain. Si nous savons faire part aux autres de tous nos biens, si nous en faisons de l'huile ainsi, nous trouverons alors protection et défense ; nous n'aurons pas à crier au grand jour: « Donnez- nous de votre huile, parce que nos lampes s'éteignent ». (Matth. XXV, 8.) Nous n'aurons pas à faire appel aux autres, à courir chez ceux qui en vendent, à nous voir exclus, à frapper à la porte, à entendre cette parole qui donne la terreur et le frisson : « Je ne vous connais pas! » car il nous reconnaîtra; car nous entrerons avec cet Epoux, et après avoir pénétré jusque dans la chambre nuptiale de notre Epoux spirituel, nous jouirons de biens ineffables.

En effet, si l'appartement de l'Époux, ici-bas, est si magnifique; si les salles de ses banquets sont tellement splendides, que la vue n'en fatigue jamais, combien plus au ciel ! Le ciel, oui, est un lit nuptial; mais le lit nuptial de l'Époux est plus beau que le ciel. Et c'est là que nous entrerons ! Et si le lit nuptial de l'Époux a tant de beauté, quel sera l'Epoux lui-même? Mais pourquoi vous ai-je dit de déposer ces ornements d'or pour les donner aux pauvres? Fallut-il, ô femmes, vous vendre vous-mêmes, fallut-il descendre avec vos enfants jusqu'à la servitude, afin de pouvoir être avec cet Epoux, pour jouir de toute sa beauté, pour contempler à jamais ses traits, ne devriez-vous pas gaiement et de grand cœur tout accepter? Pour voir un roi de la terre, souvent nous laissons échapper de nos mains un objet même nécessaire; mais pour contempler ce Roi, votre Epoux, combien plus volontiers il faudrait tout subir! Les biens de ce monde, en effet, ne sont que des ombres: là seulement est la vérité ! Oui, pour voir dans les cieux ce Roi, cet Epoux ; et surtout pour le bonheur de marcher devant lui, lampe en main, d'habiter près de lui, de résider à tout jamais avec lui, que ne faut-il pas faire; que ne faut-il pas produire; que ne faut-il pas supporter?

Ah ! concevons, je vous en supplie, quelque désir vrai de ces biens célestes: désirons cet Epoux immortel. Soyons vierges de la virginité véritable : car Dieu exige la virginité de l'âme. Avec elle entrons aux cieux; mais sans avoir ni tache, ni ride, ni défaut d'aucune sorte, qui nous empêcherait de gagner les biens promis. Puissions-nous y arriver tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ!

 

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