Analyse
1 et 2. L'orateur, contre son ordinaire, commence par une
instruction morale, bien qu'il doive finir encore par une homélie de même espèce.
Différence entre les saints et nous; notre attachement à la terre ; nos vices,
condamnés même par nos complices. Détachement et vertus d'Abraham, d'Isaac et de
Jacob, surtout en face de notre lâcheté qui ne sait ni vivre ni mourir. En quel
sens Dieu s'appelle le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Magnifique
développement de ce mot « leur Dieu ». 3. La persévérance est nécessaire si nous ne
voulons entendre le terrible nescio vos. Elle l'est
tellement que les prêtres, les évêques même , sans la
sainteté personnelle, doivent plus que personne redouter ce terrible arrêt. Moyen
de persévérance et de conquête pour la vertu. Se proposer d'en gagner une par mois, et
aller de lune à l'autre, pas à pas, avec humilité et courage.
1. La première vertu, toute la vertu consiste à vivre dans ce monde comme des hôtes d'un jour et des étrangers, sans nous mêler aux affaires de ces basses régions, en nous détachant de ce monde, comme d'un pays inconnu, semblables à ces bienheureux dont il est écrit : « Ils erraient vagabonds , couverts de peaux de chèvres, indigents, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne ». (Hébr. XI, 37.) Ils se déclaraient ainsi étrangers et simples passagers de la vie. Paul, se servant d'une expression bien autrement énergique, ne se considérait pas seulement comme passant et étranger ici-bas, mais comme mort à ce monde déjà mort pour lui. Oui, disait-il, « le monde est crucifié pour moi; et je suis crucifié pour le monde ». (Gal. VI, 14.)
Nous faisons tout le contraire. Toute notre conduite ici-bas prêterait à croire que nous sommes citoyens de la terre; nous travaillons comme si nous y étions fixés pour toujours. Les justes n'étaient, pour le monde, que des passagers, que des morts, tandis que vivant pour le ciel, ils réglaient leur conduite en conséquence; mais nous, en revanche , nous sommes pour le monde ce qu'ils étaient pour le ciel; nous sommes pour le ciel ce qu'ils furent pour le monde. C'est pourquoi l'on peut dire que nous sommes morts, puisque nous renonçons à la vie véritable pour nous attacher à cette vie éphémère d'ici-bas. Voilà ce qui attire sur nous la colère de Dieu: il nous proposait de jouir des biens célestes, et nous n'avons pas même voulu nous détacher des biens terrestres. Semblables à ces misérables vers qui changent de lieu sans jamais quitter la boue, nous allons de terre en terre, nous ne voulons pas même sortir un instant de cette fange, et nous soustraire aux affaires humaines. On nous croirait ensevelis dans le sommeil, la léthargie ou l'ivresse, tant notre oeil s'effraie en s'ouvrant au jour. Comme ces gens qu'un doux sommeil retient dans leur lit d'abord toute la nuit, puis une partie du jour, sans qu'ils rougissent de donner au sommeil et à la paresse le temps du travail et de l'étude, de même nous, lorsque le jour approche déjà, que la nuit s'en va, ou plutôt le jour (« Travaillez», est-il dit, « tant qu'il fait jour) », nous faisons en plein jour (552) les oeuvres de la nuit, nous dormons, nous rêvons, nos visions nous charment, les yeux de notre corps et de notre âme se tiennent fermés nous parlons à l'aventure et même imprudemment; nous resterions insensibles, quand bien même on nous plongerait un fer dans le sein , quand on pillerait tous nos biens, quand on mettrait le feu à notre maison. Il a plus : nous n'attendons pas que d'autres nous causent ces maux, nous nous les faisons nous-mêmes. II ne nous coûte rien de nous piquer, de nous frapper; de nous étendre honteusement et à plat ventre, de nous dépouiller de tout honneur et de toute estime ; nous n'avons pas même la précaution de cacher nos hontes, ni de permettre qu'ors les cache ; nous vivons en pleine turpitude, exposés aux rires et aux outrages de ceux qui nous voient ou qui nous approchent. Car ignorez-vous que les gens pervers eux-mêmes se moquent de ceux qui leur ressemblent, les condamnent? Dieu nous a donné, en effet, la raison, juge ferme et incorruptible, même en ceux qui sont tombés dans les derniers bas-fonds du vice ; c'est pourquoi les méchants se condamnent eux-mêmes; et si par hasard on les appelle du nom trop honteux qu'ils méritent, on les voit rougir, sentir l'outrage, et prétendre qu'on les insulte. Ainsi, même chez eux, les: paroles, sinon les actes, condamnent leur conduite au tribunal de leur conscience; je dirai même que leurs actes en font l'aveu : rien qu'en se couvrant de ténèbres et de secret pour faire le mal, ils montrent clairement ce qu'ils pensent de leur triste vie.
C'est que le vice, en effet, est si manifestement condamnable, que tous, même ceux qui s'y livrent, en sont les accusateurs. La vertu, au contraire, est un bien si noble, que ceux-là même l'admirent, qui n'ont pas le coeur de la pratiquer. Le libertin fera l'éloge de la chasteté; l'avare condamnera l'injustice; l'homme colère admirera la patience, et blâmera comme un, vice le ressentiment; le débauché condamne la débauche. Mais, dira-t-on, comment expliquer qu'on s'abandonne au vice? Par excès de lâcheté, mais toujours avec la pensée qu'on ne suit pas la bonne voie. Autrement on ne rougirait pas de son oeuvre, on ne la désavouerait pas, quand un autre vous accuse. N'a-t-on pas vu de ces esclaves du crime, ne pouvoir supporter le déshonneur, et se suicider? tant est profond en nous ce témoignage intime du bon et de l'honnête ! tant le bien moral est plus brillant que le soleil, tandis que son contraire est tout ce qu'il y a de plus repoussant !
2. Les saints étaient des passants et des étrangers : comment cela? En quel endroit Abraham fait-il cet aveu? Il a dû le faire, si l'on en juge par sa vie. Mais David l'a exprimé formellement pour lui; écoutez-le : « Je suis un passager et un étranger, comme tous mes pères ». (Ps. XXXVIII, 13.) Au reste ces patriarches qui habitaient sous des tentes, qui achetaient jusqu'à leur sépulcre, étaient bien des hôtes et des étrangers, n'ayant pas même un lieu pour ensevelir leur famille. Mais quoi! se disaient-ils étrangers pour la Palestine seulement? Non, mais aussi pour le 'monde entier. Et c'était vrai : car ils ne voyaient, sur
toute la terre, rien de ce qu'ils désiraient, mais rien que des objets absolument étrangers à leurs yeux. Ils voulaient, eux, pratiquer la vertu ; ils ne trouvaient dans ce monde que le vice partout régnant. Tout ici-bas leur paraissait étranger et inconnu. Point d'amis; point d'alliés, à part quelques parents.
Comment encore étaient-ils les hôtes et non les habitants du siècle? C'est qu'ils n'avaient aucun souci des choses d'ici-bas, et qu'ils montraient par leurs paroles et leurs actions ce détachement parfait. Par exemple, Dieu dit à Abraham : Abandonne cette terre qui semble être ton pays, et viens dans un pays étranger (Gen. XII, 1) ; et lui, sans donner le baiser d'adieu à ceux de sa famille qu'il laissait, quitte sa patrie comme s'il allait quitter une terre étrangère. Dieu lui dit : Immole-moi ton fils (Gen. XXII, 2), et il l'offrit comme s'il n'avait pas eu de fils, et il en fit l'oblation, comme si lui-même n'avait pas été revêtu de notre nature. Sa bourse appartenait à ceux qui s'approchaient de lui; la fortune était pour lui comme rien ; il cédait. aux autres la première place; se jetait lui-même dans les dangers, souffrait des maux infinis. il ne bâtissait pas des maisons splendides, ne cherchait pas les délices, n'avait aucun souci du vêtement ni de toutes les vanités du siècle. Mais il faisait tout pour la cité d'en-haut. On le voyait pratiquer l'hospitalité, l'amour de ses frères, l'aumône, la patience, le mépris des richesses, de la gloire et de toutes les choses présentes. Son fils partageait ses vertus : poursuivi, attaqué à main armée, il cédait, il abandonnait la contrée, s'y regardant comme sur la terre d'autrui; car les étrangers souffrent tout, comme n'étant point du pays. Lui ravissait-on son épouse? Il supportait cette injure, comme étranger encore il réservait son ardeur pour toutes les choses célestes, déployant à chaque heure la modération, le respect de lui-même, la continence. Devenu . père, en effet., il cessa de voir son épouse, qu'il avait choisie, d'ailleurs, lorsqu'il n'avait déjà plus la vigueur de la jeunesse, montrant ainsi qu'en contractant mariage, il avait obéi, non pas à la passion, mais au désir de servir à la promesse de Dieu.
Que dirons-nous de Jacob? ne demandait-il pas uniquement le pain et le vêtement, qui sont bien le nécessaire des passants pauvres, des plus pauvres même parmi eux? Poursuivi et persécuté, ne cédait-il pas ? Ne fut-il pas nécessaire? Ne souffrit-il pas à l'infini dans sa pérégrination vagabonde? Par cette résignation à souffrir, les patriarches montraient assez qu'ils cherchaient une autre patrie. Mais, ô ciel ! Quel triste contraste! Ils étaient comme la mère qui enfante dans la douleur, désireux de partir d'ici et de revenir à leur vraie patrie; et nous, air contraire, à la première fièvre, oubliant tout, éplorés commodes petits enfants, nous craignons la mort, et nous méritons vraiment d'être ainsi faibles et lâches. En effet, bien loin de vivre ici comme les hôtes d'un jour, bien loin de nous hâter comme marchant à la patrie; nous avons l'air d'aller au supplice, nous sommes dans la douleur, parce que nous n'avons pas usé (553) comme il faut des choses de ce monde, parce que nous avons renversé l'ordre. Aussi pleurons-nous, quand il faudrait nous réjouir; aussi tremblons-nous, comme des assassins, comme des chefs de brigands, qui, prêts à paraître en jugement, se rappellent leurs forfaits et qui en partant, craignent et frissonnent d'épouvante.
Tels n'étaient pas les saints, mais ils avaient hâte d'arriver à leur fin, mais Paul gémissait de lattendre. Ecoutez sa parole: «Nous qui sommes dans cette tente du corps, nous gémissons sous son poids ». (II Cor. V, 4.) Tel était Abraham et ses saints compagnons dans la vie : étrangers, selon l'apôtre, sur toute la terre, « ils cherchaient la pairie ». Et quelle patrie? Celle qu'ils avaient quittée. Non. « Qui les empêchait, en effet, d'y revenir » et. d'y garder leur droit de cité? « Ils cherchaient celle qui est dans les cieux ». Ils avaient hâte de sortir d'ici, et ce sentiment les rendait si agréables à Dieu, « qu'il ne rougissait pas de s'appeler leur Dieu ».
Ciel ! quelle dignité ! « Il lui fut agréable de s'appeler leur Dieu ». Grand apôtre, que dites-vous? Il s'appelle le Dieu du ciel et de la terre, et vous avez montré comme un titre de grandeur pour lui qu'il ne rougit pas de s'appeler leur Dieu? Grand honneur, certes, honneur bien grand pour eux, et qui nous prouve leur grande béatitude aussi ! Comment? C'est qu'on l'appelle Dieu du ciel et de la terre, comme on le nomme le Dieu des nations, parce qu'il est de toutes choses l'auteur et le créateur;-mais ce nom est appliqué aux saints patriarches dans un autre sens : « Leur » Dieu, il l'est comme on dirait « leur » meilleur ami. Je veux vous rendre cette vérité évidente par un exemple. Voyez ce qui se passe dans les grandes et riches maisons. Leur personnel est souvent commandé par quelques serviteurs choisis parmi les autres, qui sont en grande estime, administrent tout à leur gré, jouissent de la pleine confiance de leur maître, et celui-ci emprunte leur nom. Vous en trouverez plusieurs qui acceptant cette dénomination; que dis-je d'ailleurs? Comme on pouvait désigner le Seigneur non-seulement sous le nom de Dieu des nations, mais de Dieu de toute la terre, en ce sens aussi on pouvait l'appeler le Dieu d'Abraham. Mais vous ne savez pas quelle dignité cache un tel nom, parce que, hélas ! nous ne savons pas acquérir un semblable honneur. De même, en effet, qu'aujourd'hui le Seigneur est appelé le Dieu de tous les chrétiens, et que ce nom, malgré sa généralité, est bien trop honorable encore pour notre indignité, pensez au moins quelle est la grandeur d'un personnage, quand le Seigneur est appelé son Dieu, le Dieu de lui seul! Or, le Dieu du monde entier ne rougit pas de s'appeler le Dieu de ces trois patriarches, parce qu'en effet ces trois saints avaient à eux seuls autant de valeur, je ne dis pas que ce monde terrestre seulement, mais qu'une infinité de mondes comme le nôtre! « Car », dit le Sage, « un seul homme qui fait la volonté de Dieu est meilleur que dix mille impies ». (Ecclés. XVI, 3.)
:Maintenant, qu'ils s'appelassent des passants dans le sens relevé que j'ai dit, la chose est évidente. Au reste, accordons un instant qu'ils se donnaient. ce titre simplement parce qu'ils habitaient un pays étranger. Mais alors répondez à David. N'était-il pas, celui-ci, roi et Prophète? ne vivait-il pas dans sa patrie? Pourquoi donc dit-il : « Je ne suis qu'un hôte et un étranger?» Comment expliquer ces noms? Et il ajoute : « Comme tous mes pères ». Ceux-ci, vous le voyez donc, étaient des étrangers aussi. C'est comme s'il affirmait: Nous avons une patrie, ruais ce n'est pas la patrie véritable. Où donc êtes-vous un passant? Sur la terre; lui comme eux, eux comme lui.
3. Soyons donc, nous aussi, comme des passagers en ce monde d'un jour, afin que Dieu ne rougisse pas de s'appeler notre Dieu. Car il a honte d'être appelé le Dieu des méchants; autant il est peiné d'être leur Dieu, autant il se glorifie d'être celui d'enfants honnêtes, bons, vertueux. Ne refusons-nous pas de nous laisser appeler les maîtres de serviteurs méchants? Oui, nous les désavouons, et si l'on vient nous dire : Tel individu a commis d'innombrables méfaits, ne serait-il pas votre domestique? Un « non » énergique est notre réponse; nous repoussons ce titre comme un outrage, parce qu'entre serviteur et maître, les rapports trop intimes et trop fréquents, font rejaillir sur l'un le déshonneur de l'autre : combien plus notre Dieu devra suivre cette même conduite! Les saints patriarches avaient une si noble conduite, étaient si confiants en Dieu et si sincères, que le Seigneur, loin de rougir d'emprunter leurs noms, disait pour se désigner lui-même : « Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ». (Exod. III, 6.) Ah! soyons, nous aussi, mes frères, de ces étrangers dans le monde, de peur que Dieu ne rougisse de nous, oui, qu'il n'en rougisse, hélas! jusqu'à nous livrer aux flammes de l'enfer.
Ainsi furent indignes de lui ceux qui disaient « Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom? n'avons-nous pas fait en votre nom maints prodiges? » ( Matth. VII, 22.) Or, écoutez la réponse de Jésus : « Je ne vous connais pas ! » C'est, au reste, la réponse que feraient aussi les maîtres ordinaires qui verraient s'approcher d'eux tels ou tels serviteurs méchants; ils les repousseraient comme le déshonneur même. Je ne vous connais pas, dira le Seigneur. Mais comment punissez-vous ceux que vous ne connaissez pas, ô mon Dieu? Je ne vous connais plus, ai-je dit; en d'autres termes, je vous renie, je vous renvoie !
A Dieu ne plaise que nous entendions jamais cet anathème terrible et mortel ! Si des hommes qui chassaient les démons et avaient le don de prophétie, se virent reniés pour n'avoir pas mis leur conduite en harmonie avec leurs paroles, combien plus Jésus-Christ nous reniera-t-il, nous qui n'avons rien de ces grâces extraordinaires?Mais, direz-vous, comment est-il possible d'être ainsi renié après avoir prophétisé, fait des miracles, chassé des démons? C'est que vraisemblablement plus tard ils s'étaient pervertis et dépravés, de sorte que leurs vertus précédentes leur devinrent inutiles. Car il nous faut avoir (554) non-seulement des commencements irréprochables, mais une fin plus sainte et plus belle encore. L'orateur, dites-moi, n'a-t-il pas soin de réserver pour la fin de son discours, les traits les plus brillants, afin de se retirer couvert des applaudissements de l'auditoire? Le gouverneur d'une ville ne veut-il pas aussi terminer son administration par des faits glorieux? Ne faut-il pas que l'athlète se montre de plus en plus grand dans la lutte, et qu'il triomphe jusqu'à la fin, puisque, si, après avoir vaincu tous ses autres adversaires, il l'est enfin lui-même par le dernier, toutes ses victoires deviennent inutiles? Et quand un pilote a traversé la vaste mer, s'il vient échouer au port, ne perd-il pas tout le fruit de ses peines antérieures? Un médecin n'a-t-il pas tout perdu, si après avoir sauvé son malade, en lui administrant le dernier médicament, il lui apporte la mort? Ainsi dans la carrière de la vertu, il faut mettre la fin d'accord avec le commencement, le début avec le terme, ou bien périr absolument, et perdre le prix comme ces écuyers qui , entrés en lice avec gloire, avec élan, avec orgueil, perdent courage en approchant du but. Voilà comme on se prive de la palme, et comme à la fin le roi ne vous connaît pas.
Ecoutons ceci, nous tous qui aimons l'argent, puisque c'est la passion la plus désordonnée, « puisque l'amour des richesses est la source de tous les maux ». (I Tim. VI, 10.) Ecoutons donc, nous qui voulons toujours accroître, élargir nos propriétés ; entendons ces avis, et brisons avec le désir d'amasser toujours; sous peine d'entendre, comme ces malheureux damnés, l'anathème du désaveu de Dieu. Prenons garde, ouvrons aujourd'hui nos oreilles pour ne pas les ouvrir trop tard alors. Ecoutons avec crainte aujourd'hui, pour ne pas écouter avec le châtiment alors, ce redoutable arrêt : « Retirez-vous de moi, je ne vous ai jamais connus » (Maith. VII, 23), lors même que vous faisiez des prophéties et que vous chassiez les démons.
L'Ecriture, au reste, nous fait entendre aussi très-probablement que certains prédicateurs comme ceux-là-, menaient dès le début une vie criminelle ; dans les commencements du christianisme, la grâce opérait même par d'indignes ministres. Si elle a opéré en effet par Balaam, combien plutôt, dates l'intérêt de ceux qu'ils devaient gagner, Dieu daigna employer d'indignes instruments. Toutefois, ni les miracles, ni les prodiges ne purent leur éviter le supplice. Et c'est pourquoi, en vain un mortel aurait été revêtu de la dignité sacerdotale, en vain serait-il parvenu aux plus hauts sommets de la hiérarchie, en vain la divine grâce l'aurait consacré par l'imposition des mains pour répartir toutes les faveurs de Dieu sur ceux qui ont besoin de la défense et de la protection céleste; lui aussi devrait entendre un jour : Je ne t'ai jamais connu, pas même au jour où ma grâce opérait par toi ! Ciel! quelle redoutable enquête sur la pureté de conduite doit se faire dans l'autre vie ! Comme, à elle seule, cette pureté suffirait pour nous ouvrir le royaume des cieux! comme au contraire, lorsqu'elle manque, c'est assez pour que nous soyons livrés au supplice, quand bien même nous pourrions montrer par milliers les prodiges et les miracles. Il n'est rien, pour combler de joie le coeur de Dieu, comme une conduite de vie irréprochable. Il ne dit pas : « Si vous m'aimez », faites des prodiges; mais quoi! que dit-il ? « Observez mes commandements ». (Jean, XIV, 15.) Et ailleurs : « Je vous appelle mes amis », non pas quand vous chassez les démons, «mais si vous gardez mes paroles». (Jean, XV, 10.) Les miracles sont un pur don de Dieu, les vertus sont à la fois dons de Dieu et oeuvres de notre bon vouloir et de notre application.
Empressons-nous de gagner l'amitié de Dieu, et ne persévérons pas dans son inimitié. Voilà ce que nous ne cessons de vous dire; voilà un avis que nous nous adressons toujours à nous comme à vous-mêmes; mais tous nos efforts sont stériles. Et c'est pourquoi je crains. Volontiers j'aurais gardé le silence, pour ne pas augmenter encore vos dangers. Car toujours entendre et ne jamais pratiquer, c'est irriter Dieu. Mais, si je me tais, je dois redouter un autre danger de mon silence; puisque le ministère dé la parole m'a été confié. Que ferons-nous donc pour être sauvés? Commençons le travail de la vertu, pendant que nous avons le temps. Divisons ce saint travail des vertus à acquérir, comme le laboureur fait pour les travaux des champs. Attaquons, durant ce mois, l'esprit de médisance et d'outrage ainsi que l'injuste colère; imposons-nous une loi, disons : Aujourd'hui nous ferons chrétiennement telle oeuvre. Dans un autre mois, formons-nous à la patience; dans un troisième, pratiquons telle autre vertu, et quand nous l'aurons conquise jusqu'à en posséder l'habitude, abordons une vertu nouvelle; toujours, comme à l'école, conservant l'acquis et gagnant tous les jours. Après cette conquête, abordons celle du mépris de l'argent. Il faudra commencer par désaccoutumer nos mains de l'avarice et de la cupidité, pour les dresser ensuite à faire l'aumône. N'allons pas, en effet, confondre au hasard le vice et la vertu, jusqu'à faire servir les mêmes mains au vol et à la charité. Cette vertu étant gagnée, allons à une autre, et toujours ainsi que l'une nous mène à l'autre. « Que les choses « honteuses, les discours ineptes ou boutons ne « soient pas même nommés parmi vous». (Ephés. V, 4.) Ne cessons pas de progresser dans le bien. Il ne faut , pour cela, ni dépense, ni fatigue, ni sueur : il suffit de vouloir, et tout est fait. Il n'est point nécessaire d'entreprendre un long voyage, ni de traverser une mer immense; il n'est besoin que d'un peu d'application, d'un peu de ferveur. Ainsi l'on impose un frein à sa langue et l'on prévient des paroles maladroites et méchantes; ainsi l'on déracine de sots âme, la colère, l'impureté, la prodigalité, la cupidité, les parjures, les serments inutiles et continuels. Si nous cultivons ainsi le champ de notre coeur, arrachant d'abord les épines, et jetant ensuite la semence céleste, nous pourrons conquérir les biens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.