Analyse.
1 et 2. Après la terreur, l'encouragement. Louanges
adressées aux Hébreux qui ont souffert pour Jésus-Christ, et se sont associés aux
souffrances de ses apôtres. La souffrance voulue, cherchée, subie avec joie, est
un héroïsme véritable : c'est celui des apôtres. La patience est nécessaire
toujours; elle naît comme nécessairement de la foi et de l'espérance. Magnifique
idée de la foi.
3 et 4. La foi est appuyée sur les prophéties du Sauveur; celles
qui se sont réalisées ne pouvaient l'être humainement; elles garantissent celles qui
concernent le jugement à venir. La fin des temps est proche. Celle du
monde, dit l'orateur, peut n'être pas loin; mais celle de chacun de nous est proche :
notre vie est si courte! Tremblons! Il y va de l'enfer! Nous jouons trop avec le
péché, et surtout avec celui de la détraction. Vains subterfuges pour couvrir la
médisance. Nous répondrons de nos paroles peu charitables au jugement de Dieu.
1. Quand un grand médecin vient de faire à son malade une incision profonde et d'ajouter à ses douleurs une plaie cuisante, il s'empresse de soulager le membre souffrant et de prodiguer à cette âme troublée les secours et les encouragements; bien loin de vouloir trancher de nouveau dans le vif, l'homme de l'art emploie sur la première plaie les médicaments les plus adoucissants, et tout ce qui peut enlever le sentiment de la douleur. Telle est aussi la méthode de Paul. Il lui a fallu secouer fortement ses chers disciples, et les toucher de componction par le souvenir de l'enfer dont il a parlé; il a dû leur déclarer que le prévaricateur qui aura violé la loi de grâce est certain de périr; et il a démontré cette perte assurée par les lois de Moïse; il a même confirmé son dire par d'autres témoignages, et déclaré qu'il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant. Maintenant, il craint que leur âme,arrivant au désespoir par l'excès de la crainte, ne reste absorbée dans sa douleur; et il les console par les louanges, il les relève par l'exhortation, il leur présente une sainte rivalité avec eux-mêmes.
« Rappelez-vous », leur dit-il en effet, « ce premier temps où, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats de souffrances (32) ». Douce et puissante exhortation que celle qui est tirée de leurs propres oeuvres ! Aussi bien faut-il que celui qui débute dans une entreprise, fasse des progrès par la suite. C'est donc comme s'il disait : Au temps de votre initiation, quand vous n'étiez encore que disciples, vous avez montré une ardeur, une générosité dâme que vous ne montrez plus au même degré. Cette exhortation, vous le voyez, s'appuie sur leurs propres exemples. Et il ne dit pas : Vous avez soutenu des combats, mais de grands combats. Il n'emploie pas seulement le mot tentations, ruais celui de combats qui porte avec lui son éloge et tout un ensemble de magnifiques louanges. Ensuite il repasse une à une leurs victoires, développant son thème, redoublant les éloges. Écoutez : « Ayant été d'une part exposés devant tout le monde aux opprobres et aux mauvais traitements (33) ». C'est chose grave, en effet, qu'un opprobre; c'est chose capable de percer le coeur et de bouleverser l'âme, et de répandre les ténèbres dans une raison humaine. Entendez à ce sujet le Prophète : « Mes larmes ont été mon pain jour et nuit, tant qu'on m'a dit chaque jour : « Où est votre Dieu ? « Et encore : » Si mon ennemi m'avait outragé, je l'aurais enduré ». (Ps. XLI, 4; LIV, 13.) Comme les humains ont surtout la maladie de la vaine gloire, l'opprobre est un piège qui les prend facilement. Et, non content de rappeler les opprobres, l'apôtre témoigne qu'ils ont eu un caractère public de gravité : « Ils ont « été donnés en spectacle ». Lorsque quelqu'un se voit poursuivi de malédictions, sa peine est vive, mais elle l'est beaucoup plus quand elles retentissent devant tout le monde. Pour eux qui avaient quitté les rites si imparfaits du judaïsme, pour passer à une religion parfaite, en sacrifiant les traditions de leurs ancêtres, quel chagrin c'était, dites-moi, que de subir les mauvais traitements de leurs compatriotes, sans pouvoir même se défendre ! Bien que vous ayez tant souffert, ajoute-t-il, on ne peut dire que vous ayez fait entendre des plaintes, puisqu'au contraire vous en avez témoigné toute votre joie.
C'est dans le même sens qu'il leur dit. « Et d'autre part, ayant été compagnons de ceux qui ont souffert de pareilles indignités, vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes (34) », mettant en scène ici les apôtres. Non-seulement, dit-il, vous n'avez point rougi d'être maltraités par ceux de votre nation, mais vous avez été les compagnons d'autres martyrs encore, qui ont enduré les mêmes souffrances que vous. Vous reconnaissez ici dans saint Paul la voix qui console et qui encourage. Il n'a pas dit. Vous subissez avec moi les afflictions, vous partagez mes combats; mais: « Vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes ». Voyez-vous comme il parle de lui-même sans doute, mais, aussi d'autres captifs ? Vous n'avez point considéré ces chaînes comme des chaînes, leur dit-il, et sans vous effrayer, vous êtes demeurés fermes comme de (540) courageux athlètes; et loin d'avoir besoin d'être consolés dans vos tribulations, vous avez su consoler les autres.
« Et vous avez accueilli avec joie le pillage de vos biens ». Dieu ! quelle foi chez eux, pleine, certaine, convaincue ! Saint Paul fait bien voir la cause de leur fermeté, non-seulement pour les exhorter à de nouveaux combats, mais pour les engager à ne pas déchoir de cette foi sublime. Vous avez vu, dit-il, le pillage de vos biens, et vous l'avez supporté ; car vos regards se portaient alors vers les biens invisibles que vous envisagiez déjà comme visibles; preuve d'une foi éminente, que vous avez, d'ailleurs, manifestée par vos oeuvres. Mais ce pillage était peut-être, de la part de vos ennemis, un acte de pure violence que vous n'auriez pu empêcher? Il n'est donc pas évident que vous ayez subi votre ruine pour le motif de la foi ? Au contraire, c'était si évidemment pour la foi, que vous pouviez, en abjurant votre religion, conjurer ce pillage. Aussi avez-vous fait bien plus encore que. de consentir à le subir; vous l'avez supporté avec joie, ce qui est une vertu toute apostolique et digne de ces grandes âmes dont la joie éclatait jusque sous les fouets. Car il est dit « qu'ils revinrent joyeux de l'assemblée des juifs, parce qu'ils avaient été trouvés dignes d'être accablés d'outrages pour le nom de Jésus ». (Act. V, 41.) Au reste, cette joie dans la souffrance révèle dans un martyr l'espoir d'une récompense, et la conviction que loin d'y perdre, il y gagne certainement. Et ce mot : « Vous avez accueilli », montre une souffrance volontiers acceptée. Et pourquoi l'avez-vous choisie et accueillie ? C'est parce que « vous saviez que vous aviez d'autres biens plus excellents et permanents». «Permanents », c'est-à-dire fermes et durables, et non pas périssables comme ceux de la terre. Après les avoir ainsi loués, il dit :
2. « Ne perdez donc pas la confiance que vous avez, qui doit être récompensée d'un grand prix (35) ». Que dites-vous, bienheureux Paul? Vous ne prononcez pas qu'ils ont perdu la confiance, et qu'ils ont à la regagner; loin de leur ôter ainsi l'espoir, vous dites qu'ils l'ont encore, qu'ils ne doivent pas la perdre; et ainsi vous les encouragez. Vous l'avez encore, dit l'apôtre. Pour acquérir de nouveau ce qu'on a perdu, il faut plus de travail; il en faut bien moins pour éviter de perdre ce qu'on possède encore. Aux Galates son langage est tout autre : « Mes petits enfants, pour lesquels je souffre des douleurs de mère, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ». (Galat. IV, 19.) Il trouvait chez eux plus de paresse et de lâcheté; aussi avaient-ils besoin d'entendre des paroles plus énergiques. Les Hébreux avaient seulement le coeur faible et découragé; leur état réclamait donc un discours de guérison et d'encouragement. Ne perdez donc pas, leur dit-il, votre confiance : ils étaient donc en grande faveur auprès de Dieu. « Parce qu'elle doit être récompensée d'un grand prix ». Qu'est-ce à dire, sinon: nous la. recevrons plus tard? Si donc elle est réservée à une vie future, il ne faut pas la demander à celle-ci. Et de peur qu'on ne lui objecte : Mais nous avons tout sacrifié! Il prévient cette difficulté de leur part en disant équivalemment : Si vous savez que le ciel vous garde des biens tout autrement précieux, ne cherchez plus rien ici-bas. Car la patience vous est nécessaire, non pas que vous deviez combattre encore plus, mais pour que vous restiez dans les mêmes combats, et que vous ne jetiez pas à vos pieds la palme que vous tenez déjà. Vous n'avez qu'un besoin donc : c'est de résister, comme vous l'avez fait jusqu'ici afin qu'arrivés au terme de la carrière, vous receviez la récompense promise.
« Car la patience vous est nécessaire, afin que faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis (36) ». Votre unique et nécessaire devoir est donc de supporter le délai de Dieu, mais non pas de subir de nouvelles luttes. Déjà, leur dit-il, vous touchez à la couronne, vous avez vaillamment tout subi, combats, chaînes, afflictions ; tous vos biens ont été pillés. Que reste-t-il donc ? Désormais vous ne faites plus qu'attendre l'heure du couronnement ; vous ne supportez plus qu'une peine légère, celle du délai de votre couronne à venir. O magnifique consolation ! Il semble qu'on parle à un athlète qui a renversé et vaincu tous ses antagonistes, et qui ne voit plus se. lever aucun adversaire pour accepter la lutte; n'ayant désormais qu'à recevoir la couronne, il s'irrite du temps que le juge du combat met à venir enfin pour placer le laurier sur son front; impatient, il veut sortir de l'arène et fuir l'amphithéâtre, n'y tenant plus de chaleur et de soif. Que dit donc l'apôtre, dans une circonstance semblable ? « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas (37) ». Pour prévenir ce cri de leur impatience: Quand donc viendra-t-il? l'apôtre les console par les saintes Ecritures. Déjà, dans un autre passage, il encourage ses disciples, en disant : « Notre salut est plus proche », parce qu'il reste peu de temps à courir. Et il ne parle pas de lui-même, mais d'après les saints Livres. Car, si déjà dans ces temps lointains, on disait : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas » (I Rom. XIII, 11), il est évident que le Libérateur est plus voisin encore. L'attendre donc, c'est accroître encore la récompense.
« Or, le juste vivra de la foi. Que s'il se relire, il ne plaira pas à mon coeur (38) ». Exhortation bien pressante qui leur apprend que même après avoir été jusque-là parfaits dans leur conduite, ils perdraient tout par le ralentissement. « Mais quant à nous, nous ne sommes point les enfants de la révolte, ce qui serait notre ruine; mais nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos âmes (39) ».
« Or la foi est la substance des choses que lon doit espérer et une pleine conviction de celles qu'on ne voit point. C'est par la foi que les anciens Pères ont reçu un témoignage si avantageux ». (XI, 1, 2.) Ciel ! quelle admirable exactitude d'expression! La foi est la « démonstration », dit-il, « des choses qui ne paraissent pas encore » c'est-à-dire, la conviction pleine de l'invisible. La démonstration, d'ordinaire, ne se dit que d'une (541) vérité certaine. La foi est donc une vue de vérités non manifestes encore, et l'invisible qu'elle nous révèle doit être admis avec une persuasion aussi certaine que le visible. Ce que nous voyons, il nous est impossible de ne le pas croire ; or, si l'objet de la foi qui échappe à notre oeil ne nous paraît pas aussi vrai et plus sûr même que le monde visible, nous n'avons pas la foi. Comme les choses que nous espérons paraissent n'avoir pas de corps ni de consistance, la foi donne une substance et un corps à ces objets de l'espérance; ou plutôt, elle ne leur donne pas, elle est elle-même leur essence. Prenons un exemple : La résurrection n'est pas encore arrivée ; elle n'a donc pas encore de substance, elle n'existe pas; mais l'espérance lui crée une subsistance dans notre âme, voilà ce que veut dire : « La substance des choses qu'on doit espérer ». Si donc la foi seule a la démonstration de l'invisible, pourquoi voulez-vous voir celui-ci, et vous exposer à perdre la foi, à compromettre ce principe par lequel vous êtes justes, puisque le « juste vivra de la foi? » Si vous voulez être voyants, vous cessez d'être croyants. Vous avez travaillé et combattu, je me plais à le dire ; mais, attendez! Attendre, c'est la foi; ne cherchez pas tout ici-bas.
3. Ces paroles ont été dites aux Hébreux; mais l'avis qu'elles renferment s'adresse à un grand nombre de ceux qui sont ici rassemblés. A qui surtout? A ceux qui ont le coeur étroit et défaillant, à ceux aussi qui manquent de patience. Les uns et les autres ne peuvent voir la prospérité des méchants, ni leurs adversités à eux-mêmes, sans être accablés de tristesse et d'indignation, appelant sur ceux-là le supplice et la vengeance du ciel, en même temps que fatigués d'attendre leur propre récompense.
« Encore un peu de temps », disait saint Paul, « et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas ». Répétons-le, nous aussi, aux lâches et aux paresseux : la punition arrivera certainement, elle viendra , la résurrection même déjà est à nos portes. Mais qui le prouve, dira-t-on? Je ne demanderai pas mes preuves aux prophètes. Je ne parle pas seulement à des chrétiens en ce moment, mais mon auditeur fût-il un gentil, j'ai pleine confiance, j'apporte. des preuves certaines ; je puis le convaincre, lui aussi; et comment? Écoutez-moi.
Jésus-Christ a fait plusieurs prophéties. Si les unes ne se sont pas réalisées, ne croyez pas aux autres; mais si elles se sont accomplies en tous points, pourquoi douteriez-vous de celles qui restent à accomplir? Lorsqu'une partie de ces prophéties se sont accomplies, il serait aussi déraisonnable de ne pas croire aux autres, qu'il le serait d'y croire, si rien ne s'était encore accompli. Au reste, un exemple va rendre la chose évidente : Jésus-Christ a dit que Jérusalem serait prise, et qu'elle le serait avec des circonstances inouïes jusqu'alors, et qu'elle ne serait jamais rebâtie : sa prédiction s'est réalisée. Il a dit qu'une terrible affliction frapperait le peuple juif : elle est arrivée. Il a prédit l'extension de son Evangile, pareil d'abord au grain de sénevé : et nous le voyons se propager de plus en plus dans l'univers entier.
Il a prédit que quiconque abandonnerait
son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, retrouverait son père et sa mère; et nous
voyons ce fait réalisé. Il a dit à ses disciples : « Vous aurez des
tribulations en ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde »; c'est-à-dire,
personne ne vous vaincra, et l'événement nous l'a prouvé. Il a dit que les
portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Ég
Donc la fin est proche. Tremblons, mes frères. Mais quoi ! vous qui m'entendez, êtes-vous même inquiets de cette fin redoutable? Et pourtant la voici pour vous déjà imminente et présente. La vie s'achève, pour chacun de nous, et de plus en plus, la mort s'avance. Car, dit l'Écriture : « La somme de nos jours l'un dans l'autre est de soixante-dix ans; et pour les mieux partagés, quatre-vingts ans ». Le jour de notre jugement est proche; tremblons encore une fois. « Le frère ne rachète pas le frère : quel homme donc vous rachètera? » Nos regrets seront immenses, dans l'autre vie : « Mais dans la mort, personne ne pourra louer Dieu ! » Aussi est-il dit : « Prévenons sa face, pour le louer » (Ps. LXXXIX,10; XLVIII, 8 ; VI, 6 et XCIV, 2), c'est-à-dire devançons son avènement. De ce côté, nos efforts ont leur prix et leur puissance ; ils ne pourront rien dans lautre monde.
Dites-moi, je vous prie, si l'on nous renfermait pour un temps assez court dans une fournaise embrasée, ne ferions-nous pas tous les sacrifices pour être délivrés, fallût-il donner toute notre fortune, fallût-il subir l'esclavage? Combien d'hommes sous le poids de maladies graves seraient prêts à donner tout pour guérir, si on leur laissait le choix! Si donc une maladie, si peu qu'elle dure, nous ennuie et nous tourmente à ce point, que ferons-nous dans cet autre monde où la pénitence même sera impossible?
Que de maux nous accablent, que nous ne sentons même pas! nous nous mordons les uns les autres, nous nous entre-dévorons par mille injustices, accusations, calomnies, jalousies chagrines de la gloire du prochain. Et voyez quel péché grave! Quand on veut blesser la réputation du prochain, l'on dit : « Un tel ou un tel a dit cela! Que Dieu me pardonne!... Qu'il ne m'examine pas moi-même; je ne suis coupable que d'avoir entendu ». Mais si vous n'y croyez pas, (542) pourquoi le dites-vous, enfin? Pourquoi le répétez-vous ? Pourquoi à force d'en répandre le bruit, rendez-vous le fait croyable? Pourquoi colporter un mensonge? Vous n'y croyez pas, et vous demandez que Dieu vous épargne son redoutable examen ? Ah ! plutôt, ne dites rien, taisez-vous, et alors seulement soyez rassuré.
4. Je ne sais vraiment comment cette maladie a pu envahir les hommes. Non, nous ne sommes que des comédiens; nous ne savons rien garder dans notre âme. Ecoutez l'avis du Sage : « Avez-vous entendu un bruit fâcheux? qu'il meure dans votre sein; ne craignez pas; votre coeur n'en crèvera point! » Et ailleurs : « L'insensé a entendu une parole; il est en travail pour la redire, comme la femme qui enfante ». (Ecclés. XIX, 10, 11.) Nous sommes si prompts à l'accusation, si disposés à condamner! Ah! quand nous n'aurions pas commis d'autre péché, celui-là suffirait pour nous perdre et nous conduire en enfer. Il nous enveloppe, il nous jette dans un réseau inextricable de fautes sans nombre.
Pour mieux l'apprécier, écoutez le Prophète : « Tu t'asseyais pour parler contre ton frère ». (Ps. XLIX, 20.) Mais ce n'est pas moi, dites-vous, c'est cet autre. Non, c'est vous autant que lui. Car si vous n'aviez rien dit, il n'aurait rien appris. Et dût-il même l'apprendre d'ailleurs, au moins ne seriez-vous pas coupable de péché, lorsque votre devoir est de couvrir et de cacher les fautes du prochain. Mais vous, sous prétexte d'aimer la vertu, vous les révélez, et vous êtes moins un accusateur, qu'un hypocrite, un homme en délire, un insensé. Triste habileté ! vous vous couvrez de honte autant que votre victime, et vous ne le sentez même pas !
Or, voyez que de maux découlent d'une seule faute! Vous irritez Dieu, vous désolez votre prochain, vous vous rendez digne de l'éternel supplice. N'entendez-vous pas ce que Paul dit ait sujet des veuves : « Non-seulement elles sont curieuses et veulent tout savoir; mais encore intarissables de la langue et des yeux, elles courent les maisons, et disent ce qui ne convient pas ». (I Tim. V, 13.) C'est pourquoi, lors même que vous croiriez ce que l'on dit contre votre frère, vous n'avez pas même dans ce cas le droit d'en parler; à plus forte raison, si vous n'y croyez pas.
Ah ! plutôt, étudiez ce qui vous regarde ; tremblez que Dieu ne vous examine. Car ici vous ne pouvez me répondre : Est-ce que Dieu m'examinera pour des bagatelles? Je le veux, ce sont des riens; mais pourquoi les colportez-vous? Pourquoi grossir le mal? Cette conduite peut nous perdre; et c'est pourquoi Jésus-Christ disait: « Ne jugez pas, pour que vous ne soyez pas jugés ». Mais nous ne tenons pas compte même du divin Maître. La punition du pharisien ne nous corrige pas, et ne nous rend ni plus modestes ni plus réservés. Il disait avec vérité, cet orgueilleux : « Je ne suis pas semblable à ce publicain! » et il le disait sans témoin, et il fut cependant condamné. Si énonçant un fait véritable, et l'énonçant loin de toute oreille étrangère, il fut pourtant condamné; qu'adviendra-t-il à ceux qui vont répétant partout des mensonges, dont ils n'ont aucune preuve, pareils en cela à des femmes frivoles et loquaces? Quel ne sera pas leur châtiment, leur juste punition ?
Mettons désormais une porte et une serrure à notre bouche. Ces riens dangereux engendrent des maux sans nombre; des familles sont bouleversées, des amitiés brisées ; des misères infinies en résultent. O homme! n'examinez point curieusement les affaires de votre prochain. Mais vous êtes bavard, c'est votre maladie? Parlez de vos affaires à Dieu ; ce ne sera plus un vice et un danger pour vous, mais un avantage. Racontez-les à vos amis, aux hommes justes, à ceux qui possèdent votre confiance, afin qu'ils prient pour vos péchés. Si vous parlez des faits et gestes du prochain, loin d'y gagner, loin d'en profiter, vous êtes perdu. Si Dieu est notre confident pour tout ce qui vous regarde, vous amasserez une belle récompense. « Je l'ai dit », chantait le Psalmiste: « J'accuserai contre moi-même et à Dieu toutes mes iniquités! Et vous, Seigneur, vous m'avez pardonné l'impiété de mon coeur! » Vous voulez juger? Jugez vos oeuvres. Personne ne vous accusera plus, si vous vous condamnez vous-même; mais on vous accusera, si vous ne vous jugez pas. Oui, l'on vous accusera si vous ne faites pas votre aveu; on vous accusera si vous n'avez pas de repentir. Voyez-vous quelqu'un s'irriter , s'emporter, commettre quelque péché grave et indigne ? Pensez aussitôt à vos propres actions; ainsi vous ne le condamnerez pas sévèrement, et vous vous épargnerez un faix énorme de péchés.
Si nous réglons ainsi notre vie, si nous l'occupons de la sorte, si nous prononçons nous-mêmes notre condamnation, nous ne commettrons peut-être que bien peu de péchés ; tandis que celte douceur, cette réserve nous enrichira d'actions honnêtes et glorieuses, et nous fera jouir de tous les biens promis à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous les conquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père, dans l'unité du Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.