Analyse.
1. Gloire du premier et du second temple juif. Le ciel est
le temple des chrétiens, et leur pontife y entre couvert de son propre sang. Cette
entrée, ce sang, ce temple, cette oblation unique et suffisante, marquent assez la
prééminence de Jésus-Christ et de son Testament.
2. Il nous a délivrés de la mort, simple sommeil, en attendant
la résurrection. Il est mort pour tous les hommes, et pour les anges mêmes, dit
l'orateur.
3. Un seul sacrifice est désormais suffisant : la multiplicité
des victimes chez les Juifs prouve leur impuissance. Pourquoi la messe quotidienne
cependant. Admirable doctrine dont le concile de Trente n'est que l'écho.
4 et 5. Le nombre des communions n'en fait pas le mérite, mais
bien la préparation. Celle de la sainte quarantaine ne suffit pas, surtout si la
communion est suivie de rechutes. La sainteté est nécessaire. Voix du
diacre, voix du prêtre qui nous crie : Les choses saintes sont pour les saints. La
sainteté consiste surtout à voir juste et à bien vivre. Longue et belle
métaphore tirée de l'oeil humain.
1. Un grand sujet d'orgueil pour les juifs, c'était leur temple et leur tabernacle. « Le temple du Seigneur», répétaient-ils, «le temple du Seigneur ». (Jérém. VII, 5.) Et, en effet, jamais au monde ne fut construit temple pareil, au point de vue de la dépense et de la beauté; sous tout rapport, enfin. Dieu qui l'avait fait bâtir, avait voulu qu'on le construisit avec beaucoup de magnificence, parce que son peuple se laissait éprendre et attirer par les splendeurs matérielles. Les parois intérieures étaient donc revêtues de lames d'or, et si vous voulez savoir d'autres détails, consultez le second livre des Rois ou le prophète Ezéchiel , vous verrez quelle énorme quantité d'or y fut dépensée. Le second temple fut encore plus magnifique en beauté et sous bien d'autres rapports. Il n'était pas seulement splendide et vénérable ; il était encore inique, et ses splendeurs attiraient à lui le monde entier. On s'y rendait des confins de la terre habitée, de Babylone comme de l'Éthiopie. Saint Luc .fait allusion à ce concours dans les Actes : « Il y avait», dit-il, « à Jérusalem des Parthes, des Mèdes, des Elamites, de ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l'Égypte et la contrée de Lybie qui est autour de Cyrène ». (Act. II, 5.) Ainsi de toute la terre, on s'y était rendu; et le nom du temple était connu au loin. Que va faire saint Paul? Il va raisonner ici, comme il a fait à propos des sacrifices. Comme en face de ces immolations antiques il a placé la mort de Jésus-Christ, ainsi va-t-il au temple ancien opposer le ciel tout entier. Et non content de cette différence matérielle, il ajoutera que le prêtre de la nouvelle alliance s'est bien plus approché de Dieu. « Jésus-Christ», dit-il, « n'est pas entré dans un sanctuaire fait de main d'homme, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu ».
Il déclare que Notre-Seigneur s'est présenté devant la face de Dieu; il grandit ainsi la sacerdoce nouveau, non-seulement à raison du ciel où il est, mais aussi pour cette entrée sublime du pontife, qui lui fait contempler non par symbole seulement, mais en face DIEU lui-même. Comprenez-vous maintenant que tout ce qu'il a dit d'humble au sujet de Jésus , il l'a dit par condescendance pour nous? Serez-vous encore étonnés que le divin Sauveur intercède, puisque l'apôtre vous montre en lui le Pontife? « Non cependant qu'il s'offre souvent lui-même, comme ce grand prêtre qui entre dans le Saint des Saints tous les ans, en se couvrant du sang d'une victime étrangère (25) » ; car Jésus n'est pas entré dans un sanctuaire fait de main d'homme, qui n'était que la figure du véritable. Ainsi celui d'à présent est véritable; l'autre n'était que figuratif. Le temple était construit sur le modèle du ciel des cieux.
Mais que dit l'apôtre? Quoi? S'il n'était pas entré au ciel, il n'aurait pas eu la claire vision de Celui qui est partout et emplit tout? Vous voyez que c'est de Jésus-Christ comme homme que parle lapôtre. Il dit que « pour nous » il s'est présenté devant la face de Dieu. Qu'est-ce à dire, pour nous? Il est monté, nous dit-il, avec un sacrifice capable d'apaiser le Père. Mais pourquoi , dites-moi ? Était-il ennemi lui-même? Les anges l'étaient, mais non pas lui; car pour ce qui regarde les anges, écoutez l'oracle de saint Paul : « Jésus a pacifié tout ce qui était sur la terre et tout ce qui était au ciel ». (Colos. I , 20.) Il a donc raison de dire que Jésus est entré dans le ciel, afin de se présenter pour nous devant la face de Dieu. Il s'y présente, en effet, mais pour nous.
« Et il n'y est pas ainsi entré pour s'offrir lui-même souvent, comme le grand prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en se couvrant d'un sang étranger ». Vous voyez comme les différences sont nombreuses. Une fois, lui; l'autre, souvent; l'un entre avec son propre sang, l'autre avec un sang étranger. Grandes différences. Jésus est donc à la fois sacrifice, prêtre et victime. (526) S'il n'était pas tout cela, s'il devait offrir plusieurs sacrifices, il faudrait qu'il fût plusieurs fois crucifié : «Autrement » , dit-il, « il aurait fallu qu'il eût souffert plus d'une fois depuis la création du monde (26) ».
Mais voici une parole profonde et mystérieuse : « Au lieu », dit-il, « qu'il n'a souffert qu'une fois vers la fin des siècles ». Pourquoi : « Vers la fin « des siècles?» Après de nombreux péchés commis dans le monde. Si tout s'était passé dès le commencement, personne ne l'aurait cru; et son incarnation avec tous ses dévouements devenaient inutiles; Jésus-Christ, en effet, n'aurait pu convenablement mourir deux fois. Mais après un long règne du péché, il convenait qu'il se montrât. C'est, au reste, ce qu'il dit ailleurs : «Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rom. V, 20. ) « Et maintenant une seule fois vers la fin des siècles, il a souffert pour abolir le péché en s'offrant lui-même pour victime ».
2. « Et comme il est arrêté que tous les hommes meurent une fois, et qu'ensuite ils soient jugés... (27) ». Après avoir prouvé que Jésus-Christ n'avait pas besoin de subir la mort plus d'une fois, saint Paul nous apprend pourquoi il dut mourir une fois. Il est établi, dit-il, pour tous les hommes de mourir une fois, voilà donc pourquoi il est mort une fois pour tous les hommes. Mais, dès lors, comment? Est-ce que nous ne subissons plus la mort dont il s'agit ici? Sans doute, oui, nous la subissons, mais non pour y demeurer; et déjà ce n'est plus mourir. Car la tyrannie de la mort, sa terrible réalité existe tout entière quand le mort n'a plus pouvoir de revenir à la vie. Que s'il revit après le coup fatal, et surtout s'il retrouve une vie meilleure, non ce n'est plus une mort, c'est un sommeil. Or, comme nous étions condamnés à rester toujours captifs sous cette main de la mort, le Sauveur est mort précisément pour nous délivrer.
«Ainsi Jésus-Christ a été offert une seule fois (28)». Par qui, offert? Far lui-même, ce qui montre en lui non-seulement le prêtre, mais encore la victime et le sacrifice. Ensuite l'apôtre nous donne la raison de cette oblation: « Offert une fois », dit-il, « pour effacer les péchés de plusieurs». Pourquoi de plusieurs et non pas de tous? Parce que tous n'ont pas cru. Il est mort pour les sauver tous; il a fait, en ceci, tout son devoir. Cette mort divine équivalait à la mort de tous les hommes; mais elle n'a ni éteint, ni levé les péchés de tous les hommes, parce qu'eux-mêmes s'y sont refusés. Mais qu'est-ce que « lever les péchés? » Cette expression rappelle notre prière à l'offertoire, alors que présentant nos péchés, nous disons : «Que nous a ayons péché volontairement ou involontaire« ment, Seigneur, pardonnez-nous ». Ainsi les lever, c'est nous en souvenir, et en implorer aussitôt le pardon. C'est exactement ce qui s'est fait par Notre-Seigneur. Et quand l'a-t-il fait? Ecoutez sa réponse : « Pour eux, je me sanctifie moi-même ». (Jean, XVII, 19.) Il a enlevé aux hommes leurs péchés et les a offerts à son Père, non pour requérir contre eux, mais pour les leur remettre ; « Et la seconde fois il apparaîtra sans péché pour le salut de ceux qui l'attendent sans péché ». Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire qu'il ne viendra plus pour effacer nos péchés, pour anéantir nos iniquités, pour mourir de nouveau. Car s'il est mort, ce n'est pas qu'il dût ce tribut à la nature, ce n'est pas non plus qu'il eût péché. «Il apparaîtra » , comment? Comme vengeur, pouvait-il dire; mais laissant cette parole, il en prononce une bienheureuse et bien douce: « Il apparaîtra sans péché, pour le salut de ceux qui l'attendent », pour que désormais ils n'aient plus besoin de sacrifices; pour les sauver enfin, mais d'après leurs oeuvres.
« Car la loi n'ayant que l'ombre même des biens à venir et non l'image même des choses réelles», c'est-à-dire qu'elle n'en avait pas la vérité. Car jusqu'à ce qu'on pose les couleurs sur un tableau, ce n'est qu'une ébauche ; mais quand le dessin a disparu sous la couleur, c'est un portrait. La loi, c'était quelque chose de pareil. Reprenons :
« Car la loi n'ayant que l'ombre des biens à venir et non la vérité même des choses (entendez le vrai sacrifice, la vraie rémission des péchés), malgré les mêmes victimes qu'on ne cesse d'offrir, elle ne peut rendre justes et parfaits ceux qui s'approchent de l'autel. Autrement on aurait cessé de les offrir, parce que ceux qui lui rendent ce culte n'auraient plus senti leur conscience chargée de péchés, en ayant été une fois purifiés. Et cependant on y fait mention de nouveau tous les ans des péchés. Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte le péché. C'est pourquoi le Fils de Dieu entrant dans le monde, dit: Vous n'avez pas voulu d'hostie ni d'oblation; mais vous m'avez formé un corps. Vous n'avez point agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit: Me voici; il est écrit de moi à la tête du livre: Je viens, mon Dieu, pour faire votre volonté. Après avoir dit : Vous n'avez point voulu et vous n'avez point agréé les hosties, les oblations, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, qui sont toutes choses qui s'offrent selon la loi; il ajoute ensuite : Me voici , je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté. Il abolit ces premiers sacrifices, pour établir le second ». (X, 1-9.) Vous voyez quelle abondance de preuves. Notre victime est unique, dit-il; les vôtres nombreuses; et leur grand nombre même prouve leur impuissance.
3. En effet, dites-moi, à quoi bon plusieurs victimes, quand une seule suffît? Leur nombre et leur offrande perpétuelle montrent que ceux qui les offrent ne sont pas purifiés. Quand un médicament est fort, capable de rendre la santé et de guérir entièrement la maladie, il suffit de le prescrire une fois pour qu'il opère tout son effet. Et si, prescrit une fois, il a opéré parfaitement, sa force est démontrée par cela seul qu'on ne l'ordonnera plus; son action est évidente, par cela même qu'on n'y fait plus appel. Au contraire, s'il faut le répéter toujours, c'est qu'évidemment il est sans vertu; car le propre d'un spécifique, c'est d'être prescrit une fois et non pas souvent. Appliquez ici cette comparaison. Pourquoi enfin faut-il toujours (527) les mêmes victimes? S'ils étaient délivrés de tous leurs péchés, pourquoi offrir chaque jour de nouveaux sacrifices? En effet, il était établi qu'on sacrifierait pour le peuple entier tous les jours, chaque soir et même pendant ]ajournée. Cette pratique accusait les péchés des juifs et ne les remettait pas; elle avouait leur faiblesse et ne manifestait pas sa vertu. Une première immolation avait été impuissante : on en offrait une seconde; celle-ci ne produisait rien elle-même, il en: fallait une troisième; c'était donc une déclaration sans réplique de leurs péchés. Le sacrifice était une preuve du péché, le sacrifice sans cesse réitéré était un aveu de l'impuissance du sacrifice.
En Jésus-Christ, le contraire a lieu. Il a été offert une fois, et à perpétuité ce sacrifice suffit. Aussi l'apôtre, avec raison, appelle les offrandes antiques des « copies » : elles n'ont, de leur modèle, que la figure, et non pas la vertu. C'est ainsi que les portraits ont l'image du modèle, sans en avoir la vertu. L'original et la figure ont quelque chose de commun: ils ont la même apparence, mais non la même force. Ainsi en va-t-il du ciel comparé au tabernacle; il y a similitude entre eux , sainteté de part et d'autre : mais la vertu et le reste ne sont plus les mêmes.
Comment entendre que le Seigneur, par son sacrifice, est apparu pour la ruine du péché ? Qu'est-ce que cette ruine ? C'est une sorte d'exclusion avec mépris; le péché n'a plus de pouvoir, il est ruiné, disgracié. Comment encore ? Il avait droit à réclamer notre châtiment, et il ne l'a pas obtenu ; en cela, il est exclu avec violence. Lui qui attendait l'heure de nous évincer tous et de nous détruire, a été lui-même supprimé et anéanti. Jésus est apparu par son sacrifice, c'est-à-dire, il s'est montré lui-même, il s'est approché de Dieu. Quant aux prêtres des juifs, n'allez pas croire qu'en répétant souvent leur immolation dans une même année, ils le fissent au hasard, et non pas à cause de l'impuissance de leurs sacrifices. Si ce n'était par impuissance, pour quel autre motif agir ainsi ? Quand une plaie est guérie, il n'est plus besoin d'appliquer les médicaments. C'est pourquoi, dit saint Paul, Dieu a ordonné qu'on ne cessât d'offrir par impuissance même de guérir, pour rappeler sans cesse aux juifs la mémoire de leurs péchés.
Mais quoi ? Est-ce que nous n'offrons pas aussi tous les jours? Sans doute, nous offrons ainsi; mais nous ne faisons que rappeler la mémoire de la mort de Jésus-Christ, car il n'y a qu'une hostie et non pas plusieurs. Pourquoi une seulement et non pas plusieurs ? Parce qu'elle n'a été offerte qu'une seule fois , comme il n'y avait qu'un seul sacrifice offert dans le Saint des Saints : or ce sacrifice était la figure du nôtre, de celui que nous continuons d'offrir. Car nous offrons toujours le même, et non pas aujourd'hui un agneau, demain un autre; non, mais toujours le même. Pour cette raison, notre sacrifice est unique. En effet, de ce qu'on l'offre en plusieurs endroits, s'ensuit-il qu'il y ait plusieurs Jésus-Christ ? Non, certes, mais un seul et même Jésus-Christ partout, qui est tout entier ici, et tout entier là, un seul et même corps. Comme donc, bien qu'offert en plusieurs lieux, il est un seul corps et non pas plusieurs corps, ainsi n'avons-nous non plus qu'un seul sacrifice. C'est notre Pontife qui a offert cette victime, qui nous purifie. Et nous offrons maintenant aussi celle qui fut alors présentée et qui ne peut s'épuiser jamais. Et nous le faisons maintenant en souvenir de ce qui se fit alors : « Faites ceci en mémoire de moi », dit-il. Ce n'est pas à chaque fois une immolation différente, comme le grand prêtre d'alors, c'est la même que nous faisons; ou plutôt d'un seul sacrifice nous faisons perpétuellement mémoire.
4. Mais, puisque j'ai rappelé ce grand sacrifice, il faut que je vous en parle un peu, à vous qui êtes initiés aux mystères; je dis un peu, parce que je serai court; je devrais dire grandement, à cause de l'importance et de l'utilité de ce sujet, car ce n'est pas moi qui parle, mais le Saint-Esprit. Que dirai-je donc ?.Plusieurs, en toute une année, ne participent qu'une fois à ce sacrifice; d'autres, deux fois; d'autres, souvent. Je m'adresse donc à tous les chrétiens, non-seulement à ceux qui sont ici, mais encore à ceux qui demeurent dans le désert; car les solitaires n'y prennent part qu'une fois l'an, souvent même à peine une fois en deux ans. Mais, après tout, qui sont ceux que nous approuverons le plus de ceux qui communient une fois, de ceux qui communient souvent, ou de ceux qui communient rarement? Pas plus les uns que les autres; mais ceux-là seuls qui s'y présentent avec une conscience pure, avec la pureté du coeur, avec une vie à l'abri de tout reproche. Présentez-vous ces garanties? venez toujours! Ne les offrez-vous point? ne venez pas même une fois. Pourquoi? parce que vous y recevriez votre jugement, votre condamnation, votre supplice. N'en soyez pas étonnés : car ainsi qu'un aliment nourrissant de sa nature, ruais qui tombe dans un corps rempli déjà d'autres aliments mauvais ou d'humeurs malignes, achève de tout perdre et de tout gâter, et occasionne une maladie ; ainsi agissent nos augustes mystères.
Quoi ! vous jouissez d'une table spirituelle, d'une table royale, et de nouveau votre bouche se souille de fange? Vous parfumez vos lèvres pour les remplir bientôt d'ordure? Dites-moi, lorsqu'au terme d'une longue année vous participez à la communion, pensez-vous que quarante jours vous suffisent pour purifier les péchés de toute cette période? Et même encore, à peine une semaine se sera-t-elle écoulée après votre communion, que vous vous livrerez à vos anciens excès! Or, si après quarante jours à peine de convalescence d'une longue maladie, vous vous permettiez sans mesure tous les aliments qui engendrent les maladies, ne perdriez-vous pas votre peine et vos efforts passés? Car si les forces naturelles subissent elles-mêmes des altérations, combien plus celles de nos résolutions et de notre libre arbitre! Par exemple, la vue est une faculté naturelle; nous avons naturellement les yeux sains, mais souvent une indisposition blesse chez nous ce précieux organe. Si donc ces facultés physiques peuvent (528) s'altérer, combien plus facilement celles qui dépendent de notre liberté! Vous accordez quarante jours, peut-être même moins, à la santé de votre âme, et vous croyez avoir apaisé votre Dieu ! O homme! vous moquez-vous enfin?
Je parle ainsi, non pour vous éloigner de
cet unique et annuel accomplissement d'un devoir, mais parce que je voudrais que tous nous
pussions le remplir assidûment. Au reste, je ne suis que l'écho de ce cri du diacre qui
tout à l'heure appellera les saints, et qui par cette parole semblera sonder les
dispositions de chacun, afin que personne n'approche sans préparation. De même que dans
up troupeau où la plupart même des brebis sont saines, s'il s'en trouve qui soient
malades, il faut qu'on les sépare des brebis saines, ainsi en est-il dans l'Eg
Dans un troupeau (car rien ne nous
empêche d'exploiter encore cet exemple), dans un troupeau, nous démêlons, pour les
enfermer à part, les animaux malades; nous les retenons dans les ténèbres, nous leur
donnons une nourriture spéciale; nous ne leur permettons ni de respirer l'air trais, ni
de se nourrir de l'herbe pure, ni de sortir pour aller boire aux fontaines. Eh bien ! cette voix du sanctuaire est aussi comme une chaîne. Vous ne pouvez
dire : J'ignorais, je ne savais pas que la chose eût des conséquences dangereuses. C'est
contre cette ignorance surtout que Paul a tonné. Vous direz peut-être : Je ne l'ai pas
lu. Cela vous accuse, loin de vous excuser. Vous venez tous les jours à l'Eg
5. Au reste, pour que vous ne puissiez vous couvrir d'un tel prétexte, le prêtre debout en un . lieu éminent, et levant la main, comme le héraut de Dieu, crie à haute voix et d'un ton terrible-; vous l'entendez au milieu d'un silence redoutable appeler d'une voix forte les uns, et repousser les autres : c'est le prêtre, il ne fait pas seulement le geste de la main, mais ses lèvres s'expriment plus clairement, plus nettement qu'une main menaçante. Cette voix pénétrant dans nos oreilles, est comme un bras puissant qui expulse les uns et les chasse dehors, tandis qu'il fait entrer et placer les autres. Dites-moi, je vous prie, aux jeux olympiques, n'avez-vous pas vu se lever le héraut, criant à haute et intelligible voix : Est-il quelqu'un qui accuse tel candidat d'être un vil esclave, un voleur, un libertin ? Or,ces combats n'ont rien pour l'esprit, le coeur ni les moeurs; tout y représente le corps et la force physique. Si donc pour ces exercices purement corporels, on fait une enquête si sérieuse des habitudes et de la conduite, bien plus est-elle requise quand il s'agit entièrement d'un combat de l'âme. Voici donc parmi nous aussi un héraut debout, prêt déjà, non pas à nous prendre et à nous conduire en nous tenant par la tête, mais à nous tenir tous ensemble par notre conscience; le voici qui ne fait pas appel à des accusateurs contre nous, mais qui nous oblige à nous accuser nous-mêmes. Il ne demande pas : Est-il quelqu'un pour accuser cet homme? Mais, écoutez; est-il quelqu'un qui s'accuse lui-même? Car lorsqu'il dit : Les choses saintes sont pour les saints, il dit quelque chose d'équivalent : Arrière celui qui n'est pas saint! Il faut,-dit-il, non-seulement être pur de. péchés, mais être saint. La délivrance et- le pardon des fautes ne suffisent pas pour sanctifier; il faut encore là présence de l'Esprit-Saint, et l'abondance des bonnes oeuvres.Je vous veux, ajoute-t-il, non-seulement exempts de souillures, mais déjà splendides de beauté et de blancheur. Car si le roi de Babylone, en choisissant les jeunes gens de la captivité, s'arrêta sur les mieux faits de corps et les plus beaux de visage, bien plus faut-il que les convives de cette table du souverain Roi, brillent par la beauté de leur âme, que l'or éclate sur eux, que leurs vêtements soient irréprochables, leur chaussure royale et toute leur physionomie spirituelle pleine de grâce, qu'ils aient parure d'or et ceinture de vérité. Qu'il approche le chrétien ainsi disposé, qu'il trempe ses lèvres au royal breuvage !
Mais s'il en est un, couvert de haillons, souillé d'ordure, et qu'il veuille avec ce honteux appareil approcher du banquet royal, imaginez quel supplice et quels remords l'attendent, puisque quarante jours ne suffisent pas à laver les péchés commis pendant une longue période de temps. Car si l'enfer ne suffit pas, bien qu'il soit éternel, (il n'est éternel, en effet, que parce qu'il est insuffisant), bien moins doit-on se contenter de ce temps si court de la sainte quarantaine. Ainsi faite, notre pénitence n'est point valide, mais impuissante.
Le divin Roi demande surtout de saints eunuques. Par eunuques j'entends ceux qui ont le coeur pur, sans souillure, sans tache, ceux dont l'âme est élevée ; je leur demande surtout un ceil du coeur, doux et pacifique, un oeil pénétrant et vif, sévère et attentif, et non pas somnolent et paresseux; un oeil libre et franc, mais non point hardi ni présomptueux; un oeil vigilant et fort, ennemi de la tristesse exagérée autant que d'une gaieté folle et dissipée. L'oeil de notre coeur avec toutes ses vertus, sera notre oeuvre; si nous voulons, nous pouvons nous former un regard très. beau et très-pénétrant. Evitons d'exposer cet organe de la vue à la fumée et à la poussière, image trop vraie de toutes les choses humaines; nourrissons-le d'air pur et vif; dressons-le à contempler les hauteurs et les sommets sublimes, à plonger dans les milieux calmes, purs, réjouissants: bientôt nous l'aurons à la fois guéri et fortifié, en le baignant dans ces perspectives enchanteresses
529
Ainsi, avez-vous aperçu des richesses mal acquises et excessives? Ne levez pas les yeux de ce côté : votre organe y trouverait boue et fumée, vapeur malsaine et ténèbres, angoisses. cuisantes et ennuis suffocants. Avez-vous vu au contraire un homme juste, content de ce qu'il a, très-large à pardonner, sans souci ni inquiétude des biens présents? Fixez, élevez sur lui votre regard; votre cil n'en deviendra que plus beau et plus clair, si vous le repaissez non de la vue des fleurs, mais plutôt de celle de la vertu, du désintéressement, de la modération, de la justice, de tontes les saintes habitudes. Car rien ne trouble l'oeil, autant que la mauvaise conscience. « Mon coeur s'est troublé de colère », dit le Prophète; rien ne répand en effet de plus épaisses ténèbres. Epargnez-lui cette triste épreuve, et vous le rendrez joyeux, vif et fort, et capable de se nourrir toujours de saintes espérances.
Que Dieu nous donne à tous d'acquérir cet oeil parfait et de régler ainsi toutes les opérations de notre âme selon la volonté de Jésus-Christ, afin que devenus dignes du chef sublime qui nous commande, nous partions un jour pour son saint rendez-vous. Car il dit : où je suis, je veux qu'ils soient aussi avec moi, et qu'ils aient la vision de ma gloire. (Jean, XVII, 24.) Puisse-t-il nous être donné de. la gagner en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.