HÉBREUX XV

HOMÉLIE XV. CETTE PREMIÈRE ALLIANCE A EU DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS TOUCHANT LE CULTE DE DIEU, ET UN SANCTUAIRE TERRESTRE. (IX, JUSQU'A 15.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Rappel, en quelques mots, des rites anciens : le tabernacle, l'arche et toua les objets qu'on y gardait, accusaient les Juifs. — Sacrifice unique et sanglant par le seul grand prêtre, et son entrée alors, une fois par an, dans le Saint des Saints image du sacrifice unique et sanglant de Jésus-Christ, et de son entrée définitive au ciel.

3 et 4. Mal du péché en général ; il le compare au cadavre empesté. —Mal de l'avarice, qui se place au-dessous de la prostitution même : détails navrants. — Mal du rire insensé, qui va se moquer de cette doctrine. — Jésus-Christ n'a jamais ri. — Mal spécial du rire dans l'église. — Objurgation spéciale aux femmes.

 

1. Il a montré par le prêtre, par le sacerdoce, par l'alliance même la fin certaine de celle-ci; il va la prouver enfin par la figure du tabernacle lui-même. Comment? en y distinguant le Saint, et le Saint des Saints. Le Saint contenait les symboles et les signes de la période précédente, puisque tout s'y faisait par divers sacrifices. Le Saint des Saints, au contraire, appartient à notre époque. D'après saint Paul, le Saint des Saints marque à la fois le ciel, le voile du ciel, la chair du Christ qui entre par-delà ce voile, du Christ qui pénètre là par le voile de sa chair. Mais il est à propos de reprendre ce sujet de plus haut. Que dit-il donc?

« La première eut aussi... » Qu'est-ce à dire , la première? La première alliance. « Ses règlements « de culte ». Règlements, qu'est-ce? Des symboles ou des rites; comme s'il disait : Elle les a eus autrefois, elle ne les a plus. Il montre que déjà une alliance a supplanté l'autre : elle eut alors, dit-il. Aussi maintenant, quoique debout encore, elle n’est plus; elle eut aussi « un sanctuaire du siècle », c'est-à-dire, séculier, mondain, parce que tous les hommes pouvaient y pénétrer; il y avait un lieu ouvert et commun à tous dans le temple où se voyaient prêtres et simples juifs, prosélytes mêmes, gentils et nazaréens. Et parce que l'entrée en était libre même aux nations étrangères, il l'appelle « mondain », car les juifs n'étaient pas le monde.

« Car dans le tabernacle qui fut dressé, il y avait une première partie où étaient le chandelier, la table et les pains de proposition, et cette partie s'appelait le Saint ».Voilà les symboles d u monde. « Après le second voile... » Il y avait donc plus d'un voile; du côté du dehors, en effet, il y en avait un premier... Après le second voile était « le tabernacle qu'on appelle le Saint des Saints ». Vous voyez qu'il l'appelle un tabernacle, une tente, parce qu'on ne fait qu'y passer comme dans une tente; « où il y avait», dit-il, « un encensoir d'or, et l'arche de l'alliance toute couverte d'or, dans laquelle était une urne pleine de manne, la verge d'Aaron qui avait fleuri et les tables de la loi (4) ». Autant de témoignages éclatants de l'ingratitude des juifs. Ainsi les « tables de la loi » rappelaient que Moïse les avait brisées; « la manne » déposée dans une urne d'or, qu'ils avaient murmuré; « la verge d'Aaron », qu'ils s'étaient révoltés. Les juifs , ingrats et oublieux de si nombreux bienfaits, durent placer ces objets dans l'arche par ordre du législateur , et transmettre ainsi à la postérité le souvenir dé leurs méfaits. « Au-dessus de l'arche, des chérubins de gloire couvraient le propitiatoire (5) ». Qu'est-ce à dire, chérubins de gloire? Comprenez : glorieux , ou bien qui sous Dieu même couvrent le propitiatoire. Saint Paul devait ainsi faire ressortir et exalter ces détails, pour montrer que ce qui va suivre est plus grand encore. « Mais ce n'est pas ici le lieu d'étudier une à une toutes ces choses ». Ceci nous fait comprendre qu'il y avait là non-seulement ce qu'on voyait, mais encore du mystère. De toutes ces choses, dit-il, nous ne devons pas parler en détail, peut-être parce qu'elles exigeraient un long discours.

«Or, ces choses étant ainsi disposées,les prêtres entraient à toute heure dans le premier tabernacle, pour y remplir les fonctions du sacrifice (6) ». Comprenez : tout cela existait, mais les simples juifs n'en jouissaient pas, ils ne pouvaient même y plonger la vue. Aussi, ces choses n'étaient pas tant à eux qu'à nous, pour qui ces objets étaient des figures prophétiques.

« Mais dans le second tabernacle, seul, une seule fois dans l'année le pontife entrait, non sans y porter du sang qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple (7) ». Voyez-vous comment les figures ont été comme des pierres d'attente posées d'avance pour l'avenir? L'Apôtre prévient cette objection : Pourquoi un sacrifice unique? pourquoi le grand Pontife n'a-t-il offert qu'une seule fois? Il montre que cet usage datait de loin, et que le sacrifice le plus saint, le plus redoutable était unique. C'était l'antique usage que le grand prêtre n'offrit qu'une fois. Et il ajoute avec raison : « Non sans porter du sang »; il y avait du sang, à la vérité, mais ce n'était pas, celui-là, le sang divin. Le sacrifice d'alors n'avait pas cette importance. Ceci figure le sacrifice à venir que le feu ne doit pas constituer, mais qui s'accomplit surtout par le sang. Car ayant appelé sacrifice le crucifiement, où l'on ne vit ni flamme, ni bûcher, mais seulement une immolation sanglante, il montre que cet antique sacrifice avait un (519) semblable caractère: il se réduisait à cette oblation sanglante et unique... — « Qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple ». Il ne dit pas, remarquez-le, pour les péchés, mais pour les ignorances, afin d'abaisser leur orgueil. En effet, il se peut que vous n'ayez pas péché de plein gré; mais, malgré vous, l'ignorance vous a entraînés; personne n'est pur à ce titre. Et partout il fait ressortir qu'il offre « pour lui », pour montrer ainsi que Jésus-Christ est tout autrement saint et grand que le pontife dont se glorifiaient les juifs. Si celui-ci avait été séparé des pécheurs et du péché, comment -aurait-il offert pour lui-même? Où tend alors, bienheureux Paul, votre réflexion? à faire entendre que d'être exempt de péché devait être le privilège d'un pontife plus grand, de celui que je veux maintenant vous faire contempler.

« Le Saint-Esprit nous montrant par là que la voie du sanctuaire n'était pas encore découverte, pendant que le premier tabernacle existait (8) ». La raison de tout cet arrangement, nous dit-il , était de nous instruire que l'entrée du Saint des Saints, c'est-à-dire du ciel , n'était pas encore ouverte. Voici ce que cela voulait dire : De ce que vous ne pénétrez pas encore dans le ciel, n'allez pas en nier l'existence; car avez-vous même l'entrée du sanctuaire terrestre?

2. « Et cela même n'était qu'une figure pour un temps d'un instant (9) ». Qu'appelle-t-il temps d'un instant? Celui qui précède l'avènement de Jésus-Christ; car après l'arrivée du Sauveur, il n'y a plus temps d'un instant. Comment y en aurait-il, puisqu'il est la consommation et la fin des temps? « C'est donc une image » ; autrement dit, « c'est une figure pour un temps d'un instant, pendant lequel on offrait des dons et des victimes qui ne pouvaient rendre parfaits selon la conscience, les serviteurs de Dieu ». Vous voyez ici la claire explication des paroles qu'il a précédemment écrites: « La loi n'a rien mené à perfection » ; et encore : « Si la première alliance avait été sans reproche ». — «  Selon la conscience », qu'est-ce à dire? C'est que les sacrifices d'alors ne détruisaient pas les souillures de l'âme, mais ils n'atteignaient que le corps: « Selon la loi d'un précepte charnel ». (Hébr. VII, 16.) Ils ne pouvaient remettre l'adultère, le meurtre, le sacrilège. Lisez plutôt ces règlements : Mangez ou ne mangez pas telles ou telles choses; autant d'objets indifférents. « Ce culte ne consistait qu'en des viandes et des breuvages et en diverses ablutions (10) ». Buvez ceci, dit-il , bien qu'il n'y eût dans la loi aucune prescription sur le boire ; mais son but est de montrer la grossièreté de ces prescriptions. — « En diverses prescriptions charnelles, imposées jusqu'à une époque d'amendement ». En effet, c'était une justice purement charnelle. L'Apôtre renverse ces sacrifices, qu'il montre avoir été sans vertu aucune, et imposés jusqu'à une époque d'amendement, c'est-à-dire, pour attendre le temps qui devait amender et corriger toutes choses.

« Mais Jésus-Christ s'étant présenté comme pontife des biens futurs, est entré par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n'a point été fait de main d'homme (11) ». Il désigne sa chair; et il a raison d'appeler ce tabernacle plus grand et plus parfait, puisque le Dieu Verbe, ainsi que toute la vertu de l'Esprit, habite en lui : « Car Dieu ne lui donne pas son Esprit avec épargne et mesure »; ou bien encore; il est plus parfait, en ce sens que le blâme ne tomba jamais sur cette sainte humanité, et qu'elle accomplit largement les plus hautes vertus. « Tabernacle qui n'est point de cette création », et c'est en ce sens qu'il est plus grand que l'ancien. Il n'aurait pas été conçu de l'Esprit, si un homme l'avait construit. Il n'est pas non plus de cette création, en ce sens qu'il n'est pas composé die ces éléments créés que nous voyons, mais tout spirituel; en effet, c'est l'Esprit-Saint même qui l'a construit. Voyez-vous comme ce corps sacré est appelé par l'apôtre, tabernacle,voilé, ciel? « Par un tabernacle plus grand et plus parfait » ; et plus bas : « Par le voile, c'est-à-dire par sa chair » ; et encore : « Jusqu'au dedans du voile »; et ailleurs : « Entrant dans le Saint des Saints, pour paraître devant la face de Dieu ». (Hébr. VI19.) Pourquoi ce langage de l'Apôtre ? Pour nous apprendre qu'une même expression peut avoir deux sens, un sens littéral et un sens allégorique. Ainsi le ciel est un voile, parce qu'il cache le Saint; il en est de même de la chair de Jésus que nous dérobe sa divinité, et. cette chair qui possède la divinité est en même temps un tabernacle; le ciel est encore un tabernacle, puisque le pontife y réside. — «Or, Jésus-Christ», dit-il ,« s'étant présenté comme le pontife ». — Il ne dit pas : Etant devenu, mais s'étant présenté , c'est-à-dire étant venu de lui-même pour cette fonction, sans succéder à personne. Et quand il s'est présenté, il n'a pas été fait pontife; il est venu avec le pontificat. Et il ne dit pas qu'il soit venu comme pontife des sacrifices, mais comme pontife des biens futurs; son discours, ici, semble impuissant à tout dire.

« Et il est entré non avec le sang des boucs et des veaux ». Tout est changé; « mais c'est avec son propre sang qu'il â pénétré une fois dans le sanctuaire », c'est le ciel qu'il nomme ainsi ; « ayant trouvé ainsi pour nous une rédemption « éternelle (12)». Ce mot « trouvé » exprime un de ces mystères profonds, inattendus; on demande comment par une seule entrée, il a trouvé une rédemption éternelle. L'Apôtre poursuit et nous donne les motifs de croire, à ce mystère. « Car si le sang des boucs et des taureaux et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, combien plus le sang de Jésus-Christ, qui par le Saint-Esprit s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant (13, 14)? » Car, dit-il, si le sang du taureau peut purifier la chair, bien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il les souillures de l'âme. Et quand vous entendez dire : « Sanctifie», n'allez pas croire à un effet merveilleux. L'apôtre prévient votre erreur, en remarquant et démontrant quelle différence existe entre les deux (520) sanctifications, et comment l'une est sublime, l’autre grossière; et il est bien juste, selon lui, qu'il en soit ainsi, puisque, d'un côté est le sang du taureau, et de l'autre le sang de Jésus-Christ. Et il ne se contente pas d'une différence de nom ; il établit aussi la manière d'offrir : « Lui», dit-il, « s'est offert à Dieu, par le Saint-Esprit, comme une victime sans tache » . Victime sans tache signifie pure de tout péché. Et l'expression « par le Saint-Esprit », veut dire : Non par le feu, ni par tout autre intermédiaire. Ce sang, dit-il, « purifiera notre conscience des oeuvres mortes ». — « Oeuvres mortes », est une locution très-juste; car, chez les juifs, si quelqu'un touchait un mort, il devenait impur; et chez nous toucher une oeuvre morte, c'est souiller sa conscience. « Pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant et véritable », ajoute-t-il. Il montre ici qu'il est impossible que celui qui a des oeuvres mortes, serve un Dieu vivant et véritable. Réflexion très-vraie, et qui nous montre le caractère des offrandes que nous devons faire à Dieu : oui, celles que nous présentons, sont vivantes et véritables; celles qui viennent des juifs, sont mortes et fausses: tout cela est conséquent.

3. Que nul donc n'entre au saint lieu avec des œuvres mortes. Si l'entrée en était interdite à celui qui touchait un cadavre, bien plus l'est-elle à celui qui a des oeuvres mortes; car c'est la souillure la plus honteuse.  Or, j'appelle oeuvres mortes, toutes celles qui n'ont point la vie, qui déjà exhalent une odeur infecte. De même en effet qu'un cadavre, loin de flatter nos sens, incommode quiconque s'en approche; ainsi le péché frappe et atteint notre intelligence même, enlève à notre âme tout son repos, y jette le trouble et le bouleversement. On dit que la peste a la malheureuse vertu de corrompre les corps : tel est aussi le péché. Peste affreuse et trop vraie, il ne corrompt pas l'air d'abord, et les corps ensuite, mais il attaque aussitôt l'âme elle-même. Ne voyez-vous pas comme les victimes de la peste souffrent, s'agitent, se roulent, sont brûlées vives,exhalent une odeur repoussante, offrent un aspect révoltant, sont immondes enfin dans tout leur être? Telles sont, sans le savoir, les victimes du péché.

Car, dites-moi, n'est-il pas plus misérable qu'un fiévreux, celui qui est épris d'amour pour l'argent ou pour la chair? n'est-il pas plus immonde que les pestiférés, celui qui commet ou qui subit toutes les bontés? Se peut-il un être plus hideux que l'homme captif de l'avarice? Les courtisanes, les comédiennes ne tiennent pas une conduite plus abjecte que lui. Je crois même qu'il va plus loin qu'elles dans la honte. Il subit des traitements d'esclave, tantôt. s'abaissant à des flatteries sans nom, et tantôt audacieux et fier à l'excès; mais toujours inégal. Souvent des scélérats, des escrocs, corrompus et abjects , incomparablement plus pauvres, d'une moindre condition que lui, le voient cependant assis à leurs côtés, comme un vil courtisan, tandis que les gens d'honneur et de vertu n'auront que ses insultés, ses outrages; ses insolences. Vous le voyez, du reste, dans les deux cas, impudent et insolent, tour à tour bas  à l'excès et arrogant outre mesure. La femme perdue, elle, se tient enfermée; son crime est de trafiquer de son corps à prix d'argent. Mais elle a une certaine excuse dans la pauvreté et la faim; bien que cette excuse soit insuffisante, puisqu'elle pourrait se nourrir en travaillant. L'avare, au contraire, ne reste point chez lui; il se montre au milieu de la cité, prostituant non pas son corps, mais son âme au démon qui en abuse comme d'une prostituée, et ne la laisse qu'après en avoir joui ; et cela non en présence de deux ou de trois témoins, mais de tout une ville.

La prostituée s'abandonne à qui la paye; esclave, homme libre, gladiateur, quiconque vient avec de l'argent est bien reçu; mais sans cet or maudit, l'homme le plus riche et le plus noble n'est point admis. Ainsi fait l'avare : les meilleures pensées, quand l'or n'est pas au bout, sont rejetées; mais il embrasse pour de l'argent les plus criminelles et les plus impies, il leur sacrifie la beauté de son âme. La fille de joie est par nature laide, noire, grossière, épaisse, sans grâce ni beauté, hideuse : ainsi devient l'âme cupide, dont la laideur ne pourrait se cacher, même sous une couche et un enduit de fard. Une fois parvenue à cette laideur extrême, quelque moyen qu'il imagine, il ne peut la couvrir.

Que l'impudence fait la prostituée, le Prophète même le déclare : « Vous êtes devenue impudente à la face de tous; vous avez un front de prostituée ». (Jérém. III, 3.) Pareille apostrophe pourrait s'adresser aux avares : vous êtes devenu impudent à la face de tous; non de tels ou de tels, mais de tous.. Comment ? C'est que père, fils, épouse, ami, frère, bienfaiteur, personne n'est respecté par un être ainsi déchu. Et que parlé-je d'ami, de frère ou de père ? Il ne respecte plus Dieu lui-même; tout ce qu'on en dit lui semble des fables; affolé par son ivresse, il rit de tout, et ses oreilles se refusent à admettre une parole utile, Au contraire, ô absurdité ! Quel est le langage de l'avare : Malheur à vous, argent, et à ceux qui ne vous possèdent pas ! Oh ! plutôt malheur à ceux qui parlent ainsi, quand même ils parleraient en riant ! Car, dites-moi; est-ce que Dieu n'a pas fait la terrible menace que vous savez : « Vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois?» (Matth. vi, 24.) Vous croyez réduire cette menace à néant, en prononçant ces blasphèmes, mais malheur à vous ! Paul n'a-t-il pas déclaré que l'avarice est une idolâtrie et l'avare un idolâtre?

4. Mais vous, par ce rire hardi, vous imitez les femmes insensées et mondaines, et comme celles mêmes qui paraissent sur les planches des théâtres, vous essayez de faire rire les autres. Voilà le renversement, voilà la destruction de tout bien. Nos affaires sérieuses deviennent des sujets de rire, de plaisanteries et de jeux de mots. Rien de ferme, rien de grave dans notre conduite. Je ne parle pas ici seulement aux séculiers; je sais ceux que j'ai encore en vue; car l'Eglise même s'est remplie de rires insensés. Que quelqu'un prononce un mot plaisant, le rire aussitôt parait sur les lèvres des assistants ; (521) et chose étonnante, plusieurs continuent de rire même jusque pendant le temps des prières publiques. Le démon partout dirige ce triste concert, il pénètre dans tout, il exerce sur tous son empire. Jésus-Christ est méprisé, il est chassé; l'église est regardée comme un lieu profane. N'entendez-vous pas saint Paul s'écrier : « Que toute honte, toute sottise de langage, toute bouffonnerie soit bannie du milieu de vous ». Il place ainsi la bouffonnerie au même rang que les turpitudes. Et vous riez toutefois ! Qu'est-ce que la sottise de langage? C'est dire ce qui n'a rien d'utile. Mais vous riez quand même; le rire sans cesse épanouit votre visage, et vous êtes moine ?Vous faites profession d'être crucifié au monde, et vous riez ! Votre état est de pleurer, et vous riez!

Vous qui riez, dites-moi : où avez-vous vu que Jésus-Christ vous ait donné l'exemple ? Nulle part; mais souvent vous l'avez vu affligé ! En effet, à la vue de Jérusalem, il pleura; à la pensée du traître, il se troubla; sur le point de ressusciter Lazare, il versa des larmes. Et vous riez.!

Si ceux qui ne savent pas gémir sur les péchés d'autrui sont dignes de blâme, quel pardon mérite celui qui loin d'être affligé de ses fautes personnelles, ne sait que rire ?Voici le temps du deuil et. de l'affliction, le moment de châtier votre corps et de le réduire en servitude, l'heure des sueurs et des combats.           Et vous riez ! Et vous ne remarquez pas comme Sara fut reprise pour ce fait ! Et vous n'entendez pas cet anathème de Jésus-Christ.: « Malheur à ceux qui rient, parce qu'ils pleureront ! » (Luc, V, 25.) Voilà pourtant ce que chaque jour vous répétez dans les saints cantiques. Car enfin, quelles paroles exprimez-vous alors, dites-moi ? Dites-vous avec le Prophète : J'ai ri ? Non ;  mais que dites-vous ? « Je me suis fatigué à gémir ».

Mais peut-être il en est ici de tellement dissipés, tellement efféminés, que nos reproches les font rire encore, par cela seul que nous parlons de rire. Car le caractère de ce défaut, c'est la folie et l'hébétement d'esprit; il ne comprend pas, il ne sent pas le reproche. Le prêtre de Dieu est debout, offrant la prière universelle; et vous riez, sans pudeur aucune ! Lui tout tremblant, offre pour vous des prières; vous, vous n'avez que du mépris. N'entendez-vous donc pas celte parole de l'Ecriture : Malheur aux moqueurs ! Vous ne tremblez pas : Vous ne rentrez pas en vous-même ! Quand vous entrez dans un palais, votre allure, votre regard, voir  démarche, tout votre extérieur enfin sait s'ennoblir et se composer mais ici où est le palais véritable, où tout est l'image du .ciel, vous riez ! Et pourtant, il est une assistance invisible à vos yeux, je le sais, mais réelle, entendez-le ; c'est celle des anges partout présents, mais qui surtout dans la maison de Dieu font cortége au souverain roi; tout est rempli de ces puissances spirituelles.

Mon discours s'adresse aussi aux femmes. En présence de leurs maris, elles n'osent pas sitôt se permettre un tel excès; quand elles rient alors, ce n'est pas constamment, mais à l'heure d'une honnête et nécessaire récréation : mais ici, c'est toujours ! Quoi donc, ô femme, vous mettez un voile sur votre tête, dès que vous prenez place à l'église, et vous riez ! Vous y êtes entrée avec la résolution de confesser vos péchés, de vous prosterner devant Dieu, de prier et de supplier pour les fautes que vous avez eu le malheur de commettre, et dans l'accomplissement de ces devoirs, vous riez ! Comment donc pourrez-vous apaiser votre Juge ? — Mais, dites-vous, le rire est-il donc un péché ? — Non, le rire n'est pas un péché; mais ce qui est un péché, c'est l'excès, c'est de prendre mal son temps. Le rire nous est naturel, quand par exemple nous revoyons un ami après un long temps d'absence ; ou quand, rencontrant des personnes frappées de vaines terreurs, nous voulons les rassurer et les récréer; rions alors, mais jamais jusqu'aux éclats, mais point constamment. Notre coeur a besoin de cet épanouissement pour se détendre quelquefois, mais non pour se dissiper. Les désirs de la chair sont naturels aussi; et toutefois il n'est pas nécessaire absolument d'y obéir, et moins encore d'en user avec excès; nous devons les dominer, loin de dire : c'est naturel, jouissons !

Servez Dieu avec larmes, pour pouvoir laver vos péchés. Je sais que plusieurs se moquent de nous et répètent : Les larmes ! c'est leur premier mot. C'est toujours le temps des larmes. Je sais quelles sont les maximes des hommes sensuels

Mangeons et buvons; car demain nous mourrons ». (I Cor. XV, 32.) Mais rappelez-vous cet oracle : « Vanité des vanités, et tout est vanité ». (Ecclés. I, 2.) Ce n'est pas moi qui parle ici, c'est celui-là même qui goûta de tout plaisir, c'est lui qui dit : « Je me suis bâti des maisons royales; j'ai planté pour moi des vignes. Je me suis créé des viviers et des bains; j'ai eu des serviteurs et des servantes pour me verser à boire ». (Ecclés, II, 4, 5.) Et après cette énumération, que dit-il ? « Vanité des vanités, et tout est vanité », Pleurons donc, ô mes bien-aimés, pleurons, pour que nous ayons un jour le rire vrai, la joie véritable au jour de la sainte allégresse, Car l'allégresse d'ici-bas est nécessairement mêlée de tristesse, et, l'on ne peut la trouver franche et pure. Mais l'autre sera sincère, exempte de mensonge et de déception, à l'abri de tout piège, sans mélange enfin. Il n'est, au reste, qu'un moyeu de l'acquérir ; c'est de choisir, dès cette vie, non pas ce qui nous plait, mais ce qui nous est utile; c'est de nous attrister bien peu de notre plein gré, mais de supporter avec action de grâces tout ce qui nous arrive. Ainsi pourrons-nous gagner le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.

 

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