Analyse.
1. Combien la toi est salutaire.
Dangers de l'incrédulité. Rien n'échappe à l'eeil
de Dieu.
2: Images énergiques et terribles employées par saint Paul pour
peindre la puissance de la parole divine.
3. La miséricorde de Dieu est une munificence royale. Les
vieillards doivent, comme les jeunes gens, courir dans la carrière de la vertu.
Vices des vieillards contemporains de Chrysostome.
4. La vieillesse est honorable par elle-même.
1. La foi est une vertu grande et salutaire; sans elle, nous ne pouvons être sauvés. Mais la foi ne suffit pas, il faut encore mener une vie pure. Voilà pourquoi Paul, s'adressant à ces hommes initiés aux mystères du Christ, leur parle en ces termes . « Empressons-nous d'entrer dans son repos». «Empressons-nous», dit-il, « appliquons-nous ». La foi ne suffit pas, il faut y joindre une vie pure et un zèle ardent. Car il faut avoir un zèle véritable et ardent pour monter au ciel. Si des hommes qui avaient enduré dans le désert tant de souffrances et de calamités n'ont -pas été jugés dignes d'entrer dans la terre promise et n'ont pu atteindre cette terre, parce qu'ils s'étaient livrés à la fornication, comment serions-nous jugés dignes du ciel, nous qui menons une vie inconsidérée; lâche et inactive? Il faut donc avoir beaucoup de zèle. Mais remarquez que, selon lui, la punition du pécheur ne consiste pas uniquement à ne pas entrer dans le repos de Dieu. Il ne s'est pas borné à dire: Efforçons-nous d'entrer dans ce repos, pour ne pas nous voir privés de si grands biens. Il a ajouté quelque chose qui est bien capable d'éveiller nos esprits. Qu'a-t-il donc ajouté? Il a continué en ces; termes : « De peur « que quelqu'un De tombe dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules » , ce qui veut dire que nous devons nous appliquer, nous arranger de manière à ne pas tomber, comme, eux. Il nous donne là un exemple, de l'incrédulité humaine. Ne tombons pas où ils sont tombés, dit-il. Mais n'allez pas vous appuyer sur ces mots pour croire que Dieu. se bornera à vous punir, comme il les a punis; écoutez ce que l'apôtre ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle perce plus qu'une épée à deux tranchants; elle pénètre jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit, jusque dans les articulations, jusque dans la moelle des os; elle démêle les pensées et les mouvements du coeur ». Il montre ici la puissance de cette parole de Dieu toujours vivante et immortelle. Ce n'est pas une simple parole, ne le croyez pas, ne vous bornez pas à ce mot : Cette parole est plus perçante qu'un glaive.- Voyez comme il poursuit, et apprenez ici pourquoi les prophètes ont été obligés de parler du glaive, de l'arc et de l'épée de Dieu. « Si vous ne vous convertissez pas » , dit le Psalmiste, « il dirigera contre vous son glaive; son arc est déjà tendu ; son arc est déjà prêt ». (Ps. VII, 13.)
Si aujourd'hui, après tant d'années, lorsque tant d'événements se sont accomplis, il ne suffit pas à l'apôtre de ce seul mot, la parole de Dieu, pour frapper son auditoire, s'il a besoin de tout cet attirail d'expressions, pour montrer par la compas raison combien la parole de Dieu est puissante, cela était nécessaire à plus forte raison, au temps des prophètes. « Pénétrant jusque dans les replis, de l'âme et de l'esprit ». Que signifient ces mots? Quelque chose de terrible. L'apôtre nous montre la parole de Dieu séparant l'âme de l'esprit ou pénétrant même les substances immatérielles, et ne se bornant pas à percer les corps, comme le glaive. Il montre ici la punition de l'âme, la parole de Dieu qui en fouille les profondeurs et qui pénètre l'homme tout entier. « Elle démêle les pensées et les mouvements du coeur, et nulle créature ne lui est cachée ».. C'est par là surtout qu'il les épouvante. Vous avez beau avoir la foi, leur dit-il, si cette foi n'est pas accompagnée d'une persuasion pleine et entière , ne soyez pas. pleinement rassurés. Dieu jugera ce que vous avez dans le coeur ; car c'est jusque-là qu'il pénètre, pour vous examiner et vous punir. Et pourquoi parler des hommes? Passez en revue les anges, les archanges , les chérubins, les séraphins, les (483) créatures quelles qu'elles soient, tout, pour l'oeil de Dieu, est à découvert, tout est clair et manifeste pour lui, rien ne peut lui échapper. « Tout est à nu et dépouillé devant les yeux de Celui dont nous parlons». Ce mot « dépouillé » est une métaphore tirée des victimes écorchées. Quand un sacrificateur, après avoir égorgé la victime, sépare la peau de la chair, il met à nu les moindres fibres qui apparaissent alors à nos yeux : c'est ainsi que, sous l'il de Dieu, apparaissent clairement et dans un jour complet, les moindres fibres de notre âme. Voyez comme saint Paul a toujours besoin de recourir à des images matérielles; c'est que ses auditeurs étaient faibles d'esprit. Ce qui. prouve cette faiblesse, c'est qu'il les traite quelque part d'êtres maladifs, auxquels il faut,du lait, auxquels il. ne faut pas une nourriture solide. « Tout est nu et dépouillé », dit-il, « aux yeux de Celui « duquel nous parlons».
Mais que signifient ces mots : « Dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules? » lis ont pour but de répondre à ceux qui demanderaient pourquoi ces hommes n'ont point vu la terre promise. Ils avaient reçu un gage de la puissance de Dieu et, au lieu de croire en lui, ils ont cédé à la crainte, et, sans que Dieu leur donnât aucun avis qui pût, les effrayer, ils ont péri victimes de leur pusillanimité et de leur découragement. On peut dire encore qu'après avoir fait la plus grande partie du chemin, sur le seuil même de la terre promise, en arrivant au port, ils ont sombré. Voilà ce que je crains pour vous, dit l'apôtre, et tel est le sens de ces paroles : « Dans une à désobéissance semblable à celle de ces incrédules », car eux aussi ils ont beaucoup souffert, et c'est ce qui est attesté par saint Paul , quand il dit : « Souvenez-vous de ces anciens jours où vous avez été éclairés par les combats que vous avez eu à soutenir contre la souffrance». (Hébr. X, 32.) Loin de nous donc la pusillanimité et l'abattement! Ne perdons pas courage à la fin de la lutte. il y a des athlètes en effet qui sont tout feu et tout flamme, en commençant le combat, et qui, pour n'avoir pas voulu faire encore quelques efforts, ont tout perdu. L'exemple de vos pères, dit. saint Paul, suffit pour vous instruire et pour vous empêcher de souffrir ce qu'ils ont souffert eux-mêmes. Voilà ce que veulent dire ces mots: « Ne tombez pas dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». Ne nous relâchons pas, dit l'apôtre, ne perdons pas nos forces. Et c'est ce qu'il dit encore en terminant: «Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Hébreux, XII, 12.) « Il ne faut pas», dit-il, « que vous tombiez dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». C'est là en effet une chute bien réelle. Puis, pour que vous ne vous attendiez pas à subir seulement, comme peine de cette chute, le même genre de mort qu'eux, voyez ce qu'il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle est plus perçante qu'un glaive à deux tranchants».
Oui : la parole de Dieu est le mieux affilé de tous les glaives; elle perce les âmes; elle leur porte des coups mortels et leur fait de mortelles blessures. Ce qu'il dit là, il n'est pas nécessaire qu'il le démontre, qu'il le prouve et qu'il l'établisse; l'exemple qu'il cite en dit assez. A quelle guerre en effet, sous quel glaive ont-ils succombé ? Ne sont-ils pas tombés d'eux-mêmes ? Si nous n'avons pas souffert autant qu'eux, ne soyons pas exempts de crainte : tant que nous pouvons dire « aujourd'hui » , relevons-nous et réparons nôs forces. Après avoir ainsi parlé, de peur que ses auditeurs, en apprenant ces châtiments de l'âme, ne restent froids et languissants, il ajoute à ces châtiments des peines corporelles, en faisant entendre que Dieu, armé du glaive spirituel de sa parole, fait comme un souverain qui punit ses officiers coupables de quelque grande faute. Il leur ôte le droit de servir dans ses armées, il leur ôte leur ceinturon et leur grade, et les condamne à une peine proclamée par la voix du crieur public. Puis, à propos du Fils, il laisse tomber ces mots terribles : « Celui auquel nous parlons» : c'est-à-dire, celui auquel nous devons rendre compte. Ainsi ne nous laissons pas abattre, ne nous décourageons pas. Ce qu'il a dit suffisait bien pour nous instruire; mais pour lui, ce n'est point assez et il ajoute : « Nous avons un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel : c'est Jésus, Fils de Dieu (14) ».
2. Il veut par là soutenir notre courage et voilà pourquoi il ajoute : « Le pontife que nous avons n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». C'est encore pour cela qu'il disait plus haut : Par cela même qu'il a souffert et qu'il a été mis à l'épreuve, il est à même de secourir ceux qui sont éprouvés. Vous voyez qu'il a toujours le même but. Ce qu'il dit là revient à dire : La voie dans laquelle il était entré était encore plus rude que la nôtre; car il a fait l'expérience de toutes les misères humaines. Il avait dit: « Nulle créature ne lui est cachée », pour faire allusion à sa divinité. Mais, lorsqu'il arrive à l'Incarnation, il prend un langage plus modeste et plus humble. « Nous avons », dit-il, « un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel», et il montre sa sollicitude pour défendre et protéger les siens, pour les préserver de toute chute. Moise, dit-il, n'est pas entré dans le repos de Dieu; mais lui, il y est entré, et comment? Je vais vous le dire. Que l'apôtre n'ait tenu hautement dans aucun passage, le langage que je lui prête, il n'y a rien d'étonnant à cela. c'est pour qu'ils ne croient pas avoir trouvé dans l'exemple de Moïse un moyen de défense, qu'il attaque indirectement Moïse lui-même; c'est pour ne pas avoir l'air de l'accuser, qu'il ne dit pas tout cela ouvertement. Car si, malgré sa discrétion, ils lui reprochaient de parler contre Moïse et contre la loi, ils se seraient récriés bien davantage, s'il -avait dit: Le lieu de repos dont je parle ce n'est pas la Palestine, c'est le ciel. Mais il ne se repose pas entièrement du soin de notre salut sur le pontife; il veut aussi que nous agissions de notre côté : il veut que nous demeurions fermes dans la foi dont nous avons fait profession. «Ayant», dit-il, «pour grand pontife, Jésus le Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux , demeurons fermes dans la foi dont nous avons fait profession ».
Qu'entend-il par- là? Il veut dire que nous devons croire fermement à la résurrection, à la (484) rémunération, aux biens innombrables que Dieu nous promet, à la divinité du Christ, à la vérité de notre foi: voilà les croyances dans lesquelles nous devons rester fermes. Ce qui prouvé d'une manière évidente que la vérité est là; c'est le caractère de notre pontife. Nous ne sommes pas encore tombés; restons fermes dans notre foi quand les événements prédits né seraient pas encore arrivés, restons fermes dans nos croyances : s'ils étaient déjà arrivés, ce serait un' démenti donné aux livres saints. S'ils tardent à s'accomplir, cela prouve encore que les livres saints disent la vérité. Car notre pontife est grand. « Notre pontife n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». Il ne peut pas ignorer notre situation, comme tant de pontifes qui ne savent pas quels sont ceux qui sont dans l'affliction, qui ne savent pas ce que c'est que l'affliction. Car; chez nous autres hommes, il est impossible que l'on connaisse les tribulations de celui qui est persécuté, si l'on n'a pas fait soi-même l'épreuve du malheur, si l'on n'a pas souffert. Notre pontife à nous a tout souffert. Il a souffert, il est monté aux cieux; pour compatir à nos douleurs: « Il à éprouvé, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché». Voyez comme il revient sur ce mot « comme nous »; c'est-à-dire qu'il a été persécuté, conspué, accusé, tourné en ridicule, attaqué par la calomnie, chassé et enfin crucifié. « Il a souffert, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché ». Il y a encore ici une chose qu'il fait entendre, c'est que les souffrances ne sont pas incompatibles avec l'innocence, et que sans péché on peut souffrir. C'est pourquoi quand il dit « en prenant un corps semblable au nôtre », l'apôtre ne veut pas dire que cette ressemblance fût absolue, il a voulu seulement parler de l'Incarnation. Pourquoi donc ces mots : « Comme nous ? » Il a voulu faire allusion à la faiblesse de la chair, il s'était fait homme « comme nous», matériellement par là; mais, en ce qui concerne le péché, sa nature n'était pas la nôtre. « Allons donc nous présenter avec confiance devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde et d'y trouver le secours de sa grâce, dans nos besoins (16) ». Quel est ce trône de la grâce? C'est ce trône royal dont il est dit : «Le Seigneur a dit, à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied». (Ps.CIX, 1.) C'est comme s'il disait : Marchons avec confiance, puisque nous avons un pontife exempt de péché, qui a vaincu le monde. «Ayez confiance », dit-il, « j'ai vaincu le monde » (Jean , XVI, 33); ce qui veut dire qu'il connu toutes les souffrances, sans connaître le péché. Mais si nous sommes soumis au péché et s'il en est affranchi, comment ferons-nous pour nous présenter avec confiance? C'est qu'il s'agit ici du trône de la grâce et non du tribunal suprême.
« Approchons donc avec confiance » , dit-il , « pour recevoir cette miséricorde que nous demandons». Cette miséricorde est de la munificence ; c'est un don royal: « Et afin d'y trouver le secours de sa grâce, quand nous le demanderons à propos ». Il a raison de dire: « Quand nous le demanderons à propos». Approchez-vous de lui maintenant; il vous fera grâce et miséricorde, parce que vous arriverez à temps. Mais si, vous vous présentez aujourdhui, c'est inutilement; votre arrivée est inopportune; vous ne pouvez plus vous présenter devant le trône de la grâce. Vous pouvez comparaître devant ce trône, tante qu'il est occupé par le souverain dispensateur des grâces, mais une fois que les temps sont accomplis, voilà votre juge qui se dresse devant vous ! « Levez-vous, mon Dieu », dit le Psalmiste, « et venez juger la terre ». Psaume, LXXXI, 8) Disons encore avec l'apôtre : « Approchons-nous avec confiance », c'est-à-dire , sans avoir de reproche à nous faire, sans hésitation; car celui qui a quelque chose à se reprocher, ne peut pas se présenter avec confiance. C'est pourquoi il est dit ailleurs : « J'ai exaucé votre prière faite en temps opportun, et je vous ai secouru au jour du salut ». (Isaïe, XLIX, 8.) En effet, si ceux qui pèchent, après avoir reçu le baptême, ont la ressource de la pénitence, c'est là un don de la grâce : ne croyez point, parce que vous avez entendu dire que Jésus est un pontife, qu'il reste debout ; saint Paul dit qu'il est assis, quoique le prêtre ordinairement ne soit pas assis, mais se tienne debout. Vous voyez que, s'il a été fait pontife, ce n'est pas là un don de la nature, mais un don de la grâce, un effet de son abaissement volontaire et de son humilité. Disons, il en est temps encore : Approchons-nous de lui avec confiance et demandons. Nous n'avons quà lui offrir notre foi; il nous accordera tout. Voici le moment des libéralités; qu'on ne désespère pas de soi-même. Il sera temps de désespérer, quand la salle sera fermée, quand le roi sera entré pour voir ceux qui sont assis au festin, quand les patriarches auront reçu dans leur sein ceux qui en sont dignes. Mais aujourd'hui ce n'est pas l'heure du désespoir. Le théâtre est encore là; c'est encore le moment du combat la palme est encore incertaine.
3. Hâtons-nous donc. C'est Paul qui nous le dit: «Pour moi, je ne cours pas au hasard .. (I Cor, IX, 26.) Il faut courir et courir, avec ardeur. Quand on court, on ne fait pas attention aux objets environnants, aux prés dans lesquels on entre, aux chemins arides et âpres que l'on traversez. Quand on court, on ne voit pas les spectateurs, on ne voit que le prix. Qu'on ait autour de soi des riches ou des pauvres, qu'on soit en butte aux moqueries ou qu'on reçoive des éloges, qu'on vous adresse des outrages, qu'on vous lance des pierres, qu'on pille votre maison, qu'on voie devant soi ses fils, son épousé, n'importe quoi, on n'est pas distrait, à cette vue ; on ne fait attention qu'à une chose, à courir, à remporter le prix. Quand on court, on ne s'arrête pas, car la moindre lenteur, la moindre halte peut vous faire perdre tout le fruit de vos efforts. Quand on court, on ne se ralentit pas avant d'arriver au but ; que dis-je? C'est quand on est près du but qu'on redouble d'ardeur. Ce que j'en dis s'adresse à ceux qui répètent : Nous nous sommes exercés dans notre (485) jeunesse; nous avons jeûné dans notre jeunesse; aujourd'hui, nous voilà vieux !... Ah ! c'est alors surtout qu'il faut redoubler de piété. Ne racontez pas en détail vos bonnes actions. Voici le moment de vous montrer jeune et vigoureux, comme si vous étiez dans: la fleur de l'âge. Les athlètes qui disputent le prix de la course, quand la vieillesse chenue vient à les glacer, ne sont plus agiles, mais leur vigueur à eux n'est autre chose qu'une vigueur physique.
Mais vous; pourquoi ralentir votre course? Ce qu'il faut ici; c'est la vigueur de l'âme, la vigueur d'une âme toujours éveillée. Or c'est dans la vieillesse que l'âme, se fortifie; c'est alors qu'elle a le plus de vigueur; c'est alors qu'elle s'élance. Le corps a beau être fort et robuste ; tant qu'il est en proie aux fièvres, aux assauts fréquents et successifs de la maladie, les maladies minent ses forces ; mais il les recouvre, quand il est délivré des maladies qui l'assiégent. Il en est de même de l'âme. Tant que dure la jeunesse, elle a la fièvre, elle est en proie à l'amour de la gloire et des plaisirs et à une foule d'autres affections. Mais la vieillesse, en arrivant, chasse tous ces penchants matériels ; ses remèdes pour nous en guérir, sont le temps et la philosophie. En détendant les ressorts de la matière, la vieillesse ne permet pas à l'âme de s'en servir; quand même elle le voudrait; mais, comme si elle domptait ses ennemis de tout genre, elle l'élève à des hauteurs que le tumulte dès passions ne peut atteindre, elle lui donne un calme profond et lui inspire surtout une terreur salutaire. Mieux que personne en- effet les vieillards savent qu'ils doivent mourir et qu'ils sont tout près de la mort. Lors donc que les passions et que les désirs mondains s'éloignent, quand on attend à chaque instant l'heure du jugement, quand cette attente triomphe de notre obstination et de notre désobéissance, comment l'âme, pour peu qu'elle soit bien disposée, ne deviendrait-elle pas plus attentive? Mais quoi? me direz-vous, ne trouve-t-on pas des vieillards plus corrompus que des jeunes gens? Vous considérez ici le vice à ses dernières limites. Ne voyons-nous pas aussi des fous furieux qui d'eux-mêmes vont se jeter dans un précipice ? Quand donc un vieillard a les maladies de la jeunesse , c'est un grand mal : un vieillard de cette espèce ne peut pas donner son âge pour excuse; il ne peut pas dire : « Ne vous souvenez plus des fautes et de l'étourderie de ma jeunesse ». (Ps. XXIV, 1.) Car celui qui, dans sa vieillesse, ne change pas, montre que les fautes de sa jeunesse ,viennent, non de, l'ignorance, non de l'inexpérience, non l'âge, mais d'un défaut de coeur. Pour avoir, le droit de dire : « Ne vous souvenez plus des fautes de ma jeunesse et de mon inexpérience », il faut se conduire comme un vieilard doit le faire, il faut que là vieillesse nous change: Mais si, dans notre vieillesse, notre conduite est toujours aussi honteuse, aussi déshonorante, méritons-nous le nom de vieillards, alors que nous ne respectons pas notre âge? Lorsqu'on dit: « Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon étourderie », on parle en vieillard honnête.
Ne perdez. donc point l'occasion que: vous offre votre vieillesse de faire excuser les fautes de votre jeune âge. N'est-elle pas absurde et inexcusable la conduite de ce vieillard qui s'enivre, qui hante les cabarets, qui va voir les courses, qui monte, sur un théâtre, qui court avec la foule, comme un enfant? C'est grande honte et cest chose bien ridicule d'avoir des cheveux blancs sur la tête, et la légèreté de l'enfance dans le coeur. Si la jeunesse vous outrage, vous parlez aussitôt de vos cheveux blancs: Soyez donc le premier à les respecter: Si vous ne les respectez pas, vous; vieillard, comment voulez-vous que la jeunesse les respecte? Loin de les respecter, vous les couvrez d'opprobre et d'ignominie. Dieu, en vous donnant cette couronne de cheveux blancs, a mis sur` votre front un diadème. Pourquoi méconnaître cet honneur? Comment voulez-vous que la jeunesse vous respecte, quand vous êtes encore plus dissipé, encore plus débauché que. les Jeunes gens? Les cheveux blancs sont respectables , quand celui qui les porte fait ce qu'ils commandent; mais quand le vieillard se conduit en jeune homme, il est, avec ses cheveux blancs, plus ridicule que lui. Comment oserez-vous donner des avis à la jeunesse, vous antres vieillards ivres et dissolus? Ce que j'en dis n'est pas pour accuser tous les vieillards, Dieu m'en garde! je n'accuse ici que le vieillard qui agit en jeune homme. Ceux qui agissent ainsi ;en effet, fussent-ils centenaires, ne sont à mes yeux que des jeunes, gens, de même que les jeunes gens, quand ils seraient tout jeunes, valent mieux, selon. moi, que des vieillards, quand ces jeunes gens ont la modestie et la tempérance en pariage. Et ce que je dis là n'est pas de moi; c'est l'Ecriture qui établit cette distinction . « Ce qui rend la vieillesse respectable », dit-elle, « ce n'est pas le nombre des années, le grand âge; c'est un grand nombre d'années passées dans la vertu ». (Livre de la Sagesse, IV, 9.)
4. Honneur aux cheveux blancs, non que nous ayons une prédilection pour cette couleur, mais parce que c'est la couleur de la vertu, et parce que, cet extérieur vénérable nous fait conjecturer que l'homme intérieur a aussi des cheveux blancs ! Mais un vieillard qui donné à ses cheveux blancs un démenti par sa conduite, n'en est que plus ridicule. Pourquoi honorons-nous la royauté, la pourpre, le diadème ? C'est que ce sont là les emblèmes du commandement. Mais que ce roi vêtu de pourpre vienne à être conspué, foulé aux pieds par ses satellites, saisi à la gorge, jeté en prison et déchiré, respecterons-nous encore cette pourpre et ce diadème, et ne plaindrons-nous pas cette majesté outragée? N'exigez donc pas qu'on respecte vos cheveux blancs, quand vous les outragez vous-même; c'est vous rendre coupable envers eux que d'avilir une parure si imposante et si précieuse. Mes reproches ne s'adressent pas à tous les vieillards, et ce n'est pas la vieillesse en général que j'attaque; je ne suis point assez insensé pour cela; je m'en prends à ce caractère juvénil qui déshonore la vieillesse; j'adresse ces paroles amères non pas aux vieillards, mais à ceux qui (486) déshonorent leurs cheveux blancs. Un vieillard est roi, s'il le veut; il est plus roi que le souverain revêtu de la pourpre, s'il commande à ses passions, s'il foule aux pieds les vices, comme de vils satellites. Mais s'il se laisse entraîner, s'il se dégrade, s'il se rend l'esclave de l'avarice, de l'amour, de la vanité, des raffinements de la mollesse, du vin, de la colère et dès plaisirs, s'il se parfume les cheveux, si de gaieté de coeur il fait lui-même injure à sa vieillesse, quel châtiment ne mérite-t-il pas? Quant à vous, jeunes gens, n'imitez pas les vices de ces vieillards; vous n'êtes pas excusables non plus, quand vous vous égarez. Pourquoi? C'est que dans la jeunesse on peut être mûr, et s'il y a des vieillards toujours jeunes, il y a des jeunes gens déjà vieux. Les cheveux blancs ne sont pas toujours un préservatif; mais les cheveux noirs ne sont pas un obstacle. Les vices que j'ai signalés sont plus honteux chez un vieillard que chez un jeune homme, sans que, pour cela, le jeune homme vicieux soit complètement à l'abri du blâme. La jeunesse n'est une excuse que lorsque le jeune homme est appelé au maniement des affaires. Dans ce cas son jeune âge et son inexpérience peuvent lui faire pardonner son' inhabileté. Mais faut-il déployer une sagesse virile, faut-il triompher de l'avarice, le jeune âge n'est plus, une excuse. Il y a des cas en effet ou la jeunesse est plus répréhensible que la vieillesse. Le vieillard affaibli par l'âge a grand besoin de se ménages ; mais le jeune homme qui peut, s'il le veut, se suffire à lui-même, est-il excusable de se montrer plus rapace qu'un vieillard , d'avoir plus de rancune que lui, de se montrer négligent, de ne pas être plus prompt que le vieillard à protéger les faibles, de parler sans cesse à tort et à travers, d'avoir l'injure, et la médisance à la bouche, de se livrer à l'ivrognerie? S'il croit qu'on doit lui passer toute espèce de contravention aux lois de la tempérance et de la continence , il faut remarquer qu'il a de bons moyens d'observer aussi ces deux vertus. En admettant que les désirs et les passions aient plus d'empire sur lui que sur le vieillard, on doit pourtant convenir qu'il a, pour leur résister, plus de moyens, et qu'il peut, comme par magie, endormir le monstre. Ses moyens sont les travaux, la lecture, les veilles et le jeûnez Nous ne sommes pas des moines, m'objecterez-vous , pourquoi nous tenir ce langage? Eh bien! adressez cette objection à Paul, quand il vous dit.: « Persévérez et veillez dans la prière ». (Coloss. IV, 2.) « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant vos désirs ».(Rom. XIII,14.) Ses avis en effet ne s'appliquent pas seulement aux moines, mais aux habitants des villes. Un homme du monde en effet ne doit avoir sur le moine qu'un seul avantage : celui de pouvoir cohabiter avec une épousé légitime. Il a ce droit-là, mais du reste, il a les mêmes devoirs à remplir que le moine. La béatitude dont le Christ a parlé n'est pas le privilège des moines; autrement le monde aurait péri et nous accuserions Dieu de cruauté. Si la béatitude n'est faite que pour le moine, si l'homme du monde ne peut y atteindre, et si Dieu lui-même a permis le mariage, c'est Dieu qui nous a tous perdus.. Si en effet on ne peut, quand on est marié, remplir les devoirs des moines, tout est perdu et la vertu est réduite aux: dernières extrémités. Comment donc serait-ce chose honorable crue le mariage, quand il devient pour nous un si grand obstacle? Que faut-il conclure? Il faut dire qu'il est possible et très-possible, quand on est marié, de suivre le chemin de la vertu, et de la pratiquer si l'on veut. Ayons une femme; mais soyons comme si nous n'en avions pas; ne nous enivrons pas de nos richesses; usons du monde, sans en abuser. (I Cor. VII, 31.) Si pour certains hommes le mariage est un obstacle, ça n'est pas la faute du mariage, qu'ils le sachent, bien; c'est la faute de leur volonté qui leur a fait abuser du mariage. Ce n'est pas non plus la faute du vin, si l'ivresse arrive, c'est la faute de nos goûts dépravés et, de l'abus de cette liqueur. Usez avec modération du mariage, et vous occuperez la première place dans le royaume des cieux, et vous jouirez de tous les biens. Puissions-nous tous des obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, etc.