HOMÉLIE LXII

SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. « Et Juda vit la fille d'un Chananéen qui s'appelait Sava ; et il la prit et vint vers elle; et elle conçut et enfanta un fils que l'on nomma Er. » (Gen. XXXVIII, 2-3.)

 

ANALYSE.

 

1. histoire de Thamar.

2 Thamar justifiée. Juda s'accuse lui-même. Naissance de Pharès et de Zara : figure des destinées de l'Église.

3. Retour à l'histoire de Joseph. Joseph chez Putiphar. Sa prospérité.

4. Passion et tentative criminelle de la femme de Putiphar.

5. Joseph calomnié, jeté en prison : que la grâce de Dieu ne l'abandonne pas néanmoins. Conclusion morale.

 

1. L'histoire de Joseph nous a montré suffisamment combien l'envie est un fléau terrible, et comment cette passion funeste ronge le coeur où elle a pris naissance. Vous avez vu comment, sous l'empire de ,cette passion, les frères de Joseph ont oublié les liens du sang, quelle barbarie et quelle cruauté ils ont exercée envers celui qui ne leur avait fait aucun mal; mais ils n'ont réussi qu'à mettre au jour leur perversité, et le dommage qu'ils ont causé à leur frère n'a pas été aussi grand que la honte dont ils se sont couverts. Car quoiqu'ils l'aient vendu ides barbares, et ceux-ci au chef des cuisiniers de Pharaon, cependant comme Joseph était favorisé en toute circonstance de la protection divine, tout lui semblait léger et facile à supporter. Je voulais m'attacher aujourd'hui encore à la même histoire , et faire sur ce sujet une instruction; mais je rencontre sur ma route un autre récit qu'il ne serait pas juste de passer sous silence; nous l'approfondirons, autant que possible, puis nous reprendrons nos entretiens sur Joseph. Quel est donc ce récit qui interrompt notre marche ? Il traite de Juda. Celui-ci ayant pris pour femme Sava, fille d'un chananéen , et ayant eu d'elle trois enfants, donna, dit l'Écriture, à Er, son premier-né, une femme nommée Thamar. Mais celui-ci fut méchant aux yeux de l'Éternel, et l'Éternel le fit mourir. Alors Juda engagea Onan à épouser la femme de son frère, afin de lui procurer une postérité. C'était la loi qui l'ordonnait : si quelqu'un mourait sans enfant, son frère devait épouser la veuve et lui donner une postérité. Mais Onan, lui aussi, fut méchant aux yeux de Dieu, qui le fit mourir. Juda fut frappé de terreur en voyant que ses deux fils lui avaient été enlevés si rapidement: alors, pour consoler Thamar, il lui promit de lui donner son autre fils, mais il ne tint pas sa parole, dans la crainte que ce dernier ne subît aussi le même sort que ses frères. Cependant Thamar se repaissait d'un vain espoir, et demeurait, dit l'Écriture, dans la maison de son père, attendant que son beau-père exécutât sa promesse; quand elle vit que Juda ne voulait pas remplir ses engagements, elle n'en ressentit aucune indignation, mais elle ne supporta pas l'idée de prendre (404) un autre époux, et elle se résigna au veuvage, attendant un moment favorable; car elle désirait vivement avoir des enfants de son beau-père. Or, quand elle apprit que sa belle-mère était morte, et que Juda venait à Thamna, pour tondre ses brebis, elle résolut d'avoir recours à la ruse pour s'unir à son beau-père; elle désirait avoir de lui des enfants, non par libertinage, à Dieu ne plaise, mais pour ne pas être regardée comme une femme sans nom : d'ailleurs c'était l'ordre de la Providence ; et c'est pourquoi ses desseins furent accomplis. Elle quitta ses habits de veuvage, se couvrit d'un voile, s'enveloppa et s'assit auprès des portes. Puis la sainte Ecriture, comme pour la justifier, ajoute: car elle voyait que, quoique Sélom fût devenu grand, elle ne lui avait point été donnée pour femme : c'est pour ce motif qu'elle eut recours à une pareille ruse. Juda la prenant pour une prostituée (car elle s'était voilée le visage, afin de ne pas être reconnue), se détourna vers elle. Celle-ci lui dit: Que me donneras-tu ? Judas promit de lui envoyer un chevreau de son troupeau. Elle répondit : Pourvu que tu me donnes des gages, jusqu'à ce que tu me l'envoies. Et il lui donna sa bague, son collier et son bâton; il vint vers elle, et elle conçut de lui. (Gen. XXXVII, 14-18.)

Qu'aucun de ceux qui entendent ce récit, ne condamne Thamar; car, comme je me suis hâté de le dire, elle servait les desseins de la Providence, et c'est pour ce motif qu'elle ne mérite aucun blâme et qu'aucune accusation ne doit peser sur Juda. En effet, si vous partez de là en suivant l'ordre des temps , vous trouverez que le Christ descend des enfants issus de cette union; d'ailleurs les deux fils qui lui naquirent étaient la figure des deux peuples, et la révélation de la vie judaïque et de la vie spirituelle. Mais voyons comment Juda, quelque temps après son départ, et au moment où la vérité fut connue, comment, dis-je, il se condamne lui-même et absout Thamar de toute accusation. Lorsqu'elle eut exécuté son dessein, elle changea de nouveau de vêtements, dit l'Ecriture, s'en alla et revint dans sa maison. Juda, qui n'était nullement au courant de ces faits, accomplit sa promesse et envoya le chevreau, pour reprendre les gages qu'il avait donnés: mais l'esclave ne trouva cette femme nulle part, et il revint, annonçant à Juda qu'il n'avait pu la rencontrer dans aucun endroit. A cette nouvelle, Juda s'écria : Pourvu que jamais nous ne soyons accusé d'ingratitude. C'est qu'il ne connaissait pas la vérité. Mais quand, trois mois après, la grossesse de Thamar annonça son prochain enfantement, et comme personne ne savait son union furtive avec son beau-père, on vint annoncer, dit l'Ecriture, à Juda, qu'elle portait dans son sein le fruit de ses débauches. Alors il dit: conduisez-la dehors et qu'elle soit brûlée. Grande était son indignation, terrible était le châtiment, parce qu'à ses yeux la faute était de la plus haute gravité. Que fit donc Thamar? Elle renvoya les gages qu'elle avait reçus, en disant: J'ai conçu de l'homme à qui appartiennent ces choses. (Ibid. 24-25).

2. Remarquez comment, tout en gardant le silence, elle produit des témoins dignes de foi, qui parleront en sa faveur, et pourront la mettre à l'abri de toute accusation. Comme elle avait besoin de trois témoins, elle qui était sous le coup d'une pareille accusation, elle envoya, comme preuve éclatante de son innocence, les trois espèces de gages qu'elle avait reçus, l'anneau, 1e collier et le bâton, et, quoiqu'elle fût restée à la maison, quoiqu'elle eût conservé le silence, elle remporta la victoire. Juda les reconnut et dit : elle est justifiée plutôt que moi; c'est parce que je ne l'ai pas donnée à Sélom, mon fils. Que signifient ces paroles : Elle est justifiée plutôt que moi? Il. veut dire; c'est elle qui est innocente, et moi, je me condamne moi-même, je me dénonce, sans que personne m'accuse; que dis-je? ces gages que j'ai donnés ne sont-ils pas contre moi une preuve suffisante? Puis, pour justifier de nouveau Thamar, il dit : C'est parce que je ne l'ai pas donnée à Sélom, mon fils. S'il s'accuse ainsi, c'est sans doute pour le motif que je vais vous dire. En effet, Juda croyait que Thamar avait causé la mort à Er et à Onan, , et dans cette crainte, il ne la donna pas à Sélom, quoiqu'il le lui eût promis; par là il devait connaître qu'elle n'était pas la cause de leur mort, mais qu'ils avaient reçu le châtiment de leur perversité (car c'est Dieu, dit l'Ecriture, qui a fait périr le premier, et, en parlant du second, elle ajoute : c'est Dieu qui lui a donné la mort) ; aussi Judas s'unit-il à son insu à sa belle-fille, et, par ce fait, il apprend que ce n'est pas elle, mais leurs propres vices qui leur ont mérité ce châtiment; alors il reconnut sa faute, déclara que Thamar était innocente, et il ne continua plus dit l'Ecriture, (405) à la connaître. Il prouvait ainsi qu'il n'aurait jamais eu commerce avec elle, s'il l'avait reconnue. Après nous avoir raconté, en détail, la ruse à laquelle Thamar eut recours, la sainte Ecriture nous apprend ensuite quels sont les enfants qu'elle mit au monde. Lorsqu'elle fut sur le point d'accoucher, dit l'Ecriture, il se trouva qu'elle avait deux jumeaux dans son sein. Et lorsqu'elle enfanta, l'un présenta la main; la sage-femme la prit et y attacha un fil d'écarlate, en disant: celui-ci est sorti le premier. Remarquez ici, je vous prie, comme les événements futurs nous sont enseignés et révélés sous le voile du mystère. Car, après que la sage-femme eût attaché un fil d'écarlate à la main du premier-né, pour qu'on pût le reconnaître, alors il retira sa main, et son frère sortit. Il céda le pas à son frère, et celui qu'on regardait comme le second, naquit le premier; le premier au contraire ne vint au monde que le dernier. Alors la sage-femme dit : Pourquoi la haie a-t-elle été séparée d cause de toi ? Et elle l'appela Pharès. Ce nom signifie séparation, et, pour ainsi dire, partage. Ensuite sortit son frère qui avait le fil d'écarlate sur la main droite, et elle l'appela Zara, ce qui signifie Orient.

Et que ces choses n'arrivèrent point par hasard, qu'elles étaient une image des événements futurs, c'est ce que prouvent les faits eux-mêmes. Ce qui se passa n'est point, en effet, dans l'ordre de la nature. Comment expliquer que, la main une fois liée avec le fil de pourpre, l'enfant se soit écarté pour livrer passage à son frère, sans l'intervention de la puissance divine, qui opéra ce miracle, et montra dans une sorte d'esquisse Zara ou l'Orient (c'est-à-dire l'Eglise) apparaissant d'abord, puis se retirant après s'être montré un instant, pour laisser l'observation de la Loi personnifiée en Pharès se manifester à son tour et dominer longtemps; puis le retour de celui qui s'était écarté d'abord, je veux dire de Zara, refoulant de nouveau devant l'Eglise toute la constitution judaïque. Mais peut-être est-il nécessaire de revenir sur ce sujet en termes plus clairs et plus précis. — D'abord parurent, semblables à Zara avançant la main, Noé et Abraham, ou plutôt avant Noé Abel et Enoch, lesquels furent les premiers qui se préoccupèrent spécialement de plaire à Dieu. — Ensuite lorsque leur multiplication eut accumulé sur leur race de nombreux fardeaux de péchés, comme une petite consolation leur était nécessaire, la loi leur fut donnée, comme une esquisse de l'avenir; la

loi, qui sans effacer les péchés, les signalait du moins, les leur rendait manifestes , de telle sorte que, pareils aux petits enfants à la mamelle, ils pussent arriver sans encombre à la fleur dé l'âge. Ce 'bienfait fut perdu; en dépit de la loi qui leur révélait l'énormité du péché, ils recommençaient à s'y plonger de nouveau; alors le Maître commun descendit ici-bas pour octroyer aux hommes cette spirituelle et parfaite constitution, dont Zara avait été la figure. Voilà pourquoi l'Evangéliste lui-même fait mention de Thamar et de ses enfants, en disant: Et Juda eut Pharès et Zara de Thamar.

3. Gardons-nous donc de parcourir étourdiment le texte des saintes Ecritures, gardons-nous d'en lire les paroles avec une attention superficielle: allons au fond, découvrons les richesses qu'elles recèlent, et nous glorifierons notre Maître, qui arrange toutes choses avec une si grande sagesse. En effet , faute de rechercher le but et le motif de chaque chose, non-seulement nous accuserons Thamar, comme ayant eu commerce avec son beau-père, mais nous accuserons Abraham lui-même, comme ayant eu l'intention de tuer son fils, et Phinées comme coupable d'un double homicide. Au contraire, si nous considérons avec attention la raison de chaque fait, nous serons conduits à justifier ces personnages, et en même temps, nous retirerons de là une grande utilité. Mais quant à ce qui regarde cette histoire, nous l'avons analysée, comme il nous -a été possible devant vos charités.

Maintenant, si vous n'êtes pas fatigués, et que vous y soyez disposés, nous passerons à ce qui suit, et nous reviendrons au récit qui concerne l'admirable Joseph , afin que notre entretien d'aujourd'hui contribue à vous faire comprendre tout ce qu'endura ce noble athlète à la suite des songes qui lui promettaient la royauté et la suprématie sur ses frères, et coinment il subit épreuve sur épreuve, tentation sur tentation; comment néanmoins, malgré les efforts réitérés de la tempête, le pilote ne se laissa point submerger; comment, quand l'orage redoublait de violence, il restait au gouvernail , et continuait à diriger son navire; mais il faut entendre le texte lui-même, afin que rien ne nous échappe : Joseph fut mené en Égypte, et le chef de la maison de Pharaon l'acheta des maires des Ismaélites. (406) (Gen. XXXIX, 1.) Ensuite, après que ses frères l'eurent vendu à des barbares, à des hommes inhumains, que ceux-ci l'eurent cédé, à leur tour, au chef de la maison de Pharaon, après qu'il eut passé ainsi par les mains de plusieurs maîtres, lui, élevé dans les bras de son père; afin que nous ne trouvions pas étrange qu'il ait pu supporter cette dure servitude, lui, jeune, inaccoutumé à un si rude genre de vie, et nourri dans la maison d'un père qui le chérissait, l'Ecriture poursuit en disant : Et le Seigneur était avec Joseph, et tout lui réussissait. Qu'est-ce à dire , le Seigneur était avec Joseph ? Cela signifie que la grâce d'en-haut était avec lui et lui aplanissait toutes les difficultés. C'est elle qui présidait à tous les événements de sa vie; elle qui lui conciliait la bienveillance de ces cruels marchands, qui les poussait à le vendre au chef de la maison royale, afin que pas à pas et par degrés, il pût, à travers toutes ces tentations, se frayer un chemin jusqu'au trône. Mais toi, mon très-cher frère, en apprenant qu'il fut l'esclave des marchands, puis l'esclave du chef de la maison royale, demande-toi comment il ne se troublait point, ne se tourmentait pas l'esprit, ne tombait point dans l'incertitude, ne disait pas: Où sont maintenant les songes qui m'abusaient en me promettant une pareille gloire?

Après de si beaux songes, voici la servitude, une dure servitude : Je change de maître, je passe de l'un à l'autre, de celui-ci à un troisième ; il me faut vivre parmi des gens inhumains. Suis-je donc abandonné ? suis-je négligé par la grâce d'en-haut ? Il ne dit, ne pensa rien ne pareil, il endura tout sans plainte et sans murmure. Car le Seigneur était avec Joseph, et tout lui réussissait. Qu'est-ce à dire : Tout lui réussissait ? Oui, la grâce d'en-haut lui facilitait , lui aplanissait toutes choses, et cette grâce qui le couronnait était si manifeste que son maître lui-même, le chef de la maison s'en aperçut : Car son maître savait que le Seigneur était avec lui, et qu'il le favorisait et le bénissait dans toutes ses actions.

Et Joseph trouva grâce devant son maître qui l'établit sur toute sa maison, et remit entre ses mains tout ce qui lui appartenait. Voyez-vous ce que, c'est que d'être soutenu par le bras d'en-haut? Voilà un jeune homme, un étranger, un esclave, et son maître lui confie toute sa maison : Et il remit tout entre ses mains. Pourquoi cela? Parce qu'indépendamment de l'assistance divine il déploya encore les qualités qui lui étaient propres. Il lui était agréable, dit le texte : cela signifie qu'il gérait tout en bon serviteur. Ensuite le bon Dieu qui voulait accroître sa sécurité ne le tire point d'esclavage, ne le met point en liberté. —En effet, c'est sa coutume, de ne pas mettre hors de danger les hommes vertueux , de ne pas les délivrer des tentations, mais de les assister dans les tentations mêmes avec tant d'efficacité, que ces tentations deviennent pour eux un sujet de triomphe. De là ce mot du bienheureux David: Dans la détresse vous m'avez mis au large. (Ps. IV, 2.) Vous n'avez pas chassé la détresse loin de moi, veut-il dire, vous ne m'en avez pas délivré, pour me mettre en repos, mais, chose admirable et miraculeuse, au milieu des tribulations, vous m'avez procuré la sécurité. Telle est encore ici la conduite de ce bon Maître. Il bénit la maison de l'Egyptien à cause de Joseph. (5.) Et le barbare comprit dès lors que ce serviteur était de ceux que Dieu revendique. Et il remit tout ce qui était à lui entre des mains de Joseph, et il ne savait autre chose, sinon le pain qu'il mangeait. (6.) Il en fait donc pour ainsi dire le maître de toute sa maison. Et cet esclave, ce captif avait entre les mains tous les biens de son maître. Tel est l'ascendant de la vertu; partout où elle brille, elle triomphe, et rien ne lui résiste. Comme la lumière en paraissant met en fuite les ténèbres, ainsi l'éclat de la vertu, dès qu'il vient à reluire, met tous les vices en déroute.

4. Mais le diable, cette méchante bête, en voyant la gloire du juste et l'éclat nouveau que lui valaient ses apparentes tribulations, le diable grince des dents, entre en fureur, et ne pouvant se résigner à voir ce juste grandir de jour en jour, creuse devant lui un profond abîme, un précipice où l'attendait, pensait-il, une mort affreuse; il amasse une tempête capable de lui causer le plus épouvantable naufrage mais il se convainquit bientôt qu'il ne faisait que regimber contre l'aiguillon et travailler contre lui-même. Joseph était beau et charmant de visage. Pourquoi nous parler de cette beauté ? C'est pour nous faire comprendre que la beauté n'était pas seulement dans son âme, qu'elle était en outre répandue sur son corps. Il était jeune, dans la fleur de l'âge, beau, charmant de visage. La divine Ecriture prend soin de nous en avertir à l'avance pour nous expliquer comment l'Egyptienne, éprise de la (407) beauté de ce jeune homme, put le provoquer à un commerce illicite. Et il advint après cela. (7.) Après cela c'est-à-dire , lorsque le gouvernement de la maison entière lui eut été confié, lorsque son maître l'eut jugé digne d'une fonction si honorable, que la femme de son maître jeta les yeux sur Joseph. Voyez-vous l'effronterie de cette femme dissolue? Elle ne réfléchit point qu'elle avait rang de maîtresse, que Joseph était un serviteur : séduite par sa beauté, embrasée des flammes de Satan, elle songe dès lors à se jeter dans les bras de ce jeune homme: et nourrissant dans son esprit cette pensée perverse, elle cherche l'occasion, la solitude favorable à l'exécution de sa criminelle entreprise. Mais lui, dit l'Ecriture, il ne voulait pas: il ne se laissait pas séduire, il n'agréait pas ces propositions. Car il savait que c'eût été se perdre; et non content de songer à lui-même, il s'efforçait encore, selon ses moyens, de guérir cette femme de sa folie, de sa détestable passion. Il lui donne un conseil capable de la faire rentrer en elle-même, et revenir à de plus sages pensées. Il dit à la femme de son maître (c'est l'esclave qui conseille sa maîtresse) : Vous voyez que mon maître ci cause de moi, ne sait rien de ce qui se passe dans sa maison, et qu'il a remis entre mes mains tout ce qui est à lui. (8.) O reconnaissance ! Considérez comment il énumère les bienfaits de son maître, afin de faire sentir à cette femme combien elle est ingrate envers son époux. Vous voyez, semble-t-il dire, que moi, qui ne suis qu'un serviteur, un étranger, un captif, j'ai trouvé assez de crédit auprès de lui pour qu'il remît tout entre mes mains, pour que tout dépende de moi, excepté vous-même : tous reconnaissent en moi leur supérieur, vous seule êtes au-dessus de moi, et hors de mon pouvoir. Ensuite, afin de la frapper à l'endroit sensible, de lui remettre en mémoire la tendresse de son mari, de l'empêcher de se montrer ingrate envers son époux, il lui dit : Et voici pourquoi vous êtes hors de mon pouvoir; C'est que vous êtes sa femme. Or, si vous êtes sa femme, comment pourrais-je commettre un si grand crime, et pécher contre Dieu? (Ibid. 9.) Elle cherchait la solitude, elle épiait le moment, afin d'échapper aux regards de son mari et de tous les serviteurs de la maison. Mais Joseph : Comment pourrais-je commettre un si grand crime et pécher contre Dieu ? Quelle est ta pensée? Quand bien même nous pourrions échappera la vue de tout le monde, nous ne saurions échapper à l’oeil toujours ouvert. C'est celui-là seul qu'il faut craindre et redouter, c'est devant lui qu'il faut trembler de commettre la prévarication. Et pour nous faire comprendre la haute vertu de ce juste, pour nous montrer que ce n'est pas une fois ni deux, mais souvent qu'il résista à pareil assaut, qu'il entendit ce langage sans en être ébranlé, qu'il renouvela ses conseils, l'Ecriture ajoute: Et comme elle recommençait plusieurs jours de suite, et que Joseph ne lui cédait pas (Ibid. 10) : elle épie un moment où l'on était occupé dans la maison, se jette sur lui comme une bête féroce qui aiguise ses dents, l'attire vers elle et le retient par ses vêtements. Ne passons point légèrement là-dessus : représentons-nous l'épreuve que notre juste eut à soutenir. Il n'y a pas tant lieu de s'étonner, à mon avis, de ce qu'au milieu de la fournaise de Babylone les trois jeunes gens ne souffrirent aucun mal et restèrent insensibles au feu, qu'il est admirable et merveilleux de voir cet incomparable adolescent, quand cette femme criminelle et dissolue l'a saisi par ses vêtements, s'enfuir au lieu de lui céder, et lui laisser ses vêtements entre lés mains. Ainsi que les trois enfants triomphèrent du feu par une faveur d'en-haut, récompense de leur vertu : ainsi Joseph, quand il eut fait ce qui était en lui, quand il eut déployé l'indomptable courage de sa chasteté, reçut lui-même du secours d'en. haut : le bras de Dieu l'aida à triompher dans un si rude combat, à s'échapper des filets de cette impudique. Et l'on pouvait voir alors cet homme admirable, dépouillé de ses vêtements, mais couvert du manteau de la modestie, s'échapper, s'enfuir sain et sauf de cet autre bûcher, de cette autre fournaise, non-seulement intact, mais encore plus riche d'honneur et de gloire.

5. Et pourtant, après une pareille victoire, un semblable exploit , voyez comment cet homme qu'il aurait fallu couronner, dont on aurait dû proclamer le nom , comment cet homme, dis-je, , est de nouveau en butte à d'innombrables maux, ni plus ni moins qu'un coupable. En effet, l'Egyptienne désespérée de la honte et de l'humiliation où elle s'était plongée elle-même par sa tentative insensée, assemble d'abord les gens de la maison, et, devant eux, accuse le jeune homme, en lui imputant calomnieusement ses propres (408) discours. — C'est chose familière au vice, que d'essayer de noircir la vertu , son éternelle rivale , en lui prêtant ses propres misères ainsi fit-elle, en accusant Joseph de libertinage, tandis qu'elle se couvrait elle-même du masque de la chasteté , expliquant de cette manière comment il avait abandonné ses vêtements, comment elle-même les avait gardés entre ses mains. Et le Dieu de bonté tolérait, endurait tout cela, voulant ne rien négliger pour assurer plus de gloire à son serviteur. En effet, son mari venu, elle répète toutes ces calomnies perfides, elle accuse Joseph en disant : Le jeune hébreu que tu as introduit chez nous, est venu vers moi, afin de m'insulter. (Ibid. 17.) Malheureuse, misérable femme ! Ce n'est pas lui qui a introduit Joseph pour qu'il (insultât, c'est le diable qui t'a induite toi-même, non-seulement à l'adultère, mais encore, autant qu'il a dépendu de toi, à l'homicide. Et là-dessus elle montrait, à l'appui de ses paroles; les vêtements du jeune homme.

Considérez ici, je vous prie, la bonté du Maître commun de tous les hommes. Il l'avait arraché à ses frères qui voulaient le faire mourir : il avait pourvu à ce que d'abord , selon le conseil de Ruben , Joseph fût descendu dans la citerne, puis, selon le conseil de Juda, vendu aux marchands, afin que l'accomplissement des songes fît voir au juste la vérité de ce qui lui avait été annoncé : et maintenant c'est encore le bras d'en-haut qui retient ce barbare, qui l'empêche de consommer le meurtre sur-le-champ. Qu'est-ce qui pouvait l'arrêter, en effet, une fois averti de la tentative d'adultère? Mais Dieu, qui peut tout, le disposa à montrer tant de clémence, afin que, jeté en prison, et donnant là de nouvelles preuves de sa vertu, Joseph s'élevât de cette manière au premier rang du royaume. Son maître se mit en colère (Ibid. 19), et fit jeter Joseph dans la prison, où l'on gardait les prisonniers du roi. (Ibid. 20.) S'il n'avait pas foi au rapport, il ne fallait pas mettre Joseph en prison : si, au contraire , il ajoutait foi aux paroles de l'Egyptienne, dans ce cas encore, Joseph ne méritait pas la prison, il méritait le dernier supplice, la décapitation. Mais, dès que le bras d'en-haut manifeste sa providence, tout devient aisé et facile, et les plus farouches s'adoucissent. Or, c'est quand nous avons fait preuve nous-mêmes d'une grande vertu que la grâce d'en-haut nous est surtout prodiguée. —  Joseph avait lutté vaillamment : il fut magnifiquement récompensé. — Après un si noble exploit, il est conduit en prison; il subit tout en silence. Vous n'ignorez pas que les innocents qui se voient condamner comme s'ils étaient coupables, se donnent libre carrière pour se révolter, s'insurger contre ceux qui les ont frappés d'un injuste arrêt. Rien de pareil chez Joseph : il resté muet, il endure tout sans se plaindre, il attend la grâce divine dans une résignation parfaite. Et voici qu'au fond de sa prison il reçoit de nouveau plein pouvoir de son geôlier. Faut-il s'en étonner? Le Seigneur était avec Joseph, et répandait sur lui sa miséricorde. (Ibid. 21.) Qu'est-ce à dire, Répandait sur lui sa miséricorde? C'est-à-dire qu'il inclina vers la pitié l'âme du gouverneur, et le disposa à témoigner une grande bienveillance à Joseph. Il lui fit trouver grâce devant le gouverneur. En vérité, rien de plus heureux que l'homme protégé d'en-haut. Le gouverneur remit la prison entre les mains de Joseph. Voyez comme ce gardien lui cède la place, lui donne un pouvoir absolu, remet en sa discrétion tous les prisonniers. Et le gouverneur ne savait rien de ce qui se passait: car tout était dans les mains de Joseph, parce que le Seigneur était avec lui et que le Seigneur bénissait tout ce qui passait par ses mains. (Ibid. 23.) Remarquez à quel point la grâce d'en-haut lui était fidèle, comment elle abondait dans toutes ses actions.

Efforçons-nous donc, nous aussi, d'avoir toujours le Seigneur avec nous, et tâchons qu'il bénisse toutes nos actions. Celui qui a été jugé digne d'une pareille assistance, jusqu'au milieu des calamités, bravera toutes les épreuves, les comptera pour rien, parce que le Maître de l'univers, le créateur, l'ordonnateur de toutes choses, lèvera devant lui tous les obstacles et lui aplanira toutes les difficultés. Mais comment faire pour avoir le Seigneur avec nous, et pour qu'il bénisse toutes nos entreprises ? Il faut être circonspects, vigilants, imiter la chasteté de ce jeune homme, ses autres vertus, la générosité de son âme, songer que c'est seulement en nous conformant exactement à ce modèle que nous échapperons à la sévérité des jugements divins, être bien convaincus que nul ne saurait échapper à l’oeil toujours ouvert, et que le pécheur ne peut manquer d'être puni. Gardons-nous de craindre les hommes plus que la colère divine, et (409) rappelons-nous sans cesse ces paroles de Joseph : Comment pourrai-je commettre un pareil crime et pécher devant Dieu ? Dès qu'une mauvaise pensée jettera le trouble dans notre âme, méditons sur ce mot, et aussitôt s'enfuira tout désir coupable. Soit que nous éprouvions un appétit sensuel, ou une convoitise d'argent, ou toute autre passion déréglée, ne manquons pas de nous représenter aussitôt que c'est Dieu qui nous juge, et que nos plus secrètes pensées ne sauraient elles-mêmes lui échapper; par là, nous nous déroberons infailliblement aux artifices du diable, et nous trouverons là-haut un puissant secours : puisse-t-il nous être donné à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

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