ANALYSE.
1. Résumé de l'homélie précédente. Jacob met toute sa
confiance en Dieu. Quelle était l'hospitalité des anciens. 2 et 3. Explication des versets 15-18. L'amour de
Jacob pour Rachel accuse notre indifférence pour Dieu. Comment saint Paul aimait lieu, il
faut l'imiter. 4 La longueur du temps
n'est pas nécessaire pour obtenir la rémission des péchés. Puissance de l'aumône.
5. Exhortation à la pratique de l'aumône.
.
1. Hier les préludes du voyage de l'homme
juste nous ont assez montré la grandeur de sa sagesse, qui lui a mérité d'entendre de
si magnifiques promesses de la part de Dieu. Ces prières, les voeux adressés par lui au
Maître de l'univers, ont été ensuite, pour nous tous, un enseignement assez éloquent,
si son exemple nous excite à imiter sa vertu. C'est en effet une chose admirable que ce
juste, connaissant le pouvoir de Celui qui lui faisait les promesses, que ce juste qui
entendait des promesses si magnifiques, même dans ces circonstances, n'ait pas songé à
rien demander de grand ni de sublime. Qu'a-t-il demandé? ce que vous avez entendu hier;
ce qui suffisait à sa nourriture de chaque jour, un vêtement pour secourir le corps, et
bien vite, il s'engage, si Dieu lui accorde, comme il lui en a fait la promesse, de
retourner au milieu des siens, à donner, de son côté, au Seigneur, la dîme de tous les
biens qu'il en recevra. Toutes ses paroles montrent sa confiance dans le pouvoir de Celui
qui lui fait la promesse; il nous enseigne à n'avoir de confiance qu'en lui. C'est que
cet homme juste connaissait l'ineffable bonté du Seigneur; ce qui l'en assurait, c'était
le soin que Dieu avait pris de son père, et il ne doutait pas que Dieu lui accordât à
lui-même l'abondance de tous lesbiens. Aussi, ne demande-t-il rien de pareil au Seigneur;
il n'y songe pas dans ses prières; mais sa promesse de donner un jour la dîme de tout ce
qu'il recevra, montre assez toute sa confiance dans le pouvoir du Dieu qui lui a tant
promis. Voilà pourquoi le Seigneur lui disait : Je suis le Dieu d'Abraham et d'Isaac
ton père, sois sans crainte. (Gen. XXVI, 24.) Pense, lui disait-il, qu'Abraham venu
sur cette terre, comme un voyageur que nul ne connaît, s'est élevé à une gloire si
éclatante que toutes les bouches célèbrent son nom; considère, de même, que ton père
est venu au jour, lorsque le vieil Abraham touchait aux dernières limites de l'âge, et
que ton père a grandi de manière à exciter l'envie des habitants de la contrée. Eh
bien donc ! attends, pour toi, les mêmes biens ; bannis toute crainte, toute inquiétude,
et marche devant toi dans ces pensées. Le juste ne s'arrêtait pas à regarder son état
présent. En effet , il ne portait absolument rien avec lui, qu'aurait-il pu emporter? il
était seul et contraint à un long voyage. Mais, dès ce moment, avec les yeux de la foi,
il voyait l'abondance qui devait bientôt être son partage; et il montrait sa
reconnaissance. Avant d'avoir rien reçu, il fait un voeu, il consacre la dîme ; la
promesse de Dieu lui inspire plus de confiance que la réalité même de la possession. Et
en effet, nous devons moins nous fier à ce que nous tenons dans nos mains, à ce que nous
voyons, qu'aux (362) promesses de Dieu, alors même qu'elles ne s'accomplissent pas
aussitôt. Donc, plein de l'assurance que lui donnent les paroles de Dieu, le juste
entreprend son voyage, et comment n'aurait-il pas eu pleine assurance? Dieu lui avait dit
: Voici que je suis avec toi, ton gardien, partout où tu iras, et je multiplierai ta
race, et je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point, jusqu'à ce que j'aie
accompli toutes mes promesses. (Gen. XXVIII, 15.) Je veux répéter ce que j'ai dit
hier; considérez l'industrieuse sagesse de Dieu; considérez la constance, la
reconnaissance de ce juste. Il se leva, après avoir entendu ces promesses, et se
dirigea vers Chanaan; et le voilà encore voyageur, errant, mais à chaque heure
éprouvant les effets de la divine grâce; c'est le Dieu d'amour qui lui prépare, en tous
lieux, le chemin, et qui accomplit sa promesse. En effet, celui qui avait dit : Je suis
avec toi; ton gardien, partout où tu iras, c'est celui-là qui conduisit le juste
vers le puits où les bergers de ce pays allaient chercher l'eau. Il les interrogea, au
sujet de Laban, le frère de sa mère; il apprit d'eux tout ce qui le concernait; il vit
ensuite et la fille de Laban, et ses troupeaux: il vit les habitants du pays qui ne
pouvaient pas ôter la pierre de dessus le puits afin d'abreuver leurs troupeaux; il
accourut; et ce que ces hommes n'avaient pas la force de faire, il le fit, grâce au
secours d'en-haut; il prévint les bienfaits de Laban, ôta la pierre, et abreuva les
brebis, que faisait paître Rachel. Ensuite il baisa la jeune fille, lui dit qui il
était, d'où il venait, et resta auprès de la fontaine. Mais, comme c'était Dieu qui
disposait toutes choses en faveur de l'homme juste, Dieu excita la jeune fille à courir
promptement pour porter la nouvelle à son père, qui était l'oncle de Jacob, le frère
de sa mère; elle lui raconta le service que le voyageur venait de rendre, et à
elle-même et à son troupeau; elle lui apprit que ce voyageur n'était, ni un étranger,
ni un inconnu, mais le fils de sa soeur.
Considérez, mes bien-aimés, le soin que
prend la divine Ecriture de nous faire connaître tous les détails, un à un, pour nous
apprendre les moeurs antiques, l'ardeur des anciens hommes à pratiquer l'hospitalité.
L'Ecriture veut nous montrer l'empressement de la jeune fille, et le texte ne se borne pas
à dire: Elle alla porter la nouvelle de ce qui était arrivé; mais, elle courut;
c'est-à-dire qu'elle était pénétrée d'une grande joie. (Gen. XXIX,12.) Et ensuite, au
sujet de Laban, qui était le père de la jeune fille, le texte dit, que sur ce qu'elle
lui raconta, il courut, lui-même aussi, au-devant de Jacob, et le baisa et l'amena dans
sa maison. (Ibid. 13.)
2. Lorsque Laban. eut appris de lui tout
ce qu'il voulait savoir, Laban lui dit: vous êtes de mes os et de ma chair (Ibid.
94); c'est-à-dire, puisque vous êtes le fils de ma sueur, vous êtes de notre chair,
vous êtes notre frère. Et, dit le texte, il resta avec lui un mois; le juste se trouva
là, comme dans sa propre maison, au sein de l'abondance, affranchi de toute espèce de
soin. Mais comme Dieu disposait, toutes choses dans l'intérêt de ce juste, et lui
manifestait, en toutes choses, sa faveur et sa grâce, il excita pour lui l'affection de
Laban et celui-ci, voyant l'honnêteté du juste, lui dit : Parce que vous êtes
mon frère, ce n'est pas une raison pour que vous me serviez gratuitement; Dites-moi
quelle rétribution vous est due. Considérez que le juste,. de lui-même, redemandait
rien ; c'est Laban, qui sans aucune provocation, de son propre mouvement, fait cette
proposition au juste; et considérez encore, lorsqu'un homme s'appuie sur le bras d'en.
haut, comme tout afflue vers lui, ce n'est pas une raison, dit le texte, pour que vous
me serviez gratuitement; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Cependant ce
bienheureux aimait Laban, et il lui suffisait de trouver auprès de lui la nourriture de
chaque jour; et, pour ce seul avantage, il lui témoignait toute sa reconnaissance ; mais
Laban, qui a vu toute son honnêteté, le prévient, en lui promettant de souscrire à la
rétribution que lui-même fixera. Que fait donc le juste? Considérez encore ici, sa
parfaite sagesse, son parfait désintéressement, ion mépris de. l'argent; ce n'est pas
un mercenaire qui conteste avec Laban, qui réclame quoi que ce soit; il ne pense qu'à sa
mère, qu'aux ordres qu'il a reçus de son père, et il montre l'excellence de sa sagesse;
dans sa réponse à Laban : Je vous servirai sept ans, pour Rachel, votre seconde
fille. (Ibid.18.) C'est qu'aussitôt qu'il l'avait vue auprès du puits, il l'avait
aimée ; et voyez l'intelligence de Jacob ; il fixe l'intervalle de temps ; et,parce
chiffre de sept années, il montre suffisamment la sagesse qui l'inspire. Et pourquoi vous
étonner, mes bien-aimés, d'entendre dire qu'il pro. mit de servir sept ans pour la jeune
fille qu'il (363) aimait? La divine Ecriture a voulu nous montrer l'excès de son amour en
fixant la longueur du travail et du temps qu'il propose : Jacob le servit donc sept
ans, pour Rachel, et ces années lui parurent des jours en bien petit nombre, au prix de
laffection que, lui avait pour elle. (Ibid. 20.)
Ce nombre de sept ans, dit le texte, ce
n'était que comme quelques jours, à cause de sa vive affection pour la jeune fille.
C'est que l'homme blessé par l'amour ne voit rien de pénible; tous les dangers, toutes
les épreuves, tout lui semble léger, parce que ses regards ne voient qu'une chose, parce
qu'il n'a qu'une pensée, rassasier son amour.
Soyons attentifs, nous tous, que tient la
lâcheté et l'abattement d'esprit, et qui ne montrons au Seigneur que notre ingratitude.
Si ce juste, parce qu'il aimait cette jeune fille, s'est assujetti à servir pendant sept
années, a supporté les fatigues des bergers et n'a ressenti ni ces fatigues, ni la
longueur du temps; si tout lui a paru léger et facile, parce qu'il avait pour soutenir
son courage, l'attente de la félicité à venir; si ce temps si long lui a paru comme un
petit nombre de jours bien vite passés, quelle sera notre excuse, à nous, qui n'avons
lias le même amour pour le Dieu qui nous aime, qui nous comble de bienfaits, qui nous
entoure de ses soins, qui se donne tout à nous? S'agit-il d'un de ces profits du monde;
nous voilà pleins d'ardeur, prêts à tout, acceptant les fatigues, quoique ce bien que
nous poursuivons, ne soit que trop souvent un pesant fardeau, une occasion, de honte et de
châtiment, dans le présent et dans l'avenir. Mais s'il s'agit de notre salut, s'il faut
nous concilier la faveur d'en-haut, nous sommes sans énergie, sans courage, et notre
vigueur s'en va. Quelle pourra être notre excuse , que pourrons-nous dire pour justifier
notre nonchalance, nous, sans coeur, qui n'avons pas pour Dieu le même amour que ce
bienheureux pour cette jeune fille, et cela malgré tant de bienfaits depuis longtemps
reçus, malgré tant de bienfaits, que nous recevons encore chaque jour? Oui, nous sommes
des ingrats; le bienheureux Paul n'était pas un ingrat, lui, dont l'amour bouillant, dont
la charité ardente trouvait des paroles, des cris, des accents vraiment dignes de sa
grande âme : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? (Rom. VIII, 35.)
Voyez la chaleur de l'expression et la force qu'elle recèle, voyez la ferveur de l'amour
violent, voyez la charité embrasée. Qui nous séparera, c'est-à-dire, quoi donc peut
nous séparer de l'amour pour Dieu, quoi donc parmi les choses visibles, quoi donc parmi
les invisibles?
3. Ensuite, il énumère un à un tous les
malheurs particuliers, pour bien montrer à tous, que rien ne peut triompher de l'amour
qui le possède, de son amour pour le Seigneur; il ajoute : La tribulation ?
l'affliction ? la faim ? la persécution? la nudité ? les périls? le glaive? O
délirante folie, mère de la vraie sagesse ! De tout ce qui peut nous arriver,
Qu'est-ce donc qui nous séparera de l'amour de Dieu? Les tribulations de chaque jour? non
; les afflictions ? non; les persécutions? non, jamais. Quoi donc alors ? la faim? non,
pas même la faim; mais alors les périls? et que dis-je? la faim et la nudité, et les
périls? Ah ! le glaive? eh bien, dit-il, la mort même, fondant sur nous, n'aura pas ce
pouvoir; impossible, absolument impossible. Nul autre, non, jamais personne n'a mérité
de ressentir l'amour pour le Seigneur, autant que cette âme bienheureuse ; c'était comme
un esprit affranchi du corps, séjournant dans les espaces sublimes, ne touchant plus la
terre, quand il faisait entendre de telles paroles; son amour pour Dieu, la charité qui
l'embrasait, transportait sa pensée loin des choses sensibles , vers la vérité pure;
loin des choses présentes, vers les biens à venir ; loin des choses visibles, vers
celles que l'il ne voit pas. Voilà ce que fait la foi, voilà l'amour de Dieu. Et,
comprenez la grandeur du sentiment qui le pénètre, voyez quel amour pour le Seigneur;
voyez quelle charité brûlante, dans la fuite, dans la persécution, dans les verges,
dans les innombrables épreuves qu'il supporta, qu'il énumérait ainsi: J'ai plus
souffert de travaux, plus reçu de coups: souvent, j'ai vu mille morts; j'ai reçu des
Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet; j'ai été battu de
verges, par trois fois; j'ai été lapidé une fois; j'ai fait naufrage trois fois; j'ai
passé, un jour et une nuit, au fond de la mer; j'ai été souvent dans les voyages, dans
les périls sur les fleuves, dans les périls des voleurs, dans les périls de la part des
faux frères, dans la peine et dans les fatigues. (II Cor. XI, 23-27.)
Et celui qui subissait tant d'épreuves,
se réjouissait et tressaillait d'allégresse ; il savait, il avait au fond du coeur la
conviction, que les (364) fatigues présentes lui assuraient les plus glorieuses
récompenses; que ses périls lui valaient des couronnes. Si Jacob , dans son amour pour
Rachel, regardait comme le court espace de quelques jours une durée de sept années, à
bien plus forte raison, ce bienheureux méprisait-il toutes les choses présentes,
embrasé qu'il était de son amour pour Dieu, supportant tout, pour son Christ bien-aimé.
Appliquons-nous donc, nous aussi, je vous en conjure, à aimer le Christ, car, Que
demande-t-il de vous , dit l'Evangéliste? rien autre chose , que de l'aimer de tout votre
coeur, et d'accomplir ses commandements. (Marc. XII, 30). Il est évident que celui qui
aime Dieu, comme il convient, fera tous ses efforts pour accomplir ses préceptes ;
l'amour fraternel fait tout avec ardeur, pour s'attirer l'amour du bien-aimé; et nous
aussi, si notre coeur chérit sincèrement le Seigneur , nous nous empresserons
d'accomplir ses commandements; nous ne ferons rien qui puisse aigrir contre nous le
bien-aimé. Voilà la royauté du ciel; voilà, des vrais biens la vraie jouissance ;
voilà ce qui renferme les biens infinis, la sincérité, la perfection de l'amour. Et
notre amour pour Dieu est sincère, quand l'affection que nous lui portons, nous excite à
montrer, à nos compagnons d'esclavage, la tendresse d'un ardent amour. Toute la loi
des prophètes, dit l'Evangéliste, sont renfermés dans ces deux commandements
(Matth. XXII, 40), à savoir: Que vous aimiez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre
coeur , de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même.
(Marc, XII, 30, 31.) Voilà la somme, voilà le fondement de toutes les vertus. En même
temps que l'amour de Dieu fait son entrée dans les âmes, y entre aussi l'amour du
prochain; qui aime Dieu, ne méprise pas son frère, ne préfère pas les richesses à
celui qui est un de ses membres; au contraire, c'est l'amour, c'est la bonté qui se
manifeste au souvenir de cette parole : Autant de fois que vous l'avez fait à l'un de
ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait. (Matth. XXV,
40.) Cette pensée que ce que l'on fait au prochain, est fait à Dieu même, qui nous
l'attribue comme un bienfait ,qu'il a reçu de nous, donne au vrai fidèle l'allégresse
de la charité. Dès lors, d'une main généreuse, il répand autour de lui l'aumône; il
ne s'arrête pas à l'extérieur méprisable du pauvre; il ne considère que la grandeur
de Celui qui a pro. mis qu'il regarderait comme fait à lui-même tout ce qui aurait été
fait aux pauvres. Gardons-nous donc de dédaigner, je vous en conjure, ce profit de nos
âmes, ce remède de nos blessures, Voilà, en effet, voilà, par excellence, le remède
salutaire, qui fera disparaître les ulcères de nos âmes, jusqu'aux vestiges de toutes
les cicatrices; qui produira une cure, impossible pour le corps. Vous avez beau, d'après
les conseils des médecins, mettre cataplasmes sur cataplasmes ; il faut que, sur le
corps, la cicatrice demeure, et cela se comprend; c'est le corps en effet qu'il s'agit de
guérir ; au contraire, quand il s'agit de guérir l'âme, la bonne. volonté produit une
amélioration merveilleuse; les plaies disparaissent, comme la poussière que dissipe la
violence des vents. Les Ecritures sont pleines d'exemples qui le prouvent. Ainsi Paul est
devenu, de persécuteur, apôtre; et celui qui d'abord combattait l'Eg
4. Comprenez-vous le changement?
comprenez-vous la transformation? C'est ainsi que le larron, qui avait commis tant de
meurtres, a pu, pour quelques paroles que vous connaissez, en moins d'un instant, si bien
laver toutes ses fautes, qu'il a entendu, de la bouche du Seigneur : Aujourd'hui, vous
serez avec moi dans le paradis. (Luc, XXIII, 43.) C'est ainsi que;le publicain, pour
s'être frappé la poitrine, pour avoir confessé ses fautes, est descendu du temple plus
justifié que le pharisien. (Luc, XVIII, 13.) C'est que tous ces pécheurs manifestèrent
la bonne disposition de leur âme; ils confessèrent leurs péchés, ils en obtinrent la
rémission. Eh bien ! maintenant, voyons la force de ce précepte, l'abondance qui
accompagne les largesses de l'aumône; apprenons quel profit en résulte pour nous, afin
de la pratiquer avec ardeur. Peut-être son pouvoir est-il si grand que, non-seulement
elle purifie les péchés, mais déconcerte la mort. Comment cela? je vais le dire : Et
qui donc, m'objectera-t-on, pour avoir fait l'aumône, a triomphé de la mort? A coup
sûr, on voit bien que nous sommes tous asservis à la mort. Cessez de vous troubler, mes
bien-aimés; apprenez, par la réalité môme des choses, comment l'aumône triomphe de la
tyrannie de la mort. Il y avait une femme, appelée Tabitha, nom qui correspond au grec
Dorcas; chaque jour cette femme (365) s'appliquait à amasser les richesses qui viennent
de l'aumône. Elle donnait, dit le texte, des vêtements aux veuves, et leur
fournissait 3 toutes les autres choses qui leur sont nécessaires. Il arriva qu'elle tomba
malade, et mourut. Voyez ici, mon bien-aimé, quelle récompense ; les veuves donnèrent
à cette femme bienfaisante, qui prenait soin d'elle, qui leur donnait des vêtements.
Elles entourèrent l'apôtre, dit le texte, et lui montrèrent ces vêtements, et toutes
les preuves de la bonté de Dorcas, et des vertus qu'elle- manifestait, quand elle était
encore au milieu d'elles. Ces veuves redemandaient celle qui les nourrissait, et elles
versaient des larmes, et elles touchèrent vivement la compassion de l'apôtre. Que fit
alors le bienheureux Pierre? Il se mit à genoux, en prières, et, se tournant vers le
corps, il dit: Tabitha, levez-vous; elle ouvrit les yeux, vit Pierre, et se mit sur son
séant. Il lui donna aussitôt la main et la leva; et, ayant appelé les saints et les
veuves, il la leur rendit vivante. (Act. IX, 40, 41.) Voyez-vous la vertu de
l'apôtre, disons mieux, la vertu du Seigneur, opérant par lui? Voyez-vous la grandeur de
la rétribution qui récompense la charité envers les veuves, la grandeur de la
rémunération, même dans la vie présente? Eh quoi ! répondez-moi, cette femme a-t-elle
fait, pour les veuves, autant que les veuves ont fait pour elle? elle leur donna des
vêtements et de la nourriture, mais les veuves, en retour, l'ont rendue à la vie ; elles
ont repoussé la mort loin d'elle; disons mieux, ce ne sont pas ces veuves qui ont
repoussé la mort, c'est dans sa clémence, Notre-Seigneur, jaloux de récompenser les
soins de cette bienfaitrice.
Comprenez-vous la puissance de ce remède,
ô mes bien-aimés? Appliquons-le donc, tous tant que nous sommes, à nous-mêmes ; ce
n'est pas un remède dispendieux ; quoiqu'il soit d'une si grande efficacité, il coûte
peu, on se le procure sans frais; car la grandeur de l'aumône ne consiste pas dans la
valeur de l'argent, dans le prix des richesses, mais dans l'allégresse de la charité qui
s'épanche. Voilà pourquoi celui qui donne un verre d'eau froide est agréable au
Seigneur; et, de même, la pauvre femme qui jette dans le tronc deux petites pièces de
monnaie. (Math. X, 42. Luc. XXI, 2.) Ces exemples nous,apprennent que c'est, en
toutes choses, la pureté de l'intention que demande le Seigneur Dieu de tous les êtres.
Il peut se faire que celui qui n'est pas riche , montre une grande libéralité, s'il a
dans son coeur une grande charité ; il peut se faire que le riche paraisse moins
généreux que le pauvre, si ce riche a une âme sordide. Versons donc, je vous en prie,
ce que nous possédons, dans les mains des indigents; faisons-le , d'une âme charitable
et magnifique, avec les dons que nous tenons du Seigneur; ce que nous avons reçu de lui,
rendons-le lui encore,afin que, de cette manière encore, ces biens redeviennent nôtres,
avec plus de profit. Telle est, en effet, la générosité du Seigneur; quoiqu'il ne
reçoive que ce que lui-même nous a donné, il ne croit pas pourtant recevoir de nous ce
qui lui appartient en propre; mais, dans sa grande munificence, il nous promet de tout
nous rendre, à là seule condition que nous fassions ce qui dépend de nous; que nous
sachions bien, quand nous donnons aux pauvres, que nous faisons un dépôt dans les mains
du Seigneur; que nous soyons bien assurés que, quels que soient les trésors déposés
dans ses mains, non-seulement il nous les rendra, mais nous les rendra avec usure, avec un
très-grand profit, qui attestera la gloire de son incomparable magnificence. Et que
dis-je? que Dieu nous rendra nos dons avec profit; non-seulement la main divine rend ce
qu'on lui donne, mais, à tous ces présents, elle ajoute le don du royaume des cieux, et
la gloire partout proclamée, et les couronnes, et des biens qui ne se peuvent compter; et
cela, à la simple condition, pour nous , de prélever, sur tant de bienfaits reçus de
Dieu, une toute petite part, que lui offre notre bonne volonté. Y a-t-il donc là une
exigence lourde et importune? De notre superflu, il veut faire, pour nous, le nécessaire;
de ces trésors que nous déposons, sans but sérieux, inutilement dans des coffres d'où
ne sort aucun profit, il veut que nous fassions un bon emploi, qui lui permette de nous
décerner de splendides couronnes. Car Dieu est impatient, et il nous presse, et il fait
tout, et il met tout en oeuvre, pourquoi ? Pour nous rendre dignes de toutes ses
promesses.
5. Donc, je vous en prie, ne nous privons
pas de biens si précieux; si l'agriculteur diligent, vide ses greniers, confie les
semences à la terre, dépense ce qu'il a mis longtemps à recueillir, et fait cette
avance avec plaisir, dans l'espérance dé recueillir de plus grands biens, et cela,
quoiqu'il n'ignore pas les intempéries (366) des saisons, la stérilité, dont parfois la
terre est frappée, un grand nombre d'autres accidents; les sauterelles infestant les
campagnes; la nielle, tous les fléaux qui, souvent, trompent son attente; si l'espérance
qui le soutient, lui fait braver tout et confier hardiment à la terre ce qu'il a mis en
réserve : à bien plus forte raison , nous, qui avons des réserves inutiles,
dépensons-les utilement, pour les pauvres , pour nourrir les malheureux ; et cela,
puisqu'il n'est pas à craindre que l'espérance nous trompe, ni que la terre, ici, soit
stérile. Ne savez-vous pas ce que dit le texte: Il a dispersé, il a donné aux
pauvres, (Ps. CXI, 9.) Ecoutez encore la suite: Sa justice demeure éternellement.
O l'admirable semeur ! il a fait, en quelques instants, sa distribution, et c'est dans
l'éternité des siècles que sa justice demeure. Qui a jamais vu opération plus
heureuse? Aussi, je vous en conjure, acquérons, nous aussi , la justice qui vient de
l'aumône, afin que, de nous aussi, on puisse dire: ils ont dispersé, ils ont donné aux
pauvres; leur justice demeure ,éternellement. Quand
le texte dit: Il a dispersé, il a donné, vous pourriez croire que ce qui a été
dispersé , est perdu; voilà pourquoi le texte aussitôt ajoute , Sa justice demeure
éternellement, c'est-à-dire, par suite de cette, dispersion, il faut qu'une justice
demeure , dont rien ne triomphe; une justice qui s'étende dans toute la durée des
siècles, sans jamais rencontrer de fin. Et, avec l'aumône, pratiquons aussi, ardemment,
les autres vertus; réprimons les passions de la chair: bannissons de notre âme toute
illégitime concupiscence, toute pensée mauvaise: la colère, la haine, l'envie; parons,
de tous .les ornements, la beauté de notre âme; par l'éclat de cette beauté,
concilions-nous ; l'amour du Dieu du ciel, et puisse-t-il habiter avec nous ! Aussitôt qu'il verra les grâces aimables de notre
âme, vite il viendra vers nous ; c'est lui qui fait entendre ces paroles. Sur qui
jetterai-je les yeux, sinon sur l'homme, doux et paisible, et humble, qui écouté mes
paroles avec tremblement. (Isaïe, LXVI, 2.) Voyez-vous comme le prophète nous
apprend les couleurs spirituelles qui peuvent rendre éclatante la beauté de l'âme? Sur
l'homme doux, dit-il, et paisible et humble. Ensuite, il ajoute la cause qui
produit cet étai: Et qui écoute mes paroles avec tremblement. Que signifie: qui
écoute mes paroles avec tremblement? C'est, l'obéissance, qui réa
Traduit par M. PORTELETTE.