HOMÉLIE LIV

 

CINQUANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. « Rébecca appela son plus jeune fils et lui dit. » (Gen. XXVII, 42.) 

 

ANALYSE.

 

1. Du secours de la grâce divine: La conscience est un maître suffisant. Les avis des Docteurs sont le complément de la lecture des saints livres. — 2. saint Chrysostome recherche l'utilité de ses auditeurs et non leurs applaudissements. L’homicide prend racine dans l'envie. Versets 42-46 du chapitre XXVIIe . — 3. Explications des versets 1-11 du XXVIIIe chapitre. Fin de Jacob en Mésopotamie. — 4. Explication des versets 12-19. Comment Dieu exerce les justes à l'obéissance. — 5. Versets 20-22. Epilogue moral.

 

1. Avez-vous bien compris, hier, la parfaite sagesse du publicain, et la miséricorde ineffable du Seigneur, et l'excès de la stupidité des Juifs? Avez-vous bien compris la leçon que nous donne à tous, la prompte obéissance du bienheureux Matthieu, et sa conversion, qui en fait un homme tout nouveau, parce que c'est dans notre volonté, après l'action de la grâce d'en-haut, que résident nos vertus et nos vices; parce que l'ardeur de notre zèle peut nous élever au plus haut faîte de la vertu, et parce qu'au contraire notre engourdissement nous laisse tomber clans les précipices. En effet, ce qui nous distingue des êtres sans raison, c'est que nous avons reçu de la bonté de Dieu, la raison comme un glorieux privilège, c'est due nous possédons naturellement la connaissance du bien et du mal. Donc, que personne ne prétexte de son ignorance pour négliger la vertu ; qu'aucun de vous ne prétexte qu'il manque de guide pour lui montrer le chemin; nous avons tous un maître qui suffit, c'est h conscience, et nul n'est privé de ce secours. En même temps que l’homme fut formé, le discernement des actions lui a été donné, afin de le mettre à même de faire voir, dans la vie présente, la sagesse qu'il porte en lui, afin que s'exerçant comme dans une palestre, aux travaux de la vertu, il puisse conquérir les récompenses que la vertu mérite; et après quelques courtes fatigues, mériter les couronnes impérissables ; et, après avoir embrassé la vertu dans la durée qui passe, jouir des biens éternels, dans la durée infinie des siècles. Instruits (355) de ces vérités, mes bien-aimés, ne trahissons pas notre noble nature; prouvons notre reconnaissance à notre magnifique bienfaiteur; ne poursuivons pas les plaisirs d'un jour, pour atteindre des douleurs qui n'auront pas de fin; tenons sans cesse nos regards fixés sur cet oeil qui ne dort jamais, qui voit dans les replis les plus cachés de nos coeurs ; réglons ainsi notre conduite; revêtus des armes de l'esprit, montrons la sagesse qui est en nous, et conquérons le secours d'en-haut, afin de triompher, grâce au divin auxiliaire, de notre ennemi de chaque jour, de notre ennemi acharné; afin de rendre inutiles toutes ses machinations, et de nous assurer la conquête des biens que Dieu a promis à ceux qui l'aiment. Que personne donc ne considère les fatigues de la vertu ; au contraire, calculons tous les profits qui récompenseront nos efforts généreux, et apprêtons-nous avec ardeur au combat; car s'il est vrai que, dans les affaires de la vie humaine, animé de la fureur des richesses, on soit prompt à tout tenter; que les périls de la mer, les naufrages, les attaques des pirates, n'ébranlent pas, ne ralentissent pas les courages, qui cependant ne poursuivent qu'un profit incertain ; quelle excuse pourrons-nous alléguer, quand on nous promet pour nos luttes généreuses, des, biens immortels, si nous ne nous y préparons pas avec le zèle ardent d'un désir sincère? Comment pouvons-nous montrer tant d'ingratitude à notre bienfaiteur ? Comment pouvons-nous oublier les présents déjà faits, les promesses reçues? Eh quoi ! perdant toute,mémoire, nous vivons au hasard et sans but, comme des troupeaux, sans aucun souci de notre âme, nous , chargeant le ventre jusqu'à le faire éclater; triste victime de ce ventre, notre malheureux .corps souffre et nous renvoie les mille maux que hti attire notre intempérance, les douloureux embarras de notre gourmandise, et nous laissons notre âme se dessécher par la faim ? Et cela, quoique l'âme soit à un si haut degré supérieure au corps, quoique l'âme, une fois partie, il ne reste plus qu'un cadavre. Ce qu'il faudrait, ce serait donner à l'un, donner à l'autre la nourriture qui convient à chacun d'eux; et nous les perdons chacun d'eux, parce que nous ne gardons aucune mesure, engraissant l'un plus qu'il ne faut, forçant l'autre à mourir de faim. De là les paroles menaçantes que le Dieu de l'univers adresse aux Juifs, dans la fureur de son indignation . Je vous donnerai, non la famine du pain ni la soif de l'eau, mais la famine qui veut entendre la parole du Seigneur (Amos, VIII, 11), nous montrant par là que cette première famine produit la maigreur du corps, que l'autre au contraire s'attaque à l'âme. Eh bien ! ce que le Seigneur leur déclarait d'une voix menaçante, comme on annonce un supplice, nous sommes maintenant les premiers à l'attirer sur nous; et cela, lorsque Dieu nous a montré qu'il prend de nous un soin si vigilant, lorsqu'il a tout prévu, lorsqu'avec la lecture de l'Ecriture sainte il nous a encore donné les exhortations des docteurs.

C'est pourquoi, je vous en conjure, mes bien-aimés, secouez tout engourdissement, réveillez-vous enfin, appliquez-vous, de tout votre zèle, au salut de votre âme; c'est par là que vous vous concilierez tout à fait la bienveillance du Seigneur. Et nous, nous nous porterons à vous instruire, avec une ardeur encore plus vive, envoyant que vous mettez nos conseils en pratique. Quand l'agriculteur voit une terre féconde et de nature à donner beaucoup de fruits, il se met avec plus d'ardeur à la cultiver; de même, nous aussi, si nous voyons vos progrès dans les couvres due Dieu vous demande, si nous voyons que nos paroles deviennent les règles de votre conduite, nous ferons, pour vous instruire, des efforts plus courageux encore, parce que nous verrons bien que nous ne semons pas sur la pierre, mais dans une terre grasse et profondément fertile.

2. Voilà pourquoi; chaque jour, nous vous adressons nos paroles; c'est pour qu'elles vous profitent, c'est pour que vous grandissiez clans la vertu, c'est pour qu'en voyant votre avancement nous tressaillions de joie. Est-ce que, par hasard, nous prétendrions vous parler pour faire étourdiment retentir un vain bruit, pour recueillir vos éloges, pour vous entendre battra des mains en vous retirant? Non, ce n'est pas là notre désir, loin de nous une ambition pareille; ce que nous voulons, c'est votre utilité. La plus belle gloire pour moi, le plus magnifique des applaudissements, c'est le retour d'un pécheur à la vertu, c'est l'engourdissement secoué par nos paroles changé en ferveur. Voilà, pour moi, la plus belle des consolations, la vraie gloire; voilà, pour vous, le profit incomparable, la richesse, le spirituel trésor. Je ne prétends pas contester votre zèle et je sais bien qu'instruits par Dieu vous pouvez, vous aussi, (356) en instruire d'autres; dans cette pensée je termine ici mon exhortation; je reprends l'enseignement que nous fournissent d'ordinaire les paroles du bienheureux Moïse, disons mieux de l'Esprit-Saint, s'exprimant par sa bouche. Je veux ajouter quelques mots encore et je vous servirai le festin que Moïse vous apprête aujourd'hui. Vous avez vu dernièrement Jacob, qui ne fait rien que d'après le conseil de Rébecca, arracher à son père la bénédiction, larcin louable auquel Dieu coopéra lui-même et qui réussit. Mais Esaü détestait Jacob à cause de cette bénédiction et il se préparait à le faire mourir. Tel est en effet le caractère de cette passion perverse; elle ne s'arrête pas avant d'avoir jeté dans le précipice le malheureux qu'elle possède, il faut que l'homicide coure à son crime; la racine de l'homicide c'est l'envie, ce que fait bien voir dès les premiers jours du monde l'oeuvre de Caïn contre Abel. Il n'avait aucun prétexte, ni petit ni grand, d'accusation contre son frère; mais il vit les offrandes d'Abel agréables à Dieu, les siennes rejetées par sa faute, et aussitôt l'envie s'éveilla dans son coeur. Et cette racine du meurtre ayant pris naissance au fond de son âme, produisit bientôt le fruit funeste, et il commit l'homicide. De même aujourd'hui Esaü voit que son frère a reçu la bénédiction de son père, et la colère et l'envie le poussent à l'homicide, et il médite la mort de son frère.

Cette admirable mère, dans la crainte que lui inspire cette haine, montre encore toute son affection maternelle pour son enfant et elle lui indique le moyen de s'arracher aux mains de son frère. Elle appela, dit le texte, son plus jeune fils et lui dit : Voilà Esaü, votre frère, qui menace de vous tuer; écoutez donc ma voix. (Ibid. 42 , 43.) L'expérience doit vous montrer, lui dit-elle, que mes conseils vous sont utiles; déjà, pour avoir écouté ma voix, vous avez attiré sur vous les trésors de la bénédiction de votre père, faites de même maintenant, écoutez encore ma voix afin d'échapper aux mains de votre frère. Ainsi vous vous mettrez vous-même à l'abri des dangers et vous m'épargnerez une grande douleur. Car il est tout naturel de penser que, s'il osait commettre un tel attentat, il en serait puni, et il n'y aurait plus pour moi, de tous côtés, qu'une douleur sans bornes. Ecoutez donc ma voix : hâtez-vous de vous retirer vers mon frère Laban , dans le pays de Charran : vous demeurerez avec lui quelques jours, jusqu'à ce que l'irritation, la colère de votre frère contre vous soit apaisée, jusqu'à ce qu'il oublie ce que vous lui avez fait; j'enverrai ensuite pour vous faire revenir ici, pour ne pas perdre mes deux enfants en un seul jour.

Allez-vous-en, dit-elle, Vers mon frère Laban, vous demeurerez avec lui. (Ibid. 44, 41.) En effet, il est naturel de penser que la séparation, que le temps apaisera le ressentiment, éteindra la colère, apportera l'oubli de ce qui est arrivé, de cette bénédiction surprise. Jusqu'à ce qu'il oublie, dit-elle, ce que vous lui avez fait. Il n'est pas étonnant, dit-elle, qu'il soit en colère; .c'est pourquoi il vous convient de vous préserver de sa fureur, de laisser passer le temps qui produira l'oubli, afin que vous puissiez ensuite demeurer ici sans danger. Et, pour rendre moins pénible à son fils l'exil qu'elle est forcée de lui imposer, voyez d'abord comme elle le console : Allez auprès de Laban, mon frère; est-ce que je vous dis d'aller trouver je ne sais quel étranger? Mon frère: et vous demeurerez avec lui quelques jours; un temps bien court, dit-elle, rien que quelques jours, jusqu'à ce que la colère soit passée. Maintenant sa colère est bouillante, dit-elle, et le respect d'un père ne le retiendra pas; il est dominé par la colère; il n'a plus dans le coeur d'amour fraternel; il n'a plus qu'une pensée, celle d'assouvir son ressentiment. J'enverrai ensuite pour vous faire revenir promptement ici, dit-elle; je vous ferai revenir; allez-vous en donc avec confiance, puisque j'enverrai pour vous faire revenir ici. Car, je suis tout à fait inquiète; j'ai peur pour mes deux enfants; je ne veux pas être privée de mes deux enfants. Voyez la sagesse de la mère. Elle suit un mouvement naturel; bien plus, elle aide à accomplir la prédiction de Dieu. En ce moment même, elle donne à son enfant le même conseil que le Christ à ses disciples, quand il leur conseillait de ne pas s'exposer témérairement au danger, mais de se retirer pour laisser aux fureurs insensées le temps de s'éteindre. C'est donc là le conseil qu'elle donne à son fils; elle commence par lui inspirer de la confiance, il ne faut pas que son départ lui soit trop pénible. Et puis, elle imagine un prétexte honnête pour motiver ce départ; il ne faut pas qu'il paraisse d'une manière trop manifeste se retirer devant la haine de son frère, il ne faut pas que le père sache la vraie cause du voyage, à savoir, la (357) colère d'Esaü contre Jacob. Rébecca dit ensuite à Isaac : La vie m'est devenue à charge, à cause des filles de Chet qu'Esaü a épousées; si Jacob épouse une fille de ce pays-ci , que me fait la vie ? (Ibid. 46.)

3. Voyez comme elle trouve habilement un prétexte honnête. C'est que, quand la grâce d'en-haut travaille avec nous, le difficile devient facile; ce qui était lourd, devient léger. Rébecca avait Dieu pour elle, et c'est lui qui inspirait à cette mère tout ce qui pouvait servir à l'établissement futur, au salut de son fils. La vie, dit-elle, m'est devenue à charge à cause des filles de Chet, qu'Esaü a épousées; si Jacob épouse une fille de ce pays-ci, que me fait la vie? Ces paroles me semblent flétrir les moeurs des épouses d'Esaü, qui étaient pour la famille du patriarche , un grand sujet de chagrin. En effet, la divine Ecriture, parlant d'Esaü, nous a dit plus haut, qu'il avait pris des épouses parmi ceux de Chet et d'Eva; ces femmes querellaient Isaac et Rébecca. (Gen. XXVI, 31, 35.) Elle veut donc lui rappeler ces causes d'ennui; c'est comme si elle lui disait: Vous savez combien les épouses d'Esaü m'ont rendu la vie amère; quelle aversion j'éprouve, à cause d'elles, pour toutes les filles du pays de Chet; à cause d'elles, toute cette nation m'est odieuse; donc, s'il arrive que Jacob, à son tour, prenne une épouse dans cette nation , désormais que puis-je espérer? Que me fait alors la vie? Si, à ces épouses insupportables, Jacob vient ajouter encore une épouse, prise parmi les filles de cette nation, tout est perdu pour nous. A ces mots, le patriarche, connaissant la malignité de ces femmes : Isaac ayant donc appelé Jacob, le bénit, dit le texte, et lui fit ce commandement: Ne prenez point, lui dit-il, une femme d'entre les filles de Chanaan, mais allez en Mésopotamie, dans la maison du père de votre mère, et épousez une des filles du frère de votre mère. (Gen. XXVIII, 1, 2.) Ces paroles ne lui suffisent pas: il veut qu'il entreprenne son voyage avec ardeur, et il verse encore sur lui ses bénédictions: Mon Dieu vous bénira, il accroîtra et multipliera votre race, et vous serez le chef de plusieurs peuples, et il vous donnera, à vous, la bénédiction d'Abraham, mon père, à vous et à votre race après vous, et il vous donnera la terre où vous demeurez comme étranger, qu'il a promise à Abraham. (Ibid. 3, 4.) Voyez ce juste, lui prédisant tout l'avenir; quelles bonnes provisions de voyage il lui donne, et quelles consolations; il lui prédit son retour, la possession de la terre , qui sera son héritage; il lui prédit que, non-seulement sa race se multipliera, mais qu'il sera le chef de plusieurs peuples; que des peuples nombreux sortiront de lui. Quand il eut entendu ces paroles, son fils accomplit ses ordres, et partit pour la Mésopotamie, se rendant chez Laban, le frère de sa mère; et lorsque Esaü apprit, à son tour, cette seconde bénédiction donnée à Jacob par son père, et l'ordre qu'il en avait reçu de ne pas épouser une fille des Chananéens, et ce voyage en Mésopotamie, il voulut comme corriger sa faute et apaiser son père. Il alla, dit le texte, vers la maison d'Ismaël, et, outre les femmes qu'il avait déjà, il épousa une fille d'Ismaël, fils d'Abraham.

Avez-vous bien compris, mes bien-aimés, la prudence avec laquelle la plus affectueuse des mères arrache son fils Jacob au danger; l'adresse avec laquelle elle imagine un prétexte, pour son voyage, sans révéler la méchanceté d'Esaü, sans que le père puisse en soupçonner la cause réelle? Et, en même temps, comme elle donne à son fils un bon conseil, de telle sorte que la crainte le détermine à suivre sa pensée; et, en même temps, le père entend alléguer un motif plausible; il s'ensuit que le juste, déterminé par ces paroles, munit Jacob de sa bénédiction comme d'un viatique et le congédie.

Maintenant, s'il vous est agréable, et si vous n'êtes pas fatigués, voyons comment Jacob accomplit son voyage. Ne méprisons pas le fruit que nous pourrons recueillir ici de notre attention. En effet, la vie des hommes justes est tout un enseignement de sagesse. Voyez donc ce jeune homme, qui n'est pas encore sorti de la maison paternelle , qui , jusqu'à ce moment, n'a pas la moindre idée d'un voyage, ne s'est jamais trouvé en pays étranger, n'a jamais supporté d'épreuve; voyez-le, qui se met en route, et comprenez l'excellence de sa sagesse. Jacob étant sorti du Puits du serment, s'en alla à Charran, et, étant venu en un certain lieu, comme il voulait s'y reposer, après le coucher du soleil, il prit une des pierres qui étaient là, et la mit sous sa tête, et s'endormit dans ce même lieu. (Ibid. 10, 11).

Voyez-vous la sagesse au-dessus de toute expression? Voyez-vous cette manière de (358) voyager, dans les temps qui ne sont plus? Voilà un homme qui n'est pas sorti de chez lui je veux le redire, habitué à voir autour de lui des serviteurs en foule. C'était un homme simple de moeurs, dit le texte, et retiré à la maison (Gen. XXV, 27) ; le voilà, au début d'un voyage, et il n'a besoin ni de bêtes de somme, ni de serviteurs, ni de bagages: c'est un apôtre qui l'ait un voyage, au coucher du soleil, il s'endort où la nuit l'a surpris. Il prit, dit le texte, une pierre et la mit sous sa tête. Voyez la robuste nature du jeune homme; une pierre lui sert d'oreiller, et, sur la terre, il dort. Mais aussi , comme il avait une âme généreuse, un esprit viril, au-dessus de toutes les vanités du siècle, il a mérité de voir cette admirable vision . C'est l'habitude de notre Dieu: quand il trouve une âme bien disposée, peu touchée des choses présentes, il se plait à lui montrer toute l'affection qu'il a pour elle.

4. Voyez donc ce juste, couché par terre, et voyant cette fameuse vision, disons mieux, jugé digne de la vision de Dieu. En effet, dit le texte, il s'endormit, et voici qu'une échelle lui apparut, dont le pied était sur la terre, et le haut touchait au ciel, et les anges de Dieu montaient et descendaient le long de l'échelle; et le Seigneur, appuyé sur l'échelle, lui disait : Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, toit père, sois sans crainte. (Ibid., 12, 13.) Considérez, je vous en conjure ici, la clémence de Dieu. Il le voyait docile aux conseils de sa mère, et, parce qu'il redoutait son frère, entreprendre un long voyage; il était pour ainsi dire errant, seul, salis compagnon, saris consolation aucune;, n'attendant rien que du secours d'en-haut ; et tout de suite, et dès le commencement, jaloux de fortifier son courage, Dieu lui apparaît et lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac ton père; c'est moi qui élevai le patriarche et ton père à. une gloire si éclatante; sois donc sans crainte, aie confiance en moi, j'ai rempli les promesses que je leur ai faites, et je te prouverai, à toi aussi, que ma providence veille sur toi; sois donc sans crainte, et prends confiance; bannis toute frayeur, ajoute foi à mes paroles. Cette terre où tu dors, je te la donnerai, â toi et ci ta race, et ta race ressemblera au sable de la mer. ( Ibid. 14. ) Ne t'imagine pas , dit-il , parce que tu vas maintenant sur la terre étrangère, que tu seras privé de la terre où tu es né, où tu as été élevé , où tu    as grandi , car je la donnerai , cette terre , à toi, et à ta race, et je ferai que ta race s'augmente de manière à égaler le sable de la mer. Et elle se propagera du côté de la mer, du côté du midi, vers le septentrion, vers l’orient, c'est-à-dire, elle se propagera en tous les sens, et toutes les nations de la terre seront bénies en toi et en ta race.

Voyez comme Dieu lui prédit, dès ce moment, tout ce qui arrivera longtemps après;c'est en effet l'habitude du Dieu de l'univers, de faire aux justes; pris chacun en particulier, des promesses dont l'accomplissement ne suit pas aussitôt. l exerce l'obéissance et la patience des justes , et il remplit magnifiquement, les promesses qu'il leur a annoncées: Après cette prédiction de l'avenir, Jacob avait besoin, pour le moment, d'une consolation particulière. Voyez comme la bonté du Seignur, en lui déclarant l'avenir, ranime en même temps sa confiance; il lui dit en effet: Ne pense pas que je me borne aux seules promesses que je te fais ; ce 'est pas tout, je suis avec toi, je te garde partout où tu vas. (Ibid.15.) Ne t’imagine donc pas, dit-il, que tu sois seul sur ton chemin ; tu m'auras pour compagnon de route, tu m'auras comme gardien, quelque chemin due tu fasses, te rendant tous les fardeaux légers , abaissant devant toi tous les obstacles. Il augmente ensuite la consolation ; il lui prédit son retour au milieu des siens : Je te ramènerai, lui dit-il, dans ce pays; ne t'effraye donc point, comme si tu devais vivre dans une terre étrangère; Je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point que je n'aie accompli tout ce que je t'ai dit. Je ne te perdrai pas de vue, je ne te laisserai.;pas dans l'incertitude, dépourvu de ressources ; tout ce que je t'ai promis, je (accomplirai. Qui pourrait assez admirer l'ineffable bonté de Dieu, et l'excès de sa clémence? Voyez quelle magnifique promesse il fait au juste, comme il relève son courage. Considérez aussi la reconnaissance du juste; après tant de promesses , il supporte facilement , auprès de Laban, pendant vingt années, mille épreuves; sans se plaindre, sans réclamer contre la longueur du temps; il supporte tout avec un généreux courage, attendant l'accomplissement des promesses; persuadé que la parole de Dieu a toujours son effet, surtout quand nous montrons avec ardeur les vertus qu'il exige de nous, la foi et la patience, et la confiance (359) aux promesses du Seigneur; confiance aussi solide, que si ses promesses étaient déjà accomplies. Voilà en effet la foi véritable ; elle ne s'arrête pas aux choses visibles, alors même que tout semble contredire les promesses, elle te fie uniquement au pouvoir de celui qui a promis. Mais, voyons maintenant la reconnaissance de ce juste. Jacob s'éveilla, dit le texte, de son sommeil, et dit : Le Seigneur est vraiment en ce lien-ci, et je ne le savais pas, et il fut saisi de frayeur, et il dit : Combien ce lieu est terrible! c'est bien ici la maison de Dieu, et ceci est la porte du ciel. (Ibid. 16, 17.) Le juste est frappé de stupeur, dit le texte, ce qui est un effet de l'extrême miséricorde de Dieu, et il dit : C'est bien ici la maison de Dieu, et ceci est la porte du ciel. Ce lieu-ci s'appelle désormais pour moi , la maison de Dieu. Eh bien ! puisque j'ai été jugé digne d'une telle vision, :puisque j'ai vu pour ainsi dire, la porte du ciel, il est juste que j'offre au Seigneur l'action de grâces qui lui. est. due. Et Jacob se leva, et prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, et l'érigea comme un monument, et répandit de l'huile dessus, et Jacob appela ce lieu la maison de Dieu. Ce lieu avait un autre nom auparavant. (Ibid. 18, 19.) Après avoir été honoré d'une vision si magnifique, il en consacre le souvenir dans le nom donné au lieu; il veut que la postérité regarde cet endroit comme un endroit fameux; il y dresse une pierre,en manière de colonne; sur la pierre il verse de l'huile (vraisemblablement c'était la seule chose que ce voyageur eût emportée avec lui), et il adresse au Dieu plein de bonté, une prière inspirée par la vraie sagesse.

5. Et si vous voulez, écoutons maintenant les paroles mêmes de cette prière : Et il fit ce voeu, dit le texte, en disant : Si le Seigneur, mon Dieu, demeure avec moi, s'il me protège dans le chemin par lequel je marche. Vous vous rappelez que Dieu avait dit : Je suis avec toi, et je te garderai dans le chemin par lequel tu marches. Voilà pourquoi Jacob à son tour dit: S'il m'arrive ce que tu m'as promis de me donner. Il ajoute maintenant sa prière en disant: Si Dieu me donne du pain pour manger, et un vêtement pour me couvrir; il ne demande pas des richesses, l'abondance, le luxe, ruais du pain et un vêtement. Ce vêtement, pour se couvrir le corps; ce pain , comme un aliment nécessaire. Considérez le caractère apostolique que sa prière révèle;. tel était l'amour de la sagesse qui remplissait l'âme de l'homme juste. Ce que le Christ disait : Ne possédez ni or ni argent, ni deux tuniques (Math. X, 9), ce patriarche, sans aucun maître, de lui-même, l'avait appris, du maître que nous portons naturellement en nous; et il demandait à Dieu du pain pour manger, et un vêtement pour se couvrir. Si j'ai cela, dit-il, sur la terre étrangère : Et si Dieu me ramène sain et sauf dans la maison de mon père , comme il me l'a promis, le Seigneur sera mon Dieu, et cette pierre que j'ai dressée comme un monument, sera pour moi la maison de Dieu, et je vous offrirai, Seigneur, la dîme de tout ce que vous m'aurez donné. (Ibid. 21, 22.) Voyez la sagesse du juste; il demandait sans doute, mais rien de précieux, rien que du pain et un vêtement, et il promettait, au Seigneur, de lui donner de ses propres biens; c'est qu'il n'ignorait pas que Dieu rivalise avec nous de munificence, que ses rétributions dépassent nos pensées; et il dit : Cette colonne sera pour moi la maison de Dieu, et, de toutes les choses que vous me donnerez, Seigneur, je vous donnerai la dîme. Avez-vous bien compris cette sagesse d'une âme qui aime Dieu? Il n'a encore rien reçu, et il promet de rendre, au Seigneur, la dîme des biens qui lui seront accordés.

Gardons-nous, mes bien-aimés, de passer outre, sang nous arrêter sur ces paroles; rivalisons tous avec ce juste; nous qui vivons sous la loi de grâce, imitons celui qui vécut avant la loi; et ne demandons rien de ce qui est temporel au Seigneur. En effet, il n'attend pas de nous que nous l'avertissions; il prévient même nos demandes, pour nous donner ce dont nous avons besoin. Il fait lever sors soleil sur les méchants et sur les bois; il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes. (Math.V, 45.) Et croyons en ses avertissements et ses paroles : Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. (Math. VI, 33.) Comprenez-vous qu'il nous a préparé lui-même, en don, jusqu'à ces autres biens, qu'il nous promet de nous les donner à titre de profit, et par surcroît? N'allez donc pas demander, à titre de nécessaire, ce que vous recevrez par surcroît; procédons avec ordre; cherchons ce qu'il nous a commandé de chercher, afin qu'il nous soit permis de jouir et des biens nécessaires, et des autres. Voilà pourquoi le (360) Seigneur nous a fixé, dans la prière qu'il nous a prescrite, la mesure dans laquelle nous devons demander les biens présents. Voilà les paroles qu'il nous dit de prononcer, paroles qui renferment toute la sagesse : Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien (Math. VI, 41) ; l’aliment de la journée, dit-il, et telle est la prière de ce juste, quoiqu'il n'eût rien entendu de cet enseignement : Si le Seigneur me donne du pain pour manger, et un vêtement pour me couvrir. Ne lui demandons rien autre chose pour le présent, c'est une indignité de demander, à tant de générosité, à tant de pouvoir, des choses qui se dissipent avec la vie présente. Voilà ce que sont les choses humaines, les richesses, la puissance, la gloire qui vient de l'homme. Demandons ce qui subsiste toujours, les biens qui suffisent, les biens immuables. Instruits de la bonté de Notre-Seigneur, méprisons les choses présentes , attachons tout notre amour aux biens du ciel; car s'il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, s'il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes, à plus forte raison aura-t-il des regards pour ceux qui s'abstiennent de la malignité, qui fuient l'injustice. Il les entourera de tous les soins de sa providence ; en toute circonstance il leur prouvera sa sollicitude. Instruits de cette vérité, mes bien-aimés, ne refusons pas notre foi aux divines promesses; ne faisons rien de contraire à ses ordres. En vérité, à considérer notre conduite d'aujourd'hui, entre nous et les infidèles quelle différence? Lorsque c'est Dieu lui-même qui nous garantit l'avenir, et que nous refusons de nous fier en ses paroles; quand nous rivons nos pensées au présent, je vous le demande, quelle autre marque faut-il encore de notre incrédulité ? Les faits eux-mêmes ne parlent-ils pas assez haut? Et quand le Christ nous invite à ne rien lui demander de ces biens fragiles, qui n'ont qu'un temps, quand il nous prescrit de lui demander les biens impérissables, nous résistons à ses conseils. Ce qu'il ne veut pas que nous recherchions est l'objet de notre recherche ; et ce qu'il nous dit de demander, c'est justement ce que nous ne demandons pas. Et en suivant cette conduite, par notre lâcheté, par notre indolence, nous irritons le Dieu de douceur et d'amour; et, en même temps, nous oublions les fautes que nous commettons chaque jour; et, s'il s'indigne, nous demandons pourquoi, pourquoi il nous méprise, pourquoi il nous laisse tomber en diverses tentations; et jamais nous ne pensons à la grandeur de nos fautes; et nous sommes les premiers à nous tromper nous-mêmes. Aussi, je vous en conjure, brisons tous ces obstacles, cessons de rien mettre au-dessus de notre salut. En effet, Que sert-il à l'homme de gagner le monde tout entier et de perdre son âme? (Math. XVI, 26.) Ces richesses superflues, vidons-les dans les mains des pauvres; montrons en toutes choses l'ardeur de notre zèle pour la sagesse; méprisons la vaine gloire; foulons aux pieds le faste qui séduit les hommes; montrons, les uns envers les autres, le zèle ardent d'une charité réciproque; rendons-nous dignes et des biens présents et des biens à venir, parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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