ANALYSE.
1. Commentaire des versets 12-16. Jalousie des Géraréniens.
2. Commentaire des versets 17-22. Rien n'est plus fort que l'homme que Dieu
secourt. En quoi consiste la vraie mansuétude. Patience d'Isaac. 3. Reconnaissance
d'Isaac. Dis veut que nous lui rendions grâces. Explication, des versets 23-29. Pourquoi
Dieu se dit le Dieu d'Abraham. 4. Explication des versets 30-33. 5.
Exhortation morale.
1. Ce sont les restes d'hier qu'il convient de vous servir aujourd'hui, mes bien-aimés; reprenons la suite de notre entretien, et voyons encore quelle glorieuse marque reçut le juste Isaac de la providence d'en-haut. Car celui qui lui avait défendu de descendre en Egypte, en lui disant ces paroles : Demeurez dans le pays où vous êtes, et je serai avec vous, l'a rendu illustre au point d'exciter bientôt la jalousie du roi de Gérara. En effet , à voir tous les jours s'accroître ses richesses , on eut peur de ce qu'il prolongeait son séjour, et on le força à partir. Mais il convient d'en. tendre les paroles mêmes de l'Ecriture, afin de voir éclater en toutes choses la bienveillance de Dieu pour ses serviteurs. Isaac sema ensuite en ce pays-là, et il recueillit, l'année même, le centuple. Voyez ici, je vous en prie, la sagesse de Dieu, montrant au juste que c'est lui qui est le créateur de la nature; que pour lui, le difficile est facile, et que celui qui, dès le commencement, parce qu'il l'a voulu, a (343) rendu la terre fertile, est le même qui fait en ce moment que la semence produit le centuple; il lui envoie des biens en si grande abondance, que le juste n'a besoin de rien, et en même temps il prouve aux autres par des faits sensibles, de quelle grande faveur l'homme juste est comblé par la grâce d'en-haut. C'est en effet la. conduite ordinaire du Tout Puissant, du Dieu plein de sagesse : les bienfaits qu'il répand sur les siens, lui servent à prouver, à ceux qui sont encore dans lerreur, quelle est sa providence et son pouvoir. C'est ce qu'il fit plus tard, en Egypte encore : aux Egyptiens il infligeait des supplices; pour les Israélites, il les conservait hors de toute atteinte. Ainsi l'Egypte apprenait, non-seulement par l'indignation du Dieu qui la punissait, la puissance de l'artisan qui a fait toutes choses, mais aussi par la sollicitude, dont il donnait tant de marques aux Israélites. Et maintenant ceux-ci, pour apprendre combien ils étaient chers à Dieu, n'avaient pas seulement les preuves tant répétées de sa Providence, de sa sollicitude pour son peuple, mais aussi tant de fléaux qui, chaque jour, tombaient sur leurs tyrans. Et c'est ainsi que, par les mêmes moyens, Dieu révélait, et à ses serviteurs et à ses ennemis, la grandeur de sa puissance. Il n'est pas jusqu'aux éléments qui ne s'emploient pour servir ceux qui ne sont également que des serviteurs, lorsque Dieu a résolu de montrer à ces serviteurs, sa bienveillance; et c'est ce qui arrive à ce juste. La terre montre une fécondité qu'elle n'a pas autre part; pour obéir au Dieu de l'univers, elle de. vient si fertile qu'elle fait tout à coup régner la richesse et l'abondance dans la maison d'Isaac. Et le Seigneur le bénit, dit le texte. Et l'homme s'élevait et grandissait en puissance, jusqu'à ce qu'il fût devenu tout à fait grand. (Ibid. 12, 13.) C'est parce que la richesse des justes consistait alors dans la fertilité de la terre, dans la multitude des troupeaux, c'est pour cela que le texte dit . Et le Seigneur le bénit, et l'homme s'élevait, c'est-à-dire devenait riche; non pas d'une richesse ordinaire, mais, dit le texte, il grandissait en puissance, jusqu'à ce qu'il fut devenu tout à fait grand. Considérez, en effet, ce que c'était que de recueillir, pour ses semences, le centuple. Que si cela vous paraît étonnant, considérez ce due la clémence infinie de Dieu nous a fait voir, avec le progrès des temps. Aux hommes qui pratiquent la vertu, ce qu'il promet, depuis son avènement parmi nous, ce n'est plus le centuple seulement, c'est la vie éternelle, c'est la possession du royaume des cieux. Comprenez-vous la libéralité du Seigneur? Comprenez-vous l'accroissement des bienfaits? Comprenez-vous quelles largesses accompagnent l'avènement du Fils unique de Dieu, quelle ineffable révolution il a opérée? Donc, que chacun de nous, méditant ces pensées en lui-même, et comprenant la différence entre les promesses faites aux anciens hommes avant la grâce, et celles qui nous sont faites aujourd'hui, depuis la grâce, glorifie encore à ce titre l'immensité de la miséricorde divine, et se garde bien de tout attribuer à la diversité des temps. Mais il convient de reprendre la suite de notre discours , pour voir comment les habitants de Gérara, jaloux des richesses qui abondaient chez l'homme juste, s'efforcèrent de le chasser de leur pays. En effet, dit le texte, ces richesses excitèrent l'envie des Philistins. (Ibid. 14.) La divine Ecriture , voulant ensuite montrer comment ils manifestèrent leur envie, ajoute : Tous les puits que les serviteurs d'Abraham avaient creusés de son vivant, ils les bouchèrent et les remplirent de terre. (Ibid. 15.)
Considérez la méchanceté des gens qui habitaient ce pays; les voilà, qui refusent de l'eau à l'homme juste; et le roi, qui avait un si grand pouvoir, ne put pas réprimer cette jalousie, mais il dit : Retirez-vous d'avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. (Ibid. 16.) Quel délire ! Pourquoi chasses-tu le juste? T'a-t-il fait aucun mal? T'a-t-il fait quelque tort? Mais voilà ce. qu'est l'envie; toujours déraisonnable. II aurait fallu, puisqu'on voyait ce juste en si grande faveur auprès du Dieu de l'univers, s'attacher de plus en plus à lui; lhonorer, afin que par les honneurs qu'on lui aurait rendus, on s'attirât à soi-même la. divine faveur. Ce roi, non-seulement ne l'entend pas ainsi, mais il essaye de le chasser, et il lui dit : Retirez-vous d'avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. C'est la conduite ordinaire de l'envie; elle ne peut voir avec complaisance le bonheur des autres; le bonheur du prochain parait à l'envieux un malheur personnel, et. il se dessèche quand il voit l'abondance d'autrui : c'est ce qui arrive en cette occasion. En (344) effet, ce roi qui commandait à out un peuple, qui avait tout sous sa main, dit à ce voyageur, à cet homme errant, qui passe d'un pays dans un autre: Retirez-vous d'avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. Eh bien! oui, il était vraiment plus puissant, parce qu'il avait, en toutes choses, pour lui, le secours d'en-haut, et la droite de Dieu était son appui. Où donc envoies-tu ce juste que tu chasses? Ignores-tu donc que partout où tu le contraindras d'aller, il sera toujours dans les domaines qui appartiennent à son Seigneur? L'expérience ne t'a donc pas appris que c'est la main de Dieu qui glorifie ce juste, et le conserve? Pourquoi donc, en chassant ce juste, montres-tu ton délire envers son Seigneur? Ainsi la parfaite douceur de ce patriarche n'a pas triomphé de ta haine jalouse, et toi, vaincu par ton mal, tu veux accomplir l'oeuvre de l'envie, et tu forces à une nouvelle émigration celui qui ne t'a fait nulle offense ! Ignores-tu donc qu'alors même que tu l'auras poussé dans la plus profonde des solitudes, il verra encore près de lui son Seigneur, assez habile pour le revêtir, même au sein du désert, d'une gloire plus éclatante encore? Non, rien n'est plus solide que celui qui marche avec l'aide d'en-haut; de même que rien n'est plus infirme, que l'homme privé d'un tel secours.
2. Avez-vous bien vu, mon bien-aimé, la méchanceté du roi de Gérara et de tous les habitants de ce pays? Voyez maintenant l'extrême douceur du juste; il ne s'abandonne pas à l'orgueil, même quand les effets lui prouvent que Dieu l'assiste; quoique fort du pouvoir d'un tel compagnon d'armes, il ne se révolte pas contre le roi.. Comme un homme qui n'a aucun appui, qui n'attend, de quelque part que ce soit, aucun secours, avec une parfaite douceur, sans résister, même d'un mot, il fait ce que le roi lui commande, et aussitôt il se retire de ce pays, il s'éloigne, il apaise la colère et l'envie du méchant; en même temps qu'il montre cette rare douceur qui le distingue, il adoucit les sentiments haineux qui troublent le coeur de l'autre. Et Isaac se retira, et vint habiter près du torrent de Gérara. (Ibid. 17.) Il fit ce que le Christ recommandait à ses disciples : Quand ils vous poursuivront, fuyez dans un autre lieu. (Matth. X. 23.) Et comme David apaisait la haine de Saül en se retirant, en se dérobant à ses yeux, et tempérait ainsi sa colère (I Rois. XIX) ; de même ce juste accomplissait la parole de l'Apôtre : Laissez de l'es pace à la colère. (Rom. XII. 19.) Donc il quitta la ville, et s'en alla dans la vallée. Voyez d'ailleurs quelle douceur encore il montra dans ce nouveau séjour. Car ce ne fut pas là le terme de ses ennuis; même dans cette autre résidence, comme il voulait creuser des puits, on lui suscita des querelles. En effet, dit le texte: Il fit creuser de nouveau d'autres puits que les serviteurs d'Abraham, son père, avaient creusés, et que les Philistins avaient bouchés, et il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés auparavant. Ils fouillèrent aussi au fond du torrent, et ils y trouvèrent de l'eau vive, c'est-à-dire de l'eau qui coulait dessous; mais les pasteurs de Gérara firent encore là une querelle , en disant que l'eau leur appartenait.
Ici encore, le juste ne discute pas, ne résiste pas; il cède aux bergers; c'est que la vraie douceur ne consiste pas à supporter les offenses des plus forts, mais à céder, même quand on est offensé par ceux qui paraissent plus faibles. Alors en effet, la modération peut être attribuée uniquement à la douceur; autrement on pourrait traiter de douceur feinte l'impuissance où l'on se trouve de résister aux plus forts. Ce qui prouve clairement qu'Isaac, cédant au roi, n'a pas reculé devant sa puissance, mais n'a fait qu'écouter sa douceur naturelle; c'est qu'il tient la même conduite à l'égard des bergers. Et, de même qu'il s'est retiré quand l'autre lui disait: Retirez-vous d'avec nous; de même qu'il obéissait aussitôt comme à un ordre, de même ici, quand lés bergers veulent lui faire du mal, et revendiquent, pour eux, le puits, il s'éloigne. Il fallait conserver à jamais, dans la postérité, le souvenir de cette injustice; il donne au puits un nom pris de ce qui était arrivé. En effet, l'injustice était criante, et il appela ce puits Injustice, à cause de ce qui était arrivé. C'était comme une colonne d'airain qui devait être, pour la postérité, un monument de la douceur de l'homme juste, et de l'iniquité des autres. Le nom était composé de telle sorte que quiconque demanderait pourquoi le lieu s'appelait ainsi, apprendrait et la vertu du patriarche, et la méchanceté de ses ennemis. Remarquez, je vous en prie, comment, ici encore, les contrariétés agrandissent la vertu de l'homme juste, qui montre en toutes choses sa douceur; et (345) comment ces méchants, quoi qu'ils prétendent, ne s'agitent que pour faire mieux éclater la gloire de l'homme juste. Il ne leur suffit pas de ce qu'ils avaient fait; un autre puits est creusé; nouvelle querelle , nouvelles poursuites. Etant parti de là, dit le texte, il creusa un autre puits; ils le querellèrent encore au sujet de cet autre puits, et il le nomma Inimitié. (Ibid. 21.) Remarquez encore ici la prudence de l'homme juste; ils ne supprimèrent pas tout à fait ce puits, à ce qu'il semble, mais ils suscitèrent une querelle; l'injustice parut manifeste, et ces méchants se retirèrent. Voilà pourquoi le patriarche appela ce puits Inimitié; c'est qu'il avait été une occasion d'inimitié. C'était d'ailleurs, presque chaque jour, les mêmes attaques de la part des habitants du pays. Le juste ne s'indigna pas, né montra aucune faiblesse. Il ne réfléchit pas en lui-même, il ne dit pas : Il ne m'est plus même donné d'avoir des puits? Ne suis-je pas privé du secours d'en-haut? Le Seigneur ne m'a-t-il pas tout à fait oublié? Il ne dit ni ne pensa rien de pareil, mais il souffrit tout, avec une douceur parfaite ; et, par là, il mérita d'obtenir, de Dieu, un plus puissant secours. Tous ces événements étaient pour ainsi dire un exercice destiné à fortifier la vertu de l'homme juste. En effet, dit le texte : Etant parti de là, il creusa un autre puits, pour lequel ils ne disputèrent point: c'est pourquoi il lui donna le nom de Largeur, en disant: Le Seigneur nous a mis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre. (Ibid. 22.)
3. Voyez la sagesse de l'homme juste; quand on voulut détruire ces premiers puits, il souffrit sans se plaindre, sans résister; mais les noms seuls qu'il donna aux puits, suffirent pour y attacher le souvenir ineffaçable de la méchanceté de ces gens-là. Ici, au contraire, on ne lui suscita aucun embarras; il lui fut permis de jouir, en toute liberté, du fruit de ses fatigues; le juste attribue tout à Dieu. En effet, dit le texte : Il lui donna le nom de Largeur; et ensuite, pour expliquer ce nom, il dit : Voici pourquoi je l'appelle Largeur. Le Seigneur nous amis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre. Avez-vous compris cette piété qui oublie tant de difficultés, tant d'obstacles; qui ne se souvient que des bienfaits, afin d'en rendre grâces à Dieu, et qui dit : Le Seigneur nous a mis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre? Rien n'est aussi agréable à Dieu que la reconnaissance, qui lui rend des actions de grâces; il nous comble chaque jour de bienfaits sans nombre, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas; soit que nous le sachions, soit à notre insu; et cependant il n'exige de nous, pour les biens qu'il nous accorde, que des actions de grâces; et ces actions de grâces, pour qu'il lui soit permis de grossir nos récompenses. Pénétrez-vous de cette pensée. Voyez comment la reconnaissance de ce juste lui a de nouveau mérité la visite d'en-haut. Car, comme il avait montré de nobles marques de sa vertu, et auprès des habitants de Gérara, et quand le roi le chassait, et quand les bergers détruisaient ses puits, le Seigneur plein de bonté, veut fortifier encore ce vertueux zèle; déjà il chérissait le patriarche à cause de son insigne douceur. Après qu'il fut parti de là pour se rendre au puits du Serment, le Seigneur lui; apparut dans la nuit, et lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père, ne craignez point parce que je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d'Abraham votre père. (Ibid. 23, 24). Le Seigneur, dit le texte, lui apparut dans la nuit. Voyez le soin que prend Dieu de le ranimer, de raviver sa. confiance. Il lui apparaît, et lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père; j'ai glorifié votre père, et je l'ai rendu fameux; c'était un pèlerin,, un voyageur, que j'ai rendu plus illustre que tous les habitants du pays. C'est moi qui ail fait sa grandeur, et en toutes choses j'ai pris; soin de lui; c'est moi donc, Ne craignez point. Que signifie ce Ne craignez point? Ne vous étonnez pas d'avoir été chassé par Abimélech, insulté par les bergers; votre père a enduré un grand nombre de pareilles épreuves, et sa gloire s'en est accrue; donc que cela ne vous épouvante point, Parce que je suis avec vous. Si je permets ces choses, c'est que je veux manifester votre vertu, faire éclater en même temps leur perversité, afin de vous donner pour toutes ces raisons la couronne; Parce que je suis avec vous. Et par conséquent vous serez invincible, plus fort que vos persécuteurs, plus puissant que ceux qui vous attaquent, et je prendrai de vous un tel soin, que vous serez pour eux un objet d'envie, Parce que je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d'Abraham votre père.
Considérez la bonté de Dieu ; il dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père , il (346) montre comment il s'est attaché le patriarche, au point qu'il ne dédaigne pas de s'appeler le Dieu d'Abraham, au point que lui, le Seigneur et Créateur de l'univers, s'appelle le Dieu d'un seul homme, non qu'il veuille réduire à ce seul patriarche tout son empire, mais parce qu'il veut témoigner son affection singulière pour lui ; je me le suis attaché, dit-il, j'en ai fait ma propriété , à ce point qu'à lui seul, il semblé compenser tous les autres; par cette raison, je multiplierai votre race à cause d'Abraham votre père. Je lui dois, dit-il, de grandes récompenses pour son obéissance envers moi; donc, à cause de lui, Je multiplierai votre race. En même temps,. il remplit le juste. de confiance,. et, en prononçant le nom de son. père, il provoque en lui le vif désir de reproduire la vertu paternelle. Or, après avoir reçu les promesses de tant de biens, il éleva un autel en ce lieu, dit le texte, et il invoqua le nom du Seigneur, et il y dressa sa tente. (Ibid. 25.) Qu'est-ce à dire : Il éleva un autel en ce lieu-là? Il rendit, dit le texte, des actions de grâces au Seigneur qui avait montré tant de sollicitude pour lui, Et les serviteurs d'Isaac creusèrent là un puits; le juste enfin vécut là en toute sécurité; car- Celui qui avait dit : Je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race, Celui-là même le, glorifia, et le rendit plus grand aux yeux de, tous. Eh bien! voyez donc cet Abimélech, qui entreprit de le chasser, et qui lui dit : Retirez-vous d'avec nous; maintenant, c'est lui qui va trouver le patriarche. En effet, dit le texte : Abimélech, et le chef du gynécée, et le général de son armée vinrent, et Isaac leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui m'avez haï et m'avez chassé loin de vous? (Ibid. 26, 27.) Voyez, je vous en prie, la douceur du juste; à l'aspect de ceux qui l'avaient forcé à fuir, qui l'avaient poursuivi avec tant de -haine, .et qui viennent maintenant auprès de lui, comme des suppliants, il ne les reçoit pas avec orgueil; la vanité n'égare pas son âme, la pensée des choses que Dieu lui a dites, ne l'enivre pas-; on ne le voit pas superbe de la force du Seigneur, s'élever contre le roi; c'est toujours la même mansuétude, la. même affabilité; il leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui m'avez haï, et m'avez chassé loin de vous? Pourquoi, leur dit-il, avez-vous pensé à venir me trouver, moi que vous avez chassé, moi que vous avez haï? Ils lui répondirent : Nous avons vu que le Seigneur est avec vous et nous avons dit : faisons entre nous et vous une alliance qui sera jurée de part et d'autre, afin que vous ne nous fassiez aucun tort, comme nous n'avons rien fait pour vous offenser, et comme nous vous avons bien traité, vous ayant laissé aller en paix , comble de la bénédiction du Seigneur. (Ibid. 28, 29.) .
4. Voyez la force de la douceur, la puissance de la vertu. Ceux qui d'abord l'avaient chassé viennent maintenant trouver ce voyageur, cet homme qui n'appartient à aucune ville, ce vagabond, et non-seulement ils se justifient de ce qui est arrivé, ils lui demandent de leur pardonner leurs torts, mais ils proclament la vertu de l'homme juste ils montrent la peur qu'ils éprouvent, ils avouent leur faiblesse, ils portent un témoignage de la grande puissance de l'homme juste. En effet, quoi de plus fort que celui qui a Dieu avec lui? Nous avons vu, dit le texte, que le Seigneur est avec vous. D'où vous est venu cette science? assurément,répondent-ils, les faits mêmes nous instruisent; nous vous avons vu, vous, chassé plus fort que ceux qui vous chassaient; vous, tourmenté; supérieur à ceux qui vous tourmentaient; et la suite des événements nous a fait comprendre que vous jouissiez du secours d'en-haut. C'est l'oeuvre de la divine sagesse, que leur pensée ait été frappée des mérites du juste, et qu'ils aient acquis cette connaissance. Car, puisque le Seigneur est avec vous, faisons entre nous et vous, une alliance, qui sera jurée. Voyez comme limpulsion de la conscience les réduit vite à s'accuser eux-mêmes, sans que personne les y contraigne, ni leur reproche ce qu'ils ont fait. Car, si vous n'aviez pas commis une injustice, pourquoi demanderiez-vous au juste de faire avec vous une alliance? Mais telle est la conduite ordinaire de l'homme injuste; chaque jour sa conscience le ronge, et dans le silence de l'offensé, ceux qui ont commis l'injustice, croient qu'il lui est dû une réparation par le châtiment. Ce sont des angoisses de chaque jour, et les méchants semblent se condamner eux-mêmes à la punition de leurs fautes. C'est dans cette pensée qu'ils disent : Faisons, entre nous et vous, une alliance, qui sera jurée. Ils expliquent ensuite quelle sera cette alliance: Afin que vous ne nous fassiez aucun tort, comme nous n'avons rien fait pour vous offenser. Voyez la contradiction où les jette la crainte qui trouble leur esprit : Afin que vous ne nous fassiez aucun (347) tort. D'où vous vient cette crainte, que vous inspire le juste , quand vous le voyez montrer tant de douceur envers ceux qui l'attaquaient? C'est qu'il y a un juge incorruptible} la conscience, qui les a réveillés, lui leur a montré toute leur perversité envers l'homme juste. Voilà pourquoi ils ont peur; et la peur ne leur laisse pas voir qu'ils se contredisent : Afin que vous ne nous fassiez aucun tort, dit le texte, comme nous n'avons rien fait pour vous offenser. Pourquoi donc m'avez-vous chassé ? mais le juste ne leur demande aucune explication, et il ne redresse aucune de leurs paroles. Et comme, dit le texte, nous vous avons bien traité, vous ayant laissé aller en paix, comblé de la bénédiction du Seigneur. Vous voyez qu'ils redoutaient la vengeance d'en-haut; ils savaient bien que , si l'homme juste, plein de douceur, ne se vengeait pas du mal qu'ils lui avaient fait, Celui qui le protégeait, d'une manière si manifeste, demanderait des comptes à ses persécuteurs. Par ces raisons, ils apaisent l'homme juste ; ils tiennent à faire un pacte avec lui, et en même temps qu'ils se justifient du passé, ils cherchent à se mettre en sûreté pour l'avenir. Isaac leur fit donc un festin, dit le texte, et ils mangèrent, et ils burent ensemble, et ils se levèrent le matin et l'alliance fut jurée départ et d'autre, et Isaac les congédia et les laissa s'en retourner. (Ibid. 30, 31.) Voyez la bonté de l'homme juste : aucun désir de vengeance ne se montre dans ses paroles; et, non-seulement il oublie ce qu'ils lui ont fait, mais il leur offre une généreuse hospitalité. Isaac leur fit donc un festin, et ils mangèrent, et ils burent ensemble. Ce festin prouve assez qu'il oublie le mal qu'ils lui ont fait; et Isaac les congédia, dit le texte, et les laissa s'en retourner. La divine Ecriture nous montre par là, qu'ils étaient venus saisis d'une- grande frayeur, remplis d'inquiétudes, et que c'était, pour ainsi dire, afin de, garantir leur propre conservation, qu'ils avaient eu hâte de venir, de s'excuser auprès de l'homme juste. Voyez-vous comme il est vrai de dire, que rien n'est plus fort que la vertu; qu'il n'y a pas de pouvoir supérieur à celui que soutient la force d'en-haut? Ensuite le texte ajoute : Le même jour, les serviteurs d'Isaac s'en allèrent, creusèrent un puits, et dirent : Nous n'avons pas trouvé d'eau, et il appela ce puits le Serment; et il appela l'endroit, le puits du Serment, et le nom s'est conservé jusqu'à ce jour. (Ibid, 32, 33.) Vous voyez, ici encore, un lieu qui prend son nom des événements qui s'y sont passés: Comme on creusa un puits sans y trouver de l'eau, le jour que l'on 6t le serment, on appela le lieu le puits du Serment, afin de conserver le souvenir du fait qui s'y était passé. Voyez-vous comment ce juste, qui né reçut pas l'éducation de la loi, qui n'a pu se proposer pour modèle aucun homme vertueux, mais qui a suivi les traces de son père, qui n'a écouté que la conscience, ce maître naturel que nous portons en nous, a montré la perfection de la sagesse? Toutes ces actions n'indiquaient pas seulement la douceur de cette âme juste; il y a plus, sa conduite réalisait les préceptes du Christ. Vous savez les préceptes, les conseils que le Christ adressait à ses disciples, il leur disait de ne pas aimer seulement ceux qui les aiment, mais de prouver leur affection à leurs ennemis. (Matth. V, 44.) Et c'est ce que pratiquait ce juste, un si grand nombre d'années auparavant; et il exerçait généreusement l'hospitalité envers ses persécuteurs acharnés, et il bannissait de son âme tout désir de vengeance.
Quelle sera donc notre excuse, à nous qui, après la grâce, après tant d'enseignements, instruits par les préceptes du Sauveur, ne pouvons pas atteindre à la mesure de ce juste, et que dis-je , à sa mesure? Nous ne pouvons même pas approcher de lui; la malice aujourd'hui déborde partout, à tel point que c'est pour nous chose rare, même d'aimer ceux qui nous aiment. Quelle espérance de salut pouvons-nous donc avoir, si nous ne valons pas des publicains, ainsi que l'a dit le Christ : Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi? (Matth. V, 46.) Le Christ veut, puisqu'il veut nous voir au faîte de la vertu, que nous soyons supérieurs aux publicains,; mais nous, nous nous appliquons à rester au-dessous. Et que dis-je, au-dessous des publicains? au-dessous des brigands et de ceux qui pillent les sépulcres; au-dessous des meurtriers. En effet, tous ceux-là chérissent ceux dont ils sont aimés, et souvent même pour ceux qu'ils chérissent, ils bravent tous les périls. Quelle condition serait donc plus misérable que la nôtre, si après avoir, éprouvé de si grands effets de la miséricorde du Seigneur, nous étions trouvés inférieurs à ceux qui commettent des crimes sans nombre? Donc, je (348) vous en conjure, méditons la rigueur du supplice, le lourd fardeau de la confusion qui nous attend ailleurs. Considérons au moins, quoiqu'il soit bien tard, la noblesse de notre nature, et obéissons à la doctrine du Christ. Ne nous contentons pas d'aimer seulement avec sincérité ceux qui nous aiment; bannissons de notre âme toute haine, toute envie; et, s'il en est qui nous haïssent, appliquons-nous à les aimer; impossible autrement de conquérir notre salut; il n'y a que cette voie. Appliquons-nous à chérir, plus même que ceux qui nous chérissent; aimons surtout ces ennemis qui sont pour nous les causes de biens sans nombre, car c'est par là que nous obtiendrons la rémission de nos péchés; c'est par là qu'il nous sera donné de prier Dieu dans la sincérité de l'humilité et de la contrition. Car, une fois que l'âme est affranchie de toute haine, elle est tranquille, elle est robuste; et, invoquant le Seigneur, avec une entière pureté, elle s'attire la plénitude de la grâce d'en-haut. Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.