HOMÉLIE XLIX

QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. « Voici qu’elle fut la postérité d’Isaac, fils d’Abraham.» (Gen. XXV, 19.)

 

ANALYSE.

 

1. L'exemple d'Isaac prouve qu'il faut prier avec persévérance, et ne pas scruter trop curieusement les desseins de Dieu. — 2. Pour des causes mystérieuses, Dieu refuse quelquefois la fécondité aux femmes justes; la fécondité miraculeuse des femmes naturellement stériles aide les esprits à croire à l'enfantement d'une vierge. — 3. La prière d'Isaac dure vingt ans.

 

1. Je veux encore vous conduire à la table que vous connaissez, et vous servir le festin que nous présentent les paroles de Moïse, disons mieux, les paroles de l'Esprit-Saint. Car; ce n'est pas de lui-même que Moïse nous a parlé, mais parce que l'Esprit-Saint l'inspirait. Voyons donc ce qu'il veut encore nous apprendre aujourd'hui. Ce n'est pas sans motif, sans un but déterminé , qu'il nous propose les vies des hommes justes ; il veut que nous imitions leurs -vertus, que nous reproduisions leurs bonnes oeuvres. Après nous avoir raconté, avec tant d'exactitude, ce qui concerne le patriarche Abraham ; après nous avoir fait connaître le dernier combat qu'il soutint pour immoler son fils, son fils unique ; après nous avoir fait comprendre comment ce sacrifice à Dieu, s'il ne fut pas accompli d'une manière réelle, s'est pourtant achevé dans la volonté, il met un terme à ces récits; et nous expose maintenant ce qui concerne Isaac, immolé sans être immolé. En effet, ce qui s'est passé ressemble à une énigme; écoutez ce que dit Paul : C'est par la foi qu'Abraham offrit Isaac, lorsque Dieu voulut le tenter, car c'était son fils unique qu'il offrait, lui qui avait reçu les promesses. (Hébr. XI, 17.) Et ensuite, pour nous apprendre qu'Abraham accomplissait tout cela par la foi; que des ordres qui paraissaient en contradiction avec la promesse, ne troublaient pas pourtant sa raison, il ajoute : Ainsi il le recouvra comme d'entre les morts. (Ibid. 19.) Que signifie cette parole , et il le recouvra comme d'entre les morts? c'est qu'après l'avoir offert en sacrifice, après avoir manifesté la perfection de sa sagesse, il reçut la couronne, il revint avec l'enfant; le sacrifice s'acheva en réalité, en immolant une brebis, et le Créateur de tous les êtres montra, en toutes ces choses, l'excellence de sa bonté. Il fit voir que, par cet ordre, il avait voulu, non faire périr Isaac, mais mettre à l'épreuve l'obéissance de l'homme juste. Autre récit maintenant. Nous avons vu le patriarche faire briller en toutes choses sa vertu, eh bien ! exposons aujourd'hui les paroles qui se rapportent à Isaac. Voyons comment, lui aussi, a montré en toutes choses, la piété de son âme; il est bon d'écouter les paroles mêmes de l'Ecriture. Voici, dit le texte, quelle fut la postérité d'Isaac, fils d'Abraham. Abraham engendra Isaac, lequel ayant quarante ans épousa Rébecca, fille de Bathuel, syrien de Mésopotamie, et saur du syrien Laban. (Ibid. 20.) Considérez, je vous en prie, mon bien-aimé, l'exactitude de la divine Ecriture, qui n'emploie aucune parole superflue. En effet, pourquoi nous montre-t-elle l'âge d'Isaac? pourquoi ces paroles, lequel ayant quarante ans, épousa Rébecca ? Ce n'est pas sans dessein, ce n'est pas au hasard ; mais, (332) comme elle veut ensuite nous raconter la stérilité de Rébecca, nous faire savoir qu'elle dut sa fécondité aux prières du juste, elle tient à nous apprendre la grandeur de la patience d'Isaac, à nous montrer clairement tout le temps qu'il passa sans q voir d'enfant. Et c'est afin que nous, de notre côté, rivalisant avec ce juste, nous soyons assidus à prier le Seigneur, si nous avons quelque demande à lui adresser. En effet, s'il est vrai que ce juste, doué d'une vertu si grande, jouissant auprès de Dieu de tant de faveur, ait montré tant de constance et tant de zèle, priant Dieu sans cesse de mettre un terme à la stérilité de Rébecca, que pourrons-nous dire, nous qui, accablés du fardeau si lourd de tant de péchés, n'ayant pas à montrer la moindre des vertus de ce juste, après quelques moments de zèle et d'application à la prière, retombons bien vite dans notre engourdissement, dans notre torpeur, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés? c'est pourquoi, je vous en prie, instruits par ce qui est arrivé à ce juste, prions Dieu sans relâche de nous pardonner nos péchés; montrons-lui un zèle qui nous -brûle, qui nous dévore; ne nous indignons pas, ne nous décourageons pas, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés. Car peut-être, oui peut-être, le Seigneur, dans sa sagesse, ne nous force de montrer l'activité de notre zèle; ne nous exerce, ne nous fait attendre, que parce qu'il nous ménage le salaire de notre patience, et parce qu'il sait l'époque où il nous est utile d'obtenir ce que nous souhaitons avec tant d'ardeur. En effet, nous ne connaissons pas nos intérêts, aussi bien que lui-même, qui sait jusqu'aux secrètes pensées de chacun. Donc, il convient de ne pas rechercher avec trop de curiosité, de ne pas discuter sans fin les choses que Dieu opère, mais il faut montrer notre sagesse et admirer les vertus des justes. Après que la divine Ecriture nous a dit l'âge d'Isaac, elle nous apprend de Rébecca, sa femme, qu'elle était stérile. Considérez, je vous en prie, la piété de l'homme juste; quand il reconnut l'infirmité de la nature, il se réfugia auprès de l'Ouvrier qui l'a faite, et il s'empressa de délier par la prière les liens qui tenaient la nature enchaînée. En effet, dit le texte, Isaac pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu'elle était stérile. (Ibid. 21.) Avant tout, ce qui mérite d'être recherché, c'est pourquoi, lorsque cette femme avait une conduite admirable, lorsque son mari lui ressemblait, lorsqu'ils étaient tous deux si fortement attachés à la vertu, elle était stérile. Nous ne pouvons pas critiquer leur vie et dire que la stérilité était ici une punition des péchés. Et apprenez une chose étonnante, non-seulement cette épouse du patriarche était stérile, mais la mère de cet homme juste, Sara l'était aussi ; et non-seulement sa mère, mais sa belle-fille, la femme de Jacob, je parle de Rachel. Que signifie donc cette compagnie de femmes stériles? Tous ces personnages sont des justes; tous, doués de vertu; tous approuvés de Dieu; car c'est d'eux qu'il disait : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob. (Exode, III, 6.) Et le bienheureux Paul dit : Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu. (Hébr. XI, 16.) Leur éloge se rencontre souvent dans le Nouveau Testament, souvent dans l'Ancien ; ils étaient à tous égards,  fameux, illustres, et tous eurent des femmes stériles , et pendant longtemps ils n'ont pas eu d'enfant.

2. Donc, lorsque vous voyez un homme, une femme, deux êtres vivant dans la vertu, et à qui des enfants sont refusés; quand vous voyez des personnes pieuses, attachées à la religion et n'ayant pas d'enfant, gardez-vous de croire que ce soit l'effet du péché. C'est qu'il y a, dans le gouvernement de Dieu, bien des raisons qui nous échappent, et, quoi qu'il arrive, il faut le bénir. Et nous ne devons considérer comme malheureux, que ceux qui vivent dans la corruption et non pas ceux qui n'ont point d'enfant. Bien souvent Dieu dispose les événements dans notre intérêt ; mais nous ne saisissons pas ces causes cachées. Voilà pourquoi nous devons toujours admirer sa sagesse, glorifier son ineffable bonté. Nous vous adressons ces paroles pour que vous en fassiez votre profit, pour que vous développiez en vous la sagesse, pour que vous n'alliez pas scruter curieusement les desseins de Dieu. Cependant, il faut vous dire pourquoi ces femmes étaient stériles. Quelle en est donc la cause ? Il fallait qu'en voyant une vierge enfanter notre commun Seigneur, vous ne fussiez pas incrédules. Exercez , semble dire la sainte Ecriture, la subtilité de votre esprit , faites vos réflexions sur la stérilité, afin que , quand vous aurez appris que la nature retenue par des liens, que des flancs qui étaient morts, se sont prêtés par la grâce de Dieu, à l'enfantement de la vie édifiés par des preuves sans nombre, vous ne vous (333) étonniez pas qu'une vierge ait enfanté. Je me trompe, étonnez-vous : Soyez frappés d'admiration, mais ne refusez pas votre croyance au miracle. Donc, si un juif vous dit: Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était vierge? répondez-lui : Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était stérile et avancée en âge? Il y avait deux empêchements alors, et l'âge qui ne s'y prêtait pas, et le défaut de la nature. La vierge au contraire ne nous montre qu'un empêchement, à savoir qu'elle ne connaissait pas l'oeuvre du mariage. Donc, la femme stérile prépare la voie à la vierge. Et ce qui vous prouve que l'antique stérilité avait pour but d'assurer la foi à l'enfantement virginal, écoutez les paroles de Gabriel à la Vierge. En effet, il se présente et lui dit : Vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. (Luc, I, 31.) Elle s'étonne, elle admire, elle lui répond : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme? (Ibid. 34.) Que lui dit l'ange alors? Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. (Ibid. 35.) Ne vous préoccupez pas, lui dit-il, des règles ordinaires de la nature, puisque ce qui arrive est supérieur à la nature. Ne pensez pas aux enfantements ordinaires, puisque la naissance qui s'apprête est supérieure à la génération par la voie du mariage. Et comment cela se fera-t-il, dit-elle, car je ne connais point d'homme? Cela se fera précisément parce que vous ne connaissez point d'homme; car, si vous connaissiez un homme, vous n'auriez pas été jugée digne de servir à ce ministère. C'est pourquoi la raison qui vous fait douter, est précisément la raison de croire. Ce n'est pas que le mariage soit un mal, mais c'est que la virginité vaut mieux. Notre-Seigneur devait choisir, pour son avènement dans le monde, une entrée plus auguste que la nôtre ; il y fait une royale entrée. Il fallait que sa naissance ressemblât à la nôtre, et différât de la. nôtre; et ce double caractère s'est rencontré. Comment cela ? écoutez. Sortir des flancs maternels, voilà en quoi sa naissance ressemble à la nôtre ; et maintenant, naître sans que la naissance soit un effet du mariage, voilà ce qui est supérieur à la naissance humaine. La grossesse, voilà un fait naturel; la grossesse sans l'oeuvre du mariage, voilà ce qui est supérieur à la nature humaine. Et ces deux circonstances ont pour but de vous apprendre, et ce que cette naissance présente de distinction sublime, et ce qu'elle nous montre qui ressemble à notre nature. Et maintenant, considérez encore toute la sagesse qui a opéré ces merveilles ; ni l'excellence n'a empêché la ressemblance, la parenté avec nous; ni cette parenté avec nous, cette ressemblance, n'a contrarié en rien l'excellence et l'infinie supériorité. Les oeuvres qui se sont accomplies, ont réuni ces deux caractères : d'une part, ressemblance parfaite avec nous ; d'autre part, complète différence. Mais maintenant, que disais-je ? S'il y a eu des femmes stériles, c'était pour assurer la foi à l'enfantement virginal ; c'était pour que la vierge elle-même fût amenée à croire à la promesse. Écoutez, en effet, ce que lui dit l'ange de Dieu : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Voilà comment, dit-il, vous pourrez enfanter. Tout s’accomplira par le Saint-Esprit. Ne tenez donc pas vos regards abaissés sur la terre; c'est du ciel que vient la vertu qui opère ; c'est la grâce de l'Esprit qui produit ce qui arrive. Ne vous préoccupez donc pas de la nature ordinaire ; ne considérez plus les simples lois du mariage. Mais, comme ces paroles dépassent sa portée, il y ajoute encore une autre démonstration.

3. Quant à vous maintenant, mon bien-aimé, voyez comment la femme stérile conduit, pour ainsi dire, comme parla main, la Vierge à la foi en son enfantement. Comme la première démonstration était trop forte pour l'esprit de la Vierge, voyez l'ange accommodant son discours à la portée de son intelligence, la conduisant, comme par la main, à l'aide de choses sensibles. Et sachez, dit-il, qu'Élisabeth, votre cousine, a conçu aussi, elle-même, un fils dans sa vieillesse, et que c'est maintenant le sixième mois, pour celle qui est appelée stérile. (Luc, I, 36.) Voyez-vous qu'il n'est ici question de la femme stérile qu'à cause de la Vierge? Car autrement, pourquoi lui aurait-il parlé de l'enfantement de sa cousine ? Pourquoi, de même, lui aurait-il dit ces mots, qui est appelée stérile? Il est évident que toutes ces paroles avaient pour but de l'amener à croire à l'annonciation. Voilà pourquoi il lui dit le temps qu'a déjà duré la grossesse, pourquoi il lui parle de la stérilité; pourquoi il a attendu jusqu'à ce moment pour lui annoncer la conception. Car, il ne la lui a pas révélée tout de suite, dès le principe ; il a attendu six mois, afin que (334) le gonflement du ventre montrât la conception. Et, voyez foule l'adresse de Gabriel. En effet) il ne lui rappelle ni Sara, ni Rébecca, ni Rachel. Par quelle raison et dans quelle intention? Ces femmes aussi furent stériles jusque dans leur vieillesse, et un grand miracle s'est accompli en elles. Mais tous ces récits étaient de vieilles histoires, et L'ange lui parle d'un événement récent, pour mieux assurer sa foi.

Mais il nous faut revenir au sujet de notre discours, et montrer la vertu de l'homme juste, et vous apprendre comment ses prières ont fait cesser la stérilité de Rébecca, ont brisé les liens de la nature. Isaac, dit le texte, pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu'elle était stérile, et le Seigneur l'exauça. N'allez pas croire, parce que le texte met tout de suite, l'effet après la cause, qu'il ait tout de suite obtenu ce qu'il désirait, avec tarit d'ardeur. Vingt ans de prière persévérante, vingt ans, et ce ne fut qu'alors qu'il obtint ce qu'il demandait. Et comment le savons-nous ? Qui nous. le prouvera ? Le soin que nous prendrons de parcourir la suite de la divine Ecriture. En effet, le temps ne nous a pas été caché; l'Ecriture nous l'a indiqué, à mois couverts sans doute, mais de manière pourtant à provoquer notre désir, à nous pousser, à nous exciter à faire cette recherche, comme il convient. Car, de même qu'elle nous a appris l'âge d'Isaac, quand il épousa Rébecca , de même, aussi, nous montre-t-elle ce que nous voulons savoir. Isaac avait quarante ans, quand il épousa Rébecca, fille de Bathuel le syrien. Vous savez exactement le temps. Ensuite l'Ecriture dit: Isaac pria le Seigneur pour sa femme, parce qu'elle était stérile. Et, après ces mots, pour nous faire savoir le nombre des années que nous cherchons, elle nous marque l'âge d'Isaac, quand Rébecca lui donna ses fils. En effet, dit le texte : Isaac avait soixante ans, lorsque Rébecca le mit au monde. (Ibid. 26.) Si donc, il avait quarante ans, quand il l'épousa, et soixante, quand elle lui donna ses enfants, il est manifeste qu'il persévéra pendant vingt ans à prier Dieu et qu'il rendit ainsi propre à l'enfantement celle qui était frappée de stérilité. Avez-vous bien compris la force de la prière; comme elle triomphe de la nature? Imitons-le tous; et nous aussi, soyons assidus dans nos prières. Soyons sages, et soyons humbles. Ecoutons l'avertissement de Paul, qui nous dit :  Levons des mains pures, sans colère et sans contention. (I Tim. II, 8.) Appliquons-nous toujours à nous affranchir des passions qui nous troublent, afin que notre âme soit dans la tranquillité, surtout pendant le temps de la prière, lorsque nous avons tant besoin de la. bonté de Dieu. Car, s'il nous voit prier conformément aux lois qu'il nous impose, il se hâtera de nous accorder toutes les largesses de ses dons. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Haut du document

 

 

 

 
Capturé par MemoWeb à partir de http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/genese/genes049.htm  le 19/09/03