ANALYSE.
1. La bienveillancd des auditeurs est nécessaire à l'orateur. Genre de vie simple et modeste du patriarche Abraham. 2. La mort n'est rien autre chose qu'un sommeil. 3. Que la concorde entre époux est un grand bien. 4-5. Honorer les serviteurs de Dieu, c'est honorer Dieu. Tout est possible à Dieu. 6. Exhortation.
1 . Je me réjouis quand je vous vois accourir, pour entendre la parole et recevoir avec plaisir l'enseignement que nous vous donnons.. Et voilà pourquoi, avec une ardeur qui redouble chaque jour, je vous sers mon pauvre et chétif repas. L'excès de votre faim vous empêche d'apercevoir combien le service est maigre, et ce qui est peu de chose, vous semble considérable. C'est ce qui arrive pour les repas du corps. Un homme reçoit des convives qui n'ont pas d'appétit; c'est en vain que le service est magnifique et somptueux; les convives dégoûtés n'apprécient pas la richesse du banquet, souvent des mets recherchés leur paraissent méprisables; c'est que les convives n'ont pas d'appétit. Au contraire, supposez des pauvres, des affamés, invités à une table, si mince qu'elle soit, elle leur paraît splendide, parce qu'ils mangent avec plaisir, avec avidité. Nous aussi, comme nous sommes assuré de votre, appétit spirituel, nous ne craignons pas, mes frères, de vous servir chaque jour ce maigre repas dont les mets ont peu de valeur. Ce qui faisait dire à un sage : Il vaut mieux être invité avec affection à manger des herbes, qu'à manger le veau gras, lorsqu'on est haï (Prov. XV, 17); paroles qui nous enseignent que les yeux de la charité transforment les mets qu'on lui sert, qu'elle trouve vil ce qui est somptueux, et petit, ce qui semble grand.
Quelle félicité plus douce
pourrions-nous souhaiter, nous qui, devant de tels flots d'auditeurs, prononçons des
paroles accueillies avec tant de zèle et d'affection ! Rien n'est si nécessaire à celui
qui parle, que la bienveillance de celui qui écoute. A l'aspect d'un auditoire passionné
, avide d'entendre, l'orateur prend courage, il se sent pour ainsi dire pénétré d'une
force nouvelle, parce qu'il sait que plus sa table est riche des dons de l'Esprit, plus
ses ressources propres s'accroîtront. Il n'en est pas des festins du monde comme des
banquets spirituels. Chez les hommes; la magnificence de la table entraîne les dépenses;
le festin diminue la fortune de celui qui le donne. Ici, au contraire, il en est tout
différemment; plus il y a de convives, plus notre richesse s'accroît; et, en effet, nous
ne vous disons pas ce qui vient de nous, mais ce que nous inspirent pour votre utilité la
grâce et la bonté de Dieu. Eh bien ! donc, puisque vous venez avec tant d'empressement
et de joie pour entendre la parole, examinons attentivement les passages qui viennent
d'être lus et recueillons le fruit qu'ils contiennent. Car, selon cette grande
exhortation que le Christ nous adresse,
Voyez la manière de vivre de ces justes. Leur mobilier était peu de chose, ils n'admettaient pas le, superflu. Voyez la facilité des transports; c'étaient des voyageurs,- des pèlerins qui dressaient leurs tentes un jour . ici, l'autre jour là, comme on fait en pays étranger. Ils ne nous ressemblaient pas, à nous qui habitons une terre étrangère comme si c'était notre patrie, qui élevons des demeures splendides, et des portiques, et des lieux de promenade, et qui possédons des domaines, bâtissons des bains et mille autres constructions de tout genre. Voyez comment ce juste, dont toute la fortune consistait en esclaves et en troupeaux; qui ne s'arrêtait jamais dans le même lieu; qui plantait un jour sa tente à Béthel, un autre jour auprès du chêne de Mambré ; qui un autre jour descendait en Egypte, pose maintenant sa tente dans le pays de Gérara. Et il accepte tout, et dans tout ce qu'il fait se manifeste sa reconnaissance envers le Seigneur. Après tant de promesses que Dieu lui avait faites, il se voit au milieu de si grandes difficultés; il lui arrive des épreuves variées et diverses; comme un diamant que rien n'altère, il reste ferme, i1 montre toujours un zèle pieux qu'aucun obstacle ne ralentit. Voyez, en effet, maintenant, mon bien-aimé, quelle épreuve il subit dans le pays de Gérara, et admirez le courage et la vertu du juste. Voyez comme ce qui paraît insupportable à tous, ce que l'oreille même ne voudrait pas entendre, il l'a supporté sans se plaindre, sans demander aû Seigneur compte de ce qui arrivait; ce que font la plupart des hommes. Et ces hommes sont courbés sous le poids de péchés sans nombre; pour quelques difficultés qu'ils rencontrent, tout de suite ils murmurent, et leur curiosité inquiète demande pourquoi telle chose ou telle chose est-elle arrivée?-pourquoi telle chose a-t-elle été permise? Mais ce juste ne tient pas cette conduite; ce qui lui a valu une plus grande abondance des secours d'en-haut. En effet, c'est là le propre d'un bon serviteur de ne pas examiner curieusement ce que fait son maître; il se` tait, il reçoit tout en le bénissant.
2. Remarquez bien comment les épreuves mêmes qui suivent font éclater plus encore la vertu de l'homme juste, Dieu le glorifiant par tous les moyens. De même que, lorsqu'il descendit en Egypte, il était d'abord inconnu, voyageur, sans que personne sût qui il était, et bientôt, voilà que tout à coup il quitte l'Egypte, et il est comblé d'honneurs; ainsi maintenant encore, le voilà voyageur dans le pays de Gérara; il commença d'abord par faire tout ce qui dépendait de lui, ef bientôt il reçut de Dieu des secours qui le rendirent si puissant, que le roi du pays et tous les habitants de la contrée rivalisaient d'ardeur pour servir l'homme juste. Or, dit le texte, Abraham dit, parlant de Sara sa femme, qu'elle était sa sceur. Il eut peur en effet de dire que c'était sa femme, de peur que les gens de la ville ne le tuassent à cause d'elle. (Ibid. 2.) Voyez la violence des. sentiments qui attaquent l'âme de cet homme juste, la frayeur qu'il éprouve. Et quoique la première appréhension, celle de perdre sa femme, soit une émotion très-forte, cependant la crainte de la mort chasse cette première crainte. Car, pour se soustraire à l'horreur de la mort, il a supporté de voir, de ses propres yeux, la compagne de sa vie tomber dans les mains du roi. Combien cette situation est difficile à supporter, c'est ce que savent ceux qui ont des femmes. D'où vient qu'un sage disait : La jalousie et la fureur du mari ne pardonneront point au jour de la vengeance; pour aucun prix il ne renoncera à sa haine. (Prou. VI, 34, 35.) Eh bien ! cette douleur, insupportable pour tous les hommes, voyez comme ce juste l'a supportée, parce qu'il avait horreur de la mort. C'est évidemment ce qui arrive dans les indispositions du corps; quand deux maladies l'attaquent à la fois, les progrès de l'une font disparaître (308) l'autre; la plus forte s'empare de tout notre être, à tel point que, distraits par la plus grave, souvent nous ne sentons pas celle qui est moins dangereuse. De même, ce juste aussi, à l'aspect de la mort qui l'assiégeait, a trouvé tout le reste supportable.
Mais maintenant, gardez-vous, mes bien-aimés, en entendant ces paroles, d'accuser l'homme juste de pusillanimité, parce qu'il a craint la mort. Admirez plutôt la bonté du Créateur de tous les êtres envers nous. Cet objet si terrible pour ces hommes justes et pour ces saints, le Christ l'a rendu si misérable, que cette mort tant redoutée des anciens hommes, de ces hommes illustres par leurs vertus, pleins de confiance en Dieu, cette mort fait rire aujourd'hui de jeunes gens et de tendres vierges. La mort, en effet, n'est qu'un sommeil, qu'un voyage, qu'un passage, de la corruption à ce qui vaut bien mieux. La mort du Seigneur nous a apporté en présent l'immortalité; en descendant aux enfers, il l'a énervée, il a réduit cette force à néant, et ce qui était autrefois terrible, épouvantable, il l'a rendu méprisable à ce point qu'on voit des personnes tressaillir de joie, s'empresser de courir pour hâter ce voyage. Voilà pourquoi le bienheureux Paul nous crie : Etre dégagé de ces liens, être avec Jésus-Christ, c'est de beaucoup le meilleur. (Philip. I, 23.) Mais ces opinions sur la mort ont suivi l'avènement du Christ; il a fallu que les portes infernales, que les portes d'airain fussent brisées, que le soleil de justice brillât partout sur la terre. Dans ces anciens temps, la face de la mort était terrible; elle remplissait d'effroi l'âme des justes. Voilà pourquoi ils se résignaient à tous les autres maux, même à ceux qui paraissaient insupportables. De là vient que ce juste, redoutant les habitants de Gérara, et séjournant parmi eux, fit passer sa femme pour sa sueur. Et de même que, lorsque Dieu lui permit de descendre en Egypte, il employa ce moyen, pour faire connaître à ces hommes pervers et endurcis la vertu du juste; de même encore, ici, le Seigneur montre sa propre longanimité, pour que la patience de l'homme juste éclate en toutes choses, et que la bienveillance de Dieu pour lui se manifeste à tous. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes pour enlever Sara. Réfléchissez ici, je vous en prie, sur l'orage de pensées qu'essuya l'homme juste, en voyant qu'on emmenait son épouse et qu'il ne pouvait rien pour la défendre. Il supportait tout en silence, parce qu'il savait bien que Dieu, loin de l'oublier, se bâterait de le secourir. Admirons aussi l'amour de Sara, qui voulut arracher l'homme juste à la mort; elle pouvait elle-même, en découvrant tout, échapper à un outrage certain. Mais elle supporta tout avec courage, afin de sauver son mari. Et alors fut accomplie cette parole : Ils seront deux dans une seule chair (Gen. II, 24), c'est-à-dire qu'on eût pu croire qu'ils n'étaient qu'une seule chair, tant ils avaient un mutuel souci l'un de l'autre. Leur concorde était si grande qu'on eût pu croire qu'ils n'étaient qu'un corps et qu'une âme. Ecoutez , ô hommes, écoutez, 8 femmes; celles-ci pour montrer à leurs maris un pareil amour, pour ne rien préférer à leur salut; ceux-là, pour témoigner à leurs épouses la même affection; pour tout faire comme s'ils n'étaient qu'une âme et qu'un corps.
3. Voilà en effet ce qui constitue la sincérité de l'union conjugale, la perfection de la concorde, la perfection de la charité qui les enchaîne l'un à l'autre. De même que le corps ne se tourne pas contre lui-même, ni l'âme contre elle-même; ainsi l'époux et l'épouse ne doivent pas se tourner l'un contre l'autre; il faut qu'ils soient unis. C'est alors seulement que l'abondance de tous les biens peut affluer sur eux. Où règne la concorde, là se rencontrent tous les biens : la paix, l'amour, la joie spirituelle; ni guerre, ni combat, ni haine, ni querelle; tous ces fléaux sont écartés; cette racine de tous les biens, j'appelle ainsi la concorde, a tout fait disparaître. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes qui enlevèrent Sara; mais Dieu, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech, et lui dit: Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu'elle a un mari. (Ibid. II, 3.) Voyez la clémence de Dieu il comme il vit que le juste, par crainte de la mort, supportait courageusement que Sara fût enlevée, et que le roi la regardait comme la soeur de l'homme juste, il déclara enfin sa providence, glorifia le juste, préserva Sara d'un outrage, et le roi d'un péché. Et Dieu, dit le texte, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech. C'est justement, dit le texte, pendant le sommeil, que Dieu voulant-le soustraire à l'iniquité, éclaira sa conscience, lui révéla ce qui était secret et provoqua sa crainte, en le menaçant de la mort. En effet, dit le texte : (309) Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu'elle a un mari. Or, Abimélech ne l'avait point touchée. (Ibid. 4.) Toutes ces choses arrivèrent afin que la promesse de Dieu au patriarche eût son accomplissement. En effet, peu de temps auparavant, il lui avait promis qu'Isaac viendrait au monde, et le temps était proche. Pour que rien ne gênât l'accomplissement de la divine promesse, il frappa Abimélech d'une si grande terreur,. que ce roi n'osa point toucher Sara. Voilà pourquoi la diviné Ecriture a ajouté : Abimélech ne l'avait point touchée. Lui-même s'en défend et dit : Seigneur, punirez-vous de mort l'ignorance d'un peuple innocent? Savais-je, dit-il, que c'était son épouse? Ai-je voulu outrager un étranger? Quand j'ai enlevé cette femme, ai-je cru lui enlever son épouse? J'ai pensé la recevoir comme sa sueur, j'ai cru leur faire honneur, à elle et à lui. Punirez-vous donc de mort l'ignorance d'un peuple innocent? J'ai fait l'action d'un homme juste ; me punirez-vous de mort? Il explique ensuite sa pensée plus clairement : Ne m'a-t-il pas dit lui-même qu'elle était sa soeur, et elle-même aussi, ne m'a-t-elle pas dit qu'il était son frère ? Voyez, dans la conduite des époux, le consentement parfait: Quelle parfaite concorde ! Lui-même, dit-il, me l'a dit; elle-même a confirmé ses paroles. J'ai fait cela dans la simplicité de mon tueur et sans souiller la pureté de mes mains (Ibid. 5), dit-il. Je n'ai pas cru faire une mauvaise action, mais une action légitime, permise, irrépréhensible. Que répond à cela le Dieu de bonté? Dieu lui dit, pendant son sommeil. (Ibid. 6.) Voyez la condescendance du Dieu de toutes les créatures; voyez comme tout révèle sa bonté : Je sais que vous l'avez fait avec un coeur simple. Je sais, dit-il, qu'eux-mêmes vous ont inventé, pour vous, une histoire, et vous ont trompé par leurs paroles. Je n'ai pas voulu que cette tromperie vous induisît à pécher, c'est pour cela que je vous ai préservé, afin que vous ne, péchiez point contre moi. Quel ménagement dans ces paroles ! Quelle clémence dans le Seigneur ! Le péché, dit-il, aurait rejailli contre moi.
S'il arrive parmi les hommes qu'on fasse injure à un serviteur en grande estime auprès de son maître, le maître prend l'injure pour lui, et dit : C'est moi que vous avez outragé en outrageant mon serviteur. Le traitement qu'on lui fait, on me le fait à moi. La bonté de Dieu tient ici le même langage : Je vous ai préservé, dit-il, afin que vous ne péchiez point contre moi. Ce sont mes serviteurs, dit-il, et si recommandables à mes yeux, que ce qu'on leur fait, on me le fait à moi-même, soit en bien, soit en mal. Voilà pourquoi je ne vous ai pas permis de la toucher. Je m'intéresse à eux tout à fait, et, comme je savais que c'était par ignorance que vous alliez leur faire un outrage, je vous ai préservé afin que vous ne péchiez pas contre moi. Ne regardez pas simplement cet homme comme un homme vulgaire; apprenez qu'il est de ceux à qui je porte le plus grand intérêt, et qui me sont particulièrement chers. Rendez donc présentement cette femme à son mari, parce que c'est un prophète, et il priera pour vous et vous vivrez. (Ibid. 6.) Voyez comme il proclame la vertu de l'homme juste; il l'appelle prophète, il fait presque en sorte que le roi se montre son suppliant. En effet, il priera pour vous et vous vivrez. En effet, dit-il, ayant peur d'être tué par vous, il a bâti cette comédie; il a pour ainsi dire, coopéré à l'outrage préparé à Sara; mais sachez bien que ses prières vous procureront la vie. Ensuite, de peur qu'Abimélech, embrasé par la concupiscence, vaincu par la beauté de Sara, ne méprise ses commandements, il lui envoie la terreur , il le menace d'un grand châtiment. Si vous ne voulez point la rendre , dit-il, sachez que vous serez frappé de mort, vous et tout ce qui est à vous. Ce n'est pas vous seulement qui expierez votre désobéissance; mais la mort, à cause de vous, perdra tout ce qui est à vous. Si Dieu choisit le temps de la nuit pour lui adresser toutes ces paroles, c'est afin que l'avertissement reçu pendant l'heure du repos, soit plus efficace ; c'est pour que la crainte le décide à ,obéir au commandement. Et en effet, dit le texte, Abimélech se leva aussitôt, appela tous ses serviteurs, et leur dit tout ce qu'il avait entendu.
4. Voyez comme le roi devient le héraut de la vertu de l'homme juste , et le fait connaître à tous. En effet, dit le texte, ayant appelé tous ses serviteurs , il leur raconta tout ce que Dieu lui avait révélé, afin d'apprendre à tous, et la bienveillance de Dieu envers l'homme juste, et tout l'intérêt que Dieu lui portait à cause de ses moeurs et de sa vertu. Or ils furent tous saisis d'une grande crainte. Comprenez-vous maintenant que ce n'était pas sans raison, sans un dessein de (310) Dieu, que ce juste passait tant de fois d'un lieu dans un autre? S'il était resté sous sa première tente, comment tous les habitants de Gérara auraient-ils pu connaître l'insigne crédit dont jouissait le juste auprès de Dieu? Or ils furent tous saisis d'une grande crainte. Ils étaient pénétrés d'une frayeur qui les rendait fort inquiets de l'événement. Le texte continue : Abimélech manda Abraham. (Ibid. 9.) Considérez la gloire dont le juste jouit ensuite auprès du roi, lui qui, peu d'instants auparavant, était méprisé de tous comme un vagabond, un étranger. Donc, tout le monde est rassemblé, et aussitôt on mande le patriarche, qui ne savait rien et qui apprend ensuite, du roi lui-même , ce que Dieu avait fait pour lui. En effet, Le roi lui dit : Pourquoi nous avez-vous traités de la sorte? quel mal vous avions-nous fait, pour avoir voulu nous engager, moi et mon royaume, dans un si grand péché ? Vous avez fait faire à notre égard ce que vous n'auriez point dû ; que vouliez-vous en agissant ainsi? (Ibid. 10.) Pourquoi, dit-il, avez-vous voulu me faire tomber dans un si grand péché? dans quelle pensée avez-vous fait, cela? voyez comme ces paroles indiquent les menaces que Dieu lui a faites. Car Dieu lui avait dit : Si vous ne voulez point la rendre, sachez que vous serez frappé de mort, vous et tout ce qui est à vous. Ce sont ces paroles mêmes qu'Abimélech interprète en disant Quel mal vous avions-nous fait, pour avoir voulu nous engager, moi et mon royaume, dans un si grand péché? Est-ce que j'aurais été le seul puni? tout mon royaume aurait été perdu avec moi, par suite de la tromperie que vous avez faite. Que vouliez-vous en agissant ainsi? Considérez ici, mes bien-aimés, la prudente de l'homme juste; comment l'excuse qu'il présente, lui sert à les amener à la connaissance de Dieu. C'est que j'ai dit en moi-même, dit-il, il n'y a peut-être point de crainte de Dieu en ce pays-ci, et ils me tueront pour avoir ma femme. (Ibid. 11.) Comme s'il disait : J'ai été fort inquiet; j'ai craint que, toujours possédé par l'erreur, vous n'eussiez aucun souci de la justice. Voilà pourquoi j'ai imaginé cette feinte; c'était pour vous épargner un crime; de peur que, si vous compreniez qu'elle était mon épouse, saisi d'amour pour elle, vous ne cherchiez à me tuer. Voyez comme ce peu de paroles lui sert à les reprendre, et en même temps, à leur enseigner que celui qui a la pensée de Dieu ne doit commettre aucune injustice, mais redouter l'il qui ne dort pas, éviter les châtiments dont Dieu menace quiconque ne prend pas le plus grand souci de lâ justice. Le patriarche voulant ensuite se défendre : Ne pensez pas, dit-il, que même en parlant ainsi j'aie menti : En effet, c'est ma soeur du même père que moi, mais non de la même mère; et elle m'a été donnée pour épouse. (Ibid. 12.) Comme elle a, dit-il, le même père que moi, je l'ai appelée ma soeur; donc ne me condamnez pas. Sans doute, c'est la crainte de la mort qui m'a réduit à dire ce que j'ai dit; j'ai eu peur que vous ne me fissiez mourir, à cause d'elle, et que vous ne fassiez d'elle votre. possession; toutefois je n'ai pas menti, même en ce que je vous ai dit. Voyez quel soin prend le juste pour se disculper ici du mensonge. Et tenez, dit-il, je veux tout vous dire, écoutez le dessein que nous avons concerté entre nous Depuis que Dieu m'a fait sortir de la maison de mon père. (Ibid. 13.) Considérez, je vous en conjure, ici, l'industrieuse sagesse de l'homme juste; en suivant le fil de son discours, il leur apprend qu'il est, depuis le commencement, particulièrement attaché à Dieu ; que c'est Dieu qui l'a appelé hors de sa patrie, qui l'a amené dans ce lieu ; il veut que le roi sache qu'Abraham est du nombre de ceux qui ont en Dieu la plus grande confiance. Depuis que Dieu, dit-il, m'a fait sortir dé la maison de mon père, je lui ai dit : Vous me ferez cette grâce, dans tous les pays où nous irons, de dire que je suis votre frère. En effet, comme sil avait dit plus haut : J'ai dit en moi-même, iln'y a peut-être point de crainte de Dieu en ce pays, on aurait pu croire qu'il les réprimandait trop sévèrement; il veut donc adoucir cette peuple, et alors il dit : Ne croyez pas que je ne me sois ainsi conduit qu'avec vous. En effet, il s'empresse d'ajouter : Depuis que Dieu m'a fait sortir de la maison de mon père, je lui ai dit : Vous me ferez cette grâce dans tous les pays où nous irons; dans tous les pays, dit-il, de la terre, pour tous les peuples qui l'habitent, je lui ai fait cette recommandation. Et, en même temps il leur apprend que, dans cette feinte même, il n'y a pas de mensonge; c'est la crainte de la mort qui nous y a portés. Le juste, par ces paroles, apaisa leur colère, révéla sa vertu, et leur donna une connaissance suffisante de la vraie religion. Donc le roi, respectant la grande douceur de l'homme (311) juste, fait de magnifiques présents au patriarche. En effet, dit le texte, il reçut d'Abimélech mille pièces d'argent, et des brebis, et des veaux., et des serviteurs et des servantes, et il lui rendit Sara son épouse. (Ibid. 14.) Avez-vous bien compris, mes bien-aimés, la toute-puissance et la variété de l'industrie de Dieu? l'homme qui était en danger de mort, et qui faisait tout pour échapper à la mort, non-seulement y a échappé, mais il s'est trouvé en grande faveur, et, tout à coup a été glorifié.
5. Telle est la conduite de Dieu: non-seulement il sauve de tous les malheurs ceux qui résistent avec courage dans les moments d'épreuve, mais il sait tirer de l'adversité une félicité si grande, que l'on oublie tout dans l'abondance des biens dont on est comblé. Voyez encore les égards que le roi a pour cet homme juste. Non-seulement il l'honore en lui faisant de si magnifiques présents; mais, de plus, il lui accorde le pouvoir de fixer son séjour dans la contrée. Vous voyez devant vous toute cette terre, dit-il, demeurez où il vous plaira. (Ibid. 15.) En effet, comme il sait que ses vertus, que ses prières lui donnent la vie à lui-même, il ne le traite plus comme un voyageur, comme un vagabond, comme un homme que personne ne tonnait; il lui rend ses devoirs, comme à un bienfaiteur, comme à un protecteur. Il dit ensuite à Sara : J'ai donné mille pièces d'argent à votre frère. (Ibid. 16.) Voyez comme les paroles du juste ont profité, comme il ajoute foi à ce que le juste lui a enseigné; voici que lui-même appelle Abraham le frère de Sara. Ces pièces d'argent que j'ai données, dit-il, à votre frère, seront pour l'honneur de votre visage, et dites partout la vérité. Qu'est-ce que cela veut dire: pour l'honneur de voire visage, et dites partout la vérité? En considération de ce que j'ai entrepris par ignorance, en vous faisant venir dans ma maison, vous qui êtes l'épouse d'un juste, parce que je .vous ai fait outrage, uniquement. en considération de cet outrage, j'ai donné mille pièces d'argent; afin de réparer ce que j'ai fait contre vous. Mais dites partout la vérité. Que signifie : dites partout la vérité? Que tous, dit-il, apprennent de votre bouche que je n'ai pas fait une action injuste; que vous êtes sortie chaste de ma maison. Faites savoir, dit-il, à votre mari, que je suis pur du péché; qu'il apprenne de votre bouche que je ne vous ai rien fait. Pourquoi ces paroles? C'est afin que le ajuste, renseigné par Sara et parfaitement convaincu, offre pour lui ses prières au Seigneur. En effet, après ces paroles : Dites partout la vérité, c'est-à-dire faites savoir à votre mari ce qui a été fait, l'Écriture ajoute aussitôt : Abraham pria Dieu ensuite, et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses servantes, et elles enfantèrent. Car Dieu avait frappé de stérilité toute la maison d'Abimélech, à cause de Sara, femme d'Abraham. Voyez comment le Seigneur, voulant, par tous les moyens, glorifier le juste, accorde au patriarche le salut du roi et de toutes les personnes qui étaient dans sa maison. (Ibid. 17, 18.) Abraham, dit le texte, pria Dieu ensuite, et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses servantes, et elles enfantèrent; car Dieu avait frappé de stérilité toute la maison d'Abimélech, à cause de Sara, femme d'Abraham. Le roi était pur de tout péché; mais Dieu l'avait frappé afin d'accorder sa guérison aux prières du juste, et d'ajouter ainsi à sa gloire. Car le Seigneur ordonne toujours et dispose les choses de manière, que ceux qui le servent soient comme des flambeaux resplendissants, et que leurs vertus soient partout célébrées. Et voyez, je vous en conjure, mon bien-aimé, après que Dieu a délivré le juste de tous ces ennuis, comme il le comble encore une fois de tous les biens, comme il accomplit sa promesse. Voici maintenant l'accomplissement de ce que Dieu lui avait autrefois annoncé. Or, le Seigneur, dit le texte, visita Sara, ainsi qu'il l'avait promis, et fit à Sara selon qu'il avait dit; et elle conçut, et dans sa vieillesse enfanta un fils à Abraham, dans le temps que Dieu lui avait prédit. (Gen. XXI, 1, 2.) Que signifie : lui avait prédit et, ainsi qu'il l'avait promis? Cela veut dire, conformément à la promesse faite, quand il reçut l'hospitalité, avec les anges, auprès du chêne de Mambré. L'ancienne parole : En ce temps-là je reviendrai, et Sara aura un fils (Gen. XVIII, 14), se trouve accomplie maintenant. Ces bienheureux voyaient le démenti donné à la nature; et ce n'était pas le moyen ordinaire, mais la grâce divine qui opérait. Abraham donna le nom d'Isaac à son fils, qui lui était né de Sara. (Gen. XXI, 3.) Ce n'est pas sans raison que le texte ajoute : qui lui était né de Sara. Le texte ne se borne pas à dire Abraham donna le nom à son fils; mais il ajoute. qui lui était né de Sara, de cette femme stérile et avancée en âge. Et il le circoncit, dit le texte, le huitième jour, selon le (312) commandement du Seigneur. En effet, Dieu avait donné le commandement de circoncire , au bout de huit jours, ceux qui naîtraient dans la suite.
Avançons; exerçons-nous à comprendre la puissance ineffable de Dieu. L'impossible pour les hommes est possible pour lui. Voilà pourquoi la divine Ecriture nous apprend ici encore le temps. Après qu'elle nous a fait connaître l'enfantement, elle ajoute, pour notre instruction, ces paroles : Abraham avait cent ans quand lui naquit son fils Isaac, et Sara dit alors : Le Seigneur m'a donné un ris; quiconque l'apprendra se réjouira avec moi. Que signifie cette expression : Le Seigneur m'a donné un ris? Cet enfantement est pour moi un sujet de joie. Et qu'y a-t-il d'étonnant que je me réjouisse? Tous ceux qui l'apprendront viendront me féliciter, non pas de ce que j'ai enfanté, mais de ce que j'ai enfanté ainsi. Un enfantement si admirable, si rare, transportera tous les hommes d'admiration et redoublera leur joie, quand on saura que moi, qui n'étais qu'un cadavre quant à la génération, je suis tout à coup devenue mère, que les flancs desséchés ont produit un enfant, que la femme avancée en âge peut l'allaiter; que je verrai jaillir de mon sein des fontaines de lait, moi qui n'avais plus l'espoir d'enfanter. Et elle dit : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit de son lait un enfant? C'est que les sources de lait ont été accordées pour faire qu'on ajoute foi à l'enfantement, pour écarter l'idée d'un enfant supposé. Ces sources de lait disaient à tous que l'événement, qui dépassait l'attente des hommes, s'était accompli : Qui annoncera que Sara nourrit de son lait un enfant; que j'ai enfanté un fils dans ma vieillesse? Que moi, vieille, j'aie pu enfanter; que je puisse, à l'âge où je suis, nourrir un fils? Cependant, dit le texte, l'enfant grandit, et on le sevra, et Abraham fil un grand festin au jour qu'il fut sevré. (Ibid. 7, 8.)
6. Avez-vous bien compris l'ineffable industrie de Dieu; le complet témoignage qu'il donne de la patience du juste, lorsque, au moment même où et ce juste et tous ceux qui le voyaient, ne considérant que les forces de la nature humaine, n'osaient rien espérer, la pro. messe reçoit son parfait accomplissement? Eh bien donc ! nous aussi, mes bien-aimés, montrons la même patience que cet homme juste; pas de relâchement ; animons-nous d'une bonne espérance, par la pensée que ni la difficulté des choses, ni quelque obstacle humain que ce soit, ne peut nous priver des biens que la grâce du Seigneur daigne nous départir dans sa munificence. Chaque jour il exerce sa libéralité; tout lui cède, tout lui obéit: le difficile devient facile, l'impossible possible, pour peu que nous conservions la foi robuste en lui, Si nous ne considérons que la grandeur de son pouvoir, nous serons supérieurs à tout pouvoir humain. Celui qui a promis les biens à venir, les biens ineffables à ceux qui vivent dans la vertu, à combien plus forte raison nous accordera-t-il ce qu'il nous faut ici-bas, surtout si, n'ayant de désir que pour les biens invisibles, nous dédaignons les biens présents? Voulons-nous en jouir en abondance, sachons les mépriser. Donc, puisque nous sommes instruits de ces choses, désirons les biens durables, les biens qui ne changent pas, qui ne connaissent pas de fin, de telle sorte que nous traversions sans tristesse la vie présente, et que nous puissions conquérir le bonheur à venir et jouir de tous les biens qui nous sont promis, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.