ANALYSE.
1. Résumé de l'homélie précédente. Bénédiction de Dieu sur
Sara qui se nommera désormais Sarra. 2. La fidélité
d'Abraham amplement récompensée. Naissance miraculeuse d'Isaac nettement prédite.
3 et 4. Exhortation morale.
1. Nous allons vous présenter les restes de la table d'hier, et terminer aujourd'hui ce (lue nous avions à dire sur la bénédiction .et la promesse dont le Tout-Puissant honora le patriarche. Mais dans ces restes de table ne comprenez point dés restes matériels : ceux-ci ne ressemblent en rien à ceux d'un festin spirituel. Les uns, quand ils sont refroidis, n'ont plus 1a même saveur pour les convives, et si on les garde un jour ou deux, ils ne peuvent plus servir. Les autres, lorsqu'on les garde un jour ou deux, et tant qu'on veut, servent toujours aussi bien et donnent autant de plaisir. C'est qu'ils sont divins et spirituels, qu'ils ne souffrent rien du temps, qu'ils deviennent de jour en jour plus agréables et causent plus de joie à ceux qui veulent en profiter. Puisque ces restes ont tant d'efficacité, préparez-vous à là recevoir de tout votre coeur, et nous mêmes, confiants dans leur puissance, offrons-les à votre recueillement.
Mais pour que cette instruction vous
paraisse plus claire, il faut vous rappeler celle d'hier pour exposer avec ordre ce que
nous devons développer. Nous avons parlé hier du précepte de la circoncision, et ces
paroles que (270) Dieu adresse au patriarche : Tout mâle sera circoncis chez vous, et
ce sera le signe de l'alliance entre moi et vous. Le garçon de huit jours sera circoncis.
Et si quelqu'un n'est pas circoncis, son âme périra, parce qu'il aura violé mon
alliance. Nous avons terminé là ce que nous avons dit de la circoncision; et, afin
de ne pas vous fatiguer l'esprit par trop de paroles, nous ne sommes pas allé plus loin.
En effet, notre seule intention n'est pas de parler beaucoup et puis de partir; nous
voulons mesurer à vos forces l'instruction contenue dans nos discours, afin que vous
rapportiez chez vous quelque fruit de nos paroles. Voici donc les restes de ce discours;
nous allons voir, après le précepte de la circoncision, ce que le Dieu de bonté dit au
patriarche. Et Dieu, dit à Abraham : Sara ta femme ne s'appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. De même qu'en ajoutant une lettre à ton
nom, j'ai montré que tu serais père de beaucoup de nations, de même- j'ajoute une
lettre à celui de Sara, afin de faire voir que le temps approche où les promesses que je
t'ai faites autrefois seraient accomplies. Sarra sera son
nom. Je la bénirai et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il sera le
chef d'une nation, et les rois des nations sortiront de lui. J'ai ajouté une lettre
pour t'apprendre que toutes mes paroles vont se réa
Une pareille prédiction dépassait la nature humaine; c'était comme si l'on avait promis de faire des hommes avec des pierres. Car ils ne différaient en rien des pierres au point de vue de la génération. La vieillesse du patriarche le rendait presque impuissant et incapable d'avoir des enfants; quant à Sara, outre sa stérilité, elle était beaucoup trop avancée en âge. Mais le juste, lorsqu'il entendit ces paroles, était persuadé que Dieu avait déjà réalisé sa promesse à, propos d'Ismaël. En effet, dans ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta race , Dieu n'indiquait pas d'une manière précise le fils que Sara devait avoir, Abraham croyait donc que la promesse était déjà accomplie. Maintenant, quand le Seigneur lui dit : Je bénirai Sarra et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations; puis, de plus : les rois des nations sortiront de lui; ne sachant que dire (car un homme aussi pieux ne pouvait douter des paroles de Dieu ), songeant à sa vieillesse et à la stérilité persistante de Sara, anéanti et stupéfait par la promesse de Dieu, il tomba sur sa face et se mit à rire.
2. Devant cette promesse inouïe, devant la puissance de celui qui la faisait, il tomba sur sa face et se mit à rire, c'est-à-dire qu'il fut rempli de joie. Il cherchait dans ses réflexions comment il pouvait s'accorder avec l'ordre des choses humaines qu'un centenaire eût un fils et qu'une femme stérile, et nonagénaire devînt tout à coup féconde. Telles étaient ses pensées, mais sa langue n'osait les énoncer; seulement il montra sa reconnaissance en priant pour Ismaël, comme s'il disait : Seigneur, vous m'avez assez consolé et vous avez changé en joie par la naissance d'Ismaël la douleur que j'avais d'être sans postérité. Après sa naissance je n'ai jamais cru ni même imaginé que j'aurais un fils de Sara; elle-même ne s'y attendait pas et en avait abandonné toute espérance, puisqu'elle m'avait donné Agar. Nous avons eu tous deux une grande consolation par la naissance d'Ismaël. Que ce fils, qui m'a été donné par vous, vive devant votre face, et. nous aurons assez de bonheur; et sa présence consolera notre vieillesse. Que répond à cela ce Seigneur si bon? Comme il avait éprouvé depuis longtemps la piété du juste et la foi de Sara, comme il voyait qu'ils n'attendaient rien d'eux-mêmes, l'un à cause de sa vieillesse, l'autre à cause de son âge et de sa stérilité, il dit, cela vous paraît complètement impossible: c'est pour cela que j'ai attendu si longtemps; vous saurez ainsi que les faveurs dont je dispose sont bien au-dessus de la nature humaine; tout le monde saura comme vous par ces prodiges que je suis le Maître de la nature, qu'elle obéit à toutes mes volontés et cède à tous mes ordres. Moi qui ai tiré l'être du néant, je puis, à bien plus forte raison, corriger la nature quand elle est imparfaite. Pour te donner confiance, écoute et rassure-toi , reçois un gage certain de ma parole. Voici ta femme Sara, que tu crois incapable d'enfanter à cause de sa stérilité et de sa vieillesse : elle te donnera un fils, et pour que tu n'en doutes pas, je te dirai même son nom d'avance. Ton fils encore- à naître s'appellera Isaac. Je ferai alliance avec (271) lui pour toujours et avec sa race après lui. C'est lui que je t'ai promis d'abord et dès le commencement, et c'est en lui que mes promesses seront accomplies. Je te préviens de tout cela, non-seulement parce qu'il doit naître, mais pour que tu saches comment tu l'appelleras et que j'ai fait alliance, non-seulement avec lui, mais avec sa race après lui. Ensuite ce Dieu dont les bienfaits dépassent toujours nos prières, ayant ainsi fortifié l'esprit du juste et l'ayant presque rajeuni par ses promesses, puisqu'il l'avait pour ainsi dire ramené, par ses paroles, de la mort à la vie et même à la fécondité , lui dit pour comble de libéralité: J'accomplirai toutes ces promesses et je t'accorderai en outre ce que tu m'as demandé pour Ismaël , car j'ai entendu ta prière. Je le bénirai ; je l'accroîtrai et le multiplierai de plus en plus. Il engendrera douze nations et je l'établirai sur un grand peuple. Puisqu'il est ta race, je l'accroîtrai et je le multiplierai abondamment, au point de faire sortir de lui douze nations. Mais je ferai mon alliance avec Isaac, que Sara t'enfantera â cette même époque, dans un an.
Ici, je vous prie, voyez, mes bien-aimés, comment le juste reçut en un instant la récompense de toute sa vie, et comment fut accompli en lui ce que le Christ disait à ses disciples : Celui qui laissera père, mère, famille et frères en mon nom, recevra le centuple et gagnera la vie éternelle. (Matth. XIX, 29.) Songez, je vous prie, à notre juste qui obéit sans retard à l'ordre du Seigneur et préféra une autre terre à sa patrie, voyez comme sa résignation continuelle l'éleva peu à peu au comble de la vertu, comme il devint illustre et célèbre et comment le nombre de ses descendants put être comparé à celui des étoiles. Si l'on pouvait calculer à la rigueur, on trouverait que le juste n'a pas été récompensé cent fois, mais dix mille fois. S'il a été honoré jusqu'à présent de tant de bienfaits, quelle voix pourra jamais raconter ceux qui vont suivre? Le mieux est de le dire; autant que possible, d'un seul mot. Si l'on vous dit que tous les justes, depuis cette époque jusqu'à la nôtre et jusqu'à la consommation des temps, n'ont eu et n'auront d'autre désir que de reposer dans le sein du patriarche, que peut-on dire de plus glorieux pour lui ? Vous avez apprécié sa résignation, sa vertu, sa piété et toute, sa reconnaissance pour les bienfaits du Seigneur. Quand il le fallait, il fit tout ce qui dépendait de lui, il accepta tout de bonne grâce, le plaisir et le déplaisir; aussi le Dieu de bonté lui accorda enfin le premier de tous les biens, celui qu'il désirait par-dessus tout. Remarquez, en effet, qu'il a éprouvé pendant vingt-quatre ans la vertu du juste ! Car lorsqu'il sortit de Charran pour obéir au Seigneur, il avait soixante-quinze ans, et maintenant, quand Dieu lui parla encore, il ne lui fallait qu'un an pour être centenaire.
3. Que cette histoire, mes bien-aimés, nous apprenne à être toujours résignés, et à ne jamais nous laisser abattre ni décourager par les épreuves de la vertu ; comprenons par là toute la bonté et la générosité du Seigneur qui, pour une petite offrande, nous accorde une grande récompense, non-seulement par les biens immortels de l'avenir, mais en nous comblant de ses faveurs pour soulager notre faiblesse dans ce monde. Ainsi notre patriarche, pendant cet espace de temps, eut sans doute à supporter de rudes épreuves, mais ses adversités étaient toujours entremêlées de moments heureux. Car le Tout-Puissant, indulgent pour notre faiblesse, ne nous abandonne pas au milieu des adversités qu'il nous serait impossible de supporter; il se bâte de venir à notre secours, il ranime notre courage et rappelle notre raison ; de même il ne nous laisse pas trop longtemps dans la prospérité qui nous rendrait négligents et favoriserait nos mauvaises inclinations. En effet, la nature humaine, au milieu de la prospérité, s'oublie quelquefois, et sort des bornes qui lui conviennent; aussi notre Père qui nous aime, tantôt nous favorise et tantôt nous éprouve, afin de veiller,de toute manière à notre salut. De même qu'un médecin, lorsqu'il soigne un malade, ne le soumet pas toujours à la diète et ne lui laisse pas toujours satisfaire sa faim, de peur que son avidité n'augmente sa fièvre ou que la privation ne l'affaiblisse; il ménage les forces du malade, et il emploie tout son art à lui être utile. C'est ainsi que le bon Dieu, sachant ce qui convient à chacun de nous, tantôt nous fait jouir de la prospérité, tantôt nous soumet à des épreuves pour nous exercer à la vertu. Ceux dont le mérite est déjà digne d'éloges brillent d'un nouvel éclat au milieu des épreuves et reçoivent une nouvelle grâce d'en-haut; en même temps les pécheurs qui acceptent de bon coeur ces épreuves, sont délivrés du fardeau de leurs péchés, et obtiennent leur pardon. Aussi (272) je vous en supplie, connaissant l'intelligence et la sagesse du médecin de nos âmes, ne discutons jamais les soins qu'il nous donne. Si notre esprit ne peut les comprendre, c'est une raison de plus pour admirer les desseins de Dieu et de glorifier le Seigneur, dont notre raison et la pensée humaine ne peut apprécier la sagesse. Nous ne savons pas aussi bien que lui ce qui nous convient; nous ne veillons pas à notre salut comme il y veille lui-même, car il fait tous ses efforts pour nous attirer à la vertu et nous sauver des mains du démon. S'il voit que la prospérité ne nous est pas avantageuse, il fait comme un bon médecin qui nous soigne dans l'obésité produite par notre gourmandise et qui nous guérit par la sobriété. De même cet admirable médecin de nos âmes permet que nous soyons un peu éprouvés pour nous faire comprendre les dangers de la prospérité, mais quand il voit que nous sommes revenus à la santé, il nous délivre de nos épreuves et nous accorde ses faveurs avec abondance. Si donc des personnes vertueuses sont soumises à quelques épreuves, qu'elles ne s'en troublent pas, mais qu'elles en conçoivent une meilleure espérance , et qu'elles les regardent comme l'origine de couronnes et de récompenses nouvelles. Si des pécheurs tombent dans l'adversité qu'ils ne se révoltent point, sachant que les péchés sont purifiés par le malheur, pourvu qu'on accepte tout de bonne grâce. En effet, un serviteur reconnaissant doit remercier son maître, non-seulement quand il en reçoit tout à souhait, mais aussi dans les privations. C'est ainsi que le patriarche devint illustre et fut honoré de la faveur de Dieu qui lui prodigua des bienfaits au-dessus de la nature humaine.
4. Il faut maintenant reprendre la suite de notre discours et remarquer l'obéissance du juste . qui exécuta l'ordre de Dieu sans en rechercher la raison et sans en demander la cause, comme font tant d'insensés qui discutent les oeuvres de Dieu, ét disent pourquoi ceci ? pourquoi cela? à quoi sert ceci, à quoi sert cela? Tel n'était pas le juste; comme un serviteur dévoué, il accomplit l'ordre sans chercher au delà, vous allez encore le voir par ce qui suit. Après que le Seigneur lui eut fait la promesse et eut achevé de lui parler, le juste fit aussitôt ce qui lui était commandé, et cette marque exigée par Dieu, c'est-à-dire la circoncision, il la fit aussitôt subir à Ismaël et à tous les serviteurs nés à la maison ou achetés à l'étranger. Lui-même fut circoncis. Il avait quatre-vingt-dix-neuf ans, quand il coupa la chair de son prépuce. Ismaël avait alors treize ans. Ce n'est pas sans raison que l'Ecriture rapporte ici le nombre de ses années; c'est pour montrer la grande obéissance du juste qui était alors dans l'extrême vieillesse et qui supporta volontiers la douleur pour accomplir l'ordre de Dieu; aussi on compte non-seulement lui, mais Ismaël et tous ses serviteurs; l'opération dut être pénible. Ce n'est pas la même chose, . mes bien-aimés, de couper une chair saine et une chair malade; quand les médecins coupent un membre malade la douleur n'est pas si grande, car ce membre, déjà mort pour ainsi dire, n'a plus qu'un reste de sensibilité au moment de l'amputation. Or, ce vieillard si avancé en âge, car il touchait à ses cent ans, supporta volontiers cette douleur, afin d'obéir à Dieu; en même temps il disposa son fils et ses serviteurs à montrer sans hésitation la même obéissance. Voyez, quelle vertu chez cet homme, et comme il engage toute sa maison à suivre ses traces. Ce que je disais hier, je le répète aujourd'hui; à partir de ce moment Dieu voulut que cette opération fût pratiquée sur les enfants en bas-âge, afin qu'elle fût moins douloureuse.
Considérez, mes bien-aimés, la bonté de Dieu et son ineffable bienfaisance à notre égard. Cette circoncision entraînait de la douleur et de la gêne; du reste elle n'avait d'autre avantage que de faire reconnaître ceux qui l'avaient reçue et de les séparer des autres na.. tions. Notre circoncision, je veux dire la grâce du baptême, nous guérit sans douleur et nous procure des biens innombrables; elle nous remplit de la grâce du Saint-Esprit et peut se faire à toutes les époques. On peut pratiquer dans l'enfance, dans l'âge mûr et dans la vieillesse cette circoncision immatérielle et inoffensive qui nous délivre de nos péchés et nous fait obtenir la rémission de ceux de toute notre vie.. Le bon Dieu, voyant l'excès de notre faiblesse, et reconnaissant que nos maux incurables réclamaient un remède héroïque, ainsi qu'une suprême indulgence, prit soin de notre salut et nous accorda de laver ainsi nos péchés et de régénérer notre âme ; par là, nous dépouillons le vieil homme, c'est-à-dire les oeuvres du mal , et nous revêtons l'homme nouveau, en marchant dans la route de la vertu. Mais, je vous en conjure, ne restons pas inférieurs (273) aux Juifs, ingrats et insensés. Ceux-ci, ayant reçu la marque de la circoncision, avaient grand soin de ne pas ressembler aux autres nations; du moins de ne pas avoir- de relations avec elles; car, quant à l'impiété, ils les dépassaient quelquefois. Pour nous, quand nous avons reçu le baptême, au lieu de circoncision, veillons avec soin sur notre conduite. Sans doute nous pouvons nous mêler aux infidèles, mais en restant- fidèles à nos vertus, et nous ne devons communiquer avec eux que pour les attirer à la. piété et afin que l'exemple de nos bonnes oeuvres soit un enseignement pour eux. Aussi le Tout-Puissant a permis ce mélange des bons et des méchants, des hommes pieux et des impies, afin que les méchants profitent avec les bons et que les impies soient amenés à la piété; car Dieu n'a rien tant à coeur que le salut de notre âme. Aussi, je vous en conjure, ne négligeons pas notre salut, ni celui du prochain; faisons tout ce qui dépend de nous pour que notre conduite plaise à Dieu; quant au prochain, faisons tellement éclater notre vertu que, même en gardant le silence, notre exemple soit une leçon pour tous ceux qui peuvent nous voir. Si nous sommes vertueux, nous en retirerons un grand avantage, et en même temps nous serons utiles aux infidèles ; de même, si nous négligeons notre conduite, nous en serons sévèrement punis, et nous deviendrons pour les autres une occasion de scandale. Ainsi, lorsque nous pratiquons la vertu, nous en sommes deux fois récompensés par Dieu, d'abord pour notre compte et ensuite à cause de ceux que nous engageons à la pratiquer aussi; de même, si nous faisons le mal, nous serons punis, non-seulement pour nos propres péchés, mais pour ceux où nous entraînons les autres. A Dieu ne plaise qu'aucune des personnes présentes se trouve dans cette situation; mais réglons notre conduite de manière à édifier ceux qui nous voient, afin de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ et mériter ses biens infinis ; puisse-t-il en être ainsi pour nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.