ANALYSE.
1. Cette homélie parlera encore d'Abraham, tant la vie de
l'admirable patriarche est une source intarissable de beaux exemptes. Il obéit sans
murmure à Dieu qui, par deux fois, lui ordonne de quitter son pays et sa famille.
2. Abraham en Egypte; la protection de Dieu ne lui manque jamais dans les circonstances
critiques. 3. Abraham refuse les présents du roi de Sodome et accepte ceux du
prêtre Melchisédech. 4-5. Nouvelle promesse de Dieu à Abraham. La foi du
patriarche, lui est imputée à justice. 6. Exhortation à la foi, à la charité,
à la paix.
1. La vertu des justes ressemble à un
trésor qui renferme une richesse immense. Celui qui peut s'emparer même d'une faible
portion du trésor en retire une suffisante opulence; il en est de même pour, celui qui
peut acquérir quelque chose de la vertu du patriarche. Presque chaque jour, depuis
quelque temps, notre instruction roule sur son histoire, et, malgré l'abondance avec
laquelle nous vous offrons ce festin spirituel, nous n'avons pu vous raconter qu'une
faible partie de ses belles actions, tant est grande l'abondance de ses vertus. Lorsqu'une
fontaine s'épanche en larges ruisseaux, tout le monde s'y abreuve sans pouvoir tarir ses
ondes, si bien que, plus on y puise, plus s'augmente l'abondance des eaux; c'est aussi ce
que nous observons pour notre admirable patriarche. Depuis son époque jusqu'à la nôtre,
combien se sont abreuvés à cette source de belles actions, et non-seulement
ils ne l'ont pas tarie, mais ils en ont fait jaillir les actions saintes à flots plus abondants. Nous trouvons son histoire développée comme une chaîne
d'or dans l'Ecriture sainte; dans chaque occasion, nous le voyons montrer toute sa
sagesse, aussitôt suivie des récompenses de Dieu. Polir que vous en soyez convaincus, il
faut résumer ce que nous avons déjà dit, vous rappeler la foi profonde du juste dans
les promesses du Ciel et tous les bienfaits que Dieu lui prodigue en échange. Ce juste,
à lui seul, suffit pour nous apprendre à tous à ne pas redouter les efforts que nous
coûte la vertu, à nous confier dans les récompenses d'en-haut,
afin que, connaissant toute la bonté du Seigneur à notre égard, nous supportions sans
peine tout ce qui nous paraît affligeant dans cette vie, en aspirant à la rémunération
céleste. Remarquez, je vous prie, que dès sa jeunesse il fit tin bon usage de ses
facultés et de ses notions naturelles; car, personne ne l'avait instruit, et il avait
été élevé par dés parents infidèles; mais sa foi le fit honorer d'une apparition
divine. Comme dans son jeune âge il ne suivit point l'erreur de son père, mais qu'il
montra sa piété envers-la Divinité, il eut une vision céleste étant encore en
Chaldée ; ce que saint Etienne nous explique clairement en disant : Le Dieu de
gloire apparut à notre père Abraham, comme il était encore en Mésopotamie, avant qu'il
habitât Charran. (Act. VII,
2.) Vous savez que cette vision lui ordonna de voyager. Il faut croire que la piété
envers Dieu se joignait en lui au respect pour ses parents et qu'il s'était tellement
concilié l'affection de son père, que celui-ci consentit, par amour pour son fils, à
quitter son pays pour habiter une terre étrangère. Remarquez, je vous prie, comment
cette visite que Dieu lui accorda à cause de sa vertu, fit encore briller davantage
celle-ci. Il (246) était résolu à laisser le pays de ses pères, et à en habiter un
autre, afin d'obéir à Dieu; il était même résigné à voyager sans parents, à ce
qu'il semblait; mais, comme je l'ai dit, sa vertu et son amour pour ses parents furent
cause que son père l'accompagna.
Arrivés à Charran,
ils y dressèrent leur tente; après la mort de Tharra
(c'était le nom de son père), Dieu lui ordonna encore de voyager. Quitte, lui
dit-il, ta terre et ta famille, et viens dans la terre que je te montrerai. (Gen. XII, 1.) Comme ils avaient émigré à Charran
avec toute leur famille et leur maison, Dieu ajoute, dans ce nouvel ordre : Quitte ta
terre et ta famille, voulant ainsi qu'il voyageât seul sans emmener son frère Nachor, ni personne autre. Il dit ta terre parce que sa
famille l'habitait déjà depuis quelque temps et que ce domicile était pour elle comme
une patrie. Malgré la perte récente de ses parents, malgré toutes les difficultés du
voyage, il obéit de tout son coeur à l'ordre du Seigneur, et cela, sans savoir où
devaient s'arrêter ses courses. Va, disait Dieu, non pas dans tel ou tel pays,
mais dans la terre que je te montrerai. Cependant, malgré le vague d'un pareil
ordre, il entreprit sans hésitation de l'exécuter; il emmena son neveu, montrant encore
en cela sa vertu. Il avait peu à peu captivé ce jeune homme qui cherchait à imiter ses
vertus, et qui, pour ne pas le quitter, voulut être son compagnon de voyage. Si mon
père, disait-il, tout infidèle qu'il était, a consenti, pour l'amour de moi et pour
m'accompagner, à quitter la maison paternelle où nous sommes nés et où nous avons
grandi, puis à mourir sur la terre étrangère, à plus forte raison je ne laisserai pas
ici le fils de mon frère, dont la jeunesse annonce tant de progrès dans la vertu.
2. En toute occasion il faisait preuve de
piété; ainsi quand il fit ce voyage qui le conduisit eu Palestine et aux frontières des
Chananéens, Dieu lui apparut pour fortifier son zèle et lui
tendre la main, et lui dit : Je donnerai cette terre à ta race. (Gen. XII, 7.) Ce qu'il souhaitait et désirait surtout,
c'est-à-dire des fils pour lui succéder, cette récompense de tant de travaux lui est
permise aussitôt. La nature ne lui avait pas donné d'enfant et son âge ne lui en
laissait plus espérer, mais la promesse de Dieu relève le courage de l'athlète, le
rajeunit et le prépare aux luttes à venir. Voyez après cette promesse quel combat le
juste eut à soutenir.
Menacé par la famine et la disette qui régnait au pays de Chanaan,
il se rend en Egypte, et pour fuir la famine il s'expose aux plus grands dangers. Près
des frontières de l'Egypte, et sur le point d'y entrer, il dit à sa femme : Je sais
que tu es belle (Gen. XII, 11), je connais l'éclat de ta
beauté et je crains le libertinage des Egyptiens. S'ils te voient, et s'ils savent que
c'est ma femme que je mène avec moi, ils te laisseront la vie pour assouvir leur fureur
impudique, mais ils me tueront afin de se livrer sans obstacle au crime, afin qu'il ne
reste personne pour les accuser d'adultère. Par conséquent, dis que je suis ton
frère. Voyez quelle âme, mieux trempée que l'acier, aussi dure que le diamant ! Le
malheur qu'il attendait n'a pu le troubler; il ne faisait pas en lui-même ces réflexions
: N'ai-je montré tant d'obéissance en quittant mon pays pour une autre terre, qu'afin de
tomber dans un pareil malheur? N'ai-je pas reçu cette, promesse : je donnerai cette
terre à ta race? et maintenant je suis tourmenté par la
crainte de l'adultère et par celle de la mort. Il ne donnait accès dans son coeur à
aucune de ces pensées, il ne songeait qu'à jouer cette douloureuse comédie,, afin d'échapper du moins à l'un des dangers qui le menaçaient.
Quand il eut fait tout ce qui dépendait
de lui par son courage et sa sagesse, sa femme aussi coopéra à ses projets par affection
et par obéissance, et aida à ce qu'ils avaient décidé. Puis quand ils eurent fait tout
ce qui dépendait d'eux, que tout fut désespéré humaine ment, et que l'oeuvre
d'iniquité était presque consommée, alors Dieu déploya sur Abraham sa providence. Non-seulement il sauva la femme de l'outrage par la colère qu'il
fit éclater sur le roi et toute sa maison, mais il fit retourner le patriarche d'Egypte
en Palestine, avec de grands honneurs. Voyez comment, au milieu de toutes ces épreuves,
le Seigneur, dans sa bienveillance, le soutient de sa force, et prépare son athlète à
toutes les luttes à venir; jamais il ne le prive de son assistance, mais-il dispose tout
si bien, que la moindre coopération apportée par le patriarche à l'oeuvre de Dieu est
récompensée par des bienfaits qui dépassent la nature humaine.
Vous connaissez la résignation du juste.
Voyez maintenant, après son retour, jusqu'où vont son humilité et sa douceur ! En
revenant d'Egypte, il avait une grande richesse que partageait son neveu qui vivait avec
lui. Mais le (247) pays ne pouvait pas les contenir à cause de leurs grandes
richesses (Gen. XIII, 6) ; aussi une rixe s'éleva entre
les bergers de Loth et ceux d'Abram. Alors le juste montrant
la douceur de son âme et l'excès de sa sagesse, appela Loth et lui dit : Qu'il n'y
ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, car nous sommes
frères, c'est-à-dire, rien de meilleur que la paix, rien de pire que les disputes.
Pour supprimer toute cause de contestation, choisis le pays que tu voudras et laisse-moi
l'autre, afin d'écarter de nous toute querelle, toute contention. Voyez quelle vertu ! Il
laisse le choix au plus jeune et se contente du rebut. Mais, après cela, voyez quelle
récompense il reçoit. Aussitôt après, Dieu lui dit, quand il s'est séparé de Loth : Lève
les yeux et considère cette terre de côté et d'autre; toute cette terre que tu vois, je
te la donnerai à toi et â ta race pour toujours. Voyez quelles largesses lui sont
prodiguées pour le désintéressement qu'il a montré envers son neveu; ce qu'il a
abandonné était peu de choix, ce qu'il obtient est bien plus considérable.
Au contraire, celui qui avait choisi à
son gré, se trouva bientôt en danger : non-seulement son
choix ne lui profita pas, mais il se vit tout à coup captif sans feu ni lieu; tout cela
lui apprit à apprécier la vertu du juste, et à ne plus se conduire de même
qu'auparavant. En effet, après qu'il eut commencé à habiter Sodome, il s'éleva une
guerre terrible; les rois des nations voisines se levèrent avec de grandes forces,
dévastèrent tout le pays, massacrèrent les géants, expulsèrent les Amalécites,
mirent en fuite le roi de Sodome et celui de Gomorrhe, envahirent toutes les montagnes,
enlevèrent la cavalerie du roi de Sodome, et s'en allèrent en emmenant Loth captif, avec
les femmes et tout le butin.
3. Mais admirez encore ici toute la
providence de Dieu. Voulant délivrer Loth et illustrer le patriarche, il excite celui-ci
à secourir son neveu. Sachant ce qui se passait, le juste, avec ses domestiques, fond sur
les rois, les défait sans peine et ramène Loth et les femmes, ainsi que la cavalerie du
roi. Des trophées si brillants montraient à tous que Dieu le protégeait, car il n'avait
pu remporter une pareille victoire avec ses propres forces, mais appuyé sur le secours d'en-haut. Du reste, le patriarche cherchait encore à faire
connaître la vraie religion aux gens de Sodome, comme on le voit par les paroles qu'il
dit à leur roi. Le roi vient au-devant de lui pour lui rendre grâce et lui offrir les
chevaux en se contentant des hommes : voyez avec quelle grandeur d'âme le juste lui
prouve sa sagesse, Iui montre qu'il est au-dessus de tous ces
présents et lui fait connaître la vraie religion. Il ne lui dit pas simplement : je ne
consens à rien recevoir de toi; je n'ai pas besoin d'un pareil paiement; mais il dit : J'étends
ma main, vers le Très-Haut, ce qui revient à dire : ce ne sont pas des dieux que tu
adores, mais des pierres et du bois : il n'est qu'un Dieu ,
maître de l'univers. Il a créé le ciel et la terre :je le
prends à témoin que je ne prendrai rien de toi depuis un cordon jusqu'à une courroie de
chaussure, afin que tu ne puisses croire due c'est pour cela que j'ai tiré cette
vengeance, ni dire que tu m'as enrichi. Car celui qui m'a donné la victoire et a
triomphé avec moi, c'est lui qui me procure d'abondantes richesses.
Vous voyez que, si le roi avait voulu, il
aurait profité des paroles du patriarche. Il avait appris à ne plus se fier à sa force,
mais à connaître l'Auteur de toutes choses, à rire des dieux faits par la main des
hommes et à n'adorer que le Dieu de l'univers, le Créateur de toutes choses, la source
de tout bien. L'exemple du patriarche lui dévoilait toutes les vertus. Celui-ci, pour ne
pas laisser croire qu'il refusât toutes ces offres par orgueil et arrogance, disait au
roi : Je ne prendrai rien, car je n'ai besoin de rien; je ne tiens pas à ce que d'autres
augmentent ma richesse . je
laisserai seulement ceux qui ont partagé mes dangers prendre leur part, afin qu'ils aient
quelque récompense de leurs peines. Voilà ce que le juste répondit au roi de Sodome.
Lorsque Melchisédech, roi de Salem , lui offrit le pain et le vin, (c'était, dit
l'Ecriture, un prêtre du Très-Haut) le patriarche accepta cette offre, ci, en
reconnaissance de sa bénédiction, lui donna la dîme du butin; en effet, Melchisédech
lui avait dit : Abram est béni par le Très-Haut qui a
livré tes ennemis dans tes mains. Voyez comme le juste montre partout sa piété , du roi de Sodome il ne voulait rien recevoir, depuis un
cordon jusqu'à une courroie; mais il accepte l'offrande de Melchisédech, et lui donne en
échange ce dont il peut disposer, ce qui nous montre qu'il faut avoir du discernement et
ne pas recevoir de toutes mains. Les dons du roi prouvaient sa (248) reconnaissance, mais
du reste, c'était un infidèle qui avait besoin qu'on lui enseignât la vertu; aussi le
juste refusa-t-il ses présents, mais par son refus et par ses discours, il chercha à lui
inspirer la piété. Il accepte avec raison l'offrande de Melchisédech, dont l'Ecriture
sainte nous fait connaître la vertu en disant : C'était un prêtre du Très-Haut.
Du reste, c'était là une figure du Christ et ces offrandes présageaient le mystère :
aussi le patriarche, loin de les refuser, les accueillit et y répondit à son tour d'une
manière qui prouvait toute sa vertu : il lui donna la, dîme, ce qui faisait bien voir
ses pieuses intentions. Je m'étends peut-être là-dessus, mais ce n'est pas sans raison.
Nous avons résumé rapidement ce qui avait été dit depuis le commencement de ces
instructions jusqu'à celle d'aujourd'hui sur le courage du juste, sa magnanimité, sa foi
parfaite, la sagesse de ses pensées, l'excès de son humilité et de son mépris pour les
richesses, enfin la bienveillance et la providence constante de Dieu à son égard; vous
avez vu comment, dans chaque occasion, cette divine assistance le rendit plus célèbre et
plus illustre. Maintenant, si vous y consentez et si vous n'êtes pas fatigués, arrivons
à la lecture que l'on vient de vous faire : nous allons vous en développer quelque chose
pour terminer ce discours, et vous verrez comment il est récompensé d'avoir refusé les
dons du roi de Sodome. Que dit l'Ecriture? Après ces paroles, la voix du Seigneur fut
adressée à Abram. Pourquoi commencer ainsi? après ces paroles. De quelles paroles s'agit-il, dites-moi? n'est-il pas clair qu'il est question de celles qu'il a dites au roi
de Sodome? Après son mépris des richesses, après qu'il eut refusé ses offres, après
cet enseignement qu'il joignit à son refus pour amener le roi à reconnaître et à
adorer le Créateur de toutes choses, après ces paroles, après qu'il eut offert
la dîme à Melchisédech, enfin, quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui, alors après
ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram
pendant une vision dans la nuit, disant : Ne crains pas, Abram,
je te protège; ta récompense sera très-grande.
4. Voyez la bonté du Seigneur; comme la
couronne suit de près l'athlète pour le récompenser et le préparer à affronter
d'autres luttes avec une nouvelle vigueur. La voix du Seigneur fut adressée pendant
une vision dans la nuit. Pourquoi dans la nuit ? Pour qu'elle fût plus distincte au
milieu du silence et du repos. Elle dit : Ne crains pas, Abram.
Voyez jusqu'où Dieu porte l'attention. Comme le patriarche avait repoussé tant de
richesses et dédaigné les présents d'un roi, cela signifie: ne crains pas qu'après
avoir refusé tout cela, tu sois réduit à voir diminuer ta fortune, ne crains pas.
Ensuite, pour réveiller encore mieux; son esprit, la voix ajoute encore son nom, et dit :
Ne crains pas, Abram. En effet, le meilleur moyen
d'éveiller quelqu'un, c'est de l'appeler par son nom. Puis elle ajoute: Je te
protégerai. Voilà un mot qui signifie beaucoup. Moi qui t'ai fait venir de Chaldée.. moi qui t'ai amené ici, moi qui t'ai
délivré des dangers de l'Egypte et qui t'ai promis plus d'une fois de donner cette terre
à ta race, moi je te protége ! Moi qui, de jour en jour, le fais briller davantage aux
yeux de tous, je te protège : c'est-à-dire, je suis ton bouclier, je lutte et combats
avec toi, je veille sur toi, je rends facile pour toi tout ce qui est difficile, je te
protège. Ta récompense sera très-grande. Tu n'as pas
voulu recevoir de rétribution pour lés fatigues que tu avais subies, pour les dangers
où tu t'étais exposé, tu as dédaigné ce roi et ces présents. Je te donnerai ta
récompense, non-seulement telle que tu l'aurais reçue, mais
grande et très-grande. Ta récompense sera très-grande. Admirez la libéralité du Seigneur, et concevez
l'importance de ses Paroles : voyez comme elles soutiennent la piété de l'athlète, et
comme elles fortifient son âme. Lui qui connaît les secrets des coeurs savait que le
juste avait besoin d'une pareille consolation, car voici ce qu'il répond après avoir
été encouragé par ces paroles. Abram dit: Seigneur, que
me donnerez-vous ? Je vais partir de cette vie sans enfants. Après avoir reçu cette
promesse d'une grande récompense; il montre toute la tristesse de son âme et le regret
qu'il éprouve depuis longtemps en se voyant sans enfants et il dit : Seigneur,
accomplirez-vous, ce désir? Me voici au terme de la vieillesse et je vais partir de cette
vie sans enfants.
Voyez quelle philosophie le juste montrait
dans ces temps reculés, puisqu'il appelait la mort un départ. Ceux qui ont mené une vie
honnête et vertueuse, quand ils quittent ce monde sont affranchis de leurs luttes et
délivrés de leurs liens : la mort n'est pour ceux qui ont bien vécu qu'un passage à un
état (249) meilleur, de la vie périssable à une existence éternelle et immortelle. Le
juste dit : Je vais partir de cette vie sans enfants.
Et. pour toucher encore le coeur de Dieu, il ne s'arrête pas
là; mais que dit-il? Le fils de Masec, ma servante, sera
mon héritier puisque tu ne m'as pas donné de progéniture. Ces paroles montrent
toute la douleur de son âme ; c'est comme s'il disait à Dieu : Je n'ai pas été aussi
heureux que mon esclave, je mourrai sans enfant et sans postérité; un esclave héritera
des biens que tu m'as donnés, et cela après que tu m'as renouvelé cette promesse : Je
donnerai cette terre à ta race. Remarquez ici, je vous prie, la vertu du juste qui,
malgré ces pensées dont son âme était remplie; ne s'impatiente pas et ne dit aucune
parole offensante. Maintenant, excité par ce que le Seigneur lui a dit, il lui parle avec
franchise, lui montre le trouble de ses pensées et lui dévoile la plaie de son âme;
aussi en reçoit-il promptement le remède. Aussitôt la voix de Dieu lui fut adressée.
Voyez comme l'Ecriture explique tout exactement! aussitôt,
dit-elle. Dieu ne laisse pas le juste un seul instant dans la peine, il se hâte de le
consoler, et calme son chagrin parles paroles suivantes : Aussitôt la voix de Dieu lui
fut adressée, disant : Ce n'est pas celui-là qui sera ton héritier, mais celui qui
sortira de toi, celui-là sera ton héritier. Voilà, dit-il; ce que tu as craint? voilà ce qui trouble ton esprit, et ce qui te décourage? apprends donc que ce ne sera point là ton héritier, mais celui
qui sortira de toi, celui-là sera ton héritier. Ne songe point aux difficultés de
la nature humaine, ni à ta vieillesse, ne t'inquiète pas de la stérilité de Sara, mais
aie confiance en la puissance de Celui qui te fait ces promesses, cesse d'être abattu et
reprends tout ton courage, enfin, sois persuadé que ton héritier sera celui qui naîtra
de toi.
Comme une pareille prédiction dépassait
la nature et la raison humaine (en effet, il songeait avec effroi aux obstacles de la
nature, à sa vieillesse , à la stérilité de Sara, dont les
entrailles étaient mortes pour la maternité), Dieu développe encore cette prédiction
afin que le juste prenne confiance dans la libéralité de celui qui peut prédire ainsi. Il
lemmena dehors et lui dit : Regarde le ciel et compte les astres, si tu peux les
compter. Et il dit : Telle sera ta postérité. Et Abram crut
au Seigneur, et sa foi lui fut imputée à justice. Pourquoi faire observer qu'il
l'emmène dehors? parce qu'il a été dit plus haut que Dieu se
montra
5. Vous voyez la libéralité du Seigneur.
Le patriarche lui dit : Je vais partir de cette vie sans enfants, comme s'il était aux
portes du tombeau, et s'il ne pouvait plus avoir d'enfant; aussi ajoute-t-il : Le fils
de Masec , ma servante, sera mon
héritier. Aussi Dieu voulant relever son esprit et fortifier son âme, le délivre de
la crainte qui le possédait, raffermit sa pensée par la grandeur de sa promesse, et en
lui montrant la multitude des astres, enfin en lui annonçant une nombreuse postérité,
il lui rend l'espérance. En voyant la prédiction du Seigneur, le sage ne s'arrête plus
aux considérations humaines, il ne songe plus à son impuissance ni à celle de Sara, et
ne s'inquiète pas des obstacles naturels; sachant que Dieu peut accorder des dons
surnaturels, il a foi dans ses paroles, il n'admet plus aucun doute et croit fermement que
tout s'accomplira. Voilà la véritable foi, celle qui se fie dans la puissance de
l'auteur des promesses, même quand ces promesses sont extraordinaires et ne peuvent
s'accomplir que d'une manière surhumaine. La foi, comme dit saint Paul, est le
fondement des choses qu'on espère, et la preuve des choses invisibles (Héb. XI, 1) ; et il dit aussi : Quand une fois on a vu que
reste-t-il à espérer? (Rom. IV, 3.) Ainsi nous avons la véritable foi quand nous
croyons à ce que nous ne voyons pas, en considérant l'autorité de celui qui nous fait
la promesse. C'est ce qu'a fait notre juste, qui montra une foi sincère et parfaite à ce
qui lui était annoncé; aussi l'Ecriture sainte fait-elle son éloge en ajoutant
aussitôt : Abram crut au Seigneur, et sa foi lui fut
imputée à justice. Vous voyez comment, même avant l'accomplissement des promesses , il fut récompensé de sa croyance. Car sa foi dans les
(250) prédictions de Dieu lui fut imputée à justice, parce qu'il ne s'était pas
arrêté aux raisonnements humains à propos des paroles divines.
Apprenons donc, nous aussi, je vous en
conjure, d'après l'exemple du patriarche, à croire aux paroles de Dieu, à ajouter foi
à ses promesses, à ne pas écouter uniquement la raison humaine, et à montrer une
grande droiture d'esprit. C'est là ce qui nous mettra au nombre des justes et hâtera
l'accomplissement des promesses divines. Dieu annonça à Abraham que sa race serait
innombrable, et cette prédiction dépassait la nature humaine, aussi sa foi lui fut-elle
imputée à justice. Les promesses qu'il nous a faites, si nous y réfléchissons, sont
encore bien plus grandes et dépassent encore davantage la nature humaine; croyons
seulement à la puissance qui nous fait ces promesses, afin d'être justifiés par notre
foi, et de jouir des biens qui nous sont annoncés. En effet, tout ce qui nous est prédit
est supérieur à la raison humaine et dépasse notre pensée, tant ces promesses sont
immenses : elles ne s'étendent pas seulement au présent, à la vie d'ici-bas et à la
jouissance des choses visibles; mais quand nous aurons quitté la terre après la
corruption de nos corps, quand nos corps auront été réduits en cendres et en
poussière, il nous a prédit que nous ressusciterions dans une gloire nouvelle. Il
faut donc, dit saint Paul, que ce qu'il y a de corruptible en nous revête
l'incorruptibilité, que ce qu'il y a de mortel revête l'immortalité. (I Cor. XV,
53.) Dieu nous a promis qu'après la résurrection de nos corps, il nous donnerait son
royaume pour récompense, avec la société des saints, un repos éternel et des biens
ineffables que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, et qui n'ont jamais
pénétré dans le coeur humain. (Ibid. XI, 9.) Voyez quelles promesses immenses, quels
dons infinis !
6. Méditons à ce sujet, et sachant que
Celui qui annonce tout cela ne peut mentir, supportons avec plaisir toutes les luttes de
la vertu, afin de jouir des biens qui nous sont annoncés; ne préférons pas des
avantages passagers à notre salut et à un pareil bonheur, et songeons aux récompenses
de la vertu plutôt qu'aux efforts qu'elle coûte : ne regrettons pas nos richesses quand
il faut en faire part aux pauvres, mais songeons au profit que cet abandon nous procure.
Aussi t'Ecriture sainte compare l'aumône à une semence pour montrer que nous devons la
répandre de bon coeur et avec joie. En effet, ceux qui confient la semence à la terre,
l'enfouissent avec joie et sont pleins d'espérance, croyant déjà voir les gerbes
remplir leur grenier : à plus forte raison, ceux qui peuvent répandre cette semence
spirituelle doivent se réjouir et tressaillir d'aise, puisqu'ils moissonnent dans le ciel
après avoir semé sur la terre. En dépensant un peu d'argent, ils obtiendront la
rémission de leurs péchés et un motif de confiance devant Dieu; car grâce à ceux qui
reçoivent leurs dons, ils jouiront d'un repos éternel et de la société des saints. Si
nous choisissons la continence, n'examinons pas les efforts que coûte la vertu et,ne nous disons pas que la virginité exige bien des luttes, songeons
seulement à quelle fin nous sommes destinés; et grâce à cette pensée constante, nous
mettrons un frein à la rage des mauvais désirs, nous résisterons aux révoltes de la
chair, et l'espoir de la récompense adoucira nos peines. En effet l'espoir du bien suffit
pour nous faire affronter les dangers; ne doit-il pas, à plus forte raison, nous faire
supporter les fatigues qu'entraîne la vertu? Si vous réfléchissez que vos combats
dureront peu de temps, si vous conservez dans tout son éclat la lampe de votre
virginité, vous obtiendrez le bonheur éternel et vous entrerez avec l'époux. Il suffit
de garder sa lampe allumée et d'avoir une suffisante provision d'huile, je veux dire de
bonnes oeuvres : comment alors ne franchirez-vous pas facilement tous les obstacles, en
songeant à ces paroles de saint Paul : Vivez en paix avec tout le monde, et
recherchez la sanctification, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. (Héb. XII, 14.) Observez-vous qu'il joint la paix à la
sanctification? C'est parce que Dieu ne demande pas seulement la pureté du corps, mais
aussi la paix. L'Apôtre nous le rappelle avec raison et nous
avertit sur ces deux points, nous recommandant le repos de la pensée, afin d'éviter le
trouble et le tumulte de nos âmes, afin que notre vie soit calme et tranquille, que nous
vivions en paix avec tout le monde, enfin, que nous soyons pleins de douceur, de
mansuétude et de modération : alors on verra fleurir sur notre visage toutes les
couleurs de la vertu. Nous pourrons dès lors mépriser la gloire de la vie présente en
travaillant pour la véritable gloire, ne songez qu'à vous affermir dans l'humilité en
dédaignant le bonheur d'ici-bas, afin de (251)