ANALYSE.
1. Que la sainte Ecriture doit être lue avec une grande
attention. 2. Tableau de la corruption du monde avant le déluge. Quand les bommes
se sont pervertis, l'Ecriture dédaignant de leur donner le nom d'hommes, les appelle terre
et chair. Saint Paul use du même langage. 3. Explication de cette parole : le
temps de tout homme est venu devant moi. Dieu ordonne de construire l'arche. 4.
La bonté de Dieu tempère autant que possible le châtiment exigé par la justice, puis,
quand cette bonté ne peut plus retenir le bras de la justice qui tombe sur les pécheurs;
elle se tourne tout .entière du côté de Noé qu'elle comble de faveurs et de
consolations. 5. La bonté de Dieu continue à se manifester dans l'ordre qu'il lui
donne d'entrer dans l'arche avec des animaux, de se munir de tout ce qui lui sera
nécessaire. 6. Il ne faut pas abuser des nombres dans l'explication de l'Ecriture.
7. Les hommes d'avant le déluge
n'eurent pas la même bonne volonté que les Ninivites. 8. Exhortations.
1. Hier, nous avons recueilli une grande utilité de la généalogie du juste Noé; car d'abord nous avons vu ce qu'il y a de merveilleux dans cette généalogie, et nous avons appris que le mérite de cet homme juste ne consiste pas dans la gloire de ses parents, mais dans la bonté de ses moeurs, qui lui a valu un si grand témoignage de la divine Ecriture: En effet, dit-elle, Noé fut un homme juste et parfait au milieu des hommes de son temps; Noé fut agréable à Dieu. Tout notre discours d'hier n'a été que le commentaire de ces quelques paroles. C'est la vertu de la parole divine de renfermer, en un petit nombre de mots, des trésors de pensées; elle prodigue, à ceux qui mettent tous leurs soins à la pénétrer, ses richesses ineffables. Aussi, je vous en conjure, ne nous bornons pas à voir, pour l'acquit de notre conscience, chemin faisant, sans nous arrêter, ce qui paraît dans la sainte Ecriture ; quand même nous ne rencontrons que des listes de noms ou des récits historiques, ayons soin de rechercher le trésor caché. Voilà, en effet, pourquoi le Christ disait: Scrutez les Ecritures. (Jean, V, 39.) C'est que l'esprit de l'Ecriture ne se rencontre pas partout à la surface; il faut scruter pour que rien ne reste caché dans la profondeur. Si le simple nom qui marque la nature, je parle en ce moment de ce mot si court, l'homme (Gen. VI, 9) , hier nous a fourni des réflexions d'une si grande utilité, quel gain ne recueillerons-nous pas de l'attention vigilante, appliquée à tous les détails de la sainte Ecriture? Nous avons, en effet,, un Dieu plein de clémence, et, quand il nous voit inquiets, possédés d'un vif désir de comprendre la parole divine, il ne veut pas alors que rien nous manque; mais, aussitôt, il éclaire notre pensée, il verse dans nos âmes les flots de sa lumière, et son admirable sagesse fait pénétrer en nous la plénitude de la vraie doctrine. Aussi, pour nous exhorter à cette étude, pour nous donner la vivacité du courage, il a décerné le bonheur suprême à ceux qui manifestaient un tel désir: Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. (Math. V, 6.) Voyez la sagesse du Maître qui nous enseigne; il ne se contente pas de nous exhorter par la considération du bonheur, mais ces paroles: qui sont affamés et altérés de la (151) justice, montrent, à ceux qui les entendent, avec quelle ardeur de courage il faut scruter la parole spirituelle. De même, dit-il, que ceux qui ont faim s'empressent, avec une incroyable ardeur, de chercher la nourriture, de même que ceux qui éprouvent une soif ardente, s'élancent, transportés d'un désir ardent, vers le breuvage qui désaltère, de même il convient de courir à la doctrine spirituelle , comme des gens affamés, altérés. Les hommes animés d'un tel zèle, non-seulement méritent -le bonheur, mais ils obtiennent l'objet de leurs désirs. En effet, dit-il, ils seront rassasiés, c'est-à-dire assouvis; ils assouviront leurs désirs spirituels. Eh bien donc, puisque nous avons un Seigneur si bon, si libéral, nous, de notre côté, courons à lui; concilions-nous sa grâce , afin que lui-même, n'écoutant que sa miséricorde, éclaire nos pensées, noirs découvre la force de la sainte Ecriture. Et vous, à votre tour, accueillez, avec toute l'ardeur d'un vrai zèle, la doctrine spirituelle, comme des hommes affamés, altérés: Il arrivera peut-être que la bonté, que la toute-puissance du Seigneur, quel que soit notre néant, par considération pour vous, pour votre utilité, ouvrira notre bouche, y mettra lui-même des paroles qui opéreront sa gloire et voire édification. (Eph. VI, 19.) Jetons tout dans le sein de Dieu; livrons-nous à la grâce d'en-haut; invoquons Celui qui donne la clarté aux aveugles, aux bègues la parole facile, et reprenons la lecture que nous venons d'entendre, afin de vous exposer, mes frères, les pensées que nous aura suggérées sa miséricorde. Mais joignez, je vous en prie, vos âmes à mon âme; soyez attentifs à la parole ; loin de vous toutes les pensées de la vie présente ! faites que nous puissions jeter la semence spirituelle comme dans une terre grasse et fertile, dont on a arraché les mauvaises herbes et les épines. Voici maintenant, dit l'Écriture, les enfants qu'engendra Noé. Noé fut un homme juste et parfait, au milieu des hommes de son temps; Noé fut agréable à Dieu. C'est là que nous nous sommes arrêtés hier ; ce sont donc les paroles suivantes que nous devons nous proposer . Et il engendra trois fils : Sem, Cham et Japhet. Ce n'est pas sans dessein que la divine Ecriture nous a fait connaître, et le temps, et le nombre des fils de l'homme juste. Elle veut, par là, nous faire entrevoir, à mots couverts toute la grandeur de sa vertu; car, après avoir dit : Noé, ayant cinq cents ans, elle ajoute: Engendra trois fils. C'est pour nous montrer la grande continence de ce saint homme, au milieu de tous les hommes livrés à tous les excès de l'intempérance ; au milieu des générations et, pour ainsi dire, de tous les âges de la vie qui se précipitaient dans le mal. Vous avez entendu la divine Ecriture : Mais Dieu voyant que la malice des hommes qui vivaient sur la terre était extrême, que chacun d'eux, dès sa jeunesse, appliquait au mal toutes les pensées de son coeur; ces paroles montrent manifestement que les jeunes gens dépassaient les vieillards, que les vieillards étaient comme les jeunes gens, dans le délire, que l'âge même de l'innocence était précipité dans la corruption.
2. Donc, pour nous faire comprendre de quelle manière, au milieu de ce délire, de cette rage universelle, ce juste resta seul, conservant, d'une âme ferme , la continence , avec les autres vertus, jusqu'à ce qu'il fut parvenu à l'âge de cinq cents ans, l'Écriture, après avoir dit: Noé ayant cinq cents ans, ajoute : engendra trois fils. Voyez-vous, mon bien-aimé, la parfaite tempérance du juste ? Ne nous contentons pas, ici, de passer outre sans nous arrêter ; mesurons la longueur du temps; considérons la perversité qui s'était étendue sur toute l'espèce humaine, à cause de la mollesse des âmes; considérons tout ce qu'il y a de vertu, de piété, à réprimer, pendant un si long temps, la rage de la concupiscence; à se choisir une route si éloignée de celle que suivent les autres ; à s'interdire, non-seulement un commerce illicite, mais jusqu'au commerce légitime et permis : et il engendra, dit l'Écriture, trois fils, Sem, Cham et Japhet; or la terre était corrompue devant Dieu, et remplie d'iniquité. C'est, il me semble, par une disposition de Dieu, que ce juste n'eut de commerce avec son épouse qu'après un si long temps, et attendit si tard pour engendrer ses fils. En effet, comme la grandeur de l'iniquité, de la perversité, rendait nécessaire la destruction générale de la terre, la miséricorde de Dieu voulut conserver ce juste, pour servir de racine et de ferment, pour faire de lui, après la destruction des autres, l'origine et les prémices de l'avenir. Pour cette raison , ce juste, âgé de cinq cents ans, quand il eut ses trois fils, se contenta de ce nombre, déclarant par là que ce qu'il avait fait c'était pour servir les desseins de la divine bonté (152) en faveur du genre humain à venir. Voulez-vous avoir la certitude que nos paroles ne sont pas une conjecture au hasard? considérez le soin que prend ici l'Écriture : après avoir dit que ce juste eut trois fils, elle ajoute aussitôt : or la terre était corrompue devant Dieu et remplie d'iniquité. Voyez-vous , dans la même nature, cette grande et inexprimable différence; à propos du juste, l'Écriture disait : Noé fut un homme juste et parfait au milieu des hommes de son temps ; mais, au sujet de tous les autres, elle dit : Or la terre était corrompue devant Dieu et remplie d'iniquité. Ce mot terre désigne la multitude des hommes; c'est parce que toutes leurs actions se rapportaient à la terre, que l'Écriture désigne, par ce mot de terre, et leurs bassesses, et l'excès de leur malignité: De même qu'elle avait dit du premier homme , qu'il perdit , par sa désobéissance, la gloire dont il était revêtu , et qu'il fut assujéti, pour son châtiment, à la mort : Tu es terre et tu retourneras dans la terre (Gen, III, 19) ; de même, ici, parce que les vices avaient grandi outre mesure, elle dit : Or la terre était corrompue. Et elle ne se contente pas de dire : Or la terre était corrompue, mais elle ajoute : Devant Dieu, et remplie d'iniquité. En effet, ces mots, était corrompue, c'est une hyperbole qui manifeste la malignité sous toutes ses formes. On ne peut pas dire, que ces hommes fussent coupables d'un ou, de deux péchés seulement; ils avaient commis toute espèce d'iniquités, dépassant toute mesure ; aussi le texte ajoute
Et la terre était remplie d'iniquité. Ce n'était pas en passant, d'une manière vulgaire qu'ils faisaient le mal; ils commettaient toute espèce de péchés, en 's'y appliquant avec ardeur. Et voyez comme l'Écriture ensuite ne daigne pas leur accorder le moindre souvenir; elle les désigne du nom de terre, indiquant en même temps, par là, et la gravité des péchés , et l'indignation de Dieu. Or la terre était corrompue, dit le texte, devant Dieu; c'est-à-dire qu'ils faisaient tout au rebours des préceptes de Dieu ; foulant aux pieds les commandements de Dieu; perdant, par leur lâcheté, ce maître intérieur que la nature a mis dans l'âme humaine; et la terre était remplie, dit le texte, d'iniquité: Voyez-vous , mon bien-aimé , tout ce que le péché a de funeste ; comme il fait que les hommes ne méritent plus d'être appelés de leur nom ? Écoutez maintenant ce qui suit : Et le Seigneur Dieu vit la terre, et elle était corrompue. Voyez comme, pour la seconde fois, l'Écriture se sert du mot de terre pour désigner les hommes. Et ensuite, après avoir une fois, deux fois; trois fois, prononcé le mot de terre, pour qu'on n'aille pas s'imaginer qu'il s'agit de la terre matérielle, le texte dit : Car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre. Et ici encore , on ne daigne pas prononcer le mot d'homme; le texte dit, chair, pour nous apprendre qu'il ne parle pas de la terre propre. ment dite, mais des hommes revêtus de chair, et tous, appliqués, tout entiers, aux choses de la terre. C'est l'habitude de l'Écriture, nous vous l'avons souvent dit, mes très-chers frères, d'appeler les hommes qui ne voient que la chair, qui n'ont aucune pensée relevée, du nom de chair; c'est ainsi que le bienheureux Paul dit : Ceux qui vivent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu. (Rom. VIII, 8.) Eh quoi donc ! n'était-ce pas un homme de chair, celui qui écrivait ces paroles? Paul n'a pas voulu dire que ceux qui sont revêtus de chair ne peuvent pas être agréables à Dieu ; il parle de ceux qui ne tiennent aucun compte de la vertu, qui ne voient que la chair, ne poursuivent que les plaisirs de la chair, et n'ont aucun souci de leur âme incorporelle , spirituelle. Donc , après que la divine Écriture nous a montré, par ces paroles, la multitude des péchés, l'excès de la malice, la grandeur de l'indignation de Dieu; après avoir, pour flétrir les désirs mauvais, à trois reprisés, appelé du nom de terre les hommes qui vivaient alors, elle les appelle encore du nom de chair, en les dépouillant du nom que leur a donné la nature; et maintenant, par ce qui suit, elle nous montre l'ineffable miséricorde de Dieu , et la grandeur de sa clémence. En effet, que dit-elle? Et le Seigneur dit à Noé.
3. Voyez l'excès de bonté ! Dieu s'entretient avec ce juste comme un ami avec son ami; il lui fait part du châtiment qu'il infligera à l'espèce humaine, et il dit : Le temps de tout homme est venu devant moi; ils ont rempli toute la terre d'iniquité, et je les exterminerai avec la terre. Qu'est-ce à dire : le temps de tout homme est venu devant moi ? J'ai montré, dit-il, une grande patience, une grande tolérance, en n'infligeant pas le châtiment que je leur tiens en réserve; mais, puisque leur péché, excédant le nombre et la mesure, a fait (153) venir le temps de l'expiation, il faut en finir avec eux, ruiner leur malignité, pour qu'elle ne s'étende pas plus loin : Le temps, dit-il, de tout homme est venu devant moi. Voyez encore ici : de même qu'il disait plus haut, Chacun pense: ainsi, maintenant il dit, De tout homme. Tous conspirent ensemble, tous ont quitté ma cause pour passer à l'iniquité; dans une si grande multitude on ne trouve pas un homme qui tienne compte de la vertu : Le temps, dit-il, de tout homme est venu devant moi; c'est-à-dire, le temps est venu de couper, d'empêcher l'ulcère de gagner plus loin; le temps de tout homme est venu devant moi; comme s'il n'y avait personne pour les voir, pour leur demander compte de leurs crimes, ils se sont abandonnés aux couvres que la loi condamne; ils n'ont pas vu que rien ne m'est caché, à moi qui leur ai donné la vie, et le corps et l'âme, et tant de biens en foule; donc, le temps de tout homme est venu devant moi. Et ensuite, comme s'il voulait s'excuser devant l'homme juste, comme pour lui montrer que c'est l'excès des péchés qui seul a provoqué en lui tant de colère, il dit : Ils ont rempli toute la terre d'iniquité. Ont-ils négligé de commettre, dit-il, quoi que ce soit qui appartienne au péché? La grandeur de leur malignité est visible; c'est une mer qui déborde, toute la terre en est inondée. Voilà pourquoi je les détruis et la terre avec eux; et voici, dit-il, que je les détruis et la terre avec eux. Ils ont été les premiers, par leurs actions contre la loi, à se détruire eux-mêmes : voilà pourquoi j'amène l'universelle destruction; j'opère la suppression qui les efface, eux et la terre, afin que la terre puisse montrer qu'elle est purifiée, qu'elle est purgée de tant de crimes. Essayez maintenant de concevoir ce qui se passa dans l'âme de ce juste, quand il entendit ces paroles de la bouche du Seigneur. Sans doute il avait la conscience de sa grande vertu; cependant ce n'était pas sans douleur qu'il entendait de telles paroles. L'affection, l'amour est le propre des justes; pour le salut des autres ils consentiraient volontiers à tout souffrir. Que dut donc éprouver cet homme admirable, quand sa pensée lui représentait la perte, la destruction de la création tout entière ; quand peut-être il soupçonnait, pour lui-même, quelque chose de lugubre ? Car il n'était encore assuré de rien; donc, pour prévenir le trouble de ses pensées, pour lui donner quelque consolation dans l'affliction qui devait accompagner un si grand désastre, le Seigneur, après lui avoir dit combien était enracinée la malignité, combien il était urgent de pratiquer une incision profonde, d'extirper le mal : une perte commune, dit-il, sera leur partage; Mais toi, fais-toi une arche. (Gen. VI, 14.) Qu'est-ce à dire? Mais toi : comme tu n'as en rien partagé leur corruption, mais que tu as passé tous les jours de ta vie dans la vertu, je te commande de construire une arche, de pièces de bois équarries, défiant la pourriture; tu y feras de petites chambres et tu l'enduiras de bitume, en dehors et en dedans. Sa longueur sera de trois cents coudées, sa largeur de cinquante et sa hauteur de trente. Le comble qui la couvrira sera haut d'une coudée, et tu mettras la porte de l'arche au côté; tu feras un étage tout en bas, un au milieu, et un au troisième. (Gen. VI, 14, 16,16.) Considérez la divine clémence, la puissance ineffable, la bonté au-dessus de tous les discours. Dieu déclare sa providence à l'égard du juste, en lui commandant de faire une arche; en même temps, il règle la manière dont il faut que l'arche soit construite, la longueur, la largeur, la hauteur, et il lui donne la plus grande des consolations, en lui montrant l'espérance du salut par la construction de l'arche. Quant à ceux qui s'étaient rendus coupables de péchés si graves, il les avertit, par la fabrication de cette arche, de réfléchir sur leurs actions, de venir à résipiscence, pour échapper à la colère. Et, en effet, ce n'était pas un délai de courte durée qu'offrait au repentir la construction de l'arche; le temps, certes, était considérable, suffisant, s'ils n'avaient été plongés dans lingratitude, dans l'engourdissement stupide qui les empêcha de corriger leurs erreurs. Il était naturel que chacun d'eux, voyant l'homme juste qui construisait l'arche, que chacun d'eux, averti d'ailleurs de la colère divine, se repentit de ses fautes ; il suffisait de vouloir; mais ce délai ne leur fut d'aucune utilité; ils ne se sont pas repentis; ce n'est pas parce qu'ils ne pouvaient pas se repentir, mais parce qu'ils ne le voulaient pas.
4. Et maintenant après avoir donné à l'homme juste les ordres concernant la construction de l'arche, Dieu lui communique, lui raconte la forme du châtiment qu'il devait infliger, et il lui dit : Toi, prépare ce que je fais ordonné; pour moi, une fois que tu auras rempli l'arche. j'aurai soin encore de mettre en sûreté ce qui (154) te regarde. Je vais répandre le déluge sur la terre pour détruire toute chair qui respire et qui est vivante sous le ciel, et toutes les choses qui sont sur la terre finiront. Voyez comme la menace montre bien la grandeur des péchés qui ont été commis. J'infligerai,, dit-il, le même châtiment, et aux êtres doués de raison, et aux êtres dépourvus de raison; car les premiers ont trahi la prééminence qu'ils possédaient; la corruption les a rabaissés à l'état des êtres sans raison; le châtiment ne fera aucune différence. Je vais répandre le déluge pour détruire toute chair qui respire, qui est vivante sous le ciel, et les bêtes de somme, et les oiseaux, et les animaux sauvages, et les quadrupèdes, et tout ce qu'il y a sous le ciel sera détruit. Et, pour que vous sachiez bien que rien ne sera épargné, il dit: Et toutes les choses qui sont sur la terre finiront, car il faut que la terre soit purifiée; mais que cela ne te trouble pas, ne confonde pas tes pensées; c'est parce que je vois, des ulcères incurables que je veux arrêter la malignité qui déborde, afin que les pécheurs ne s'exposent pas à de plus terribles châtiments. C'est pourquoi, même en ce jour, j'écoute encore ma clémence ordinaire; je tempère mon indignation par ma bonté; le châtiment que j'apporte ils le subiront sans douleur, ils n'en auront pas le sentiment. Je ne considère, ni la grandeur de leurs fautes, ni ce qu'ils ont mérité, mais je prévois l'avenir, et, en les frappant d'une juste punition, je veux surtout affranchir la postérité du fléau qui les aura perdus. Ne sois donc pas abattu, ne te trouble pas en m'écoutant; car, s'ils doivent subir le châtiment de leurs fautes, écoute maintenant, j'établirai mon alliance avec toi. (Ibid. 18.) Jusqu'à ce jour, les hommes ont commis des actions indignes, ils ont méconnu mes commandements; c'est avec toi, désormais, que j'établirai mon alliance. Le premier homme, après tant de bienfaits, s'est laissé séduire; il a violé mes commandements; l'enfant né de lui s'est à son -tour précipité dans le même abîme .de malice; il a subi un long châtiment avec la malédiction. Eh bien, sa punition n'a pas corrigé ses descendants, ils ont accumulé les crimes, et m'ont forcé de réprouver leur génération. Plus tard, quand j'ai trouvé Enoch, qui avait fidèlement conservé l'image de la vertu , comme il m'était tout à fait cher, je l'ai enlevé vivant, montrant ainsi à tous ceux qui pratiquent la vertu quelle précieuse récompense ils obtiennent; et je voulais aussi que les autres hommes, jaloux de l'imiter, entrassent dans la voie qu'il avait suivie. Maintenant, puisque tous les hommes qui se sont succédé depuis ont pratiqué le mal; puisqu'au milieu d'une si grande multitude je n'ai trouvé que toi seul qui sois capable de réparer le péché du premier père , c'est avec toi que j'établirai mon alliance. Les bonnes oeuvres de ta vie manifestent ta fidélité à mes commandements. Enfin, pour que l'homme, qui jusqu'alors était resté juste, ne s'afflige pas, en entendant ces paroles, à la pensée qu'il sera seul affranchi d'un si grand malheur, Dieu, pour ainsi dire, le consolant une seconde fois, lui dit : Tu entreras dans l'arche, toi et tes fils, et ta femme, et les femmes de tes fils. Car, bien qu'ils fussent loin d'égaler la vertu de ce juste, cependant ils n'avaient pas pris part aux crimes des autres hommes. Il y a d'ailleurs, deux causes pour lesquelles ils furent sauvés : l'une, c'est que Dieu voulait honorer l'homme juste; c'est en effet l'habitude d'un Dieu plein de clémence, d'accorder à ses serviteurs, par considération pour eux, que d'autres soient sauvés. Cette faveur a été faite au bienheureux Paul, à ce maître qui instruisait la terre, l'illuminant de toutes parts des rayons de la science qu'il portait en lui. Il traversait la mer se rendant à Rome, une grande tempête s'éleva; tous les passagers tremblaient pour leur salut; ils n'avaient plus d'espoir, tant était grande la violence de la tempête. Paul les assembla tous, et leur dit : Ayez bon courage, personne ne périra; il n'y aura que le vaisseau de perdu; car cette nuit même, un ange du Dieu à qui je suis et que je sers, m'a apparu et m'a dit : Ne craignez point, Paul; Dieu vous a donné tous ceux qui naviguent avec vous. (Act. XXVII, 22, 24.) Voyez-vous comment la vertu de cet homme leur a valu d'être sauvés; disons mieux, ce n'est pas cette vertu seulement, mais de plus la bonté du Seigneur : il en fut de même ici, et, ce fut là la première cause. Mais il en est encore une autre : Dieu voulait laisser un ferment, une racine, pour le rétablissement de la race humaine. Ce n'est pas qu'il fût impossible à Dieu de créer l'homme une seconde fois, de tirer une seconde fois, d'un seul homme, une multitude, mais c'est parce qu'il lui parut bon d'agir comme il l'a fait, suivant en cela sa bonté ordinaire.
5. Soyez attentifs, voyez encore la bonté de (155) Dieu dans ce qui suit: car, de même que ses paroles menaçantes annonçaient la mort de l'espèce humaine, et en même temps la destruction des bêtes de somme, des reptiles, des volatiles, des animaux sauvages; de même ici, par égard pour l'homme juste, il commande d'introduire dans l'arche un couple de chaque espèce de ces animaux, pour servir à la reproduction des animaux à venir. De tous les animaux, dit-il, des bêtes de somme, de tous les animaux sauvages, de joute chair, tu feras entrer un couple, afin qu'ils vivent avec toi; et ils seront mâle et femelle. De chaque espèce des oiseaux, de chaque espèce des animaux terrestres , de chaque espèce des reptiles rampant sur la terre, deux entreront avec toi, pour vivre avec toi, et ils seront mâle et femelle. (Gen. VI, 19, 20.) Ne passez pas sans vous arrêter, mon bien-aimé; considérez quel souci, quel trouble de pensées dut donner à cet homme juste le soin à prendre de tous ces animaux. En effet, ce n'était pas assez pour lui de s'occuper dé sa femme et de ses fils, et de ses belles-filles, il lui fallait encore s'inquiéter de tant d'animaux sans raison, qu'il devait nourrir. Mais patience, attendez; vous verrez la bonté de Dieu, comme Dieu soulage le soin qu'il impose à l'homme juste : Tu prendras, dit-il, avec toi, de tout ce qui peut se manger, et tu le porteras dans l'arche, pour servir à ta nourriture et à celle de tous les animaux. (Ibid. 21.) Ne pense pas, dit Dieu, que ma providence t'abandonne; vois, je te commanderie porter dans l'arche tout ce qu'il faut pour votre nourriture et pour la nourriture des animaux, de sorte que vous ne souffriez nullement de la faim, que rien ne vous manque, et que les animaux ne périssent pas, faute de la nourriture qui leur convient. Et Noé, dit le texte, accomplit tout ce que le Seigneur Dieu lui avait commandé, il l'accomplit ainsi. Voyez maintenant, ici, le plus beau des éloges : Noé accomplit tout ce que le Seigneur Dieu lui avait commandé. Il n'accomplit pas telle chose, il ne négligea pas telle chose, mais tout ce qui avait été commandé, il l'accomplit. Et, il l'accomplit ainsi qu'il lui avait été commandé. Il n'omit rien : il accomplit tout, et il prouva, par ses oeuvres, que c'était avec raison que Dieu l'avait jugé digne de sa bienveillance. Quelles couronnes ne mérite pas le témoignage que la divine Ecriture décente à ce juste? Quel homme pourrait être plus heureux que celui qui a accompli toutes les oeuvres que Dieu lui avait commandées, qui a montré tant d'obéissance à ses ordres? Et maintenant, voulez-vous savoir quelle parole le Créateur de toutes choses a daigné lui adresser? Ecoutez la suite : Et, dit le texte, le Seigneur Dieu dit à Noé : entre dans l'arche, toi et toute ta maison. (Ibid. VII, 7.) Et maintenant, pour nous apprendre que ce n'est pas seulement par un effet de sa faveur qu'il conserve le juste, mais qu'il lui donne la récompense de ses travaux, les prix que sa vertu mérite, il lui dit : Voilà pourquoi je te commande que tu entres dans l'arche, toi et toute ta maison : C'est que je t'ai vu juste et parfait, devant moi, au milieu de cette génération. Grand témoignage , et digne de confiance ; car que peut-il y avoir de plus glorieux que d'entendre le Créateur lui-même, Celui qui adonné l'être, décernant son suffrage au juste avec de telles paroles; parce que je t'ai vu juste et parfait, dit le texte, devant moi. Voilà la vraie vertu, la vertu qui se montre devant Dieu, la vertu dont rend témoignage l'oeil qu'on ne peut tromper. Ensuite, le Dieu plein de bonté nous enseigne la mesure de la vertu qui était alors exigée d'un juste: ( En effet, il n'attend pas de tous la même mesure de vertu: la variété des temps amène la différence dans la vertu qu'il réclame.) Dieu dit parce que je t'ai vu juste et parfait devant moi au milieu de cette génération, si dépravée, si corrompue, si ingrate. Je t'ai vu juste, c'est toi seul que j'ai trouvé agréable; c'est toi que j'ai vu tenant compte de la vertu, toi seul as paru juste, à mes yeux, devant moi ; tous les autres périssent, et je t'ordonne d'entrer, avec toute ta maison, dans l'arche : des animaux qui sont purs, je t'ordonne d'introduire dans l'arche sept couples; auparavant il avait d'une manière indéterminée ordonné d'introduire un seul couple de tous les animaux sans distinction, et maintenant pour compléter son commandement, il ajoute : De tous les animaux qui sont purs, prends sept mâles et sept femelles; et de tous les animaux impurs, deux mâles et deux femelles. Il en donne bientôt l'explication; il ajoute : Afin d'en conserver la race sur la face de toute la terre. Il est curieux, ici, de se demander comment cet homme juste savait quels étaient les animaux purs, quels étaient les animaux impurs. Car on n'avait pas encore fait la distinction que Moïse établit plus tard et sanctionna dans les lois des Juifs. Comment donc Noé pouvait-il la faire de lui-même? Par la (156) science qui lui était naturelle et que la raison lui suggéra aussi. Il n'y a rien d'impur dans les créatures que Dieu a faites; comment pourrions-nous appeler immonde une créature qui a reçu d'en-haut l'approbation du Créateur? En effet, la divine Ecriture nous dit : Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites, et elles étaient très-bonnes. (Gen. I, 32.) Mais, plus tard, la nature seule produisit cette distinction. Et ce qui vous fera voir que nous disons la vérité, c'est que dans certains pays, certaines personnes s'abstiennent de certains animaux, regardés comme des animaux immondes, et qu'on méprise, tandis que d'autres personnes se nourrissent des mêmes animaux : c'est la coutume qui les autorise. Eh bien 1 de même, à cette époque, la seule science que ce juste avait en lui, lui montrait de quels animaux on pouvait se nourrir, quels animaux étaient immondes, non qu'ils le fussent en réalité, mais parée qu'on les regardait comme des animaux immondes. Pourquoi, en effet, répondez-moi, je vous prie, regardons-nous l'âne comme un animal immonde, quoiqu'il ne se nourrisse que de plantes, tandis que nous regardons comme une nourriture convenable d'autres quadrupèdes, quoiqu'ils se nourrissent d'un aliment immonde? Ainsi la science naturelle, qui vient de Dieu d'ailleurs, enseignait ces choses. On pourrait, en outre, faire une autre réponse; c'est que Dieu, qui avait fait le commandement, avait en même temps accordé à Noé la connaissance dont il avait besoin. Mais en voilà assez sur les animaux immondes et sur ceux qui ne le sont pas.
6. Mais maintenant se présente ici une autre question: Pourquoi, des animaux impurs, deux couples; des animaux purs, sept couples? Et encore : pourquoi pas six, huit, mais sept? Le développement est peut-être un peu long, mais si vous n'êtes pas fatigués, si vous voulez bien, nous vous résumerons, mes frères, nos pensées sur ce sujet; nous voulons dire, celles que la grâce divine nous aura inspirées. On débite, en effet, grand nombre de fables différentes à ce propos; c'est pour beaucoup d'esprits une occasion de tenter des observations, par le moyen des nombres. Mais ce n'est pas ici la sagesse qui observe, c'est la curiosité intempestive des hommes qui se livre à des fictions, fécondes en hérésies, ce que vous allez voir tout de suite. En effet, souvent (c'est à tel point que l'abondance des preuves va fermer la bouche à ceux qui font des nouveautés, en se fondant sur leurs opinions à eux), nous trouvons dans l'Ecriture des nombres qui marquent des couples : Ainsi, quand le Seigneur envoya ses disciples, il les envoya deux par deux; or, ils étaient douze en tout; et il y a quatre évangiles; mais il serait inutile, mes frères, de vous rappeler ce que vous ont trop bien appris ceux qui en ont assourdi vos oreilles (1).
Il faut vous apprendre maintenant pourquoi Dieu a donné l'ordre d'introduire sept couples des animaux purs. Ce plus grand nombre, d'animaux purs, c'était pour ménager, à l'homme juste et à ceux qui étaient avec lui, une consolation, à cause de l'utilité qu'ils en retireraient. Maintenant tous ces couples de sept mâles et de sept femelles, si vous en cherchez la raison, vous donnent une marque éclatante de la piété de l'homme juste. Le Dieu plein, de bonté connaissait sa vertu; il savait que ce' juste, touché de la miséricorde du Seigneur, après avoir foui d'un si grand bienfait de la divine faveur, quand il se verrait sauvé d'un si grand désastre, délivré de tout péril, affranchi. de la captivité qu'il subit dans larche, manifesterait sa reconnaissance, et lui offrirait en actions de grâces des victimes et des sacrifices. Dieu ne voulut pas que les couples fussent dépareillés; voilà pourquoi le Seigneur, qui prévoyait les sacrifices de la reconnaissance, ordonna d'introduire sept mâles et sept femelles de toutes les espèces d'oiseaux; c'était afin que, quand la destruction universelle cesserait, quand l'homme juste manifesterait la piété de son âme, les couples des oiseaux et des autres animaux ne fussent pas dépareillés. C'est ce que la suite de ce discours vous montrera, quand. nous serons arrivés au moment que j'indique. Vous verrez, en effet, que l'homme juste se conduisit ainsi; vous venez, d'apprendre pourquoi l'ordre fut donné d'introduire dans l'arche sept mâles et sept femelles ; ne supportez donc plus ceux qui composent des fables, qui s'insurgent contre I'Ecriture sainte, et qui donnent les inventions de leur cerveau comme des dogmes sacrés. Donc, après que Dieu eut communiqué ses ordres, nettement exprimés, au sujet des
1. Ce n'est pas sans raison que saint Chrysostome s'attaque ici à ceux qui, dans l'explication de la sainte, Ecriture, tenaient trop grand compte des nombres : tels étaient non-seulement Philon et Clément dAlexandrie, mais aussi Eusèbe en quelques endroits, et même d'autres Pères. Pierre Bongo a composé un gros livre sur ce sujet.
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oiseaux, des animaux purs et des animaux impurs, et des aliments, il dit à l'homme juste : Je n'attendrai plus que sept jours, et, après cela je ferai pleuvoir sur la terre, durant quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de dessus la terre toutes les créatures que j'ai faites, depuis l'homme jusqu'aux bêtes de somme. (Gen. VII, 4). Attention ici, je vous en conjure; voyez encore , dans ce que nous venons de vous dire, l'excellence de la bonté di,vine; après une si longue patience, Dieu déclare qu'il attendra encore sept jours; il veut, par la terreur, corriger les hommes, et lès ramener au repentir. Ce. qui prouve que c'est bien là sa pensée , qu'il ne veut -pas faire pleuvoir sur les hommes ce déluge qu'il annonce, c'est ce qui est arrivé aux habitants de Ninive. Voyez bien, comprenez, la différence entre ceux de Ninive et les hommes d'autrefois. C'est en vain que, pendant tant d'années, ces hommes entendirent répéter que les plus grands malheurs étaient à leurs portes; ils ne renoncèrent pas à leurs iniquités; c'est là, en effet, notre habitude; nous devenons négligents, quand on ajourne la punition; mais quand les fléaux tombent sur nous; nous nous humilions alors, et nous montrons que nous sommes convertis. C'est ce qui est arrivé aux gens de Ninive : quand ils entendirent ces paroles : Encore trois jours et Ninive sera détruite (Jean, III, 4) , non-seulement ils ne désespérèrent pas, mais ils se réveillèrent, et ils s'abstinrent si bien de toute action mauvaise , et ils mirent tant de- soins à se confesser qu'ils étendirent jusque sur les animaux la confession; non pas que les animaux se soient confesses; comment auraient-ils pu le faire n'ayant pas la parole? mais les Ninivites voulaient; par ce moyen, se concilier la miséricorde du Dieu de bonté. On publia un jeûne, dit l'Ecriture; le roi ordonna, de sa bouche, que-ni les brebis, ni les boeufs , ni les autres animaux ne fussent point menés aux pâturages, et ne bussent point d'eau. (Jon. III, 7). Tout le peuple, tous, couverts de sacs, et le roi lui-même, sur son trône, firent une grande pénitence, avec les animaux, et cette pénitence, ils l'accomplirent sans savoir s'ils échapperaient au châtiment, car ils disaient : Qui. sait si Dieu ne se retournera point vers nous pour nous pardonner? (Jean, IX.)
7. Avez-vous compris la sagesse de ces barbares? Avez-vous compris que la brièveté du délai ne les a pas frappés d'engourdissement , ni jetés dans le désespoir ? Voyez maintenant ces hommes du déluge ; après tant d'années d'attente, lorsqu'ils entendirent ces paroles: Encore sept jours, et le déluge viendra, ils ne se sont pas convertis; ils sont restés dans leur insensibilité stupide; d'où il faut dire que c'est notre volonté qui est la cause de tous les maux. En effet, et ces hommes-là et les hommes de Ninive avaient même nature, mais non même volonté; aussi leur sort ne fut-il pas le même. Ceux de Ninive échappèrent au désastre; Dieu dans sa bonté, dans sa clémence, agréa leur repentir; mais les autres furent engloutis, et périrent tous, de la destruction universelle: Je n'attendrai plus, dit-il, que sept jours, et, après cela, je ferai pleuvoir sur la terre. Ensuite, pour ajouter à la terreur, il dit: Durant quarante jours et quarante nuits. Qu'est-ce à dire? Ne pouvait-il pas, s'il avait voulu, en un seul jour faire pleuvoir tout le déluge? Que dis-je, en un seul jour? Un seul moment lui suffisait. Mais ce qu'il dit, c'est à dessein; il veut inspirer la terreur, et, en même temps, ménager à ces hommes l'occasion d'échapper au châtiment, qui était déjà à leurs portes : Et j'exterminerai, dit-il, de dessus la terre, toutes les créatures que j'ai faites, depuis l'homme jusqu'aux animaux. Voyez comment, une fois, deux fois, il prédit la destruction, et cependant il s'abstient; tout ce qu'il faisait, c'était pour nous montrer que c'était avec raison qu'il leur infligeait un châtiment si terrible, c'était afin qu'aucun homme ne pût prétexter l'ignorance , afin que nous ne pussions pas dire : S'il avait attendu au lendemain, peut-être se seraient-ils repentis , peut-être se seraient-ils abstenus de leurs actions mauvaises, peut-être seraient-ils retournés à la vertu. C'est encore pour cette raison qu'il nous a fait savoir le nombre des années, et qu'il a ordonné la construction de l'arche. Et, après tous ces préliminaires , il annonce encore sept jours, afin de faire taire toutes les langues qui parlent au hasard , sans réserve et sans pudeur. Et Noé, dit l'Ecriture, accomplit tout ce que le Seigneur Dieu lui avait commandé. Voyez comme la divine Ecriture célèbre ici la sagesse et l'obéissance de l'homme juste. Elle nous enseigne qu'il n'a rien négligé de ce qui lui avait été commandé, et qu'en accomplissant tout, il a encore prouvé, par cette obéissance, la Perfection de sa vertu.
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8. Imitons donc ce juste; nous aussi, accomplissons avec zèle les commandements de Dieu, et ne méprisons pas les lois que le Christ nous a apportées; conservons-les toujours dans notre mémoire; empressons-nous de faire des bonnes oeuvres ; ne nous relâchons pas dans la conduite qui nous assure notre salut, et cela surtout, s'il est vrai qu'aujourd'hui le Christ exige de nous une vertu, d'autant plus grande, que nous avons reçu de plus grands biens en partage. Voilà pourquoi le Christ disait : Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. (Math. V, 20.) Méditons donc cette parole; sachons nous y arrêter; réfléchissons sur la rigueur du châtiment réservé à ceux qui, non-seulement ne travaillent pas à surpasser ces scribes, mais encore n'égalent pas leurs oeuvres et ne s'inquiètent pas d'éteindre la colère qu'ils ressentent contre le prochain; de conserver la pureté d'une langue qui ne connaît pas le parjure ; de préserver leurs regards de spectacles funestes; d'accomplir le commandement de Dieu, qui nous ordonne, non-seulement de supporter avec courage l'injustice dont nous sommes victimes, mais de répondre à la haine en la comblant de nos bienfaits. Si quelqu'un veut plaider contre vous, dit l'Evangile, pour vous prendre votre robe, abandonnez-lui encore votre manteau. (Math. V, 40.) Nous, au contraire, trop souvent, nous essayons de commettre l'injustice contre le prochain, ou de nous venger de celui qui nous blesse, quoiqu'il nous soit commandé, non-seulement d'aimer ceux qui nous aiment, car les publicains en font autant (Ibid. 46), mais d'être bons, d'être des amis pour nos ennemis. Nous ne savons même pas rendre à nos amis l'amour qu'ils ont pour nous. Aussi je souffre et je pleure quand je vois, parmi nous, que la vertu est une rareté; la malice, une force qui grandit chaque jour; que la crainte de la damnation n'arrête pas notre course dans la perversité, que l'amour de la royauté céleste ne nous excite pas à cheminer dans la vertu; nous sommes tous, passez-moi le mot, des troupeaux qu'on emmène; nous allons sans penser, ni à l'heure terrible de la dernière épouvante, ni aux lois qui nous sont imposées par Dieu, et tous nous regardons ce que pensent les autres, nous poursuivons la gloriole qui vient du monde, et nous ne voulons pas écouter l'Évangile : Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire qui vient des hommes, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul? (Jean, V, 44.) S'il est vrai qu'en désirant cette gloire humaine; on perd la gloire divine,il n'en est pas de même pour qui recherche sans cesse la gloire divine; celui-là ne perd même pas la gloire qui vient des hommes. Dieu lui-même nous a fait cette promesse : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par surcroît. (Math. VI, 33.) Oui, celui qui possède ce divin désir, entraîne tous les autres biens à sa suite; qui s'envole vers Dieu, sur les ailes de l'âme, regarde comme si elle n'était pas toute la prospérité présente; les yeux de la foi, quanti ils voient ces biens ineffables, ne voient plus, même les biens visibles, tant est grande, des uns aux autres, la différence. Mais je ne vois personne qui préfère l'invisible au visible. Aussi je m'afflige, et une douleur continuelle est dans mon coeur. L'expérience des choses ne nous a rien appris; ni les promesses de Dieu, ni la grandeur de ses dons, ne font naître dans nos âmes le désir de posséder son royaume; toujours à terre et rampant, nous préférons la terre au ciel, le présent à l'avenir, ce qui s'enfuit avant de paraître à la félicité durable; le plaisir d'un jour à l'éternelle ivresse. Je sais bien que ces paroles, pour vos oreilles délicates, sont des piqûres qui les blessent, mais pardonnez-moi.
C'est parce que je désire votre salut que je vous parle; c'est parce que j'aime mieux vous voir échapper, grâce aux quelques tracasseries d'ici-bas, à l'éternel supplice, que payer quelques chétifs plaisirs d'un châtiment sans fin. Si vous vouliez m'entendre, vous secoueriez un découragement intempestif, surtout quand il vous reste encore quelques moments de cette sainte quarantaine; oui, vous pouvez vous purifier de vos fautes; vous concilier toute la bonté de Dieu. Le Seigneur n'a besoin ni de jours, ni d'années; si nous voulons, dans ces deux semaines qui nous restent, nous allons nous redresser, nous relever tout à fait. En trois jours, les habitants de Ninive ont montré leur repentir, et Dieu leur a montré son amour; à plus forte raison aura-t-il des regards pour nous; nous n'avons qu'à prouver la sincérité de notre repentir, qu'à rejeter la malignité, qu'à prendre résolument la route qui conduit à la vertu. Car, pour ces pécheurs, je pare de ceux de Ninive, voici le témoignage de la (159) divine Ecriture : Dieu vit qu'ils s'étaient convertis, en quittant leur mauvaise voie. (Jon. III, 10.) Donc s'il nous voit, nous aussi, maintenant, nous retourner du côté de la vertu, nous écarter du vice, nous animer du zèle des bonnes oeuvres, il accueillera notre conversion, il nous, il nous affranchira du fardeau de nos fautes; à nous, les dons de ses mains. Car nous éprouvons moins le désir de nous délivrer du péché, de conquérir le salut, qu'il ne désire, lui, qu'il ne lui tarde de nous gratifier du parfait affranchissement de la réconciliation, du salut, de nous en assurer la jouissance. Aussi, je vous en conjure, réveillons-nous; demandons-nous, chacun à nous-mêmes, voyons, examinons quelle correction de nous-mêmes avons-nous opérée en ces jours, quelle utilité avons-nous recueillie de cet enseignement continuel, quel fruit en avons-nous remporté pour l'édification du prochain, quel vice avons-nous détruit en nous-mêmes, quelle résolution d'embrasser la sagesse avons-nous prise, en entendant chaque jour tant d'exhortations ? Pensons aux bonnes couvres, ne nous lassons jamais de sanctifie notre vie; que celui qui voit prévaloir, contre ses bonnes intentions, la force des mauvaises habitudes, qui le contraint de persévérer dans le mal, que celui-là se fasse violence, soumette sa lâcheté à sa raison, ne souffre pas que le vice fasse de nouveaux progrès dans son âme; qu'il s'arrête, qu'il rompe avec les habitudes vicieuses; plus de fougue pervertie; plus de pensées déréglées; qu'il médite sur le jour d'épouvante; qu'il arrête ses regards sur le feu resplendissant de la table terrible, sur la flamme qui brûle, sur les dispositions qu'il convient d'apporter à cette table, c'est la pureté sans tache, c'est la pureté parfaite; qu'il chasse, extermine les pensées coupables; que ce soit là, en ces jours, pour chacun de nous, la préparation intérieure; purifions notre âme, faisons tous nos efforts pour prendre dignement notre part du festin eucharistique sur la terre, afin de jouir ensuite de ces biens ineffables, que Dieu a promis à ceux qui l'aiment, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. C.
PORTELETTE.