HOMÉLIE XV

QUINZIÈME HOMÉLIE. « Mais il ne se trouvait point pour Adam d'aide semblable à lui : Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil ; et pendant qu'il dormait, Dieu prit une de ses côtes et mit de la chair en sa place. Et Dieu produisit la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam. » (Gen. II, 21, 22.)

 

 

ANALYSE.

 

1. Saint Chrysostome, après avoir félicité ses auditeurs de leur zèle à entendre la parole divine, preuve l'excellence de la femme par ces paroles : « Il ne se trouvait point pour Adam d'aidé semblable à lui ; » et il en fait ressortir sa supériorité sur les animaux qui ne sont que les serviteurs de l'homme, tandis que la femme est sa compagne. — 2. Il explique ensuite le sommeil mystérieux envoyé à Adam, et la manière dont le Seigneur forma la femme. —  3. Le mode seul de cette formation montre, selon la parole de l'Apôtre, que la femme a été créée pour l'homme; aussi en la voyant. Adam s'écria-t-il par suite d'une révélation prophétique : « Voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! » — 4. L'orateur explique ensuite comment Adam et Eve ne rougissaient pas de leur nudité en disant qu'ils étaient revêtus d'innocence et de- pureté, et que leur vie, avant le péché, était tout angélique. —  5. En terminant, il ramène l'attention de ses auditeurs à la manière, dont ils ont passé la première moitié du carême, et les engage à éviter les différents péchés qui se commettent par la langue.

 

 

1. Je vous suis bien reconnaissant de ce que trier vous m'avez écouté avec tant de bienveillance. La longueur de notre entretien n'a point paru vous fatiguer, et votre attention s'est soutenue depuis le commencement jusqu'à la fin. Aussi suis-,fie fondé à espérer que vous mettrez mes conseils en pratique. Car celui qui écoute 7a parole sainte avec tant de plaisir témoigne bien qu'il veut y conformer sa conduite; et `d'ailleurs le nombreux concours de ce soir suffirait seul pour me garantir vos heureuses dispositions. Un bon appétit est un signe de bonne santé, et de même la faim de la parole divine est l'indice d'une âme très-bien disposée. Mais puisque votre zèle me promet des fruits abondants, et qu'il me garantit que vous vous conformerez à mes enseignements , comment ne pas vous donner, mes chers frères, la récompense que je vous promis hier ? J'entends cette doctrine spirituelle que je vous distribue sans m'appauvrir, et qui néanmoins vous rend plus riches. Telle est en effet la nature des biens spirituels , qui sous ce rapport sont fort différents des biens temporels. Car à l'égard de ces derniers, on ne saurait en être prodigue,ni enrichir les autres qu'à ses dépens ; ici au contraire on augmente ses propres trésors en les distribuant , et l'on multiplie les richesses de ses frères.

De mon côté , je suis tout disposé à vous communiquer ces biens spirituels, et du vôtre les âmes s'ouvrent et se dilatent pour les recevoir; il faut donc que je vous donne de ma plénitude, et que je m'acquitte de ma dette en vous expliquant les versets de la Genèse qui viennent d'être lus. Oui je veux , mes chers frères en faire le sujet de cet entretien, en rechercher avec soin le sens caché , et vous enrichir de leurs abondants trésors. L'Ecriture nous dit : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable; que signifie cette parole, mais pour Adam ? et pourquoi employer ici cette conjonction? ne suffisait-il pas de dire : pour Adam il ne se trouvait pas d'aide ? ce n'est point sans raison , ni par simple curiosité que j'entre dans ce détail, et je me propose de vous apprendre par ce minutieux examen due dans l'Ecriture il ne faut passer légèrement ni sur un mot, ni sur une syllabe. Car ce ne sont point ici (82) des paroles jetées au hasard, mais le langage de l'Esprit-Saint. Aussi peut-on y découvrir de précieux trésors même sous une seule syllabe. Veuillez donc, je vous en conjure , m'écouter avec soin , et ne faites paraître ni lâcheté, ni nonchalance. Soyez au contraire attentifs, et ne vous laissez point distraire par les préoccupations des affaires, ou les soucis des choses temporelles. Car chacun doit être touché de la dignité de cette sainte assemblée , et ne pas oublier que c'est Dieu lui-même qui nous parle par la bouche de son prophète. Ainsi qu'en vous l'oreille et l'esprit soient ouverts et éveillés afin que vous ne perdiez pas un seul mot, et que la semence de la parole divine ne tombe point sur la pierre, ou le long du chemin, ni parmi les épines. Puisse-t-elle au contraire se répandre sur une bonne terre ! je veux dire en des coeurs bien préparés, alors elle se multipliera et vous produira des fruits abondants.

Expliquons donc le sens de cette phrase : Mais pour Adam, il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable; et voyez d'abord avec quelle exactitude s'exprime la sainte Écriture ! Après nous avoir dit: Mais pour Adam, il ne se trouvait point d'aide, elle poursuit et ajoute ces mots : qui lui fût semblable. Cette addition nous fait comprendre le sens de la conjonction. Je pense que , parmi vous , quelques esprits plus éclairés devinent presque ce que je vais dire ; mais il est de mon devoir d'instruire tous mes auditeurs, et de me faire comprendre de chacun d'eux. C'est pourquoi je vous expliquerai les raisons qu'a eues Moïse de parler ainsi, mais il faut un peu de patience. Vous vous souvenez que l'écrivain sacré a précédemment rapporté cette parole du Seigneur : Faisons à Adam une aide qui lui soit semblable, et qu'ensuite il est revenu sur la création des bêtes, des reptiles et de tous les animaux. Et Dieu, dit-il, avait formé de la terre tous les animaux et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir devant Adam, afin qu'Adam vît comment il les nommerait. Ainsi Adam leur imposa à tous un nom, comme étant le maître de tous ; et selon la sagesse qu'il avait reçue du Seigneur, il donna aux bêtes féroces , aux oiseaux et aux animaux domestiques, le nom qui est resté leur propre nom. Mais quoique les animaux servent aux usages de l'homme , et qu'ils lui aident dans ses travaux, néanmoins par cela seul qu'ils sont privés de raison, ils lui sont bien inférieurs. C'est pourquoi nous ne saurions penser que c'est d'eux que le Seigneur a voulu parler quand il a dit: faisons une aide à Adam.

Sans doute les animaux nous prêtent leur secours, et ils nous sont utiles en bien des choses; -mais ils n'en sont pas moins privés de raison. Qu'ils nous soient utiles , l'expérience le prouve, car nous employons les uns à tirer des fardeaux et les autres à cultiver la terre. Ainsi le boeuf traîne la charrue, ouvre les sillons et opère les divers travaux de l'agriculture. L'âne est très-propre à porter des fardeaux, et la plupart des autres animaux servent aux besoins de notre existence. La brebis nous donne la laine pour nous vêtir, et le poil de la chèvre se prête à mille usages; de plus elle nous nourrit de son lait. Ainsi, pour que nous ne puissions appliquer aux animaux cette parole : faisons à Adam une aide, l'écrivain sacré commence son récit par ces mots : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable. C'est comme s'il nous disait: tous les animaux ont été créés pour le service de l'homme, et ils ont reçu de lui leur nom, mais aucun n'est digne d'être son aide. Aussi voulant nous raconter la formation de la femme, a-t-il soin d'introduire le Seigneur qui prononce cette parole : faisons à Adam une aide qui lui soit semblable, qui soit digne de lui, produite de la même substance et son égale. C'est pourquoi Moïse dit : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable; et il nous indique par là que quelque grands que soient à l'égard de l'homme les services des animaux , l'aide de la femme sera pour Adam bien plus excellente en toutes manières.

2. Aussi n'est-ce qu'après avoir. créé tous les animaux, et les avoir conduits au premier homme pour qu'il leur donnât un nom , que Dieu s'occupe de lui former une aide qui lui soit semblable. Déjà l'homme avait été le but de toute la création, et il avait produit pour lui toutes les créatures. Mais Dieu voulut alors y ajouter l'aide de la femme, et observez ici avec quelle précision de détails l'Écriture décrit la formation de la femme. Elle nous avait déjà appris que le Seigneur se proposait de donner à l'homme une aide qui lui fût semblable, car elle nous avait rapporté cette parole : faisons à Adam une aide selon lui; et encore celle-ci : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide (83) qui lui fût semblable. Maintenant elle va nous apprendre que Dieu forma la femme de la substance même de l'homme. Et le Seigneur Dieu, dit-elle, envoya à Adam un profond sommeil, et pendant qu'il dormait, il prit une de ses côtes et mit de la chair à la place. Et le Seigneur Dieu produisit la femme de la côte qu'il vivait ôtée à Adam et l'amena devant Adam. (Gen. 21, 22.) L'énergie de ces paroles est grande, et elles surpassent l'intelligence de l'homme. C'est pourquoi l'on ne saurait les comprendre qu'en les approfondissant avec l’oeil de la foi.

Dieu, dit Moïse, envoya à Adam un profond sommeil , et pendant qu'il dormait. Quelle exactitude de doctrine et quelle sublimité de langage ! L'écrivain sacré, ou plutôt l'Esprit-Saint, par sa plume, nous apprend ici deux choses, le profond sommeil d'Adam , et les suites de ce sommeil. Mais ce sommeil ne ressemblait en rien au sommeil ordinaire. Car le Dieu créateur, sage et puissant, voulait éviter qu'Adam ressentît la moindre douleur , de crainte que ce souvenir pénible ne l'aigrît contre la femme qui devait être formée d'une de ses côtes. C'est pourquoi il lui envoya un profond sommeil, ou plutôt un profond assoupissement qui le priva de l'usage de ses sens. Alors, le Seigneur, comme un habile ouvrier, ôta à Adam une de ses côtes, mit de la chair en sa place, et de la côte enlevée forma dans sa bonté le corps de la première femme. Il envoya donc à Adam un profond sommeil, et pendant qu'il dormait, il lui enleva une de ses côtes, et il prit de la chair à la place. C'était pour qu'à son réveil Adam ne s'aperçût pas de ce qui était arrivé. Car il devait plus tard en être instruit, quoique dans le moment même il n'en eût aucune connaissance. Aussi le Seigneur disposa-t-il toutes choses afin de lui ôter tout sentiment de douleur et de tristesse. Il enleva donc une de ses côtes sans qu'il en ressentît aucune souffrance, et il mit de la chair à la place, pour qu'il ne s'aperçût de rien. Or c'est de cette côte que Dieu forma la femme. Récit admirable, et qui surpasse de beaucoup l'intelligence de l'homme. Au reste, tel est le caractère de toutes les oeuvres de Dieu; et ce n'est pas ici un moindre miracle que d'avoir formé Adam d'un peu de poussière et de boue.

Mais observez encore comme l'Écriture s'accommode à notre faiblesse. Et Dieu, dit-elle; prit une des côtés d'Adam, Gardons-nous bien d'interpréter ces paroles d'une manière toute humaine, et ne voyons, dans leur humble simplicité, qu'une pure condescendance envers notre infirmité. Car si l'Écriture ne se fût ainsi exprimée, comment aurions-nous pu comprendre ces profonds mystères? Arrêtons-nous donc bien moins au sens littéral, qu'à des pensées dignes de Dieu. Ainsi cette parole : Et Dieu prit et toute autre semblable ne sont que pour se proportionner à notre faiblesse. Au reste, l'Écriture emploie ici les mêmes expressions dont elle s'était servie en parlant d'Adam. Elle avait dit précédemment : Le Seigneur Dieu prit l'homme; le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement; et encore Le Seigneur Dieu dit : raisons-lui une aide qui lui soit semblable. De même ici elle dit : Le Seigneur Dieu forma la femme de la côte qu'il avait ôtée à Adam; et un peu auparavant elle avait dit : Et le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil. Ainsi ces expressions n'indiquent aucune différence entre le Père et le Fils, et l'Écriture les emploie indifféremment, parce que ces deux personnes divines n'ont qu'une seule et même nature. Aussi retrouvons-nous la même façon de s'exprimer quand il s'agit de la formation de la femme : Et le Seigneur Dieu forma la femme de la côte qu'il avait ôtée à Adam.

Que diront ici les hérétiques, qui veulent tout examiner curieusement, et qui se flattent de connaître même la génération du Créateur? Mais quelle parole expliquerait ce mystère ! et quelle intelligence pourrait le comprendre : Le Seigneur, dit l'Écriture, prit une des côtes d'Adam, et de cette seule côte il forma la femme tout entière. Eh ! pourquoi ne parler que de ce second miracle ? Car dites-moi d'abord comment Dieu ôta cette côte, et comment Adam ne ressentit aucune douleur ? Ce sont autant de mystères que vous ne sauriez expliquer, et que le Créateur seul qui les a opérés peut comprendre. Mais puisque nous ne pouvons concevoir des choses qui sont sous nos yeux, ni comprendre la création de la femme qui a été formée de la substance de l'homme, il n'appartient qu'au délire et à la folie de rechercher curieusement l'essence du Créateur, et de se vanter d'en avoir l'intelligence. Les esprits célestes ne peuvent eux-mêmes sonder cet abîme, et ils se contentent de glorifier le Seigneur avec crainte et tremblement.

3. Et le Seigneur Dieu produisit la femme (84) de la côte qu'il avait ôtée à Adam. Admirez l'exactitude de l'Ecriture ! Elle ne dit pas, Dieu forma, mais produisit, parce qu'il prit une portion d'une chair déjà formée, et qu'il ne fit que l'augmenter, Dieu produisit donc la femme, non par l'acte d'une création nouvelle, mais en ôtant à Adam une portion de chair, et produisant de cette faible portion un être complet en toutes ses parties. Combien donc est grande la puissance du Créateur qui, avec si, peu de matière, a formé les membres souples et élégants de la femme, et a produit cet être si parfait, qui est doué d'une exquise sensibilité et qui procure à l'homme une douce société et une grande consolation! Car c'est pour la consolation de l'homme (lue la femme a été formée; aussi l'Apôtre dit-il que l'homme n'a pas été créé pour la femme, niais la femme pour l'homme. (I Cor. II, 9.)

Voyez donc comment toutes choses sont faites pour l'homme ! L'univers était créé, ainsi que les animaux qui devaient servir à sa nourriture, ou l'aider en ses travaux ; mais il lui manquait une compagne qui pût converser avec lui, et qui étant de la même nature, pût embellir son existence. C'est pourquoi Dieu prit une de ses côtes, et par un acte de sa suprême sagesse en forma un être doué de raison, en tout semblable à l'homme, et capable de lui venir en aide dans les besoins, comme dans les douceurs de la vie. Or c'est Dieu lui-même qui dans son infinie sagesse a ainsi disposé et arrangé toutes ces choses, et quoique notre esprit soit trop faible pour les comprendre; nous ne laissons pas de les croire, parce que tout est soumis à sa volonté et à son commandement.

Et le Seigneur Dieu produit la femme de la côte qu'il avait ôtée à Adam, et il l'amena devant Adam. Comme la femme n'avait été formée que pour Adam, le Seigneur la lui amène, et semble lui dire : La création entière ne pouvait vous offrir une aide qui vous fût semblable, aussi vous avais-je promis une compagne digne de vous. J'acquitte aujourd'hui ma promesse en vous présentant ce nouvel être parfait et accompli. Le Seigneur amena donc la femme devant Adam, et Adam dit: Voilà maintenant l'os de mes os, et la chair de ma chair. Cette parole nous montre qu'Adam reçut alors de Dieu l'esprit de prophétie, de même qu'il en avait reçu le don admirable de la science. Ce fut en effet par suite de ce don qu'il imposa à chacune des espèces si nombreuses des animaux leur nom propre et véritable. Mais ici l'écrivain sacré a eu bien soin de nous avertir qu'Adam avait été plongé dans un profond assoupissement, en sorte qu'il n'avait eu aucune sensation de ce qui s'était passé en lui. Aussi, lorsqu'à la vue de la femme il se montre instruit de tout, nous ne pouvons douter qu'il n'ait reçu l'esprit prophétique, et qu'il n'ait parlé par l'inspiration du Saint-Esprit.

Adam ignorait humainement la création de la femme, et cependant dès que Dieu la lui amène, il dit : Voilà maintenant l'os de mes os, et la chair de ma chair. Un autre interprète, au lieu du mot, maintenant, écrit une fois; comme si Adam eût déclaré que pour cette fois-ci seulement la femme était formée de cette manière , et que ce mode de génération ne se renouvellerait plus. C'est comme s'il eût dit : maintenant la femme a été formée de l'homme, mais dorénavant l'homme naîtra de la femme, ou plutôt de l'union des deux sexes. Car, dit l'Apôtre, l'homme n'a point été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l'homme; et l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme l'a été pour l'homme. (I Cor. II, 8, 9.) Eh! direz-vous en m'interrompant, ces paroles montrent que la femme est formée de l'homme. Attendez donc un peu, et admirez avec quelle exactitude s'exprime l'Apôtre. Cependant, continue-t-il, ni l'homme n'est point sans la femme, ni la femme sans l'homme (Ibid. 2), voulant dire que depuis la formation de la première femme, et l'homme et la femme naissent de la même manière, par. l'union des sexes. Tel .est le sens de cette parole qu'Adam dit de la  femme : Voilà maintenant l'os de me os, et la chair de ma chair.

4. Mais voulez-vous mieux connaître encore la certitude de cette prophétie, et son éclatant accomplissement qui durera jusqu'à la fin du monde? écoutez ces autres paroles d'Adam : Celle-ci s'appellera d'un nom pris du nom de l'homme, parce qu'elle a été tirée de l'homme. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils seront deux dans une même chair. Voyez-vous avec quel soin Adam lui-même nous explique sa pensée, et comme il pénètre l'avenir de son regard prophétique? Celle-ci, dit-il, s'appellera d’un nom pris du nom de l’homme, parce qu'elle a été tirée de l'homme. Cette première parole nous rappelle que Dieu prit une des (85) côtes d'Adam pour en former la femme, et la suivante nous révèle l'avenir. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme; et ils seront deux dans une même chair. Mais qui lui avait appris toutes ces choses? d'où pouvait-il connaître l'avenir, et le mode de la propagation du genre humain? Quelle idée surtout pouvait-il se former de l'union des deux sexes, puisque cette union n'exista qu'après la chute de nos premiers parents? jusqu'à ce moment ils vécurent dans le paradis terrestre d'une vie tout angélique, et ne connurent ni les feux de la concupiscence, ni la révolte des passions. Ils ignorèrent également les maladies, et les divers besoins du corps, car ils avaient été créés incorruptibles, et immortels.

Quant à l'usage des vêtements, l'Ecriture nous dit qu'ils étaient nus et qu'ils n'en rougissaient pas. C'est qu'avant le péché et la désobéissance, la grâce divine était comme leur vêtement; aussi ne rougissaient-ils point de leur nudité. Mais dès qu'ils eurent violé le précepte du Seigneur, ils connurent qu'ils étaient nus, et ils en rougirent. Qui suggéra. donc à Adam les paroles qu'il prononça alors ? et n'est-il pas évident qu'il reçut le don de prophétie, et qu'il découvrit l'avenir du regard de l'intelligence? Ce n'est pas sans raison que j'appuie sur ces détails, car ils nous montrent l'immense bonté du Seigneur envers le premier homme. Il menait dans le principe la vie des anges, était enrichi de mille bienfaits, et possédait même l'esprit prophétique. Aussi lorsque vous le voyez, après tant de grâces et de faveurs, devenir prévaricateur, gardez-vous de rejeter la faute sur Dieu, et n'en accusez que l'homme. C'est lui seul, comme je le dirai plus tard, qui s'est privé. de tant de biens par sa désobéissance , et qui a été légitimement condamné pour son péché.

Rappelons-nous donc l'état d'innocence où le Seigneur l'avait établi, et les bienfaits sans nombre dont il l'avait comblé. Et d'abord avant même que l'homme existât, il avait produit pour lui l'univers et toutes les créatures; il le créa ensuite lui-même afin qu'il en jouît pleinement, et lui donna pour demeure le paradis terrestre. Bien plus , il l'éleva au-dessus de tous les- animaux qu'il soumit à sa puissance, et voulut qu'il nommât chacun d'eux comme un maître nomme ses esclaves. Enfin, parce que l'homme était seul, et qu'il avait besoin d'une aide qui lui fût semblable, le Seigneur n'omit point de lui donner cette satisfaction ; et, après avoir créé la femme selon le type de sa divine sagesse, il la remit entre ses mains. Enfin le Seigneur couronna ces immenses bienfaits par l'honneur du don de prophétie et le privilège de régner en souverain sur l'univers entier. Il voulut même qu'Adam frit exempt de toute inquiétude comme de tout souci par rapport aux besoins du corps et à l'usage des vêtements : en sorte que sur la terre il menait la vie des anges. Oui, au seul souvenir de ces ineffables bienfaits, je ne sais qu'admirer la bonté du Seigneur , et je m'étonne de voir l'homme si ingrat, et le démon si rempli d'une noire jalousie. Car cet esprit mauvais ne put supporter que dans un corps mortel l'homme fût l'égal des anges.

5. Mais je m'arrête ici pour ne pas trop prolonger ce discours, et je remets à demain l'explication des embûches que le démon tendit à nos premiers parents. Je termine donc en vous priant de retenir mes paroles d'aujourd'hui, et d'en faire le sujet de vos entretiens, afin que vous les graviez plus profondément dans votre mémoire. Car le souvenir habituel (les grâces dont Dieu combla le premier homme ne peut que nous porter à une juste reconnaissance, et nous exciter puissamment à la vertu. II est certain en effet que celui qui nourrit en son coeur la pensée des bienfaits du Seigneur, s'efforcera de ne pas s'en montrer indigne. Bien plus, il s'appliquera à mériter par sa reconnaissance que Dieu lui en accorde de nouveaux. Eh ! notre Dieu n'est-il pas généreux ! et s'il soit que nous lui sommes reconnaissants de ses premières grâces, il nous en donnera de plus abondantes encore. Soyons donc toujours attentifs à l'affaire de notre salut, et ne laissons point nos journées s'écouler dans une lâche oisiveté. Préoccupons-nous beaucoup moins d'avoir passé la moitié du carême, que de savoir si nous avons avancé dans la vertu, et si nous nous sommes corrigés de quelque défaut.

Et en effet, si, nourris chaque jour de la parole sainte, nous restons toujours les mêmes, sans croître en vertus, et sans déraciner de notre coeur aucun germe de péché, le jeûne nous deviendra plus nuisible qu'utile; car celui qui rend infructueux tant de secours spirituels se prépare de rigoureux châtiments. Je vous conjure donc de bien employer ce qui nous (86) reste du carême; et pour cela, chaque semaine, ou plutôt chaque jour, rentrons en nous-mêmes, purifions notre âme de tout péché, et appliquons-nous à la pratique des bonnes oeuvres. C'est le conseil que nous donne le Psalmiste quand il dit : Eloignez-vous du mal, et faites le bien (Ps. XXXVI, 27); et telle est l'essence du véritable jeûne. Ainsi l'homme violent et emporté doit modérer sa colère par de pieuses pensées, et devenir doux et patient; ainsi encore l'intempérant et le paresseux doivent se montrer sobre et laborieux; et le voluptueux, trop épris d'une beauté mortelle, doit chasser de son coeur tout désir criminel, et graver dans son esprit cet oracle du divin Sauveur : Celui qui aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur. (Matth. V, 28.) Cette pensée l'aidera à fuir l'incontinence et à pratiquer la chasteté.

J'exhorte également ceux dont la parole précipitée et téméraire s'épanche au hasard, à dire avec le Psalmiste : Seigneur, mettez une garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres (Ps. CXL, 9) ; désormais, ils ne devront plus proférer que des paroles sages et utiles, selon ce précepte de l'Apôtre : Que toute aigreur, tout emportement, toute colère, toute querelle, toute médisance et toute malice soit bannie d'entre vous; et encore : Que toute parole soit bonne, utile, édifiante et propre à donner la grâce à ceux qui l'écoutent. (Eph. IV, 31, 29.) Quant à l'habitude du jurement, il faut absolument l'extirper du milieu de nous, car Jésus-Christ a dit : Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point; et moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte. (Matth. V, 33, 34.) Ne m'objectez donc point que vous jurez pour une cause légitime, puisqu'il n'est jamais permis de jurer , que la chose soit juste ou injuste. Mais afin que notre bouche ne prononce aucun jurement, sachons modérer notre langue, nos paroles et même nos pensées; car, en empêchant que des (86) pensées mauvaises se produisent en notre esprit, nous éviterons de les traduire au dehors par des paroles coupables. Enfin, ayez soin aussi de fermer l'oreille à tout discours vain et médisant, selon cet avis de Moïse : N'écoutez point la voie du mensonge. Le Psalmiste nous dit également : J'éloignais celui qui médisait secrètement de son prochain. (Exod. XXIII, 1 ; Ps. I, 5.)

Concluez de tout ceci, mon cher frère, que l'acquisition des vertus chrétiennes exige de généreux efforts et une vigilance continuelle. La moindre négligence suffit quelquefois pour tout perdre; et c'est le reproche que le saint roi David adressait aux Juifs. Tranquillement assis, leur disait-il, vous parlez contre votre frère, et vous préparez un piège au fils de votre mère. (Ps. XLIX, 20.) Cette attention à régler tous nos sens nous facilitera beaucoup les divers exercices de la piété. Ainsi, notre langue louera et glorifiera le Seigneur, nos oreilles s'ouvriront à la parole sainte et à ses salutaires instructions, et notre esprit s'appliquera à méditer les vérités de la foi; nos mains, pures de tout acte d'avarice ou de rapine, s'exerceront aux bonnes oeuvres et à l'aumône, et nos pieds ne nous conduiront point au théâtre et à ses dangereux spectacles, ni au cirque et aux courses des chars; mais aux églises, aux maisons de la prière, et aux tombeaux des martyrs, afin que, parleur intercession, nous obtenions les bénédictions du ciel et la grâce de ne pas succomber aux embûches du démon. Cette active sollicitude pour notre salut fera encore que le jeûne du carême nous sera grandement utile, que nous éviterons les piéges du tentateur, et que nous obtiendrons les miséricordes divines; puissent-elles se répandre sur nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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