HOMÉLIE XI

ONZIÈME HOMÉLIE. Qu'il faut estimer la vertu, imiter les saints, qui, étant de même nature que nous, l'ont pratiquée excellemment : la négligence sera sans excuse.

 

 

ANALYSE

 

1.- 2. Dans cette homélie, prononcée un des deux jours de la semaine où l'on ne jeûnait pas; c'est-à-dire le samedi ou le dimanche, saint Chrysostome interrompt l'explication de la Genèse, et traité un sujet tout moral : l'estime de la vertu et l'imitation des saints. — 3.- 4. Il prouve à ses auditeurs que le jeûne et l'audition de la parole sainte ne sont utiles qu'autant qu'on y joint la pratique des vertus chrétiennes, et que l'essentiel est de dompter ses passions. — 5.– 6. Il leur propose ensuite l'exemple de saint Paul qui, quoique recommandable par tant de vertus, ne laissait pas que de se rendre chaque jour plus parfait. — 7. Et il termine en les exhortant à se rendre, comme l'Apôtre, des temples dignes de recevoir l'Esprit-Saint.

 

1. Je vous ai entretenus, ces jours derniers, de matières profondes qui ont peut-être fatigué votre esprit et votre attention; c'est pourquoi je veux aujourd'hui traiter un sujet plus facile , car, si le corps abattu par le jeûne, a besoin de quelque soulagement, pour reprendre avec une nouvelle ardeur cet exercice de pénitence, l'âme réclame elle-même quelque relâche et quelque repos. Sans doute il ne s'agit point ici de tenir toujours l'esprit bandé ou toujours relâché, mais de savoir tour à tour le distraire et le rendre attentif; c'est le véritable moyen de conserver les forces de l'âme et de réprimer les révoltes de la chair : car un travail trop assidu engendre l'ennui et le dégoût, et un repos trop prolongé conduit à la paresse ; l'expérience nous le dit assez, et pour l'âme et pour le corps, en sorte qu'il faut de la modération en toutes choses.

Tel est encore l'enseignement que Dieu nous donne parles créatures qu'il a faites pour notre usage : ainsi, pour rie parler que du jour et de la nuit, c'est-à-dire de la lumière et des ténèbres , il a destiné les jours au travail de l'homme, et-la nuit à son repos; aussi a-t-il fixé à l'un et à l'autre, des bornes et des limites qui nous en doublent l'utilité; et d'abord, le jour est le temps du travail, le Psalmiste nous le dit: l'homme sort alors pour faire son ouvrage et travailler jusqu'au soir. (Ps. CIII, 23.) C'est avec raison qu'il dit: jusqu'au soir, car les ténèbres qui surviennent, assoupissent l'homme, et font succéder le repos au travail; alors, en effet, la nuit, comme une tendre nourrice, calme l'activité de nos sens, et elle verse sur nos membres fatigués le repos et le sommeil; mais, dès que les heures de la nuit se sont écoulées, les premiers rayons du jour réveillent l'homme; ses sens, qui ont repris une vigueur nouvelle, se raniment aux clartés du soleil, et lui-même reprend ses travaux accoutumés avec plus d'ardeur et de facilité. Nous observons la même sagesse dans le cours périodique des saisons

le printemps succède à l'hiver et l'automne à l'été, et ce changement de saison et de température est pour nos corps un véritable repos. Un froid trop intense les gêlerait, et les chaleurs trop excessives les énerveraient; mais l'automne nous dispose insensiblement à l'hiver et le printemps à l'été.

J'ajoute même que l'homme sensé et judicieux qui étudiera la nature à ce point de vue, y découvrira aisément un ordre admirable; aussi avouera-t-il que rien dans la création n'a été fait sans raison et au hasard. Les plantes que produit la terre nous en offrent un bel exemple, car la terre ne les enfante pas toutes à une époque unique, de même que tous les temps ne sont pas propres à la culture; mais le laboureur connaît les diverses saisons que la (60) sagesse divine a marquées pour les divers travaux des champs : il sait quand il doit semer le blé, planter les arbres et confier au sein de la terre les racines de la vigne; il sait également quand il doit mettre la faucille dans la moisson, dépouiller la vigne de son fruit, et recueillir les baies de l'olivier; qui n'admirerait donc ici sa science et son expérience !

Si de la terre ferme nous nous élançons sur l'Océan, quelles merveilles nouvelles ! Le pilote distingue les vents favorables pour lever l'ancre, quitter le port et traverser les mers, et c'est principalement en lui que se révèle ce don d'intelligence que Dieu a départi à l'homme : car les courriers ne connaissent pas mieux les relais et les hôtelleries que les pilotes les ports et les rivages. Aussi la sainte Ecriture, parlant de la divine sagesse, dit-elle avec un vif sentiment d'admiration: le Seigneur a tracé à l'homme usa chemin sur les mers, et une route assurée au milieu des flots. (Sag. XIV, 3.) Quelle intelligence humaine pourrait comprendre toutes ces merveilles ! Nous trouvons encore ce même ordre et cette même variété dans les aliments qui forment la base de notre nourriture : car le Seigneur nous les diversifie selon les saisons et les époques de l'année, et de son côté, la terre, comme une bonne nourrice, ne manque point de nous prodiguer ses bienfaits aux temps précis que Dieu lui a marqués.

2. Mais je craindrais de trop m'étendre sur ces détails, et il vaut mieux les abandonner à vos réflexions. Donnez une occasion au sage, dit l'auteur des Proverbes, et il deviendra plus sage encore. (Prov. IX, 9. ) Au reste, ce n'est point seulement dans les aliments dé l’homme, mais encore dans ceux des animaux, et dans une multitude d'autres phénomènes que nous pouvons reconnaître l'ineffable sagesse du Seigneur, admirer sa souveraine bonté et proclamer le bel ordre et l'harmonie de l'univers. Le carême lui-même nous offre cet admirable tempérament de sévérité et de douceur. Sur les routes publiques, les voyageurs fatigués trouvent des stations et des hôtelleries où ils peuvent se délasser et reprendre ensuite leur voyage; les rivages de la mer offrent également aux nautoniers des ports tranquilles , où ils peuvent se reposer d'une longue navigation et des secousses de la tempête, et puis achever heureusement leur course. C'est ainsi que ceux qui ont commencé le jeûne du carême rencontrent aussi des stations et des hôtelleries, des rivages et des ports hospitaliers car le Seigneur nous dispense du jeûne deux jours de la semaine, afin que le corps se remette de ses fatigues , que l'âme se repose de ses préoccupations, et que nous puissions ensuite poursuivre gaiement le cours de nos exercices.

Mais aujourd'hui se rencontre un de ces jours de relâche; nous vous en conjurons, mes chers frères, conservez avec soin les fruits que vous avez déjà retirés du jeûne. Demain, après avoir pris de nouvelles forces, vous augmenterez ces trésors spirituels, vous ferez dans ce saint négoce des gains abondants, en sorte qu'au jour du Seigneur, votre navire, chargé d'une riche cargaison, entrera à pleines voiles dans le port de la grande solennité : car toutes les oeuvres du Seigneur, comme le marque l'Ecriture, et comme l'expérience nous le révèle, portent le sceau d'une souveraine sagesse, et d'une éminente utilité, et c'est ainsi que dans toute notre conduite rien ne doit être l'effet de la légèreté ou de l'irréflexion; toutes nos actions, au contraire, doivent tendre à l'avantage et au succès de notre salut. Dans le monde on n'entreprend guère d'affaires. si d'abord on ne prévoit qu'elles seront lucratives; et n'est-il pas bien juste que nous imitions cette prudence? C'est pourquoi il ne suffit pas que les semaines du carême s'écoulent; mais il est nécessaire que chacun examine sa conscience, et qu'il se rende compte de ce qu'il a fait de bien dans la semaine présente et dans celle qui a précédé; il appréciera ainsi les progrès qu'il a faits dans la vertu, et reconnaîtra les vices dont il se sera corrigé.

Ces règles de conduite et ce soin de notre salut peuvent seuls nous rendre utiles le jeûne et l'abstinence. Eh ! combien peu faisons-nous en comparaison du zèle que déploient  les marchands pour augmenter leurs richesses : car vous n'en trouverez aucun qui ne travaille avec une. continuelle assiduité, qui ne cherche à grossir chaque jour son gain, et qui jamais paraisse satisfait; aussi plus son commerce devient lucratif , et plus s'accroissent ses soins et son zèle; mais si les hommes montrent tant d'activité dans des choses où le succès est incertain, et où le gain est souvent dangereux pour le salut, que ne devons-nous point faire dans ce négoce spirituel, où le profit correspond toujours au travail, et où nous sommes assurés de recueillir d'ineffables récompenses (61) et d'immenses avantages ! Sur la terre rien de moins stable et rien de plus incertain que la possession des richesses; et, d'abord, de quelle utilité nous sont elles à la mort, puisqu'elles demeurent en deçà du tombeau? Mais sans nous accompagner, elles ne laissent pas que d'être la matière d'un rigoureux jugement. Souvent encore il arrive que, même avant la mort et après mille travaux, mille peines et mille fatigues, l'adversité, comme un ouragan subit, les engloutit entièrement, en,sorte que d'un état d'opulence on tombe dans une extrême indigence; chaque jour nous en voyons de tristes exemples ; mais, dans ce négoce spirituel, nul revers semblable n'est à craindre, notre gain est assuré et certain, et plus nous aurons travaillé à la grossir, plus aussi nous en recevrons de joie et de consolation.

3. C'est pourquoi, tandis que nous en avons, le temps et la facilité, apportez du moins, je vous en conjure, dans l'acquisition des richesses spirituelles, le même zèle que tant d'autres déploient pour des trésors périssables. Bien plus, nous ne devons jamais nous relâcher dans notre activité, lors même que déjà nous aurions fait quelque profit, et que, par notre vigilance, nous aurions surmonté quelque défaut. Car c'est à ce prix que mous goûterons les solides plaisirs que procure le bon témoignage de la conscience. Ce que je vous demande donc, ce n'est pas de vous borner à venir ici chaque jour, pour y entendre la parole sainte, ni même à jeûner tout le carême; et en effet si ces fréquents entretiens, et si ce jeûne ne servent à votre avantage spirituel, loin de vous être utiles, ils vous deviendront le sujet d'une plus sévère condamnation. Ce sera justice, puisque malgré tous nos soins, vous serez demeurés, par rapport au salut, dans le même état d'indifférence. Ainsi l'homme colère et irascible doit devenir doux et pacifique, l'envieux charitable, l'avare désintéressé dans l'amour insensé des richesses, généreux dans ses aumônes et prodigue de ses biens envers les pauvres; ainsi encore le voluptueux doit se montrer chaste et réservé, l'ambitieux s'accoutumer à mépriser la vaine gloire du monde, et à ne rechercher que la gloire solide du salut, et celui gui négligeait envers ses frères les devoirs de la charité doit s'exciter lui-même à ne point paraître inférieur aux publicains : Car, dit Jésus-Christ, si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, que faites-vous de plus? les publicains ne le font-ils pas aussi ? (Matth. V, 46.) C'est pourquoi il doit arriver à cette disposition de coeur qu'il accueille ses ennemis d'un bienveillant regard, et qu'il leur témoigne une tendre charité.

Si nous nous laissons toujours dominer par ces passions, et mille autres qui naissent en nous, et cela lorsque nous venons ici chaque jour, et que nous ajoutons à la vertu du jeûne, les secours de l'instruction et de la doctrine, quelles seront notre excuse et notre défense? Car, dites-le moi, si vous voyiez votre enfant fréquenter assidûment l'école, et après plusieurs années ne faire aucun progrès, seriez-vous toujours patient et indifférent ? Vous châtiriez l'enfant, et vous blâmeriez le maître. Mais qu'on vous prouve ensuite que celui-ci a rempli tous ses devoirs, et qu'il n'a rien omis à l'égard de votre enfant, dont il ne faut accuser que la paresse et l'indolence, et soudain vous tournerez vers ce dernier toute votre indignation, et vous ne condamnerez plus le maître.

Appliquez-vous cette parabole. La vocation divine m'a appelé au ministère de la parole sainte, et, comme mes fils spirituels; je vous réunis ici. chaque jour pour vous distribuer une salutaire instruction. Au reste, ce ne sont point mes propres pensées que je vous développe et que je cherche à vous inculquer, ruais c'est lot doctrine que le Seigneur nous a révélée dans ses divines Ecritures. Et si maintenant malgré tous mes soins, et tout mon zèle pour vous faire chaque jour avancer dans la voie de la vérité, vous persévérez dans vos erreurs et vos vices, pensez quelle sera ma douleur, et, sans employer un terme plus dur, quelle sera votre propre condamnation ! sans doute je serai à l'abri de tout reproche, puisque je n'aurai rien négligé pour assurer vos progrès dans la vertu, et néanmoins, comme je désire beaucoup votre salut, je ne pourrai que m'attrister profondément de votre lâcheté. Eh ! quel est le maître qui, voyant son disciple ne retirer aucun fruit de ses leçons, ne s'afflige et ne gémit amèrement, parce qu'il sent que sa peine et ses soins sont perdus?

4. Mon intention, en vous parlant ainsi, n'est point de vous contrister, et je ne veux que réveiller votre ardeur, afin que vous ne fatiguiez pas inutilement votre corps par un jeûne rigoureux, et que vous n'acheviez pas infructueusement le cours de cette sainte quarantaine. Mais pourquoi limiter notre zèle au (62) carême, puisqu'il ne devrait pas y avoir,un seul jour dans toute notre existence où nous ne fissions quelque profit spirituel par la prière, la compassion, l'aumône et autres pratiques de la piété? Et en effet, le grand apôtre à qui le Seigneur avait découvert des secrets que nul autre jusqu'aujourd'hui n'a connus, écrivait aux Corinthiens : Je meurs chaque jour pour votre gloire. (I Cor. XV, 31.) Il nous révélait ainsi que dans son désir de procurer l'avancement spirituel des fidèles, il s'exposait. à de si grands périls que chaque jour il affrontait la mort. Mais cet héroïsme est au-dessus de la nature qui ne nous permet de mourir qu'une seule fois; et cependant l'Apôtre bravait généreusement- mille morts, quoique le Seigneur dans sa bonté lui conservât une vie nécessaire au salut de ses frères. Or si Paul, élevé au faîte des vertus et de la sainteté, et qui était moins un homme qu'un ange, s'efforçait chaque jour d'avancer dans la piété, de combattre pour la vérité, et de braver mille périls pour la justice: et s'il se faisait un devoir de grossir chaque jour ses richesses spirituelles et de ne jamais se .reposer, comment excuser      notre lâcheté? hélas !    nous sommes dénués de vertus et enclins à une multitude de vices, dont un seul suffirait à notre perte éternelle, et. encore nous n'apportons aucun zèle à l'oeuvre de notre conversion.

Dois-je ajouter que presque toujours le même homme est sujet à plusieurs défauts, et qu'il est à la fois colère et intempérant, avare, jaloux et violent? Mais s'il ne veut ni se corriger de ces vices, ni s'exercer aux vertus opposées, quelle espérance peut-il avoir de son salut ! Au reste, je ne cesserai point de vous répéter ces maximes, afin que chacun de mes auditeurs y trouve un remède à ses maux, et qu'il éloigne les affections mauvaises qui troublent son âme. Alors il pourra s'appliquer avec zèle à la pratique des vertus chrétiennes. Car il est inutile que le médecin entreprenne le traitement d'un malade qui repousse ses soins, et qui, impatient et exaspéré par la douleur, rejette tous les remèdes qu'on lui présente. Quel homme sensé accuserait alors le médecin comme n'ayant point rempli son devoir et le rendrait responsable de ce quç le malade né guérirait pas? C'est ainsi que je vous présente la doctrine sainte comme un remède spirituel, mais votre devoir est de le prendre, quelque amer qu'il soit, afin qu'il vous devienne réellement utile et qu'il vous rétablisse dans une santé parfaite. Quels immenses avantages vous en retirerez ; et, moi-même, combien je me réjouirai de voir ceux qui étaient faibles et malades recouvrer leurs forces et leur vigueur !

Je vous en conjure donc, que désormais chacun d'entre vous s'applique à déraciner son défaut dominant et qu'il se serve de quelque pieuse pensée comme d'un glaive spirituel pour le  couper et l'extirper. Car Dieu nous a donné la raison, et, si nous voulons un peu la seconder, elle peut facilement étouffer tous nos vices. De plus, l'Esprit-Saint nous a laissé dans l'Ecriture la vie et les exemples des suints qui, étant hommes comme nous, n'ont point laissé de s'illustrer par la pratique de toutes les vertus. Comment. leur exemple ne nous, empêcherait-il pas d'être lâches et négligents dans la pratique de ces mêmes vertus?

5. L'apôtre saint Paul était-il d'une autre nature élue nous? Je l'avoue, je l'aime passionnément , et c'est pourquoi son nom se place si souvent sur mes lèvres. Je le considère donc comme le modèle achevé de la plus haute perfection, et, quand je contemple ses vertus, j'admire en lui la mortification entière de toutes les passions, l'excellence du courage et la ferveur de l'amour divin. Hélas ! me dis-je, Paul réunit en lui et fait briller toutes les vertus; et moi, je n'ai pas le courage d'opérer le moindre bien. Eh ! qui nous arrachera aux supplices inévitables de l'enfer ? L'Apôtre , homme comme nous et sujet aux mêmes faiblesses, vivait en des temps bien difficiles, et chaque jour il était persécuté, battu et publiquement maltraité par ceux qui s'opposaient à la prédication de l‘Evangile. Souvent même ses ennemis pensaient qu'il avait expiré sous leurs coups et ils le laissaient comme mort. Ah ! trouver parmi nos chrétiens mous et énervés ces grands exemples de fermeté ? Au reste, ce n'est pas de ma bouche, mais de la sienne qu'il vous faut apprendre quelles furent ses oeuvres éclatantes et son courage pour la diffusion du christianisme.

Lorsque les calomnies des faux apôtres l'obligèrent à raconter ses propres ,vertus, il ne le fil qu'avec la plus grande répugnance; et, bien loin de s'y prêter complaisamment, il n'avait de hardiesse que pour se nommer un blasphémateur et un persécuteur. Mais, enfin, contraint de parler pour fermer la bouche à (63) de vils imposteurs et pour consoler un peu ses disciples, il s'exprime ainsi : Quant aux avantages qu'ils osent s'attribuer, je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi qu'eux. Quelle leçon dans ces paroles ! L'Apôtre appelle la louange qu'il va se donner une hardiesse et une imprudence; et il nous apprend ainsi que, sans une pressante nécessité, il ne faut jamais divulguer nos bonnes oeuvres, si toutefois nous en avons fait quelqu'une : Quant aux avantages qu'ils s'attribuent, je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi qu'eux, c'est-à-dire, je cède à la nécessité et je consens à faire acte de hardiesse et d'imprudence. Sont-ils Hébreux ? je le suis aussi; sont-ils Israélites? je le suis aussi; sont-ils de la race d'Abraham ? j'en suis aussi. Ils se glorifient, dit-il, et ils s'enorgueillissent de ces avantages, mais je n'en suis point dépourvu, je les possède comme eux. Il ajoute ensuite : Sont-ils ministres de Jésus-Christ? quand je devrais passer pour imprudent , je le suis plus qu'eux. (II Cor. II, 21, 22, 23.)

6. Ah ! voyez ici, mon cher frère, combien est grande la vertu de l'Apôtre; déjà il avait qualifié. et d'imprudentes les louanges qu'il s'était données par nécessité, mais peu content de ce premier acte d'humilité, il le renouvelle au moment où il va prouver qu'il surpasse infiniment ses détracteurs. C'est pourquoi, de crainte qu'on ne pense que l'orgueil le fait parler, il veut de nouveau se taxer lui-même d'imprudence. C'est comme s'il disait : Je sais bien que mes paroles en choqueront plusieurs et qu'elles paraîtront étranges dans ma bouche, mais je suis véritablement contraint de parler; veuillez donc excuser mon imprudence. Ah ! que nous sommes éloignés d'imiter même l'apparence de cette modestie ! Si, malgré tous les péchés dont nous sommes chargés, il nous arrivé de faire le moindre bien, nous ne pouvons le tenir caché,dans le trésor de notre coeur, mais nous le divulguons pour obtenir un peu de gloire auprès des hommes; et, par notre imprudente vanité, nous nous privons des récompensés célestes. Ce n'est pas ainsi qu'agissait l'Apôtre : il avoue d'abord qu'il est imprudent en disant qu'il est plus qu'eux ministres de Jésus-Christ; et puis il aborde les vertus et les mérites que ne pouvaient montrer ces faux apôtres.

Eh ! faut-il s'en étonner? Ils ne savaient que combattre la vérité, s'opposer aux progrès de l'Evangile et corrompre les esprits simples et faciles. C'est pourquoi, après avoir dit: Je suis plus qu'eux ministres de Jésus-Christ, il énumère les éclatantes preuves de sa vertu et de son courage. J'ai essuyé, dit-il, plus de travaux, j'ai reçu plus de coups, et je me suis vu plus souvent comme mort. (II Cor. XI, 23.) Que dites-vous, ô grand Apôtre ! Et cette dernière parole n'est-elle pas un vrai paradoxe? Car, est-il possible de mourir plusieurs fois? Oui, cela est possible, me répondez-vous; non, en réalité, mais par le désir et la résolution. Puis il nous apprend comment il a bravé mille fois la mort pour la prédication de l'Evangile, et comment, pour l'utilité des fidèles, le Seigneur en a délivré son invincible athlète. Je me suis vu souvent comme mort, j'ai reçu des juifs, jusqu'à cinq fois, trente-neuf coups de fouet, j'ai été battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé une fois, j'ai fait naufrage une fois, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer; souvent ,j'ai été, dans les voyages, en péril sur les fleuves, en péril parmi les voleurs et au milieu des miens, en péril parmi les païens et parmi les faux frères, en péril dans les villes, dans les déserts et sur la mer. (II Cor. XI, 24, 26.)

Ne passons point légèrement sur ces diverses circonstances, car chacune nous révèle comme un abîme de souffrances. Et, en effet, l'Apôtre ne dit pas, seulement qu'il a été une fois en péril dans un seul voyage, mais que plusieurs fois il a couru mille dangers sur les fleuves, et que toujours il ,y a déployé la plus grande fermeté. Enfin, il conclut son récit par ces paroles : J'ai été dans les travaux et les chagrins, souvent dans les veilles, dans la faim et la soif, dans les jeûnes, dans le froid et la nudité, et, en outre, j'ai les maux qui me viennent du dehors. (II Cor. XI, 27.)

7. Sondez donc, si vous le pouvez, ce second abîme de souffrances, car en disant . en outre, j'ai les maux qui me viennent du dehors, Îl nous fait entendre que ses tribulations ont été plus grandes et plus nombreuses qu'il ne l'avoue. Cependant il veut bien nous révéler quelques-unes des adversités et des conspirations auxquelles il a été exposé, en nous parlant de l'accablement quotidien où le retenait Ia sollicitude de toutes les églises. Ce zèle seul serait bien suffisant pour nous faire comprendre tout l'héroïsme de sa vertu ; car j'ai, dit-il, la sollicitude, non d'une, de deux, ou de trois églises, mais de toutes celles qui sont (64) répandues dans le monde entier. Ainsi les soins et la sollicitude de l'Apôtre embrassaient, comme les rayons du soleil, l'immensité de l'univers.

Quel cœur large ! et quelle grande âme ! Mais les paroles suivantes effacent tout le reste par leur sublimité : Qui est faible, dit-il, sans que je m'affaiblisse avec lui, et qui est scandalisé sans que je brûle ? (II Cor. II, 29.) Ah ! quelle tendresse de père pour ses enfants ! quelle charité ! quelle vigilance et quelle inquiétude ! Le coeur d'une mère souffre-t-il autant près du lit où les ardeurs de la fièvre retiennent son fils, que celui de Paul qui s'affaiblissait avec tout chrétien faible, n'importe en quel lieu il habitât, et qui brûlait avec tout fidèle qui était scandalisé ? Et en effet, considérez la force et l'énergie de l'expression; il ne dit pas : qui est scandalisé sans que je m'attriste, mais, sans que je brûle; il nous indique ainsi toute la vivacité de sa douleur; c'était comme un feu ardent qui le dévorait; telle était sa compassion pour tous ceux qui étaient scandalisés.

Mais je m'aperçois que cet entretien se prolonge indéfiniment , quoique j'eusse résolu d'être court, afin de ne pas vous aggraver la fatigue du jeûne. C'est que mon sujet m'a conduit à parler des éminentes vertus de l'Apôtre ; et alors mes paroles ont coulé comme un fleuve impétueux. Je termine donc en vous priant, mes chers frères, de vous souvenir souvent de saint Paul, et surtout de ne pas oublier qu'il était homme comme nous, et soumis aux mêmes faiblesses. Il exerçait, en outre, un métier vil et peu relevé, celui de faire des tentes, et passait une partie de sa vie dans les boutiques : et cependant, parce qu'il le voulut sincèrement, il posséda toutes les vertus et devint le temple de l'Esprit-Saint, qui le remplit de la plénitude de ses grâces. Et nous aussi, si nous voulons taire ce qui dépend de nous, nous pouvons obtenir les mêmes avantages. Car notre Dieu est généreux, et il veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité. (I Tim. II, 4.) Il ne nous reste donc qu'à nous rendre dignes de ses bontés, et à embrasser avec zèle, quoique un peu tard, la pratique des vertus chrétiennes. Nous devons également travailler à dompter nos passions, afin que nous devenions, comme l'Apôtre, les temples de l'Esprit-Saint. Puissions-nous y parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint , la gloire, l'honneur. et l'empire, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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